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L’expérience combattante Pour le jeudi 3 novembre, vous sélectionnerez l’une des œuvres de la liste proposée ci- dessous, et répondrez par un paragraphe (15-20 lignes) à la question posée. Je mets également à disposition un corpus de documents relatifs à l’expérience combattante. Profitez des vacances pour prendre le temps, répartir vos lectures, vos devoirs et, bien sûr, vous reposer. *** Quelle expérience du combat est-elle exprimée dans cette œuvre ? Films : - Charlot Soldat, Charlie Chaplin, 1918. - À l’Ouest rien de nouveau, Lewis Milestone, 1930. - Les Sentiers de la Gloire, Stanley Kubrick, 1957. - La Chambre des Officiers, François Dupeyron, 2001. - Un Long Dimanche de Fiançailles, Jean-Pierre Jeunet, 2004. - Les Fragments d’Antonin, Gabriel le Bomin, 2006. Ouvrages : - Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, Paris, Gallimard, « Folio », 1952 (1932), pp. 1-110. Bandes dessinées : - Putain de guerre !, Tardi/Verney, Paris, Catserman, 2014. - Paroles de poilus, Collectif, Paris, Soleil, 2006. *** 1. Walter BENJAMIN, « Expérience et pauvreté », Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000 (1933), trad. Pierre Rusch, pp. 364-372. Walter Benjamin (Berlin, 1892 – Portbou, 1940) est un philosophe, critique littéraire et traducteur allemand. S’il ne participe pas à la guerre pour des raisons de santé, il ne s’abstient pas pour autant de réfléchir à ses conséquences sur la société allemande. « Dans nos manuels de lecture figurait la fable du vieil homme qui, sur son lit de mort, fait croire à ses enfants qu’un trésor est caché dans sa vigne. Ils n’ont qu’à chercher. Les enfants creusent, mais nulle trace du trésor. Quand vient l’automne, cependant, la vigne donne comme aucune autre dans tout le pays. Ils comprennent alors que leur père a voulu leur léguer le fruit de son expérience : la vraie richesse n’est pas dans l’or, mais dans le travail. Ce sont des expériences de ce type qu’on nous a opposées, en guise de menace ou d’apaisement, tout au long de notre adolescence. « C’est encore morveux et ça veut donner son avis ». « Tu as encore beaucoup à apprendre ». L’expérience, on savait exactement ce que c’était : toujours les anciens l’avaient apportée aux plus jeunes. Brièvement, avec l’autorité de l’âge, sous forme de proverbes ; longuement, sous forme d’histoires ; parfois dans des récits de pays lointains, au coin du feu, devant les enfants et les petits-enfants. Où tout cela est-il passé ? Trouve-t-on encore des gens capables de raconter une histoire ? Où les mourants prononcent-ils encore des paroles impérissables, qui se transmettent de génération en génération comme un anneau ancestral ? Qui, aujourd’hui, sait dénicher un

L’expérience combattante – Corpus de textes · -Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, ... Tardi/Verney, Paris, Catserman, 2014. -Paroles de ... la Croix Rouge américaine

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Page 1: L’expérience combattante – Corpus de textes · -Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, ... Tardi/Verney, Paris, Catserman, 2014. -Paroles de ... la Croix Rouge américaine

L’expérience combattante

Pour le jeudi 3 novembre, vous sélectionnerez l’une des œuvres de la liste proposée ci-dessous, et répondrez par un paragraphe (15-20 lignes) à la question posée.

Je mets également à disposition un corpus de documents relatifs à l’expérience combattante.

Profitez des vacances pour prendre le temps, répartir vos lectures, vos devoirs et, bien sûr, vous reposer.

***

Quelle expérience du combat est-elle exprimée dans cette œuvre ? Films :

- Charlot Soldat, Charlie Chaplin, 1918. - À l’Ouest rien de nouveau, Lewis Milestone, 1930. - Les Sentiers de la Gloire, Stanley Kubrick, 1957. - La Chambre des Officiers, François Dupeyron, 2001. - Un Long Dimanche de Fiançailles, Jean-Pierre Jeunet, 2004. - Les Fragments d’Antonin, Gabriel le Bomin, 2006.

Ouvrages : - Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, Paris, Gallimard, « Folio », 1952

(1932), pp. 1-110. Bandes dessinées :

- Putain de guerre !, Tardi/Verney, Paris, Catserman, 2014. - Paroles de poilus, Collectif, Paris, Soleil, 2006.

***

1. Walter BENJAMIN, « Expérience et pauvreté », Œuvres II, Paris, Gallimard, 2000 (1933),

trad. Pierre Rusch, pp. 364-372. Walter Benjamin (Berlin, 1892 – Portbou, 1940) est un philosophe, critique littéraire et traducteur allemand. S’il ne participe pas à la guerre pour des raisons de santé, il ne s’abstient pas pour autant de réfléchir à ses conséquences sur la société allemande. « Dans nos manuels de lecture figurait la fable du vieil homme qui, sur son lit de mort, fait croire à ses enfants qu’un trésor est caché dans sa vigne. Ils n’ont qu’à chercher. Les enfants creusent, mais nulle trace du trésor. Quand vient l’automne, cependant, la vigne donne comme aucune autre dans tout le pays. Ils comprennent alors que leur père a voulu leur léguer le fruit de son expérience : la vraie richesse n’est pas dans l’or, mais dans le travail.

Ce sont des expériences de ce type qu’on nous a opposées, en guise de menace ou d’apaisement, tout au long de notre adolescence. « C’est encore morveux et ça veut donner son avis ». « Tu as encore beaucoup à apprendre ». L’expérience, on savait exactement ce que c’était : toujours les anciens l’avaient apportée aux plus jeunes. Brièvement, avec l’autorité de l’âge, sous forme de proverbes ; longuement, sous forme d’histoires ; parfois dans des récits de pays lointains, au coin du feu, devant les enfants et les petits-enfants.

Où tout cela est-il passé ? Trouve-t-on encore des gens capables de raconter une histoire ? Où les mourants prononcent-ils encore des paroles impérissables, qui se transmettent de génération en génération comme un anneau ancestral ? Qui, aujourd’hui, sait dénicher un

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proverbe qui va le tirer d’embarras ? Qui chercherait à clouer le bec à la jeunesse en invoquant son expérience passée ?

Non, une chose est claire : le cours de l’expérience a chuté, et ce dans une génération qui fit en 1914-1918 l’une des expériences les plus effroyables de l’histoire universelle.

Le fait, pourtant, n’est peut-être pas aussi étonnant qu’il y paraît. N’a-t-on pas alors constaté que les gens revenaient muets du champ de bataille ? Non pas plus riches, mais plus pauvres en expérience communicable. Ce qui s’est répandu dix ans plus tard dans le flot des livres de guerre n’avait rien à voir avec une expérience quelconque, car l’expérience se transmet de bouche à oreille. Non, cette dévalorisation n’avait rien d’étonnant. Car jamais expériences acquises n’ont été aussi radicalement démenties que l’expérience stratégique par la guerre de position, l’expérience économique par l’inflation, l’expérience corporelle par l’épreuve de la faim, l’expérience morale par la manœuvre des gouvernants.

Une génération qui était encore allée à l’école en tramway hippomobile se retrouvait à découvert dans un paysage où plus rien n’était reconnaissable, hormis les nuages et au milieu, dans un champ de forces traversé de tensions et d’explosion destructrices, le minuscule et fragile corps humain. »

***

2. Otto DIX, Les joueurs de cartes, 1920. Otto Dix (1891-1969) est un peintre et sculpteur fondateur du mouvement de la « Nouvelle Objectivité ». Engagé volontaire dans l’artillerie de campagne allemande en 1914, il est ensuite affecté comme mitrailleur dans la Somme et en Russie. Ses œuvres, emplies de l’horreur de la guerre, sont pour lui une façon d’évacuer ses souvenirs traumatisants.

Erich Lessing, akg-images, Paris, 2011.

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*** 3. Ernst JÜNGER, La guerre comme expérience intérieure, Paris, Christian Bourgeois

éditeur, « Titres », 1997 (1922), trad. François Poncet. Ernst Jünger (Heidelberg, 1895 – Riedlingen, 1998) est un écrivain allemand. Engagé volontaire en 1914, nommé sous-officier puis officier des « troupes de choc » par la suite, il reçoit la Croix pour le Mérite quelques semaines avant la fin de la guerre. Ses premiers écrits (Les orages d’acier, La guerre comme expérience intérieure) sont des réflexions sur l’effet de la guerre sur l’âme des soldats, la bravoure et le pacifisme. Fervent nationaliste, proche du cercle de la « Révolution Conservatrice » sous Weimar et considéré par W. Benjamin comme un « fasciste », E. Jünger refusera toutefois de collaborer avec les nazis, même s’il sera engagé comme capitaine dans la Wehrmacht en 1939. « La tranchée.

Le travail, l’horreur et le sang ont riveté1 le mot en un tour d’acier pesant sur les cerveaux anxieux. Rempart et bastion entre mondes qui se combattent, mais pas seulement cela : rempart et antre de ténèbres pour les cœurs qu’elle aspirait et rejetait en incessante alternance.

Parfois, tout se mettait à bouillir, lave cuisant en chaudrons gigantesques (…) Tout comme on bourre de madriers2 et de bacs de sable la gueule des digues éclatées, on lançait bataillons et régiments dans la brèche en flamme des tranchées rompues. Quelque part, un homme était au téléphone, visage de granit au-dessus du col écarlate, et proférait le nom d’un tas de ruines qui avait été un village. (…)

Parfois, des escadres de fer3 chutaient brusquement sur leur abrupte lancée, et leur courbe stridente se noyait en explosion de bribes acérées et de mottes d’argile en fracassante pluie. Alors tous se jetaient à plat ventre, craintifs et hébétés comme devant un dieu tout-puissant, et l’on se ruait tête baissée, haletant, l’oreille remplie du fracas des écrasements cinglés de lanières de flammes.

Plus d’un restait sur le carreau, sans qu’on y prenne garde, une poignée de terre dans le poing roidi4, de la terre plein la bouche et le visage souillé, triste ballot, planche d’appel pour le suivant, dont le cœur blêmissait lorsque la botte cloutée s’enfonçait dans du mou. (…)

Mais, toujours, dans la chaleur, l’humidité ou le vent glacial, subsistait enfoncé au fond même de l’être le sentiment d’être au combat, d’être un combattant.

Si, parfois, devant, une petite pierre roulait, un froissement traversait l’herbe haute, on ne pouvait ignorer que tous les sens étaient à l’affût. L’oreille et l’œil s’aiguisaient jusqu’à faire mal, le corps se tassait sous le casque, les poings s’agrippaient à l’arme.

Le fusil était constamment à portée de main ; si le feu se déclenchait tout à coup, si des cris indistincts pénétraient dans les profondeurs des galeries, le premier geste des dormeurs encore embrumés de sommeil était pour l’empoigner. Ce poing jeté vers l’arme depuis les profondeurs du sommeil, c’était une chose qu’on avait dans le sang, un élan de l’homme primitif, le geste même de l’homme des glaciations lorsqu’il empoignait sa hache de pierre.

Tout cela imprimait au combattant des tranchées le sceau du bestial, l’incertitude, une fatalité toute élémentaire, un environnement où pesait, comme dans les temps primitifs, une menace incessante.

La tranchée faisait de la guerre un travail de manœuvre5, des guerriers les journaliers6 de la mort, usés jusqu’à la corde par un quotidien sanglant. »

1 Accroché, fixé. 2 Planche de bois épaisse. 3 Il parle en fait des obus et mortiers. 4 Serré. 5 Travailleur non qualifié. 6 Travailleur non qualifié payé à la journée.

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4. Les « Gueules cassées »

L’expression « gueules cassées » a été inventée par le colonel Picot, premier président de

l’Union des mutilés de la face et de la tête. Également appelés « faciaux » ou « baveux », ces derniers adoptent la devise : « Sourire quand même ».

La complexité des blessures, causées par les techniques et les conditions de combat de la Première Guerre mondiale, va conduire les chirurgiens à inventer des procédés d’immobilisation des maxillaires et à développer des techniques de chirurgie réparatrice pour remplacer les os ou les tissus mous : Henry Delagenière, par exemple, chirurgien du Mans, introduit des plaques de métal sous la peau afin de redonner une forme aux visages.

Cependant, ces prothèses sont difficiles à supporter, et l’on voit apparaître d’autres stratégies. Ainsi Jeanne Poupelet, sculptrice, fonde-t-elle en 1918, grâce à des financements de la Croix Rouge américaine et au soutien d’Anna Coleman, un « atelier des masques » à Paris : des empreintes au plâtre sont prises sur les hommes, afin de réaliser un premier moule, puis les parties manquantes sont modelées, un masque en cuivre est confectionné et, finalement, ajusté au visage du patient. De 1918 à 1920, plus de 300 masques seront ainsi confectionnés.

Un exemple de masque

L’atelier des masques, au 86 rue Notre-Dame-des-Champs (Paris).