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JDD | 27 décembre 2015 L’ancien ministre, figure de l’aile gauche du PS, juge que l’exécutif « cède sur l’essentiel » des valeurs INTERVIEW ARTHUR NAZARET MODIFIE ERIC LEGER Finalement François Hollande a décidé d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité… Cela revient à établir la distinc- tion entre deux citoyens français de naissance suivant qu’ils sont binationaux ou non. En introdui- sant cette distinction, la République n’est plus indivisible. Cette décision remettrait en cause le droit du sol. Le symbole choisi, et quel symbole, envoie à des millions de nos compa- triotes le message suivant : vous êtes des Français de seconde catégorie. Nous donnerions raison à tous ceux qui manipulent notre jeunesse et lui affirment qu’une partie d’entre eux n’ont jamais été considérés comme de vrais Français dans leur propre pays. Face au terrorisme, affirmer l’unité de la nation, le ras- semblement de tous les Français, indépendamment de leurs convic- tions, origines ou confessions, est fondamental. Cette mesure est, selon l’aveu du Premier ministre lui-même, inef- ficace pour lutter contre le terro- risme. Pas un terroriste français ne renoncerait à son acte de folie parce qu’on le menacerait de perdre son passeport. Et si les pays victimes du terrorisme, comme l’Algérie ou le Maroc, décidaient de faire la même chose à leurs binationaux, accepte- rions-nous de récupérer en France les terroristes d’Aqmi ? Est-ce un point de non-retour entre Hollande et une partie de la gauche ? J’ai voté l’état d’urgence. Proté- ger les Français face au terrorisme ne se négocie pas. Mais avec la déchéance de nationalité inscrite dans la Constitution, ce n’est plus la protection de la nation qui est en jeu. J’ai cherché à en convaincre directe- ment le président de la République. En début de semaine, j’avais com- pris qu’il renoncerait à cette mesure. Que ce soit par référendum ou au Congrès, je voterai contre cette pro- position. Au fond, cela va bien au-de- là du débat droite-gauche. C’est une question de valeur et de conscience. Ma conscience m’indique que nous cédons sur l’essentiel, sur ce qui fai- sait la force de la République fran- çaise, son message universel, affir- mer l’égalité des citoyens quelle que soit leur ori- gine. C’est-à-dire, précisément, ce contre quoi lutte Daech. Est-ce un tournant ? Commencer le quinquennat par la promesse du droit de vote aux étrangers lors des élections locales et le terminer sur la déchéance de nationalité des binationaux, une telle transhumance politique et intellectuelle déboussole. Cette décision va provoquer un schisme au sein du peuple de gauche mais aussi dans la communauté nationale. C’était une proposition de l’extrême droite, une proposition qualifiée, dans un passé récent, de « dange- reuse » par François Hollande et de « nauséabonde » par Manuel Valls. Je connais les enjeux politiques de l’exercice du pouvoir. Mais la fin ne justifie pas les moyens ! Taubira peut-elle défendre cette loi ? C’est une amie, je sais ce qu’elle pense. Maintenant, c’est à elle de décider. Il est frappant de consta- ter que le ministre de l’Intérieur et la garde des Sceaux, tous deux en première ligne dans la lutte contre le terrorisme, sont défavorables à cette décision. Que pensez-vous des récentes mains tendues aux centristes et à la droite ? Elles l’ont été sur la lutte contre le chômage. Il y a une logique à ce que ceux qui pen- sent globalement la même chose se rapprochent. Mais est-ce pour trou- ver des solutions nouvelles ? Non, il s’agit de poursuivre la même poli- tique. Plus globalement, sur la ques- tion de la libéralisation du marché du travail, sur l’austérité budgétaire ou les baisses d’impôt des entre- prises, les divergences entre Ber- trand, Estrosi et Valls relèvent-elles d’une différence de projet politique ou de simples nuances sur le rythme et l’intensité des politiques à mettre en œuvre ? Je le regrette, mais l’hon- nêteté commande de reconnaître maintenant que ce qui les distingue ne tient qu’à des nuances. Ces idées ont déjà été mises en œuvre pendant près de vingt ans, à l’exception du mandat de Lionel Jospin. Ont-elles permis de retrouver la croissance, de réduire le chômage et de réduire les inégalités ? Non. Depuis quand une addition d’échecs ferait-elle une solution ? Est-ce la fin de la stratégie d’union de la gauche avec un PS qui lui aussi tend la main aux Républicains ? J’entends Jean-Christophe Cambadélis parler d’ « alliance populaire ». La perspective semble séduisante. Je souhaite que cela ne soit pas un bricolage d’appareils et une nouvelle diversion. Ce qui est sûr, c’est qu’il devient de plus en plus compliqué d’appeler les électeurs de gauche à la rescousse au second tour, d’appeler à faire barrage au Front national et de proposer une réforme de la Constitution inspirée et soutenue par le Front national. À la rentrée, il y a aussi la réforme du Code du travail, la loi Macron 2... Il faut redonner un projet mobilisateur à la nation. À côté de la lutte contre le terrorisme, on n’entend parler que de croissance et de déficits. Mais il est illusoire de continuer à poursuivre l’objectif d’une croissance à 3 ou 4 %. Notre mission est de concilier une crois- sance faible mais riche en emplois et sobre écologiquement. Cette offre politique reste incontestablement à construire et aura besoin d’exister dans le débat de 2017. g Proche du chef de l’État, l’ex-cofondateur de SOS Racisme souhaite qu’une « majorité d’idées » permette de trouver une « alternative sérieuse » à une décision erronée et « inefficace » INTERVIEW DOMINIQUE DE MONTVALON Comprenez-vous l’arbitrage du chef de l’État sur la déchéance de nationalité ? Depuis le discours de Fran- çois Hollande à Versailles le 16 novembre, je n’ai cessé de dire que cette mesure me semble ouvrir une polémique et des divi- sions inutiles dans le moment actuel. La France a mieux à faire que de se quereller sur une mesure dont tout le monde sait qu’elle n’est d’aucune efficacité, même symbolique, contre le ter- rorisme. Cela renvoie, par ail- leurs, à un principe fondamental : quand elles combattent le terro- risme, les démocraties doivent toujours rester elles-mêmes et se garder de légiférer à chaud. Comment expliquez-vous sa décision ? Je ne me l’explique pas, d’au- tant que nous étions nombreuses et nombreux à avoir le sentiment que l’exécutif se rendait compte des risques que représentait la mise en chantier concrète d’une telle mesure. On aurait pu, on peut peut-être encore – comme l’avaient fait les Constituants de 1791, comme l’avait fait le géné- ral de Gaulle – mettre en place une véritable peine d’indignité républicaine frappant les terro- ristes condamnés. Cela éviterait de toucher au droit du sol et de créer implicitement plusieurs catégories de Français. Vous dialoguez souvent avec lui, vous ne vous attendiez donc pas à cela ? Non. On a choisi de garder la cohérence au prix du risque d’une rupture avec la gauche mi- litante. On doit faire autrement. Peut-on imaginer que l’exécutif revienne en arrière ? Une démocratie adulte, c’est une démocratie où l’on sait se rendre compte à temps qu’une décision est une fausse bonne idée, et qu’elle va créer plus de problèmes qu’apporter de solu- tions. L’intelligence collective en pareil cas, c’est de savoir fabri- quer une alternative sérieuse. Ce serait l’occasion ou jamais de mettre en place dans ce but une majorité d’idées, qui ne serait pas la victoire d’un camp contre l’autre. g « Je ne m’explique pas la décision du Président » Julien Dray, député de l’Essonne Benoît Hamon, ex-ministre de l’Éducation nationale et député des Yvelines « Un schisme dans le peuple de gauche » « Une telle transhumance politique et intellectuelle déboussole » Benoît Hamon à l’Assemblée nationale.

Déchéance de la Nationalité : un débat qui fait rage !

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jdd | 27 décembre 2015

L’ancien ministre, figure de l’aile gauche du PS, juge que l’exécutif « cède sur l’essentiel » des valeurs

INTERVIEW ARTHUR NAZARETMODIFIE ERIC LEGER

Finalement François hollande a décidé d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité…

Cela revient à établir la distinc-tion entre deux citoyens français de naissance suivant qu’ils sont binationaux ou non. En introdui-sant cette distinction, la République n’est plus indivisible. Cette décision remettrait en cause le droit du sol. Le symbole choisi, et quel symbole, envoie à des millions de nos compa-triotes le message suivant : vous êtes des Français de seconde catégorie. Nous donnerions raison à tous ceux qui manipulent notre jeunesse et lui affirment qu’une partie d’entre eux n’ont jamais été considérés comme de vrais Français dans leur propre pays. Face au terrorisme, affirmer l’unité de la nation, le ras-semblement de tous les Français, indépendamment de leurs convic-tions, origines ou confessions, est fondamental.

Cette mesure est, selon l’aveu du Premier ministre lui-même, inef-ficace pour lutter contre le terro-risme. Pas un terroriste français ne renoncerait à son acte de folie parce qu’on le menacerait de perdre son passeport. Et si les pays victimes du terrorisme, comme l’Algérie ou le Maroc, décidaient de faire la même chose à leurs binationaux, accepte-rions-nous de récupérer en France les terroristes d’Aqmi ?est-ce un point de non-retour entre hollande et une partie de la gauche ?

J’ai voté l’état d’urgence. Proté-ger les Français face au terrorisme ne se négocie pas. Mais avec la déchéance de nationalité inscrite dans la Constitution, ce n’est plus la protection de la nation qui est en jeu. J’ai cherché à en convaincre directe-ment le président de la République. En début de semaine, j’avais com-pris qu’il renoncerait à cette mesure. Que ce soit par référendum ou au Congrès, je voterai contre cette pro-position. Au fond, cela va bien au-de-là du débat droite-gauche. C’est une

question de valeur et de conscience. Ma conscience m’indique que nous cédons sur l’essentiel, sur ce qui fai-sait la force de la République fran-çaise, son message universel, affir-mer l’égalité des citoyens quelle que soit leur ori-gine. C’est-à-dire, précisément, ce contre quoi lutte Daech.est-ce un tournant ?

Commencer le quinquennat par la promesse du droit de vote aux étrangers lors des élections locales et le terminer sur la déchéance de nationalité des binationaux, une telle transhumance politique et intellectuelle déboussole. Cette décision va provoquer un schisme au sein du peuple de gauche mais aussi dans la communauté nationale. C’était une proposition de l’extrême droite, une proposition qualifiée, dans un passé récent, de « dange-reuse » par François Hollande et de « nauséabonde » par Manuel Valls. Je connais les enjeux politiques de l’exercice du pouvoir. Mais la fin ne justifie pas les moyens !taubira peut-elle défendre cette loi ?

C’est une amie, je sais ce qu’elle pense. Maintenant, c’est à elle de

décider. Il est frappant de consta-ter que le ministre de l’Intérieur et la garde des Sceaux, tous deux en première ligne dans la lutte contre

le terrorisme, sont défavorables à cette décision.Que pensez-vous des récentes mains tendues aux centristes et à la droite ?

Elles l’ont été sur la lutte contre le chômage. Il y a

une logique à ce que ceux qui pen-sent globalement la même chose se rapprochent. Mais est-ce pour trou-ver des solutions nouvelles ? Non, il s’agit de poursuivre la même poli-tique. Plus globalement, sur la ques-tion de la libéralisation du marché du travail, sur l’austérité budgétaire ou les baisses d’impôt des entre-prises, les divergences entre Ber-trand, Estrosi et Valls relèvent-elles d’une différence de projet politique ou de simples nuances sur le rythme et l’intensité des politiques à mettre en œuvre ? Je le regrette, mais l’hon-nêteté commande de reconnaître maintenant que ce qui les distingue ne tient qu’à des nuances. Ces idées ont déjà été mises en œuvre pendant près de vingt ans, à l’exception du mandat de Lionel Jospin. Ont-elles

permis de retrouver la croissance, de réduire le chômage et de réduire les inégalités ? Non. Depuis quand une addition d’échecs ferait-elle une solution ?est-ce la fin de la stratégie d’union de la gauche avec un PS qui lui aussi tend la main aux républicains ?

J’entends Jean-Christophe Cambadélis parler d’« alliance populaire ». La perspective semble séduisante. Je souhaite que cela ne soit pas un bricolage d’appareils et une nouvelle diversion. Ce qui est sûr, c’est qu’il devient de plus en plus compliqué d’appeler les électeurs de gauche à la rescousse au second tour, d’appeler à faire barrage au Front national et de proposer une réforme de la Constitution inspirée et soutenue par le Front national. À la rentrée, il y a aussi la réforme du Code du travail, la loi Macron 2...

Il faut redonner un projet mobilisateur à la nation. À côté de la lutte contre le terrorisme, on n’entend parler que de croissance et de déficits. Mais il est illusoire de continuer à poursuivre l’objectif d’une croissance à 3 ou 4 %. Notre mission est de concilier une crois-sance faible mais riche en emplois et sobre écologiquement. Cette offre politique reste incontestablement à construire et aura besoin d’exister dans le débat de 2017. g

Proche du chef de l’État, l’ex-cofondateur de SOS racisme souhaite qu’une

« majorité d’idées » permette de trouver une « alternative sérieuse » à une décision erronée et « inefficace »

IntervIew DOMiNiQue De MONtvALON

Comprenez-vous l’arbitrage du chef de l’État sur la déchéance de nationalité ?

Depuis le discours de Fran-çois Hollande à Versailles le 16 novembre, je n’ai cessé de dire que cette mesure me semble ouvrir une polémique et des divi-sions inutiles dans le moment actuel. La France a mieux à faire que de se quereller sur une mesure dont tout le monde sait

qu’elle n’est d’aucune efficacité, même symbolique, contre le ter-rorisme. Cela renvoie, par ail-leurs, à un principe fondamental : quand elles combattent le terro-risme, les démocraties doivent toujours rester elles-mêmes et se garder de légiférer à chaud.Comment expliquez-vous sa décision ?

Je ne me l’explique pas, d’au-tant que nous étions nombreuses et nombreux à avoir le sentiment que l’exécutif se rendait compte des risques que représentait la mise en chantier concrète d’une telle mesure. On aurait pu, on peut peut-être encore – comme l’avaient fait les Constituants de 1791, comme l’avait fait le géné-ral de Gaulle – mettre en place une véritable peine d’indignité républicaine frappant les terro-ristes condamnés. Cela éviterait de toucher au droit du sol et de

créer implicitement plusieurs catégories de Français.vous dialoguez souvent avec lui, vous ne vous attendiez donc pas à cela ?

Non. On a choisi de garder la cohérence au prix du risque d’une rupture avec la gauche mi-litante. On doit faire autrement.Peut-on imaginer que l’exécutif revienne en arrière ?

Une démocratie adulte, c’est une démocratie où l’on sait se rendre compte à temps qu’une décision est une fausse bonne idée, et qu’elle va créer plus de problèmes qu’apporter de solu-tions. L’intelligence collective en pareil cas, c’est de savoir fabri-quer une alternative sérieuse. Ce serait l’occasion ou jamais de mettre en place dans ce but une majorité d’idées, qui ne serait pas la victoire d’un camp contre l’autre. g

« Je ne m’explique pas la décision du Président »Julien Dray, député de l’Essonne

Benoît Hamon, ex-ministre de l’Éducation nationale et député des Yvelines

exÉCutiF Malgré les tensions à gauche et les allers-retours sur la déchéance de nationalité, entend asseoir son autorité présidentielle au terme d’une année ensanglantée « Un schisme dans le peuple de gauche »

« Une telle transhumance politique et intellectuelle déboussole »

Benoît Hamon

à l’Assemblée

nationale.

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Libération Mardi 29 Décembre 2015

Déchéance de nationalité

Au PS, le pourest à venir

E t si Manuel Valls avait vu juste? Et si lePremier ministre, en bon politique aidépar les sondages, avait raison en affir-

mant, lundi dans une tribune sur Facebook,que sa proposition d’étendre ladéchéance de nationalité auxbinationaux nés en France «re-cueill[ait] une très large adhésion parmi lesFrançais»? Mieux encore pour lui: une appro-bation des militants socialistes?Depuis mercredi, jour de la confirmation parle couple exécutif de son intention d’inscriredans la Constitution la déchéance de nationa-lité pour les terroristes –tout en incluant ceux

nés sur le sol français–, la planète socialistesemble tourneboulée. Mais si Benoît Hamon,Martine Aubry et, de façon moins attendue,Julien Dray puis Jean-Marc Ayrault se sont

prononcés farouchement con-tre cette initiative, les militantssocialistes interrogés par Libé-

ration paraissent beaucoup moins tiraillés.Certes, cette prise de température n’a pas va-leur de sondage, et encore moins de référen-dum. Il n’empêche, la parole recueillie laissesongeur. Avec, parfois, des propos qui n’ontrien à envier à la droite sécuritaire. «Plutôt àla gauche du parti», mais «pas du côté des

frondeurs», Jérôme Godard, ex-secrétaire desection PS à Clermont-Ferrand et actuel ad-joint au maire, se dit clairement «favorable àla déchéance de nationalité pour les binatio-naux», mais aussi «pour ceux qui sont nés enFrance». Il ne comprend pas, d’ailleurs, «quela binationalité existe». La sécurité ne doit«pas être taboue», et dire cela, «ce n’est pas uneidée de droite». L’homme n’est pas «choqué»non plus par la phrase du Premier ministresur «une partie de la gauche qui s’égareau nom de grandes valeurs, en oubliant lecontexte». Il a «toujours été un peu dans la pro-voc», explique-t-il.Vallsiste et encore plus cash, Claude Lerouge,ancien responsable de la section PS à laCaisse d’épargne et aujourd’hui retraité, estaussi favorable à la mesure: «Il faut foutre lesjetons à tous ces mecs-là, on ne peut plus avoirdes jeunes de banlieue qui se construisent surDaech.» Même si, reconnaît-il, «ce n’est pasforcément très efficace». Les propos de Valls?«C’est bien de garder certaines valeurs fonda-mentales, mais quand on est en guerre, on esten guerre. Il faut arrêter de rêver!» Aubrysterevendiqué, Thierry Levasseur, ex-responsa-ble de la section de Dieppe (Seine-Maritime),juge Valls «un peu trop autoritariste», maisne se dit «pas opposé» à la proposition del’exécutif. «A condition, cependant, qu’elles’inscrive dans un ensemble de mesures per-mettant d’éviter vraiment les attentats.» N’ya-t-il pas un risque de créer une sous-catégo-rie de Français? «Ils retrouveront leur autre

nationalité, et n’auront qu’à faire des démar-ches pour rester en France.» Sous-entenducomme étrangers. Ce que reproche ThierryLevasseur au gouvernement, ce n’est finale-ment pas ses mesures sécuritaires, mais lefait qu’il ne parle plus «au monde ouvrier etaux classes moyennes».Tout aussi aubryste, Guillaume Quévarec, laquarantaine, n’a «plus aucun état d’âme» de-puis les attentats de Paris: «La déchéance denationalité, j’y suis favorable», tranche cemembre du conseil fédéral PS des Yvelines.«J’ai évolué depuis les horreurs du 13 Novem-bre. Les terroristes qui tuent aveuglément nesont pas dignes d’être français. Qu’ils soient bi-nationaux ou pas.» Et d’avancer une idéeétonnante: «Puisque le droit international in-terdit qu’on crée des apatrides, je serais favo-rable à ce que ces terroristes soient rattachésà l’ONU, par exemple, avec une sorte de natio-nalité mondiale.» Sur la division au sein duPS: «Je comprends très bien qu’elle crée des op-positions, cette idée heurtant un certain nom-bre de nos valeurs. Mais ce n’est pas une frac-ture entre courants, chacun se positionne enfonction des grands principes ou, comme moi,en fonction de son intime conviction.»

«LEPÉNISATION DES ESPRITS»Ancien responsable des pro-Royal en Breta-gne, Franck Dagorne, lui, en est convaincu:«Ne pas constitutionnaliser la déchéance denationalité serait une erreur.» Pour ce mili-tant du Morbihan, entré au PS quand Jospin

Contre toute attente, le projet du gouvernement d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité ne choque pas dans les sections socialistes. Par

RACHID LAÏRECHE, LUC PEILLON et NATHALIE RAULINmodifié parERIC LEGER

TÉMOIGNAGES

Lors d’une «marche contre la barbarie», à

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Libération Mardi 29 Décembre 2015

ValeursS’il s’agissait de rebattre les cartes, on peutdire que le jeu est bien étalé, avec une gau-che et une droite tout aussi éparpilléesdans leurs convictions. Seule certitude,celle ne plus en avoir. Sauf une, peut-être:inscrire dans la Constitution la déchéancede nationalité notamment pour les binatio-naux nés en France n’est pas de natureà empêcher de futurs attentats. Pour lereste, tout ce qui constituait des repèresvole en éclats. Comme l’idée d’union natio-nale. Et la petite phrase de Valls sur cettegauche qui s’égare au nom des grandes va-leurs a achevé de déboussoler son proprecamp plutôt que de convaincre. Le contextejustifie-t-il de renoncer à ce qui constitueun socle commun d’engagement? La ré-ponse est non. Pourtant, si l’on en croit unepartie de la base socialiste que nous avonsinterrogée, toute mesure, même symboli-que, même inefficace, est bonne à prendrecontre les jihadistes, résonnant en cela avecl’opinion qui approuve massivement cettedisposition dans un récent sondage. MaisHollande et Valls ne peuvent pas ignorerqu’une autre partie de l’électorat et denombreux dirigeants PS ne supportent pasla proposition, et encore moins la méthodeet le ton employés. Un des arguments avan-cés pour justifier le maintien de cette me-sure serait le respect de la parole prononcéelors du Congrès du 16 novembre. Pourquoicette promesse mériterait-elle plus quecelle, non tenue, sur le droit de vote auxétrangers? Une parole vaut davantage parsa cohérence que par son affirmation auto-ritaire. Question de valeur. •

VOLTE-FACE DE L’EXÉCUTIFn 16 novembre François Hollande s’adresse aux parlementaires réunis en Congrès.Il annonce plusieurs mesures dont la «déchéance de nationalité» pour tout individuresponsable d’actes terroristes. «Il faut pouvoir le déchoir même s’il est né français,dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité», affirme le chef de l’Etat.n 18 décembre François Hollande laisse entendre à des visiteurs que l’idéed’étendre la déchéance aux binationaux nés en France est abandonnée.n 22 décembre La ministre de la Justice, Christiane Taubira, annonce, sur uneradio algérienne, que le projet de révision constitutionnelle «ne retient pas»l’extension de la déchéance de nationalité.n 23 décembre La «déchéance» figure bien dans le texte présenté en Conseil desministres. Indignation et hostilité de nombreuses associations et personnalités.n 27 décembre Dans le JDD, Manuel Valls affirme qu’«une partie de la gauches’égare au nom de grandes valeurs».

était à Matignon, la question est d’abord tacti-que: «L’idée a été mise en avant par l’extrêmedroite, mais la lui laisser pourrait être trèsdangereux dans la perspective de la présiden-tielle, estime ce fidèle de Hollande. Autour demoi, la lepénisation des esprits est réelle. Si onrenonce, le FN pourrait faire de cette mesureson porte-étendard pour 2017…»D’autres, sans applaudir à tout rompre la dé-chéance de nationalité, ont fini par s’y rallier,un peu à reculons. Comme Alain Le Garrec,secrétaire de la section du Ier arrondissementde Paris. «Je ne suis pas pour, mais vu les con-ditions extrêmes, il faut le faire, estime cet an-cien rocardien, aujourd’hui proche des réfor-mateurs. D’ailleurs, déchoir quelqu’un de sanationalité française était déjà possible, et fi-

nalement, il n’y a eu que peu de cas. Même sila mesure est élargie, elle restera symbolique,car compliquée à appliquer.» Et d’estimerqu’«il n’est pas inutile d’obliger à s’interrogersur ce que cela implique d’être français».Même si «je préférerais qu’on se batte sur com-ment faire baisser le chômage».

«PERSONNE NE M’ÉCOUTE»Même s’ils sont minoritaires parmi ceux solli-cités par Libération, certains ne sont pas favo-rables à la proposition du gouvernement.Chef de section PS dans l’ouest de la Franceet pro-Hollande, ce militant qui souhaite res-ter anonyme est contre la réforme. «Une fautegrave du gouvernement qui laissera des traces,estime-t-il. Car, dans quelques années, on re-

tiendra le mariage pour tous pour les chosespositives et la déchéance pour le côté négatif.»Mais dans sa section, la plupart des militantsapprouvent le choix du gouvernement. «Jepasse mon temps à faire de la pédagogie: dé-choir un terroriste de sa nationalité ne m’em-pêche pas de dormir, mais l’inscrire dans laConstitution est un danger et remet en causele droit du sol. Sauf que personne ne m’écoute,et ça m’inquiète. Les gens bloquent sur les ter-roristes et oublient que c’est une idée du FN.»Lui aussi opposé à la mesure, et égalementsoucieux de son anonymat, un secrétaire desection parisienne explique qu’«entre les gensqui sont fermement contre et les hollandaispur sucre qui défendent le gouvernement, il ya tout un ensemble de militants qui soit se tai-sent, soit ne voient pas en quoi le sujet poseproblème…»Tout aussi contre, Romain Pastor, 21 ans,secrétaire de la toute nouvelle section dansles quartiers Nord de Marseille, s’inquiète luiaussi du débat au sein du parti: «Cette réformede droite, voire d’extrême droite, divise tout lemonde: la population, la gauche et le PS. Ellepointe du doigt une population, en créant unesous-catégorie de Français alors qu’on appelleà l’union. Dans les quartiers populaires, ici àMarseille, les gens se posent des questions surla gauche et le PS.»Révélateur d’un rapport de force au sein duparti qui tend à pencher en faveur de l’ailedroite, certains s’interrogent sur leur avenirpolitique. «C’est un des plus importants renon-

cements à nos valeurs, je suis très en colère etdégoûté, ce sera certainement pour moi unpoint de rupture avec le PS», explique HervéTostain, ancien secrétaire de section de Roye,dans la Somme. Et d’expliquer que «ceux quisoutiennent aujourd’hui Valls et Hollandedans le parti sont pour beaucoup des gens arri-vés en 97, au moment de la victoire, avec l’idéed’occuper des postes». Plus mesuré mais atten-tif à l’évolution du PS, ce secrétaire de sectionparisienne reconnaît que la sociologie des mi-litants a changé. «Depuis 2012, pas mal de mi-litants qui ne se retrouvaient pas dans la poli-tique de Hollande nous ont quittés. En sensinverse, les nouveaux adhérents sont venusparce que séduits par ce gouvernement. Au fi-nal, j’ai à peu près le même nombre d’adhé-rents, mais ce ne sont plus les mêmes.»Il en est un, en tout cas, qui ne décolère pas,c’est Yohan Senez, secrétaire de la section PSde Denain (Nord), qui a lancé le mouvement#NousSommesLePS sur Twitter, contre la pro-position de l’exécutif. «On est au pouvoir et onfait pire que Sarkozy. Personne ne comprend.Sur les questions économiques, il existe un dé-bat mais, cette fois, on touche à des choses plusprofondes. Et qu’on ne vienne pas nous dire quenous sommes des Bisounours. On travaille dansles quartiers populaires et on sait que ça nechangera rien au problème du terrorisme. Ma-nuel Valls, on connaît son discours sécuritaire,mais François Hollande, c’est incompréhensi-ble.» De quoi nourrir les débats en réunion desection après la trêve des confiseurs. •

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