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Jean-Pierre Darcel, novembre 2005 Les Amis contrariés Suite de sketches en deux actes

Complément du Bulletin PROF-EUROPE No 7, 2006

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Complément du Bulletin PROF-EUROPE No 7, 2006

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Jean-Pierre Darcel, novembre 2005

Les Amis contrariésSuite de sketches en deux actes

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En tout début septembre 2005 s’est tenu à Sulejówek un stage de trois jours sur le thème de l’Interculturel, dans les locaux du CODN, grâce au concours de Marek Zając (les intervenantes étaient Renia Klimek-Kowalska et une Roumaine dont le nom m’échappe actuellement). Ce stage, riche à tous points de vue, m’a tellement donné à penser, que je me suis demandé si je ne lui donnerais pas un prolongement en écrivant un texte simple, sorte de résumé destiné à mes étudiants, interessés au premier chef par l’interculturel. L’idée m’est venue ensuite d’improviser quelque chose de plus festif, de plus drôle, pour être reçu non seulement des étudiants, mais aussi d’un public plus large, d’où cette piece. C’est bien connu, sans avoir l’air, le comique donne à réfléchir. Je soumets donc au lecteur ce texte, et à lui de décider s’il est exploitable ou non.

Jean-Pierre Darcel,Assistant de Coopération pour le Français au NKJO de Jastrzębie Zdrój

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Nombre d’acteurs : 9

Mise en scène : MonikaCostumes, accessoires, décor, éclairage et son : Natalia et KasiaScript : Sylwia et Justyna

Distribution

Le prêtre : Mateusz Le père : Łukasz Le fils : Piotr La Mère : AdrianaLa Fille au pair : HannaAmpofra : MarzenaLes deux filles : Magda et RenataLa grand-mère : Iga

Equipe théâtrale des étudiants du Collège de Jastrzębie Zdrój

En haut, de gauche à droite: Marzena Gawłowska, Iga Bałdyga, Kasia Spit, Magdalena Tetla, Łukasz Rzepecki, Renata Salwiczek, Piotr Charysz, Adrana Gzyl, Sylwia Kosmala, Monika Machowska

En bas, de gauche à droite : Mateusz Pomykoł, Hanna Mickiewicz, Natalia Zgnilicka

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Acte 1

La scène se passe quelquepart en France dans une famille française. Une jeune polonaise est reçue dans sa famille d’adoption comme jeune fille au pair pour une période non définie.

Scène 1L’intérieur de l’appartement paraît assez vaste. Nous sommes d’abord sur le palier.

La Fille au pairPuk, puk, puk !

Le fils de famille, qui arrive lui aussi à l’appartement, sur le palier :Ah non, on dit toc, toc, toc en français ! Bonjour, moi, c’est Eric, le fils de la maison !

La Fille au pair :Je suis ravissante de faire votre connaissance

Le Fils de famille :Je ne suis pas mal non plus, euh ; non, je veux dire, ravi de te connaître, euh ... euh... (en claquant des doigts)

La Fille au pair : (en lui serrant chaudement la main et en claquant aussi des doigts) Euh... euh...

Le Fils de famille :Tu ne me comprends pas. Je voulais te demander quel est ton prénom

La Fille au pair :Oh, pardon, on m’a dit de faire comme les Français, c’est pour ça. C’est tout simple, je m’appelle Bożena Brzęczyszczkiewicz.

Le Fils de familleAh ! ..... ben... bienvenue. (Il l’embrasse, elle est surpise) Il y a un équivalent français à ton prénom ?

La Fille au pairPas vraiment, mais tu peux m’appeler Divine, c’est la traduction de Bożena.

Le Fils de famille, en la regardant de la tête aux piedsDivine, peut-être pas, mais Ludivine, cela pourrait aller.

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La Fille au pairMais je ne m’appelle pas Ludivine, je m’appelle.....

La porte s’ouvre et les parents d’Eric apparaissent sur le seuil :

Les Parents, ensemble et lui tendant la mainBonjour Mademoiselle !

La Fille au pair (elle crie)Bonjour.....Non ! pas sur le seuil !

Les parents, effrayés, ont un geste de recul

Le Père :Pardon ?

La Fille au pair :Cela ne porte pas malheur, en France ?

Le Père :Quoi donc ?

La Fille au pair :De se serrer la main sur le seuil ?

Le Père : Mais non, mais non, quelle drôle d’idée ! Allez entrez, ne restez pas sur le palier !

Scène 2A peine entrée, elle se fait embrasser (4 fois par chacun) violemment par les

parents visiblement ravis : elle l’est moins...

Fille au pair : (s’adressant au père)Je suis ravissante. C’est donc de vous que je vais m’occuper ?

PèreDe moi, non, mais surtout des enfants .

Fille au pair :Ah bon, parce que l’organisme français m’a bien dit « fille au Père »

Les Parents et Eric rient

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Le PèreMais « au pair » ne signifie pas « au Père de famille », cela vient du latin et signifie...

La MèreBon écoute, tu ne vas pas la fatiguer avec ta culture, elle est morte de fatigue, la pauvre, après ce long voyage ; la Pologne, c’est très très loin, n’est ce pas?

La fille au Pair :Oh oui, 2 heures d’avion avec Wizzair !

La Mère :Euh, oui, bon. Nous allons passer à table, et après au dodo !(en criant) Les enfants, venez voir votre nouvelle Jeune fille au pair !

Deux grandes filles de 8-10 ans arrivent saluer la nouvelle et se précipitent sur elle pour l’embrasser (4 fois) : Bożena soutient le choc courageusement.

Les fillesBonjour !

Fille 1Maman, elle est pas blonde aux yeux bleus ! Elle n’a même pas de nattes !

Fille 2Comment tu t’appelles ?

La fille au pairBożena !

La MèreAlors, Bazona, asseyez-vous !A table tous, nous allons dîner ! Alors au menu, spécialement pour Barzona , crustacés , beefteck de cheval à la purée de moules, fromage et pour dessert une bonne petite compote, au sirop d’érable, bien sûr ! A Bozena Cela vous va –t-il?

La Fille au pairOh vous savez, je n’ai pas très faim, mais plutôt très soif. Mais je ne vois pas la compote, pour boire.

Tous se regardent étonnés

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La MèreEt bien, cela promet... ! Mais la compote ne se boit pas, voyons, c’est un dessert aux pommes.

La Fille au pairAh... oui, bien sûr, excusez-moi.

La MèreDîtes, Borzina, votre lecteur de français en Pologne, il n’était pas alsacien, n’est-ce pas ? parce que vous avez un sacré accent du midi !

Scène 3On commence à servir du crabe, dont elle ne prend qu’un tout petit morceau, et écoute les conversations de table, qui se résument à -c’est excellent, -succulent, -rarement mangé quelque chose d’aussi bon, -d’aussi frais, -qu’est-ce que c’est bon !-où as–tu acheté cela, -mais chez mon poissonnier, Monsieur Boucher -ta mayonnaise est exquise, -oui, juste assez d’huile et de sel, -oh, les enfants, vous allez me faire rougir (en rajouter encore, car il faut que cela dure, éventuellement avec la dégustation du vin)

La fille au pair timidementVous ne parlez jamais d’autre chose que de manger ?

La MèreOh si, parfois. Mais au fait, dîtes-moi, qu’est-ce que vous avez mangé dans l’avion ? Oh pardon !

Le Père (à Bożena) en même temps que la mère à la fin de sa phraseMaman, voyons....A la fille au pairUn peu de vin blanc ?

La Fille au pairNon, merci, jamais de vin. Mais je prendrais bien du thé

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Le Père (affolé et qui se lève pour se rapprocher d’elle)Chérie, Barzona est malade, elle veut du thé.

La fille au pairNon, non, je ne suis pas malade, c’est une boisson habituelle en Pologne durant la collation.

La MèreLa collation, merci : je vous ai préparé un vrai repas !

Le PèreMa petite, il va falloir vous franciser un peu. Mais parlons peut-être un peu de vos obligations. Vous verrez, elles sont peu nombreuses, mais nous tenons, ma femme et moi à ce qu’elle soient toutes scrupuleusement remplies : vous devez le matin être prête avant tout le monde pour libérer la salle de bain au moment où nous nous levons. Vous préparez le petit-déjeuner et faites la vaisselle dès que nous sommes partis au travail. Ensuite le ménage, les courses pendant que ma mère vient garder les enfants. Bien sûr la préparation du repas de midi, la vaisselle et là vous disposez d’une bonne heure pour vos distractions. L’après-midi est consacré à la lessive et au repassage, tout en vous occupant des enfants, à la promenade avec eux, à la préparation du repas du soir, aux devoirs des enfants, à la vaisselle après manger, et la soirée, petite veinarde, vous la passez chez ma mère qui habite à l’étage supérieur pour discuter avec elle ou lui faire la lecture. Vous pourrez dire n’importe quoi, elle est sourde comme un pot. Vous aurez remarqué que vous n’avez pas à mettre la table, ni à la desservir... nous ne voulons pas en effet vous exploiter..... cela revient aux enfants, et je suis très ferme là-dessus, ils doivent aider au soin de la maison.

La Fille au pair :Jesus Maria, je vois que Monsieur a ses règles. (tout le monde se regarde) Mais je suis d’accord. J’ai une prière pour vous, j’aurais besoin d’un réveil, parce que je prends la pilule...... (tout le monde se regarde) pour dormir (tout le monde paraît rassuré). Vous savez, je suis chaude ici (elle s’éponge le front) et je suis déjà pleine (elle montre son estomac déjà plein). Puis-je aller me coucher ?

La mèreAttendez un peu, on commence seulement le repas ! Je suis un peu inquiète, car vous me paraissez bien jeune pour venir à bout de toutes ces tâches.

EricLa dernière fille au pair avait 19 balais , et toi ?

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La Fille au PairMoi, je n’en ai qu’un mais je ne l’ai pas amené, je croyais qu’il était fourni, et pour les taches, ne vous faites pas de souci, il y a de très bons produits sur le marché ! Et puis je suis robuste, faîtes moi confiance.

La MèreBon, allez, goûtez-moi ce steack de cheval bien saignant et la purée de moules!

La Fille au pairMatko Boska, je ne pourrai jamais manger ça !!

La MèreAllons, appelez moi tout simplement Marie !

La Fille au pair très timidementJe peux quitter la table maintenant, cela fait plus de 30 minutes que ça dure...

La Mère Mais quelle idée .... !!! Il faudra vous habituer, en France on prend le temps de manger.(Un petit silence, et sur le ton de la confidence....Zabena, je suis un peu inquièteVous n’allez pas tout le temps faire la diète ... !!!Parlez-nous un peu de vous. Vous venez de Jastrzebie Zdroj (prononcer toutes les lettres, mais terminer par le son « ou ») D’une famille de mineurs.Avez-vous eu le bonheur D’une bonne éducation,N’avez-vous que ces façons... ? La Fille au Pair (se levant, d’un air hautain et offusqué, elle se met à parler en vers de 16 pieds !!!!!)Sachez, Madame, qu’en Pologne, pendant trois ans j’étudiaiAu Collège de Formation des Maîtres de Français ;Car ma ville de mineurs, au travail toute consacréeN’a cessé au fil des ans de créer des instituts, L’intellect de ses enfants devenant chose sacrée.Et s’il arrive que l’Or noir, au fond de la mine tue,L’éducation comme vous dîtes, ou plutôt, mieux, son absenceSerait ressentie chez nous comme un total non sens.Tous les Pays je crois, et je compte la France ici

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N’ont pas toujours, ce me semble, connu un si grand souci.Et je vous rappelerai, seulement à titre d’exempleL’embrasement des banlieux, aux soubresauts si amplesPreuve suffisante de l’amour qu’aux étrangers vous portez.Epargnez-vous vos leçons, portez-moi plus d’amitiéEt si mes façons dérangent, ce qu’ au vrai je déplore fortLa cause en est l’ignorance, et elle est des deux bords.La partie vous est facile, venez donc un peu chez nous,Vous comprendrez vite alors, l’intérêt d’un profil douxLa Mère et le Père, le Fils (hébétés, ensemble)Ben ça alors... mais vous parlez en vers !

La fille au pairAh bon ? Oh, vous savez, j’ai eu de bons maîtres, le Collège de Jastrzębie a une excellente réputation (se faisant toute petite ). Excusez-moi d’avoir été aussi dure, mais vous devez comprendre que ce n’est pas si facile que ça pour un étranger quand il arrive en France. Si j’osais, je vous proposerais bien de venir en Pologne, ce serait amusant de voir nos rôles renversés.

Le PèreCe n’est pas une mauvaise idée, mais on est trop bien en France. Dîtes-moi, Walesa est bien toujours Président de la République ?

La fille au pairAh non, pas vraiment, c’est maintenant Lech Kaczynski, de la PiS

Le Fils qui commence à rireLa PiS ?

Toute la famille française essayant de prononcer « Kaczynski »

La Fille au pairSi vous n’y arrivez pas, vous pouvez l’appeler Le Canard, c’est la même chose. Mais dîtes-moi, vous savez que le mur de Berlin est tombé, que Jean-Paul II est mort, tout de même ?

Tous, sauf Bozena, comme un peu déçus...Oh, quand même.... !

Scène 4La fée Ampofra apparaît subitement, habillée des attributs de la France et de la Pologne. Elle jette d’un coup de baguette magique un engourdissement sur tous les habitants de la maison. Ils sont figés dans leur dernier geste

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AmpofraBon, il était temps que j’arrive pour remettre les pendules à l’heure. Je me présente, Ampofra ! Je suis une fée issue d’un mariage mixte franco-polonais, c’est pour ça que mes parents m’ont donné ce nom ridicule, Ampofra, pour AMitié POlono-FRançaise. Oui, je sais... mais on ne choisit pas ses parents!

Vous savez, en ce moment, entre la France et la Pologne, j’ai de quoi faire! Ah, j’ai oublié de vous dire, je suis une fée bienfaisante , parce qu’il ya deux sortes de fée, les... ah mais vous savez tout ça. En fait, mon caractère est un peu facétieux... et j’aime bien faire des blagues. Tenez, par exemple, les mots de Chirac, au moment de la guerre d’Irak, et bien, c’est moi qui les lui ai soufflés. Non, sans blague !!! Eh, vous ne pensez tout de même pas qu’il est assez intelligent pour les avoir trouvés tout seul ? Remarquez, je l’ai regretté tout de suite, parce que qu’est-ce que j’ai comme boulot, maintenant pour recoller les morceaux ! Entre des Polonais ultra-susceptibles et des Français super-arrogants, allez trouver un terrain d’entente, vous ! Alors j’ai renoncé à agir sur la scène européenne pure, lors des sommets, surtout qu’entre Kaczyński et Chirac, cela promet d’être amusant : « alors, comme cela, on ferait mieux de se taire ? » - « Vous, le demi-curé, vous n’avez pas de leçons à me donner pour la tolérance ! ». Non, je préfère agir dans la sphère privée. C’est moins spectaculaire, mais plus efficace.

Alors, justement, avec ceux-là, je vais m’amuser un peu, et leur donner une petite leçon. Je me transforme les Français en Polonais, et la petite Bozena devient une parfaite petite Française. Même pas la peine de se transporter en Pologne, cet appartement fera l’affaire, et point de vue décor, on économise aussi un peu. On va juste un peu le réduire pour faire plus vrai. J’espère ainsi que le pouvoir de mon orzgut (oui, orzel et kogut, orzgut !) va opérer une fois de plus et que quand le charme sera rompu, ils se respecteront un peu mieux...

La fée se met de côté, et donne un autre coup de baguette magique, qui transforme totalement la situation. Les Français sont devenus polonais, Bozena s’est muée en Chantal. Ils se rhabillent en conséquence, les bérets sont rangés, le vin donne place à la vodka, etc., (à inventer)

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Acte 2

Scène 1

Les parents, devenus polonais, ouvrent la porte, et la font rentrer sans lui serrer la main Bienvenue, Mademoiselle, dans notre petit coin de Pologne !

Ils lui tendent la main de très loin, pour l’empêcher d’embrasser sur les joues. Le garçon, lui, commence à lui baiser la main, puis remonte de plus en plus haut sur le bras... Elle lui retire la main. Elle entre dans un appartement minuscule.

Le PèreVive la France, mais pas Chirac, hein ! Donnez-moi votre pantalon....(elle a l’air étonnée, mais commence à dégrapher sa ceinture) euh non, votre manteau ! Là... asseyez-vous. Maintenant vous allez expérimenter ce qu’est l’hospitalité polonaise, eh, eh, eh !!!

Il donne alors un signal en claquant des doigts, ou autre signal, et tout le monde se précipite sur la jeune française.

Le FilsDonnez-nous vos chaussures, tenez des pantoufles pour vous sentir bien, ce sont celles du grand père qui est mort dedans !

La MèreMais je vois que vous êtes enrhumée, je vais vous chercher des petits draps pour le nez. La mère sort vers la cuisine.

La demoiselleMais ce n’est rien, je suis juste un peu sensible à la climatisation des avions

Le Père (affolé)Chérie, vite un lait de poule, avec oeuf, aïl, miel et vodka. Tenez, mettez ces petites gousses d’aïl dans vos narines, vous verrez que dans huit jours, le nez ne coulera plus ! (elle est obligée d’obtempérer)

La Grand mère, avec une voix chevrotanteEt voilà déjà un bon barszcz brûlant, bien acide et poivré, vous m’en direz des nouvelles ! allez, buvez ! (elle s’étouffe)

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La demoiselleMais j’ai déjà mangé dans l’avion !

La MèreDans l’avion, cela ne compte pas, ce n’est pas sur le territoire polonais ! (à sa mère : ) Mais, Maman, tu vas l’étouffer avec ton barszcz, laisse lui goûter à mes côtelettes de porc au chou, la célèbre schabowy. C’est le plat national polonais. Et pour boisson, une petite vodka pour couper la faim ? (la bouche pleine, elle fait signe que non avec véhémence) Non, je plaisante, on vous apporte un bon thé dont vous devez rêver depuis des heures... (de la tête, elle laisse comprendre que ce n’était pas son rêve)

Le FilsGoûtez-moi donc ces harengs marinés à l’huile et au raifort, achetés tout frais du marché, cela va vous retaper.

Le PèreEt ce bigos maison, rien à voir avec celui des restaurants. Avec cela, vous tiendrez les – 15° que nous avons ici depuis une semaine.

La grand-mère avec une voix chevrotanteEt un bon petit Makowiec en dessert, je l’ai fait moi-même, cela ne peut pas se refuser...

Le FilsEt un alka seltzer pour l’estomac ! (ou autre médicament pour l’estomac). Il dit très rapidement comme dans la publicité, et en polonais, Przed użyciem zapoznaj się z treścią ulotki dodanej do opakowania lub skonsultuj się z lekarzem lub z farmaceutą. (il reprend son souffle quelques instants) Oh pardon ! Et il dit tout aussi rapidement qu’en polonais : Avant tout usage consulter la notice ou demander conseil à son médecin ou son pharmacien.

La demoiselle se lève précipitemment pour échapper à toutes ces attentions et dit en criant:Merci ! Vraiment merci ! Non (on lui offre à nouveau quelque chose) Non ! C’était magnifique ! (elle laisse échapper malgré elle un petit rot) et surtout très léger (tout le monde opine du bonnet), mais je n’en peux plus. J’ai besoin d’exercice, je vais vous aider à faire la vaisselle !

La Mère faisant un barrage de son corpsJamais, plutôt me passer sur le corps ! Un hôte chez nous ne travaille pas !

Le PèreBon, écoutez, si vous êtes rassasiée, c’est le principal, d’autant que vous allez

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maintenant chez la voisine, parce qu’ici, c’est trop petit pour vous loger, et je crois qu’elle vous a préparé quelque chose de bon !

La demoiselle, s’allonge sur le canapé ou s’asseoit sur une chaise dans un râleAh !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Scène 2 (duo entre la Mère et la Demoiselle)

La MèreVotre prénom est vraiment Chan-ta-le (prononcé à la polonaise avec ajout d’un « e ») et votre nom de la Mothe de Présalé ?

La demoiselleOui et non, c’est Chan---tal (avec une coupe entre les deux), et mon nom est assez courant en France

La Mère (qui regarde si personne ne l’écoute)Ah, d’accord, Chant---tal. Moi c’est Alicja, mais on m’appelle aussi Ala, mon mari et quelques amis me disent Alounia, mais en général, c’est Alousia. Et pour vous, c’est quoi vos petits noms ?

ChantalBen, non ; je n’en ai pas, c’est plus simple.

La MèreOh, comme c’est triste...Mais, dîtes-moi, Chant---tal, (elle accentue comme lorsque Chantal l’a reprise la première fois) puisque nous sommes entre femmes, comment sont les hommes dans votre pays ?

La demoiselleVous voulez dire au début ou quand on vit déjà avec ?

La MèreOh, les deux !

ChantalEt bien au début, avant ... la chose...ils sont charmants, cajoleurs, serviables, ils vous suivent partout, vous collent aux basques, ils sont plutôt romantiques, vous offrent des fleurs, vous invitent au restaurant ... et puis après la bagatelle..., les choses changent avec le temps, ils vous laissent plus de loisir, ils mettent un point d’honneur à ne pas s’immiscer dans les choses du ménage

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(elle fait signe de balayer) en vous expliquant que vous avez droit à votre indépendance, ils mettent dix minutes à vous faire comprendre que votre plat est bon, mais pour leur faire faire les courses, bernic, c’est la croix et la bannière. Ils redeviennent très tendres, en général quand ils se sentent des ardeurs... le soir...Bref, il y a le français d’avant et ...d’après.

La MèreAh ben chez nous c’est pareil !. A la différence que les hommes ici nous baisent la main sans arrêt, ça leur évite peut-être de toucher notre coeur. Et on nous offre aussi des fleurs pour un oui, pour un non, et c’est plutôt agréable. Pour la fête des femmes, des profs, des grands-mères, des arrières grands-mères, des blondes, des brunes, etc... Mais dîtes moi encore une petite chose (elle regarde pour voir si personne n’arrive) Les français, ils sont comment, quand.... ?

ChantalComment ça, comment quand ...?

La MèreJe veux dire (elle fait un geste qui exprime « faire l’amour)

ChantalAh, vous voulez dire au lit ?

La MèreChut, voyons, chut. !!! Oui, comment sont-ils au lit ? Les Français ont une très bonne réputation en Pologne... du moins à ce point de vue-là....

ChantalBen, vous savez, c’est délicat, je n’ai pas fait ça souvent, je ne peux pas dire...La MèreAh, tant pis, n’en parlons plus ! Ah, on sonne à la porte, je vais voir qui c’est!

Scène 3Les deux mêmes, plus le Curé de la paroisse

Le Curé (un peu bedonnant et rougeot)Niech będzie pochwalony

La MèrePochwalony, pochwalony. Je vous présente la correspondante française de mon fils, Chant---tal.

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Le CuréUne française, ouais, ça ne va pas beaucoup à l’église, ça, pas vrai ? (elle veut répondre mais n’en pas le temps car le Curé continue) Mais d’un autre côté, il y a tellement de grands saints français, comme le Curé d’Ars, par exemple, patron des Curés du monde entier. Il y a peu, j’ai fait une demande pour être missionnaire en France sur la Côte d’Azur, il y a beaucoup à faire pour rechristianiser, et puis (il se met à rêver)... on y mange bien.... la hiérarchie est plus cool...presque pas de confessions (il a un gros soupir de soulagement)... tout le monde est assis...parce qu’il n’y a que quelques vieilles....

La MèreOh, nous allons beaucoup vous regretter !

Le curéOh, vous savez, pour l’instant rien n’est décidé. Mais Chère Madame Alicjo, vous devez vous demander ce que je fais là. Et bien, c’est tout simple : comme je passais par là par hasard, je me suis permis de monter avec mes enfants de choeur (ils sont restés dans le couloir), pour une petite visite d’amitié.

La MèreC’est gentil, Monsieur le Curé !

Le curéMais non, c’est normal, voilà tout! Et maintenant que je vous vois, cela me fait penser que je ne vois plus, justement, votre fils aux offices du dimanche. (sa voix est de plus en plus énervée) On voit qu’il a terminé sa première communion...il fait comme tous les autres « Une fois le petit Jésus mangé, au revoir Monsieur le Curé ». (La prenant familièrement par le cou et devenant tout miel) Voyez ce que vous pourrez faire pour le ramener en douceur à l’église, une main de fer dans un gant de velours, je vous fais confiance. Mais, cela me vient à l’instant à l’esprit, votre mari a bien réussi son doctorat, n’est-ce pas ?

La MèreMais oui !

Le curéCe qui fait qu’il peut émarger dans la catégorie supérieure..... (la Mère ne comprend pas) ...pour le denier du culte ! il faudra penser à rectifier tout cela, n’est-ce pas ? Mais je vous fais confiance. Bon, la santé va bien, alors je ne m’attarde pas plus, je ne voudrais pas vous déranger. Au revoir, Madame Alicjo ! Bóg zaplać ! (en reposant la bière qu’il a bue)

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ChantalEt bien dîtes donc, il en a du caractère, votre curé.

Rideau ou obscuritéScène 4

On assiste à une soirée de Wigilia polonaise,un peu déconcertante pour une Française Les enfants cherchent l’étoile en se chamaillantet déclarent la voir:

La Mère (se penchant à la fenêtre pour vérifier si l’étoile y est bien)J’ai vu l’étoile ! on peut commencer !

ChantalVous avez vu une étoile, vous, avec ce brouillard ?

Le PèreMais oui ! Allez, à genoux, tout le monde, je vais lire un passage de la nativité.

Il lit de façon peu compréhensible, avec des mots qui ressortent bien, comme... Joseph et Marie,.... porte fermée,.... étable,..... le boeuf et l’âne,..... il est né. Alors commence le silence et une méditation. Chantal trouve le temps long.

La mère branche alors une radio et l’on entend : «. Pour les personnes muettes, voici maintenant notre grand succès, la litanie des saints de la veillée de Noël ». Commence ensuite la litanie des saints : saint.... priez pour nous, saint un tel.... priez pour nous, et cela dure longtemps. Tous sont abîmés en prières. Chantal ne tient plus.

La MèreJe vous invite maintenant à partager avec nous les oplatki, c’est une tradition en Pologne ! Chantal, toute raide, se lève comme elle peut. On va vous montrer, Chant---tal, comment nous procédons : repardez bien ! Les blanches pour les humains, les roses pour les animaux (et elle en garde en main une de couleur rose, par inadvertance).

La fée, par un coup de baguette à l’orzgut, ralentit le mouvement

Scène au ralenti où on insiste sur les sentiments en étant très émus, en faisant effort pour rompre un petit morceau d’Opłatki . Les uns ont la main sur le coeur, d’autres embrassent avec frénésie, d’autres déclament, etc... il faut inventer, mais toujours au ralenti avec une musique adaptée.

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La fée rétablit l’ordre normal des choses.

On se met à table, avec le verre qui ne tient pas bien à cause du foin, et on entend des koledy. On mange en silence et rapidement, très rapidement, dans une atmosphère de recueillementdurant les pauses. La Mère en profite pour présenter trois plats traditionnels de Noël : le barszcz, la carpe et les pierogi. Chantal essaie souvent de dire quelque chose : on lui fait « chut !!! » et elle attend la fin des koledy. Quand celle-ci arrive enfin...

La MèreAlors, Chant—al ? Comment trouvez-vous nos traditions de Noël ? et les Polonais ?

Chantal (regardant le fils de famille)Pour les Polonais, (en regardant le fils de famille) rien à redire, et pour les traditions, elles sont un peu étonnantes, pour la première fois, mais tellement belles. Surtout gardez-les bien ! Chez nous, en ce moment, les gens s’empiffrent, et attendent leurs cadeaux... Vous savez, j’ai compris une chose, ce soir : nos coutumes sont très différentes, mais quelle richesse à partager !

Chantal se lève et, subitement prise par l’inspiration : les convivies la regardent étonnés, quand soudain elle se met à chanter sur le thème de la chanson de Jacques Brel, « Vesoul » : T’as voulu aller à Vesoul, on est allé...» 1-Nous avions un de Gaulle, vous aviez Pilsudski Vous adorez Chirac, et nous Lech Kaczynski Vous mangez n’importe quand, nous, nous sommes programmés Pour manger de midi à quatorze heures passées Mais le tout c’est de manger quand on a une petite faim Du pain, du vin, du boursin ou du massepain, c’est très bien.

Tous les acteurs, et ensuite le public, chantent en choeur :

Ref Ah j’aime la Pologne, Et ça m’met en rogne (bis) Quand on nous cherche la tête Et qu’on dit qu’on est bêtes Qu’on est trop amerlocs Et qu’ on s’méfie d’l’Europe

2-Depuis qu’il dit trois mots l’dimanche en polonais Vous aimez Benoit XVI blanchi sous le harnais Nous on a plus d’distance car on est peu croyants

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Mais autrefois comme vous, on était pratiquants Et un passé commun, c’est fait pour nous souder, Alors n’hésitons pas, et soutenons l’amitié, l’amitié

Ref Ah j’aime la France, Et ça m’met en transe (bis) Quand on nous cherche la tête Et qu’on dit qu’on est bêtes Qu’on est trop arrogants Quand on n’est qu’différents

3-Vos hannetons ne bruissent que sur les chrzcinie, Vos tables ont des problèmes avec les nogami Nos archiduchesses ont leurs chaussettes sèches Nos six scies scient toujours nos si jolis cyprès Vous avez Mickiewicz et nous avons Molière Vous apprenez l’ français et nous, le polonais, l’polonais

Ref Ah j’aime la Pologne Et ça m’met en rogne (bis)...... stop !

FINAL

La Fée Ampofra réapparaît et coupe court à tout. Avec un accent du midi

Stop ! Voyez, je vous l’avais dit ! Rien de mieux que la table pour les rapprocher, ces deux peuples-là. Allez, je vous laisse, avec la bonne parole de la réconciliation, soyez braves, et oeuvrez bien dans vos collèges, dans vos classes et vos lycées, voire vos universités et faites des rencontres, faites des rencontres, et plus tard, si Dieu le veut, ayez de beaux enfants... polono-français, bien sûr !!!

Sur ce, on entend, comme dans la « Pastorale des santons de Provence », une musique céleste sur fond de cloches. Rideau ou obscurité.

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Page 20: Complément du Bulletin PROF-EUROPE No 7, 2006

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