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0123 JEUDI 4 JUIN 2015 Les étudiants s’essaient aux « FabLab » Universités et grandes écoles proposent à leurs él èves ces laboratoires de fabrication nés aux Etats-Unis U ne odeur âcre de plas- tique brûlé et de sciure emplit les couloirs de l’université de Cergy- Pontoise sur le campus de Genne- villiers (Haut-de-Seine). « Bienve- nue au FacLab, tonne Adel Kheni- che, 23 ans. Vous pensiez que nous n’étions qu’un atelier de bi- douillage électronique ? Eh bien non ! » Dans ce laboratoire de fa- brication de 240 mètres carrés, of- frant trois ateliers aux bricoleurs manuels ou numériques, hackers et néophytes, Adel Kheniche est « fab manager » ou « facilitateur ». Sa mission : « fab manager » ou « facilitateur ». Sa mission : « ac- compagner des projets, créer des synergies entre les utilisateurs du laboratoire et construire un savoir collectif plutôt que de le dispen- ser », explique Laurent Ricard, co- fondateur du lieu. Imaginé aux Etats-Unis, à la fin des années 1990, au sein du Mas- sachusetts Institute of Technology (MIT), le concept de « FabLab » (la- boratoire de fabrication) a essaimé un peu partout dans le monde de- puis quelques années. Il a notam- ment fait école dans des incuba- teurs et des universités. Compte tenu des exigences imposées – no- tamment d’ouverture au public – pour être membre du réseau du MIT, peu d’établissements ont un véritable FabLab, tel que celui de Cergy-Pontoise. Mais beaucoup s’inspirent du principe. Tradition- nellement, les écoles techniques offrent aux étudiants la possibilité d’accéder à des machines profes- sionnelles. Mais, aujourd’hui, la demande d’un équipement plus complet émane des étudiants comme des enseignants. La fré- quentation du FabLab fait parfois partie d’un cursus validé par des crédits d’enseignement (ECTS). Plus souvent, ces ateliers restent un outil au service des étudiants et de leurs projets. Club social 2.0 Au FacLab de Cergy-Pontoise, il faut déposer une bille dans un pot pour notifier sa venue. « Un peu plus de 10 000 en trois ans d’exis- tence », précise Adel Kheniche. Il faut dire que les équipements, ouverts à tous, ont de quoi attirer : tours numériques, thermo-for- meuse, outils de découpe laser pour tous les matériaux, du cuir au Plexiglas en passant par l’alu- minium et le bois. « On a une ex- pression ici : si tu veux construire une armoire en chêne, tu peux ap- porter ton chêne et on te prêtera les outils », sourit Adel Kheniche. Mais c’est la multitude d’objets connectés, dont il a permis l’éla- boration, qui le distingue : robots téléguidés, veste de cycliste à cli- gnotants en LED, potager urbain qui gère automatiquement l’hu- midité, la température et l’exposi- tion nécessaires à la croissance des plantes… ou vase numérique construit, de la glaise aux circuits imprimés, par des étudiants en li- cence pro de développement Web et mobile. Depuis la rentrée 2013, le FabLab propose également trois diplô- mes universitaires en initiation à la fabrication numérique person- nelle, en métier de facilitateur et en développement de FabLab. « A vrai dire, nous avons créé ces diplô- mes pour montrer aux gens qu’ils n’avaient pas besoin de diplômes, s’amuse Emmanuelle Roux, co- fondatrice du lieu. A travers un vé- ritable apprentissage avec de vrais contenus, nous voulions surtout introduire les étudiants à de nou- velles façons d’apprendre et de se réapproprier les moyens de leurs connaissances. » Derrière ses airs de club social 2.0 à la convivialité affichée, le FabLab est en réalité un « objet pédagogique non iden- tifié », souligne-t-elle. Il s’agit de forger une communauté du sa- voir où « tout apprenant devient sachant à son tour » et partage sa connaissance. L’Ecole centrale dispose aussi depuis trois ans de sa propre « fa- brique », plus modeste. L’aventure a commencé il y a sept ans avec l’achat d’une machine de maquet- tage et de prototypage rapide, ex- plique Pascal Morenton, responsa- ble et cofondateur de cette struc- ture. Objectif : créer un cours de mise en situation, inscrit dans le cursus. Des équipes de quatre élè- ves – deux spécialisés en mécani- que et deux en électronique – réali- sent « un mini-projet qui part de la conception et arrive à un prototype en trente-six heures », explique l’enseignant en mécanique et in- formatique. Les élèves travaillent pour une société virtuelle et doivent pren- dre en compte tous les aspects, y compris économiques, afin de pré- voir une industrialisation ulté- rieure. Ce qui les amène à deman- der des devis, y compris en Chine, à comparer les prix et à défendre leur offre devant le jury des profes- seurs, qui jouent le rôle des don- neurs d’ordre. Récemment, un projet d’assistance à la conduite d’ambulances a été mené, pour éviter les accélérations trop fortes pour le malade : un boîtier, fixé au brancard, transmet des alertes sur le tableau de bord du conducteur. Opération réussie : le projet a été développé et est en phase de test. Multiplication d’initiatives Cette pédagogie par projet per- met de confronter les étudiants au réel et ils s’y investissent beau- coup plus que dans les cours tra- ditionnels, souligne M. Moren- ton : « Il y a dix ans, je faisais beau- coup de conception assistée par or- dinateur (CAO) et une présentation en 3D assurait un silence religieux dans l’amphi. Aujourd’hui, ce n’est pas suffisant. Il faut aller jusqu’au prototype. On a un peu trop oublié les fondamentaux au profit du théorique. Il faut que les élèves aient dans les mains des pièces techniques. » Outil de cours, la fabrique de Centrale Supélec doit prendre de l’ampleur à l’occasion du démé- nagement de l’école, dans deux ans, à Saclay. Les initiatives continuent à fleu- rir. Parmi les dernières-nées figure la « Fabric’INSA », qui a démarré ses travaux à Toulouse en mars 2015, dans des locaux mis à sa disposition par l’école publique d’ingénieurs. Estimant qu’un la- boratoire de fabrication est aujourd’hui aussi utile qu’une bi- bliothèque, un groupe d’étudiants de l’INSA Toulouse avait soumis son projet et reçu le soutien de l’école : 20 000 euros ont été inves- tis dans le matériel (imprimantes 3D, poste de développement de cir- cuits imprimés, etc.), financés par la fondation INSA. Si, à Toulouse, les sessions ne sont pas des travaux pratiques et ne donnent pas droit à des ECTS, « le but est de faciliter des échanges encore plus informels entre élèves et professeurs, dans l’optique des cours », explique Henri Cazottes, étudiant en 3 e année et président de l’association qui porte cet ate- lier numérique. p adrien de tricornot et matteo maillard Au FacLab de Cergy-Pontoise, le 29 mai. MATTEO MAILLARD POUR “LE MONDE”. Ce concept de « fabrique » a essaimé un peu partout dans le monde depuis quelques années LE CONTEXTE Sous les projecteurs depuis 2013 En 2013, le gouvernement avait lancé un appel à projets pour fa- voriser l’éclosion des « FabLab » (laboratoires de fabrication). Ré- compensant seulement qua- torze dossiers, il avait fait de nombreux déçus. L’un d’entre eux était présenté par l’univer- sité de Reims - Champagne-Ar- denne (Institut de formation technique supérieur - IFTS) afin de renforcer son FabLab « Smart Materials » consacré aux maté- riaux intelligents. Des établissements du supérieur étaient aussi partenaires des treize autres projets lauréats, tels le Pôle de recherche et d’en- seignement supérieur de Tou- louse, l’université du Littoral- Côte d’Opale et son école d’ingé- nieurs, Télécom Bretagne, Poly- tech Orléans ou bien l’Ecole po- lytechnique (comme partenaire de la société coopérative d’inté- rêt collectif Made in Montreuil), qui s’étaient joints aux plates- formes de recherche des pôles de développement locaux, des collectivités territoriales, des en- treprises ou des chambres de commerce.

Des FabLab comme nouvelles façons d’apprendre

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0123JEUDI 4 JUIN 2015

Les étudiants s’essaient aux « FabLab » Universités et grandes écoles proposent à leurs élèves ces laboratoires de fabrication nés aux Etats-Unis

Une odeur âcre de plas-tique brûlé et de sciureemplit les couloirs del’université de Cergy-

Pontoise sur le campus de Genne-villiers (Haut-de-Seine). « Bienve-nue au FacLab, tonne Adel Kheni-che, 23 ans. Vous pensiez que nous n’étions qu’un atelier de bi-douillage électronique ? Eh bien non ! » Dans ce laboratoire de fa-brication de 240 mètres carrés, of-frant trois ateliers aux bricoleurs manuels ou numériques, hackers et néophytes, Adel Kheniche est « fab manager » ou « facilitateur ».Sa mission : « fab manager » ou « facilitateur ». Sa mission : « ac-compagner des projets, créer des synergies entre les utilisateurs du laboratoire et construire un savoir collectif plutôt que de le dispen-ser », explique Laurent Ricard, co-fondateur du lieu.

Imaginé aux Etats-Unis, à la findes années 1990, au sein du Mas-sachusetts Institute of Technology

(MIT), le concept de « FabLab » (la-boratoire de fabrication) a essaiméun peu partout dans le monde de-puis quelques années. Il a notam-ment fait école dans des incuba-teurs et des universités. Compte tenu des exigences imposées – no-tamment d’ouverture au public – pour être membre du réseau du MIT, peu d’établissements ont un véritable FabLab, tel que celui de Cergy-Pontoise. Mais beaucoup s’inspirent du principe. Tradition-nellement, les écoles techniques offrent aux étudiants la possibilitéd’accéder à des machines profes-sionnelles. Mais, aujourd’hui, la demande d’un équipement plus complet émane des étudiantscomme des enseignants. La fré-quentation du FabLab fait parfois partie d’un cursus validé par des crédits d’enseignement (ECTS). Plus souvent, ces ateliers restent un outil au service des étudiants etde leurs projets.

Club social 2.0

Au FacLab de Cergy-Pontoise, il faut déposer une bille dans un potpour notifier sa venue. « Un peu plus de 10 000 en trois ans d’exis-tence », précise Adel Kheniche. Il faut dire que les équipements,ouverts à tous, ont de quoi attirer :tours numériques, thermo-for-meuse, outils de découpe laser pour tous les matériaux, du cuir au Plexiglas en passant par l’alu-minium et le bois. « On a une ex-pression ici : si tu veux construireune armoire en chêne, tu peux ap-porter ton chêne et on te prêtera lesoutils », sourit Adel Kheniche.

Mais c’est la multitude d’objetsconnectés, dont il a permis l’éla-boration, qui le distingue : robots téléguidés, veste de cycliste à cli-gnotants en LED, potager urbain qui gère automatiquement l’hu-midité, la température et l’exposi-tion nécessaires à la croissancedes plantes… ou vase numérique construit, de la glaise aux circuits imprimés, par des étudiants en li-cence pro de développement Webet mobile.

Depuis la rentrée 2013, le FabLabpropose également trois diplô-mes universitaires en initiation à la fabrication numérique person-nelle, en métier de facilitateur et en développement de FabLab. « A vrai dire, nous avons créé ces diplô-mes pour montrer aux gens qu’ilsn’avaient pas besoin de diplômes, s’amuse Emmanuelle Roux, co-fondatrice du lieu. A travers un vé-

ritable apprentissage avec de vrais contenus, nous voulions surtout introduire les étudiants à de nou-velles façons d’apprendre et de se réapproprier les moyens de leurs connaissances. » Derrière ses airs de club social 2.0 à la convivialitéaffichée, le FabLab est en réalitéun « objet pédagogique non iden-tifié », souligne-t-elle. Il s’agit de forger une communauté du sa-voir où « tout apprenant devient sachant à son tour » et partage sa connaissance.

L’Ecole centrale dispose aussidepuis trois ans de sa propre « fa-

brique », plus modeste. L’aventure a commencé il y a sept ans avec l’achat d’une machine de maquet-tage et de prototypage rapide, ex-plique Pascal Morenton, responsa-ble et cofondateur de cette struc-ture. Objectif : créer un cours de mise en situation, inscrit dans le cursus. Des équipes de quatre élè-ves – deux spécialisés en mécani-que et deux en électronique – réali-sent « un mini-projet qui part de la conception et arrive à un prototypeen trente-six heures », explique l’enseignant en mécanique et in-formatique.

Les élèves travaillent pour unesociété virtuelle et doivent pren-dre en compte tous les aspects, y compris économiques, afin de pré-voir une industrialisation ulté-rieure. Ce qui les amène à deman-der des devis, y compris en Chine, à comparer les prix et à défendre leur offre devant le jury des profes-seurs, qui jouent le rôle des don-neurs d’ordre. Récemment, un projet d’assistance à la conduite d’ambulances a été mené, pour

éviter les accélérations trop fortes pour le malade : un boîtier, fixé au brancard, transmet des alertes sur le tableau de bord du conducteur. Opération réussie : le projet a été développé et est en phase de test.

Multiplication d’initiatives

Cette pédagogie par projet per-met de confronter les étudiantsau réel et ils s’y investissent beau-coup plus que dans les cours tra-ditionnels, souligne M. Moren-ton : « Il y a dix ans, je faisais beau-coup de conception assistée par or-dinateur (CAO) et une présentationen 3D assurait un silence religieuxdans l’amphi. Aujourd’hui, ce n’est pas suffisant. Il faut aller jusqu’au prototype. On a un peu trop oubliéles fondamentaux au profit du théorique. Il faut que les élèves aient dans les mains des pièces techniques. »

Outil de cours, la fabrique deCentrale Supélec doit prendre de l’ampleur à l’occasion du démé-nagement de l’école, dans deux ans, à Saclay.

Les initiatives continuent à fleu-rir. Parmi les dernières-nées figurela « Fabric’INSA », qui a démarré ses travaux à Toulouse en mars 2015, dans des locaux mis à sa disposition par l’école publique d’ingénieurs. Estimant qu’un la-boratoire de fabrication est aujourd’hui aussi utile qu’une bi-bliothèque, un groupe d’étudiants de l’INSA Toulouse avait soumis son projet et reçu le soutien de l’école : 20 000 euros ont été inves-tis dans le matériel (imprimantes 3D, poste de développement de cir-cuits imprimés, etc.), financés par la fondation INSA.

Si, à Toulouse, les sessions nesont pas des travaux pratiques et ne donnent pas droit à des ECTS, « le but est de faciliter des échanges encore plus informels entre élèves et professeurs, dans l’optique des cours », explique Henri Cazottes, étudiant en 3e année et président de l’association qui porte cet ate-lier numérique. p

adrien de tricornot

et matteo maillard

Au FacLab de Cergy-Pontoise, le 29 mai. MATTEO MAILLARD POUR “LE MONDE”.

Ce concept

de « fabrique »

a essaimé

un peu partout

dans le monde

depuis

quelques années

LE CONTEXTE

Sous les projecteurs

depuis 2013

En 2013, le gouvernement avait lancé un appel à projets pour fa-voriser l’éclosion des « FabLab » (laboratoires de fabrication). Ré-compensant seulement qua-torze dossiers, il avait fait de nombreux déçus. L’un d’entre eux était présenté par l’univer-sité de Reims - Champagne-Ar-denne (Institut de formation technique supérieur - IFTS) afin de renforcer son FabLab « Smart Materials » consacré aux maté-riaux intelligents.Des établissements du supérieur étaient aussi partenaires des treize autres projets lauréats, tels le Pôle de recherche et d’en-seignement supérieur de Tou-louse, l’université du Littoral- Côte d’Opale et son école d’ingé-nieurs, Télécom Bretagne, Poly-tech Orléans ou bien l’Ecole po-lytechnique (comme partenaire de la société coopérative d’inté-rêt collectif Made in Montreuil), qui s’étaient joints aux plates-formes de recherche des pôles de développement locaux, des collectivités territoriales, des en-treprises ou des chambres de commerce.