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Prédateurs Les murènes sont un groupe de 200 espèces de poissons en forme d’anguille, connus pour vivre dans des crevasses et pour leur capacité à consommer de grandes proies. La plupart de poissons attrapent leurs proies par succion : en ouvrant une large gueule, une grande quantité d’eau est aspirée dans la bouche, avec la proie. La bouche se referme et la proie peut être ingurgitée. Même si certains poissons mordent, l’aspiration d’eau joue toujours une part importante. Mais pour créer cette aspiration, les poissons disposent d’os et de muscles qui permettent une dilatation rapide de la bouche. Du fait de sa forme en serpent et de la faible largeur de sa bouche, la murène ne peut procéder de la sorte mais arrive pourtant à ingurgiter de grandes proies. Rita S. Mehta et Peter C. Wainwright de l’université de Californie ont découvert en 2007 que la murène utilisait un autre dispositif que la succion. Un dispositif qui n’est pas sans rappeler l’Alien du film de Ridley Scott. LA RECHERCHE Quarante ans après les premiers travaux sur les mâchoires des murènes et l’étrange anatomie de leur pharynx (présence de suite page suivante Alien : Le Huitième Passager, est sorti en 1979. Il a gagné l’oscar des meilleurs effets visuels en 1980. C’est un grand classique de la SF. L’histoire se déroule en 2122. Un vaisseau spatial transporte sept personnes dont Ellen Ripley (Sigourney Weaver) et une cargaison de minerais, en route vers la Terre. Le voyage est interrompu pour répondre à un mystérieux message de détresse provenant d'une planète inexplo- rée. L'équipage y découvre les restes d'un gigantesque vaisseau extraterrestre dont le seul passager retrouvé semble être décédé d’une explosion de l’intérieur de son corps. Un membre de l'équipe découvre une caverne remplie d'œufs et se fait agresser par la créature contenue dans un oeuf. Il est ramené à bord en quarantaine, la créature meurt et il retrouve conscience jusqu’au repas où sa cage thoracique explose... Bon appétit ! ALIEN, le film MURAENA HELENA ou murène commune mesure jusque 1,5 m et pèse jusqu’à 15 kg. La peau ne comporte pas d’écailles. Non venimeuse sa morsure n’en demeure pas moins douloureuse. Mâchoires pharyngiennes d’une murène. Elles portent deux fois 14 à 16 dents, présentent deux fois deux articulations et une symphyse. La ligne blanche mesure 1 cm. Vue au microscope électronique des dents de la partie supérieure de la mâchoire pharyngienne d’une murène. La ligne blanche mesure 500 μm, soit un demi millimètre. MURÈNE OU ALIEN ? MARK V RÉSUMÉ D’ARTICLES : J MORPHOL. 2008 MAY;269(5):604-19 + NATURE 449, 79-82 (SEPT 2007) Extrait de l’article de Nature. Extrait de l’article de Nature. © Jean-Loup Castaigne

Murène ou Alien ?

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Les murènes ne peuvent "aspirer" leurs proies comme le fond de nombreux autres poissons. Deux chercheurs ont mis en évidence un mécanisme qui rappelle le monstre du film Alien, le 8e passager.

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Page 1: Murène ou Alien ?

PrédateursLes murènes sont un groupe de 200

espèces de poissons en forme

d’anguille, connus pour vivre dans

des crevasses et pour leur capacité à

consommer de grandes proies. La

plupart de poissons attrapent leurs

proies par succion : en ouvrant une

large gueule, une grande quantité

d’eau est aspirée dans la bouche, avec

la proie. La bouche se referme et la

proie peut être ingurgitée. Même si

certains poissons mordent,

l’aspiration d’eau joue toujours une

part importante. Mais pour créer

cette aspiration, les poissons

disposent d’os et de muscles qui

permettent une dilatation rapide de la

bouche. Du fait de sa forme en

serpent et de la faible largeur de sa

bouche, la murène ne peut procéder

de la sorte mais arrive pourtant à

ingurgiter de grandes proies. Rita S.

Mehta et Peter C. Wainwright de

l’université de Californie ont

découvert en 2007 que la murène

utilisait un autre dispositif que la

succion. Un dispositif qui n’est pas

sans rappeler l’Alien du film de Ridley

Scott.

LA RECHERCHEQuarante ans après les premiers

travaux sur les mâchoires des

murènes et l’étrange anatomie de leur

pharynx (présence de suite page suivante

Alien!: Le Huitième Passager, est

sorti en 1979. Il a gagné l’oscar des

meilleurs effets visuels en 1980.

C’est un grand classique de la SF.

L’histoire se déroule en 2122. Un

vaisseau spatial transporte sept

personnes dont Ellen Ripley

(Sigourney Weaver) et une

cargaison de minerais, en route

vers la Terre. Le voyage est

interrompu pour répondre à un

mystérieux message de détresse

provenant d'une planète inexplo-

rée. L'équipage y découvre les

restes d'un gigantesque vaisseau

extraterrestre dont le seul passager

retrouvé semble être décédé d’une

explosion de l’intérieur de son

corps. Un membre de l'équipe

découvre une caverne remplie

d'œufs et se fait agresser par la

créature contenue dans un oeuf. Il

est ramené à bord en quarantaine,

la créature meurt et il retrouve

conscience jusqu’au repas où sa

cage thoracique explose... Bon

appétit !

ALIEN, le film

MURAENA HELENA ou murène commune mesure jusque 1,5 m et pèse jusqu’à 15 kg. La peau ne comporte pas d’écailles. Non venimeuse sa morsure n’en demeure pas moins douloureuse.

Mâchoires pharyngiennes d’une murène. Elles portent deux fois 14 à 16 dents, présentent deux fois deux articulations et une symphyse. La ligne blanche mesure 1 cm.

Vue au microscope électronique des dents de la partie supérieure de la mâchoire pharyngienne d’une murène. La ligne blanche mesure 500!µm, soit un demi millimètre.

MURÈNE OU ALIEN ?MARK V! !

" RÉSUMÉ D’ARTICLES : J MORPHOL. 2008 MAY;269(5):604-19 + NATURE 449, 79-82 (SEPT 2007)

Extrait de l’article de Nature.Extrait de l’article de Nature.

© Jean-Loup Castaigne

Page 2: Murène ou Alien ?

calcifications au niveau du 4e arc

branchial), le mystère est enfin

levé : les murènes mordent, et deux

fois plutôt qu’une !

Le mystère auquel les deux auteurs

se sont attaqués était de compren-

dre comment la murène, après avoir

mordu sa victime, faisait pour l’in-

gurgiter. Ils étudièrent 11 espèces

différentes de murènes (uroptery-

giinae et muraeninae), les filmant à

grande vitesse en train d’ingurgiter

des proies (poissons rouges, mor-

ceaux de poulpes, vers de terre). À

l’aide de 9 repères anatomiques, ils

décrivirent la cinétique de l’inges-

tion de la proie. Des dissections ana-

tomiques et des films en vidéo-

fluoroscopie complétèrent ces

études et démontrèrent la séquence

d’ingurgitation chez les murènes

étudiées :

• la murène se précipite sur la proie

et la saisit avec les dents de ses

mâchoires avant

• après moins d’une demi seconde,

les mâchoires pharyngiennes sont

alors projetées en avant depuis la

gorge de la murène jusque dans sa

bouche où elles se referment sur

la proie

• la murène peut alors ouvrir ses

mâchoires avant, libérant en

partie la proie, alors que les

mâchoires pharyngiennes se

rétractent vers le bas dans la

gorge, entraînant la proie avec

elles.

Interrogé par un journaliste du

New-York Times, le Dr Wainwright

déclara : “Il semble que presque

chaque personne à qui nous avons

montré le film a dit ‘Mon Dieu, c’est

comme dans Alien’. La murène a

vraiment ce genre de look monstre-

venu-de-l’espace”.

MÂCHOIRES DE MURÈNECe mécanisme n’est possible que

grâce au déplacement très postér-

ieur des branchies chez les murènes.

Les os qui supportaient les branchies

antérieures disparues, pouvaient

servir de support au muscles des

mâchoires pharyngiennes. Les

muscles reliant les mâchoires

pharyngiennes au crâne et à la

mandibule existe chez les autres

poissons mais ils sont, chez les

murènes, beaucoup plus longs et

plus développés. Ce mécanisme

d’alimentation explique en partie le

‘succès’ des murènes dans l’évolu-

tion : si la succion fonctionne bien

pour attraper de petits poissons, les

plus gros s’échappent de l’eau

aspirée. Grâce à son mécanisme

unique, la murène peut ingurgiter

des proies de grandes tailles, plus

grande que les cavités où elle a

l’habitude de vivre. Aucun autre

animal ne se nourrit de cette

manière... du moins sur la Terre !!!

RX & ANATOMIE

Le seconde mâchoire est projetée en

avant lorsqu’une proie est capturée

dans la première mâchoire. La flèche

pointe vers la partie supérieure de la

mâchoire pharyngienne. L’ombre grise

dans la bouche est la proie.

Radiographie d’une murène de profil. On

distingue de gauche à droite, les mâchoi-

res, un sinus, les cavités orbitaire et

crânienne et la colonne vertébrale. La

flèche pointe vers les mâchoires pharyn-

giennes. La ligne blanche mesure 1 cm.

Radiographies extraites de Nature. Dessins provenant de Wikimedia Commons