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Qu’as-tu appris à l’école ? Projet pédagogique pour une éducation émancipatrice

Qu'as tu appris

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Qu’as-tu appris à l’école ?

Projet pédagogique pour une éducation émancipatrice

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Table des matières

Le tableau noir de l’instruction! 5Quels citoyens formons-nous pour le XXIe siècle ?

.....................................................................Ce que PISA ne mesure pas! 6

.........................................................................Une enquête inquiétante! 10

.........................................................................Le latin ou la plomberie ?! 14

......................................................................................Qui les éduque ?! 17

..............................Entre bourrage de crâne et délire des compétences! 19

Qui a eu cette idée folle ?! 27Pourquoi les enfants du peuple furent envoyés à l’école

................................Socialisation et formation dans la société ancienne! 29

...........................................Aliénation du travailleur envers la technique! 32

...............................Déclin de la formation, mais besoin de socialisation! 35

.......................................................L’école comme appareil idéologique! 38

............................................Formation et sélection de la main d’oeuvre! 40

......................................................................................Marchandisation! 42

.....................................................................Mystification technologique ! 44

.........................................................................................Contradictions! 47

.................................................................Surtout pas trop d’instruction !! 51

..................................................Surtout pas de formation polytechnique! 53

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Pédagogie de la libération! 56L’enseignement comme instrument de transformation sociale

...................Quel est ce monde que l’on nous demande de reproduire ?! 57

.......................................................L’enseignement, sauveur suprême ?! 61

..........................................................Savoirs et émancipation collective! 62

................................................................................Ecole et démocratie! 64

.....................................................................Jouer sur les contradictions! 67

Quand la culture change le monde ! 70Des savoirs porteurs de citoyenneté critique

....................................................................................................Histoire! 70

................................................................................................Economie! 70

..................................................................................................Politique! 70

...............................................................................Géographie humaine! 70

..............................................................................Géographie physique ! 70

..............................................................................Physique, astronomie ! 70

....................................................................................................Biologie! 71

.....................................................................................................Chimie ! 71

.........................................................................................Mathématique! 71

...................................................................................................Langues! 71

..........................................................................Philosophie et littérature! 71

Réconcilier l’école et l’outil! 72Pour une vision polytechnique du monde

...........................................La technologie et la mécanique de l’histoire! 73

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......................................Dangers et sur-consommation de technologies! 74

........................................................................Comprendre et concevoir! 75

.....................................................Découvrir la pratique de la production! 76

................................................................La socialisation technologique! 77

...............................................................................Les ateliers scolaires! 77

..................................Cours théoriques et visites de sites de production! 79

..............................................................Participation au travail productif! 81

.....................................................................Et la formation qualifiante ?! 83

Socialiser au XXIe siècle! 84Valeurs, comportements et savoirs de base

...............................................................................Expression artistique! 84

.........................................................................................Corps et santé! 84

......................................................................................Vivre et travailler! 84

...................................................Les technologies de la vie quotidienne! 84

........................................................................................Vivre ensemble! 84

Marcher sur deux jambes! 85Théorie et pratique, un lien dialectique incontournable

..................................................................Pas de théorie sans pratique! 85

..........................Supériorité du savoir théorique sur le savoir empirique! 85

........................................Apprendre par le travail, apprendre en faisant! 85

...............................................Pour un constructivisme non-dogmatique! 85

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Le tableau noir de l’instructionQuels citoyens formons-nous pour le XXIe siècle ?

Dans les milieux de l’enseignement, le débat fait souvent rage sur l'organisation, le financement, la structuration des systè-mes éducatifs ou encore sur les méthodes pédagogiques qui devraient y être mises en oeuvre. Quel est le nombre idéal d'élèves par classe ? Est-il préférable de s’en tenir à une transmission des connaissances, selon le mode traditionnel, ou bien faut-il faire en sorte que l’élève soit l’acteur d’une re-construction de ses savoirs ? Quel est l'âge idéal pour les premiers paliers d'orientation et de spécialisation ? Faut-il pri-vilégier l’hétérogénéité ou l’homogénéité des classes ? Comment gérer les inscriptions d’élèves ? En lassant jouer le libre choix et le libre marché scolaire ? Ou en introduisant des régulations contraignantes  ? Quelle doit être la durée de la formation des enseignants ? Tels sont quelques uns des ques-tionnements qui occupent le débat éducatif. A juste titre d’ailleurs, puisque la réponse à ces questions déterminera l'ef-ficacité de l'école dans la quête des objectifs qui lui sont assi-gnés.

Mais, au fait,... quels sont donc ces objectifs ? Ou quels de-vraient-ils être ? Que convient-il d’apprendre à l'école au XXIe siècle ? Et qui doit apprendre quoi ? Quelles sont les connais-sances, les savoirs-faire, les attitudes, les compétences, les valeurs... que l’école devrait transmettre, exercer, construire, développer  ? A entendre les discours dominants sur l’ensei-gnement, à observer les initiatives prises au niveau national ou

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international, on aurait presque l’impression que ce débat-là n’est pas important, comme si la question des contenus était tout à fait secondaire. Ou plutôt, comme si la réponse à cette question faisait l'unanimité au point qu'il serait vraiment super-flu d’en parler.

Les contenus d’enseignement relèveraient-ils de l’évidence ? N’y aurait-il pas, dans ce domaine comme dans d’autres, des intérêts et des attentes contradictoires ?

Ce que PISA ne mesure pas

Aujourd’hui, quiconque s’intéresse de près ou de loin à l’en-seignement, ne peut plus ignorer les célèbres études «PISA», sensées mesurer l'efficacité des systèmes d'enseignement des pays les plus riches de la planète. Dans tous les pays mem-bres de l'OCDE (et quelques autres), les résultats de ces en-quêtes sont brandis, tantôt pour glorifier le travail du ministre de l'Education en place, tantôt pour démontrer le peu de ren-dement des investissements éducatifs de son prédécesseur. Certains ont utilisé PISA pour tenter d'appuyer la thèse selon laquelle l'autonomie, la «responsabilisation», la mise en con-currence des écoles, des enseignants et des parents étaient les meilleurs garants de l'efficacité. Mais tout ce qui est effi-cace est-il forcément souhaitable ? D'autres ont pu déduire des mêmes données statistiques que la dérégulation que les premiers appellent de leurs voeux est justement le ferment d'une plus grande inégalité.

Mais au delà de ces débats sur l'efficacité et l'équité, donc sur les leçons que l'on peut tirer de telles enquêtes quant au mode

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de fonctionnement de l’enseignement, il est une autre ques-tion, rarement posée et pourtant si élémentaire : que mesurent réellement ces études ?

Les tests PISA sont chargés d’évaluer les compétences des élèves âgés de 15 ans dans trois domaines exclusifs  : la lec-ture, la mathématique et la culture scientifique. Le choix de ces trois compétences découle sans doute pour partie de considé-rations techniques. S'agissant d'une enquête internationale chargée de produire des résultats comparables d'un pays à l'autre, il est très difficile d'inclure des sujets trop étroitement liés aux caractéristiques locales. Une enquête calquée sur le modèle PISA mais portant sur l'histoire ou la géographie serait ainsi assez difficile à concevoir. Mais le choix de se concentrer sur ces trois disciplines — lecture, math, science — et d'y éva-luer des compétences opérationnelles — capacité d'utiliser les outils — plutôt que, par exemple, la culture générale ou la maî-trise conceptuelle, ce choix n’est évidemment pas neutre  : il résulte clairement de priorités politiques et économiques.

Le commanditaire des enquêtes PISA est l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique (OCDE), un organisme international, regroupant seulement les pays les plus riches, qui formule des analyses et des recommandations sur la manière de faire fonctionner au mieux le capitalisme mondial. Comment privatiser les services publics ? Comment renflouer les banques sans faire mal à leurs actionnaires ? Comment orienter la recherche universitaire pour soutenir le bénéfice des entreprises ? Comment réduire la pression fis-cale sur le capital et les nantis ? Comment libéraliser les mar-chés mondiaux ? Comment diminuer les salaires sans provo-quer de révolte sociale ? Voilà le genre de questions que se

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posent les experts de l’OCDE et auxquelles ils trouvent géné-ralement des réponses bien inquiétantes pour les simples mor-tels que nous sommes.

Depuis une vingtaine d’années, l’OCDE a également com-mencé à s’intéresser de près à l’enseignement. Avec, toute-fois, une vision bien particulière de l'école, en laquelle l'organi-sation internationale voit d'abord « un facteur-clef de l’accumu-lation de capital humain et de la croissance économique »1. Aux yeux de l'OCDE, l'école est avant tout un investissement qui, comme tout investissement, se doit d'être rentable. Avec l’exacerbation de la concurrence, l’accélération et l’aggravation des crises du capitalisme mondial, il faut veiller à ce que les dépenses de l’Etat pour l’éducation répondent le mieux possi-ble aux « besoins » de l’économie, entendez : qu’elles servent le mieux possible la compétitivité et le profit. Il faut donc frei-ner la croissance des dépenses d’enseignement et réorienter les systèmes éducatifs vers les besoins économiques, vers les demandes du marché du travail.

Or, que réclame-t-il ce marché du travail ? Non pas une éléva-tion générale des niveaux de formation, mais leur polarisation : d’un côté, beaucoup d’emplois hautement qualifiés, de l’autre, une masse de « petits boulots », particulièrement dans les secteurs de services.

Dans un rapport publié en 2001, l’OCDE écrit : « tous (les élè-ves) n’embrasseront pas une carrière dans le dynamique sec-teur de la “nouvelle économie” – en fait, la plupart ne le feront pas – de sorte que les programmes scolaires ne peuvent être

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1 OCDE, Le financement de l'éducation, investissements et rendements, Analyse des indicateurs de l'éduca- tion dans le monde, Paris, 2002.

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conçus comme si tous devaient aller loin »2. A en croire les maîtres à penser de l’économie mondiale, ne faudrait donc surtout pas aller trop loin dans la démocratisation de l’ensei-gnement. Pas besoin d’avoir étudié beaucoup d’histoire, de géographie, des maths et des sciences de haut niveau pour travailler dans un McDo ou pour conduire une camionnette de Coca-Cola. En revanche, insiste l’OCDE, même dans ces em-plois faiblement qualifiés il faudra que les travailleurs soient capables de s’adapter à un environnement en changement ra-pide et il faudra qu’ils puissent facilement passer d’un poste de travail à un autre, d’une fonction à une autre. Cette « adaptabi-lité », cette « employabilité » sans qualification, devraient être acquises vers l’âge de 15 ans, par l’exercice de « compéten-ces de base » en lecture, langues, mathématiques, sciences, informatique, etc. Ensuite, à partir de 15 ans, on fera le tri de ceux qui « iront loin » (et qui pourront alors dépasser les com-pétences de base), ceux qui apprendront un métier (dans une formation professionnelle étroite) et ceux qui iront très vite tra-vailler dans les emplois précaires.

Il y a dix ans, l’OCDE a donc lancé l’initiative PISA, dans le but d’encadrer et d’encourager la réforme des systèmes d’ensei-gnement dans le sens que nous venons de décrire. L’enquête PISA est par conséquent constituée d’une batterie de tests standardisés qui mesurent à quel point les élèves de 15 ans ont atteint les compétences de base réclamées par l’économie capitaliste au début du XXIe siècle. Comme l’explique très clai-rement un rapport publié par l’unité de l’Université de Liège en charge de la coordination de l’étude PISA en Communauté française : « La question est moins de savoir ce que les élèves

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2 OECD, What future for our schools, Paris, 2001

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de telle année peuvent faire, mais bien comment les élèves de 15 ans sont préparés à entrer dans la vie adulte. C’est pour cette raison que PISA évalue la culture mathématique ou scientifique, et pas les mathématiques ou les sciences. Ce qui pourrait sembler être un détail terminologique traduit la volonté de l’OCDE de voir si la culture des jeunes en mathématiques et sciences est suffisante par rapport aux demandes des so-ciétés industrialisées »3. En langue maternelle, par exemple, on n’évalue ni les techniques de base, ni l’orthographe, ni la vitesse de lecture, ni la maîtrise d’un vaste vocabulaire, ni bien sûr le plaisir que l’on prend à lire, ou la qualité de ce qu’on lit, ou l’imagination dont on fait preuve dans la rédaction d’un texte... mais seulement la capacité de comprendre un texte dans un contexte directement opérationnel. Car c’est cela qui est demandé par les marchés du travail, particulièrement dans les emplois à faible niveau de qualification.

Bref, PISA a beau être, par son caractère international et stan-dardisé, un instrument de mesure formidable, il ne faut cepen-dant jamais perdre de vue que cet instrument ne mesure qu’un aspect étroit des missions éducatives de l’école, plus précisé-ment celui qui intéresse les milieux économiques.

Une enquête inquiétante

C'est entre autre cette critique d'une enquête PISA trop bra-quée sur les seules «compétences de base» qui a incité l'as-sociation belge Aped (Appel pour une école démocratique) à

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3 Baye, A. et all., La lecture à 15 ans, Premiers résultats de PISA 2009, in « Les cahiers des sciences de l’Education » n°31, 2010, ASPE-ULg, p 1

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réaliser, en 2007-2008, une étude d'une toute autre nature au-près d'élèves arrivés à la fin de leur enseignement secondaire (donc âgés de 17 à 20 ans)4. L'objectif était cette fois de tester leur maîtrise dans le domaine des «savoirs porteurs de ci-toyenneté critique».

Les élèves devaient répondre à 31 questions portant sur des sujets aussi variés que les énergies renouvelables, l'effet de serre, le SIDA, la compréhension de concepts technologiques élémentaires, la sélection naturelle, la lecture et l'interprétation d'un graphique, la colonisation, l'esclavage en Amérique du Nord, l'histoire de l'univers et de la vie sur terre, l'histoire des religions, la Deuxième guerre mondiale, les inégalités sociales, les inégalités hommes-femmes, les inégalités nord-sud...

Cette enquête originale a permis de mettre en lumière l'incon-cevable misère des «savoirs citoyens». Quelques exemples permettent de s'en faire une idée. A l'aube du XXIe siècle, alors que les l'environnement et la précarité des ressources naturelles figurent parmi les problèmes majeurs que l'humanité va devoir affronter, il apparaît que seuls 45% des jeunes sa-vent, en sortant de l’enseignement obligatoire, ce qu'est une énergie renouvelable. Par exemple, 30% des jeunes croient

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4 Nico Hirtt, Seront-ils des citoyens critiques ? Enquête auprès des élèves de fin d'enseignement secondaire en Belgique francophone et flamande. Aped, 2008

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que l'hydrogène serait une source d’énergie renouvelable.5 Un élève sur trois pense que plus de 15% de la consommation électrique belge provient de sources renouvelables (alors que nous étions à moins de 2% au moment de l'enquête). Près de neuf élèves sur dix ignorent les causes du réchauffement cli-matique et plus de 60% confondent l'effet de serre avec le trou dans la couche d'ozone.

Dans le domaine économique et social, les résultats ne sont pas plus encourageants. Plus de trois quarts des élèves s'avè-rent incapables de comprendre et d'interpréter correctement un graphique représentant une croissance relative (sous forme d'indices). Seuls 13 à 28% des élèves (selon la façon de leur poser la question) ont une idée à peu près réaliste des écarts de revenus dans notre pays. Les autres n'ont pas d'avis (10%), donnent des réponses incohérentes (20 à 25%) ou tendent à sous-estimer très fortement les inégalités (40 à 50%). En moyenne, les élèves sous-estiment d'un facteur dix l'écart de richesse (en termes de consommation) entre la Belgique et la Chine; ils sous-estiment d'un facteur 60 l'écart entre la Belgi-

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5 Il n'y a pas de raison de penser que nos lecteurs seraient forcément mieux lotis que les élèves belges et il n'est donc sans doute pas inutile de préciser que l'hydrogène ne se trouve pas à l'état pur sur terre. Il se trouve en revanche en quantités phénoménales dans l'eau, sous la forme H2O. Mais pour séparer l'hydrogène et l'oxygène de l'eau, afin d'obtenir de l'hy-drogène utilisable comme carburant, il faut de l'énergie. En théorie il faut la même énergie que celle que l'hydrogène pourra libérer lorsqu'on le combi-nera à nouveau avec l'oxygène dans une pile à combustible ou dans un moteur thermique. En pratique cependant, compte tenu des nombreuses pertes, il faut beaucoup plus d'énergie pour fabriquer l'hydrogène que ce que celui-ci pourra restituer comme travail utile. Bref, l'hydrogène n'est pas et ne sera jamais une source d'énergie mais seulement un moyen, plus ou moins efficace, de stocker et de transporter de l'énergie.

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que et le Congo. En d'autres termes, ils imaginent les Congo-lais 60 fois plus riche qu'il ne le sont en réalité. Quant à la res-ponsabilité de la Belgique dans la situation de son ancienne colonie, n'en parlons pas, puisqu'un élève sur quatre ne sait même pas que le Congo a été une colonie belge. Dans l'en-seignement professionnel plus d'un élève sur deux est dans ce cas.

A l'ère des compétences, les enseignants de la maternelle au lycée sont chargés d'apprendre aux élèves à «se situer sur une échelle de temps». Voyons ce que cela donne quand on les interroge sur ce point. Moins d'un élève sur trois parvient à situer plus ou moins correctement la chronologie d’événe-ments tels l’émergence de la vie sur terre ou les premiers bal-butiements de l'agriculture. Pour un élève sur deux, la nais-sance du Soleil est antécédente au Big Bang; selon 15% des élèves — et jusqu’à 20% dans l'enseignement professionnel —, l'homme aurait été le contemporain des dinosaures. Plus près de nous et sur un registre plus grave, quatre élèves sur dix situent la naissance de l'islam avant le catholicisme et un élève sur deux pense que la religion juive est postérieure au catholicisme. Et ce dans un pays où trois élèves sur quatre suivent un cours de religion qui leur apprend que les Juifs ont fait crucifier Jesus Christ !

Et puis que penser de ceci ? Au moment où Barak Obama se fait élire président des Etats-Unis, un jeune sur cinq dans l’en-seignement général et près d’un jeune sur deux dans l'ensei-gnement professionnel ignore que les noirs d’Amérique sont les descendants d’esclaves. Ils les croient autochtones ou émigrés volontairement.

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Enfin, s'ils savent si peu de leur histoire, comment pourrait-on espérer qu’ils la comprennent ? Quand on les interroge sur les facteurs déterminants ou déclencheurs de la révolution indus-trielle au XIXe siècle, moins d'un élève sur quatre pense à mentionner la machine à vapeur (alors qu’elle figurait parmi un ensemble de facteurs, généralement incongrus, qui leur étaient proposés).

Le latin ou la plomberie ?

Pourtant, lorsqu'il nous arrive de suggérer qu'il faudrait peut-être relever le niveau des formations scolaires, beaucoup de gens — et singulièrement beaucoup de nos collègues ensei-gnants — lèvent les bras au ciel et s’écrient  : «quoi ? Vous voudriez leur imposer encore plus d'histoire, plus de maths ? Mais ils n'en veulent pas ! Ils sont déjà dépassés »

C'est en effet une bien curieuse conception qui domine ainsi l'organisation de notre enseignement  : lorsqu'un élève est fai-ble en mathématique, on décrète qu'il faut lui faire faire moins de mathématiques. Le bon sens ne dicterait-il pas au contraire de lui en proposer davantage ? Le but de l'école est-il d'ensei-gner aux élèves seulement ce qu'ils aiment d’emblée, seule-ment ce qu'ils maîtrisent déjà ? Comment pourrait-on aimer ou ne pas aimer ce que l'on n'a pas encore pu découvrir ?

C'est au nom de principes aussi étranges que l'on a divisé l’enseignement secondaire en filières générales, techniques et professionnelles. Du moins officiellement, car en réalité, ces filières servent avant tout comme puissants moyens de repro-duire, d'une génération à l'autre, des clivages culturels et so-

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ciaux, c’est-à-dire la hiérarchie sur laquelle repose notre socié-té. D'un côté, dans les filières les plus «nobles» de l'ensei-gnement général, on forme des jeunes que l'on maintient sou-vent à l'écart de toute éducation à caractère pratique. Parmi ces « analphabètes de la production », certains iront occuper les emplois les plus élevés; d'autres seront leurs employés. Les uns comme les autres auront appris à mépriser le sordide travail productif, les tâches manuelles, réservées aux ouvriers et autres exécutants. De leur côté, ceux-ci seront passés par les filières qualifiantes, où l'on aura pris soin de les maintenir à l'écart de la théorie et de l'abstraction, ces choses dont on a décrété qu'elles ne les intéressaient pas, qu'elles étaient trop difficiles pour eux et dont, de toute façon, ils n'auront jamais besoin.

Il suffit de consulter la grille horaire d'une 3e ou d'une 4e an-née professionnelle pour se rendre compte combien cette spé-cialisation poussée et précoce des filières de l'enseignement qualifiant constitue un obstacle majeur sur la voie d’une démo-cratisation de l'enseignement. Dans l'enseignement officiel, la formation commune, hors éducation physique et religion, compte à peine sept heures par semaine. L'enseignement ca-tholique fait mieux encore  : trois malheureuses périodes heb-domadaires de «  français et formation humaine » et deux pé-riodes de « formation scientifique et mathématique » sont sen-sées y tenir lieu de culture générale. Cela représente en tout et pour tout une matinée par semaine ! Le reste, soit 20 à 25 pé-riodes par semaine, est occupé par la formation dite «option-nelle», c'est-à-dire des cours spécialisés en fonction de la fu-ture profession. Voilà comment l'on maintient délibérément des jeunes de 14-15 ans dans l'ignorance et l’incapacité de com-prendre le monde où ils vivront.

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Il ne s'agit évidemment pas, dans notre chef, de considérer que le latin et les mathématiques seraient supérieurs à la plomberie ou aux travaux de bureau. La hiérarchie des filières ne réside pas dans la nature des savoirs que l'on y enseigne, mais dans leur spécialisation étroite, qui se paie par une ab-sence de généralité. La hiérarchie des filières réside ensuite dans les perspectives sociales et politiques qu'elles ouvrent ou n'ouvrent pas.

Un dernier mot à ce sujet. Ces filières, les élèves sont suppo-sés les «choisir» en fonction de leurs « centres d'intérêt », de leurs « projets professionnels » ou encore de leurs « talents ». Qui croit encore à cette fable ? Si un enfant appartient au dé-cile socio-économique le plus riche, il y a huit chances sur dix qu'il fréquente encore l'enseignement général à l’âge de 15 ans. Et seulement 2 chances sur 10 qu'il soit en section pro-fessionnelle. Inversement, un enfant du décile socio-économi-que le plus pauvre aura seulement une chance sur dix d'être en section générale à 15 ans et cinq chances sur dix d’avoir été orienté vers une filière professionnelle. Les autres sont dans l’enseignement technique. En d'autres mots, le clivage en filières n'est pas seulement une spécialisation précoce au détriment de la formation commune, ce n'est pas seulement une sélection hiérarchisante et un accès inégal aux connais-sances. Mais de surcroît, c’est la reproduction, d’une généra-tion à l’autre, des inégalités sociales et culturelles  : les fils et les filles de parents riches et instruits seront riches et instruits; les fils et les filles de prolétaires resteront des prolétaires. So-cialement et culturellement.

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Qui les éduque ?

Si l'école n'apprend guère à comprendre le monde, elle n'en-seignement pas davantage à y vivre ou simplement à y survi-vre. A leur majorité, une fois lâchés dans la jungle sociale, les jeunes seront dans l'ignorance de pans entiers du monde qu'ils affronteront.

Sur le plan social d'abord : la plupart d'entre eux n'auront ja-mais entendu parler du marché du travail, des contrats de tra-vail, des revenus, des relations sociales en entreprise, des im-pôts, des allocations de chômage, de l'assurance maladie, des allocations familiales, des assurances privées, de l'épargne et de l'endettement,...

Sur le plan de l'hygiène et de la santé, ensuite. Où leur aura-t-on enseigné quelques règles essentielles en matière de qua-lité et de diversité de l'alimentation ? Comment auront-ils ap-pris à cuisiner ? Qui leur aura expliqué à lire et comprendre l'étiquetage des aliments ? Qui les aura mis en garde contre l'abus de médicaments  ? Et contre le danger de ne pas en prendre lorsque c'est nécessaire ? Auront-ils été informés des produits et des comportements cancérigènes ?

Mille et une menaces les guettent dans une société hyper-technicisée, mais qui se soucie réellement de les y préparer ? L'électricité et l'électronique, les radiations électromagnéti-ques, le chauffage au gaz, la circulation automobile, les pro-duits chimiques domestiques, les appareils électroménagers, les foreuses et visseuses, la climatisation... Au delà du danger pour eux-mêmes, comprendront-ils le fonctionnement, les avantages et inconvénients, les implications environnementa-les, les pannes possibles des technologies qu'ils utiliseront ?

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Demain, ces jeunes seront des parents. Mais y seront-ils pré-parés ? Auront-ils appris à soigner un nourrisson ? A éduquer un enfant ? A éveiller sa curiosité ? A le rendre heureux ? A soutenir sa scolarité ? A en faire un citoyen engagé, critique et responsable ?

Dans le domaine de la culture et des loisirs, l'école n'ouvre guère plus d'horizons. Quelques « excursions » mises à part, les programmes d'enseignement ne garantissent en aucune façon une découverte de la variété des formes et des styles d'expression artistique. L'éducation musicale est pauvre. La formation aux arts plastiques quasiment inexistante. Seuls les arts dramatiques et le cinéma ont, souvent grâce aux efforts personnels de quelques professeurs de français, droit à un peu d'espace à l’école.

Plus fondamentalement encore, l'école n’apprend guère aux jeunes les comportements, les règles, les valeurs qui permet-tent d'organiser une vie et une action collective. Comment dé-battre et gérer la prise de parole, comment organiser un projet collectif, comment défendre son avis tout en respectant les au-tres, comment planifier, comment faire un bilan, comment pré-parer une réunion...

Quant à l'éducation corporelle, qui peut sérieusement croire que deux fois cinquante minutes de gymnastique ou de pis-cine, habillages et déshabillages compris, constitueraient une formation satisfante ?

En un mot comme en cent, l'école n'a pas, ou beaucoup trop peu, le souci d'apprendre à vivre, le soucié d'éduquer et de socialiser. Et quand bien même ses acteurs seraient sensibles à cette mission, ils n'en ont de toute façon pas les moyens. Le

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sempiternel débat entre les partisans de l'éducation et les te-nants de l'instruction est complètement dépassé et hors de propos. L'école doit faire les deux, instruire et éduquer. Elle doit instruire, car personne d'autre n'apportera le savoir aux enfants du peuple. Et elle doit éduquer, parce que les autres lieux d'éducation ont disparu depuis longtemps, laminés par la mort de la «  grande  » famille rurale, puis par le travail des femmes et aujourd'hui par la flexibilité à outrance et la multipli-cation des familles monoparentales. Il ne reste plus, pour édu-quer les jeunes, que la télévision, qui serait plutôt une instance de dé-socialisation et d'endoctrinement idéologique.

Entre bourrage de crâne et délire des compétences

Non seulement les contenus des apprentissages sont-ils dé-cevants, mais rien ne permet d'espérer une amélioration. Bien au contraire, la dernière invention à la mode, qui s'appelle «approche par les compétences», nous annonce probable-ment des lendemains encore moins chantants.

Officiellement, cette approche vise à corriger trois lacunes réelles et étroitement liées, souvent observées dans l'ensei-gnement traditionnel : premièrement, l'absence de sens dans les apprentissages; deuxièmement, l'incapacité des élèves à mettre en oeuvre les savoirs acquis; et troisièmement, l'ennui — donc la démotivation — suscité chez les élèves par une présence trop souvent passive en classe. Ces trois défauts se résument dans l'image, sans doute caricaturale mais non dé-pourvue de fondement, de l'élève réduit au rôle d'un récipient dans lequel l'enseignant déverse son savoir.

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Toutes les pédagogies modernes, émancipatrices, innovantes, de ces cent dernières années, ont visé à résoudre ce triple problème. Introduire les connaissances et les concepts dans un contexte qui leur donne du sens; placer l'élève dans une situation qui lui permette de construire des savoirs et pas seu-lement de les recevoir «tout faits»; accorder plus de place à la pratique pour renforcer la capacité d'utiliser les connaissances, etc. Tel est le B.A.BA des pédagogies Freinet, Decroly et au-tres.

L'approche par les compétences (APC) n'innove donc pas sur le plan des objectifs affichés. En revanche, la méthode est ori-ginale et pour tout dire étonnante. Elle se concentre en fait sur l'un des trois problèmes cités : la capacité d'utiliser les savoirs, de les «mobiliser» comme ont dit dans le jargon de l'APC. Le reste, prétend-elle, suivra automatiquement : si l'élève apprend à utiliser des savoirs, ceux-ci auront automatiquement du sens pour lui. Et s'il passe son temps à utiliser des savoirs pour ré-soudre des problèmes, il sera actif, donc motivé. C'est cette vision étroitement utilitariste et productiviste des connaissan-ces que nous propose l'APC.

Ce qui caractérise l’approche par compétences, c’est que les objectifs d’enseignement n’y sont plus de l’ordre de contenus à transférer mais plutôt d’une capacité d’action à atteindre par l’apprenant. Une compétence ne se réduit ni à des savoirs, ni à des savoir-faire ou des comportements. Ceux-ci ne sont que des «ressources» que l’élève ne doit d’ailleurs pas forcément «posséder», mais qu’il doit être capable de «mobiliser» d’une façon ou d’une autre, en vue de la réalisation d’une tâche par-ticulière. Dans l'APC, on reconnaît explicitement que l’accès au savoir ne constitue plus un objectif d’enseignement. Les

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savoirs sont relégués au rang d’instruments devant servir au développement de compétences.

Si un savoir n’a de place à l’école que dans la mesure où il peut être utilisé dans le développement d’une compétence, donc dans la réalisation d’une tâche, cela exclut d’emblée toute une catégorie de connaissances qui, pour diverses rai-sons, ne pourront jamais faire l’objet d’une tâche en contexte scolaire. Que l’on pense par exemple à l’étude de la cosmolo-gie en physique ou à celle du néolithique en histoire... Aussi, très souvent, les tâches à réaliser par les élèves dans ces dis-ciplines à fort contenu cognitif sont-elles totalement déconnec-tées du contenu même du cours. Les élèves passent des heu-res à écrire un article à propos de..., réaliser une affiche d’in-formation sur..., présenter sous forme de page web, préparer une conférence avec diapositives,... Certains enseignants ont l’impression désagréable qu’il s’agit d’une perte de temps. Ils se trompent. Ils ne comprennent pas que l’objectif n’est tout simplement pas que les élèves maîtrisent mieux l’histoire ou la physique, mais justement qu’ils apprennent à faire des affi-ches, des pages web et des présentations «powerpoint», même — surtout ! — sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas et ne maîtriseront jamais. On appelle cela de la «communication» et c’est ce que réclame le marché du travail.

Les seuls savoirs qui trouvent quelque grâce aux yeux de l’ap-proche par compétences sont ceux qui peuvent être mobilisés «dans des situations de la vie». Avez-vous jamais mobilisé Emile Zola, le calcul intégral, la peinture expressionniste, la tectonique des plaques, la révolution industrielle du XIXe siè-cle, le génocide des indigènes d’Amériques, le subjonctif im-parfait, la pensée philosophique de Descartes ou la théorie de

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la gravitation «dans des situations de la vie» ? Probablement non. Aussi, dans l’approche par compétences on n’apprend plus le français, l’anglais et la littérature, on apprend à com-muniquer. Au cours de sciences on ne cherche plus à com-prendre le monde naturel on apprend à étaler un peu de «cul-ture scientifique» sur une affiche ou un site internet. On n’étu-die plus l’histoire, on apprend à lire un document (accessoire-ment historique) et à le résumer ou à attirer un candidat-tou-riste par quelque beauté de l’architecture gothique. En infor-matique, on n’initie plus l’élève à la logique formelle et à l’ana-lyse de procédures (comme certains tentèrent de le faire aux premiers temps de l’informatique scolaire, avec leurs «tortues» et leurs langages Logo) ; désormais on lui apprend seulement à «se débrouiller» dans l’environnement Microsoft.

Dans les programmes issus de la réforme en Communauté française de Belgique, ce mépris des savoirs apparaît de ma-nière éclatante. Considérons par exemple le programme d’his-toire de la cinquième année secondaire de transition, dans l’enseignement catholique. Celui-ci compte 70 pages, dont l’essentiel est consacré à expliquer et justifier l’approche par compétences, à indiquer des directives méthodologiques ex-trêmement rigides (voir : «Une pédagogie dogmatique et bu-reaucratique») et à développer quelques «exemples de sé-quences d’apprentissages». Après de longues recherches, l’enseignant persévérant y découvre enfin une grille censée lui expliquer quels sont les contenus («concepts» et «moments-clés») qu’il est chargé d’enseigner, pardon, que ses élèves de-vront «mobiliser en vue de la réalisation de tâches». La grille se résume à cinq mots décrivant des concepts  : libéralisme, capitalisme, nationalisme, socialisme(s), impérialisme, et à trois "moments-clés" : «Le temps des Révolutions (fin XVIIIe-

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XIXe siècles)», « La société au XIXe siècle : changements, permanences, contestations» et «L’impérialisme des pays in-dustrialisés et la première guerre mondiale».

C'est tout. Nous n’avons pas omis une lettre. Absolument tout le contenu à enseigner pendant une année, à raison de deux heures de cours d’histoire par semaine, est supposé être là, dans les 32 mots de ce tableau.

Pour sa part, Bernard Rey souligne combien les socles de compétences de la Communauté française négligent l’impor-tance de faire acquérir les savoirs routiniers avant même de pouvoir penser à développer des compétences  : «Dans les Socles de compétences (....), tout se passe comme si les au-teurs avaient considéré que l'acquisition des procédures élé-mentaires allait de soi et qu'il était inutile de les rappeler : c'est ainsi que la maîtrise des opérations arithmétiques élémentai-res n'est pas mentionnée explicitement. Le texte passe le plus souvent directement à la mise en œuvre de ces procédures de base dans des situations dans lesquelles il s'agit de reconnaî-tre l'opportunité de leur usage. (...) Il semble que les auteurs aient pensé qu'une vraie compétence, digne de ce nom, ne pouvait se limiter à l'effectuation de l'opération arithmétique, mais devait comprendre l'identification, dans une situation nouvelle pour l'élève de l'opportunité de l'opération.  » [Rey 2007] La critique de Bernard Rey nous semble tout à fait perti-nente. Mais il ne faudrait pas voir, dans ce qu’il stigmatise ain-si, une espèce de «dérive», une mise en œuvre «excessive» de l’approche par compétences. Le rejet des savoirs structu-rés, ordonnés, systématiques, se trouve en effet explicitement formulé dans le discours des promoteurs de l’APC. Selon ceux-ci, les enseignants doivent «mettre en sourdine leur désir

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d'ordre et d'organisation des savoirs, faire leur deuil des expo-sés-modèles, des cours sans surprise» [Lannoye et al. 1999].

Autant l’importance des connaissances et des savoir-faire dis-ciplinaires est-elle négligée dans l’APC, autant les compéten-ces —  et particulièrement les compétences transversales ou pluridisciplinaires— y jouissent-elles d’un statut mythique qui relève davantage de la croyance que de la science. La «ca-pacité de mobiliser des ressources en vue de la réalisation d’une tâche» y est en effet entendue comme une capacité in-dépendante des savoirs, des savoir-faire et des attitudes qui constituent ces ressources. Ainsi, pour Guy Le Boterf, «  la compétence ne réside pas dans les ressources (connaissan-ces, capacités,…) à mobiliser, mais dans la mobilisation même de ces ressources. La compétence est de l’ordre du “savoir mobiliser” » [Le Boterf 1994]. Si nous comprenons bien — et pour autant qu’il y ait quelque chose à comprendre dans cette idée saugrenue —, selon kes penseurs de l’APC, il existerait dans le cerveau humain une espèce de potentiel de résolution de problèmes mathématiques qui serait indépendant de la na-ture et de la maîtrise des outils mathématiques à mettre en œuvre; il existerait une sorte de capacité d’analyser un docu-ment historique qui ne dépendrait pas de notre connaissance de l’histoire; il existerait des capacités de communication ver-bale et écrite, mais néanmoins indépendantes du langage... Il s’agit clairement d’une vision purement idéaliste de la compé-tence. Mais n’est-ce pas aussi une façon de réintroduire ce que d’aucuns, jadis, appelaient la «bosse des maths», «la sensibilité historique», bref, le don ? Cette idée se retrouve no-tamment dans de nombreux documents du gouvernement fla-mand, où il est systématiquement question de valoriser les «talents» des élèves  : «(les enseignants) ne doivent pas seu-

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lement aider à développer les compétences des élèves/étu-diants, mais avant tout être capable de montrer à ces élèves/étudiants quels sont leurs talents et, ainsi, contribuer à leur connaissance de soi» [Competentieagenda 2007]. Vous avez des talents (qui tombent du ciel ou de votre patrimoine généti-que, selon vos convictions) et l’école n’a plus qu’à vous aider à les découvrir et à les développer... Comme c’est simple !

La conception mythique, idéaliste, de la compétence rencon-trée ci-dessus ressort également de l’insistance des promo-teurs de l’APC à demander que chaque situation de dévelop-pement ou d’évaluation de compétences — donc chaque tâ-che — soit «inédite» pour l’élève. Comme le note très juste-ment Marcel Crahay, «dès lors que l’on spécifie que le dévoi-lement de la compétence exige des situations de complexité inédite, c’est bien qu’il s’agit d’isoler un quelque chose de tout effet direct d’apprentissage et d’enseignement» [Crahay 2006]. On idéalise et on naturalise ainsi la compétence, on la trans-forme en une pure abstraction qui flotterait mystérieusement au-dessus des savoirs, un peu comme le Saint-Esprit flotte au-dessus de la matière...

La dérive est encore accentuée par l'idée qu'il existerait, au-dessus de ce Saint-Esprit des compétences, une espèce de divinités suprêmes  : les super-compétences, dites transversa-les. Celles-ci, remarque Normand Baillargeron, «ne seraient pas nécessairement contextualisées au sein de domaines de savoirs précis : il serait ainsi possible de chercher à dévelop-per en elle-même la créativité, la capacité à résoudre des pro-blèmes et ainsi de suite. Un peu comme si on demandait dé-sormais à l'école qu'elle apprenne à jouer, mais sans préciser si c'est de hockey, de patiences ou d'échecs qu'il s'agit !»

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[Baillargeon 2006]. Dans les cours de l’option «sciences appli-quées» de l’enseignement secondaire francophone, par exemple, il ne s’agit plus d’apprendre de la physique, de la chimie ou de la biologie; désormais tout se résume à deux «macro-compétences» éthérées. Premièrement  : «  mener à bien une démarche scientifique de résolution d’une situation concrète en y introduisant une réflexion sur les résultats obte-nus et sur les conséquences pour la société »; et deuxième-ment  : « concevoir, réaliser et présenter un projet technologi-que en tenant compte d’aspects économiques, sociaux, cultu-rels ». Des objectifs d’apprentissage ainsi formulés sont parfai-tement creux. C’est ce qui amène Bernard Rey à proposer de rédéfinir le concept de compétence de façon beaucoup plus restrictive : « “Savoir résoudre une équation du second degré” est une compétence. En revanche, “savoir résoudre un pro-blème“ n’est pas une compétence, c’est une parole vide. C’est tout au plus une spéculation de psychologues. Or l’état actuel des travaux empiriques dans ce domaine ne permet nullement d’accréditer de telles constructions spéculatives» [Rey 2005]. Mais que l’on abandonne radicalement le concept de compé-tence ou qu’on le redéfinisse comme étant simplement un sa-voir-faire, histoire de sauver la face, qu’importe : d’une façon ou d’une autre, il faudra passer par une refonte complète des désastreux programmes que se sont donnés les systèmes éducatifs fondés sur l’APC.

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Qui a eu cette idée folle ?Pourquoi les enfants du peuple furent envoyés à l’école

« L’homme », affirmait Benjamin Franklin, « est un animal fa-bricateur d’outils  » (a toolmaking animal). Aujourd’hui, nous corrigerions légèrement cette phrase en disant : l’homme est un créateur, un concepteur d’outils. Les chimpanzés utilisent des galets ou des blocs de pierre pour briser des os, des noix ou des branches. Les australopithèques anciens (3 à 4 millions d’années) utilisaient certains éclats accidentels de ces outils de pierre à des fins spécifiques : couper ou gratter, par exem-ple. Les australopithèques les plus récents (2,5 Ma), les paran-thropes (3 à 1 Ma) ainsi que les premiers homo habilis (à partir de 2,5 Ma) se mirent à casser intentionnellement des galets à l’aide d’un percuteur en espérant trouver, parmi les éclats, l’un ou l’autre tranchant ou bord sinueux utilisable. « La quatrième étape se caractérise par la fabrication de divers outils en pierre volontairement façonnés en vue de tâches spécifiques. Elle intervient assez tardivement, après 1 million d’années». Elle est le fait exclusif des espèces humaines.

Le propre de l’espèce humaine n’est donc pas d’utiliser des outils — ce que font de nombreuses autres espèces —, ni même de les fabriquer, mais de les concevoir. L’homme est, par essence, un inventeur de techniques, un concepteur de technologies. Tous ceux que les paléontologues et les biologis-tes appellent homo habilis, homo erectus, homo neandertha-lensis ou homo sapiens ont en commun d’être homo faber, l’homme qui fait, l’homme créateur.

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Jusqu’à il y a peu —  à l’échelle de ces millions d’années — l’homme a vécu en harmonie avec sa culture technologique, la développant sans cesse, la transmettant de génération en génération par l’éducation, cette autre caractéristique essen-tielle de notre espèce. Sans doute, au sein des collectivités, une spécialisation a-t-elle vu le jour petit à petit, au fur et à mesure que les techniques devenaient plus nombreuses, plus complexes. Mais, pour l’essentiel, chaque producteur conti-nuait de maîtriser l’entièreté de son processus de production. Jamais, durant les temps préhistoriques, l’homme ne s’est trouvé étranger à la technique qu’il utilisait.

A partir d’environ 9000 av. J.C., le développement de l’agricul-ture et la sédentarisation ont donné naissance à de nouveaux rapports techniques et sociaux de production. Dans les villa-ges céréaliers de la civilisation de l’Obeid en Mésopotamie (VIe-Ve millénaire), l’accumulation locale de richesses produi-sit l’émergence des premières classes sociales et des premiè-res chefferies. Les fouilles dévoilent l’évolution de ces inégali-tés dans l’architecture: «des notables émergent et une élite commence à se distinguer de la masse des villageois. L’orga-nisation sociale repose désormais sur la prédominance d’un clan sur les autres».

Quand la découverte de la métallurgie vint décupler les forces productives, cette division en classes sociales était déjà bien installée. Avec elle, des masses d’hommes, de femmes, d’en-fants furent abaissés au rang de simples forces de travail ex-ploitées par des propriétaires de mines ou de terres. D’autres, artisans, agriculteurs, éleveurs, vivaient toujours du produit de leur propre travail, qui était cependant de plus en plus spéciali-sé. Mais à défaut d’être toujours les propriétaires des outils

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qu’ils utilisaient, ils continuaient généralement d’en rester les «maîtres» : ils maniaient l’outil, lui imprimaient leur rythme, en comprenaient le plus souvent le fonctionnement et même la fabrication... Ce constat reste vrai pour le serf ou le paysan pauvre du moyen-âge, pour l’ouvrier et pour l’artisan des villes de la Renaissance et même pour l’ouvrier des premières ma-nufactures.

Or, tant que l’homme restait maître de son environnement technologique, tant que la maîtrise et la compréhension des techniques faisait indissolublement partie de sa vie quoti-dienne et de sa vie productive, la transmission de la culture technique faisait tout aussi indissolublement et naturellement partie de l’éducation des jeunes.

Socialisation et formation dans la société ancienne

Avant la révolution industrielle, la très grande majorité des en-fants des classes populaires ne fréquentaient pas l'école. En Belgique, une étude portant sur les années 1779 à 1792 indi-que que 39% des hommes et 63% des femmes, villes et cam-pagnes confondues, étaient incapables de signer autrement que par une croix au bas des actes paroissiaux de mariage ou de baptêmes6. Encore s'agissait-il là d'une situation relative-ment exceptionnelle en Europe. A la même époque, dans la

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6 Bruneel, Claude. L'Ecole primaire en Belgique depuis le moyen âge, Ca-talogue de l’exposition. Bruxelles: CGER, 1986

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Haute Vienne (la région de Limoges), seuls 8,2 % des hom-mes et 5 % des femmes signaient leur acte de mariage.7

Mais dans les campagnes, même si la plupart des enfants n’al-laient pas à l’école, ils n’étaient pas pour autant ignorants. Pa-radoxalement, le faible niveau de technicité de la production agricole faisait appel à un haut degré de qualification. Il ne suf-fisait pas de connaître la terre et les saisons, il fallait aussi sa-voir utiliser et entretenir les nombreux outils que requérait la vie à la ferme, ceux propres à l’activité agricole ainsi que ceux des artisanats, qui constituaient souvent le principal revenu à la saison morte. Dans les régions forestières, l’hiver venu, le paysan se transformait en ouvrier bûcheron payé à la tâche ou en scieur de long. Or, l’affutage des lames, par exemple, né-cessitait un savoir-faire difficile, qui se transmettait au fil des générations. D’autres se faisaient charbonniers de bois  : ils savaient couper les branches, dresser le fourneau, recouvrir celui-ci de feuilles et de terre, y aménager une cheminée cor-rectement dimensionnée, allumer un feu uniforme et en sur-veiller la combustion pendant cinq jours et cinq nuits.

Il faut visiter un musée de l’outil ou un musée ethnographique rural pour se convaincre de l’extraordinaire variété de talents et de qualifications que requérait jadis l’artisanat des campa-gnes. Dans les caricatures de la presse urbaine, le sabot du paysan a longtemps symbolisé l’ignorance. Mais on ferait bien de se souvenir que le sabotier fut un jour l’artisan le plus en vue du village. Son savoir-faire requérait la maîtrise d’innom-brables outils et des connaissances variées. Après avoir choisi

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7 Guibert, Louis. L'instruction primaire en Limousin sous l'ancien régime. Limoges: Ducourtieux, 1888, p. 38

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l’arbre qui convenait et l’avoir débité en billes, il fallait le façon-ner à sec à la hache, à l’herminette puis au paroir; on entre-prenait ensuite de creuser le sabot avec des tarières et des cuillers afin de l’adapter petit à petit au pied; on achevait le tra-vail avec le boutoir, la rouanne et la rogne à talon. Pour la seule région du Limousin, on a relevé ainsi plus de cent seize petits métiers et artisanats, souvent saisonniers, donc exercés par des paysans n'ayant jamais été scolarisés. Leur diversité même témoigne de l’extrême spécialisation des savoirs qu’ils exigeaient8.

La formation technique se faisait en famille. C’était souvent de père en fils que l’on devenait agriculteur, berger, tonnelier, charpentier ou couvreur. Parfois, plus rarement, un jeune était placé comme apprenti chez un artisan.

En ville, au contraire, la formation des futurs ouvriers ou com-pagnons de l’artisanat se réalisait essentiellement par l’ap-prentissage. Dans certains cas, on exigeait que l’apprenti ait préalablement appris à lire et à écrire, qu’il ait donc été scola-risé. Mais cela ne concernait que les métiers les plus nobles, comme l’imprimerie ou l’orfèvrerie, ceux où les parents de-vaient débourser des sommes considérables pour placer le jeune en apprentissage. Le plus souvent, c'était au maître qu’il appartenait d’instruire l’enfant, de lui apprendre à lire et à écrire.

La famille rurale de l'Ancien régime, tout comme le noyau fa-milial urbain où était accueilli l'apprenti ne constituaient pas seulement des lieux de formation et d'instruction. Ils comp-

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8 Robert Guinot, Métiers et petits métiers d’autrefois en Limousin. Lucien Souny, 1998

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taient un grand nombre de jeunes et d’adultes de diverses gé-nérations, vivant sous le même toit. L’enfant y était intégré dès le plus jeune âge dans le travail agricole, domestique ou arti-sanal. Cette famille pré-industrielle, qu’elle soit rurale-agricole ou urbaine-artisanale, était tout à la fois une communauté de vie et une unité de production. C’est par le travail à la ferme ou à l’atelier, que les enfants étaient instruits dans les techniques de la production et socialisés par l'apprentissage des règles de base de la vie commune.

Aliénation du travailleur envers la technique

Le passage au machinisme, c'est-à-dire au capitalisme indus-triel, va radicalement transformer la nature du travail et, par-tant, la formation des travailleurs. L’ancienne grande famille rurale se trouve désarticulée et remplacée par un petit noyau familial urbain. Et même ce noyau-là se désagrège rapidement avec l’avancée du travail des femmes et des enfants. A l’usine, le vieux paternalisme des patrons des fabriques rurales cède la place à la froide, inégale et éphémère relation contractuelle qui lie le propriétaire des moyens de production et le proprié-taire d’une force de travail, le capital et l’ouvrier. La décompo-sition du travail complexe qu’effectuait jadis un seul ouvrier dans l’atelier ou la manufacture, son remplacement par une multitude d’ouvriers enchaînés aux nouveaux outils de produc-tion et chargés de répéter chacun une tâche simple, parcel-laire, au rythme imposé par la machine, tout cela implique une formidable déqualification des prolétaires. « En substituant les procédés mécaniques à l’habileté manuelle et à la formation professionnelle coûteuse, en permettant à long terme le rem-placement des artisans et des travailleurs du domestic system

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par la foule des manoeuvres de l’usine moderne, [le machi-nisme] ouvre vraiment une ère nouvelle dans l’exploitation et la rentabilité du travail humain»9.

Dans Le Capital, Karl Marx illustre d’un exemple concret, celui des imprimeries londoniennes, comment le machinisme a en-gendré cette déqualification du travail ouvrier. «  [Jadis,] dans les imprimeries anglaises, les apprentis s’élevaient peu à peu, des travaux les plus simples aux travaux les plus complexes. Ils parcouraient plusieurs stages avant d’être des typographes achevés. On exigeait de tous qu’ils sussent lire et écrire. La machine à imprimer a bouleversé tout cela. Elle emploie deux sortes d’ouvriers : un adulte qui la surveille et deux jeunes gar-çons, âgés, pour la plupart, de onze à dix-sept ans, dont la be-sogne se borne à étendre sous la machine une feuille de pa-pier et à l’enlever dès qu’elle est imprimée. Ils s’acquittent de cette opération fastidieuse, à Londres notamment, quatorze, quinze et seize heures de suite, pendant quelques jours de la semaine, et souvent trente-six heures consécutives avec deux heures seulement de répit pour le repas et le sommeil. La plu-part ne savent pas lire. Ce sont, en général, des créatures in-formes et tout à fait abruties. (…) Dès qu’ils sont trop âgés (…) on les congédie et ils deviennent autant de recrues du crime. Leur ignorance, leur grossièreté et leur détérioration physique et intellectuelle ont fait échouer les quelques essais tentés pour les occuper ailleurs ».10

L'industrialisation capitaliste a ainsi radicalement transformé le rapport entre l'homme et la technique, en asservissant le tra-

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9 Rioux 197110 Marx, Le Capital

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vailleur à des processus techniques imposés de lʼextérieur et inaccessibles. Lʼindustrialisation et le machinisme ont établi une barrière, à la fois sociale et intellectuelle, entre la concep-tion des techniques de production et leur utilisation. Désor-mais, le prolétaire nʼagit plus que sous les impératifs de lois (économiques, techniques, scientifiques...) qui échappent à sa compréhension. Il nʼimpose plus son rythme à la machine, cʼest la machine qui lui impose le sien. La non-qualification de lʼouvrier, son ignorance, son abrutissement, deviennent la condition de son «employabilité» dans les nouveaux proces-sus de production.

Marx :« La machine, qui possède le merveilleux pouvoir dʼabréger le travail et de le rendre plus productif, suscite lʼétio-lement de la force de travail en même temps quʼelle la suce jusquʼà la moelle. (...) Il apparaît même que la sereine lumière de la science ne puisse briller que sur l'arrière-fond de l'igno-rance. Toutes nos inventions et tous nos progrès ne paraissent avoir d'autre résultat que de doter de vie et d'intelligence les forces matérielles, et d'abêtir l'homme en le ravalant au niveau d'une force purement physique».11

Lʼinnovation technique nʼest plus un moyen dʼalléger le travail de lʼhomme, elle ne sert plus qu’à relever le degré dʼexploita-tion du travailleur, pour augmenter le profit du capitaliste. Lʼhomme en arrive finalement à se retourner contre la science, contre la technique, quʼil perçoit — souvent erronément — comme la cause de ses malheurs et de son chômage. Mais en sʼopposant à la technique, lʼhomme se tourne contre lui-même,

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11 Marx, K., Discours prononcé lors de la commémoration de l'anniversaire de l'organe chartiste People's Paper, 19 avril 1856, in Werke, 12, p. 3-4

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contre ce qui, durant des millénaires, a fait son humanité. «Lʼhomme est rendu étranger à lʼhomme» (Marx).

C’est une double «aliénation» que subit ainsi l’ouvrier de l’ère industrielle. Comme tous les prolétaires avant lui, il doit vendre une partie de soi-même, sa force de travail, pour survivre. Mais cet ouvrier nouveau se trouve également spolié de la maîtrise intellectuelle du processus de production. Il n’est plus qu’un auxiliaire de la machine. Il se trouve soumis au patronat, non seulement parce qu’il ne possède pas de moyens de pro-duction, mais parce qu’il ne possède même plus la capacité de maîtriser cette production industrielle nouvelle.

Déclin de la formation, mais besoin de socialisation

Il est frappant de constater que, dans un premier temps, le machinisme et la révolution industrielle n’induisirent aucune-ment un développement rapide de l’enseignement scolaire. Les données disponibles pour l’Angleterre, première nation à s’engager dans cette révolution, sont éclairantes. Au milieu du XVIIIe siècle, deux tiers des hommes anglais et 40% des femmes savaient lire. Or, près d’un siècle plus tard, en 1840, on observe que ces taux sont à peu près identiques. Il semble même qu’entre ces deux dates on ait connu d’abord un déclin de l’instruction puis une reprise à partir du début du XIXe siècle.12

Parallèlement on observait fort logiquement un déclin du mode de formation traditionnel que constituait l’apprentissage. Pro-

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12 More 2000

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portionnellement, de moins en moins d’emplois nécessitaient une véritable qualification et, lorsqu’elle était néanmoins indis-pensable, elle s’acquérait souvent «sur le tas». L’apprentis-sage continuait certes d’exister et il se développa même dans certaines petites occupations comme la fabrication d’instru-ments. Mais il déclina rapidement dans les métiers conquis par l’industrialisation et le machinisme, comme le travail du fer et le textile. L’apprentissage perdit également son ancien carac-tère de lieu de socialisation. Désormais il se réduisait, au mieux, à l’acquisition d’un savoir-faire technique rudimentaire, en un temps que les parents du jeune souhaitaient voir aussi court que possible.

Quand, à partir du milieu du XIXe siècle, les sociétés capitalis-tes en voie rapide d'industrialisation décidèrent enfin d'envoyer massivement les enfants des classes populaires à l'école, ce ne fut donc pas d'abord pour répondre à un besoin de forma-tion technique ou professionnelle. Encore moins par souci de démocratie ou d'émancipation.

La véritable raison était à chercher dans cette superbe phrase de Victor Hugo : «Ouvrir une école c'est fermer une prison». L'aliénation intellectuelle du prolétariat, la perte brutale des re-pères culturels pour une population arrachée de la vie rurale et plongée dans la misère urbaine, la désagrégation des lieux traditionnel d’éducation et de socialisation,... tout cela avait fini par provoquer un abrutissement moral des classes populaires. Dans les grandes entités urbaines, où le contrôle social et clé-rical était moins contraignant qu’à la campagne, où les tenta-tions étaient nombreuses, où, surtout, l’exploitation, la misère et les inégalités sociales criantes tendaient à légitimer tout moyen de grappiller un peu de bonheur, une partie du proléta-

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riat s’enfonça dans le vice, l’alcoolisme, la violence, la crimina-lité, la prostitution. Ce faisant, la classe ouvrière ne faisait que refléter la brutalité qu’elle subissait au travail et dans ses con-ditions de vie, mais elle devint aussi une menace pour « l’ordre public ».

A défaut de vouloir s'attaquer aux causes réelles de cette dé-chéance, à savoir les conditions de vie sordides et l'exploita-tion éhontée de la classe ouvrière, la bourgeoisie du XIXe siè-cle envisagea de résoudre le problème par l'éducation. «Edu-cation is the best branch of social police», déclarait John Wade en 1835, «inasmuch as it destroys the chief seeds of crime, want, and ignorance. (...) To send an uneducated child into the world, is little better than to turn out a mad dog or wild beast into the streets».13 Quant au Belge Edouard Ducpétiaux, il es-timait que «le degré d'instruction d'un pays représente toujours d'une manière plus ou moins exacte l'état de sa moralité».14

Socialiser et éduquer les enfants du peuple : telle fut donc, his-toriquement, la première fonction de la scolarisation de masse. L’école est née, non parce que le capitalisme triomphant avait besoin de travailleurs instruits, mais au contraire parce qu’il avait justement besoin d’ouvriers non qualifiés et dociles.

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13 Wade, John. History of the Middle and Working Classes. Wilson, 1835, p 49614 Edouard Ducpétiaux, Des progrès et de l'état actuel de la réforme péni-tentiaire et des institutions préventives aux Etats-Unis, en France, en Suisse en Angleterre et en Belgique (Bruxelles: Hauman, Cattoir et cie, 1837), Tome 3, p 82

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L’école comme appareil idéologique

Aux yeux de beaucoup de progressistes français, Jules Ferry passe encore, de nos jours, pour le brillant fondateur de l’école laïque et républicaine. Mais quelles furent ses motivations  ? Ecoutons-le  : « Si cet état de choses [l’emprise cléricale sur l’école] se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871 ».15 C’est en effet après avoir vécu la débâcle des troupes françaises en 1870 et après avoir participé à l’écrasement sanglant de la Commune de Paris que Ferry fonda l’école républicaine en vue, disait-il, de « maintenir une certaine morale d'État, certai-nes doctrines d'État qui importent à sa conservation ».

Au même moment le Roi des Belges, Leopold II, plaidait la cause de l’enseignement obligatoire en ces termes : « L’ensei-gnement donné aux frais de l’État aura pour mission, à tous les degrés, d’inspirer aux jeunes générations l’amour et le res-pect des principes sur lesquels reposent nos libres institutions. »

Dans le dernier tiers du XIXe siècle, la mission d’éducation de l’école prit ainsi un contenu de plus en plus marqué sur le plan idéologique. L’industrialisation rapide avait donné forme et consistance au « spectre » qui hantait la vieille Europe : une classe ouvrière nombreuse, disciplinée par l’industrie, de

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15 cité par Foucambert, 1986

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mieux en mieux organisée, et qui se dotait d’une idéologie dangereuse pour le pouvoir : le socialisme.

A cette menace interne vint rapidement s’ajouter une menace extérieure : la formidable concentration industrielle qui a carac-térisé les années 1870 à 1914, a fait entrer le capitalisme dans l’ère des grandes puissances impérialistes. A l’aube du XXe siècle, l’économiste allemand Rudolf Hilferding, écrivait  : «La nécessité d’une politique expansionniste révolutionne la vision du monde de la bourgeoisie, qui cesse d’être pacifiste et hu-maniste. Les vieux libre-échangistes croyaient que la liberté du commerce était non seulement le meilleur des systèmes éco-nomiques, mais aussi le début d’une ère de paix. Mais le capi-tal financier a abandonné cette croyance depuis longtemps. Il n’a aucune confiance dans l’harmonie des intérêts capitalistes; il ne sait que trop bien que la compétition est devenue une question de lutte de pouvoir politique. L’idéal de paix a perdu de son lustre et en lieu et place de l’idéal humaniste nous voyons l’émergence d’une glorification de la grandeur et du pouvoir de l’Etat».16

Il ne suffisait plus, dans ces conditions, que l’école apprenne à lire, à écrire et à respecter les préceptes moraux ou religieux. Désormais, elle devait enseigner l’amour de la patrie et des institutions. L’histoire, la géographie firent donc leur entrée dans les programmes. En Allemagne, l’empereur Guillaume II, aux prises avec la montée des forces socialistes décrivait en ces termes comment il voyait les nouvelles missions de l’en-seignement obligatoire : «Schon längere Zeit hat mich der Ge-danke beschäftigt, die Schule in ihren einzelnen Abstufungen

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16 Hilferding, cité par Brewer 1990

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nutzbar zu machen, um der Ausbreitung sozialistischer und kommunistischer Ideen entgegenzuwirken. In erster Linie wird die Schule durch Pflege der Gottesfurcht und der Liebe zum Vaterlande die Grundlage für eine gesunde Auffassung auch der staatlichen und gesellschaftlichen Verhältnisse zu legen haben».17

Formation et sélection de la main d’oeuvre

Alors qu’elle avait été, au XIXe siècle, un appareil de sociali-sation et un appareil idéologique au service de l’Etat, l’école du peuple se transforma progressivement, au cours du siècle sui-vant, en instrument de formation au service direct de l’écono-mie.

Dès avant la première guerre mondiale, les progrès des tech-nologies industrielles, la croissance des administrations publi-ques et le développement des emplois commerciaux firent re-naître une demande de main d’œuvre davantage qualifiée. Certes, pour la majorité des travailleurs, une socialisation de base suffisait toujours ; mais un nombre croissant d’entre eux devaient désormais acquérir un savoir-faire spécialisé : méca-niciens, électriciens, dactylos, opérateurs de TSF... La de-mande était telle qu’un retour à l’apprentissage traditionnel n’aurait pu suffire. Le système éducatif s’ouvrit alors à des sec-tions « modernes », techniques ou professionnelles. On y re-

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17 Erlaß Kaiser Wilhelms II. vom 1.5.1889, in: Verhandlungen über Fragen des höheren Unterrichts. Berlin, 4.-17. Dezember 1890. Im Auftrage des Ministers der geistlichen, Unterrichts- und Medizinal- Angelegenheiten, Ber-lin 1891, S. 3-5.

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cruta la « crème » des fils et des filles de la classe ouvrière, afin d’en faire les ouvriers spécialisés, les techniciens, les em-ployés et les fonctionnaires que réclamait la société. Ce fut l’ère de la « promotion sociale » par l’école. L’école devint ainsi un instrument essentiel dans la production des forces de tra-vail. Mais également dans leur sélection et leur hiérarchisation, sur une base méritocratique.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, dans un con-texte de croissance économique forte et durable, d’innovations technologiques lourdes et de long terme – électrification des chemins de fer, infrastructures portuaires et aéroportuaires, autoroutes, nucléaire, téléphonie, pétrochimie –, le rôle éco-nomique de l’École s’imposa résolument au premier plan. Le succès économique exigeait maintenant d’élever le niveau gé-néral de formation des travailleurs. Et il fallait aller vite. Dans l’urgence, ce qui avait été, jadis, l’école secondaire de l’élite, à savoir l’enseignement général des athénées et des lycées, ou-vrit ses portes — du moins celles de ses premières années — aux enfants d’extraction populaire.

La massification de l’enseignement secondaire qui en découla prit parfois des allures de démocratisation des études. Mais la sélection qui ne s’opérait plus lors du passage du primaire au secondaire, il fallu pourtant bien l’effectuer plus tard. C’est-à-dire à l’intérieur même de l’enseignement secondaire. Dans la plupart des pays, cela signifia la mise en place d’une sélection négative, d’une sélection basée sur l’échec scolaire. On n’orienta plus vers l’enseignement qualifiant les «  meilleurs éléments » des classes populaires, mais « les moins bons élè-ves » de l’enseignement général. Mais par un miracle pédago-

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gique remarquable, cette sélection s’avéra être toujours une sélection basée sur l’origine sociale.

Marchandisation

Depuis la fin des années 1980, avec l’entrée du capitalisme mondial dans l’ère de la globalisation et des cycles de crises à répétition, les demandes du monde économique par rapport au système d’enseignement connaissent de nouvelles mutations. L’école est sommée de changer, afin de mieux s’adapter aux attentes des employeurs.

Trois éléments essentiels marquent cette rupture.

Premièrement, la mondialisation a induit une compétition entre les Etats pour attirer les investisseurs, donc pour diminuer la charge fiscale sur les capitaux, les revenus mobiliers, les hauts salaires et les bénéfices des entreprises. Ainsi, les marges de manoeuvre budgétaires de l’Etat diminuent ce qui soumet les politiques d’enseignement à une forte contrainte d’austérité.

Deuxièmement, le glissement des emplois de l’industrie vers les services ainsi que le développement technologique indui-sent, dans les économies « avancées », une polarisation du marché du travail. « Les plus fortes créations d’emplois doivent être attendues, d’une part, dans les postes de management et les emplois professionnels et techniques de très haut niveau, mais, d’autre part, également dans les emplois du secteur des services exigeant une qualification moyenne ou faible ».18

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18 Sels, L. et al., 2006. Inzetten op competentieontwikkeling. Discussietekst gericht op de ontwikkeling van een Competentieagenda

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Enfin, troisièmement, l’instabilité économique ainsi que le rythme effréné de l’innovation technologique, mais surtout le caractère anarchique de l’économie capitaliste, rendent im-possible toute politique prévisionnelle en matière de formation et de qualification. Dans ce contexte, la majorité des em-ployeurs sont moins demandeurs de qualifications précises et pointues que d’une vague « employablité », que doivent garan-tir les «  compétences de bases  » et la flexibilité des tra-vailleurs. Nous avons déjà vu précédemment comment l’OCDE et son enquête PISA servent précisément à pousser les systèmes éducatifs sur cette voie. Nous comprenons mieux aussi, dans ce cadre, l’engouement officiel pour la conception éducative19 fondée sur l’ «approche par les compétences »

Cette mise en adéquation de l’enseignement avec les attentes des employeurs constitue l’une des formes de la « marchandi-sation » de l’école, à savoir sa mise au service des marchés. Ce mouvement englobe de multiples aspects : la privatisation marchande de l’enseignement, l’investissement privé dans des activités de soutien scolaire, la mise en concurrence des éta-blissements, leur gestion managériale sur le mode de l’entre-

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19 Nous disons «conception éducative» et non «pédagogie» parce que la plupart des défenseurs de l’APC eux-mêmes se défendent d’être les porte-paroles d’une pédagogie. Et en effet, l’APC ne dit nullement comment il convient d’enseigner mais apporte une réponse à la question «que faut-il enseigner».

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prise privée, la conquête de l’école par les annonceurs publici-taires et autres spécialistes du marketing, etc...20

Mystification technologique

Un aspect particulier de la marchandisation mérite qu’on s’y arrête ici, car il concerne directement les contenus enseignés : il s’agit de l’entrée des technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’école. Celle-ci répond évidemment pour partie à une exigence du marché du travail. Même les personnes occupant des postes à faible niveau de qualification doivent désormais posséder une certaine «alphabétisation numérique», leur permettant d’exploiter de façon élémentaire les logiciels bureautiques les plus courants : traitement de tex-tes, tableur, courrier électronique, etc. Mais l’entrée des TIC à l’école procède également du formatage du consommateur.

Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, avec lʼentrée dans la «société de consommation», le capitalisme a en effet franchi un pas supplémentaire dans lʼaliénation de lʼhomme envers la technologie. Désormais ce nʼest plus seulement comme tra-vailleur, mais aussi dans notre vie quotidienne que nous avons perdu la maîtrise de notre environnement technique. Lʼobjet technologique a été enrobé dʼune mystique qui le rend tout à la fois étranger, incompréhensible, et infiniment désirable en tant quʼobjet de convoitise et de possession. La technologie sert

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20 Pour une analyse globale de la marchandisation de l’enseignement, on lira notamment Nico Hirtt, Les nouveaux maîtres de l’école, ed. Aden, Bruxelles 2005. Pour une critique de la conquête commerciale de l’école, on lira Nico Hirtt et Bernard Legros, L’école et la peste publicitaire, éditions Aden, Bruxelles, 2007.

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désormais à créer ce que Herbert Marcuse appelait de «faux besoins» et dont il décrivait en ces termes la dimension idéo-logique :

« Les moyens de transport, les communications de masse, les facilités de logement, de nourriture et dʼhabillement, une pro-duction de plus en plus envahissante de lʼindustrie des loisirs et de lʼinformation, impliquent des attitudes et des habitudes imposées et certaines réactions intellectuelles et émotionnelles qui lient les consommateurs aux producteurs (...) Les produits endoctrinent et conditionnent ; ils façonnent une fausse con-science, insensible à ce quʼelle a de faux. Et quand ces pro-duits avantageux deviennent accessibles à un plus grand nombre dʼindividus dans des classes sociales plus nombreu-ses, les valeurs de la publicité créent une manière de vivre. (...) Ainsi prennent forme la pensée et les comportements uni-dimensionnels» 21

Jadis, lʼhomme était un concepteur de techniques. Le capita-lisme est en train d’en faire un consommateur-adorateur d’ob-jets technologiques. Ce faisant, le système crée de la techno-logie, non pas pour répondre aux besoins pressants de lʼhu-manité, mais uniquement en fonction de la capacité d’induire de nouveaux besoin chez les publics solvables. Ainsi, comme lʼécrit André Lebeau, « L'offre technique suscite une extension de la demande, qu'elle soit individuelle ou collective, bien au-

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21 Marcuse, H., 1964. L'homme unidimensionnel: essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée, Editions de minuit. p 36.

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delà de ce qu'exige la satisfaction des besoins élémentai-res »22.

A l’ère des crises économiques à répétition, il est crucial pour l’industrie d’entretenir notre soif de consommer. Et l’école oc-cupe une position clé dans les stratégies mises en oeuvre à cette fin. Lʼintroduction massives des technologies de lʼinfor-mation et de la communication dans l’enseignement dans les années 1995-2000 nous en offre un exemple particulièrement éclairant.

Vers la fin des années 80, quelques pédagogues éclairés avaient tenté dʼintroduire lʼordinateur à lʼécole comme outil de construction de savoirs. Ils utilisaient par exemple des langa-ges de programmation simples (du type Logo) afin d’amener les élèves à développer leur capacité dʼanalyse et dʼabstrac-tion. Dans ces démarches, lʼélève pénétrait au coeur de cette technologie nouvelle : il en appréhendait lʼessence en compre-nant ce que signifie le traitement automatisé et programmé de lʼinformation. Mais très rapidement, surtout à partir du milieu des années 90, ce louable objectif fut dépassé par un double enjeu économique des TIC scolaires. Premièrement, si le mar-ché du travail regrettait bien sûr le manque dʼinformaticiens, il réclamait surtout des employés flexibles. Peu importe quʼils sachent programmer, du moment quʼils sachent utiliser un trai-tement de texte, un logiciel comptable et internet : chaque em-ployé devenait ainsi un peu sténo, dactylo, opérateur télex et comptable. Deuxièmement, le marché des TIC lui-même re-présentait un enjeu crucial : cʼest là que les investisseurs des

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22 André Lebeau, L'enfermement planétaire, Le Débat/Gallimard, 2008, p 78

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années 1990 crurent trouver leur nouvel Eldorado. Lʼécole sui-vit le mouvement et la salle dʼinformatique cessa bien vite dʼê-tre ce lieu de bouillonnement créatif où lʼon apprenait à forger des outils logiciels, pour devenir un espace dʼinitiation à la cul-ture Windows.

Contradictions

Nous avons vu comment, sous l’effet complexe du dévelop-pement des techniques de production — vapeur, machine, électricité, chimie, mécanique, électronique, automatisation, robotique, informatique, communication — les fonctions de l’enseignement ont évolué  : éduquer et socialiser l’enfant, lui inculquer l’amour de la patrie et des institutions en place, sé-lectionner et former la main d’oeuvre spécialisée dont les en-treprises auront besoin, assurer la reproduction des classes sociales d’une génération à l’autre, assurer les compétences de base qui doivent constituer le socle de qualification com-mun à tous les travailleurs, préparer le consommateur à l’utili-sation des nouveaux produits, devenir enfin un vecteur du commerce et un secteur d’investissement lucratif.

Pour simplifier, nous avons présenté chacune de ces fonctions comme apparaissant à une époque donnée. L’image est sans doute un peu caricaturale. Il est plus exact de considérer que toutes les missions que nous venons d’énumérer sont présen-tes conjointement depuis qu’existe l’école de masse, donc de-puis le 19ème siècle, mais leur importance relative a changé au fil du temps : ce qui était l’aspect principal de l’école à une époque donnée, devient secondaire à une autre époque.

Qu’as-tu appris à l’école ? !  47

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Reproduction sociale et formation des élites

Une autre nuance s’impose. L'école dont nous avons parlé jusqu’à présent est le système éducatif conçu pour l'instruc-tion, l'éducation et la formation des enfants du peuple, les en-fants du prolétariat, cette classe d'hommes qui font vivre le ca-pitalisme en lui vendant leur force de travail. Mais à côté de cette école-là, il y en a une autre. Celle chargée de former les élites sociales, les futurs dirigeants des entreprises et de l'Etat. Or, lorsque nous disons que cette deuxième école est «à côté» de la première, il faut l’entendre de façon purement théorique. En réalité, il arrive fréquemment que ces deux systèmes d'en-seignement se chevauchent durant un certain temps ou en certains lieux. Même si, par le jeu de la ségrégation sociale entre les établissements scolaires, par la mécanique complexe des réseaux et des filières, les classes sociales et les destins sociaux restent clairement séparés, il arrive néanmoins que riches et pauvres, classes moyennes et classes populaires, classes moyennes et classes bourgeoises, se retrouvent sur les mêmes bancs d’école.

Ces divergences d’attentes, ne manquent pas de susciter des contradictions, qui seront souvent au coeur des débats éduca-tifs.

Il y a, par exemple, contradiction entre les conceptions qui prévalent pour l’éducation de l’élite et celle du peuple. «L’école bourgeoise, disait Anatole Lounatcharski, est tiraillée entre l’idéal de l’individualiste chez lequel poussent des crocs de fauve, et l’idéal de l’homme discipliné, alias esclave, et elle ne

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peut pas s’en dépêtrer»23. Comment concilier dans un même système d’enseignement, l’éducation aux valeurs fondamenta-les que réclame la bourgeoisie pour ses propres enfants — liberté individuelle, assurance et réussite personnelle — avec la nécessité d’inculquer aux futurs travailleurs des valeurs comme la discipline de travail, l’obéissance, la modestie dans les aspirations sociales ?

Il y a contradiction encore entre les intérêts économiques et les besoins politiques. Comment accorder suffisamment d’im-portance à l’éducation idéologique et à la socialisation du ci-toyen, si nécessaires à la survie politique du système, alors que cela devra se faire au détriment de la qualification profes-sionnelle, si vitale pour la compétitivité ? Et comment amener tous les travailleurs à un haut niveau de savoir et de technicité tout en reproduisant une stricte hiérarchie au sein même de la main-d’oeuvre  ? Il y a contradiction également entre les be-soins à court terme et à long terme : faut-il favoriser l’exploita-bilité immédiate de la main-d’oeuvre ou son adaptabilité ?

Les intérêts collectifs de la classe possédante peuvent égale-ment être opposés aux intérêts particuliers des familles qui la composent : la bourgeoisie belge contemporaine peut très bien souhaiter collectivement une meilleure école pour les enfants des classes populaires (parce qu’elle en a besoin en termes de formation de la main d’oeuvre et de paix sociale), mais au-cune famille bourgeoise particulière n’est pas prête à en faire les frais par l’abandon des privilèges dont elle jouit sur le mar-ché scolaire.

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23 Lounatcharski A., De l’école de classe, in A propos de l’éducation, Edi-tions du Progrès, Moscou, 1984.

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Pourtant, bien plus encore que de tous ces tiraillements entre les diverses fonctions du système éducatif bourgeois, il faut prendre conscience de ce que d’autres besoins importants, d’autres intérêts vitaux des classes dominantes, s’opposent diamétralement aux progrès de la scolarisation.

Si le capitalisme a besoin que son système d'enseignement lui fournisse les travailleurs et les citoyens adaptés à son écono-mie, il n’est pas prêt pour autant à ce que ce soit au prix de dépenses excessives. Investir dans l’éducation  ? D’accord, mais juste ce qu’il faut !

Le frein au développement du système éducatif peut égale-ment participer d’une volonté politique visant à limiter stricte-ment le rôle de l'Etat. La bourgeoisie a besoin d’un appareil d’Etat pour asseoir et protéger sa domination ainsi que pour réguler la société sur le plan économique, social et politique. Mais elle a surtout besoin d’espaces de liberté pour y dévelop-per son commerce et son industrie. Voici en quels termes le Belge De Brouckère s'opposait, en 1859, à l'instruction obliga-toire :

« Si vous obligez le père de famille à envoyer dès le matin son enfant à l’école, vous ne pouvez pas l’obliger à l’y envoyer à jeun; vous devez tout au moins lui assurer un morceau de pain; avant qu’on puisse exercer l’intelligence, il faut commen-cer par nourrir le corps. Or, ce serait là du socialisme, du communisme, dont je ne veux à aucun point de vue. »24

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24 Cité par De Clerck K., Momenten uit de geschiedenis van het Belgisch onderwijs, De Sikkel, Antwerpen, 1975 p. 32.

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Et puis, la peur de manquer de main-d’oeuvre peut également faire craindre l’excès d’instruction. Tant que l'enfant fréquente l'école, il n'est pas disponible sur la marché du travail. Cette vérité toute simple fut, dans la majorité des pays capitalistes modernes, le frein principal à l’introduction de l'enseignement primaire obligatoire au XIXème siècle. Le capitalisme en ex-pansion réclamait des enfants pour ses fabriques et ses mi-nes. Il n'en fallut pas plus, en Belgique notamment, pour que les portes des écoles leur restent fermées pendant longtemps.

Surtout pas trop d’instruction !

Mais surtout, aux yeux des classes dirigeantes, l'excès d’en-seignement et de savoir peuvent représenter des dangers pour l'ordre établi. La scolarisation ne va-t-elle pas faire naître, dans le chef des travailleurs, des « aspirations inconsidérées » ?

En 1816, le clairvoyant ministre français Guizot estimait que «l’ignorance rend le peuple turbulent et féroce, elle en fait un instrument à la disposition des factieux empressées à se servir de cet instrument terrible. (...) Alors se manifestent, dans les classes inférieures, ce dégoût de leur situation, cette soif de changement, cette avidité déréglée que rien ne peut plus ni contenir ni satisfaire»25. Mais trente ans plus tard, après la ré-volution de 1848, Adolphe Thiers, le futur massacreur de la Commune, rétorquait que «les ouvriers les plus instruits et qui gagnent le plus qui sont tout à la fois et les plus déréglés dans

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25 Guizot, F., 1816. Essai sur l’histoire et sur l’état actuel de l’instruction publique en France, Paris: Maradan

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les moeurs et les plus dangereux pour la paix publique»26. Et de conclure que «lire, écrire, compter, voilà  ce  qu’il faut ap-prendre, quant au reste, cela est superflu. Il faut bien se garder surtout d’aborder à l’école les doctrines sociales, qui doivent être imposées aux masses »27.

En Belgique, Charles Woeste, le président du parti catholique, partageait les mêmes craintes en 1908, quand il intervint à la Chambre pour tenter encore de s'opposer à l'inéluctable en-seignement obligatoire  : «  Nous voulons préserver l’intelli-gence et l’âme de nos enfants de la contagion des mauvaises doctrines; nous avons peur de leur empoisonnement  »28. Et quand Guillaume II voulut moderniser le système scolaire al-lemand, des conseillers l’avertirent : « Votre majesté, vous ris-quez de commettre une énorme erreur. Des écoles profes-sionnelles sortiraient sans doute de meilleurs spécialistes mais de bien plus mauvais sujets de la couronne »29.

De tout temps, la bourgeoisie a ainsi cherché à limiter l'accès de la classe ouvrière à l’enseignement, parce que, comme le dit si bien Bernard Charlot, «  la qualification donne force à l'ouvrier pour revendiquer sur le salaire et les conditions de travail et nourrit les aspirations sociales et politiques de la classe ouvrière »30.

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26 Cité par Cogniot, G., 1948. La question scolaire en 1848 et la loi Falloux, Éditions Hier et aujourd’hui27 Cité par Terral, H., 1998. Les savoirs du maître, Editions L’Harmattan28 De Clerck, op. cit. p 8629 Cité par Lounatcharski, op. cit., p. 4030 Charlot B., L’Ecole en mutation, Payot, Paris, 1987, p. 64.

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Surtout pas de formation polytechnique

Cette dernière contradiction prend une forme spécifique s’agissant de la formation technique des futurs travailleurs.

Dès le milieu du XIXe siècle, de nombreux auteurs tels Karl Marx annoncèrent que l’ère du machinisme et de la grande in-dustrie allait entrainer un besoin en main d’oeuvre beaucoup plus polyvalente. D’un point de vue strictement technique et économique, il serait de l’intérêt des industriels de disposer de travailleurs ayant une vue d’ensemble sur les processus de production, sur leur intégration dans la production globale, ca-pables de réagir aux situations imprévues avec l’intelligence nécessaire.

Au XIXe siècle comme aujourd’hui, la rationalité technique au-rait voulu qu’une moins forte demande de spécialistes soit compensée par une plus grande polyvalence. Seulement voi-là  : une formation polytechnique serait non seulement cou-teuse mais également dangereuse pour le système.

Depuis le début du XIXe siècle, les technologies de la produc-tion ont connu un développement extraordinaire. Parfois ces progrès ont entraîné de nouveaux besoins en matière de qua-lifications de masse — dans lʼélectricité et la mécanique aux années 1900 à 1940 ou dans lʼélectronique à lʼépoque des Trente Glorieuses. Parfois, au contraire, ils ont tendu davan-tage à induire une déqualification du travail — avec le machi-nisme au début du XIXe siècle ou avec les technologies de lʼinformation et de la communication aujourd’hui. Il peut donc arriver, selon les époques, les lieux, les secteurs, que le capi-talisme lui-même exprime le souhait dʼune formation technique plus développée.

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Mais jamais il ne sʼengage sur la voie dʼun véritable ensei-gnement polytechnique, quʼil juge inutile et dangereux. Inutile parce que les besoins à court terme en formation technique ont toujours été des besoins en main dʼoeuvre spécialisée (électriciens, mécaniciens, électroniciens...). A long terme le capitalisme pourrait sans doute trouver son intérêt dans une formation plus polytechnique, mais lʼessence même du capita-lisme est de nʼenvisager des décisions quʼà lʼhorizon des pers-pectives de rendement à court terme. Une formation polytech-nique est également fondamentalement dangereuse pour le système. Cʼest le point que nous allons développer longue-ment ci-dessous puisquʼil constitue, par effet miroir, la raison même de notre attachement à lʼinstruction polytechnique : elle ouvre à la compréhension du monde, parce quʼelle éclaire lʼin-fluence des évolutions techniques sur les évolutions de socié-té; elle sensibilise les jeunes aux dangers potentiels de lʼinno-vation technique et développe leur sens critique à cet égard; elle développe la capacité de comprendre et de créer des ob-jets techniques; elle est enfin un élément essentiel de sociali-sation.

Dès lors, l’aliénation, la déshumanisation de nos rapport à la technologie, nous la retrouvons aussi dans lʼécole. La techno-logie nʼy est présente que dans la mesure où elle répond aux stricts besoins dʼune formation spécialisée (dans lʼenseigne-ment qualifiant) ou à lʼadaptation du producteur et du con-sommateur aux évolutions du marché.

Malgré quelques timides tentatives dʼintroduction de cours de technologie pour tous, le rapport scolaire à la technique a été souvent réduit à la maîtrise passive des outils et confiné dans les filières de relégation. Ainsi, lʼacte productif se trouve stig-

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matisé comme «vulgaire», réservé à ceux qui nʼauront pas réussi dans les filières réputées «nobles». Seules quelques élites universitaires ont droit à une formation de type «poly-technique», qui reste essentiellement théorique, mais qui per-met aux futurs dirigeants de jeter un regard dʼensemble sur les processus de production. Ils sʼen servent pour assurer leur domination de classe.

Voilà pourquoi, « La classe bourgeoise n’a pas les moyens ni l’envie d’offrir au peuple une éducation véritable  ». (Karl Marx)31

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31 Marx K., Travail salarié et Capital (manuscrit annexe); in Marx et Engels, Critique de l'éducation et de l'enseignement, Maspero, Paris, 1976.

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Pédagogie de la libérationL’enseignement comme instrument de transformation sociale

Le discours officiel sur l'enseignement camoufle très largement les fonctions réelles de l'école. Il y est question d'émancipation — quand il ne s'agit souvent que de socialiser et d'adapter au marché du travail. Il y est question d'égalité des chances alors qu'il s'agit en réalité de sélection et de reproduction sociale. Il y est question de citoyenneté quand on entend inculquer le res-pect du système économique et social existant. On parle en-core de "développer la personnalité de chacun", alors qu'on prépare chacun à accepter la place que sa naissance lui des-tine dans la hiérarchie sociale.

En vérité il n’y a là rien de surprenant. L’école est simplement à l’image et au service de la société qui lui a donné naissance. De tous temps et en tous lieux, le système éducatif est une instance de reproduction des conditions d’existence de la so-ciété. Celle-ci a-t-elle besoin de citoyens-soldats ? L’école de-vient une institution spartiate ou une Napola32 nazie. La socié-té réclame-t-elle des travailleurs qualifiés ? L’enseignement les forme. Demande-t-elle des révolutionnaires et des leaders marxistes ? On inculque le matérialisme historique ou le petit Livre Rouge. Les classes dirigeantes ont-elles à craindre la concurrence sociale de classes émergentes  ? La hiérarchie scolaire pourvoit à la sélection sociale. Bref, l’école, comme

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32 Les Napola ou Nationalpolitische Erziehungsanstalten, étaient les écoles d’élite dans l’Allemagne hitlérienne.

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système, a toujours été chargée de contribuer à reproduire les conditions sociales, idéologiques, économiques, culturelles nécessaires à la survie de la société.

Quel est ce monde que l’on nous demande de reproduire ?

Penchons-nous donc un instant sur cette société que l’on nous charge aujourd’hui de reproduire; cette société à laquelle on nous demandé de «préparer» les jeunes, afin qu’ils y trouvent «leur place» et qu’ils s’y «intègrent harmonieusement».

Le monde entier, ou presque, se trouve désormais dominé par des rapports de production fondés sur le capitalisme. Cela si-gnifie que la plus grande partie de l’activité — agricole, de pro-duction industrielle, de services, de recherche,... — est orienté sur un unique objectif : l’accumulation de capital. On ne cons-truit des usines, des bureaux, des magasins, des cliniques ou des ateliers, on n’exploite des terres, des mines, des carrières, on n’emploie des travailleurs qu’à une condition : que l’inves-tisseur ait la garantie raisonnable de retrouver un an ou dix ans plus tard son capital augmenté d’une solide plus-value.

Pour la très grande majorité des faiseurs d’opinions et des di-rigeants politiques ou économiques, ce mode d’organisation de la société est le seul possible ou le meilleur ou, en tout cas, le moins mauvais. Qu’en est-il ? La victoire mondiale du sys-tème capitaliste a-t-elle rendu la planète plus viable ? Et ses habitants plus heureux ?

On estime qu’aujourd’hui, 150 millions d'enfants dans le monde vivent seul, sans parent et sans qu’aucune institution

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publique ne veuille ou ne puisse les accueillir. Selon le Pro-gramme des Nations unies pour le développement (PNUD), un milliard de personnes survit avec moins d'un dollar par jour. Plus d’un milliard n'ont pas d'eau potable. 2,4 milliards n’ont pas accès à des sanitaires. Pour n’importe quelle personne dotée d’un minimum de sens de la justice et d’intelligence, on devrait avoir là trois priorités du «développement» et de la «croissance». Mais dans une économie de marché capitaliste, leur résolution n’a aucune espèce d’importance.

L’incapacité de ce système à répondre aux besoins de l’huma-nité est même de plus en plus grande. Depuis des décennies, grâce aux progrès techniques dans l’agriculture et grâce aux réalisations du socialisme chinois dans le domaine agricole, le nombre de personnes ne mangeant pas à leur faim avait recu-lé régulièrement. Depuis 1995-1997, il croît à nouveau. Même en Chine, les formidables progrès du dernier demi siècle stag-nent désormais : le nombre de personnes trop peu nourries ne parvient pas à descendre sous la barre des 140 millions.33

Pendant que l’économie globalisée accumule la misère d’un côté, elle permet à d’autres de s’enrichir. Selon Forbes, notre planète compte 793 milliardaires en dollars. Cette poignée d'individus possède, ensemble, 2.600 milliards de dollars. Le Comité pour l’Annulation de la dette du tiers-monde (CADTM) rappelle que cela correspond à l'équivalent de la dette exté-rieure de l'ensemble des pays du Tiers-Monde (CADTM).

Ce chiffre-ci est plus connu : 20% de riches contrôlent 85% des fortunes et des ressources. Cette information qui a fait le tour du monde figure sans doute dans de nombreux cours de

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33 Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète.

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science humaine préparés par des enseignants progressistes. Elle provenait de l'un des premiers rapports du PNUD. Ce qu'on sait moins, c'est qu'aujourd'hui ce ne sont plus que 10% de riches qui contrôlent 85% des richesses mondiales. Selon le PNUD, en 1990, l'Américain moyen était 38 fois plus riche que le Tanzanien. Aujourd'hui, il est 61 fois plus riche.

Avec la mondialisation, la tension croissante des inégalités nord-sud finit par s’infiltrer au coeur des nations les plus ri-ches. Aux Etats Unis, selon l'Economic Policy Institute, entre 1979 et 2000, le revenu réel des foyers situés dans le cin-quième le plus pauvre de la population a crû de 6,4%, tandis que celui des ménages du cinquième supérieur a crû de 70%.

Comme l’écrit Jean Ziegler : «Dans la perception des peuples du Sud, l'actuel ordre du capital occidental globalisé avec ses mercenaires de l'Organisation mondiale du commerce, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, ses sociétés transcontinentales privées et leur idéologie néolibé-rale, représentent le dernier, de loin le plus meurtrier, des sys-tèmes d'oppression advenus au cours des cinq siècles passés».34

N’allez pas croire que cette injustice serait simplement le résul-tat d’une idéologie ultralibérale, qui serait aujourd’hui aux commandes du capitalisme mondial. L’idéologie n’a rien à voir la dedans. Quand ses intérêts l'exigent, le capital n'hésite pas une seconde à fouler aux pieds ses propres dogmes. Ainsi, lorsque les représentants de paysans maliens, burkinabés et béninois demandèrent aux dirigeants de l'OMC de condamner les Etats-Unis pour ses pratiques de dumping, qui détruisent le

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34 Jean Ziegler, La Haine de l'Occident, p 123.

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marché africain du coton, Pascal Lamy leur répondit : «l'OMC n'est pas une agence de développement».35

L’incapacité du capitalisme à répondre aux besoins les plus criants en exacerbe les contradictions. Le système croule sous les capitaux excédentaires et la surcapacité de production, les taux de plus-value s’effondrent à l’échelle mondiale. Dès lors, les crises financières, budgétaires, boursières se succèdent à un rythme de plus en plus rapide.

A la gravité de la fracture sociale, aux crises économiques, à la pauvreté, au chômage de masse viennent désormais s’ajouter des enjeux environnementaux d’une urgence inouïe  : l’épui-sement des ressources de la planète, en particulier la fin de l’ère pétrolière, et le changement climatique.

Il y a plus de quinze ans, Albert Jacquard résumait déjà la si-tuation explosive de l'humanité : «nous sommes cinq milliards; avant moins d'un siècle nous serons le double, mais les res-sources de la planète limitent à moins de un milliard le nombre des hommes jouissant du mode de vie de l'Occidental moyen».36

Désormais, pour Hervé Kempf, «nous sommes entrés dans un état de crise écologique durable et planétaire. Elle devrait se traduire par un ébranlement prochain du système économique mondial». Selon cet auteur, le chaos de la Nouvelle Orléans en 2005 préfigure ce qui nous attend à grande échelle. Les ten-sions et crises écologiques, entretiennent également les me-

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35 Kempf op. cit.36 Albert Jacquard, J'accuse l'économie triomphante, p 13

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naces de guerres locales et globales, sous couvert d’affronte-ments religieux ou idéologiques. Que l’on pense par exemple à la problématique de l’approvisionnement en eau potable.

L’enseignement, sauveur suprême ?

A première vue, on pourrait se dire que tout ce qui précède n’augure rien de bon pour les attentes que nous pourrions pla-cer dans l’enseignement. S’il est vrai que les inégalités crois-santes et les menaces environnementales sont les produits nécessaires d’un système économique et non les résultats ac-cidentels de ses dysfonctionnement, on voit mal comment un peu plus d’équité scolaire pourrait résoudre le problème. Quand bien même le système éducatif devait fonctionner par-faitement, cela suffirait-il à garantir l'équité sociale le respect de la nature et la démocratie ?

Il va falloir s’élever bien au-dessus des platitudes habituelles sur le « développement de la personne », les «chances éga-les» ou la « préparation à l’insertion professionnelle ». Dans notre société, le travail et les richesses sont l’objet d’une com-pétition sans merci. Certes, ceux qui bénéficient du meilleur enseignement ont, statistiquement, les meilleures chances d’accéder à l’emploi et aux parcelles de bonheur qu’ils peuvent espérer en retirer. Pour autant, l’amélioration des chances de tous ou de quelques uns, ne peut constituer une politique puisqu’elle ne change rien à la quantité d’emplois ou de ri-chesses disponibles. L’enseignement détermine, dans une cer-taine mesure, qui sera riche et qui sera pauvre ; mais il ne peut en aucun cas changer, directement, la part relative des riches et des pauvres.

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A développer :

L’école, même si elle devait assurer des chances égales de réussite scolaire, ne peut pas pour autant assurer l’égalité so-ciale. L’exploitation reste. Les autres instances de reproduction restent également.

L’école ne peut pas résoudre les problèmes d’emploi. Même si l’accès aux diplômes se développe, cela ne crée pas davan-tage d’emplois qualifiés.

Conclusion: l'école ne peut pas rendre juste, une société in-juste

Savoirs et émancipation collective

L’école ne changera donc pas cette réalité toute simple : le ca-pitalisme n’est pas amendable. Si nous voulons éviter que ce système continue de nous conduire au chaos, à la misère, à la décadence culturelle et à la violence généralisée, c’est ce sys-tème lui-même qu’il faut changer.

« Un autre monde est possible » affirment depuis deux décen-nies crient les jeunes et moins jeunes «altermondialistes» ou «indignés». Ils ont raison d’y croire. Un autre monde n’est pas seulement possible, il est terriblement urgent.

Mais il ne tombera pas du ciel. Il faudra d’abord le penser, dé-velopper les stratégies de changement, convaincre, unir des forces, mener de longues et difficiles luttes sociales et politi-ques... Et puis surtout, il faudra bien un jour le bâtir ce monde

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nouveau  ! Cela nécessitera de l’organisation, de la mobilisa-tion, de la détermination. Cela nécessitera aussi, surtout, la mise en œuvre de connaissances, de compétences pratiques, d’attitudes, bref de savoirs ! Et si nous prétendons que les dé-cisions, les luttes et finalement le fonctionnement du monde nouveau seront démocratiques, alors il faudra aussi que ces savoirs soient universellement partagés.

La révolte ne suffit pas. C’est pourquoi nous avons besoin d’une école qui puisse apporter au plus grand nombre et en particulier à ceux qui seront les exploités, les exclus, les prolé-taires de demain, un vaste bagage de connaissances généra-les en histoire, en sciences, en économie, en culture technolo-gique, en philosophie, en mathématique. Parce que sans cela on ne peut plus comprendre le monde complexe où nous vi-vons et que sans comprendre le monde, on ne peut pas le transformer.

L’école démocratique que nous appelons de nos voeux est celle qui apporte ces savoirs-là au plus grand nombre. Or, sous le régime de l’école actuelle, ces savoirs de haut niveau sont inégalement partagés. Dans l’hypothèse la plus optimiste, on peut supposer que moins d’un tiers des jeunes européens, ceux qui poursuivent un enseignement secondaire général jusqu’à l’âge de 18 ans, ont accès à ces larges connaissances et compétences. Les pessimistes nous assureront que même dans cet enseignement-là il y a belle lurette que la dégradation du niveau a fermé la porte à des savoirs consistants. Le plus probable c’est qu’entre les lycées d’élite, où se concentrent les fils et les filles de la bourgeoisie, et ceux des banlieues, où les publics sont dits difficiles, se reproduit toujours la même injus-tice : celle de l’appropriation, par la classe des riches, des sa-

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voirs porteurs de compréhension et de transformation du monde.

A développer :

Complexité croissante des problèmes de société

Complexité croissante des stratégies de transformation des sociétés

apprendre à réfléchir avec sa propre tête...

apprendre à agir

développer des valeurs progressistes

Fonction émancipatrice du savoir; valeurs et savoirs

Vivre mieux : socialiser, éduquer

Ecole et démocratie

Le mot « démocratique » doit, ici, être compris dans une dou-ble acceptation. L’école démocratique est à la fois celle qui tend à l’équité sociale dans l’accès au savoir ou au diplôme (« tous les jeunes »), et celle qui assure la faisabilité intellectuelle d’une société démocratique (« les savoirs et compétences (pour) comprendre le monde et participer à sa transformation »).

La démocratie est en effet soumise à trois conditions majeures : premièrement, l’existence de dispositions institutionnelles ga-

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rantissant que le pouvoir émane du peuple ; deuxièmement, l’étendue plus ou moins vaste du champ d’action de ce pouvoir démocratique ; et, troisièmement, la capacité réelle des ci-toyens de prendre une part active dans ce processus.

Le premier de ces critères est sans doute celui où excellent les sociétés occidentales. Les droits de vote et d’éligibilité, le droit d’association et la liberté de la presse y sont, au moins formel-lement, garantis. Pourtant, même dans ce domaine rien n’est jamais acquis. Que l’on pense aux entraves à la liberté de ma-nifester (par exemple pour les sans-papiers), aux atteintes au droit de grève (par la mise en place d’une obligation de service minimum), au refus fait aux populations immigrées de partici-per aux élections, à l’appropriation exclusive, par les partis ma-joritaires, du temps d’antenne sur les chaînes de télévision et de radio, etc.

Le deuxième critère est bien plus délicat. Si les élections per-mettent de choisir libre- ment nos représentants, il n’en de-meure pas moins que leur champ d’action — et donc le champ d’action de la démocratie — reste désespérément étroit. Au-jourd’hui, ce n’est pas le processus démocratique, mais bien la « loi du marché », qui décide de l’embauche ou du licencie-ment des travailleurs, c’est le marché — entendez : les re- présentants des détenteurs de capitaux — qui décrète quels biens et quels services seront produits, ce que nous trouve-rons dans nos assiettes et dans nos supermarchés, ce que nous verrons à la télévision. Même dans les domaines qui sont traditionnelle- ment au coeur des débats politiques, comme la fiscalité, le budget de l’Etat, la politique économique et sociale, on observe que la marge de manoeuvre des élus est étroite- ment canalisée par les « contraintes des marchés ». Bref,

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dans un monde où l’essentiel de la vie des hommes et des femmes est fait de production et de consommation, force est de constater que cet « essentiel » échappe encore largement au champ d’action de la démocratie,Le troisième critère, enfin, est celui où intervient l’école. Que valent les droits démocrati-ques si l’ignorance empêche une partie du peuple de participer effectivement aux débats de société ? Internet met l’équivalent de dizaines de bibliothèques à la disposition de tous, mais la capacité à maîtriser cet outil ne suit pas le rythme. Et la com-plexité des enjeux politiques, économiques, culturels, techno-logiques, environnementaux, augmente sans cesse. La mon-dialisation démultiplie les conséquences potentielles de toute décision politique, de tout choix technologique ou économique ; l’accélération du rythme du changement raccourcit le temps de réflexion dont on dispose avant d’agir. Plus que jamais, la démocratie exige des citoyens instruits, capables de saisir ra-pidement les débats de société dans toute leur complexité, ca-pables d’en comprendre les racines historiques, les détermi-nants technologiques, les enjeux environnementaux, les impli-cations économiques et sociales...

Les générations qui se trouvent aujourd’hui sur les bancs de l’école auront à affronter des crises sans précédent : raréfac-tion de l’énergie et des matières premières, augmentation de la pauvreté, discriminations sociales urbaines, chute drastique de la mobilité, inégalités nord-sud, crises alimentaires, ré-chauffement climatique, accès à l’eau potable, afflux de réfu-giés et autres mouvements migratoires, pollutions des sols, de l’eau, de l’air, gestion des déchets, montée des communauta-rismes et des nationalismes,... Si l’on souhaite que les élèves d’aujourd’hui deviennent, demain, des citoyens capables de comprendre ces enjeux, il faudra les doter d’un vaste bagage

Qu’as-tu appris à l’école ? !  66

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de culture historique, géographique, scientifique, technologi-que, économique et mathématique.

Jouer sur les contradictions

Il n’est pas besoin de longues analyses pour comprendre combien l’évolution actuelle des systèmes d’enseignement est contraire aux aspirations que nous formulions plus haut. Nous voulions l’accès de tous à de vastes connaissances porteuses de compréhension du monde et d’efficacité dans l’action mili-tante ? On se dirige au contraire vers une sélection renforcée et, pour la majorité des jeunes, vers l’abaissement de l’instruc-tion au rang des compétences minimales exigées par leur in-sertion dans des emplois précaires et peu qualifiés.

Pour autant, la situation est-elle désespérée ? Si l’école qui apprend à changer le monde est impossible tant que ce monde n’a pas changé, nous sommes effectivement dans l’im-passe. Alors quoi ? On se croise les bras et on attend ?

Il n’y aura pas de société démocratique sans école démocrati-que, et il n’y aura pas d’école démocratique sans société dé-mocratique. Tout comme il n’y a pas d’œuf sans poule, pas de poule sans œuf. Et pourtant il fut un temps où n’existaient ni poules ni œufs. Ce qui manque à ces équations, c’est la prise en compte de la complexité et des contradictions des systè-mes œuf-poule ou école-capitalisme, la prise en compte des dynamiques que ces contradictions peuvent engendrer.

Le capitalisme ne peut pas socialiser, endoctriner, former, sans également instruire. En constituant une nombreuse classe ou-vrière disciplinée, le capital forge son propre fossoyeur, disait

Qu’as-tu appris à l’école ? !  67

Page 68: Qu'as tu appris

Marx. Mais il fait mieux que cela. En apprenant au fossoyeur à reproduire sa force de travail dans la société moderne, l’école lui apprend aussi à lire, à écrire  ; en lui inculquant l’amour de la patrie ou le respect de la démocratie bourgeoise, elle lui fait découvrir l’histoire, brisant ainsi l’idée que les relations éco-nomiques et sociales seraient immanentes et éternelles ; en lui transmettant les connaissances et les compétences qui en fe-ront un travailleur productif, elle lui apprend les sciences qui forgent une vision du monde rationnelle et matérialiste  ; en le formant aux technologies modernes de la communication, afin de le rendre productif et bon consommateur, elle lui permet aussi d’utiliser ces technologies pour préparer Seattle ou Flo-rence. C'est cela qui fait que des marges de manoeuvre sont possibles et que notre combat pour l’école démocratique a du sens.

Peut-être avons nous été trop vite. Peut-être eut-il fallu com-mencer par rappeler ceci  : le besoin le plus fondamental du capitalisme en matière d’instruction du peuple, c’est d’en dis-penser le moins possible. Plus le pauvre sera instruit, moins il acceptera sa situation. Et pourtant, le capitalisme a besoin de l’Ecole, pour les raisons évoquées plus haut. Telle est la con-tradiction fondamentale de l’école capitaliste. La forme actuelle de cette contradiction est l’opposition entre la nécessité d’un enseignement qui soutienne mieux la compétition économique et le besoin de réduire le coût du système. C’est là que se si-tuent donc les grands terrains de luttes : combattre l’instru-mentalisation de l’école au service de la compétition (et ses corollaires: flexibilité et dualisation), promouvoir au contraire l’accès à des savoirs de haut niveau, dans une école publique et commune pour tous, obtenir un meilleur financement de l’enseignement.

Qu’as-tu appris à l’école ? !  68

Page 69: Qu'as tu appris

Une chose est d’analyser à quoi sert l’école, quelles sont ses fonctions. Autre chose est de dire ce que fait l’école réelle. Si l’école démocratique telle que nous la souhaitons est, dans sa forme pleine et achevée, irréalisable dans le cadre du système économique et social actuel (et pour cause puisque nous pen-sons précisément cette école comme une arme pour changer le système), il n’est pas moins vrai que l’école capitaliste, dans sa forme pleine et achevée, n’existe pas davantage, n’a jamais existée et n’existera jamais. A défaut de les penser dialecti-quement, comme lieux et enjeux de contradictions, l’école dé-mocratique et l’école capitaliste ne sont que des vues idéali-sées, sans rapport avec une réalité actuelle ou à venir. Il ne s’agit pas de deux entités exclusives, mais de deux aspects contradictoires d’une même réalité. Et c’est précisément cela qui fait de l’école un enjeu de luttes cruciales. Dans les com-bats sur les contenus enseignés, sur les structures du système éducatif, sur le financement de l’enseignement, sur les prati-ques pédagogiques, se joue le rapport de force entre ces deux pôles. Que nous cédions, même marginalement, sur l’un de ces points, et nous renforçons l’aliénation intellectuelle du peuple et le rôle de l’école comme appareil de reproduction du capitalisme. Que nous marquions au contraire quelques points et nous améliorons la capacité d’action des classes exploitées tout en mettant un peu plus à nu les contradictions du sys-tème. Ainsi, l’école démocratique n'est plus un objectif de lutte idéalisé, mais un processus réellement en cours, elle est la transposition de la lutte des classes dans le champ éducatif.

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Quand la culture change le mondeDes savoirs porteurs de citoyenneté critique

(passer rapidement en revue, y-compris la technologie et pré-venir que celle-ci fait l’objet d’un chapitre distinct)

Histoire

Economie

Politique

Géographie humaine

Géographie physique

Physique, astronomie

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Biologie

Chimie

Mathématique

Langues

Philosophie et littérature

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Réconcilier l’école et l’outil Pour une vision polytechnique du monde

(Introduction à rédiger)

Lʼinstruction polytechnique, élément essentiel de notre projet dʼécole commune, se trouve à lʼopposé de la vision étriquée et marchande de la formation technique ou professionnelle dans lʼécole actuelle. Loin de tomber dans la spécialisation étroite, lʼinstruction polytechnique doit embrasser les principes géné-raux de tous les processus de production, leurs bases scienti-fiques et, en même temps, initier les enfants et les adolescents au maniement dʼune grande variété dʼinstruments de travail. Il sʼagit donc dʼapporter une compréhension à la fois théorique et pratique de la production dans son ensemble, et ainsi contri-buer à lʼintelligence de la vie sociale.

Comme le disait Anatole Lounatcharski : « à la différence de l'enseignement technique, où il ne s'agit que de faire d'un homme un bon ouvrier, nous entendons (lʼinstruction polytech-nique) comme faisant partie de l'instruction générale. Il ne s'agit pas de former un bon tourneur ou un bon ouvrier du tex-tile, mais d'apprendre à l'homme à connaître le travail.» 6

Ainsi pensée, lʼinstruction polytechnique est profondément humaniste : il sʼagit de réconcilier lʼhomme (producteur, con-sommateur) avec lʼhomme (créateur). Elle est aussi révolu-tionnaire, car elle mine les bases idéologiques de la division sociale du travail, largement fondée sur la division des con-naissances.

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La technologie et la mécanique de l’histoire

Il est impossible de comprendre le monde économique et so-cial sans comprendre lʼacte productif qui est la source de toute richesse et donc sans comprendre les rapports techniques de production dont lʼévolution gouverne les contradictions socia-les et politiques. Celui qui nʼa aucune idée de ce quʼest lʼélec-tricité, de ce quʼest lʼagriculture, de ce quʼest lʼinformatique, de ce quʼest un moteur à explosion, de la façon dont ces techni-ques sont créées, produites, utilisées, des rapports quʼelles déterminent entre les machines, entre lʼhomme et la machine... ne peut avoir quʼune idée très partielle et déformée des rap-ports qui sʼétablissent entre ces hommes et comment ces rap-ports sont devenus ce quʼils sont.

6 Lounatcharski, A.V., La philosophie de l'école et la révolution, in Lounatcharski, A.V., 1984. À propos de l'éducation: articles et discours, Ed. du Progrès. p 157.

Comprendre comment fonctionne concrètement la production permet de détruire lʼidée selon laquelle lʼargent «fructifie» tout seul, sans travail, quʼil nʼy aurait plus besoin de travail pour produire de la richesse. Comprendre la technologie, cela per-met de comprendre la signification concrète des rapports de production, et donc en définitive du capitalisme, cela permet aussi de comprendre les contradictions de ce système, donc les forces et les conditions matérielles qui permettent de le dé-passer.

Lʼhomme est un producteur de techniques, mais la société humaine est un produit de la technique. Car lʼévolution des force productives — les techniques, les connaissances, les rapports techniques de production — détermine très largement

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Page 74: Qu'as tu appris

lʼévolution des rapports sociaux entre les hommes. La «révolu-tion néolithique» ne peut sʼexpliquer sans évoquer lʼagriculture et lʼélevage. De même, on ne saurait comprendre le XIXe siè-cle sans comprendre les bouleversements quʼy ont apporté la vapeur et la machine. Quant à lʼépoque actuelle, qui oserait en décrire les mutations sans évoquer lʼordinateur, les télécom-munications et la bio-ingénierie ? La formation polytechnique devra permettre au futur citoyen de saisir le rôle historique de la technologie dans les changements de société, cʼest-à-dire de comprendre ce qui, en dernière instance, détermine lʼorien-tation de lʼévolution historique.

Dangers et sur-consommation de technologies

Lʼinstruction polytechnique permet de conscientiser les jeunes et de les doter des connaissances nécessaires par rapport aux enjeux environnementaux, sociaux et culturels des choix tech-nologiques. Elle leur fait comprendre lʼimpossibilité dʼune croissance illimitée de la production de biens matériels en montrant les limites physiques et environnementales de cette croissance. Elle permet dʼouvrir les yeux sur les contradictions fatales dʼun système économique fondé sur lʼaccumulation, donc sur la croissance.

Lʼinstruction polytechnique permet de démystifier le fétichisme technologique ambiant : une technologie comprise, maîtrisée, perdra de son attrait comme pur objet de consommation; lʼins-truction polytechnique tend à remplacer le fallacieux bonheur de lʼacheteur de gadgets techniques par le vrai bonheur de lʼhomme créateur dʼoutils.

Qu’as-tu appris à l’école ? !  74

Page 75: Qu'as tu appris

Lʼinstruction polytechnique constitue aussi une forme de «so-cialisation technologique» : être prêt à affronter ou côtoyer des techniques avancées dans la vie quotidienne (électricité, soins de santé, cuisine...) et être éduqué à cet égard (économies dʼénergie, impact environnemental, alimentation saine, dan-gers potentiels, etc.). Elle donne ainsi une assise cognitive so-lide à certaines des vagues et creuses «compétences» qui fleurissent aujourdʼhui dans les programmes.

Comprendre et concevoir

Il sʼagit dʼacquérir un regard dʼensemble et rigoureux sur les techniques fondamentales de la production industrielle mo-derne, sur celles de notre vie quotidienne et sur leurs bases scientifiques : technologies de la construction, production dʼé-nergie, chimie et bio-chimie,

électricité, travail du bois, processus industriels, agriculture, mécanique, électronique, robotique, soins de santé, automa-tismes, informatique, techniques de communication...

Il sʼagit aussi dʼapprendre et dʼexercer des savoirs essentiels pour la conception technique ou la compréhension de la tech-nologie : concevoir un projet technologique et le décrire, lire et dessiner un plan, planifier une réalisation, résoudre des diffi-cultés, tenir compte de contraintes matérielles, environnemen-tales, budgétaires, esthétiques ; développer le sens pratique et la dextérité manuelle.

Qu’as-tu appris à l’école ? !  75

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Découvrir la pratique de la production

Lʼinstruction polytechnique ne peut pas être seulement théori-que. Lʼenfant doit apprendre concrètement ce quʼest le travail productif. Il faut «toucher» les objets, il faut manipuler et fabri-quer des outils, il faut planifier et organiser le travail, il faut dessiner des plans, il faut évaluer les dangers, les contraintes, estimer des marges dʼerreur... Nous soulignons donc la néces-sité dʼune étroite liaison entre la formation théorique et un tra-vail effectivement productif.

« Il est nécessaire que l'enseignement soit relié à la production matérielle» explique Théo Dietrich dans son ouvrage de syn-thèse sur la pédagogie socialiste. «L'association de l'ensei-gnement au travail productif (...) ne peut être réalisé par la simple transmission de connaissances techniques, par exem-ple dans l'enseignement des sciences de la nature, mais uni-quement par la participation au procès de production social. Ce n'est qu'ainsi que le travailleur peut (...) devenir universel du point de vue social (...) Puisque l'homme s'est arraché au règne animal par le travail, puisque la formation de l'homme se fait par le travail, il ne peut y avoir de formation sans travail, ni inversement de travail sans formation ». 7

Ce travail productif des élèves est un important vecteur de so-cialisation. Lʼenfant ou lʼadolescent comprennent vite la néces-sité dʼune collaboration efficace, bien organisée, dʼune planifi-cation du travail, pour venir à bout dʼun projet socialement utile.

Qu’as-tu appris à l’école ? !  76

Page 77: Qu'as tu appris

La socialisation technologique

(à développer)

Les ateliers scolaires

Il ne saurait être question de saupoudrer un peu de technolo-gie et de travail manuel dans les programmes et dans le sys-tème d’enseignement existants. On ne ferait alors guère plus que développer quelques compétences de flexibilité et d’adap-tabilité aux mutations techniques. Ce faisant, nous ne réalise-rions, ni même n’approcherions, aucun des objectifs formulés plus haut, nous jouerions probablement même le jeu de ceux qui souhaitent avant tout adapter plus étroitement l’enseigne-ment aux attentes patronales.

Il ne saurait davantage être question de prêter le flanc au dis-cours actuel sur la «revalorisation» des filières qualifiantes. Il a été indiqué à suffisance, plus haut, combien l’esprit de la for-mation polytechnique est étranger aux étroites et précoces spécialisations de notre enseignement professionnel et techni-que.

Nous plaidons pour une instruction polytechnique se dévelop-pant autour de plusieurs axes : d’une part, des ateliers scolai-res et l’introduction du travail productif à l’école, dès les pre-mières années d’enseignement; d’autre part une instruction polytechnique théorique; enfin la découverte passive et active du monde de la production

Qu’as-tu appris à l’école ? !  77

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La création d’ateliers scolaires répondrait au double objectif de favoriser une pédagogie constructiviste, fondée sur le travail, et de développer des connaissances et des aptitudes techni-ques chez les enfants. Il faut, pour ces deux objectifs, que les élèves aient accès, à l’intérieur de l’école, à des ateliers de conception et de production technologique dans une grande variété de domaines, comme : menuiserie, mécanique, sou-dure, plomberie, construction, maçonnerie, plafonnage, pein-ture de bâtiments, électricité, électronique, petit bricolage, dé-coration, coupe et couture, informatique, imprimerie, produc-tion vidéo, serres, jardins, poulailler, porcherie, cuisine, pein-ture et sculpture, studio de musique...

Freinet : «Par l'outil, l'être humain accélère la construction de son propre échafaudage, il franchit à une allure accélérée les étapes de sa croissance, il crée lui-même, il construit, il s'élève tel un dieu qui ne voit aucune limite à son ascension (...) Nous avons dans l'outil, et dans le travail, l'élément essentiel de l'éducation». 9

Ces ateliers scolaires répondent également à des objectifs pé-dagogiques plus généraux : construction et découverte de sa-voirs à travers un processus de travail, développement du sens pratique, motivation, école ouverte...

Le travail dans les ateliers scolaires aurait lieu aussi bien du-rant les heures de «cours ordinaires» (éducation et instruction par le travail, dans la meilleure tradition de la pédagogie cons-tructiviste) qu’en dehors (formation polytechnique, par exemple l’après-midi). Ces ateliers seraient au coeur de notre vision d’école «ouverte». C’est là que prendraient corps les projets collectifs par lesquels l’école devient plus qu’une école : un lieu de vie. Imaginons la préparation d’une pièce de théâtre

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pour une fête scolaire : il faut lire des textes, en faire une sé-lection, apprendre et comprendre ces textes, discuter et exer-cer le jeu des personnages, établir une division du travail, ima-giner, dessiner, découper, assembler les décors et les costu-mes, concevoir l’éclairage, fabriquer une estrade, des rideaux, des sièges, rédiger et imprimer une invitation ou une affiche, enregistrer la pièce en vidéo en veillant à la qualité du son, des prises de vue, etc. Les bénéfices pédagogiques et éducatifs sont innombrables : une multitude de technologies devront être mobilisées; le travail collectif des élèves est ainsi le support et le moteur de nombreuses découvertes théoriques et pratiques; les enfants comprennent l’importance et la difficulté de la coo-pération dans un processus de production (ici artistique, mais on pourrait développer la même chose sur n’importe quelle au-tre projet); enfin, un tel projet canalise l’énergie des enfants, les réconcilie avec l’école et les apprentissages, les ramène à l’école le mercredi après-midi, le week-end.

Cours théoriques et visites de sites de production

A côté de la pratique et, tant que faire se peut, en lien avec elle, il faut de véritables cours théoriques. Pas question de ces prétendus cours de technologie où l’enfant «étudie» pendant une année le fonctionnement de la sonnette électrique... Au terme de sa scolarité, l’élève devra vraiment savoir la diffé-rence entre un moteur électrique et un moteur à explosion, il devra comprendre comment on produit de l’énergie et avec quel rendement, il devra avoir une vue claire sur les méthodes de production agricole, etc.

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Les contenus d’une formation polytechnique théorique pour-raient aborder une grande variété de domaines tels les techni-ques de construction (maçonnerie, constructions métalliques, travail du bois ), le transport, la mécanique, l’électromécani-que, l’électricité et l’électronique, l’énergie (production, trans-formation), la chimie appliquée (étude des matériaux, étude de processus), l’agriculture, l’élevage et la bio-ingénierie, l’infor-matique (programmation, techniques de communication) et la robotique (automatismes, processus industriels), l’organisation du travail et la conception (développement, planification, des-sin industriel).

La formation polytechnique théorique passerait aussi par l’in-tégration de la dimension technologique dans d’autres discipli-nes  : géographie, économie, histoire, sciences et mathémati-ques.

Aujourd’hui les écoles organisent beaucoup de visites à carac-tère historique, culturel, artistique et scientifique. C’est une ex-cellent chose. Nous proposons qu’il y ait aussi de la place pour quelques visites chaque année sur des lieux où l’on travaille, où l’on produit. Afin d’ouvrir les yeux des jeunes sur l’extraor-dinaire variété des technologies mises en oeuvre, technologies qui pourront ensuite être approfondies dans le cadre des cours théoriques. Afin aussi de les confronter aux conditions de tra-vail, au rythme du travail, aux dangers de la production et aux relations sociales en entreprise.

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Participation au travail productif

Mais à partir d’un certain âge il faut aller plus loin que les seu-les visites passives. Les jeunes adolescents devraient pouvoir être confrontés «pour de vrai» au travail productif. Nous som-mes favorables à une loi contraignant les entreprises privées ainsi que les entreprises et services publics à offrir de tels pos-tes de stage, en nombre proportionnel à leur taille et sous le contrôle des organes de concertation (CE, CPPT dans le pri-vé) et/ou des délégations syndicales. Il leur appartiendra no-tamment de chercher des formes appropriées, tenant compte de contraintes de sécurité spécifiques et empêchant que ces stages ne se transforment en exploitation de main d’oeuvre gratuite. Afin de fixer les idées, si l’on veut que les jeunes de 12 à 15 ans puissent tous bénéficier d’une demie journée de stage par semaine, il faut prévoir à peu près un poste de sta-giaire(s) pour 40 travailleurs.

Jusqu’à l’âge de 15 ans, donc aussi longtemps que les élèves poursuivront le tronc commun que nous appelons de nos voeux, ces «immersions» en milieu professionnel devront être variées. Il ne s’agit pas d’acquérir une spécialisation, mais de développer un regard général, très vaste, sur le monde de la production.

Après l’âge de 15 ans ce type d’initiatives devra être poursuivi, mais alors avec une forme progressivement plus spécialisée, en fonction de l’orientation d’étude choisie par le jeune.

A l’intérieur de l’école, il faudra prévoir des postes nouveaux de maîtres de stage, qui pourront organiser et contrôler le bon fonctionnement des cette insertion dans le monde du travail.

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Outre l’étude de la production et des techniques de production, outre l’acquisition de savoirs-faire et la découverte des con-traintes comportementales du travail, il s’agit aussi de former les jeunes sur l’importance des organisations représentatives des travailleurs et des diverses formes de collaboration et de solidarité entre travailleurs.

Cette mise en oeuvre de l’enseignement polytechnique est in-séparable du reste de notre vision de l’éducation.

Comme on l’aura compris à la lecture des points précédents, la mise en oeuvre de ce projet d’enseignement polytechnique est inséparable de notre programme général de réforme de l’enseignement. Il n’est pas question de laisser le monde pa-tronal se servir de notre discours sur l’enseignement polytech-nique pour favoriser la préparation des jeunes à une orienta-tion précoce vers les filières techniques ou professionnelles. Nous voulons au contraire une prolongation de la formation commune, donc un renforcement de la formation générale, au détriment des spécialisations précoces. De même ce projet de formation polytechnique est évidemment irréalisable sans une ouverture de l’école sur son environnement, un réaménage-ment des rythmes scolaires, une grande liberté pédagogique dans le chef des enseignants, une prolongation du temps d’école (activités du mercredi après-midi, activités du week-end). Il nécessite aussi, inévitablement, un important renfor-cement des effectifs de professeurs, éducateurs et autres per-sonnels spécialisés, la mise à disposition de matériels et de locaux équipés et donc un refinancement considérable de l’en-seignement.

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Tous ces points figurent, de façon détaillée et argumentée, dans le programme en dix points de l’Aped, intitulé : «Vers l’école commune»10.

Et la formation qualifiante ?

A développer :

Pas n'importe quelle préparation au "marché du travail"

Pas n'importe quelles "compétences" flexibles et adaptables

Mais des savoirs et des savoir-faire préparant au travail socia-lement utile

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Socialiser au XXIe siècleValeurs, comportements et savoirs de base

Expression artistique

(musique, dessin, arts dramatiques...)

Corps et santé

(Education corporelle, éducation à la santé, hygiène de vie, médicaments, alimentation...)

Vivre et travailler

(droit du travail, relations sociales, contrats, justice, sécurité sociale, logement, épargne, assurances...)

Les technologies de la vie quotidienne

(cuisine, jardinage, électricité, sécurité domestique...)

Vivre ensemble

(Organiser, planifier, dialoguer, prises de décisions collecti-ves...)

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Marcher sur deux jambesThéorie et pratique, un lien dialectique incontournable

Pas de théorie sans pratique

la pratique justifie la théorie

la pratique nourrit la théorie

la pratique est le critère de vérité de la théorie

Supériorité du savoir théorique sur le savoir empirique

Ni intellectualisme, ni pragmatisme, ni relativisme

Apprendre par le travail, apprendre en faisant

Ateliers scolaires

Ecole ouverte sur la vie, sur la pratique sociale, sur la pratique de production

Pratique collective de travail et socialisation (collaboration, so-lidarité...

Pour un constructivisme non-dogmatique

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