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Regard sur la communication des bibliothèques au sein de la communication institutionnelle des collectivités : enjeux et stratégies par Vincent Doulain, formateur consultant en économie culturelle Introduction de la journée professionnelle « La communication des bibliothèques, entre nécessité et stratégie » Ecla – Bpi Bordeaux 28 janvier 2010 Regard sur la communication des bibliothèques au sein de la communication institutionnelle des collectivités : enjeux et stratégies © Vincent Doulain – 2010 - Page 1 / 9

Regard sur la communication des bibliothèques

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Les bibliothèques publiques communiquent trop peu. Mais quel est leur positionnement ? Quels sont les objectifs d'intérêt général poursuivis ? Faut-il penser marketing des bibliothèques ? A quelles conditions ? Les bibliothèques seraient-elles le lieu de la fête de la curiosité et de l'esprit de découverte ?

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Regard sur la communication des bibliothèques

au sein de la communication institutionnelle

des collectivités : enjeux et stratégies

par

Vincent Doulain, formateur consultant en économie culturelle

Introduction de la journée professionnelle

« La communication des bibliothèques, entre nécessité et stratégie »

Ecla – Bpi Bordeaux 28 janvier 2010

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PréambuleMon regard d'observateur se fonde sur mes expériences durant treize ans comme responsable de structures régionales de mise en réseau des bibliothèques.

Pour porter ce regard sur la communication des bibliothèques, nous sommes bien sûr conscients de la grande hétérogénéité de ce que désigne le mot bibliothèque : les réalités au quotidien sont très différentes entre le vécu professionnel d'une équipe de bibliothécaires dans une ville de 5 000 habitants et celui dans une ville de 60 000 habitants.

Il est nécessaire d'abord de situer ce regard au sein de la communication institutionnelle des collectivités. Et il nous faut commencer par définir le fondement républicain, l'espace public dans lequel s'inscrivent les établissements de lecture publique. Ce sera notre première partie.

Mais les difficultés sont réelles pour communiquer. La communication est un métier à part entière que la culture professionnelle bibliothéconomique ne prend pas encore assez à son compte. L'examen de ces difficultés sera notre seconde partie.

Face à ce mini état des lieux, quelle priorité se donner ? Comment positionner la stratégie du service public de lecture publique ? Quel outil fondamental serait à privilégier ? Ce sera notre dernière partie.

Auparavant, je crois important de rappeler le contexte dans lequel travaillent les élus, les professionnels des bibliothèques et vivent les habitants de nos territoires.

LE CONTEXTE 2010

Il est important de souligner le contexte favorable : les bibliothèques du service public disposent d'appuis considérables : qui, il y a 20 ans, aurait espéré que la région Aquitaine puisse disposer de 800 points d'accès au livre et à la lecture, dont 240 bibliothèques publiques employant des salariés (hors bibliothèque universitaires et départementales) ? Un effort d'investissement et de fonctionnement tout fait significatif a été réalisé par les élus, l'Etat français et ses contribuables.

Pour mémoire la France dispose aujourd'hui de 12 000 à 15 000 bibliothèques, dont plus de 5 000 emploient environ 30 000 salariés de la FPT. Le

concours particulier de la DGD relatif aux bibliothèques municipales et départementales de prêt représente en 2008 80,4 millions d’euros.

Les Français attendent-ils la construction d'une médiathèque quand ils n'en disposent pas d'une proche ? Il semblerait que oui, vu les scores de fréquentation quand la médiathèque ouvre largement ses portes et dispose d'une offre moderne de services. Ces attentes sont-elles toujours d'actualité ? Vu le nombre de dossiers de construction préparés par les élus pour les années proches, il semble que oui.

Mais qu'en est-il de leur fréquentation ? La dernière livraison des « Pratiques culturelles des Français »1, chiffres 2008, donne un total de 28% des Français qui ont fréquenté une bibliothèque publique (bib. mun. + bib. univ. + CDI) lors des douze derniers mois. En 1997, le chiffre était de 31%. Comment expliquer ces – 3% ?

A la différence des années 90, le nombre d'usagers non inscrits n'a pas augmenté au cours de la dernière décennie. 11% en 97 à 10% en 2008.

Le léger tassement constaté au plan des inscriptions 19% au lieu de 21% s'explique du fait de la diminution du poids relatif des lycéens et étudiants dans la population enquêtée. Pour les bibliothèques municipales, c'est globalement stable, voir page 153. Mais dans l'ensemble, nous ne pouvons être satisfaits de ces chiffres. Ils sont largement inférieurs à ceux de pays européens disposant du même niveau de vie.

Rappelons aussi quelques éléments du contexte économique, dessinés en quelques traits, évidemment grossiers :

Faut-il appeler guerre économique les situations que traversent les entreprises et qui provoquent des destructions massives d'emplois et dont l'origine est à chercher dans ce qu'il est convenu d'appeler, selon le mot de Christophe Dejours dans son livre, « Souffrance en France », les nouvelles formes d'organisation et de travail ?

Faut-il souligner le développement de la grande

1 Olivier Donnat, « Les pratiques culturelles des Français à l'ère numérique », La Découverte / Ministère de la culture et de la communication, 2009 – Un site est consacré à l'ensemble de ces études : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/

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pauvreté dûs à des taux élevés de chômage et de temps partiel, temps partiels payés proportionnellement au SMIG ?.

Faut-il rappeler les mutations des modes de consommation soulignées par le rapport rédigé par le DEPS intitulé Analyse générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques ? 2 Ces mutations sont : la consommation à la demande, convergence des usages sur un même support (temps multitâches), développement de l'éclectisme, de la curiosité dans la consommation culturelle, et pour les « digital natives » une redéfinition de la labellisation au détriment de l'institution et au profit de l'individu et des réseaux.

Faut-il évoquer le contexte institutionnel de la RGPP : révision générale des politiques publiques ? Elle vise à piloter le changement dans le service public. En 2005, avant la mise en place de la RGPP, avait été publiée par le commissariat au Plan (le groupe Ariane) une étude appelée La conduite du changement au sein du secteur public. Cette étude étudiait les réformes déjà conduites et en déduisait six conditions nécessaires à leur réussite. LA RGPP n'en respecte que deux sur les six. 3

Le contexte idéologique est-il défavorable au service public ?L'idéologie libérale proclame les vertus indépassables de l'économie de marché : elle serait un puissant ressort du progrès technologique, impose l'efficacité d'une gestion rigoureuses à tous les acteurs, et apporte une connaissance précise et constamment mise à jour de besoins solvables.

On le voit, tous les services publics, toutes les

2 Olivier Donnat et Florence Lévy, « Analyse générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques », Département des études, de la prospective et des statistiques, 2007 - Rapport à retrouver sur http://www2.culture.gouv.fr/culture/deps/2008/pdf/Cprospective07_3.pdf

3 Les six conditions sont les suivantes : la réforme doit participer d'une vision légitime, partagée, coproduite, adossée au dialogue social – un terrain à connaître et à préparer – un moment à saisir ou à susciter – une volonté politique à maintenir – choisir un leader et motiver tous les agents – un pilotage effectif. In Aurélien Colson, « La conduite du changement au sein du secteur public : une contribution pour l'action », Les Cahiers du Plan n°13, 2005 - à retrouver sur http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/054000598/0000.pdf

interventions économiques de l'Etat et des collectivités locales paraissent dépassés. Pourquoi des besoins collectifs devraient-ils être perçus par des agents de la fonction publique ? Ces mêmes besoins ne pourraient-ils pas s'exprimer sur un marché et trouver des « vis à vis intelligents, en éveil, rapides à les comprendre et à les satisfaire au moindre prix » ? 4

La question devient alors : dans le domaine des bibliothèques, quels sont les besoins collectifs qu'il serait aujourd'hui légitime de satisfaire par la puissance publique ? Quelle est la visée d'intérêt général ? Quels progrès sont attendus ? Quelles formes doit respecter l'intervention publique ?

Et pour pouvoir porter un regard sur la communication d'un service public, ces questions doivent être explicitées au préalable.

I - La politique publique des bibliothèques dans l'environnement institutionnel des collectivités locales

Si les bibliothèques sont des services des collectivités, quelles sont les attentes de leur collectivité ? Quelle est la finalité prioritaire de leurs services ? Comment caractériser la réponse de la bibliothèque dans l'espace public ? Connaissance, liberté et progrès, comment inscrire aujourd'hui ces trois notions dans les finalités du service ? Et comment relier aux autres politiques publiques celle de la lecture publique ? 1. Agir dans l'espace publicPrenons quelques instants pour se rappeler trois principes essentiels> Le facteur politiqueLes organisations publiques, qu'il s'agisse d'une collectivité ou d'un service de lecture publique, sont soumises à des finalités externes définies et imposées par la loi, quel que soit le secteur, la défense nationale, l'éducation, l'état civil, l'action sociale. Elles agissent dans ce cadre déterminé par les pouvoirs législatif et exécutif qui leur fixent leurs missions (Dans le domaine des bibliothèques, la loi n'a pas encore été faite).

> Fournisseur de servicesLes organisations publiques obéissent à une logique

4 Préface de Claude GRUSON in, Bertrand de Quatrebarbes, « Usagers ou clients ? », Ed. D'Organisation 1998

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d'offre de services fondée sur un principe d'égalité de traitement de tous les usagers.

> La culture administrative françaiseIl existe un cadre éthique et institutionnel où la République n'est pas seulement une doctrine ou un esprit mais une réalité concrète : c'est « dans l'environnement d'un droit public et d'un droit civil républicains que s'inscrit l'action publique ». (Claude Nicolet) 5Trois conséquences− le respect de l'individu prime sur la communauté− la laïcité marquée en matière de politique scolaire et culturelle « La République assure la liberté de conscience. La République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte. »6

− l'instruction est un enjeu politique essentiel qui relève de la responsabilité de l'Etat

2. L'existence des bibliothèques de service public exprime la volonté de la collectivité nationale et des collectivités locales de rassembler et de communiquer des oeuvres et des informations pour servir des objectifs d'intérêt général.

Cette mise à disposition est légitime car aucune institution privée ne peut se permettre de mettre à disposition de l'ensemble de la population un tel ensemble de documents. Mais cette volonté est d'abord celle de servir un objectif d'intérêt général, résultat d'un long cheminement intellectuel et politique.7 Quel est-il ?

> Le positionnement : Connaissance, liberté et progrès

Permettez- moi de reprendre ces éléments que vous connaissez sans doute tous mais ils sont fondateurs. Ils définissent un horizon à nos métiers, et par là même le positionnement de la bibliothèque dans l'espace public. Trois éléments sont constitutifs : Connaissance, liberté et progrès - C'est l'affirmation que la connaissance s'appréhende selon un ordre raisonné et que cette connaissance est transmissible par l'écrit qui a l'avantage de donner accès, de façon autonome, à une suite ordonnée d'idées et que ce détour par

5 Claude Nicolet, « L'idée républicaine en France », Gallimard, 1982 tiré de Pierre Carbone, Thierry Giappiconi, « Management des bibliothèques », Cercle de la Librairie, 1997

6 Articles 1 et 2 de la loi du 9/12/19057 Pierre Carbone, Thierry Giappiconi, « Management

des bibliothèques », Cercle de la Librairie, 1997, p.16

l'abstraction exige un effort d'arrachement à la nécessité et à la tradition. Se libérer des forces traditionnelles par la connaissance. - Adam Smith, dans son ouvrage « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », expose la fonction productive de la connaissance : Enumérant les causes qui font la richesse des nations, il cite « premièrement l'habileté, la dextérité et l'intelligence qu'on y apporte généralement dans l'application du travail ». Le progrès est lié à la connaissance

- L'instruction publique est la forme institutionnelle proposée par le modèle républicain pour acquérir la connaissance. La bibliothèque, lieu de la lecture et de l'auto formation, en constitue un complément. La fréquentation de la bibliothèque tout au long de la vie constitue le prolongement et l'une des finalités de l'enseignement.Eugène Morel, fondateur de la bibliothèque publique au XIX ème siècle : « La vraie école libre, et l'école unique, l'instruction la plus forte, c'est celle que l'on se donne à soi-même. »8

Dans quel but ? Se connaître, être soi, citoyen libre et debout ! « Il faut que vous appreniez à dire moi, non par les témérités de l'indiscipline et de l'orgueil, mais par la force de la vie intérieure » Extrait d'un discours prononcé lors de la distribution des prix en 1892 par un élu, maire adjoint de Toulouse, du nom de Jean Jaurès ! 9

Ecole et bibliothèque remplissent une double fonction sociale. Elles sont nécessaires au bon exercice d'un gouvernement démocratique : « pour que celui-ci soit guidé par la raison, et non par les passions10, il faut rendre la raison populaire »et elles sont nécessaires à la nécessaire égalité de fait : « Il suffirait qu'un seul citoyen soit négligé pour que le corps entier de la nation soit opprimé ». Condorcet

Quelle est aujourd'hui l'expression de ses objectifs d'intérêt général ? En l'absence d'une loi, le Conseil supérieur des bibliothèques avait rédigé en 1991 la formulation suivante : « la bibliothèque est un service public nécessaire à l'exercice de la démocratie. Elle doit assurer l'égalité d'accès à la lecture et aux sources documentaires pour permettre l'indépendance intellectuelle de chaque individu et contribuer au progrès de la société 11». Connaissance,

8 Idem p.189 Idem p.23 – Discours à retrouver sur

http://www.jaures.info/dossiers/dossiers.php?val=14_discours+jeunesse+toulouse1892

10 Les pulsions, dirait Bernard Stiegler11 Article 3 de la Charte des bibliothèques -

http://enssibal.enssib.fr/autres-sites/csb/csb-char.html

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liberté et progrès, ce dernier terme est à prendre dans de multiples sens, progrès informationnel, scientifique, économique, social, patrimonial, artistique, démocratique, .... 12 S'agit-il d'une politique culturelle autonome ou d'une composante d'une stratégie globale de développement territorial ?

3. L'articulation entre la stratégie politique d'ensemble en matière de développement et de cohésion sociale (formation générale et professionnelle, initiale et continue, développement économique, action sociale, information, culture, communication) et la stratégie propre aux bibliothèques ressort de la vision des élus.

Le projet stratégique de la commune ou de l'EPCI est-il souvent formalisé ? Comment les élus ont-ils analysé la prospective démographique et quels types d'accompagnements économique, social et culturel leur paraissent prioritaires ?

C'est à partir de ce projet stratégique et de ses objectifs que le responsable de la bibliothèque de service public pourra proposer aux élus un ensemble de moyens pour les atteindre. Ces moyens, à hiérarchiser, seront les missions pour la réalisation desquelles l'équipe va s'engager : la bibliothèque peut contribuer - au développement de la lecture- à la formation initiale- à la formation continue et à l'autoformation- à l'information et à la documentation- à la conservation et à la valorisation du patrimoine national et local- au développement de la culture dans les loisirs, l'information et la formation 13

L'étude de l'ARPEL, éditée en 2007 et intitulée « Dynamisons notre territoire Osons une médiathèque ! » est significative. Pour chacune des neuf médiathèques présentées, sont indiqués les objectifs politiques et les missions confiées. En précisant aussi publics et usages ciblés, et perspectives de partenariats.

Cette typologie des missions positionne la bibliothèque comme un acteur transversal où le mot culturel, au sens strict, n'est pas premier. Mais elle nous paraît bien adaptée au potentiel de la bibliothèque, conforme aux attentes de ses

12 Convergent-ils tous vers le progrès démocratique, humain et spirituel au sens large de chaque citoyen ?

13 Typologie formulée par Pierre Carbone, Thierry Giappiconi, « Management des bibliothèques », Cercle de la Librairie, 1997, p.16

fondateurs, et à l'évolution des « pratiques culturelles à l'ère numérique ».

Nous connaissons maintenant le positionnement et la stratégie de la collectivité. Et les moyens pour atteindre les objectifs d'intérêt général. Pouvons-nous porter un regard sur les difficultés qu'affronte la bibliothèque pour communiquer et maîtriser son image ?

II - Une communication (beaucoup trop) discrète

Les difficultés sont de plusieurs ordres. La communication de la bibliothèque s'inscrit dans celle de la collectivité qui ne communique pas forcément beaucoup. Les professionnels des bibliothèques ne sont pas formés à ce métier. Et, dans une société médiatique, la sensibilisation à l'image est pourtant d'une grande nécessité.

La communication des collectivités est insuffisante.

Plus d'un tiers des Français estiment que leurs collectivités locales ne communiquent pas assez. C'est un des enseignements d'une étude réalisée en mai 2009 par l'institut CSA pour l'agence ID Communes, en partenariat avec Cap Com14, étude qui balaie quelques idées reçues.

- les Français attendent cette communication avec beaucoup d'intérêt (pour 93 % de l'échantillon, il est important d'être informé de l'action de la commune) ; pour 36 % d'entre eux, il n'y a pas assez de communication !

« Retenons le leadership incontesté du magazine de collectivité dans le système d'information local, tous médias confondus, 89 % des Français le lisent régulièrement, contre 52 % qui lisent régulièrement la PQR... » La bibliothèque dispose ainsi d'un messager très efficace.

- L'information locale est considérée comme utile, mais incite peu aujourd'hui à participer à la vie politique locale et les habitants attendent plus de sens et un positionnement plus proche de leurs préoccupations.

14 Etude complète sur http://www.csa-fr.com/dataset/data2009/opi20090506-les-francais-et-la-communication-publique-locale.pdf

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Comment les bibliothèques s'approprient-elles leur communication ? Comme la collectivité, de façon insuffisante donc. Et on pressent que c'est de façon malaisée. Pourquoi ?

La communication est un métier à part entière qui suppose de maîtriser un certain nombre de connaissances, le marketing notamment, de savoir faire, et de techniques.

Les bibliothécaires sont-ils formés à ces différents aspects ? Existent-ils des professionnels du marketing en bibliothèque ? Si l'on dresse la liste des supports à maîtriser ou à mettre en oeuvre, on s'aperçoit qu'ils sont nombreux et variés. Citons entre autres, nom du lieu, logo, charte graphique, signalétique, plaquette de présentation, lettre d'information, rapport d'activité, relations presse interne et externe, événements : portes ouvertes, conférences, débats, relations publiques, supports de promotion, sites web et blogs, ... 15

Si c'est un métier, il faut être formé ou au moins sensibilisé. La formation en communication des professionnels est-elle assurée ? Qu'en est-il de la presse professionnelle ? Pour répondre à ces questions, nous avons fait une recherche, qui n'a rien de scientifique, sur différents supports, trois bases, celle des sessions de l'ENSSIB, celle du BBF, et celle de la Gazette des communes, chacune nous paraissant significative.

Sauf erreur de notre part, la réponse est plutôt négative. Le thème est pas ou très peu abordé.

Sur le catalogue de formation continue de l'ENSSIB, aucun titre des cinquante quatre sessions 2009-2010 ne contient le mot communication !En formation initiale des conservateurs, Management des bibliothèques, un Module s'intitule Produire et transmettre l’information dans un service et en externe. Les dimensions promotion et réflexion sur la formation des représentations ne sont vraisemblablement pas étudiées dans ce module.

15 Ralf Eisermann  (Stadtbibliothek Offenburg - Deutschland) a utilisé de nouveaux canaux de communication : il a expérimenté la publicité au cinéma et sur les ondes radio avec, comme résultat, une dynamisation radicale de l’image de la bibliothèque. In David-Georges Picard, « Nouveaux publics en bibliothèque : chantiers en cours », BBF 2008 n°6 http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-06-0098-008#note-5

En formation initiale des bibliothécaires territoriaux, le troisième module intitulé Médiation des ressources, des services et action culturelle ne correspond pas non plus à ce que nous cherchons.

Du côté de la revue des bibliothèques, le BBF, Bulletin des bibliothèques de France, nous avons fait une recherche sur plusieurs mots clés. Le manque paraît net, ne faut-il pas vite le combler !

Mot clé : communication. > sur les 10 dernières années, le mot communication revient dix huit fois dans le titre des articles (jamais dans celui d'un dossier) dont trois fois pour traiter de la communication des bibliothèques. La grande majorité des articles traite principalement de la science de l'information, de la communication scientifique et technique, des TICE.

Mot clé : marketing > sur les 10 dernières années, le mot marketing revient cinq fois dans le titre des articles et dossiers dont quatre fois pour faire des recensions de livres et un compte rendu de journée d'étude.

Mot clé : promotion. > sur les 10 dernières années, la recherche n'a retourné aucun résultat. (comme pour mercatique)

Pour la Gazette des communes, hebdomadaire qui recense les actualités et les projets de la fonction publique territoriale, sur les dix dernières années, j'ai trouvé - pour marketing bibliothèques, 23 occurrences- et pour communication bibliothèques, 226 occurrences.

Existent-il des professionnels du marketing des bibliothèques en poste ? La Ville de Lyon a créé le poste en 2002 : Développement des publics - Web services – Marketing. C'est un des services communs de la bibliothèque municipale. Nous avons pris contact avec la responsable de ce service et lui avons demandé de nous indiquer le nombre de ses correspondants marketing dans d'autres bibliothèques. Aucun au sens strict.

Il n'est donc pas très étonnant que la profession dans son ensemble se détourne encore trop de ces questions. Ou les méconnaisse. Effet boomerang : certaines représentations, partielles, parfois fausses, sont renvoyées aux bibliothèques par leur environnement.

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Faute de maîtrise, quelle image donnons-nous au journaliste local venu à la bibliothèque faire son papier ? Que mettons-nous en avant ?

La responsable du DEUST Métiers du livre à Rennes avait mené un travail de recherche sur l'image des bibliothèques de lecture publique donnée par Ouest-France, entre 1997 et 1998. La majorité des photos montrent des professionnels et des enfants. Cela s'appelle cultiver une image mais une seule. De la mono culture ?

Comment agir sur l'image de la bibliothèque ? Qu'appelle t-on image ? Et positionnement de la bibliothèque ?

Le positionnement de la bibliothèque consiste à définir une stratégie dans l'espace public et affirmer l'identité du service face aux autres offres existantes. Comme toute identité celle-ci comprend donc deux facettes : l'être et le paraître.

L'être : pour quelles missions, quelles prestations sont proposées ? Le paraître : comment l'établissement est-il perçu par l'ensemble des acteurs?

Deux stratégies conjointes sont nécessaires. L'une pour asseoir clairement l'identité en différenciant clairement les services rendus. L'autre pour construire ou conforter une image.

On le voit : une bibliothèque qui souhaiterait assumer à égalité l'ensemble des missions possibles telles qu'évoquées plus haut serait illisible. Un bon positionnement est réaliste et explicite, il correspond à ce qui est recherché. Il se doit d'être fort et original, il recherche les éléments qui font ressortir les qualités de l'offre. Enfin il doit être cohérent, toutes ses facettes doivent être en cohérence avec la ou les missions « stratégiques ».

Au vu de l'importance des missions pour les habitants, de la richesse des ressources présentes dans l'établissement, la communication des bibliothèques de service public est certainement beaucoup trop discrète ! Pour pouvoir l'amplifier, nous devons d'abord gagner en légitimité. Pour ce faire, certains outils du marketing des bibliothèques peuvent être décisifs. Notre dernière partie visera à les présenter succinctement

III - Le marketing des bibliothèques

Henrik Hollender , de la bibliothèque Politechnika  Lublelska à Lublin ( Pologne), affirme, «  les utilisateurs des bibliothèques sont nos clients et (...) nous leur devons des services».  16

Accueil des publics, offre de services, qualité de service, mise en place de charte qualité, études quanti et qualitatives, communication, promotion de la bibliothèque sur les lieux de vie, mailings et relationnel abonnés, tarification, segmentation ....tous ces mots évoquent des techniques et process liés au marketing.

Et certains les connaissent déjà et vont en parler au cours de cette journée professionnelle. Il me semble qu'il est nécessaire ici d'insister sur l'essentiel.

En gros le marketing dit : pour définir et promouvoir un service public, j'ai besoin de définir en même temps trois éléments, le service à produire, sa distribution, et sa communication. Ces trois éléments doivent être en cohérence l'un vis à vis de l'autre. Pour le marketing, la communication ne peut pas être découplée de ses deux autres dimensions.

Et bien sûr quand le marketing réfléchit à un service, il cherche à connaître précisément les besoins auxquels pourrait répondre ce service et les publics susceptibles d'avoir ce type de besoins.

L'étude des publics me paraît ainsi être le fondement du reste de la démarche. Tant que l'étude des publics n'aura pas clarifié les attentes des différentes catégories de publics, vous ne pourrez pas définir votre périmètre de recherche, vos objectifs, vos actions, et votre indispensable évaluation.

> Les études de public – Priorité 1

Ce travail est tout à fait passionnant, il n'est pas forcément compliqué mais il demande une méthode rigoureuse, mise en oeuvre de façon régulière. Pour mettre en place la première étude, peut-être aurez-vous besoin d'un coup de main ? Vous pouvez également la confier à un prestataire interne ou externe de la collectivité.

16 Politechnika Lublelska, Lublin, Pologne In David-Georges Picard, « Nouveaux publics en bibliothèque : chantiers en cours », BBF 2008 n°6 http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-06-0098-008#note-5

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Nous avons choisi deux exemples qui nous paraissent montrer la richesse de la démarche.

Les bibliothèques universitaires viennent de se lancer dans un projet de ce type appelé LibQUAL+® et fondé sur la coopération.

LibQUAL+® est une suite de services utilisée par les bibliothèques universitaires pour interroger, suivre, comprendre leurs usagers, et agir à partir de leur avis concernant la qualité de service. Ces services sont proposés à la communauté des bibliothèques universitaires américaines par l'Association of Research Libraries (ARL). La pièce maîtresse du dispositif est une enquête en ligne, rigoureusement testée et accompagnée d’une formation qui aide les bibliothèques à évaluer et à améliorer les services en bibliothèque, à faire évoluer leur culture organisationnelle et à promouvoir la bibliothèque. 17

Un public > les pré ados et adolescents

Une étude américaine a été réalisée sur les stéréotypes qu’ont les jeunes ados au sujet des bibliothèques ou qu'ont les bibliothécaires sur ce que les jeunes pensent des bibliothèques.

Voici un extrait du rapport18

« … il est essentiel que les bibliothèques tiennent compte des avis des jeunes usagers si ceux-ci doivent devenir des usagers réguliers des services de la bibliothèque. Le marché des jeunes ados est une cible évidente pour développer une nouvelle stratégie. Ce groupe comptait [aux États-Unis] environ vingt-sept millions d’enfants de 8 à 14 ans, ce qui représente le plus grand nombre d’individus de cet âge depuis vingt ans. En outre, ces jeunes ou préadolescents sont décrits comme étant instruits, avec des chances de poursuivre leurs études à l’université ; ils représentent approximativement 14  milliards de dollars de pouvoir d’achat par an. Les auteurs notent également que ce groupe tend à être très optimiste dans son approche de la vie et, contrairement aux stéréotypes, les préadolescents

17 Les usagers sont simplement invités à se prononcer sur une échelle de 1 à 9 en évaluant le niveau perçu, le minimum acceptable et le niveau souhaitable. Pour vous documenter, voici le questionnaire en français préparé par la bibliothèque de Sciences Po Paris http://libqual-fr.pbworks.com/f/QuestionnaireLibqualScPo.pdf

18 In Sherry J. Cook, R. Stephen Parker, Charles E. Pettijohn, , « Les jeunes ados et la bibliothèque publique », BBF, 2008, n° 6, p. 81-86

considèrent leurs parents comme les personnes qui ont le plus d’influence sur eux en termes de morale et de buts dans la vie. « et une de ses conclusions

“Les bibliothèques, qui offrent déjà plusieurs activités citées comme agréables par les jeunes interrogés, devraient exploiter chacune d’entre elles pour atteindre, dès leur jeune âge, de nouveaux usagers”

La plus value de l'étude des publics : Réussir le décalage

L'étude des publics est importante car elle légitime et permet de prendre du recul. « Il ne faut pas craindre une forme de dévoiement dans le fait qu'une partie de nos fonds ne corresponde pas à ce que lisent les bibliothécaires. » Annie Cucinotta, Adjointe à la BM de Chambéry 19

Pour nous, c'est une parole de professionnel. Voici comment nous la comprenons : Etudions, travaillons, et créons du différent … pour attirer les usagers et les servir … mais pas servilement.

Nous voici parvenus à la fin de cette introduction de journée d'étude. Pour positionner l'établissement, pouvons-nous renverser la proposition ? Quel est le premier établissement culturel fréquenté de façon régulière par les Français ? Le cinéma ou la bibliothèque ? Quel est celui où le niveau de diplôme ou le revenu joue le moins sur cette fréquentation régulière ? Le cinéma ou la bibliothèque ? Vous l'aurez compris, c'est la bibliothèque. Si elle doit faire beaucoup mieux, elle doit aussi savoir apprécier ses points forts.20

Quel espace culturel propose l'accès à la connaissance, vise la liberté de la personne et le progrès de la société ?

19 Interview tiré de Lire, mensuel de l'ARALD, décembre 2009 http://www.arald.org/ressources/pdf/ll/livre_lire247.pdf

20 A partir de : Olivier Donnat, « Les pratiques culturelles des Français à l'ère numérique », La Découverte / Ministère de la culture et de la communication, 2009, p.171 - Un site est consacré à l'ensemble de ces études : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/

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Quelles sont les collections possédées par cet établissement ? Des livres ? Des revues ? La presse ? Des CD ? Des DVD ? Des affiches, gravures, cartes postales ? Des ouvrages anciens ? Des livres d'artiste ? Avec un catalogue informatisé ? des accès à Internet ?

Qui, disposant de telles ressources, est légitime pour organiser des débats collectifs sur la démocratie, l'entreprise, la décoration de la maison, l'art, la culture, la connaissance ? Qui peut réagir à l'actualité et, en l'espace de quelques heures, préparer une table de presse sur « à peu près » tout sujet ?

Qui est légitime pour accueillir un auteur qui va venir parler de son oeuvre au milieu des livres de ses pères, frères et soeurs, écrivains contemporains ou déjà disparus ? Qui est légitime pour préparer des rencontres avec des cinéastes et établir un partenariat avec la salle de cinéma voisine ?

Quelle institution est ouverte sur la création artistique de proximité et s'engage à répondre aux questions des publics ? Comment s'appellent ces professionnels qui gèrent ces établissements où les ressources sont préservées, rendues accessibles gratuitement, et valorisées ?

Conclusion

Eveiller des intérêts nouveaux, suggérer des parcours imprévus, favoriser, susciter et satisfaire la curiosité intellectuelle des publics, susciter l'occasion d'apprendre ou de s'informer par plaisir, la communication en bibliothèque n'est que plaisir !

Si la bibliothèque est une fontaine de connaissances « ou une mine de ressources », alors oui, c'est le lieu de la fête et de l'événement 21. Fêtons la connaissance, la découverte, l'imprévu, la flânerie !

21 Nous devons, au contraire, rapprocher le tout autre ou le très lointain du plus proche ou du plus intime, en utilisant aussi bien les forums électroniques que les événements festifs. In Patrick Bazin, « Plus proches des lointains », BBF, 2004, n° 2, p. 8-14

Bibliographie

Outre les articles du BBF cités

Dominique Bourgeon - Renault, Le Marketing de l'art et de la culture, Dunod, 2009

Serge Alecian et D. Foucher, Le management dans le service public, Ed d'Organisation, 2002

Florence Muet, Stratégies marketing des services d'information, Ed. Cercle de la librairie, 2001

Marielle de Miribel (sous la dir. de), Concevoir des documents de communication à l'intention des publics, Presses de l'ENSSIB, 2001

Thierry Giappiconi, Pierre Carbone, Le management des bibliothèques, Cercle de la librairie, 1997

Bertrand de Quatrebarbes, Usagers ou clients ? Marketing et qualité dans les services publics, Ed. d'Organisation, 1995

Le contenu de cette introduction n’engage que son auteur et ne représente pas nécessairement l'opinion des partenaires organisateurs.

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Regard sur la communication des bibliothèques au sein de la communication institutionnelle des collectivités : enjeux et stratégies © Vincent Doulain – 2010 - Page 9 / 9