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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert par Bertrand GUÉLY ©FFANG-DREAMSTIME.COM  Faire du premium est possible mais, dans notre filière, il s’agit plus d’un état d’esprit animant l’ensemble, de La fourche à la fourchette que d’un concept marketing simplement élitiste. 26 vegetable.fr • n o 339 / décembre 2016 P ourquoi il est difficile de faire émer- ger en f & l un concept qui existe par- tout ailleurs pour créer de la valeur. Il y a à mon sens 7 grandes difficultés : 1 Difficile à segmenter Sous la dictature du tout visuel, on préfère souvent proposer un produit esthétiquement proche des planches des botanistes, quitte à être décevant à la tenue (la laitue belge qui perd sa beauté plus vite que Cendrillon), à la matu- ration (les avocats ou les poires qui coupent noir), à la préparation (les tomates sans chair mais pleines d’eau) et à la dégustation. 2 Difficile à maintenir Quand on cède aux charmes premium d’une belle bavaroise, ses options restent premium dans le temps, ce qui n’est pas vrai pour les périssables et pour les f & l en particulier. pre- mium sortie du champ et/ou de la station de conditionnement ne veut pas forcément dire encore premium lors de la mise à la vente BtoC. Les conditions de transport, de stockage, la manutention brutale et l’étalagisme minima- liste peuvent ruiner une bonne partie du travail d’orfèvre fait au départ. 3 Difficile à valoriser Ça eut payé mais ça paye plus ! Derrière cette formule éculée qui fait sourire se cache pour- tant une triste réalité. La difficulté de faire accepter aux acheteurs qu’un produit a néces- sité plus d’attention, la quasi impossibilité d’argumenter face à des systèmes d’appels d’offres et autres enchères inversées informati- sées, l’obligation de brader quand le marché est lourd, la tentation d’assouplir la sélection éli- tiste quand il est au contraire pénurique... Au final, les efforts en production sont rarement récompensés. 4 Difficile à étalonner et à pricer Beaucoup de clients tentés par l’achat pre- mium sont freinés par le différentiel tarifaire avec le cœur de gamme. Quand on vous pro- pose une barquette bois de 4 Golden face rosée à un prix d’américain et à côté une pro- motion, dans le même calibre, mais en catégo- rie 1 bis (c’est-à-dire 2 !) en pallox de produc- tion à 0,89 le kg, seuls les ultras ne reposent pas la barquette. 5 Difficile à sourcer Que ce soit une conséquence de la difficulté à le valoriser ou une pénurie réelle, une référence SI TOUT LE MONDE EN PARLE COMME UNE DES ARMES ABSOLUES POUR GAGNER LA BATAILLE DE LA DÉFLATION, PERSONNE NE SAIT DÉFINIR CE QU’EST LE PREMIUM EN F & L ET CE QU’IL FAUT GARANTIR POUR ESPÉRER EN TIRER LES FRUITS. Premium au départ… Et à l’arrivée ?

Premium au départ... et à l'arrivée?

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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

par Bertrand GUÉLY

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Le premium en f & l

 Faire du premium est

possible mais, dans notre filière, il

s’agit plus d’un état d’esprit animant

l’ensemble, de La fourche à la

fourchette que d’un concept marketing

simplement élitiste.”

26 • vegetable.fr • no 339 / décembre 2016

Pourquoi il est difficile de faire émer-ger en f & l un concept qui existe par-tout ailleurs pour créer de la valeur. Il y a à mon sens 7 grandes difficultés :

1 Difficile à segmenterSous la dictature du tout visuel, on préfère souvent proposer un produit esthétiquement proche des planches des botanistes, quitte à être décevant à la tenue (la laitue belge qui perd sa beauté plus vite que Cendrillon), à la matu-ration (les avocats ou les poires qui coupent noir), à la préparation (les tomates sans chair mais pleines d’eau) et à la dégustation.

2 Difficile à maintenirQuand on cède aux charmes premium d’une belle bavaroise, ses options restent premium dans le temps, ce qui n’est pas vrai pour les périssables et pour les f & l en particulier. pre-mium sortie du champ et/ou de la station de conditionnement ne veut pas forcément dire

encore premium lors de la mise à la vente BtoC. Les conditions de transport, de stockage, la manutention brutale et l’étalagisme minima-liste peuvent ruiner une bonne partie du travail d’orfèvre fait au départ.

3 Difficile à valoriserÇa eut payé mais ça paye plus ! Derrière cette formule éculée qui fait sourire se cache pour-tant une triste réalité. La difficulté de faire accepter aux acheteurs qu’un produit a néces-sité plus d’attention, la quasi impossibilité d’argumenter face à des systèmes d’appels d’offres et autres enchères inversées informati-sées, l’obligation de brader quand le marché est lourd, la tentation d’assouplir la sélection éli-tiste quand il est au contraire pénurique... Au final, les efforts en production sont rarement récompensés.

4 Difficile à étalonner et à pricerBeaucoup de clients tentés par l’achat pre-mium sont freinés par le différentiel tarifaire avec le cœur de gamme. Quand on vous pro-pose une barquette bois de 4 Golden face rosée à un prix d’américain et à côté une pro-motion, dans le même calibre, mais en catégo-rie 1 bis (c’est-à-dire 2 !) en pallox de produc-tion à 0,89 € le kg, seuls les ultras ne reposent pas la barquette.

5 Difficile à sourcerQue ce soit une conséquence de la difficulté à le valoriser ou une pénurie réelle, une référence

SI TOUT LE MONDE EN PARLE COMME UNE DES ARMES ABSOLUES POUR GAGNER LA BATAILLE DE LA DÉFLATION, PERSONNE NE SAIT DÉFINIR CE QU’EST LE PREMIUM EN F & L ET CE QU’IL FAUT GARANTIR POUR ESPÉRER EN TIRER LES FRUITS.

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QUESTION DE CLASSE

Vous voyagez en business ?Quand on prend l’avion, on a le choix de choisir sa classe. Par contre, la façon dont on arrive à destination n’est pas la même. Sur les longs trajets, le fait de disposer d’un embarquement simpliflié, d’une couchette assez spacieuse et de nourriture acceptable font qu’on arrive mieux qu’avec le piétinement du troupeau, l’épaisseur et les dimensions pygmée du siège Eco qui fait qu’on a les fesses à peu près comme après avoir réglé son tiers payant, la veste Boss modèle Jean-Louis Borlo à l’arrivée car elle a servi à caler le sac à dos du voisin et le plateau repas Tricatel sur lequel on casse ses couvercles en plastique... Sur ce modèle, pourquoi ne pas envisager le voyage en classe Business pour nos f & l, avec le transport et le stockage à température/hydrométrie dirigées ? Oui, les logisticiens vont râler car c’est plus cher mais, dans une approche coût global, que vont dire les équipes magasins et, surtout, ceux qui sont les vrais patrons des magasins, les clients ?

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Retrouvez l’humeur de Bertrand Guely sur son végéblog :

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Le mois prochain : Dix applications à développer pour notre filière.

premium n’est pas toujours présente et doit refaire son trou en rayon à chaque retour en gamme.

6 Difficile à emballerUne fois qu’on a sélectionné un beau et bon pro-duit, encore faut-il l’emballer en conséquence. Avec le prix au kilo réduit, on ne peut cependant pas partir dans des délires à la Starck sous peine d’avoir plus cher d’emballage que de produit, ni prévoir un emballage trop occultant (le client veut voir) ou un emballage peu respectueux de l’environnement, ou trop loin de la naturalité...

7 Difficulté à marketerVu la multitude de mentions racoleuses et de logos bidons qui trustent notre Filière, il n’est pas étonnant qu’on ait du mal à peaufiner les mes-sages qui vont vraiment parler au client dans le cadre d’un produit premium. Restent quelques basiques qui ont le mérite d’exister : légume de pleine terre et de terroir quand il est pertinent, fruit cueilli à maturité...

Ces difficultés cumulatives à proposer du f & l premium font que, pour certaines espèces, on a du mal à trouver autre chose que du tout venant tant le peu disponible est intelligemment « pari-selectionné » et confisqué par les réseaux spécia-lisés. C’est vrai pour les fruits mûrs par avion, les origines niches, les variétés nobles et rares, les calibres vendeurs et les catégories reines.

Réanimer le concept premium

Au niveau production1 Ne trichez jamais sur les cahiers des

charges sélectifs. Pink Lady et Cripps Pink, c’est la même espèce de pomme mais pas le même produit. Une variété de Golden qui colore la nuit en altitude par amplitude thermique, ça n’est pas pareil qu’une Golden qui fait systématique-ment des faces rosées dans n’importe quel ter-roir, sans impact sur la gustativité...

2 Tarifez ces produits selon la méthode du cost+. Ainsi, même en cas de pléthore d’une espèce, votre différentiel qualitatif restera par-tiellement protégé de la déflation.

3 Travaillez les volumes premium sous contrat d’approvisionnement. Les efforts réali-sés doivent être à coup sûr valorisés.

4 Invitez les acheteurs à venir voir sur site pourquoi c’est plus cher à produire. Quand on a assisté au passage sélectif du cueilleur de pêches/nectarines qui ne collecte que celles à

maturité, on sait. Quand on a vu fonctionner un tri colorimétrique ou une sélection du Brix par rayon infrarouge, on sait.

Au niveau logistique/distribution 1 En rayon, évitez les bergeries, les corners

et autres îlots ségrégationnistes réservés aux seigneurs quand les gueux auront juste le droit au rayon discount. Cela peut suggérer que le reste du rayon ne tient pas la route... Il vaut mieux, quand vous n’avez pas la clientèle pour un rayon tout premium, saupoudrer l’ensemble et donner l’alternative face à chaque espèce.

2 Faites le tri entre le faux premium (beau mais pas meilleur gustativement) et celui qui tiendra ses promesses à la dégustation.

3 Faites des choix et assumez des partis pris, en ciblant les espèces les plus souvent décep-tives (tomates, fruits d’été à noyau).

4 Ne le déployez pas de façon uniforme dans tous les points de vente. Adaptez-vous à votre clientèle et à la saison : un coffret de dattes bran-chées naturelles 1 kg pour Ramadan, l’origine algérienne cartonnera sans aucun doute.

5 N’appliquez pas mécaniquement des marges. Gagner moins sur ces petits volumes est un bon investissement sur l’image du rayon.

6 Bien sûr, ne lésinez pas sur la maintenance et garantissez le FIFO.

Le contenu et le contenant

Vous avez remarqué l’a priori positif qu’on a sur un vin quand il est simplement servi dans le grand verre ballon adéquat ? Vous avez noté comment les contrôleurs qualité sont plus suspicieux et donc plus pointilleux quand ils voient des palettes cassées/colis écrasés arriver sur plateforme? En f & l, et tout particulièrement quand on prétend faire du Premium, les fausses économies sur les contenants et autres éléments d’emballage sont malvenues. Une palette, un colis, une barquette, un sachet, une étiquette véhiculent au moins autant la notion de Premium que le produit en lui-même...