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Titres à Impact Social. Éléments d'analyse

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Titres à Impact Social (TIS) [Social Impact Bonds SIB] : Eléments d'analyse

Nouveaux types de financements publics

Les titres à impact social [social impact bonds], également appelées "Pay-for-success bonds" sont une forme non traditionnelle d’obligations émises par l’Etat sans taux d’intérêt fixe mais sur une période

prédéterminée par laquelle l’Etat s’engage à payer pour l’amélioration significative des résultats sociaux pour une population définie.

Il s’agit donc d’un contrat mettant en place une obligation non pas de moyens mais de résultats pour des organisations – associations, ONG, Social Business – dont la mission est de fournir un service à

même d’offrir une réponse sociale à un enjeu tel que la réinsertion de prisonniers, de toxicomanes, de sans domicile fixe, etc.

L’Etat ou les acteurs publics reconnaissent en réalité par ce biais la légitimité du secteur privé à agir et acceptent, dans une certaine mesure de reconnaître l’inefficacité des politiques publiques dans ces

secteurs, pour lesquels les coûts seraient vraisemblablement inférieurs s’ils étaient gérés par le secteur privé. Le secteur public s'engage en réalité à rembourser les investisseurs (principalement

des fondations, trust et organisations de capital risque social) ayant acquis les obligations avec des niveaux de rémunération variables en fonction du succès du programme mis en place.

Mis en place en 2010 en Angleterre avec l’aide de la banque d’investissement social, Social Finance1, ces titres à impact social sont aujourd’hui répliqués aux Etats Unis 2. En 2013, avec la création par le

G8 d’une taskforce internationale, elle même déclinée en Comités Consultatifs nationaux. Ces comités ont nourri la réflexion sur la mise en place d’outils d’investissement à impact social dans les pays

concernés. Un objectif : "innover financièrement pour innover socialement".

Le comité consultatif français, présidé par Hugues Sibille, a remis son rapport au gouvernement fin

septembre 2014. Parmi les 21 recommandations de ce rapport, le comité propose l’expérimentation d’un titre à impact social (TIS) en France. Retour sur le mécanisme de ce titre, l’intérêt de son

développement et les conditions d’une éventuelle transposition en France.

Le comité consultatif français de la taskforce sur l’investissement à impact social du G8 définit

l’investissement à impact social comme "un investissement qui allie explicitement retour social et retour financier sur investissement. Il implique l’établissement d’objectifs sociaux prioritaires et spécifiques, dont l’impact est mesurable par un processus continu d’évaluation." Le groupe de travail a identifié les parties prenantes de ces investissements et en a fait une cartographie: les investisseurs,

les canaux de financement utilisés, ainsi que les acteurs concernés par l’investissement à impact social

telles que associations, fondations, structures d’insertion par l’économie, établissements adaptés pour handicapés.

- Avantages et risques

Les titres à impact social sont un moyen innovant d'attirer des investissements dans des contrats

fondés sur des résultats profitant à la fois aux individus et aux communautés. L'investissement privé est utilisé pour financer des organisations expertes sur ces sujets et leur permet une source de

financement sur le long terme. Les retours financiers pour les investisseurs sont effectués par le secteur public sur la base des résultats sociaux. L’impact social est moteur car si le programme ne

fonctionne pas, les investisseurs ne récupèrent pas leurs investissements. C’est pourquoi aujourd’hui les "investisseurs" sont essentiellement des organisations à but non lucratif.

L’intérêt majeur de ce fonctionnement réside dans la répartition du risque entre secteur public et secteur privé. L’Etat réalise des économies dans la mesure où il ne paie que dans l’hypothèse de

succès du programme.

1 http://www.socialfinance.org.uk/work/sibs 2 Voir article de The Economist Who succeeds gets paid. 17 février 2011. http://www.economist.com/node/18180436?story_id=18180436

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Dans une interview du Guardian, David Hutchin, Directeur général de Social Finance, qui a mis en

place le mécanisme, souligne qu’il "y a un intérêt du secteur financier, une tendance des clients à

vouloir investir dans le progrès social plus directement 3."

Ce mécanisme nécessite cependant une forte ingénierie sociale, une évaluation précise du coût des politiques publiques et des gains potentiels à transférer le risque de ces programmes au secteur privé.

L’issue du programme et son impact social doivent également pouvoir être mesurés de façon précise

et juste étant donné le cahier des charges initial. L’objet d’un TIS est de créer une collaboration entre des investisseurs, des structures sociales et le secteur public autour d’un même objectif : la

prévention d’un problème social.

L’ensemble de ces réflexions tendent à rapprocher deux mondes : celui du social d’un côté et ce lui de l’entreprise de l’autre. Ce rapprochement est récent. Il n’est pas facile. La confiance n’est pas toujours

au rendez-vous entre entreprises ou établissements financiers d’un côté, et associations de l’autre. Les

associations en particulier craignent de perdre leur autonomie de décision au profit des financiers, redoutent que les indicateurs d’impact leur soient imposés et que ceci les amène à sélectionner les

publics. Mais dans le même temps de plus en plus d’associations cherchent à établir des partenariats avec le privé, sur des sujets tels que les achats responsables, le mécénat de compétences, la mise à

disposition de matériel ou de produits, et maintenant les investissements à impact.

Enfin, ce type de financement s’apparente à de l’investissement en capital dans une organisation

privée à la seule différence que l’Etat en cautionnerait le fonctionnement du fait de l’impact social et de la valeur créée. En cela, il semble possible d’imaginer une structure de financement similaire

pour des acteurs de développement de type ONG de solidarité internationale à partir du moment où les populations cibles et les objectifs sont clairement identifiés. Ces obligations permettent de lever

des fonds pour financer des ONG ayant fait la preuve de leur efficacité. Répliquer ce schéma en

partenariat avec des ONG impliquées dans la lutte contre la pauvreté au sens des OMD4 permettrait de drainer les flux de l’"Impact Investing" et de la nouvelle philanthropie vers des projets d’aide au

développement.

Un des enjeux, est le changement de paradigme que cette solution pose. La collectivité devient non

plus maîtresse de la réponse aux inégalités, mais en quelque sorte "cliente" d’organisations tierces censées être ainsi plus efficaces que la réponse publique. L’essentiel est que les partenaires travaillent

sur un mode de "co-construction" et que le projet social reste au centre du partenariat. Il y faut sûrement du dialogue, de la vigilance, de l’estime réciproque.

Les constantes : innovation, prévention et évaluation Certaines spécificités des programmes restent pourtant invariantes. Tous les TIS ont notamment un

aspect innovant. Ils mettent en lumière un problème social non résolu et testent une solution; cette expérimentation justifie la prise d’un risque financier lié à l’atteinte des résultats. Lorsque ces derniers

sont validés – par un évaluateur indépendant –, l’utilisation du titre n’est plus justifiée par le risque du projet et le secteur public peut se réapproprier le financement du programme en direct. En effet, le

secteur public n’a pas de raison de renouveler un mécanisme coûteux pour lui (coûts de structure et

paiement d’intérêts aux investisseurs) si les résultats sociaux sont certains.

Tous ont également un caractère préventif : le secteur public évite des coûts importants en cas d’atteinte des objectifs déterminés dans le cadre du TIS. Les coûts évités sont censés être toujours

supérieurs à ceux du titres à impact social. Enfin, tous nécessitent de pouvoir mesurer des résultats

pour permettre le remboursement et la rémunération des investisseurs.

Le modèle est encore trop récent pour être perçu comme un véritable levier en matière de philanthropie privée. Néanmoins, d’un point de vue tant structurel qu’éthique, il est important de

souligner l’importance de l’autonomie des organisations bénéficiaires des financements vis à vis des investisseurs.

3 http://www.guardian.co.uk/society/2010/oct/06/social-impact-bonds-intractable-societal-problems 4 Objectifs du Millénaire pour le développement

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Enfin, les résultats du mécanisme (impact social et coûts pour l’Etat ou les collectivités) ne seront

véritablement connus que dans quelques années. Il est cependant important de suivre ce modèle

britannique de près. Mise en service et le résultats social Fonds . Report, and the evaluation 20145 "Une preuve indépendante sur l'efficacité de SIB est relativement limitée, mais ce qui a été publié est encourageant. Plus particulièrement, les premiers résultats de l'évaluation indépendante de Peterborough (relative à la première des deux cohortes, et publié au début Août 2014) ont montré que la SIB avait réduit une nouvelle condamnation dans 936 délinquants de 8,4% de plus qu'un groupe témoin de dix fois nombre de délinquants dans d'autres prisons. Bien en dessous du niveau de la réduction de 10% nécessaire pour déclencher des paiements anticipés à des investisseurs, ce qui a été accueilli comme un résultat positif, et susceptible de conduire à des paiements de résultats une fois la performance est mesurée dans les deux cohortes en 2016 (lorsque le seuil de paiements est une réduction de 7,5%). Les DWP Innovation Fund Pilots sont également soumis à l'évaluation d'impact qui ne sera pas disponible pendant un certain temps, mais le DWP a des chiffres montrant que, au total, 10 700 jeunes gens avaient commencé participation à Fonds d'innovation de projets jusqu'à la fin de Octobre 2013 récemment publié . En outre, la première évaluation du processus, publié en Juillet 2014, suggère également que des progrès satisfaisants ont été accomplis et que des résultats positifs sont ou sont susceptibles d'être atteints. L'évaluation qualitative intermédiaire récente de la London Rough Sleepers Bond montre plus des résultats mitigés de sa première année de fonctionnement. Dans les quatre résultats pour lesquels des données sont disponibles, la performance a dépassé la cible sur un résultat (dans un logement stable) et une partie d'un autre (les progrès vers l'emploi). La performance a été inférieure à l'objectif de la part de la situation d'emploi, et réduit Dormir dans la rue et reconnexion soutenue à l'accueil Pays Des données plus anecdotiques de nos enquêtes soutenu essentiellement l'image positive de ces évaluations indépendantes. Plus de la moitié des commissaires (5 sur 9) et plus des deux tiers des fournisseurs de services (6 sur 16) ont déclaré que le SIB qu'ils étaient impliqués dans menait à un plus grand niveau d'impact avec les bénéficiaires que aurait été atteint par une livraison différente modèle".

TIS. Des parties prenantes multiples Les TIS impliquent de nombreuses parties prenantes: secteur public, investisseurs, population cible, intermédiaire, fournisseur de service (association ou social business) et évaluateur indépendant. La mise en œuvre de l’outil requiert donc la coordination d’entités de nature diverses aux modes de fonctionnement et aux intérêts variés. L’Etat est l’une des plus importantes parties prenantes. Les TISs s’adressent à n’importe quel gouvernement local ou national souhaitant répondre à une problématique sociale pour laquelle il souhaite mobiliser du financement et améliorer l’efficacité des programmes dont les coûts sont identifiés. A noté que la reproduction d’un tel outil en Europe continentale constitue un challenge important dans la mesure où la contractualisation des services sociaux y est largement moins répandue que dans les pays, anglo-saxons. Risques majeurs Le choix de la problématique sociale constitue un enjeu majeur dans la mesure où elle doit correspondre à une part importante de dépenses publiques afin de justifier la mise en place du mécanisme. Cette problématique peut également paraître plus ou moins rentable. Des risques de sélection biaisée existent donc par nature. Parmi les risques, la culture et idéologie jouent un rôle important dans l’acceptabilité du modèle. En effet, la principale question est de savoir si le secteur privé est à même de prétendre une intervention sociale moins chère et plus efficace que le gouvernement. Quelles propositions pour la France ? Au delà des risques évoqués, étant donné les dépenses importantes existantes en France dans certains secteurs clefs –récidive, logement social, réinsertion, décrochage scolaire ou soins des sans abri, il semble qu’une intervention via le modèle des “titres à impact social [social impact bonds] ” puisse être pertinente. De nombreuses études souligne que l’existence de statistiques dans ces secteurs ainsi que la présence d’associations impliquées de longue date dans la résolution de ces problématiques sociales pourraient faciliter la mise en place d’un TIS expérimental.

Le premier projet de titres à impact social [social impact bonds] en Angleterre 6

Le gouvernement britannique entreprit de mettre en place le système des Social Impact bonds en

2010 au sujet de la réinsertion d’anciens détenus de la prison de Peterborough.

5 James Ronicle, Social Impact Bonds: The state of play, November 2014. Commisioning Betr Outcomes evaluation https://www.biglotteryfund.org.uk/sioutcomesfunds 6 Source http://www.americanprogress.org/issues/2011/02/social_impact_bonds.html Emma Tomkinson, Lab of Social Investment (LIS) Evidence-based justice – or NOT! November, 2014. and The Justice Data Lab – an overview Ministry of Justice, Accessing the Justice Data Lab service Justice Data Lab pilot statistics November 2014

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Après avoir contracté avec une banque d’Investissement social du nom de Social Finance,

intermédiaire financier égale- ment appelé "social impact bond issuing organization" (SIBIO), le

Ministère de la Justice britannique prévoit de rémunérer cet organisme sur la base d’objectifs de performance sociale, dans le cas présent, si les taux de récidives chutaient d’au moins 7,5 % par

rapport à un groupe de prisonniers non pris en charge dans le cadre du pro- gramme. 5 millions de livres sterling ont été levées provenant d’organismes caritatifs, de Trust privés et familiaux afin de

financer le programme de réinsertion de 3000 prisonniers sortant de prison sur 6 ans mené par

l’organisation St Giles. Plus le taux de récidive diminue plus les investisseurs sont rémunérés (7,5% dès les objectifs atteints dans la limite d’un retour sur investissement de 13 %). Dans le cas présent,

l’argent investi provenait sur- tout de philanthropes et plus faiblement de capital conventionnel.

D’après Sir Ronald, fondateur de Social Finance, les gestionnaires de fonds privés et de fonds de pension doivent comprendre que les titres à impact social [social impact bonds] sont une classe

d’actif en soi, totalement légitimes étant donné les enjeux sociétaux actuels. Les premiers résultats ne

sont pas encore connus mais une étude indépendante du Ministère de la Justice de mai 2011 7 met en évidence les intérêts de cette pratique.

Figure. Mécanisme de fonctionnement de titres à impact social [social impact bonds] . Source : Social Finance.

7 Lessons learned from the planning and early implementation of the Social Impact Bond at HMP Peterborough. Ministry of justice. UK. 2011

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L’écosystème de l’économie sociale

Les réseaux d’information et de soutien Ashoka : réseau international d’entrepreneurs sociaux fondé en 1980, qui compte aujourd’hui environ

3 000 "Ashoka fellows ", dont une cinquantaine en France. Avise : Agence créée par la Caisse des dépôts et quelques grands acteurs pour aider au

développement des structures de l’ESS en France. Elle conçoit et dispense notamment des formations

et sert d’intermédiaire au Fonds social européen. Le Mouves : le Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) promeut les entreprises "qui ont

choisi de placer l’efficacité économique au service de l’intérêt général". Il est soutenu entre autres par la Caisse d’Épargne, le Crédit Coopératif et la fondation Macif.

UP Conférences : cycle de conférences, à Paris et en province, consacré à l’innovation sociale et

initié par le Groupe SOS. Un réseau social professionnel, Up Campus, y est associé. Et aussi CG Scop, Le Mouvement associatif, La Fédération des entreprises d’insertion…

Les laboratoires d’idées:

Le Rameau : observatoire et laboratoire dédiés à la co-construction, dont sont partenaires une vingtaine d’associations, entreprises, fondations et institutions à l’instar d’AG2R La Mondiale, la

Fédération nationale des Caisses d’épargne, Generali et la Caisse des dépôts.

Institut Jean-Baptiste Godin : se définit comme un centre de transfert en pratiques solidaires et innovation sociale. L’institut fait le lien entre étudiants et entrepreneurs solidaires et diffuse la culture

de l’économie solidaire. Il est soutenu par le Conseil régional de Picardie. MakeSense : réseau virtuel mondial source d’inspiration pour les entrepreneurs sociaux.

Et aussi la Fonda, le Labo de l’ESS…

Les "financeurs solidaires":

France Active : financeur dédié à l’emploi des personnes éloignées du monde du travail, il intervient sous forme de garantie, de prêts solidaires et en fonds propres. À Paris, France Active et Initiative

France ont fusionné dans Paris Initiative Entreprise (PIE). Adie : association octroyant des microcrédits professionnels accompagnés.

Et aussi La Nef, Garrigue et les Cigales, Autonomie & Solidarité, IDES, Esfin Gestion, Comptoir de

l’innovation, Phitrust Partenaires, Solid, Impact Partenaires, Citizen Capital, Danone communities, Spear, Wedogood…

Les incubateurs sociaux:

Social Good Lab : incubateur dédié aux technologies à impact social. Il a été créé conjointement par

la Ville de Paris et le fonds d’impact investing Comptoir de l’Innovation, par ailleurs fondateur de l’incubateur Le Comptoir en partenariat avec la fondation JP Morgan.

Antropia : l’incubateur social de l’Essec, soutenu financièrement par la Caisse d’Épargne Île-de-France. D’autres écoles ont aussi des incubateurs, comme StandUp à La Courneuve (HEC).

Et aussi SenseCube, La Ruche (espace de travail collaboratif parisien), La Fabrique à initiatives (Bordeaux), Ronalpia (Rhône Alpes), Bond’innov (Bondy)…

Les outils à l'investissement Plusieurs outils existent déjà; fonds solidaires, titres associatifs, titres participatifs; d’autres restent à

inventer, comme les titres à impact social. - Investissement socialement responsable (ISR) est un placement qui vise à concilier

performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les

entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. Au moins 90 % de l’encours de ces fonds est investi en titres ISR cotés et entre 5 et 10 % en titres

d’entreprises solidaires. Ces fonds, qui proviennent en majorité de l’épargne salariale représentent 4,3 milliards d’euros fin 2013 soit environ 300 millions d’euros investis directement dans les entreprises

sociales.

- Le titre associatif. Les obligations associatives ont été instaurées par la loi n°85-695 du 11 juillet 1985, permettant ainsi aux associations loi 1901 exerçant une activité économique d’émettre des titres

obligataires pour assurer leur financement à moyen-long terme. Les titres associatifs sont une catégorie d’obligations associatives, remboursables à l’initiative de l’association émettrice et au taux

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de rendement plafonné pour les investisseurs. Les obligations et titres associatifs ont permis

l’investissement d’environ 20 millions d'euros dans des structures sociales et certaines de leurs

caractéristiques sont revues par la loi ESS de juillet 2014. - Le titre participatif: créé par la loi Delors n° 83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des

investissements et la protection de l’épargne et est régi par les articles L. 228.36 et R. 228.49 du Code de commerce. Il offre la possibilité d’apporter des fonds propres sans limitation de montants, avec

une rémunération permettant de compenser l’absence de droit de vote à l’Assemblée Générale,

l’aspect non amortissable du titre et le risque lié à son statut de créance de dernier rang. Le titre participatif est une valeur mobilière à mi-chemin entre le capital et l’obligation, utilisée depuis

30 ans par l’IDES. - L’Institut de développement de l’économie sociale IDES, est une société de capital

développement créée en 1983 par la réunion de capitaux publics et privés. - L’épargne solidaire (6,02 milliards d'euros fin 2013) est composée de l’épargne salariale solidaire

(3,7) mais également de l’épargne bancaire solidaire (1,9) et de l’épargne collectée directement par

les entreprises solidaires (0,4). La loi ESS contribue à l’émergence d’outils répondant aux spécificités de chaque structure de l’ESS, mais nous sommes encore au stade de l’expérimentation ; il reste

beaucoup à faire. par exemple, fin 2013, l’épargne solidaire représentait "seulement" 0,15 % du patrimoine des Français (hors immobilier).

- Les titres à impact social (TIS) Mécanisme innovant par lequel des investisseurs privés apportent

des fonds à des porteurs de projets et ne sont remboursés par le secteur public qu’en cas de réussite.

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L’innovation sociale

"L’innovation sociale permet de “rendre compte des initiatives prises pour répondre à des attentes

sociales”8, à des besoins peu ou mal satisfaits, sans forcément faire l’objet d’idées neuves, mais bien d’une conception différente. Dans son développement, elle peut reposer sur des partenariats avec

l’État et les collectivités territoriales, voire avec des entreprises privées lucratives comme cherchent à l’exprimer les tenants du business social et ceux du nouveau capitalisme. Enfin elle est territorialisée

et s’inscrit dans des dynamiques collectives qui requièrent une gouvernance partenariale9.

L’innovation sociale, comme les autres formes d’innovation, suppose d’être analysée dans le cadre

d’un système d’innovation qui organise les coopérations entre les acteurs et contribue au développement des ressources sur un territoire."10.

A partir des années 2000, la conception de l’innovation s’élargit dans les orientations concernant la

recherche et le développement économique et social dans le cadre de politiques structurelles (11; 12).

Selon Dandurand13, cette période correspond à la phase de "généralisation" du concept d’innovation.

L’évolution du concept se poursuit, notamment dans les travaux de l’OCDE. Ainsi, selon le Manuel d’Oslo de 2005 : "Une innovation est la mise en œuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé

nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle

méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. Cette définition générale englobe une large palette d’innovations possibles"14.

Commission européenne Emploi, affaires sociales et inclusion...Innovation sociale Définition L'innovation sociale consiste à élaborer de nouveaux projets, services et modèles afin de mieux répondre aux questions sociales. Les citoyens et les partenaires du secteur privé, notamment la société civile, sont invités à apporter leur contribution pour améliorer les services sociaux. Les défis Face à certaines questions essentielles, l'innovation sociale a un rôle central à jouer: Comment résoudre efficacement les problèmes sociaux dans un contexte d'austérité budgétaire? En quoi consiste l'investissement social stratégique et comment peut-il être soutenu par les politiques sociales? Comment soutenir la formation continue, afin de garantir à chacun un revenu suffisant dans un monde en mutation permanente? Comment les partenariats innovants peuvent-ils amener les ressources privées et non gouvernementales à compléter les financements publics? Comment enrichir les connaissances factuelles nécessaires à l'élaboration des politiques et des réformes? Les solutions L'innovation sociale fait partie de la stratégie d'investissements sociaux de l'UE. Elle doit être intégrée à l'élaboration des politiques et liée aux priorités fixées dans le domaine social, comme la mise en œuvre des recommandations par pays (notamment en recourant au Fonds social européen). L'expérimentation des politiques sociales teste l'efficacité des politiques innovantes en réunissant des données sur leur véritable impact sur la population. Ces "expériences": apportent des réponses innovantes aux besoins sociaux; interviennent à une petite échelle afin d'évaluer l'impact sur le terrain; se déroulent dans des conditions permettant de mesurer cet impact; peuvent être développées à plus grande échelle si les résultats sont probants. Pour en savoir plus, consultez le "methodological guide to social policy experimentation" (guide méthodologique de l'expérimentation des politiques sociales).

La dimension sociale apparaît surtout au niveau des pratiques de l’organisation (l’entreprise) et ne renvoie pas ou peu à la société civile. Tout au plus, cette dernière transparaît dans la notion de

service.15

8 Bouchard, M. J. (2007), « L’innovation sociale en économie sociale », in Klein, J.-L., Harrisson, D. (dir.), L’innovation sociale. Emergence et effets sur la transformation des sociétés, Presses de l’Université du Québec, p. 121-138. 9 Richez-Battesti, N. (2008), « Innovations sociales et territoires : une analyse en termes de proximité. Une illustration par les banques coopératives », in Zaoual, H. (dir.), Développement durable des territoires : économie sociale, environnement et innovations, Paris : L’Harmattan, p. 61-87. 10 Nadine Richez-Battesti 11 Durance, P. (2011), L’innovation sociale, ou les nouvelles voix du changement, CNAM, Paris, [en ligne] URL : http://www.essenregion.org 12 Hillier, J., Moulaert, F., Nussbaumer, J. (2004), « Trois essais sur le rôle de l’innovation sociale dans le développement territorial », Géographie, Economie, Société, n° 6, 13 Dandurand, L. (2005), « Réflexion autour du concept d’innovation sociale, approche historique et comparative », Revue française d’administration publique, vol. 3, n° 115, p. 377-382. 14 OCDE (2005), La mesure des activités scientifiques et technologiques. Principes directeurs proposés pour le recueil et l’interprétation des données sur l’innovation technologique, Manuel d’Oslo, 3ème édition, Paris : OCDE. Pecqueur, B., Zimmermann, J.-B. (dir.) (2004), Economie de proximités, Paris : Lavoisier 15 Communication de la Commission européenne « Initiative phare Europe 2020. Une Union de l’innovation », en date du 6 octobre 2010

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En France, L’innovation sociale est liée à l’économie sociale et solidaire (ESS), comme en témoigne le

"rapport Vercamer" de 201016, ou encore certaines dynamiques régionales17, ou à la concertation régionale 201118.

L'innovation sociale n'est pas un concept stabilisé :

Les auteurs ayant mobilisé cette notion appartiennent à différents champs théoriques et disciplinaires;

elle recouvre donc des significations différentes selon les présupposés et références des personnes qui l'emploient.

La première conception, principalement anglo-saxonne, va essentiellement définir l’innovation sociale

à travers deux éléments : son caractère de nouveauté et sa finalité sociale. Cette conception se scinde en deux approches, qui diffèrent principalement sur les acteurs qui sont à l’origine de l’innovation

sociale : publics d'un côté, privés de l'autre. Ces deux approches ont des présupposés communs et se

révèlent relativement complémentaires.

La première approche porte sur la transformation des politiques publiques, et particulièrement les politiques sociales. Cette vision de l'innovation sociale est principalement promue par des

gouvernements et administrations nationales, et par des organisations supranationales (Commission

européenne, OCDE.).

L'innovation dans ce contexte est généralement vue comme un "levier clé d'évolution et d'amélioration

de notre modèle social et économique"19. Les enjeux autour de l'innovation sont dans cette perspective nombreux : faire face à la réduction des budgets, s'inspirer des méthodes et processus

issus du secteur privé, être réactif à la demande et aux besoins des usagers, le tout dans une perspective de compétitivité et d'attractivité des territoires ; objectifs dans la droite lignée des

présupposés et objectifs du New Public Management. "l’introduction d’une forme de concurrence entre

les services administratifs afin de bénéficier des bienfaits supposés de celle-ci, utilisation des "mécanismes" de marché comme mode de régulation interne, délégation maximale et encouragement

16 Vercamer, F. (2010), L’Economie Sociale et Solidaire, entreprendre autrement pour la croissance et l’emploi, Rapport sur l’Economie Sociale et Solidaire, avril, [en ligne] URL : http:// www.ladocumentationfrancaise.fr 17 Richez-Battesti, N. (2011), « L’innovation sociale comme levier du développement entrepreneurial local. Un incubateur dédié en Languedoc-Roussillon », Relief, n° 33, p 18 http://concertation2.wix.com/concertationess2 19 Eurogroup consulting (2011), « Le management de l’innovation dans le secteur public », Actes de la conférence « Les rencontres de la transformation publique, 3e édition », Paris, 19 octobre.

Commission européenne Emploi, affaires sociales et inclusion...Investissement social Définition Les "investissements sociaux" consistent à investir dans les personnes en adoptant des mesures pour renforcer leurs compétences et leurs capacités et leur permettre de participer pleinement au monde du travail et à la société. Les domaines prioritaires sont l'éducation, des services de garde d'enfants de qualité, les soins de santé, la formation, l'aide à la recherche d'emploi et la réinsertion. Les défis L'Europe est confrontée à d'immenses défis: La crise économique: le chômage, la pauvreté et l'exclusion sociale ont atteint des niveaux record et pèsent lourdement sur les ressources humaines, à l'heure où les budgets nationaux sont tendus; L'évolution démographique: la population en âge de travailler diminue, tandis que la proportion de personnes âgées augmente. Il faut trouver des solutions pour conserver des systèmes de protection sociale adaptés et durables. Les solutions Donne aux pays de l'UE des orientations pour utiliser leurs budgets sociaux de manière plus efficace et plus rationnelle, afin de garantir une protection sociale adaptée et durable; Vise à renforcer les capacités actuelles et futures des personnes et à améliorer leurs chances de participer à la société et au marché du travail; Mise sur des services et des prestations intégrés pour aider les personnes tout au long de leur vie et atteindre des résultats sociaux positifs durables; Insiste sur les mesures préventives, plutôt que curatives, afin de réduire les besoins en prestations et de disposer ainsi des moyens suffisants pour aider les personnes qui en ont besoin; appelle à investir dans les enfants et les jeunes afin d'augmenter leurs chances dans la vie.

10

à la gestion participative, redéfinition du bénéficiaire ou de l’usager comme client, conduite des

administrations publiques au regard de missions stratégiques"20.

L'innovation sociale dans ce cadre est encouragée et valorisée car perçue comme la capacité du

secteur privé et de la société civile à compenser les imperfections, errements et pesanteurs de l'action publique classique, voire de la remplacer. Cette participation de la société civile, si elle peut prendre

des formes collectives (rassemblant les usagers, des habitants, etc.), va souvent être représentée et

analysée à travers l'entrepreneuriat social, au cœur de la deuxième approche. Le concept d’innovation sociale en ressort d’autant plus flou.

C’est peut-être la raison pour laquelle sa définition est souvent réduite à une réponse à un besoin

social, quand bien même ce dernier peut aussi s’avérer problématique. Au delà de l’étendue et de la subjectivité propre à cette notion de besoin social souvent peu explicitée, nous avons retenu les

besoins sociaux "prioritaires" identifiés pas Hillier et al. (Ob Cit, p. 139). Ceux-ci relèvent du logement,

de la santé, du vêtement et de la nourriture, mais aussi de l’éducation, de la culture et de la démocratie. Nous les avons par ailleurs rapproché des dimensions objectives du bien-être au sens de

Stiglitz21. Toute entreprise peut prétendre répondre à un besoin social. Ceci nous invite donc à prendre en

considération non seulement le résultat, que nous avons cherché à mieux caractériser, mais surtout la

manière de parvenir à celui-ci, qui s’inscrit nécessairement dans une vision particulière de l’innovation sociale et du modèle de développement qu’elle implique (Ob Cit).

Par ailleurs, la frontière entre processus et résultat étant relativement poreuse, ce dernier intègre des

éléments du premier ce qui ne facilite pas sa détermination. En définitive, "l’innovation sociale est immatérielle. Elle fait essentiellement référence à des "façons de faire", des actions, des pratiques"22.

la nébuleuse qui entoure les concepts liés à l’innovation sociale, qu’ils soient liés à son processus ou

son résultat, nécessite de traduire ceux-ci en pratiques. "Ce qui compte pour l’innovation sociale, c’est la "good practice", la "bonne pratique" qui a démontré une contribution réelle à l’innovation sociale"

En outre, la nouveauté de l’innovation sociale peut être appréhendée par la mise en œuvre de

pratiques en rupture avec les pratiques habituelles dans un milieu donné "Le terme innovation sociale

recouvre des pratiques qui ne sont pas forcément nouvelles, du moins si on l’entend comme synonyme d’inédites ou d’inventives. (…) les pratiques dont il s’agit se posent en contraste de

pratiques existantes. (…) Nouveau signifie alors non figé, non bridé, et surtout hors normes. (…) innover n’est pas faire nouveau, mais faire autrement, proposer une alternative. Et cet autrement peut

parfois être un ré enracinement dans des pratiques passées"23.

Il existe à l’heure actuelle cinq grands marchés du financement de l’innovation sociale :

1) Les acteurs publics (les collectivités locales, les Etats et les organisations internationales) qui attendent un retour d’intérêt général uniquement. Grégoire Schöller, responsable des questions de

l’économie sociale au sein du cabinet du commissaire européen Michel Barnier affirme ainsi que la question du financement de l’entrepreneuriat social est un des chapitres de l’agenda de croissance de

la Commission Européenne afin que s’ajoute aux fonds structurels une priorité d’investissement dans

les entreprises sociales. 2) Les fondations et les mécènes philanthropes dont les attentes sont principalement un retour social.

L’essor des fondations d’entreprise est une tendance majeure de ce marché. Plus globalement, les grandes entreprises sont un levier dans le financement de l’innovation sociale en développant, à

travers des programmes de philanthropie, Base of the Pyramid ou d’hybridation des ressources, des

modèles de gouvernance et de financement innovants. Comme Danone et Schneider Electric. 3) Les structures de l’Impact Investing comprenant les financeurs solidaires comme les Cigales ou

France Active, les fonds de capital-risque comme Phitrust ou Bamboo Finance et les fonds de capital patient à l’instar d’Acumen Fund. Tous attendent un retour social équivalent et un retour financier plus

ou moins important, allant du seul retour du capital initial à un retour financier proche du taux de marché.

20 Pesqueux, Y. (2010), « Le « nouveau management public » (ou New Public Management) », [en ligne] URL : http://hal.archives-ouvertes.fr 21 Stiglitz, J. E., Sen, A., Fitoussi, J.-P. (2009), Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, URL : www.stiglitz-sen-fitoussi.fr 22 Cloutier, J. (2003), « Qu’est-ce que l’innovation sociale ? », CRISES, Collection Etudes théoriques, no ET0314, novembre. 23 Chambon, J.-L., David, A., Devevey, J.-M., (1982), Les innovations sociales, Paris Presses Universitaires de France.

11

4) Les banques (BNP Paribas, Crédit Coopératif) et les structures d’ISR (Investissement Socialement

Responsable) tels le fonds d’investissement BAC dédié au développement économique des banlieues.

5) Les particuliers à travers le microcrédit solidaire (Kiva, Babyloan, Entrepreneurs du Monde, Elevages sans Frontières) et l’épargne solidaire. Selon François De Witt, président de Finansol,

l’épargne solidaire des français a été multipliée par douze en dix ans aussi bien qu’à la fin 2011, près de 900 millions d’euros étaient investis dans des activités à forte utilité sociale et environnementale.

Il existe trois manières d’épargner solidaire pour un particulier :

- en sélectionnant un placement solidaire d’épargne salariale. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 oblige en effet l’ensemble des entreprises ayant mis en place un Plan d’Epargne

Entreprises à proposer au moins un fonds solidaire. - en choisissant des livrets d’épargne solidaires et de partage proposés au guichet de certaines

banques (Crédit Coopératif, Crédit Mutuel, Banques Populaires, etc.) permettant de verser une part de ses intérêts à une association partenaire.

- en investissant directement dans le capital d’une structure solidaire (Habitat et Humanisme, Terre de

Liens Foncière) ou d’un financeur solidaire : SPEAR permet par exemple à l’épargnant de choisir la destination exacte de son argent parmi une sélection de projets éthiques.

Destiné à garantir les placements solidaires depuis 1997, le label Finansol repose sur des critères de

solidarité et de transparence. Plus de cent placements sont aujourd’hui labellisés.

Face au développement de nouveaux modèles de financement de l’innovation sociale, un certain nombre de défis reste à relever pour assurer leur pérennité. Il s’agit d’abord de faire évoluer la culture

du financement de l’innovation sociale en France qui s’appuie largement sur le financement de projets plutôt que sur le financement structurel de l’organisation à but non lucratif. Par ailleurs, la

mesurabilité de l’impact social des activités financées et la définition d’indicateurs de performance restent deux conditions clefs au développement de ces nouveaux instruments financiers.

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Entrepreneuriat social

Apparu au tournant des années 80-90, le concept d’entrepreneuriat social (social entrepreneurship) est d’obédience anglo-saxonne. Il naît aux Etats-Unis, dans les milieux des écoles de gestion et des

universités. En 1993, la Harvard Business School créé la Social Enterprise Initiative et lance ainsi un mouvement que suivront d’autres universités comme Columbia ou Yale. "Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le concept n’est donc pas né dans la tête de militants sociaux, d’opposants à l’économie de marché ou de marxistes pur jus. C’est bien dans les cercles patronaux et les plus grandes écoles de gestion qu’il fait son apparition"24. La figure de l’entrepreneur social se diffuse alors

au niveau mondial, notamment par les fondations et associations qui le promeuvent. Il est néanmoins possible de mettre en évidence deux écoles de l’entrepreneuriat social, toutes deux américaines : celle

de l’innovation sociale et celle des recettes marchandes25.

Des organismes tels que l’OCDE, des banques comme le Crédit coopératif ou encore des ONG

réfléchissent depuis plusieurs années à ces problématiques. Deux conceptions s’opposent : la première, que l’on qualifiera d’"européenne", développe une vision de l’entrepreneuriat collectif autour

notamment des instruments de l’économie sociale ; la seconde, plus "anglo-saxonne", est plus axée sur les services et la démarche individuelle.

La proposition de règlement sur les fonds de l’Entrepreneuriat Social, adoptée par le Parlement le 6 mars 2013 et ses plus récents amendements donnent une définition de l'entreprise sociale et

envisagent une réflexion sur la création d'un label d'entreprise sociale. "Comme les entreprises sociales ont pour principal objectif d'avoir des effets sociaux mesurables et positifs, et non de maximiser leurs profits, le présent règlement ne devrait promouvoir le soutien qu'aux entreprises de portefeuille admissibles ayant pour vocation de produire des effets sociaux mesurables et positifs".

"Les entreprises sociales, qui sont de nature très variée et qui peuvent prendre différentes formes juridiques, fournissent des biens ou des services sociaux aux personnes vulnérables, marginalisées, défavorisées ou exclues. Il peut s'agir de services d'accès au logement, de soins de santé, d'assistance aux personnes âgées ou handicapées, de garde d'enfants, d'accès à l'emploi et de formation, ainsi que de gestion de la dépendance. Font également partie des entreprises sociales des entreprises qui emploient une méthode de production de biens ou de services qui intègre leur vocation sociale, sans que leurs activités se limitent nécessairement à la fourniture de biens ou de services sociaux. Celles-ci peuvent notamment viser à l'insertion sociale et professionnelle, par l'accès à l'emploi, de personnes qui sont défavorisées notamment par suite d'un manque de qualifications ou de difficultés sociales ou professionnelles qui conduisent à l'exclusion et la marginalisation. Ces activités peuvent également concerner la protection de l'environnement assortie d'une incidence sociétale, par exemple la lutte contre la pollution, le recyclage et les énergies renouvelables."26

A cet esprit entrepreneurial vient s’ajouter "l’esprit philanthrope". C’est en effet une solidarité de

nature philanthropique qui motiverait ce type d’entrepreneuriat, tourné vers l’assistance à autrui.

L’entrepreneuriat social peut alors tout aussi bien prendre forme dans le cadre d’organisations non lucratives, on parlera alors d’entreprise sociale, qu’au sein d’entreprises dont la finalité première n’est

pas sociale, on préférera alors parler de social business.

Social Business

Cette vision de l'innovation sociale entraîne certaines interrogations voir critiques, souvent en lien avec

celles que connaissent le New Public Management, l’entrepreneuriat social et le social business.

Celles-ci vont porter sur différents aspects.

24 Sen, A. (2000), Repenser l’inégalité, Paris : Seuil. 25 Nyssens, M., Defourny, J., Gardin, L., Laville, J.-L. (2012), « Entreprises sociales d’insertion et politiques publiques : une analyse européenne », [en ligne] URL : http://www.bsv.admin.ch et Richez-Battesti, N., Petrella, F., Vallade, D. (2012), « L’innovation sociale, une notion aux usages pluriels : quels enjeux et défis pour l’analyse ? », Innovations, vol. 2, n° 38, p. 15-36. Richez-Battesti, N., Vallade, D. (2012), « Editorial. Innovation sociale, normalisation et régulation », Innovations, vol. 2, n° 38, p. 5 26 Amendements du Parlement européen, adoptés le 13 septembre 2012, à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux fonds d'entrepreneuriat social européens (COM(2011)0862 – C7 0489/2011 – 2011/0418(COD))(1) (Amendement 8)

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- L'accent mis sur le rôle de l'entrepreneur individuel se ferait au détriment d'autres formes

d'initiatives dotées d'organisations plus collectives, et porteuses de pratiques démocratiques.

- Elle renverrait à une solidarité philanthropique, qui sous couvert de lutte contre la pauvreté et l'exclusion passerait sous silence certaines questions telles que la lutte contre les inégalités, et

risquerait de créer un lien de domination entre entrepreneurs et donateurs d'une part et bénéficiaires d'autre part. "L’école des recettes marchandes définit l’entreprise sociale comme forme d’organisation qui permet de résoudre les problèmes de financement des organisations non lucratives en développant des activités économiques génératrices de recettes mises au profit de la mission sociale des organisations. Cette première conception a ensuite été élargie pour considérer aujourd’hui comme entreprise sociale toute organisation, lucrative ou non, qui déploie une activité économique marchande au profit d’une finalité sociale" (Richez- Battesti et al., 2012, p. 20).

L’école des recettes marchandes, tout comme l’école de l’innovation sociale, met en avant la fonction

entrepreneuriale, en insistant sur les motivations philanthropiques et les opportunités de marché

(donc la possibilité de voir se positionner des organisations lucratives).

Trois éléments sont donc mis en avant dans cette approche : - l'entrepreneur social, qui associe les qualités d'un entrepreneur classique avec la volonté de

répondre à des besoins sociaux.

- la relativité de la non lucrativité. En cas de lucrativité l'entreprise utilise les bénéfices dégagés par ses activités marchandes pour financer d'autres projets non rentables à finalité sociale. Cette

structuration aboutit à l'élaboration de structures hybrides. Cette entreprise utilise les mêmes outils qu'une entreprise à finalité lucrative.

- un aspect philanthropique, avec l’assistance à autrui comme mobile d’action. Cet altruisme va s'incarner à travers deux figures, l'entrepreneur et le mécène, pour lesquels le profit n'est pas un

objectif ; le mécène sera incarné par des particuliers fortunés, des fondations voire des grandes

entreprises ou groupes économiques.

Le Fonds social européen (FSE) -Fonds structurels - Soutient des investissements importants en matière d’innovations sociales dans le secteur de l’emploi

et de l’inclusion sociale. Pour la période 2007-2013, le FSE a cofinancé, à hauteur de 75 millions

d’euros, des projets nationaux, régionaux et locaux visant à améliorer les taux d’emploi, à créer des emplois de qualité et à promouvoir l’inclusion sociale.

Les perspectives à l’horizon 2020 sont favorables pour ce qui est du maintien de financements de l’UE.

Un nouveau Programme européen pour le changement et l’innovation sociale devrait aider à la mise

en œuvre des politiques sociales et de l’emploi dans l’UE 2020. Les mesures devant être soutenues sont le partage de bonnes pratiques, le renforcement des capacités et l’expérimentation sociale, afin

de permettre l’application de ces solutions à plus grande échelle. La Banque Européenne d’investissement (BEI) et le TIS: La BEI souhaiterait lancer des actions pilotes

qui permettraient de prouver ou développer l’efficacité de ce nouvel instrument et, éventuellement,

l’intégrer sur les marchés des capitaux pour attirer des investisseurs privés. Selon la BEI, "le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE) pourraient, à l'avenir, être mobilisés pour piloter et catalyser le modèle d'investissement des titres à impact social [social impact bonds] : soit en aidant les entreprises sociales impliquées dans des programmes TIS, soit en soutenant les autorités publiques qui doivent payer des intérêts à la fin d'un contrat TIS en co-investissant dans l'investissement à risque à côté des investisseurs privés, soit enfin en augmentant le rendement versé aux investisseurs"27

La démarche d’expérimentation sociale en France En France, le Centre d'analyse stratégique du Premier Ministre a publié en mars 2012 une note

portant sur la place de l’entrepreneuriat social. La première proposition énoncée porte sur les sources de financement. Le rapport recommande de compléter les financements publics par de nouveaux

outils, notamment "en expérimentant un appel à projets avec un financement dont le rendement est

27 NINTUNZE N., Social Impact bonds, une pratique à importer ?, analyse du Réseau Financité, novembre 2012. Disponible sur : www.financite.be

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conditionné aux résultats, sous la forme d’ "obligations à impact social". Cette note n’est pas anodine

puisqu’elle constitue un outil pour guider le gouvernement dans ses politiques28.

La France n’est pas exempte des contraintes et problématiques sociales rencontrées par les autres

pays. Une expérimentation permettrait de tester ce modèle et serait justifiée au regard de potentiels coûts évités. Par ailleurs, les acteurs français pourraient bénéficier des leçons tirées des expériences

étrangères et adapter le mécanisme au contexte français.

Un titre apportant une garantie partielle sur capital serait par exemple plus adéquat ; cela permettrait

d’augmenter la prévisibilité de budget de l’acteur public en réduisant l’amplitude d’un paiement potentiel – en cas d'échec ou de succès – et de s’ajuster au profil de risque des investisseurs sociaux

français.

Par ailleurs, les structures sociales porteuses du projet devraient rester les expertes de leur

programme et en conserver la gestion en assurant toutefois un reporting solide sur son état d’avancement et ses résultats intermédiaires à destination des investisseurs.

Plusieurs bonnes pratiques sont également mises en place en France autour de la démarche

d’expérimentation sociale. François Hollande, semble vouloir également mettre en avant l’innovation

sociale : lors de la conférence de clôture des Assises de l’entrepreneuriat du 29 avril 2013, il a reconnu que l’innovation n’était "pas que technologique" et a annoncé son ambition de créer un Fonds

pour l’innovation sociale, qui serait géré par la Caisse des dépôts et pourrait faciliter l’accès aux prêts et fournir des apports en fonds propres.

Le développement des titres souffre du stade encore embryonnaire du marché, en termes de coûts

élevés de mise en place, de méthodes de mesure d’impact encore peu répandues, ou d’un risque de

dérives. Les frais de création seront certainement amenés à diminuer au fur et à mesure de leur développement, et pourraient être limités en France par l’utilisation de mécanismes financiers déjà

existants.

De la même manière, les méthodes de mesure se développent et les investisseurs, plutôt que de

calculer le couple rendement/risque classique, pourraient se tourner vers l’évaluation du trio rendement-risque-impact, entraînant la création des méthodes de valorisation associées. Quant aux

risques de dérives que pourrait impliquer la curiosité de nombreux investisseurs à l’égard de ce nouveau – et encore petit – marché, ils pourraient être limités en sélectionnant des investisseurs déjà

engagés dans le financement de l’innovation sociale et en réglementant la structuration de ce produit.

28 http://archives.strategie.gouv.fr/system/files/2012-03-06-entrepreneuriatsocial-na_268_1.pdf

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L'Evaluation

Dans l’appellation d’évaluation de l’impact social se cachent des objectifs très divers qui sont souvent confondus par les acteurs. Elles relèvent quant à elles quatre démarches différentes, auxquelles elles

associent un type de méthode particulièrement adapté29. - Evaluation de la pertinence: Si l’objectif consiste à valider les besoins sociaux et la réponse apportée,

pour mieux appréhender et maximiser le potentiel d’impact social, on parlera alors de préférence

d’évaluation de la pertinence. - Evaluation de l’efficacité: Si l’objectif consiste à mesurer le niveau de réalisation des objectifs et

analyser d’éventuels écarts, pour rendre des comptes, réviser ses objectifs et progresser, on parlera alors de préférence d’évaluation de l’efficacité.

Evaluation de l’efficience: Si l’objectif consiste à comparer les ressources investies dans le projet et les résultats qui en découlent pour optimiser l’allocation de celles-ci et s’assurer de leur rentabilité

"sociale", on parlera alors de préférence d’évaluation de l’efficience

Evaluation de l’impact net: Si l’objectif consiste à démontrer les changements sociaux rendus possibles par le projet pour le pérenniser ou le faire changer d’échelle par exemple, on parlera alors de

préférence d’évaluation de l’impact net (au sens où il faut arriver à déduire ce qui serait arrivé de toute façon par ailleurs).

Les indicateurs Analyse permet de piloter au mieux un projet à finalité sociale, d’en évaluer et si possible d’en

améliorer l’efficacité. Mais une difficulté peut se poser quand il s’agit de mesurer des évolutions humaines complexes (confiance en soi, bien-être, capital social, etc.). Les indicateurs peuvent être

construits par leurs seuls utilisateurs, co-construits entre différentes parties prenantes, empruntés à certaines bases de données (en vue de leur comparaison) ou adaptés de modèles existants. Dans tous

les cas, il ne faut jamais surestimer la capacité d’indicateurs à faire autre chose que d’indiquer.

La complexité et le coût

La difficulté peut être de sous-estimer la complexité d’un processus d’évaluation de l’impact social.

Alors que l’évaluation et le suivi des activités économiques d’une entreprise est une pratique assez

courante, l’évaluation de l’impact social est probablement une matière plus complexe, à laquelle nous sommes en tout cas moins habitués.

- La première relève du nombre et de la variété des éléments à prendre en compte. Ce qui implique

de prioriser certaines informations par rapport à d’autres et donc une incomplétude irréductible.

La deuxième est basée sur le fait que la relation de causalité simple (A est cause de B) se rencontre très rarement dans la réalité. Celle-ci est plutôt faite de relations complexes, multiples (A et B sont

causes de C) et de rétroactions (A est cause de B qui est cause de A). Toute représentation de la chaîne des résultats ou des impacts est forcément simplificatrice.

- La troisième tient au fait que l’évaluation ou la mesure d’effets de nature humaine, psychosociologiques, comme par exemple le sentiment de confiance en soi et en les autres ou

l’empowerment, pose la question des limites de nos connaissances.

- La quatrième cause de complexité est que toute entreprise sociale repose sur des valeurs qui jouent un rôle dans la production de l’impact mais aussi dans son évaluation. Ces valeurs peuvent être plus

ou moins partagées entre les différentes parties prenantes. Elles peuvent aussi être contradictoires entre l’entreprise d’une part et les pouvoirs publics subsidiant d’autre part.

Il convient de ne pas sous-estimer la complexité réelle de tout processus d’évaluation mais il faut aussi éviter que cette complexité ne devienne paralysante. Il faut d’une part de reconnaître la part

d’incertitude, d’approximation et d’instabilité de toute évaluation et d’autre part d’adopter une approche pragmatique au sens où l’évaluation doit surtout aider les entreprises sociales dans la

poursuite de leur mission.

29 STIEVENART E. et PACHE A.-C., « Evaluer l’impact social d’une entreprise sociale : points de repère », dans RECMA, n° 331, p. 79. La lecture de cet article nous a paru très éclairante et a partiellement servi à structurer cette analyse.

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Le retour social sur investissement (SROI)

Le retour social sur investissement (SROI) est un cadre d’analyse pour mesurer et rendre compte d’une conception élargie de la valeur incluant les coûts et les bénéfices à la fois sociaux,

environnementaux et économiques. Il vise ainsi à promouvoir les actions participant à la réduction des inégalités sociales et de la dégradation environnementale, ainsi qu’à l’amélioration du bien-être.

Le SROI raconte comment est créé le changement, mesure les résultats sociaux, environnementaux et économiques atteints et les exprime en valeurs monétaires, afin de calculer un ratio coût/bénéfice.

Un rapport de 3/1 indique, par exemple, qu’un investissement d’1 € apporte 3 € de valeur sociale.

Les organisations de l’économie sociale et solidaire et les entreprises privées qui créent de la valeur sociale peuvent utiliser le SROI comme un outil de management destiné à améliorer leur performance,

contrôler leurs dépenses et souligner leur valeur ajoutée. Il peut s’agir d’organisations nouvellement

créées qui élaborent leur business plan ou d’organisations bien établies.

Le SROI peut servir à analyser la valeur sociale générée par des activités marchandes, que l’organisation vende ses produits ou services aux particuliers, au secteur public ou à d’autres

entreprises.

Évaluer leurs pratiques, leurs résultats et leurs impacts.

Les dangers à éviter sont,

1.- la faible prise en compte du contexte et de l’environnement de l’action. 2.- le déterminisme causal (si je fais A+B+C, j’obtiendrai D) qui est épistémologiquement dépassé. 3.- la dépolitisation en ce

sens que les rapports de force et les dissensus entre acteurs ne rentrent pas en ligne de compte. Et,

4.- la possible dévalorisation des alliances (puisque chacun doit prouver sa propre contribution, ce qui peut être plus simple à réaliser si on est le seul à agir). Il faut développer des espaces critiques au

sein desquels les outils et méthodes d’évaluation peuvent eux-mêmes être évalués par les divers acteurs qui y sont liés.30

30 MORTIER Q., « Cadres logiques et travail social : la quadrature du cercle », octobre 2010

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Pouvoirs publics et investisseurs: SROI - TIS (SIB)

Les acteurs qui délèguent la création de valeur sociale ou qui investissent dans la création de valeur

sociale peuvent utiliser le SROI comme outil d’aide à la décision dans un premier temps (dans quoi investir ?), puis, dans la durée, pour évaluer la performance et mesurer les progrès obtenus.

Les investisseurs sociaux et les pouvoirs publics peuvent utiliser le SROI à trois stades du processus

de délégation ou d’investissement.

• Définition du besoin/pré-investissement – les analyses SROI prévisionnelles peuvent être utilisées au stade de la planification stratégique pour décider du lancement d’un programme, faire des études de

marché et définir la portée et la spécification des appels à projet. • Candidature/réponse à un appel à projets – les analyses SROI prévisionnelles peuvent être utilisées

pour évaluer quel candidat ou prestataire est susceptible de créer le plus de valeur (un SROI d’évaluation peut être utilisé à ce stade si les candidats ou prestataires interviennent déjà dans le

domaine concerné).

• Suivi et évaluation/gestion du contrat – les analyses SROI d’évaluation peuvent être utilisées tout au long du contrat ou de l’investissement, pour suivre les performances d’un candidat retenu ou d’un

prestataire

L’utilisation du SROI pour rendre compte des décisions de délégation du service public est en

conformité avec les recommandations du ministère de l’Economie et des Finances britannique en matière d’évaluation du rapport qualité/prix. Ce ministère affirme que l’évaluation du rapport

qualité/prix doit être basée sur "le meilleur rapport possible entre coûts complets et qualité (ou adéquation aux objectifs) des biens ou services pour satisfaire les besoins de l’utilisateur".

Ces coûts et profits doivent aussi prendre en compte les "coûts et profits sociaux et

environnementaux qui n’ont pas de valeur marchande".

Le TIS débat de nature idéologique

Un produit financièrement intéressant. En général, l'outil est présenté comme offrant un rendement assez limité, apte à n'attirer, dès lors,

que des investisseurs philanthropes. En effet, tout le risque d'un TIS est supporté par l'investisseur

(comme dans le cas d'une action), mais son rendement potentiel est plutôt proche de celui d'une obligation (5,4 % dans le cas de DUO for a JOB). Par ailleurs, il n'y a pas de marché secondaire pour

les TIS (l'investisseur ne peut donc en aucun cas revendre son TIS). Pas très attrayant, donc, pour les investisseurs qui ne recherchent que le profit.

Cependant, cette description généralement avancée n'est peut-être pas très réaliste. le risque pris

dépend, entre autres, de l'expérience de l'opérateur social et de la connaissance développée par rapport au type d'intervention sociale.

Le débat.

Les plus frileux dénoncent la privatisation, la commercialisation ou encore la spéculation sur des compétences qui doivent rester exclusivement publiques pour défendre l'intérêt général. Aux

antipodes, les porteurs de TIS avancent des arguments alléchants : le mécanisme favorise

l'innovation, des programmes préventifs plutôt que curatifs, une approche orientée sur les résultats et, donc, une meilleure allocation des ressources.

Les arguments favorables aux TIS sont les suivants :

• Les ressources financières : dans un contexte de carence des finances publiques, l'investissement de

fonds privés permet de réaliser des programmes qui, sinon, n'auraient pas bénéficié de financement31. • Par ailleurs, se situant dans le secteur de la philanthropie, le TIS présente l'avantage de pouvoir être

réinvesti en cas de succès. Les philanthropes peuvent donc disposer de ressources financières renouvelables pour des projets sociaux.

• Les contraintes de gestion des finances publiques : l'annuité des finances publiques – le fait qu'au cours d'une année chaque dépense doit être justifiée

31 En France, selon le Paysage associatif français de Viviane Tchernonog publié en 2013, 92 % des associations du secteur médicosocial mentionnent des difficultés liées à une contraction des ressources publiques

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• Constitue une contrainte importante pour les élus. En résultent, par exemple, des difficultés pour le

financement de programmes de prévention, dont les résultats ne sont visibles qu'en fin de

programme. • Les TIS offrent une réponse adaptée à cette difficulté puisque la dépense a lieu lorsque les résultats

sont obtenus. • L'externalisation du risque : le risque repose sur l'investisseur et non sur le pouvoir public.

• Les programmes sont généralement d'ordre préventif (et donc souvent moins coûteux que des

programmes curatifs). • L'approche basée sur la mesure des résultats permet de s'assurer de la bonne affectation des

ressources et entraîne une professionnalisation des secteurs publics et associatifs. • Le mécanisme permet de tester des programmes sociaux innovants.

Les Contre-arguments invoqués :

• Le champ d'application limité des TIS : ils ne sont adaptés qu'aux situations dans lesquelles (i) le

problème social, après débat politique, fait l'objet d'un consensus ; (ii) on peut identifier une population cible, et (iii) les résultats de l'action sociale sont évaluables (il est recommandé de

constituer des groupes contrôles représentatifs afin de garantir la qualité de l'évaluation). Le secteur de l'éducation, par exemple, ne se prête pas bien aux TIS puisqu'il n'y a pas de consensus sur la

manière de mesurer le lien entre la qualité de l'éducation et les différentes variables qui influencent la

réussite des élèves – formation et encadrement des professeurs, milieu familial, niveau de formation des parents, motivation des élèves, nationalité, genre...

Quant au désengagement de l’État, celui-ci demeure le tiers payeur du projet ; il n’a pas intérêt à faire

perdurer un mécanisme qui lui coûte cher et aura tout intérêt, une fois que le programme aura été éprouvé, à reprendre in fine le financement du programme social en direct. Le recours au TIS est

donc supposé être temporaire et le mécanisme pourra se reporter sur un autre programme dès

l’instant où l’efficacité de celui qui a été financé a été prouvée.

• Les défauts inhérents à l'évaluation de l'impact social. En effet, les évaluations d'impact social sont nécessairement partielles (elles se limitent aux aspects que l'on veut évaluer) et biaisées (elles sont

toujours en partie qualitatives ; or les évaluations qualitatives comportent de nombreux biais).

• Le risque d'écrémage : le risque existe que le public cible du programme soit celui dont le problème social est le plus facile à régler.

• La frilosité à l'innovation. Les investisseurs privés étant ceux qui supportent le risque dans le modèle TIS, ils auront tendance à sélectionner des programmes qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs, et

pourraient présenter une certaine aversion à l'innovation.

• Le coût élevé de la mise en œuvre : les caractéristiques des projets TIS sont telles que ceux-ci requièrent un traitement juridique et un processus d'évaluation qui doivent être minutieusement

menés et représentent donc un coût élevé. • La privatisation des services publics : n'y a-t-il pas un risque de voir le secteur public se décharger

de plus en plus de ses responsabilités en transférant des missions qui lui sont historiquement confiées à des acteurs privés ?

• La marchandisation de l'action sociale : les TIS pourraient-ils favoriser les actions sociales rentables

au détriment de celles qui le sont moins ? En effet, si les fonds investis dans les TIS le sont dans une logique de minimisation du risque et de maximisation du profit, ce pourrait être le cas.

Mises à part ces limites, principalement dues à leur jeunesse, les TIS sont accusés de favoriser le

désengagement de l’Etat, de mener à la financiarisation du secteur social ou à un monde dans lequel

seuls les projets à impacts quantifiables seraient menés. Avant une possible expérimentation d’un titre, ces idées reçues devront être abordées concrètement afin de lever les appréhensions et craintes

des futures parties prenantes.

En effet, bien qu’ils reçoivent une couverture médiatique importante, les TIS ne constituent qu’un produit financier de l’investissement à impact social parmi d’autres ; ils viennent compléter les

dispositifs par des financements intégrant des résultats quantifiables. Ils n’ont vocation ni à remplacer

des financements sociaux existants tels que les subventions, microcrédits ou titres associatifs, ni à financer des programmes aux impacts principalement qualitatifs qui ne devraient pas souffrir de

l’expérimentation d’un TIS.

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Le recours systématique au marché n'est pas sans soulever de nombreuses interrogations. Elle

conforte le marché comme mécanisme économique premier, et nie le sens politique de la présence des pouvoirs publics dans le tour de table des parties prenantes d’un projet. Si l’on s’en tient à la

dimension économique, nous pourrions également avancer qu’elle évacue toute justification des financements publics liée à la production de biens publics.

Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur l’avenir des TIS. Toutefois, en tant que pays très engagé socialement, il serait souhaitable que la France lui crée un cadre légal dédié, ce qui permettra

de favoriser les expérimentations de ce concept.

Mais ce recours systématique au marché aurait également pour conséquence l'importation et l'imposition des techniques de management et critères de gestion propres aux entreprises capitalistes

à l'ensemble des organisations ; dans cette optique, les associations du secteur non lucratif seraient

progressivement et naturellement amenées à se convertir en entreprises dites "classiques". En se rapprochant ainsi du social business, elle gagnerait en efficacité économique mais perdrait leur

dimension politique.

Condrieu 15 02 2015

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