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La santé numérique, la médecine 4P et les assurances

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Alain TASSY – 07 février 2017 Page 1

Compte rendu de la 5ième réunion thématique du 28 septembre 2016

La santé numérique, la médecine 4P et

les assurances

Et si votre futur médecin traitant était la hotline de votre assureur ?

Et si vous décidiez que votre meilleur antidote contre la maladie c’est vous, à

condition d’y être incité par votre complémentaire santé?

Et si votre mutuelle devenait votre e-commençant pour les objets connectés de

santé ?

Et si, enfin, votre inscription dans un club sportif était prise en charge par votre

mutuelle?

Invités

• Nicolas Le Berrigaud & André Grondin - optimind winter

D’un système de financement à la prévention des soins

• Patrick Gendre, ancien de la CNAMTS

Impact du numérique pour l’assurance maladie obligatoire

• Quentin Bériot - Covéa

Impact de la médecine 4P sur le Business Modèle assurantiel

• Hervé Franck - Axa

Difficultés à innover avec les contraintes réglementaires – Evolution des contrats

collectifs dans les entreprises

• Dr. Teboul - Visiomed

Conciergerie médicale

+ Témoignage Paul-Louis BELLETANTE- Betterise

Les présentations sont en ligne sur le site de l’association pour les membres du groupe ou sur

Slideshare Telecom-Paristech-Santé pour les autres participants.

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Introduction

Cette réunion a rencontré un vrai succès et nous avons à nouveau battu le record de

personnes inscrites.

Après un rappel sur la définition de la médecine 4P : Préventive, Personnalisée, Prédictive

et Participative, nous avons constaté que beaucoup de choses avaient changé depuis la

parution en mars 2015 du livre blanc « Innovation et transformation numérique de

l’assurance»1.

En particulier, l’ANI (Accord National Interprofessionnel) prévoit que depuis le 1er janvier

2016 chaque employeur doit pouvoir proposer une mutuelle d'entreprise à ses salariés.

Cela a bouleversé le marché en incitant les assureurs à lancer de nouveaux services pour

se différencier. Ainsi AXA a ouvert son plateau de téléconsultation qui a obtenu

l’autorisation de prescription.

Par ailleurs, la position de veille de nombreuses assurances sur le numérique s’est

transformée aujourd’hui en actions concrètes opérationnelles. Ces actions se concentrent

sur la prévention et la participation de l’assuré. Dans la prévention nous pouvons citer

par exemple la MGEN qui a lancé le site Vivoptim, ou la Caisse Nationale d’Assurance

Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) qui utilise le big data pour organiser ses

campagnes de prévention face au le diabète ou à l’asthme. Dans la participation,

Generali propose un nouveau produit Vitality qui incite financièrement l’assuré à se

prendre charge. Harmonie Mutuelle teste et vend sur son site des objets connectés de

santé.

Télémédecine

La télémédecine se développe très rapidement en particulier au Canada. La France a été

un des premiers pays à légiférer. La Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 ainsi que le

décret du 19 octobre 2010 ont donné une définition précise de la Télémédecine et fixé

son cadre réglementaire. Mais le développement reste encore limité en France.

Axa est précurseur dans le domaine et a mis en place un plateau de téléconsultation avec

des médecins urgentistes embauchés. Il aura fallu deux ans pour qu’Axa Assistance

obtienne les autorisations nécessaires de l’ARS et de la CNIL pour ouvrir ce service qui

inclut, si nécessaire, la prescription de médicaments ou d’examens.

La personne est accueillie par une infirmière qui gère les aspects administratifs et répond

le cas échéant aux questions de son ressort. Si le médecin décide de prescrire,

l’ordonnance est envoyée au pharmacien désigné par le malade. Le malade n’a plus qu’à

aller chercher les médicaments.

Dans 25% des cas le malade est orienté vers une consultation « physique », dans 6,5%

vers les urgences et 3,5 % des appels concernent une assistance médicale. Ainsi 65%

des appels sont traités en téléconsultation.

1 Editeur FINANCE INNOVATION, ISBN : 978-2-9527215-2-3

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Classé par pathologies, 48,5 % des appels concernent un état infectieux et 34,2 % des

problèmes ORL. L’intérêt principal pour Axa de la télémédecine est la prise en charge

précoce de la maladie. Mais 50% de personnes qui ont profité du service vont voir leur

médecin traitant ensuite. Il est donc très difficile de chiffrer le gain ainsi obtenu pour

l’assureur.

Actuellement, la justification de ce service est surtout marketing car c’est une offre

différenciante sur le marché B2B. Le taux de satisfaction de 95% et le taux de

réutilisation de 90% sont donc des indicateurs clefs. Fin 2016, 3 Millions de personnes

sont bénéficiaires de ce service.

Force est de constater qu’à ce jour la CNAMTS ne prend pas en charge les

téléconsultations. Le coût est supporté à 100% par Axa. Le circuit administratif pour

obtenir les autorisations est long et complexe. Le CNOM milite fortement pour cette prise

en charge car il estime qu’un médecin de ville passe une heure par jour au téléphone

avec sa patientèle. Ces actes médicaux ne sont pas rémunérés à ce jour.

La télémédecine est une des réponses pour pallier la désertification médicale. Elle offre

aussi aux professionnels de santé la possibilité de pratiquer le télétravail.

La prévention

La prévention est en train de s’imposer comme une évolution majeure de la relation

entre l’assureur et son client. Qui mieux que des actuaires, dont le métier est l’analyse

de l'impact financier du risque et estime les flux futurs qui y sont associés, pouvait mieux

présenter cette évolution et son business model associé ?

Nicolas Le Perigot et André Gondin nous explique que dans le système actuel, l’assureur

intervient après la demande de soin. Dans le système de demain, l’assureur interviendra

en amont pour proposer des actions de préventions. Ils illustrent leurs propos avec les

exemples d’OSCAR lancés à New York en 2013. Oscar offre à ses assurés : service

télémédecine gratuit 24/7, programmes de prévention personnalisés, checks-ups gratuits

et un programme avec gratification financière pour inciter l’assuré à marcher.

Ils concluent que : les startups plus agiles que les acteurs actuels devraient prendre des

parts de marché, les interactions entre les assurés et les différents acteurs du marché

vont augmenter et les tiers de confiance dans le domaine de la santé seront de plus en

plus importants dans le processus de prise de décision et de création de valeur. Mais ils

posent les questions : comment se préparer aux développements de ces actes de

prévention ? Quelle visibilité a-t-on du ROI associé ?

Le docteur Teboul donne un autre exemple de prévention tertiaire utilisant les objets

connectés de santé : Cardiauvergne. Grâce à la télésurveillance du poids des insuffisants

cardiaques, il est possible de prévenir l’œdème pulmonaire et de réajuster la

thérapeutique. Les résultats sont spectaculaires : les décès à 1 an sont passés de 25% à

13,5%, les décompensations/an de 21% à 13,8% et le délai avant hospitalisation de 94

jours à 215. Pour un coût de mise en œuvre de 1000€/an/patient, l’économie pour les

assureurs est de 5430 €. En extrapolant cette solution au niveau national, l’ordre de

grandeur des économies serait du milliard d’euros par an.

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Dans ce cas le ROI semble clair. Mais nous sommes confrontés à une double difficulté ;

pour que la complémentaire santé prenne en charge, il faut que l’Assurance Maladie

Obligatoire accepte la prise en charge. Pour cela il faut que la HAS donne un avis

favorable. Mais pour cela il faut une étude sur un grand nombre de patients qui peut

durer 2 ans. A cette échéance la technologie utilisée sera obsolète. Cette quadrature du

cercle se retrouve aussi dans la télémédecine.

La Personnalisation et La Prédiction

Ce sont les composantes qui posent le plus de problèmes éthiques.

Quentin Bériot rappelle que l’activité de l’assureur repose sur 2 socles : juridique et

mathématique. En assurance, les maths concernent l’aléa et la mutualisation. Les études

sur les statistiques des pathologies d’une population donnée servent à établir le tarif de

l’assurance.

La personnalisation et la prédiction peuvent remettre en cause ces fondements. La

capacité à aller chercher des données personnelles fait que l’on ne rentre plus dans une

statistique de masse mais dans une gestion individuelle probabiliste.

Tout le monde se souvient qu’Angelina Jolie a fait une double mastectomie car elle était

porteuse d’un gène BRCA. Elle avait 87% de probabilité de développer un cancer du sein.

Jusqu’à présent en France, on utilise la probabilité qu’une femme soit porteuse de ce

gène (2/1000) et on estime le coût pour l’assureur. Ce cout est ensuite mutualisé avec

les autres pathologies et tout le monde paye le même tarif.

Quentin pose la question : « Quelle doit être l’attitude d’un assureur s’il sait qu’une

femme est porteuse du même gène ? » La législation française interdit de faire une

discrimination. Si la réglementation évolue, se poseront alors trois questions : dois-je

assurer cette personne ? De combien dois-je sur-tarifer cette personne ? Cette personne

aura-t-elle les moyens de s’assurer?

Le vrai problème n’est pas quel est le nouveau busines model des assurances mais quel

modèle social voulons-nous ?

La personnalisation n’a pas que des effets négatifs. Dès aujourd’hui, Harmonie Mutuelle

prend en charge pour le compte de ses assurés collectifs, l’accès à la plateforme de

Betterise.

Betterise propose des accompagnements médicaux digitaux personnalisés pour aider à

mieux vivre sa santé. Cela va de la prévention primaire à des aspects plus curatifs. Les

personnes prises en compte sont les personnes souffrant de diabète et/ou de maladies

cardio-vasculaires et les femmes enceintes. La plateforme accompagne la personne en lui

donnant des conseils médicaux fondés sur les données collectées sur la personne et sur

des règles mises au point avec le corps médical.

En plus de 6 assureurs et mutuelles ayant retenu cette solution, la plateforme intéresse

aussi les entreprises et les établissements de soin.

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La Participation

Une des composantes de la médecine 4P est la participation du patient à la gestion de sa

santé. Tous les assureurs ont compris que cette évolution sera un élément majeur de

leur rentabilité. Le numérique, qui bouleverse les mondes du service (Uberisation), offre

des solutions pour encourager cette pratique.

La CNAMTS l’a bien compris et a lancé un service d’accompagnement à distance appelé

SOPHIA, ciblé sur les personnes atteintes d’une Affection de Longue Durée (ALD). Le but

est de détecter les personnes potentiellement diabétiques ou asthmatiques et de leur

proposer d’adhérer à un service de coaching pour les aider à mettre en pratique les

recommandations d’hygiène de vie et de soins primaires.

Paul-Louis BELLETANTE de la société Betterise rappelle que le diabète est la 1er épidémie

non infectieuse dans le monde. Cette pathologie est la cause d’un mort toutes les

8 secondes. Aux USA un cinquième des dépenses en santé est consécutif au diabète et le

diabète du type 2 est typiquement une maladie liée au comportement. L’OMS dit qu’en

bougeant plus et en mangeant moins, en fumant mois et en buvant moins d’alcool, on

éviterait jusqu’a 75% des diabètes de type 2, 75% des maladies cardiovasculaires et

jusqu’à 40% des cancers.

Dans cette logique la MGEN a lancé sa plateforme Vivoptim et le groupe Generali a signé

un partenariat avec la société d’assurance sud-africaine Discovery. L’objectif est de

proposer des offres en santé et en prévoyance tenant compte du comportement des

assurés en favorisant la prévention. Vitality est lancé en France au 1er janvier 2017 mais

l’offre est différente des autres pays. S’il y a bien un bénéfice financier pour l’assuré,

grâce à des remises ou des bons d’achat, le bon comportement ne donnera pas lieu à

une baisse de cotisation car c’est illégal en France.

Pour que la personne prenne en charge sa santé il lui faut des outils. Visiomed qui

fabrique des dispositifs médicaux a développé un assistant personnel de santé : Bewell

connect. Cette solution repose sur une gamme d’objets connectés de santé qui dialogue

avec une plateforme via un smartphone, une tablette ou une gateway. La plateforme

permet :

- de gérer les données et de les partager avec des professionnels de santé,

- de se connecter à un médecin virtuel qui évalue le degré d’urgence et propose des

diagnostics pondérés (Mychek-up),

- et d’accéder à une plateforme de téléconseil médical 24H/24 et 7J/7 (My-doc).

Cette solution globale permet d’offrir une solution de conciergerie médicale qui virtualise

tout ou partie du parcours de santé. Par exemple, la personne pourra être aiguillée

directement à l’hôpital sans avoir à se déplacer plusieurs fois et rencontrer plusieurs

intervenants du corps médical. Cette optimisation du parcours de santé réduit les coûts

de la prise en charge. La conciergerie médicale adresse tous les cas de figure : la

personne à domicile, le salarié dans l’entreprise et le retraité dans une EHPAD. Ce

concept de conciergerie médicale intéresse beaucoup les assureurs comme Axa et

Harmonie Mutuelle, en premier pour les contrats collectifs.

Pourtant les grandes entreprises tendent de plus en plus à prendre en charge la santé de

leurs employés. Aux USA et au Moyen Orient, on voit de nouveaux modèles émerger

avec des entreprises qui, utilisant ce type de conciergerie médicale, plutôt que de payer

une prime collective d’assurance, payent directement les soins et n’ont plus d’assureur.

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Et le docteur Teboul de conclure sur la problématique du modèle économique des

assureurs par cette question : « Et si à terme il n’y avait plus besoin d’assureur ? ».

Conclusion

Il y a un consensus sur le fait que la santé numérique et la médecine 4P sont en train de

bouleverser les business models des mutuelles et des assurances santé. Bien que le

village gaulois soit protégé par une législation très stricte, le système français ne restera

pas figé ad vitam aeternam. En particulier, il faut que l’Assurance Maladie Obligatoire, les

mutuelles et les assurances se préparent à l’arrivée des services de prévention. Mais où

est le retour sur investissement des innovations ?

Toute économie, dans le système de santé, profite dans un premier temps à l’Assurance

Maladie Obligatoire. Cependant, les personnes souffrant d’une affection de longue durée,

qui sont prises en charge à 100% par la sécurité sociale pour leur ALD, coutent plus cher

à leur complémentaire santé car elles ont beaucoup de dépenses annexes qui ne sont

pas prises en charge.

Retenons que les mutuelles et les assureurs reçoivent des ordres de paiement sans

aucune information sur la raison médicale du paiement. Elles ne peuvent donc pas

introduire seules des innovations favorisant la prévention et la participation.

Les mutuelles et les assureurs veulent travailler avec l’Assurance Maladie Obligatoire qui

doit leurs donner les moyens de garder la solidarité qui date de 1943. Ensemble, avec le

corps médical, elles doivent mettre en place les innovations qui permettront d’améliorer

la santé des personnes atteintes d’une ALD et de lutter contre les déserts médicaux. Pour

préserver notre modèle social, les mutuelles et les assureurs doivent avoir les moyens de

traiter tous les assurés sur le même plan d’égalité.

C’est avec la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés, tête de pont

des AMO, les professionnels de santé et l’état que sera défini le business model de

l’assurance santé de demain. Sans une prise de conscience rapide de la révolution induite

par la santé numérique, c’est tout le modèle français qui risque de disparaitre. Nos

enfants et petits-enfants seront les premiers à en subir les conséquences.