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Droits et construction sociale Bulletin n°53 15 janvier 2015 Guide de la copropriété participative Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante 2 Qu’est-ce que la participation ? ISSN : 2117-5845 D&CS , n° 53, 15 janvier 2015 1 Guide de la copropriété participative Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante 2 Qu’est-ce que la participation ? Dans le bulletin précédent, il a été vu que le concept de participation n’est pas né depuis la loi ALUR en 2014. Plusieurs théoriciens, parfois opposés entre eux, s’en sont fait les précurseurs dès le XIX e siècle, voire même avant. Aussi, il paraît essentiel de définir cette notion au vu des diverses interprétations qui en sont données. Sommaire Pages 2 Qu’est-ce que la participation ?………...…………….…. 3 2.1 Participation ou assujettissement…………………….….. 7 2.2 La fracture sacrificielle………………..………...……….. 13 2.3 La construction d’alliances..……………...……..………. 17 D&CS , n° 53, 15 janvier 2015 2 LGOC

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Page 1: 2015 01 15 d&cs n° 53

Droits et construction sociale

Bulletin n°53

15 janvier 2015

Guide de la copropriété participative

Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante

2 Qu’est-ce que la participation ?

ISSN : 2117-5845

D&CS , n° 53, 15 janvier 2015 1

Guide de la copropriété participative

Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante

2 Qu’est-ce que la participation ? Dans le bulletin précédent, il a été vu que le concept de participation n’est pas né depuis la loi ALUR en 2014. Plusieurs théoriciens, parfois opposés entre eux, s’en sont fait les précurseurs dès le XIXe siècle, voire même avant. Aussi, il paraît essentiel de définir cette notion au vu des diverses interprétations qui en sont données.

Sommaire Pages

2 Qu’est-ce que la participation ?………...…………….…. 3 2.1 Participation ou assujettissement…………………….….. 7 2.2 La fracture sacrificielle………………..………...……….. 13 2.3 La construction d’alliances..……………...……..………. 17

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LGOC

智 仁

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2 Qu’est-ce que la participation ? FOURIER, OWEN et BUCHEZ avaient des points communs. D’abord, ils appelèrent à l’association des citoyens pour que ces derniers créent et gèrent eux-mêmes leurs lieux de vie et de travail. Le but était de lutter contre la misère ouvrière née des débuts de l’industrialisation. Ensuite, ces trois auteurs partageaient une certitude. Selon eux, les droits sociaux ne se proclamaient pas mais devaient se construire grâce à une meilleure organisation du monde. On ne peut que les approuver. Quand on présente à la société une demande, il faut s’interroger sur la façon dont cette dernière pourra y répondre. Cela oblige à agir pour changer le système social afin qu’il fonctionne comme on le souhaite. Encore faut-il que le chemin suivi soit le bon. Ainsi, Charles FOURIER comptait sur l’énergie dégagée par la quête du plaisir. Philippe BUCHEZ, quant à lui, approuvait le compagnonnage professionnel. Robert OWEN, enfin, misait sur la volonté des déçus du système de s’organiser en communautés. Or, ces points de vue pouvaient conduire soit à de l’arrivisme, soit à des réseaux mafieux, soit à des sectes. On comprend alors que la population se montre parfois méfiante quand on l’appelle à la participation.

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Dans la France d’aujourd’hui, certains ont pu constater que l’engagement au sein d’actions collectives était à la fois moins intense et plus précaire. Les désillusions passées, dues aux comportements carriéristes, malhonnêtes ou manipulateurs, expliquent sans doute un tel phénomène. Cependant, de nombreux Français souhaitent toujours agir ensemble pour améliorer leur habitat, leurs entreprises ou les structures bénévoles où ils s’investissent. Cet élan se situe dans le sillage de l’engouement pour l’autogestion qui a existé après 1968, même si d’importantes évolutions ont eu lieu et que les militants initiaux de ce courant ont pu se décourager. Ceux qui aspirent à la participation font, en effet, face à des pressions d’une extrême violence dont découle une exaspération compréhensible. Dès que des consommateurs veulent échapper au système qui les assujettit et acquérir de l’autonomie, ils se heurtent à des abus de biens sociaux commis par appât du gain, à des escroqueries en bandes organisées réalisées par des réseaux malsains et à des tentatives de manipulations psychologiques exercées par des détenteurs de statuts agrippés à leurs avantages. Hélas, bien des Français profitent de ces comportements et s’en rendent complices. Faut-il pour autant les diaboliser et rendre l’approche participative élitiste ?

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Quête du plaisir et

risque d'arrivisme

Réseaux et risque

mafieux

Groupes dissidents et risque sectaire

Défiance à l'égard de la participation

Abus de biens

sociaux

Escroqueries en bandes organisées

Tentatives de manipulation

Réactions contre

l'aspiration à

l'autonomie

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Pour éviter le repli sur soi, le présent Guide de la copropriété participative a pour objectif principal de ne pas diviser mais de rassembler. Ceux qui ont pu échouer par le passé ne doivent plus être considérés comme des ennemis irréconciliables. S’il est possible de les réintégrer dans un cheminement positif, la société s’en portera mieux. On doit donc tenter de transformer d’anciens adversaires en alliés au lieu de basculer dans l’aigreur et le désespoir. Dans le même temps, il ne s’agit pas non plus d’être lâche face à des agissements odieux et de favoriser leur impunité. Ce sont des garanties qu’il convient de trouver pour protéger les aspirants à la participation tant contre leur propre colère que contre les tentations immorales permanentes liées à un environnement délétère. Le but n’est donc pas de verser dans l’intransigeance moraliste, car nul n’est parfait. Chacun a pu avoir un lien, même indirect, avec des personnes ayant dérivé. Certes, des fautes très fréquemment commises dans le monde associatif ou dans l’univers de la copropriété constituent manifestement des infractions, mais il y a des magistrats du Parquet et des instituts de criminologie pour y réfléchir. Les associations n’ont pas à jouer les Grands Inquisiteurs ou les procureurs de la République. Ici, il s’agit juste de conseiller les personnes intéressées par la participation afin qu’elles évitent de se prêter à des pratiques contestables.

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Dans le même temps, une piste doit être offerte à ceux qui ont pu commettre des fautes antérieurement afin qu’ils puissent rejoindre des dynamiques participatives sans les rendre odieuses. Les affairistes sont toujours tentés de parler de participation pour tromper leurs victimes et mieux les exploiter. FOURIER, OWEN et BUCHEZ n’ont pas su prémunir suffisamment les citoyens contre de tels leurres. Grâce aux arguments repérés par des penseurs du XXe

siècle, il est possible de trouver des solutions intéressantes. Désormais, on peut mieux différencier participation et assujettissement (2.1). La nocivité des appels au sacrifice est plus claire (2.2). Des méthodes ont été trouvées pour construire des alliances stables entre groupes organisés au lieu de harceler d’injonctions contradictoires les individus isolés (2.3). La participation peut donc être fondée sur une logique convaincante.

Pour en savoir plus :

HAVARD DUCLOS (Bénédicte), NICOURD (Sandrine), Pourquoi s’engager ? Bénévoles et militants dans les associations de solidarité, Payot, Paris, 2005, 212 p. BACQUÉ (Marie-Hélène), VERMEERSCH (Stéphanie), Changer la vie ? Les classes moyennes et l’héritage de mai 68, L’Atelier, Paris, 2007, 176 p.

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Conscience de sa propre faillibilité

Conscience de l'influence

parfois délétère des affairistes

Nécessité de construire des

garanties

Participation authentique et pérenne

Assujettissement des autres évité

Addiction au sacrifice des autres combattue Capacité à nouer des

alliances stables

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2.1 Participation ou assujettissement Le premier devoir d’une personne prétendant promouvoir la participation est donc de ne pas asservir les autres. Cela vaut pour tout le monde, y compris pour les rédacteurs du présent Guide. Bien entendu, on peut débattre de l’application de ce principe. Ces lignes sont faites pour cela. Mais il ne semble pas possible d’ignorer cet impératif si l’on souhaite éviter de discréditer les approches participatives. Un exemple simple permet de comprendre pourquoi. En janvier 1286, Philippe IV le Bel, âgé alors de 17 ans, fut sacré à Reims. A cette occasion, les habitants l’ont acclamé. Ce phénomène était-il « participatif » ? On peut en douter.

Depuis 987, les Capétiens se succédaient de père en fils sur le trône. Philippe le Bel était le 11ème d’entre eux à être couronné de cette manière, suite au décès de son père le roi Philippe III le Hardi en 1285. La population n’avait donc certainement plus le droit de choisir celui qui allait régner sur la France. En manifestant leur joie, les Rémois se comportaient simplement en bons sujets. Demander à des suivants d’agir de la même manière aujourd’hui, sous couvert de participation, c’est pratiquer l’assujettissement des autres, comme Philippe le Bel.

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Chacun est donc placé face à un choix en permanence : accepter des autorités existantes ou se mobiliser pour transformer le monde. Ce sont deux démarches clairement opposées. Parler de participation quand on souhaite réduire son prochain à l’état de sujet n’est pas raisonnable. Or, l’assujettissement se reconnaît au fait que certains remettent leur sort entre les mains des dirigeants. Le système repose alors sur le pouvoir des décideurs qui imposent leur volonté. Aussi, un assujetti n’est plus que le spectateur d’une pièce où d’autres ont les premiers rôles. Certes, le billet d’entrée peut coûter cher, mais le public n’est pas censé monter sur scène et doit seulement applaudir à la fin, comme les Rémois qui acclamaient Philippe le Bel. Parfois, plusieurs dirigeants se disputent l’appui des assujettis, de la même manière que des compagnies théâtrales concurrentes tentent d’attirer chacune le public vers elles. Cela ne change rien à la coupure entre dominants et dominés, entre acteurs et spectateurs. L’assujetti qui a la faculté de départager deux prétendants à la tyrannie ne peut que choisir ses chaînes et non les ôter. Un maître en remplace un autre. Ce n’est que lorsque le despotisme est aboli que les entraves se brisent et qu’il n’y a plus ni despotes, ni sujets.

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Décisions prises par d'autres

Soumission aux

décisions des autres

Assujettissement Assujettissement

Choix du dirigeant

Choix de ses chaînes

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De fait, si les mots ont un sens, la participation implique de prendre part à une action. Or, un assujetti ne fait que se soumettre à la démarche dirigée par d’autres. On ne peut participer à une dynamique qu’en intégrant soi-même le groupe qui la conduit. Au lieu d’être dans le public, il faut monter sur scène. Au lieu d’être spectateur, il faut devenir acteur. Et tout acteur peut parfois avoir le trac avant sa performance. Beaucoup ne sont pas prêts à renoncer au confort lié à la foi en un chef qui résoudra tous les problèmes. C’est le principal handicap que doivent surmonter ceux qui prônent la participation authentique. En effet, ne plus voir le monde en tant que sujet soumis implique un changement important. Aucun décideur omnipotent ne dicte plus le chemin à suivre. On doit soi-même repérer les objectifs à atteindre, choisir des méthodes pour y parvenir, s’adapter grâce aux enseignements de l’expérience et trouver des alliés. Ces derniers ne sont plus des tyrans auxquels on obéit mais des partenaires dont les actions doivent constamment être évaluées pour vérifier si l’alliance doit toujours être maintenue afin d’aller vers les buts fixés. Cet examen lucide et permanent de soi-même et des autres paraît bien plus éprouvant aux consommateurs avachis que la confiance aveugle en un dirigeant éclairé.

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Aussi, il est logique que des communicants peu scrupuleux parviennent à convaincre le public afin qu’il s’assujettisse sous couvert de vagues appels à la participation. Toutefois, à moins de faire partie des puissances établies les plus immobilistes, on ne peut adopter une telle approche sans risques. Quand l’assujettissement règne, le civisme et l’élan vers le progrès ne sont plus possibles, et tous en pâtissent. Des assujettis obéissent par crainte, par habitude ou par appât du gain. L’éthique leur est indifférente. On ne peut pas leur demander de s’engager au nom de principes qui les indiffèrent. A l’inverse, les authentiques participants à une action peuvent se mobiliser pour atteindre des objectifs précis. Toutefois, il serait absurde pour eux de s’en remettre soudain aveuglément à des potentats, au risque d’oublier les buts en question. Parier sur l’assujettissement, c’est donc se priver de tout argumentaire moral. Les appels au sacrifice adressés à des citoyens au nom de grandes valeurs perdent leur sens quand il n’est pas prouvé que les dites valeurs, qui fondent l’engagement, seront respectées. Aussi, les pleurnicheries sur le déclin de l’engagement paraissent ridicules si l’on n’est pas capable de construire une véritable participation où il n’y a plus ni maîtres, ni sujets. Ce n’est qu’à ce moment-là que la participation ne devient pas un piège à pigeons.

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Participation Choix de ses

alliés

Vérification constante du chemin suivi

Appel à la mobilisation

Volonté de soumettre les

citoyens mobilisés

Participation, piège à pigeons

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Tant que l’engagement dans l’action collective aura l’apparence d’une tromperie, il risque donc de ne pas rencontrer beaucoup de succès. Ceux qui ont l’habitude de se soumettre vont continuer à le faire, en étant seulement des assujettis plus dévoués si leurs maîtres l’exigent. On notera, d’ailleurs, que le fait de simplement donner son avis ne relève pas d’une authentique participation. Philippe le Bel pouvait demander à ses sujets leur opinion. Dans le monde féodal, un vassal a le droit de conseiller franchement et loyalement son suzerain afin de le soutenir. En échange, le suzerain dispose d’un devoir de protection à l’égard du vassal, tout autant qu’un pouvoir de direction. S’exprimer ou voter ne sont donc pas incompatibles avec l’assujettissement. Lors d’un scrutin, si l’information n’est pas transparente et si les dirigeants ont le pouvoir de faire taire ceux qui les gênent, le vote est tout simplement manipulé. Le votant est, alors, encore plus assujetti que le vassal de Philippe le Bel. Ce dernier, au moins, acceptait l’expression des divergences. On peut ajouter qu’une majorité peut opprimer la minorité pour faire peser sur elle de lourdes charges. Aussi, les personnes trompées et les minoritaires écrasés ne font que subir une oppression sans perspective d’améliorations.

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En copropriété, dans les associations ou dans les collectivités publiques, la tyrannie des majorités soutenant des despotes n’a donc jamais favorisé autre chose que la servitude. Tout ceci n’est d’ailleurs pas nouveau. TOCQUEVILLE avait analysé les causes de ce trait culturel faisant aspirer à l’assujettissement. Lorsque les individus considèrent qu’ils sont des atomes impuissants et isolés dépendant du bon vouloir d’un Etat omnipotent, ils ne voient pas pourquoi ils devraient agir collectivement, mais préfèrent s’inféoder à des dirigeants, en comptant sur eux pour que le progrès survienne par miracle. Tout ceci a un prix qu’il convient d’évaluer afin d’éviter de céder à cette tentation.

Pour en savoir plus : BENASAYAG (Miguel), SZTULWARK (Diego), Du contre-pouvoir, La Découverte/Poche, Paris, 2002 (2000 pour l’édition originale), trad. Anne WEINFELD, 167 p. LIPOVETSKY (Gilles), Le Crépuscule du devoir, l’éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, Gallimard, Paris, 1992, 296 p., voir pp. 200-201 sur l’appel au sacrifice des autres mais la faible propension à vouloir se sacrifier soi-même TOCQUEVILLE (Alexis de), L’Ancien régime et la Révolution, Folio, Histoire, Gallimard, 1989 (parution originale, 1856), 378 p.

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Elections, pièges à pigeons

Manipulations de l'information

Abus de la majorité

Omerta imposée par les dirigeants

Passivité des citoyens

Absence de contrepouvoirs

Refus général de la

participation

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2.2 La fracture sacrificielle

Que les choses soient claires ! Nul n’est à l’abri des charmes sulfureux de l’assujettissement. Imposer sa volonté aux autres permet de les contraindre à faire des sacrifices. Or, cela peut sembler bien pratique, même si les conséquences sont graves. En effet, quand des assujettis acceptent les ordres d’un tyran, ils finissent par oublier leurs devoirs légitimes. Les individus n’ont pas forcément le droit de se laisser duper par des dirigeants irresponsables et dogmatiques, car cela nuit à la société entière. Un être humain a toujours une multitude d’obligations. S’il en vient à se sacrifier pour un mauvais motif, celles-ci ne sont plus accomplies. Une telle situation cause un préjudice à tous ceux qui devaient bénéficier de l’accomplissement des dits devoirs. Les promoteurs de l’assujettissement se font donc logiquement détester par les victimes indirectes du sacrifice des citoyens dévoués mais assujettis. Abuser de la générosité de certains pour les détourner de leurs obligations légitimes est donc périlleux et provoque des tensions vives. Dès lors, nul ne doit se soumettre à des demandes abusives qui lui feraient négliger ses devoirs importants. Le véritable altruisme consiste à savoir hiérarchiser les multiples demandes que l’on reçoit et non à céder aux pressions des plus arrivistes.

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C’est pour cela que les spécialistes du comportement coopératif, comme Ernst FEHR, en appellent à la réciprocité. La société n’est pas une boîte noire dont chacun pourrait se penser le créancier sans dettes. Tout ce que l’on prend à l’univers social, il faut savoir le rendre de façon que le système global ne soit pas déséquilibré. Bien entendu, une vision mécanique de la réciprocité serait trop simpliste. Si l’on obtient de la société une pomme, il ne s’agit pas de restituer la même pomme avec des caractéristiques identiques. Ce qu’il faut, c’est aider le monde à produire des pommes dans les conditions que l’on estime les plus décentes tant pour soi que pour les autres. Parallèlement, quand on profite d’une personne venue d’un milieu social particulier, on doit aussi respecter ce milieu et s’interroger sur sa survie et non rester indifférent à son existence. De la même façon, celui qui veut manger des pêches doit veiller à ce que les pêchers restent en bonne santé. Nuire aux dynamiques dont on bénéficie, c’est un peu comme scier la branche sur laquelle on est assis. Matthieu RICARD, tout en promouvant l’altruisme, l’a bien compris. C’est pour cela qu’il approuve explicitement les théoriciens du comportement coopératif qui préconisent de dissuader l’arrivisme. D’ailleurs, la sanction des errements commis par les accapareurs est un impératif si important que nombre de citoyens se dévouent afin qu’il soit atteint, même s’ils n’ont rien à y gagner personnellement.

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Capitulation devant des demandes injustifiées

Oubli de ses autres devoirs

Colère de ceux qui pâtissent de

ce choix

Souci du bon fonctionnement

de la société

Dissuasion des mauvais

comportements

Réciprocité forte

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Néanmoins, certains acteurs ne renoncent pas à en appeler à l’assujettissement et aux sacrifices des autres. Pour cela, ils invoquent la solidarité, ce qui est maladroit. La personne renonçant à un plaisir immédiat au profit de tous acquiert une dimension spéciale. Elle agit afin que la société puisse perdurer. Une telle attitude est primordiale pour la survie du système et prend un caractère sacré. Dans ce contexte, détourner arbitrairement les efforts de ces citoyens méritants revient à commettre un sacrilège et à se déclarer l’ennemi de ceux qui tiennent au bien commun. Ceux qui assujettissent les autres pour obtenir des sacrifices semblent donc se moquer de ce qu’il y a de plus sacré dans la vie sociale. Quand ils parlent de solidarité, cela paraît presque injurieux et provocateur. L’hostilité générée par cette attitude peut être forte. Le monde se divise ainsi entre ceux qui sont perçus comme des profiteurs, et ceux qui estiment avoir le sens du dévouement. L’affrontement rend difficile toute action commune entre les deux camps. Voilà pourquoi il est particulièrement périlleux d’appeler au sacrifice des autres, d’autant que l’on s’expose aussi à un autre effet pervers. Si les assujettis doivent consentir des sacrifices et renoncer à tout droit au nom du bien commun, rien n’empêche de demander la même chose à chaque membre de la société. Or, si les citoyens, chacun de leur côté, renoncent tous à leurs droits au nom de l’intérêt général, ces droits finissent par disparaitre.

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La participation n’est donc ni un assujettissement, ni une extorsion de sacrifices commise sur des individus. Ces derniers ont des droits et des liens sociaux dont il faut toujours tenir compte pour éviter de générer des tensions.

Pour en savoir plus : AXELROD (Robert), Comment réussir dans un monde d’égoïstes ; théorie du comportement coopératif, Odile Jacob, Paris, 2006 (édition originale 1984), 226 p. BAUMAN (Zygmunt), L’Ethique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs ? Climats, traduction Christophe ROSSON, 2009 (2008 édition originale), 296 p. EHRENBERG (Alain), L’individu incertain, Calmann-Lévy, Paris, 1995, p. 310 sur ceux qui se sentent « créanciers sans dettes » vis-à-vis de la société. GINTIS (Herbert), BOWLES (Samuel), BOYD (Robert), FEHR (Ernst), Moral Sentiment and Material Interests ; The Foundation of Cooperation in Economic Life, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, 2005, 404 p. RICARD (Matthieu), Plaidoyer pour l’altruisme ; la force de la bienveillance, NIL, Paris, 2013, 917 p., voir pp. 587 à 603, citant Ernst FEHR

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Appels au sacrifice des

autres au nom du bien commun

Appels des autres au sacrifice de

tous au nom du bien commun

Disparition des droits de tous au

nom du bien commun

Assujettissement des autres

Sacrifice des autres

Oubli des conséquences

sociales

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2.3 La construction d’alliances

Pour éviter toutes ces dérives liées à l’assujettissement et aux demandes de sacrifices, nous devons reprendre conscience de notre faillibilité. Au lieu de vouloir devenir des despotes manipulant des assujettis, il nous faut nouer des alliances avec des structures collectives qui protègeront nos interlocuteurs et clarifieront leur pensée. Tant que les appels à la participation sont adressés à des individus isolés, ces derniers risquent de se tromper en intégrant une action qui ne correspond ni à leurs objectifs, ni à leurs possibilités au vu de leurs autres obligations. Les personnes découvrant qu’elles ont soutenu une démarche qui ne leur convenait pas finissent toujours par être déçues et mettent un terme à leur engagement. Ainsi s’explique la volatilité de la mobilisation. A moins de vouloir construire leur édifice sur du sable mouvant, ceux qui veulent initier une démarche participative doivent donc chercher à ne pas isoler leurs alliés potentiels, mais doivent, au contraire, les inviter à s’unir pour qu’ils élaborent ensemble leur vision des choses. Lorsque le ralliement à une action collective résulte d’un choix bâti sur une réflexion sérieuse conduite à plusieurs, et non sur une fantaisie individuelle, l’adhésion est plus stable.

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C’est ainsi que l’on peut construire des garanties pour que la participation ne signifie ni une soumission à l’obscurantisme, ni un embrigadement affectif dans une tribu conduite par un gourou. L’existence d’une réflexion collective avant toute adhésion est le critère permettant de différencier les entreprises d’assujettissement et les démarches participatives, qui reposent sur des alliances évitant la fracture entre dirigeants et dirigés. Lorsque ceux qui sont invités à rejoindre une action collective échangent avec leurs proches avant toute adhésion, on évite l’oubli des obligations qu’avaient ces nouveaux venus préalablement à leur intégration dans la dynamique commune. Ainsi, les participants ne deviennent pas des assujettis soumis à des injonctions contradictoires particulièrement éprouvantes. Le « constructionisme », courant de la psychologie sociale né aux Etats-Unis, vise justement à éviter cette fragilisation des personnes lié à la négligence de leurs multiples liens sociaux. Un auteur comme Kenneth GERGEN insiste sur le fait que pour apaiser les tensions, il faut éviter de se focaliser sur les demandes adressées à des individus, mais plutôt prendre en compte l’ensemble des relations dans lesquelles ils se trouvent.

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Réflexion collective sur

l'adhésion à des actions

communes

Absence d'erreur dans l'adhésion des

individus

Stabilisation des adhésions

obtenues

Souci d'éviter les injonctions

contradictoires sur les individus

Prise en compte des multiples relations dans

lesquelles chacun est situé

Constructionisme social

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La participation représente donc une forme de révolution copernicienne par rapport aux systèmes où règnent l’assujettissement et les injonctions adressées aux dirigés afin qu’ils se sacrifient. En intégrant des acteurs sociaux à des démarches non pas en tant que personnes isolées, vulnérables au harcèlement, mais comme membres de groupes actifs, on crée une véritable garantie. C’est alors qu’il est possible de résorber progressivement la fracture entre, d’un côté, des décideurs, et de l’autre, des assujettis dont la vie est affectée sans qu’ils aient leur mot à dire.

Pour en savoir plus :

GERGEN (Kenneth), Le Constructionisme social, une introduction, Delachaux et Niestlé, Lonay (Suisse), Paris, 2001 (édition originale, 1999), 430 p., trad. Alain ROBIOLIO, pp. 212 à 220 sur l’intérêt de placer les relations au-dessus de l’individu GERGEN (Kenneth), Construire la réalité, un nouvel avenir pour la psychothérapie, Seuil, Paris, 2005, 267 p., préface et recueil des propos par Mony ELKAIM, voir p. 139 sur le processus relationnel dans lequel chacun est immergé GERGEN (Kenneth), DAVIS (Keith), The Social Construction of the Person, Taos Institute Publications, Chagrin Falls, Ohio, 2012 (édition originale1985, Springer Verlag), voir pp. 3 à 18 sur la naissance du constructionisme social

D&CS , n° 53, 15 janvier 2015 19

Pour respecter cette approche constructioniste, le LGOC a réformé ses statuts en 2013 afin de fonder les adhésions sur des démarches collectives. Les unions de services fonctionnent également ainsi. Cela prouve qu’il est toujours possible de choisir une organisation juridique compatible avec une participation authentique.

Thierry POULICHOT

Droits et construction sociale Publication éditée par l’association LGOC

(Lien des Garanties Objectives dans la Cité)

Bulletin n°53 Date de réédition : 15 janvier 2015

Directeur de publication : Thierry POULICHOT Uniquement disponible en ligne

ISSN : 2117-5845

Adresse électronique [email protected]

Blog http://cooperationencopropriete.blogspot.fr

D&CS , n° 53, 15 janvier 2015 20

Participation des individus sur la base

d'une réflexion collective

Prise en compte des conséquences de la participation sur le reste de la

société

Résorption de la fracture entre décideurs et

assujettis LGOC

智 仁