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1 Le 17 juin 2016 A l’attention de Mesdames et Messieurs les membres du Comité de rédaction des Statuts de l’association du Barreau près la Cour pénale internationale Chers Confrères, Nous avons été informés de la mise en place d’un système de proposition d’amendement aux statuts de l’ABCPI réservé à ses membres. C’est en gardant à l’esprit les principes et garanties essentiels à la profession et forts de l’expertise dont nous disposons que nous nous permettons de vous faire part de certaines observations générales quant à l’adoption de ces statuts. Nous joignons également à la présente des commentaires spécifiques sur un certain nombre de dispositions des statuts tels qu’ils ont été communiqués le 22 février 2016. Vous constaterez à la lecture de ces commentaires que ces statuts contiennent des dispositions qui excluent selon nous leur adoption en l’état. Si nous ne pouvons que saluer et encourager toute initiative qui viserait à créer devant la CPI un organe qui présenterait toutes les garanties d’indépendance et disposerait des compétences pour soutenir les avocats, les conseiller dans l’exécution de leur mandat et garantir le respect des normes déontologiques, il nous apparaît qu’en l’état l’ABCPI ne répond pas à certaines préoccupations essentielles exprimées par de nombreuses organisations représentatives de la profession, barreaux et avocats. I. La nécessité de créer une association qui soit indépendante, tant dans sa création que dans son fonctionnement, de tout organe de la Cour et en particulier du Greffe Nous nous sommes inquiétés par plusieurs courriers à l’attention du Greffe de la création d’un barreau longtemps envisagé comme une composante du processus de révision du Greffier sur les questions relatives à la défense et à la représentation légale des victimes.

Lettre commune a la CPI 17062016

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Page 1: Lettre commune a la CPI 17062016

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Le 17 juin 2016

A l’attention de Mesdames et Messieurs les membres du Comité de rédaction des Statuts de

l’association du Barreau près la Cour pénale internationale

Chers Confrères, Nous avons été informés de la mise en place d’un système de proposition d’amendement aux statuts de l’ABCPI réservé à ses membres. C’est en gardant à l’esprit les principes et garanties essentiels à la profession et forts de l’expertise dont nous disposons que nous nous permettons de vous faire part de certaines observations générales quant à l’adoption de ces statuts. Nous joignons également à la présente des commentaires spécifiques sur un certain nombre de dispositions des statuts tels qu’ils ont été communiqués le 22 février 2016. Vous constaterez à la lecture de ces commentaires que ces statuts contiennent des dispositions qui excluent selon nous leur adoption en l’état. Si nous ne pouvons que saluer et encourager toute initiative qui viserait à créer devant la CPI un organe qui présenterait toutes les garanties d’indépendance et disposerait des compétences pour soutenir les avocats, les conseiller dans l’exécution de leur mandat et garantir le respect des normes déontologiques, il nous apparaît qu’en l’état l’ABCPI ne répond pas à certaines préoccupations essentielles exprimées par de nombreuses organisations représentatives de la profession, barreaux et avocats.

I. La nécessité de créer une association qui soit indépendante, tant dans sa création que

dans son fonctionnement, de tout organe de la Cour et en particulier du Greffe

Nous nous sommes inquiétés par plusieurs courriers à l’attention du Greffe de la création d’un barreau longtemps envisagé comme une composante du processus de révision du Greffier sur les questions relatives à la défense et à la représentation légale des victimes.

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En l’état, toutes les démarches entreprises autour de la création de l’ABCPI ont donné l’impression d’un manque flagrant d’indépendance vis-à-vis du Greffe, voir même d’un processus intégré aux réformes initiées par le Greffe. Ainsi, l’évènement parallèle organisé en novembre 2015 en marge de l’ASP a donné l’image d’un processus développé directement dans le cadre des compétences du Greffe en matière de défense et de représentation légale. Si aujourd’hui la volonté exprimée sous plusieurs formes d’inscrire la création de l’association dans le mandat du Greffier semble vouloir être dépassée, il reste regrettable qu’aucune démarche n’ait été entreprise pour rassurer tant la profession que les ONG actives sur la question. L’organisation d’une rencontre entre les membres du comité de rédaction et les organisations professionnelles en dehors des structures de la Cour et hors la présence du Greffe aurait aidé à lever les méfiances réciproques. Le texte même des statuts contribue en outre à alimenter nos préoccupations quant au manque manifeste d’indépendance ayant empreint le processus d’adoption de ces statuts. II. La nécessite d’assurer à l’association une représentativité par la consultation avec les

organisations représentatives de la profession et les barreaux

Nous regrettons le manque de consultation auprès des spécialistes de la profession durant le processus de rédaction au profit d’une consultation de certains cercles d’avocats par courriel aux dernières étapes de l’adoption du texte définitif. Si la volonté ouvertement exprimée de s’abstenir de ce type de consultation dans un objectif d’efficacité peut avoir ses justifications jusqu’à un certain stade de la rédaction, il n’en reste pas moins incompréhensible que les rédacteurs des statuts aient choisi de se passer définitivement de l’expérience des bâtonniers et présidents d’association. Le texte proposé aujourd’hui en pâtit. Par ailleurs, un système institutionnalisé de consultation avec les organisations représentatives de la profession aurait été et serait d’autant plus souhaitable que les organisations professionnelles continueront à exercer la possibilité de faire usage de la règle 20-3 du Règlement de procédure et de preuve pour exprimer leurs vues auprès de la Cour sur les questions touchant à l’exercice de la profession devant la Cour.

III. La nécessité d’avoir une ACBPI qui développe des relations avec les barreaux nationaux

et régionaux :

Rien n’est organisé dans les statuts en termes de relation avec les barreaux nationaux et locaux et les bâtonniers qui pourront éventuellement être consultés par des avocats en difficultés ou à la recherche d’un conseil sur la conduite de leur mandat devant la Cour dans une situation spécifique, comme ce fut d’ailleurs le cas à plusieurs reprises. L’émergence de l’ABCPI ne changera rien à la pratique de l’avocat de se tourner vers son bâtonnier national en cas de difficultés, à fortiori sachant que le Code dont il relève au niveau national ou local reste d’application en ce qui le concerne. Ici encore nous ne pouvons qu’encourager l’ABCPI à développer des relations avec les barreaux nationaux. Les réunions institutionnelles annoncées pour juillet 2016 auraient été une parfaite opportunité pour organiser de tels échanges.

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IV. La nécessité d’avoir une ABCPI pourvue des compétences propres à tout barreau et la

difficile interaction avec les organes de la CPI disposant des compétences liées à la

pratique de la profession devant la Cour

L’ABCPI est confrontée à deux problèmes majeurs qui sont (i) le lien entre ses membres et les conseils inscrits sur la liste du Greffe et (ii) l’articulation entre ses compétences et celle des organes qui maîtrisent la déontologie et la discipline à la Cour. Tout barreau qui se crée doit pouvoir avoir le contrôle de ses membres et de sa déontologie. Or l’ABCPI ne dispose d’aucun des deux, pas plus que de la discipline. Les statuts proposent dès lors une solution qui consiste à inclure certains éléments liés à ces questions mais de façon lacunaire compte tenu de l’impossibilité d’obtenir un transfert de compétence de la part du Greffe et au prix d’une absence de cohérence et de praticabilité du système proposé. Le lien obligatoire entre l’inscription sur la liste du Greffier et l’adhésion à l’ABCPI et ses conséquences : Le système proposé d’une adhésion obligatoire à l’ABCPI du fait de l’inscription sur la liste, et présenté comme le seul moyen de financer l’association, pose des difficultés majeures du fait de l’illégalité et du caractère discriminatoire du système proposé. Il conduit en outre à des impasses dès lors que doit être envisagée la procédure applicable en cas de refus ou de défaut de paiement de la cotisation, ou d’annulation par l’AG d’une décision de radiation de la liste des conseils (voir sur ces différents points les commentaires formulés en annexe). L’articulation entre les compétences de l’ABCPI ayant une implication disciplinaire et celles des organes de la Cour : Les Statuts prévoient que l’ABCPI adopte les procédures disciplinaires de la CPI lorsqu’elle applique le Code et veille à son respect. Or en l’état elle ne dispose d’aucune compétence pour veiller au respect du Code. Par ailleurs, le pouvoir de sanction lié à l’existence d’une adhésion et contribution obligatoire est problématique dans le chef de l’ABCPI compte tenu précisément de la façon dont est imposée cette affiliation. Si l’argument avancé est qu’il ne peut y avoir d’autre choix que de poser des règles même impraticables et imprécises pour « poser une première pierre », cette façon de procéder nous semble de nature à établir des fondations totalement instables et non fiables à l’association. Nous comprenons que les contraintes politiques et l’acceptation progressive du principe d’un barreau indépendant devant la Cour expliquent que le projet actuel soit dans l’impossibilité de répondre à toutes les caractéristiques d’un barreau. Une adhésion au projet existant au motif « qu’il faut bien commencer quelque part » implique toutefois un blanc-seing sur un projet qui pose des difficultés majeures alors qu’aucune garantie n’est fournie en retour, que rien n’est dit quant aux perspectives à moyen et long terme du processus mis en place. Aucune politique de développement correspondant à un transfert de compétence n’est communiquée ni même annoncée. Il n’est fait état d’aucun engagement du Greffe dans le sens souhaité.

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Or en l’absence de toute perspective de développement des compétences de l’association dans le sens nécessaire à sa reconnaissance comme véritable barreau indépendant, une adhésion à ses statuts tels qu’ils sont rédigés aujourd’hui relèverait de l’irresponsabilité. L’absence totale de transparence des discussions ayant conduit à la création de l’association constitue, outre l’absence de consultation et de débat ouvert, une autre cause de méfiance. L’ABCPI se devrait de communiquer en toute transparence l’état de ses discussions avec le Greffe et les engagements qui auraient été pris de part et d’autres pour l’établissement d’un barreau réellement indépendant tel que le Greffier lui-même dit d’ailleurs appeler de ses vœux. Nous espérons que les suggestions formulées trouveront échos auprès du comité de rédaction et que l’association s’engagera dans une démarche constructive qui se révèlera profitable à tous. Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Chers Confrères, l'assurance de notre sincère considération.

Dominique Attias

Vice-bâtonnière du Barreau de Paris

Jean-Jacques Uettwiller

Président de l’Union Internationale des Avocats (UIA)

Yves Oschinsky

Président de la Fédération des Barreaux d’Europe (FBE)

Patrick Henry

Président d’AVOCATS.BE

Michel Benichou

Président du Conseil des barreaux européens (CCBE)

Samna Soumana Daouda

President de la Conférence des Barreaux des États membres de l'OHADA