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Rendre les supply chains moins vulnérables

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N°41 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE - JANVIER-FÉVRIER 2010

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Depuis les années 1980, lecontexte économiquemon dial a fortement évolué avec l’émergenced’un marché global ,

l’élar gissement et l’accroissement dela pression concurrentielle et uneavancée rapide et considérable destechnologies de l’information et de la communication.L'industrie a été marquée par des ten-dances fortes telles que l’externalisa-tion, la délocalisation de la produc-

A quoi bon négocier des prix intéressants si le fournisseur nelivre plus ? Les entreprises font face à un risque de pérennitéde leur Supply Chain qui n’a jamais été aussi élevé et, de surcroît, amplifié par la crise économique actuelle. Nous assistons à de nombreuses ruptures de la chaîne d’approvisionnement dues à la défaillance définitive de sous-traitants et de fournisseurs (+23 % au 3e trimestre2009 selon le cabinet Altares). Par ailleurs, les évolutions industrielles majeures de ces deux dernières décennies ont plus que jamais rendu vulnérables les Supply Chains à cerisque de pérennité. Par conséquent, les entreprises doiventadapter leur organisation et se doter d’une méthodologiepour identifier et évaluer ce risque, ainsi que leur degré de vulnérabilité à ce dernier. Elles doivent aussi contrôler et réduire ce risque afin d’augmenter la résilience de leur Supply Chain tout en atteignant leurs objectifs.

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moins vulnérables

tion vers les pays émergents et l’amé-lioration continue des performancesau travers des techniques « Lean » et « JIT ».

Des évolutions industriellesmajeures depuis 20 ansPlus précisément, les entreprises ontréorganisé leurs diverses activitéspour se concentrer sur les plus straté-giques et profiter de nouvelles oppor-tunités et de nouveaux avantages de lasous-traitance. Elles ont adopté denouvelles techniques de productionbasées sur le modèle Toyota et lesprin cipes « Lean » afin de réduireleurs coûts et leurs stocks, et d’amé-liorer continuellement leur producti-vité. Elles ont déplacé à l'échellemondiale leurs activités industriellesen fonction des atouts des lieux d’im-

Philippe MaestratiDirecteur de la Supply Chain dans une multinationale leader dans le secteur de l’é[email protected]

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plantation et de la demande des mar-chés. Sur le plan de la Supply Chain,elles ont identifié et qualifié de nou-veaux fournisseurs situés en paysémergents afin de réduire substantiel-lement les coûts d’achats. Elles ontréduit le nombre de sous-traitants etde fournisseurs de leur base d’achatsavec comme objectifs d’accroître leurinfluence, de créer des partenariats etd’améliorer les performances et lacompétitivité de ces sous-traitants etfournisseurs.Au-delà des effets positifs et desgains indiscutables, ces évolutionsont aussi considérablement accru lerisque de rupture d’approvisionne-ment des Supply Chains de cesmêmes entreprises. Par exemple, lesniveaux de stock plus faibles suiteaux programmes « Lean » rendent laSupply Chain plus vulnérable à desdysfonctionnements d’approvision-nement. Une sous-traitance impor-tante sans un suivi et un pilotage dessous-traitants conduit aussi à des rup-tures d’approvisionnement.

Une crise économique mondiale et une crise du crédit meurtrièresEn réduisant leur nombre de sous-traitants et de fournisseurs, les entre-prises ont mécaniquement augmentéla part de marché qu’elles représen-tent chez ces sous-traitants et fournis-seurs. Une forte réduction de leur car-net de commande a un impact d’au-tant plus fort chez eux. Cela est d’au-tant plus vrai s’il y a des stocks élevésdans la chaîne logistique et si lesdélais de production sont longs car lescommandes futures lors du retour dela croissance se feront attendre. De plus, ces sous-traitants et fournis-seurs ont massivement investi pen-dant la période de forte croissance, etont difficilement pu constituer uneréserve de trésorerie suffisante pources temps difficiles. Par ailleurs, la pression de la criseéconomique ne se répartit pas unifor-mément le long de la Supply Chain.Au contraire, certains font beaucoup

plus d’efforts en termes de réductiondes coûts, d’annulation de com-mandes et de niveaux élevés destocks que d’autres.

Facteurs de risque de pérennité de la Supply ChainCertains sous-traitants et fournisseurssont des entreprises familiales avecun ou quelques actionnaires qui peu-vent être confrontés à des probléma-tiques de succession ou de reprise.Cela peut entraîner une cessationdéfinitive volontaire ou involontairede leurs activités industrielles.D’autres, pour des raisons straté-giques ou financières, décident de tra-vailler avec des concurrents de leursclients ou de cesser la production decertaines pièces pour migrer versd’autres productions plus rentables,ce qui peut se traduire par des rup-tures d’approvisionnement définitiveschoisies ou subies. Des investisse-ments ou des stratégies qui échouent,telles qu’une implantation indus-trielle dans un pays émergent, peu-vent aussi conduire des sous-traitantset des fournisseurs à la faillite. Enfin, le risque de pérennité de la SupplyChain varie suivant le type d’entre-prise. Les entreprises fabriquant desproduits complexes, à fort contenutechnologique, à long cycle de vie, eten petites et moyennes séries (high

mix – low volume) sont les plus sen-sibles à ce risque de pérennité. Celaest vrai notamment pour le secteur del’aéronautique et de la défense.

Facteurs de vulnérabilité de la Supply ChainCertaines entreprises ont complexifiéleur Supply Chain en sous-traitantune part de plus en plus importante deleur production. La Supply Chain estplus vulnérable car les interdépen-dances sont plus nombreuses, pluscomplexes et plus fortes. Ainsi, 70 %de la production du « Dreamliner » deBoeing est sous-traitée. Cette impor-tante sous-traitance combinée à demultiples évolutions technologiquestelles que l’utilisation de matériauxcomposite ont rendu la Supply Chainplus vulnérable à des dysfonctionne-ments d’approvisionnement.De plus, les entreprises ne suivent pas toujours les performances de leursous-traitants et la relation est parfoisréduite à son strict minimum : l’envoidu bon de commande. Parfois, lescontrats et les objectifs de perfor-mance ne sont pas signés, ou pire,n’existent pas alors que la productionet les livraisons ont commencé. Celase traduit inéluctablement par desruptures d’approvisionnement. Danscertains cas, des solutions sont aussiradicales que le rachat du sous-trai-tant par le donneur d’ordre sont misesen œuvre pour maintenir la produc-tion, comme nous l’avons vu dans lesecteur de l’aéronautique.En outre, les dossiers techniques etindustriels des pièces sous-traitées nesont pas toujours à jour et complets.Ce qui rend difficile et risqué le chan-gement de sous-traitant. Or le nombrede transferts de production et dechangements de source d’approvi-sionnement a très largement aug-menté avec l’émergence de nouveauxsous-traitants très compétitifs situésdans les pays émergents.D’autre part, certaines entreprisessous-traitent des pièces stratégiqueset complexes à fabriquer. Leur fabri-cation requiert un réel savoir faire et

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l’entreprise doit qualifier tous les dos-siers techniques et les procédés deproduction et de test du sous-traitant.Si le sous-traitant est amené à dispa-raître, il sera difficile, coûteux et longde développer un nouveau sous-trai-tant capable de produire ces pièces, cequi constitue encore un autre facteurde vulnérabilité.Enfin, certaines entreprises ontdésormais une Supply Chain éten-due et mondiale avec des sous-trai-tants et des fournisseurs situés surtous les continents. Elles sont plusvulnérables à des risques macro-éco-nomiques tels que les variations detaux de changes, un accroissementde l’endettement des pays, un chan-gement de la réglementation fiscale,douanière, de la propriété intellec-tuelle, etc. qui peuvent conduire dessous-traitants et des fournisseurs àne plus livrer, ou tout au moins, à neplus le faire dans des conditionsacceptables pour l’entreprise.Selon le cabinet d’analyse AMRResearch, 28 % des entreprises son-dées ont identifié le risque de péren-nité de leur Supply Chain comme undes risques les plus importants. 46 %des entreprises envisagent d’évaluerces risques et de mettre en œuvre unplan d’action.

Une méthodologie d’évaluation du risque depérennité et de vulnérabilité Certains critères permettent d’évaluerla vulnérabilité de l’entreprise. L’op -tion 3 correspond au niveau de vulné-rabilité le plus fort:A. Possibilité d’alternatives au sous-traitant ou fournisseur actuel1. Multi-source – plusieurs alterna-tives d’approvisionnement et utilisa-tion de plusieurs sources d’approvi-sionnement2. Single source – plusieurs alterna-tives d’approvisionnement mais utili-sation d’une source unique d’appro-visionnement3. Sole source – unique sous-traitantou fournisseur possible et uniquesource d’approvisionnement

B. Complexité de la pièce et de son procédé de fabrication1. Standard – procédés de fabricationet dossier technique standards quali-fiés par le sous-traitant.2. Spécifique – procédés de fabrica-tion et dossier technique spécifiquesqualifiés par le sous-traitant avec unevalidation et un audit par l’entreprise.3. Stratégique – procédé de fabrica-tion et dossier technique complexesqualifiés par l’entreprise chez le sous-traitant.C. Situation contractuelle et relationnelle avec le sous-traitant ou le fournisseur1. Partenariat, suivi continu et régu-lier du sous-traitant ou du fournisseur,revue continue des performances,contrats et accords sur le long terme.2. Relation minimale, accord sur lesconditions générales d’achats et lesprix, évaluation des performances etaudit du sous-traitant lors de pro-blèmes.3. Aucune relation, devis et signaturedes conditions générales d’achats desbons de commande, pas d’évaluationdes performances et pas de suivi.D. Capacité de l’entreprise à changer de sous-traitants ou de fournisseurs par rapport à la maîtrise du dossier technique et industriel.1. L’entreprise est propriétaire dudossier technique, industriel et desbrevets associés et a en sa possessionun dossier technique et industriel àjour et complet (audits réguliers).2. L’entreprise est propriétaire dudossier technique et industriel qui estincomplet et qui n’a pas été mis à jourdepuis le lancement de la production.3. L’entreprise n’est pas propriétairedu dossier technique et industriel etn’a en sa possession que quelquesinformations.E. Criticité de la pièce achetée en termes de chiffre d’affaires pour l’entreprise.1. Pièces utilisées occasionnellementdans certains produits non-straté-giques à faible volume de vente etchiffre d’affaires.

2. Pièces utilisées régulièrement danscertains produits et représentant unchiffre d’affaires moyen.3. Pièces utilisés dans pratiquementtous les produits stratégiques à fortvolume de vente et chiffre d’affairesélevé.

Certains critères et sous-critèrescaractérisant les sous-traitants etles fournisseurs permettent d’estimer la probabilité du risque de pérennité.Un niveau de probabilité est à définirpour chacun d’eux sur une échelle de1 à 3. Par exemple, une chute de com-mandes < à 30 % pourrait corres-pondre à un risque faible (1), unechute comprise entre 30 % et 60 %, àun risque moyen (2) et une chutesupérieure à 60 %, à un risque fort (3)A. La situation financière et le profil des clients du sous-traitant ou du fournisseur- La diversité de la base clients dusous-traitant ou du fournisseur etl’impact de la crise sur ces clients. - Le niveau de profitabilité et d’endet-tement et la trésorerie du sous-traitantou fournisseur.- Les investissements en cours, lesoptions possibles et les mesuresprises pour faire face à la crise.B. Structure du capital et profil du sous-traitant ou du fournisseur- Le type d’actionnariat (individuel,familial, privé ou public).- La stratégie des actionnaires (pro-blématique de succession ou dereprise).- La taille du sous-traitant ou fournis-seur (TPE, PME, groupe international).C. Profil et qualité de la Supply Chain du sous-traitantou du fournisseur- Le nombre de rang de sous-traitantsou de fournisseurs de la Supply Chaincomplète (profondeur).- Le nombre de sous-traitants ou defournisseurs par rang de la SupplyChain complète (largeur). Le risquede rupture est proportionnel à l’éten-due et à la complexité de la SupplyChain complète.

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- La visibilité et l’influence de l’entre-prise sur la Supply Chain du sous-traitant ou du fournisseur.D. Dépendance du sous-traitant ou du fournisseur vis-à-vis de l’entreprise et l’impact de l’entreprise- Le niveau de part de marché de l’en-treprise chez le sous-traitant ou four-nisseur avant la crise.- Le niveau de chute des commandesde l’entreprise au sous-traitant ou aufournisseur pendant la crise.- Le niveau du stock de l’entreprise enpièces du sous-traitant ou du fournis-seur et leurs délais de livraison. E. Performance et stratégie du sous-traitant ou du fournisseur- La performance et la compétitivitédu fournisseur. - Le changement de technologie, l’ar-rêt d’une activité ou de la productionde certaines pièces, les alliances, lesjoint-ventures, les prises de participa-tions et les partenariats- Les cessions, les fusions, les acqui-sitions.La probabilité du risque et la vulnéra-bilité de l’entreprise nous donne lasévérité de ce risque pour l’entreprise.(Figure ci-contre en haut).Il n’est plus possible d’avoir commeunique objectif la réduction de coût. Ilest désormais nécessaire de trouverles meilleurs compromis afin de fiabi-liser et sécuriser la Supply Chain touten améliorant les performances coût,délai et qualité de l’ensemble.

Une organisation adaptée Sur le plan organisationnel, la gestiondu risque de la Supply Chain est mul-tidisciplinaire et doit concerner toutesles fonctions du site. Elle doit êtresimple et pragmatique sous formed’une grille d’évaluation couplée à desplans d’actions. L’approche « classeurde 200 pages » a toutes les chancesd’échouer, faute de résultats et demotivation des troupes.Les responsables Supply Chain fontsouvent face à des dilemmes. Pasexemple, pour réduire le risque derupture d’approvisionnement, il faut

qualifier un autre fournisseur à desprix plus élevés…La solution n’est pas de choisir entrela réduction de ce risque ou l’atteintedes objectifs de performance maisd’atteindre les objectifs tout en identi-fiant, minimisant et contrôlant cesrisques. Le management du risque nepeut être une excuse pour l’inactionou la non-performance.Une ségrégation des tâches et desobjectifs entre les différentes fonc-tions du département Supply Chaindoit susciter un débat constructif etcontradictoire, afin de faire émergeret d’atteindre le meilleur compromis.De nombreuses entreprises ont faitévoluer leur organisation SupplyChain en trois métiers :- « Managing Supplier » : gestion de larelation avec les sous-traitants et lesfournisseurs (négociation des con trats,évaluation de la performance, etc.)- « Sourcing Supplier » : gestion dupanel des sous-traitants et des four-nisseurs (définition de la stratégie parfamille de fournisseurs, identificationet qualification de nouveaux fournis-seurs, disqualification de sous-trai-tants et de fournisseurs non perfor-mants, transfert de production d’unfournisseur à un autre, etc.)- « Developping Supplier » : gestionde la qualité des sous-traitants et des

fournisseurs et développement deleur compétences (correction des pro-blèmes qualité des fournisseurs, amé-lioration des performances et déve-loppement des compétences dessous-traitants et des fournisseurs, ana-lyse des risques)Certaines entreprises ont confié laresponsabilité de la gestion desrisques de la Supply Chain au dépar-tement « Developping Suppliers ».

Le devoir de prendre en compte ces risques importantsLes entreprises n’ont d’autre choixque d’identifier, d’évaluer et de mini-miser ce risque de pérennité afind’augmenter la résilience de leurSupply Chain. La crise économique aeu pour effet d’accentuer une prise deconscience de ce risque de pérennitéde la Supply Chain et de ses enjeux. Elles doivent gérer ce risque durant lecycle de vie de leurs produits, c'est-à-dire lors des phases de développe-ment et de production mais aussi lorsdes phases de maintenance en condi-tion opérationnelle. Les industriesfabriquant des produits à cycle de vielong devront maintenir une SupplyChain de fourniture de pièces derechange sur le long terme. Un défisupplémentaire. ◆

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