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28, rue des bouchers 28000 Chartres Tel: 02-37-32-85-89 Mob: 06-61-16-95-90 Fax: 08-11-38-01-86 [email protected] Chartres, le 7 avril 2010 Voici mon sentiment sur la question de la reconstruction « à l’identique » de la porte Guillaume. Tous les chartrains et les visiteurs aiment regarder la porte Guillaume. Elle fait partie des éléments qui participent à l’affection que l’on peut attribuer à la ville de Chartres. Elle est un calendrier historique racontant à la fois la puissance d’une ville et sa faiblesse face à la guerre. Sa monumentalité et sa ruine, qui peut évoquer un bras levé vers le ciel, procurent à l’observateur des émotions. Les vestiges sont suffisamment présents pour laisser deviner la présence de l’ancienne porte de la ville. Le tout a été dessiné et photographié maintes et maintes fois et fait partie du circuit touristique de Chartres. Certains envisagent une reconstruction « à l’identique » du monument. Mais quel en serait le sens ? Reconstruire la porte Guillaume peut vouloir dire que les Chartrains aiment leur ville et en prennent soin. Cela peut aussi être une envie de protéger certains repères de manière à affirmer une image plus claire de la ville. C’est une idée agréable et sécurisante d’autant qu’aujourd’hui, les entrées de villes sont floues et la forme de la ville est confuse. On peut y voir aussi une stratégie pour dynamiser le secteur de la porte Guillaume en « développant » plus d’éléments touristiques en « basse ville ». La reconstruction de la porte Guillaume améliorerait-elle sa fonction symbolique et économique ? Améliorait-elle le vécu architectural de nous tous sur la ville ? Est-ce que cela soulignerait plus les aspects interhumains de la symbolisation ? Le but fondamental de n’importe quel symbole est, il me semble, de conserver les inductions de l’homme et la fonction symbolique constitue un complément nécessaire à la faculté humaine d’abstraction et de généralisation. Quelle est donc la portée artistique du désir de vouloir reconstruire la porte Guillaume ? Si on la reconstruit, comment la reconstruit-on, sous quel objectif et quelle idée directrice ? Quel sera la valeur de cette nouveauté ? Attention, un cheval peint de rayures ne fait pas un zèbre. Viollet-le-Duc, en son temps, s’efforçait, dans la mesure du possible, de sauver ces vielles pierres d’une destruction et d’une disparition totales. Il tentait de recréer l’édifice tel qu’il avait été construit à l’origine. Il s’agissait d’un travail d’imagination que certains jugent réussi, d’autres : non. On peut dire que Viollet- le-Duc cherchait à abolir la réalité de ces vieux édifices. Confronté à une réalité rivale, une réalité plus forte et profonde que celle de son propre temps, il n’avait d’autre solution, mû par une terreur existentielle et l’instinct humain de conservation, que de détruire l’original. C’est, à mon sens, ce qu’il se passerait si l’on reconstruit à l’identique la porte Guillaume.

Faut il reconstruire la porte guillaume

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Page 1: Faut il reconstruire la porte guillaume

2 8 , r u e d e s b o u c h e r s 2 8 0 0 0 C h a r t r e s T e l : 0 2 - 3 7 - 3 2 - 8 5 - 8 9 M o b : 0 6 - 6 1 - 1 6 - 9 5 - 9 0 F a x : 0 8 - 1 1 - 3 8 - 0 1 - 8 6 c . d e s m i c h e l l e @ a r c h i s . n e t

Chartres, le 7 avril 2010

Voici mon sentiment sur la question de la reconstruction « à l’identique » de la porte Guillaume.

Tous les chartrains et les visiteurs aiment regarder la porte Guillaume. Elle fait partie des éléments qui participent à l’affection que l’on peut attribuer à la ville de Chartres. Elle est un calendrier historique racontant à la fois la puissance d’une ville et sa faiblesse face à la guerre. Sa monumentalité et sa ruine, qui peut évoquer un bras levé vers le ciel, procurent à l’observateur des émotions. Les vestiges sont suffisamment présents pour laisser deviner la présence de l’ancienne porte de la ville. Le tout a été dessiné et photographié maintes et maintes fois et fait partie du circuit touristique de Chartres. Certains envisagent une reconstruction « à l’identique » du monument. Mais quel en serait le sens ? Reconstruire la porte Guillaume peut vouloir dire que les Chartrains aiment leur ville et en prennent soin. Cela peut aussi être une envie de protéger certains repères de manière à affirmer une image plus claire de la ville. C’est une idée agréable et sécurisante d’autant qu’aujourd’hui, les entrées de villes sont floues et la forme de la ville est confuse. On peut y voir aussi une stratégie pour dynamiser le secteur de la porte Guillaume en « développant » plus d’éléments touristiques en « basse ville ». La reconstruction de la porte Guillaume améliorerait-elle sa fonction symbolique et économique ? Améliorait-elle le vécu architectural de nous tous sur la ville ? Est-ce que cela soulignerait plus les aspects interhumains de la symbolisation ? Le but fondamental de n’importe quel symbole est, il me semble, de conserver les inductions de l’homme et la fonction symbolique constitue un complément nécessaire à la faculté humaine d’abstraction et de généralisation. Quelle est donc la portée artistique du désir de vouloir reconstruire la porte Guillaume ? Si on la reconstruit, comment la reconstruit-on, sous quel objectif et quelle idée directrice ? Quel sera la valeur de cette nouveauté ? Attention, un cheval peint de rayures ne fait pas un zèbre. Viollet-le-Duc, en son temps, s’efforçait, dans la mesure du possible, de sauver ces vielles pierres d’une destruction et d’une disparition totales. Il tentait de recréer l’édifice tel qu’il avait été construit à l’origine. Il s’agissait d’un travail d’imagination que certains jugent réussi, d’autres : non. On peut dire que Viollet-le-Duc cherchait à abolir la réalité de ces vieux édifices. Confronté à une réalité rivale, une réalité plus forte et profonde que celle de son propre temps, il n’avait d’autre solution, mû par une terreur existentielle et l’instinct humain de conservation, que de détruire l’original. C’est, à mon sens, ce qu’il se passerait si l’on reconstruit à l’identique la porte Guillaume.

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2 8 , r u e d e s b o u c h e r s 2 8 0 0 0 C h a r t r e s T e l : 0 2 - 3 7 - 3 2 - 8 5 - 8 9 M o b : 0 6 - 6 1 - 1 6 - 9 5 - 9 0 F a x : 0 8 - 1 1 - 3 8 - 0 1 - 8 6 c . d e s m i c h e l l e @ a r c h i s . n e t

La tour Guillaume qui était autrefois « directement vécue » est devenue une simple représentation et nous vivons dans un monde de spectacle qui correspond à cette idée fantasmatique de retrouver « l’original » même s’il ne s’agit que d’une copie. Le monument historique, avec le cortège d’institutions et de personnes qui le célèbrent, avec ses rites et ses mythes, n’est pas seulement un mode innocent d’auto préservation. Il peut être aussi déchiffré comme un symptôme. Symptôme d’une obnubilation narcissique et d’une impuissance. Signe à la fois de l’auto contemplation à quoi peut mener l’auto-analyse et à la condamnation de la création par la mise en perspective historique systématique. Il m’apparait plus sérieux que la ville sache conserver la porte Guillaume en l’état sans la modifier. La reconstruire, c’est se tourner vers le passé lorsque l’on considère que le présent ou l’avenir ne fournit pas assez d’espérance et de rêve. Cela revient à faire un aveu d’impuissance. Cette pensée est terrible. D’autres symboles actuels existent. La ville doit les accompagner. Ils se trouvent dans l’expression constructive des drames sociaux, écologiques ou énergétiques d’aujourd’hui. De nouvelles formes naissent. C’est le devoir de la ville d’être à l’affut des idées qui préparent un avenir meilleur et non pas de se contenter dans des réussites passées qui ne peuvent plus répondre aux problèmes actuels. On pourrait dans ce sens, si les conditions s’y prêtent, imaginer alors un projet architectural sur la porte Guillaume d’un autre ordre qu’une simple copie de ce qui fut autrefois un élément de la puissance de Chartres. La véritable force d’un projet revient à trouver des idées qui représentent le présent et l’avenir dans la compréhension du passé. Amicalement,

Corentin Desmichelle