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La grenouille et les pingouins

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Réflexions sur l'avenir de la profession d'avocat (extrait du Journal des Tribunaux, 2014, pp. 80-84)

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Chronique judiciaire

1. Si vous jetez une grenouilledans un seau d’eau bouillante,elle en bondira aussitôt, in-demne.Si, au contraire, vous l’y jetezalors que l’eau est froide et quevous portez le seau lentement àébullition, elle s’y laissera en-gourdir progressivement par lachaleur montante, jusqu’à cuis-son totale...

Angoisse du futur ou peurdu lendemain?

2. Depuis quelques saisons, unvent froid descendait des mon-tagnes du Mordor... Des arbrescentenaires dépérissaient. Lechant des oiseaux se faisait plusrare et plus plaintif. Les toilesd’araignées envahissaient lessous-bois...Est-il utile d’énumérer les causesd’inquiétude?

3. Depuis l’arrêt de la Cour decassation du 13 mai 19871 qui a,logiquement, reconnu que le se-cret professionnel n’était pas ab-solu, les coups de boutoir se suc-cèdent.La Cour constitutionnelle a paruélargir l’ouverture en affirmant,alors que ce siècle allait com-mencer, que « la règle du secretprofessionnel doit céder, lors-qu’une nécessité l’impose oulorsqu’une valeur jugée supé-rieure entre en conflit avecelle »2.Restait à déterminer quand unevaleur était à ce point importantequ’elle pouvait prévaloir sur lesecret professionnel de l’avocat.Très heureusement, tant la Courconstitutionnelle que la Cour decassation, la Cour de justice del’Union européenne et la Cour

européenne des droits del’homme sont, sur ce point, ex-trêmement fermes.C’est ainsi que par trois arrêtssuccessifs3, la Cour constitution-nelle décidera que le fait d’intro-duire une requête en règlementcollectif de dettes ne permet pasde présumer que le requérant au-torise les avocats qu’il a précé-demment consultés à communi-quer aux médiateurs de dettesdes éléments couverts par le se-cret professionnel. Certes, uneexigence de loyauté toute parti-culière pèse sur la personne su-rendettée qui demande ainsi lebénéfice du régime de faveur ins-titué par la loi, mais cette exi-gence ne peut justifier une pa-reille entorse aux règles du secretprofessionnel.Dans le but d’éviter de possiblesconflits d’intérêts, le législateur aimposé aux avocats qui ac-ceptent des mandats de curateursde faillite, d’adresser au pré-sident du tribunal une liste descréanciers de la faillite dont ils,ou leurs associés, sont lesconseils. Pour assurer la transpa-rence de cette déclaration, il étaitprévu que cette liste soit acces-sible en consultation au greffe dutribunal de commerce. La Courconstitutionnelle a estimé quecette obligation violait le secretprofessionnel, sans nécessitésuffisante4.On sait que la Cour de justice del’Union européenne, la Courconstitutionnelle, puis la Coureuropéenne des droits del’homme n’admettront que l’avo-cat soit délié du secret pour res-pecter les obligations de dénon-ciation imposées par les disposi-tions qui visent à réprimer leblanchiment de capitaux en vuede financer les activités de grand

banditisme ou de terrorisme quepour autant, d’une part, que l’onse trouve en dehors de la missiontraditionnelle de défense et deconseil qui incombe à l’avocatet, d’autre part, que ces dénon-ciations soient filtrées par le bâ-tonnier, chargé de vérifier quel’on se trouve bien en dehors deces missions traditionnelles etque le soupçon qui nourrit la dé-nonciation est avéré5.

On comprend que des mesuresde surveillance particulièresoient mises en œuvre lors de ladétention de personnes qui ap-partiennent à des réseaux degrand banditisme internationalou de terrorisme. La Cour euro-péenne des droits de l’homme a,à de nombreuses reprises, estiméque les nécessités de cette sur-veillance ne pouvaient autoriserni la mise sous écoute desconversations entre pareils déte-nus et leurs avocats, ni l’intercep-tion des correspondances qu’ilséchangeaient6. Elle n’a admisl’ouverture de ces correspon-dances que dans des conditionsextrêmement strictes : il faut,d’une part, que des soupçons sé-rieux pèsent à la fois sur la per-sonne détenue et sur son avocat,permettant de craindre qu’ilsabusent des facilités de commu-nication dont ils disposent pouréchanger des informations envue de la perpétuation de l’acti-vité criminelle du détenu; il fautensuite que la correspondanceinterceptée soit soumise à unjuge qui aura pour seule missionde vérifier si ces correspon-dances traduisent une tentativede perpétuer l’activité criminelleet qui, à défaut, restituera la cor-respondance au détenu, sans endonner connaissance àquiconque7.

L’article 458bis du Code pénalconstitue une application parti-culière de la théorie de l’état denécessité en matière de protec-tion de la jeunesse. À la base, ilpermettait aux professionnels te-nus au secret de le révéler lors-qu’ils avaient connaissance d’undanger grave et imminent pourl’intégrité physique ou mentaled’un mineur s’ils n’étaient pas enmesure, seuls ou avec l’aide detiers, de protéger cette intégrité.Par deux lois successives des28 novembre 2011 et 23 février2012, le champ d’application decette disposition a été élargi à denombreuses personnes vulné-rables. L’exigence d’un entretienpersonnel ou d’un examen de lavictime a été supprimée. Et ledanger à prévenir a été élargi auxhypothèses de danger visantd’autres personnes vulnérables.Par son arrêt du 26 septembre2013, la Cour constitutionnelle aannulé ces nouvelles disposi-tions, mais uniquement en cequ’elles concernaient lesavocats8. Elle n’a pas manqué derappeler à cette occasion que« les avocats prennent une partimportante dans l’administrationde la justice, ce qui justifie queles conditions d’accès et d’exer-cice à cette profession obéissentà des règles propres, différentesde celles qui régissent d’autresprofessions libérales... L’effectivi-té des droits de la défense de toutjusticiable suppose nécessaire-ment qu’une relation deconfiance puisse être établieentre lui et l’avocat qui leconseille et le défend. Cette né-cessaire relation de confiance nepeut être établie et maintenueque si le justiciable a la garantieque ce qu’il confiera à son avocatne sera pas divulgué par celui-ci.Il en découle que la règle du se-

(1) Cass., 13 mai 1987, J.L.M.B.,1987, p. 1165 et obs.Y. HANNEQUART, R.C.J.B., 1989,p. 588 et obs. A. DE NAUW.(2) C.A., 3 mai 2000, J.L.M.B., 2000,p. 868, http://jlmbi.larcier.be.(3) C.A., 3 mai 2000, J.L.M.B., 2000,p. 868; R.G.D.C., 2002, p. 452 etobs. A. THILLY, « Une victoire pour lesecret professionnel? »; voy. aussi lescommentaires que G.-A. Dalconsacre à cet arrêt : G.-A. DAL, « Lesecret professionnel de l’avocat enBelgique », in Le secret professionnelde l’avocat dans le contexte euro-péen, p. 6; voy. aussi C.A., 14 juin2006 et 28 juillet 2006, J.L.M.B.,2006, p. 1128 et obs.J. WILDEMEERSCH, et p. 1291. Le pre-mier de ces arrêts est celui par lequel,pour la première fois, la Cour a fait

usage de la possibilité de suspendreune loi « similaire » à une loi déjà an-nulée, sans qu’il soit besoin que le re-quérant invoque un préjudice graveet difficilement réparable.(4) C.A., 24 mars 2004, J.L.M.B.,2004, p. 1080, http://www.const-court.be.(5) C.J.U.E., 26 juin 2007, J.L.M.B.,2007, p. 1120; C. const., 23 janvier2008, J.L.M.B., 2008, p. 180 et obs.F. ABU DALU, « À qui perd gagne »;J.T., 2008, p. 501 et obs. G.-A. DAL etJ. STEVENS, « La Cour constitution-nelle et la prévention dublanchiment : le rappel à l’Ordre »;http://jt.larcier.be; C.E.D.H.,6 décembre 2012, J.T., 2013, p. 5,J.L.M.B., 2013, p. 16 et les obs. croi-sées de F. DELEPIERE, « Le secret pro-fessionnel de l’avocat versus l’obliga-

tion de déclaration de soupçon : est-ce le seul et vrai problème? - Ne setrompe-t-on pas dangereusement dedébat? » et G.-A. DAL, « Le secretprofessionnel de l’avocat versusl’obligation de déclaration desoupçon : ne s’est-on pas trompé plu-tôt de législation? ». Particulièrementsur le rôle du bâtonnier, voy.P. HENRY, « La balance, c’est lebâtonnier! », in Le livre blanc del’argent noir, 20 ans de lutte contre leblanchiment et le terrorisme, C.T.I.F.,2013, pp. 146-152.(6) C.E.D.H., arrêts Golder c.Royaume-Uni du 21 février 1975,Klass et autres c. R.F.A. du6 septembre 1978, Campbell et Fellc. Royaume-Uni du 28 juin 1984,Schoenenberger et Durmaz c. Suissedu 20 juin 1988, Fox, Campbell et

Hartley c. Royaume-Uni du 30 août1990, S. c. Suisse du 28 novembre1991, Campbell c. Royaume-Uni du25 mars 1992, A.B. c. Pays-Bas du29 janvier 2002; http://www.echr.coe.int/.(7) C.E.D.H., arrêt Erdem du 5 juillet2001.(8) La Tribune (d’Avocats.be), no 39,10 octobre 2013, P. HENRY, « LaCour constitutionnelle rappelle ànouveau le caractère fondamental dusecret professionnel des avocats »,http://www.avocats.be; J.L.M.B.,2013, p. 2025 et obs. G. GENICOT etE. LANGENAKEN, « L’avocat, leconfident, la victime, l’article 458bisdu Code pénal et la Courconstitutionnelle ».

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cret professionnel imposée àl’avocat est un élément fonda-mental des droits de la défense »(considérants B.28.1 et B.29.2).Ces exemples pourraient êtremultipliés9. Ils démontrent à quelpoint nos plus hautes juridictionssont convaincues du rôle essen-tiel que le secret professionneljoue dans l’accès à la justice.Mais ils ne suffisent pas à entra-ver le flot des attaques aux-quelles les Ordres doivent faireface pour protéger le secret pro-fessionnel. Dans le mois qui sui-vait le prononcé de l’arrêt de laCour constitutionnelle du26 septembre 2013, trois nou-veaux fronts ont été ouverts.Les deux premiers dans le do-maine du droit fiscal. Ils sont liésà la suppression de l’exonérationde la T.V.A. sur les prestationsd’avocat.Tout d’abord, on sait quel’article 334 du C.I.R. 1992 pré-voit que, lorsque l’administrationfiscale souhaite saisir un docu-ment qu’un avocat considèrecomme couvert par le secret pro-fessionnel, le conflit est tranchépar le bâtonnier. La Cour de cas-sation a récemment confirméque la décision de ce derniern’était, en l’état actuel de nostextes, soumise à aucunrecours10. Logiquement, lesOrdres ont demandé que l’appli-cation de la T.V.A. aux avocatssoit accompagnée de l’adoptiond’un texte à portée identiquedans le Code de la T.V.A. L’admi-nistration l’a admis assez facile-

ment mais, revancharde, elle aexigé que cette adoption aille depair avec l’instauration d’un droitde recours, devant le tribunal depremière instance, contre les dé-cisions du bâtonnier. Les Ordresne peuvent évidemmentl’admettre11.Ensuite, les arrêtés d’applicationdu Code de la T.V.A. prévoientl’obligation, pour tous les assu-jettis d’adresser périodiquementà l’administration un listing desfactures qu’ils ont adressées, in-diquant l’identité de leurs clientset les montants qui leur ont étéfacturés. Or, dans certaines hypo-thèses, ces données sont cou-vertes par le secret professionnel.Lors de son assemblée généraledu 13 janvier 2014, Avocats.be adécidé d’introduire un second re-cours en annulation devant laCour constitutionnelle, portantsur cette question spécifique.Le troisième dans le domaine dudroit économique. Le 24 octobre2013, Avocats.be a introduit unrecours en annulation contrel’article 12 de la loi du 3 avril2013 adoptant les livres IV et Vdu Code de droit économique,qui autorise l’auditorat de laconcurrence, à l’occasion desinstructions qu’il mène, àprendre connaissance du conte-nu de pièces saisies illégalement,comme des avis d’avocat et lacorrespondance y afférent et quidiffère le contrôle de la régularitéde leur saisie au moment de lacommunication des griefs (quiclôt l’instruction), en le réduisantd’ailleurs aux données

« effectivement » invoquées parl’auditorat en soutien de sesgriefs, aucun contrôle distinct dela légalité des saisies effectuéesau cours des perquisitions n’étantprévu, contrairement à ce qui estprévu pour les autres procéduresdu même type12.

Et je ne fais qu’évoquer les at-teintes à la confidentialité et ausecret que les récentes révéla-tions sur les pratiques de la NSA(et d’autres administrations éta-tiques) ont mises en lumière.

Exit Harpocrate, le dieu du si-lence? Victoire totale d’Astrée, ladéesse de la transparence?Sommes-nous, avec trente ans deretard, sous le regard permanentde Big Brother? Le temps est-ilvenu, selon les termes de Jean-Denis Bredin, de la « dictatureglacée de la Vérité, ultime et ter-rible vertu d’un temps qui auraitenterré les autres »13?

4. Au rang de nos valeurs tradi-tionnelles menacées, l’indépen-dance ne cède certainement enrien au secret professionnel.Jusqu’il y a peu, il ne faisait guèrede doute que seuls les Ordrespouvaient élaborer les normesqui gouvernent la professiond’avocat, sous le seul contrôle dela Cour de cassation. De même,la discipline de notre professionest son apanage.La justification de cette solutionest claire. Appelé à défendre lesintérêts particuliers contre l’inté-rêt général, l’intérêt de l’État,l’avocat ne peut lui être subor-

donné. Appelé à exercer son of-fice devant les juges, l’avocat nepeut leur être soumis. Cette indé-pendance n’est d’ailleurs pas unprivilège. Elle est la conditiond’exercice de notre mission dedéfense. Au nom de quoi pour-rions-nous prétendre nous expri-mer au nom de justiciableslorsque leurs intérêts les plus fon-damentaux (la vie, la liberté, ladignité, la propriété...) sont enjeu, si nous ne pouvions nousprévaloir de cette totale indépen-dance, qui nous permet à la foisd’être le premier juge des causesque l’on nous confie et de les dé-fendre en étant débarrassés detoute pression extérieure?

Pourtant, une lame de fondsemble déferler sur notre indé-pendance. Au Royaume-Uni, laprofession est aujourd’hui sou-mise à la Solicitors RegulationAuthority14, mise en place par leLegal Service Act 2007, composéde sept solicitors et de huit per-sonnalités extérieures à la profes-sion. En Irlande, les barristers etles solicitors viennent d’être missous la tutelle d’un organisme ré-gulateur indépendant, le LegalServices Regulatory Authority,dont les membres, nommés par leministre de la Justice, ne sont pasmajoritairement des avocats15. Etla Troïka fait peser des menacesidentiques sur tous les pays danslesquels elle intervient16 : Grèce,Italie, Espagne, Portugal. Mêmeaux Pays-Bas, le gouvernementsouhaite mettre la profession sousla tutelle d’un organisme desupervision17.

(9) Voy., par exemple, Mons, 9 avril2001, J.T., 2002, p. 409; Civ. Anvers,7 avril 2000, Rev. Dr. Santé, 2004-2005, p. 126; Anvers, 14 juin 2001,Cass., 2 octobre 2002, Gand,28 novembre 2003, Civ. Anvers,22 octobre 2004, Rev. Dr. Santé,2004-2005, pp. 128, 131, 133, 136,et obs. T. BALTHAZAR, « Het gedeeldberoepsgeheim is geen uitgesmeerdberoepsgeheim ».(10) Cass., 19 octobre 2012,J.L.M.B., 2013, p. 1646.(11) On a d’abord semblé se dirigervers une solution de compromis, auterme de laquelle le droit de recoursserait instauré mais devant le Conseilde discipline d’appel. Le Conseild’État a cependant condamné cettesolution, dans la mesure où elle neserait applicable qu’aux professionsqui sont soumises à pareille juridic-tion. Le chantier reste ouvert. Le re-cours introduit par Avocats.be contrela loi du 30 juillet 2013 qui supprimel’exonération comprend un moyenqui vise spécifiquement ce point.(12) On sait qu’en règle générale, lebâtonnier ou son délégué assiste auxperquisitions effectuées dans les ca-binets d’avocat et qu’il déterminequelles pièces sont couvertes par lesecret professionnel (voy. circulairedu parquet général C.6/87D767 Cir.-L.G. du 5 mai 1987, reproduite dans

Cahiers de déontologie, barreau deLiège, no 5, mai 2001; Cass., 24 mai2007, inédit, R.G. no 050431N), sanspréjudice du droit de l’avocat decontester ultérieurement la régularitéde la saisie, soit devant la chambredes mises en accusation, soit par lavoie du référé pénal (article 61quaterdu Code d’instruction criminelle),soit devant le juge du fond (Cass.,2 novembre 2011, Rev. dr. pén.,2012, p. 208). L’arrêt André de laCour européenne des droits del’homme établit cette solution(C.E.D.H., 24 juillet 2008, J.T., 2008,p. 550, J.L.M.B., 2009, p. 864 et obs.A. JACOBS et P. HENRY, « Non, les ca-binets d’avocats ne sont pas desbanques de données! »). Sur cesquestions, voy. F. KRENC, « Les per-quisitions et saisies chez l’avocat aucrible de la Convention européennedes droits de l’homme », in PourquoiAntigone? Liber amicorum EdouardJakhian, Bruylant, 2011, pp. 283-306, et D. VAN GERVEN, « Commentassurer le secret professionnel lors dela perquisition d’un cabinetd’avocat », in Liber amicorum Fran-çois Glansdorff et Pierre Legros, Lar-cier, 2013, p. 753.(13) J.-D. BREDIN, « Remarques sur latransparence », cité par J.-M. VARAUTet L. RUET, « Secret professionnel etconfidentialité dans les professions

juridiques et judiciaires », Gaz. Pal.,10-12 août 1997, p. 2. Sur le mêmethème, J.-D. Bredin a prononcé, àl’occasion du centenaire de la Confé-rence des bâtonniers de France, undiscours aussi brillant quepassionnant : « Transparence etsecret : les attentes de la personnehumaine », Gaz. Pal., 22 octobre2003, p. 27. Voy. aussi, E. JAKHIAN,« Loyauté, confidentialité et secret »,in Liber amicorum Jean-Pierre deBandt, p. 163, qui parle de la« tyrannie de la vérité »; J.-P. ROYER,« Lever de rideau : le secret, quelsecret? », in Secret et justice : le se-cret entre éthique et technique?,Lille, Public. de l’Espace juridique,1998, p. 5 : « Aujourd’hui, ... le goûtest à la transparence qui, à son tour,envahit tout ». Voy. aussiJ. CHEVALLIER, « Le mythe de la trans-parence administrative », in Informa-tion et transparence administratives,Paris, PUF, 1988, p. 239 : « À la fi-gure du secret, dévalorisée, discrédi-tée et affectée d’un signe négatif, vavenir s’opposer la figure antithétiquede la »transparence », conçuecomme pure positivité ». M.-H. MOUNEYRAT, « Éthique du secretet secret médical », in Pouvoirs,vol. 97, 2001, p. 47 : « La notion desecret en elle-même est-elle éthiqueou serait-elle, par essence même,

contraire à l’éthique? Cette secondeacception pourrait paraître l’empor-ter dans une société où la tendanceest plutôt à sacraliser latransparence ».(14) Http://www.sra.org.uk/home/home.page.(15) Legal Services Regulation Bill(4 octobre 2011). Le nouvel organeest compétent en matière d’accès à laprofession, de réglementation déon-tologique et de discipline.(16) Voy. la lettre commune de pro-testation solennelle adressée par leC.C.B.E. et l’American Bar Associa-tion à Christine Lagarde, présidentedu F.M.I., le 21 décembre 2011(http://www.ccbe.eu/fileadmin/user_upload/NTCdocument/CCBE_and_ABA_letter_1_1325686329.pdf).Voy. déjà la position adoptéepar le C.C.B.E. en 2005 sur les fonc-tions de réglementation et de repré-sentation des barreaux (http://www.ccbe.eu/fileadmin/user_upload/NTCdocument/ccbe_position_on_reg2_1182254709.pdf).(17) Voy. la lettre adressée par leC.C.B.E. au ministre néerlandais de laSécurité et de la Justice le 18 octobre2011 (http://www.ccbe.eu/fileadmin/user_upload/NTCdocument/18_10_2011_CCBE_lett1_1327409579.pdf). Lors du comité permanent

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Chronique judiciaire

Si la vague ne nous a pas encoreatteints, la houle se fait cepen-dant menaçante. Le nouveauCode de droit économique quele gouvernement est en train defaire passer aux forceps com-prend plusieurs dispositions aux-quelles nous devons être particu-lièrement attentifs : soumissiondes professions libérales à uncorps de règles directement dé-clinées de la loi sur les pratiquesdu marché (même si nous avonspu, in extremis, obtenir qu’unlivre spécifique du nouveauCode de droit économique soitconsacré aux professions libé-rales et qu’elles ne soient pasfondues parmi les activités com-merciales en général)18; obliga-tion de créer un service d’om-budsman capable de gérer touteplainte d’un consommateur (li-sez, en ce qui nous concerne,client) dans un délai de troismois, faute de quoi ces litiges se-ront déférés au médiateurfédéral19... Un autre avant-projetde loi tend à imposer un cadrecommun pour toutes les procé-dures disciplinaires, qui ne pré-sentent pas les mêmes garantiesque les dispositions du Code ju-diciaire qui nous gouvernent20.

5. Le sous-financement chro-nique de la justice, et particuliè-rement de l’accès à la justice, nepeut qu’ajouter à cette angoisse.21% (le taux des produits deluxe) de T.V.A. sur les prestationsd’avocat. Une augmentation ducoût de nos services de 21%pour les justiciables non assujet-tis! D’un coup.Diminution de la valeur dupoint qui permet la rémunérationdes prestations d’aide juridique :de 26,91 EUR pour les exercices2011 et 2012 (prestations ac-complies en 2009-2010 et 2010-2011, puisque le délai de paie-ment est d’au moins douzemois!), on passe à 25,76 EUR en2013 (moins 4,27%!). Et encore,si nous n’avions pas réagi vio-lemment, le budget initial n’au-rait permis que de nous honorerqu’à concurrence de 24,26 EUR

le point (moins 9,7%). Et, pour2014, le budget prévu reste déri-soire. À nombre de pointsconstant, il n’est prévu qu’unmontant qui devrait aboutir à unpoint aux alentours de 24 EUR.Sans compter que les prestationsdites « Salduz » ne sont encorehonorées que jusqu’au 31 août2012 et qu’aucun budget n’estencore prévu pour celles qui ontété accomplies ensuite!

Ajoutons l’état déplorable des in-frastructures dans lesquelles lajustice est contrainte de travailler,son sous-équipement informa-tique qui confine au ridicule, lapolitique de retardement systé-matique de publication des va-cances qui ne permet à aucunejuridiction d’avoir un cadre com-plet, le délabrement de nos insti-tutions pénitentiaires et la surpo-pulation carcérale, les retards depaiement des experts, huissiers,médecins de prison (et avocatspratiquant l’aide juridique!), lescoupes dans les budgets de fonc-tionnement...

6. Tout se passe comme si le pou-voir exécutif, qui a déjà réduit lepouvoir législatif à la portioncongrue, voulait contraindre lepouvoir judiciaire à un rôle de fi-guration.

Constatons tout d’abord que lephénomène n’est pas propre ànotre pays. Partout, dans lemonde occidental, les budgetsconsacrés à la justice et à l’accèsà la justice sont en diminution.De partout, jaillissent des me-naces identiques : atteintes au se-cret professionnel, atteintes àl’indépendance de la profession,restrictions budgétaires.

Ajoutons quelques signes : la ré-cente réforme du Conseil d’Étatva accroître le coût des procé-dures, surtout pour les particu-liers (aux 21% de T.V.A. s’ajoute-ra la menace d’une indemnité deprocédure majorée), tout en di-minuant les chances de succèsdes recours (la « boucleadministrative » permettra derenvoyer l’acte attaqué à l’admi-

nistration qui l’a produit pourqu’elle corrige ses imperfectionsformelles; le Conseil d’État pour-ra maintenir provisoirement leseffets des actes annulés)21; dansun proche avenir, les récupéra-tions de créances pourraient êtreintroduites sans le concours d’unavocat par le biais de la nouvelleprocédure sommaire d’injonc-tion de payer22; des exigences deformation spécifique seront im-posées aux avocats qui voudrontintroduire des pourvois en cassa-tion en matière pénale et déposerdes mémoires dans cesprocédures23.N’assistons-nous pas à un dange-reux déplacement du curseurentre les prérogatives de la puis-sance publique et celles du ci-toyen?Vivons-nous les prémices de lafin de la séparation des pouvoirs,de la fin des droits de l’homme24,de la fin de la justice, de la mortdes avocats?

7. Et les menaces endogènes nedoivent pas non plus être négli-gées.Sous la pression du marché, cer-tains de nos confrères se dé-tournent de nos valeurs tradition-nelles. La déontologie et l’indé-pendance s’effritent. Place auxprises de participations exté-rieures dans le capital des cabi-nets d’avocats, à la multidiscipli-narité, à la publicité et au démar-chage. À la poubelle la loyauté etla délicatesse.L’avocat deviendrait-il un mar-chand de services juridiques? Unmarchand comme les autres? Unsimple agent d’affaires?Qu’elle serait encore sa justifica-tion?

S’il te plaît, dessine-moiun avocat...

8. La communauté des barreaux!Ils sont quatre : sans hobbit, sansnain, sans elfe, sans magicien.Deux hommes et deux femmes.Deux de Bruxelles, deux de la

province. Deux émanant degrandes structures, deux de cabi-nets de tailles plus modeste. Leurmission : trouver la voie...

9. Le défi est donc de taille.À terme, c’est la survie de notreprofession, et donc d’un modèlede société, centré sur les droitsde la personne humaine, sur desvaleurs comme la liberté, l’égali-té, la dignité, la solidarité, qui esten jeu.Nous ne pouvons pas nouscontenter de déposer quelquessacs de sable autour de nos petitscabinets pour tenter de retarder leraz-de-marée qui déferle.Quelques rustines ne permettrontpas à une vieille chambre à air detraverser un champ de clous.Certes, face à tous ces projets quigerment dans les cartons de nospolitiques, nous nous organisonspour discuter, décortiquer, criti-quer, proposer, contre-proposer,imaginer des alternatives et, aumoins, tenter de préserver l’es-sentiel.Certes, les recours que nous in-troduisons, notamment devant laCour constitutionnelle, nous per-mettent souvent de sauver l’es-sentiel ou, en tout cas, de retar-der l’inéluctable.Certes. Mais, ce faisant, nous nefaisons que préserver quelquesîlots, en abandonnant d’im-menses périmètres à l’envahis-seur.

10. Osons donc regarder au-delàde l’écume. Fixons l’horizon.Nous devons crier haut et fortque notre modèle de société estinséparable de la justice et desavocats. Que l’indépendance denotre profession est une condi-tion sine qua non, non seulementde ces valeurs traditionnelles quisont fondatrices de notre civilisa-tion (liberté, égalité, dignité, soli-darité), mais aussi de la prospéri-té de notre société.Le rapport Yarrow25, commandi-té par le C.C.B.E. À des expertsindépendants, l’a bien

du C.C.B.E. du 23 janvier 2014, ladélégation néerlandaise a annoncéque son gouvernement aurait aban-donné ce projet.(18) Parmi les dispositions qui sontsur le bureau du Parlement, on relè-vera que l’une d’elles fait interdictionà tout professionnel de réclamer unpaiement à son client avant qu’un dé-lai de sept jours se soit écoulé depuisleur première prise de contact, sicelle-ci n’a pas eu lieu au siège prin-cipal de leur établissement (lisez,pour les avocats, dans leur cabinetprincipal). Faut-il en déduire qu’unavocat appelé à la prison par unclient qui vient d’être placé sous

mandat d’arrêt ne pourrait donc rienlui demander avant la première com-parution en chambre du conseil ?!?Une autre disposition interdit de fairepayer une prestation postérieure à lalivraison des biens ou services (pournous, les consultations)...(19) Voy. l’avant-projet de loi portantinsertion d’un Livre XVI, « Règlementextrajudiciaire des litiges deconsommation », dans le Code dedroit économique approuvé enconseil des ministres le 13 mars 2013et actuellement soumis au Conseild’État.(20) Avant-projet de loi portant desprincipes généraux de la procédure

disciplinaire pour les professions li-bérales.(21) Voy. la carte blanche que MichelKaiser et moi-même avons consacréeà cette réforme dans Le Soir du13 décembre 2013 (http://patrick-henry-avocats.be/?q=node/79).(22) Voy. l’avant-projet de loi visant àréformer la procédure sommaired’injonction de payer, approuvé enconseil des ministres le 13 décembre2013 et actuellement soumis auConseil d’État (http://www.presscen-ter.org/fr/pressrelease/20131213/nouvelle-procedure-sommaire-din-jonction-de-payer).(23) Voy. le projet de loi relatif à la

procédure devant la Cour de cassa-tion en matière pénale (Doc. parl.,Chambre, 3065), adopté au Sénat le10 octobre 2013 et en commissionde la justice de la Chambre le14 janvier 2014. Le texte doit encoreêtre approuvé en séance plénière dela Chambre.(24) Voy. Stephen HOPGOOD, « Theend of human rights », http://www.washingtonpost.com/opinions/the-end-of-human-rights/2014/01/03/.(25) http://www.ccbe.eu/fileadmin/user_upload/NTCdocument/RPI_study_Yarrow_D1_1348650358.pdf.

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démontré : l’État de droit produitla sécurité juridique sans la-quelle le développement écono-mique n’est pas possible.Contrairement à une idée reçue,bien trop en vogue chez les eu-rocrates bruxellois, le droit gé-nère de la valeur parce qu’il as-sure la stabilité et la prévisibilitéqui est indispensable à la bonnemarche des affaires.

Il n’est que de regarder les socié-tés rongées par l’arbitraire et lacorruption pour le pressentir. Leschiffres alignés par le professeurYarrow et son équipe le dé-montrent.

11. Mais il est tout aussi vrai quesi notre profession veut survivredans son nouvel environnement,elle doit s’adapter.

À mesure que la société se juridi-cisait, les besoins de nos clientsse sont modifiés.

Auparavant, on faisait appel à unavocat pour gagner un procès.C’était un but de roi. C’étaitl’époque des plaideurs de Ra-cine. Trop de nos confrères neleur ressemblent-ils pas encore?

Aujourd’hui, le droit fait partie dela vie quotidienne, non seule-ment des entreprises mais aussides particuliers. Certains ne secontentent pas de consulter unavocat avant, pour éviter d’avoirdes ennuis après. Ils veulent êtreaccompagnés par leurs juristes,leurs conseils, leurs avocats.

Le procès n’est plus qu’une op-tion stratégique. De fin, il est de-venu moyen.

Certains l’ont bien compris et ontdéveloppé des structures perfor-mantes pour répondre à cesattentes : des structures à enver-gure mondiale, multidiscipli-naires, multispécialisées, multi-lingues, multinationales. Ils sontavocats et sont capables de résis-ter à la concurrence des grandsbureaux d’audit.

Ils s’appuient sur nos règles tradi-tionnelles et en font une plus-value : la déontologie est poureux un outil de marketing. Leurindépendance, le secret profes-sionnel, la prévention desconflits d’intérêts, la loyauté deséchanges sont le socle de leurcompétence et de leur savoir-faire.

Certains diront qu’ils ne font plusle même métier que les avocatsdu passé. C’est à la fois vrai etfaux.

Oui, leur périmètre s’est élargi.Ils ne plaident plus ou presqueplus. Plutôt qu’écoper à fond decale, ils apprennent à naviguer à

l’abri des coups de grain, ils pi-lotent en eaux sûres, ilsconstruisent des bateaux insub-mersibles. Mais ils restent des ju-ristes que l’on appelle pour êtreguidés dans les rapports hu-mains.

Ils sont souvent hyperspéciali-sés. À tel point que, si vous nevous aventurez jamais dans leurdomaine, il y a peu de chanceque vous les rencontriez. Maisils sont extrêmement compé-tents.

Pouvons-nous les ignorer? Nedoivent-ils pas au contraire nousinspirer?

12. Il nous appartient d’imagineraujourd’hui ce que sera notreprofession demain. De définirnotre horizon, puis de leconstruire.

Cessons donc de nous contenterde répondre au coup par coupaux projets qui nous démontent.

Nous devons tracer le cadre de laprofession d’avocat en Belgiqueen 2025.

Cela implique la réponse à denombreuses questions :Jusqu’où notre périmètre peut-ils’étendre? Le choix n’est passimple. D’un côté, nous avonsune spécificité à préserver. C’estcelle-ci qui justifie l’indépen-dance et les privilèges que nousrevendiquons : secret profession-nel et autorégulation. Ils ne sontpas compatibles avec l’exercicede certaines activités. D’un autrecôté, le réel n’est pas aisémentfractionnable. Nos clients sou-haitent souvent un conseil glo-bal, un accompagnement perma-nent. Une limite doit donc êtretracée, définie.

Vers une fusion des professionsjuridiques : avocats, notaires,huissiers? Dans de nombreuxpays, certains plaident pour l’in-tégration de ces professions, quel’évolution technologique rendaujourd’hui possible. Les rôlessont distincts. Quels avantagesprésenteraient une intégration? Etquels désavantages?

Le cadre déontologique doit êtreadapté à notre nouvelle réalité.Malgré l’important travail de ré-vision que nous lui avons impo-sé, notre déontologie comprendencore trop de règles obsolètes,qui sont vues comme autant derègles protectionnistes par les au-torités de la concurrence, les as-sociations de consommateurs,les fédérations professionnellesou les syndicats.

La gouvernance de notre profes-sion doit s’adapter à cette évolu-tion. Vingt-huit barreaux pour

17.500 avocats, pour 10 millionsd’habitants! Il n’y en a qu’unpour les vingt-cinq mille avocatsde Paris, pour les vingt-huit milleavocats de Barcelone. Et je necite ni Madrid ni New York.Croit-on vraiment qu’un avocatde Visé ou Waremme soit diffé-rent d’un avocat de Huy ouHerve? Croit-on vraiment qu’unavocat de Mons soit différentd’un avocat de Tournai? Croit-onvraiment qu’il y a plus de diffé-rences entre eux qu’entre un avo-cat dont le cabinet est sis dans leWorld Trade Center et un autrequi professe à Schaerbeek ou àMatongé?

Faut-il repenser l’accès à la pro-fession? Doit-il rester (quasi) toutà fait libre? Faut-il y imposer unfiltre, par le biais d’un examend’entrée (à la française, parexemple), par des exigences derémunération minimale ou pard’autres moyens encore?

Comment assurer un niveau decompétence qui soit à la mesuredes attentes de ceux qui font ap-pel à notre profession, qui soittout simplement compatible avecle rôle social que nous revendi-quons dans la société du XXIesiècle? Ne nous leurrons pas,notre société ne peut plus ad-mettre l’incompétence. Alors,quelle formation initiale, quelleformation continuée? Quellesspécialisations? Quel socle com-mun minimum?

La fragmentation de la professionest-elle à proscrire ou à encoura-ger? Pourrait-on admettre que,demain, seuls les avocats justi-fiant de formations spécifiquespuissent introduire des pourvoisen cassation, des recours auConseil d’État, à la Cour constitu-tionnelle, intervenir devant lesjuridictions de la jeunesse, les ju-ridictions dédiées aux candidatsréfugiés, les tribunaux du travailou du commerce? Notre polyva-lence doit-elle céder devant lesexigences de compétence? Etdans quelle mesure?

Comment organiser la transpa-rence dans la fixation de nos ho-noraires que réclament tant nosgouvernants que nos clients? Et lagestion des conflits entre les avo-cats et leurs clients?

Où fixer les limites de la publici-té et du démarchage? Le jeuneavocat qui adresse une lettre auxcommerçants du quartier danslequel il vient d’installer son ca-binet pour leur présenter sescompétences est-il plus condam-nable que celui qui diffuse unepublicité tapageuse dans des an-nuaires téléphoniques?

Quel statut pour l’avocat en en-treprise? Avocat en entreprise ouavocat détaché en entreprise?Avec quelles garanties d’indé-pendance? Quel secret profes-sionnel? Quel droit de plaider?Quel régime de correspon-dance?

Quel statut pour les stagiaires?Pour les collaborateurs? Libéra-lisme absolu ou encadrement rai-sonnable?

Quelles structures associatives?Oui ou non à la multidisciplina-rité et au capital externe? Si oui,dans quelles limites et avec quelcontrôle?

Quelle place pour l’avocat indi-viduel? Avocat de niche et avocatde quartier? Des enjeux entermes d’accès au droit et à lajustice.

Une place spécifique pour lesfemmes?

Comment intégrer les technolo-gies de l’information et de lacommunication à nos principesfondateurs? Comment conciliercloud computing, outsourcing,bench marketing ou cabinet vir-tuel avec le secret professionnel,l’indépendance et la préventiondes conflits d’intérêts?

Comment gérer l’aide juridique?Un corps d’avocats spécialisés?Un budget autoportant (via lesdroits de greffe et/ou des ticketsmodérateurs et/ou un fonds ali-menté par des amendes ou descontributions spéciales)? Protec-tion juridique ou mutuelles?Quel contrôle de qualité?

Quelle place pour les modes al-ternatifs de règlement des li-tiges? En marge ou dans le sys-tème judiciaire. Avec ou sansavocats?

C’est donc un document (re)fon-dateur que nous cherchons.

Avocats.be et l’O.V.B. ont chargéquatre avocats, d’horizons di-vers, de le préparer. Leur travailest en cours. Ils ont été choisispour leurs qualités personnelles,bien sûr. Parce qu’ils ont une vi-sion de la profession. Mais aussiet surtout pour leurs qualités desynthèse. Ils doivent d’abordécouter. Ecouter les avocats,ceux qui travaillent dans lesOrdres et les autres, les hommeset les femmes, les jeunes et lesexpérimentés, les grandes struc-tures et les individuels, les spé-cialistes et les généralistes. Maisaussi écouter les autres acteurs,les politiques, les autres profes-sions du droit, les consomma-teurs de droit (entreprises, syndi-cats, associations de consomma-teurs).

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Chronique judiciaire

Puis ce travail sera soumis àdébat26.Au sein des Ordres, avecle concours de tous. Mais nousdevons en sortir un programme,des options stratégiques. Des ou-tils pour que notre professionrencontrent les attentes des justi-ciables de 2025.

13. S’il te plaît, dessine-moi unavocat...

Pour l’instant, nous ne disposonsque de deux dessins.

Le premier est bien connu. Il estsigné Daumier. C’est l’avocat duXIXe siècle.

Le second l’est presqu’autant. Ilressemble au mouton de Saint-Exupéry. Il s’agit d’une boîte,avec quelques trous d’aération.

Il nous reste à concevoir ce qu’ily a dans la boîte.

Et à l’en faire sortir avant qu’ellesoit emportée par la mer...

La grenouilleet les pingouins

14. Il était une fois une coloniede pingouins qui vivaient sur unconfortable iceberg. Ils y étaientdepuis des années. Ils n’avaientguère de raison d’en changer. Lespoissons y étaient abondants,même si quelques léopards demer, d’ailleurs de plus en plusnombreux, avaient la fâcheusehabitude de les leur disputer.

Un beau jour, un pingouin unpeu plus curieux que les autres —il ne s’appelait pas Cassandremais, plus simplement, Fred — fitune découverte pour le moins in-quiétante. Le cœur de leur boniceberg recelait une énorme cavi-té remplie d’eau. Elle faisait peserune terrible menace sur leurcommunauté. Le cycle des gels etdégels risquait en effet, par lestensions qu’il imposait à la glace,de briser l’iceberg et de précipi-ter toute la colonie dans l’océan.Le réchauffement climatique nefaisait, bien sûr, qu’accentuer lamenace.

Mais comment convaincre la co-lonie du danger? Et, surtout,comment l’amener à concevoir,puis à réaliser, le plan qui lui per-mettrait d’assurer sa survie?

Fred partagea ses réflexions avecAlice, qui faisait partie du Conseildes dix, chargé de piloter la com-munauté. Alice était pleine debon sens et de détermination.

Elle avait la réputation de fairebouger les choses. Mais surtoutelle écoutait. Elle fut rapidementconvaincue du danger.

Mais comment persuader lesneuf autres membres du Conseil?Il y avait Louis, le président, maisaussi NonNon, le vieux sageconservateur, celui qui estimaitqu’aucun changement ne devaitintervenir tant qu’il n’était passcientifiquement prouvé à centpour cent qu’il était indispen-sable.

Il faut dire qu’il n’y avait pas desolution facile. Un iceberg, celane se répare pas. Alors le quitter?Mais pour où? Pour quoi? En af-frontant quels dangers?

Un think tank (ou était-ce unetask force?) fut créé. Outre Louis,Fred et Alice, il comptait Chou-chou, un jeune pingouin char-mant et astucieux (genre gendreidéal), et Jordan, le professeur,sorte de compromis entreJacques Attali et le schtroumpf àlunettes.

Si vous voulez savoir comment ilsfiniront par sauver leurs congé-nères, en les convainquantd’abandonner leurs vieilles habi-tudes, d’opter pour un nouveaustyle de vie, mais tout en restantdes pingouins soucieux du bon-heur de leur petite communauté,lisez le livre Alerte sur la ban-quise!27.

15. Êtes-vous grenouille ou pin-gouin? Sommes-nous des batra-ciens ou des alcidés?

Nous laisserons-nous progressi-vement engourdir par la chaleurmontante dans la douceur intra-utérine de nos vieux palais dejustice ou serons-nous capablesd’un bond salvateur?

Nous laisserons-nous surprendrepar l’explosion d’un système juri-dique de plus en plus obsolète ouparviendrons-nous à lui impri-mer les changements indispen-sables pour qu’il continue à assu-mer son rôle dans le village glo-bal interconnecté du XXIe siècle?

À vous de décider.

Faites vite. L’eau se réchauffe...

Patrick HENRY

La quenelle médiatiquede Me D.

Les professeurs de déontologie secassent la tête pour trouver descas pratiques à soumettre à la sa-gacité des avocats stagiaires.L’émission « Mise au point » dela RTBF de ce dimanche12 janvier 2014 vient de leur enfournir la parfaite occasion.

La pénible affaire Dieudonnéempoisonne les médias d’outre-Quiévrain, on le sait. Des débatsinterminables opposent les parti-sans d’une liberté d’expressionsanctifiée aux tenants d’un justeéquilibre entre celle-ci et la di-gnité de l’être humain. Les pre-miers ne voient dans les agisse-ments dudit Dieudonné que dessignes humoristiques de défiancevis-à-vis du « système », là où lesseconds, sans doute mieux inspi-rés, détectent dans les« Shoahananas » ou autres indi-gestes quenelles réalisées entreautres sur les lieux de mémoiredu génocide, le signe d’un in-quiétant relent d’une nouvelleforme d’antisémitisme.

Si les décisions de justice fran-çaises rendues dans l’urgence, etqui feront l’objet de plus amplescommentaires dans ces co-lonnes, ont donné lieu à des ob-servations parfois vigoureusesmais plutôt dignes du côté dubarreau français, il fallait bienqu’en nos contrées, l’un de cesrobins accros aux caméras se dis-tingue lors du pugilat dominicalque nous offre notre bonnechaîne publique. Présentécomme son avocat, Me D. s’estsacrifié pour la défense de Dieu-donné. Non, celui-ci n’est pasd’extrême droite, mais d’extrêmegauche. Et pas du tout antisémite,voyons, juste fâché d’être mis aupied du mur, ce qui a entraîné demalheureux réflexes. Et puis, detoute façon, nous expliqueMe D., on ne peut le suspecter de

rien comme le prouve le pin’scontre l’extrême droite qu’ilporte fièrement comme une ar-mure face à l’ennemi.

Le spectateur moyen est conster-né (enfin, on l’espère), mais lespectacle ne fait que commen-cer. Le lendemain de cette bril-lante intervention, Dieudonnéfait diffuser un communiquédans lequel il expose que Me D.n’est pas son avocat et qu’il doitcesser immédiatement de se pré-senter comme tel. Comme le di-rait un ancien bâtonnier deBruxelles : « C’est pas top »!Mais le pire est à venir. Plutôt quede tenter de se faire oublier, voilàque notre porte-parole autopro-clamé, volontiers donneur de le-çons à ses heures, vient sejustifier : oui, il a toujours undossier en cours pour Dieudonnéet sa société de production. Il estallé sur le plateau avec des piedsde plomb mais dans le but decontredire ses détracteurs. Etpuis, il n’a pas besoin de clientset encore moins des clients diffi-ciles et difficiles à défendrecomme ceux-là. Qu’en termesdignes et délicats ces choses-làsont dites!

Ainsi donc, le fait « d’avoir undossier » autorise à violer le col-loque singulier et donc le secretprofessionnel pour livrer une in-terprétation toute personnelledes propos échangés avec sonprétendu client sur la place pu-blique, sans autorisation de ce-lui-ci. On peut ainsi, par commu-niqué de presse, évoquer l’exis-tence d’un dossier et se permettrede qualifier son client de difficileet de difficile à défendre.

Rendons hommage à notre hérosmédiatique : grâce à lui, les pro-fesseurs de déontologie dis-posent à présent du contre-exemple parfait. Et peut-êtremême enrichira-t-il la jurispru-dence d’un de nos conseils dediscipline?

(26) Il est déjà bien entamé. Voy. lesactes du colloque « Tomorrow’slawyer », organisé les 20 et 21 février2014 par un groupe de jeunes avo-cats liégeois (www.tomorrows-

lawyer.be - #Tomlawr).(27) J. KOTTER et H. RATHGEBER,Alerte sur la banquise!, Pearson,2008. Ed. resp. : M.-O. Lifrange

directeur général Groupe LarcierEditeur : Larcier, rue des Minimes, 39 - 1000 Bruxelles

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