8
L ’austérité choisie par le gouvernement Hollande pour plaire au Medef et à l’Europe libérale bafoue le vote des citoyens qui firent la défaite de Sarkozy. Ainsi, le « Pacte de responsabilité », venant après le « Crédit d’impôt compéti- tivité emploi » de même nature, n’est pas un pacte pour l’emploi. Il ne comporte aucun chiffre de création d’emplois et n’o- blige que la puissance publique qui devra réduire les cotisations sociales des employeurs, suite aux exigences du patro- nat lequel conditionne sa signature à l’ab- sence de contreparties. De même, les conséquences des 50 milliards d’écono- mies sur le budget public, et des diminu- tions de cotisations sociales patronales, vont retomber soit sur les contribuables qui devront payer plus d’impôts, soit sur l’action des services publics qui devra être restreinte, soit sur les deux à la fois. La même logique s’applique à l’accord sur l’assurance chômage conclu ces jours-ci. Tout cela a œuvré à la fabrication d’un échec électoral. L’abstention record a fait que le résultat des élections municipales tonne comme un désastre politique pour la gauche. Cette défaite a permis à la droite, très mobi- lisée, de remporter des victoires significati- ves. Le parti socialiste perd au moins 155 villes, le Front National en gagne une dizai- ne. Si les télévisions et les radios l’ont mis en vedette, notamment au détriment du Front de Gauche, c’est d’abord une vague bleue qui gagne et travaillera demain à la reconquête du pouvoir. Le résultat des urnes est flagrant: c'est un désaveu massif de la politique menée par le gouvernement. Le président donne des gages à la droite en nommant comme Premier ministre un Manuel Valls qui ne peut qu’aggraver la politique passée et en accentuer l’échec. Ce que le peuple attend, ce qui constitue la priorité, c'est une poli- tique qui satisfasse les attentes sociales, c'est l'abandon de l’option libérale que vient aggraver la construction du futur marché transatlantique. Si le gouverne- ment ne l’entend pas, nos luttes devront lui arracher des victoires pour l’emploi, les services publics, nos salaires et nos retrai- tes. Pour redonner de l’espoir à gauche, un seul mot d’ordre : changer de cap ! Dans ces conditions, deux occasions sont fournies aux citoyens pour exprimer leur refus de l’actuelle politique gouvernementale. Le 12 avril prochain, la Marche contre l’austérité initiée par le Front de Gauche mais à laquelle convient aussi de nombreuses personnalités du monde culturel et sportif, des responsables syndicaux et associatifs sera une première occasion de faire vivre un printemps de mobilisation pour le progrès social. Et les élections européennes du 25 mai seront l’occasion de confirmer dans les urnes cette volonté de construire une alternative à l’austérité. 31 mars 2014 Il faut sortir de l’austérité HOMMAGE Lee Lorch NM p. 2 MONDE II. Les nationalistes s’organisent B. Frederick p.3 Les enjeux de la crise ukrainienne J Sapir p.3 De jeunes israéliens refusent de faire leur service militaire JL p.3 ‘La guerre du Kippour n’aura pas lieu ?’ R. Baron p.8 SOCIÉTÉ / ÉCONOMIE Le nom des morts de la rue N. Mokobodzki p.4 Pourquoi le pacte d’austérité ne peut créer d’emplois J. Lewkowicz p.4 HISTOIRE / MÉMOIRE II. A propos du 27 janvier M. Cling p.6 27 avril 2014 – Journée de la déportation p.6 19 avril 1943 – 71 e anniversaire du soulèvement du Ghetto de Varsovie (poèmes) p.6 ‘Première pierre’ du musée virtuel posée MRJ-MOI p.2 Cycle ‘La Naïe Presse a 80 ans’ Ounzer Vort, titre clandestin du 15 juin1943 p.6 LITTÉRATURE ‘L’an prochain à Grenade’ G.-G. Lemaire p.5 ‘Géographie française’ de G.Garran S. Endewelt p.5 Stefan Zweig / Joseph Roth B. Courraud p.8 CULTURE Amos Gitaï architecte de la mémoire L. Laufer p.7 Cinéma : ‘Tom à la ferme’ L. Laufer p.7 Théâtre : ‘Paroles gelées’ S. Endewelt p.7 30 mars > 12 avril > 25 mai La mobilisation populaire est plus que jamais nécessaire pour une vie meilleure La droite et le FN ont tiré profit de la politique antisociale du gouvernement et de sa pédagogie du renon- cement. Celle-ci a rendu trop de citoyens peu sûrs de l’efficacité de leur engagement. Néanmoins, leur retrait, bien que favorable à la droite et à l’extrême droite, signe un refus des retombées de cette politique. Il faut mettre fin à cet enchaînement pernicieux et mortifère. Aucune politique dirigée contre les intérêts de ceux qui vivent de leur travail ne saurait être efficace ! Seule la cohérence entre changement politique et mouvement social est porteuse d’améliorations concrètes et d’efficacité. Chacun peut y contribuer par son vote et son action propre. Mobilisons-nous le 12 avril où aura lieu une marche contre l’austérité et le 25 mai où auront lieu les élections européennes pour rejeter l'austérité et promouvoir une société débarrassée de l’injustice sociale et de toute entrave à la démocratie et à l’égalité des droits. ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E. PNM n° 315 - Avril 2014 - 32 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 5,50 e La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. PNM 14/11/2012 : manifestation européenne contre l'austérité

La presse nouvelle_315_avril_2014

Embed Size (px)

DESCRIPTION

a droite et le FN ont tiré profit de la politique antisociale du gouvernement et de sa pédagogie du renon- cement. Celle-ci a rendu trop de citoyens peu sûrs de l’efficacité de leur engagement. Néanmoins, leur retrait, bien que favorable à la droite et à l’extrême droite, signe un refus des retombées de cette politique.

Citation preview

Page 1: La presse nouvelle_315_avril_2014

L’austérité choisie par le gouvernementHollande pour plaire au Medef et àl’Europe libérale bafoue le vote des

citoyens qui firent la défaite de Sarkozy.

Ainsi, le « Pacte de responsabilité »,venant après le « Crédit d’impôt compéti-tivité emploi » de même nature, n’est pasun pacte pour l’emploi. Il ne comporteaucun chiffre de création d’emplois et n’o-blige que la puissance publique qui devraréduire les cotisations sociales desemployeurs, suite aux exigences du patro-nat lequel conditionne sa signature à l’ab-sence de contreparties. De même, lesconséquences des 50 milliards d’écono-mies sur le budget public, et des diminu-tions de cotisations sociales patronales,vont retomber soit sur les contribuablesqui devront payer plus d’impôts, soit surl’action des services publics qui devra êtrerestreinte, soit sur les deux à la fois. Lamême logique s’applique à l’accord surl’assurance chômage conclu ces jours-ci.

Tout cela a œuvré à la fabrication d’un échecélectoral. L’abstention record a fait que lerésultat des élections municipales tonnecomme un désastre politique pour la gauche.Cette défaite a permis à la droite, très mobi-lisée, de remporter des victoires significati-ves. Le parti socialiste perd au moins 155villes, le Front National en gagne une dizai-ne. Si les télévisions et les radios l’ont mis envedette, notamment au détriment du Front deGauche, c’est d’abord une vague bleue quigagne et travaillera demain à la reconquêtedu pouvoir.

Le résultat des urnes est flagrant: c'est undésaveu massif de la politique menée parle gouvernement. Le président donne desgages à la droite en nommant commePremier ministre un Manuel Valls qui nepeut qu’aggraver la politique passée et enaccentuer l’échec. Ce que le peuple attend,ce qui constitue la priorité, c'est une poli-tique qui satisfasse les attentes sociales,c'est l'abandon de l’option libérale que

vient aggraver la construction du futurmarché transatlantique. Si le gouverne-ment ne l’entend pas, nos luttes devront luiarracher des victoires pour l’emploi, lesservices publics, nos salaires et nos retrai-tes. Pour redonner de l’espoir à gauche, unseul mot d’ordre : changer de cap !

Dans ces conditions, deux occasions sontfournies aux citoyens pour exprimer leur refusde l’actuelle politique gouvernementale.

Le 12 avril prochain, la Marche contrel’austérité initiée par le Front de Gauchemais à laquelle convient aussi de nombreusespersonnalités du monde culturel et sportif, desresponsables syndicaux et associatifs sera unepremière occasion de faire vivre un printempsde mobilisation pour le progrès social.

Et les élections européennes du 25 maiseront l’occasion de confirmer dans les urnescette volonté de construire une alternative àl’austérité. ■

31 mars 2014

Il faut sortir de l’austérité

HOMMAGELee Lorch NM p. 2

MONDEII. Les nationalistes s’organisent B. Frederick p.3Les enjeux de la crise ukrainienne J Sapir p.3De jeunes israéliens refusentde faire leur service militaire JL p.3‘La guerre du Kippour n’aura pas lieu ?’ R. Baron p.8

SOCIÉTÉ / ÉCONOMIELe nom des morts de la rue N. Mokobodzki p.4Pourquoi le pacte d’austériténe peut créer d’emplois J. Lewkowicz p.4

HISTOIRE / MÉMOIREII. A propos du 27 janvier M. Cling p.627 avril 2014 – Journée de la déportation p.619 avril 1943 – 71e anniversaire du soulèvementdu Ghetto de Varsovie (poèmes) p.6‘Première pierre’ du musée virtuel posée MRJ-MOI p.2Cycle ‘La Naïe Presse a 80 ans’Ounzer Vort, titre clandestin du 15 juin1943 p.6

LITTÉRATURE‘L’an prochain à Grenade’ G.-G. Lemaire p.5‘Géographie française’ de G.Garran S. Endewelt p.5Stefan Zweig / Joseph Roth B. Courraud p.8

CULTUREAmos Gitaï architecte de la mémoire L. Laufer p.7Cinéma : ‘Tom à la ferme’ L. Laufer p.7Théâtre : ‘Paroles gelées’ S. Endewelt p.7

30 mars > 12 avril > 25 maiLa mobilisation populaire est plus que jamais

nécessaire pour une vie meilleureLa droite et le FN ont tiré profit de la politique antisociale du gouvernement et de sa pédagogie du renon-cement. Celle-ci a rendu trop de citoyens peu sûrs de l’efficacité de leur engagement. Néanmoins, leurretrait, bien que favorable à la droite et à l’extrême droite, signe un refus des retombées de cette politique.

Il faut mettre fin à cet enchaînement pernicieux et mortifère. Aucune politique dirigée contre les intérêts de ceux qui vivent de leur travail ne saurait être efficace !Seule la cohérence entre changement politique et mouvement social est porteuse d’améliorationsconcrètes et d’efficacité. Chacun peut y contribuer par son vote et son action propre. Mobilisons-nous le 12 avril où aura lieu une marche contre l’austérité et le 25 mai où auront lieu lesélections européennes pour rejeter l'austérité et promouvoir une société débarrassée de l’injustice socialeet de toute entrave à la démocratie et à l’égalité des droits. ■

ISSN: 0757-2395 MENSUEL EDITE PAR L’U.J.R.E.PNM n° 315 - Avril 2014 - 32e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 5,50 e

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Moyen–Orient basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

PNM

14/1

1/20

12 :

man

ifes

tatio

n eu

ropé

enne

con

tre

l'aus

téri

Page 2: La presse nouvelle_315_avril_2014

2 PNM n°315 - Avril 2014

LA PRESSE NOUVELLE

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934

Editions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U.J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

Rédaction en chefJ. Lewkowicz, N. Mokobodzki, T. Alman

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki, Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde Alman

Rédaction – Administration14, rue de Paradis

75010 PARISTel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

Courriel : lujre@orange. frSite : http://ujre.monsite-orange.fr

(bulletin d'abonnement téléchargeable)Tarif d'abonnement

France et Union Européenne :6 mois 28 euros1 an 55 eurosEtranger (hors U.E. ) 70 eurosIMPRIMERIE DE CHABROL

PARIS

BULLETIN D'ABONNEMENTJe souhaite m'abonner à votre journal

"pas comme les autres"magazine progressiste juif.

Je vous adresse ci–joint mes nom, adressepostale, date de naissance, mèl et téléphone

PARRAINAGE(10 € pour 3 mois)

J'OFFRE UN ABONNEMENT À :Nom et Prénom ..............................Adresse ...........................................Téléphone .......................................Courriel ...........................................

Plus de 150 personnes étaient pré-sentes samedi 22 mars chez les

Engagés Volontaires et AnciensCombattants Juifs pour la pose symbo-lique de la première pierre du muséevirtuel du 14 rue de Paradis. Après unaccueil émouvant et chaleureux deFrançois Szulman, co-président del’UEVACJ-EA, rappelant le combatcommun contre l’occupant et ses com-plices, Claudie Bassi-Lederman souli-gna la nécessité de rétablir la vérité surl’engagement des juifs de la M.O.I.dans la Résistance, sa signification, sesenjeux. L’historien Serge Wolikowrappela ensuite que la mémoire et la

transmission n’ont de valeur que sielles sont appuyées sur un travail histo-rique. L’importance des archives futillustrée par des documents inéditscommentés par Julien Hirszowski.Après quelques extraits filmés detémoignages émouvants, réalisés à l’i-nitiative de MRJ-MOI, ce fut la pré-sentation du Musée virtuel qui devraitaboutir au printemps 2015. AlainLeroy et Michel Grosman en explicitè-rent l’architecture et le contenu, endémontrèrent l’originalité. Enfin, MaxWeinstein, président d’honneur deMRJ-MOI, clôtura cette pose symbo-lique de la première pierre, qu’avec

Moshe Shulstein : Ina Lancman, fille du poète de langue yiddish NaftaliHertz Kon, recherche des informations sur le poète de langue yiddish MosheShulstein et sur l’institution ou la personne possédant ses archives. Elle sou-haiterait également prendre contact avec sa fille Ruth. Ina Lancman travailleactuellement à une biographie de son père et espère trouver dans les archivesde Moshe Shulstein des lettres que lui aurait écrites son ami Naftali Hertz Konaprès 1956. Ina Lancman vit à New York et peut être contactée par téléphone :718 357 0870 ou par courriel : [email protected]. Contact en France :Nina Grojnowski-Kehayan, [email protected]

L a

P

r e

s s

e

N o

u v

e l

l e

M

a g

a z

i n

e –

I S

S N

: 0

7 5

7 -

2 3

9 5

Juif, américain,communiste etmathématicien :tel fut Lee LorchNé à New York en1915, ta famille

venait de… Bon, sauf à être indien,tout Américain vient d’ailleurs. Tuétais né, donc, de parents juifs quiavaient quitté l’Allemagne en 1933.Cela vous forme déjà une sensibilité.Pendant tes trois années de guerre, tuvois les corvées incomber systémati-quement aux soldats noirs. C’estsuffisant pour te trouver embarqué,avec ton épouse, Grace, dans le longcombat pour les droits des Noirs en

particulier, pour la dignité et la jus-tice en général. « Les camps deconcentration nazis, ça avait montréà quoi conduisait le racisme », disais-tu.

Là où la voie juridique a échoué, oùl’American Civil Liberties Union,l’American Jewish Congress et laNAACP ont perdu leur procès contrela ségrégation, la mobilisationgagne. Un succès qui fera date et quidérange. Te sachant exclu de la CityUniversity of New York, Einsteint’invite, en gage de solidarité, à pas-ser une après-midi auprès de lui.Puis c’est la Commission des activi-tés anti-américaines. Te voilà à nou-veau remercié. Direction l’Arkan-sas. Grace protège les « Neuf deLittlerock » qui font tache dans l’é-tablissement scolaire où ils viennentde s’inscrire, suscitant des manifes-tations d’une rare violence. A sontour de comparaître.

En 1959, nouvelle interdiction pro-fessionnelle : te voilà au Canada.

Hommage

Carnet - Décès

Avis de recherche

Vie des associations

Une après-midi dédiée à la lutte des résistants juifs de la M.O.I.une truelle magique, Max, PauletteSarcey et Robert Endewelt, firentapparaître sous les applaudissements.Nous l’attendons avec impatience. ■

PNM

Jules BORKER, un ami vient de nous quitter !Né en Lituanie, Jules Borker (alias Antoine) rejoint PierreKaldor au Panthéon des grands avocats communistes qui ontinlassablement défendu toutes les bonnes causes. Résistant dès1940, il fait partie de l'UJJ fin 1942: Grenoble, Lyon puisToulouse. On le verra à Alger aux côtés des militants du FLN,aux côtés d’Angela Davis en 1972, aux côtés du peuple chiliendès le coup d’État. Membre du Comité Maurice Audin, il auraœuvré pour exiger que la lumière soit faite sur ce qu'il faudrabien un jour appeler un crime d’État. Ce jour-là, Antoine, nousaurons une pensée pour toi. ■

Jean-Luc Einaudi. Un grand militant de lamémoire disparaît.Il fut celui qui retraça de façon précise le massacre des Algériensperpétré à Paris sous les ordres du préfet Papon le 17 octobre1961. Son livre La bataille de Paris, paru en 1991, suscita unchoc énorme qui contribua à extirper de l’oubli ce massacre.Papon, contre lequel il avait témoigné devant la Cour d’assisesde Bordeaux en 1997, lui avait intenté un procès en diffamationmais il fut débouté. Einaudi restera pour tous l’infatigable mili-tant de la fraternité humaine. ■

Carnet - AnniversaireBon anniversaire, Paulette !Tu appartiens à une génération qui amordu avec appétit dans la vie d’avant-guerre et s’est lancée avec ardeur dans lalutte contre le nazisme. De ces époques,l’une bénie, l’autre maudite, tu asconservé les valeurs, les repères, leschants. Valeurs que tu mets aujourd’huien pratique de mille et une façons.Déportée-résistante, chevalier de laLégion d’Honneur, titulaire de laMédaille militaire, tu n’en tires aucunevanité mais une obligation : poursuivre lalutte, d’abord en témoignant. Cela tu lefais admirablement, dans les écoles et parexemple dans le film* que nous avonsvisionné avec toi où tu parles longue-ment de ta déportation à Auschwitz.Tu as passé ta jeunesse dans le XIe arron-dissement de Paris et fréquenté les organi-sations culturelles progressistes juives.Ton engagement dans la Résistance futimmédiat : tu fus l’une des premières dansce XIe à t’y engager avec les jeunes com-munistes juifs de la M.O.I et à accomplirde nombreuses actions. Le 23 mars 1943,la répression t’a frappée à ton tour quandà la suite de filatures par les BrigadesSpéciales de la Préfecture de Paris, plusd’une cinquantaine de jeunes parmi les-quels Henri Krasucki, furent arrêtés avectoi. Là commença ton long calvaire, labestialité des interrogatoires, le longvoyage vers l’inconnu, ton arrivée àAuschwitz où ta volonté de résistance n’ajamais fléchi. Tu as survécu à la marche dela mort lors de l’évacuation du camp parles Allemands. La liberté retrouvée, tu asreconstruit ta vie et fondé une famille. Nous connaissons ta grande modestie et tadiscrétion, jamais tu ne te mets en avant.Mais tes remarques sont toujours pertinen-tes : un seul objectif, aller de l’avant. Tu esau Conseil d’administration de MRJ-MOI,membre du Bureau de l’UJRE, nous som-mes fiers de te compter parmi nous dans cecombat toujours d’actualité pour nosvaleurs et contre les résurgences des idéo-logies fascisantes et antisémites.Que ton anniversaire soit marqué par toutel’affection que tous, nous te portons.Bonne santé et longue vie ! ■ Ceux du 14.** Les rushes complets du film Cité de la muetteréalisé en 1983 par Jean-Patrick Lebel dans lecadre du projet "La mémoire et les images enSeine-Saint-Denis".

Membre du Conseil de l’Académiedes Sciences du Canada, tu veillesinlassablement à faire reconnaître lavaleur d’universitaires noirs, oupire, noires. Ta fierté sera de rece-voir pour tes 90 ans le titre de doc-teur honoris causa de l’Universiténew-yorkaise dont tu avais étéchassé, et qui plus est, des mainsd’une présidente noire.

Amoureux de Cuba, tu te battras,entre autres, pour cet autre mathé-maticien communiste, José LuisMassera, victime de la dictature uruguayenne et pour les droits desPalestiniens. « J’ai payé cher, disais-tu, mais si j’avais agi autre-ment, ma conscience me l’aurait faitpayer beaucoup plus cher ! » Et sic’était à refaire? « Je ferais la mêmechose. En mieux ». Argumenteurredoutable, comme tant d’Américainsqui se battent pour les mêmes causesque toi, tu es brillant, drôle et, on l’au-ra deviné, bon, infiniment fraternel.Tu manques à tous tes amis…So long, Lee ! ■ N. Mokobodzki

Inspiré de l’invitation © Alain Le Roy

Page 3: La presse nouvelle_315_avril_2014

PNM n°315 - Avril 2014 3

II. Ukraine : Les nationalistes s’organisentpar Bernard Frederick

d’autodéfense. La Russie s’est jusqu’àmaintenant bien gardée de riposter defaçon autre que symbolique aux sanc-tions qui ont été prises. Qu’elle conti-nue dans cette voie et qu’elle s’engageà respecter les résultats de l’élection del’assemblée constituante qui, seule,sera porteuse de légitimité. Qu’elles’engage aussi à renouveler au gouver-nement qui sera issu de cette assem-blée constituante les conditions écono-miques avantageuses qu’elle avait pro-posées au gouvernement Ianoukovitch.

Il faut espérer que la voix de la raisontriomphe, même si cette voix est bienfaible et bien balbutiante aujourd’hui, àParis comme à Washington. Il le fautpour les Ukrainiens d’abord, qui ont ledroit de vivre dans la paix et la stabili-té, tant sociale que politique. Il le fautaussi pour l’Europe, que l’on doitmoins que jamais confondre avecl’Union européenne, et qui serait lagrande perdante d’une nouvellelogique d’affrontement.

Cependant, une leçon doit être tirée decette crise. Se referme la courte paren-thèse d’un XXIe siècle que l’on voulaitdominé par l’hyperpuissance États-unienne. Nous sommes bien confrontésau retour des nations. L’effacement pro-visoire de la Russie, qui avait pu donnercette illusion d’une toute puissance deWashington, est aujourd’hui terminé. ■

24 mars 2014

■■■ Suite de la PNM 314

La direction ukrainienne issue duputsch du 21 février continued’agiter le chiffon rouge :

chaque matin, Kiev annonce l’immi-nence d’une attaque russe et accuseMoscou de masser des troupes à sesfrontières de l’Est dont les inspecteursde l’OSCE dépêchés sur place n’ontjamais trouvé trace.

La « crise » criméenne étant passée,puisque la péninsule est définitivementrattachée à la Fédération de Russieaprès le vote presque unanime desélecteurs, il faut à la coalition au pou-voir une bonne raison de peser sur lesnégociations avec l’UE et le FMI. Kievvoudrait obtenir 15 milliards de dollarsd'ici 18 mois. Les Occidentaux pro-mettent, mais les pourparlers traînenten longueur. Si le volet « politique » del’Accord d’association UE-Ukraine aété signé à la mi-mars, le volet « éco-

nomique » ne le sera qu’après l’élec-tion présidentielle du 25 mai. Quant auFMI, ses exigences sont telles, quemême les plus occidentalistes crai-gnent une insurrection sociale à l’an-nonce du doublement du prix du gazpour les particuliers ou encore du reculde l’âge de la retraite, sans parler desconséquences du démantèlement desservices publics exigé par lesOccidentaux.

Or, la campagne de la présidentielle acommencé. Elle souligne d’emblée latrès grande fragilité de la coalitionconstituée au lendemain du putsch parles partis de droite et les nationalistesdont les groupes armés continuentd’exercer pressions et chantages endirection du gouvernement.

Ainsi, si le candidat de Mme Merkel,l’ancien boxeur Vitali Klitchko, estentré en lice très tôt, l’ancienne égériede la « révolution orange », IouliaTimotchenko qui vient de reconnaîtrequ’elle avait insulté les Russes, s’estportée candidate le 27 mars.Cependant, elle est bien loin de fairel’unanimité. Des affiches placardéessur le Maïdan (place de l’Indépen-dance, lieu de la contestation depuis

décembre dernier) proclament « Ioulia, tu es libre ! ». Une manière delui signifier son congé.

Enfin, l’ancien ministre des AffairesÉtrangères (2009), Petro Porochenko,une des plus grosses fortunes du pays,est également sur les rangs et pourraitemporter la mise.Les nationalistes quant à eux se réorga-nisent. Le parti d’extrême-droiteSvoboda qui compte désormais plu-sieurs membres au gouvernement, dontun vice-premier ministre et le poste deProcureur général, tente de faire oublierson essence fasciste surtout auprès desOccidentaux, lesquels banalisent lespropos de son chef, Oleg Tianybok, surla « mafia judéo-moscovite ».Bruxelles et Washington auront peut-être plus de difficultés à cacher la naturedu compagnon de route de Svoboda, lePravy Sektor (Secteur droit), la forcemontante de la « révolution » defévrier. Le chef de fil de ce groupeparamilitaire, dont est issu l’actuelchef du Conseil national de défense etde sécurité, autrement dit armée etpolice, Adriy Parubiy, a annoncé sacandidature à la présidentielle. Dans cedessein, Dmito Iaroch transforme le

Pravy Sektor en parti politique, en sediluant dans l’Alliance nationaleukrainienne (UNA-UNSO), l'une desplus anciennes organisations dirigéepar Youriy Choukhevytch. Son père,Roman Choukhevytch, chef politiqueet militaire du bataillon ukrainien de laWehrmacht appelé Nachtigall, puisd’autres bataillons de supplétifs ukrai-niens, continua à combattre les sovié-tiques jusqu’à sa mort, les armes à lamain, en 1950.

UNA-UNSO comptait déjà plus de 10 000 militants avant les derniers évé-nements. Avec le renfort de PravySektor qui recrute à tour de bras, ellereprésente une force incontournablepour la coalition et donc pour lesOccidentaux. D’autant plus que, bienarmés, ceux-ci contrôlent tout l’ouestdu pays, la rue à Kiev et s’intègrentdans la nouvelle Garde nationale crééepar Adriy Parubiy dans l’intentionavouée de remettre de l’ordre à l’Est,où les manifestations de russophonesse poursuivent.

On peut s’interroger sur la possibilitéde tenir l’élection présidentielle dansces conditions. ■

27 mars 2014

sanctions toutes aussi dérisoires les unesque les autres. S’ils choisissent cette voie,ils choisiront l’impuissance et feront ladémonstration de leur incapacité à sortirdes ornières de l’idéologie. S’ils choisissent cette voie, ils secondamnent à être les acteurs d’un dramequi se prépare sous nos yeux : celui de lapartition violente de l’Ukraine. S’ils choisissent cette voie, ils serontdans l’incapacité de garantir ce qu’ilsprétendent garantir à savoir l’unité, lasouveraineté et l’indépendance del’Ukraine. On saura, de par le monde,ce que vaut alors une garantie des payseuropéens. Ils promettent la paix, maisils apportent, du fait de leur impéritie,la guerre civile. Ou alors, ils peuventdécider de mettre leur rancœur au pla-card et s’entendre avec la Russie enprenant Vladimir Poutine au mot :Vous êtes pour l’indépendance et lasouveraineté de l’Ukraine ? Fort bien,agissons de concert pour la garantir.Si ces gouvernements s’entendent pourdire clairement aux Ukrainiens qu’ilfaut un gouvernement de concordenationale et une assemblée constituan-te, s’ils acceptent de participer au dés-armement des milices, ils peuvent exi-ger en retour que la Russie s’abstiennede tout geste dangereux et nuisible etqu’elle use de son influence, qui n’estpas petite, dans l’est de l’Ukraine pourque soit désarmés aussi les groupes

La crise ukrainienne est en trainde faire revivre les heures de laguerre froide au continent euro-

péen. C’est, en tous les cas, ce qui res-sort de la presse mais la situation paraîtbien plus complexe et les responsabili-tés bien plus partagées.

Dans sa déclaration du 18 mars,Vladimir Poutine a fait deux déclara-tions qui peuvent sembler contradictoi-res. D’une part, le Président russe s’estnettement prononcé pour une Ukraineindépendante et souveraine. De l’autre,il a indiqué que la Russie ne pouvait nine pourrait se désintéresser du sort despopulations russes en Ukraine. Si lasituation continue de se dégrader enUkraine, la logique de protection despopulations entrera rapidement enconflit avec la première affirmation. Or,il faut savoir que l’Ukraine ne peut vivreéconomiquement sans de bons liens,tant économiques que politiques, avecla Russie. La différence des niveaux derevenus et d’activité en faveur desrégions de l’est de l’Ukraine est aujour-d’hui flagrante. Ces régions sont le véri-table poumon économique du pays.Prenons garde que cette divergence nese transforme en rupture.

La responsabilité des pays européens est,elle aussi, immense. Ils peuvent se com-plaire dans l’amertume née de leurimpuissance, condamner encore etencore la Russie, brandir des menaces de

Monde

L e s en j eux de l a cr i s e ukra in i ennepar Jacques Sapir

De jeunes Israéliensrefusent de faire leurservice militaire

Le magazine Le Point a annoncé ce 13mars que 58 jeunes Israéliens ont

adressé à Benyamin Netanyahou une let-tre ouverte dans laquelle ils annoncentleur refus de faire leur service militaire.Ils veulent « ne pas cautionner l'occupa-tion des territoires palestiniens ». Ilsdénoncent « les violations des droits del'homme en Cisjordanie, la constructiondes colonies, les détentions administrati-ves, la torture, les punitions collectives etune répartition injuste de l'eau et de l'électricité ». « Tout service militaire, disent-ils, perpétue la situation actuelle etde ce fait nous ne pouvons prendre part àun système qui se livre à de tels actes…Nous voulons questionner, défier etébranler la pensée consensuelle, conven-tionnelle. » Ils sont prêts à subir les consé-quences de leur décision : refuser de fairel'armée est passible d'un an de prison.Ce n'est pas la première fois qu'Israël estconfronté à ce genre d'initiative. Il y a 44ans, une première lettre de refus étaitadressée par des lycéens au chef du gou-vernement de l'époque. Depuis, trois autres ont suivi, en 1979, 2001 et 2005.En janvier 2004, cinq jeunes ont étécondamnés à un an de détention. Selonun professeur de l'Université de Tel-Aviv,spécialiste du dossier, depuis le début dumouvement dans les années 1970, on aenregistré en Israël entre 600 et 1 000objecteurs de conscience. Rappelons d’autre part que les Israéliensqui avaient jusqu’à présent le droit de nepas accomplir leurs obligations militairesau motif qu’elles se heurtaient à leursconvictions religieuses, vont dorénavanty être contraints par une nouvelle loicontre laquelle ils ont mené en vain uncombat acharné. ■ JL

Page 4: La presse nouvelle_315_avril_2014

L’un des fondements du « pacte deresponsabilité » est constitué par l’affir-mation selon laquelle « ce sont les entre-prises qui créent l’emploi ». Celle-cin’est pas justifiée. Deux motifs, dansune économie capitaliste, permettent decréer des emplois. Il faut qu’il existe unedemande de la part de clients, et que lesventes à ces clients soient jugées suffi-samment rentables par les propriétairesdes entreprises*. Or, le gouvernement aannoncé que le manque à gagner résul-tant des allègements de cotisationssociales serait « compensé » par unebaisse des dépenses de l’État de 50milliards d’euros. Ces sommes cesse-ront donc de constituer des commandesauprès des entreprises et diminueront lademande globale, d’où des suppressionsd’emplois.

La question n’est pas seulement celle del’existence de moyens financiers. Eneffet, en 2011 et 2012, la Banque centra-le européenne a prêté aux banques ordi-naires plus de 1 000 milliards d’euros àdes taux quasi nuls. Ces prêts auraient pualimenter la demande et un redresse-ment de l’emploi si elles avaient étéinvesties dans la production. Mais cesbanques ont jugé les projets d’investisse-ment insuffisamment rentables et seulela spéculation financière en a profité.

Il faut, ici, revenir sur l’histoire du capi-talisme depuis la Seconde Guerre mon-diale. La reconstruction qui l’a suiviedonnait la possibilité de développerl’emploi, lequel fournissait le pouvoird’achat permettant d’offrir un débouché

à la production industrielle. Le profit quien résultait était jugé suffisant par lescapitalistes. Or, à la fin des années 60, lacroissance de la valeur produite a com-mencé à être inférieure à celle de l’exi-gence d’accumulation du profit.

C’est de ce moment que date l’offensi-ve libérale visant à récupérer, par labaisse des ressources consacrées auxsalariés et aux investissements, ce quiétait nécessaire aux exigences de renta-bilité du capital. Ceci a abouti à éliminertoute activité dont le profit apporté,même positif, leur était inférieur.

Ainsi, le capitalisme mondial a trouvé lemoyen d’accroître les rendementsfinanciers, dans une économie pourtantstagnante, en rognant sur les salaires etles investissements productifs quiauraient pu, justement, relancer la crois-sance et l’emploi.

Cette vampirisation ne peut être contre-carrée qu’en développant les dépensespour les êtres humains, à travers l’aug-mentation des salaires et le développe-ment des services publics, ainsi qu’enfavorisant les investissements inno-vants, plutôt que les placements finan-ciers improductifs. ■* Cela n’exclut pas qu’une petite entreprise inno-vante, en proposant un produit ou un serviceinédit, ne suscite envers elle un détournement dedemande durable susceptible de lui permettre descréations d’emplois. Il reste qu’il s’agit là d’undétournement et qu’au niveau global, à pouvoird’achat constant, les emplois créés à un endroitsont compensés par des emplois supprimésailleurs.

4 PNM n°315 - Avril 2014

Pourquoi le pacte d’austériténe peut créer d’emplois

par Jacques Lewkowicz

La Presse Nouvelle Magazine célèbre en 2014 son 80e anniversaire en repro-duisant des fac-simile en yiddish de la Naïe Presse. Ci-dessous, un extrait

paru le mardi 15 juin 1943 dans le numéro 59 de Ounzer vort, l’un des titres dela Naïe Presse clandestine. Un mois plus tôt, il rendait compte, cette fois enfrançais*, du soulèvement du ghetto de Varsovie. Nous savons aujourd’huicombien cet évé-nement publiépar notre pressea galvanisé larésistance juivede France ■

* Voir en page 6 article sur le Ghetto de Varsovie

Economie

Le 15 mars marque, quelques joursavant le printemps, la fin de la trêvehivernale durant laquelle la loi

interdit les expulsions ainsi que la coupuredu gaz et de l’électricité pour factureimpayée. Cela concerne, soit dit en pas-sant, un million de foyers. Le 18 mars, leCollectif Les Morts de la Rue, créé par lesassociations caritatives, organisait place dela République, la lecture des Noms desMorts dans la Rue : 453, à Paris, en 2013.

Chaque nom était ponctué d’un coup degong. Lire des noms pour rappeler qu’une mort anonyme a été scandaleuse,c’est un rituel que nous connaissons.

« Chaque homme porte en soi la formeentière de l’humaine condition » écritMontaigne. Quand le dénuement est extrê-me, que reste-t-il à l’homme ? Un nom.C’est peu ? Mais c’est là tout l’homme :

Les Noms des Morts de la RueLa rue n’est pas une fatalité.Leur vie devait-elle s’achever là ? rien de moins que son identité ! Parfois on

lit : « Un homme, 23 ans », « Une femme,43 ans ». Cette seule mention vaut recon-naissance symbolique, par la société, del’humanité de chacun. Elle nous interpelleaussi. Ou devons-nous dire, tels Caïn : « Suis-je chargé de veiller sur mon frère ? »Il n’est pas normal qu’un être humainmeure dans la rue. Noël : les passantss’empressent de faire leurs derniers achats,et passent. Le lendemain, des bougies, desmots d’amitié trop tard venus… C’estscandaleux, quelle que soit la cause decette mort. Dont le Collectif nous invite àcomprendre qu’elle n’est pas une fatalité.

Journée de la francophonie oblige : signa-lons un enrichissement de la langue fran-çaise : lorsqu’un SDF ne bouge plus deson bout de trottoir, lorsqu’on sait qu’iln’en bougera plus jamais, on dit qu’il esten voie d’asphaltisation. Terriblementaccusateur, le néologisme ! ■ NM

Étrange slogan. "La Royauté Sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ sur les nations", telest le but politique affiché par l'Institut Civitas. Noble projet, dont le caractère progres-

siste et la hardiesse réaliste n'échapperont à personne.

En fait, derrière ce programme d'apparence déjantée se cache un des pires organismes dedestruction des libertés. La fine fleur de l'intégrisme religieux situé à la droite del'extrême–droite. L'incarnation de l'intolérance sans concession. Joli palmarès : Interventionsbrutales par jet d'huile de vidange sur les spectateurs d'une pièce qui ne plaisait pas à ces bonschrétiens au Théâtre de la Ville. Même chose au Théâtre du Rond-Point.

Civitas occupa une place de choix parmi les instigateurs des manifestations homophobes duprintemps 2013. A un point tel que les autres organisateurs ne les considéraient qu'avec despincettes. La hiérarchie catholique elle-même se démarqua de ce Civitas-là.

Civitas entretient des relations… fraternelles avec la Fraternité de Saint Pie X, autre groupe-ment démocratique spécialisé dans le combat sacré contre l'avortement et l'euthanasie.

Civitas rompt des lances contre la théorie des genres, sans savoir plus que quiconque ce queça veut dire. A ce titre, ses fougueux paladins ont mis en demeure Arte de déprogrammer unfilm qui ne leur convenait pas. Et incité le public à noyer la station télé de lettres, SMS, mails,coups de téléphone comminatoires. Cette démarche a eu le succès qu'elle méritait : nul.

Avis aux nostalgiques de la Sainte Inquisition : vous trouverez toujours le peuple de ce payslevé contre votre obscurantisme médiéval. ■

Jacques Franck, 20 février 2014

La royauté socialeBillet d’humeur

Société

1934-2014 : de la Naïe Presse à la Presse Nouvelle…

Yiddish translittéré :Ershter barikht fun der heroishershlakht fun varshever gueto kegn dibroyne merderDos blut fun undzere varshever bridervos hot shtromenvayz geflosn ibernbruk fun geto vet nit ruen azoy lang, vidi merder veln nit opgemekt vern funder erd-flakh. Es vet vekn rufn unshrayen

Traduction :Premier compte-rendu de la bataillehéroïque du ghetto de Varsovie contre lapeste brune

...Le sang de nos frères varsoviens qui couleà flots sur le pavé du ghetto n’aura derepos tant que les criminels ne seront éradiqués de la surface de la terre. Iléveillera, appellera, criera.

Félicitations !Les anciens de Tarnos félicitent Jean-Marc LESPADE, maire communistede cette commune dont la listed’Union de la gauche vient d'êtrereconduite dès le premier tour desmunicipales. Rappelons que lors-qu’en 1946, la Commission Centralede l’Enfance auprès de l’UJRE vint « frapper à la porte pour organiser unecolonie de vacances dans l’école Jean-Jaurès, l’été, pour les enfants de fusillés,déportés et victimes de guerre », Tarnosaccueillit naturellement ces enfantscomme les siens. Tarnos, qui n'a paschangé de couleur depuis la guerre. ■

70e anniversairede l’exécution

de JosephEpstein

MRJ-MOI et l’UJRE seront pré-sentes et vous invitent à participernombreux le 11 avril 2014 à10h30 dans la clairière des fusillésdu Mont-Valérien à l’hommage*rendu aux 22 résistants fusillés parles nazis le 11 avril 1944 organisépar l’Office national des ancienscombattants et victimes de guerre etle Mémorial de la Shoah. ■

* Mont-Valérien, haut-lieu de la mémoirenationale, Avenue du Professeur LéonBernard, Suresnes - Sur place, expositionLes Juifs de France dans la Shoah, com-plétée de 4 panneaux dédiés à JosephEpstein.

Page 5: La presse nouvelle_315_avril_2014

Lisbonne et Amsterdam mais rien nechange jamais.Le périple de Gâlâl est celui de la Juiveerrante qui ici n’est pas une figureemblématique, mais celle de l’Histoire.Elle consigne tout ce dont elle esttémoin dans le Livre du Guide. Nous laretrouvons au siècle passé à Paris, àNew York, mais aussi dans l’Europedes camps d’extermination, enPalestine dans les colonies sionistespuis dans le nouvel État d’Israël. Cequ’elle doit consigner dans ses mémoi-res dépasse l’entendement. Et rien n’estencore résolu.Gérard de Cortanze est passé maîtredans le roman historique. Ce qu’il aécrit n’a pas grand-chose à voir avecses illustres aînés, Alexandre Dumas,Victor Hugo, Théophile Gautier. Il leura emprunté différentes manières de nar-rer les événements et de rendre l’actionpalpitante, un goût exacerbé de la nar-ration. Mais il fait d’abord œuvre d’his-torien en rétablissant une vérité oubliéeou minimisée. Ce n’est d’ailleurs pastant l’Islam en soi qu’il accuse, mêmesi c’est d’abord la religion de Mahometqui est mise en accusation, mais toutesles religions monothéistes qui finissenttoujours par engendrer la haine et labarbarie. Son point de vue n’est pas,comme chez Voltaire, antireligieux.

dans ce beau pays accueillant qui prônait« la liberté, l’égalité et la fraternité ».L’assimilation, elle, était voulue, jus-qu’à s’intégrer l’histoire et des racineslointaines françaises. Et l’école, où il aà cœur d’être bon élève, représenteencore une ascension sociale et unespoir des parents pour leurs enfants.Espoir hélas remis en cause par les tri-stes événements des années 40 et l’ex-clusion des juifs de tout un pan de lasociété, y compris de certains cursusscolaires. Qui d’autre donc que Garran pouvait,par les yeux de ce petit Gabriel, cetenfant de son enfance qu’il décrit à latroisième personne, nous décrire ceBelleville et ce Marais d’autrefois et lavie quotidienne qui en découlait, et lesparties de campagne aux Buttes-Chaumont ? Les épreuves de sa jeune vie, maladies,bleus à l’âme, injustices, antisémitisme,déportation de son père, forgent sa pen-sée, son sens des relations sociales, saconnaissance de l’être humain. De l’ab-

Cortanze n’est pas nécessairement unmécréant endurci ou ce que l’on appe-lait autrefois un « libertin ». Mais ils’en rapproche car il ne peut resterindifférent devant ces exactions sansnombre. Le Juif est devenu la victimetoute désignée. Il y a la peste qui faitdes ravages ? C’est la faute aux Juifs !Les récoltes sont mauvaises ? Les Juifs! Les caisses du royaume, de la princi-pauté, du califat, de l’Empire sontvides ? Encore les Juifs ! Sans parlerdes rites atroces et des profanationsqu’on leur impute. L’écrivain ne sombre pas dans l’angé-lisme en faisant passer la diasporajuive pour innocente de tout péché,mais il la décrit comme la communau-té qui doit être châtiée toutes les foisque survient un événement néfaste oubien qu’une crise religieuse se déclen-che. Bien sûr, il commet de petiteserreurs car on ne peut embrasser unetelle période sans être victime de textesapocryphes ou simplement des exagé-rations des chroniqueurs d’autrefois :les historiens du temps jadis avaientpar exemple l’habitude de multiplier lenombre de soldats des armées en pré-sence. Les Grecs et les Romains l’ontfait, tout comme les auteurs du MoyenÂge. Mais la thèse qu’il défend restevalide.

jection, il saura reconnaître et vouer unereconnaissance à ceux qui l’aurontdénoncée.De son enfance et adolescence sousl’Occupation, c’est la déportation àAuschwitz de son père Pejsach, depuisPithiviers ; ce sont les abris provisoiresdans « la géographie française », decachette en cachette, que sa mèreMyriam, qui a échappé miraculeuse-ment à la rafle du Vel’d’Hiv, recherchepour protéger ses enfants, le change-ment de nom de Gersztenkorn enMarence, les divers métiers manuelsexercés, la ligne de démarcation. Écrit dans une langue française sublimeet riche, légèrement surannée, c’est unlivre très attachant qui nous apprendbeaucoup sur nous-mêmes et sur lesautres, au-delà d’une destinée peu com-mune. C’est une leçon devie, un témoignage unique,un roman de formation. ■

* Gabriel Garran, Géographiefrançaise, Éd. Flammarion, 2014,305 p., 18 €

Gérard de Cortanze brise le mythe de la tolérance en El-Andalus

par Gérard-Georges Lemaire

PNM n°315 - Avril 2014 5

Littérature

Tout semble commencer comme unconte persan : la jeune et belleGâlâl est éperdument amoureuse

d’Halim. L’histoire se déroule à Grenade,au milieu du XIe siècle. La paix semblerégner entre juifs, chrétiens et musul-mans. Toutefois, Gâlâl est juive et Halimmusulman. Ils doivent donc se cacher detous. La cohabitation pacifique et la tolé-rance ont, malgré tout, leurs limites. Celaétant, le redouté émir Abdar al-Fikri s’estentouré de Juifs et son hadjib, tout à lafois conseiller et ministre des Finances(c’est lui qui est chargé de prélever l’im-pôt) est le sage Samuel Ibn Kaprun, lepère de Gâlâl. La prospérité et la paixcivile qui règnent en Al-Andalus à cetteépoque sont bientôt troublées par l’appa-rition d’un faux prophète surnommé tan-tôt Iblis, c'est-à-dire Satan, et tantôtl’Agitateur. Il professe à qui veut l’enten-dre que les Juifs ont pris une place tropimportante dans ce monde dominé parl’Islam. Il incite à la ségrégation, à l’ex-pulsion et bientôt à l’extermination de cesinfidèles. Il est écouté. L’émir ne prendpas trop aux sérieux les propos dangereuxde l’Agitateur. Samuel Ibn Kaprun estplus circonspect. Convaincu que tous cesprêches ne vont pas tarder à prendre raci-ne dans l’esprit de ses concitoyens et sou-cieux de ce qui pourrait arriver, il trans-met à sa fille la khomsa de la mémoire,héritée de son grand-père, un talisman quia le pouvoir de la rendre immortelle. Son intuition ne l’a pas trompé. Iblisn’est que l’avant-coureur d’une lame defond que rien ne saurait arrêter : laconquête des territoires musulmans dela péninsule ibérique par lesAlmoravides, Berbères qui entendentbien y imposer leur vision intransigean-te du message du Prophète. Des trou-bles se produisent dans certains quar-tiers de Grenade et gagnent toute la ville: les Juifs sont spoliés, chassés et massa-crés. Et quand les Almoravides mettentle siège devant les murailles de la ville,elle leur appartient déjà. Gâlâl et Halimparviennent à s’enfuir. Ils hésitent long-temps avant de choisir Lucerna et plustard, Tolède. Mais, chaque fois, ils doi-vent reprendre le chemin de l’exil. Unbeau jour, Halim meurt de sa belle mort. Gâlâl, qui avait oublié qu’elle n’apparte-nait plus au monde des simples mortels,poursuit sa quête dans la solitude. Elleparcourt le bassin de la Méditerranée oùelle sera le témoin de tous les drames quifont de la communauté juive le boucémissaire des courants intégristes vio-lents. Après les Almoravides, arrivent eneffet d’autres Berbères, les Almohades,encore plus fanatiques. Les années et lessiècles s’écoulent. Gâlâl habite Oran,puis Istanbul et va même jusqu’à

L’An prochain à Grenade est un beaulivre, qui se lit avec passion et qui sou-ligne une vérité qu’on ne veut pasaccepter même si elle est évidente : lesJuifs ont connu une tranquillité relative,en des circonstances précises et deslieux particuliers. Cortanze a ce donrare de savoir mettre en scène des idéesavec, en plus, les libres et plaisantesextravagances du romanesque : il neromance pas l’histoire, il fait apparaîtresa nudité crue dans le mouvement ima-ginaire de la fiction. Son livre a sans nuldoute représenté de longs mois derecherches mais l’énorme culture qu’ila accumulée et entend nous communi-quer comme un héritage précieux, ilnous la confie en sachant nous divertiret non en nous assénant une fastidieuseleçon d’histoire. Reste la question épi-neuse d’Israël : il ne la traite que dansl’optique du fanatisme antisionistesavamment distillé par des nations etdes groupes politiques ou confession-nels qui y trouvent leur intérêt. C’estdans la logique de sa démonstration. Anous de savoir comprendre les enjeuxréels de cette dramatique cristallisationqui frappe un peuple depuis2000 ans. ■

* Gérard de Cortanze, L’an pro-chain à Grenade, Éd. AlbinMichel, 2014, 432 p., 22,50 €

Dans Géographie française*, cegrand homme de théâtre nousfait entrer avec humilité dans

l’intimité de son enfance et de ses origi-nes. Bien plus qu’une biographie pas-sionnante, Gabriel Garran se penche surles pérégrinations de ce petit GabrielGersztenkorn que l’adulte, d’âge avan-cé, regarde évoluer et grandir avec ten-dresse, dans cette France qu’il aime tantet qu’il a faite sienne. Enfant français deparents émigrés venus de Pologne,comme beaucoup d’enfants d’immigrésjuifs laïques et progressistes de cetteépoque, il n’avait pas conscience de sajudéité même si quelques traditions sub-sistaient et que la famille achetait la NaïePresse. Ses parents, artisans tricoteurs,travaillaient dur et en étaient fiers. Cesont les actes antisémites puis les lois deVichy qui ont fait prendre conscience aupetit Gabriel, avec plus ou moins de vio-lence psychologique, qu’il n’était peut-être pas comme les autres, et qui ontforgé ses questionnements. Lui, il sesentait avec fierté pleinement français

« Géographie française » de GabrielGarran

par Simone Endewelt

Page 6: La presse nouvelle_315_avril_2014

Les amants attendent la nuit, pétrifiésdans la détresse, et la puissance du désirtrois fois les fait bondir au-dessus de la mort.Sur les grabats très tard ils cherchent leurs promisesMais les bourreaux traquent les promis vers la fosse…Frénésie pour le sang et le vin. La nuit rôdeLa nuit tourne dans le Ghetto jusqu’au matin.Et sur les toits mouillés par la rosée des larmesSe promène la mort en uniforme vert.

Peretz Markish

Ils ont cru qu’ils couraient le lièvre et le lâche,

Le vaincu résigné d’une tribu d’esclaves,

Mais il soufflait un vent ardent venu de l’Est :

Chaque chambre pour eux fut une forteresse,

Et par chaque fenêtre explosait la colère,

Et de chaque recoin jaillissait une flamme

A chaque pas pour eux scintillait une lame,

Par la mort et le plomb tremblait sous eux la terre.

Des jeunes gens partout se levaient sur les toits

Les balles déferlaient, des trous dans les parois

Et l’ennemi grillait dans l’enfer, sous les bombes,

Et chaque cheminée lui creusait une tombe

Chaque maison s’ouvrait pour dévorer sa proie. Itsik Feffer

Histoire

6 PNM n°315 - Avril 2014

Il y a 60 ans, une loi instaurait le dernier dimanche d’avril Journée nationale duSouvenir des Victimes et des Héros de la Déportation. A cette occasion, les grandes

associations de déportés ont publié un communiqué indiquant qu’au moment « oùréapparaissent des actes et propos xénophobes, racistes, antisémites et discriminatoi-res, les rescapés des camps de la mort rappellent toute l’importance des valeurs desolidarité, de fraternité et de tolérance qu’ils n’ont eu de cesse de promouvoir et défen-dre depuis leur retour. » Commémorer un jour ne peut dispenser d’analyser et d’ensei-gner toujours les causes du nazisme, phénomène construit par les forces économiqueset sociales qui l’ont soutenu. ■

Les amants du Ghetto (extrait)

- 27 avril 2014 -Commémoration dans toutes les communes de France dela Journée nationale du Souvenir des Victimes et desHéros de la Déportation

Le 15 mai 1943, Notre Voix* titrait : « Les bandes hitlériennes pénétrent avec destanks dans le ghetto de Varsovie. Résistance héroïque des juifs. Juifs de

France ! Renforçons notre défense ! Hatons la défaite hitlérienne ! ».Ce message décuplera l'esprit de résistance de nos aînés.

Nous voyons reparaître des actes, des propos qui font écho à la période del'occupation allemande. Les nostalgiques du nazisme oublieraient-ils l'am-pleur de la Résistance qui le combattit dès la première heure et jusqu'à lavictoire inclusivement ?

* Notre Voix, du 15 mai 1943, titre de la Presse Nouvelle clandestine en français.

Les extraits des poèmes suivants illustrent l’esprit de vie et de résistance qui, malgréleurs conditions infernales, animaient les habitants du Ghetto de Varsovie. ■

19 avril 194371e anniversaire du soulèvement du Ghetto de Varsovie

Les ombres du Ghetto de Varsovie (extrait)

PNM : Que pensez-vous de la cérémo-nie officielle de l’Unesco tenue à Parisle 27 janvier 2014 ?Maurice Cling : Il suffit de prendre laliste des intervenants pour déceler l’opé-ration politique. Il y a Irina Bokova,directrice générale de l’UNESCO, Éricde Rothschild, président du Mémorial dela Shoah, peu qualifié pour représenterles juifs déportés de France, petits arti-sans et commerçants souvent communis-tes ou socialistes, l’ambassadeurd’Allemagne, l’ambassadeur permanentd’Israël auprès de l’Unesco et ViktorOrbán, Premier ministre de Hongrie.Cela laisse perplexe quand on sait que laHongrie est probablement l’un des paysles plus antisémites d’Europe, dont laprésence dans ce consensus internationalest révélatrice. Les témoignages retenusdans cette cérémonie ne sont pas repré-sentatifs des victimes juives de France.Les deux tiers des 76 000 déportésétaient des juifs étrangers, en majoritépolonais et de profession extrêmementmodeste. On ne retrouve la réalité suraucun plan, ni religieux, ni historique,ni sociologique.Significative, aussi, la partie artistiquequi retrace la vie d’un juif polonais defamille ouvrière pauvre qui a décidé d’ar-rêter sa passion, la musique, qui l’avaitcependant sauvé pendant la guerre. Toutle monde n’a pas eu la chance d’êtresauvé par la musique, il est donc peureprésentatif. Il a choisi de parler seule-ment deux langues : le yiddish et le silen-ce, nous dit-on. C’est son droit et je lerespecte, mais nombreux sont les survi-vants juifs qui veulent que l’on parle, etd’une autre manière que dans cette sep-tième cérémonie.PNM : Pourquoi l’absence de la Russie ?MC : C’est scandaleux. L’Union sovié-tique a joué un rôle déterminant sur le planmilitaire dans l’écrasement du nazisme.Victorieuse à Stalingrad et à Koursk, elle alibéré le camp d’Auschwitz le 27 janvier1945 et poursuivi son offensive jusqu’àBerlin. On voit bien comment focaliser surles victimes permet de gommer ce rôle del’Union soviétique, qui ne doit apparaîtreque comme le pays du Goulag, et noncomme libératrice. Quand on veut occulterquelque chose qui dérange, on n’en parle

I I . Entret i en avec Maur ice Cl ing

pas, c’est la conspiration du silence. Uneautre technique consiste à déformer laréalité : si je ne m’abuse, c’est l’historien-ne Annette Wieviorka qui a utilisé desguillemets au mot « libération » pour lecamp d’Auschwitz. Les Soviétiquesseraient entrés dans un camp vide*. C’esttotalement faux. Pour d’autres campseffectivement vides, libérés par les arméesalliées, on ne les emploie jamais. Or pourAuschwitz, 68 000 déportés ont été éva-cués sur les routes huit jours avant la libé-ration du camp. J’en étais. Nous enten-dions les canons de l’Armée Rouge quandon nous emmenait vers l’Ouest. Un résis-tant français qui a survécu témoigne queles obus se croisaient au-dessus du camppendant la bataille. Dans le cimetière de lapetite ville d’Oswiecim, une stèle honorela mémoire des officiers et soldats sovié-tiques morts durant la libération du camp.Enfin, il n’était pas vide, y étaient restésplusieurs milliers de détenus malades**dont une partie sont morts dans les huitjours qui ont suivi l’évacuation. Quelquesmilliers ont été soignés par la Croix-Rougepolonaise et dans un hôpital de campagnesoviétique, sans oublier les résistants fran-çais du convoi des « 45 000 » qu’on voitsur une photo brandissant une banderolepour accueillir les libérateurs.

En 2010, le Président allemand commé-morait la libération du camp de Dachaucréé en 1933 pour y interner les antifascis-tes allemands, surtout communistes etsocialistes, sans les citer une seule fois. Lamême occultation se retrouve dans lerécent discours que le Président Obama,accompagné d’Élie Wiesel, a prononcé en2009 à Buchenwald, haut-lieu de la résis-tance allemande et européenne. Il a seule-ment mentionné le jeûne des juifs à YomKippour et le cuisinier qui cachait despommes de terre dans la doublure de saveste pour les donner à ses camarades !

La visite de l’actuel Président allemand àOradour-sur-Glane, aux côtés du Présidentfrançais, procède de la même attitude : lar-mes de crocodile versées sur les victimesde la division SS Das Reich, dont le com-mandant Lammerding a pu, après la guer-re, faire une carrière de chef d’entrepriseen RFA et y mourir dans son lit sans avoirété poursuivi ni condamné. Et vivel’Europe !

La photo reproduite ici achève notredémonstration. On y voit les victimes jui-ves instrumentalisées comme jamais par lemonument érigé en décembre dernierdevant la célèbre porte de Brandebourg.CQFD. ■

Propos recueillis par Claudie Bassi-Lederman

* David de Rothschild, nouveau président de laFondation pour la Mémoire de la Shoah, com-mémorant en 2010 la libération d’Auschwitz,déclarait : « Il y a 65 ans, les barrièresd’Auschwitz-Birkenau tombaient (…) Ne restaità Auschwitz que la mort ».** NDLR Lire le témoignage de BellaMalamoud dans la PNM n° 312 (01/2014)

ERRATA relatifs à la première partie de cetentretien publiée dans la PNM n° 313 :

(1) Lire « thèmes » et non « termes » hitlériens

(2) il fallait comprendre que la RFA a versé unepension de retraite aux anciens SS « jusqu’au »grade de capitaine. Rappelons que le Tribunal deNuremberg avait qualifié la SS d’ « organisationcriminelle » dans son ensemble.

(3) Plus loin, lire ‘‘ « Si ce qui a eu lieu recom-mençait », comme l’a écrit Primo Levi, ce seraiten pire compte tenu des moyens modernes.’’

A propos de la Journée internationale de commémoration des victimes de l’Holocauste et de la prévention des crimescontre l’humanité ■■■ Suite de la PNM 313

Trois dates à connaître :

1996 : l’Allemagne proclame le 27 janvierJournée nationale du souvenir des victimes del’Holocauste

2002 : Le Conseil de l’Europe recommandequ’une journée nationale soit fixée dans chaquepays

2005 : Les Nations unies proclament le 27 jan-vier Journée internationale dédiée à la mémoiredes victimes de l'Holocauste (InternationalHolocaust Remembrance Day)

Page 7: La presse nouvelle_315_avril_2014

Culture

PNM n°315 - Avril 2014 7

Xavier Dolan est un cinéaste doué. Dès 2009, à l’âge de dix-neuf ans,son film J’ai tué ma mère paraissait très prometteur et en 2012,

Laurence anyways possédait d’intenses et de superbes moments. AvecTom à la ferme, cinquième de ses films et troisième de ses longs métrages, Dolangagne une belle maîtrise de la mise en scène et réalise un brillant film de genre, unthriller psychologique et anti-homophobe. Tom, un jeune publicitaire de Montréal –joué superbement par Xavier Dolan lui-même – débarque dans une ferme isolée dela campagne québécoise pour les obsèques de son amant. Personne ne connaît sonexistence. Seul Francis, le frère du défunt, comprend qui est Tom. Je n’en dis pas pluset devant le piège où s’est jeté Tom, je laisse le spectateur au suspense intense cons-truit par Dolan, dans le meilleur d’une tradition héritée des films d’Hitchcock.

"Avant d'apprendre à aimer, les homosexuels apprennent à mentir" déclare Dolan,citant ici Michel Marc Bouchard, l’auteur québécois de la pièce de théâtre quiinspire le film. L’aventure racontée est brutale, sensuelle et lyrique et ses person-nages y tissent une relation complexe où se mêlent fascination, passion et répul-sion. Tout cela emporte le spectateur qui se souviendra longtemps de la séquencede tango dans l’étable ou de celle de la lutte dans un champ de maïs.

Ce thriller psychologique s’incarne dans une mise en scène qui fait jouer avecmaestria, les paysages et les corps et la superbe musique composée par GabrielYared. Tom à la ferme confirme Xavier Dolan comme un des talents les plus ori-ginaux du cinéma. ■

À voir My sweet pepperland de Hiner Saleem dont l’action se déroule auxconfins de l’Iran, de l’Irak et de la Turquie. Le film emprunte de manière cocasseau genre western tout en militant pour un Kurdistan indépendant. Son héros Barana pour mission d’assurer la loi dans un village perdu où règne un gang local vivantde trafic et opposé à la venue d’une institutrice. La loi et l’ordre triompheront avecl’aide des femmes engagées dans la guérilla. Malgré des maladresses de réalisa-tion, ce film laïque et féministe nous réjouit. ■

Le cinéma d’Amos Gitaï explore l’histoire, l’état actuel etles paysages d’Israël. De film en film, il compose une

mosaïque complexe sur différents supports pour une œuvreprotéiforme.

Son cinéma varie les genres, films documentaires (La maison, Wadi), films de fic-tion (Terre promise), films essais (Carmel), films poèmes (Le Golem, l’esprit del’exil) ou le ton, drôle (Alila), tragique (Kadosh). Gitaï puise dans sa propremémoire (Kippour), celle de sa famille (Carmel), ou recueille celle de témoinschoisis (Wadi). Il emprunte à des textes bibliques (Esther), historiques (La Guerredes Juifs de Flavius Josèphe), littéraires (Alila), sociologiques (Bangcock Bahrein,travail à vendre), de presse (Ana arabia), écrit lui-même le récit avec ses acteurs(Kadosh) ou le commande à sa scénariste Marie-José Sanselme (Ana arabia).Dans ce dernier film lumineux, émouvant et superbe, Gitaï s’inspire aussi, pour lesujet et les personnages, de sa trilogie documentaire Wadi où l’on voyait des immi-grants juifs d’Europe de l’Est, rescapés des camps, vivre dans une enclave à l’ar-chitecture de bidonville, aux côtés d’Arabes expulsés de chez eux. Le cinéaste fil-mait Wadi en 1981, 1991 et 2001 et opérait ce même type de retour sur les lieux deson premier long métrage documentaire (La maison).

Amos Gitaï va là où sa curiosité le conduit pour dire les transformations, lesconflits ou les ruptures qui s’opèrent dans les paysages et dans l’histoire d’Israël :de l’arrivée des rescapés juifs sortis des camps à la fuite des Palestiniens spoliés deleur terre (Kedma), de l’utopie des premiers kibboutz aux débats qui traversentl’intelligentsia antifasciste allemande ou révolutionnaire russe (Berlin -Jérusalem), de l’entrée dans la guerre, qui ouvre à la folie (Kedma), à l’enlisementdans la guerre par sa boue, ses plaies et ses morts (Kippour). De l’intime à l’épopée, ce cinéma à travers mythes, récits et témoignages, destinpersonnel, collectif, poétique construit une véritable conscience de l’histoire et despaysages d’Israël qui interroge son présent. ■

* Exposition Amos Gitaï, Cinémathèque française, jusqu’au 6 juillet. En juin, sortie d’Ana arabia.

Chronique de

L. Laufer

Tom à la ferme de Xavier Dolan

Amos Gitaï, architectede la mémoire*

Un voyage joyeux, initiatique et social en Rabelaisie.

Un travail monumental et remarquable d’immersion dans la rabelaisiepour dire le pouvoir et la richesse des mots. Sublime !

Trente-et-un ans et déjà un si grand talent avéré, Jean Bellorini n’en finit pasde nous étonner et de nous réjouir à chacun de ses spectacles si singuliers. Ilsait s’entourer de collaborateurs et de comédiens époustouflants de talent.

Avec Paroles gelées, le metteur en scène-scénographe-musicien et les treizeacteurs-danseurs-chanteurs nous rendent un Rabelais, si ardu dans sa langueXVIe siècle, presque contemporain et proche. C’est qu’avec Camille de laGuillonnière, également comédien, Jean Bellorini a fait un travail de fourmiau cœur de l’œuvre de Rabelais, sur la langue, les mots, la créativité, la pen-sée humaniste. Tous deux en ont fait une adaptation lumineuse et joyeuse, àpartir du Quart Livre surtout, mais pas seulement, une adaptation-miroir quirésonne dans notre contemporanéité.

Un théâtre grandiose, fantastique, et festifLes acteurs s’emparent de cette œuvre-adaptée gigantesque, avec frénésie,vitalité, joie, inventivité, modernisme, pour en faire une fête des mots, dumouvement et des corps, du théâtre qui exulte.

D’abord sur le devant de la scène, des comédiens nous distillent avec humourles termes rabelaisiens de la scatologie avec les meilleures façons de se tor-cher le cul. S’en suit le mariage de Panurge avec cette robe qui tombe du cielou plutôt des cintres. Puis, vêtus de cirés et bottes, pataugeant et virevoltantdans le bassin d’eau sur la scène, ils embarquent les spectateurs dans l’épopéedu voyage de Pantagruel où défilent les épisodes de la geste rabelaisienne,moutons de Panurge, tempête en mer, satire carnavalesque des chicanous quigagnent leur vie en se faisant battre… Un voyage « dans la merde du monde »et « la folie du monde ».Avec la narration de cette odyssée erratique, les spectateurs se laissent empor-ter dans ce périple « initiatique, allégorique, satirique, scatologique, poétique »,qui glorifie la bonne chère et le bon vin, dans le périple des mots dont la tra-duction humoristique nous renvoie à nous-mêmes. La troupe nous entraînegaillardement dans ces îles nombreuses à l’atmosphère fantastique oùtransparaissent les tourments et les questionnements de l’époque… de notreépoque… jusqu’à l’interrogation de l’oracle de la Dive Bouteille qui révèle lavérité. C’est alors que les « paroles gelées » doivent fondre pour que les motsne restent pas figés, mais se réinventent sans cesse.

La scénographie utilise des objets concrets, échelles, lumières, ventilateurs,vélos … qui sont détournés pour devenir méduses, tempêtes, étoiles etc.

Du théâtre en chansons et en musique, sous des lumièresmagiquesPour narrer les obstacles sur le chemin de la vérité, la dénonciation des guer-res de conquêtes, les fanatismes religieux, le monde en transformation etcontradiction.

Jean Bellorini élève le cœur, l’intelligence des spectateurs, dans l’inventivitéet la fête. Le théâtre, comme la pensée de Rabelais, devient une aventurehumaine. Un spectacle magistral qu’il faut voir absolument. ■

* Théâtre du Rond-Point. Information : 01 44 95 98 21

Chronique de

Simone

Endewelt

Paroles gelées d’après Rabelais dans une mise en scène et en lumière de Jean Bellorini

© P

ierr

e D

olza

ni

© A

nne

Nor

dman

À lire sur Internet l’Entretien réalisé par Laura Laufer le 14 marsavec Jean-Michel Frodon, auteur de Trilogie des frontières dans le livreAmos Gitaï architecte de la mémoire (Gallimard – Cinémathèque française).Cliquer sur le « Bonus d’avril » sur la page http://ujre.monsite-orange.fr/page4

Page 8: La presse nouvelle_315_avril_2014

Stefan Zweig et Joseph Roth s’é-crivent pour la première fois enseptembre 1927. Ils se rencon-

trent à une époque charnière, en pleinbouleversement de l’histoire, uneépoque de dangers et d’incertitude,après l’effondrement de l’Empire aus-tro-hongrois, et où l’on entend lesgrondements de plus en plus prochesd’un nationalisme exacerbé.Stefan Zweig naît en 1881 à Viennedans une famille de la grande bour-geoisie juive, totalement intégrée.Joseph Roth naît en 1894 en Galicie,aux confins de l’Empire autrichien,dans une famille juive modeste de lan-gue allemande. Tous deux sont desécrivains reconnus mais l’un est célè-bre, l’autre moins, l’un est riche, l’aut-re pauvre, l’un est un fervent humanis-te, l’autre un monarchiste déçu et luci-de, tout les sépare et en même tempstout les réunit : l’extrême sensibilitéaux choses, aux êtres, aux événements,une sensibilité à fleur de peau. Joseph Roth écrit beaucoup d’articleset de livres au cours de cette période dela montée du nazisme. Ses lettres àStefan Zweig prennent une grandeplace dans sa vie. Au milieu de ses dif-ficultés matérielles, de ses angoisses,elles sont un hymne à l’amitié, ellesdisent les liens essentiels qui l’atta-chent et le rattachent à son ami StefanZweig, qui appartiennent à l’intelligen-ce du cœur : (…) Mon cher et honoréami, vous avez la grâce du bonheur etde la vraie gaîté toute dorée. Vous avezle sens de la mesure, de ce qui est «juste », il y a en vous quelque chose del’art de vivre goethéen (…) Un pont entre eux s’est édifié, pierrepar pierre, au fil des ans, malgré les

grandes différences qui auraient pu lesséparer irrémédiablement. Mais enréalité, les deux auteurs se rejoignentparticulièrement dans leur appréhen-sion et leur rejet du sionisme, dans leurvocation cosmopolite cependant queleur appréhension de leur judéité diffère. Stefan Zweig, de par son éducationathée, garde ses distances. JosephRoth, lui, a la nostalgie du Yiddishland,du shtetl, cette bourgade juived’Europe centrale et orientale où il estné, où il a grandi. Il voit ce monde s’é-crouler, il l’observe en train de dispa-raître et il en parle avec acuité et ten-dresse dans son livre Juifs en errance(1926)Ce qui réunit aussi ces grands auteurs,c’est le refus des honneurs, des monda-nités, de cette espèce d’engouementmédiatique pour leur personne littérai-re qui risque de leur faire perdre la tête.Stefan Zweig, malgré sa notoriété, veutrester serein. Il compte poursuivre sesvoyages, et s’éloigner de la foule. Il estdepuis longtemps un personnagepublic et l’ambiguïté apparaît autourde cette réalité : en effet, ne s’est-il pasbâti lui-même cette notoriété dont il estlas ? Il écrit en 1929 : « (…) Vous comprendrez que seul l’hu-main attire ma curiosité intacte ; j’aiabondamment connu le monde littérai-re avec toutes ses formes de « succès »,en bien comme en mal, et j’en ai fait letour ; si je peux vous donner un conseilissu de mon expérience, c’est de vousétablir aussi tard que possible, avec lemoins d’attaches possibles, même enlittérature. Mieux vaut être oublié quede devenir une marque de fabrique,mieux vaut être peu lu et peu reconnu,mais libre ! (…) »

Une relation fraternelle se dessine aufil de la correspondance, Stefan Zweigsaura trouver les mots justes pourencourager son ami à poursuivre satâche d’écrivain, à lutter contre sesvieux démons, contre l’alcoolisme, ilgarde l’œil sur lui, éclaire sa noirceurde quelques touches tendres et bien-veillantes. Joseph Roth est son cadetde 13 ans mais son « vieux », commeil signe dans ses lettres, a le pouvoir de« déciller » les yeux de Stefan Zweiglorsque celui-ci ne veut croire qu’en labonté de l’être humain, en cet huma-nisme européen du début du XXe siè-cle. C’est Roth qui voit clair, qui dis-cerne le danger du nazisme montant,et bientôt triomphant, les premierssignes de « l’Adolferie » :Nous allons vers de grandes cata-strophes (…) notre existence littéraireet matérielle est détruite. Tout celamène à une nouvelle guerre. Je nedonne plus cher de notre peau. On aréussi à laisser gouverner la barbarie.Ne vous faites aucune illusion. C’estl’enfer qui gouverne. En Allemagne, on brûle leurs livres.La haine antisémite commence à s’ex-primer au grand jour. Joseph Roths’indigne, n’a pas de mots assez durspour décrire la lâcheté des gens quil’entourent, de ses éditeurs qui lefuient, l’abandonnent. Il s’installedéfinitivement à Paris en 1933. StefanZweig s’exile à contrecœur en 1934,d’abord en Angleterre, puis aux États-Unis et, pour finir, au Brésil. Malgré les menaces qui pèsent sureux, ils n’auront cessé de se montrersolidaires, non seulement l’un enversl’autre – Stefan Zweig ne cessera desoutenir son ami moralement et finan-

8 PNM n°315 - Avril 2014

cièrement – mais aussi vis-à-vis desautres, ils ont tous deux, à leur maniè-re, apporté aide et soutien à leurs com-patriotes en danger. A l’heure des pseudo-démocratiesdans un monde ultra-libéral où cesont les marchés financiers quimènent la danse, on se prend à rêverde telles rencontres qui ont un parfumde liberté et de fraternité. Les deuxécrivains ont le pouvoir des motsparce qu’ils ont le pouvoir des senti-ments. Ils portent en eux cetteimmense force d’écoute, d’abandon,d’entière disponibilité à l’autre et ilsl’expriment à travers un échangeexceptionnel. Roth mourra d'une infection pulmonai-re en 1939 tandis que Zweig se donne-ra la mort par empoisonnement en1942 en compagnie de son épouse,Lotte.Ma patrie spirituelle, l’Europe, s’estanéantie elle-même. Il fallait à soixan-te ans des forces exceptionnelles pourtout recommencer à nouveau et lesmiennes sont épuisées par des annéesd’errance sans patrie. Aussi, je jugepréférable de mettre fin, à temps et latête haute, à une vie pour laquelle letravail intellectuel a toujours représen-té la joie la plus pure et la liberté indi-viduelle, le bien suprême sur cetteterre. ■

Lettre d’adieu de Stefan Zweig(extrait. 1942)

* Stefan Zweig / JosephRoth, Correspondance1927-1938, traduit de l’alle-mand et préfacé par PierreDehusses, Éd. Payot,Bibliothèque RIVAGES,2013, 480 p., 25 €

La guerre du Kippour n’aura pas lieu ?par Raymonde Baron

Et cependant, cette guerre du Kippour est toujours glorifiée par les Pays Arabes et toujours vécue comme un traumatis-me profond et effrayant en Israël. En 2010, Israël a ouvert ses archives et déclassé les documents couverts par le secret

défense. Du coup, l’historienne Frédérique Schillo et le journaliste Marius Schattner sont allés revisiter cette guerre qui fitdes milliers de victimes dans les deux camps. Écrit à la manière d’un roman d’espionnage, leur livre* contient des révéla-tions qui laissent pantois. Ainsi le lecteur découvre-t-il que l’espion n°1 n’était autre qu’Ashraf Marwan, le propre gendrede Nasser, devenu, à la mort de celui-ci, proche conseiller de son successeur Sadate. Les dirigeants israéliens ont fait preuve d'un incroyable aveuglement, négligeant les informations qui leur parvenaient detoutes parts. Jugez plutôt : fin septembre, Marwan les informe que l’attaque est prévue pour le 6 octobre. Le 6 octobre aumatin, c'est la mobilisation générale. La guerre éclate à 14h !!! En fait, les Israéliens étaient convaincus que les Syriens et

les Égyptiens n’oseraient jamais défier Tsahal après la cuisante défaiteessuyée en 1967. Ils étaient si sûrs de leur fait qu’ils ne voyaient dans lespropos belliqueux de Sadate que de pures provocations verbales. On l’aura compris, l’enquête est passionnante et révèle les dessous de ladiplomatie internationale. Mêlant géopolitique, psychologie et espionna-ge, elle jette un nouvel éclairage sur tous les acteurs de ce conflit. ■

* Marius Schattner et Frédérique Schillo, La guerre du Kippour n'aura pas lieu.Comment Israël s'est fait surprendre, Éd. André Versaille, 2014, 316 p., 21,90 €

Littérature

IsraëlEnfin disponible !

Dans notrenuméro dejanvier, nousannoncions laparution débutfévrier dulivre d’ÉdithFuchs intitulé “Auschwitz” :défiguration et transfiguration del’histoire, préfacé par EmmanuelFaye. L’éditeur DELGA l’a finale-ment sorti à l’occasion du Salondu Livre sous le titre : “Écrituresd’Auschwitz (défigurations ettransfigurations de l'histoire)”(253 p., 17 €). ■

“ Stefan Zweig / Joseph Roth - Correspondance 1927-1938 ”par Béatrice Courraud

Vous savez bien ce que représente le temps, une heure est un lac, une journée une mer, la nuit une éternité, le réveil un enfer, se lever un combat pour retrouver la lucidité et effacer la fièvre d’un mauvais rêve. Joseph Roth, lettre du 22/01/1936

Anonyme Amos Gitai (à droite) dans son unité de secouristes, pendant la guerre du Kippour