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Le rôle des spin doctors n'est pas de suppléer ceux qu'ils conseillent

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Dans cette interview pour le Cercle des communicants francophones, Olivier Cimelière, Directeur associé de l'agence Wellcom et animateur d'un blog sur la communication, décrypte l'image actuelle des partis et des personnalités politiques. Il revient également sur le rôle des conseillers en communication et sur l'impact des pétitions en ligne.

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Cercle des communicants francophones

« Le rôle des spin doctors n'est pas de suppléer ceux qu'ils conseillent »

Dans cette interview pour le Cercle des communicants francophones, Olivier Cimelière, Directeur associé de l'agence Wellcom et animateur d'un blog sur la communication, décrypte l'image actuelle des partis et des personnalités politiques. Il revient également sur le rôle des conseillers en communication et sur l'impact des pétitions en ligne.

Nous assistons aujourd'hui à une ''désacralisation'' des gouvernants. Ce phénomène est-il selon vous irréversible ? Olivier Cimelière (OC) : En l’état actuel des choses, il semble l’être. D’une part, on assiste à un taux de défiance record à l’égard des décideurs politiques et plus encore envers ceux qui sont aux manettes du pouvoir. L’incroyable faiblesse de la cote de popularité de François Hollande souligne bien cette carence. D’autre part, les politiques eux-mêmes contribuent à se galvauder. Souvenez-vous de Ségolène Royal qui se met en scène en tenue de Marianne, Arnaud Montebourg qui se transforme en VRP etc. A force de gommer cette ''aura'' de décideur, les politiques sont devenus des acteurs ordinaires, ''pipolisés'' par les magazines dans les moindres recoins de leur vie. Sans tomber dans les travers de l’arrogance ou du sentiment de caste supérieure, les gouvernants seraient bien inspirés de reprendre un peu de hauteur. Quitte à rester silencieux lorsque des polémiques de bas étage éclatent. La popularité actuelle d’Alain Juppé montre bien qu’il n’y a pas besoin d’être ''désacralisé'' pour continuer à exister politiquement.

Comment qualifieriez-vous l'image présidentielle ? Quelle est la différence entre la communication du président actuel et celle de son prédécesseur ? (OC) : Je ne révèle aucun scoop en disant qu’elle est calamiteuse ! François Hollande ne peut s’en prendre qu’à lui-même. D’abord parce qu’il a toujours nourri une méfiance excessive envers la communication qu’il juge vile et mercantile. Le livre de Denis Pingaud intitulé L’homme sans com’ le montre parfaitement. Ensuite, parce qu’il s’est échiné à vouloir cultiver une image 100% inverse de celle de Nicolas Sarkozy. Or, à force de vouloir jouer au président ''normal'' en réaction à l’ex-président ''bling-bling'', il a perdu de son crédit et de son autorité auprès des citoyens. Sauf à surfer sur un improbable retournement de conjoncture, l’image de François Hollande est définitivement fichue.

Estimez-vous que la stratégie ''carte postale'' de l'ancien président pour revenir au cœur de la vie politique est efficace ? (OC) : Elle a pu laisser croire qu’elle était efficace. Avant que Nicolas Sarkozy ne revienne officiellement dans l’agora politique en septembre dernier, celui-ci entretenait une sorte de mythe de l’homme providentiel faisant des clins d’œil photos à ses électeurs pour montrer qu’il restait à disposition du pays. Néanmoins, cette stratégie n’était pas tenable dans la perspective de 2017. L’accélération des événements depuis l’affaire Bygmalion et la montée des candidats à la présidence de l’UMP ont contraint Nicolas Sarkozy à accélérer la cadence et stopper son feuilleton à l’eau-de-rose. Désormais, il renoue avec sa communication type ''rouleau compresseur'' mais il n’est pas certain que cela fonctionne comme en 2007. Les sondages actuels indiquent d’ailleurs que

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sa popularité s’érode à nouveau.

Comment jugez-vous la communication du Premier ministre actuel depuis sa prise de fonction ? Quels sont les enjeux de communication auxquels il doit faire face ? (OC) : Manuel Valls est un des rares politiques à s’en sortir plutôt correctement en matière de communication. Il suit depuis longtemps un fil conducteur inaltérable fait de fermeté, de pragmatisme et de sens des responsabilités. Ce qui l’amène à ne pas hésiter à prendre de front les frondeurs du PS par exemple. Sa récente interview au Nouvel Observateur est emblématique. Il n’a pas hésité à parler de ''gauche passéiste''. De même, il est capable de ne pas s’arquebouter sur les erreurs commises en début de quinquennat. A mon sens, le point d’amélioration pour lui réside dans la capacité à faire preuve d’une plus grande empathie. Incarner la détermination à la Clémenceau, c’est bien et plutôt rassurant. Mais sentir qu’un dirigeant est aussi capable d’écoute et de dialogue, c’est mieux. Il manque un peu de chaleur et de proximité dans le style communicant de Manuel Valls.

Quel regard portez-vous sur la communication du Front de gauche, d'Europe écologie les Verts et du Front national ?

(OC) : Concernant le Front de Gauche et Europe écologie les Verts, tout est à reconstruire. Leur opposition systématique doublée de querelles internes de personnes (Mélenchon contre Laurent, Duflot et Placé contre Cochet, etc) rend totalement inaudible le positionnement de ces partis. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon semble l’avoir bien compris. Avec la publication de son dernier essai politique, il opère un virage subtil où il se pique désormais de parler écologie et économie tout en appelant à une 6ème République. Sur le fond, les contenus ne sont pas inintéressants mais l’homme va devoir composer avec son image de ''Danton'' exécrant les journalistes et les dirigeants d’entreprise. C’est toute la limite de l’exercice.

Quant au Front National, ce dernier est redoutablement efficace d’un point de vue technique. Il a appris à se faire entendre en exploitant habilement le pouvoir viral des réseaux sociaux. Résultat : les idées du FN n’ont jamais eu autant d’écho même si Marine Le Pen a policé la forme par rapport à son père. Il n’empêche que le FN ne parvient pas malgré tout à être totalement crédible. En termes de défouloir, il séduit et ça se voit dans les bulletins de vote. Mais en termes de crédibilité présidentielle, 63% des Français continuent de juger le FN incompétent pour gouverner le pays. Tant que le FN sera dans le populisme irréaliste et la désignation systématique de boucs émissaires, l’impact de sa communication restera cantonné parmi les râleurs, les déçus, les inquiets mais pas chez ceux qui ont une vision plus élaborée des enjeux.

Quelle image Alain Juppé, François Bayrou et Jean-Vincent Placé tentent-ils de faire passer dans l'opinion publique ? (OC) : Je mettrai d’emblée Jean-Vincent Placé à part. Pour ce dernier, l’objectif consiste d’abord à exister médiatiquement à tout prix et à coups de petites phrases. Résultat : son personnage est illisible au point qu’on ne sait même plus très bien s’il est encore Vert ou déjà passé à autre chose tant l’homme politique roule d’abord pour sa carrière. A force de jouer au ''Mazarin'' médiatique, on perd en consistance.

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Concernant François Bayrou, son cas est assez intrigant. Voilà quelqu’un qui dispose d’un argumentaire solide, plutôt visionnaire et pas toujours dans le sens du poil électoral. Mais il traîne maintenant comme un boulet le poids de trois échecs à la présidentielle et un parti (le Modem) en quasi décomposition. Sans parler de sa trajectoire pourtant cohérente au regard de ses idées mais pas facile à situer sur un échiquier politique. Le corps électoral français aime (excessivement à mon goût) ce qui est classable. En d’autres termes, à droite ou à gauche. Or, François Bayrou provient de la droite modérée, a appelé à voter Hollande en 2012 et œuvre désormais pour reconstruire le centre-droit tout en étant proche d’Alain Juppé. En termes d’image, cela n’est guère aisé à porter dans un contexte où les clivages se comprennent (malheureusement) mieux.

En dépit de son âge, Alain Juppé apparaît quant à lui comme un recours crédible. Il a réussi à se défaire de sa réputation de dirigeant ''droit dans ses bottes'' qui avait mis quasiment toute la France en grève en 1995 pendant 3 semaines. Les épreuves électorales et judiciaires, et sûrement aussi son expérience réussie de maire de Bordeaux, forment aujourd’hui l’image d’un dirigeant expérimenté, réformateur mais pondéré et soucieux de faire avancer les choses sans tout mettre à feu et à sang. Saura-t-il préserver et alimenter cette réputation actuelle ?

Si vous aviez été le conseiller politique ou le conseiller en communication de l'ancien secrétaire d'Etat Thomas Thévenoud, que lui auriez-vous suggéré ? Quelle stratégie auriez-vous adoptée ? (OC) : A la différence d’une Anne Hommel qui se fichait totalement de savoir si Jérôme Cahuzac mentait ou pas pour le conseiller sur sa communication, j’aurais d’abord cherché à connaître les tenants et aboutissants du dossier Thévenoud. Au regard de ce que nous savons aujourd’hui, j’aurais incité fortement l’homme à reconnaître sans ambages ses fautes et ne pas chercher à se réfugier derrière de pseudo-alibis de ''phobie administrative''. Je lui aurais également conseillé de démissionner sur le champ de son mandat de député afin de prendre du recul et ne pas laisser accréditer l’idée que les politiques s’accrochent à tout en dépit de leurs dérives. Dans ce type de circonstances, la stratégie du pardon est la seule valable. Encore faut-il qu’elle soit sincèrement déroulée pour être efficace.

Les conseillers en communication, les ''spin doctors'' comme on les appelle parfois, n'ont pas vocation à être sur le devant de la scène. Pourtant, ils le sont de plus en plus souvent. Comment l'expliquez-vous ? Cela pourrait-il changer le regard des hommes politiques sur ces hommes de l'ombre ?

(OC) : Les conseillers communication ne sont pas autant sur le devant de la scène que vous semblez le croire. Il n’y a guère que Stéphane Fouks pour continuer à s’exhiber médiatiquement malgré les plantages à répétition qu’il a enregistrés. Les autres sont globalement plus discrets. Même Franck Louvrier n’est pas sans cesse en train de la ramener et de pérorer. Je trouve d’ailleurs cette attitude saine. Leur rôle n’est pas de suppléer ceux qu’ils conseillent. Qu’ils interviennent parfois publiquement, n’est pas forcément gênant. En revanche, ils n’ont pas vocation à accaparer toute la lumière. A chacun son job ai-je envie de dire. Sinon, ils risquent effectivement d’agacer certains politiques en termes d’ego mais aussi de cohérence des prises de parole.

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On assiste aujourd'hui au développement croissant des pétitions en ligne. Celles-ci peuvent détruire rapidement ou accentuer la détérioration de la réputation d'une personnalité politique. Comment peut-on y faire face ?

(OC) : Les pétitions en ligne sont effectivement parties pour durer. Lorsque l’on voit le développement fulgurant de plateformes comme Change.org ou Avaaz, il devient impossible d’ignorer ce phénomène. Pour autant, n’allons pas trop vite en besogne. Une pétition en ligne pourra embêter, voire faire reculer un politique. C’est par exemple arrivé à Marseille où le maire Jean-Claude Gaudin a dû renoncer à la subvention de 400 000 € qu’il s’apprêtait à verser pour un concert de David Guetta dans sa ville suite à une mobilisation en ligne de citoyens. Pour autant, je ne crois pas que la réputation d’une personnalité politique sera fondamentalement écornée par le seul biais d’une pétition. Cette dernière peut y contribuer mais de là à faire chuter définitivement, je n’y crois guère. La sanction la plus radicale reste encore le bulletin de vote !

Interview réalisée en novembre 2014

Le Cercle vise à faire progresser la communication publique et politique dans le monde francophone. Il se veut être un espace de dialogue, de partage d'expériences et de valorisation de tous.

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