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1 Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 Institut du Monde Anglophone Études internationales Études sur les institutions, les sociétés et les économies britanniques et américaines Master 2 Parcours Recherche Année 2014-2015 Le rôle des journaux ethniques dans les communautés migrantes noire et grecque au début du XX e siècle dans le Nord des États-Unis : The Chicago Defender de Chicago et The National Herald de New York City Auteur : Gallorini Marguerite Directrice de mémoire : Madame Le Dantec-Lowry Soutenu le 25 juin 2015

Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

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Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Institut du Monde Anglophone

Études internationales – Études sur les institutions, les sociétés et les économies

britanniques et américaines

Master 2 – Parcours Recherche

Année 2014-2015

Le rôle des journaux ethniques dans les

communautés migrantes noire et grecque au début

du XXe siècle dans le Nord des États-Unis :

The Chicago Defender de Chicago et

The National Herald de New York City

Auteur : Gallorini Marguerite

Directrice de mémoire : Madame Le Dantec-Lowry

Soutenu le 25 juin 2015

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Table des matières

Remerciements………………………………………………………………………………3

Résumé………………………………………………………………………………………4

Introduction…………...……………………………………………………………………..5

Partie I : Construction d’un empire dans un empire

Chapitre 1 : Les fondateurs……………...……..…………………..……………..….26

Chapitre 2 : Gestion et financement…………….....………………………..…..…...34

Chapitre 3 : Motivations politiques……………….……………………….…...……39

Partie II : Articulation de la presse ethnique avec les autres institutions

communautaires

Chapitre 1 : La presse ethnique et l’Église……………………..……………………44

1) La presse ethnique comme lien entre l’Église et la communauté………..44

2) La presse ethnique face à l’Église : entre critique et acceptatio…………50

Chapitre 2 : La presse ethnique et les autres associations d’entraide………..………56

Partie III : Entraide communautaire et sentiment d’appartenance

Chapitre 1 : Entraide communautaire et questions d’allégeance nationale…..….......64

1) Soutien « pratique » communautaire.……................................................64

2) Soutien « psychologique » communautaire ou mère patrie bienveillante.66

3) Une mère patrie bienveillante contre une société d’accueil suspicieuse...70

Chapitre 2 : La presse ethnique et les valeurs élitistes…………….……….………..74

Chapitre 3 : Construction d’une communauté imaginaire…………..………………81

Conclusion…………………..……………………………………………………………..90

Bibliographie………………..……………………………………………………….……..96

Table des annexes………………….…………………………………………….……….107

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Remerciements

J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont aidée dans la réalisation de ce

mémoire.

En premier lieu, je remercie Mme Le Dantec-Lowry à l'université de Paris III. En tant que

directrice de mémoire, elle m'a guidée patiemment dans mon travail et m'a aidée à trouver

des solutions pour avancer.

Je remercie aussi M. Jeffrey Sammons et Mme Liana Theodoratou, du département

d’histoire et du département d’études helléniques de New York University respectivement,

ainsi que le bibliothécaire de la bibliothèque de l’université M. Andrew Lee, qui m'ont tous

aidée dans l’acquisition de sources secondaires précieuses.

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Le rôle des journaux ethniques dans les communautés migrantes noire et grecque au

début du XXe siècle dans le Nord des États-Unis :

The Chicago Defender de Chicago et The National Herald de New York City

Mémoire de Master 2 Études internationales – Études sur les institutions, les sociétés et les

économies britanniques et américaines – Parcours Recherche

Résumé

Cette recherche comparative vise à soulever les différences et similarités dans l’adaptation

de deux communautés ethniques aux États-Unis peu comparées: les Grecs-Américains et

les Africains-Américains. Plus précisément, cette étude se concentrera sur la période des

années 1910-1920, date de migration massive au Nord des États-Unis venant de Grèce, et

venant des États ségrégationnistes du Sud. L’adaptation au Nord étatsunien ainsi que la

rétention culturelle de ces communautés sera étudiée à travers leur presse ethnique – deux

journaux représentatifs sont choisis ici : le Chicago Defender pour la communauté noire, et

le National Herald pour la communauté grecque.

Mots clés : communauté ethnique, Grecs, Noirs, Africains-Américains, immigration,

migration, communauté imaginaire, presse ethnique.

Summary

This research aims at emphasizing differences and similarities in the adaptation of two

ethnic communities in the United States that are seldom compared: Greek Americans and

African Americans. More precisely, this study will focus on the time period of the 1910s-

1920s, where a massive migration took place to the North of the United States, coming

from Greece as well as segregationist Southern States. The adaptation to the American

North as well as the cultural retention of these communities will be studies through the lens

of their ethnic press – two representative newspapers were chosen: The Chicago Defender

for the Black community and The National Herald for the Greek community.

Key words : ethnic community, Greeks, Blacks, African Americans, immigration,

migration, imagined community, ethnic press.

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Introduction

Dans un pays fondamentalement migrant et multiculturel comme les États-Unis, la presse

ethnique fut naturellement un élément de liaison majeur entre la société globale et les

différentes communautés ethniques la composant. Cette étude comparative s’intéressera

aux processus d’assimilation et de rétention culturelle de la presse ethnique de deux

communautés ethniques migrantes en particulier : les Noirs qui migrèrent du Sud vers le

Nord au début du XXe siècle et qui trouvèrent de nombreux journaux africains-américains

dont le célèbre Chicago Defender, créé en 1905; et les immigrants grecs arrivant dans les

grandes villes du Nord des États-Unis également et qui représentaient le plus grand lectorat

du National Herald, fondé à New York en 1915 et l’un des deux principaux journaux grecs

à portée nationale. Ces deux journaux existent encore de nos jours.

Le début du XXe siècle vit en effet deux vagues de migration massive se rejoindre dans le

Nord. La « Grande Migration », période emblématique concernant un mouvement

migratoire qui se termina seulement à la fin des années 1960, allait de 1910 à 1930, le plus

gros de la vague survenant entre 1916 et 1919 : près de 400 000 Africains-Américains

partirent des États agricoles du Sud (où 90% de la population noire américaine résidait

avant 19101) pour atteindre le Nord industriel des États-Unis, notamment les grands centres

industriels de Chicago et New York2. Un mouvement équivalent put être observé du côté

des migrants d’Europe du Sud-ouest, notamment de Grèce : une immigration massive

s’opéra de 1890 jusqu’aux lois étatsuniennes imposant des restrictions sur l’entrée des

immigrants, soir celle de 1921 et 1924 (Johnson-Reed Act et sa révision), le plus gros de la

vague survenant également au sein de la décennie 1910-1920, quand près de 185 000 grecs

1 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and the

Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 474. 2 Carole Marks, Farewell — We're Good and Gone: The Great Black Migration, Bloomington: Indiana

University Press, 1989, p. 1. Alan D. DeSantis met cependant en garde contre toute prise en compte trop

grande d’un tel nombre, celui-ci pouvant varier entre 350 000 et 1 million selon les chercheurs. Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 504. Lui-même écrivit, un an plus tôt, que 205 000 Noirs

américains avaient migré au nord entre 1917 et 1919. DeSantis, Alan D. “A Forgotten Leader: Robert S.

Abbott and the Chicago Defender from 1910 – 1920”, in Journalism History 23(1) (Summer 1997), p. 65.

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entrèrent dans le pays – pour un total de plus de 500 000 pour la période complète3. La

présente étude tentera d’observer en parallèle ces deux communautés de migrants dont la

destination finale est commune, plus que d’encourager une lecture de l’histoire qui les

divisent habituellement au seul titre de leur appartenance raciale et de leur statut (migrant /

immigrant).

La « race » – concept qui n’a pas la même connotation qualitative en français et que l’on

comprendra donc dans son contexte américain – est une construction politique et sociale et

de ce fait, peut être socialement utilisée et déformée. Bien que les Américains de

descendance grecque soient maintenant considérés comme des Américains à part entière,

au début du XXe siècle il en était autrement. Jugés en fonction de leur peau foncée, ils

étaient considérés comme des « Orientaux », et étaient stigmatisés pour leur apparence et

leur gestuelle exubérante4. Ils étaient notamment persécutés dans le Sud par le Ku Klux

Klan, qui s’attaquaient aux Noirs depuis la fin de la guerre de Sécession, et mal perçus dans

les petites villes non habituées aux étrangers. Dans l’Ouest, ils étaient encore plus mal

traités :

But it was in the West, where their relative numbers made them more visible, that the

Greeks faced the most serious incidents. […] A sampling of the characterizations of

Greeks printed in Utah newspapers in the years just before and after World War I

include “the scum of Europe”, “a vicious element unfit for citizenship”, and “ignorant,

depraved and brutal foreigners”5.

Même à Chicago, l’historien et sociologue Grec-Américain Charles Moskos fut lui-même

traité de « sale grec » dans sa jeunesse, dans les années 19406. De façon générale, les

nouveaux immigrants grecs étaient considérés comme peu éduqués et rustres : c’étaient

principalement des jeunes paysans ou ouvriers, souvent illettrés : en effet contrairement aux

3 « Immigration and Naturalization Service », 1976 Annual Report (U.S. Government Printing Office), pp. 87-

88. Cité par Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 11. Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The

Journey: The Greek American Dream, dir. Maria Iliou, 2007, 87 min. Il est à noter que ce nombre est minimal

également, beaucoup de Grecs ayant passé la frontière à partir du Canada avec d’autres passeports que des

passeports grecs. Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan,

Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 4 Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey.

5 Helen Z. Papanikolas, Toil and Rage in a New Land: The Greek Immigrants in Utah, Salt Lake City: Utah

Historical Society, 1974, p. 138. Citée par Charles C. Moskos, Greek Americans: Struggle and Success, New Brunswick: Transactions Publishers, 1997 [1989], p. 16. 6 Peter Moskos; Charles Moskos, Greek Americans: Struggle and Success, New Brunswick: Transactions

Publishers, 2014, p. 210.

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émigrations passées de la Grèce principalement composée de marchands, la « précarité [de

celle-ci] est une nouveauté qui caractérise ce mouvement massif »7. Dans la nature-même

de la population migrante, pour l’une comme pour l’autre communauté, Grecs et Noirs

avaient principalement une expérience de travail lié à l’agriculture, et ils étaient des

hommes jeunes qui, une fois arrivés en villes, était souvent embauchés comme ouvriers non

qualifiés de par leur inexpérience du travail industriel et leur force physique; ils étaient

souvent employés pour briser les mouvements de grève et trouvaient aussi un emploi dans

les compagnies de chemin de fer8, dans l’Ouest notamment. Cependant dans les grandes

villes du Nord-Est comme New York, Grecs et Noirs n’étaient pas en compétition directe

car ils n’occupaient pas les mêmes types de postes : tandis que les Sudistes montaient en

masse dans le Nord suite à de nombreuses annonces pour des postes industriels notamment,

les Grecs arrivaient à les éviter en utilisant le réseau des quelques camarades déjà

préalablement installés dans la ville :

Immigrants who stayed in New York City in the early part of the twentieth century

avoided industrial jobs. Through their networks, they found work as fruit sellers, street

peddlers, bootblacks, and florists; a few also worked as furriers and in the hotel and

restaurant businesses9.

Les raisons d’un mouvement migratoire d’une telle importance est multiple : économique,

sociopolitique, mais aussi imaginaire et personnelle. Économique tout d’abord car, à partir

de 1917, les troupes militaires américaines s’engagèrent dans la Première Guerre mondiale,

créant par là un besoin massif de main d’œuvre à embaucher rapidement dans les industries

soudainement désertées par leurs travailleurs. Les Africains-Américains se déplacèrent en

masse, leurs conditions de travail, leurs salaires et le traitement qu’ils recevaient étant bien

moins enviables dans les états du Sud – où sévissaient la ségrégation, la violence raciale et

l’infériorité économique – que dans le Nord10

.

7 Georges Progoulakis et Eugenia Bournova, « Le monde rural grec, 1830-1912 », in Ruralia, 08 | 2001,

<http://ruralia.revues.org/214>, extrait le 20 mai 2015. 8 « [D]’après le recensement de 1910, 63% des Noirs du Sud étaient classés comme « travailleurs agricoles »,

et c’était encore plus vrai dans les États qui contribuaient le plus à la migration, comme le Mississippi

(81,2%) ». Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, pp. 135 et 172.

Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. 9 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in

American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 10 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 475.

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Qui plus est, le marché de l’agriculture à cette époque était très instable en termes de

revenus pour les fermiers noirs:

[La] plupart des métayers, fermiers et petits propriétaires noirs du Sud ne connaissaient

pas les nouvelles méthodes agricoles et n’avaient pas le capital nécessaire pour acheter

du matériel […]. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, la productivité demeurait faible, alors

que les prix agricoles baissaient en raison de la concurrence étrangère. Les dettes des

métayers et des ouvriers agricoles les plus pauvres s’accumulaient, et ils ne parvenaient

plus à vivre de leur travail. Ils se trouvaient alors étranglés par un système de péonage

(travail forcé pour rembourser des dettes)11

.

Ajoutons à cela une série de crues dans certains endroits du Sud en 1916 ainsi qu’un

parasite, l’anthonome du cotonnier, qui se répandit dans le Sud en 1915 et 1916, détruisant

énormément de plantations de coton, et laissant ainsi beaucoup d’Africains-Américains

sans travail, eux qui occupaient les statuts les plus précaires de ce secteur12

.

Concernant les immigrants grecs, le facteur économique fut la « motivation première » de

leur voyage vers les États-Unis : il est important de noter que le projet initial de bon

nombre de migrants grecs – comme celui de nombreux émigrants avant eux, dont les

Italiens – était de retourner au pays après avoir gagné suffisamment d’argent en travaillant

aux États-Unis13

. Par la suite, ceux qui avaient connut plus de succès en affaires ne sont pas

nécessairement repartis, mais ont continué de développer leur situation sur place – et,

finalement, ce sont ceux qui n’ont pas gravi l’échelle sociale qui sont finalement repartis14

.

En tous cas, les Grecs ne songeaient pas à un total changement de vie originellement,

contrairement aux Africains-Américains qui, eux, partaient à la recherche d’un monde

meilleur dans le Nord, où ils seraient respectés en plus de mieux gagner leur vie. Pour eux

le retour dans un Sud raciste était moins envisageable Numériquement parlant cependant, le

nombre de migrants grecs Africains-Américains était si élevé que le phénomène était

qualifié d’ « hémorragie nationale » par la Grèce, inquiète pour sa propre survie15

tandis

11 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 143. 12 Charles A. Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-

1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 31. 13

Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 9. 14 Harry J. Psomiades; Alice Scourby, The Greek American Community in Transition, New York: Pella, 1982,

p. 56 15 Saloutos, Theodore. They Remember America: The Story of the Repatriated Greek Americans, Berkeley:

University of California Press, 1956. Entre 1910 et 1915, près d’un homme grec sur cinq entre 15 et 45 ans

partit pour l’Amérique. Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 11.

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que les États du Sud prenaient également peur de voir leur « meilleure main d’œuvre » et

les garants de leur position supérieure dans la hiérarchie sociale sudiste fuir leurs terres16

-

ce à quoi le Chicago Defender répondit que le Sud avait la mémoire courte, alors qu’il

souhaitait renvoyer les Africains-Américains en Afrique quelques temps plus tôt17

.

Quoi qu’il en soit, le départ des migrants grecs fut également lié à un contexte agricole

instable : en effet la plupart des terres sont sèches et rocailleuses en Grèce, rendant

l’agriculture difficile ; à cela s’ajouta, à cette période, la venue d’un autre parasite, le

phylloxéra, qui s’attaqua aux vignes d’Europe et atteignit celles de Grèce dans les années

1900, provoquant la destruction de la source de revenus de beaucoup de paysans grecs, la

plupart d’entre eux travaillant à leur compte et vivant très modestement18

. Ainsi de plus en

plus de Grecs partirent en masse vers le Nouveau Monde, où déjà quelques-uns d’entre eux

avaient commencé à monter des petits commerces et à construire un réseau de migrants19

.

Si l’on tient compte des besoins économiques de ces deux communautés, on constate que

Noirs et Grecs furent en proie aux mêmes techniques de « recrutement » de la part d’agents

venant directement dans leurs régions (dans le Sud pour les uns, dans les villages grecs du

Péloponnèse notamment pour les autres) pour leur conter les merveilles les attendant dans

le Nord ou aux États-Unis en général. En ce qui concerne les Grecs, ces agents étaient

généralement appelés des padroni20

: le système de padrone est décrit comme suit par

Leara Rhodes :

The padrone system involved labor brokers who found immigrants from their own

countries to work on the railroads, in the mines and quarries, and in the agriculture. The

16 “The Atlanta Constitution wrote that the migration cost the South “her best labor” force and that the

region’s economy suffered greatly”. Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American

National Biography, ed. John A. Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University

Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32. 17 “Somebody Lied – When the South Howls About the Race Moving North Does It Forget the Time When It

Wanted to Ship 1,000,000 to Africa?”, in The Chicago Defender, le 7 octobre 1916, p. 3. 18 Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. « Phylloxéra » provient par ailleurs du grec,

signifiant « feuilles sèches ». 19 Notamment des marchands venus suite à l’indépendance de la Grèce pour recueillir des fonds afin de

trouver des fonds pour subvenir aux besoins de la « Grande Idée », la volonté de la Grèce durant les XIX et XXème siècles d’unir tous les Grecs dans un seul État-nation avec pour capitale Constantinople. 20 Un mot italien puisque ce système avait été mis en place par la communauté italienne en Amérique. Labor

historian Dan Georgakas, Chapitre I : Immigrants, in The Journey.

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labor brokers did more than find jobs for the immigrants; they helped with remittances,

legal help when needed, and advancing transportation expenses21

.

On retrouve une description semblable à propos des contractants qui allaient dans les

communautés noires du Sud et qui « colportaient des récits, faisaient des promesses, et

offraient leur assistance » ; alors qu’en réalité ces agents-recruteurs profitaient souvent de

leur position pour faire travailler les migrants plus que convenu, tout en les payant très peu

et en les faisant vivre dans des conditions déplorables22

.

Comme nous l’avons mentionné, le deuxième facteur généralement reconnu dans l’analyse

des élans migratoires est d’ordre sociopolitique : 30 ans après la fin de la guerre de

Sécession, la société profondément raciste – et ce de façon assumée – du Sud des États-

Unis, encourageait, entre autres aspects, les lynchages et la ségrégation raciale légale23

.

« En cela, les migrants peuvent être considérés comme réfugiés politiques. Dans beaucoup

de leurs lettres, il est fait mention de la situation politique et du dégoût qu’ils éprouvent à se

sentir politiquement abandonnés »24

. D’ailleurs, comme le notent Diamond et N’Diaye,

Stephen Tolnay et E.M. Beck ont montré que les départs vers le Nord « étaient les plus

nombreux là où les lynchages étaient les plus fréquents »25

.

En Grèce, le pays était instable politiquement : des réfugiés fuirent les deux guerres entre la

Grèce et la Turquie soit dans un autre pays méditerranéen, soit en Amérique26

; un grand

schisme lié au contexte de la Première Guerre mondiale divisait la population, entre pro-

royalistes et pro-libéraux ; enfin, les guerres balkaniques commencèrent en 1912 et ne

prirent fin qu’en 1923. Sur ce dernier point, il peut être intéressant de noter que l’État grec

21 Leara D. Rhodes, The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, p. 110. 22 Charles Simmons, The African American Press, p. 35. L’un des padroni les plus connus de l’histoire

grecque en Amérique était Leonidas G. Skliris, le « Tzar des grecs », nommé ainsi car « bien que survenant

dans un contexte résolument américain, de par sa position Skliris ne ressemblait à rien de plus qu’un despote

ottoman ». Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 14. 23 C’est suite à la fameuse affaire Plessy vs. Ferguson (1896) que fut reconnue la constitutionnalité du concept

« separate but equal » dans le domaine public. 24 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 144. 25 Tolnay et Beck, « Racial Violence and Black Migration in the American South, 1910-1930 », dans

American Sociological Review, 57, pp. 103-116. Cité par Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de

Chicago, p. 144. 26 La première guerre gréco-turque est aussi appelée la « guerre de Trente Jours », opposant le Royaume de Grèce et l’Empire Ottoman et déclenchée par une révolte sur l’île de Crète. La seconde guerre, de 1919 à

1922 et résultant en un échange de population entre les deux pays, fut aussi à l’origine d’un mouvement

migratoire de réfugiés.

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savait bien que la communauté grecque des États-Unis suivait les événements de près, et un

orateur fut envoyé pour leur demander de venir en renfort. Ce fut un succès puisque

beaucoup partirent combattre aux côtés des leurs ; mais ils retournèrent aux États-Unis pour

reprendre leur emploi par la suite – une indication qu’ils se sentaient déjà davantage ancrés

dans leur pays d’accueil27

. Plus important encore est le fait qu’ils revinrent en Amérique en

amenant leurs femmes et éventuellement leurs enfants avec eux. C’est alors que virent

vraiment le jour des communautés grecques dont la vie gravitait autour de l’Église

Orthodoxe grecque : les circonstances changèrent, et il fut désormais question de

reproduction dans le pays.

Le troisième facteur que je qualifierai ici d’« imaginaire » traite de ce qui relève du monde

rêvé des migrants – rêves personnels mais partageant souvent des caractères communs à

ceux des autres, résultant ainsi en un large rêve collectif. En effet les lettres envoyées par

les proches ayant eux-mêmes déjà migré jouèrent un rôle important – l’un des plus

importants pour Charles Simmons et Charles Moskos28

– dans cette entrevue d’un monde

meilleur, et ainsi d’autant plus accessible du fait de la proximité des personnes écrivant ces

récits. Dans ces lettres, les migrants racontaient à leurs familles et amis la façon dont ils

gagnaient de l’argent, leur vie de tous les jours, et bien souvent ils les poussaient à faire de

même et à les rejoindre. L’aspect personnel joignit l’aspect communautaire lorsque les

migrants envoyèrent des lettres ailleurs qu’aux proches : aux journaux par exemple. Le

Chicago Defender, journal de référence pour les Noirs Américains du Sud désireux de

déménager à Chicago et ailleurs dans le Nord, reçut énormément de lettres demandant des

informations sur la ville, le coût du transport, les services offerts (notamment l’éducation

des enfant)29

… Quant au National Herald, bien que le recueil utilisé soit postérieur à cette

époque, on peut également observer des questions de lecteurs relevant souvent de la vie

quotidienne, présentant un conflit entre l’identité américaine et l’identité ethnique des

Grecs qui demandaient à l’éditeur de les éclairer, lui qui était considéré comme éduqué et

ayant accès à de grandes connaissances dans leur pays d’accueil. Ceci contribuait aussi à

l’établissement d’une communauté imaginaire, produisant un va-et-vient entre la presse et

27 Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The Journey. 28 Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 10. Charles Simmons, The African American Press, p. 35. 29Emmett. J. Scott, “Letters of Negro Migrants of 1916-1918”, in Journal of Negro History, vol. 4, n° 3 (July

1919).

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les migrants eux-mêmes à l’échelle individuelle, un flot d’informations circulant et

entretenant cet imaginaire – ce rêve formé par et pour les migrants.

C’est donc sur ce dernier point que l’étude se concentrera, les journaux tenant une grande

part dans ce processus. Les facteurs économiques, sociaux et politiques sont bien

évidemment très informatifs ; mais toutes ces raisons ne peuvent vraiment rendre compte

du discours s’adressant aux migrants, pourtant important lui aussi en ce qu’il créa ou du

moins entretint l’idée du rêve. Bien que cette présente étude traite avant tout du rôle des

journaux une fois les migrants arrivés à destination, et moins du processus migratoire lui-

même comme souhaitât l’évaluer Alan DeSantis, c’est ce qu’explique l’auteur dans son

article :

Literature dealing with this exodus is dominated primarily by economic determinism and

socio-emotional explanations. While both explanations supply valuable insights, both

neglect the role of rhetorical discourse in constructing social reality30

.

However, for such experiences to be mobilized into action, African Americans had to

understand the omnipresence and the intransigence of their oppression and they had to

see a way to deliverance. Rhetorical discourse […] created the ideas, images, and

narratives through which southern blacks constructed alternative dreams […]31

.

Ainsi d’une part, les lettres des migrants envoyées de façon intime contribuèrent à

l’élaboration d’un imaginaire personnel ; les lettres et articles publiés dans les journaux

ethniques, d’autre part, légitimèrent cet imaginaire dans un espace collectif et

enveloppèrent tous ces rêves personnels d’un manteau homogénéisant, produisant un rêve

commun à tous.

Pour continuer sur la rhétorique et ce qui relève du « mythique », il peut être intéressant et

utile de noter que la communauté noire, bien qu’étant reléguée aux marges de la société

américaine, appartenait et appartient toujours bel et bien à la société américaine : leur façon

de pensée fut autant formée par leur identité ethnique que par la société américaine globale,

que les deux soient en conflit ou non – en effet quel que soit le rapport, positif ou négatif,

ce rapport existe entre les deux néanmoins. Ceci est d’autant plus vrai pour les générations

de Noirs de cette époque nés aux États-Unis, contrairement à leurs ancêtres fraîchement

30Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 474. 31Ibid., p. 476.

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arrivés enchaînés depuis leur continent africain : l’imaginaire africain-américain est,

comme son nom l’indique, compris dans la plus englobante société américaine. Ainsi le

concept de « pick up one’s root and move » lié à l’expansion des États-Unis est allié à

l’épisode de l’Exode hors d’Égypte comme souvent relaté dans la religion chrétienne – de

surcroît dans l’Église noire dans les années de la Grande Migration, l’analogie étant

tentante. Les deux aspects créèrent, à eux deux, une mémoire collective au sein de laquelle

l’imaginaire africain-américain s’est immanquablement construit, tout du moins en partie.

Bien qu’étant d’un continent différent, les Grecs croyaient également qu’ils devaient

d’abord compter sur eux-mêmes (le concept de « self-reliance ») et, en ceci, ils étaient ainsi

relativement proches de l’idéologie américaine, dérivant parfois d’une méfiance vis-à-vis

de l’État et des politiques (d’où, entre autres, leur propension à l’auto-entreprenariat). Aussi

les Grecs étaient-ils depuis très longtemps un peuple migratoire, comme l’expliquent

Charles Moskos et Eva Sandis :

The world of the Greek peasant at the turn of the century was a desperately poor one.

Whatever the glories of its classical monuments and the beauty of its seas and

mountains, it was a harsh land from which to wrest a living. But, more importantly, the

Greeks of the countryside knew they were poor. They made invidious comparisons with

the small bourgeoisie and the petty government functionaries of their homeland. The

notion of moving to a better place – anticipated in the Greek maritime tradition and

Greek entrepreneurship in the cities of the old Ottoman Empire – was already part of a

common worldview32

.

The tradition of self-reliance and circumvention of government, rather than participation

in it, has been noted frequently. [...] Simon reported that "individualism was the

accepted route to success" [for Greeks in Astoria], and resulted in the ideological demise

of Greek political effort33

.

Un autre aspect à prendre en compte est la vague d’immigration dont faisaient partie les

Grecs dans les années 1910 : ce qu’on appela les « nouveaux immigrants ». Les siècles

précédents, les immigrants venant d’Europe du Nord-Ouest, les « vieux immigrants »,

s’étaient déjà installés dans les grandes villes comme New York et Chicago, et ils

n’accueillirent pas à bras ouverts cette nouvelle vague d’immigration venant d’Europe du

32 Charles C. Moskos, “Greek American Studies”, in The Greek American Community in Transition, Ed. Harry Psomiades; Alice Scourby ,New York: Pella, 1982, p. 37. 33 Eva E. Sandis, “The Greek Population of New York City”, in The Greek American Community in

Transition, p. 89.

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14

Sud-Est, des immigrants qui avaient des pratiques religieuses différentes, qui n’étaient pas

apparentés au groupe anglo-saxon originel. Une stratification au sein-même de la

population immigrante se créa : les vieux immigrants étant plus avantagés que les nouveaux

immigrants, eux-mêmes plus avantagés que les Africains-Américains récemment arrivés du

Sud. Grecs et Africains-Américains, de par leur « nouveauté », firent face à des rejets et des

difficultés d’adaptation à différents niveaux. Concernant les Noirs, une série de décisions

de la cour Suprême progressives passées au XIXe siècle et une ségrégation non légalisée

dans le Nord poussèrent les Noirs du Sud vers le Nord34

. Néanmoins, avec l’accroissement

du nombre de migrants en provenance du Sud et une concurrence accrue pour les emplois

et le logement, les Noirs à Chicago, de même que la résistance des Blancs à les accepter se

retrouvèrent dans la « Black Belt » dans le sud de la ville, dans un « ghetto » noir ainsi

marqué par la ségrégation résidentielle. D’autre part, Stanley Lieberson écrit que de

manière générale : « although black segregation in 1910 had increased over the preceding

decade, their isolation was not as great as that experienced by several of the new European

groups […] »35

. Le quartier grec de Chicago, construit autour de Halsted Street, ne

communiquait pas avec le quartier noir et, bien qu’étant un foyer ethnique fort, avait la

chance d’être situé près de l’institution crée par Jane Addams pour réformer la ville et son

habitat et venir en aide aux plus pauvres:

Chicago’s Greektown [on the near West side at the “Delta”] was adjacent to Hull House,

Jane Addams’ famed settlement project […]. The special attention Jane Addams gave to

Greek immigrants and her espousal of Greek culture did much to buttress the ethnic

pride of the sorely tried Greek immigrants of Chicago36

.

À New York, les deux quartiers noir et grec étaient respectivement Harlem, au nord de

Manhattan, et Astoria, dans le Queens – ce dernier étant bien moindre en concentration que

celui de Chicago, mais il donna néanmoins naissance aux deux plus importants journaux

grecs et à l’Église grecque Orthodoxe d’Amérique37

.

34 Le 13ème amendement en 1865 abolissant l’esclavage ; le 14ème amendement en 1868 donnant des droits

juridiques à tous les hommes, quelle que soit leur race ; et le 16ème amendement en 1870 donnant le droit de

vote aux hommes noirs. 35 Stanley Lieberson, A Piece of the Pie: Blacks and White Immigrants Since 1880, 1980, Berkeley:

University of California Press, pp. 263-264. 36 Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 21. 37 Charles C. Moskos Jr, “Greek American Studies”, in Harry J. Psomiades, Alice Scourby, The Greek

American Community in Transition, New York: Pella, 1982, p. 40.

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15

Ces enclaves n’étaient pas uniquement un pur produit de la discrimination pour autant :

elles étaient aussi des lieux où les migrants pouvaient se « serrer les coudes », s’entraider

entre personnes vivant les mêmes difficultés et partageant les mêmes pratiques culturelles.

Comme l’écrit Andrew Diamond à propos de la « Black Belt » de Chicago : « elle était à la

fois le produit de la ségrégation raciale séparant l’Amérique blanche de l’Amérique noire

(et par-là fabriquant progressivement l’identité racialisée blanche), et un lieu où les

Africains-Américains donnaient du sens à leur vie »38

. Les migrants créèrent ainsi des

institutions et entreprises qui leur serviraient de point de ralliement, et ce afin d’entretenir

une identité et une économie communautaires : églises, associations et entreprises à

caractère plus commercial verraient le jour afin de subvenir aux besoins des migrants et les

aider à s’adapter à leur nouvel environnement urbain ; mais aussi et surtout, des journaux

ethniques furent créés. L’articulation opérant entre ces institutions et les journaux sera un

autre point important de notre analyse.

Les migrants noirs avaient effectivement plus de liberté pour entreprendre que dans le Sud,

où « [t]he white landowner told them what crops to plant and when to plant them, provided

them with tools and living quarters, gave them what few welfare they might expect, and

possessed sole political power »39

. Cependant, ces efforts étaient peu récompensés en

regard des entreprises équivalentes Blanches, puisque d’une part beaucoup de ces migrants

étaient employés dans des entreprises blanches ; d’autre part, beaucoup de ces institutions

ethniques n’avaient pas accès aux ressources nécessaires, les banques ne prêtant pas

facilement aux entrepreneurs noirs par exemple : « [black] businesses were, by white

standards, small, unstable, and underfinanced »40

. C’est bien pour cette raison que

quasiment tous les journaux noirs ayant tenté l’aventure furent de courte durée de vie –

jusqu’au Chicago Defender.

38 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 137. 39 Allan H. Spear, Black Chicago, The Making of a Negro Ghetto 1890-1920, Chicago & London: University

of Chicago p. 225. 40 Ibid, p. 227.

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16

Les Grecs, quant à eux, se tournaient plus vers les ressources de leur propre communauté41

,

un fait d’ailleurs encouragé par leur presse ethnique42

. Aussi, bien que les migrants grecs

vinssent de contrées agricoles qui leur rapportaient peu, contrairement aux Africains-

Américains, ils n’avaient cependant pas été systématiquement opprimés et n’avaient pas un

passé esclavagiste. Ainsi, libres, ils étaient habitués à l’esprit d’entreprenariat – c’est en

tous cas l’argument avancé par un archiviste de Ellis Island, George Tselos, quant à la

prévalence des petites entreprises visibles dans le monde grec des États-Unis au début du

XXe siècle :

I believe that it has a lot to do with the nature of the economy that the Greek immigrants

came from: in the countryside, Greek peasants were, for the most part, small

landowners. They were not servants, they were not tenant farmers: they grew their own

crops – with olives they made olive oil, with grapes they made wine – and they sold

these in a market economy. This experience with the market economy, and being one’s

own economic employer – whether it is on the land or in a small shop – carried over to

their ideals in this country43

.

Quant aux journaux ethniques, certains avaient déjà vu le jour par le passé avec les

premiers immigrants : bien avant la guerre d’indépendance, en 1739, le premier journal

ethnique fut une publication allemande, le Germantown Zeitung, qui passa petit à petit d’un

semestriel à un trimestriel puis à un mensuel. S’en suivit le premier journal africain-

américain, le Freedom’s Journal, fondé par trois africain-américain de New York, vit le

jour le 16 mars 1827, avec pour ferme vocation de représenter et défendre la communauté

noire américaine trop souvent accusée à tort d’être mal-éduquée et violente44

. D’autres

virent le jour : la seconde nationalité à publier fut la Norvège, dans le Wisconsin, en 1847 ;

puis les suédois, les danois, les hollandais et les suisses firent leur apparence dans les

années 1850 et 1860 – tous appartenant donc à la première vague d’immigration d’Europe

du nord-ouest45

. Par la suite quelques journaux de réfugiés italiens, polonais, tchèques et

41 Certes, celles-ci n’étaient pas forcément considérables : beaucoup commençaient donc avec un simple

chariot ambulant pour vendre leurs légumes, par exemple. Alexander Kitroeff, Chapitre I : Immigrants, in The

Journey. 42 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press: A Comparative Analysis”, in Journal

of Ethnic Studies, 7:2 (Summer 1979), p. 65. 43 George Tselos, The Journey: The Greek American Dream, Chapitre I: “Immigrants”. 44 Chapter I, “Too Long Have Others Spoken for Us”, in The Black Press, Soldiers without Swords, dir. Stanley Nelson, 1999, 86 min. 45 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press in Migrant Integration”, in Population Studies,

Vol. 12, No. 1 (July 1958), p. 74.

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hongrois, fuyant les révolutions de 1849, furent également créés au milieu du XIXe siècle

46.

Ce n’est qu’avec le début de la vague massive venant d’Europe du sud-est que fut fondé le

tout premier journal ethnique grec, à Boston, en 1892 : le Neos Kosmos [Nouveau

Monde]47

. Mais en effet, comme l’écrit Jerzy Zubrzycki:

Perhaps the most important single characteristic of the foreign-language press has been

its high mortality. For example, in the U.S.A. between I884 and I920, 3 444 new papers

were started and 3 I86 discontinued. The peak of the development of the foreign-

language press was reached during World War I when approximately I 350 journals

were reported using 36 different languages48

.

Aussi cette époque fut importante au niveau de l’histoire de la presse ethnique, puisque cet

afflux massif de migrants appela de façon plus importante à une presse pour les représenter

et les aider – et ce fut une rupture avec les schémas habituels précédents d’une presse

ethnique à courte durée de vie en raison souvent d’un manque de fonds. En effet la presse

grecque, en ce qui la concerne, connaîtrait sa véritable heure de gloire dans les années

192049

. Les deux journaux qui nous intéressent naquirent à ce moment-là : le Chicago

Defender en 1905, commençant à acquérir une vraie notoriété surtout à partir de 1910 ; et le

National Herald en 1915. Acteurs majeurs de la vie sociale et politique quotidienne de

leurs communautés, ce média de masse que représente la presse quotidienne était d’autant

plus banal et commun à l’époque qu’il est ainsi important pour notre compréhension de

cette période.

Ce furent également les années de gloire de ces deux journaux : le Chicago Defender fut

largement considéré comme un élément moteur et direct de la Grande Migration, et un outil

d’adaptation important à Chicago, à travers l’utilisation d’une rhétorique forte, de bande-

dessinées politisées, l’utilisation de profils de Noirs Américains ayant « réussi » et par ses

nombreuses annonces d’emplois, comme nous le verrons. Le journal a même attiré, de

1919 à 1922, le talent littéraire de Langston Hughes. D’autre part, cette période vit le plus

grand taux de circulation dans la presse ethnique grecque, l’apogée pour le National Herald

46 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 75. 47 Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter 1979, p.46. 48 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 76. 49 Charles C. Moskos Jr, “Greek-American Studies”, p. 44.

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18

survenant en 192050

, qui lui aussi usait sensiblement des mêmes procédés afin d’attirer le

lectorat grec et l’aider à s’adapter à la ville. Dans sa recherche sur la presse ethnique,

Zubrzycki écrit : « [i]n a typical foreign-language newspaper space is allotted among five

major divisions: news of the country of settlement, world news, home-country news, group

life and interests, editorial feature »51

. Nous verrons que ces éléments se retrouvent dans

l’un comme l’autre journal, montrant ainsi les similarités de ces journaux, dont les

communautés sont pourtant rarement rapprochées dans les écrits universitaires, si ce n’est

pour souligner leurs différences.

Cette presse sur laquelle les migrants comptaient créa un sentiment d’appartenance et aida

les migrants à visualiser, à imaginer leur propre communauté au sein de la plus englobante

société américaine. C’est à partir du concept de Benedict Anderson que nous développerons

cette idée : celle de communautés imaginaires52

, qui, selon Anderson, se sont développées

avec la naissance des États-nations, dont les membres ne se sont jamais rencontrés mais qui

partagent une perception horizontale d’eux-mêmes en tant que tout, en tant que camarades

d’un même groupe sans hiérarchie verticale – une perception relayée par la presse

nationale. Ce concept est intéressant ici, car très utile pour la compréhension de l’impact de

la presse sur la réalité sociale des populations – cet outil de masse qu’Anderson qualifie de

« capitalisme imprimé ». En effet la presse eut (et a) une grande influence dans le

développement des schémas culturels, religieux et idéologiques au sein d’une communauté.

Pour notre étude, cette communauté ne sera pas la nation américaine, mais les

communautés ethniques d’immigrés et de migrants dans le Nord-Est du pays ; la presse ne

sera pas la presse nationale, mais bien la presse ethnique, importante pour les communautés

de migrants grecs et noirs qui, d’une part, ne se reconnaissaient pas dans la presse

« standard » nationale, mais qui d’autre part étaient tout de même suffisamment nombreux

pour ne pas tous se connaître, formant ainsi une communauté imaginaire.

Ce concept fut remanié par Arjun Appadurai, qui, au vu de l’essor des nouvelles

technologies, propose une définition allant au-delà des nations pour s’appliquer à des

50 S. Victor Papacosma, “The Greek Press in America”, p. 54. 51 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press”, p. 76. 52 Benedict Anderson, Imagined Communities; Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London

& New York: Verso, 2006 [1983].

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communautés transnationales : les diasporas d’aujourd’hui n’impliquent plus

nécessairement (et ce de moins en moins) une relative rupture de contact avec la mère-

patrie des migrants, créant par-là une dualité (pour ne pas dire pluralité) de sentiments

d’appartenances nationales. Aujourd’hui de nombreuses formes de communication à

l’étranger existent, et les moyens de transports eux-mêmes se sont développés et sont

relativement abordables et faciles d’accès si bien que l’information circule librement et

instantanément, permettant l’illusion d’ « être là-bas sans être là », en quelque sorte. C’est

précisément cette période de transition entre deux ères que représentaient la fin du XIXe

siècle : placé après le temps des aventuriers et des migrants partant refaire leur vie au

Nouveau Monde, signifiant une rupture avec le lieu d’origine, mais placé avant nos temps

contemporains où il est possible de vivre à l’étranger tout en gardant un contact quotidien

avec le lieu d’origine. Cette époque qui vit une évolution de la presse et des médias due à

une forte demande ethnique représentait un entre-deux où les migrants pouvaient garder un

contact différé avec leur mère-patrie, que ce soit via les lettres personnelles ou via un

journal communautaire offrant une vue globale sur la société du pays d’origine. Ainsi

l’identité nationale était perpétuée, bien que le migrant se trouvât très loin

géographiquement.

Enfin, le choix de restreindre la recherche à Chicago et New York découle du fait que

c’étaient les destinations phares de ces deux communautés (et d’autres), avec la plus forte

concentration de migrants noirs américains et grecs, résultant naturellement en la création

des deux journaux ethniques de cette étude53

. Il était également nécessaire de se restreindre

à une même région, les conditions étant bien différentes pour toutes les communautés

ethniques d’un État à l’autre, du nord au sud et d’est en ouest. L’homogénéisation de la

perception des expériences en fonction de l’appartenance raciale ou ethnique est une

pratique dangereuse contre laquelle plusieurs auteurs mettent en garde, comme Kenneth

Kusmer tel que cité par Suzanne Model dans son étude sur les migrants noirs des îles

caribéennes en Amérique du Nord :

All types of conditions existed, from high levels of integration in Boston, New Haven,

and Cleveland to segregated or quasi-segregated facilities in Indianapolis, Gary, and

53 Pour les Grecs, c’est d’ailleurs Chicago qui offrait la concentration géographique la plus élevée d’Amérique

du Nord. Charles Moskos, Greek Americans, p. 21.

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most parts of southern and central Ohio, Indiana, and Illinois. The situation in most

cities lay somewhere between these alternatives, with integration limited by both school

board policies and, increasingly after 1917, by de facto segregation due to the growth of

ghettos54

.

Au niveau déjà restreint de la ville, les conditions sont bien différentes au sein du groupe-

même : le fait d’appeler les groupes de nouveaux arrivants des « immigrants » implique

déjà une homogénéisation de cette catégorie, qui ne rend pas compte de toutes les nuances

que l’on peut y trouver. On parle souvent de la méprise qu’entretenaient les « vieux »

immigrants européens à l’égard des « nouveaux » immigrants, considérés comme mal

éduqués et illettrés ; or un phénomène moins relayé, et dont nous parlerons plus en détail

par la suite ici, est la discrimination au sein des mêmes communautés ethniques. En effet

une partie des Noirs nés et installés dans l’Illinois préalablement à ceux émigrant du sud

avaient accédé à des statuts plus élevés et constituaient une couche de classe moyenne qui

pratiquaient l’entre-soi – dont Abbott, l’éditeur et fondateur du Chicago Defender, faisait

d’ailleurs partie55

. La même méfiance pouvait s’observer de la part des migrants grecs qui

étaient venus avant la grande vague de migration et qui avaient déjà commencé et

développé leurs entreprises, relativement peu nombreux et donc également mieux

intégrés56

. Les uns comme les autres avaient honte de voir arriver autant d’autres migrants

en masse – du Sud et de Grèce – et là aussi, les journaux (généralement tenus par des

immigrants éduqués, des « élites ») jouèrent un rôle dans l’éducation de ces migrants aux

façons de faire considérées comme acceptables et de bon ton dans le Nord américain. Ainsi,

les journaux ethniques ne furent pas simplement des vecteurs d’une culture, mais bien

d’une culture de classe moyenne, opérant du haut vers le bas comme partout ailleurs.

Quant au caractère comparatif de cette étude, le but principal était de rapprocher deux

communautés qui sont rarement étudiées ensemble. La littérature existante traite

54 Kenneth L. Kusmer, “The Black Urban Experience in American History”, in The State of Afro-American

History: Past, Present and Future, ed. Darlene Clark Hine, Baton Rouge: Louisiana State University Press,

1986, pp. 99-100. Cité par Suzanne Model, “The Secret of West Indian Success”, in Society, Vol. 45 (Nov.

2008), Issue 6, pp. 544-548. 55

Brian Carroll, “From Fraternity to Fracture: Black Press Coverage of and Involvement in Negro League

Baseball in the 1920s”, in American Journalism, 23 (2), 2006, p. 74. 56 Yiorgos Anagnostou, “Forget the Past, Remember the Ancestors! Modernity, “Whiteness,” American Hellenism, and the Politics of Memory in Early Greek America”, in Journal of Modern Greek Studies, Vol.

22, No. 1 (May 2004), p.55. Wallace D. Best, Passionately Human, No Less Divine: Religion and Culture in

Black Chicago, 1915-1952, Princeton and Oxfordshire: Princeton University Press, 2005, pp. 35-39.

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généralement ces deux sujets de façon séparée et monographique57

, ou bien l’un ou l’autre

en comparaison avec les autres communautés migrantes européennes en tant que tout58

, ou

encore du rôle de la diaspora aux États-Unis en relation avec le pays d’origine59

... Bien

évidemment, l’arrivée dans les grandes villes étatsuniennes de ces deux communautés

diffère grandement par leur nature – les uns amenés contre leur gré en tant qu’esclaves dès

le XVIIe siècle, les autres en tant qu’hommes libres réfugiés politiques à partir du début du

XIXe siècle

60 ; seulement, comme nous l’avons vu avec les histoires de ces populations au

début du XXe siècle, on peut constater que les développement d’un phénomène ne sont pas

nécessairement synthétisables à son origine. L’Histoire étant un tissu discontinu et à qui

nous seuls donnons un sens avec notre rétrospective, aussi l’Histoire peut-elle avoir

plusieurs sens selon les paramètres que nous choisissons pour une telle rétrospective.

Cette étude justifie donc sa nature comparative, premièrement, pour contrer un certain

courant de sociologues et historiens réfutant toute tentative de comparaison entre les

communautés noires et européennes61

, eux qui « insistaient sur la singularité de

l’expérience noire, qu’il n’était pas possible d’assimiler aux autres expériences historiques

des groupes migrants venus d’Europe en raison de la ségrégation raciale »62

. Une telle

position ne laisse pas de place à la nuance, et favorise une lecture binaire des événements

en soulignant un peu plus certaines particularités et en en ignorant d’autres. En effet, Allan

Spear écrivait: « [u]nlike the Irish, Poles, Jews, or Italians, [blacks] banded together not to

enjoy a common linguistic, cultural, and religious tradition, but because a systematic

pattern of discrimination left them no alternative »63

. Bien qu’il y ait assurément une grande

part de vérité dans cette description, cela laisse le lecteur imaginer, d’une part, que les

immigrants européens ont tous vécu une expérience similaire et n’ont pas connu de

discrimination, et d’autre part que la communauté noire subissait seulement une ségrégation

sociale. Une telle conception prive la communauté noire d’un statut d’acteur, en la

57 Voir les écrits de Stephen Robertson, Taylor Duhran, Wallace D. Best, Allan H. Spear ; et Giorgos

Anagnostou, S. Victor Papacosma, Charles Moskos, J.P. Xenides… 58 Voir les écrits de Stewart E. Tolney, Charles Jaret, Stanley Lieberson, Elliott Robert Barkan… 59

Voir les écrits de George Kaloudis, Carole Marks, Theodore Saloutos, Ioanna Laliotou… 60 Frederick Binder; David M. Reimers. All the Nations Under Heaven, p. 105. 61 Notamment Allan H. Spear dans Black Chicago, et Horace Cayton et St. Clair Drake dans Black Metropolis: A Study of a Negro Life in a Northern City, Chicago: University of Chicago Press, 1945. 62 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 132. 63 Allan H. Spear, Black Chicago, p. 228.

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reléguant au simple statut de victime de l’Histoire. De la même façon que les Grecs avaient

peut-être d’autres raisons que de simples affinités culturelles pour créer des enclaves

ethniques – Greektown à Chicago, et le quartier d’Astoria, dans le Queens, à New York –

aussi les Africains-Américains avaient-ils d’autres motivations que la ségrégation raciale

pour créer leurs propres enclaves – la « Black Belt » et le « Bright Lights District » à

Chicago, et Harlem à New York. Bien évidemment, leurs histoires ne sont pas

interchangeables ; mais il est dangereux parfois d’attacher plus d’importance aux

différences qu’aux similitudes, de creuser les écarts par l’ignorance quelque peu

intentionnelle de certains faits, créant par là une perception généralisante et non nuancée

qui, à force de répétition, devient acceptée comme étant la vraie et unique possibilité de lire

l’Histoire.

Plus récemment, d’autres chercheurs ont tout de même souhaité mettre ces deux

communautés en comparaison, comme ici Stanley Lieberson dont la motivation est de

découvrir pourquoi les immigrants européens ont-ils « réussi » aujourd’hui dans la société

américaine plus que les Africains-Américains. Cette expression est employée par Lieberson

sans réelle définition64

, mais au vu de la recherche de l’auteur nous pouvons raffiner la

portée de ce terme comme concernant les thèmes de l’éducation, le statut d’occupation, le

salaire et la représentation et l’influence politiques. Toutefois le champ d’étude que

s’assigne l’auteur est particulièrement vaste – un terrain aussi étendu que les États-Unis

présente des expériences bien différentes selon les régions et ne permet pas la

généralisation, comme nous l’avons déjà mentionné; l’auteur traite également de beaucoup

de domaines différents à la fois : éducation, représentation et participation politique,

ségrégation spatiale, politique étrangère, institutions publiques et associations… et

beaucoup de généralisations sont tirées à partir de faits particuliers. C’est le cas notamment

dans le chapitre traitant de la relation des nouveaux immigrants européens avec le

gouvernement : son étude de la communauté italienne, « Italians » p.78, résulte directement

en « [q]uelques généralisations basées sur l’expérience italienne » p.81. Dans ce chapitre

sur les nouveaux européens, seuls les Italiens, Juifs et Polonais sont en fait étudiés en

profondeur.

64 “It is clear that the new Europeans have “made it” to a degree far in excess of that which would have been

expected or predicted at the time of their arrival here.” Stanley Lieberson, A Piece of the Pie: Blacks and

White Immigrants Since 1880, Berkeley: University of California Press, 1980, p. 2.

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Il est en effet très commun de traiter des nouveaux immigrants européens – et notons qu’il

en va de même pour les anciens immigrants européens, bien que ce ne soit pas notre sujet

ici – en tant que groupe homogène. Il est pourtant gênant de voir que différents pays soient

considérés selon le même critère unique : celui de venir du même continent. Au mieux,

comme le fait Lieberson – mais il est loin d’être le seul à le faire – certaines nationalités

sont mises en avant, qui sont souvent, comme ici, les Italiens et les Juifs, qui sont alors

considérés comme ayant eu le plus d’impact sur la société américaine. Mais n’est-ce pas

une vue biaisée qui change tout à fait le résultat que l’on tente de démontrer, que de prendre

les communautés les plus influentes pour démontrer l’influence de toutes les communautés

européennes ? Autrement dit si l’échantillonnage est réalisé de façon partiale dès le départ,

les résultats de l’enquête seront naturellement faussés.

Or, toutes les nationalités européennes sont loin d’avoir vécu une expérience similaire. Un

exemple de fausse assomption à partir d’un mauvais échantillonnage est de dire que les

Africains-Américains étaient refusés par les syndicats ouvriers tandis que les « nouveaux »

européens étaient représentés, comme l’attestent les nombreux syndicats créés par des

Italiens notamment. Si l’on se base sur l’expérience italienne, cela laisse penser que tous les

européens étaient représentés syndicalement, contrairement aux Noirs. Pour notre étude, il

sera donc intéressant de préciser que les différences culturelles entre pays européens ont, là

aussi, eu une influence sur les façons de s’organiser des travailleurs : en effet bien que les

Grecs ne subissaient pas le discrimination à hauteur de ce que connaissaient les Noirs, la

différence d’avec les Italiens est que la philosophie grecque était quelque peu plus proche

de l’idée de « self-reliance » américaine comme nous l’avons vu : ainsi les Grecs n’eurent

pas vraiment de présence dans les activités syndicales car ce n’était simplement pas dans

leur façon de faire65

. Ainsi, bien que les causes soient différentes, il en reste que les Grecs

comme les Africains-Américains n’étaient pas représentés syndicalement, ou en tous cas à

moindre mesure que d’autres nationalités européennes.

Ces deux communautés ont ainsi des histoires différentes mais pas opposées. L’aspect

comparatif de cette étude étant désormais clarifié, nous tenterons par la suite d’observer les

65 Charles C. Moskos, Greek Americans, p. 20.

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sphères d’influence des deux journaux ethniques sur leur communauté, qui selon William

L. Joyce tiennent les fonctions suivantes:

(1) Fournir de l’information sur la société d’accueil.

(2) Garder contact avec le pays ou la région d’origine.

(3) Donner des informations sur la communauté ethnique et la phase de transition entre

les deux cultures, entre les deux sociétés.

(4) Interpréter les développements politiques, économiques, sociaux et culturels selon

une perspective particulière.

(5) Articuler les intérêts du groupe ethnique vis-à-vis de la nouvelle société et de

l’ancienne66

.

Deux types de sources primaires ont été utilisés pour cette recherche, dont la plupart furent

disponibles à la bibliothèque de New York University où j’ai passé le premier semestre : les

premières sont les archives des deux journaux mentionnés. Le choix d’articles et de

publicités s’est fait suivant certaines grandes dates communes aux deux journaux (comme

l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 ou des fêtes nationales) ou bien des dates

importantes pour chaque communauté (comme certains lynchages très relayés dans les

médias, des émeutes raciales ou des fêtes ethniques telles que la Pâques grecque

orthodoxe). Afin d’agrémenter ces recherches, quelques articles furent également recueillis

de façon aléatoire. Les sources primaires étaient d’autant plus importantes dans le cas du

National Herald que les sources secondaires le concernant étaient moins nombreuses,

contrairement au Chicago Defender. Enfin, le problème du temps lui-même fut également

une contrainte à prendre en compte, puisque l’accès aux archives sous forme de microfilms

du quotidien grec n’était accessible que sur place à New York University – c’est-à-dire

pour moi jusqu’à décembre 2014. Une cinquantaine de fichiers, pour les deux journaux, ont

pu être scannés et archivés pour utilisation personnelle.

L’autre source primaire principale consiste en deux recueils de lettres de migrants envoyées

à chaque journal ; celui pour le Chicago Defender ayant été mis en forme par Emmet Scott,

celui pour le National Herald par Euthyfronos Ioannidou, et publié par le journal lui-

66 William L. Joyce, Editors and Ethnicity: A History of the Irish American Press, 1848-1883, New York:

Arno Press, 1976, p. 27.

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25

même67

. Il est à noter cependant que, tandis que les lettres du premier recueil datent de la

Grande Migration, les lettres du second datent malheureusement du deuxième semestre de

l’année 1943. On y trouve néanmoins de nombreuses lettres attestant de la centralité du

sujet de bi-nationalisme, d’un besoin de l’adaptation de l’identité ethnique à l’identité

citoyenne ; qui plus est, certaines lettres se réfèrent également aux événements

sociopolitiques du début du XXe siècle qui nous intéresse. Enfin, la littérature concernant

les diasporas grecque-américaine et africaine-américaine, la presse ethnique, et les presses

grecque et noir aux États-Unis furent également d’une grande aide.

La presse ethnique fut un instrument majeur dans l’assimilation des communautés

migrantes fraîchement débarquées dans les villes du Nord des États-Unis, mais aussi et

surtout un instrument de rétention culturelle. Au même titre que les communautés qu’ils

représentaient, le Chicago Defender et le National Herald étaient-ils alors si différents ? À

travers une analyse comparative de ces deux journaux, nous tenterons de déterminer les

procédés et buts communs et différents aux deux, nous renseignant ainsi sur leur nature.

Cette étude débutera chronologiquement : par l’origine des deux journaux, en posant les

bases de la motivation de leurs fondateurs derrière leur création et la façon dont ils furent

financés ; nous nous attacherons ensuite à l’articulation entretenue entre cette institution de

la presse ethnique et les autres institutions migrantes et ethniques de cette époque, en tant

qu’éléments d’intégration ou la rétention culturelle ; puis nous tenterons d’évaluer les

enjeux sous-jacents à de tels procédés, tels que des questions de classes sociales ou

d’allégeance nationale, avant de terminer sur l’œuvre de Benedict Anderson avec laquelle

nous déterminerons la capacité de création de « communautés imaginaires » de la part de la

presse.

67 Emmett. J. Scott, “Letters of Negro Migrants of 1916-1918”, in Journal of Negro History, vol. 4, n° 3 (July

1919). Ioannidou, Euthyfronos G. Το Ελεύθερον Βήμα [The Free Tribune], New York : The National Herald,

April 1944.

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26

PARTIE I:

CONSTRUCTION D’UN EMPIRE DANS UN EMPIRE

Chapitre 1 : Les fondateurs

Nous ne sommes jamais mieux servis que par nous-mêmes. Ce pourrait être en tous cas

l’une des raisons du succès des journaux tels que The Chicago Defender et The National

Herald en ce qui concerne les communautés migrantes noires et grecques de Chicago et

New York City: tous deux furent fondés par des migrants. Qui de mieux pour apprécier les

conditions de vie et connaître les besoins des nouveaux migrants que des personnes ayant

partagé cette expérience auparavant ?

Le fondateur et éditeur du Chicago Defender était Robert Sengstacke Abbott, né le 24

novembre 1870 à Frederica sur St Simons Island, une enclave ethnique noire juste en

dehors de Savannah, en Géorgie68

. Cette île fut un centre de production de coton réputé

durant l’ère des plantations cotonnières jusqu’à la guerre de Sécession, ainsi les Africains-

Américains étaient très présents, comme dans le reste des États esclavagistes ; des cultures

de riz existaient également le long de la rivière Altamaha69

. La ville de Savannah quant à

elle était historiquement une ville portuaire bien développée, et très peuplée – et donc

stratégique en temps de guerre – aussi était-elle une zone de choix commercialement

parlant pour les immigrants européens.

Ses deux parents étaient d’anciens esclaves ; son père mourut lorsqu’il avait un an. Sa mère

épousa John Sengstacke, dont le père était un riche marchand Allemand qui avait acheté la

liberté d’une esclave africaine-américaine avant de l’épouser. John Sengstacke avait été

68

Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and

the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 477.

Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A. Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, p. 31. 69 “St. Simons Island History”, site web officiel de l’île,

<http://www.explorestsimonsisland.com/St_Simons_History.html>, extrait le 15 mars 2015.

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27

envoyé faire son éducation en Allemagne, puis il revint aux États-Unis en 1869, où il

rencontra la mère d’Abbott, une de ses employées – qui parlait allemand de par ses diverses

expériences de travail dans des commerces de la ville tenus par des immigrants

allemands70

. Ils déménagèrent à Woodville en 187671

.

Issu d’une famille où l’éducation était importante et les dictats sociaux importaient guère,

John Sengstacke avait la fibre d’un entrepreneur et était polyvalent – c’était le curé,

l’éducateur et le « sage » de la ville72

– et fut source d’inspiration pour son fils adoptif :

« [he] pursued careers in education, the clergy, and journalism. In the latter role Sengstacke

became editor of the Woodville Times, a black community weekly newspaper that served

Savannah-area residents. Abbott’s admiration for his stepfather inspired him to add the

name Sengstacke to his own and to attempt to become a publisher in his own right »73

.

Cet environnement familial le poussa à faire des études, et ainsi il partit étudier

l’imprimerie quatre ans au Hampton Institute en Virginie. Comme le note Clint Wilson :

« [H]is experience there included opportunities to hear two charismatic black speakers,

Frederick Douglass and Ida B. Wells, who influenced him to seek a leadership role in the

development of civil rights for black Americans »74

. Son beau-père, puis ses rencontres à

l’université aiguisèrent en effet son envie pour l’entreprise qu’il allait fonder lui-même plus

tard : un journal créé pour promouvoir l’avancement des Noirs Américains et redonner une

voix à cette tranche opprimée de la société étatsunienne. En effet il devint de plus en plus

frustré par la discrimination raciale régnant dans l’industrie de l’imprimerie, et déménagea

à Chicago où il obtint un diplôme de droit au Kent College of Law en 1899, et où il était le

seul étudiant noir de sa classe de 70 élèves75

; « but because of race prejudice in the United

States [he] was unable to practice, despite attempts to establish law offices in Gary,

70 Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender: A Door to the Masses”, in The Michigan

Chronicle, October 10, 1995. 71 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de

Chicago,

<http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>,

extrait le 10 mai 2015.

The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry

Lennix, 2005, 62 min. 72 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p. 477. 73 Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott”, p. 31. 74 Idem. 75 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.

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28

Indiana, Topeka, Kansas, and Chicago, Illinois »76

. Il revint donc pour un temps à

Woodville, puis repartit à Chicago en 1901 à l’âge de 31 ans, cette fois pour fonder le

Chicago Defender, dans cette ville où résidaient alors 30 000 Africains-Américains77

.

Abbott se souciait fondamentalement du bien-être d’autrui, que ce soit à grande échelle

comme par son engagement pour la cause des Africains-Américains ou à l’échelle de sa

famille et entourage qu’il aidait volontiers – qu’ils fussent d’anciens propriétaires

esclavagistes du côté de son père biologique, ou même des parents par alliance en

Allemagne qui, pourtant étaient devenus Nazis78

. Il récompensa également la générosité

d’Henrietta Lee, son ancienne propriétaire qui l’aida durant les premiers temps où Abbott

commençait son journal, en lui achetant plus tard une maison avec huit pièces79

. Il était

aussi franc-maçon, et, notamment dans les dernières années de sa vie, après avoir été frustré

par la discrimination raciale autant au sein de l’Église épiscopale que l’Église

presbytérienne, il devint adepte de la foi Baha’i qu’il jugea plus tolérante et libre de tels

préjugés80

. Cette religion récente ne possède en effet aucun clergé, et est gouvernée par

différents conseils élus, au niveau local et national81

. Il avait assisté à une première

conférence à Chicago sur ce groupe religieux à la Hull House de Jane Addams, où son

fondateur Baha’u’llah (1817-1892) parla en 191282

, puis il assista à d’autres manifestations

en 1924, avant d’y adhérer complètement en 193483

.

Il créa un mensuel, le Abbott’s Monthly, qui ne survécut cependant que de 1930 à 1933 à

cause de la Grande Dépression affectant toutes les ventes à cette période84

. Dans tous les

cas le Chicago Defender était déjà devenu une source de revenus importante pour Abbott

depuis 1918, le propulsant sur la scène des leaders africains-américains de la ville aux côtés

de W.E.B Du Bois et Marcus Garvey. Abbott devint millionnaire en 1929, et bien que la

76 “Robert Sengstacke Abbott”, section “biographies” du site web de PBS,

<http://www.pbs.org/blackpress/news_bios/abbott.html>, extrait le 30 avril 2015. 77Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott”, pp. 31-32. 78 Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender”. 79 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 80 Mark Perry, “Robert S. Abbott and the Chicago Defender”. 81

Site web de la religion ba’hai, <http://www.bahai.org/>, extrait le 14 mai 2015. 82 Idem. 83 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 84 “Abbott’s Monthly: A Magazine That’s Different”, site web du Black Press Research Collective,

<http://blackpressresearchcollective.org/abbotts-monthly-a-different-type-of-magazine/>, extrait le 4 mai

2015. “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.

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29

dépression ait des conséquences négatives sur le journal, il arriva à le maintenir à flots.

Abbott mourut le 29 février 1940 à Chicago de la maladie de Bright (une insuffisance

rénale chronique) et céda le contrôle de son journal à son neveu et héritier, John

Sengstacke85

.

Le fondateur du National Herald grec quant à lui, Pétros Tatanis, était né en 188486

dans la

ville d’Amaliada dans l’Ouest du Péloponnèse (Sud-Ouest de la métropole grecque) ; son

passé familial reste malheureusement méconnu. En revanche, la région et sa ville sont

connues pour avoir été historiquement très ouvertes sur l’extérieur : de par les colonisations

successives Amaliada était à forte influence arabe et albanaise ; comparée aux alentours

montagneux, la région était un pôle d’attraction de par ses plaines fertiles et ainsi les gens

de toutes les régions environnantes qui se retrouvèrent là créèrent leurs églises. La culture

du raisin, des citrons et des olives firent partie de l’économie principale de cet endroit87

. La

ville connut davantage d’exposition à partir de la mise en place d’un chemin de fer reliant

la grande ville de Patras à Pyrgos – Amaliada se trouvant entre les deux. Par ailleurs, la

ville de Patras est jumelée avec Savannah en Géorgie88

.

À partir de 1922, elle fut également un havre pour de nombreux réfugiés d’Asie Mineure –

comme l’ont été les États-Unis pour certains d’entre eux. Cette ville fut en effet fortement

touchée par l’émigration extérieure de ses propres habitants également vers les États-Unis.

L’argent envoyé par les émigrants depuis leur pays d’émigration ainsi qu’à leur retour, et

plus généralement ce va-et-vient de populations régionales contribua au développement

économique et au progrès social de la ville89

.

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, des annexions d’après-guerre et un excédent

naturel firent doubler la population grecque, malgré l’émigration. De grands courants

migratoires, avant les États-Unis, existèrent vers les villes de l’Empire ottoman et

85 “Robert Abbott, Founder of the Chicago Defender”, site web de l’African American Registry,

<http://www.aaregistry.org/historic_events/view/robert-abbott-founder-chicago-defender>, extrait le 22 avril

2015. 86

Bien que cette année ne soit pas sûre : certains articles lui enlèvent ou donnent une ou deux années de plus. 87 “I poli: istoria” [La ville : son histoire], sur le site officiel de la municipalité d’Amaliada,

<http://www.amaliada.gr/Default.aspx?tabid=301&language=en-US>, extrait le 15 mars 2015. 88 Site web Sister Cities International, <http://www.sister-cities.org/interactive-map/Patras,%20Greece>,

extrait le 25 avril 2015. 89 “I poli: istoria” [La ville : son histoire], municipalité d’Amaliada.

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30

l’Égypte90

. Pétros Tatanis appartint à ce courant migratoire, lui qui vécut pendant un temps

en Égypte, avant de venir aux États-Unis en 1905 à l’âge de 21 ans en tant que marchand de

café91. Il était représentant officiel de la grande entreprise des Frères Karakanta spécialisée

dans l’import-export de farine, de pétrole, de tissu et de café, qui avait des projets en cours

avec des pays européens et des colonies comme l'Égypte, l'Arabie et l'Inde, à l'aide de

navires privés92

. Leurs quartiers généraux se trouvaient à New York, à Wall Street, où

Tatanis fut affecté ; ainsi celui-ci prospérait déjà dans son commerce à l’époque où il vint

aux États-Unis, contrairement à beaucoup d’autres immigrants grecs venus par nécessité

économique et/ou pour raisons politiques (notamment les réfugiés d’Asie Mineure).

Tatanis était un grand admirateur du premier ministre grec libéral, Elefthérios Venizélos, et

un membre actif de l'Union Panhellénique d’Amérique, fondée en 1907 pour protéger les

immigrants grecs et renforcer le soutien nationaliste de la Grèce. Tatanis commença son

journal le 2 avril 1915, lequel s’imposa alors rapidement en tant que concurrent important

de l’Atlantis, jusqu’ici le seul grand géant de la presse ethnique grecque. Tatanis dû

cependant vendre le Herald en 1933 à l’industriel du tabac Euripide Kechagia – tout en

restant lui-même au sein du journal jusqu’en 1939 – à cause de la crise économique de

1929 qui l’éprouva financièrement.

Dimitrios Callimachos, éditeur en chef du journal jusqu’en 1942, décrivit Tatanis comme

tel :

Pour apprécier M. Tatanis en tant que puissance motrice d'une institution journalistique,

il faut d’abord imaginer sa personnalité de grand homme d’affaires. […] Ainsi vous

comprendrez pourquoi, dans l'entreprise journalistique du National Herald, d’un point

90 Georges Progoulakis et Eugenia Bournova, « Le monde rural grec, 1830-1912 », in Ruralia, 08 | 2001,

<http://ruralia.revues.org/214>, extrait le 20 mai 2015. 91 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies"

(« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,

<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-

inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015.

“Pos o Petros Tatanis apo tin Amaliada "extise" to 1915 tin megaliteri omogeneiaki ephimerida” (« Comment

Pétros Tatanis d’Amaliada a "construit" en 1915 le plus grand journal diasporique »), in The Best News, le 31

mai 2013, <http://www.thebest.gr/news/index/viewStory/200907>, extrait le 13 mai 2015. 92 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis". Malheureusement, outre ces références à la compagnie dans ces deux pages parmi d’autres, je n’ai pas réussi à trouver plus d’information plus proche d’une source primaire

pour vérifier son existence ailleurs. Sûrement est-ce une compagnie qui n’a pas survécu assez longtemps pour

pouvoir être répertoriée sur Internet et/ou pas assez pertinente pour qu’il existe des livres à son propos.

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31

de vue purement commercial, on retrouve les traces de l’audace et de la vision à grande

échelle américaines93

.

Il le décrivit également comme étant un homme généreux, prêt à investir dès lors qu’il

s’agissait de la Patrie. En tant que rédacteur en chef, Callimachos ne manquait jamais de

moyens pour la bonne exécution et la bonne information du journal. Très engagé

politiquement pour la cause venizéliste, l’influence de Tatanis et celle de son journal se

firent ressentir dans le monde hellénique : l’État grec lui attribua ainsi l’Ordre du Sauveur

pour rendre hommage à sa contribution94

.

Il mourut cependant appauvri, le 27 décembre 1959 à New York d’une crise cardiaque à

l’âge de 75 ans. Sa tombe anonyme ne fut que récemment redécouverte ; l’éditeur actuel du

journal, Antonis Diamataris, fit ériger une pierre tombale à son nom dans le cimetière de

Cedar Grove, à Flushing95

. Le Père Nektarios Papazafiropoulos, de la Cathédrale Saint

Dimitrios à Astoria, New York, parla en ces termes du fondateur du journal à l’occasion du

centième anniversaire de celui-ci en avril dernier96

:

Our hearts are flooded with gratitude and appreciation to our great countryman who had

the wisdom to support free speech, the first freedom enjoyed by man from the first day

he comes to life. The man of blessed memory founded the newspaper because he

believed in these rights and comprehended the necessity of creating the newspaper for

the Diaspora97

.

De fait, Abbott et Tatanis, deux fortes personnalités généreuses et portées par ce en quoi

elles croyaient, firent partie des premiers migrants aux États-Unis avant ou au début de la

première vague massive d’immigration de leurs communautés respectives – Abbott

quelques années avant le début de la Grande Migration, des années 1910 à 1930 ; Tatanis

venant du Péloponnèse, d’où la plupart des grecs viendraient en masse à partir des années

1900 et jusqu’en 1924.

93 Dimitrios Callimachos, album pour les 10 ans du National Herald. Cité par Alexander Kitroeff, “O Petros

Tatanis". 94

Idem. 95 Demetris Tsakas, “Memory of Founding Publisher Tatanis Honored on 100th Anniversary of TNH”, in The

National Herald, 4 avril 2015, <http://www.thenationalherald.com/80722>, extrait le 28 avril 2015. 96 Un élément qui montre à quel point, aujourd’hui encore, la communauté grecque est fortement concentrée

autour – et liée à – l’Église Orthodoxe, et comment tous les aspects culturels de la communauté s’entremêlent. 97 Demetris Tsakas, “Memory of Founding Publisher Tatanis”.

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Deux éléments de la personnalité d’Abbott sont à prendre en compte, puisqu’elles allaient

conditionner son entreprise et donc la nature-même de son journal: Abbott étant lui-même

migrant à Chicago, il fut naturellement enclin à promouvoir Chicago comme étant une

destination de choix pour ses confrères qui enduraient les conditions de vie déplorables du

Sud où sévissait la ségrégation et l’exploitation économique et sociale pour les Noirs . Mais

aussi, bien qu'ayant eu un beau-père plutôt inspirant et éduqué, Abbott ne faisait pas partie

de l'intelligentsia – noire ou blanche – telle qu'elle existait dans le Nord à l'époque :

As Felecia G. Jones observed, “Prior to the establishment of the Defender, the black

newspapers appealed only to black intelligentsia and a few sympathetic whites. The

Defender was the first major newspaper that appealed to the masses”98

.

Ainsi, Abbott fut un auto-entrepreneur de par la création de son journal, et il réussit cette

entreprise à Chicago à la sueur de son front et non pas grâce à un capital financier

important. En revanche, le capital culturel hérité de sa famille et de l'université eu

certainement un impact sur son parcours. Quoi qu'il en soit, conditions favorables ou pas, le

fait est qu'il avait créé l'un des journaux les plus influents de sa génération, et qui plus est le

journal africain-américain le plus influent de toute l'histoire de la presse noire jusqu'alors, et

ce, sans faire appel aux sphères influentes, éduquées et minoritaires de la société noire du

Nord qui ne correspondaient pas à l'expérience noire massive du Sud. Le cas fut différent

pour Tatanis qui eut une somme largement suffisante pour démarrer son journal et en

assurer sa pérennisation et qui faisait déjà partie de l’élite hellène d’Amérique de par son

statut social de riche marchand. Mais Abbott finit par devenir membre de telles

organisations, de l’élite noire de Chicago, et ainsi l’un comme l’autre puiseraient dans cette

autorité sociale que leur conférerait une telle place – une place plus puissante au regard de

la société globale américaine : ils étaient les éditeurs de deux journaux ethniques, certes,

mais deux journaux d’influence majeure et de base financière solide, contrairement à

beaucoup d’autres.

Ainsi ces deux éditeurs étaient plus à même de conseiller d'autres migrants lors de leur

adaptation à ces nouvelles grandes villes – en tous cas, de façon plus persuasive : en effet le

98 Felecia G. Jones, “The Role of the Black Press During the ‘Great Migration’” in Annual Meeting of the

Association for Education in Journalism and Mass Communication, Norman, OK. 3-6 August 1986, p. 11.

Citée par Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners”, p. 477.

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33

même discours venant d’un « nanti » natif du lieu aurait été moins bien entendu99

;

cependant, comme nous le verrons dans le chapitre consacré à l’assimilation des

communautés migrantes, ce sont des catégorisations faciles et pas toujours vraies, et où il

est important d’aller au-delà de ce qui nous est donné de voir en premier plan : en effet ces

journaux ethniques seraient aussi, à un certain point, vecteurs d’assimilation à un habitus de

classe moyenne. Quoi qu’il en soit, ce fut l’histoire de deux migrants ayant réussi dans le

Nord industriel des États-Unis, et ce simple fait en soi est d’importance ; allié aux autres

facteurs de leurs vies respectives, notamment leur ténacité et leur très bon management,

cela résulta en un puissant moyen de communication et de liaison de toute une

communauté.

99 « Nanti » est un terme exagéré, les classes moyennes noires n’ayant pas la même situation que des

« nantis » blancs, de par le racisme ambiant ; l’utilisation de ce terme ici relève purement du démonstratif, et

plus du point de vue de la communauté noire que d’un point de vue global.

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Chapitre 2 : Gestion et financement du journal

Abbott démarra son journal avec un investissement de 25 centimes (l’équivalent d’environ

6,75 dollars aujourd’hui100

), distribuant lui-même 300 copies le premier jour de publication,

le 6 mai 1905101

. Son premier bureau fut l’arrière-cuisine de l’appartement de sa

propriétaire, Henrietta Lee, habitant au 3159 State Street – même la chaise lui était

empruntée102

. Les premières copies consistaient en des pages de 6 colonnes, remplies de

nouvelles locales qu’Abbott avait recueillies lui-même, et de coupures de presse provenant

d’autres journaux103

. Les moyens de l’éditeur se développèrent de façon quasi-

exponentielle grâce à une hausse constante de la demande : tandis que les premières

publications du Chicago Defender étaient de quatre pages, 5 ans plus tard le journal était

composé de 6 pages, puis de 8 en 1915, et enfin il n’aurait pas moins de 16 pages une

décennie plus tard ; le prix d’une copie était de 10 centimes en 1921 (1,3 dollars). Le 10

novembre 1919, la popularité du journal et donc une situation financière le lui permettant,

Abbott acheta une ancienne synagogue et transforma cet immeuble de trois étages, au 3435-

3437 Indiana Avenue, pour y déménager le quartier général de son journal. Il le resterait

jusqu’en 1960104

.

Pétros Tatanis quant à lui, déjà un riche entrepreneur au moment de démarrer son journal,

déposa la somme de 100 000 dollars (2,3 million de dollars aujourd’hui) à la banque afin

d’assurer l’existence de son journal, pour qu’il ne connaisse pas le même sort habituel des

autres journaux ethniques grecs. C’était également un moyen d’assurer le recueil de bonnes

informations, et ce de façon rapide : en effet, il était difficile et cher d’obtenir des

informations outre-mer à l’époque, de courts télégrammes étant virtuellement la seule

100 Selon le calculateur en ligne « Dave Manuel », <http://www.davemanuel.com/inflation-calculator.php>,

extrait le 30 mars 2015. 101 « Chicago Defender, 1905 – », site web Black Past, <http://www.blackpast.org/aah/chicago-defender-

1905>, extrait le 10 février 2015. 102 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de

Chicago,

<http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>,

extrait le 10 mai 2015. 103 « The Chicago Defender », section « Newspapers » du site web de PBS

<http://www.pbs.org/blackpress/news_bios/defender.html>, extrait le 20 mars 2015. 104 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago.

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alternative. Le premier numéro sortit le 2 avril 1915, la copie coûtant 2 centimes (0,45

dollars)105

à sa sortie, et 4 ans plus tard, 3 centimes (0,4 dollars). Les quartiers généraux du

journal se trouvaient au cœur de Manhattan, sur la West 26th Street106

.

Tatanis était très politiquement engagé comme nous l’avons vu : l’un des membres

dirigeants de l’organisation libérale de Venizélos à New York, il était très proche du

premier ministre et de son Parti Libéral à Athènes. Il était également membre de l’Union

Panhellénique composée d’éminents Grecs-Américains et Philhellènes107

– une

organisation que nous mentionnerons dans la partie suivante en même temps que d’autres

associations ethniques grecques. Ainsi, fort d’un éditeur avec de tels moyens financiers et

connexions politiques, le journal démarra sur les chapeaux de roues avec une interview

d’Elefthérios Venizélos. Le Herald affirma ainsi d’entrée de jeu sa position libérale, et

exprima son soutien au premier ministre grec et à sa politique territoriale – communément

appelée la « Grande Idée », c’est-à-dire l’idée d’une expansion territoriale empiétant sur

une partie de la Turquie.

Le National Herald se posa donc rapidement en tant qu’alternative valable, et donc

adversaire féroce, face à son concurrent Atlantis. Avec une circulation de plus de 30 000

copies en 1920108

, cette période représenta un pic de circulation pour les deux journaux

grecs. En effet, cela coïncide avec la période où, après une campagne militaire en Turquie

pour la réalisation de cette « Grande Idée », l’armée grecque fut vaincue en Asie Mineure et

cela provoqua un déplacement de population sans précédent : ce fut donc un épisode qui

tint en haleine la communauté grecque expatriée109

.

105 “Pos o Petros Tatanis apo tin Amaliada "extise" to 1915 tin megaliteri omogeneiaki ephimerida”

(« Comment Pétros Tatanis d’Amaliada a "construit" en 1915 le plus grand journal diasporique »), in The Best

News, le 31 mai 2013, <http://www.thebest.gr/news/index/viewStory/200907>, extrait le 13 mai 2015. 106 Dimitrios Callimachos, album pour les 10 ans du National Herald. Cité par Alexander Kitroeff, “O Petros

Tatanis". 107 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies"

(« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,

<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-

inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015. 108 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in

American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 109 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis".

Page 36: Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

36

Contrairement au succès immédiat du National Herald, pour sa part le Chicago Defender

connut un début lent, mais « [w]ithin ten years the Defender was the nation’s leading black

newspaper with an estimated circulation of 230 000 »110

. En effet les ventes n’allèrent

qu’en s’augmentant de façon exponentielle :

Les ventes passèrent de moins de 10 000 en 1910 à 33 000 en 1916, 90 000 en 1917,

125 000 en 1918, et sans doute au-delà des 200 000 exemplaires au début des années

1920. Chaque exemplaire étant souvent lu par plusieurs personnes (des lectures à voix

haute avaient notamment eu lieu dans les salons de coiffure), le Defender avait

certainement un lectorat de plusieurs centaines de milliers de personnes. Il se qualifiait

sans hésiter de « world’s greatest weekly » (« meilleur hebdomadaire du monde »)111

.

Concernant le chiffre de 33 000 lecteurs pour la période de 1916, selon James Grossman le

journal aurait même été lu par au moins 50 000 Africains-Américains chaque semaine112

.

Une telle impulsion à partir de 1910 s’explique en partie par le fait que Robert Abbott

décida d’engager J. Hockley Smiley, imitant la presse sensationnaliste appelée « yellow

journalism », telle que représentée localement par le Chicago Tribune notamment. Ce style

de journalisme avait commencé de voir le jour une dizaine d’années plus tôt, et consistait à

user de titres et images sensationnelles pour attirer le lecteur, plutôt que de compter sur des

articles se voulant objectifs et bien renseignés113

. Dans le cas du Defender, cela consistait

principalement en des titres et photographies saisissantes de lynchages dans le Sud, et en

des éditoriaux militants condamnant le système ségrégationniste des États sudistes en

particulier114

. Il est à noter que le titre du Defender, tout autant que le style « yellow

journalism » et sa propre dénomination de « World’s Greatest Weekly » rappelle fortement

le Chicago Tribune, créé en 1847 et s’étant proclamé le « World’s Greatest Newspaper » à

la même période115

.

110 Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A.

Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32. 111 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, p. 150. 112 James R. Grossman, Land of Hope: Chicago, Black Southerners, and the Great Migration, Chicago:

University of Chicago press, 1991, p. 79. Cité par Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to

Black Southerners: The Chicago Defender and the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of

Communications, 62(4) (Fall 1998), p. 477. 113 “Yellow Journalism”, sur le site du département d’État américain, <

https://history.state.gov/milestones/1866-1898/yellow-journalism >, extrait le 30 mai 2015. 114 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 149. 115 “Chicago Tribune”, site web Encyclopedia of Chicago,

<http://www.encyclopedia.chicagohistory.org/pages/275.html>, extrait le 3 février 2015. Il est cependant

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37

Charles Simmons écrit à propos du Defender : « [t]he more militant the newspaper was, the

more it was accepted by readers »: en effet, l’augmentation de la circulation du journal à

partir de ce moment le confirme116

. Cette façon de faire fut bien sûr critiquée d’un point de

vue éthique : ce fut un tournant majeur dans la façon dont le journalisme était géré dans la

presse noire américaine. Mais Abbott lui-même ne s’en cachait pas : « I tell the truth if I

can get it, but if I can’t get the facts, I read between the lines and tell what I know to be

facts even though the reports say differently »117

. Néanmoins, cela lui valut d’avoir la plus

longue espérance de vie et le lectorat le plus fidèle dans l’histoire de la presse africaine-

américaine, ainsi qu’une crédibilité qu’aucun autre journal de cette catégorie n’avait pu

préalablement atteindre118

. Par ailleurs, nous verrons en dernière partie que malgré cet

apparent sensationnalisme, les informations n’étaient pas sans intérêt ou sans objectivité

essentielle.

Robert Abbott était un excellent entrepreneur – la popularité fulgurante de son journal le

rendit bientôt millionnaire – et il considérait son travail avec beaucoup de sérieux119

. Il

gérait son journal avec minutie, étudiait son positionnement national, et recevait des

rapports de représentants locaux du journal ; d’un autre côté il ne négligea jamais la

publicité, grand moteur financier de son entreprise120

. Mais également, comme cela fut déjà

mentionné, Abbott acquit une certaine stature au sein de la bonne société noire de Chicago

grâce à sa réussite : il devint lié avec des patrons de banque tels que Jesse Binga de Binga

State Bank, mais aussi des patrons de compagnie d’assurance, des membres du conseil

municipal, et des propriétaires de ligues noires de baseball121

. On peut noter ici qu’il

utilisait régulièrement ces équipes de sport noires, lorsqu’elles allaient jouer dans les États

sudistes, pour transporter son journal dans ces régions afin d’éviter les décrets

difficile de connaître qui l’a proclamé en premier, les dates n’étant pas précises quant à ce fait – un travail

d’archivage serait nécessaire ici. 116 Charles A. Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-

1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 26. 117 Lawrence D. Hogan, A Black National News Service: The Associated Negro Press and Claude Barnett,

1919 – 1945, Rutherford, New Jersey: Fairleigh Dickinson University Press, 1984, p. 49. Cité par Charles A.

Simmons, The African American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-1965, Jefferson:

McFarland & Company, 1998, p. 30. 118 Charles A. Simmons, The African American Press, p. 26. 119 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 120 Andrew Diamond, Pap Ndiaye. Histoire de Chicago, pp. 154-155. 121 The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry

Lennix, 2005, 62 min.

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38

d’interdiction établis contre celui-ci ; il faisait de même avec les employés de la compagnie

Pullman122

. Plus que de simples connaissances, Abbott lui-même fut un directeur du comité

de la Binga State Bank pour un temps123

. Et, bien sûr, Abbott tira parti de ce nouveau

réseau pour le profit de son journal, tout bon entrepreneur qu’il était :

D’une part, Abbott mettait à profit son carnet d’adresses, puisqu’il connaissait

personnellement certains dirigeants des grandes firmes de Chicago, qu’il croisait à la

Chicago Urban League. Il leur envoyait des brochures vantant la diffusion du Defender

et son succès « bien mérité ». D’autre part, du matériel publicitaire était distribué à la

population, comme ces petites brochures intitulées A Bit About Chicago et présentant la

ville sous un angle touristique, en mettant en relief le quartier de State Street, au cœur de

la Black Belt […]124

.

En 1934 Abbott engagea son neveu John H. H. Sengstacke, dont il avait financé les études

à Hampton University, en tant que vice-président et trésorier du journal, avant de le

promouvoir au poste de directeur général l’année suivante125

. Le rédacteur en chef du

National Herald quant à lui fut Dimitrios Callimachos, du début du journal jusqu’en 1942 :

né en Turquie, il étudia à Istanbul, Izmir (en Asie Mineure – Turquie) et Athènes.

Théologien et prêtre, il avait également une longue expérience en tant que journaliste avant

son arrivée à New York en 1914126

.

Bien que Pétros Tatanis eut dès le départ les ressources financières suffisantes au

démarrage de son journal, contrairement à Abbott qui construisit son empire sur le long

terme, tous deux réussirent à mettre à profit les thématiques relatives à leur communauté et

leur tenant le plus à cœur : tandis que le premier se focalisa sur la condition déplorable des

Noirs notamment dans le Sud, recevant ainsi un grand écho dans cette communauté

persécutée, le second se focalisa sur la voix libérale du schisme politique grec, n’ayant

jusqu’alors pas de représentation dans la presse ethnique grecque aux États-Unis face à

l’Atlantis. Abbott et Tatanis se firent donc chacun les représentants d’une communauté

qu’ils estimaient sous-représentée par les médias existants, et méritant de se faire entendre.

122 Idem. 123

Brian Carroll, “From Fraternity to Fracture: Black Press Coverage of and Involvement in Negro League

Baseball in the 1920s”, in American Journalism, 23 (2), 2006, p. 74. 124 Andrew Diamond, Pap Ndiaye. Histoire de Chicago, Paris, pp. 154-155. 125 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, Université de Chicago. 126 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940”, in Elliott Robert Barkan, Immigrants in

American History, p. 51.

Page 39: Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

39

Chapitre 3 : Motivations politiques

Après avoir établi les biographies respectives des fondateurs des deux journaux, il nous est

à présent plus compréhensible de comprendre les motivations, avant tout politiques, de leur

entreprise. Tandis que Robert Abbott fut entraîné par son indignation quant à la grande

différence de traitement entre Blancs et Noirs dont il avait fait l’observation et l’expérience

durant sa vie, et souhaitait donc ajouter sa pierre à l’édifice dans la lutte contre la

ségrégation, Pétros Tatanis, quant à lui était motivé par son fort soutien à la politique

libérale du premier ministre grec Elefthérios Venizélos – vision libérale dont la

représentation dans la presse était quasi-inexistante, face au monopole de l’Atlantis pro-

monarchie. Les noms respectifs de ces deux journaux reflètent bien les motivations de

chacun : Abbott choisit le nom de « Defender » car cela représentait son engagement à

défendre la race noire contre le système économique et politique discriminatoire

américain127

; le National Herald, pour sa part, avait tout emprunté au journal du premier

ministre grec lui-même à Hania, en Crète, appelé le Kyrix [le Messager]: le nom, le logo et

même la police d’écriture étaient similaires à ce journal128

. Le mot « National » fut rajouté

pour indiquer que le journal n’était pas destiné qu’aux Grecs de New York, mais bien aux

Grecs du pays entier129

.

La naissance du National Herald est directement liée au grand schisme politique grec de

l’époque, opposant libéraux et monarchistes (voir annexe 1). Comme nous l’avons

mentionné, Pétros Tatanis était membre de l’Union Panhellénique, et celle-ci montra très

vite son soutien à la politique libérale de Venizélos. Or le seul autre journal grec de grande

envergure à l’époque était l’Atlantis, un quotidien fondé en 1894 par les frères Solon et

127 Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A.

Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32.

128 “The Greek National Herald Turns 100!”, Greek News Agenda, communiqué du 7 avril 2015,

<http://www.greeknewsagenda.gr/2015/04/the-greek-national-heralds-turns-100.html> extrait le 29 avril

2015. 129 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies" (« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,

<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-

inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015.

Page 40: Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

40

Demetrius Vlastos, avec une position conservatrice puisqu’ils soutenaient donc le roi

Constantin lors du schisme national politique. Plus le clivage se creusait, plus le besoin

d’une alternative pro-venizéliste se faisait ressentir, la voix de l’Union Panhellénique

n’étant pas suffisamment forte à elle seule130

. Ainsi Pétro Tatanis, à son arrivée à New

York, décida de rétablir l’équilibre en créant son journal en soutien de Venizélos : dès sa

première parution le 2 avril 1915, le journal publia une entrevue avec le premier ministre en

première page. Ce fut le début d’une longue opposition publique constante entre ces deux

journaux grecs importants, qui en 1926 se partageraient 70 000 lecteurs131

.

L’initiative de Tatanis fut en effet un très bon coup politique autant qu’économique,

puisque la politique en Grèce était l’un des sujets de conversation principaux ;

naturellement, les Grecs d’Amérique n’échappaient pas à la règle : « no restaurateur or

coffeehouse proprietor could expect to preserve his Greek clientele without a steady supply

of the latest papers »132

, écrit Papacosma. La politique s’insinuait jusque dans l’Église

Orthodoxe, elle-même en proie aux divisions politiques133

. Ainsi la priorité de la presse

ethnique grecque aux États-Unis suivit cette tendance, et les Unes du National Herald

confirment l’utilisation de ce schisme en tant qu’information principale – au même titre que

les lynchages d’Africains-Américains dans le Sud constituaient les principales Unes du

Chicago Defender (voir annexes 2 et 2 bis).

Alexander Kitroeff décrit également un épisode heureux dans l’histoire du journal (et pour

Pétros Tatanis, lui-même admirateur du premier ministre), à savoir la visite de Venizélos

lui-même au quartier général du journal grec-américain – une démonstration de la

légitimisation par le Parti Libéral du journal, et de la connivence existant entre les deux :

« Tatanis faisait partie des Grecs-Américains proéminents qui accueillirent officiellement

l'arrivée de Venizélos à New York en Octobre 1921. Ce fut une magnifique réception

130

Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis". 131 S. Victor Papacosma, "The Greek Press in America", Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter

1979, p. 54. 132 Ibid., p. 45. 133 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in

American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013.

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41

d'environ 10 000 expatriés qui inondèrent le port de New York pour saluer l'arrivée du chef

de file national […] »134

.

Le Chicago Defender quant à lui, avait une mission décrite comme telle dans l’American

National Biography :

The Defender was a fearless champion for the cause of racial equality for African

Americans. Abbott enumerated his policies as the elimination of racial prejudice in the

United States, the opening of trade union membership to blacks, black representation in

the president’s cabinet, equal employment opportunities for blacks in the public and

private sectors, and black employment in all police forces nationally. He also sought the

elimination of all school segregation and the passage of federal civil rights legislation to

protect against breakdown in desegregation laws at the state level as well as to extend

full voting rights to all Americans135

.

En effet le « Defender n’était pas un journal conciliant dans l’esprit de la NAACP, mais un

journal populaire, vindicatif, animé par un esprit de croisade »136

; et cela marchait bien : il

était extrêmement populaire dans le Sud, où « le samedi était le jour du Defender » selon le

sociologue Charles Johnson.137

En effet le Defender visait autant les Noirs de Chicago que

les Noirs opprimés des régions du Sud ; lorsqu’il remarque une vague de migration du Sud

au Nord se créer, le journal encouragea le phénomène activement. Il ne l’initia pas

cependant :

[Jusqu’alors Abbott] estimait que les Noirs du Sud devaient améliorer leur sort dans leur

région natale, et qu’il ne fallait pas abandonner le terrain aux partisans de la violence et

du Ku Klux Klan, qui renaquit de ses cendres en 1915. Il s’inquiétait aussi des

conséquences d’un afflux à Chicago de migrants noirs mal adaptés à la vie urbaine138

.

Lorsque des emplois dans l’indsutrie s’ouvrirent aux Africains-Américains en 1916,

qu’Abbott s’empara de la tendance. À partir du 2 septembre de cette année, il publia des

offres d’emplois s’adressant directement aux Noirs du Sud, ce qui le « crédibilisa à leurs

yeux et le rendit d’autant plus attirant »139

; le changement de ligne éditoriale fut clairement

déclaré ce jour-là en affichant en Une du journal un simple titre de type biblique : « The

134

Alexander Kitroeff. “O Petros Tatanis". 135 Wilson, Clint C. “Robert Sengstacke Abbott”, pp. 31-32. 136 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, p. 151. 137 Idem. 138 Ibid., pp. 151-152. 139 Idem.

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42

Exodus ». Tandis qu’avant cette campagne, le journal donnait un compte-rendu objectif des

activités de la ville, à partir de 1916 l’activité du journal s’apparenta plus à une campagne

de relations publiques, et Chicago fut présentée comme un Eldorado où tous pouvaient

acquérir un statut décent, contrastant avec leur situation dans le Sud140

. Il n’hésita pas

parfois à gommer les aspects les plus déplaisants de la ville pour renforcer son image de

Terre Promise141

.

Certains voient dans cette campagne un intérêt financier stratégique avant tout, d’autres un

changement idéologique motivé par son souhait essentiel du bien-être des Africains-

Américains ; il y a certainement du vrai dans les deux options ; quoiqu’il en soit, le fait est

que le Chicago Defender fut un énorme catalyseur de ce mouvement et fut un point de

ralliement exceptionnel pour les migrants venus du Sud, parfois sans attaches ni repères

dans le Nord pour ceux qui initiaient le voyage. Mais durant l’été 1919 des émeutes

éclatèrent dans la ville, résultant des tensions entre les populations noires et blanches : en

effet la grosse vague de migration du Sud au Nord dans Chicago provoqua un grand

changement dans la composition de la population – parfois au grand dam des élites noires

de Chicago elles-mêmes, comme nous le verrons142

– qui eut du mal à absorber tout le

monde. Ainsi la campagne de « publicité de Chicago » du journal se nuança à ce moment-

là, cet épisode douloureux altérant quelque peu l’optimisme invétéré d’Abbott au sujet de

Chicago et de sa capacité à absorber les migrants en provenance des ainciens États

esclavagistes143

.

Le rôle rhétorique important du Chicago Defender dans la Grande Migration fut le sujet

d’une étude d’Alan DeSantis dans son article intitulé « Selling the American Dream Myth

to Black Southerners: The Chicago Defender and the Great Migration of 1915-1919 ». Il

souligna la façon dont le journal encouragea la migration à l’aide de trois éléments :

premièrement, il présenta sans équivoque les conditions déplorables que connaissaient les

Africains-Américains dans le Sud ; ensuite il présenta la destination de Chicago comme

140

Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and

the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998), pp. 481-482. 141 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, pp. 151-152. 142 Wallace D. Best, Passionately Human, No Less Divine: Religion and Culture in Black Chicago, 1915-

1952, Princeton and Oxfordshire: Princeton University Press, 2005. 143 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 170.

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43

alternative très attractive à ce Sud bafoué ; enfin il appela ouvertement à l’action via divers

éditoriaux, caricatures ou par la reproduction de lettres de migrants attestant eux-mêmes de

leur satisfaction, redonnant par-là du courage à ceux qui envisageaient de partir144

. À cette

fin, le journal utilisa amplement le mythe du rêve américain pour « motiver les troupes »,

comme l’indique Alan DeSantis :

Because of the power and omnipresence of this myth in U.S. culture, it is impossible for

any citizen to entirely escape the dream. […] The Defender’s use of the recurring themes

of the American Dream, whether intentional or unintentional, is not surprising. After all,

Abbott and his staff were products of the “American” society, a society whose ideas and

character emerged from the tension produced by the dualism of the American Dream

Myth. As sagacious journalists, the Defender’s staff simply used the dominant ideas and

values of their culture to guide their editorial and persuasive decisions145

.

C’est une réalité : la communauté ethnique africaine-américaine fait bel et bien partie de la

société américaine. On attribue souvent à tort le combat du Defender comme un combat

anti-américain, or sa lutte et celle de sa race, encore aujourd’hui, ne sont pas tant une

volonté de dissociation complète que l’expression d’un mécontentement – et à juste titre –

visant à corriger les défauts du système américain. C’est une lutte de l’intérieur, une

critique de la société pour l’améliorer. Quant au National Herald, bien que celui-ci soit né

de la politique grecque, son fondateur Pétros Tatanis eut toujours dans l’idée d’en faire une

institution foncièrement grecque-américaine, en réponse à un « besoin d’expression libre de

l’esprit américain hellénique », comme le décrit son éditeur Callimachos146

. C’est de cette

façon qu’Abbott et Tatanis réussirent à créer un empire dans un empire, pour reprendre la

formule de Spinoza : ils réussirent à créer un journal influent à caractère idéologique et

critique du système américain, mais au sein de et avec les outils offerts par la société

américaine.

144 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, pp. 481-482. 145 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth”, p.483. 146 Dimitrios Callimachos, album pour les 10 ans du National Herald. Cité par Alexander Kitroeff, “O Petros

Tatanis".

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44

PARTIE II :

ARTICULATION DE LA PRESSE ETHNIQUE AVEC LES AUTRES

INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES

Chapitre 1 : La presse ethnique et l’Église

1) La presse ethnique comme lien entre l’Église et la communauté

Dans les deux communautés ethniques grecque et noire, l’Église occupait une place

importante dans la vie des migrants bien avant les journaux. Elles furent les premières

institutions créées par la communauté grecque lorsque les premiers immigrants arrivèrent

aux États-Unis : avant la création de journaux ethniques grecs et d’associations pour

l’assimilation et l’avancement des Grecs en Amérique, de nombreuses églises locales

avaient été mises en place par les communautés – et non les autorités ecclésiastiques147

. La

même chose est observable dans la communauté noire, qui établit un grand nombre de

« store-front churches », d’origine également communautaire et non-cléricale : « Pilgrim,

Progressive, Provident, Liberty, and Monumental Baptist Churches, all founded between

1916 and 1919, began as prayer meetings in the homes of migrants recently arrived from

the South. Within a decade, all of these congregations had acquired their own buildings and

boasted memberships of over five hundred »148

. Ces églises qui n’existent pas en France

sont encore bien visibles aux États-Unis, toutes communautés confondues, où à New York

par exemple il est possible de voir une enseigne indiquant « Saint Baptist Church » ou

« Christ’s Chosen Church » entre deux petits commerces.

Ainsi l’Église précéda souvent toute autre institution ethnique – journaux y compris :

« [n]ewspapers were the third stage of an immigrant community settlement after forming

147 Charles C. Moskos Jr, “Greek American Studies”, in Harry J. Psomiades, Alice Scourby, The Greek American Community in Transition, New York: Pella, 1982, p. 42. 148 Allan H. Spear, Black Chicago: The Making of a Negro Ghetto 1890-1920, Chicago & London: University

of Chicago Press, 1967, p. 178.

Page 45: Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

45

churches and associations »149

, pourtant pour le journaliste polonais Stanislaw Osada, le

journal ethnique était l’institution la plus importante dans la communauté immigrantes

polonaise :

Three forces were the main influence on the general progress and present status of the

Polish immigrants in America: the clergy, the organizations, and the press. Because

neither the clergy nor the organizations would be capable of accomplishing much on a

wide scale, the press is entitled to most credit150

.

Ce postulat n’est pas nécessairement transposable tel quel aux deux communautés dont il

est question ici, puisque cela dépend à la fois de la communauté et de sa relation plus ou

moins fusionnelle avec leur Église, ainsi que des priorités de chaque individu – l’historique

de l’institution ecclésiastique dans la société grecque est par exemple très important,

comme nous allons le voir. Toutefois c’est une façon de voir sur laquelle nous pouvons

nous baser, et que partage Leara Rhodes : en effet « [s]ome of these liaisons and institutions

that have helped form the immigrant community have been maintained by the ethnic

press »151

. Les journaux ethniques eurent une réelle capacité à lier la communauté à

plusieurs niveaux, en pouvant parler aussi bien de l’Église, que des informations et autres

débats nationaux et internationaux, que des autres associations ethniques, le tout se trouvant

condensé en un même point de repère dans cette nouvelle société : le journal. Ce fut donc,

pour l’Église une autre plate-forme en dehors d’elle-même, et parfois celle-ci utilisait le

journal à son tour afin d’entretenir le sentiment d’entraide communautaire, comme les

pasteurs des églises noires sudistes qui distribuaient le Chicago Defender à leurs

congrégations152

, notamment durant la Grande Migration.

En effet l’Église noire américaine joua un rôle central dans la Grande Migration elle-même,

contrairement aux Grecs. En effet ces derniers partirent en masse pour des raisons

principalement économiques, et établirent par la suite des églises aux États-Unis afin de se

sentir plus « à la maison », où l’Église était centrale dans la vie de tous les jours ; pour les

Noirs cependant, au-delà du facteur économique, plus importants encore étaient les

149 Leara D. Rhodes, The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, p. 45. 150 S. A. Blewjas, "Stanislaw Osada; Immigrant Nationalist", in Polish American Studies, 50(1), p. 23. 151 Leara D. Rhodes, The Ethnic Press, p. 39. 152 Milton C. Sernett, Bound for the Promised Land: African American Religion and the Migration, Durham:

Duke University Press, 1997, p. 42.

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46

problèmes sociopolitiques, et ceux-ci incitèrent largement l’Église et la presse à encourager

le mouvement. Un exemple très parlant est relaté par Milton Sernett en ouverture de son

livre, à propos du lynchage du riche fermier noir Anthony Crawford en Caroline du Sud, à

Abbeville en 1916, sans raison apparente ; aucune personne impliquée dans le lynchage ne

fut jugé. Cet épisode fut largement repris par plusieurs publications, dont l’African

Methodist Episcopal (A.M.E.) Church Review – Crawford avait par ailleurs été secrétaire de

la Chappelle A.M.E. Church durant 19 ans153

. Aussi les membres de l’Église qui

encourageaient la migration comparait ce mouvement avec la fuite d’Égypte des Israéliens

vers la Terre Promise. Le pasteur C. M. Tanner, d’une A.M.E. Church à Atlanta, décrivit ce

qu’il ressentit à la vue des nombreuses fermes abandonnées lors d’un voyage en Géorgie –

État d’origine d’Abbott :

I, for one, cannot believe that it is other than one of God’s ways to solve the vexed

problem of race adjustment. […] The scripture is being fulfilled every day in our very

sight, and it is certainly the intention of divine providence to make our people in this

movement profit by it […]154

.

Toutes les églises du Sud n’étaient pas pour la Migration et la façon dont Abbott

l’encourageait cependant. Une Africaine-Américaine de Géorgie envoya une lettre au

journal, que celui-ci s’empressa de publier : irritée par de tels détracteurs, elle se demandait

si ces pasteurs avaient entendu parler du lynchage de ce bon citoyen d’Abbeville qui valait

20 000 dollars155

. Pour autant, de façon générale Robert Abbott reconnaissait le rôle de

l’Église dans l’organisation et l’avancement de la cause des Noirs156

.

Au niveau personnel également, l’Église était l’une des préoccupations de la vie

quotidienne pour les Africains-Américains, dans le Nord comme dans le Sud ; aussi

retrouve-t-on des allusions à l’Église dans plusieurs lettres de personnes voulant migrer.

Dans celles-ci, les personnes font la description de leurs qualités professionnelles et de

leurs centres d’intérêt à mettre en avant pour donner une bonne image de soi – et être

membre d’une église faisait partie de telles qualités. Certains demandaient aussi, en plus

153 Milton C. Sernett, Bound for the Promised Land, pp. 10-11. 154 Cité par Milton C. Sernett, Bound for the Promised Land, p. 57. 155 Ibid, p. 69. 156 Ibid, p. 128.

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des conditions de logement et des opportunités d’emploi à Chicago, s’il existait des

« bonnes » églises (voir annexe 3).

De l’autre côté, une fois arrivés dans le Nord, l’Église demeura un centre d’intérêt majeur

des migrants noirs. Des petites églises logées dans d’anciennes boutiques virent le jour

comme nous l’avons vu, et ce phénomène s’accrut avec l’arrivée de plus en plus de

migrants, notamment à Chicago :

Often affiliated with the more exotic fringe sects, Holiness or Spiritualist, these

storefront churches became a permanent force in Chicago Negro community and secured

a powerful hold on thousands of working-class Negroes. The preacher, or presiding

elder, was commonly an uneducated migrant from the South, who had founded the

church while working at another job157

.

Far from being passive observers of religion during the Great Migration, black

Christians actively produced a religious cultural expression that reflected social, cultural,

and political concerns158

.

Mais il leur était tout aussi important de continuer à suivre les événements de leur

congrégation d’origine dans le Sud. Abbott, comme nous l’avons déjà mentionné, avait des

correspondants locaux à travers le pays : le Chicago Defender les utilisa ainsi pour

répondre aussi à cette demande et informer les migrants du Nord sur leurs églises des

événements d’été, des réunions spéciales, ou des nouvelles concernant un pasteur en

particulier159

. Le Chicago Defender et le National Herald endossaient le même genre de

rôle informatif sur les congrégations susceptibles d’intéresser leurs lecteurs. Ce genre

d’informations offrait la possibilité aux migrants de garder contact avec leur lieu d’origine.

L’éducation de Robert Abbott eut peut-être une influence sur son opinion de l’Église.

Lorsque sa famille avait déménagé à Woodville, dans la communauté noire de Savannah,

son beau-père John Sengstacke avait été ordonné pasteur dans une église baptiste et avait

entreprit de faire la classe en plus de sa nouvelle fonction, suite à sa réalisation que la

communauté de cette ville était peu éduquée160

. Ainsi Abbott a pu comprendre en quoi les

157

Allan H. Spear, Black Chicago, p. 175. 158 Wallace D. Best, Passionately Human, No Less Divine: Religion and Culture in Black Chicago, 1915-

1952, Princeton and Oxfordshire: Princeton University Press, 2005, p. 3. 159 Milton C. Sernett, Bound for the Promised Land, p. 188. 160 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de

Chicago,

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églises pouvaient effectivement rendre service à la population noire, autant spirituellement

qu’au niveau éducatif. Il est par ailleurs frappant de voir que le journal usait d’une

rhétorique forte et passionnée à la façon des sermons pour « motiver les troupes ». Ce ton

biblique lors de son exhortation à la Grande Migration fut relevé par nombre d’auteurs :

[Abbott] had the power tool and used it to address the race as a group, “all you folks –

the Defender says come!” And almost as a group, they picked themselves up and left the

South. [… Also] Allan H. Spear had indicated in Black Chicago […] that making the

actual trip north “took on a mythical quality that gave to the migration an almost

religious significance161

.

La référence biblique était évidente ; elle renvoyait aux sermons des Églises noires

baptistes et méthodistes qui, historiquement, accordaient une place particulière à

l’Exode. […] Il est possible que, enivré par le succès de son journal, Abbott se soit vu

comme un nouveau Moïse. De fait, le Defender parlait du 15 mai [1917, jour du « grand

départ vers le nord »] comme de la sortie d’Égypte162

.

En Grèce, l’Église est traditionnellement l’une des institutions les plus centrales de la

société, remontant à ses racines historiques byzantines lorsque l’empereur Theodosius

déclara la Chrétienté comme religion officielle de l’empire byzantin. À la chute de celui-ci

face à l’Empire ottoman, l’Église fut le principal élément de transmission du patriotisme

grec et d’éducation. Burgess écrit à ce sujet : « for the next four centuries after the fall of

Constantinople […] it was the Greek Church that kept alive the spark of patriotism and

education […]”163

. Sous l’Empire ottoman, les clercs firent à la fois partie du monde

religieux et du monde civil, ayant même des responsabilités de collecte d’impôts auprès des

citoyens directement dans l’Est du pays. Peu à peu, nationalisme et identité religieuse

fusionnèrent ; l’initiative d’une guerre d’indépendance vint d’ailleurs en premier lieu de

<http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>,

extrait le 10 mai 2015. 161 Charles A. Simmons, The African-American Press: With Special Reference to Four Newspapers, 1827-

1965, Jefferson: McFarland & Company, 1998, p. 35. 162 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, p. 152. 163 Thomas Burgess, Greeks in America, New York: Arno Press and the New York Times, 1913, p. 6. Cité par

Smaroula G. Paraskevoudakis, The Image of Women in Two Leading Greek-American Newspapers, 1900-

1949, Thesis (Ph. D.), University of Maryland, 1997, p. 63.

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49

l’Église, de l’évêque de Patras164

. Cette relation fusionnelle avec cette institution fut donc

par la suite transportée aux États-Unis :

From the perspective of Greek immigrants, survival in an alien world, as in conquest,

could happen only through the church165

.

[T]he first generation of Greek immigrants who came to this country in the early part of

this century viewed nationality and religion as part and parcel of their identity. For this

reason, the immigrants' world was protected166

.

En effet les événements liés à l’Église orthodoxe, aux États-Unis, en Grèce et dans le

monde, étaient régulièrement relayés et l’étaient d’autant plus en période de fêtes comme

Noël ou Pâques – cette dernière étant autant voire plus importante que Noël en Grèce. Ainsi

des rapports sur les parades et autres fêtes étaient visibles dans la rubrique « De

l’Hellénisme en Amérique » pour ce qui est de la communauté grecque-américaine. Et

même lors de tels événements, on peut observer déjà quelques essais à une ouverture sur le

monde américain à travers des articles liant les deux identités, comme par exemple celui

intitulé « Santa Claus, Noël et Saint Basil » offrant une vue historique et les liens entre ces

différentes représentations culturelles du Père Noël et de la fête de Noël167

.

On remarque également l’omniprésence de l’Église dans les esprits à travers les lettres des

immigrants grecs envoyées au National Herald durant l’année 1943, la plupart d’entre eux

ainsi déjà installés aux États-Unis depuis une vingtaine ou une trentaine d’années. On y

trouve des demandes diverses comme le nombre d’Orthodoxes dans le monde, les origines

de certaines traditions religieuses, des précisions sur les baptêmes et mariages, ou à propos

de certains passages liturgiques168

. Pour autant, le Herald tout comme le Defender, bien

164 Harry J. Magoulias, Byzantine Christianity: Emperor, Church and the West. Chicago: Rand McNally and

Co., 1970, p. 170. Cité par Smaroula G. Paraskevoudakis, The Image of Women in Two Leading Greek-

American Newspapers, 1900-1949, Thesis (Ph. D.), University of Maryland, 1997, p. 63. 165 Smaroula G. Paraskevoudakis, The Image of Women in Two Leading Greek-American Newspapers, 1900-

1949, Thesis (Ph. D.), University of Maryland, 1997, p. 65. 166

Alice Scourby, “Three Generations of Greek Americans: A Study in Ethnicity”, in Harry J. Psomiades,

Alice Scourby, The Greek American Community in Transition, p. 113. 167 “Σάντα Κλάους, Νόελ και Άγιος Βασίλης" [Santa Claus, Noël et Saint Basil], in The National Herald, le 1er janvier 1917, p. 7. 168 Euthyfronos G. Ioannidou, Το Ελεύθερον Βήμα [The Free Tribune], New York : The National Herald,

April 1944, pp. 45-46, 55, 69-70.

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50

que globalement en soutien de l’Église, n’en restaient pas moins critiques comme nous

allons le voir.

2) La presse ethnique face à l’Église : entre critique et acceptation

Dans quelques lettres d’immigrants grecs, leurs questions présentent une certaine dualité –

et parfois, un choix – entre éducation grecque orthodoxe traditionnelle et éducation libérale

« à l’américaine ». Dans une de ces lettres, un Grec-Américain exprime sa peur quant à la

qualité de l’enseignement dans les écoles de la communauté grecque, dans lesquelles

certains professeurs ne font pas partie de l’Orthodoxie169

; dans une autre, un Grec-

Américain de Boston demande au journal quelle est l’institution la plus importante entre

l’Église ou l’École, lui-même choisissant l’École mais une de ses connaissances préférant

l’Église. À ceci l’éditeur du National Herald répond au nom de l’équipe éditoriale, et

déclare clairement qu’ils estiment l’une tout aussi importante que l’autre :

Nous sommes d’accord avec vous deux. Nous estimons que l’Église et l’École ne sont

pas comparables. Toutes deux sont nécessaires à l’homme, et travaillent en parallèle à

travers différents moyens en vue de son éducation et de son accomplissement. L’école

forme et développe l’esprit [νουν] de l’homme, l’église son âme [ψυχή]. […] Recevoir

les enseignements de l’un sans l’autre serait inadéquat. De demander lequel des deux est

le plus important est comme de demander quel est plus important pour l’homme entre la

nourriture et le vêtement. L’un préserve la vie, l’autre de couvrir la nudité de l’homme.

Seuls ceux fermés l’athéisme et ceux méprisant la religion sont menés à ce genre de

pensée et de comparatisme170

.

Bien qu’une telle déclaration puisse paraître très « standard » et anodine à l’heure actuelle,

il est important de garder en mémoire le contexte historique et géographique. Qu’un

membre de la communauté grecque en Amérique ne favorise pas outre mesure l’Église, et

la place au même niveau qu’une autre institution laïque – athée étant d’ailleurs le mot

employé – montre une réelle métamorphose de la façon de penser de la communauté. En

cela ce journal n’était ni un journal ecclésiastique, ni un journal séculaire ; bien que ce

discours soit adressé à l’Homme, dans les faits les seuls lecteurs réguliers de ce journal grec

169 Lettre intitulée « Αλλόθρησκος διδάσκαλος εις Σχολείων Ελληνικής Κοινότητος » [Enseignant païen dans les écoles de la communauté grecque], in Euthyfronos G. Ioannidou, Το Ελεύθερον Βήμα, p. 173. 170 Lettre intitulée « Σχολείον η Εκκλησία ; » [École ou Église?], in Euthyfronos G. Ioannidou, Το Ελεύθερον

Βήμα, p. 26.

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51

étaient bien les membres de la communauté grecque-américaine, et furent ainsi ceux les

plus susceptibles d’être influencés par cette rhétorique.

Or au début de la grande vague de migration grecque dans les années 1910, un prêtre

contait l’importance de l’Église pour les immigrants :

I was a very young child with Meletios [l’un des deux premiers évêques grecs envoyés

aux États-Unis en 1918]. We saw him as someone who came to save our church. Each

Sunday we walked an hour to go to church, to give our nickel to build our church […].

Each family gave five cents a week […]. It was where we could go and be safe […]. I

remember Sunday school and Greek school […]. We learned about God and our

language and history. In the public schools we learned that we were less than the

Americans. In the Greek schools we learned who we were really [… We] were proud

because we knew our history171

.

On voit ainsi le changement opérant en l’espace de quelques décennies : d’un besoin de

réclusion et de refuge dans l’Église au sein d’une terre perçue comme hostile, on passe dans

les années 1940 à une ouverture sur l’environnement social, visible non seulement dans le

discours de l’équipe éditoriale du National Herald, mais aussi dans un certain nombre de

lettres à l’éditeur attestant d’une volonté de lier les deux identités nationale et ethnique, à

travers des demandes sur des petites choses de la vie quotidienne comme des traductions du

grec vers l’anglais de certains passage de la Bible, ou des questions sur certaines pratiques

religieuses dans la société américaine comparées aux pratiques grecques orthodoxes172

.

Libéraux comme conservateurs se retrouvaient donc ici, les uns soutenant la vue

progressive du journal qui tentait de lier les deux identités, les autres rassurés de ne pas voir

le journal nier ou mettre de côté l’identité culturelle de la communauté grecque pour autant.

Cet entre-deux était bel et bien le but de la presse grecque, comme le résume Charles Jaret :

What this suggests is that the Greek American press has worked to modify both the

ethnic cognitive and behavioral systems, generally in the direction of reduced social

visibility. By its coverage of the American scene and its advocacy for Americanization,

the Greek press helped hammer out an ethnic consensus or definition of the situation,

which included the principle that the Greek American community would be open to

most American styles and social forms – Greeks would look and act like other

171 Interview anonyme d’un prêtre à la retraite, juillet 1989. Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and

Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 172 Euthyfronos G. Ioannidou, Το Ελεύθερον Βήμα, pp. 80-81.

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52

Americans. However, [...] the press clearly stipulated […] that Greek ethnicity should be

maintained primarily by and through membership in the Greek Orthodox Church and by

teaching some Greek to the young, as well as with a modicum of appreciation of

classical Greek culture.173

Le Defender aussi soutenait l’Église tout en gardant une opinion critique de celle-ci. Il

mettait notamment en garde contre toute tentative d’alliance entre politique et religion : il

avait déjà exprimé sa désapprobation de l’amalgamation de ces deux sphères, comme avec

l’article « Clergy in Politics » du 19 février 1916 (voir annexe 4). Dans cet article le journal

désapprouve explicitement tout homme qui souhaiterait endosser les deux fonctions de

pasteur et de politicien, que le journal trouve « incohérent » et de « mauvais goût »174

: en

effet l’article soutient que, bien qu’il existe des hommes de tous bords politiques dans

chaque congrégation, cela ne leur donne pas le droit de convertir un lieu de culte en une

scène politique ni de forcer les fidèles à adhérer aux vues politiques de leur pasteur. « It is

high time to take a firm stand and divorce politics from the church », conclut l’article, qui

ici comme le National Herald ne nie en aucun cas le rôle majeur de l’Église au sein de la

communauté, mais plutôt l’accepte du moment qu’elle se respecte en tant que telle et ne

tente pas d’aller au-delà de son rôle spirituel. Dans un autre article quatre ans plus tard, le

Chicago Defender rappelle une fois de plus sa position et cette fois-ci va jusqu’à comparer

les deux races qui n’agissent pas de la même façon :

The ministers excuse these things on the grounds that it is their duty to direct their

congregations in matters political as well as spiritual. It is strange, however, that these

abuses are confined almost entirely to ministers of our group. One scarcely, if ever,

hears of a white church being used for such purposes. If the white minister participates

in politics it is always outside the atmosphere of his church. He does not take advantage

of his position to force his own political wished on the members of his congregation175

.

Bien que ceci soit louable théoriquement, la pratique est rarement aussi facile – le journal

en fait la constatation lui-même lorsqu’il écrit que les églises noires « throughout the

country have especially been victims of this political chicanery »176

, et il se sent par ailleurs

le besoin de rappeler une nouvelle fois son désaccord plusieurs années après.

173 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press: A Comparative Analysis”, in

Journal of Ethnic Studies, 7:2 (Summer 1979), p. 65. 174 "Clergy in Politics", in The Chicago Defender, 19 février 1916, p. 8. 175 “The Preacher in Politics”, in The Chicago Defender, le 27 mars 1920, p. 20. 176 "Clergy in Politics", in The Chicago Defender, 19 février 1916, p. 8.

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Mélanger Église et politique n’est cependant pas imputable seulement à l’Église noire, et

est un phénomène que l’on retrouve par exemple dans l’Église grecque orthodoxe aux

États-Unis, elle-même fortement divisée selon le schisme national politique grec de

l’époque. Depuis 1908, le Patriarcat de Constantinople plaça formellement l’Église

orthodoxe grecque des États-Unis sous l’égide de l’Église de Grèce. En 1918, celle-ci

envoya aux États-Unis les deux tout premiers évêques orthodoxes grecs177

, Meletios et

Alexandre, afin de tenter de mettre de l’ordre dans ces paroisses en proies aux divisions

politiques, individuelles et financières. La décision fut alors prise de réunir toutes les

paroisses sous l’Archidiocèse d’Amérique du Nord et du Sud et de créer un journal global

hebdomadaire appelé Ecclesiastical Herald. Cependant l’union fut difficile à maintenir

puisque les grandes puissances ecclésiastiques sur le vieux continent elles-mêmes, le

Patriarcat de Constantinople et l’Église de Grèce, étaient respectivement pro-libérale et pro-

monarchiste ; ainsi elles entrèrent également en compétition pour le contrôle de cet

Archidiocèse des Amériques, une querelle qui continua durant des décennies178

.

Mis à part ces mélanges entre politique et églises, et les critiques offertes par les deux

journaux, rappelons tout de même leur position quelque peu ambivalente à propos de cette

institution, les frontières n’étaient pas toujours claires au sein des journaux eux-mêmes. De

façon générale, bien souvent les éditeurs ou contributeurs aux journaux ethniques étaient

aussi des pasteurs, les journalistes à temps complet étant encore relativement rares à

l’époque : en effet « [p]riests and ministers were important sources of information for the

immigrants. Due to [their] higher literacy and educational levels, they were more often the

editors and writers of the religious newspapers »179

- et pas seulement les journaux

religieux, le rédacteur en chef du non-ecclésiastique National Herald en étant une preuve.

En effet Callimachos n’avait pas seulement une formation cléricale : juste avant de venir

sur le continent américain celui-ci avait été, entre 1906 et 1914, secrétaire du Patriarcat

d’Alexandrie ; et même une fois aux États-Unis, il était membre du Clergy Club et du

177 Rappelons que jusqu’ici, les églises grecques en Amérique étaient crées par une initiative citoyenne et

n’avaient pas été instaurées par les autorités ecclésiastiques grecques. 178 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in American

History. 179 Leara D. Rhodes, The Ethnic Press, p. 39.

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Greater New York Federation of Churches180

. Nous pouvons également noter ici à titre

indicatif que Solon Vlastos, l’un des deux fondateurs du concurrent grec l’Atlantis, était

également un exarque de l’Église grecque orthodoxe (ce qui, dans l’Orthodoxie, est un

statut quelque peu inférieur à celui de patriarche)181

.

The Chicago Defender, lui-même à caractère non religieux, recourrait à des correspondants

locaux qui pouvaient également être pasteurs. Prenons l’exemple d’un article du 20

novembre 1920 (voir annexe 5) : celui-ci ne présente à première vue pas d’indice de

provenir d’une source ecclésiastique, et mis à part le sujet lui-même qui est un événement

festif dans une église, l’article se contente de décrire les activités à venir lors de

l’événement182

. Dans la seconde partie de l’article cependant, concernant les festivités de

Thanksgiving, le ton devient immédiatement plus subjectif et rassembleur. En effet l’auteur

écrit :

[… It] is especially urged that all members and friends attend. Certainly as individuals,

as a church, a community and a Race we have many things to be grateful for; so let us

repair to the House of God and humbly give everlasting praise to the God of our fathers

next Thursday morning183

.

C’est seulement à la signature de l’article que l’on découvre que son auteur, Charles

Wesley Burton, est également pasteur. Dans tous les cas, si l’on s’attache au simple langage

de ce dernier paragraphe, il n’est pas sans rappeler le ton de ce qu’ont pu mentionner plus

haut Allan Spear et Charles Simmons à propos de la rhétorique biblique du journal.

Quoiqu’il en soit, il est évident que la presse ethnique n’éclipsa pas les églises, mais

travailla avec elles. Tout en gardant un œil critique sur celles-ci et leur rôle, autant le

National Herald que le Chicago Defender donnaient régulièrement des informations sur les

congrégations de leurs lecteurs et sur d’autres en dehors du Nord étatsunien, par là-même

contribuant à créer un sentiment d’appartenance au sein d’une plus grande communauté de

180 « Demetrios P. Callimachos, 1879-1963, Papers – summary », sur le site web de l’université du Minnesota,

<http://www.ihrc.umn.edu/research/vitrage/all/ca/ihrc397.html>, extrait le 10 février 2015. 181

Xenides, J. P. The Greeks in America, New York: G.H. Doran Company, 1922, p.110. 182 Il est à noter cependant qu’ici, la source numérique de cette archive présente l’inconvénient de ne pas

savoir de quelle rubrique vient cet article. Après réflexion, celui-ci vient peut-être d’une partie du journal réservée aux nouvelles ecclésiastiques particulièrement – c’est une hypothèse. 183 Charles Wesley Burton, "Congregationalists to Celebrate”, in The Chicago Defender, 20 novembre 1920,

p. 10.

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lecteurs, et de migrants. Ceux-ci ne se tournaient pas seulement vers l’Église au quotidien

cependant : d’autres institutions d’entraide communautaire existaient, et les migrants en

avaient vent en partie grâce aux journaux ethniques.

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Chapitre 2 : La presse ethnique et les autres associations d’entraide

L’histoire et la réputation de la presse ethnique à courte durée de vie en attestent : il était

difficile d’être journaliste à plein-temps et de vivre de sa profession. Aussi les éditeurs et

auteurs complétaient-ils souvent leur salaire en donnant des conférences, en écrivant des

pamphlets, ou en acceptant des petits emplois d’organisation dans des syndicats ouvriers

et/ou politiques184

. Il existait donc un certain mouvement de va-et-vient entre la presse

ethnique et les autres institutions d’importance aux migrants :

Political parties, fraternal organizations, and nationalistic movements also published

newspapers for immigrants. These organizations communicated to new immigrant members

with information that immigrants needed to assimilate properly into the culture, the area, and

the organization185.

Ainsi les chroniqueurs et contributeurs des deux grands journaux ethniques The Chicago

Defender et The National Herald pouvaient facilement provenir des associations elles-

mêmes, les uns profitant ainsi de la plus grande notoriété et visibilité des autres, et ceux-ci

profitant de pouvoir agrandir géographiquement et thématiquement leurs sources et par la

suite, leur volume de pages.

Abbott et Tatanis eurent tous deux recours à l’emploi de personnes et aux services

d’organisations extérieures au journal – du moins en ce qui concerne les deux exemples qui

vont suivre, mais il y a raison à penser que ce n’étaient pas des faits purement isolés. Nous

avons brièvement parlé du fait qu’Abbott était lié aux grands patrons de l’élite sociale noire

de Chicago, son journal parfois devenant quasiment une plate-forme de relations publiques

pour leurs entreprises. Par ailleurs, les diverses casquettes portées par Abbott dans plusieurs

associations ou entreprises de Chicago eurent nécessairement une influence sur la ligne

éditoriale de son journal. En effet Abbott remplissait de nombreuses fonctions :

Abbott served as a board member of the Wabash Avenue YMCA; board member of the

Chicago Urban League; a member of the Kappa Alpha Psi fraternity and national executive

184 Leara D. Rhodes, The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, p. 42. 185 Ibid., p. 47.

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president of the Hampton Alumni Association; member of the American Ancient Order of

Foresters, the Appomattox Club, and Lincoln Memorial Association […]186.

Ceci permettait ainsi facilement à Abbott d’obtenir des informations sur les événements

entourant ces associations – ainsi que la plume de personnes de ce cercle élitiste. On

retrouve quelque peu cet entre-soi dans le journal avec par exemple un article écrit par une

certaine Madame H. Binga Dismond, à propos d’un événement musical servant également

de collecte de fonds pour la N.A.A.C.P. (National Association for the Advancement of

Colored People – nous allons en parler). Après quelques recherches, celle-ci fut très

probablement la femme de Henry Binga Dismond, un athlète, l’inventeur d’un dispositif

médical, physicien et poète – qui s’avère être cousin du banquier Jesse Binga187

de la Binga

State Bank, et dont nous avons déjà mentionné la complicité avec Abbott188

.

Il en va de même pour Pétros Tatanis qui, haut-placé dans la branche américaine du Parti

Libéral de Venizélos, n’hésitait pas à utiliser ses contacts et son influence politiques pour

interférer jusque dans les tractations politiques directement, loin de rester en position de

spectateur ou commentateur de l’actualité. Tatanis fut d’ailleurs contacté directement par le

président du Parti à Athènes pour qu’il emploie un certain Ioannis Thiakakis en tant que

chroniqueur, celui-ci étant un bon ami à Venizélos et à d’autres personnes du Parti189

- une

fois de plus, politique et journalisme étaient mêlés.

Il est vrai que la Binga State Bank et d’autres organisations avec lesquelles Abbott étaient

lié avaient, fondamentalement, les mêmes aspirations idéologiques que lui – l’avancement

des Noirs. En effet Jesse Binga avait établi une banque privée en premier lieu, puis la rendit

publique par la suite en 1921, au vu de la forte migration venant du Sud, lors de ce que l’on

nomme la Grande Migration,, et il connaissait aussi bien les pratiques discriminatoires ne

186 “Mapping the Stacks, A Guide to Black Chicago’s Hidden Archives”, sur le site web de l’Université de

Chicago,

<http://mts.lib.uchicago.edu/collections/findingaids/index.php?eadid=MTS.abbottsengstacke#idp49133168>,

extrait le 10 mai 2015. 187 Biographie de Henry Binga Dismond, sur le site web “Black Past”,

<http://www.blackpast.org/aah/dismond-henry-binga-1891-1956>, extrait le 10 mai 2015. 188 Brian Carroll, “From Fraternity to Fracture: Black Press Coverage of and Involvement in Negro League

Baseball in the 1920s”, in American Journalism, 23 (2), 2006, p. 74. 189 Alexander Kitroeff, “The Greek State and the Diaspora: Venizelism Abroad, 1910-1932”, sur le site web

deu department d’études helléniques de l’université d’Harvard,

<http://chs.harvard.edu/CHS/article/display/4883>, extrait le 10 avril 2015.

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58

permettant pas aux Noirs d’avoir aussi facilement accès aux produits bancaires que les

Blancs190

.

D’autres associations virent le jour pour aider la communauté noire dans le Nord

étatsunien : la N.A.A.C.P., par exemple, fut fondée en 1909 par un groupe de libéraux

blancs, qui s’étaient donné pour mission « to ensure the political, educational, social, and

economic equality of rights of all persons and to eliminate racial hatred and racial

discrimination »191

. Son journal, The Crisis, était édité par un militant et intellectuel noir

majeur déjà à l’époque, W.E.B. Du Bois192

. L’association combattit notamment les lois

ségrégationnistes dites Jim Crow, s’opposa à l’introduction de lois discriminatoires au sein

du gouvernement fédéral par le président Woodrow Wilson en 1913 ; elle joua aussi un rôle

majeur dans l’obtention du droit pour les Africains-Américains de servir dans l’armée

durant la Première Guerre mondiale193

. Sur ce dernier point, nous verrons dans la partie

suivante que le Chicago Defender était, au contraire, opposé à une telle initiative.

Une autre institution jouait un rôle important de médiation entre la culture urbaine du Nord

étatsunien et les migrants fraîchement arrivés du Sud : la Chicago Urban League, l’une des

plus importantes branches locales de la National Urban League, fondée en décembre 1916.

Plusieurs milliers de migrants apprirent son existence dans le Chicago Defender, et

s’adressèrent à elle par la suite pour s’enquérir des possibilités d’emploi194

. Le journal

publiait régulièrement les nouvelles concernant l’association, appelées parfois « Urban

League Notes ». L’association et le Chicago Defender travaillèrent main dans la main lors

des listes de « dos » and « don’ts », ces conseils sur le comportement à avoir pour les

nouveaux migrants dans la ville, dont nous parlerons plus en détail au chapitre suivant195

. Il

est un point que l’on peut relever dès maintenant cependant : voici ce qu’explique Robin

Bachin sur ces « dos » et « don’ts » :

190 “The Opening of the Binga State Bank”, dans The Broad Ax, le 30 décembre 1922, p. 3. 191 NAACP Press Kit, extrait sur le site de l’association, <www.naacp.org> le 20 novembre 2014. 192

Christopher R. Reed, The Chicago NAACP and the Rise of Black Professional Leadership, 1910 – 1966,

Bloomington & Indianapolis: Indiana University Press, 1997. 193 Idem. 194 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, p. 154. 195 Robin F. Bachin, Building the South Side: Urban Space and Civic Culture in Chicago, 1890-1919,

Chicago: University of Chicago Press, 2004, p. 264.

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One of the central goals of the Urban League, both in Chicago and nationwide, was to

promote respectability among new migrants. The Chicago Defender published lists of dos

and don’ts put forward by the League. [… One] of the greatest worries of middle-class black

leaders was that new migrants would be drawn into the world of disreputable dance halls,

saloons, and gambling dens permeating urban nightlife on the South Side. The Urban

League encouraged new migrants to avoid places like the Stroll [entre 26th et 39th streets]

altogether and instead seek out wholesome recreation settlement reading rooms, church

facilities, the Wabash YMCA, and the Urban League itself. The Chicago Urban League

soon sponsored dances, socials, and athletic teams to counter the attractions of commercial

leisure196.

Il est intéressant de préciser ici que le Chicago Defender, malgré son travail en parallèle de

l’Urban League, ne soutenait pas nécessairement toute les initiatives de la League – aussi

celui-ci était-il moins rigide et ne désapprouvait pas des Noirs allant traîner dans le quartier

du Stroll : au contraire, le Defender en faisait la publicité197

:

The Chicago Defender touted the Stroll as “the popular promenade for the masses and classes.” Even the thrill of amusement parks, “with their narrow ideas in the treatment afforded various races,” could be ignored when one experienced the Stroll. This “poor man’s paradise” was a

“Mecca for Pleasure » for local residents as well as visitors, blacks as well as whites198

.

En ceci le Defender restait donc ambivalent, publiant à la fois les bonnes manières à

adopter, selon des critères clairement liés aux codes bourgeois en vigueur alors, et offrant

une plate-forme aux associations urbaines, tout en défendant d’un autre côté les quartiers

populaires du South Side jugés de mauvaise réputation par ces mêmes associations. Le

Defender, souvent jugé subjectif et sensationnaliste – à raison souvent – n’en restait pas

moins intègre vis-à-vis de sa propre vision de l’avancement de la « race », comme cet

épisode en est un exemple.

Afin d’aider les immigrants grecs à s’acclimater aux États-Unis, et pour combattre les

stéréotypes circulant à leur compte, deux associations virent le jour également en 1922 :

l’A.H.E.P.A. et la G.A.P.A., l’American Hellenic Educational Progressive Association et

la Greek American Progressive Association. La première fut créée par un groupe de huit

marchands grecs naturalisés, dont la mission est résumée comme telle par eux-mêmes, et

par Charles Moskos Jr :

196 Robin F. Bachin, Building the South Side, p. 264. 197 “The Stroll”, sur le site Chicago History, <http://www.encyclopedia.chicagohistory.org/pages/1212.html>,

extrait le 30 mai 2015. 198 Robin F. Bachin, Building the South Side, p. 247.

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60

[Our goal is] to emphasize loyalty to the United-States; to develop appreciation of

citizenship under the state and federal governments; to promote clean politics by upholding

the ideal in civic and social matters, [… and] to uphold the public school system of the

United States”199.

AHEPA represented the social aspirations of a growing Greek middle class. Most

importantly, AHEPA acknowledged the wrenching reality that most Greeks were in this

country to stay. Even though its official face was one of assimilationism, however, in a

conscious effort to outflank antiforeign American nativism, AHEPA was always committed

to Greek identity, albeit within an American context200.

Son combat était également celui contre le Ku Klux Klan dans le reste du pays et

notamment le Sud, où selon ce groupe ouvertement raciste et anti-immigrants « [t]he rapid

growth of the Japanese population and the great influx of foreign laborers, mostly Greeks,

is threatening [their] American institutions »201

. Elle avait également son propre journal

mensuel, The AHEPAN, décrivant ses activités202

. Mais parce que l’association adopta

l’anglais comme langue officielle, elle était considérée par les Grecs les plus conservateurs

comme un instrument de dé-hellénisation.

C’est pour cette raison que la G.A.P.A. fut créée peu après, en 1923, afin de préserver

l’héritage culturel et les valeurs grecs, notamment chez les Grecs nés sur le territoire

américain. Cette association, au contraire de la précédente, tint à garder le grec comme

langue officielle203

- visible également dans son propre journal en 1924, To Vima tis Gapas

[The Tribune of the GAPA], écrit en langue grecque. Cependant la G.A.P.A. n’a pas

perduré jusqu’à nos jours, ses caractéristiques devenant de plus en plus obsolètes au fil des

générations et n’arrivant pas à attirer l’intérêt des jeunes Grecs-Américains204

. À l’époque

cependant, le rédacteur en chef du National Herald, Dimitrios Callimachos, participait à

cette organisation205

.

199"Ahepa", in Greek-American News, le 1er mai 1936. 200 Charles C. Moskos Jr, “Greek American Studies”, in Harry J. Psomiades, Alice Scourby, The Greek

American Community in Transition, New York: Pella, 1982, p. 42. 201

“Klans in Western States Are Growing,” in The Imperial Night-Hawk, le 9 mai 1923, p. 2. 202 Charles C. Moskos Jr, “Greek American Studies”, p. 42. 203 “Greek-American Progressive Association", in Saloniki-Greek Press, le 18 septembre 1933. 204 Charles C. Moskos Jr, “Greek American Studies”, p. 42. 205 « Demetrios P. Callimachos, 1879-1963, Papers – summary », sur le site web de l’université du Minnesota,

<http://www.ihrc.umn.edu/research/vitrage/all/ca/ihrc397.html>, extrait le 10 février 2015.

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61

Il y avait, enfin, un autre organisme qui contribuait à aider énormément les Grecs à

l’époque à Chicago : la « Hull House » établie par Jane Addams. Le National Herald fait

encore mention aujourd’hui de son rôle dans l’assimilation des Grecs de cette ville à travers

diverses activités présentant la culture grecque aux Américains n’en ayant aucune

connaissance206

. Contrairement au reste des États-Unis où les Grecs rencontraient le plus de

résistance, Jane Addams avait en affection les Grecs et leur ancienne culture classique. Elle

ouvrit des écoles, aida les Grecs à apprendre l’anglais, les aida à se défendre contre leurs

padrone qui abusaient d’eux : pour l’historien du tavail Dan Georgakas, les Grecs de

Chicago se sont assimilés plus rapidement qu’ailleurs dans le pays207

.

L’Union Panhellénique fut également instaurée directement par l’État grec en 1907 ; elle

était financée par l’administration venizéliste et avait pour but de coordonner les intérêts

grecs aux États-Unis208

– après son arrivée, Callimachos y donnerait d’ailleurs quelques

conférences209

. L’Union devait assister les immigrants à s’adapter à leur nouvel

environnement, mais elle devint rapidement un instrument de promotion du nationalisme

grec avant tout, dès 1908 : « the Panhellenic Union not only aimed to prevent the

Americanization of Greek subjects in the United States, but also had to indoctrinate

immigrants from both Greece and the Ottoman Empire to ensure that they became or

remained supporters of the Greek nationalist project » - c’est-à-dire, la « Grande Idée » de

Venizélos210

. C’est pour cette raison que l’autre géant de la presse grecque américaine, le

pro-monarchie Atlantis, soutenait cette organisation au départ mais changea de position dès

1908211

.

206 Steve Frangos, “Grassroots Efforts to Preserve Hellenism”, in The National Herald, le 12 mars 2005. 207 Dan Georgakas, Chapitre I : Immigrants, in The Journey: The Greek American Dream, dir. Maria Iliou,

2007, 87 min. 208 Alexander Kitroeff, “The Greek State and the Diaspora: Venizelism Abroad, 1910-1932”, sur le site web

deu department d’études helléniques de l’université d’Harvard,

<http://chs.harvard.edu/CHS/article/display/4883>, extrait le 10 avril 2015. Victor Papacosma, "The Greek

Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter 1979, p. 48. 209 « Demetrios P. Callimachos, 1879-1963 », Papers. 210

Yannis G. S. Papadopoulos, “The Role of Nationalism, Ethnicity, and Class in Shaping Greek American

Identity”, 1890-1927”, in Assaad E. Azzi, Xenia Chryssochoou, Bert Klandermans, Bernd Simon, Identity

and Participation in Culturally Diverse Societies: A Multidisciplinary Perspective, Hoboken: Wiley-Blackwell, 2010, pp. 18-19. 211 S. Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter

1979, p. 48.

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62

Un épisode majeur de la vie politique grecque qui divisa la population à cette époque fut en

effet la réalisation militaire de la « Grande Idée » de Venizélos : après avoir gagné l’accord

des grandes puissances occidentales, cette Idée consistait en l’invasion de l’Asie Mineure,

région dans l’Ouest de la Turquie, que la Grèce réclamait. L’Union Panhellénique fut un

instrument fort dans l’obtention de cet accord militaire occidental lors de la Conférence de

paix à Paris en 1919, ouvrant le 18 janvier et se terminant en août 1920 : les Alliés

donnèrent leur soutien à l'occupation d’Izmir par l’armée grecque, en Asie Mineure212

.

À l’occasion de la Conférence, le National Herald rappelle, le 1er juin 1919, qu’ « [e]n

décembre dernier, le National Herald, à travers une série d’articles, avança les grands

enjeux grecs en vue de la Conférence de Paix ». Ainsi cet article intitulé « Constantinople »

est-il une réédition du premier article de la série mentionnée, daté du 23 décembre 1918 et

rappelant son optimisme : « [i]l est incontestable que, de façon générale, les 14 conditions

proposées ont été jugées comme acceptables par les Alliés »213

, bien qu’encore en cours de

négociations entre les Alliés européens et le président Wilson. Dans cet article les

sentiments nationalistes sont criants :

[Il est dit que] cela fait des siècles que Constantinople est turque. Vraiment ? Au contraire,

depuis tout ce temps Constantinople n’a cessé d’être hellène. Ce n’était pas juste une ville

grecque ; c’était le cœur de la nation grecque, sa métropole reconnue. C’est l’antique

Byzance, […] la sauvegarde de la Liberté et de la civilisation, […] et malgré les divers

peuples qui sont passés par là, l’hellénisme est resté intact […]. Personne ne nie qu’il existe

dans la ville une population turque. Mais c’est le Turc qui est le voleur, le conquérant, le

tyran.

Dans le journal du lendemain, on peut observer l’un des rares articles – très tôt dans

l’histoire du journal – écrit en anglais (voir annexe 6). La raison de ceci est que ce billet,

écrit au nom de tous les Grecs de New York et des alentours, remercie les États-Unis, la

France et la Grande-Bretagne pour leur accord à rendre l’Asie Mineure à la Grèce et pour

avoir « nettoyé l’ancienne métropole hellénique Constantinople du régime barbare turc »214

212 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies"

(« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,

<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-

inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015. 213 “Κωνσταντινούπολη” [Istanbul], in The National Herald, le 1er juin 1919, p. 4. 214 “For the Rights of Greece”, in The National Herald, le 2 juin 1919, p. 1. Encore aujourd’hui en Grèce du

Nord, dans la région de Macédoine proche de la Turquie, les gens appellent Istanbul par son nom

anciennement hellène, Constantinople, par défi.

Page 63: Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

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- une assomption un peu trop rapidement optimiste lorsqu’on en connaît l’aboutissement

tragique d’échange de population entre la Turquie et la Grèce (voir annexe 1)215

.

Mais en 1922, après plusieurs années de campagne militaire, le glas de la « Grande Idée »

de Venizélos ne tarderait pas à retentir : après la défaite de Venizélos lors des élections de

1920, la défaite de l'armée grecque en 1922 était imminente. Tatanis usa de tout son

pouvoir pour tenter de sensibiliser le public et les politiques aux États-Unis : même le New

York Times publia un appel à l’aide de Venizélos le 5 octobre 1922216

, et deux jours plus

tard Tatanis envoyait un télégramme au président américain Warren Harding, lui faisant

part de ses inquiétudes et lui assurant que 75 000 concitoyens grecs en Amérique étaient

prêts à être déployés en Grèce pour empêcher toute attaque turque217

. Mais le Traité de

Lausanne fut signé en 1923 sous la supervision des pouvoirs occidentaux, à la suite duquel

un échange de population obligatoire fut institué entre la Grèce et la Turquie (voir annexe

1), provoquant un traumatisme national encore vif dans la mémoire collective aujourd’hui.

Le lien entre Ancien et Nouveau Mondes et la volonté avec laquelle Tatanis soutint

Venizélos et informa les Grecs d’Amérique de la situation fut une contribution reconnue

par les politiques venizélistes : Thalès Koutoubis, par exemple, contributeur du National

Herald et plus tard secrétaire de Venizélos, loua en 1925 le professionnalisme et

l’objectivité du journal, sa ténacité et son rôle de liaison entre les Grecs d’Amérique et de

Grèce218

. Ainsi ici la preuve en est que la presse ethnique de l’époque restait rarement

contenue dans un simple rôle de commentateur de l’actualité, et on pouvait voir un

mouvement de va-et-vient également entre les sphères journalistique et politique. Tatanis

tout comme Abbott restèrent néanmoins fidèles à leur propre vision et utilisèrent toujours

de telles ressources extra-journalistiques pour le profit de leur journal et de leurs

motivations politiques et sociales – ainsi ces journaux ne perdaient-ils pas de leur influence

ni ne se pliaient aux courants idéologiques ou politiques non conformes au leur.

215

Stavros T. Stavridis, “Petros Tatanis: Concerns for the "Patrida"”, octobre 2005

<http://www.helleniccomserve.com/stavridistatanis.html>, extrait le 15 mars 2015. 216 Stavros T. Stavridis, “Petros Tatanis: Concerns for the "Patrida"”. 217 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis". 218 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis".

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PARTIE III :

ENTRAIDE COMMUNAUTAIRE ET SENTIMENT D’APPARTENANCE

Chapitre 1 : Entraide communautaire et questions d’allégeance nationale

1) Soutien « pratique » communautaire

L’arrivée des immigrants grecs et des migrants noirs signifiait qu’ils devaient s’adapter à de

nouvelles façons de faire dans la sphère publique – et, pour les uns comme pour les autres,

se reposer sur la presse écrite pour obtenir de l’information était tout nouveau :

What was necessary within the community […] was the need to move away from an

oral-based culture to a new culture, more dependent on media to inform members about

religion, politics, home country news, and how to adjust to the new American

culture”219

.

Charles Moskos Jr dit même du succès de la presse ethnique grecque dans les années 1920

qu’elle était « remarquable », tant la plupart des nouveaux immigrants grecs n’avaient pas

l’habitude de lire des journaux auparavant ; c’est donc véritablement une habitude qu’ils

acquirent aux États-Unis220

. Dans les deux communautés, les élites tenteront d’aider les

nouveaux venus en leur donnant quelques conseils et directions, en une sorte de

transmission de la culture du haut vers le bas, à travers la presse ethnique.

L’un de ces moyens fut une aide légale aux migrants pour prendre leurs marques dans le

nouveau système du Nord étatsunien, où théoriquement le système judiciaire, par exemple,

n’était pas ségrégué. Bien sûr la réalité du Nord était loin d’être aussi rose, pourtant l’image

219 Dirk Hoerder and Christiane Harzig, The Immigrant Labor Press in North America, 1840s-1970s: An

annotated bibliography, New York: Greenwood Press, 1987. Cité par Leara D. Rhodes, The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, pp. 38-39. 220 Charles C. Moskos Jr, “Greek-American Studies”, in Harry J. Psomiades, Alice Scourby, The Greek

American Community in Transition, New York: Pella, 1982, p. 44.

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véhiculée par le Chicago Defender était celle d’un endroit où enfin, les Africains-

Américains ne seraient plus traités comme des citoyens de seconde zone221

. Aussi le

Chicago Defender établit-il un département légal, et Richard Westbrooks fut le principal

locuteur des lecteurs du journal222

.

Il commença à offrir les services du département en février 1914, mais s’arrêta durant la

Grande Migration, juste avant l’entrée en guerre des États-Unis223

. Durant cette période, il

aida à combattre la discrimination raciale dans les écoles et dans les transports publics, et il

lança même sa propre investigation sur les pratiques discriminantes dans la vente de

l’immobilier dans le quartier de Des Plaines Manor, aux environs de Chicago : « [b]y

asking readers the results “of their offer to purchase” at Des Plaines Manor, Westbrooks

reoriented his column, from responding to “wrong and injustice” to actually hunting it

down and rooting it out »224

. En effet à Chicago, la validation par la justice des restrictive

covenants, ces « accord[s] formel[s] entre les propriétaires d’un quartier pour ne pas vendre

ou louer à des Noirs »225

, renforçait un peu plus la ségrégation.

Ces « legal helps » aidaient les migrants sur un plan pratique en donnant des conseils

directement applicables ; mais aussi, par de tels conseils, Westbrooks contribua au véritable

« empowerment » de la race noire auxquelles les associations noires aspiraient (voir annexe

7). En effet, face au discours ambiant reléguant tous les Africains-Américains, ou tous les

migrants noirs en un groupe homogène défini par l’appartenance raciale, ici ceux-ci

retrouvaient enfin leur individualité et leur pouvoir d’agir : Westbrooks [… appealed] to the

prudence and tenacity of his individual readers, whose approach to commercial transactions

marked their competency and their citizenship rather than a collective experience of Black

marginality »226

. Mais surtout, ces conseils remplirent exactement les aspirations de la

Grande Migration : une participation complète dans la vie politique, économique et sociale

221 Joel E. Black, “A Theory of African-American Citizenship: Richard Westbrooks, The Great Migration,

and the Chicago Defender’s "Legal Helps" Column”, in Journal of Social History vol. 46 no. 4 (2013), p.

908. 222 Ibid. p. 899. 223 Idem. 224Ibid., p. 907. 225 Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, pp. 156-157. 226 Joel E. Black, “A Theory of African-American Citizenship”, p. 901.

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de la plus englobante société américaine227

. Le journal ethnique grec The Greek Star à

Chicago, à travers la rubrique de A. J. Vlachos traduisant et expliquant aux lecteurs la

Constitution américaine, fit un travail semblable à celui de Westbrooks :

These articles urged Greeks in the U.S. to become aware of American history and legal

matters, and to obey the [Constitution]. This series is prefaced with an account of the

American Revolution. Similarities with the Greek War of Independence are drawn, so as to

better enable the Greek in America to identify with this country228.

2) Soutien « psychologique » communautaire ou mère patrie bienveillante

Là où les immigrants grecs auraient parfois eu bien besoin d’un soutien « psychologique »

de la part de la presse ethnique les représentant, à la façon du Chicago Defender criant tout

haut ce que personne n’osait dire, notamment concernant les lynchages, les journaux grecs

au contraire étaient plutôt silencieux lorsque des épisodes tragiques survenaient dans la

communauté grecque. Comme nous le verrons au dernier chapitre, il existait une « politique

de l’oubli », ou plutôt un déni par la presse grecque qui tendait à idéaliser son pays

d’accueil et ainsi taisait des événements qu’il était utile d’oublier pour mieux s’assimiler229

.

De fait la presse grecque ne parla que très rarement des lynchages survenant contre les

Grecs aux États-Unis. C’est ce que Ioanna Laliotou observe :

“Stories of anti-immigrant discrimination and violence were particularly excluded from

mainstream chronicles of Greek migration to the United States. Stories about anti-

immigrant mob riots and lynchings were suppressed in mainstream memory of the early

years of immigration as isolated events”. Such accounts, widely circulating in the Greek

press, officially “registered in memory violence and anti-Greek racism as a self-inflicted

phenomenon” attributing or even justifying nativist violence in the name of protecting

American ideals. The editor of Atlantis in 1909 explained to his audience that “the revolt

against the Greeks was the natural consequence of the general condition of the Greeks”

thus attributing mob wrath to the personal failure of the Greeks to Americanize230

.

227 Ibid., pp. 901-902. 228 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press: A Comparative Analysis”, in

Journal of Ethnic Studies, 7:2 (Summer 1979), p. 56. 229 Ioanna Laliotou, “Migrating Greece: Historical Enactment of Migration in the Culture of the Nation”,

Ph.D. dissertation, European University Institute, p. 203. Citée par Yiorgos Anagnostou, “Forget the Past, Remember the Ancestors! Modernity, “Whiteness,” American Hellenism, and the Politics of Memory in Early

Greek America”, in Journal of Modern Greek Studies, Vol. 22, No. 1 (May 2004), p. 55. 230 Ibid., pp. 54-55.

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67

Charles Jaret adopte cette vue idéaliste de la nation américaine lorsqu’il écrit : « the Greek

press saw no necessary conflict between becoming Americanized and being Hellenic: […]

[a]lthough the Greek press favored Americanization and brought its readers significant

aspects of American society and culture, it never advocated that the Greek abandon all his

ethnic characteristics for American ways »231

. Il est pourtant difficile d’accepter une telle

version lorsque dans les faits, le message sous-jacent que l’élite grecque faisait passer à

travers la presse était : « si vous êtes attaqués, c’est parce que vous êtes en faute », or si la

seule raison de telles attaques était purement et simplement la discrimination ethnique,

comme c’était souvent le cas, alors la seule morale que les migrants pouvaient tirer d’un tel

discours était que leur identité ethnique était le problème, et était à changer.

Il est vrai que l’écart de traitement des lynchages entre les deux journaux est très élevé.

Ceci peut être en partie dû à l’idéalisation grecque de la nation américaine et peut-être aussi

à son souci de ne pas s’aliéner de potentiels alliés non grecs, tandis que le Chicago

Defender avait fait des lynchages un de ses chevaux de bataille ; une différence numérique

effective entre les lynchages visant les deux communautés différentes est une hypothèse

bien évidemment à ne pas exclure ; gardons seulement en tête que même si cet écart

numérique existait, il fut peut-être un peu moins grand que ce que la presse ethnique nous

permet de juger.

Le National Herald relaya tout de même un lynchage anti-Grec survenu au Texas le 2

septembre 1919 (voir annexe 8). Le titre indique « La foule a attaqué et détruit trois

commerces grecs à Desdemona, Texas » et les sous-titres « Ils voulaient pendre le grec

Andreas Panon » ; « Comment ces émeutes contre les Grecs eurent lieu – 16 fauteurs de

troubles arrêtés – Les dégâts s’élèvent à 7000 dollars »232

. Le journal retransmet un article

sur l’événement paru dans le Daily Times Herald de Dallas le 26 août – qui au final reste

très informatif et objectif, sur le même ton que le titre de l’article. Il est écrit qu’un

travailleur de l’industrie du pétrole entra saoul dans le restaurant « Busy Bee » dans la

journée du lundi, et commença à blasphémer ; le gérant du restaurant, Andreas Panon, lui

demanda de partir mais l’intéressé ne coopéra pas et dut être emmené de force par la

231 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press”, p. 64. 232 “Ο όχλος επετέθη και κατέστρεψε τρία ελληνικά καταστήματα εν Δεισδεμόνα, Τέξας” [La foule a attaqué

et détruit trois commerces grecs à Desdemona, Texas], in The National Herald, le 2 septembre 1919.

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68

police ; le soir même, environ 1 500 travailleurs enflammés, collègues de l’homme arrêté,

détruisirent le restaurant avant de s’en prendre à d’autres commerces grecs ; le lendemain

12 policiers vinrent pour conduire des investigations et considérer le montant des

dommages. Il est quelque peu étonnant, à la lecture de cet article, de voir à quel point le

National Herald ne commente pas sur l’incident, et se contente de publier le rapport neutre

du Daily Times Herald. La seule phrase ajoutée par le journal grec, à titre informatif, se

trouve à la fin de l’article, précisant : « Ces émeutes n’eurent pas lieu à Izmir, en Asie

Mineure, mais dans l’État du Texas aux États-Unis »233

. Un tel traitement objectif ne serait

en fait pas si étonnant si cela était le ton habituel du journal ; or nous connaissons justement

le patriotisme et le sensationnalisme dont le journal sait parfois faire preuve dans son

traitement de la politique grecque et des problèmes en Asie Mineure : là est tout le

paradoxe.

Il y eut également un petit article dans le National Herald relatant les émeutes contre des

Africains-Américains de Tulsa du 2 juin 1921, intitulé « Sur les émeutes raciales de Tulsa,

Oklahoma » (voir annexe 9). Dans celui-ci le journal rend compte d’un conseil présidé par

le maire de la ville ayant décidé de compenser les victimes des émeutes, et de plusieurs

commerçants éminents de la ville qui souhaitaient participer également à cet effort afin de

« sauver l’honneur et la réputation de la ville »234

; pour prévenir toute future attaque, les

policiers patrouillent désormais la nuit ; les discussions, au moment de l’article, ont encore

lieu quant à la manière dont va pouvoir se faire le relogement des 5 000 Africains-

Américains se retrouvant sans toit.

La différence de traitement entre les deux journaux est flagrante : tandis que le journal grec

ne consacre qu’un seul article, concis, sur cet événement pourtant relativement majeur, le

Chicago Defender consacre la Une du journal avec en gros titre : « Tulsa Aflame ; 85 Dead

in Riot » ; de nombreuses colonnes apparaissent dans les numéros du 4 juin et du 11 juin,

de façon beaucoup plus détaillée et littéraire comparé au ton habituel du journal – ce qui

n’est ainsi pas étonnant ici ; et des photos des parties de la ville détruites y figurent

également (voir annexe 10). L’historique des tensions raciales de la ville y est décrit, où

233 Idem. 234 “Από τας φυλετικάς ταραχάς της Τούλσας, Οκλαχόμα” [Sur les émeutes raciales de Tulsa, Oklahoma], in

The National Herald, le 3 juin 1921.

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« [p]rominent men and women of the Race have been forced to submit to the vicious Jim

Crow practices inaugurated by the Southern whites »235

, et où « [t]he prosperity of business

men of the Race in Tulsa had been a cause for envy and the low-class whites during the

winter had done everything in their power to keep laborers of the Race unemployed and

drive them from the town »236

.

Une autre émeute, et l’une des plus importantes, survint avant la naissance du National

Herald en février 1909 dans l’Omaha du Sud. Un Grec aurait tué un officier de police saoul

qui l’avait arrêté, et après grand rassemblement, une foule furieuse mis à feu et saccagea

une très grande partie du quartier grec, poussant ses habitants à la fuite en-dehors de la

ville. L’événement eut un très grand écho dans la presse grecque et grecque-américaine

indignées, à tel point que le gouvernement grec fit une demande formelle pour que les

victimes de l’émeute soient compensées à la hauteur de 135 000 dollars. Neuf ans plus tard,

le Congrès américain indemnisa les victimes de 40 000 dollars237

.

On peut noter ici également un autre cas attestant de la considération du gouvernement grec

pour ses expatriés en Amérique : tout au début du XXe siècle, certains rapports dans la

presse grecque décrivirent les conditions de vie et de travail des immigrants grecs aux

États-Unis. Maria Economidou par exemple travaillait pour le journal athénien Nikki

[Victoire]238

- elle était la femme de son éditeur – et voyagea aux États-Unis en 1904. Elle

vint seule (un fait plutôt rare à l’époque) pour enquêter sur les conditions de vie des Grecs

dans les enclaves ethniques des grandes villes et dans l’Ouest américain, aux côtés de

mineurs et autres travailleurs, notamment dans l’Utah. Elle relata toute cette expérience, la

vie des travailleurs entassés dans des petites pièces, les menaces des padroni, la peur de la

mort ou de la maladie, dans son livre Οι Έλληνες της Αμερικής όπως τους Είδα [Les grecs

d’Amérique tels que je les ai vus]. Suite à de tels comptes-rendus, l’État grec, alarmé,

235 “Bombs Hurled From Aeroplanes in Order to Stop Attacks on the Whites”, in The Chicago Defender, le 4

juin 1921. 236 “Armed White Ruffians Who Begged For Guns to Help Murder”, in The Chicago Defender, le 11 juin

1921. 237 Charles C. Moskos, Greek Americans: Struggle and Success, New Brunswick: Transactions Publishers,

1997 [1989], pp. 16-17. 238 Gus Chatzidimitriou, Chapter I: Immigrants, The Journey: The Greek American Dream

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70

envoya des représentants outre-Atlantique pour effectuer plus d’enquêtes, et exhorter les

expatriés de revenir dès que possible239

.

Ainsi, au-delà d’une différence de traitement des lynchages ou émeutes dans la presse

grecque ou noire, il est ici une différence fondamentale entre les deux communautés : le

soutien de la mère patrie. Là où les Grecs avaient le soutien de leur gouvernement pour les

quelques lynchages relayés ou les conditions de vie déplorables rapportées, les Africains-

Américains, eux, provenaient d’un Sud anciennement esclavagiste américain qui les traitait

comme moins que des citoyens, et n’avaient ainsi pas la chance d’avoir un gouvernement

les soutenant et pouvant faire pression en cas de rude épreuve – en effet le système

politique en question facilitait même plutôt tout dérapage de la population raciste sans que

celle-ci ne craigne de sanction majeure. Ainsi ici, la presse ethnique grecque était un fort

outil de liaison entre un système parfois discriminant et un gouvernement bienveillant ; la

presse ethnique noire, elle, était virtuellement le seul rempart, la seule voix susceptible de

faire valoir la cause des Noirs aux États-Unis, auprès d’un système peu en faveur de cette

communauté.

3) Une mère patrie bienveillante contre une société d’accueil suspicieuse

Rappelons que le contexte sociopolitique de l’époque était celui de la Première Guerre

mondiale : le Chicago Defender – contrairement au National Herald – ne soutenait pas la

guerre mondiale ; plus précisément, il ne soutenait pas l’envoi de soldats noirs au front, en

France. Tandis que d’autres personnalités noires comme W.E.B. Du Bois, via le journal

The Crisis, considéraient cela comme un autre pas vers la citoyenneté américaine à part

entière des Noirs, le Defender était fermement contre240

- il serait possible ici de faire un

parallèle avec l’Irlande, à la même époque, divisée entre les pro- et les anti-Guerre

mondiale, les pro- pensant que d’envoyer des soldats irlandais en France donnerait une

239 Emmanuel E. Velivasakis, “Memorial Day 2008; A Tribute to the Pioneer Greeks of the West”, in Official

Publication of the Pancretan Association of America, July-August 2008, pp. 16-17 240 Clint C. Wilson, “Robert Sengstacke Abbott” (biography), in American National Biography, ed. John A.

Garraty and Mark C. Carnes, New York and Oxford: Oxford University Press, vol. 1, 1999, pp. 31-32.

Charles A. Simmons, The African-American Press, p. 25.

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71

bonne image de l’Irlande auprès de l’Angleterre, et lui ferait gagner son indépendance (ce

qui ne fut pas le cas). Le Chicago Defender fut l’un des seuls journaux à refuser de se

laisser distraire par le sujet de la guerre dans son traitement de l’information, et bien qu’il

traita des soldats noirs envoyés au front, il continua de relever les divers lynchages et autres

crimes perpétrés contre les Noirs du pays, ces sujets étant, eux, oubliés temporairement par

les autres médias241

.

Dans la presse ethnique grecque, l’Atlantis et le National Herald, malgré leur différents au

quotidien autant sur la politique grecque qu’américaine, furent tous deux en faveur de

l’entrée en guerre des États-Unis et présentèrent des discours très patriotiques ; ils

poussèrent même leurs lecteurs à s’enrôler dans l’armée, à demander la citoyenneté

américaine et à acheter des « Liberty Bonds », des obligations de guerre vendues aux États-

Unis afin de soutenir financièrement les Alliés242

. Autrement, l’accent fut également de

plus en plus mis sur les débats animant la scène américaine – et l’Atlantis et le National

Herald continuèrent de s’opposer ici, devenant respectivement pro-Républicains et pro-

Démocrates, et appelant leurs lecteurs à voter et devenir politiquement actifs dans les

campagnes de ces partis243

. Dès 1917 par exemple, ils furent opposés sur la question du

nouveau maire pour New York City : l’Atlantis soutenait Hearst ainsi que John F. Hylan,

critiqué pour être pro-allemand également, ce qui ne l’empêcha pas de gagner les élections

le 6 novembre ; le National Herald, lui, soutenait John Purroy Mitchel, également le choix

du New York Times244

.

Mais l’assimilation ne se jouait pas que sur la thématique de la Première Guerre mondiale

ou sur la politique bien sûr : les petits détails comptent, et de façon générale les journaux

grecs n’hésitaient pas à comparer les héros américains aux héros grecs – un certain nombre

de journaux décrivaient d’ailleurs le « Grand Émancipateur » Lincoln à leur lectorat grec en

le comparant à Périclès245

; on peut mentionner à nouveau ici l’article du National Herald

241 Ibid., p. 39.

The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry

Lennix, 2005, 62 min. 242 S. Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter

1979, p. 52. 243 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press”, pp. 53-55. 244 S. Victor Papacosma, "The Greek Press in America", p. 54. 245 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press”, p. 58.

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comparant le Père Noël grec à Santa Claus. Mais aussi, le Herald, dès son grand début en

avril 1915, publia des annonces pour des cours d’anglais (voir annexe 11). Enfin, bien sûr,

comme le Chicago Defender, le Herald publia de nombreuses annonces d’emploi (voir

annexes 12 et 12 bis).

Malgré ces efforts, la presse ethnique – ainsi que les associations – étaient mal vues par les

natifs américains246

. La presse fut régulièrement suspectée de complot contre les États-Unis

selon les tendances politiques du moment. « Two main charges have been leveled against

[the ethnic press] », écrit Jerzy Zubrzycki : « that it tends to transfer the partisan views and

divisions of the country of origin to the new environment, and, secondly, that it might be

used as an organ of propaganda of a nationalistic character by a foreign power »247

. À ce

niveau-là, le libéral National Herald fut relativement protégé de toute allégation

antipatriote ; en contexte de guerre mondiale cependant, les peurs étaient d’autant plus

exacerbées, et l’Atlantis fut moins chanceux de par son soutien au roi grec Constantin, qui

s’était montré pro-allemand avant la guerre. Pire encore, le National Herald ne fut peut-être

pas pour rien dans cette suspicion de son concurrent :

Atlantis, by supporting the neutral stand of King Constantine, exposed itself to pro-

German accusations. […] Consistently condemned for alleged pro-German propaganda,

Atlantis found itself investigated for possible violations of the Espionage Act of June 15,

1917, on the demand of Greek-American Liberal groups. […] It might be pointed out

that after Venizelos’s return to power in June 1917, the sale of the Atlantis in Greece

was prohibited248

.

Connaissant le lien très fort existant entre Venizélos et Tatanis, et entre Tatanis et l’élite

grecque et d’autres personnalités politiques haut-placées de la société américaine, il ne

serait pas étonnant que Tatanis ait usé de son influence pour porter préjudice à son grand

concurrent. Ce n’est qu’une vague allégation – mais l’hypothèse n’est pas à exclure.

Il est un autre point intéressant à soulever sur le thème des priorités thématiques politiques

choisies par les journaux. D’aucuns étaient sceptiques quand au rôle de la presse : par

246

Dirk Hoerder and Christiane Harzig, The Immigrant Labor Press in North America, 1840s-1970s: An

annotated bibliography, New York: Greenwood Press, 1987. Cité par Leara D. Rhodes, The Ethnic Press:

Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, pp. 38-39. 247 Jerzy Zubrzycki, “The Role of the Foreign-Language Press in Migrant Integration”, in Population Studies,

Vol. 12, No. 1 (July 1958), p. 80. 248 S. Victor Papacosma, "The Greek Press in America", p. 52.

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exemple Théodore Saloutos admet qu’elle fut un important instrument de liaison entre les

deux identités nationales, cependant il se demande également si elle n’a pas eut un rôle

encore plus important « [in] perpetuating Old World quarrels and fomenting political strife

in the United States »249

. Or Victor Papacosma fait une très bonne observation à ce sujet :

As the Venizelist-Constantinist episodes indicated, personalities frequently dominated

politics and distracted attention from important ideological and social issues. This

traditional tendency, and the inclination of Greek-Americans to involve themselves in

commercial enterprises, curbed the development of a strong radical or socialist press. In

comparison to other ethnic groups, the Greeks sponsored a relatively small number of

radical publications despite their inclusion in the first part of this century in the lower

socioeconomic classes250

.

Ainsi le fait de perpétuer ces « querelles » servit plus la société américaine qu’elle ne la

desservit sur le long-terme ; ceci se réalisa cependant au prix d’une oblitération plus ou

moins consciente des conditions sociales vécues par la communauté aux États-Unis à

l’époque, permettant ainsi d’autant plus une idéalisation de cette nation et dissuadant toute

critique virulente de celle-ci. Le Defender, lui, resta fidèle à sa mission première et même

durant la Première Guerre mondiale, contrairement à la plupart de ses confrères noirs ou

même grecs, et continua de dénoncer les injustices subies par sa communauté ethnique.

Tous deux journaux, à travers leurs diverses rubriques et conseils, continuèrent également

leur travail de socialisation en terre urbaine ; parfois cette volonté d’éduquer pouvait

cependant se transformer en une dénaturation de l’identité ethnique des migrants.

249 Theodore Saloutos, The Greeks of the United States, 1964. Cité par Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press: A Comparative Analysis”, in Journal of Ethnic Studies, 7:2 (Summer 1979),

p. 54. 250 S. Victor Papacosma, "The Greek Press in America", p. 55.

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Chapitre 2 : La presse ethnique et les valeurs élitistes

L’initiative des intelligentsias respectives des communautés grecque et noire, étant de

vouloir « éduquer » les migrants à leur nouvel environnement, pouvait amener ses

problèmes, notamment celui de la représentation des diverses couches sociales des

migrants : la culture populaire que ces derniers amenèrent avec eux dans l’étrange Nord

étatsunien n’était plus de mise, et leur presse ethnique leur fit bien ressentir ce décalage à

réparer. Le National Herald et le Chicago Defender conseillèrent les migrants sur les

attitudes à adopter, de façon explicite comme avec les rubriques de « Dos and Don’ts » du

Defender, ou de façon moins explicite avec l’usage tacite et répandu dans la presse grecque

du langage soutenu (appelé « katharevousa » : langue pure) parlé par les élites, et ainsi

difficile d’accès pour la plupart des immigrants grecs ruraux.

Dans un premier temps, le Chicago Defender en alliance avec la Chicago Urban League

publia à partir de 1917 et jusque dans les années 1920 des listes d’attitudes ou pratiques à

faire ou à éviter à Chicago, adressées aux migrants récemment arrivés du Sud et intitulées

« Some Don’ts », « A Few Do’s and Don’ts » ou « How to Act in Public Spaces »251

. En

mai 1919, voici ce que le journal déclara avant de publier une liste de pas moins de 26

habitudes à abandonner :

It is evident that some of the people coming to this city have seriously erred in their

conduct in public places, much to the humiliation of all respectable classes of our

citizens, and by so doing, on account of their ignorance of laws and customs necessary

for the maintenance of health, sobriety and morality among the people in general, have

given our enemies ground for complaint252

.

Cette initiative témoigne en effet des tensions sociales existant au sein même de la

communauté noire dans le Nord des États-Unis, une communauté loin d’être homogène :

tandis que le Chicago Defender parlait à la race de façon mythique et tout inclusive, d’un

autre côté il « prescrivait aussi à ses lecteurs les « bons » comportements – les « do » et les

251 Wallace D. Best, Passionately Human, No Less Divine: Religion and Culture in Black Chicago, 1915-

1952, Princeton and Oxfordshire: Princeton University Press, 2005, pp. 37-38. 252 The Chicago Defender, le 17 mai 1919.

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« don’t » correspondant aux principes de vie bourgeois »253

. La principale inquiétude se

concentrait sur les façons de faire et de s’habiller « indécentes », mais ces listes

véhiculaient aussi beaucoup d’idées reçues et de stéréotypes sur les Sudistes254

.

De la même façon que l’on connaît la volonté des « vieux immigrants » européens de se

détacher des « nouveaux immigrants », aussi retrouvait-on au sein de chaque communauté

ethnique une lutte de classes. Les Grecs et les Noirs des classes plus aisées des sociétés du

Nord étatsunien voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de nouveaux migrants sans éducation

avec qui ils risquaient d’être amalgamés : « it was of paramount interest to the [Greek]

middle-class to sanction Americanization. The stigma attached to non-conforming

immigrants posed a constant threat to undermine its economic and social interests »255

.

L’élite noire de Chicago souhaitait le bien général des Noirs également, mais elle ne voulait

pas non plus être associée aux migrants nouvellement arrivés dont les mœurs étaient jugées

indécentes – des tensions qui ne firent que grandir au fil de la Grande Migration : « [t]he

tensions that flared between new arrivals and longtime residents had as much to do with the

region from which the migrants came as it did with their large numbers »256

.

Julius Nelthropp Avendorph était un personnage très proéminent dans les cercles sociaux

supérieurs de la ville : « [n]o social gathering of any note was complete without the

presence of this meticulous man of style and manners », écrit même Wallace Best257

.

Avendorph éditait la rubrique de société du Chicago Defender, et vers la fin de sa vie il

publia deux articles dans lesquels il exprima son désarroi face au relâchement des normes

sociales des Noirs de Chicago, ainsi qu’à l’intrusion d’« imposteurs » dans les cercles

d’élite. Il écrivit, en 1917 : « [t]wenty-two years ago, Chicago could rightfully claim a real

social set that stood for high ideals and did not hesitate to draw a line of demarcation »258

.

253 Andrew Diamond; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, p. 159. 254 Wallace D. Best, Passionately Human, pp. 37-38. 255 Ioanna Laliotou, “Migrating Greece: Historical Enactment of Migration in the Culture of the Nation”,

Ph.D. dissertation, European University Institute, p. 203. Citée par Yiorgos Anagnostou, “Forget the Past,

Remember the Ancestors! Modernity, “Whiteness,” American Hellenism, and the Politics of Memory in Early

Greek America”, in Journal of Modern Greek Studies, Vol. 22, No. 1 (May 2004), pp. 54-55. 256 Wallace D. Best, Passionately Human, p. 37. 257 Ibid., p. 35. 258 Idem.

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Pour autant, nous avons déjà vu que le journal gardait sa propre ligne éditoriale s’il le

souhaitait, et encourageait la visite du Stroll par exemple, contrairement aux

recommandations de la Chicago Urban League. Cette ambivalence peut être également

observée au sein d’un même article de « A Few Do and Don’ts » de juillet 1918 (voir

annexe 13). Toute la première partie de celui-ci est consacrée à la nouvelle de la mort de

« Pitchfork » Ben Tillman, « one of the pioneers of the infernal propaganda of Race

hatred », et à la condamnation par l’auteur de l’article de plusieurs autres politiques ayant

professé des discours explicitement racistes259

. La deuxième partie de l’article consiste en

une liste de 16 « don’ts » et 20 « dos », certains d’entre eux étant plutôt triviaux comme

« gardez votre maison propre » ou « ne laissez pas vos fenêtres et portes sans rideaux » ;

mais d’autres sont nettement plus libéraux et appellent au respect de soi. Ainsi, à la fin de la

liste de « dos », voit-on :

Do stand up for your rights, but respect the other fellow’s.

Do be a patriotic and justice loving American citizen.

Do understand that you are 100 per cent American.

Do tell the other he’s a liar if he says not260

.

Ici ainsi on voit que malgré ces listes de comportements à avoir, une fois de plus le

Chicago Defender n’oublie pas que ces efforts sont à contrebalancer avec les énormes

obstacles que représentent de telles personnes et systèmes racistes. Aussi continuait-il, en

plus des « dos » et « don’ts », à relayer massivement les lynchages contre les Noirs du

pays.

Dans la langue grecque, il existe le « katharevousa », la forme soutenue ou classique de la

langue, parlée par les classes les plus aisées et éduquées ; et il existe le « demotiki »,

littéralement « populaire », soit la langue parlée régionalement par les paysans et les moins

éduqués, et où parfois des mots peuvent emprunter une origine slave ou turque – en somme,

le « demotiki » est l’équivalent du « patois » français.

Dans le cas de cette immigration grecque, comme nous l’avons vu, les immigrants étaient

majoritairement précaires et non-éduqués, aussi composaient-ils la majorité de la

259 Ben Baker, “A Few Do and Don’ts”, in The Chicago Defender, le 13 juillet 1918, p. 16. 260 Idem.

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communauté grecque de New York et Chicago. Pourtant les journaux comme l’Atlantis ou

le National Herald appartenaient et étaient dirigés par des marchands – migrants eux-

mêmes, mais pas de la même couche sociale. La presse ethnique grecque utilisait ainsi de

façon générale le langage soutenu ou officiel – de la même façon que l’arabe classique est

utilisé dans les médias arabophones aujourd’hui, et non les langues ou dialectes régionaux,

par exemple. La presse grecque justifiait cette utilisation de la « katharevousa » par une

volonté d’entretenir la « fierté ethnique »261

. Utiliser la langue des élites était perçu comme

un moyen de garder une culture « pure » - un argument également avancé par la presse

ethnique polonaise de l’époque262

.

Le National Herald explicite clairement ceci (en anglais) dans l’une de ses premières

parutions, le 11 avril 1915 (voir annexe 14) :

Despite its long dominance by the Turks, the Greeks race has preserved its individuality;

the written language of the Greeks is still pure. Greek literature, the language of the

better Greek newspapers, can be readily understood by any one who has retained a

classic education. […] Greece once more looks forward to regaining her old time

prestige in the arts and sciences as well as international commerce263

.

Le passage décrivant « any one who has retained a classic education » est bien le cœur du

problème : présenté ici comme un outil de salut pour la communauté grecque et sa culture,

en réalité elle en exclut une grande partie. Pourtant, comme l’explique l’éditeur en 1943 en

réponse à une lettre d’un travailleur immigré grec ayant provoqué une discussion au sujet

de l’utilisation de la langue populaire à la radio grecque aux États-Unis, l’intellectuel se

doit d’être capable de traiter de tous types de langages, cependant il est aussi de son devoir

d’utiliser une langue soutenue puisque leur travail est jugé sur ce critère264

.

Cependant, nous pouvons déjà faire un rapprochement ici avec l’œuvre de Benedict

Anderson, que nous verrons plus en détail au chapitre suivant, lorsqu’il parle de la fixation

de certaines langues dominantes à travers l’imprimerie de masse :

261 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press: A Comparative Analysis”, in

Journal of Ethnic Studies, 7:2 (Summer 1979), p. 56. 262 Ibid., p. 60. 263 J. Allan Dunn., “The Greek in America”, in The National Herald, le 11 avril 1915, p. 2. 264 Lettre intitulée « Χρησιμοποίησης της δημοτικής από του ραδιοφώνου », in Euthyfronos G. Ioannidou, Το

Ελεύθερον Βήμα [The Free Tribune], New York : The National Herald, April 1944 (collection of letters, pp.

103-104.

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78

It remains only to emphasize that in their origins, the fixing of print-languages and the

differentiation of status between them were largely unselfconscious processes resulting

from the explosive interaction between capitalism, technology and human linguistic

diversity. But as with so much else in the history of nationalism, once ‘there’, they could

become formal models to be imitated […]265

.

Anderson cite ensuite l’exemple du gouvernement Thai interdisant toute publication de ses

minorités tribales dans leur langue – « the same government is largely indifferent to what

these minorities speak »266

. En effet on retrouve ici le paradoxe de la société américaine,

construite par des migrants et pourtant suspectant les publications en langue étrangère ;

mais on retrouve également, au niveau communautaire et notamment dans le cas de la

presse ethnique grecque, cette représentation d’une unique langue considérée comme

« vraiment » grecque. Toute autre nuance ou régionalisation de la langue grecque est

péjorativement jugée comme impure :

Often [the Greek “katharevousa”] was put in opposition to Turkofication or

Bulgarization, which have been two negative terms for a long time in Greece and all the

more so at that time, not long after Greece’s independence. On the contrary, the Greek

American press tried to emphasize the liberation and freedom offered by

Americanization267

.

Ainsi est-on en droit de se demander si cet entretien de la « pureté » de la culture grecque,

en tant que tentative de garder une fière identité ethnique, ne forçait pas insidieusement les

migrants à abandonner leur culture populaire afin de pouvoir vraiment prétendre à faire

partie de la communauté grecque « respectable » et homogène, avant toute inclusion dans la

société américaine. En effet que ce soit dans l’hebdomadaire africain-américain ou le

quotidien grec, tous deux donnent des conseils « d’adaptation » qui sont en réalité parfois

moins visés à l’adaptation du migrant dans la nouvelle société directement qu’à

l’adaptation du migrant à une nouvelle étiquette de classe au sein de la communauté

ethnique, avant tout autre adaptation culturelle au Nord étatsunien, afin de ne pas

« entacher » les élites ethniques existantes.

265 Benedict Anderson, Imagined Communities; Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, New York and London: Verso, 1983, p. 45. 266 Idem. 267 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press”, p. 56.

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Au-delà des façons de faire explicitement conseillées ou déconseillées par le Chicago

Defender, il existait une autre entente tacite de l’élite noire concernant les types de métiers

préférables ou non pour l’image de la « race », et on y trouvait les porteurs de la

compagnie Pullman – que le Chicago Defender utilisait par ailleurs pour transmettre des

copies de son journal aux passagers voyageant entre le Nord et le Sud :

For nearly all upper-class black Chicagoans, the Pullman Company was an ideal

vocational path to community respectability. To Old Settlers, the reputation

accompanying the status of Pullman Porters was widely regarded throughout Chicago

with the utmost respect and was believed to be an avenue for financial stability and

middle-class sensibilities. Even to New Settlers like media mogul Robert Abbott, whose

Chicago Defender continually antagonized Chicago’s racial status quo by reporting on

black railroad workers to help drive home support for Pullman Porters’ struggles for pay

increases, the status of Pullman porter automatically placed African American redcaps at

a higher level of community respectability. In fact, the Defender routinely reported the

names of Pullman employees who had achieved the level of porter and considered the

occupation one of the most important in the community268

.

La presse ethnique grecque aussi véhiculait ses préférences de domaines d’occupation.

Comme brièvement mentionné en introduction, la philosophie grecque était proche du

« self-reliance » américain, aussi la communauté grecque en Amérique n’était pas très axée

sur les mouvements syndicaux, ce qui explique l’inexistence d’une telle presse

contrairement à d’autres groupes ethniques. L’autre explication est que la presse ethnique

grecque appelait activement à éviter les syndicats ouvriers et tout métier industriel – le

National Herald contribua d’ailleurs à la promotion sociale des Grecs dans les années

1920269

– et à privilégier l’entraide communautaire :

As for the Greek press, there is little written about their relationship to the labor

movement […]. Neither was there a sizeable radical or socialist Greek press. The Greek

workers [… especially] concentrated in entrepreneurial and service occupational

activities, and unionization was not really a live issue in those fields.270

Ceci eut ainsi pour résultat que les Grecs partageaient rarement les mêmes occupations que

les autres migrants, préférant l’entreprenariat – même par un tout petit restaurant – tel

268 Kevin D. Greene, ““Just a Dream”: Big Bill Broonzy, the Blues, and Chicago’s Black Metropolis”, in

Journal of Urban History, Vol 40(1), 2014, p. 120. 269 Alexander Kitroeff, “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies"

(« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015, <http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-

inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015. 270 Charles Jaret, “The Greek, Italian and Jewish American Ethnic Press”, p. 63.

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80

qu’encouragé par la presse de la communauté, en se reposant principalement sur les

ressources de celle-ci :

The Greek American press also spoke to the issue of ethnic interdependence […]. […

By] remaining outside the union movement and the industrial lower and working classes

and centering in entrepreneurial, professional, and service occupations, as well as by

remaining outside the Roman Catholic Church, Greek Americans were usually in a very

different social niche than the other European immigrant groups, lacking these important

commonalities with them271

.

Cette transmission du haut vers le bas fonctionnait, les immigrants grecs intériorisant ces

standards et agissant en conséquence : ainsi les femmes, lorsqu’elles rejoignirent leurs

maris au début du siècle, poussèrent-elles ces derniers à acquérir des petits commerces,

qu’ils développèrent progressivement par la suite – en faisant venir et en employant

d’autres ressortissants grecs de leur cercle d’amis ou de leur famille notamment272

. Ainsi

dès les années 1920-1930, on peut observer une véritable propulsion de la communauté

grecque dans la classe moyenne, avec de plus en plus d’hommes d’affaires grecs, dans une

perspective de vouloir paraître « plus américain »273

. De la même façon, ces années virent

une augmentation du nombre de publications grecques en langue anglaise, tandis que

jusqu’alors elles n’étaient qu’en grec : l’assimilation suivait son cours, l’identité ethnique

grecque restant pourtant visible – tout comme l’identité ethnique Africaine-Américaine

sudiste persistait, comme en témoignait le Stroll, malgré le rabâchage de bonnes manières

de la plupart des associations noires et de l’intelligentsia noire de Chicago.

271Ibid., p. 65. 272 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in

American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 273 Alexander Kitroeff, Chapter I: Immigrants, The Journey: The Greek American Dream.

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Chapitre 3 : Construction d’une communauté imaginaire

Les migrants noirs et grecs, avec leurs histoires personnelles et leurs appréhensions

différentes du voyage et de leur nouvel environnement, étaient partis en tant qu’individus à

part entière ; pourtant, ils arrivèrent en un groupe massif plus ou moins homogène : au

regard de la population indigène, ils faisaient tous partie d’un même groupe ethnique274

.

Cette perception, qui rappela constamment aux migrants leur différence, changea également

la propre perception qu’ils avaient d’eux-mêmes : « self-perception derives from a bilateral

process of recognition »275

, et ainsi furent-ils poussés à se retrancher avec des personnes

susceptibles de ne pas les juger si rapidement de l’extérieur – ces personnes-là ne pouvaient

être, dans un premier temps, que des autres migrants venant du même pays ou d’une région

similaire et connaissant la même expérience de déracinement et de jugement extérieur.

Ces expatriés se retrouvèrent ainsi dans des enclaves ethniques où ils partagèrent les mêmes

codes culturels et, surtout, le même amour pour leur endroit d’origine dont eux-seuls

connaissaient la préciosité. Ce point commun – la vision de la maison, « home », le chez-

soi – se retrouva dans la presse ethnique, qui put souvent faire preuve d’émotion et

d’indignation au sujet de sa patrie ou de son groupe. Pour la presse grecque, autant

l’imposition d’une seule langue « valable » fut dangereuse pour la diversité de langages

ethniques ; autant ce fut l’une des institutions les plus fondamentales pour la perpétuation

du nationalisme grec aux États-Unis. C’est l’un des arguments centraux traité par Benedict

Anderson à propos de son concept de « communautés imaginaires ». Pour lui nationalisme

et langue souveraine sont parties intégrantes, en effet nécessaires, de ces communautés qui

furent ainsi développées et entretenues en grande partie par l’imprimerie et la presse de

masse (qu’il terme de « print capitalism »)276

.

274 Leara D. Rhodes, The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang, 2010, p. 38. 275 Ioanna Laliotou, Transatlantic Subjects: Acts of migration and cultures of transnationalism between Greece and America, Chicago & London: The University of Chicago Press, 2004, p. 2. 276 Benedict Anderson, Imagined Communities; Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, New

York and London: Verso, 1983, pp. 39-40.

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82

Nous allons donc, au vu des informations précédentes, nous arrêter et définir ce concept de

« communautés imaginaires » afin d’observer en quoi les deux journaux ethniques grec et

noir furent des acteurs majeurs pour la survie de leurs communautés au plan imaginaire.

Anderson attribue la naissance de celles-ci aux divers nationalismes des XIXe et début du

XXe siècles, et dans son livre il commence par définir les irritations rencontrées par les

théoriciens du nationalisme :

(1) The objective modernity of nations to the historian’s eye vs. their subjective

antiquity in the eyes of nationalists.

(2) The formal universality of nationality as a socio-cultural concept [….] vs. the

irremediable particularity of its concrete manifestations, such that, by definition,

‘Greek’ nationality is sui generis.

(3) The ‘political’ power of nationalisms vs. their philosophical poverty and even

incoherence. In other words, unlike most other isms, nationalism has never produced

its own grand thinkers: no Hobbeses, Tocquevilles, Marxes, or Webers. […] Part of

the difficulty is that one tends unconsciously to hypostasize the existence of

Nationalism-with-a-big-N […]. It would, I think, make things easier if one treated it

as if it belonged with ‘kinship’ and ‘religion’, rather than with ‘liberalism’ or

‘fascism’277

.

Ce tout dernier point est intéressant pour notre étude : en effet en se basant sur ce standard

qui considère le nationalisme en tant qu’autre institution intégrante d’une société plutôt

qu’à un mouvement politique ou idéologique, alors on peut mieux comprendre

l’importance que le débat politique grec put avoir pour les migrants u Nord industriel des

États-Unis. Plus qu’un moyen de garder un œil de l’autre côté de l’Atlantique, c’était aussi

et surtout la perpétuation d’une autre institution de leur communauté, qu’ils ont emmenée

avec eux au Nouveau Monde au même titre que l’Église ou la presse ethnique.

Comment parler de nationalisme lorsqu’il n’y a pas de pays délimité à proprement parler

cependant ? Dans le cas des Africains-Américains, ce qui peut s’apparenter de façon la plus

proche à tout nationalisme serait leur référence constante au Sud :

Though dispersed from the South, black southern migrants remained committed to their

home region and to southern ways of life. […] Southern migrants frequently referenced

the South as “home” or “down home”, indicating that the region maintained a

tremendous hold on them culturally and emotionally. Even Richard Wright, who was as

277 Ibid., p. 5.

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ambivalent about the South as he was about black southerners, confessed to the strong

grip his southern heritage had on him. In his autobiographical novel, Black Boy, he

asserted, “I knew that I could never leave the South, for my feelings had already been

formed by the South, for there had been slowly instilled into my consciousness… the

culture of the South”278

.

Le Chicago Defender n’y était pas pour rien : il entretenait un tel lien avec le Sud comme à

travers les nouvelles des congrégations ecclésiastiques de cette région comme nous l’avons

déjà mentionné ; mais aussi à travers d’autres nouvelles concernant la communauté du Sud

de façon générale : les nouveaux mariés, les familles ayant déménagé, les soldats revenus

du front… Ce genre de petites nouvelles étaient le plus souvent référencées par État –

comme l’exemple de l’annexe 15 sobrement intitulée « Texas », dans la rubrique « News

From Your Home Town »279

.

Le South Side de Chicago, et à plus forte raison le Stroll, représentaient ainsi la continuité

de leur maison originelle, la continuité d’eux-mêmes – ce que soutenait le Defender. Le

journal défendit également les Noirs qui tentèrent d’acheter des propriétés au-delà des

« limites » du quartier noir en les comparant aux autres communautés ethniques de la ville :

In the opinion of some [the purchasing of property by our group in what is called white

neighborhoods] has created a problem which must be solved. The fact seems to be lost

sight of that this rapid influx includes not only persons of our group but other races and

nationalities as well, as for instance, the Poles, Italians, Greeks, Lithuanians and

Hebrews all have outgrown their original districts […]280

.

Mais ce n’est en effet qu’en se réappropriant leur espace, forcé ou pas, qu’Africains-

Américains comme Grecs purent supporter le fait d’être loin de chez eux. Robin Bachin

écrit à propos du South Side : « [i]n this rigidly defined space, blacks carved out a cultural

identity that wedded the traditions of their southern heritage to their hopes and ambitions in

278 Wallace D. Best, Passionately Human, No Less Divine: Religion and Culture in Black Chicago, 1915-

1952, Princeton and Oxfordshire: Princeton University Press, 2005, p. 37. 279 The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry

Lennix, 2005, 62 min. 280 “Home, Sweet Home”, in The Chicago Defender, le 30 août 1919, p. 20.

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84

industrialized cities of the North »281

. En effet le South Side, comme l’écrit Andrew

Diamond, n’était pas qu’un pur produit de la ségrégation spatiale – pas complètement :

[C]’était aussi un lieu où les nouveaux venus se sentaient à l’aise, retrouvaient des

membres de leur famille ou des habitants de la région ou de la ville qu’ils avaient

quittée. À ce titre, il amortissait socialement et culturellement le choc migratoire,

semblable en cela aux autres quartiers ethniques de la ville282

.

De la même façon, le National Herald publiait constamment des encarts publicitaires

adressés à son lectorat grec, et entretenant l’espoir de retourner un jour « à la maison »

comme avec des annonces pour des compagnies de voyage en bateau entre la Grèce et New

York, avec des questions susceptibles d’attirer l’attention des lecteurs – puisque répondant

directement à leurs attentes – telles que « Avez-vous besoin de voyager en Grèce ? » ou

« Voulez-vous faire venir votre famille ici ? »283

(voir annexe 16).

Le point de liaison avec la mère patrie avait déjà commencé avec les diverses associations

locales, régionales ou nationales mises en place par les communautés grecques aux États-

Unis qui avaient pour double mission de s’occuper des Grecs d’Amérique et des Grecs de

Grèce. Elles offraient un entraide communautaire sur place pour les nouveaux arrivants,

mais aussi assistaient les villages d’origine qui avaient besoin de financement pour des

projets, des écoles, des centres médicaux, ou suite à des catastrophes naturelles ou

politiques284

. De tels appels furent largement relayés par la presse ethnique grecque, comme

on peut le voir dans les pages du National Herald incarnant ainsi un rôle de collecteur de

fonds en plus de pourvoyeur d’information concernant où envoyer cet argent. On peut voir

beaucoup de lettres de membres de la communauté grecque demandant ce genre

d’informations, afin d’envoyer de l’argent ou des colis au front durant la Seconde Guerre

mondiale notamment285

.

281 Robin F. Bachin, Building the South Side: Urban Space and Civic Culture in Chicago, 1890-1919,

Chicago: University of Chicago Press, 2004, pp. 247-248. 282

Andrew Diamond, Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, Paris : Fayard, 2013, pp. 156-157. 283 Publicité pour une agence de voyage grecque, in The National Herald, le 6 avril 1915. 284 Anna Karpathakis, “Greeks and Greek Americans, 1870-1940” in Elliott Robert Barkan, Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and Integration, Volume 1, Part 2, ABC-CLIO, 2013. 285 Euthyfronos G. Ioannidou, Το Ελεύθερον Βήμα [The Free Tribune], New York : The National Herald,

April 1944, pp. 51, 153, 179.

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85

Ainsi le concept de « communauté imaginaire » est-il applicable à ces deux communautés

de migrants – qu’Anderson applique ici principalement en relation à la nation, mais que

nous pouvons étendre ici à une communauté imaginaire ethnique :

It is imagined because the members of even the smallest nation will never know most of

their fellow-members, meet them, or even hear of them, yet in the minds of each lives

the image of their communion. […] The nation is imagined as limited because even the

largest of them, encompassing perhaps a billion living human beings, has finite, if

elastic, boundaries, beyond which lie other nations. […] Finally, it is imagined as a

community, because, regardless of the actual inequality and exploitation that may prevail

in each, the nation is always conceived as a deep, horizontal comradeship. Ultimately it

is this fraternity that makes it possible, over the past two centuries, for so many millions

of people, not so much to kill, as willingly to die for such limited imaginings286

.

Sur tous les points, il est facile d’imaginer la référence à l’une ou l’autre des deux

communautés vis-à-vis de leur mère patrie ou de leur région d’origine – excepté peut-être le

dernier point. En effet, concernant le troisième thème du sacrifice, il est prudent de

comparer les deux communautés et les deux journaux vis-à-vis des États-Unis. Nous avons

montré que la presse ethnique grecque idéalisait largement le regard bienveillant des États-

Unis, parfois ainsi au détriment indirect de la communauté grecque s’accablant à tort de

certains maux, tandis que le Chicago Defender fut bien plus prompt à défendre sa

communauté contre les violences raciales perpétrées contre elle.

Peut-être est-ce ici que les deux communautés diffèrent le plus, jusque dans leur

assimilation : la presse ethnique grecque contribua non seulement à l’entretien d’une

communauté imaginaire en relation avec la mère patrie ; mais aussi, en imaginant les États-

Unis « regardless of the actual inequality and exploitation that may prevail », et en

imaginant ce pays en tant qu’une « deep, horizontal comradeship » parfois à tort, la presse

grecque força alors le chemin vers la construction d’une autre communauté imaginaire, en

relation avec le pays d’accueil cette fois-ci. Comme l’exprime Ioanna Laliotou : « [t]he

ideology of forgetting […] was instrumental in immigrant assimilationist politics which

simultaneously emphasized and suppressed memories of nativist violence. The claim to

national membership precludes a critique of violence as national, relegating it as an isolated

286 Benedict Anderson, Imagined Communities, p. 7.

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86

exception. Here the nation is seen as inherently benevolent »287

. Anderson

écrit : « nationalism thinks in terms of historical destinies »288

, et c’est en effet l’idée

qu’entretint le National Herald, du moins à ses débuts. Il passa ensuite graduellement d’un

nationalisme grec à un « double-nationalisme » à la fois centré sur la Grèce et sur les États-

Unis, avant enfin de considérer l’identité grecque de ses lecteurs moins en tant qu’identité

citoyenne/nationaliste qu’ethnique : le cadre de référence passa donc graduellement d’un

cadre nationaliste grec à un cadre nationaliste américain289

.

Le Chicago Defender parlait également en termes d’avancement de la race noire, avec un

passé à ne pas oublier et une destinée propre ; cependant il était bien plus objectif dans son

militantisme que le National Herald. Dans son traitement de l’information, il restait

fortement critique des maltraitances faites par le système américain aux Africains-

Américains et le journal entretint de ce fait le regard critique de ses propres lecteurs envers

leur pays. Il semblerait que l’image véhiculée par le journal ait plus été celle d’un peuple

uni contre l’adversité, car où qu’il se trouvât dans cette adversité, celle-ci comportait son lot

d’injustices. Bien sûr, le journal était loin d’être anti-américain – lui-même entretenait le

Rêve Américain290

. Il permit cependant à sa communauté de lecteurs noirs de ne pas fermer

les yeux sur des faits sociétaux importants et leur portant préjudice – et par-là de vraiment

se débrouiller par eux-mêmes.

Il en va de même sur la question du sacrifice patriotique : « it is useful to remind ourselves

that nations inspire love, and often profoundly self-sacrificing love. […] Dying for one’s

country, which usually one does not choose, assumes a moral grandeur which dying for […

any other organization or body] can not rival, for these are all bodies one can join or leave

287 Ioanna Laliotou, “Migrating Greece: Historical Enactment of Migration in the Culture of the Nation”,

Ph.D. dissertation, European University Institute, p. 203. Citée par Yiorgos Anagnostou, “Forget the Past,

Remember the Ancestors! Modernity, “Whiteness,” American Hellenism, and the Politics of Memory in Early Greek America”, in Journal of Modern Greek Studies, Vol. 22, No. 1 (May 2004), p. 55. 288 Benedict Anderson, Imagined Communities, p. 149. 289 Yannis G. S. Papadopoulos, “The Role of Nationalism, Ethnicity, and Class in Shaping Greek American

Identity”, 1890-1927”, in Assaad E. Azzi, Xenia Chryssochoou, Bert Klandermans, Bernd Simon, Identity

and Participation in Culturally Diverse Societies: A Multidisciplinary Perspective, Hoboken: Wiley-

Blackwell, 2010, p. 11.

290 Alan D. DeSantis, “Selling the American Dream Myth to Black Southerners: The Chicago Defender and

the Great Migration of 1915-1919”, in Western Journal of Communications, 62(4) (Fall 1998).

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87

at easy will »291

. Ici aussi le Chicago Defender resta fidèle à lui-même lorsqu’il ne soutint

pas l’envoi de soldats noirs durant la Première Guerre mondiale. Tandis que la presse

grecque et une autre grande partie de la presse noire soutenaient l’initiative et appelait leurs

communautés à s’enrôler, le Defender, lui, ne marcha pas dans la mascarade et se tint à

l’écart, continuant de rappeler à ceux qui ne voulaient le voir que la discrimination

perdurait, et qu’en effet les États-Unis avaient encore besoin de réforme, loin d’incarner un

îlot paradisiaque pour les communautés ethniques.

On peut d’ailleurs noter la différence de degré d’attachement aux États-Unis de la

communauté grecque à travers cet appel aux armes : cette initiative, cette idée de sacrifice

pour la nation qui auparavant s’adressait surtout à la politique grecque, ici mêla les deux

pays – la Grèce et les États-Unis se trouvant du même côté durant la guerre. Ceci aida à

imaginer un peu plus facilement les États-Unis en tant que, non plus société d’accueil

temporaire, mais véritable nouvelle/seconde mère patrie, pour laquelle cela vaut la peine de

se sacrifier.

Avec le temps, les Grecs devinrent blancs, une transformation basée sur leur acceptation

sans condition, pourtant illusoire sinon malsaine, du traitement américain envers leur

groupe ethnique. Les Africains-Américains, de par leur respect pour eux-mêmes, furent

bien plus souvent pointés du doigt et ce encore aujourd’hui : en effet l’idéologie

prétendument américaine de « self-reliance », sur le long-terme, n’est au contraire pas

récompensée par la société qui en est à l’origine. Et ce à raison : jamais aucune société n’a

soutenu un système de pensée qui conduirait à sa propre perte.

Enfin, les lettres de migrants furent également un élément qui contribua à la formation

d’une communauté imaginaire, à plus forte raison lorsqu’elles étaient publiées par les

journaux ethniques. Les lettres privées, échangées dans les familles ou entre amis,

provoquèrent un intérêt et une connaissance « de l’intérieur » quand à la vie dans le Nord

étatsunien ; les lettres envoyées au journal ethnique, quant à elles, étaient la preuve que

d’autres que les migrants eux-mêmes étaient dans la même situation, avaient les mêmes

peurs, les mêmes difficultés, et les mêmes rêves. L’institution-même du journal, à son tour,

291 Benedict Anderson, Imagined Communities, pp. 141-144.

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rendait possible cette réalisation que les migrants n’étaient pas seuls, et formaient malgré

eux une communauté ethnique imaginaire – les institutions ethniques comme la presse

ethnique étant des dénominateurs communs à de nombreux numérateurs qui ne se

connaissaient pas nécessairement les uns les autres :

Semaine après semaine, les articles rendaient compte du départ massif des Noirs de

Géorgie ou du Mississippi, chroniquant les étapes du « grand exode », ce qui achevait de

convaincre les hésitants. « Faire partie du mouvement », « rejoindre les autres » sont des

expressions que l’on retrouve dans beaucoup de lettres292

.

On peut facilement observer que les deux communautés, à travers les lettres de leurs

membres, sont fières de leurs journaux ethniques et qu’elles respectent grandement leurs

éditeurs – incarnant quelque peu le chef de leur grande famille :

I was delighted when I saw my letter in the paper as I had waited patiently for it for

some time. Mother and father were sure some surprised [… when] they saw it in the

greatest paper in the world293

.

Dear Sir: Colored people of this place […] know you by note of your great paper […]294

.

Dear Sir: I have been takeing the Defender 4 months I injoy reading it very much I don’t

think that there could be a grander paper printed for the race, then the Defender […]295

.

Gentlemen: I read Defender every week and see so much good youre doing for the

southern people […]296

.

Tout comme un bon repas ne serait pas aussi savoureux pour un Grec sans le café, et

pour un Américain sans le pudding, ainsi le « Herald » ne serait pas si savoureux sans

votre rubrique et son hôte297

.

Mais à dire vrai, je vous admire pour votre sagesse, car vous résolvez toutes les

énigmes298

.

292 Andrew Diamond ; Pap Ndiaye, Histoire de Chicago, p. 152. 293 Lettre de Venice Terrence publiée dans The Chicago Defender, 3 septembre 1921, p. 8 (page réservée aux

lettres d’enfants, estampillée « By Young Folks »). 294 Lettre envoyée au Chicago Defender depuis Winston-Salem, N.N., le 23 avril 1917. Emmett. J. Scott,

“Letters of Negro Migrants of 1916-1918”, in Journal of Negro History, vol. 4, n° 3 (July 1919), p. 291. 295 Lettre envoyée au Chicago Defender depuis Ellisville, Mississippi, le 1er mai 1917. Ibid., p. 305. 296 Lettre envoyée au Chicago Defender depuis New Orleans, LA., le 7 mai 1917. Ibid., p. 317. 297 Lettre intitulée « Η εν τη εκκλησία τάξις εν ονόματι της... εξελίξεως » [L’ordre dans l’église au nom… du

développement]. Euthyfronos G. Ioannidou, Το Ελεύθερον Βήμα [The Free Tribune], New York : The

National Herald, April 1944, p. 110.

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Quelles que soient les allégeances nationalistes, il n’en reste pas moins que la communauté

ethnique était belle est bien sinon créée, au moins entretenue et développée toujours un peu

plus par les journaux ethniques tels que le Chicago Defender et le National Herald. Ce

dernier était le lien au sein de la diaspora grecque aux États-Unis, et entre la diaspora et le

centre national, dont les qualités principales sont résumées comme telles par Alexander

Kitroeff :

Pour l’immigrant grec, cette institution représenta une école quotidienne pour la

préservation et la cultivation de la langue. C’était souvent le seul moyen de maintenir un

lien avec les développements dans le pays et le monde qu'il a laissé derrière [mais dans

lequel] il avait l'intention de retourner ultérieurement […]. Le journal l'a aidé à se

connecter avec d'autres Grecs en Amérique pour trouver du travail, créer un réseau,

donner ou recevoir de l'aide. […] 299

.

De la même façon le Chicago Defender servait de véritable liant entre Chicago et le reste

du pays, et plus précisément le Sud – vaste terrain tout du moins – d’où venait la plupart

des migrants noirs de la ville du Midwest ; mais aussi et surtout, le Defender incarnait à la

fois un rempart contre le système ségrégationniste de la société américaine, mais également

une voix fondamentalement différente d’autres journaux africains-américains en ce qu’il ne

céda pas – complètement du moins – aux grandes tendances de l’intelligentsia noire de

l’époque. En cela, le passé de migrant d’Abbott lui servit pour garder un pied sur terre –

peut-être plus que Tatanis, en comparaison, qui semblait plus aspiré par la classe politique

élitiste de son pays expatriée à New York – et en conséquence Abbott sut servir ses lecteurs

tout autant que les aider réellement. En ceci le Defender était digne de son nom.

298 Lettre intitulée « δικαιώματα πληρεξουσίου εν Ελλάδι » [Droits de mandataire en Grèce]. Ibid., p. 192. 299 Alexander Kitroeff. “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies" (« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,

<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-

inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015.

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90

Conclusion

La presse ethnique aux États-Unis a un long historique teinté de suspicion de la part des

élites et institutions américaines, de par son caractère culturellement différent, et donc

potentiellement dangereux. Pourtant cette caractéristique ethnique est tout sauf dangereuse :

bien souvent elle n’est que l’expression de la volonté de la communauté ethnique de

s’ancrer dans la nouvelle société, doucement mais sûrement. Aucune assimilation ne se fait

du jour au lendemain, et certainement pas en abandonnant tout élément culturel identitaire

qui ne ferait qu’aggraver le décalage entre lieu d’origine et lieu de résidence actuelle, créant

par-là une véritable rancœur envers la société d’accueil et non plus, pour certains, une

idéalisation de celle-ci.

C’est la principale fonction de la presse ethnique : créer un point de convergence entre

« back home » et « here and now » qui facilite la transition entre ces deux points, plutôt que

d’accentuer la rupture. Il nous a été donné de voir que plusieurs institutions ethniques,

comme l’Église et d’autres associations socialisantes, offraient également un sentiment

d’appartenance aux communautés ethniques qui les avait créées pour son propre usage.

Elles représentèrent une véritable réappropriation de l’espace social et urbain des migrants,

créant des lieux bien à eux où la communauté avait accès à des espaces de convivialité et

d’échanges..

Des journaux ethniques tels que l’africain-américain Chicago Defender ou le grec National

Herald entretinrent de telles fonctions. Donnant à la fois la possibilité de suivre les

actualités sur les lieux d’origine « back home », ils offraient aussi une plateforme aux

institutions susmentionnées, créant ainsi un outil important où le migrant pouvait trouver

tout ce dont il avait besoin, au même endroit. Nous pouvons vérifier cela en reprenant la

liste développée par William Joyce quant aux fonctions de la presse ethnique, à la lumière

des informations contenues dans le corps de ce mémoire :

(1) Fournir de l’information sur la société d’accueil.

(2) Garder contact avec le pays ou la région d’origine.

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(3) Donner des informations sur la communauté ethnique et la phase de transition entre

les deux cultures, entre les deux sociétés.

(4) Interpréter les développements politiques, économiques, sociaux et culturels selon

une perspective particulière.

(5) Articuler les intérêts du groupe ethnique vis-à-vis de la nouvelle société et de

l’ancienne300

.

En effet autant le National Herald que le Chicago Defender informèrent leur communauté

sur les centres urbains du Nord grâce à des rubriques offrant une aide légale pour la

compréhension du nouvel environnement social des migrants ou des conseils pour

améliorer le quotidien, ou encore en parlant de la vie politique du lieu d’accueil – un

phénomène qui se développa un peu plus tard pour le National Herald, concentré dans un

premier temps sur la politique grecque avant tout. Les deux journaux maintinrent également

un lien avec le lieu d’origine des migrants, à travers des petites annonces et des articles sur

la vie et la politique en Grèce et dans le Sud des États-Unis – que l’une soit encensée ou

l’autre condamnée ; le Defender et le Herald publiaient également des rubriques en lien

avec la plus grande communauté – ou la « race » – sur tout le territoire américain, mais

également avec la communauté ethnique au sein de la ville où se trouvait le journal ; quant

aux deux derniers points de la liste, ce furent également des fonctions de chaque journal :

en effet tous deux semblent avoir adopté un angle de vue selon lequel le journal se devait

de rendre service aux membres de sa communauté et les « élever » socialement, ceci

s’apparentant néanmoins plus à une imposition d’une culture élitiste sur une culture

populaire quelquefois ; quant au dernier point, le Defender articulait les intérêts et la

défense de la race noire contre un système discriminatoire américain, et le Herald, lui, usait

également intensivement des contacts politiques de son éditeur pour faire valoir les intérêts

de la faction politique libérale que le journal représentait, etce afin d’influer sur la politique

grecque directement ou sur la politique étrangère des pouvoirs occidentaux concernant la

Grèce.

Cependant le pouvoir homogénéisant de la presse ethnique, supposément représentante de

toute une communauté ethnique, comporte des risques : premièrement, la fonctionnalité de

300 William L. Joyce, Editors and Ethnicity: A History of the Irish American Press, 1848-1883, New York:

Arno Press, 1976, p. 27.

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« tout trouver au même endroit » peut cacher un côté quelque peu illusoire et oblitérer

d’autres associations ou événements que le journal lui-même ne juge pas bon de dévoiler à

la communauté, parlant ainsi en son nom et pour son bien de façon biaisée.

Deuxièmement, ce côté représentatif de la communauté, homogénéisant, peut être

également dangereux pour l’identité-même des migrants. En effet le danger du langage

uniformisant est le même que celui de toute initiative homogénéisatrice au sein d’un

groupe : celui de perdre l’individualité, la pluralité des expressions sociales et culturelles.

D’un autre côté, c’est bien grâce à un tel langage que les sentiments nationalistes, comme

dans le cas grec, purent se transmettre et durer, même en-dehors des limites géographiques

de la mère patrie.

Enfin, un autre danger dans la gestion de l’information, articulée avec une idéalisation de la

société d’accueil, est le phénomène d’une politique de l’oubli. C’est une peur exprimée par

Benedict Anderson de manière générale, à propos de tout type de nationalisme, ainsi que

par Ioanna Laliotou à propos de la presse grecque-américaine plus précisément. Si l’on

s’attache plus particulièrement au relai de lynchages discriminatoires à travers le pays,

contre les Grecs et contre les Africains-Américains, on remarque une politique très

différente entre le National Herald, qui rend compte de façon succincte et objective de tels

épisodes, et le Chicago Defender, qui en fait très souvent ses Unes. On peut voir ici la

différence de priorités dans chaque ligne éditoriale, le Herald mettant constamment en Une

du journal les épisodes de la politique grecque, et ne parlant que peu des épisodes négatifs

survenant sur le territoire américain contre sa propre communauté, contrairement au

Defender. D’apparence racoleuse et très militante, ce dernier est pourtant, en comparaison,

l’un des journaux ayant le moins compromis sa propre essence idéologique et, bien

qu’ayant parfois un peu trop idéalisé Chicago par rapport au traitement que la ville réservait

effectivement à la population migrante noire du Sud, néanmoins le journal résista de façon

générale à toute politique de l’oubli ou de déni des crimes perpétrés par le système

américain.

Il peut être intéressant ici de dégager une vue globale sur l’état actuel de ces deux journaux

– dont la perpétuation jusqu’à nos jours fut également l’une des caractéristiques justifiant

notre choix de ceux-ci pour cette étude. Il est à noter tout d’abord que cette année fut pour

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l’un et l’autre, puisque tous deux naquirent en une année 19*5 ?? : ainsi le Defender fêta-t-

il récemment son 110e anniversaire, tandis que le Herald célébrait son centenaire. Ces deux

journaux ethniques sont d’autant plus légitimisés au sein de leur communauté aujourd’hui

au vu de leurs continuité et ancienneté, attestant de leur côté institutionnel – qu’en effet

tous deux revendiquent clairement : voici dans un premier temps la façon dont le Defender

s’auto-définit :

At 95, the Chicago Defender, the pillar of civil rights and the voice of the Black community,

stands as strong today as it did on May 5, 1905, when its mission to help the downtrodden,

the homeless, the abused and those facing discrimination and political ineptness was

launched301.

The more I [one of six grandchildren of the late publisher of the Chicago Defender, John H.

H. Sengstacke] study the role his newspaper played in the elevation of Black people in their

rightful share in 20th century America's responsibilities and privileges, the more I become

enthralled by the Chicago Defender's contributions to the altering of a racist America302.

Et voici ce que dit l’éditeur actuel du National Herald, Antonis Diamataris, à propos de la

fidélité de son lectorat et de son journal :

[…] I feel a sense of great admiration for our community, which through its loyal readership

loudly proclaimed the need for a reliable and independent news source, and has supported us

accordingly all these years. An admiration for the generations of our fellow Greeks who in

the Herald found a friend, a comforter, a source of information and inspiration through not

only everyday life but through the battles to preserve our identity303.

Au-delà de l’ancienneté, le National Herald a également une expansion géographique qui

légitimise à son tour son côté véritablement diasporique : avec des branches à Boston et en

Floride en plus de son quartier général de New York pour les États-Unis, le journal est

également présent à Athènes et Tripoli (Grèce) ; Héraklion (Crète) ; et à Nicosie

(Chypre)304

. Il semblerait que les liens liant la Grèce et les États-Unis soient plus forts que

ce qui put être inféré d’après les points analysés sur la fin de notre étude : le journal a

retenu jusqu’à aujourd’hui une version en langue grecque – en effet, le National Herald n’a

301 “Chicago Defender influenced city, U.S. politics”, in The Chicago Defender, le 9 mai 2005. 302

“Chicago Defender celebrates 98 years of continuous publishing”, in The Chicago Defender, le 5 mai

2003. 303 Antonis H. Diamataris, “Thank You for the First 100 Years”, in The National Herald, le 2 avril 2015. 304 Page Facebook officielle de la Paneliakos Society, 2 avril 2013,

<https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=556059504438738&id=168730233171669> extraite

le 30 février 2015.

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entrepris qu’en 1997 seulement de développer une version hebdomadaire anglaise en

parallèle de la version grecque, elle toujours quotidienne. Ceci fut ainsi un moyen d’étendre

son lectorat aux générations de Grecs-Américains n’ayant qu’une petite maîtrise du grec, et

peut-être d’embrasser plus ouvertement l’identité fondamentalement américaine hellénique.

D’autre part, la rubrique intitulée dans les années 1910 « De l’hellénisme en Grèce » existe

toujours, désormais sous le titre de « Oμογένεια » [Diaspora, ou Communauté Grecque]

dans la version grecque, et sous le titre de « Community » dans la version américaine305

.

Quant à son quartier général, le National Herald déménagea de Manhattan à Long Island

City en 1982, où il réside toujours aujourd’hui, quoique dans un bâtiment totalement

modernisé il y a dix ans.

Il en est de même pour le Chicago Defender, qui après avoir résidé durant quarante ans

dans une ancienne synagogue de Chicago, jusqu’en 1960, réside désormais dans la rue de

Martin Luther King Drive à Chicago. À l’occasion des 110 ans du journal, et au vu de

l’actualité et du débat renouvelé sur le racisme et la violence policière, sa présidente et

éditrice Cheryl Mainor a rappelé l’importance du nouveau positionnement du Defender en

tant que l’une des voix principale de la communauté africaine-américaine306

. Il y a dix ans

pour le centenaire de l’hebdomadaire africain-américain, le documentaire The Paper Trail

fut réalisé sur l’histoire du journal par la chaîne WTTWW Chicago Public Media307

. Il y

figure entre autres personnes interviewées Barack Obama, à l’époque sénateur. Quant au

centenaire du quotidien grec, le premier ministre Alexis Tsipras envoya une lettre de

félicitations au National Herald lui disant qu’il représentait la « voix de l’hellénisme en

Amérique et garde la communication entre les Grecs à l’étranger et chaque recoin de la

Grèce bien vivant »308

.

Il restait également un dernier défi à surmonter pour l’un comme pour l’autre journal afin

de garder ce contact constant avec la communauté à laquelle ils s’adressent, qui elle-même

305 Version grecque:<http://www.ekirikas.com> ; version américaine : <http://www.thenationalherald.com>. 306 Karen Jordan, “ABC-7 Chicago: Chicago Defender Celebrates 110 Year Anniversary”, in The Chicago

Defender, le 5 mai 2015. 307 The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media, présenté par Harry

Lennix, 2005, 62 min. 308 “The Greek National Herald Turns 100!”, Greek News Agenda, communiqué du 7 avril 2015,

<http://www.greeknewsagenda.gr/2015/04/the-greek-national-heralds-turns-100.html>, extrait le 29 avril

2015.

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est en constante mutation : les nouvelles technologies. Ainsi après que le National Herald

est passé en double version anglophone, lui et le Chicago Defender établirent un site web –

le quotidien grec en 2004, et l’hebdomadaire africain-américain, récemment, en 2013309

.

C’est bien sûr un défi à relever pour tous les journaux, mais à plus forte raison pour les

journaux ethniques qui ont une moindre portée et/ou n’ont pas les mêmes moyens

financiers que les grands noms comme le New York Times, notamment en raison d’un

lectorat lui-même réduit. Comme le dit Charles Hallman, journaliste africain-américain du

Minnesota Spokesman-Recorder de Minneapolis et activiste :

When new technology first came on the scene, we were 10 years behind, and adapted to that,

so we lost a generation of readers. […] And [unlike bigger newspapers] we can’t make that

transition as quickly. […] I’ve talked to Black newspapers all around the country, and they

all say the same thing.

Also, we have to educate our young readers to reports of the Black press. Every movement

that ever happened in this country was sparked, encouraged and even focused on by the

Black press – from slavery to now. But the history hasn’t been shared enough to see that.

And that’s been disappointing. […] We assume that the history that is being passed now [is

lost] – the generation of newest papers […] either are dying home or moved away. […] And

you can’t survive if you don’t have advertising.310

À en croire ces divers bilans et félicitations de ces journaux par les leaders politiques

représentant leurs communautés ethniques, la presse ethnique grecque et noire aux États-

Unis a de beaux jours devant elles, même si l’avenir ne sera sans doute pas un long fleuve

tranquille. Quoiqu’il en soit, une telle acceptation de cette presse au sein de la société

américaine, et sa pérennité, peut être considérée comme un témoignage d’une transition

continue et réussie entre deux cultures, et donc de l’accomplissement de la mission de ces

deux journaux, représentants de deux des nombreuses communautés ethniques composant

la société américaine.

309 “About us”, site web du National Herald, <http://www.thenationalherald.com/about-us>, extrait le 9

janvier 2015.

“Chicago Defender Launches New Interactive One-Supported Website”, site web du Chicago Defender, le 13

décembre 2013 <http://chicagodefender.com/2013/12/13/chicago-defender-launches-new-interactive-one-

supported-website>, extrait le 15 mai 2015. 310 “Black Newspapers, 21st Century Challenges – Charles Hallman”, interview, site web de l’African

American Registry, <http://www.aaregistry.org/videos/view/black-newspapers-21st-century-challenges-

charles-hallman>, extrait le 20 avril 2015.

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96

Bibliographie

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%CF%83%CF%85%CE%BC%CF%80%CE%BB%CE%AE%CF%81%CF%89%CF%

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- Moskos, Peter; Moskos, Charles. Greek Americans: Struggle and Success, New

Brunswick: Transactions Publishers, 2014.

Page 103: Le rôle du Chicago Defender et du National Herald dans l'adaptation des communautés migrantes noire et grecque en 1910-1920

103

Thèses

- Buxbaum, Edwin C. The Greek American Group of Tarpon Springs, Florida: A Study

of Ethnic Identification and Acculturation, Thesis (Ph. D.), University of Pennsylvania,

1967.

- Karpathakis, Anna. Sojourners and Permanent Settlers: Greek immigrants of Astoria,

New York, Thesis (Ph. D.), Columbia University, 1993.

- Kopan, Andrew T. Education and Greek immigrants in Chicago, 1892-1973: a study in

ethnic survival, Thesis (Ph. D.), University of Chicago, 1974.

- Lovell-Troy, Lawrence Allen. Kinship structure and economic organization among

ethnic groups: Greek immigrants in the pizza business, Thesis (Ph.D.), University of

Connecticut, 1979.

- Paraskevoudakis, Smaroula G. The Image of Women in Two Leading Greek-American

Newspapers, 1900-1949, Thesis (Ph. D.), University of Maryland, 1997.

III) 3) Livres – Migration et multiculturalisme

- Anderson, Benedict, Imagined Communities; Reflections on the Origin and Spread of

Nationalism, New York and London: Verso, 1983.

- Appadurai, Arjun, Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization, London:

Sage, 1996.

- Azzi, Assaad E.; Chryssochoou, Xenia; Klandermans, Bert; Simon, Bernd. Identity and

Participation in Culturally Diverse Societies: A Multidisciplinary Perspective,

Hoboken: Wiley-Blackwell, 2010.

- Barkan, Elliott Robert. Immigrants in American History: Arrival, Adaptation, and

Integration, ABC-CLIO, 2013.

- Binder, Frederick; Reimers, David M. All the Nations Under Heaven, New York:

Columbia University Press, 1995.

- Foner, Nancy. In a New Land; A Comparative View of Immigration, New York and

London: New York University Press, 2005.

- Gibney, Matthew; Hansen J. Randall. Immigration and Asylum: From 1900 to the

Present, Volume 1/3, Santa Barbara: Abc-Clio/Greenwood, 2005.

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104

- Joyce, William L. Editors and Ethnicity: A History of the Irish American Press, 1848-

1883, New York: Arno Press, 1976.

III) 4) Livres - Presse ethnique

- Miller, Sally M. The Ethnic press in the United States : a historical analysis and

handbook, New York : Greenwood Press, 1987.

- Park, Robert E. The Immigrant Press and Its Control, NY: Harper & Brothers, 1922,

republished 1970.

- Rhodes, Leara D. The Ethnic Press: Shaping the American Dream, NY: Peter Lang,

2010.

IV) 1) Sites web – Noirs

- African American Registry : < http://aaregistry.org > (association à but non lucratif

pour la sensibilisation à l’héritage Africain-Américain à travers l’éducation).

- Black Past : < http://blackpast.org > (centre de référence en ligne sur l’Histoire

africaine-américaine et celle de tous les descendants de la diaspora mondiale africaine).

- Black Press Research Collective : < http://blackpressresearchcollective.org > (groupe

interdisciplinaire de chercheurs voulant offrir une ressource numérique sur le rôle

historique et contemporain des journaux noirs au sein des diasporas africaines

anglophones).

- Chicago Defender (The) : < http://chicagodefender.com > (site web officiel du journal).

- Encyclopedia of Chicago : < http://www.encyclopedia.chicagohistory.org >

(encyclopédie en ligne de la ville de Chicago).

- Explore St. Simons Island : < http://www.explorestsimonsisland.com > (site web

touristique officiel de l’île).

- NAACP : < http://www.naacp.org > (National Association for the Advancement of

Colored People).

- National Urban League : < http://nul.iamempowered.com/ > (association pour la

promotion des droits civiques chez les communautés non favorisées).

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105

- University of Chicago (the) : < http://mtsuchicago.edu > (site “Mapping the Stacks” de

l’université consacré aux archives rendues publiques du Chicago Defender et de la

famille Abbott-Sengstacke).

IV) 2) Sites web - Grecs

- AHEPA : < http://ahepa.org/ahepa > (American Hellenic Educational Progressive

Association).

- AHEPA Montreal : < http://www.ahepamontreal.org > (branche canadienne de

l’AHEPA).

- Greek Quest Services : < http://www.gqs.gr > (organisation répondant au besoin

d’information de particuliers et d’entreprises sur des questions relatives à la Grèce ou

au marché grec).

- Greek News Agenda : < http://www.greeknewsagenda.gr > (communiqué quotidien en

anglais offrant des nouvelles venant du Secrétariat Général de Communication de l’État

grec).

- Harvard University – Center for Hellenic Studies : < http://chs.harvard.edu >

(département des études helléniques de l’université d’Harvard).

- Hellenic Communication Service, L.L.C. : < http://www.helleniccomserve.com >

(association à but non lucratif pour le soutien de la globalisation de l’hellénisme à

travers la communication et le partage).

- Hellenic Electronic Center – The Hellenism Resource : < http://www.greece.org >

(association à but non lucratif pour la promotion de l’hellénisme mondialement,

Delaware).

- Municipalité d’Amaliada : < http://www.amaliada.gr > (site officiel de la municipalité).

- National Herald (The) : < http://www.thenationalherald.com > (site web officiel du

journal).

- Pancretan Association of America : < http://pancretan.org > (association à but non

lucratif pour la préservation de l’héritage culturel crétois à travers les États-Unis et le

Canada).

- Secrétariat Général des Grecs Expatriés : < http://www.ggae.gr > (page de l’organe

exécutif de la mise en œuvre de la politique de l'État grec pour les Grecs à l'étranger).

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106

IV) 3) Sites web - Autres

- Ba’hai Faith (the) : « http://www.bahai.org > (site web de la communauté religieuse

internationale ba’hai).

- Dave Manuel : < http://www.davemanuel.com/inflation-calculator.php > (calculateur

d’inflation en ligne utilisant les données de l’Oregon State University).

- Département d’État du gouvernement américain : < https://history.state.gov > (page

« bureau de l’historien » du département d’État).

- Encyclopædia Britannica : < http://www.britannica.com > (encyclopédie en ligne).

- Cooper Archives (The) :

<http://cdm16045.contentdm.oclc.org/cdm/landingpage/collection/p16045coll1 >

(archives de l’école privée The Cooper Union for the Advancement of Science and Art,

New York City).

- University of Minnesota, IHRC : < http://ihrc.umn.edu/ > (Archives et Centre de

Recherche sur l’Histoire de l’Immigration de l’université du Minnesota).

- Ruralia : < http://ruralia.revues.org > (revue de l’Association des ruralistes français,

ayant pour but de favoriser la recherche et les échanges scientifiques tant nationaux

qu’internationaux dans le domaine des sociétés rurales contemporaines (19e-21e

siècles)).

- Sister Cities International : < http://www.sister-cities.org > (organisation pour les villes

jumelées à travers les États-Unis).

Documentaires

- The Black Press, Soldiers without Swords. Dir. Stanley Nelson, 1999, 86 min.

- The Journey: The Greek American Dream. Dir. Maria Iliou, 2007, 87 min.

- The Paper Trail: 100 Years of the Chicago Defender. WTTW Chicago Public Media,

présenté par Harry Lennix, 2005, 62 min.

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107

Table des annexes

Annexe 1…………………………………………………………………………………104

Annexe 2…………………………………………………………………………………107

Annexe 3…………………………………………………………………………………109

Annexe 4…………………………………………………………………………………110

Annexe 5…………………………………………………………………………………111

Annexe 6…………………………………………………………………………………112

Annexe 7…………………………………………………………………………………113

Annexe 8…………………………………………………………………………………114

Annexe 9…………………………………………………………………………………115

Annexe 10………………………………………………………………………………..116

Annexe 11……………………………………………………………………………...…117

Annexe 12………………………………………………………………………….……..118

Annexe 13………………………………………………………………………………...120

Annexe 14……………………………………………………………………………...…121

Annexe 15………………………………………………………………………………...122

Annexe 16………………………………………………………………………………...123

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Annexe 1 :

Situation politique en Grèce dans les années 1900-1930

Il existait en Grèce un grand schisme politique (Διχασμό), à l'origine de la fondation du

National Herald par Pétros Tatanis.

Suite à la récente prise d'indépendance de la Grèce hors de l'Empire Ottoman, l’éphémère

unité grecque éclata à partir de la guerre des Balkans de 1912/13, le rift ne faisant que

s’accentuer avec les années entre les royalistes et les libéraux – entre le roi Constantin et le

premier ministre libéral Elefthérios Venizélos.

Venizélos fut premier ministre de la Grèce de 1910 à 1920, date à laquelle il perdit les

élections et s’exila en France avant de regagner son poste en 1928 pour quatre ans311

. Chef

du Parti Libéral (Κόμμα Φιλελευθέρων), il avait en tête une « Grande Idée » : celle

d’agrandir la Grèce géographiquement et d’en faire un véritable État-nation pour les

descendants des ancêtres hellènes avec Constantinople comme capitale – une réaction à

l’ancien établissement de la vieille puissance ottomane que représentait la monarchie. Cette

Idée trouva un fort écho chez les hellènes de la diaspora grecque existante, en particulier les

commerçants dans les villes comme Alexandrie, Istanbul, Izmir et New York – Pétros

Tatanis en faisant partie312

.

Mais pour la réalisation de celle-ci, des fonds étaient nécessaires : outre les marchands se

portant volontaires pour un soutien économique, Venizélos était en faveur d’une alliance

avec les forces françaises et anglaises durant la Première Guerre mondiale, pensant que la

nation serait amplement récompensée avec plus de territoire en échange d’un tel soutien

après la guerre313

.

311 Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter

1979, p. 51. 312 Idem. 313 Idem.

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Le roi Constantin, d’éducation allemande et ayant été nommé à la tête de la Grèce après un

accord entre l’Empire Ottoman et les grandes puissances occidentales, écoutait

attentivement les conseillers militaires pro-allemands, était plus favorable à une alliance

avec l’Allemagne avant tout314

. Cette dispute fut en premier lieu la raison de la neutralité de

la Grèce durant le début de la Première Guerre mondiale, et lorsque la dispute entre les

deux personnalités politiques s’exacerba en 1915, Venizélos accusa le roi de dépasser ses

droits constitutionnels en refusant à la Grèce d’entrer en guerre ; le roi renvoya son premier

ministre en octobre de cette année315

.

En septembre 1916, Venizélos établit un gouvernement provisoire à Thessalonique pour

faire pression sur le régime royaliste d’Athènes. Le 13 juin 1917, la France et la Grande-

Bretagne forcèrent le départ du roi Constantin, permettant à Venizélos de revenir ainsi

triomphant à Athènes. Il réunifia la Grèce avec l’assistance internationale, et fit entrer la

Grèce dans la Première Guerre mondiale aux côtés de la Triple-Entente composée de la

France, de la Grande-Bretagne et de la Russie316

.

Après la guerre et après l’accord de la France et de la Grande-Bretagne lors de la

Conférence de Paix à Paris en 1919, Venizélos entama sa « Grande Idée », consistant en

l’occupation de Constantinople et de l’Asie Mineure par l’armée grecque. Mais en 1920, les

monarchistes remportèrent les élections et le roi Constantin fut restauré – provoquant une

nouvelle méfiance des Alliés, qui arrêtèrent le financement de la campagne militaire

grecque. Par conséquent en 1922, celle-ci fut vaincue en Asie Mineure. Déjà à ce moment-

là, le nationalisme grec provoquant le nationalisme turc durant la guerre, de nombreux

Grecs orthodoxes fuyaient la persécution politique et religieuse de l’État turc317

.

314 Alexander Kitroeff. “O Petros Tatanis, o Ethnikos Keryx kai o Venizelismos stis Inomenes Politeies"

(« Pétros Tatanis, le National Herald et le venizélisme aux États-Unis »), in Patris News, le 15 avril 2015,

<http://www.patrisnews.com/nea-enimerosi/omogeneia/o-petros-tatanis-o-ethnikos-kiryx-o-venizelismos-stis-

inomenes-politeies>, extrait le 1er mai 2015.

Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter 1979,

p. 51. 315

Alexander Kitroeff. “O Petros Tatanis". 316 Victor Papacosma, "The Greek Press in America", in Journal of the Hellenic Diaspora, 5, n°4, winter

1979, p. 51. 317 Stavros T. Stavridis, “Petros Tatanis: Concerns for the "Patrida"”, octobre 2005

<http://www.helleniccomserve.com/stavridistatanis.html>, extrait le 15 mars 2015

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Suite au Traité de Lausanne de 1923 et bien que toute cette région soit religieusement et

culturellement mixte depuis des centaines années, l’Asie Mineure mais aussi la Thrace

Orientale furent données à la Turquie, et un échange de population obligatoire fut institué

pour éviter toute future revendication territoriale – celui-ci fut appelé la « Grande

Catastrophe »318

. Les Grecs de Turquie furent en effet sommés de « retourner » en Grèce,

provoquant un traumatisme psychologique partagé par tous ces migrants forcés. Le

déplacement de population de la Turquie à la Grèce se déroula aussi dans le plus grand

désordre, l’État grec manquant de fonds suite à la campagne militaire coûteuse, et le port du

Pirée voyant s’entasser de plus en plus de réfugiés venant d’Asie Mineure, parmi lesquels

se développa le typhus319

. Il est à noter que ce fut la première fois que la communauté

internationale accepta un échange de populations320

.

318 Georges Prévélakis, Géopolitique de la Grèce, Bruxelles : Éditions Complexe, 2006 [1997], pp. 54-56. 319 “Greeks Returning Mutinous in Defeat Cheer Venizelos”, in The New York Times, le 11 septembre 1922. 320 Alexander Kitroeff. “O Petros Tatanis".

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Annexe 2 :

Lynchages dans le Chicago Defender

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Annexe 2 bis :

Schisme national dans le National Herald

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Annexe 3 :

Références à l’Église dans les lettres de migrants Africains-Américains

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Annexe 4 :

Critique de la connivence entre le clergé et les politiques

dans le Chicago Defender

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Annexe 5 :

Des pasteurs dans le Chicago Defender

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Annexe 6 :

Gratitude du National Herald suite à la Conférence de Paix à Paris,

le 2 juin 1919

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Annexe 7 :

Les « legal helps » de Richard Westbrooks dans le Chicago Defender

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Annexe 8 :

Lynchage anti-Grec au Texas, dans le National Herald du 2 septembre 1919

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Annexe 9 :

Lynchage anti-Noir à Tulsa, dans le National Herald du 2 juin 1921

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Annexe 10 :

Lynchage anti-Noir à Tulsa, dans le Chicago Defender du 4 juin 1921

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Annexe 11 :

Cours d’anglais dans le National Herald

Grande école d’anglais de Jane Tricha, enseignante américaine diplômée et ayant étudié le

grec durant 15 ans, offrant ses services pour des progrès rapides dans la langue et la

prononciation de l’anglais – première leçon gratuite.

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Annexe 12 :

Annonces d’emplois dans le Chicago Defender

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Annexe 12 bis :

Annonces d’emplois dans le National Herald

Première colonne : « social – 2 cents au mot », annonces particulières

Deuxième colonne : « Ecclésiastique », annonces d’églises orthodoxes de par les États-Unis

Troisième colonne : « En pâtisserie », annonces d’emplois dans ce domaine

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Annexe 13 :

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Annexe 14 :

La mission du National Herald, le 11 avril 1915

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Annexe 15 :

"News From Your Home Town" du Chicago Defender

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Annexe 16 :

Publicité visant les immigrants grecs en mal du pays dans le National Herald

Toutes les publicités, sauf celle d’en bas à droite pour une banque, sont pour des agences de

voyage. Dans l’encart réservé à l’agence des Frères Bouras en haut à droite, on peut lire,

entre autres questions, « Avez-vous besoin de voyager en Grèce ? » ou « Voulez-vous faire

venir votre famille ici ? ».