Robert Reich : un réformateur social

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  1. 1. 1 1/5 Robert Reich : Reprendre le contrle de notre conomie et de notre dmocratie PAR IRIS DEROEUX COMPLETE PAR ERIC LEGER ARTICLE MEDIAPART INITIAL PUBLI LE LUNDI 3 AOT 2015 lheure o la Maison-Blanche se flicite des bons rsultats de lconomie amricaine le chmage est tomb son plus bas depuis 2008 en juin, 5,3 % , lconomiste Robert Reich analyse ce qui se cache derrire les chiffres de la croissance et du chmage. Ancien de ladministration Carter, ex-ministre du travail de Bill Clinton, il revient sur les dbats politiques et conomiques du moment, de laugmentation du salaire minimum la lutte contre les ingalits de revenus, en passant par les ngociations autour du trait transatlantique (TTIP). Il insiste sur la ncessit de rformes politiques. [lire aussi : Le phnomne Bernie Sanders : un socialiste en campagne aux Etats-Unis a la suite de cet article] conomiste engag appartenant la gauche modre, hyperactif sur les rseaux sociaux et sur le terrain, allant de rencontres en confrences, il milite pour un interventionnisme dtat intelligent, seul capable de corriger les injustices sociales et conomiques. De nature optimiste, il reste persuad quil est possible de trouver un terrain dentente entre lecteurs dmocrates et rpublicains, entre gauche et droite, afin de reprendre le contrle de notre conomie, de notre dmocratie . Un message quil vhicule aussi grce des ouvrages et des films, notamment le documentaire Ingalit pour tous (en version originale sous-titre en franais). Les changes ont lieu sur le campus de Berkeley, en Californie, o il continue denseigner les politiques publiques et lconomie. La Maison-Blanche ne cesse de se fliciter des bons chiffres de lemploi : plus de 200 000 sont crs chaque mois depuis quasiment un an, le taux de chmage est tomb 5,3 % dbut juillet, son meilleur taux depuis 2008 Lconomie amricaine se serait donc releve de la crise des subprimes. Sauf que dautres indicateurs sont beaucoup moins encourageants : les salaires stagnent, les emplois temps partiel augmentent, lconomie repose de plus en plus sur les free- lance et des mthodes de type just-in-time- scheduling (lemploy sera prvenu le jour mme si l'on a besoin de lui) Comment analysez-vous cette situation ? Ce paysage conomique contrast prend tout son sens quand on le situe bien dans son contexte amricain : le pays est plutt bon pour crer de lemploi en priode de croissance, mais ne cre pas de bons emplois. Ce sont surtout des emplois bas salaire. La plupart des nouveaux emplois crs depuis 2009 paient en moyenne moins que ceux ayant t perdus pendant la rcession. Et ce sont des jobs sans aucune forme de scurit ! Nombre dentre eux sont des emplois de free-lance, de travailleurs indpendants Ce sont des tches externalises, sans les protections que les travailleurs considraient comme acquises il y a trente ans. Ce sont donc les deux faces dune mme pice : cest facile de crer des emplois quand ceux-ci sont mdiocres. Au bout du compte, lesclavage tait aussi un systme de plein emploi ! Jexagre dlibrment en disant cela, car le principe est le mme : sil ny a pas de vritable scurit de lemploi, si le seuil du salaire minimum nest pas relev en tant index sur linflation [cest le cas en France ndlr], eh bien, beaucoup demplois finissent par tre de trs mauvaise qualit. Le relvement du seuil du salaire minimum, aujourdhui fix 7,25 dollars de lheure au niveau fdral, est lune des grandes batailles politiques du moment. La majorit rpublicaine au Congrs sy oppose. Ce qui parat insens quand on sait que ce Il explique de manire limpide la mcanique des ingalits conomiques grandissantes aux tats Unis. https://1fichier.com/?tgx466jqbn (cliquer en bas de la page de l'hbergeur sur le bouton tlcharger pour rcuprer la vido)
  2. 2. 2 2/5 seuil na pas boug depuis 2009, quil quivaut seulement 38 % du salaire mdian (contre 60 % en France par exemple). Pourquoi cela reste-t-il un sujet dopposition partisane ? Cest typique des batailles du moment La droite ne veut pas augmenter le salaire minimum parce quelle estime que cela nuirait lemploi. Elle respecte ainsi la volont de groupes reprsentant les intrts de lindustrie et du commerce, comme la National Restaurant Association, qui nont aucune envie de dpenser plus pour mieux payer leurs travailleurs. Cest aussi simple que a. Les chiffres ne sont pourtant pas compliqus : si l'on prend le salaire minimum tel quil tait fix en 1968 et quon lindexe sur linflation, on obtient dj un salaire minimum 10,10 dollars de lheure. Et si l'on prend en compte les gains de productivit enregistrs depuis 1968, on arrive 21 dollars de lheure. Cest presque trois fois le taux actuel. Il ny a aucun argument valable pour sopposer une hausse. Ceux qui prtendent que lemploy type touchant le salaire minimum est un adolescent pouvant ainsi gagner de largent de poche se trompent. Ces emplois ont tendance tre le principal gagne-pain dune famille. Les travailleurs sont souvent des parents clibataires levant seuls leurs enfants et souvent des femmes. Ils ont tout simplement besoin dun salaire plus lev. Quant aux projections conomiques, quasiment toutes montrent que le salaire minimum peut tre augment sans avoir dimpact ngatif sur lconomie, au contraire. Par exemple, mieux payer un employ, cest aussi lui permettre de dpenser plus et par ricochet favoriser lemploi. Laugmentation du salaire minimum permet en outre de faire revenir sur le march du travail des gens qui ne cherchent mme plus, ce qui permet aux employeurs davoir plus de choix, de sentourer demploys plus stables, de limiter le turnover. dfaut de rforme fdrale, des initiatives existent au niveau local. Plusieurs villes et tats amricains se sont prononcs en faveur dune augmentation du salaire minimum au sein de leurs frontires. a devient aussi un argument pour de grandes entreprises, annonant firement quelles augmentent les salaires minimums, la dernire en date tant le gant Wallmart. Les avances locales sont intressantes bien sr. Seattle a vot pour une augmentation graduelle afin datteindre 15 dollars de lheure dici quelques annes. San Francisco a aussi vot en ce sens. Mais cela ne doit pas servir de substitut une hausse du salaire au niveau fdral. Nous devons avoir une dfinition commune de ce qui est dcent. Quant aux stratgies de grandes entreprises, ce ne sont rien dautre que des oprations de relations publiques Wallmart qui est le plus gros employeur aux tats-Unis a annonc vouloir augmenter ses plus bas salaires d'un dollar de lheure. Le salaire minimum de lentreprise ne sera plus de 7,25 dollars mais de 8,25 dollars de lheure. Cest minuscule. ce rythme, mme si un salari Wallmart avait un emploi temps plein dans lentreprise, et peu en ont un, son salaire annuel slverait 17 000 dollars par an (15 154 euros). Dans la plupart des villes amricaines, cest impossible de vivre avec ce salaire. Prcisons que le seuil de pauvret est fix 22 000 dollars par an aux tats-Unis. Cela signifie que pour viter que ces travailleurs ne tombent dans une trop grande pauvret, le reste dentre nous finance des aides sociales sous forme de bons alimentaires, daides au logement, daides aux soins mdicaux. Celles-ci se transforment en quelque sorte en subventions pour Wallmart ! Cela naurait pas lieu dtre si le groupe payait mieux ses employs. Cest la mme chose pour McDonald's, Burger King et tous les autres. Au-del de la question du salaire minimum, se pose celle plus vaste des ingalits de revenus. Celles- ci sont de plus en plus exposes et dbattues dans les mdias amricains, comme sils ralisaient enfin leur ampleur. Elles ont explos, 1 % dAmricains les plus riches concentrent aujourdhui plus de 22 % du revenu national et plus de 40 % des richesses du pays. Comment en est-on arriv de tels niveaux ?
  3. 3. 3 3/5 a ne sest pas fait en un jour. Les ingalits ont commenc se creuser la fin des annes 1970, quand le revenu mdian sest mis dcrocher [un salaire imaginaire servant de rfrence, partageant la population parts gales entre la moiti qui gagne plus et celle qui gagne moins ndlr], ne plus progresser au rythme des gains de productivit. Il y a plusieurs raisons cela, les deux principales tant la globalisation et limpact de la technologie sur lemploi. Cest peu prs cette priode quil est devenu plus facile pour les entreprises dexternaliser des tches, notamment en ayant recours aux porte-conteneurs et la communication par satellite. Ces technologies cres pendant la guerre du Vitnam commencent alors tre disponibles la vente. Arrive ensuite la rvolution numrique, qui contribuera aussi bouleverser lemploi. Mais ce quil faut comprendre, cest que dautres pays sont passs par le mme processus, la globalisation et le changement technologique, sans parvenir au mme degr dingalits atteint par les tats-Unis. Ici, sest ajout le fait que le pouvoir politique a suivi largent, il est all du ct des plus riches. Les entreprises ont pu commencer casser les syndicats. Le nombre de travailleurs syndiqus dans le secteur priv tait de 35 % en 1955, il est dsormais de moins de 7 %. La plupart des travailleurs nont par consquent pas un pouvoir de ngociation suffisant. En parallle, le gouvernement fdral a commenc moins investir dans lducation, les infrastructures, la recherche et le dveloppement ; des investissements permettant pourtant de former, daugmenter la valeur des travailleurs. Ensuite, sous Ronald Reagan, le systme dimposition fdral a t restructur dune telle faon que le taux maximal dimposition des plus hauts revenus est tomb de 70 % 28 %. Et nous ne sommes jamais revenus aux niveaux davant 1981. Au mme moment, les taxes dites de scurit sociale (finanant lassurance vieillesse, chmage, de couverture sant des plus pauvres, etc.) ont augment, sachant que cest un impt relativement rgressif (les pauvres paient proportionnellement plus que les riches). Les taxes sur les ventes ont aussi augment, et elles fonctionnent elles aussi de manire rgressive. Enfin, il y eut une rvolution des mthodes de management dans les socits amricaines. Avant les annes 1980, les entreprises tentaient de se soucier des intrts de leurs employs et de leurs actionnaires de manire peu prs quilibre. La dynamique a chang dans les annes 1980, aprs une srie de rachats hostiles ; des entreprises ou des individus prenant le contrle de socits avec le seul but de les rendre plus profitables. Il ne sagit plus de se proccuper du bien- tre des diffrents groupes composant lentreprise, mais de satisfaire les actionnaires. lintrieur de lentreprise, cela se traduit par un effort continu pour rduire au minimum les salaires des travailleurs. Vous estimez que ladministration Obama a fait quelque chose pour sattaquer ces multiples problmes conomiques et sociaux. Que retiendrez- vous de ces deux mandats ? La contribution la plus importante de Barack Obama aura t la rforme de lassurance sant, qui a permis de couvrir des millions de personnes ne pouvant pas se le permettre auparavant. Cest imparfait, les dfauts sont nombreux, mais cest un pas dans la bonne direction. Cest une politique de redistribution. Pour le reste, disons quaprs la crise de 2008, la politique de relance nous a permis de ne pas sombrer dans une dpression digne de celle des annes 1930. Celle-ci aurait t autrement plus grave. Quant des politiques plus cibles, telles que des programmes pour aider les plus dmunis, des programmes daide au retour lemploi, pour lducation, cest simple : les rpublicains font bloc contre le prsident. Il ny a rien de comparable dans lhistoire rcente. Il faut au moins remonter aux annes 1920 pour trouver le mme type dopposition virulente, pour voir un parti rpublicain aussi conservateur.
  4. 4. 4 4/5 Je crois que cest notamment d la colre et la frustration de tant dAmricains qui se sentent abandonns. Les rpublicains ont cette manie de dsigner les pauvres, les gens de couleur, les immigrants comme les coupables Depuis des annes, ils rptent leur lectorat issu de la classe ouvrire blanche que lennemi est le pauvre, le Noir, lhispanique, et a marche. Mme si cest faux, mme si ceux qui saccaparent les richesses sont surtout en haut de lchelle. En ce moment, le gouvernement amricain est en train de ngocier deux grands traits internationaux visant libraliser un peu plus les changes, lun avec onze pays asiatiques (le partenariat transpacifique ou TPP), lautre avec la Commission europenne (le partenariat transatlantique, TTIP). La plupart des lus dmocrates sont opposs ces ngociations. Lopposition citoyenne est aussi de plus en plus importante. Mais ladministration Obama continue de les dfendre malgr ce scepticisme. Que pensez-vous de ces traits ? Ce nest quune histoire dargent ! Le TPP et le TTIP sont soutenus par le big business et par Wall Street, qui savrent financer un gros pourcentage des campagnes lectorales des lus rpublicains mais aussi de dmocrates. Et Wall Street veut que ces accords soient signs. Les travailleurs amricains et la plupart des citoyens nen tireront aucun bnfice, au contraire. Ces accords devraient permettre une entreprise dattaquer un tat devant un tribunal ad hoc si jamais cet tat instaure de nouveaux standards de scurit, de protection de la sant ou du travail et que lentreprise les estiment nuisibles ses bnfices (mcanisme darbitrage). Cest une ide ridicule ! Plus les Amricains dcouvrent la teneur de ces accords, plus ils y sont opposs. La plupart des lus dmocrates y sont opposs. Donc je dois dire que je ne sais pas pourquoi ladministration Obama sest lance l-dedans. Je crois que linfluence de Wall Street et du big business est trs importante, et pas seulement en termes financiers. Cest aussi une influence sociale. Jai t en poste au sein dadministrations, jai t secrtaire du travail sous Bill Clinton, jai vu comme le prsident devenait de plus en plus sensible aux arguments des reprsentants de Wall Street. Le dpartement du Trsor est rempli de gens venant du milieu de la finance, ils sigent des conseils, des commissions Quand tu es prsident, tu es en relation avec ces gens-l, ils tentourent, tu les coutes. un moment donn, ils te diront que pour ton hritage, tu dois lancer un grand projet ayant voir avec le commerce. Et tu fais cette ide tienne. En thorie, le commerce est une bonne chose, surtout si les gagnants compensent les perdants. Mais ils ne le font pas et les perdants nen finissent plus de perdre. Dans la pratique, quand on se retrouve avec des ingalits de plus en plus grandes, le commerce international surtout celui qui repose sur les investissements directs ltranger napporte pas grand-chose de bon. Nous sommes au tout dbut dune nouvelle campagne prsidentielle pour les lections de novembre 2016. Quaimeriez-vous entendre de la bouche des candidats ? Il y a tant de choses Savoir sils feront ces propositions, cest un autre dbat, mais voil ce que jaimerais entendre : nous devons augmenter limpt pour les contribuables les plus aiss afin de financer un meilleur systme ducatif public, de la maternelle luniversit. Cet argent servirait aussi reconstruire nos infrastructures qui sont mal entretenues et dans un tat lamentable. Cela permettrait davoir un meilleur systme de transport public par exemple. Il y a une crise du logement svre dans ce pays. Dans de nombreuses villes, les foyers bas revenus narrivent pas se loger proximit de leur lieu de travail. Si les transports publics taient plus dvelopps, ils pourraient au moins vivre un peu plus loin, avoir accs des logements plus abordables, et russir se rendre sur leur lieu de travail sans trop de problmes. On pourrait donc commencer par faire tous ces investissements ! Comment lexpliquez-vous ? Nous sommes la socit la plus riche au monde, nous sommes plus riches que nous ne lavons jamais t, mais ces richesses sont concentres entre les mains de quelques-uns. Que le taux dimposition des plus hauts revenus soit suffisant pour que le reste de la socit ait une chance de sen sortir, cest quand mme le moins quon puisse faire !
  5. 5. 5 5/5 Ensuite, il faut que Wall Street soit mieux contrle. La finance reste beaucoup trop puissante, les risques dune autre crise comme celle de 2008 sont encore trop levs. Cest un monopole ! Nous devons sparer les banques dinvestissement des banques commerciales. La taille des grandes banques doit tre imprativement rduite. Il faut sattaquer aux failles de nos lois qui permettent Wall Street dchapper limpt Enfin, le salaire minimum doit absolument tre augment pour atteindre quelque chose comme 15 dollars de lheure. Il faut en outre largir laccs au earned income tax credit , qui est un crdit dimpt cibl sur les foyers les plus modestes. Les deux combins permettront de nombreux Amricains de ne plus vivre sous le seuil de pauvret. Je peux continuer comme a pendant des heures ! Vous pensez que ne serait-ce que 10 % de ce programme peut tre mis en uvre par un candidat dmocrate srieux ? Tout dpend de ce quil se passe aux lections de 2016, la fois aux prsidentielles et aux lgislatives [en mme temps que les prsidentielles, auront lieu les lections la Chambre et au Snat, qui sont organises tous les deux ans ndlr]. Nous verrons si les lecteurs comprennent ce qui est en jeu et se dplacent aux urnes, y compris les jeunes, les Afro-Amricains, les Latinos, les femmes Alors on pourrait obtenir un Congrs reprsentatif de ces gens, de leurs besoins, et un prsident qui tient parole. Lors des dernires lections fdrales de mi-mandat (au cours desquelles le Congrs a donc t renouvel, en novembre 2014), seuls 32 % des lecteurs se sont dplacs aux urnes. C'est le pourcentage le plus bas jamais enregistr depuis 1942, une anne de guerre au cours de laquelle de nombreux lecteurs taient sur le champ de bataille. En attendant, vous militez sans relche sur les rseaux sociaux et sur le terrain pour que les Amricains comprennent la dynamique des ingalits de revenus, pour quils se rveillent. Avez-vous limpression de toucher un public qui nest pas dj convaincu par ce que vous dites ? Je dfends lide que la classe moyenne infrieure qui vote rpublicain doit sunir avec les Amricains les plus pauvres qui votent dmocrate, et quensemble ils peuvent reprendre le contrle de notre conomie, de notre dmocratie. Je me promne travers le pays pour parler de cela, je vais bientt me rendre en Caroline du Nord, dans le Tennessee, des tats du sud qui sont traditionnellement rpublicains. vrai dire, je passe le plus de temps possible dans les Red States [des tats acquis aux rpublicains ndlr]. Les gens sont trs polis, on arrive avoir de bonnes discussions. Mais enfin il ne sagit pas que de moi, on doit tous parler avec ceux qui ne sont pas daccord avec nous afin de sortir de cet tat de paralysie qui caractrise la politique amricaine. On sent mme des dsaccords et des tensions au sein des dmocrates, entre les dmocrates de gauche et les centristes Oui, enfin, a a toujours t le cas. En 1964, les dmocrates se dchiraient sur le fait daccepter ou non une dlgation du Mississippi pro-droits civiques et compose dAfro-Amricains la convention nationale du parti. Ensuite, ils narrivaient pas sentendre sur la guerre du Vitnam Le parti dmocrate a toujours t compos de gens qui ne sont pas daccord les uns avec les autres. Mais ces temps-ci, je crois que la presse exagre leurs divisions. Je connais Hillary Clinton depuis quelle a 19 ans, nous nous sommes rencontrs lors de nos premires annes duniversit [au Wellesley College]. La question laquelle je ne peux rpondre pour le moment, seul le temps le dira, cest de savoir quel point elle pourra se montrer courageuse, jusquo elle sera capable daller pour dfendre ces idaux. Et aucun prsident ne peut faire a seul. Un prsident a besoin dun public inform, engag, mobilis, prt sacrifier de son temps et de son argent pour quon rgle ces problmes conomiques et sociaux.
  6. 6. 1 1/4 Le phnomne Bernie Sanders : un socialiste en campagne aux Etats-Unis PAR IRIS DEROEUX COMPLETE PAR ERIC LEGER ARTICLE MEDIAPART INITIAL PUBLI LE MERCREDI 29 JUILLET 2015 Bernie Sanders en meeting Washington, le 22 juillet 2015 Depuis quil a fait son entre dans la campagne pour les primaires dmocrates, Bernie Sanders rjouit et rveille la gauche amricaine. Son succs populaire surprend ou drange. Ciel, un socialiste , saffolent les rpublicains, tandis quHillary Clinton se retrouve une fois encore devoir composer avec un encombrant outsider. Mais qui est-il donc, et pourquoi un tel succs ? Quil y ait un candidat de gauche aux primaires dmocrates pour les lections prsidentielles amricaines, cela na rien de trs exceptionnel. En attestent les candidatures dEugene McCarthy, sduisant les tudiants, les pacifistes et les intellectuels lors des lections de 1968, du progressiste George McGovern, en 1972, ou encore dHoward Dean, en 2004. En revanche, que ce mme candidat suscite ds les prmices de sa campagne plus denthousiasme de la part des lecteurs que tous les autres candidats, rpublicains ou dmocrates, voil de quoi titiller la curiosit du grand public et des mdias. quinze mois des lections prsidentielles de 2016, Bernie Sanders, 73 ans, snateur indpendant rattach au groupe parlementaire dmocrate, dfendant son tiquette de socialiste depuis plus de quarante ans, perturbe le train-train dune campagne lectorale qui nexcitait pas vraiment les foules jusque- l. Ces premiers mois ont t marqus par la perspective peu engageante dun duel Clinton-Bush, lincomprhensible ballet des candidats rpublicains seize ce jour ! ou encore le verbiage haineux de lhomme daffaires et candidat Donald Trump, occupant lespace mdiatique en comparant par exemple les immigrs mexicains des trafiquants de drogue et des violeurs. Bernie Sanders, actuellement snateur du Vermont, un tat du Nord-Est rput pour son progressisme et ses produits bio , apporte tout simplement un peu de fracheur au dbat. Depuis quil est entr en campagne, en mai dernier, largumentaire quil droule peut se rsumer ainsi : les ingalits conomiques doivent tre combattues en augmentant limpt sur les hauts revenus, en doublant le salaire minimum pour quil atteigne au moins 15 dollars de lheure, en contrlant mieux le secteur bancaire, en luttant contre lvasion fiscale, en investissant dans lducation et en allgeant la dette tudiante ou encore en lanant un nouveau programme de grands travaux. Bernie Sanders se prononce en faveur de politiques sociales-dmocrates leuropenne, citant lenvi les pays scandinaves (et la France). Vous savez, ces pays o laccs aux soins de sant est gratuit, o lducation est quasi gratuite, o les travailleurs ont des congs pays. Cest de ce type de socialisme- l dont je parle , expliquait-il ainsi lors dun long entretien avec la journaliste Katie Couric, en juin (ici). Sil parle surtout dconomie, il insiste aussi sur la rforme du systme de financement des campagnes lectorales sans plafond actuellement afin de mettre fin loligarchie qui menace la politique amricaine. Il ne manque jamais dalerter sur les effets du changement climatique et milite en faveur de la transition nergtique. Il soppose encore la collecte massive de donnes par la NSA. Ce message sduit. Depuis juin, Bernie attire des foules de plus en plus larges, qui dbordent systmatiquement des auditoriums prvus pour loccasion : 2 600 personnes dans lIowa, 3 000 personnes dans le Minnesota, 10 000 personnes dans le Wisconsin dbut juillet et 11 000 personnes Phoenix en Arizona, samedi dernier lorsque nous nous sommes tous retrouvs tudiants la facult de droit de Yale, mme sils ne mattribuent pas cette rencontre. Jai foi en ses idaux. Cest une idaliste, qui se soucie de tous les problmes que nous venons dvoquer.
  7. 7. 2 2/4 Aucun autre candidat dmocrate ou rpublicain na russi rassembler ce jour un tel public. Sa cote de popularit dans les sondages suit la mme courbe ascendante : en un mois, il est pass de 8 15 % des intentions de vote des lecteurs se disant dmocrates. Si cette perce est remarquable, Bernie Sanders reste cependant loin derrire la candidate de choix des cadres du parti dmocrate, Hillary Clinton, qui recueille ce jour plus de 60 % des intentions de vote. comparer leurs comptes de campagne, on a mme du mal croire quils jouent dans la mme catgorie. Bernie Sanders a lev 15,2 millions de dollars de fonds provenant uniquement de petits donateurs, puisquil refuse catgoriquement largent des Super Pacs * qui se dverse sur les campagnes amricaines depuis 2010. Le comit de campagne dHillary Clinton en est lui 47,5 millions de dollars Dans ce contexte, aucun expert de la vie politique amricaine nenvisage pour le moment que Bernie Sanders remporte les primaires dmocrates ou devienne le prochain prsident des tats-Unis. Mais lenjeu nest pas l, analyse le sociologue Walter Benn Michaels. Bernie Sanders russit dire tout haut ce que tant dAmricains pensent tout bas sans forcment savoir larticuler. Il connat son sujet, il propose des solutions, il est crdible. Il parle donc des gens qui commenaient vraiment se dsintresser de la chose publique. Le succs de Bernie Sanders, cest dabord lexpression dune contestation, dune dfiance lgard des candidats de l' establishment , comme Hillary Clinton, dun rejet de la tideur centriste du parti dmocrate sur les questions conomiques. Il se retrouve porter la colre et lespoir dune portion de llectorat qui aurait pu tout aussi bien se ranger derrire la candidature dune Elizabeth Warren, snatrice dmocrate dnonant avec fougue les errements du nolibralisme et le pouvoir de lindustrie bancaire. Sauf que, malgr sa popularit, celle-ci a choisi de ne pas entrer dans la mle. *En 2010, la Cour suprme amricaine rend larrt Citoyens unis contre la commission lection lectorale fdrale , qui permet dsormais tout entreprise, syndicat ou individu de financer sans limite de fonds des comits daction politique surnomms PAC , afin de venir en aide au candidat de leur choix. Concrtement, cela permet de riches entrepreneurs dinvestir des millions de dollars dans de coteux spots publicitaires ou des campagnes daffichage servant notamment dnigrer les candidats faisant de lombre leur favori. Cette tendance est encore plus marque dans le camp rpublicain que chez les dmocrates. Bernie, lui, na pas hsit entrer dans la campagne, en ayant toute la lgitimit ncessaire pour occuper le vide laiss gauche. Cela fait quarante ans quil rpte la mme chose, quil dfend lintervention de ltat pour corriger les ingalits et soppose au pouvoir du big business , nous explique Greg Guma, auteur dun ouvrage sur Bernie Sanders et le Vermont, The Peoples Republic, Vermont and the Sanders Revolution. La nouveaut, cest que son discours rsonne dsormais un peu partout dans le pays. Cest le bon moment pour parler ingalits de revenus et pour tre entendu, poursuit-il. Il note que le mouvement Occupy Wall Street a prpar le terrain, que le dbat sur le creusement des ingalits est de mieux en mieux relay par les mdias. Les sondages indiquent en outre un glissement gauche dune partie de llectorat dmocrate : selon une tude de l'institut Gallup, le pourcentage de dmocrates sidentifiant comme libraux (au sens amricain du terme, cest--dire de tendance sociale- dmocrate) sur les questions sociales et conomiques a augment de 17 points depuis 2001. Les recettes quil prconisait quand il courtisait la mairie de Burlington sont quasiment les mmes quil prconise aujourdhui pour le pays, poursuit Greg Guma, insistant sur le laboratoire qua reprsent le Vermont pour cet homme politique. N dans une famille juive de Brooklyn, New York, Bernie Sanders sinstalle dans le Vermont dans les annes 1960 en mme temps quune vague de hippies prnant le retour la nature. Dans ses bagages, quelques
  8. 8. 3 3/4 annes de militantisme anti-guerre du Vietnam luniversit de Chicago, une passion pour la chose publique et un intrt soutenu pour la thorie marxiste. Il rejoint rapidement un petit parti de gauche, fond en 1970, nomm le Liberty Union Party et se dfinissant comme pacifique et socialiste non violent. Ddi la politique, enchanant les petits boulots pour survivre, Bernie Sanders se prsente plusieurs lections snatoriales, perd chaque fois, puis, partir de 1976, poursuit son chemin hors du parti en tant quindpendant solidement ancr gauche. Une tiquette quil conserve aujourdhui. Bernie Sanders en meeting Washington, le 22 juillet 2015 Depuis son entre en politique, il a men prs de 20 campagnes. Il adore a , souligne Greg Guma. Sa premire victoire, celle qui le lance enfin, date de 1981: avec seulement dix voix davance, il remporte la mairie de Burlington. Son message de lpoque ? Burlington nest pas vendre. Autrement dit, les grands groupes immobiliers ne doivent pas sapproprier le centre-ville, Burlington doit rester une ville accessible aux classes moyennes et populaires. Sa gestion municipale convainc les habitants et il est rlu pour trois mandats successifs. Des annes au cours desquelles il visite le Nicaragua, soutient le rgime sandiniste, et initie le jumelage de Burlington avec la ville de Iaroslavl en Union sovitique. La prochaine tape est logiquement Washington : il est lu reprsentant du Vermont la Chambre de reprsentants, en 1990. Cest le premier indpendant lu en quarante ans. Il choisit cependant dtre affili au groupe parlementaire dmocrate, ce qui signifie quil suit le vote dmocrate sur un grand nombre de textes de lois. Il a d'ailleurs cr un groupe dlus dmocrates progressistes au Congrs, qui existe toujours. Il entretient un rapport compliqu avec le parti dmocrate, ayant oscill au fil de sa carrire entre le rejet des partis et lunion avec les dmocrates. Dernirement, il a choisi dtre dans le parti et il a convaincu les gens de gauche que ctait le seul moyen dtre entendu, dtre efficace, tant donn notre systme bipartisan, analyse Greg Guma. En 2006, il poursuit sa perce et devient cette fois-ci snateur du Vermont, un sige quil occupe toujours. Encore une fois, son tiquette indpendante nest pas un obstacle, il est soutenu par les dmocrates les plus progressistes. Vote aprs vote, dbat aprs dbat, Sanders incarne ainsi parfaitement laile gauche du parti: il est oppos aux interventions en Irak, en 1991 comme en 2002; il est oppos au Patriot Act; oppos aux coupes budgtaires et baisses dimpt qui affectent dmesurment les plus dmunis; il dfend bec et ongles la transition nergtique et soppose la construction de loloduc Keystone XL. Aprs llection de Barack Obama en 2008, il devient un ardent dfenseur de la rforme de lassurance sant, militant pour un systme entirement gr par ltat ( savoir un systme la franaise; mais cette ide sera abandonne face lopposition rpublicaine et les assurances prives garderont un rle de premier plan dans la couverture maladie des Amricains). Il milite alors pour que ltat investisse plus dans le rseau de centres de soins communautaires du pays acceptant les patients quels que soient leurs revenus, et son combat porte ses fruits. Sa constance et sa rigueur depuis son entre en politique font quil est aujourdhui difficile de douter de la sincrit de ses idaux, de son engagement. Cest l sa force, notamment face une Hillary Clinton souffrant de son image de reine des compromis et des petits arrangements entre amis. Cependant, son argumentaire nest pas sans faiblesse. Ayant tendance tout ramener lconomie, il fait ainsi souvent limpasse sur les questions identitaires, qui ont pris une trs large place dans le dbat amricain. Autrement dit, comment le fait dtre homosexuel, hispanique ou afro-amricain transforme son exprience de citoyen amricain et donne lieu des formes de discrimination particulires.
  9. 9. 4 4/4 Cela explique en partie les doutes exprims par des experts de la vie politique amricaine, comme Daniel Pfeiffer dans le Washington Post. Comparant les candidatures de deux outsiders, Barack Obama en 2008 et Bernie Sanders aujourdhui, lancien conseiller en communication du prsident sortant tranche: Sanders nest pas Obama, il aura beaucoup de mal rassembler au fil de sa campagne une large coalition arc-en-ciel, parler aux lecteurs modrs du parti, avoir la mme popularit auprs de llectorat hispanique et surtout afro-amricain. Une analyse qui nempche pas, en conclusion, Daniel Pfeiffer de temprer son propos et de rappeler que tout est possible en politique. Le simple fait quun candidat nait pas peur de se dire de gauche, cest dj rafrachissant, estime le sociologue Walter Benn Michaels. Sa candidature peut marquer le dbut de quelque chose. Elle peut obliger Hillary Clinton faire campagne plus gauche pour commencer. Il faudrait ensuite que des lus de premier plan lui apportent leur soutien, Elizabeth Warren par exemple. Au bout du compte, son succs pourrait rveiller la gauche en inspirant des lus au niveau local lors de futures lections. Cela permettrait de structurer lenthousiasme quon a vu poindre au moment dOccupy Wall Street. ce stade, la candidature de Bernie Sanders a le mrite dinsuffler une dose doptimisme dans la politique amricaine. Cest dj beaucoup.