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Note d’analyse de l’impact des politiques commerciales régionales sur la filière « lait local » en Afrique de l’OuestCécile Broutin, Laurent Levard et Amel Benkahla – Juillet 2015

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Note d’analyse de l’impact des politiques commerciales régionales sur la filière « lait local » en Afrique de l’Ouest

Cécile BROUTIN

Laurent LEVARD

Amel BENKAHLA

GRET

Juillet 2015

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Rédaction : Cécile Broutin, Laurent Levard et Amel Benkahla (Gret)

Coordination : Hindatou Amadou (Apess) et Imma de Miguel (Oxfam)

Crédits photos : Apess et Gret

Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission Européenne.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION.......................................................................................................................... 6

I. SITUATION ACTUELLE DES FILIÈRES LAITIÈRES OUEST-AFRICAINES............................71. Quels sont les acteurs des filières et sous-filières laitières (produits issus du lait

local et de la poudre de lait importé) ?.......................................................................72. Quels sont les produits consommés dans les différents pays ? Sont-ils produits à

partir de lait local ?................................................................................................... 113. Dans quelle mesure, la production locale répond-elle à la demande des consom-

mateurs ?.................................................................................................................. 124. Les produits à base de lait local sont-ils plus chers que les produits importés ou

à base de poudre de lait ?.......................................................................................... 135. Quel est le niveau de contribution de ces filières à la création d’emplois et à la

richesse des pays ?.................................................................................................... 166. Quelles sont les principales politiques de soutien aux filières laitières (politiques

d’appui à l’élevage et politiques industrielles) ?......................................................17

II. CONCURRENCES ET COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LA FILIÈRE « LAIT LOCAL » ET LA FILIÈRE « LAIT EN POUDRE ». ATOUTS ET CONTRAINTES DE DÉVELOPPEMENT DE CES FILIÈRES.............................................................................................................. 201. Comment ces deux sous-filières s’adaptent aux attentes des consommateurs ?.......202. Quelles sont les freins rencontrés dans le développement des unités de transfor-

mation valorisant le "lait local" ?..............................................................................213. Quelles sont les capacités d’adaptation de la filière « lait local » à la croissance

de la demande ?........................................................................................................ 23

III. HYPOTHÈSES D’ÉVOLUTION DE CES FILIÈRES LIÉS À L’EVOLUTION DE LEUR ENVIRONNEMENT COMMERCIAL....................................................................................251. Quels changements risquent d'induire la mise en place du TEC CEDEAO et la

signature des APE ?.................................................................................................. 252. La fin des quotas laitiers en Europe risque-t-elle d'augmenter les exportations

vers l'Afrique de l'Ouest ?........................................................................................293. Quelles mesures préventives peut prévoir la CEDEAO pour faire face à ces me-

naces ? Dans ce contexte, quelles sont les voies possibles pour améliorer la pro-tection de la filière lait local ?..................................................................................31

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IV. DES POLITIQUES ADAPTÉES POUR ACCOMPAGNER LE DÉVELOPPEMENT DES FILIÈRES « LAIT LOCAL » EN AFRIQUE DE L’OUEST....................................................321. La collecte de lait local par les minilaiteries peut-elle vraiment répondre aux

besoins des consommateurs à des prix abordables ?................................................322. Les entreprises de transformation industrielles pourraient-elles s’approvisionner

de manière plus importante en lait local et auprès d’exploitations agropasto-rales ?........................................................................................................................ 33

3. Comment les Etats pourraient créer un environnement plus favorable capable de stimuler le développement de la filière lait local ?...................................................34

V. CONCLUSION................................................................................................................... 37

BIBLIOGRAPHIE....................................................................................................................... 38

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INTRODUCTION

Selon les statistiques nationales disponibles, la consommation de lait et de produits laitiers en Afrique de l’Ouest (en majorité lait de bovins et dans une moindre mesure de chèvres) est en croissance continue du fait de l’augmentation de la population (la consommation per capita étant pour l’instant relativement stable). Cette consommation devrait continuer à progresser au cours des prochaines années.

La production locale fournit en moyenne plus de 80% des volumes consommés (deux tiers si l’on ne tient compte que du lait de vache) ; le reste de la consommation est réalisé à partir de produits importés (un peu moins de 20%, mais environ un tiers pour le lait de vache). Dans les pays côtiers, les importations représentent généralement la majorité de la consommation, alors que, dans les pays sahéliens de l’intérieur, la population consomme essentiellement du lait local. Les importations sont néanmoins globalement en progression constante.

La production laitière et la part de la consommation issue de la production locale est plus im -portante dans les pays sahéliens que dans les pays côtiers et les échanges intra-régionaux sont très faibles (essentiellement poudre de lait).

La production laitière ouest-africaine est issue principalement des systèmes pastoraux (70%), le reste étant issu de systèmes agro-pastoraux plus ou moins intensifiés. Quelques fermes lai-tières intensives et spécialisées se développent également autour des grandes villes.

Les types de produits consommés ou achetés par les ménages sont diversifiés (lait liquide, poudre de lait, produits traditionnels, lait caillé, yaourts, etc.), de même que les types de fi -lières. Le lait local peut-être consommé frais ou sous forme de lait caillé et de yaourt. Les im -portations de poudre de lait sont principalement en vrac, avec par la suite, soit un recondition -nement en vue d’une vente au détail, soit une transformation en lait liquide ou plus souvent en produits laitiers (principalement lait caillé et yaourt). Une partie de la poudre de lait et du lait condensé sont également importés déjà conditionnés pour la vente.

L’élevage laitier traditionnel est confronté à diverses contraintes :

- Faible productivité et saisonnalité, avec notamment des problèmes liés à l’alimentation animale, au faible potentiel laitier de certaines races locales, difficultés de gestion de la reproduction animale et des problèmes sanitaires ;

- Parfois, difficultés de connexion aux marchés, notamment pour les systèmes pasto-raux, même si le développement de centres de collecte et de laiteries (dont mini-laite -ries) doit être souligné,

- Concurrence par les produits laitiers importés, dans un contexte où la protection com-merciale est faible et devrait s’accentuer avec la signature des APE.

L’APESS fait partie des principaux réseaux d’éleveurs regroupés au niveau de la région CEDEAO. Un de ses mandats fondamentaux est de représenter ses membres et de défendre ses intérêts dans l’élaboration, la négociation et la mise en œuvre des politiques agricoles. Elle mène des actions de plaidoyer pour une meilleure prise en compte des intérêts des éleveurs, en lien avec d’autres organisations de la société civile.

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Cette note a été réalisée dans le cadre de la préparation de la campagne «  Cultivons 2015-2016 » et des analyses réalisées dans le cadre du projet GALO financé par l’Union Euro-péenne. Afin d’identifier les principaux défis à venir de la filière « lait local », notamment dans le contexte d’une ouverture commerciale des pays de la région à partir d’informations claires sur la situation du secteur et des politiques et les perspectives d’évolution, elle vise à présenter une synthèse :

- De la situation actuelle de la production, la consommation et les échanges de lait et produits laitiers en Afrique de l’Ouest, et des politiques commerciales concernant les produits laitiers ;

- Des principales limitations au développement de la filière « lait local », et notamment de la problématique de la concurrence entre le lait produit localement et les importa-tions de lait et de produits laitiers ;

- Une clarification du contexte et des enjeux de l’évolution à venir des politiques com-merciales et accords commerciaux, et notamment de l’APE, en tenant compte de l’évolution probable des marchés (accroissement de la demande en Afrique de l’Ouest, fin des quotas laitiers en Europe, etc.) ;

- Des expériences réussies de filières « lait local » en Afrique de l’Ouest et des condi-tions qui ont contribué à cette réussite.

En s’appuyant sur ces éléments, la note vise par ailleurs à présenter, en vue de leur discussion avec l’APESS, des propositions et argumentaires qui pourraient être défendues relatives aux politiques agricoles et commerciales pour appuyer et promouvoir le développement de l’éle-vage paysan et de la filière « lait local ».

I. SITUATION ACTUELLE DES FILIÈRES LAITIÈRES OUEST-AFRICAINES

1. Quels sont les acteurs des filières et sous-filières laitières (produits issus du lait local et de la poudre de lait importé) ?

Des filières laitières interconnectées

On trouve sur les marchés ouest-africains différents types de produits laitiers issus de deux sous-filières distinctes centrées sur la valorisation du lait local ou l’utilisation de poudre de lait importé, mais qui sont fortement interconnectées. En effet, les filières lait local exclusives sont rares et les acteurs impliqués dans la filière de valorisation du lait local utilisent aussi dans leur majorité au moins à une période de l’année du lait en poudre importé.

La filière lait peut être représentée de manière schématique sous la forme suivante :

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Importations Fermes intensives

périurbaines

Exploitations familiales pastorales et agro-pas-torales

Poudre de lait(en vrac)

GrossistesIndustries et PME laitières de trans-

formation

Minilaiterieset petites industries de

collecte rurale

Boutiques et supermarchésPoudre de lait

Femmes d’éleveurs et transformatrices artis-

anales

Sans marque Marques internationales Marques locales Sans marque Marques locales Sans marque

Consommateurs

Produits transformés

(Yaourts

Poudre de lait(en vrac et en boîtes)

Lait concentré,Beurre, Fromages

Lait local

Lait de collecteLait de collecte

Poudre de lait(reconditionn

ée)

Collecteurs / centres de collecte

Kiosques et ventes directes

Lait de ferme

Poudre de lait

Lait de collecte

Lait de collecte

Auto-consom-mation

Graphe schématique de la filière laitière en Afrique de d’Ouest (d’après Corniaux et Duteurtre,

2010, adapté par les auteurs)

Intrants vétérinaires/ Sous-produits agro-industriels / Génétique

Micro-entre-prises artis-

anales urbaines

Industries urbaines de recondition-

nement

Produits importés (Poudre de lait, lait concentré, lait UHT,

Beurre, Fro-mages…)

Produit «Made in UEMOA»

Yaourts, Laits UHT, Lait pasteuriséet yaourts à boireen sachets thermo-

Lait de ferme

(frais et caillé)Poudre de lait en vrac (sa-chets noués)

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Des systèmes pastoraux et agro-pastoraux majoritaires dans la production de lait local

En Afrique de l’Ouest, la production laitière est essentiellement destinée à l’autoconsomma-tion et à la vente sur des marchés de proximité lorsque la production est abondante. Les ex-ploitations familiales pastorales et agropastorales disposent en effet de peu d’opportunités pour intégrer des circuits de collecte organisés pour valoriser leur lait auprès d’unités de trans-formation laitière.

La production laitière totale de la sous-région est estimée à 2,4 millions de tonnes pour un cheptel de 50 millions de bovins, mais moins de 10% de cette production ferait l’objet d’une collecte organisée (Duteurtre, 2007). La valorisation marchande du lait se fait surtout via des ventes locales de produits transformés par les femmes. Ces ventes sont saisonnières et alimentent surtout des circuits orientés vers les marchés urbains (Boucher et al, 2009). Du fait du manque de débouchés sécurisés, la majorité des exploitations agropastorales n’investissent pas dans l’amélioration des performances laitières de leurs animaux. Les vaches produisent entre un et quatre litres de lait par jour, sur une période souvent inférieure à une centaine de jours.

En revanche, en périphérie des villes secondaires et dans les bassins laitiers ou des circuits de collecte sont mis en place par des centres de collecte, des minilaiteries ou industries laitières, là où existent des opportunités de commercialisation, les systèmes d’élevage agropastoraux s’intensifient. Les éleveurs valorisent les compléments alimentaires disponibles dans la zone (résidus de récolte, fourrages, graines et tourteaux de coton, fanes et tourteaux d’arachide, son de céréale, etc.). Dans les bassins laitiers, les troupeaux sont parfois séparés en lot, une partie des animaux restant sur place pendant qu’une autre partie part en transhumance. L’organisa-tion de la famille et la gestion des revenus du lait connaît aussi souvent dans ces exploitations des évolutions importantes (Corniaux, 2008).

De nombreux acteurs impliqués dans les filières de collecte du lait local

Le développement de ceintures laitières périurbaines repose sur le développement d’unités de transformation laitière, de collecteurs (ou collectrices) et de vendeurs (ou vendeuses), qui jouent un grand rôle dans les filières lait local. En effet, l’essentiel du lait local collecté est issu des systèmes agropastoraux semi-intensifiés. Il existe aussi une production laitière ur-baine et périurbaine dans des fermes intensives, mais elle ne représente que 2% de la produc-tion (Duteurtre, 2013). Le développement des filières lait local repose donc principalement sur un maillage territorial de collecteurs qui permettent d’approvisionner les unités de transforma-tion local à partir du lait issu des systèmes agropastoraux.

Des minilaiteries qui se développent dans la bande sahélienne

A côté des transformatrices artisanales et des industries de transformation laitière, se dévelop-pement depuis les années 70, de petites structures de transformation locale, communément appelées « minilaiteries ».

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Transformatrices artisanales Minilaiteries Entreprises industrielles

Activités initiées par des femmes rurales ou urbaines souvent d’ori-gine peule

Entreprises ou coopératives créées à partir des années 70, sous l’impulsion de projets d’ONG et qui ont connu un essor dans les années 2000, avec l’appui de l’Etat et des bailleurs

Entreprises nationales privatisées dans les années 80-90

Entreprises privées

Produisent du lait caillé ou des glaces (sucettes)

Produisent principalement du lait pasteurisé, lait caillé sucré ou non sucré et des yaourts

Fabriquent une gamme de pro-duits frais (lait liquide, lait caillé, yaourt, crème, beurre)

Capacité de transformation de quelques dizaines de litres/jour

Capacité de transformation de 50 à 600 litres/jour (140 litres/jour en moyenne)

Capacité de transformation de 5000 à 20000 litres/jour

Plusieurs centaines par pays 155 minilaiteries recensées en 2012 (dont 124 en activité)

Une vingtaine en 2013

Localisées dans les centres ur-bains ou en milieu rural

Localisées dans les villes secon-daires au niveau de bassins lai-tiers, rarement en capitale

Localisées principalement dans les capitales

Transforment du lait local ou de la poudre de lait

Fabriquent des produits frais à partir de lait local (rayon de col-lecte de 20-30 km) avec souvent utilisation de lait en poudre à certaines périodes de l’année

Transforment exclusivement à partir de poudre de lait

Ou collectent aussi du lait local : au maximum 2000 litres, pour une transformation de 4000 à 15 000 litres selon les entreprises (10 à 50% de la production totale)

Motivations pour collecter le lait local : disponibilité du lait pen-dant l’hivernage

Motivations pour collecter le lait local : motivation du chef d’entre-prise, différenciation par rapport aux produits transformés à partir de poudre de lait

Motivations pour collecter le lait local : motivation du chef d’entre-prise, argument commercial et obligations contractuelles avec l’Etat

Cette analyse des différentes catégories d’acteurs impliquées dans la transformation du lait montre que les acteurs travaillant exclusivement à partir du lait local sont rares. La chute de production laitière pendant la saison sèche (et chaude), à une période où la demande des consommateurs est la plus forte, constitue en effet une contrainte majeure pour assurer une régularité des approvisionnements et conserver les parts de marchés.

Les acteurs qui travaillent exclusivement ou en grande partie à partir de lait local sont princi -palement les femmes transformatrices artisanales en milieu rural (qui ont facilement accès au lait local au sein de leur exploitation ou dans leur voisinage) ou les minilaiteries portées par l’engagement de leur dirigeant et entretenant des liens forts avec leurs éleveurs fournisseurs et dont la réputation et la différenciation du produit se font sur cette image de qualité du lait lo-cal.

On observe aussi que l’Etat peut jouer un rôle important dans la promotion de l’utilisation du lait local en imposant aux entreprises industrielles de s’approvisionner au moins en partie à partir de lait local, même si cela représente toujours moins de la moitié des approvisionne-ments (10 à 50%).

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2. Quels sont les produits consommés dans les différents pays ? Sont-ils produits à partir de lait local ?

On trouve sur le marché d’Afrique de l’Ouest plusieurs types de produits issus du lait local ou de la transformation de poudre de lait. Certains produits sont exclusivement réalisés à partir de lait local (crème, beurre, boissons et plats traditionnels, fromages locaux), mais la majeure partie des produits consommés peuvent être issus de lait local ou de lait reconstitué à partir de poudre de lait.

Produits Lait local

Lait re-constitué

Consommation Conditionnement

Lait frais bouilli, pasteurisé ou stérilisé commercialisé

x x Consommation de lait frais local saisonnière

En vrac, en sachet, en bouteille, en emballage cartonné

Lait caillé ou lait acidifié (fermenté)

x x 1er produit consommé (0.5 à 2 fois plus que le lait liquide)

En vrac, en sachets

Boissons lactés traditionnelles x En vrac

Yaourts à boire aromatisés ou sucrés

x x En sachet, en bouteille

Yaourts en pot x xx Marché de niche (haut de gamme)

En pot

Couscous, bouillies xx x En vrac, en pot

Crème maturée x En pot

Beurre solide fermier ou in-dustriel

x En sachet

Beurre clarifié (ou beurre liquide)

x Peu consommé (rare et cher)

En bouteille

Lait concentré ou condensé x En pot, en sachet

Fromages locaux x Peu consommés sauf au Niger et Benin

En vrac

Lait en poudre x Pour faire lait frais ou lait caillé

En vrac, en pot, en sachet

Fromages et produits laitiers industriels importés

En emballage

Les choix des consommateurs entre produits issus du lait local ou du lait en poudre reposent sur plusieurs critères. Des enquêtes consommateurs réalisés dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest montrent que les consommateurs privilégient en général des produits qu’ils connaissent déjà, soit par les media, soit parce qu’ils les ont déjà goûtés. Le goût, la texture, la disponibilité et le prix constituent les principaux éléments conditionnant l’achat. L’origine du produit ne semble pas être un argument décisif dans l’acte d’achat, si ce n’est pour une petite

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partie de consommateurs engagés et à fort pouvoir d’achat et pour les consommateurs nigé-riens, qui semblent plus attachés au goût et à l’origine du lait local (Bastard, 2013). Le prix reste un élément déterminant pour les consommateurs à faible pouvoir d’achat.

3. Dans quelle mesure, la production locale répond-elle à la demande des consommateurs ?

Une consommation globale de produits laitiers en hausse du fait de la croissance démographique

La consommation par habitant de lait en Afrique de l’Ouest demeure globalement faible et en-dessous des recommandations de l’OMS qui préconisent une consommation de 70 à 90 kg/an/habitant (en équivalents kg de lait). Les statistiques nationales ne montrent pas d’évolution significative de la consommation par capita sur les dernières années, mais la croissance démo-graphique très soutenue (notamment en villes) laisse présager une réelle dynamique de crois-sance du secteur laitier dans les décennies à venir. La question est de savoir si le lait local va réussir à profiter de ce contexte favorable de croissance de la demande, alors que plus de 90% de la consommation de lait en Afrique de l’Ouest est issu de poudre de lait importée (Du-teurtre et Corniaux, 2013). Ceci dépendra largement de l’existence de politiques publiques de soutien au développement des filières locales, couplées à des mesures de protection vis-à-vis du lait en poudre importé (voir III.-3. Et IV.-2 ci-dessous).

Des profils pays très différents dans la sous-région

Le poids des différents pays dans la production laitière régionale est très variable. Dans la zone UEMOA, le Mali et le Niger sont les plus gros producteurs de lait avec 300 à 500 mil-lions de litres de lait par an. Viennent ensuite le Sénégal et le Burkina Faso, qui sont dans une position intermédiaire avec 170 à 270 millions de litres. Enfin, les autres pays produisent moins de 50 millions de litres par an. La production nationale reste globalement en-dessous des besoins de consommation, sauf pour le Burkina Faso, le Mali ou le Niger, où la production locale est bien supérieure aux importations. Dans tous les pays, les importations viennent prio -ritairement approvisionner les marchés urbains. Il existe cependant de fortes incertitudes sur les statistiques de production, qui sont très difficiles à évaluer, étant donné qu’une faible partie de la production est commercialisée.

Pays Production par habitant de lait de bovin (litres/an)

Production par habi-tant de lait d’autres espèces (litres/an)

Importations de lait par habitant (litres EL/an)

Consommation appa-rente de lait par habi-tant (litres EL/an)

Burkina Faso 13.9 2.9 2.4 17.9

Mali 19.9 74.3 3.9 64.9

Niger 29.8 31.7 4.1 63.8

Sénégal 11.2 2.0 19.7 39.3

UEMOA 12.7 17.8 6.5

(Source : FAOSTAT 2012 ; Duteurtre et Corniaux, 2013)

Les échanges intra-régionaux de produits laitiers sont très faibles. Seules la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo utilisent leurs infrastructures portuaires pour importer de la poudre de lait

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en vrac et la conditionner en sachets de 500g ou en microdosettes avant de le réexporter dans la région.

Sur la dernière décennie, les importations ont été en hausse dans tous les pays de la région. Néanmoins, cela n’a pas bouleversé les systèmes en place et ces augmentations ont surtout suivi la courbe de la croissance démographique (de l’ordre de 3% par an). Ces importations sont constituées à 90% par la poudre de lait (sauf au Togo et au Bénin où le lait concentré représente 35% des importations).

4. Les produits à base de lait local sont-ils plus chers que les produits importés ou à base de poudre de lait ?

La concurrence entre lait local et lait importé s’effectue aussi bien au niveau de la consomma-tion que de la transformation. Aussi, il convient de distinguer :

d’une part le niveau de la consommation du lait, mais aussi des autres produits laitiers, d’autre part, les prix auxquels les industriels ont accès au lait local et à la poudre de

lait importée.

Prix à la consommation du lait

Concernant les prix à la consommation du lait, il existe souvent des variations de prix pour un même type de produit selon le pays et la zone considérée ou selon le type de conditionne -ment. Cependant on observe globalement :

des prix relativement plus faibles pour le lait reconstitué à domicile à partir de poudre de lait reconditionnée localement, lait cru (ou bouilli) local (mais il peut exister des conditions de valorisation plus favorables) ;

des prix intermédiaires pour a) la poudre de lait importée sous forme déjà conditionnée pour la consommation, b) le lait UHT à partir de poudre de lait importée, c) le lait lo-cal pasteurisé, UHT ou cru mais bénéficiant de conditions de valorisations particu-lières, d) les produits laitiers fabriqués à partir de lait local ou de poudre de lait impor-tée ;

des prix les plus élevés pour le lait UHT importé et les produits laitiers destinés à la consommation et importés.

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Hiérarchie générale de prix Exemples (par litre équivalent-lait)

Bamako 2014 Dakar 2013 OuagadougouDakar/Bamako(1) (2) 2013 (2) 2010 (3)

Lait UHT importé 1200 1000

625 ?Lait UHT local 1500/2000?

Lait pasteurisé local 800 700etLait UHT reconstitué à partir de poudre importée ? 850

Lait cru 600 600 400/600

Poudre de lait pour reconstitution de lait à domicile 500/700 300

(1) : Diop Aly Saleh, Bastard, Guillaume, Dia, Moussa, Rapport des enquêtes ménages et observations structurées au Niger, Mali et Sénégal , 2014

(2) : Gret

(3) : Corniaux, Christian, Vatin, François, Ancey, Véronique, Lait en poudre importé versus production locale en Afrique de l'Ouest :

vers un nouveau modèle industriel ? , Cahiers agriculture vol. 21, n°1, janvier-février 2012

Les facteurs explicatifs sont les suivants :

Le prix de la poudre de lait est fortement lié à son cours sur le marché mondial, où dominent des pays exportateurs ayant de faibles coûts de production (Nouvelle Zé-lande) et bénéficiant de subventions (Union européenne notamment). La faiblesse des droits de douane appliqués dans la zone UEMOA (5%) contribue à accroître l’ «  avan-tage comparatif » de la poudre de lait importée en vrac et reconditionnée sur place (y compris directement au niveau des boutiques sous forme de sachets noués). Le lait en poudre bénéficie en outre tout à la fois d’une bonne image en termes de qualité et de santé, d’une facilité de conservation, d’utilisation (sous forme de lait liquide, lait caillé, poudre dans boisson ou pâtisserie), de disponibilité au travers des réseaux de boutiques de quartier, de visibilité au travers des médias de masse TV et radio. C’est pourquoi il y a tout lieu de penser que, même si le prix du lait local est plus élevé et si la production de lait locale est largement insuffisante pour couvrir la demande, le prix de la poudre de lait tend à « tirer à la baisse » son prix. Le prix de la poudre de lait importée sous forme conditionnée pour la consommation peut, par contre, être jusqu’à deux fois plus élevé que celui de la poudre reconditionnée sur place.

Le lait cru (ou bouilli) local tend à être commercialisé à un prix faible du fait d’une conjonction de facteurs : concurrence du lait en poudre à un prix inférieur ou équi-valent, image négative en terme d’hygiène, préférence des consommateurs pour d’autres produits laitiers (même à un prix plus élevé), caractère périssable du produit (qui ne permet aucun stockage de la part des producteurs et des distributeurs), absence de coûts de transformation. A noter cependant que le lait cru est souvent transformé

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artisanalement en lait caillé ou yaourt, produits qui sont mieux valorisés (voir ci-des-sous).

Le prix du lait UHT reconstitué à partir de poudre importée est intermédiaire. S’il bénéficie d’une part du faible coût de la matière première importée, le processus de reconstitution qu’il subit et le coût de l’emballage le rendent cependant plus onéreux pour le consommateur que la poudre de lait achetée directement.

Le prix du lait local pasteurisé est lui-aussi intermédiaire, plus faible dans les régions de forte production locale, plus élevé dans les zones urbaines côtières. Par rapport au lait cru, il ne présente pas les mêmes risques sanitaires, il peut être stocké un certain temps à condition qu’il n’y ait pas de rupture de la chaîne du froid et il bénéficie sou-vent d’une mise en valeur commerciale de son origine locale. Il s’apparente alors à un produit de niche acheté par les consommateurs les plus aisés.

Le prix du lait UHT local est lui aussi intermédiaire, même s’il tend à être un peu plus élevé que les deux types précédents. Il bénéficie du même type de reconnaissance que le lait pasteurisé local. Il tend à être plus onéreux que le lait UHT reconstitué du fait du différentiel de prix, pour le transformateur, du lait local et de la poudre de lait (voir ci-dessous).

Le prix du lait UHT importé est plus élevé, du fait de son coût d’importation nette-ment plus élevé que la poudre de lait (transport international, droit de douane de 20% au lieu de 5%). Il s’agit d’un marché essentiellement destiné aux classes moyennes et supérieures et aux expatriés.

Prix à la consommation des autres produits laitiers

Certains produits ne peuvent être fabriqués qu’avec du lait frais (en totalité ou en partie). C’est le cas du fromage blanc, du beurre, de la crème fraîche, du féné). En termes de prix ramené à l’unité d’équivalent lait, ces produits sont commercialisés à un prix plus élevé que les autres produits laitiers. Ces produits correspondent à des marchés de niche : les consommateurs (no-tamment classes moyennes urbaines) sont disposés à acquérir ces produits à un prix plus élevé (en équivalent lait) que les autres produits laitiers. Par contre, leur prix est inférieur à des pro-duits identiques ou substituables importés (beurre importé, etc.), du fait notamment de l’exis -tence de droits de douanes relativement protecteurs (20%).

Il en va de même des produits fabriqués indifféremment à partir de poudre de lait importée ou de lait local (yaourts, lait caillé) : ils tendent à être bien valorisés (davantage notamment que le lait cru), mais à être moins onéreux que les produits équivalents importés (lorsqu’ils existent).

Les études disponibles ne permettent pas d’apprécier les différences de prix à la consom-mation entre le lait caillé issu de lait local d’une part, et le lait caillé issu de la poudre de lait ou les yaourts d’autre part. Ces informations seraient pourtant très intéressantes pour mieux comprendre le niveau de concurrence entre sous-filières (lait local et poudre de lait) et entre types d’unités de transformation (transformation artisanale, minilaiteries, industries lai -tières). Le lait caillé est en effet l’un des principaux produits laitiers consommés dans la ré-gion.

Prix du lait local en tant que matière première de la transformation

Concernant les produits qui peuvent être fabriqués aussi bien à partir de lait local qu’à partir de poudre de lait et autres matières importées (lait UHT, lait caillé, yaourt), la concurrence s’effectue principalement non pas au niveau des consommateurs, mais au niveau des indus-tries de transformation qui peuvent s’approvisionner soit en lait frais local, soit en poudre de

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lait et autres sous-produits du lait importés. La poudre de lait importée revient alors nettement moins cher aux industriels : à Bamako, fin 2012, 200 F CFA en équivalent litre de lait liquide contre 375 à 400 F CFA pour le lait local, dont le prix est accru par les frais de transports 1. Il s’en suit une pression à la baisse sur les prix du lait payé aux éleveurs. Certains industriels ont opté pour une complémentarité des deux types d’approvisionnement, la poudre de lait interve-nant en complément (mais très majoritaire en termes de volumes) des approvisionnements en lait local (qui ne sont pas réguliers dans l’année) et avec :

une utilisation du lait local en priorité vers : a) les produits qui ne peuvent être fabri-qués avec de la poudre de lait (voir ci-dessus) et qui permettent de dégager une meilleure marge ; b) plus généralement, les produits à plus forte valeur ajoutée per-mettant de valoriser en termes de marketing l’origine locale de la matière première ;

une utilisation de la poudre de lait importée pour les autres produits de consommation plus massive.

L’importation à bas coût de lait en poudre pose ainsi de nombreuses questions quant aux conditions possibles de développement de la filière lait local, dans un contexte de concurrence directe avec la poudre importée, surtout dans les pays côtiers. En effet, les entreprises qui sou -haitent s’approvisionner majoritairement à partir de lait local doivent tout de même s’aligner en terme de prix final au consommateur sur ceux pratiqués par leurs concurrents qui s’appro-visionnent exclusivement à partir de poudre de lait. En milieu rural, les coûts de transport et difficultés d’approvisionnement en lait en poudre permettent en général au lait local d’avoir une bonne compétitivité-prix et de constituer l’une des sources privilégiées d’approvisionne-ment des minilaiteries, dont les produits sont destinés aux marchés locaux. En revanche, dans les grandes villes, les entreprises de transformation devraient en théorie aligner leurs prix d’achat aux éleveurs au coût de revient qu’elles auraient en s’approvisionnant à partir de lait en poudre, pour rester compétitives. Cela n’est pas sans poser question quant au prix d’achat du lait aux éleveurs et aux réelles possibilités d’amélioration de leur élevage que cela permet. Une augmentation des importations de lait en poudre ou une diminution de son coût peuvent ainsi avoir des effets déstructurant importants sur les filières locales et sur les entreprises qui ont misé sur l’approvisionnement majoritaire auprès des exploitations familiales.

5. Quel est le niveau de contribution de ces filières à la création d’emplois et à la richesse des pays ?

Contribution de la filière lait local

Aucune statistique n’est disponible sur la vente directe de produits laitiers par les familles d’éleveurs. Quelques études récentes donnent néanmoins des informations sur le secteur in-dustriel et les minilaiteries.

Soixante-trois entreprises industrielles ont été dénombrées en 2014 en Afrique de l’Ouest (hors Nigéria et Ghana) dont moins d’une dizaine collectent du lait et transforment aussi du lait en poudre (Corniaux, 2014). Le volume collecté peut être estimé à 30 000 litres/j corres-pondant à un chiffre d’affaires journalier de 24 millions de F CFA et annuel d’environ 5 mil -liards de FCFA.

1 Corniaux, Christian, Duteurtre, Guillaume, et Broutin, Cécile (sous la direction de), Filières laitières et déve-loppement de l’élevage en Afrique de l’Ouest – L’essor des minilaiteries, Karthala, 2014. Coefficient de trans-formation du lait en poudre en lait liquide : 7.7.

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Le recensement réalisé par le Gret et le Cirad en 2012 avait recensé 155 minilaiteries dont 124 en activités dans les 4 pays d’Afrique de l’Ouest où elles se sont développées (Sénégal, Burkina, Mali, Niger) (Broutin C. et al, 2014). Les données disponibles pour 72 minilaiteries permettent d’estimer le nombre de fournisseurs à 4 000 familles et les volumes collectées à près de 20 000 litres par jour soit un chiffre d’affaires de 16 millions de FCFA/jour. Ces laite -ries valorisent le lait cru en moyenne 6 mois par an, ce qui représente un chiffre d’affaires de 3 milliards de FCFA.

Le volume de lait collecté par jour par les entreprises industrielles et les minilaiteries peut donc être estimé à 50 000 l/j et le chiffre d’affaires journalier de 40 millions de FCFA et annuel de 8 milliards de FCFA, issus de la production de 10 000 familles (Cor-niaux, Duteurtre 2012). Cela représente pour ces ménages un revenu moyen mensuel de 67 000 FCFA. La transformation industrielle et artisanale de lait cru représente également des emplois. Une minilaiterie emploie 4 à 6 personnes. Ce secteur créé donc plus de 600 emplois et sans doute au moins autant dans le secteur industriel qui transforme plus de lait collecté, soit un total estimé à plus de 1200 emplois. On peut estimer que les filières industrielle et se -mi-industrielle (minilaiteries) offrent des emplois et revenus à plus de 11 000 familles, d’après les chiffres dont on dispose mais d’autres emplois et revenus seraient à comptabiliser dans ces filières (collecteurs de lait cru, vendeurs de produits laitiers, fournisseurs d’intrants et autres services) Il faudrait également comptabiliser les revenus (et auto-emplois) issus de la vente directe de produits laitiers par les femmes d’éleveurs et les micro-entreprises urbaines. Des centaines de milliers de familles d’éleveurs sont concernées par la valorisation du lait local puisque pratiquement toutes vendent du lait au moins après l’hivernage, quand il est abondant. Cette activité menée le plus souvent par les femmes, représente un revenu essentiel pour les familles d’éleveurs (notamment dans la zone pastorale sèche ou les opportunités de revenus sont limitées). Le chiffre d’affaires du commerce et de la transformation du lait en poudre est sans doute plus élevé au vu des importations dont le montant a atteint 200 milliards de Francs CFA en 2010 (près de 550 millions de FCFA/jour). Mais le nombre d’emplois et donc de fa-milles bénéficiant de revenus à travers l’activité industrielle est beaucoup moins important (propriétaires employés des industries, importateurs et vendeurs au détail). Même en prenant en compte la transformation artisanale du lait en poudre dans les centres urbains, le nombre de familles concernées est plus faible et ce ne sont pas les plus vulnérables (pauvreté rurale beau-coup plus élevée).

6. Quelles sont les principales politiques de soutien aux filières laitières (politiques d’appui à l’élevage et politiques industrielles) ?

Les quatre grandes périodes des politiques laitières

En Afrique de l’Ouest, les politiques de développement du secteur laitier ont été marquées par quatre grandes périodes :

Années 60-80 : politiques laitières administrées. L’Etat s’est directement impliqué dans la mise en place de laiteries gouvernementales et a tenté de développer la collecte de lait sous un mode administré. Cela s’est traduit en réalité par des besoins accrus d’importation de poudre de lait pour satisfaire les besoins d’approvisionnement de ces usines, du fait des difficultés rencontrées pour collecter du lait local.

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Années 80-2000 : période des ajustements structurels. Le désengagement de l’Etat du sec-teur agricole a conduit à la privatisation de ces usines et à la libéralisation du marché, avec un recours croissant aux importations.

Années 2000-2008 : régulation concertée des filières laitières. Le retour de l’Etat grâce à des programmes et projets d’appui au secteur laitier au niveau local et national a permis de relancer un peu la filière lait local. Néanmoins, des politiques commerciales très défavorables persistent, avec un TEC très bas sur la poudre de lait (5%), élargi en 2015 à toute la zone CEDEAO. Seuls les produits transformés font l’objet d’une protection commerciale, ce qui traduit la stratégie de la région de protéger les entreprises locales, mais pas forcément la pro-duction laitière locale.

Depuis la crise de 2008 : le renouveau des programmes de développement laitier. La hausse du cours des matières premières et de la poudre de lait suite à la crise alimentaire de 2008 a conduit les Etats à lancer de nouveaux programmes d’appui au secteur agricole, y com-pris à l’élevage et au secteur laitier. Les axes majeurs de ces programmes, qui reposent sur le développement d’un élevage « moderne » sont détaillés plus bas.

Des programmes nationaux de développement laitier orientés vers l’intensifica-tion de la production et la création de minilaiteries

Depuis la fin des années 2000 en lien avec la flambée du prix du lait en poudre, plusieurs pro -grammes de développement se sont mis en place dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest avec pour objectif principal la réduction des importations (Duteurtre et al, 2014). Ces pro-grammes sont tous centrés sur des approches d’intensification de la production et de création de nouvelles infrastructures de collecte et de transformation. Ils prennent assez peu en compte les structures déjà existantes et les dynamiques portées par les organisations d’éleveurs.

Pays Programme Axes Dates indi-catives

Burkina Faso

PNDEL Projet national de développement laitier.

Appui aux bassins laitiers de Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Projet comportant 6 composantes : productivité des élevages laitiers (zones d’intensification, alimentation, santé, insémina-tion), qualité du lait local (hygiène, conditionnement), mise en marché (collecte, tissu de transformation, réseau de distribution, promotion lait), renforcement des capacités (création d’organi-sations de base de producteurs laitiers, création association professionnelle, création organisation faîtière capable de piloter la filière), impacts environnementaux (unité pilote biodigesteur, recyclage déchets, formation), gestion du projet.

Pas de données disponibles sur la mise en œuvre et les résultats.

2013-2018

Mali Prodevelait Projet de développement et de valorisation de la production laitière

Implantation d’unités de transformation laitières modernes et aux normes au cœur de bassins laitiers. Projet organisé autour de 5 composantes : organisation des bassins laitiers, appui à la production (intensification promue à travers l’insémination et

2009-2014

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l’amélioration de l’alimentation), création de 20 centres de collecte, implantation et réhabilitation d’unités laitières, appui institutionnel.

Le projet de développement et de valorisation de la production laitière est toujours en activités puisque la session de son conseil de surveillance s’est tenue en mars dernier : 32 centres de col-lecte installés, plus de 11 000 vaches inséminées selon le minis-tère du développement rural.

Niger initiative 3N Création en 2011 d’un haut-commissariat à l’Initiative 3N « Les Nigériens Nourrissent les Nigériens ». Adoption en 2012 de la Stratégie de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle et Dé-veloppement Agricole durable « les Nigériens Nourrissent les Nigériens ». Pour le Ministère de l’Élevage : l’émergence de fermes laitières, accompagnement des exploitations en faveur de l’élevage familial, et création d’usines de transformation et de conditionnement des produits agro-alimentaires.

Initiative 3N, toujours en cours mais pas de données sur les activités et résultats pour la filière lait

2012-2015

Sénégal Prodelait

PSE

Le Prodelait (mis en place sous la Goana) visait à constituer un troupeau laitier de 100 000 vaches métisses et 30 000 vaches laitières exotiques de race pure pour une production addition-nelle de 400 000 litres de lait, à travers l’importation de génisse d’Europe et du Brésil, de l’insémination artificielle et le renfor-cement de l’approvisionnement en semences fourragères. Les nouvelles orientations de l’Etat (PNIA) portent maintenant sur des programmes de production de fourrage, l’élaboration d’un code pastoral et la politique de relance de l’insémination artifi-cielle.

Les actions du Prodelait se poursuivent dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE) mis en place depuis l’élection du Pré-sident Macky Sall avec un plan d’actions prioritaires (2014-2018). Ce plan prévoit notamment l’installation de fermes agri-coles intégrées dans le secteur de l’élevage (lait, aviculture) mais aussi le soutien à des projets d’appui à l’agriculture fami-liale avec les mêmes orientations que le Prodelait et des inves-tissements dans les infrastructures.

Aucune donnée disponible sur l’impact de ces actions.

2007-2012

2014-2018

A côté de ces projets et programmes nationaux définis par les Etats, des projets menés par les organisations d’éleveurs régionales (Apess, RBM) et nationales ou locales (Adena,Uprolait, UMPLB) et par des ONG (AVSF, Gret, Iram, VSF Belgique, etc.), soutiennent le développe-ment de la production, de la collecte et de la transformation du lait local, notamment au Séné-gal, Mali, Niger, Burkina Faso. Cependant la prise en compte par les ministères des actions et expérimentations menées dans le cadre de ces projets semble encore faible.

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II. CONCURRENCE ET COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LA FILIÈRE « LAIT LOCAL » ET LA FILIÈRE « LAIT EN POUDRE ». ATOUTS ET CONTRAINTES DE DÉVELOPPEMENT DE CES FILIÈRES

1. Comment ces deux sous-filières s’adaptent aux attentes des consommateurs ?

Des produits variés issus de la tradition laitière africaine

Les produits issus de la tradition laitière africaine et du développement des minilaiteries sont relativement variés : lait frais pasteurisé, crème, laits fermentés doux ou aigres, beurre solide, huile de beurre, fromages maigres, bouillies à base de lait, etc. Les produits traditionnels les plus consommés sont les laits fermentés et différents beurres :

- les laits fermentés entiers comme le M’bannick (wolof) au Sénégal, le rayeb (arabe) au Tchad ou l’ergo (amharique) en Éthiopie ;

- les laits fermentés écrémés (obtenus après barattage pour extraire le beurre) comme le Katch (wolof) ou kossam kaadam (peul) au Sénégal, le rouaba (arabe) ou pendidam (peul) au Tchad, ou l’arera (amharique) en Éthiopie ;

- la « crème fermentée /maturée» comme le fènè (bambara) au Mali ou le kétoungol (peul) au Sénégal ;

- les beurres obtenus par barattage du lait fermenté, ou de la crème. Ils sont solides (dans les régions où la température est relativement basse, comme en Éthiopie) ou plus souvent liquides (beurre chauffé, appelé « huile de vache », « huile de beurre » comme diin baggar en arabe tchadien, nebbam naï en peul, diwu nior en wolof au Sénégal.

Les produits à base de lait cru font l’objet d’une fabrication domestique au sein des ménages d’éleveurs et d’un commerce limité en volume et en distance en raison de la faible durée de conservation (hormis « l’huile de beurre »). Ils sont surtout vendus par les femmes d’éleveurs, généralement responsables de la transformation, au niveau des villages, des marchés ruraux et des villes proches des bassins de production laitière. Ils sont également produits par les mini -laiteries qui ont introduit le lait pasteurisé et vendent surtout du lait caillé en sachets dans les marchés urbains proches. Ils répondent à une demande des consommateurs pour des produits locaux, de qualité, emballés mais leur prix lié au volume de l’offre limite le niveau de consommation. Il s’agit donc surtout d’une consommation individuelle et souvent de ménages urbains aisés.

Une adaptation des industries laitières pour répondre aux nouvelles habitudes de consommation

Les industries laitières ont su répondre à cette demande de produits laitiers en proposant des produits à base de lait en poudre vendus en sachets et en sceaux à des prix plus bas que les produits locaux du fait des coûts de production plus faibles (prix de la poudre plus bas, absence de coût de collecte et de contrôle qualité, coûts de transport plus bas ..). Si des consommateurs regrettent de ne pas retrouver le gout du lait cru ou des produits laitiers traditionnels, de plus en plus d’urbains habitués depuis le plus jeune âge à les consommer ne les distinguent pas des pro -duits à base de lait cru et se fient aux emballages qui parfois les trompent (femmes peuhls, nom du produit, etc.). Des tests sensoriels à « l’aveugle » effectués à Dakar le confirment. Des

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enquêtes ont également montré que si les consommateurs urbains souhaitent consommer da-vantage de produits locaux, la majorité d’entre eux ne sont pas prêts à les payer plus cher. Une étude récente réalisée pour le RBM a montré que les « prix psychologiques »2 que les consom-mateurs étaient prêts à payer pour du lait caillé local était de 475 FCFA/litre au Sénégal. Au Mali, il se situe à 375 FCFA/litre pour le lait frais et 450 FCFA/litre pour le lait caillé. Ils se situent en dessous de la fourchette de prix (cf. partie I.4), en tous les cas dans les capitales (importantes variations selon la proximité de la zone de production). Ceci confirme donc que les consommateurs ont tendance à considérer les produits laitiers locaux trop chers. Pour conquérir ce marché, les produits à base de lait local doivent pouvoir être vendus à un prix proche de ceux des produits à base de lait en poudre.

La filière « lait en poudre » a également su répondre à une demande croissante de lait en poudre3 pour le petit déjeuner (ajout au kinkéliba, au café soluble) des ménages urbains, no-tamment dans les capitales (souvent le marché le plus important et le plus solvable). Cette forme de consommation du lait, comme celle de la transformation domestique du lait en poudre en lait caillé, se développe grâce à une offre diversifiée répondant aux attentes des consommateurs et de leurs capacités financières (microdoses dans des boutiques de quartier, sachets unidoses de lait en poudre ou mélangé à des arômes, vente en vrac ou en pot de 500 g, 1kg,..). La filière « lait local » ne peut pas répondre à cette demande avec du lait pasteurisé difficile à condi-tionner en microdoses et qui nécessiterait une chaine du froid de la production jusqu’aux marchés de consommation. Il s’agit là de marchés totalement différents et non concurrentiels entre les deux filières. C’est-à-dire qu’il est vraisemblable que sans modification importante des pratiques de consommation au petit déjeuner en milieu urbain, les filières locales ne pourront pas se substituer au lait en poudre pour ce type de consommation.

2. Quelles sont les freins rencontrés dans le développement des unités de transformation valorisant le "lait local" ?

Freins au développement des industries qui collectent le lait local

Les unités qui transforment le lait local font face à des contraintes de plusieurs ordres :

industries souvent installées dans ou à proximité des centres urbains et qui ont dans certains pays des difficultés à collecter le lait dans un rayon proche ou avec des coûts de collecte très élevés (ex. l’usine Nestlé installée à Dakar devait collecter du lait frais à plus de 300 km, idem pour les industries du Cameroun très éloignées des bassins de production. Plus facile au Burkina (Ouagadougou, Bobo Diolasso), au Niger ou au Mali où il existe une offre de lait local proche des villes.)

2 Le prix psychologique ou prix d’acceptabilité est le prix théorique pour lequel les ventes d’un produit pour-raient être maximales en fonction des seuils psychologiques auxquels fait face le consommateur (prix d’achat moyen que le consommateur est prêt à payer). En dessous, le prix est jugé trop bas et induit une peur ou une suspicion sur la qualité du produit et au-dessus, le consommateur juge le produit trop cher.

3 Le lait en poudre a remplacé le lait concentré

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besoins en matière première élevés, plus difficiles à gérer que pour des minilaiteries qui peuvent collecter localement les volumes de lait dont elles ont besoin (cas de beau-coup d’industries agroalimentaires qui transforment les produits locaux). Les petites entreprises arrivent plus facilement à s’approvisionner en raison de volumes plus pe-tits) ;

coût du lait local (et de la collecte) plus élevé que le lait en poudre (même quand l’usine est située dans les zones de production et qu’il faut transporter le lait en poudre – cas de la laiterie du Berger). Il y a donc baisse de compétitivité des produits lorsqu’il y a un mélange de lait local et de lait en poudre ou une nécessité de création d’une gamme de produits à base de lait cru à condition qu’il existe une demande /un marché pour ces produits (réflexion en cours au Niger).

Freins au développement des fermes et laiteries périurbaines (intégrant la pro-duction)

En milieu périurbain, les fermes laitières font face aussi à des contraintes spécifiques :

manque d’espaces disponibles pour les fermes et les installations de transformation et/ou prix foncier élevé (compétition agriculture/ville) ;

coûts de production élevés pour l’alimentation des vaches laitières liés à l’offre faible de sous-produits agricoles, au coût et à la disponibilité du foncier à la périphérie des villes pour produire l’alimentation ou au coût de transport du fourrage et des aliments concentrés (besoins plus élevés que les élevages ruraux car peu ou pas de pâturages) ;

cohabitation parfois difficile entre habitations et élevages (nuisances olfactives, so-nores, mouches) ;

parfois en compétition avec des femmes qui vendent du lait caillé local artisanal ; souvent investisseurs /actionnaires et donc peu de connaissance du secteur et coûts RH

plus élevés et parfois faible motivation et volonté de défendre les intérêts de la filière locale (loisir et non réel « investissement » dans la filière).

Freins au développement des minilaiteries

Enfin, les minilaiteries rencontrent aussi de nombreuses limites à leur développement :

irrégularité de l’offre de lait liée au mode de production. La stabulation et l’alimenta -tion raisonnée des vaches laitières sont encore rares. L’élevage reste majoritairement extensif. La production varie donc en fonction de la disponibilité en fourrages et en eau. Elle est abondante pendant et après la saison des pluies et faible en saison sèche. Ainsi de nombreuses laiteries arrêtent la production durant 6 mois de l’année ou ont recours à la poudre de lait ;

difficultés d’accès au marché, car les laiteries sont installées dans les zones de produc-tion et parfois loin d’un marché (urbain) solvable et porteur ;

compétitivité des produits par rapport aux transformateurs artisanaux de lait en poudre ou industriels en raison du prix du lait cru (350-450 FCFA/lait cru rendu usine contre 200-250 F le litre de lait reconstitué (Duteurtre et al, 2014) ;

concurrence avec des femmes ou commerçants de lait cru/caillé et difficultés à fidéli -ser leurs fournisseurs car les coûts de production d’une minilaiterie sont plus élevés (locaux, pasteurisation, personnel) et elles ne peuvent pas acheter au même prix le lait cru. Lorsqu’il existe un marché urbain proche, certaines familles préfèrent vendre di -rectement leur lait plutôt que de fournir la laiterie (notamment en période sèche où les prix sont plus élevés et l’offre faible) ;

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prix du lait cru parfois très élevé notamment dans les zones où l’offre est limitée (ou quand la demande est importante si beaucoup de laiteries sont au même endroit). Les fournisseurs traient un nombre limité de vaches et imposent parfois leur prix pour avoir un revenu minimum (sans lien avec les coûts de production souvent difficiles à estimer), vente jusqu’à 500 ou 600 FCFA/litre ;

difficulté de financement des coûts de collecte et de conseil aux éleveurs pour aug-menter le volume transformé (problèmes également d’infrastructures routières et d’équipement de réfrigération).

3. Quelles sont les capacités d’adaptation de la filière « lait local » à la croissance de la demande ?

La capacité d’adaptation de la filière dépend de l’évolution des systèmes d’élevage pastoraux et agro-pastoraux et de fermes périurbaines.

Les appuis des Etats à la production rurale se limitent souvent à des programmes d’insémina-tion artificielle, d’accès à des soins vétérinaires et des concentrés subventionnés avec des ré-sultats très limités sur la croissance de la production et l’approvisionnement des marchés de consommation.

On observe dans de nombreux pays que l’évolution des systèmes est fortement liée à l’exis-tence de circuits de collecte qui assurent aux familles d’éleveurs un débouché pour leur pro-duction et les incitent à modifier leurs pratiques d’élevage. L’essor des minilaiteries en Afrique de l’Ouest et les quelques industries qui valorisent le lait local ont contribué à créer des bassins de collecte ruraux et à mieux valoriser la production laitière sur les marchés ur -bains. Elles ont incité les éleveurs à s’intéresser davantage à la production de lait pour le mar-ché en pratiquant l’allotement de quelques vaches, à qui des compléments alimentaires sont donnés.

Des projets d’appui à la filière, menés par des ONG en collaboration avec des organisations d’éleveurs et des entreprises de transformation sont encore rares. Ils montrent que des soutiens sur l’ensemble des contraintes avec des solutions innovantes, notamment pour l’alimentation des animaux et le conseil, donnent des résultats probants en termes d’évolution des systèmes d’élevage et de croissance de la production (cf. encadré ci-dessous).

Développement d’une filière laitière autour de la laiterie du Berger au Sénégal

La Laiterie du Berger (LdB), créée en 2005 à Richard Toll, dans le nord du Sénégal, collecte le lait auprès de plus de 600 familles d’éleveurs peuls dans un rayon d’une quarantaine de kilomètres autour de l’usine. Le lait frais est transformé dans l’usine de Richard Toll pour être commercialisé sous forme de yaourt liquide, de cakry (produit traditionnel sénégalais à base de yaourt et de couscous de mil) ou crème fraîche, essentiellement à Dakar (à 350 km), où les produits similaires sont fabriqués par des industries à partir de poudre de lait importée.

La collecte est l’une des contraintes majeures de l’entreprise, tant en terme de volume que de qualité du lait. Le prix payé aux éleveurs (200 FCFA/litre) au plus près de leurs habitations est un des facteurs de fidélisation des producteurs, mais n’est pas suffisant pour garantir la col -lecte. La LdB a rapidement mis en place des services aux éleveurs : puits pastoraux, fourniture d’aliments à prix coûtant payable à crédit sur le revenu laitier, ... Cette stratégie a effective-

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ment permis d’augmenter la collecte. Cependant, elle n’est pas suffisante pour permettre à la LDB de s’approvisionner uniquement en lait frais auprès des éleveurs peuls et de ne plus avoir recours à la poudre de lait importée.

Pour augmenter la production laitière dans la zone, la Laiterie du Berger a créé une direction, chargée de l’organisation de la collecte et de la fourniture de services (fourrage, aliments concentrés, soins vétérinaires) et a cherché à réduire les coûts de collecte, avec l’appui du Gret et de ses partenaires. En parallèle, la structuration des éleveurs laitiers et la concertation avec la laiterie s’est renforcée, ce qui a abouti à la mise en place d’une plateforme d’innovations, en collaboration avec l’Apess et le Gret. Un cadre de concertation entre les acteurs publics (col -lectivités locales, services de l’Etat) et privés (LdB, éleveurs, et autres organismes d’appui) a également vu le jour pour des échanges sur l’évolution des politiques publiques.

En 2014, le volume collecté a atteint près de 1000 tonnes (+ 30 % par rapport à 2013) grâce notamment à un service fourrage de proximité pendant la saison sèche (feuilles de cannes fournies par la Compagnie sucrière du Sénégal et livrées par la LDB), des actions de forma-tion et l’expérimentation d’un dispositif de conseil (CEF et contrôle laitier). Le prix payé aux éleveurs a été augmenté de 12,5 % (225F/l au niveau des exploitations). Le coût de la collecte a été fortement réduit en substituant des pick-up par des motos et tricycles. Le coût du lait rendu usine est passé de 370 FCFA/KG en 2013, à 315 FCFA/kg au premier trimestre 2015, soit un coût sensiblement identique à celui du lait reconstitué à partir de lait en poudre à l’usine.

Le dispositif est encore expérimental et en partie subventionné (service fourrage de canne et appui technique de l’équipe projet). Cependant il permet d’entrevoir des possibilités intéres-santes d’évolution des filières locales avec des défis encore importants à relever puisque la collecte ne couvre que 50 % des besoins de la laiterie en raison des actions commerciales qui ont permis de développer son marché à Dakar, que les coûts d’alimentation doivent encore être réduits et qu’il y a un risque de concurrence accrue sur le marché de Dakar si le prix de la poudre de lait diminue.

Ces constats illustrent les possibilités d’évolution de la filière et ses capacités d’adaptation lorsqu’il existe un débouché assuré à travers la collecte par des entreprises de transformation et des soutiens pour faire évoluer les conditions de production.

Les unités de transformation valorisent la production d’un nombre limité d’éleveurs et ne col -lectent qu’une part très faible de la production commercialisable. « La part du lait collecté est estimée au Burkina Faso et du Sénégal à respectivement à 1,6% et 7% du lait produit dans le pays. Le faible pourcentage du lait collecté en zone rurale indique des marges de progrès im-portantes pour la valorisation du « lait de brousse ». » (Corniaux C. Duteurtre G., 2014). Il faut cependant souligner que le développement du secteur de la transformation et des réseaux de collecte doit être accompagné d’appuis à la production pour améliorer la productivité des systèmes en sachant que l’évolution des pratiques et les effets sur l’offre sont relativement lents. L’introduction d’innovations dans le secteur de l’élevage ne peut pas donner des impacts aussi rapides que pour des productions végétales annuelles. Les impacts de l’amélioration de la gestion du troupeau, l’introduction de races plus productives ou de l’insémination artifi-cielle ne peuvent être mesurés que plusieurs années après.

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L’analyse des capacités d’adaptation de la filière « lait local » concerne également le dévelop-pement des systèmes urbains (quelques vaches dans les quartiers comme à Ouagadougou) et périurbains (fermes en périphérie des villes avec des vaches métisses ou importées).

Certaines études mettent aussi en avant la nécessité d’accompagner le développement des fermes intensives péri-urbaines (agro-entrepreneurs), mais les coûts de production très élevés de ces systèmes posent question quant à leur durabilité. Néanmoins, leur développement pour-rait aussi conduire à développer un nouveau marché lié à l’augmentation de la production et à la promotion à grande échelle du lait local. La mise en œuvre de nouveaux circuits de collecte pourrait aussi à terme profiter aux petites unités de transformation locale, souvent plus viables que de grandes industries laitières.

L’étude relative à la formulation du programme d’actions détaillé de développement de la filière lait en zone UEMOA, réalisée en 2013, propose ainsi d’agir sur 3 piliers : (i) l’appui aux fermes intensives périurbaines (agro-entrepreneurs) ; (ii) l’incitation à la collecte du lait local par les laiteries industrielles et (iii) l’appui à la collecte rurale portée par des minilaiteries artisanales, des laiteries et des organisations de producteurs.

On observe aujourd’hui que la plupart des orientations politiques sont bien plus centrées sur la mise en place de fermes « modernes » que vers le développement des systèmes agro-pastoraux et l’appui aux circuits de collecte en milieu rural. Pourtant, du point de vue de l’intérêt général et dans une optique de réduction de la pauvreté, l’appui aux systèmes agro-pastoraux demeure bien une voie prioritaire. Les succès rencontrés lorsque des services adéquats en matière d’ali-mentation, de soins vétérinaires, d’amélioration de la productivité et de rationalisation des circuits de collecte sont mis en place conjointement montrent qu’il existe encore de nombreux leviers à activer en matière de politique d’appui au secteur laitier.

III. HYPOTHÈSES D’ÉVOLUTION DE CES FILIÈRES LIÉS À L’EVOLUTION DE LEUR ENVIRONNEMENT COMMERCIAL

Les filières laitières sont très dépendantes de leur environnement commercial. Celui-ci est en évolution et comporte plusieurs incertitudes liées à la signature de l’APE et l’application du TEC de la CEDEAO, et surtout à l’évolution probable des marchés (accroissement de la de-mande en Afrique de l’Ouest, fin des quotas laitiers en Europe, etc.).

1. Quels changements risquent d'induire la mise en place du TEC CEDEAO et la signature des APE ?

En matière de politique commerciale, deux changements influeront sur les prix des produits importés au cours des prochaines années : d’une part la mise en œuvre du TEC CEDEAO, d’autre part la mise en œuvre de l’Accord de Partenariat Economique (APE) avec l’Union européenne.

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La mise en place du TEC CEDEAO

Le nouveau TEC CEDEAO sera mis en place de façon progressive sur cinq ans à partir du 1er

janvier 2015. Le TEC CEDEAO différencie 5 catégories de biens avec un taux de protection spécifique à chaque catégorie4 :

Catégorie de biens Définition Droit de douane

0 Biens sociaux essentiels 0%

1 Biens de première nécessité, matières premières de base, biens d’équipement, intrants spécifiques (lait en poudre conditionné en emballages de plus de 25 kg, babeurre en poudre, lactosérum, huile de beurre)

5%

2 Intrants et produits intermédiaires(dont lait en poudre conditionné en emballages de moins de 25 kg et crèmes conditionnées en emballages de plus de 25 kg)

10%

3 Biens de consommation finale (lait liquide, beurre, fromage) 20%

4 Biens spécifiques pour le développement économique (yaourt)

35%

Par rapport à la structure du TEC UEMOA, une cinquième bande tarifaire (catégorie 4) a été introduite.

Pour les pays membres de l’UEMOA, le TEC CEDEAO remplace le TEC UEMOA. Les deux TEC sont relativement proches en ce qui concerne le lait et les produits laitiers. Il existe cependant certaines différences. Ainsi :

Concernant la poudre de lait, qui représente la grande majorité de la valeur des im-portations de produits laitiers des pays de l’UEMOA5 :

- La poudre de lait conditionnée en emballages de 25 kg ou plus, qui est soit utilisée par les industriels, soit reconditionnée en lots plus réduits, continue à se voir appliquer un droit de douane très peu protecteur de 5%.

- La protection est légèrement améliorée (10% au lieu de 5%) pour la poudre de lait conditionnée en emballages de moins de 25 kg (sauf s’il s’agit de produits dont la vente est exclusivement réservée aux pharmacies, pour lesquels le taux de 5% est maintenu),

Le taux de protection est diminué de 20 à 10% pour le lait et la crème concentrés (hors poudre), en emballages de plus de 25 kg.

4 Deux mesures complémentaires de protection sont prévues. La Taxe d’ajustement à l’importation (Tai) est applicable de façon transi-toire par les Etats pendant cinq ans pour faire face aux baisses de protection tarifaire. La Taxe complémentaire de protection (Tcp) permet aux Etat de faire face pendant un à deux ans aux effets d’une importation massive de produits ou à une baisse conséquente de leur prix.

Par ailleurs, outre les droits de douane, les produits importés sont soumis à une Redevance statistique (RST, 1%) et au Prélèvement Communautaire de la CEDEAO (PCC, 0.5%). A titre transitoire (5 ans), en en attente de la mise en place d’un prélèvement communau-taire unique, les produits importés des Etats hors UEMOA restent assujettis au Prélèvement Communautaire de Solidarité (PCS) de 1%.

5 Source : http://www.trademap.org/Country_SelProduct_TS.aspx

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Le taux moyennement protecteur de 20% est inchangé pour les fromages et le lait caillé, ainsi que pour le lait et la crème de lait non concentrés ni additionnés de sucres ou d’autres édulcorants,

A noter également, même si cela est marginal en termes de volumes d’importation, que le taux de protection est amélioré pour les yaourts (de 20 à 35%).

L’orientation dominante est donc de maintenir un taux de protection très faible (5%) à faible (10%) pour les matières premières des industries laitières et de reconditionnement, un taux faible pour le lait en poudre destiné directement à la consommation, et un taux moyennement (20%) à significativement protecteur (35%) pour les autres biens de consommation finaux. Il apparait ainsi clairement que la politique commerciale vise davantage à protéger les indus-tries laitières que les éleveurs.

Cette orientation n’est pas nouvelle au sein de l’UEMOA et le TEC CEDEAO vient la confir -mer. Elle soumet la production laitière régionale à la concurrence d’importations à bas prix en provenance de diverses régions du monde. Elle compromet ainsi fortement le développement des filières lait local en Afrique de l’Ouest.

Concernant les pays non membres de l’UEMOA, l’application du TEC CEDEAO se traduira dans certains cas par une diminution de leurs taux de protection par rapport aux taux aupara-vant appliqués, mais la situation dépend des pays :

Pour le Nigeria, l’impact est en général similaire pour les pays de l’UEMOA, notam-ment pour la poudre de lait, avec le maintien d’une très faible protection (5%) pour la poudre de lait en emballages de plus de 25 kg, légère amélioration de la protection (de 5% à 10%) pour les petits emballages. De même, la protection est améliorée pour les yaourts (de 20 à 35%). Par contre, la protection est diminuée de 20 à 10% ou 5% pour d’autres produits (babeurre, lait et crèmes caillés, etc.).

Pour le Ghana, qui avait un taux de protection uniforme de 20% pour l’ensemble des produits laitiers, il y a une baisse de protection pour de nombreux produits, notamment pour la poudre de lait (passage à une protection de 5 ou 10% selon le type d’embal -lage), mais aussi pour le lait et la crème concentrés (hors poudre), en emballages de plus de 25 kg (passage à un taux de 10%).

En définitive, pour les pays de l’UEMOA et le Nigeria, l’impact de la mise en place du TEC CEDEAO devrait être neutre ou faible sur les prix d’importation de la poudre de lait et les autres matières premières de l’industrie laitière, avec cependant un impact plus significatif (baisse de prix de 10%) pour le lait concentré conditionné en emballages de plus de 25 kg. Concernant le Ghana, un avantage comparatif supplémentaire sera donné à la poudre de lait importée, avec une baisse des prix de l’ordre de 15%. Les impacts de la mise en application du TEC dans ce pays devraient faire l’objet d’une attention particulière par les organisations d’éleveurs, acteurs engagés dans la filière lait local et par les pouvoirs publics.

Le prix d’importation des yaourts devrait par contre être accru d’une façon un peu plus signifi -cative (15%) pour l’ensemble de ces pays, donnant un léger avantage comparatif aux fabrica-tions locales (à partir de lait local ou de matières premières importées).

L’impact du TEC CEDEAO dépendra également de l’utilisation ou non la clause de sauve-garde spéciale de l’Accord sur l’Agriculture (AsA) de l’OMC. A plus long terme, une plus

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grande autonomie politique de la région pour mieux protéger ses marchés agricoles dépendra du choix éventuel de notifier à l’OMC des taux plafonds supérieurs aux taux du TEC6.

La signature de l’APE

L’APE distingue quatre groupes de produits importés par les pays de l’Afrique de l’Ouest en provenance de l’Union européenne. La libéralisation concerne les groupes A, B et C, avec un rythme de libéralisation plus rapide pour le groupe A (dans un délai de 5 ans) et plus lent pour le groupe C (délai de libéralisation complète pouvant aller jusqu’à 20 ans).

Il y a une certaine cohérence entre les catégories du TEC CEDEAO et les groupes de produits de l’APE. Ainsi, les produits du groupe D, considérés comme « produits sensibles », sont ex-clus de la libéralisation. Les produits de la catégorie 4 du TEC CEDEAO (35% de protection) appartiennent tous au groupe D, tout comme une bonne partie des produits de la catégorie 3 (20% de protection). Les produits les moins protégés (5%) sont libéralisés plus rapidement.

Concernant le lait et les produits laitiers, en règle générale, l’ensemble des produits des caté-gories 2, 3 et 4 du TEC CEDEAO (taux de protection de 10, 20 et 35%) sont exclus de la libé -ralisation.

Par contre, l’ensemble des produits de la catégorie 1 (taux de protection de 5%), en tant que matières premières de base, sont inclus dans le groupe A et soumis à une libéralisation rapide (suppression des droits de douane à l’échéance de 5 ans). C’est notamment le cas de la poudre de lait conditionnée dans des emballages de plus de 25kg, mais également du lactosérum et des matières grasses du lait destinées à l’industrie.

En définitive, la mise en œuvre de l’APE devrait essentiellement se traduire par un avan-tage comparatif supplémentaire pour les matières premières importées de l’Union euro-péenne à destination des industries laitières (baisse de prix de 5%), au détriment du lait local. Cet impact est cependant très faible comparé aux amplitudes de variation du prix mon-dial des matières premières importées.

Cependant, l’APE implique un cadre juridique contraignant qui interdira à l’avenir aux pays signataires de relever les droits de douane appliqués aux importations en provenance de

6 La clause de sauvegarde spéciale de l’Accord sur l’Agriculture (AsA) de l’OMC permet aux gouvernements de prendre des mesures d’urgence temporaires en cas d’effondrement des prix sur le marché mondial ou d’augmentation soudaine des importations afin de protéger leurs marchés et leurs producteurs locaux. Jusqu’à présent, les pays de l’UEMOA ont en règle générale, notifié à l’OMC des taux plafonds, ce qui ne leur permet pas d’utiliser cette clause.

La question est donc de savoir si la CEDEAO notifiera à l’OMC les taux de son nouveau TEC ou bien des taux plafonds plus élevés. Dans le premier cas, les Etats de l’Afrique de l’Ouest pourraient alors recourir à l’avenir à la clause de sauvegarde spéciale. Ceci semble le plus plausible, car le TEC CEDEAO prévoit bien une telle mesure (taxe complémentaire de protection) . Notons cependant que la taxe complémentaire de protection du TEC CEDEAO n’apparait vraiment pas comme un outil efficace pour protéger les Etats contre une chute des prix d’importations. En effet, pour qu’elle puisse être mise en œuvre, il faut que le prix d’importation du produit tombe en deçà de 80% de la moyenne du prix d’importation des trois dernières années pour lesquelles des données sont disponibles (elle peut aussi être mise en œuvre en cas d’accroissement des volumes d’importation de plus de 25%). D’une part, le chiffre de 80% par rapport à une moyenne de trois ans correspond à un véritable effondrement des prix tout-à-fait exceptionnel et fort improbable ! D’autre part, le principe de faire référence à la moyenne des trois années précédentes signifie que si la baisse est graduelle sur plusieurs années, le chiffre de 80% n’est jamais atteint, même si, dans la pratique, il y a bien une baisse globale de plus de 80%.

Dans le deuxième cas (notification à l’OMC de taux plafonds plus élevés que ceux du TEC), la CEDEAO ne pourrait pas recourir à la clause de sauvegarde spéciale. Mais, outre le fait que cette-dernière est, comme nous venons de le voir, de toutes façons a priori inopé -rante, du moins pour les produits laitiers, la CEDEAO disposerait alors d’une liberté importante pour relever à l’avenir si besoin -ou si décision des Etats de la région de mettre en œuvre une véritable politique de soutien de leurs marchés locaux- les taux de douane réelle -ment appliqués.

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l’Union européenne. Ainsi, si la CEDEAO notifiait à l’OMC des taux plafonds plus élevés que les taux du TEC CEDEAO et qu’elle décidait un jour de relever les taux appliqués, elle ne pourrait pas appliquer cette hausse aux importations en provenance de l’Union européenne.

Par ailleurs, l’APE prévoit des mesures de sauvegarde, similaires à celle de l’OMC, qui auto -risent les Etats de l’Afrique de l’Ouest à accroître temporairement (4 ans maximum, renouve-lable une fois) les droits de douane (ainsi qu’à suspendre la réduction des droits de douane et à appliquer des contingentements tarifaires) en cas de fort accroissement des importations ou de forte baisse des prix, causant des perturbations économiques et sociales importantes. Cepen-dant, ces mesures ne peuvent amener à appliquer des droits de douanes supérieurs à ceux ap-pliqués aux autres membres de l’OMC. Or, comme on l’a vu, le taux de protection appliqué, notamment pour la poudre de lait, aux autres membres de l’OMC est lui-même très faible. Les mesures prises doivent par ailleurs simplement compenser l’effet de la hausse des importa-tions ou de la baisse de leur prix, et ne pas aller au-delà. Il ne s’agit donc pas d’un moyen qui permettrait de remettre en cause la faible protection structurelle du marché laitier africain, de revenir sur la logique de libéralisation des marchés. La possibilité de recours aux mesures de sauvegarde ne doit cependant pas être négligée (voir ci-dessous).

L’APE prévoit également que les mesures antidumping autorisées par l’OMC puissent être appliquées. Cependant, l’Union européenne s’engage dans l’APE à ne pas recourir à de sub-ventions aux exportations sur les produits destinés aux marchés ouest-africains. Comme par ailleurs, les subventions agricoles de l’UE sont considérées comme « non distorsives » par l’OMC7 (boîte verte), du fait de leur découplage des types et des volumes de production, les Etats de la CEDEAO ne peuvent espérer pouvoir recourir à ces mesures antidumping à l’en-contre de l’UE.

2. La fin des quotas laitiers en Europe risque-t-elle d'augmenter les exportations vers l'Afrique de l'Ouest ?

La fin de quotas laitiers européens au 1er avril 2015 devrait se traduire par une hausse signifi-cative de la production laitière européenne. Selon Agritel, la production européenne devrait s’accroître d’environ 8% d’ici 20208. Le marché européen étant saturé, ce surcroit de produc-tion devra principalement être écoulé sur le marché mondial.

Cependant, l’évolution du prix mondial du lait - et donc la compétitivité de la matière pre-mière importée (poudre de lait notamment) par rapport au lait local pour les industries ouest-africaines - dépendra d’un ensemble d’autres facteurs sur le marché mondial, à savoir :

D’une part l’évolution de la production des grands pays exportateurs (notamment, Union européenne, Nouvelle-Zélande et Etats-Unis),

D’autre part, l’évolution de la consommation dans le monde, et notamment dans les pays fortement importateurs et les pays émergents où les modes de consommation évoluent, ainsi que la capacité de ses pays à accroître leur production. Il s’agit notam-ment de la Chine, la Russie, le Japon, l’Indonésie, le Mexique et les pays d’Afrique du Nord.

7 Ce qui est par ailleurs fortement discutable.8 Fourreaux, Renaud, Le lait en ébullition, Agrodistribution n° 257, février 2015.

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Les évolutions de prix pour les dix prochaines années sont donc incertaines. Depuis 2007, les prix mondiaux sont à un niveau élevé (de 3.000 à 4.000 USD / tonne pour le lait en poudre) par rapport aux 15 années qui avaient précédé (de 1.500 à 2.000 USD / tonne du début des années 90 à 2003 et entre 2.000 et 3.000 USD / tonne entre 2004 et 2006). Même en termes réels, l’accroissement de prix entre les années 90 et les années 2007-2014 est d’environ 50% 9. Les prévisions indiquent que les prix en termes nominaux devraient être à peu près stables d’ici 2024 et décroitre d’ici 2024 d’environ 10 à 20% en termes réels.

Cependant, ces chiffres doivent être considérés avec la plus grande précaution compte tenu des incertitudes mentionnées ci-dessus et du contexte de forte volatilité des prix. Ce qui est certain c’est qu’il n’est absolument pas exclu que les prix mondiaux redescendent conjonctu-rellement à des niveaux très inférieurs aux niveaux relativement élevés des dernières années, accroissant fortement la compétitivité de la poudre de lait importée par les pays ouest-africains par rapport au lait local. De fait, on assiste depuis avril 2014 à une chute du prix mondial du lait (de 5.000 USD / tonne en mars 2014 à 3.000 USD / tonne en mars 2015).

On a vu que certaines entreprises laitières installées ou s’installant en Afrique de l’Ouest ont, pour diverses raisons (sécurité d’approvisionnement et faible prix grâce à la poudre de lait, produits à haute valeur ajoutée et image de marque de l’entreprise et de ses produits grâce au lait local), une stratégie d’approvisionnement mixte (lait local et poudre importée). Cette ten-dance pourrait se renforcer, mais elle risque d’être en partie menacée si le prix de la poudre importée diminue significativement. De plus, dans un tel cas, la pression à la baisse sur le prix du lait local ne peut être qu’accrue (et également du fait de la concurrence de la poudre de lait achetée directement par les consommateurs), compromettant le revenu des producteurs, ainsi que leur intérêt économique et leurs capacités pour produire davantage. La fin des quotas lai -tiers en Europe et la course à la productivité qui s’en suivra ne pourra que contribuer à ac-croître la pression à la baisse sur les prix d’importation de poudre de lait et donc, indirecte-ment, sur le prix du lait local payé aux producteurs.

WMP : Poudre de lait entière – SMP : Poudre de lait écrémée

9 OCDE/FAO, Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2014, 2014

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3. Quelles mesures préventives peut prévoir la CEDEAO pour faire face à ces menaces ? Dans ce contexte, quelles sont les voies possibles pour améliorer la protection de la filière lait local ?

La CEDEAO pourrait considérer comme référence le prix moyen des dernières années des importations de lait et de produits laitiers. Même si les Etats de la région n’ont pas, dans le cadre de leur politique commerciale, fait le choix de ce système contraire aux règles de l’OMC et au principe du TEC (droits de douane fixes), il convient de souligner que l’outil de politique commerciale le plus efficace pour stabiliser le prix des importations à un niveau élevé est le système des prélèvements variables (qui pourrait prendre comme référence le prix relative-ment élevé des dernières années).

Au minimum, la CEDEAO pourrait prendre cette moyenne comme référence en vue de dé-clencher des clauses de sauvegarde dans le cas d’une baisse des prix sensible en deçà de ce niveau de prix. Cependant le TEC CEDEAO ne prévoit pas une telle disposition, puisque la référence est une référence glissante au cours du temps (les 3 années précédentes). De plus, on a vu que, compte tenu des conditions prévues (80% de chute de prix ou 25% de hausse des importations), qu’il est très hautement improbable que ce dispositif puisse un jour être utilisé pour les produits laitiers.

Dans le cadre de l’APE, des conditions plus souples sont prévues et la clause de sauvegarde pourrait a priori être assez facilement utilisée en cas de baisse des prix importante. Cependant, les mesures supplémentaires de taxation des importations dans le cadre de cette clause de sau -vegarde seraient plafonnées dès que les droits de douanes atteindraient les taux appliqués aux autres Etats, qui sont à peine supérieurs aux taux prévus par l’APE (5% pour la poudre de lait au lieu de 0%). En cas de forte baisse des cours mondiaux, une telle mesure de sauvegarde dans le cadre de l’APE n’aurait donc qu’une efficacité tout-à-fait marginale.

La CEDEAO pourrait également notifier à l’OMC, non pas les taux appliqués, mais des taux plafonds, comme l’avaient fait la plupart des Etats, de façon à garder la possibilité d’un ac -croissement à venir des droits de douane. Pour tous les pays qui ont consolidé leurs droits à des taux plafonds élevés, il n’y aurait aucun problème (par exemple, Nigeria : 150%, Burkina Faso : 98%, Ghana : 97%). Il y a aurait par contre a priori un problème juridique encore accru avec le Sénégal (29.8%) et la Côte d’Ivoire (14,9%)10. Cependant, diverses solutions existent qui permettraient de résoudre le problème11. Les droits de douane appliqués - notamment sur la poudre de lait - seraient ensuite progressivement accrus (avec également possibilité de s’inspirer du système des prélèvements variables) dans le cadre d’un plan pluriannuel visant au développement de l’élevage régional et à une substitution progressive d’une partie des im-portations par des produits originaires de la région.

Cependant, on a vu que, dans ce cas, la signature de l’APE constituerait une contrainte ma-jeure. Ainsi, si la CEDEAO notifiait à l’OMC des taux plafonds plus élevés que les taux du TEC CEDEAO et qu’elle décidait un jour de relever les taux appliqués, elle ne pourrait pas appliquer cette hausse aux importations en provenance de l’Union européenne.

10 L’incompatibilité juridique existerait y compris si la CEDEAO notifiait les taux réellement appliqués, puisque certains produits agricoles sont taxés à 35% (incompatibilité pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire) ou à 20% (incompatibilité pour la Côte d’Ivoire).

11 Voir à ce sujet : Diouf, El Hadj Abdourahmane, Nouveau tarif extérieur commun de la CEDEAO et engage-ments individuels de ses membres à l’OMC : des incompatibilités surmontables, Passerelles, ICTSD, Volume 13, n°3, octobre 2012.

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IV. DES POLITIQUES ADAPTÉES POUR ACCOMPAGNER LE DÉVELOPPEMENT DES FILIÈRES « LAIT LOCAL » EN AFRIQUE DE L’OUEST

Du fait de leur ancrage dans les territoires ruraux, au plus près des bassins de collecte du lait local, les minilaiteries constituent aujourd’hui l’une des voies de développement principales des filières lait local. L’augmentation de la part de lait local collecté par les entreprises indus-trielles et le développement de nouvelles structures de taille intermédiaire dans les zones à plus fort potentiel peut en constituer une autre. Ce développement ne pourra néanmoins s’ef-fectuer que si des conditions favorables sont réunies pour une réelle émergence de la filière lait local.

1. La collecte de lait local par les minilaiteries peut-elle vraiment répondre aux besoins des consommateurs à des prix abordables ?

Il n’existe pas un modèle étalon garantissant la viabilité d’une minilaiterie, mais des arrange-ments divers en fonction du contexte local (caractéristiques de la production, du marché et des systèmes de transformation existants). Le profil du gérant, son réseau social et sa capacité à l’étendre en créant la confiance et la rigueur dans l’entreprise sont déterminants. La gestion d’une croissance maîtrisée en commençant par des volumes limités (qui permettent de tester les modalités de collecte, les modes d’organisation interne, la distribution et le marché), et la capacité à faire face aux crises diverses sont également des éléments décisifs pour la durabilité des minilaiteries.

La taille et le statut des entreprises n’ont en réalité qu’un rôle secondaire. La survie d’une mi-nilaiterie n’est pas liée uniquement au volume traité. Le seuil de rentabilité dépend de l’unité et de la gamme de produits proposés. Il est aussi fonction des charges de l’entreprise qui sont parfois élevées en raison d’un mauvais dimensionnement des investissements, du matériel, et quelques fois des ressources humaines. Cependant, la décision de création et le choix du statut doivent tenir compte de l’ensemble du paysage économique et social, en faisant notamment attention aux autres laiteries déjà en activité, dans un objectif de création de revenus pour le plus grand nombre et de rémunération équitable du travail. Enfin, pour durer ou grandir, les structures collectives (GIE, coopératives) doivent impérativement éviter de mélanger vie asso-ciative et entreprise.

Quoi qu’il en soit, et en dépit des limites que nous venons de souligner, les faits sont là : les minilaiteries se sont multipliées depuis les années 1990 et font preuve d’une formidable capacité d’adaptation sur les plans structurels et commerciaux.

La petite taille de ces entreprises représente sans doute à la fois un atout et une limite. Environ 80 % des minilaiteries recensées collectent moins de 200 litres de lait par jour ; 60 % en col -lectent moins de 100 litres quotidiennement. Cette dimension artisanale offre beaucoup de souplesse dans la mise en œuvre de l’activité de collecte, de transformation et de distribution du lait. L’investissement initial est faible et l’entretien de l’équipement, souvent sommaire, est peu coûteux. Il est également relativement aisé d’assurer un approvisionnement de quelques dizaines de litres, même en saison sèche. En revanche, au regard des petites quantités com-mercialisées, les charges fixes énergétiques et salariales menacent la pérennité des entreprises. En outre, leur créneau de marché est souvent en concurrence directe avec des produits laitiers industriels fabriqués à partir de poudre de lait ou avec du lait local vendu sur les circuits tradi -

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tionnels. La multiplication de petites laiteries autour d’un même marché, comme à Kolda au Sénégal ou à Koutiala au Mali, a d’ailleurs entraîné des arrêts de production. Pourtant, la part des échecs est relativement modeste (de l’ordre de 20 %), si on la compare à l’ensemble du secteur des micro et petites entreprises en Afrique. La qualité et l’engagement sans cesse re-nouvelé des dirigeants des petites laiteries ont sans doute contribué à limiter les échecs. L’ap-pui des ONG et des projets aux minilaiteries explique aussi ce « bon » résultat.

En réalité, l’impact des minilaiteries sur le marché national reste marginal. La demande totale en produits laitiers est de l’ordre de plusieurs centaines de millions de litres pour chaque pays sahélien. Or, l’offre des minilaiteries ne couvre tout au plus que 1 à 3 % de cette demande. Même si le potentiel de développement des minilaiteries est encore important, il faudrait chan-ger réellement d’échelle pour avoir un impact significatif au niveau national.

Pour autant, les minilaiteries ont un impact local évident en matière d’emplois et de revenus, aussi bien en amont qu’en aval de l’unité de transformation du lait. Le chiffre d’affaires an -nuel global représente plusieurs milliards de francs CFA. Leur rôle dans l’adoption de nou -velles pratiques est également indéniable. L’approvisionnement s’est nettement amélioré en quantité et en qualité sanitaire. Les marchés de consommation sont étroits dans les villes se-condaires, mais les produits artisanaux y ont désormais une place reconnue et encouragée par les pouvoirs publics, surtout grâce à la mise en place de « codes de bonnes pratiques » en ma-tière d’hygiène laitière. Ainsi, les petites entreprises laitières ont aujourd’hui un fort ancrage territorial qui, à défaut de leur donner une envergure économique nationale, leur confère un puissant levier social dans les zones de collecte et de consommation.

Ce modèle, tel qu’il est aujourd’hui, a clairement ses « limites ». Il est notamment incapable de se substituer à court terme aux industries qui ont recours aux importations massives de lait en poudre pour répondre à la demande. Il montre néanmoins que la collecte de lait de brousse est possible et que l’effet sur l’emploi local ou sur les revenus est conséquent.

2. Les entreprises de transformation industrielles pourraient-elles s’approvisionner de manière plus importante en lait local et auprès d’exploitations agropastorales ?

Les entreprises de transformation laitière s’approvisionnent principalement à partir de poudre de lait. Le lait local ne représente que 10 à 50% de leur approvisionnement. L’augmentation de la part de lait local collecté par ces entreprises constitue donc une voie primordiale, à côté du développement des minilaiteries, pour dynamiser la filière lait local et augmenter le niveau de collecte auprès des exploitations familiales.

Le travail mené par une équipe de recherche sénégalaise12 montre ainsi qu’avec un niveau de taxation supérieur d’au moins 15% (TVA et droits de douane) sur la poudre de lait importée combiné à une subvention d’au moins 90% au coût d’investissement des centres de collecte, les industriels substituent la totalité du lait en poudre qu’ils utilisaient par du lait local collecté au niveau des exploitations familiales du Ferlo (principale zone pastorale du Sénégal). Le faible niveau de taxation a un impact faible sur la consommation de lait en poudre et de lait caillé issu du lait en poudre (baisse de 5%), ainsi que sur les revenus issus des importations de

12 Diarra A. et al., Echanges internationaux et développement de l’élevage laitier sénégalais. Etude comparative de trois simulations de politique économique. Économie rurale n°335, mai-juin 2013, pages 35-54

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lait en poudre (baisse de 3%). En revanche, les producteurs améliorent significativement leurs revenus. L’augmentation du niveau de collecte du lait est estimée à 17% en 5 ans et la majori -té des petits producteurs (plus nombreux) sont privilégiés pour rentabiliser le centre de col-lecte. Même si les plus grandes exploitations tirent le plus d’avantages de la situation (aug-mentation de leurs revenus de 150%), les petits producteurs voient aussi leur revenu par actif augmenter de manière significative (+30%). L’exode rural de saison sèche s’en trouve dimi-nué. Pour l’Etat, c’est aussi un bilan positif de plus de 2 milliards d’euros qui ressort de ces simulations économiques, malgré les importantes subventions mises en place dans le secteur laitier.

3. Comment les Etats pourraient créer un environnement plus favorable capable de stimuler le développement de la filière lait local ?

À l’avenir, doit-on viser, à travers les politiques laitières, à satisfaire le marché des grandes villes, et à privilégier un modèle industriel « standard », qui s’appuie sur de grandes fermes laitières intensives, ainsi que sur l’importation de poudre de lait à bas prix ? Ou bien doit-on au contraire miser sur la collecte du lait issu des exploitations familiales pastorales et agro-pastorales et appuyer uniquement de petites et grandes entreprises laitières dans leur approvi-sionnement en lait local ?

Mener les deux politiques de front, sans frein idéologique, semble possible et même souhai-table. C’est en effet en prenant le chemin d’une politique laitière « duale » que l’Afrique de l’Ouest pourra continuer à faire émerger des trajectoires de développement laitier originales, capables de concilier les objectifs économiques et sociaux de ce secteur. En combinant des politiques tarifaires à des politiques de subvention qui permettent d’améliorer la collecte du lait et les performances des troupeaux des exploitations familiales, des études montrent qu’il est possible de dynamiser fortement la filière lait local, sans impacter la consommation en poudre de lait des ménages urbains les plus pauvres.

Plusieurs mesures pourraient être développées par les Etats afin d’accompagner la mise en place de circuits de collecte dans les principaux bassins d’élevage, le développement des uni-tés de transformation s’approvisionnant à partir de lait local, favoriser la production laitière et la consommation de produits issus du lait local.

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Mesures d’appui à la production laitière et à la structuration des filières lait local

Plusieurs mesures sont nécessaires pour permettre aux systèmes pastoraux et agropastoraux d’augmenter leur production, densifier les circuits de collecte du lait local et tendre vers une régularité de l’offre de lait au cours de l’année :

Mesures d’appui à l’amélioration de l’alimentation : appui à la production de cultures fourragères, mise en place de systèmes de collecte et de distribution des résidus de récolte et de cultures industrielles, facilitation de systèmes d’approvisionnement en aliment du bétail gérés par les organisations d’éleveurs, etc. ;

Mesures de sécurisation des espaces pastoraux et de la mobilité pastorale : identifica-tion et délimitation des zones valorisées par l’élevage ;

Mesures d’appui à la structuration de circuits de collecte locale : formation des collec-teurs aux mesures d’hygiène, subventions de l’Etat pour la mise en place d’un maillage de petits centres de collecte, facilitation de l’intermédiation avec les transpor-teurs ou facilitation de l’acquisition de matériel de transport, etc. ;

Appui à la concertation entre acteurs des filières lait local et poudre de lait importée, ainsi qu’entre les différents Ministères concernés (Elevage, Transformation indus-trielle, Commerce) afin de définir un niveau de taxation (droits de douane) de la poudre de lait permettant une substitution progressive au niveau des entreprises indus-trielles et une stratégie globale concertée tenant compte des besoins de compétitivité des entreprises.

Mesures d’appui aux entreprises de transformation laitière

Plusieurs pistes sont envisageables pour promouvoir l’approvisionnement des minilaiteries et des laiteries industrielles à partir de lait local.

Il convient au préalable de préciser que l’enjeu central est à la fois d’accroître l’intérêt et la demande des laiteries pour le lait local par rapport à la poudre de lait importée et d’améliorer la rémunération du lait local pour les producteurs, afin d’améliorer les revenus et de stimuler les investissements et la production. Ces deux objectifs potentiellement contradictoires peuvent cependant être simultanément poursuivis au moyen des politiques suivantes :

Politique de soutien à l’amélioration de la sécurité sanitaire des filières lait cru (ou bouilli), y compris pour l’établissement de points de collecte réfrigérés ;

Subvention aux investissements et/ou fiscalité incitative pour des laiteries (et centres de collecte) contrôlées par les producteurs (coopératives) ou contractualisant les achats avec les producteurs. Il convient cependant de prévoir des dispositifs de contrôle ef -fectif des approvisionnements en cas de double approvisionnement (lait local / poudre de lait) afin d’éviter les fraudes ;

Exonération de TVA pour les produits laitiers à base de lait de collecte. Là aussi, il conviendrait de prévoir des dispositifs de contrôle effectif des approvisionnements en cas de double approvisionnement ;

Instauration d’une taxe au soutien de l’élevage laitier régional, appliqué aux produits laitiers importés et utilisation du produit de cette taxe pour payer un différentiel de prix aux producteurs locaux fournissant les laiteries ;

Notification des pays de la CEDEAO à l’OMC de taux plafonds élevés (100 à 150%) afin de pouvoir progressivement augmenter les droits de douane sur la poudre de lait et encourager l’augmentation de l’approvisionnement à partir de la production locale.

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Mais, dans une telle hypothèse, on a vu que la signature de l’APE constituerait une contrainte majeure, alors que les études montrent qu’une politique de subvention, lors-qu’elle n’est pas combinée à une politique de taxation, n’a aucun effet sur l’augmenta-tion de la collecte du lait local.

Parmi ces mesures, les deux dernières renchérissent le prix de la poudre de lait importée et peuvent donc également contribuer à améliorer, au niveau du consommateur et des entreprises de transformation, la compétitivité du lait local par rapport à la poudre de lait importée ou aux produits fabriqués à partir de poudre de lait importée.

Mesures d’appui à la promotion du lait local

Des efforts pourraient aussi être faits pour promouvoir le lait local en travaillant d’une part sur une meilleure information du consommateur quant à l’origine du produit qu’il consomme et d’autre part en le rassurant sur la qualité sanitaire des produits locaux :

Interdiction d’utiliser des images et noms qui renvoient à la production locale sur les emballages des produits à base de lait en poudre pour ne pas tromper les consomma-teurs et vérification de l’application de ces règles (contrôles, sanctions) ;

Contrôle des informations indiquées sur l’emballage des produits à base de lait en poudre et sanctions (par exemple interdiction d’appeler « beurre » de la margarine, « lait » de la poudre avec ajout de MG végétales, etc.) ;

Création et promotion d’un label « lait local » public au niveau des Etats ou de la CEDEAO (comme AOC, agri bio,…) pour faciliter le choix des consommateurs ;

Promotion des produits à base de lait local dans les écoles en milieu urbain (les adultes sont fortement influencés par les produits qu’ils ont consommés jeunes, même incons-ciemment, recherche du goût des produits de leur enfance) ;

Campagnes d’information grand public sur la qualité (goût, ingrédients, …), sur la reconnaissance/appellations des produits, et l’impact de la filière sur l’emploi, reve-nus ruraux, etc. ;

Renforcer les associations de consommateurs.

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V. CONCLUSION

Cette note de synthèse sur l’impact des politiques commerciales régionales sur la filière lait local en Afrique de l’Ouest montre qu’aujourd’hui les deux filières sont étroitement imbri-quées. Au regard des contraintes rencontrées par l’élevage pastoral et agro-pastoral, il apparaît inenvisageable de se passer des importations de poudre de lait, sauf à pénaliser fortement la consommation des populations urbaines en produits laitiers.

En revanche, les analyses montrent aussi qu’il existe de nombreux leviers possibles pour amé-liorer la production et la collecte du lait local et que la filière est porteuse de nombreuses po-tentialités, qui permettraient simultanément d’augmenter les revenus des petites exploitations familiales pastorales et agro-pastorales, de créer de nombreux emplois dans le secteur des ser-vices et dans les industries de transformation (minilaiteries des villes secondaires connectées aux bassins de production et grandes entreprises urbaines).

De nombreux instruments politiques sont mobilisables pour agir simultanément au niveau de l’amélioration de la production laitière (amélioration de la génétique des animaux, accès aux productions fourragères, résidus de récolte, aliments du bétail, sécurisation des zones pasto-rales et de la mobilité des animaux, etc.) et de la collecte (subvention des centres de collecte, professionnalisation du métier de collecteur). Une politique volontariste peut donc avoir un impact considérable pour augmenter la production et rendre accessible aux entreprises le lait local.

Les simulations économiques réalisées notamment dans des pays côtiers comme le Sénégal montrent en revanche que ces investissements ne seront d’aucun effet avec les prix actuels de la poudre de lait importée et qu’un niveau de taxation supérieur d’au moins 15% est nécessaire pour permettre un réel développement de la filière lait local et inciter les entreprises de trans-formation à substituer la poudre de lait importée au lait local. Il est en effet fort peu probable qu’on observe dans les prochaines années une hausse significative du prix mondial de la poudre de lait. C’est plutôt le scénario inverse qui est craint, avec la fin des quotas laitiers en Europe.

La politique commerciale de la CEDEAO va faire appliquer dans tous les pays de la zone un tarif extérieur commun (TEC) à 5% sur la poudre de lait en vrac. Ce TEC va être impossible à augmenter avec la ratification des accords de partenariat économique (APE). Pourtant sans taxation significative de la poudre de lait (droit de douane et TVA), tous les investissements publics qui pourraient être réalisés par les Etats pour promouvoir la collecte auprès des exploi-tations familiales et la filière lait local risquent d’être vains. Dans le contexte actuel et sans modification des orientations politiques à l’échelle régionale et nationale, l’avenir de la filière lait local issu des exploitations familiales semble bien menacé.

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