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34 | N° 14 | ˎ ,4W#EɒWE#E ƶƴƵƻ 8HH#E 1 ¼¼ÄãüþôÄ ° °»°ãÀçããÅ ÝɛÅĐ°Ýþ°üÑçã °þ ñôçķü Àɛþã ÷ē÷üÊâÄ ÀÄ ÍÄÄÀɎ»°¼Ü ñÝþ÷ ĸþÑÀÄ «  Arrêtons de parler  des collaborateurs, parlons avec eux  » Q Christophe Lo Giudice L’annonce avait fait grand bruit : en juillet 2015, Pierre Nanterme, le CEO d’Accenture, déclarait au Washington Post qu’il allait mettre un terme aux revues de performance annuelles. Une révolution ? Oui, nous cone Véronique Van Geel, BeLux HR Director chez Accenture, qui explique les vertus du nouveau système mis en place. A nnoncer un changement majeur dans les outils de gestion des ressources humaines par voie de presse avant même qu’il n’intervienne n’est guère commun. Plus encore quand il concerne près de 384.000 collaborateurs dans le monde et qu’il touche, en partie au moins, à leur rémunération. On peut donc dire que le CEO d’Accenture n’y est pas allé avec le dos de la cuillère : le 21 juillet 2015, Pierre Nanterme annonçait lors d’un interview au Washington Post la suppression des revues annuelles de performance dès l’année scale 2016 qui commençait en septembre. Soit quelques semaines plus tard. La raison ? « Nous ne sommes pas certains que consacrer tout ce temps au Performance Management livre de grands résultats, indiquait-il. De plus, ce n’est pas la manière dont la nouvelle génération veut être reconnue, la façon dont elle veut être évaluée. » Deux arguments qui résonnent parfai- tement avec les réalités qu’observe Véronique Van Geel, HR Director chez Accenture en Belgique. « Les évaluations telles qu’elles étaient menées jusque-là s’inscrivaient dans un processus très lourd, extrêmement structuré, complexe et long. Nous y étions occupés durant quasiment trois mois sur l’année ! Les collaborateurs, en particulier les plus jeunes mais pas uniquement, sont en eet en attente d’un feed-back beaucoup plus régulier, plus fréquent, pour ne pas dire en continu. » Sur les genoux Trois mois pour des évaluations, voilà qui paraît énorme ! « Bien sûr, pas à temps plein, mais les RH de toute organisation devraient évaluer le temps que cela leur prend, et les coûts directs et indirects associés, pointe-t- elle. Ce processus nous amenait à identier tous les pro- jets sur lesquels nos collaborateurs travaillaient, à veiller à ce que toutes les données soient correctement reprises dans les systèmes, à solliciter les managers pour mener les revues de performance, à analyser ce qui en ressortait, à positionner les gens sur l’échelle de performance, puis en- suite à valider l’attribution d’un certain niveau de bonus. Tout ça demande du temps et beaucoup d’énergie. » Frustrations multiples Autre limite à l’exercice : « Il aboutissait à classer les col- laborateurs en les comparant entre eux, un classement qui n’est pas très relevant étant donné que les activités des uns et des autres ne sont pas forcément comparables. » Résultat : les RH en ressortaient sur les ge- noux. Les superviseurs frustrés de n’avoir pas toujours réussi à dé- fendre leurs « poulains » par rapport aux performances des autres. Et les employés déçus de ne pas avoir été écoutés, voire d’avoir été comparés à des collègues qu’ils ne connaissent parfois même pas. « Le processus se concluait par un entretien annuel au cours duquel le superviseur faisait part du rating au tra- vailleur, de la compensation associée et, si le temps le per- mettait, ils parlaient un peu de développement, mais de façon succincte, note Véronique Van Geel. Soyons de bon ton : ce dispositif a bien fonctionné pendant un certain temps, mais nous avons eu le sentiment qu’il avait fait son temps. De plus, on ne pouvait pas vraiment garantir qu’il avait réellement un impact sur l’amélioration des perfor- mances. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’il n’était plus perçu très positivement. » La conviction du CEO d’Accenture a été clairement exprimée : arrêtons de parler des collaborateurs, parlons avec eux… et faisons-le régulièrement de sorte que le feed-back qu’ils reçoivent soit le plus rapproché possible des faits. Véronique Van Geel se dit ravie du changement, même si elle reconnaît que ses équipes ont été chambou- lées par cette remise en cause d’un outil aussi ancré dans l’ADN des RH que l’évaluation. « Le groupe a rééchi, ima- giné une alternative, et décidé. Il a ensuite fallu appliquer ce changement, sans toujours avoir toutes les réponses aux « Ce fut un saut dans l’inconnu, un véritable changement culturel »

HR square 14 - Véronique Van Geel -Accenture

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« Arrêtons de parler des collaborateurs,

parlons avec eux » Q Christophe Lo Giudice

L’annonce avait fait grand bruit : en juillet 2015, Pierre Nanterme, le CEO d’Accenture, déclarait au Washington Post qu’il allait mettre un terme aux revues de performance annuelles. Une révolution ? Oui, nous confie Véronique Van Geel, BeLux HR Director chez Accenture, qui explique les vertus du nouveau système mis en place.

A nnoncer un changement majeur dans les outils de gestion des ressources humaines par voie de presse avant même qu’il n’intervienne n’est guère

commun. Plus encore quand il concerne près de 384.000 collaborateurs dans le monde et qu’il touche, en partie au moins, à leur rémunération. On peut donc dire que le CEO d’Accenture n’y est pas allé avec le dos de la cuillère  : le 21 juillet 2015, Pierre Nanterme annonçait lors d’un interview au Washington Post la suppression des revues annuelles de performance dès l’année fiscale 2016 qui commençait en septembre. Soit quelques semaines plus tard.

La raison ? « Nous ne sommes pas certains que consacrer tout ce temps au Performance Management livre de grands résultats, indiquait-il. De plus, ce n’est pas la manière dont la nouvelle génération veut être reconnue, la façon dont elle veut être évaluée. » Deux arguments qui résonnent parfai-tement avec les réalités qu’observe Véronique Van Geel, HR Director chez Accenture en Belgique. « Les évaluations telles qu’elles étaient menées jusque-là s’inscrivaient dans un processus très lourd, extrêmement structuré, complexe et long. Nous y étions occupés durant quasiment trois mois sur l’année ! Les collaborateurs, en particulier les plus jeunes mais pas uniquement, sont en effet en attente d’un feed-back beaucoup plus régulier, plus fréquent, pour ne pas dire en continu. »

Sur les genoux Trois mois pour des évaluations, voilà qui paraît

énorme  ! «  Bien sûr, pas à temps plein, mais les RH de toute organisation devraient évaluer le temps que cela leur

prend, et les coûts directs et indirects associés, pointe-t-elle. Ce processus nous amenait à identifier tous les pro-jets sur lesquels nos collaborateurs travaillaient, à veiller à ce que toutes les données soient correctement reprises dans les systèmes, à solliciter les managers pour mener les revues de performance, à analyser ce qui en ressortait, à positionner les gens sur l’échelle de performance, puis en-suite à valider l’attribution d’un certain niveau de bonus. Tout ça demande du temps et beaucoup d’énergie. »

Frustrations multiples Autre limite à l’exercice : « Il aboutissait à classer les col-

laborateurs en les comparant entre eux, un classement qui n’est pas très relevant étant donné que les activités des uns et des autres ne sont pas forcément comparables. » Résultat :

les RH en ressortaient sur les ge-noux. Les superviseurs frustrés de n’avoir pas toujours réussi à dé-fendre leurs « poulains » par rapport aux performances des autres. Et les employés déçus de ne pas avoir été écoutés, voire d’avoir été comparés

à des collègues qu’ils ne connaissent parfois même pas.« Le processus se concluait par un entretien annuel au

cours duquel le superviseur faisait part du rating au tra-vailleur, de la compensation associée et, si le temps le per-mettait, ils parlaient un peu de développement, mais de façon succincte, note Véronique Van Geel. Soyons de bon ton  : ce dispositif a bien fonctionné pendant un certain temps, mais nous avons eu le sentiment qu’il avait fait son temps. De plus, on ne pouvait pas vraiment garantir qu’il avait réellement un impact sur l’amélioration des perfor-mances. Ce qui est certain, par contre, c’est qu’il n’était plus perçu très positivement. »

La conviction du CEO d’Accenture a été clairement exprimée  : arrêtons de parler des collaborateurs, parlons avec eux… et faisons-le régulièrement de sorte que le feed-back qu’ils reçoivent soit le plus rapproché possible des faits. Véronique Van Geel se dit ravie du changement, même si elle reconnaît que ses équipes ont été chambou-lées par cette remise en cause d’un outil aussi ancré dans l’ADN des RH que l’évaluation. « Le groupe a réfléchi, ima-giné une alternative, et décidé. Il a ensuite fallu appliquer ce changement, sans toujours avoir toutes les réponses aux

« Ce fut un saut dans l’inconnu, un véritable changement culturel »

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questions. Nous avons dû convaincre le comité exécutif, l’expliquer aux collaborateurs, rassurer aussi. Ce fut un saut dans l’inconnu. Les RH ont été les plus diffi ciles à convaincre de lâcher prise et, surtout, d’arrêter de faire la police, de faire da-vantage confi ance, d’apprendre à mieux utiliser leur temps et de coacher les superviseurs dans le fait de donner du feed-back. »

Si l’on veut résumer l’essence du changement par un slogan, ce serait ‘It’s here and now’, c’est-à-dire faire en sorte que les personnes reçoivent un feed-back instantané et à 360°, ce qui est facilité par une application digitale mobile. Accenture a par ailleurs eu recours au StrengthsFinder, un outil mis au point par l’institut américain Gallup et qui se fonde sur plusieurs années de recherche. Il permet d’aider chaque collabora-teur à répondre à cette question  : «  Comment mieux réussir en m’appuyant sur qui je suis, sur mes talents naturels, plutôt qu’en voulant cor-respondre à un modèle théorique  ?  » Une dé-marche qui s’inscrit dans le mouvement de la psychologie positive.

«  Tout notre personnel a été coaché à cette méthode, raconte Véronique Van Geel. Les col-laborateurs ont ainsi pu identifi er leurs forces dans un référentiel de 34 talents de base, puis ils ont été invités à fi xer leurs priorités, à savoir les forces sur lesquelles ils avaient envie de tra-vailler pour avoir plus d’impact. Ces priorités

sont rendues publiques dans l’organisation et les forces fi gurent notamment dans la signature de leurs mails. Tous leurs collègues ont ainsi la possibilité de leur donner du feed-back en pri-vé, de manière très directe. Et c’est fort utilisé. Encouragements, félicitations, renforcements en quelques mots ou quelques lignes : cela cor-respond à ce que la personne vient de faire ou à ce qu’elle a envie d’entendre maintenant, et non pas cinq mois plus tard dans une évaluation. »

Temps de dialogue Ce qui ne veut pas dire que toute forme d’éva-

luation a disparu. Elle se réalise plutôt tout au long de l’année et de manière informelle. « Une discussion avec les superviseurs est maintenue en septembre, mais avec un tout autre objectif : analyser l’impact de la personne et voir com-ment elle peut l’augmenter. Nous ne sommes plus dans une optique de comparaison des per-formances, mais bien de progrès. Cet exercice se fonde sur les ‘meaningful conversations’, des rencontres qui se tiennent en cours d’année, toutes les deux ou trois semaines, voire plus fré-quemment. Ce peut-être une courte réunion, mais aussi un lunch ou un dialogue à la machine à café. »

Ensuite, le superviseur a un temps d’échange avec le collaborateur sur ce que ce dernier pour-rait travailler pour développer son impact. « Ce n’est plus une évaluation, mais une ‘meaningful conversation’ parmi d’autres. Elle est détachée de toute relation salariale. Celle-ci est laissée à la liberté du superviseur qui dispose de budgets à octroyer dans une certaine fourchette. » Un troi-sième acteur intervient : le conseiller de carrière qui suit la personne au fi l de son parcours dans l’entreprise. Avec ce dernier aussi se tiennent des ‘meaningful conversations’. « Et s’il n’agit pas en bon père de famille dans la relation, le collabora-teur peut même demander à en changer. »

Le nouveau modèle a été lancé dans toute la société en février 2016. Un cycle complet vient de se terminer et Véronique Van Geel en tire un pre-mier bilan positif. « Nous avons gagné en qualité de dialogue, en simplifi cation et en dynamique de progrès. Un travail substantiel a été réalisé en matière de rémunération, mais dans un contexte de bonne conjoncture, ce qui a permis de dis-poser de davantage de budgets. Il s’agira main-tenant de le faire vivre dans la durée en évitant notamment de tomber dans l’eff et ‘bisounours’ où tout le monde ne donnerait que du feed-back positif… Il faut aussi s’orienter vers les points qui poussent à sortir de la zone de confort. C’est tou-tefois un choix engagé que de s’intéresser aux forces plutôt qu’aux faiblesses. Au lieu de cher-cher diffi cilement à corriger ses faiblesses, on dépense moins d’énergie et on gagne en motiva-tion et surtout en impact en orientant ses tâches de sorte à travailler sur ses forces. » D

« Si on veut le résumer par un slogan, ce serait ‘It’s here and now’ »

> Véronique Van Geel, Accenture « Nous ne sommes plus dans une optique de comparaison des performances, mais bien de progrès. Le modèle se fonde sur des rencontres qui se tiennent en cours d’année, toutes les deux-trois semaines. »© D.R.

TEMPS FORTS Î Les revues annuelles de performances et les évaluation asso-ciées sont voraces en temps, coûtent cher et ne portent pas sou-ĐÄãü�÷þô�ÝÄ�Đô°Ñ�ÄãÛÄþɭȣ�progresser. Î Via une vaste opéra-tion au niveau mondial, le groupe Accenture a révolutionné ses pratiques en la matière °þ�ñôçķ�ü�Àɛþã�÷ē÷üÊâÄ�de feed-back souple et üôÊ÷�ĸ�þÑÀÄȩ� Î .Ä�ôÅ÷þÝü°üɭȪ�ɓɭ4çþ÷�avons gagné en qualité de dialogue, Äã�÷ÑâñÝÑķ�¼°üÑçã�Äü�en dynamique de ñôçÎôÊ÷ɭɔȤ�°÷÷þôÄ�÷°�DRH en Belgique.