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Com’ locale : « d’une communication des institutions vers une communication des territoires » Posté par damien.arnaud | Enseignant-Chercheur, Directeur du département communication à l'Université de Rennes 2 et responsable du parcours "Métiers de l’information et de la communication organisationnelle", Didier Chauvin revient sur les grandes évolutions de la communication locale. Quelles sont les évolutions des stratégies de communication numériques mises en œuvre par les collectivités ? Si l'on définit (sous forme d'hypothèse comme il se doit) la stratégie comme étant "l'art de conceptualiser ses environnements", et que l'on pose qu'une organisation est toujours une réponse aux contraintes fixées par les environnements, il est évident que les stratégies sont en recomposition. Dans le champs de la communication, on a "assisté" à deux choses : d'une part la mutation d'une "communication des institutions" vers une "communication des territoires", d'autre part une évolution lourde - traduite dans le "Nouveau management public" - d'une logique de "Service public" à une logique de "Services aux publics". Après une première vague de dispositifs "sites web vitrines" (mise en visibilité des actions des collectivités locales), on a évolué vers des dispositifs de "crowdsourcing" et de co-production vers des dispositifs dans lesquels les "citoyens- habitants-usagers" ne sont plus exclusivement considérés comme des "cibles", des destinataires de l'information, mais comme des acteurs, des ressources, au service de la diffusion de l'image et de la co-construction d'un "projet de territoire", en appui d'une rhétorique sur la "nouvelle gouvernance" et le "contributif". Par ailleurs, ce qui est frappant ces dernières années, c'est la montée en puissance du "marketing territorial", des thématiques de "marques de territoires" et des pratiques communicationnelles spécifiques à ce champ. Les collectivités ont-elles intérêt à investir les réseaux sociaux ? C'est évident, les collectivités ne sont pas isolées de leurs environnements et de leurs contextes.

Communication locale : "on n'est plus dans l'Ancien régime médiatique"

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Com’ locale : « d’une communication des institutions vers une communication des territoires »

Posté par damien.arnaud |

Enseignant-Chercheur, Directeur du département communication à l'Université de Rennes 2 et responsable du parcours "Métiers de l’information et de la communication organisationnelle", Didier Chauvin revient sur les grandes évolutions de la communication locale.

Quelles sont les évolutions des stratégies de communication numériques mises en œuvre par les collectivités ?

Si l'on définit (sous forme d'hypothèse comme il se doit) la stratégie comme étant "l'art de conceptualiser ses environnements", et que l'on pose qu'une organisation est toujours une réponse aux contraintes fixées par les environnements, il est évident que les stratégies sont en recomposition. Dans le champs de la communication, on a "assisté" à deux choses : d'une part la mutation d'une "communication des institutions" vers une "communication des territoires", d'autre part une évolution lourde - traduite dans le "Nouveau management public" - d'une logique de "Service public" à une logique de "Services aux publics".

Après une première vague de dispositifs "sites web vitrines" (mise en visibilité des actions des collectivités locales), on a évolué vers des

dispositifs de "crowdsourcing" et de co-production vers des dispositifs dans lesquels les "citoyens-habitants-usagers" ne sont plus exclusivement considérés comme des "cibles", des destinataires de l'information, mais comme des acteurs, des ressources, au service de la diffusion de l'image et de la co-construction d'un "projet de territoire", en appui d'une rhétorique sur la "nouvelle gouvernance" et le "contributif". Par ailleurs, ce qui est frappant ces dernières années, c'est la montée en puissance du "marketing territorial", des thématiques de "marques de territoires" et des pratiques communicationnelles spécifiques à ce champ.

Les collectivités ont-elles intérêt à investir les réseaux sociaux ?C'est évident, les collectivités ne sont pas isolées de leurs environnements et de leurs contextes.

L'éco-système numérique repose - schématiquement une fois de plus - sur deux concepts : le "crowdsourcing" (l'environnement pensé comme un ensemble de ressources et pas de destinataires) et l'"empowerment" (le rapport institution-citoyen, ce dernier étant supposé plus intelligent que dans l'imaginaire jacobin…).

On est donc en train de passer de ce que j'appelle "l'Ancien régime médiatique" (médias de masses, logiques de transmission d'information sur des supports matériels) à un "Nouveau régime médiatique" (réseaux sociaux, self-media, logique de propagation et d'interaction, etc…) qui offre des propensions et des potentialités de mise en visibilité, de publicisation accrue d'une part et de renouvellement de la relation entre les acteurs, les territoires (vécus-perçus-voulus) et les institutions d'autre part.

Cette "nouvelle économie relationnelle" contraint les professionnels de la communication à intégrer les réseaux sociaux - qui sont des artefacts très présents dans ce nouvel environnement - et à hybrider dans le cadre de stratégies actualisées, des dispositifs "print" et des dispositifs numériques.

Pour les professionnels des collectivités locales, cela présuppose une évolution (voire une ré-volution) des cultures professionnelles héritées de la forme "bureaucratique-rationnelle-légale" (hiérarchie, cloisonnement, "one-best-way", etc…). La recomposition globale des représentations des territoires génère une autre évolution "territoriale" : les "territoires professionnels". Les métiers évoluent, le "Yalta taylorien bureaucratique" ne convient plus au nouvel environnement et aux nouveaux enjeux. Les communicants doivent se "re-positionner", car - notamment - les réseaux sociaux et l'ensemble des nouveaux dispositifs numériques nécessitent une "compétence informationnelle distribuée". Les communicants n'ont plus le monopole sur les questions d'information-communication…

Quelles sont les clés d'une communication réussie sur les réseaux sociaux ?Le concept de "clés de la réussite" renvoie à un imaginaire machinique, techniciste et à une vision idéalisée de l'organisation (le "one best way") et présupposerait l'existence d'un "modèle" de communication efficace. Or, l'une des caractéristiques de ces 30 dernières années est la crise de la "rationalité Moderne" (qui ouvre sur la post-Modernité), qui se traduit notamment par une crise de la catégorie de "modèle". Il n'existe pas de recette ni de clés. Une "bonne" communication est une communication qui convient (donc dans une logique de la "convenance" et pas de la "vérité", ancestrale "tension" philosophique…) dans un contexte spécifique, dans une temporalité donnée. Les territoires et les projets de territoires ne sont pas uniformes, ils sont situés dans des environnements spécifiques, complexes dont il s'agit de bien comprendre les caractéristiques, les potentialités, les ressources, les contraintes, etc…

Pour faire court, un "bon communicant" est quelqu'un(e) qui "a une théorie de sa pratique, dans un contexte où la norme, c'est le changement". Penser, raisonner, conceptualiser radicalement en terme de "processus", de structuration de flux, de ressources, etc… dans le cadre d'un projet de territoire, lui-même toujours en mouvement.

Pour les collectivités, l'un des enjeux majeurs en matière de communication est de valoriser leur territoire. Comment peuvent-elles procéder ?D'abord, la question du "comment" relève du champ d'expertise des professionnels et des consultants en communication…, ce qui n'est pas mon statut ici. Une fois de plus, il n'y a pas de "recette" a priori, c'est-à-dire indépendamment du contexte dans lequel se situent les décisions et les actions. On peut émettre comme hypothèse que "valoriser son territoire", c'est changer de posture et c'est se mettre à l'écoute de ce territoire : "Penser à l'envers" pour reprendre le titre d'un ouvrage de B. Coriat (1991).

On remarque que très souvent, les communicants (mais pas qu'eux…) n'intègrent pas - ou peu - une phase fondamentale : la phase amont dite de "l'intelligence territoriale", c'est-à-dire les démarches et

méthodes de la veille économique, mobilisées au service d'un territoire. Egalement, penser les acteurs de ce territoire (y compris habitants) non pas exclusivement comme des cibles et des destinataires, mais des acteurs-ressources qui contribuent à co-construire et à propager l'attractivité du territoire.

Dans un article publié en 2010, vous souligniez la nécessité de revaloriser la fonction communication interne au sein des entreprises. Est-ce également le cas pour le secteur public ? Pourquoi ?Dans cet article , je faisais comme hypothèse que la "fonction" communication était en crise et qu'elle me semblait condamner à disparaître. Ce qui m'a valu de me faire quelques nouveaux amis dans ces services d'ailleurs… La catégorie de "fonction" renvoie à une conception de l'organisation (et de l'efficacité organisationnelle) qui est d'origine taylorienne et qui s'accommode très mal de "logiques-projets" (qui sont des organisations processuelles).

Schématiquement, la communication - qui était dans les organisations bureaucratiques une fonction "satellite" - est désormais au cœur des nouvelles formes organisationnelles. Un des enjeux majeurs des organisations publiques relève - entre autres - de sa capacité à se recomposer dans une perspective "organisation-orientée-usager" (ou "orientée-territoire" si vous voulez, selon le niveau d'analyse auquel vous vous situez). Donc, d'un point de vue conceptuel, ces organisations sont fondamentalement des organisations "relationnelles", qui stratégiquement doivent mettre en œuvre et nourrir l'efficacité du service public, des services aux publics et de la valorisation du territoire. Le service public est sommé de mettre en visibilité son "efficacité" (politique, économique, sociale, etc…) Cela implique - au niveau organisationnel et managérial - de repenser les structures, les acteurs, les ressources, les pratiques, bref les "métiers", dans une perspective radicalement informationnelle et communicationnelle. C'est ici la catégorie de "compétence" qui est centrale (individuelle, collective, distribuée, etc…).

En tant qu'ancien journaliste, quel regard portez-vous sur les contenus rédigés par les collectivités ?Ce qui me frappe, c'est le paradoxe entre des discours de sur-affirmation d'une volonté de différenciation et de positionnement (liés au phénomène du "marketing territorial") et des formes/contenus qui sont quasiment les mêmes dans toutes les collectivités… Ce qui est néanmoins assez clair, c'est que le fait que la nouvelle génération des communicants territoriaux sorte plutôt des formations professionnelles Infocom de l'Université, se traduit par des contenus moins littéraires, plus consistants, donc plus stratégiques, qui conviennent mieux aux nouveaux enjeux des collectivités.

Vous souhaitez poursuivre la discussion ? RDV sur twitter : @reseauJCP ET @DidierChauvinR2

SOURCE : http://jcp.communication-publique.fr