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ERIC DEGUIN The Shoes à Scopitone Les études de publics Dossier coordonné par Cyrille Planson. Avec Marie-Agnès Joubert et Tiphaine Le Roy. Quelles sont les méthodes mises en œuvre par les sociétés spécialisées ? Comment réussir à exploiter une étude auprès des élus ? Comment traduire les conclusions d'une enquête en actions concrètes ? Quelle est la plus-value des études encadrées par l'université ?

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The Shoes à Scopitone

Les études de publics

Dossier coordonné par Cyrille Planson. Avec Marie-AgnèsJoubert et TiphaineLe Roy.

Quelles sont les méthodes mises en œuvre par les sociétés spécialisées ? Comment réussir à exploiter une étude auprès des élus ? Comment traduire les conclusionsd'une enquête en actions concrètes ? Quelle est la plus-value des études encadrées par l'université ?

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Bertrand Davenel, responsable des relationsavec les publicsdu Merlan, scène nationalede Marseille«Cette étude a conforté la vision quenous avionsde notre public.»

C ’est un papier quel’on distribue à lasortie d’un théâtreou d’un festival, un

e-mail que l’on reçoit après avoiracheté une place sur la billetterieen ligne d’un établissement. Si certains spectateurs l’oublientdans leur poche ou dans les tré-fonds d’une boîte e-mail débor-dant de sollicitations, beaucoupaussi prennent le temps de répondre à ces études menéessur les publics. Quantitatives ouqualitatives, réalisées en interneou confiées à un prestataire extérieur, telles une boussoleelles indiquent aux structuresune inflexion à prendre, un capà garder. Le Chabada, scène de musiques actuelles d’Angers(SMAC), a réalisé une enquête

sur ses publics l’an dernier avecle cabinet d’études et de son-dages GECE. 1 538 personnes yont répondu. «C’était une périodequi coïncidait avec les 20 ans du Chabada, la nouvelle délégationde service public et la mise en placed’un agenda 21, ils nous semblaitimportant de savoir avec plus de pré-cision de qui l’on parlait lorsque l’onévoque nos publics, estime Fran-çois Delaunay, directeur de laSMAC. Globalement, il n’y a pas dedéphasage entre les résultats que j’enattendais et les résultats avérés.C’est d’abord un outil sociologiquecela permet aussi de justifier auprèsdes tutelles le “pourquoi“ des axesque l’on met en avant.» À Marseille,la scène nationale Le Merlan a réalisé la même année uneétude en interne sur quatre spec-

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tacles entre avril et juin et auprèsde 316 spectateurs ; soit sur14,75% des spectateurs concernéspar ces représentations. Pourl’équipe, il s’agissait d’avoir unaperçu de la manière dont le pu-blic s’appropriait le lieu aprèsMarseille-Provence 2013, une an-née foisonnante en événementspendant laquelle les propositionsdu Merlan avaient eu lieu prin-cipalement hors les murs. «Cetteétude a conforté la vision que nousavions de notre public, considèreBertrand Davenel, responsabledes relations avec les publics duMerlan. Nous avons eu confirma-tion que nous touchions un publicde proximité, des quartiers nord deMarseille, et relativement jeune.»

Interroger ses méthodesCes enquêtes sont également unmoyen de questionner certainespratiques. «Cela nous a permis deretravailler les tarifs avec la nouvelledirection [Francesca Poloniato,NDLR]. Nous avons ainsi fait bais-ser le tarif plein à 15 !», indiqueChristopher Marc, responsablede la communication du Merlan,insistant sur les nombreux tarifsréduits proposés en parallèle. AuChabada, l’étude a pu montrerque les concerts gratuits sur lesdécouvertes bénéficiaient avanttout à un public déjà coutumierde la programmation payante. «À l’inverse, certaines têtes d’affiche,comme Nekfeu cette saison, attirentun public qui ne vient pas habituel-lement, souligne François Delau-nay. Notre petite déception à la

Les structures menant des études sur leurs publics peuvent être confortées dans leurs pratiques. Mais les résultats surprennent parfois et amènent les équipes à adapter certains axes de travail aux usages des spectateurs.

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Enquêter pour ajuster des pratiques

Le public des Liaisons dangereuses sur terrain multisports, de la compagnie En rang d’Oignon, étudié pour l’enquête réalisée par Le Merlan, scène nationale de Marseille.

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Virginie de Crozé, directrice de lacommunicationet des relationsavec le public du Festival d'Avignon«Notre com-munication apris un vérita-ble virage numérique etnous voulionsquestionnerles usages denos supportspapiers et Web.»

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lecture de cette étude a été de voirque nous touchions moins d’étu-diants que nous le pensions. Ilsconstituent environ 20% de notrepublic, c’est mieux que la moyennenationale mais cela nous a surpris.Ceci dit, quand nous avons ouvertla salle il y a 20 ans, notre publicavait déjà 20 à 25 ans, il est normalque notre fréquentation suive cetteévolution. Nos publics des débuts,ce sont des gens qui écoutent tou-jours de la musique !» Pour les éta-blissements, une étude permetdonc parfois de réajuster un axe.Elle peut être suivie d’une vo-lonté de questionner plus en dé-tail certains points. «Cette étudeétait assez lourde et étudiait aussiles habitudes culturelles en généralde nos spectateurs. Je pense qu’il estpossible aussi de faire des études pluslégères tous les cinq à dix ans, pourétudier l’évolution du comportementdes publics», estime le directeurdu Chabada. Au Merlan, uneétude va être engagée avecl’École des hautes études ensciences sociales de Marseille au-près d’un panel resserré de spec-tateurs. «Nous avons mis en placeun carte appelée “carte d’embarque-ment” qui permet d'avoir accès à untarif très bas pour des places non no-minatives. Notre idée est de basernotre enquête sur le public qui achètecette carte, afin de mieux connaîtreces spectateurs fidèles», préciseChristopher Marc.

Apprendre de sespropres pratiquesLe Festival d’Avignon en est à cette phase d’approfondisse-ment de la connaissance de sonpublic. Après une étude globalemenée en 2014, l’équipe a recen-tré l’enquête sur sa communica-tion à l’occasion de l’édition 2015.«Notre communication a pris un vé-ritable virage numérique et nousvoulions questionner les usages denos supports papiers et Web», re-lève Virginie de Crozé, directrice de la communication et des rela-tions avec le public du Festivald’Avignon. Il en ressort que le«print» est loin d’être obsolète.«Le programme papier demeure un pivot de notre communication,c’est un outil pratique qui offre aussiun contenu qualitatif. Mais c’étaitune surprise de constater l’attache-ment et, surtout, la nécessité pourle public de l’avant-programme quenous diffusons fin mars, au momentde la conférence de presse du Festi-val. Nous en retenons que le publicse sent pleinement festivalier à partirdu moment où il prépare sa venueet projette sa participation au Festi-val.»

Les outils numériques n’ensont pas pour autant délaissésdes spectateurs, au contraire,mais ils interviennent plutôt encomplémentarité du «papier».C’est dans cette optique de mieuxconnaître ces usages encore assez

peu étudiés que le Festival d’Avi-gnon s’est lancé, cette année éga-lement, dans un programmescientifique avec le Festival de Cannes, Les Trans Musicales à Rennes, le Festival Lumière à Lyon et les Vieilles Charrues à Carhaix, le Centre Norbert Elias de l’Université d’Avignonet l’Agence nationale de la Recherche. Ce projet intituléGaFes - Galerie de festivals a pourambition d’étudier l’activité nu-mérique des festivaliers et d’ana-lyser les comportements bien spécifiques à chacune de ces ma-nifestations. Son originalité estd’associer sociologues et informa-ticiens à cette recherche basée sur«l’aspiration» de données sur Internet, notamment à partir demots clés descripteurs. «Nousvoyons que les outils numériques sontun relais d’information au momentde l’attente avant d’entrer dans unesalle et qu’ils permettent égalementde prolonger l’expérience de specta-teur une fois une édition achevée, lacomparaison avec d’autres disciplineset d’autres saisonnalités est une ri-chesse. L’objectif est de construire uneplateforme numérique d’observatoire de festivals», avance Virginie deCrozé. La coopération sur uneétude apportant ainsi tout à la foisla possibilité d’apprendre de sespropres pratiques, de les trans-mettre aux autres et de s’enrichir

Le Chabada, à Angers, a réalisé une étude sur ses publics avec GECE. Elle porte sur l’attachement du public à la salle de musiques actuelles et sur leurs pratiques culturelles de manière plus générale.

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Le contexte«Cette étude n’est pas la premièrepour le festival qui interroge sespublics tous les deux ou trois ans.Il s’agissait pour Marsatac dedresser la typologie des publicsaccueillis et de la façon dont ilsconnaissent et vivent le festival.L’étude était la cinquième réali-sée, avec la volonté de quantifierle niveau de satisfaction des fes-tivaliers. L’enquête conduite eninterne – nous nous y sommesdéjà frottés. Elle a ses limites.Nous n’avions, par exemple, au-cune certitude sur la justessescientifique de l’échantillon réuniet interrogé. La collecte, commeson traitement, n’était pas réaliséesur une base scientifique. Il étaitlogique de faire appel à un pres-tataire extérieur – en l’occurrencele GECE – pour qualifier notre recherche.»

L’intérêt de l’étude«Pour nous, c’est une aide pourpiloter le projet. Cela nous per-

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Comment un festival (Marsatac, à Marseille et Nîmes) et un lieu (La Bouche d’Air à Nantes) ont-ilsconduit leur étude des publics ?Avec quelle méthodologie et pour quelle exploitation ? Retoursur deux expériences singulières.

Deux études passées au crible

Laurence Chansigaud, directrice de la communication et des partenariats du festival Marsatac

«Des réalités que nous méconnaissions»

Marseille / NîmesMarsatac

met de vérifier l’évolution de cer-taines données et de communi-quer. Un document de synthèseest adressé à nos partenaires surles types de publics accueillis.»

Les axes étudiés «Cette année était particulière,parce que le festival se dévelop-pait successivement sur deux ter-ritoires (Nîmes puis Marseille)pour la première fois. Nous vou-lions donc voir si le public circu-lait entre ces deux villes et surquels types de soirées... Et puis,nous avons ajouté à l’étude classique des profils de specta-teurs un volet bien spécifiqueportant sur laquelle nous avionsfait beaucoup d’efforts: le déve-loppement durable. Nous souhai-tions savoir si le public de Mar-satac était sensible à cette dé-marche, si nos efforts étaientvisibles et s’il avait bénéficié de nos propositions dans ce domaine.»

La méthodologie«Le cabinet GECE a construit lesquestionnaires avec notre colla-boration, récupéré les données,puis nous a présenté des statis-tiques brutes, sans commentaire.D

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La synthèse est publiée pour les partenaires institutionnels de Marsatac.

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C’est à ce moment-là que ces chif-fres sont mis en partage avecl’équipe et que nous posons les grands axes de la synthèse à venir.»

Les conclusions et les surprises «L’étude nous conforte dans notre connaissance des publics etdans notre choix. Elle nous révèleaussi certaines réalités que nousméconnaissions totalement. Nouspensions par exemple que nousavions plutôt un public fidèle, quinous suivait. Or, la dernière étudea montré que le renouvellementest fort. La moyenne d’âge du pu-blic avait baissé de trois points endeux ou trois ans. Une évolutionconsidérable pour un festivalfré-quenté par un public massive-ment jeune. C’est très importantpour nous car la communication,la promotion, l’accueil des pu-blics varient considérablementque l’on s’adresse à des gens de 20 ou de 30 ans.»

La communication «Une étude complète est pro-duite, qui nous sert d’instrumentde pilotage. Mais nous ne la met-

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tons pas en partage in extenso.Une brève synthèse est réaliséeet diffusée auprès de nos parte-naires. Nous ne la communi-quons pas non plus à la presse.Nous pensons que c’est un outilet que la presse comme les publics n’ont pas nécessairementbesoin d’une communicationspécifique à ce sujet.»

Les projets à venir «Nous avons envie de poursuivrecette démarche d’enquête. Nousaimerions étudier les non-pu-blics, savoir pourquoi certaines

typologies de publics ne se re-trouvent pas dans notre festival.Sur ce sujet, l’université me sem-ble plus à même d’être un parte-naire pour porter une réflexioncomme celle-ci. Nous aimerionsaussi réaliser une étude sur l’im-pact économique du festival sur le territoire. Pour des raisonsfinancières, je crois que nousnous orienterons plutôt vers unenouvelle étude des publics. Il est probable que nous changions de méthode en investissant sur un questionnaire en ligne auto-administré.» ! CYRILLE PLANSON

Le regard du prestataireOlivier Allouard Directeur du cabinet d’étude et de sondage du cabinet GECE

«Pour moi, la culture est un peu le maillon faible des études de publics. Si l’on compare avec d’autres champs d’activité, elles sont plutôt rares. L’idéal est de procéder comme Marsatac qui nous commandeune étude tous les deux ans. Cela permet de suivre les évolutions des profils socio démographiques et de piloter au mieux son projet. Je conseille surtout une étude dèsque l’on change quelque chose d’important dans son projet. C’est le cas pour Marsatacqui change souvent de lieu, et donc de jauge, et donc de programmation (plus ou moins de têtes d’affiche). L’introduction de nouveaux tarifs ou du “cashless” doit aussi justifiercette démarche d’enquête.»

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Point par point, Marsatac mesure l’indice de satisfaction de ses publics.

Majoritairement originaires du Grand Sud-Est, les festivaliers viennent d'abord pour la programmation et la convivialité.

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Le contexte«Une enquête des publics a déjàété réalisée il y a longtemps,avant mon arrivée, par une étu-diante. L’approche était doncmoins approfondie. Nous souhai-tions mieux connaître nos publicset disposer de leviers opération-nels à exploiter sur notre projet.Nous avons rencontré l’agenceVousécoute qui nous a bien accompagné pour choisir les dif-férents axes à étudier. Surtoutnous voulions une étude immé-diatement opérationnelle et trans-posable.»

La méthodologie«Nous souhaitions être en dia-logue avec les publics. C’était trèsimportant pour nous. Le publicabonné et les spectateurs en salleont été sensibilisés à cette étude.Ils pouvaient ensuite répondre enligne à une quarantaine de ques-tions. La majeure partie étaitconstituée de questions fermées,auxquelles s’ajoutaient quelquesquestions ouvertes. En sus desstatistiques, nous avons donc ÉRIC

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André Hisse, directeur de la Bouche d’air

«Nous voulions une étude immédiatement opérationnelle et transposable»

recueilli un verbatim de témoi-gnages de spectateurs sur touteune série de points. Le taux de réponse est très bon d’après notreprestataire. 30% (712 réponses),c’est vraiment bien. Cela renforcece qui transparaît de l’étude: l’at-tachement des publics au lieu età sa programmation. Nous avonsvu par contre que la majorité des

publics ignorait que l’on pouvaitadhérer à l’association ou devenirmécène. De la même façon, ilsméconnaissaient notre travail derésidence et d’action culturelle.»

Les axes étudiés «Nous souhaitions leur profil sociodémographique et les pra-tiques culturelles de nos publics,identifier leviers et freins de la fré-quentation, mesurer le niveau deconnaissance, de compréhensionet d’adhésion du public à l’asso-ciation la Bouche d’Air. Et puisbien sûr, comme tout lieu culturel,nous voulions évaluer l’impactdes moyens de communication,voir quelle importance avait le «bouche à oreille». Nous avonsbien identifié nos faiblesses surles réseaux sociaux, et cela met enexergue la faiblesse de nosmoyens humains (un demi-postesur la communication). L’étudenous sert aussi dans un souci detransparence avec les collectivités.C’est aussi un outil de gestion et de pilotage pour le conseil d’ad-ministration de l’association.»

NantesLa Bouche d’air

Un schéma simple identifie les différences de profils entre abonnés et non-abonnés.

Les coordonnées des spectateurs volontaires pour l’enquête ont été collectées lors des concerts.

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Les conclusions et les surprises «Nous avons posé la question deshoraires pour savoir si notre positionnement à 21 heures étaitjuste. Il semble que cela soit lecas, sauf pour les soirées inté-grant une première partie. Celanous a permis de trancher les trèslongs débats que nous avions surce sujet en interne. Nous avonspu aussi valider la localisation dela salle, la convivialité que nousessayons d’instaurer, la satisfac-tion du public de venir dans unéquipement qui le met vraimentà proximité de la scène. Par contre,les points négatifs qui tiennent à sa vétusté, à l’absence d’un espace d’accueil suffisant ou de places de parking en nombresuffisant ont aussi été pointés.»

Les applications immédiates «Après une première lecture del’étude, nous avons consacré unepage à l’adhésion et au mécénatdans notre programme. Une syn-thèse été réalisée que nous allonsenvoyer à tous les participants etadresser aux nouveaux specta-teurs. Nous avons aussi créé unespace sur notre site pour que lespublics continuent de s’exprimeret de nous faire part de leurs re-marques. De la même façon, nousréfléchissons à la manière dont

Le regard du prestataireIsabelle RoyDirectrice associée du Cabinet Vousécoute «André Hisse avait le souhait de mieux connaître les publics de la Bouche d’air. Il nous fallait donc déterminer leurs profils. En travaillant de concert avec lui, nous avons aussi fait le choix d’aller un peu plus loin pour déterminer leurs comportements (leurspratiques, les lieux qu’ils fréquentent par ailleurs…) ainsi que leur opinion (leur connais-sance de la Bouche d’air, l’évaluation de leur attachement et leur avis sur le projet). Nousvoulions ainsi apporter beaucoup de valeurs directement exploitables. Les études de publics sont souvent trop simples, réduites aux profils, ou trop compliquées, doncpeu exploitables. Nous avons travaillé sur une voie médiane. Pour la méthode, nousavons privilégié la collecte de mails pour écrire ensuite aux publics. Le «face à face» est trop coûteux, chronophage pour les publics et complexe à organiser. J’ai été trèsheureux de cette rencontre avec André Hisse. J’avais en face de moi quelqu’un quin’avait pas d’idées préconçues sur «son» public, qui ne cherchait pas à être confortédans «ce qu’il savait» mais abordait cette démarche avec beaucoup d’ouverture.»

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les publics peuvent être associésà la gouvernance du projet. Ungroupe de travail va être constituéavec les salariés, les bénévoles et le conseil d’administration.»

Les projets à venir «L’étude nous a coûté entre8 000 ! et 10 000 !. Si nous entrouvons les moyens, j’imaginebien la reconduire dans cinq anspour établir quelques points decomparaison et de progrès. D’icilà, nous allons travailler sur lespoints déjà cités, mais aussi surla manière dont nous allons ame-ner le «nouveau public», identi-

fiés à hauteur de 16% à ne plusvenir en fonction d’un artiste isolémais de s’inscrire dans un par-cours. Vousécoute nous a fait desrecommandations auxquellesnous n’aurions jamais pensé carleur regard de statisticiens n’estpas le même que le nôtre sur lesrésultats enregistrés. C’est d’ail-leurs ce qui nous avait motivédans le choix de cet opérateur quin’avait jamais travaillé dans lechamp de la culture. Nous atten-dons aussi qu’ils nous livrent leuranalyse qualitative du verbatimde 170 pages collecté.» !

CYRILLE PLANSON

L'étude enquête sur l'adhésion des publics au projet global de l'association.

Un «nuage de mots» pointe les retours négatifs des spectateurs.

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L’Œil du public a étudié les publics du Festival d’Avignon

A ujourd’hui, les struc-tures culturelles et lesfestivals manifestentun besoin croissant

d’études sur leurs publics, soitque les collectivités qui les sub-ventionnent exigent un certainnombre d’indicateurs (âge, caté-gorie socioprofessionnelle, pro-venance des publics, rayonne-ment de l’activité...), soit qu’ilséprouvent le besoin de discernerles mutations en cours afin de s’yadapter au mieux. Le fait que leslieux ignorent bien souvent l’ob-jet de l’étude susceptible d’êtremenée commande aux sociétésspécialisées, bien avant d’évo-quer les outils, de les guider surle choix le plus pertinent maisaussi dans l’interprétation de leurenvironnement dont ils ont par-fois une vision partielle. Fonda-teur et directeur de L’Œil du pu-blic (Paris), agence de conseil etd’études dédiée au secteur desarts et de la culture, Adrian Mohrjuge ainsi essentiel d’apporter aupréalable un regard extérieur etglobal sur les problématiques quitraversent la structure, lors d’unepremière discussion générale.«Nous soumettons une grille dequestions et d’analyse qui permet ànos interlocuteurs de situer les prio-rités de l’étude», ajoute-t-il. Prati-quée par l’ensemble des sociétésspécialisées, cette identificationdes besoins (traduits en pistesd’étude) comme du contextedans lequel ils s’inscrivent, peutêtre aussi l’occasion de déplacerun peu la focale. «Si un directeurde lieu me dit vouloir mieux connaî-tre les raisons pour lesquelles des

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jours ou six mois modifie forcé-ment l’enjeu) et l’objectif recher-ché. Lorsque l’on dispose de peude temps ou de faibles moyens,une enquête en ligne constitueainsi une solution qui, tout enétant moins onéreuse, apportedes éléments intéressants. Le re-cours à des étudiants pour remet-tre des questionnaires permetaussi d’optimiser le budget, demême que solliciter le personnelde la structure. Faire participertous les salariés à la conduited’une enquête ne répond d’ail-leurs pas seulement à une néces-sité économique : il constitue unprincipe totalement intégré à laméthode adoptée par L’Œil dupublic, qui défend une approchepragmatique, opérationnelle etmanagériale des études. «Une

Élaborer une étude sur les publics requiert une méthodologie précise et le recours à certains outils. Décryptage des approches préconisées par différents cabinets d’étude et de conseil.

Sociétés spécialisées :quels outils et méthodes ?

gens fréquentent sa salle et d’où ilsviennent, je lui propose de compren-dre aussi pourquoi certains ne vien-nent pas», explique Isabelle Roy,directrice générale de Vousécoute(Nantes), qui se définit commeun «dispositif d’écoute et de partici-pation».

Le triptyque budget,délai, objectifLa méthodologie et les outils em-ployés ensuite vont bien entendutenir compte du sujet de l’étudemais aussi dépendre, selon Isa-belle Roy, de trois éléments dé-terminants : le budget consacré àl’étude (disposer de 3 000 ! et en-visager de mener des entretiensen face à face avec 1 000 per-sonnes sera, par exemple, irréa-liste), le délai (une durée de 15

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implication de l’ensemble de la struc-ture, et pas seulement d’un service,est indispensable, affirme AdrianMohr, car les publics concernenttous les Départements ayant un liendirect ou indirect avec eux.» Favo-rable à la réalisation d’enquêtesen ligne, il préconise d’utiliser labase de données des lieux consti-tuée sur les trois ou quatre der-nières années, dont la richesse etla diversité (abonnés, spectateursfidèles ou occasionnels, publicsqui ne viennent plus…) parfoissous-estimées permettent, selonlui, de répondre à la plupart desquestions soulevées. Le cabinetd’études et de sondages GECE(Rennes) privilégie, quant à lui,la distribution de questionnairesdans l’enceinte des lieux et à lasortie des spectacles, des en-quêtes en ligne mais aussi par té-léphone. «Pour comprendre les pra-tiques culturelles des habitants d’uneville, par exemple, indique le direc-teur du GECE, Olivier Allouard,nous construisons un échantillonreprésentatif à partir de numéros detéléphone puisés de façon aléatoiredans l’annuaire.»

Le volet qualitatif Dans un premier temps quanti-tative – c’est-à-dire offrant desdonnées objectives sur la fré-quentation, la provenance despublics, leur âge, leur sexe, la sa-tisfaction exprimée, etc. – l’étudedoit idéalement s’enrichir d’unvolet qualitatif, destiné à appro-fondir des points particuliers. Si la présence de questions ou-vertes dans les questionnairespeut déjà fournir des résultats intéressants, l’une des méthodesles plus pertinentes consiste à organiser des entretiens en faceà face (de façon physique ou vir-tuelle, via le chat, par exemple)avec des spectateurs individuel-lement ou collectivement. Des«ateliers participatifs», «FocusGroup» ou, dans une forme plusfestive telle que suggérée par Oli-vier Allouard, des apéritifs dîna-toires, permettent de convier desprofils variés de spectateurs et

de réfléchir avec eux sur une pro-blématique donnée : quel intérêtprésente le fait d’être abonné,pourquoi telle programmationséduit-elle tel ou tel type de pu-blic, quel impact la communica-tion a-t-elle ?... Par ailleurs, onpeut également utiliser (commele fait déjà Vousécoute) les entre-tiens collectifs afin de tester enamont une offre tarifaire ou lanouvelle charte graphique d’uneplaquette de saison. L’explora-tion qualitative peut donc s’ap-puyer sur des méthodes très inventives, à l’image du systèmemis en place par Vousécoute à La Bouche d’Air, salle de mu-siques actuelles nantaise. À lacaisse et dans tous les points decontacts avec le public, Vousé-coute a ainsi distribué des tickets(près de 5 000 au total) portantla mention «votre avis a de la valeur». Munis de ce ticket, lesspectateurs pouvaient soit laisserleur adresse e-mail pour recevoirl’enquête, soit y répondre sur le site de la société. Après y avoirparticipé, ils étaient invités à se rendre sur une plateformepour choisir un «remerciement» :places pour des concerts à LaBouche d’Air, abonnement à un magazine régional… «Un telsystème montre aux publics qu’onles écoute, que l’on s’occupe d’euxet qu’on les remercie, fait valoir Isabelle Roy. Une relation deconfiance s’établit alors entre le lieuet eux.»

S’approprier les résultatsAprès la phase de rédaction del’étude vient celle de sa remise,au cours de laquelle la société diligentée va émettre certainespréconisations (qui feront l’objetd’un suivi et d’une évaluation ultérieurs si le client le souhaite)destinées à aider le lieu ou le fes-tival dans l’élaboration de sa stra-tégie future. Tandis qu’AdrianMohr considère l’analyse desdonnées comme «un outil d’aideà la décision et un outil de manage-ment», Olivier Allouard y voit

aussi la possibilité de «débattreplus facilement en interne sur les dis-positifs existants, afin d’adopter en-suite une direction commune». Par-tisane, elle aussi, d’organiser unesession de travail sur les résultats,sur ce que l’on peut leur faire direou non – «une méthode qui rassureet intéresse les clients», confie-t-elle – Isabelle Roy insiste surl’importance de réfléchir avec euxsur les informations qui seronttransmises aux différents acteursde la structure. «Aider les lieux às’approprier au maximum le résultat,c’est cela qui crée de la valeur et nonles données elles-mêmes», estime-t-elle.

Les dispositifs du futurOutre l’approche soutenue parL’Œil du public qui consiste à combiner une méthode marke-ting (réaliser un diagnostic trèslarge sur un lieu, identifier desobjectifs quantitatifs et qualitatifssous-tendant l’enquête) et des ou-tils d’études des publics, la ten-dance actuelle est à l’inventionde dispositifs d’écoute qui inté-ressent les spectateurs et dans les-quels ils s’impliqueront de leurpropre chef. «Nous songeons, parexemple, à utiliser un système permettant au public d’indiquer sur le lecteur de carte bancaire quilui sert à payer un billet, s’il a été sa-tisfait ou non de l’accueil à la billet-terie», indique Isabelle Roy. Oli-vier Allouard souhaiterait, quantà lui, que se développent davan-tage dans des lieux des espaceset/ou ateliers où les spectateurspuissent s’exprimer en perma-nence. Par rapport aux étudesclassiques, cette initiative présen-terait le double avantage de ne plus offrir simplement unephotographie à un instant «T» de l’activité d’une structure, et de resserrer les liens avec les ha-bitants. «Les publics manifestentaujourd’hui le désir de participer à l’élaboration du projet cultureld’un lieu, affirme le directeur duGECE. Et ce sont eux qui contri-buent à propager son image dans uneville.» ! MARIE-AGNÈS JOUBERT

Adrian Mohr,fondateur et directeur deL’Œil du public«Une implica-tion de l’ensemble de la struc-ture, et passeulementd’un service,est indispen-sable.»

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Étudier de jeunes spectateurs devenus grands Le festival rémois Méli’môme s’est engagé en 2012 dans une étude pour retrouverses publics des débuts et analyser le souvenir laissé par leur venue.

P our une structure culturelle, il est inté-ressant de connaîtrequels sont ses publics

actuels mais il peut égalements’avérer enrichissant de savoirquelles sont les pratiques cultu-relles d’aujourd’hui d’un publicvenu il y a plus de dix ans, no-tamment lorsqu’il s’agit du jeunepublic. Ce public qui a assisté à des spectacles dans son enfanceparce qu’il y a été conduit parquelqu’un d’autre, enseignant,membre de la famille, anima-teur…, était alors un spectateuren devenir. A-t-il eu envie decontinuer à prendre le chemindes théâtres ou salles de concertsune fois devenu indépendantdans ses choix de sorties? L’asso-ciation Nova Villa qui organise lefestival jeune public Méli’mômeà Reims, depuis plus de 25 ans, amené une étude auprès d’anciensspectateurs.

Cette recherche sur les pra-tiques de jeunes âgés entre 16 et 29 ans au moment de sa réali-sation en 2012 était englobée dansune enquête plus large intitulée«Spectateurs d’aujourd’hui. Lespublics des festivals jeune public»s’intéressant aux spectateurs du festival rémois, mais aussi dePetits et Grands à Nantes, et de Festi’Mômes à Questembert.Sylvie Octobre, sociologue char-gée d’études au Département desétudes de la prospective et desstatistiques du ministère de laCulture et de la Communication,a préfacé l’étude. En 2011, au fes-tival Petits et Grands, à Nantes,elle remarquait qu’il n’existaitalors en France aucune étude sur les spectateurs du spectacle

parcours: certains ont toujours unepratique de spectateur. Quelques-unsont même entrepris des études en lienavec le théâtre ou avec la culture demanière plus large, quand d’autresont découvert de nouveaux centresd’intérêts et privilégient le cinémaou les rencontres sportives. Tous nesont donc pas aujourd’hui attirés parune démarche de spectateur, mais ilapparaît clairement qu’ils gardenttous un rapport très positif au spec-tacle vivant et que la sortie au spec-tacle reste de l’ordre du possible»,souligne Manon Pasquier, qui aréalisé l’étude. «Il est toujours intéressant d’étudier qui vient à nosmanifestations. Et là nous avons punous rendre compte que des enfantsqui ont baigné dans cette pratique de spectateur continuent à avoir unfort intérêt pour la culture», appuieJoël Simon. L’étude a été menéede manière exploratoire. Il nes’agissait pas de dresser un profiltype de spectateurs habitués depuis leur enfance à fréquenterles salles de spectacles maisd’étudier la mémoire des specta-cles qu’en ont gardé ces jeunes.«Mon objectif était de faire des ex-périmentations, de creuser des pistes.Nous avons surtout étudié le souve-nir», note Manon Pasquier. Latrace, c’est à dire l’imprégnationde l’expérience passée sur l’indi-vidu étant beaucoup plus com-plexe à analyser. «Ce qu’il faudrapeut-être faire à l’avenir, ce seraitsuivre les jeunes spectateurs et leursfamilles sur plusieurs années, sug-gère Joël Simon. Il m’intéresseraitégalement de voir s’ils ont d’autrespratiques culturelles, et lesquelles.» !

TIPHAINE LE ROY

Manon Pasquier,autrice de l’étude Spectateursd’aujourd’hui«Mon objectifétait de fairedes expéri-mentations,de creuserdes pistes.Nous avonssurtout étudiéle souvenir.»

vivant jeune public. La réalisa-tion et l’analyse d’une enquêtedont une partie porte sur l’étudede faits a posteriori est loin d’êtreévidente à mener. Dès la consti-tution du panel, les obstaclessont nombreux. L’associationNova Villa a dû remonter entre10 et 15 ans plus tôt pour retrou-ver des spectateurs. «Quand nousavons lancé Meli’môme, nousn’avions pas cette idée de regarderplus tard en arrière, précise JoëlSimon, directeur de Nova Villa.Il n’y avait pas l’informatisationqu’il y a aujourd’hui et il a été dif-ficile de retrouver des publics. Sansoublier qu’il faut aussi prendre encompte le fait que les gens déména-gent.»

Parmi les jeunes retrouvés, 15 ont répondu à l’enquête quiportait tant sur leurs souvenirsd’enfant spectateur que sur leurintérêt actuel pour la culture.«Nous avons pu observer différents

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L a dernière enquête surles Pratiques culturellesdes Français a été pu-bliée par le Départe-

ment des études, de la prospec-tive et des statistiques (DEPS) duministère de la Culture et de la Communication courant 2008.Il s’agissait alors de la cinquièmeenquête réalisée après celles me-nées en 1973, 1981, 1988 et 1997.L’enquête se présente comme un très vaste sondage effectuéauprès d’un échantillon repré-sentatif de la population fran-çaise (15 ans et plus). Elle s’ap-puie sur une interrogation enface à face au domicile de la per-sonne interrogée. «Elle a une fonc-tion barométrique, explique OlivierDonnat, qui est en charge de sonpilotage au sein du DEPS. L’en-quête nous révèle l’évolution des goûts culturels et de l’usage desmédias que font nos contemporains.»Elle compte aussi ses détracteurs,qui la jugent «trop superficielle»ou «pourvoyeuse de chiffres mal interprétés par les médias». On sesouvient encore qu’elle fut à l’ori-gine en 2008 de débats nourrissur l’échec supposé de la démo-cratisation culturelle. Fondateurdu service d’études du ministèrede la Culture, Augustin Girardest à l’origine de la première édition de l’enquête qui, dès le début, a intégré les médiasdans son champ d’investigation.L’enquête porte sur toutes «lesformes de participation à la vie culturelle», et depuis l’édition de2008 ouvre ses réflexions auxnouvelles technologies liées audéveloppement du numérique.C’est ici que se niche sa princi-pale faiblesse. L’évolution desmodes de consommation de laculture a connu un tel boulever-

sement au cours des 10 ou 15dernières années que certainsquestionnements ou critères reportés d’une enquête sur l’au-tre ne sont plus opérants. «On nepeut plus aujourd’hui interroger lesFrançais sur l’écoute de la musiquesur disque ou sur cassette, mais plussur la musique dans sa globalité, ni nous interroger sur l’usage de latélévision sans intégrer les très nom-breux supports sur lesquels il estpossible de la visionner.»

Croisée des cheminsOlivier Donnat et le DEPS sontface à un choix. Doivent-ils renouveler, moderniser en pro-fondeur leur méthode d’enquêteau risque de perdre le fil d’unehistoire de plus de 40 années?Ou bien doivent-ils juste actua-liser l’existant pour conserver autant de points de comparaisonque possible et poursuivre le pro-jet initial posé par Augustin Girard?«Nous sommes en effet à la croisée des chemins. Faut-ilpoursuivre cette série? Faut-il parexemple continuer dans notre logique de l’entretien en face àfaceou privilégier un traitement

en ligne des questionnaires ? Faut-ilentrer dans l’âge numérique ? Sinous abandonnons le face à face, parexemple, nous ne pourrons plus com-parer.» Tout changement de cetype aboutira à un déplacementde l’objet de l’étude. La décisionn’est pas prise. Des paramètresbudgétaires entrent en ligne decompte. La révolution ne semblepas pour demain et l’on devraits’orienter vers un aménagementde l’outil existant.

Quant à l’utilité de cette étude,parfois remise en cause par lesobservateurs qui utilisent un peuvite les quelques données emblé-matiques qui en sont extraites,Olivier Donnat évoque un malen-tendu. «L’étude sur les pratiquesculturelles des Français n’est pas uninstrument d’évaluation de la poli-tique culturelle. Elle dégage plus desinformations sur les grandes évolu-tions sociétales. Il ne faut pas lui fairedire ce qui n’est pas son objet.» Unesituation renforcée, selon OlivierDonnat, par la carence de don-nées disponibles sur cette ques-tion de l’évaluation des politiquesculturelles. ! CYRILLE PLANSON

Après 40 ans de bons et loyaux services, la grande enquête nationale du ministère de la Culture doit davantage entrer dans l’ère numérique.

Pratiques culturelles des Français

Faut-il changer l’enquête!?

Olivier Donnat,économiste,chercheur auDEPS, ministèrede la Culture etde la communi-cation«Elle dégageplus des infor-mations surles grandesévolutions sociétales. Il ne faut paslui faire dire cequi n’est passon objet.»

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ÉRIC

DEG

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Les festivals comptent parmi les pratiques les plus populaires chez les Français. Ici, au Festival Beauregard.

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L e marché des enquêtesde publics est très lar-gement couvert par desprestataires du secteur

privé. Mais dans certains cas, lesopérateurs culturels trouvent unealternative dans des partenariatsconclus avec l’université. C’est lecas du Théâtre de Caen (14) quia confié la réalisation d’une étudede ses publics à l’université deCaen-Basse-Normandie. Celle-cidevait répondre à une double né-cessité: communiquer auprès desélus sur les publics du théâtre,mais aussi identifier les raisonsd’une hausse significative de lafréquentation (+85% sur dix ans).

Bases de donnéesLe Théâtre de Caen a bien penséconfier cette étude au secteurprivé mais une autre option leurest apparue moins onéreuse etplus porteuse. «Je me suis viterendu compte que le traitement parun opérateur privé de la masse d’in-formations que nous avions identi-fiées nous coûterait une petite for-tune, se souvient Ludwig Chenay,administrateur général et de pro-duction du Théâtre de Caen.

lieux ou événements dans la ville.»Parce qu’il avait fait le choix d’unopérateur technique et très spé-cialisé, plutôt que de travailler de manière plus classique avecun laboratoire de sociologie,Ludwig Chenay a également misen place un process spécifiquepour l’analyse des donnéesbrutes livrées par l’université àl’issue de leur traitement. «Nousavons travaillé en binôme. La rédac-tion a été partagée avec le master, demanière à ce que l’analyse croise avecfinesse nos réalités. C’est ainsi quenous sommes arrivés à des conclu-sions qui ont renforcé nos intuitions,comme le fait que les spectateurs des catégories socioprofessionnellesles moins favorisés fréquentaient volontiers nos concerts de musiquesdu monde». L’étude devient alorsun outil de pilotage pour le Théâ-tre de Caen qui voit là l’opportu-nité de renforcer ses actions dedémocratisation culturelle.

Caution scientifiquePendant toute une année univer-sitaire, cinq étudiants ont concen-tré une bonne partie de leurs recherches à cette étude et troisenseignants ont encadré le traite-ment des informations. D’une estimation de départ autour de 10 000 ! s’il était fait appel àun opérateur privé, l’opérations’est avérée «presque blanche» pour le Théâtre de Caen, se féliciteLudwig Chenay, qui expliqueégalement que la «caution scienti-fique de l’université est très impor-tante au moment de la restitution ànos élus. Même s’ils sont tous indé-pendants, aucun opérateur privén’aurait pu le garantir de la mêmemanière.» ! CYRILLE PLANSON

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Face à l’offre privée, le choix du secteur public et de l’université présente certains avantages.

Enquête universitaire!:quelle plus-value!?

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.Et je n’étais pas certain de parvenirau résultat que je souhaitais: uneévolution sur 10 ans. Mais, en dis-cutant avec le directeur d’un masterde mathématiques appliquées auxsciences sociales de l’université, j’aidécouvert que pour les universitaireset leurs étudiants, c’était une mined’or à exploiter.» Avec son logicielde billetterie, le Théâtre de Caendisposait en effet de 300 000fiches contacts renseignées surcette période de dix ans. «C’étaitpour eux une formidable base de don-nées, poursuit l’administrateurgénéral du théâtre. Ces fiches regroupaient des informations surl’origine géographique ou encorel’âge des publics.»

Travail en binômeToutes ces informations ont puêtre traitées et recroisées par deslogiciels spécifiques dont sontéquipés les puissants ordinateursd’un laboratoire de l’université.«L’université a pu établir des profils,poser les critères permettant de dé-terminer les évolutions et nous avonsajouté un volet d’enquête supplémen-taire permettant d’identifier la cir-culation de nos publics vers d’autres

Ludwig Chenay,administrateurgénéral et deproduction duThéâtre de Caen«Aucun opérateurprivé n’aurait pu garantir la cautionscientifique de l’étude.»

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Le Théâtre de Caen disposait de 300 000 fiches contacts à exploiter

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LA SCÈNE I HIVER 2015 I 89

C onduire ou comman-der une étude ré-pond à plusieurs ob-jectifs. Le premier

d’entre eux tient, évidemment, à une meilleure connaissance despublics. Puis vient la nécessité demettre en application les préco-nisations identifiées à l’heure del’analyse de l’étude. Un troisièmeobjectif tient à la mise en partagede celle-ci avec les élus des col-lectivités de tutelle dans le butde faire avancer son projet. Lascène conventionnée de Rezé (44)a ainsi conduit voici quelques an-nées une étude de ses publics,confiée à l’universitaire nantaiseDanielle Pailler. «Il s’agissait d’uneétude qualitative pour l’essentiel,précise Maurice Cosson, le direc-teur de L’Arc. Nous souhaitionsdisposer d’une boîte à outil pouragir».

Réflexion préparatoireDès l’ouverture de la réflexionpréparatoire au lancement del’étude, Maurice Cosson s’est attaché à associer les élus à ceprojet. «Nous l’avons fait à chaqueétape. C’est un point clé: associerles élus à la réflexion qui est la nôtre,aux questions que l’on se pose».Pour se donner le maximum dechances, le directeur de L’Arc aaussi médiatisé sa restitution.«Nous avons réalisé une présenta-tion publique, mais aussi une autre,plus spécifique, pour la Commissionanimation et vie de la cité de la com-mune. L’étude nous a aussi conduità solliciter un rendez-vous auprèsdu maire, qui l’avait suivie d’un peuloin. Mais surtout à continuer detravailler avec l’adjointe à la culture.La synthèse nous a permis de poserassez rapidement des enjeux avec lesélus». Si les résultats étaient plu-tôt flatteurs pour la structure,

dont le projet artistique était bienidentifié et apprécié des habi-tants de Rezé, elle a aussi mis à jours des points de progression.L’étude a amené L’Arc à renfor-cer son activité hors les murs etses projets de médiation, à déve-lopper des compagnonnagesavec des artistes associés, à revoirsa tarification en faveur des plusdémunis, mais aussi à imaginerl’avenir. Le changement de nomde la structure, L’Arc, a été envi-sagé avant que cette réflexionn’oriente les élus vers un projetplus ambitieux.

AnticipationLa municipalité a changé et l’ac-tuelle élue en charge de la cultureest aussi, de longue date, membredu Conseil d’administration deL’Arc. Elle a donc suivi de près la conduite de cette étude commesa restitution. C’est la réflexionouverte par l’étude des publicsqui a conduit in fine le nouveau

maire de Rezé, Gérard Allard, à imaginer une réorganisationcomplète du paysage culturel local. Au 1er janvier 2016, L’Arcdisparaît pour céder la place àl’EPCC La Soufflerie qui réunit ceprojet à d’autres structures cultu-relles (dont la Barakason). L’étudedes publics menée quelques an-nées plus tôt a pesé. «Les préconi-sations venaient d’un ires extérieur,d’un universitaire. Cela compte».Maurice Cosson estime qu’il estnécessaire d’anticiper la fin del’étude et son exploitation auprèsdes élus. «Il faut le faire très vite,dans l’année qui suit sa restitution,avant que l’étude ne soit oubliée etque la structure ne reprenne son quo-tidien». Parce qu'elle conforte lastructure et l'inscrit dans le pay-sage culturel territorial, l'étudedes publics devient un outil pourouvrir le dialogue avec les élus et développer une stratégie am-bitieuse au service de son projet culturel. ! C. P.

L’implication précoce des élus et l’exploitation rapide d’une étude sont deux clés de son succès. L’exemple de l’Arc, la scène conventionnée de Rezé, en témoigne.

Comment associer les élus

Maurice Cosson,directeur deL’Arc, à Rezé«C’est un pointclé : associerles élus à laréflexion quiest la nôtre,aux questionsque l’on se pose.»

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Suite à l'étude de ses publics, L'Arc a développé une politique de compagnonnage artistique. Sébastien Bertrand est l'un des artistesassociés au projet.