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Laurie Andrieu, Clémence Dampierre, Paul De Braquilanges E-Lobbying et Santé

PO-ST : E-lobbying et santé

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E-Lobbying et Santé Laurie Andrieu, Clémence Dampierre, Paul De Braquilanges Internet et les réseaux sociaux modifient en profondeur le champ d’intervention des lobbies, en visant l’influence de l’opinion publique sur les pouvoirs publics. Dans le domaine de la santé, l’échelon européen voit désormais se confronter les expressions, par la volonté même de la Commission, poussant les adversaires à la contre-attaque digitale. PO-ST est le fruit du partenariat entre Sciences Po Bordeaux et STJOHN'S, avec une ambition commune : porter un regard pointu, et singulier sur des sujets émergents liés aux nouveaux métiers de la communication, en prenant le temps de l’analyse en profondeur sur la portée de la révolution 2.0. Les étudiants de 4ème année de Sciences Po Bordeaux (parcours Culture, Métiers du politique et Lobbying) ont ainsi été invités à conduire avec l’agence une réflexion de fond sur des sujets bouleversant les métiers de la communication et à analyser les initiatives ou événements fondateurs de ces bouleversements. Cette réflexion a été conduite sous la supervision de Jean-Marc Dupouy, Directeur des Stratégies digitales de STJOHN’S et intervenant à Sciences Po Bordeaux. Retrouvez tous les rapports sur PO-ST.fr

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Laurie Andrieu, Clémence Dampierre, Paul De Braquilanges

E-Lobbying et Santé

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Le web 2.0, marqué par la croissance fulgurante des réseaux sociaux et les évolutions digitales permanentes, ne cesse de bouleverser

notre environnement personnel et professionnel.

Comment réagissent et tentent de s’adapter les entreprises, les organisations, les individus ? PO-ST restitue les travaux de réfl exion

sur ces questions des étudiants de Sciences-Po Bordeaux dans le cadre d’un partenariat avec l’agence STJOHN’S.

Mémoire de 4ème année

Sous la direction de Jean-Marc Dupouy, Anne Gaudin, Nelly Couderc, Aurélien Rousseau

Référent professionnel : M. Marschang Sascha

Fonction : Policy Coordinator for Heath System chez EPHA, Bruxelles.

2013

E-Lobbying et Santé

Laurie Andrieu, Clémence Dampierre, Paul De Braquilanges

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SommaireSOMMAIRE .......................................................................................................................................................3

REMERCIEMENTS ..........................................................................................................................................4

INTRODUCTION ..............................................................................................................................................5

1. STRATEGIE WEB DES LOBBIES, UNE APPROPRIATION INCONTOURNABLE ................71.1. L’utilisation d’Internet est propice à la réalisation des objectifs des lobbies ...............................7

1.1.1. Outil de communication incontournable aujourd’hui .............................................................71.1.2. Un outil pouvant atteindre l’opinion publique au-delà des décideurs ................................8

1.2. Les nouveaux outils du web 2.0 offrent d’autant plus de poids au lobbying ..............................81.2.1. L’instantanéité et le partage épidémique de l’information ...................................................91.2.2. La proximité et l’interaction rendues possibles à travers Internet .......................................9

2. LES INDUSTRIES PHARMACEUTIQUES : EXEMPLE CLE D’APPREHENSION DE L’UTILISATION DU WEB DANS LES STRATEGIES D’INFLUENCE. .................................. 11

2.1. Une stratégie essentiellement marketing qui influence les pouvoirs publics par le bas........112.1.1. Le choix d’influencer les pouvoirs publics par l’opinion publique. ......................................112.1.2. L’étude d’une stratégie marketing: l’exemple de LEEM. ......................................................12

2.2. Le web 2.0 : nouveau canal de communication privilégié dans les stratégies de gestion de crise des groupes pharmaceutiques? ................................................................................132.3. Le web 2.0 : nouveau terrain de rencontre entre le patient et le monde de la santé en construction. .............................................................................................................................15

3. LE WEB 2.0, ESPACE DE CONFRONTATION DES DIFFERENTS INTERETS DU MONDE DE LA SANTE : L’EXEMPLE EUROPEEN ...............................................................17

3.1. La volonté de la Commission de créer un espace d’expression des lobbies affirme l’importance du web 2.0 .....................................................................................................................173.2. Les organisations publiques ou non-gouvernementales, les patients et les professionnels : quelle visibilité ? .........................................................................................................19

3.2.1. Gestion de l’image : .........................................................................................................................193.2.2. Diffusion d’information ...................................................................................................................213.2.3. Prise de position ................................................................................................................................23

3.3. Des collaborations/discussions entre tous les intérêts grâce au web 2.0 ..................................243.3.1. Le « e-health stakeholder group » ..............................................................................................243.3.2. Vers une internationalisation de la santé ?...............................................................................26

4. LES CONTRE-ATTAQUES DES ADVERSAIRES DU LOBBY DE LA SANTE ...................... 284.1. La fenêtre d’opportunité web ..................................................................................................................28

4.1.1. Egalement utilisé par ses opposants, conflictualisation plus directe et publique .........284.1.2. L’instrumentalisation du web pour décrédibiliser l’action de ses opposants .................29

4.2.Le web, un instrument permettant de contourner la loi ...................................................................304.2.1. Brèche du droit: un média à part? ...............................................................................................304.2.2. Outil sans frontière, les limites du droit international ............................................................31

CONCLUSION ...............................................................................................................................................33

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................34

TABLE DES ANNEXES .................................................................................................................................36

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Remerciements

Nous tenons particulièrement à remercier Monsieur Sascha Marschang, Policy Coordinator for Health System chez EPHA qui a accepté d’être notre référent professionnel et nous a accordé son temps pour un entretien téléphonique très enrichissant qui a su orienter notre recherche.

Nous tenons également à remercier Monsieur Sébastien Guignier, professeur et maître de conférences à Sciences Po Bordeaux, spécialiste de la santé en Europe qui nous a conseillé.

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Introduction

La croisade du groupe Leclerc en faveur de la libéralisation de la vente en grande surface des médicaments non remboursés connaît un nouveau tournant avec la diffusion d’un spot publicitaire signé Australie à la télévision et sur les réseaux sociaux depuis le 15 Février 2013. La vente de médicaments

non remboursés reste pour le moment interdite dans les hypermarchés Leclerc, seules les pharmacies ayant le droit d’en vendre. Ce spot d’une trentaine de secondes a davantage une visée militante que commerciale, ce qui est assez nouveau. En effet, Leclerc, à travers cette campagne publicitaire cherche à toucher l’opinion publique afin d’influencer les pouvoirs publics dans le but de modifier la législation existante. La loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 autorise que les pharmaciens ne soient pas pleinement propriétaires de leur pharmacie, tant qu’ils possèdent au moins 51% des parts et que les 49% restantes sont détenues par d’autres pharmaciens diplômés. Il est ainsi interdit que des personnes ou organismes extérieurs (fonds de pension, fonds d’investissement) soient associés au capital des pharmacies françaises. Cette législation qui peut remettre en cause le principe de libre entreprise en Union Européenne a été validée et renforcée par la Cour de Justice Européenne dans son arrêté du 22 Avril 2009 stipulant que « La politique de santé définie par un Etat membre et les dépenses publiques dans ce domaine ne poursuivent aucun but lucratif ou commercial. » Ainsi, cette nouvelle campagne publicitaire, quelque peu démagogique tente de montrer l’absurdité de la loi qui ne permet pas aux « docteurs en pharmacie » de Leclerc de vendre de l’aspirine avec un slogan choc : « nos docteurs en pharmacie n’ont toujours pas le droit de vendre des médicaments sans ordonnance. Oui on marche sur la tête ». Elle est reléguée par le site internet de Leclerc : http://www.quiestlemoinscher.com/sesoigner qui insiste sur le faible prix des produits Leclerc dans ce domaine. À peine diffusé ce spot a fait l’objet de nombreuses réactions négatives notamment sur les réseaux sociaux. La page Facebook « Pigeons pharmaciens » créée le 10 Octobre 2012, expression faisant référence au mouvement des Pigeons, entrepreneurs qui ont réussi à faire plier en partie Bercy concernant une proposition fiscale augmentant l’imposition des plus-values a ainsi immédiatement réagi en détournant le slogan de Leclerc : « Leclerc ne contrôle déjà pas l’origine de ses lasagnes mais ils souhaitent vendre des médicaments... Oui on marche sur la tête ». De même, les réactions ont fusé sur Twitter. Internet et principalement les réseaux sociaux sont donc devenus des lieux de confrontation d’idées et des vitrines centrales pour les groupes d’intérêts.

La première définition du lobbying est restrictive et limite son objet à une seule cible, les pouvoirs publics, puisque l’activité de lobbying est à l’origine «l’action d’influence auprès des pouvoirs publics». Suite au développement de la pratique, la définition s’est élargie pour rendre compte de la diversité des cibles intermédiaires, des formes d’actions et des acteurs. Le Sénat Américain rend particulièrement bien compte de ces enjeux en définissant le lobbying comme étant « la pratique visant à persuader le législateur de proposer, adopter ou s’opposer à la législation ou de modifier les lois existantes ». Stéphane Dessalas ajoute une autre dimension au lobbying qui est celle « d’outil de communication dont l’objectif est d’influencer les pouvoirs ». Cela permet donc de saisir pourquoi Internet est devenu un enjeu central pour les groupes de pression. En effet, le pouvoir de communication d’Internet est considérable. Le développement du web 2.0 et des réseaux sociaux a permis de multiplier les contacts et d’élargir les cibles. On peut de plus relever trois principaux types d’acteurs du lobbying : les lobbyistes salariés d’entreprises, les lobbyistes appartenant à un cabinet en conseil de lobbying ou d’avocats et les lobbyistes d’organisations transversales ou d’associations qui regroupent des réalités diverses (associations de consommateurs, syndicats, ONG, think tank). Le domaine de la santé n’échappe pas à cette logique du lobbying. Ainsi dans son livre Lobbying et santé ou comment certains industriels font pression contre l’intérêt général publié en 2009, Roger Lenglet interroge les enjeux et les influences qui s’opèrent entre les pouvoirs publics et les acteurs de la santé. Sans remettre en cause le nécessaire travail d’information et de défense des positions

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Introductiondes différents acteurs du monde de la santé, Roger Lenglet dénonce les agissements qui vont à l’encontre de l’intérêt général et de la santé publique, en braquant les projecteurs sur les lobbies de l’alcool, du médicament, du tabac et de l’agroalimentaire. Il se dégage ainsi plusieurs acteurs clés : les lobbies pharmaceutiques, les lobbies du tabac ou de l’alcool. Toutefois, il ne faut pas laisser de côté les lobbyistes d’organisations transversales dont l’action va à l’encontre de celle des groupes d’intérêts industriels. Les organisations non-gouvernementales comme EPHA sont en effet considérées comme des groupes de pression à part entière ayant pour objectif l’intérêt général. Nous essayerons donc tout au long de ce sujet, E.lobbying et santé d’incorporer les multiples secteurs de la santé et de faire confronter leurs stratégies d’influence, notamment sur le web. De même nous nous ne contenterons pas du simple cadre français mais prendrons des exemples aussi bien au niveau national, communautaire et international. Par son importance dans les politiques publiques, le monde de la santé est une entrée idéale pour saisir le poids du web 2.0 dans les nouvelles stratégies des groupes de pression.

Dans quelle mesure la santé est-elle un terrain fécond pour le développement de stratégies web par les lobbies ?

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La stratégie de communication des lobbies évolue sans cesse, en accord avec les progrès de la technique et des canaux de diffusion de l’information, Internet et donc devenu un outil central dans leur stratégie de communication, il est un outil propice pour le travail d’influence des lobbies. C’est également un

outil en perpétuelle mutation offrant aujourd’hui une proximité et une instantanéité de l’information qui donnent davantage de poids à l’action des lobbies en renforçant considérablement leur communication.

1.1. L’utilisation d’Internet est propice à la réalisation des objectifs des lobbies L’activité du lobbying consiste à influencer les politiques publiques en défendant les intérêts de groupes définis, pour ce faire la communication est primordiale. D’abord orientée vers les pouvoirs publics, mais aussi vers tous les acteurs concernés par la politique publique qui se dessine, elle permet d’informer des positions défendues par les lobbies et l’intérêt qu’elles représentent. La communication doit donc s’adapter et évoluer au grès du progrès technique pour avoir l’impact le plus important, offrir la meilleure qualité d’information mais aussi pour répondre aux besoins de ceux cherchant l’information. Dans cette logique Internet est devenu le lieu incontournable pour diffuser l’information, d’autant qu’il permet de toucher davantage d’acteurs, par son caractère public.

1.1.1.Outil de communication incontournable aujourd’hui Aujourd’hui Internet est devenu un moyen de communication incontournable, et l’impossibilité pour d’éventuels intéressés de trouver sur le web les informations relatives aux actions de groupes de pression serait très pénalisante pour ces groupes. Les lobbies de la santé n’échappent pas à la règle, il leur est donc indispensable d’utiliser Internet comme vitrine pour leurs projets, leurs réalisations et leurs actions. Pour les lobbies, communiquer et transmettre un point de vue est la clé de leur activité, et face à la concurrence de lobbies aux positions antagonistes il est devenu indispensable de se battre à armes égales et sur tous les fronts : Internet est aujourd’hui au cœur de la stratégie de communication. L’utilisation d’Internet se banalise et la recherche d’information par ce canal se généralise; Internet est devenu un lieu de recherche accessible, pratique et bien souvent gratuit. Cette utilisation moderne d’Internet est bien comprise par les communicants qui s’en servent pour accroître leur visibilité, le web est une vitrine pour ces derniers. Les lobbies utilisent également Internet pour répandre publiquement sur la toile leurs positions et les légitimer pour les faire accepter plus largement.

Il est donc possible pour les lobbies de concevoir un site Internet, agissant comme une vitrine numérique de leur action, en leur permettant de diffuser leurs messages, mais aussi de partager les informations, polémiques et rumeurs favorisant leurs intérêts. Internet permet également de vérifier les activités et l’influence des lobbies adverses et ainsi contrôler et adapter sa stratégie web en fonction. Internet offre la possibilité de communiquer facilement et par les moteurs de recherche d’être référencé méthodiquement. Le référencement et les moyens d’apparaître dans les premiers résultats d’une recherche permettent également aux lobbies d’accroître leur visibilité, élément important pour que leur message soit visible et diffusé. Il y a donc une véritable compétition mise en place pour occuper Internet et y être le plus visible, à travers la publication et le référencement. Un des exemples les plus connus et qui montre tout l’intérêt d’une bonne stratégie web pour les lobbies est le

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1. STRATÉGIE WEB DES LOBBIES, UNE APPROPRIATION INCONTOURNABLE

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cas de l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG). Des médecins et des féministes ont montré que les femmes voulant avorter avaient souvent recours à Internet pour s’informer sur l’IVG, cependant les premiers résultats apparents des recherches Internet sont des résultats informant mais mettant en garde contre IVG et non les informations à propos des centres, des conditions à remplir, ou autres informations pratiques à propos de l’IVG. Les groupes de pression anti-avortement ont acheté l’url ivg.net et ciblent leurs mots-clés autour de thèmes mettant en garde contre l’IVG mais aussi et surtout ceux défendant l’IVG. Ainsi les femmes désirant avorter ne trouvent pas directement les informations qu’elles cherchaient mais se retrouvent sur des sites leur expliquant que l’avortement est un droit mais peut provoquer des déséquilibres psychologiques chez les femmes en s’appuyant sur de nombreux témoignages et les dissuadent finalement. Les lobbies de la santé ici, n’ont pas su utiliser le web pour promouvoir l’avancée médicale ou la possibilité donnée aux femmes d’avorter légalement et adapter leur stratégie de communication vers le web alors qu’Internet semble être le lieu d’information le plus important aujourd’hui.

1.1.2. Un outil pouvant atteindre l’opinion publique au-delà des décideurs Internet en plus de permettre d’accroître la visibilité des lobbies permet surtout d’accroître la portée de leurs messages. En effet Internet est un outil public, ce qui permet aux lobbyistes de sortir des couloirs des administrations, d’aller au-delà de la presse spécialisée pour diffuser leurs messages à plus grande échelle. C’est une stratégie qui rompt avec les codes du lobbying qui se veut généralement plus technique et discret, mais cela leur permet de corriger l’opacité qui les accable dans l’opinion publique et d’adapter leur message pour être plus accessible pour le public.

Élargir sa communication au grand public a été la condition sine qua non des lobbies pour utiliser Internet et cette obligation est finalement devenue un avantage pour le lobbying qui s’ouvre et améliore sa visibilité. Ce tournant dans la stratégie de communication est visible à travers la nouvelle image que les lobbies tentent de véhiculer grâce à Internet en ayant une relation directe avec l’opinion publique, en transmettant via leurs sites et forum les sujets et projets qu’ils portent. Ainsi les critiques à l’encontre des activités du lobbying se nuancent en offrant la possibilité à tous de consulter les différentes actions menées auprès des décideurs et de lire les publications et expertises des lobbyistes diffusées sur Internet. Le lobbying «sort de l’ombre» en s’affichant publiquement et en offrant une image de visibilité et de transparence. La transparence est devenu un critère fondamental de la politique publique, ainsi l’opacité qui recouvrait l’activité du lobbying véhiculait dans l’opinion publique une image négative et encore persistante, réduisant le lobbying à la représentation d’intérêts de grands groupes contraire à l’intérêt général. Internet est alors un outil capital pour modifier l’image, pour repenser et actualiser les stratégies de communication des lobbies. Internet offre un nouveau champ d’action pour la communication des lobbies qui se sont largement approprié l’outil pour une stratégie de communication actualisée.

1.2.Les nouveaux outils du web 2.0 offrent d’autant plus de poids au lobbying Internet est donc devenu un moyen de communication et d’information incontournable et a permis d’élargir l’action des lobbyistes. L’évolution qu’a connu Internet avec l’émergence du web 2.0 et ses outils de partage ont également enrichi les possibilités d’action des lobbyistes en ayant un accès à l’information toujours accru et un moyen de partager leurs intérêts de manière épidémique et tout aussi instantanée. Cela permet évidemment de donner davantage de poids à leurs positions

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1. STRATÉGIE WEB DES LOBBIES, UNE APPROPRIATION INCONTOURNABLE

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et leurs intérêts, de cibler davantage l’opinion publique et d’utiliser encore plus Internet comme une vitrine de leur activité. Le web 2.0 a également permis de raccrocher les utilisateurs d’Internet en accroissant la proximité et l’interaction. Les lobbies gagnent ainsi en visibilité et en influence sur Internet.

1.2.1. L’instantanéité et le partage épidémique de l’information L’évolution permanente d’Internet permet aujourd’hui grâce à de nouveaux outils du web 2.0 d’offrir des modes d’utilisation divers. Ainsi les lobbies peuvent à partir des nouveaux outils de recherche et grâce à la performance grandissante des méta-moteurs de recherche et moteurs de recherche d’établir des véritables outils de veille efficaces. Les lobbies peuvent s’abonner à des flux RSS, suivre des sites de manière ciblée, procéder à un réel suivi des enjeux et problématiques en lien avec les intérêts à défendre et ainsi établir un travail de recherche profond et rarement égalé avant la création d’Internet. Les outils actuels du web permettent de se tenir informé en temps réel des actualités qu’elles soient législatives, qu’elles concernent leurs concurrents ou qu’elles entrent dans le cadre d’une prospection sur un temps plus long. Cela permet aux lobbyistes d’être toujours plus informés, alertes et précis dans leur travail en anticipant davantage les mesures mises à l’agenda public ou politique pour les infléchir d’autant mieux pour la défense de leurs intérêts. L’instantanéité de l’information véhiculée grâce à Internet est un point fort et crucial dans la forme que revêt le lobbying aujourd’hui.

L’instantanéité de l’information diffusée est notamment due à la capacité qu’offre maintenant Internet de partager les contenus informatiques en un seul clic. Le web 2.0 aujourd’hui se fonde entre autres sur les fonctions de partage, de simples icônes permettant de partager instantanément l’information via les réseaux sociaux tels Youtube avec le partage de vidéos, Facebook, Twitter, Google+ ou les blogs. Les blogs sont d’excellents vecteurs de partage d’information car initialement ciblés sur un thème. Ainsi les blogs spécialisés dans le lobbying sont nombreux. La possibilité de partager si simplement des articles de journaux en ligne, des photos, des vidéos, des liens url fait ainsi de chaque utilisateur d’Internet un relais potentiel de l’information, et les lobbyistes -comme les communicants de manière plus générale- l’ont compris et multiplient l’accès à ces outils sur leurs sites, en permettant de partager leurs articles. Ils accroissent également leur visibilité sur les réseaux sociaux où ils peuvent directement publier leurs informations de manière synthétique et renvoyer à leurs sites pour plus d’information.

Si l’on prend l’exemple de Google+, réseau social de la firme américaine, il est possible de créer des listes d’amis, de médias, de personnalités, de marques comme la plupart des réseaux sociaux. Il permet aussi de constituer des «cercles», qui sont en fait des regroupements de personnes et médias ayant les mêmes centres d’intérêts, favorisant l’émergence de réelles communautés virtuelles où le partage de l’information est d’autant plus grand que le sujet intéresse particulièrement les membres de ce cercle. Ainsi le partage de l’information devient épidémique, rapide et massif avec le web 2.0 favorisant le travail de communication des lobbyistes, le tout étant de parvenir à faire relayer l’information efficacement en ciblant aux départs les meilleurs relais, pour créer un «buzz» dans le meilleur des cas.

1.2.2. La proximité et l’interaction rendues possibles à travers Internet Le web 2.0 à travers les réseaux sociaux, les fonctionnalités de partage, de suivi accroit considérablement la proximité virtuelle et l’interaction sur Internet. L’exemple le plus ancien mais encore très actuel est le forum. Le forum permet d’échanger sur

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1. STRATÉGIE WEB DES LOBBIES, UNE APPROPRIATION INCONTOURNABLE

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des sites spécialisés ou à la suite d’articles permettant de donner son point de vue. Cette formule connaît beaucoup de succès, et varie avec les nouveaux moyens offert par Internet; elle prend la forme de chats, de livetweet où l’on pose directement ses questions et remarques en mettant en lien les concernés. La Commission Européenne et même Matignon sont adeptes de ces techniques aujourd’hui.

Pour les lobbies, la manipulation de ces formes d’expressions publiques est assez simple et efficace et revient à la technique ancienne de « composer la salle », en la remplissant de contradicteurs -ou de personnes défendant la prise de position de la réunion publique. Cela permet évidemment de donner une illusion de convergence d’idées et points de vue. Créer une convergence artificielle en investissant massivement un forum permet de modifier la perception de l’opinion publique et faire germer les idées et les accords. Sur Internet on parle généralement de trolling, reprenant l’idée de la figure fantastique du troll venant semer la pagaille. Le trolling est aujourd’hui relativement répandu et peut revêtir différentes formes plus ou moins discrètes. Sur Twitter, relayer un tweet massivement pour le rendre populaire et lui donner une place dans les «tendances» (trend) du site permet d’être encore plus relayé et discuté. On peut également, grâce au «hashtag» (#...) interpeller directement des personnes inaccessibles en temps normal, comme un préfet, un ministre, un député, un commissaire... Récemment, durant l’épisode neigeux de cet hiver, le Préfet de Moselle a été directement invectivé, voire insulté, par des collégiens et lycéens réclamant un arrêté préfectoral pour fermer les collèges pour cause d’enneigement. Cet exemple polémique illustre parfaitement la possibilité d’accroître la proximité avec les outils du web 2.0. Les lobbyistes de manière plus respectueuse peuvent ainsi directement s’adresser à l’opinion publique et répondre aux interrogations de chacun mais aussi interagir plus directement avec les acteurs liés aux thématiques qui les intéressent.

Cette utilisation de la proximité, permet également de donner son avis sur un sujet de manière plus synthétique grâce aux fonctionnalités conçues pour cet usage; comme le «like» sur Facebook et Youtube, le «pouce en l’air ou baissé» sur Youtube, le «+1» de Google+, le «retweet» sur Twitter, et ces fonctionnalités sont naturellement exploitées et manipulées dans le but de donner davantage de poids à l’information.

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1. STRATÉGIE WEB DES LOBBIES, UNE APPROPRIATION INCONTOURNABLE

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2.1. Une stratégie essentiellement marketing qui influence les pouvoirs publics par le bas.

Comme nous l’avons vu en introduction, les cibles intermédiaires des groupes de pression se sont élargies. La voie d’accès classique à la décision politique pour les groupes d’intérêt qui consiste à produire de l’expertise et développer un réseau afin d’influencer directement les décisions politiques n’est plus unique. En effet, les lobbies notamment pharmaceutiques cherchent de plus en plus à cibler l’opinion publique afin d’influencer par un processus d’engrenage les pouvoirs publics. Ils vont alors dans cette logique-là investir le web 2.0.

2.1.1. Le choix d’influencer les pouvoirs publics par l’opinion publique. L’étude des industries pharmaceutiques permet de distinguer deux entrées spécifiques pour les groupes d’intérêts pour influencer les politiques publiques. Soit l’activité du groupe de pression est directement orientée vers les pouvoirs publics, l’opinion publique n’entrant alors pas en jeu, soit le groupe de pression choisit avant tout de cibler l’opinion publique dans le but de la convaincre afin de faciliter indirectement l’adoption ou le rejet d’une loi. L’étude des groupes de pression des industries pharmaceutiques montre que ces derniers privilégient le deuxième mode d’accès. En effet, elle se situe davantage dans une stratégie marketing à l’instar de LEEM, syndicats du milieu pharmaceutique.

Il va s’agir dans un premier temps d’expliciter le mode d’accès par le bas utilisé par les groupes de pression des industries pharmaceutiques. Le choix de la méthode d’influence dépend de l’objectif voulu. Cet objectif est lié au type d’acteurs, au type de projets, l’objectif est-il mesurable (objectif financier, législatif ou encore réglementaire) ou qualitatif (objectif humanitaire, d’image) et au type de cibles (les pouvoirs publics, une profession, l’opinion publique). Dans le cas des groupes de pression des industries pharmaceutiques, le projet est double. Il s’agit en effet à la fois d’influencer la législation mais essentiellement de maîtriser leur image auprès des consommateurs et donc de l’opinion publique et des professionnels de la santé. Le choix de ces groupes de pression du milieu pharmaceutique pose la question du lien entre l’opinion publique et la mise en place de politiques publiques. Ces deux objets qui sont traditionnellement étudiés séparément par des sous-disciplines distinctes de la science politique sont pourtant intimement liés. En effet, comme l’expriment Wlezien & Soroka « Un des principes fondamentaux d’un gouvernement démocratique est que l’action publique doit être une fonction de l’opinion (…) Savoir si et jusqu’à quel point ce principe

A fin d’appréhender les stratégies web d’influence des groupes de pression du monde de la santé, il nous est paru pertinent de centrer dans un premier temps notre analyse sur les industries pharmaceutiques. Les lobbies pharmaceutiques jouissent en effet d’une grande visibilité sur

la scène publique et sont à l’origine de développement de passions essentiellement négatives liées à leur pouvoir d’influence des politiques de santé certain. On va donc s’attacher dans cette partie à mesurer leur utilisation du web et des réseaux sociaux dans leurs stratégies d’influence et voir dans quelle mesure son utilisation est pertinente. Les lobbies pharmaceutiques vont tout d’abord utiliser le web 2.0 pour élargir leur visibilité et atteindre l’opinion publique, cible intermédiaire essentielle pour atteindre les pouvoirs publics. Il s’agira donc, principalement d’une stratégie marketing et d’image avec l’utilisation du web comme outil de gestion de crise, de rapprochement entre professionnels de la santé et patients.

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2. LES INDUSTRIES PHARMACEUTIQUES : EXEMPLE CLÉ D’APPRÉHENSION DE L’UTILISATION DU WEB DANS LES STRATÉGIES D’INFLUENCE.

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correspond à la réalité est un indicateur critique de la gouvernance représentative ». Cela rejoint le principe de Canes-Wrone : « Who leads whom ? ». Cette relation entre pouvoirs publics et opinion publique explique ainsi l’intérêt des groupes de pression de l’industrie pharmaceutique à privilégier la stratégie d’influence par le bas en utilisant le web 2.0 comme outil d’influence de l’opinion publique.

2.1.2. L’étude d’une stratégie marketing: l’exemple de LEEM. Nous allons dans un second temps nous concentrer sur un exemple, celui de LEEM afin d’étudier la stratégie web des groupes industriels de la santé. LEEM est une organisation professionnelle qui fédère et représente les entreprises du médicament présentes en France. Comme elle l’indique sur son site internet, l’objectif de cette organisation est « de promouvoir des démarches collectives de progrès, de qualité et de valorisation du secteur ». Dans ce but, LEEM a investi le web de manière intelligente en étant présent et actif sur les principaux canaux de diffusion du web 2.0. Le 23 Avril 2012, LEEM a ainsi rejoint le réseau social Facebook en créant une page : « Le médicament et moi ». Nouvelle source d’information sur les médicaments, elle permet de viser un public plus large : citoyens, patients et leurs familles, salariés du secteur de la santé, jeunes. La démarche de LEEM sur Facebook est avant tout pédagogique puisque la page a été créée pour répondre aux interrogations de la population à propos des médicaments. Mille quatre cent quinze personnes aiment la page et soixante-cinq en parlent. De plus, vingt-deux publications ont été postées en Février soit quasiment une par jour. La présence active de LEEM sur Facebook appuie donc l’idée que la maîtrise des réseaux sociaux est devenue une nécessité pour les groupes de pression de l’industrie pharmaceutique. En parallèle, Twitter a davantage une visée politique. Deux mille huit cent treize abonnés suivent les deux mille trois cent soixante-sept tweets dont une grande majorité est postée par le Président Hervé Gisserot. Ainsi, à l’annonce de la publication du livre de Philippe Even, Professeur pneumologue, «La vérité sur le cholestérol» affirmant que les médicaments contre le cholestérol ne servaient à rien, LEEM a tout de suite répliqué sur son site Internet et sur Twitter. En effet, les propos du Professeur Even soutenant « qu’un taux de cholestérol élevé n’est pas la cause des infarctus du myocarde et des accidents vasculaires cérébraux » et « qu’il n’y a aucun exemple, dans toute l’histoire du médicament d’hier et d’aujourd’hui, d’un dérapage scientifique et éthique comparable et d’une cascade de tromperies aussi moralement choquantes » mettent directement en cause les industries pharmaceutiques. Il ajoute, de plus que les statines qui sont une famille de médicaments contre le cholestérol, sont prescrites inutilement dans près de 90% des cas. Or la prescription de statines qui est évalué à 2 milliards d’euros par an en France est responsable d’un quart du déficit de l’assurance maladie toujours selon le Professeur Even. En tant que fédération des entreprises de médicaments, LEEM a immédiatement publié un communiqué sur son site Internet employant des termes assez fort pour montrer son désaccord tels que « nouveau réquisitoire », « attaque sans nuance », « déni pur et simple ». Le même jour, un tweet est posté par LEEM France : « Le Leem déplore la publication par P. #Even d’un nouveau réquisitoire contre le système du #médicament http://bit.ly/12D9qA1 #hcsmeufr », retweeté 8 fois notamment par Alain Clergeot, docteur en médecine et Président de Chugai Pharma France et étant suivi par mille deux cent cinquante-six abonnés. Internet et tout particulièrement les réseaux sociaux offrent donc aux groupes d’intérêt la capacité de réagir immédiatement afin de protéger leur image. LEEM offre de plus un exemple intéressant de l’utilisation de l’image vidéo au sein de leur stratégie marketing à travers deux projets, le web-documentaire et le web-série. Il peut être intéressant d’analyser le deuxième, c’est-à-dire le web-série afin de voir comment à travers un projet ludique et humoristique, LEEM arrive à faire passer son message. En effet, cette

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2. LES INDUSTRIES PHARMACEUTIQUES : EXEMPLE CLÉ D’APPRÉHENSION DE L’UTILISATION DU WEB DANS LES STRATÉGIES D’INFLUENCE.

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web-série de cinq épisodes intitulée : « le monde sans médicament » a été créée suite à une année 2011 marquée par un débat public sur les risques des médicaments. L’objectif était alors de sensibiliser les internautes au progrès apporté par les médicaments. Les vidéos d’une minute et quelques surprennent par leur ton très enfantin mais arrivent finalement à capter le spectateur grâce au caractère décalé des scénarios qui comparent le avant et après l’existence des médicaments. L’objectif est simple, montrer que les médicaments sont nécessaires. Ce qui est intéressant est la manière dont LEEM a mis en avant la série en utilisant les différents outils du web en interaction les uns avec les autres. Les vidéos sont ainsi publiées sur le site officiel de LEEM et sur le Facebook via le service d’hébergement Dailymotion et sont ensuite partagées sur Twitter. Le premier épisode diffusé le 22 Mai 2012 a par exemple était vu cinq mille neuf cent deux fois sur Dailymotion, quarante-neuf personnes aiment cette vidéo sur Facebook et treize l’ont faite suivre sur Twitter. LEEM a donc parfaitement intégré les nouvelles possibilités qu’offrent les réseaux sociaux et le web 2.0 dans leur stratégie d’influence. Cette stratégie est essentiellement commerciale puisque leur but premier est de vendre leurs médicaments. Pour cela il leur est nécessaire de maîtriser leur image et d’être activement présent sur le web. Cependant, nous l’avons vu avec la publication du livre de Philippe Even, leur présence sur les réseaux sociaux leur permet de réagir face aux crises et d’anticiper les politiques publiques.

2.2. Le web 2.0 : nouveau canal de communication privilégié dans les stratégies de gestion de crise des groupes pharmaceutiques?

Les industries pharmaceutiques ont très vite investi le web 2.0 conscientes de l’évolution de l’outil Internet passé d’une simple vitrine des entreprises du médicament à un outil redoutable de communication. L’intégration de ce nouveau canal de communication qui propose à la fois l’écrit et l’oral a permis aux industries pharmaceutiques de faire évoluer leur communication en s’installant durablement sur le web. De plus, les industries pharmaceutiques sont soumises depuis plusieurs années à un nouveau type de communication, la communication de crise. La défense du capital image de l’entreprise va ainsi en partie se faire à partir du web 2.0. Il va alors se passer une double relation. D’une part Internet va être le lieu privilégié de l’éclatement de la crise et une des causes de son ampleur, d’autre part, la crise ne pourra être résolue qu’en maîtrisant son image sur le web. Alors qu’Internet devient incontournable, peu d’entreprises considèrent Internet comme prioritaire dans la gestion de crise sous-estimant encore trop l’importance des réseaux sociaux dans la gestion de crise. Mac Donald est un excellent contre-exemple. En effet, il a su tirer profit des outils du web 2.0 dans la gestion de la crise de la vache folle. A la fois support de communication et outil de lobbying, les sites web institutionnels commencent à émerger afin de répondre rapidement aux accusations menaçant leur image. TEVA Laboratoire, le leader mondial des médicaments génériques a ainsi lancé en Janvier 2013 son nouveau site web institutionnel à destination du grand public et des professionnels de la santé: www.teva-laboratoires.com afin de répondre selon le laboratoire aux “besoins et demandes du grand public en matière d’information liée à la santé”. Cependant Didier Heiderich, président de l’Observatoire International des Crises et fondateur du Magazine de la Communication de Crise et Sensible nuance l’action des entreprises qui ne prennent pas en compte l’interactivité offerte par internet : “ Les réponses diffusées sont proches des communiqués de presse et éloignées des modèles de la communication interactive. Les visiteurs de ces sites peuvent avoir le sentiment de se retrouver face à des raccords réalisés dans l’urgence et qui n’apportent rien aux informations déjà diffusés sur d’autres médias. Ça peut laisser un sentiment de frustration aux internautes qui demandent d’en savoir plus que les autres”. Le propos de Didier Heiderich est particulièrement intéressant

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puisqu’il rend compte de plusieurs réalités. D’une part, il émet l’idée qu’Internet offre d’autres moyens de communication que la presse traditionnelle, d’autre part qu’il existe une véritable demande des internautes et donc des potentiels consommateurs. L’utilisation d’Internet va ainsi devenir impérative. En effet, les entreprises ne peuvent laisser l’emploi du web uniquement à leurs opposants, ils se retrouvent alors dans l’obligation d’investir le web. Si Internet est devenu incontournable, c’est que ce média offre des avantages comme son mode de communication interactif, sa capacité à cibler les différents publics et sa capacité à créer de la proximité en instaurant une relation d’un contre un entre l’industrie et l’internaute. Quelles sont les réponses envisageables lorsqu’une cellule de crise est ouverte en communication ? On peut en citer trois : ne rien dire et prendre le risque de manquer de transparence, communiquer en démentant et rejeter la faute sur une autre organisation ou une autre personne ou encore communiquer en endossant les torts. Comment les industries pharmaceutiques gèrent-elles leurs crises et quelle utilisation d’Internet font-elles ? On peut prendre l’exemple bien connu du Médiator mis sur le marché en France en 1976 par les laboratoires Servier. Destiné aux diabétiques et utilisé en tant que coupe-faim, il est retiré de la vente en Espagne et en Italie en 2005 suite à la découverte de cas de valvulopathies liés au traitement en Espagne en 2003. Après de nombreuses alertes de professionnels de la santé, il est retiré sur le marché français en 2009. C’est le début du scandale avec la publication de Mediator 150 mg. Combien de morts de la pneumologue Irène Frachon. Le début de la gestion de la crise a été qualifié de très mauvais par l’ensemble des spécialistes. En effet, la première réaction du groupe a été de minimiser voire de nier les conséquences négatives, Jacques Servier évoquant même “une mafia, un complot”. Une de leurs premières actions a été de porter plainte contre Irène Frachon et de porter en dérision ses propos en les parodiant: “500 morts, un beau chiffre marketing”. Au plus fort de la crise, le silence a été imposé comme règle d’or puis il s’est opéré un changement de stratégie pendant la crise avec l’abandon de celles élaborées avant la crise. Vu l’ampleur médiatique du scandale, on pourrait imaginer que la stratégie à adopter soit celle qui donne des gages de service, d’ouverture et de préoccupation à l’égard des patients. Dans ce sens, Internet est l’outil idéal puisque cela nécessite des preuves, du tangible, accessible à tous. Or, rien n’est mis en place, aucune information n’est mise en ligne sur le site au moment de l’éclatement de la crise si ce n’est un numéro vert et le mail d’un “webmaster”. En parallèle, les patients du Mediator et les professionnels de la santé partagent en ligne, les forums se multiplient. La légèreté de la réponse du groupe Servier entretient alors une idée d’opacité et laissent la place aux témoignages des victimes, témoignages repris pas la presse traditionnelle. Dans le cas du Mediator, on constate donc que le choix de Servier de délaisser le web pour resserrer les canaux de communication afin d’éviter les dérapages a été une grande erreur puisqu’elle a laissé le champ libre à ses opposants. Le groupe Servier aurait pu envisager une tout autre stratégie tournée vers le canal de communication Internet en développant une page dédiée aux réponses aux questions que tout le monde se pose, en créant une attention par un dialogue direct avec les patients - en effet, les patients font plus confiance à une discussion directe qu’à une interview télévisée -, en fournissant un canal privilégié d’interaction via les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Il s’avère donc que l’outil Internet comme canal de communication de crise est validé dans la théorie mais qu’il n’est pas encore bien exploité notamment par les industries du monde de la santé. On constate de plus que les consommateurs et patients sont plus actifs sur les réseaux sociaux que les groupes pharmaceutiques comme le démontre l’exemple de Servier et la crise du Mediator. Alors que sur Twitter, les tweets concernant le scandale du Mediator sont importants, le Twitter officiel de Servier reste vierge (zéro tweet, zéro abonnement, cent soixante-seize abonnés). L’enjeu, ici réside donc à créer un espace de discussion

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entre les industries et les patients.

2.3. Le web 2.0 : nouveau terrain de rencontre entre le patient et le monde de la santé en construction.

Canal de communication comme nous l’avons vu précédemment, les laboratoires pharmaceutiques utilisent de plus en plus Internet pour toucher aussi bien les professionnels de la santé que le Grand Public. L’investissement du web 2.0 par les industries pharmaceutiques a fait évoluer la réglementation existante entre patients et industries ainsi que les formes de rencontres entre ces derniers. Cependant, cette évolution a été confrontée à plusieurs obstacles limitant son impact.

L’investissement du web 2.0 par les industries pharmaceutiques et leurs groupes de pression a en effet tout d’abord permis de modifier la réglementation existante. Le 26 Octobre 2006, LEEM et l’AFFSAPS, l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ont signé “la charte pour la communication sur Internet des entreprises pharmaceutiques”. La Charte stipule que “les entreprises pharmaceutiques établies en France peuvent utiliser ce support de communication (site web, bandeau publicitaire,…), dans le respect du code de la santé publique, et plus particulièrement des dispositions régissant la publicité en faveur des médicaments. Compte tenu des particularités techniques liées à internet, la présente charte a pour objet d’aider les entreprises pharmaceutiques à concevoir leurs pages Internet dans le respect de la réglementation, c’est à dire à mieux distinguer ce qui relève de la publicité, et donc du régime de contrôle de la publicité prévu par le code de la santé publique, et ce qui relève de l’information des professionnels de santé ou du public.” La charte détaille ainsi toutes les possibilités qu’offre Internet: Sites web institutionnels, E-mailing professionnels, bases de données bibliographiques, documentation médicale, forum de discussion, dossiers et communiqués de presse, correspondance, et jusqu’à la visite médicale en ligne. Internet permet donc de contourner le canal de discussion classique entre le patient et le médecin ou la firme pharmaceutique. Cependant, la législation est encore assez stricte concernant les outils de rencontre. Ainsi, les forums de discussion sur les sites des entreprises pharmaceutiques sont assez rares car ces dernières doivent engager leur responsabilité quant aux discussions qui sont contrôlées par un modérateur. La prudence est donc de rigueur. Cela n’empêche pas de constater un nouveau phénomène qui consiste à créer des plates-formes de discussion entre les groupes pharmaceutiques, les associations de patients et les patients eux-mêmes sur Internet. Docteur Alexandra Wike est Présidente de Patient View, une entreprise qui vend son expertise sur la question aux groupes pharmaceutiques et publie régulièrement des rapports et des études sur les questions de la mise en relation entre décideurs, associations de patients, patients et laboratoires. Récemment, Alexandra Wike a analysé un sondage publié par Patient View questionnant les patients sur leurs attentes en termes de relations vis à vis de l’industrie pharmaceutique. Il en résulte qu’il existe une véritable demande de la part du public. Les associations de patients vont avoir une demande de plus en plus accrue concernant leurs relations avec les industries pharmaceutiques. Or, le docteur constate que les laboratoires pharmaceutiques sont assez frileux vis à vis des petites associations de patients qui sont pourtant là pour faciliter les laboratoires à communiquer directement avec les patients. Ces associations sont le lien, l’interface naturelle entre les patients et les laboratoires pharmaceutiques dans la perspective qu’offre Internet en termes de possibilités de contourner les législations contraignantes qui interdisent le contact direct entre industries pharmaceutiques et patients. Le contact se fait donc aujourd’hui principalement par l’intermédiaire des réseaux sociaux Twitter et Facebook, les internautes pouvant en effet s’adresser directement aux professionnels de la santé et de l’industrie pharmaceutique. A la mi-août 2011, Facebook a enlevé le système de

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blocage des commentaires sur les pages des laboratoires pharmaceutiques sous le prétexte de favoriser un dialogue authentique avec les marques. Ce changement a mis les laboratoires dans une position délicate, d’une part vis à vis de la réglementation concernant la communication médicale avec le public, d’autre part en imposant un contrôle permanent des pages. Les réponses des industries pharmaceutiques ont divergées. Novartis par exemple a ainsi purement supprimé sa page, à contrario, Pfizer a choisi de rester sur Facebook. Un des plus actifs avec soixante-quatre mille onze personnes qui aiment sa page, Pfizer a fait le choix du web 2.0. De même, Boehringer et Johnson & Johnson ont réaffirmé leur engagement à communiquer avec les patients via les réseaux sociaux.

Pour conclure cette partie sur l’appréhension de l’utilisation du web 2.0 dans les stratégies d’influences des groupes pharmaceutiques, on peut citer le propos de Daniel Ghinn du groupe Creation Heathcare: “Creation Healthcare is a global engagement strategy consultancy advising pharmaceutical companies about improving business and health outcomes”. Cela se traduit par un investissement massif du web 2.0 par les industries pharmaceutiques via notamment des stratégies de multiprésence et d’influence en direction des patients, des associations de patients et des professionnels de la santé. Ces stratégies de multiprésence se traduisent par un rapprochement entre le patient et la firme pharmaceutique, rapprochement qui permet d’améliorer l’image des industries pharmaceutiques. Ces derniers, enfin, investissent Internet afin de développer des stratégies de marketing et des stratégies de gestion de crise rendues possible par la proximité offerte par Internet entre le patient et l’industrie pharmaceutique. Notre analyse, toutefois, a tenté de nuancer l’investissement du web par les groupes pharmaceutiques. En effet, la présence des industries pharmaceutiques sur le web et son utilisation reste très inégale. Le choix d’Internet comme canal de communication et d’influence demeure un processus en construction.

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Au-delà d’une démarche de type marketing qui concerne surtout les intérêts industriels, le web 2.0 est investi par de multiples acteurs du domaine de la santé. En effet, dans une perspective plus large de la notion de « lobby », on quitte le champ strictement économique pour s’intéresser aux autres

types d’intérêts qui cherchent à peser dans les négociations sur les questions de santé. Ils sont nombreux et de poids inégal : les organisations publiques générales, les organisations publiques spécialisées (cancer, sida, …), les professionnels de la santé (médecins, infirmiers, ..), les patients. Tous ces acteurs évoluent dans des sphères différentes, ont leurs propres réseaux, leur propre organisation et leurs propres intérêts. De ce fait, ils peuvent être tantôt en opposition, tantôt en accord dans les débats sur les politiques de santé, créant et défaisant les « alliances » au gré de la conjoncture et des propositions. Dans cette partie, il s’agit de montrer dans quelle mesure les pouvoirs publics, et notamment la Commission européenne, encouragent la prise de poids de ces différents acteurs, notamment grâce au web 2.0, la visibilité que cela leur permet d’acquérir (et les moyens utilisés pour cela) et enfin la création d’un réel espace de discussion et de confrontation de ces différents intérêts, une sorte d’espace public 2.0 des parties concernées par ces thématiques. Tous ces éléments forment des stratégies de pression sur les pouvoirs publics.

3.1. La volonté de la Commission de créer un espace d’expression des lob-bies affirme l’importance du web 2.0

En réponse aux critiques de déficit démocratique de ses institutions, la Commission européenne tente de définir le type de gouvernance souhaitée au niveau européen. Celle-ci repose sur cinq notions fondamentales selon le Livre Blanc de 2001 : ouverture, participation, responsabilité, efficacité et cohérence. En fait un des buts principaux est surtout de favoriser l’émergence et la participation d’une véritable société civile européenne. Elle est définie ainsi : « La société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les « partenaires sociaux »), les ONG, les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des Eglises et des communautés religieuses. » C’est l’ensemble des acteurs qui agissent en dehors des autorités publiques. Cela correspond à un idéal de gouvernance européenne multi-niveaux, fondée sur le partage du pouvoir décisionnel.

Au niveau européen, le premier constat est que les groupes industriels sont beaucoup plus visibles et puissants que les lobbies dits « positifs » à savoir œuvrant pour la protection de la santé (patients, organisations publiques, …) [cf Balme & al. 2002, Grossman & Saurugger 2006]. En effet, ceux-ci disposent de beaucoup moins de ressources (financières et organisationnelles) que les industries privées, et peinent donc à s’imposer dans le champ politique, et dans la présence sur le web. Toute la difficulté est qu’ils défendent des biens « publics », c’est à dire qui ne leur profitent pas (ou pas seulement). La mobilisation collective est donc moins rentable et plus difficile à organiser, les gains étant beaucoup plus diffus. Or, ce sont justement eux qui sont le plus à même de soutenir les projets et réformes de la Commission, et de lui conférer une légitimité. En effet, si la Commission parvient à relier son action à des organismes de santé publique, son action sera connotée positivement par les citoyens, sera associée à un progrès dans le domaine sanitaire. Ainsi, la Commission a tendance à aider certains groupes à émerger (s’assurant ainsi de leur soutien indéfectible) que ce soit en créant des réseaux de possible regroupement (et donc d’accroissement de leur poids) via des réunions ou le financement de projets communautaires, ou de

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façon plus directe en finançant un certain nombre d’euro-groupes. C’est surtout dans ce premier aspect que le web 2.0 joue un rôle central, en facilitant la création de ces réseaux, le partage d’expérience et la consultation rapide de ses partenaires dans le cas d’alliances. C’est ce qu’évoque une membre de la DG Sanco : « Notre intérêt, c’est que les associations de santé publique se rencontrent souvent, qu’elles soient présentes plus souvent, qu’elles aient plus de moyens, plus de membres, qu’elles soient plus fortes tout simplement ». Cela favorise leur capacité d’action et de représentation (cf Mazey 1995), et cela incite également à la création d’autres euro-groupes, par le phénomène d’engrenage. En effet, si des lobbies apparaissent dans un domaine à tel échelon, cela encourage le développement des autres : soit des opposants pour contrer cette action, soit des partenaires qui y voient une brèche pour s’insérer dans les débats. Mais leur influence reste limitée, la commission les met différents groupes en contact et leur permet ensuite de soulever des préoccupations ou de mettre en lumière certains enjeux.

Ainsi, l’enjeu réside dans l’inclusion des associations de patients ou autres ONG dans le processus de discussion, ou en tout cas c’est l’image que la Commission souhaite donner, comme on le voit avec cette définition issue de son site Internet, du forum européen de la santé : « Le forum européen de la santé permet d’informer et d’associer les principaux acteurs de la santé à la politique européenne en la matière. […] Le forum sur la politique de la santé réunit des organisations paneuropéennes actives dans ce domaine. Son objectif est de garantir que la stratégie de l’UE en matière de santé est ouverte et transparente et qu’elle répond aux préoccupations du public».

Il s’agit de la structure de consultation à laquelle la Commission fait le plus souvent référence lorsqu’elle entend montrer que ses décisions s’appuient sur “la base” et répondent aux préoccupations et aux attentes de la population et des parties intéressées. Or, comme on l’a dit, ces associations manquent de ressources : participer à ce forum nécessite d’importantes ressources organisationnelles, du personnel disponible, des travaux à présenter... C’est pour cela que « La Commission propose d’octroyer des subventions de fonctionnement et des subventions de projets afin de fournir un financement de base à certaines ONG, dont des groupes de patients, pour les aider à accroître leur capacité d’organisation et à consolider leur position » (Communication de la Commission, Améliorer la santé, la sécurité et la confiance des citoyens : une stratégie en matière de santé et de protection des consommateurs).

La Commission oriente l’attribution de subventions à travers la présélection des dossiers et surtout à travers l’information qu’elle diffuse à propos des attentes précises des appels d’offre et des critères de sélection. Elle peut assurer un accès privilégié de certains groupes à ces informations. Elle lance régulièrement des consultations ouvertes, pour lesquelles ces groupes ont tendance à réagir le plus et dans le sens de la Commission (non seulement car ils dépendent d’elle mais aussi parce qu’elle présente les mesures proposées comme favorisant la santé). En effet les organisations de la société civile ont souvent des liens avec la Commission dans la mise en place de projets notamment, comme c’est le cas de l’EPHA (European Public Health Alliance) dont on reparlera par la suite. l’EPHA a une structure de gouvernance totalement indépendante mais participe à nombre de projets financés par l’UE, répond quasiment à toutes les consultations concernant la santé de près ou de loin, multiplie les prises de position, est ou a été membre de plusieurs structures de consultation de la Commission européenne et a assuré le secrétariat de l’intergroupe Santé du Parlement européen avec BEUC jusqu’en 2009. Dans tous les cas, la Commission peut présenter les résultats de ces consultations dans le sens qui lui est favorable, en mettant en

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avant certains points plutôt que d’autres. Ici encore, on envisage l’importance de la communication via le web 2.0, non seulement pour recueillir ces participations, mais aussi dans le retour qu’en fait la Commission.

On voit donc comment cette volonté de la commission de développer les lobbies positifs et la constitution de réseaux dans le domaine de la santé favorise le rôle central du web 2.0 pour ces acteurs qui manquent de ressources. On va voir par la suite les formes spécifiques que prennent ces stratégies, ou en d’autres termes, comment fonctionne le e-lobbying de ces acteurs non industriels de la santé.

3.2. Les organisations publiques ou non-gouvernementales, les patients et les professionnels : quelle visibilité ?

On a donc vu que le but principal de ces différents groupes d’intérêts était d’avoir un poids au niveau européen. C’est dans cette perspective qu’il faut interpréter la politique de communication mise en place par ces groupes, comme le confirment les propos de Fernand Sauer (DG Sanco) encourageant ses troupes à communiquer autour de leurs activités : « La communication vous rend visible. La visibilité vous aide durant les négociations ». Ainsi, l’activité de lobbying ne peut se passer d’une bonne communication. C’est dans cette optique que les groupes les moins « puissants » vont investir le web 2.0 afin d’acquérir une réelle visibilité, à la fois envers les citoyens, les pouvoirs publics et leurs opposants. Cette visibilité passe par 3 éléments principaux : la gestion de l’image, la diffusion d’information et la prise de position.

3.2.1. Gestion de l’image : La gestion de l’image est essentielle quand il s’agit de groupes d’intérêts. En effet, le but pour certains groupes va être de se placer du côté de la défense de la santé publique, masquant ainsi des intérêts autres, pour paraître agir en faveur de l’intérêt général. Pour certains groupes c’est effectivement le cas, mais l’enjeu est alors de mettre cette dimension en avant. C’est, comme on a commencé à le montrer, dans cette perspective que la Commission veut auprès d’elle des organisations de santé publique. Ainsi, gérer son image c’est plusieurs choses : c’est non seulement être présent dans l’espace public, mais aussi diffuser une «bonne image», la contrôler. Aujourd’hui, la majorité de cette communication passe par le web 2.0.

On appuiera ici nos propos par l’observation et l’analyse de la communication du groupe EPHA (European Public Health Alliance), dont nous avons interviewé un des membres, Sascha Marschang, coordinateur de politiques pour les systèmes de santé. On peut commencer par souligner que l’EPHA est l’un des plus anciens groupes au niveau européen représentant des intérêts publics de santé et c’est lui qui a le plus de poids aujourd’hui. C’est un groupe particulier, puisqu’il regroupe en partie des euro-groupes. Par exemple l’EFN, le GPUE, EUROCARE, ou l’ENSP (cf Tableau - Annexe1). Sa représentativité fait de lui un groupe d’intérêt omniprésent dans l’espace européen de la santé. Par la présentation que l’EPHA donne de ses propres activités, sur son site web, il y a une mise en avant des valeurs (équité, diversité, égalité …), il est souligné le fait que c’est une organisation qui ne fait pas de profit, et qui est rattachée à beaucoup d’autres organisations publiques ou de la société civile. Lien vers le site : http://www.epha.org/r/163 Rubrique « about Us » :

« Our vision is of a Europe with universal good health and well-being, where all have access to a sustainable and high quality health system: A Europe whose policies and practices contribute to health, both within and beyond its borders. What are our

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values? Equity - Solidarity Sustainability - Universality Diversity - Good governance »Mais pour ce qui est de la communication moins « directe », le site web utilise des images très parlantes. Par exemple, à propos d’un débat sur la violation des règles de lobbying des Nations Unies sur le contact entre autorités et lobby du tabac, EPHA accole l’image suivante :

Ce qui montre une volonté claire de se démarquer des lobbies industriels, rattachés aux lobbies de produits nocifs.

De même, sur le plan des valeurs on trouve cette image : Ce qui montre là aussi une volonté de se mettre du côté de valeurs supérieures et non d’intérêts privés. La communication de l’EPHA est donc principalement axée sur le rejet de l’activité de lobbying au premier sens du terme.

Nous avons interrogé Sascha Marschang sur l’importance de la gestion de l’image pour une organisation publique comme EPHA :« Of course we have a communication strategy where social medias play a part » et il souligne la difficulté dans l’utilisation des médias sociaux : « You have to be careful when you are an organization like EPHA. With the website it is

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alright: you have a process, you can control what you show. But with the social media it is harder because it is fast and reactive. We have to keep an eye on every sentence that concerns us. If we get a bad comment saying « I disagree » but in an emotional way with inappropriate language you can be easily tempted to reply to that comment and engage in a discussion with that person but if you do, even as an individual, you have to be aware that you are dealing with the image of the organization, because everyone could see this conversation online »

Ce qu’il révèle en fait c’est que dans la communication web 2.0, le plus difficile à gérer vient des réseaux sociaux. En effet, bien qu’il pense qu’il est «exagéré» de dire que la présence sur de tels médias soit toujours nécessaire pour exister dans l’espace public, il reconnaît que cela facilite la diffusion immédiate et directe d’informations. Cependant, le manque de maîtrise de ce type d’outil en est le principal danger.

Il propose donc un point de vue nuancé sur l’essor du web 2.0 et de son usage : ‘’The use of social media requires more research. We have to be cautious and should have a better awareness of how they are working in practice, how they are impacting on people. Everything is happening so quickly now, you see something today but you don’t know what it will be tomorrow’’. Il illustre sa pensée avec l’exemple des révolutions arabes et du rôle qu’ont eu les réseaux sociaux dans leur organisation : « Thinking of the Arab Spring, everyone has highlighted the important role of social media in bringing about change, but any ‘’revolution’’ has both positive and negative consequences… New media also create new elites, and you have to be very careful when people claim they are representative of someone »

On évoque ici le puissant impact que peuvent avoir les réseaux sociaux sur la vie politique, mais les risques aussi qui y sont liés, les questions de sécurité, d’identité. La gestion de l’image est donc complexe, et il faut trouver la “bonne façon” de gérer les médias sociaux, et rester conscient de leurs limites. Leur utilisation ne s’arrête pas à l’image, et peut aussi servir à la diffusion d’informations et d’opinions.

3.2.2. Diffusion d’information La diffusion d’information est un des moyens les plus utilisés dans le domaine de la santé, afin que les individus adoptent une approche similaire de la définition d’un problème et des solutions que l’on peut lui apporter, afin que ces solutions convergent entre les différents acteurs et que les mesures prises apparaissent les mieux adaptées, et donc légitimes.

Une membre de la DG Sanco, direction Santé publique. Entretien, 14 mars 2001, Luxembourg :« Il n’y a pas forcément besoin d’avoir de compétences [sous-entendu juridiques] sur un domaine pour pouvoir influencer les gouvernements. On a une technique pour jouer un rôle mais cela se fait de façon indirecte. D’abord, on rassemble le maximum de statistiques, d’études, de production scientifique sur les politiques des États membres. Ensuite, on compare les États membres et on élabore une politique qui prend le meilleur de ce que font chacun des États. Ensuite, on dissémine cette idée un peu partout dans les colloques, dans des rendez-vous, auprès des associations, parfois dans des documents officiels. D’une façon ou d’une autre, cela arrivera à leurs oreilles donc après on espère que cela influencera les décisions politiques et qu’elles suivront ce que l’on préconise [...] On peut aussi faire ce que je vous ai dit sans comparer les États membres et sans faire de proposition, juste en diffusant des avis scientifiques

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ou le résultat de nouvelles recherches. L’objectif c’est que tout le monde ait les mêmes idées ou les mêmes pratiques »

En effet, dans le contexte actuel, les acteurs sont très sensibles aux questions de santé, et l’information, surtout lorsqu’elle s’appuie sur des statistiques et des comparaisons internationales, agit comme une contrainte envers les pouvoirs publics. Elle permet en effet de légitimer ou de délégitimer une décision, et les autorités développent des phénomènes d’anticipation stratégique. On a donc une pression a priori et indirecte, qui paraît cependant plutôt efficace car utilisée massivement. Ces instruments apparaissent de plus parfaitement légitimes car ils sont présentés comme des outils d’apprentissage entre les différentes organisations qui peuvent bénéficier du savoir des unes et des autres tout en restant totalement libres et en n’imposant rien aux autorités dans leur choix finaux.

Les autorités européennes ont perçu ce rôle de l’information dans la formation des opinions, la construction des problèmes et la légitimation (ou non) des politiques. C’est dans cette optique de diffusion d’information qu’ont été créées les agences européennes qui affirment clairement cet objectif. Par exemple, le règlement instituant l’ECDC consigne cet objectif en son article 12 : «Pour atteindre ces objectifs, le Centre met des informations à la disposition du grand public, notamment sur un site Internet destiné à cet effet. Il publie également les avis qu’il rend […] ». Ainsi, on peut interpréter la création par l’UE d’un portail santé, la DG Sanco à travers sa présentation sur la page d’accueil du site, le définit ainsi : « le portail s’adresse aux personnes qui veulent se tenir informées des questions en rapport avec leur santé et à celles qui souhaitent être régulièrement mises au courant des politiques et des décisions adoptées au niveau européen, national et international. Il constitue également une importante source d’information pour les professionnels de la santé, les services administratifs, les responsables politiques et les parties prenantes ». Plus clair et plus simple que le site officiel de la DG Sanco, ce site grand public est bâti sur une structure thématique (alimentation, soins de longue durée, etc.) centrée sur les activités européennes. Il contient également des informations pratiques (notamment sous la forme d’un document vidéo) il explique aux patients, quels sont leurs droits et devoirs s’ils souhaitent ou doivent se faire soigner à l’étranger. Le but n’est pas seulement d’informer les citoyens sur la santé en tant que tel, sur leurs pratiques afin de faire de la prévention, mais c’est aussi de les informer sur ce que fait l’UE en matière de santé afin d’obtenir le soutien du grand public. Dans la page du portail santé qui annonce ses objectifs, on trouve ainsi les propos suivants : « en connaissant davantage les activités et les programmes de l’UE axés sur la santé, le grand public sera mieux à même de leur apporter sa contribution et son soutien » (source: http://ec.europa.eu/health-eu/about_fr.htm). Internet est donc central dans cette diffusion, l’EPHA en est un exemple avec le European public health update, distribué sous forme de newsletter aux membres et partenaires, et également disponibles au grand public via le site web de l’organisation (Cf http://www.epha.org/a/563).

L’information peut donc être une stratégie des groupes d’intérêts dans le but de montrer dans quel sens ils agissent. Cependant, elle est plus ou moins utilisée selon les groupes, et correspond plutôt à une stratégie de légitimation des politiques publiques notamment lorsqu’ils reprennent de façon privilégiée des informations qui émane de la Commission.

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3.2.3. Prise de position La prise de position directe relève d’une logique similaire : l’important pour exercer une certaine pression sur les pouvoirs publics est qu’il y ait un risque de médiatisation et de contestation populaire en cas d’opposition formulée par ces organes protecteurs de la santé. Dit autrement, l’important est que les adversaires institutionnels sachent que l’organisation communique en la matière et pensent que le citoyen est attentif et effectivement informé sur ce sujet.

Le web 2.0 permet pour cela un contact direct avec le public, « It creates a direct contact with people who can see what we do » nous dit Sascha, mais il n’est pas toujours facile d’établir ce contact, il mentionne en effet cette difficulté : «Sometimes you forget that you are also communicating with and on behalf of ordinary people, because you are so caught up in political discussions that require a specific vocabulary. It’s a specific kind of EU language ». Il souligne ici la contrainte liée au langage, au vocabulaire utilisé sur ce type de médias. En effet, il est difficile de savoir à qui l’on s’adresse exactement, qui lit les “position papers”, les articles Facebook, les tweets... ce n’est probablement pas le même public selon le type de média, et il faut tenter d’adapter le discours pour le rendre accessible sans le vulgariser.

Pour la prise de position, l’usage des réseaux sociaux est clairement mis en avant : « We can disseminate our position papers, our research. If we have something to share we can do it easily and people will follow for example on Twitter or Facebook or other social media that provide information immediately, which is quicker than going to a website and downloading a document ».

C’est dans cette optique que l’organisation utilise Facebook ou Twitter par exemple. La page Facebook consiste surtout en la publication de liens vers des articles (soit publiés directement sur le site EPHA, soit de la presse en général) agrémentés de commentaires qui donnent la position d’EPHA, ou qui relient l’article à d’autres événements afin d’influencer la position du lecteur. Il s’agit donc à la fois d’informer et de convaincre.

Par exemple, ils associent : « Smoking is a merciless adversary. It takes the lives of 700,000 people in the EU every year, far more than other major cause of death, like car accidents, drugs or murder » comme commentaire à l’article : « In the fight against Tobacco, Cancer & Heart Disease, the new Tobacco Directive »

Ou : « If we are to achieve better spending, not only constrain it, solidarity and equity should underpin structural reforms as a way to lay the foundations for a sustainable society » à propos de l’article “Getting it right – a sustainable road to recovery”.Les deux aspects sont donc mélangés : l’information et la prise de position, à la fois sur des domaines concernant strictement la santé et sur des questions plus politiques (position sur les directives européennes...). C’est par ces croisements que l’on comprend que ces organisations veulent agir à plusieurs niveaux dans les politiques de santé, autant au niveau de l’impulsion des politiques qu’au niveau de leur validation par les citoyens. L’enjeu est donc d’influencer le processus de prise de décision, comme le dit Sascha Marschang à propos d’EPHA « We try to influence the policy process at every stage (…) and bring together the different stakeholders of the public health community »

« One of the main objectives is to raise awareness among policy makers that there are many different social and economic determinants of health that can be influenced by people working on economic policy, social policy, etc ». Quand on lui demande

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quel type d’objectif EPHA entretient vis à vis du Parlement Européen, il répond « Apart from presenting our positions on the active files passing through Parliament, we also try to bring awareness on policies or issues for which there are no political processes yet, for example health inequalities » Il explique qu’il s’agit de créer des rapports, des prises de positions qui remontent au parlement pour le faire s’interroger sur certaines questions. Le succès de ces démarches va dépendre des opportunités, de la façon dont le rapporteur introduit les propositions etc...

On touche ici à un lobbying qui agit à plusieurs niveaux, mais surtout au niveau de la construction des problèmes comme enjeux de santé européens, la façon dont ils sont perçus par les individus (cf Shaw et McCombs). L’enjeu est donc d’influencer la mise à l’agenda de certaines questions, la façon dont ces questions vont être définies et les solutions qui vont être envisagées. Voilà pourquoi ce processus nécessite de communiquer avec l’ensemble des acteurs, au quotidien. Quel est l’impact de telles méthodes ? Impossible de le déterminer précisément : « It is quite hard to measure : you know how many people follow you on Twitter etc but it is not enough to reveal the impact ». Il est impossible de savoir combien d’individus sont réellement convaincus par la communication d’une organisation. Dans leur changement de perception, il y a une multitude de facteurs qui jouent un rôle (TV, discussions, histoire personnelle...), la diffusion d’information et de prise de position via le web n’en est qu’un élément.

3.3. Des collaborations/discussions entre tous les intérêts grâce au web 2.0 Gaëtan de Royer, consultant chez Communication & Institutions, affirme, à propos des lobbyistes : « Le débat public se joue autant dans les tribunes dans la presse, sur Internet ou à la télé que dans l’hémicycle. S’ils s’étaient contentés de constats dans les cabinets ministériels ou avec le rapporteur ça n’aurait pas eu les mêmes effets. »En effet, un autre des effets du web 2.0 est de créer un espace de confrontation et de débat. Le web permet la constitution de réseaux dans certains secteurs plus ou moins spécialisés et ainsi rassembler plus facilement les acteurs concernés. Il s’agit ici de montrer en quoi le web 2.0 facilite l’émergence d’un tel espace, qui se trouve au cœur de l’activité de lobbying.

3.3.1. Le « e-health stakeholder group » Les membres de ce groupe sont sélectionnés par la Commission pour trois ans, ils représentent les organisations européennes actives dans le domaine de l’e-santé. Cela comprend donc tous les types d’acteurs et d’organisations (patients, professionnels, organisations publiques, industriels...). Ils sont en charge du développement de la législation et des politiques dans le secteur de l’e-santé, et les domaines connexes. Sascha Marschang nous explique son origine : “ It was already similar before: two groups existed, representing industry and civil society, but they were split. But now they require a global vision and you can’t really separate them. In order for technologies to be user-friendly, you cannot delegate their design and implementation to industry, which could be in opposition to public health and EU objectives ’’. Il s’agit donc de ne pas laisser les industriels organiser ce grand changement, et forcer le compromis avec d’autres organisations, qui veillent au bien-être des individus.

Un des grands projets européens à l’heure actuelle dans le domaine de la santé est d’investir massivement le web. On ne développera pas ici tous les aspects de ce projet afin ne pas s’éloigner de la question du e-lobbying, mais on souligne tout de même que cet investissement de la toile par la santé contribue à modifier la pratique du

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lobbying dans ce secteur. En effet, cela signifie une présence de plus en plus forte des patients, et des citoyens en général, sur Internet pour les questions de santé. Cela renforce donc l’importance des stratégies de communication vues précédemment, sachant qu’il faut prendre en considération la « compétition » provoquée par les industriels, qui, comme on l’a vu en partie II, profitent de ce nouvel outil pour atteindre plus directement les patients. Mais ce qui nous intéresse surtout ici, c’est la mise en relation de tous ces acteurs à propos de la question de la santé sur le web. En effet, ces acteurs sont porteurs d’intérêts différents, et doivent sans cesse négocier. A qui profitera une telle réforme ? Aux patients (facilité d’accès aux soins renforcée) ? Aux professionnels (simplification des tâches, meilleure information sur les patients) ? Aux industriels (vente massive de matériel électronique pour gérer son e-santé, meilleures possibilités publicitaires...)?

Les enjeux d’un tel changement sont multiples et ont de nombreux impacts. On voit donc que face à un tel défi, l’UE adopte la stratégie mentionnée en début de partie : favoriser l’expression et la rencontre d’un pluralisme d’intérêts divergents, afin d’atteindre une sorte de compromis. Les organisations membres sont donc obligées de travailler ensemble, et appréhendent de façon directe l’importance de leur poids dans les négociations, non plus seulement envers les pouvoirs publics mais envers leurs pairs et leurs opposants. Cela crée un véritable réseau, comme le montre Sascha Marschang : « It creates a platform, it is an opportunity for EPHA, and it has a lot of benefits for patients, health professionals (…) We are discussing with many other institutions thanks to networking and social media: research institutes, universities, specific population groups…. We don’t always have to make the first step. »

Ils s’intéressent par exemple à l’agenda digital, au futur plan d’action sur e-santé, et tentent de mettre à jour ensemble les nouvelles modalités de ce projet e-santé. Par exemple Sascha Marschang nous confie : « In the area of eHealth, EPHA is very concerned about its potential effects on certain vulnerable groups (e.g. ethnic minorities, older people, the disabled); it has to be user-friendly and easy to understand so that everyone can benefit from it, otherwise it would be driven only by the economy and create new health inequalities ».

La défense des intérêts ici se fait au sein du groupe, les organisations publiques et les ONG, face aux industriels notamment, s’assurent que le projet prend en considération tous les membres de la société, et est bénéfique aux citoyens, dont EPHA représente, parmi d’autres, les éventuelles revendications.

Ils s’intéressent plus largement à l’impact du développement de la santé sur la toile:« Imagine you’re a normal person –and not an EPHA member or a Sciences Po student – without much education or contact with the health community. How will you interpret all the information you can find online? You need to see it in context with other information in order to take appropriate action… For example, If you read online that you could have a cancer, do you then go see a health professional or could this information trigger harmful behaviour? There can be misinformation which makes people scared, and this is another point we have to be aware of ». Il s’agit donc de gérer ce changement afin d’en éviter les effets pervers et d’y inclure tous les acteurs de la société.

Ils prennent aussi en compte l’effet de ces changements sur les professionnels de la santé, qui sont aussi fortement représentés (Comité permanent des médecins européens CPME, groupement pharmaceutique de l’Union Européenne GPUE …).

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Sascha Marschang partage ses interrogations à ce sujet : « We are concerned that technology could create additional work for health professionals because they will have to keep on doing what they are doing anyway (see patients, etc.) and some of this information will still be on paper while other parts will be electronic, and this could mean more work […] it might create new burdens but at the same time it also creates relief, thanks to e-prescriptions for example » Son argument principal est que l’informatisation et la mise en réseaux ne signifient pas forcément une diminution de la charge de travail, au contraire : « Look at what new technologies have done to the world of work in general: all is quicker but the line between work and private lives has been blurred… It creates new responsibilities ».

Ce groupe illustre donc bien de quelle façon les intérêts vont se rencontrer et se confronter grâce au web 2.0 et à la constitution de réels réseaux chargés de réfléchir ensemble sur une politique spécifique. Cela montre la façon dont les intérêts sont représentés dans ce type de configuration.

3.3.2. Vers une internationalisation de la santé ? Quel est le rôle du réseau de la santé en ligne? Le réseau e-santé a été créé en vertu de l’article 14 de la directive 2011/24 sur l’application des droits des patients aux soins de santé transfrontaliers. Le réseau réunit les autorités nationales chargées de la santé en ligne de tous les États membres sur la base du volontariat pour travailler sur des orientations communes en matière d’e-santé. L’objectif est d’assurer l’interopérabilité des systèmes électroniques de santé des pays de l’UE et d’assurer la sécurité et la continuité des soins de santé transfrontaliers. Le réseau a pour objectif de produire des directives de l’UE sur la santé en ligne, mais aussi d’établir une nouvelle base de données sur les patients pouvant être transférés au-delà des frontières, en déterminant notamment les modalités d’identification et les mesures d’authentification utilisées et l’interopérabilité des prescriptions électroniques. Compte tenu de la nature du réseau et de sa structure, le réseau e-santé joue un rôle stratégique dans la gouvernance de cette politique, et il sera consulté et complètement impliqué dans les activités du plan d’action e-santé.

Un programme transversal de surveillance de la santé a été mis en place (adopté en 1997), il visait à fournir aux États membres des informations en matière de santé pour qu’ils puissent effectuer des comparaisons et étayer leurs politiques nationales de santé. Il était structuré en trois volets. Le premier avait pour objectif d’établir des indicateurs communautaires de santé comparables en procédant à un examen critique des données des indicateurs de santé existants. Le deuxième volet avait trait à la mise en place d’un réseau communautaire de partage et de transfert des données et indicateurs de santé entre les États membres. Le troisième volet concernait quant à lui la production de rapports notamment sur l’état de santé des européens et les tendances des politiques de santé et des systèmes de santé nationaux.

Il s’agit non seulement d’établir des passerelles entre les pays afin de pouvoir gérer la santé au niveau européen, mais aussi d’aligner de nombreux autres éléments : les indicateurs de mesure, les outils de suivi santé etc... L’existence de ce socle commun est indispensable dans la représentation des intérêts, car il permet de faire des comparaisons, de partager des connaissances, éléments centraux que l’on a évoqués un peu plus haut.

Par exemple, en établissant des indicateurs communs sur la base des données existantes, le projet communautaire intitulé « Ressources humaines des systèmes de

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santé européens » a ainsi permis de rendre compte du nombre de professionnels dans le secteur des soins de santé. Il a notamment dévoilé que le nombre de médecins praticiens a régulièrement augmenté dans la plupart des États membres au cours des vingt dernières années et a révélé de grandes disparités entre les pays en ce qui concerne le nombre de médecins spécialistes, en particulier pour certaines spécialités comme l’oncologie, la chirurgie pédiatrique ou la médecine du travail. Des disparités ont également été mises à jour par le projet « unité européenne de surveillance des espérances de santé » qui a fonctionné sur un principe similaire de construction de comparabilité des données et d’harmonisation des méthodes de récolte et de calcul. Le projet « Indicateurs de santé dans les régions en Europe » a lui été dédié à établir des indicateurs permettant de mesurer l’état de santé dans les régions européennes et de les regrouper en fonction de différentes variables. Pour sa part, le projet intitulé « Monitoring expenditure and utilisation of pharmaceutical products in the European Union » a créé un réseau d’experts qui suit l’évolution de la disponibilité des médicaments en Europe et de leur prix sur la base d’indicateurs communs construits dans le cadre du projet. Le projet « Benchmarking health monitoring programmes » a lui mené en revue les systèmes régionaux de suivi et de gouvernance des politiques de santé afin de discerner des bonnes pratiques en termes de qualité et d’efficience et de favoriser des processus d’apprentissage entre les acteurs régionaux des politiques de santé.

C’est ce que met en avant Sascha Marschang à propos des médias sociaux : « They are a good way to point out differences between countries or to make constructive criticism, and it seems to work ».

Mais malgré cette internationalisation, il faut garder à l’esprit les différences culturelles entre pays : « The way civil society is organised is different from one country to another, and so is the terminology; for example, public health does not have the same meaning in France, UK or Germany. »

Fabrice Alexandre, directeur associé de Communication & Institutions, souligne qu’il y a tout un travail en amont, avant l’usage des réseaux sociaux qui ne peut pas être remplacé par eux. Il affirme : « Si vous voulez proposer des choses, si vous voulez obtenir des mesures favorables, il va falloir les expliquer, il va falloir les chiffrer, et ça, ce n’est pas par Twitter que vous allez le faire passer : il faut continuer à aller voir les gens. Donc oui, ça bouscule un peu, mais au fond, ça nous ramène aux fondamentaux aussi. »

En fait, ce qu’on montre ici, c’est que les médias sociaux permettent la mise en réseaux qui transforme l’activité de lobbying dans le domaine de la santé : en créant des espaces de discussion spécifiques et en permettant une internationalisation de la santé qui facilite la représentation des intérêts au niveau international, les comparaisons transfrontalières etc. De plus, il permet à tous les types d’intérêts d’acquérir une visibilité, une voix dans l’espace public et donc un poids dans les négociations (selon une volonté initiale de la Commission). Malgré cela, il faut garder à l’esprit que le web 2.0 demeure une étape de ce processus de représentation des intérêts, qui vient compléter, faciliter ou transformer, mais pas remplacer les pratiques existantes. De plus, il y a un revers de médaille à cette utilisation du web : au-delà des acteurs du monde de la santé, ce sont leurs adversaires directs qui à leur tour peuvent en bénéficier...

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I l est particulièrement intéressant de comprendre comment les lobbies défendant des intérêts qui s’opposent à ceux défendus par les lobbies de la santé utilisent le web 2.0 pour contrer l’influence de ces derniers. Les lobbies des industries du tabac et de l’alcool, principales cibles des lobbies de la santé, ont su exploiter les

ressources qu’offre Internet pour établir une stratégie de communication numérique très efficace et saisir toutes les opportunités de ce nouvel outil et parfois même pour contourner la loi. Il appartient dès lors aux lobbies de la santé de prendre en considération l’importance d’une stratégie web forte pour être en mesure de défendre les intérêts qu’ils représentent.

4.1. La fenêtre d’opportunité web Internet offre un nouveau vecteur à l’information et à la communication, ce vecteur ouvert et accessible à tous permet aux lobbies de la santé de partager ses positions de façon visible et publique pour leur donner davantage d’échos, mais Internet permet également aux lobbies, ayant des intérêts à défendre en totale inadéquation avec ceux de la santé, d’en faire autant. Ainsi la conflictualisation des débats d’intérêts se fait désormais publiquement sur le web et par le biais des outils du web 2.0 la rendant d’autant plus directe. L’instrumentalisation des outils mis à disposition par le web 2.0 permet aux adversaires des lobbies de la santé de s’en servir pour minimiser et décrédibiliser l’action de ces derniers. Les lobbies de la santé ont donc la nécessité d’utiliser aux mieux les outils à leur disposition pour contrer les lobbies qui s’élèvent contre eux.

4.1.1. Egalement utilisé par ses opposants, conflictualisation plus directe et publique

Internet offre la possibilité de publier et partager ses positions à travers les sites, les réseaux sociaux et les blogs et de rendre tout débat public et accessible à tous. Ainsi la possibilité de rendre la conflictualisation directe est accrue. Internet devient un véritable lieu d’échange et les intérêts divergents s’opposent ouvertement de manière plus ou moins dissimulée.

Les opposants des lobbies de la santé n’hésitent pas à publier sur leurs sites des attaques et contre-arguments destinés aux lobbies adverses. Ainsi le site Internet de Phillip Morris (pmi.com), bien qu’il mentionne les problèmes de santé causés par le tabac, insiste davantage sur sa volonté de réduire la nocivité du produit afin de limiter l’impact de l’argument des lobbies de la santé. Phillip Morris insiste également sur le bien-être qu’il produit et offre à ses employés et ses agriculteurs et son impératif de développement social et économique pour revaloriser son image. Mais le point qui montre comment Internet peut être utilisé pour contrecarrer les lobbies de la santé est l’encart parlant de la fiscalité abusive qui frappe l’industrie du tabac, voulue par les lobbies de la santé et qui favorise la contrefaçon qui porte préjudice à tous, en terme de recette et de qualité. Le but étant de décrédibiliser l’activité des lobbies de la santé, de faire naître un sentiment d’injustice et de reléguer au second plan les effets néfastes du tabagisme pour insister sur la portée contre-productive de l’action des lobbies de la santé. De son côté l’EPHA affiche, comme nous l’avons vu, des avertissements ciblés à l’égard du tabagisme, en en rappelant les effets.

La conflictualisation se retrouvant sur Internet prend des formes plus ou moins discrètes et loyales. Les possibilités qu’offre Internet sont utilisées par chacun des acteurs pour défendre ses intérêts publiquement, alors qu’autrefois ces discussions se retrouvaient encadrées au sein des institutions législatives et ne concernaient que

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4. LES CONTRE-ATTAQUES DES ADVERSAIRES DU LOBBY DE LA SANTÉ

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les experts. Les lobbyistes doivent donc s’adapter à la forme qu’Internet impose au débat. Il est nécessaire de concevoir une stratégie en ce sens pour éviter toute erreur de communication entrainant une possible flambée incontrôlable due à la rapidité de diffusion de l’information sur le web. L’effet «bad-buzz» étant dangereuse pour l’image et la crédibilité d’un lobby ou d’une entreprise. L’exemple, dans un tout autre registre mais facilement transposable, du naufrage d’Erika est évocateur : après le naufrage, les lobbies écologistes ont diffusé sur Internet l’absence de réaction sur le site de Total, voulant démontrer ainsi le manque de considération du pétrolier pour les questions environnementales, alors qu’il s’agissait simplement d’un manque de réactivité. C’était une erreur de communication et d’exploitation d’Internet, les lobbyistes du groupe Total avaient probablement déjà préparé des communiqués pour les débats qui auraient lieux à l’échelle institutionnelle à laquelle ils travaillaient initialement.

Il est donc important pour les lobbies de la santé d’exploiter au mieux les ressources d’Internet et les développer car leurs adversaires s’en servent également. Internet met le débat sur la scène publique et nécessite donc d’autant plus de précautions et d’attention dans les stratégies de communication.

4.1.2. L’instrumentalisation du web pour décrédibiliser l’action de ses opposants

Ainsi le web peut donc être un moyen efficace pour décrédibiliser l’action des opposants et offre de nombreux moyens d’y parvenir. Les lobbies qui s’opposent aux intérêts de ceux de la santé utilisent ces moyens de façon significative. Le trolling, déjà cité, est employé sur les réseaux sociaux quand des moyens d’expression sont libres d’accès. Les opposants aux lobbies de la santé, couverts d’anonymat, peuvent commenter les publications, les articles et les profils sociaux de ces derniers afin de les décrédibiliser et donner l’illusion de désapprobation massive de la part d’une opinion publique, finalement manipulée. Le trolling est le moyen le plus simple et direct que le web 2.0 offre, bien que sa finalité soit limitée.

Il existe des moyens plus efficaces à la disposition des lobbyistes. Nous avons vu avec le cas de l’IVG, la possibilité de «fausses entrées» où la recherche initiale conduit finalement sur un site défendant l’intérêt opposé. Ce procédé peut aller plus loin avec la technique dite du «site mirroir» où des sites très basiques et partisans (généralement une seule page) sont créés en vue de rediriger vers d’autres sites, noyer la recherche et ainsi de l’éloigner de son but initial. Ces sites servent d’appâts pour des sites plus importants et permettent de filtrer les recherches.

Il existe également le site « Cheval de Troie» en référence au mythe antique. Son but est de forcer l’intérêt d’un sujet en renvoyant d’un site très général à un site plus spécialisé. Ainsi un lobby alcoolier peut créer un site sur la sécurité routière et vanter la prévention faite par tel producteur d’alcool et renvoyer vers le site du producteur et ainsi de manière dissimulée faire la publicité d’une marque d’alcool. A l’inverse un lobby de santé peut concevoir un site sur le cancer de manière générale et s’auto-citer dans les mesures prises contre le tabagisme passif et renvoyer l’internaute à son propre site. Les sites « Cheval de Troie » permettent de tisser un véritable maillage de sites qui redirigent vers des sources présentées comme neutres ou expertes sur la question.

Il est également possible de créer des «dark sites», c’est à dire des sites finalisés à 90% et pas encore visible sur le web. L’intérêt de ces sites réside simplement dans l’anticipation, ils servent à répondre de manière très rapide, construite et aboutie

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4. LES CONTRE-ATTAQUES DES ADVERSAIRES DU LOBBY DE LA SANTÉ

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à une polémique qui est anticipée. L’exemple d’une entreprise fabriquant des biberons est particulièrement intéressant : elle s’inquiétait de la composition de ses tétines pour bébés et craignait la naissance d’une polémique de santé publique qui nuirait à son image. Elle décide donc de ne rien dire, de ne pas anticiper la polémique mais discrètement conçoit des « dark sites », anodins et positifs. A l’aide de sites « Cheval de Troie » et de sites amis elle conçoit également un maillage pour aiguiller les internautes. Quand la rumeur (avant la polémique) naît, toute la stratégie se met en place et les journalistes qui enquêtent sont dirigés de site ami en site ami sans le savoir et y trouvent un langage rassurant à chaque fois. La rumeur semble donc infondée et la polémique n’éclate donc pas, c’est un succès pour l’entreprise qui ne perd pas de parts de marché et ne subit aucune intervention des pouvoirs publics et des lobbies de la santé.

Les lobbies du tabac et de l’alcool, particulièrement visés par une législation sévère en terme de publicité, peuvent ainsi être enclins à utiliser ce genre de méthodes. Ces méthodes sont discrètes et il est difficile d’en établir les liens et les connivences.

4.2. Le web, un instrument permettant de contourner la loi Internet a également un inconvénient majeur mais qui pour certains est un avantage : sa difficile régulation. En effet Internet ne peut pas être simplement défini comme un média et tomber dans cette juridiction, son caractère relativement récent lui confère quelques lacunes en matière de législation permettant ainsi aux lobbies -notamment ceux du tabac et de l’alcool- de contourner la loi. Les lobbies de la santé doivent être particulièrement attentifs à ce phénomène pour l’encadrer. De plus, le web ne connait pas de frontières et les lois à propos d’Internet ne sont pas systématiquement les mêmes d’un pays à l’autre, ce qui permet là encore de contourner d’autant plus facilement les lois. L’absence de normes internationales à propos d’Internet permet donc de se servir d’Internet pour diffuser presque librement des intérêts que des lois nationales encadrent sévèrement, les lobbies de la santé font donc face à un problème de taille allant à l’encontre de leurs propres intérêts.

4.2.1. Brèche du droit: un média à part? Internet dans sa forme de média est véritablement un média à part et ne peut pas être soumis aux mêmes lois que les médias dits traditionnels comme la télévision ou la presse écrite. En effet si le tabac et l’alcool sont des produits dont la vente est réservée aux adultes, l’accès aux sites ne permet pas de filtrer les internautes mineurs. Le site de Heineken, par exemple, demande simplement à l’internaute avant l’accès à son site, si celui-ci est majeur en cliquant sur oui ou non, c’est un contrôle très limité donc. De son côté, le site de Phillip Morris International ne prend pas la peine de formuler ce genre d’avertissement, l’accès à son site est totalement libre et sans aucune mise en garde.

Les producteurs d’alcool utilisaient allégrement le web pour y faire la publicité de leurs produits grâce aux encarts de publicité sur les sites, à travers des spams, des pop-up et pop-under, profitant d’un vide juridique initial. Cependant la loi Evin (1991) relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, limite considérablement les possibilités de publicité pour ces produits dans les médias traditionnels, afin de protéger les mineurs d’opérations marketing et une interprétation de cette loi aurait pu être faite pour y inclure Internet. Cette interprétation a été faite en 2007 par l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa) qui assigna Heineken devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour publicité illégale. La Cour ne retient pas l’argument du producteur de bière, sous prétexte que la loi Evin ne mentionne

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4. LES CONTRE-ATTAQUES DES ADVERSAIRES DU LOBBY DE LA SANTÉ

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pas directement le web. Ce cas voulant faire jurisprudence, le juge Raingeard de La Blétière considère par interprétation littérale qu’Internet fait partie des médias non-autorisés à véhiculer des publicités d’alcool et souligne le rôle des parlementaires à qui revient la charge de moderniser les textes. Pourtant, deux ans auparavant le Parlement avait fait voter un texte de loi relatif à la sécurité du commerce numérique mais, selon le juge, «soumis à un lobbying intense des producteurs et commerçants de boissons alcooliques, n’a pas jugé opportun [...] de modifier l’énumération des supports publicitaires.».

Les lobbyistes de la santé ont une première victoire mais les lobbyistes de l’alcool répondent en insistant sur le fait que cette interdiction pénaliserait non pas les firmes de boissons alcooliques internationalisées mais les producteurs français. Du côté des acteurs de la santé publique on dénonce l’hypocrisie car il est établi qu’Internet est statistiquement le média préféré des jeunes et des mineurs. Aujourd’hui encore le débat se poursuit et l’autorisation de la publicité pour l’alcool sur Internet est légalisée dans la mesure où elle n’est ni «intrusive», ni «intempestive» à travers des spam, pop-up, pop-under... En outre, les lobbies de la santé ont réussi à faire valoir un contrôle dans la manière de concevoir la publicité d’alcool sur le web, et elle ne doit pas être de la propagande, ni même inciter à la consommation. Finalement les alcooliers ont la possibilité de simplement présenter leurs produits sur Internet.

Cette brèche du droit à l’égard d’Internet est visible particulièrement dans le cas de l’alcool en France car le lobby y est plus puissant que celui du tabac, et la loi Evin est plus évasive au sujet de l’alcool qu’au sujet du tabac pour lequel l’interdiction de la publicité est totale (à l’exception des Bureaux de Tabacs et sous conditions strictes). Les acteurs de la santé publique ont donc tout intérêt à être vigilants face à l’utilisation que leurs adversaires peuvent faire d’Internet.

4.2.2. Outil sans frontière, les limites du droit international Soulevée lors de la condamnation de Heineken, l’idée qu’un contrôle ou une interdiction de la publicité pour l’alcool et le tabac par le droit français correspond à une entrave exclusivement destinée aux producteurs et commerçants français sous son autorité est largement reprise par les lobbies défendant ces intérêts et apparaît recevable pour une partie des parlementaires français conscients de ne pas pouvoir contrôler les inégalités engendrées par le web. Ainsi, s’appuyant sur les élus des circonscriptions viticoles, la contre-attaque est lancée et appelle à l’égalité à l’échelle européenne et nationale. Les lobbyistes de l’alcool voudraient que la France accepte une telle mesure uniquement dans le cadre d’une convention européenne, voire internationale pour ne pas être pénalisante pour l’activité nationale.

En effet Internet est un outil qui n’est pas limité dans l’espace (du moins, que les démocraties se refusent à censurer dans l’absolu), les politiques nationales visant Internet sont donc extrêmement limitées et pénalisent uniquement les acteurs nationaux quand le monde entier utilise la même plateforme. L’absence de règlementation internationale d’Internet en fait une plateforme libre et en quelque sorte au-dessus du droit. L’émergence de mouvements pirates tels que les Anonymous ou le Parti Pirate prouve la volonté de permettre au web de conserver son indépendance et la liberté qui le caractérise.

Seule une convention européenne ou internationale à propos d’Internet pourrait avoir une application censée et efficace, en attendant les mesures nationales n’ont des effets que très limités car les mineurs français peuvent visiter des pages étrangères

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non soumises à la législation française. De même, un producteur français peut toujours utiliser des serveurs et acheter des adresses url depuis l’étranger, dans des zones réputées pour leur laxisme en la matière. L’exemple le plus symbolique est la République du Sealand, qui n’est rien d’autre qu’une ancienne plateforme off-shore minuscule qui s’est déclarée Etat et finalement reconnue par peu s’est transformée en zone de corruption. Ses activités principales sont la vente de titre diplomatique, le blanchiment d’argent, le trafic de produits contrôlés, et l’hébergement de site Internet. Lors des polémiques frappant des sites tels Wikileaks ou MegaUpload, la réalité d’un Internet libre plus puissant que les frontières et le droit national est devenue palpable et pose problème aux Etats-Unis, contraints de condamner les créateurs, faute de mieux.

Ainsi dans le cadre de la santé et de l’e-lobbying il est évident que les acteurs de la santé doivent prendre en compte ce phénomène pour s’armer face aux lobbies défendant des intérêts contraires aux leurs, et investissant Internet comme moyen pour parvenir à leurs fins. Une prise en compte globale du web leur est donc nécessaire pour pouvoir lutter à armes égales.

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Conclusion

O n a donc vu que le lobbying de la santé était fortement lié aux stratégies web 2.0. En effet, le développement de ce type d’outils a modifié en profondeur l’action des lobbies, par la possibilité qu’ils offrent en terme de communication, d’instantanéité, d’interactions et de proximité.

L’enjeu central est le rapport que cela crée avec l’opinion publique et les dirigeants.

Appliqué au domaine de la santé, cela se révèle particulièrement pertinent. Les industries pharmaceutiques tout d’abord, peuvent développer des stratégies proches du marketing, et établir un contact direct avec les individus, ce qui leur permet de s’affirmer dans l’espace public et de représenter leurs intérêts. D’autre part, le web crée un espace d’interactions des différents acteurs de la santé, qui à leur tour développent une réelle stratégie de communication, de diffusion d’informations, de prise de position et créent ainsi un espace de confrontation des intérêts grâce à la constitution de réseaux et à une internationalisation des enjeux de santé. Ceci est d’ailleurs parfois voulu par les pouvoirs publics, comme c’est le cas pour la Commission Européenne qui a encouragé la naissance de cet espace, et donc de l’usage du web 2.0.

Cependant, on souligne qu’il n’y pas que les acteurs de la santé qui investissent massivement ce nouvel espace, les lobbies de produits nocifs s’engouffrent dans la brèche ouverte par les nouvelles technologies et les médias sociaux. En effet ils vont pouvoir l’utiliser pour contourner la loi, décrédibiliser leurs adversaires, voire instrumentaliser les opportunités du net. Il faut toutefois nuancer la présence des groupes de pression de la santé sur le web. En effet, ils n’investissent pas tous de la même manière et avec la même intensité les outils du web 2.0, certains sont encore frileux. Conscients des opportunités offertes par Internet, ces lobbies demeurent parfois méfiants vis à vis des risques liés à l’utilisation du web. En fait, ce qui émerge de cette étude, c’est le décalage qu’il y a entre l’euphorie généralement associée au web 2.0 et les risques qui lui sont pourtant associés. On rejoint ici ce que nous disait Sascha Marschang lorsqu’il expliquait l’origine de son scepticisme vis à vis de ces outils : malgré leurs apports indéniables en terme d’échange, d’organisation, de rapidité de partage etc, ils demeurent trop nouveaux et trop incontrôlables pour s’y adonner sans limites. Le problème vient aussi du fait que chacun n’a pas encore trouvé comment exploiter ces outils au maximum, et que l’on se retrouve un peu face à une loi du plus fort, ou en tout cas du plus expérimenté, dans une sphère où le droit est quasiment absent.

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Bibliographie- BALME R., CHABANET D., WRIGHT V. (dir.), L’action collective en Europe, Paris :

Presses de Sciences Po. 2006

- BARDON Pierre et LIBAERT Thierry, Le lobbying, édition Dunod, Paris, 2012.

- CARRER Christelle, Mémoire de fin d’étude, Internet et la communication de crise.

- CLAMEN Michel, Le Lobbying et ses Secrets, édition Dunod, Paris, 2000.

- EUROHEALTH, Interview with Fernand Sauer, Eurohealth, vol.7, n° 2, p. 2-6. 2001.

- GUIGNER Sébastien, Thèse L’INSTITUTIONNALISATION D’UN ESPACE EUROPÉEN DE LA SANTÉ ENTRE INTÉGRATION ET EUROPÉANISATION, présentée devant L’UNIVERSITÉ DE RENNES I École doctorale « Droit, Science Politique et Philosophie »

- GOUVERNANCE EUROPÉENNE, UN LIVRE BLANC, COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, Bruxelles, le 25.7.2001, COM(2001) 428 final

- GROSSMANN E., SAURUGGER S., Les groupes d’intérêt. Action collective et stratégies de représentation, Paris : Armand Colin, 2006.

- LENGLET Roger, Lobbying et santé, éditions Pascal, coll. «TAPAGE», Paris, 2009.

- MASEY S., The development of EU equality policies: bureaucratic expansion on behalf of women ?, Public Administration, vol. 73, n° 4, p. 591-609, 1995.

- McCOMBS, MAXWELL E.; DONALD L. SHAW. «The Agenda-Setting Function of Mass Media». Public Opinion Quarterly, 1972.

- Entretien téléphonique avec Sascha Marshang, 15/02/2013

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BibliographieSITES WEB

http://www.quiestlemoinscher.com/sesoigner

http://www.facebook.com/PigeonsPharmaciens

http://ec.europa.eu/health/interest_groups/eu_health_forum/index_fr.htm

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http://www.leem.org/

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http://www.spintank.fr/servier-et-la-gestion-de-crise-du-mediator-en-ligne/

http://www.pmi.com/fra/tobacco_regulation/pages/tobacco_regulation.aspx

http://www.heineken.com/fr/AgeGateway.aspx

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Table des annexesANNEXE 1 : LES PRINCIPAUX EUROGROUPES DE LA SANTE –GUIGNER SEBASTIEN, THESE. .......................37

ANNEXE 2 : MISES EN GARDE DES SITES INTERNET HEINEKEN ET PHILIP MORRIS INTERNATIONAL. ....38

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ANNEXE 1 : LES PRINCIPAUX EUROGROUPES DE LA SANTÉ –GUIGNER SÉBASTIEN, THÈSE.

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ANNEXE 2 : MISES EN GARDE DES SITES INTERNET HEINEKEN ET PHILIP MORRIS INTERNATIONAL