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SI JE N’AI PAS L’AMOUR : LA CHARITÉ, JE NE SUIS RIEN 1 CORINTHIENS 13, 2B Identité, mission, vision et spiritualité de Caritas en Amérique latine et dans les Caraïbes Caracas, 13 juin 2013

SI JE N’AI PAS L’AMOUR : LA CHARITÉ, JE NE SUIS RIEN

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SI JE N’AI PASL’AMOUR : LA CHARITÉ,JE NE SUIS RIEN1 CORINTHIENS 13, 2B

Identité, mission, vision et spiritualité de Caritas en Amérique latine et dans les Caraïbes

Caracas, 13 juin 2013

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IDENTITÉ, MISSION, VISION ET SPIRITUALITÉ DE CARITAS EN AMÉRIQUE LATINE ET DANS LES CARAÏBES

Traduction de l’espagnol _ Sophie Cloutier

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AVANT-PROPOS ― 5

PRÉSENTATION ― 9

INTRODUCTION ― 11_

1. REGARD HISTORIQUE SUR LA CHARITÉ DANS LE MONDE ET DANS L’ÉGLISE

1.1. Dans le monde antique non chrétien ― 15

1.2. Dans quelques textes de l’Ancien Testament ― 15

1.3. Chez les prophètes d’Israël ― 16

1.4. Jésus, le Christ et son AMOUR: une CHARITÉ radicale ― 17

1.5. La charité dans l’histoire de l’Église ― 19

2. L’IDENTITÉ DE CARITAS

2.1. Le Dieu attentionné qui crée, libère, sauve et aime l’humanité ― 27

2.2. L’identité comme appel ― 28

2.3. La compassion comme fondement d’une Église samaritaine ― 28

2.4. Caritas en tant qu’organisation ecclésiale ― 31

2.5. Une organisation guidée par ses pasteurs ― 32

2.6. Le principe de la communion ― 32

2.7. Quelques traits de la spiritualité de Caritas enracinée en Jésus Christ ― 33

2.8. Une organisation sensible aux signes des temps ― 34

2.9. En contemplation des visages souffrants des pauvres ― 35

2.10. L’option préférentielle pour les pauvres ― 36

2.11. Vers des conditions de vie plus humaines ― 36

3. MISSION ET VISION DE CARITAS

3.1. La pastorale sociale Caritas ― 39

3.2. La vision de la pastorale sociale Caritas ― 41

4. LA SPIRITUALITÉ DE CARITAS

4.1. La spiritualité comme mode de vie ― 45

4.2. Les fondements de la Charité ― 46

4.3 La spiritualité des organisations et du personnel de Caritas ― 51

4.4 L’EUCHARISTIE: projet de SOLIDARITÉS, l’amour comme service et le service exercé avec amour ― 54

4.5. LE VOLONTARIAT COMPATISSANT ― 56_

CONCLUSION ― 61

PRIÈRE À NOTRE DAME DES AMÉRIQUES ― 61

NOTES ― 64

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AVANT-PROPOS

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La charité est la vertu la plus authentique et la plus haute à laquelle un chrétien, et je pourrais même aller jusqu’à dire tout être humain, puisse aspirer. Sa force et ses fondements reposent sur le fait que Dieu est amour (1 Jn 4, 8). Il ne faut cependant pas y voir une définition statique, mais plutôt une identité, une réalité vivante et présente. Cet amour/charité se manifeste dans l’Incarnation : par amour, Dieu envoie dans notre réalité humaine son fils unique, son fils bien-aimé, qui a toute sa faveur (Mt 3, 17).

Ce mystère fait jaillir l’espoir en chacun d’entre nous afin que nous puissions ressentir cet amour généreux et miséricordieux dans l’accomplissement de nos différentes tâches et dans toutes les circonstances de notre vie. Un amour qui conduit à la plénitude parce que Jésus a généreusement donné sa vie sur la croix et est ressuscité dans la gloire. Un amour qui ne nous abandonne pas à nous-mêmes mais qui, au contraire, nous donne le courage de poursuivre l’œuvre du Ressuscité. Un amour qui nous transforme en une communauté à l’image de la Trinité, parce que nous savons que notre Dieu lui-même est communion.

Au moment de coucher sur papier cette expérience de vie que nous avons intitulée Si je n’ai pas l’Amour : la Charité, je ne suis rien, l’Église nourrit de nombreuses attentes qui se traduisent par un ferme espoir. Au cours des dernières années, le ministère pétrinien a connu des changements avec l’élection d’un nouveau successeur de Saint-Pierre et évêque de Rome issu des ‘confins du monde’, c’est-à-dire de notre Amérique latine, imprégné des expériences pastorales que nous vivons dans cette région du monde et déterminé à bâtir une Église pauvre pour les pauvres. Deuxièmement, nous sommes engagés dans la mise en œuvre de ce que nous avons convenu en mai 2007, qui a été consigné dans un document rédigé par les évêques d’Amérique latine et des Caraïbes (document d’Aparecida), en particulier le chapitre 8 sur l’importance du service de la charité dans la construction du Royaume de Dieu. Il faut mentionner aussi les propositions formulées par le Pape Benoît XVI dans les encycliques Deus Caritas est et Caritas in Veritate, qui montrent toute la richesse de la charité enracinée dans la vérité de Dieu pour que tout homme ou femme puisse avoir la vie en abondance (Jn 10, 10). Enfin, nous recevons

maintenant l’exhortation apostolique Evangelii Gaudium du Pape François, dont le chapitre 4 est consacré à la dimension sociale de l’évangélisation, mais qui est remplie toute entière d’éléments que nous devons utiliser pour parfaire notre service de la charité en vivant une conversion profonde au plan personnel et pastoral.

Nous avons rédigé le présent document parce que nous avions besoin d’éléments communs pour orienter notre travail vers la poursuite d’un même objectif dans les différents pays de notre région : [reconnaître] le Christ dans les pauvres et les pauvres dans le Christ. Nous l’avons écrit aussi pour alimenter la communion ecclésiale dans nos Caritas, afin qu’elles accomplissent leur mission d’évangéliser au plan social en aidant des personnes et des collectivités entières à passer de conditions de vie moins humaines à des conditions de vie plus humaines (Populorum Progressio 20), et de renforcer l’identité propre de chaque personne, en particulier celle des pauvres, en tant que sujet.

Pour savoir où nous allons, il faut savoir d’où nous venons. La connaissance de l’histoire de Caritas et la conscience que de nombreux frères et sœurs avant nous ont cheminé en étant convaincus qu’« une foi authentique – qui n’est jamais confortable et individualiste – implique toujours un profond désir de changer le monde, de transmettre des valeurs, de laisser quelque chose de meilleur après notre passage sur la terre » (Evangelii Gaudium 183), nous permettront d’avoir une idée plus claire du service qui est le nôtre. De cette histoire, nous avons voulu garder la mémoire pour que les nouvelles générations de serviteurs de la charité sachent qu’elles n’ont jamais cessé d’en faire partie : cette histoire est inscrite dans les mains, les pieds, les voix, les cœurs et la sagesse de tous les hommes et de toutes les femmes qui ont appris à aimer Dieu en se mettant au service des plus pauvres.

Nous savons bien qu’il ne suffit pas de connaître l’histoire ; il faut aller plus loin. Nous devons la construire et nous l’approprier à partir de nos expériences de vie et de service, qui font partie de notre identité car elles contribuent à faire de nous ce que nous sommes et qui, au niveau institutionnel,

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AVANT-PROPOS

nous définissent en tant qu’organisations membres de Caritas, ayant chacune ses caractéristiques propres. Parler d’identité revient à parler de ce qui est, de l’essence même de ce qui se manifeste dans une existence qui possède les caractéristiques nécessaires pour nous permettre devenir ce que nous sommes, mais aussi dans la projection de ce que nous devons être dans le futur. Nous sommes l’Église, le mystère, le peuple de Dieu qui communie au sein d’une structure formelle nécessaire pour que nous puissions œuvrer dans le monde, dans la conjoncture, mais néanmoins nous sommes Église, mystère et peuple constamment alimentés par le fondement et la source de toute notre action, c’est-à-dire l’amour. Il n’y a aucune raison valide pour que nos Caritas cessent de témoigner de cet amour transformateur, puisque « personne ne peut exiger de nous que nous reléguions la religion dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et nationale, sans nous préoccuper de la santé des institutions de la société civile, sans nous exprimer sur les événements qui intéressent les citoyens » (Evangelii Gaudium 183).

À partir de cette identité qui nous est propre, nous pouvons accomplir notre mission au service de la charité envers les plus pauvres : « nourrir les processus de transformation de la réalité de nos peuples d’Amérique latine et des Caraïbes », mission que nous accomplissons en cheminant, en réfléchissant, en partageant, en travaillant et en priant. Ou alors, comme nous l’indique le Pape François, « poser des choix, s’engager, accompagner, fructifier et fêter », en nous basant sur le critère de « l’attention à l’autre qu’on considère comme un autre soi », et qui nous amène à valoriser le pauvre « dans sa bonté propre, avec sa manière d’être, avec sa culture, avec sa façon de vivre la foi » (Evangelii Gaudium 199). Ainsi, nous pouvons nous projeter dans l’avenir en renforçant nos Caritas grâce à cette nouvelle approche qui nous est proposée aujourd’hui : « Je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. En plus de participer au sensus fidei, par leurs propres souffrances ils connaissent le Christ souffrant. Il est nécessaire que nous tous nous laissions évangéliser par eux. […] Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à

être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux » (Evangelii Gaudium 198). Nos Caritas d’Amérique latine et des Caraïbes vivent pour les autres, mais elles vivent avant tout auprès des pauvres, en partageant leurs souffrances et leurs espoirs. Tous les jours, les réalités dans lesquelles nous travaillons nous offrent de grandes leçons : la solidarité, la participation, le partenariat, le partage, l’humanité.

Tous ces éléments se recoupent et, en même temps, s’insèrent dans un processus qui alimente notre service : la spiritualité. En nous laissant guider par l’esprit du Christ ressuscité, nous pourrons parvenir à nos fins ou donner une nouvelle direction au chemin que nous avons parcouru jusqu’ici. Lorsqu’on s’en remet à l’esprit de Dieu, on ne manque jamais d’énergie. Son œuvre, nous la partageons avec simplicité, tout en étant conscients de nos limites ; mais aussi, nous la partageons à partir de la transcendance même à laquelle nous sommes capables d’accéder en Dieu.

La vie spirituelle ne nous détourne pas de la réalité ; au contraire, elle nous plonge et nous situe dans la réalité humaine et sociale, et nous fait connaître de plus près les vicissitudes de l’être humain, ainsi que les demandes de notre Seigneur, en sachant qu’Il « veut que nous touchions la misère humaine, la chair souffrante des autres. Il attend que nous renoncions à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du cœur des drames humains, afin d’accepter vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse. Quand nous le faisons, notre vie devient toujours merveilleuse et nous vivons l’expérience intense d’être un peuple, l’expérience d’appartenir à un peuple » (Evangelii Gaudium 270).

La Caritas de la région Amérique latine et Caraïbes offre ce document à toutes les Caritas nationales, diocésaines et paroissiales afin que celle-ci puissent suivre le chemin que nous inspire l’esprit du Christ ressuscité. Nous devons rappeler ici que nous continuons à travailler avec audace, car les temps sont difficiles et les injustices monnaie courante.

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Nous ne devons jamais nous décourager ni ignorer les problèmes et les difficultés qui surgissent ; nous avons choisi le service à la charité, et nous savons que notre route est parsemée de pièges et d’embûches, mais nous sommes nourris par la force du Christ ressuscité et par son amour pour l’humanité, et pour les pauvres en particulier.

MGR JOSÉ LUIS AZUAJE AYALA

ÉVÊQUE DE BARINAS

PRÉSIDENT DE CARITAS AMÉRIQUE LATINE ET CARAÏBES

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PRÉSENTATION

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« La Charité est la caresse que l’Église prodigue à son peuple. La caresse de la mère Église à ses enfants, la tendresse, la proximité… La Charité est directe, elle représente l’amour de notre mère Église qui se rapproche, qui caresse, qui aime. Dans ce sens, je me permets de vous dire que vous êtes les témoins, les premiers et réunis en organisation, de l’amour de l’Église1 », disait le Pape François au personnel de Caritas Internationalis.

Nous qui participons à la mission continentale de Caritas en Amérique latine et dans les Caraïbes, à la suite de ces mots que Jésus lui-même nous a adressés dans l’évangile de Matthieu : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40), savons que nos actions pour aider nos frères et sœurs font partie intégrante de notre mission. Elles s’inscrivent dans ce nouveau courant d’évangélisation auquel le Pape Paul VI, dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi (1975), nous invitait déjà à nous joindre avec une ardeur nouvelle, de nouvelles méthodes, un nouvel élan, ouvrant ainsi la voie à des temps nouveaux d’évangélisation2.

Pour nous - comme l’affirme le magistère de l’Église -, cette mission consiste à annoncer le salut de Dieu « qui est libération de tout ce qui opprime l’homme3 ». Nous voulons, en Amérique latine et dans les Caraïbes, accorder une importance primordiale à ce défi que Jésus nous lance, en nous rappelant que tout appui solidaire ou attitude d’indifférence envers nos frères et sœurs concerne Dieu lui-même, le touche directement.

Dans l’homélie qu’il avait prononcée en 1979, à Puebla, le Bienheureux Jean-Paul II, avait souligné que pour leur propre bien, les familles latino-américaines devraient posséder ces trois dimensions : « être éducatrices de la foi, formatrices de personnes, promotrices de développement4 ». Ainsi, à l’école de l’enseignement des pontifes, nous rappelons aussi que le Pape Benoît XVI a affirmé dans son discours inaugural de la Cinquième conférence générale de l’Épiscopat latino-américain et des Caraïbes : « Nous voulons continuer à stimuler l’action évangélisatrice de l’Église, appelée à faire de tous ses membres des

disciples et des missionnaires du Christ - le chemin, la vérité et la vie – pour que tous nos peuples reçoivent Sa vie ». Nous voulons associer ce travail d’évangélisation à un travail de promotion humaine incontournable que nous avons appris à faire dans notre continent grâce à la pastorale sociale Caritas : « Projetées dans la lumière du Christ, la souffrance, l’injustice et la croix nous mettent au défi de vivre comme une Église samaritaine, en nous souvenant que l’évangélisation a toujours avancé de concert avec la promotion humaine et l’authentique libération chrétienne5 ».

Afin d’approfondir, à partir de la perspective propre à cette portion particulière du Peuple de Dieu qui vit en Amérique latine et dans les Caraïbes, les aspects qui caractérisent le mieux l’action caritative de l’Église, nous allons présenter une réflexion sur l’identité, la mission, la vision et la spiritualité de Caritas, en accord avec les Statuts et le règlement interne de Caritas Internationalis, approuvés le 2 mai 2012, et avec le message que le Pape François a livré aux membres de son Comité exécutif. Dans ce message, il leur dit que « Caritas est une institution essentielle pour l’Église, parce que sans la charité, l’Église ne saurait exister. Caritas est l’institution qui incarne l’amour de l’Église, et à travers Caritas, l’Église devient une institution6 ».

Le cardinal Oscar Andrés Rodríguez Maradiaga, président de Caritas Internationalis, ainsi que Michel Roy, son secrétaire général, se réjouissent du fait que les récents Statuts consolident les structures de la fédération et renforcent la cohérence de ses actions et de ses projets avec le magistère de l’Église catholique et avec le Saint-Siège7. Le Conseil Pontifical Cor Unum (pour la charité dans le monde) a par ailleurs la responsabilité d’accompagner ces actions8.

Ces derniers temps, certaines de nos Caritas nationales ont dû faire face à des situations difficiles, en particulier lorsque certaines Caritas diocésaines ou paroissiales ou leurs dirigeants immédiats se sont éloignés de la fédération, de leur évêque, de leur paroisse et de la communauté chrétienne, délaissant les principes évangéliques et ecclésiaux qui guident notre travail. Cette situation a soulevé des interrogations concernant l’éthique qui sous-

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PRÉSENTATION

tend certaines actions réalisées par des organisations membres de Caritas. Cela nous a amenés à prendre conscience de la nécessité de nous doter d’un outil ou d’un instrument pastoral qui, assorti de critères clairs, nous aide à discerner le chemin à suivre, dans toutes ces situations et dans le travail de pastorale sociale que nous accomplissons quotidiennement.

Voilà pourquoi nous entrevoyons maintenant dans ces nouveaux Statuts et dans le processus que notre fédération internationale a mis en branle depuis que le Bienheureux Jean-Paul II, le 16 septembre 2004, lui a accordé une personnalité juridique publique, une occasion privilégiée de renouveler notre travail afin que nos Caritas puissent être encore plus fidèles aux principes qui ont présidé à leur fondation.

Au-delà des différentes manières dont l’Église conçoit et organise son action sociale dans les différents pays du monde, nous estimons que Caritas ne peut demeurer les bras croisés lorsque la vie, l’intégrité des personnes et des peuples sont menacées, que ce soit à cause de situations injustes ou de catastrophes naturelles. Dans son encyclique Caritas in Veritate, le Saint-Père Benoît XVI nous rappelait cet engagement qui imprègne tout notre travail pour améliorer les conditions de vie des plus pauvres : « la justice est la première voie de la charité ou, comme le disait Paul VI, son seuil minimal9 ». C’est pourquoi lorsque la personne humaine et sa maison commune sont menacées par une quelconque injustice, Caritas est appelée à rester fidèle avec courage à sa mission qui lui demande, avant tout autre geste, de veiller à ce que cette exigence minimale soit respectée.

Nous avons donc élaboré ce document, intitulé Si je n’ai pas l’AMOUR : la Charité, je ne suis rien (1 Co 13, 2b). Nous le présentons avec la ferme conviction que si nous proclamons l’Évangile en Amérique latine et dans les Caraïbes sans porter à chaque personne un amour véritable et concret ; un amour inconditionnel qui nous conduit à vouloir favoriser, avec elle, sa promotion humaine ; un amour qui rejoint en particulier les hommes et les femmes les plus démunis de nos peuples, nous perdrons alors le sens le plus profond du message de Jésus Christ notre Seigneur.

Dans notre région du monde, la tradition accorde toujours une place très importante dans le cœur des fidèles à la mère de Jésus Christ, nommée tantôt Mère de Dieu, tantôt Notre mère. Dans le message de Notre Dame de la Guadeloupe, elle adresse ces mots très particuliers à l’un de nos frères les plus petits, un autochtone : « Écoute le plus petit de mes fils, sois certain que sont nombreux mes serviteurs, mes messagers à qui j’ai demandé de transmettre mes encouragements, ma parole pour que ma volonté soit accomplie ; mais il est très nécessaire que toi tu fasses la même chose, que tu pries, afin que grâce à ton intercession puisse se concrétiser ce que je désire10 ».

Nous qui, aujourd’hui, sommes la pastorale sociale Caritas et en accomplissons la mission (directeurs, bénévoles, salariés, collaborateurs) nous mettons humblement à la place de San Juan Diego. Nous ne sommes peut-être pas des personnes très importantes, mais notre participation est très nécessaire dans cette réflexion sur les principes et les fondements du travail caritatif en Amérique latine et dans les Caraïbe, et dans leur mise en œuvre avec une vigueur constamment renouvelée. Que Notre Très Sainte Mère nous couvre de son manteau dans l’accomplissement de cette noble mission. Et qu’elle nous accompagne aussi lors de notre travail de réflexion, d’analyse et d’appropriation de ce document. Nous aimerions que ce dernier puisse aussi nous donner le sentiment de partager une identité commune. Dans ce but, afin de nous préparer au congrès qui se tiendra en Colombie, nous élaborerons et nous proposerons un GUIDE POUR TRAVAILLER ET PARTAGER tout au long de l’année prochaine. Ce guide contiendra des questions, des initiatives, des activités, des propositions que nous pourrons nous approprier pour améliorer le contenu et la forme de ce document. BON TRAVAIL !

CARACAS, VÉNÉZUELA 13 JUIN 2013

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INTRODUCTION

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« Si je n’ai pas l’AMOUR : la Charité, je ne suis rien » (1 Co 13, 2b). Entre l’an 54 et 57, la tradition paulinienne nous a légué un merveilleux texte écrit aux fidèles de Corinthe en prévision de la Pâque, dans lequel Saint Paul leur explique que même s’ils étaient très cultivés, ou s’ils avaient reçu des dons divers et importants, ou s’ils étaient même allés jusqu’à donner leurs biens aux pauvres ou à supporter des souffrances par fidélité à l’Évangile, si leur venait à manquer l’amour: la charité, tout cela ne leur apporterait rien du tout. C’est pourquoi il leur dit : « Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ».

La charité, comme nous l’enseigne Saint Paul, est au cœur de la vie chrétienne. Parce que nous vivons actuellement un changement d’époque11, comme on le dit souvent, il est urgent de relancer la dynamique de fraternité et de communion de notre Église latino-américaine et caribéenne, et cela partout où nous vivons et où nous accomplissons notre travail apostolique et pastoral. Cet amour : charité qui « ne cherche pas son intérêt …, [qui] ne se réjouit pas de l’injustice et qui trouve sa joie dans la vérité, [qui] excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout… » (v. 5-7), sera comme un phare, un point de repère fondamental et solide qui nous oriente devant la rapidité et l’ampleur de tous ces changements et situations qui passent, pour la simple raison que « la charité ne passe jamais ». (v. 8)

Mues par cet amour : charité, nos églises respectives ont identifié des thèmes et des espaces de travail spécifiques et des modes d’organisation qui nous sont propres et qui – on pourrait dire - correspondent à des choix concrets que nous avons faits en fonction des réalités et de la situation de nos peuples. Ces thèmes et ces espaces sont énumérés ici-bas et ils se concrétisent dans le travail en faveur de :

1 ― La dignité de chaque personne humaine, de ses droits et de la paix

2 ― Le respect de la création et l’aide humanitaire dans les situations d’urgence ; la gestion des risques et la coopération humanitaire dans les situations d’urgence

3 ― Le développement humain intégral et solidaire

4 ― L’équité entre les hommes et les femmes

5 ― Une organisation bien ancrée dans la charité qui sait comment annoncer la bonne nouvelle de notre Seigneur Jésus Christ dans le monde. C’est pourquoi la communication, la formation et le plaidoyer sont des composantes essentielles

Tels sont les cinq grands axes de travail qui ont été adoptés lors de la réunion de la coordination régionale des Caritas de l’Amérique latine et des Caraïbes, tenue à Cartagena, en Colombie, du 28 novembre au 2 décembre 2011.

En tant qu’Église pèlerine en Amérique latine et dans les Caraïbes, nous voulons rappeler avec toute leur force ces paroles du Saint Père Benoît XVI dans sa première lettre encyclique :

« La nature profonde de l’Église s’exprime dans une triple activité : annonce de la Parole de Dieu (kerygma-martyria), célébration des Sacrements (leitourgia), service de la charité (diakonia).

Ce sont trois dimensions qui se renvoient l’une à l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer12 ».

Ces dernières paroles ont été reprises par le Pape Benoît XVI comme titre de son Motu Proprio sur le service de la charité Intima Ecclesiae Natura, publié à la toute fin de son pontificat13. Dans ce document, il rappelle aux évêques leur responsabilité directe de mettre en œuvre la charité dans leurs diocèses et leur demande de « doter d’un cadre juridique organique les différentes formes ecclésiales organisées du service de la charité, cadre approprié pour en organiser les grandes lignes ».

Du même souffle, il a reconnu le rôle important de Caritas dans l’Église et dans le monde. « Plus précisément, l’activité de la Caritas, institution promue par la hiérarchie ecclésiastique, s’est développée au niveau paroissial, diocésain, national

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et international. Elle a mérité très justement l’appréciation et la confiance des fidèles et de tant d’autres personnes dans le monde entier, tant pour son témoignage de foi généreux et cohérent que pour sa réponse concrète aux demandes de ceux qui sont dans le besoin ». De plus, il a demandé que ces œuvres, cet amour qui se traduit par des engagements concrets, se nourrissent sans cesse « de la rencontre avec le Christ14 ». C’est pourquoi nous, tous les disciples-missionnaires d’Amérique latine et des Caraïbes, sommes pleinement conscients du fait que l’exercice de la charité ainsi que l’engagement qui en découle dans notre continent ne sont pas des tâches qu’on pourrait déléguer aux organisations non gouvernementales, aux associations de la société civile ou à de nombreux laïcs dédiés au travail social, même si nous ne doutons pas un seul instant que leur travail respectif est très utile. Nous comprenons que l’exercice de la charité est inhérent à la nature même de l’Église, il est l’expression inaliénable de sa propre essence et la principale responsabilité d’animation pastorale des évêques.

De plus, nous avons compris que notre tâche de disciples-missionnaires exige également une démarche incessante de formation, à partir de la mise en commun de notre vie et de nos expériences.

« La vocation et l’engagement des disciples et missionnaires de Jésus-Christ en Amérique latine et dans les Caraïbes nécessitent aujourd’hui d’une claire et ferme option pour la formation des membres de nos communautés, pour le bien de tous les baptisés, quelle que soit la fonction qu’ils accomplissent dans l’Église. Nous en avons l’exemple en Jésus, le Maître, qui a formé personnellement ses apôtres et ses disciples. Le Christ nous donne sa méthode : venez et voyez (Jn 1, 39), Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14, 6). Avec Lui, nous pouvons développer les potentialités de chaque personne et former des disciples missionnaires. Avec une patience persévérante et avec sagesse, Jésus a invité tous les hommes à le suivre. Ceux qui ont accepté de le suivre, il les a fait entrer dans le mystère du Règne de Dieu, et, après sa mort et sa résurrection, il les a envoyés annoncer la Bonne Nouvelle, avec la force de son Esprit. Sa façon de faire devient emblématique pour les formateurs et prend une importance spéciale

quand nous pensons à la patiente tâche de formation que l’Église doit entreprendre, dans le nouveau contexte socioculturel d’Amérique latine15 ».

Le partage de l’histoire, des priorités et des défis communs à notre action caritative dans le continent sud-américain a amené la pastorale sociale Caritas de cette région du monde à réfléchir sur son identité, sur sa mission, sur sa vision et sur sa spiritualité d’un point de vue historique. Nous avons donc décidé de revenir sur l’origine même de l’action caritative pour redécouvrir les principes et les raisons fondamentales qui ont amené l’Église à assumer cette responsabilité et à la concevoir, dès le commencement, comme étant indissociable de l’annonce de la Bonne Nouvelle que Jésus-Christ a apportée au monde. Le fait de s’abreuver ainsi à l’histoire de l’Église, en étant constamment guidés par l’Esprit du Ressuscité, « est nécessaire afin que les chrétiens puissent se rendre compte que le Christ n’est pas un personnage du passé, mais qu’il est Vivant, présent dans le quotidien de leurs vies. Jésus est le Vivant qui marche à nos côtés, qui nous fait découvrir la signification des évènements de la vie, de la souffrance et de la mort, de la joie et de la fête ; qui entre chez nous et y demeure, qui nous nourrit du Pain de la vie16 ». Nous replongeons donc dans notre histoire afin d’en tirer des leçons et d’y puiser des idées nouvelles qui éclaireront le chemin que nos communautés parcourent aujourd’hui, « pour qu’étant déjà le continent de l’Espoir, nous devenions aussi le continent de l’Amour17 ».

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1.1. DANS LE MONDE ANTIQUE

NON CHRÉTIEN

Il est très important et encou- rageant de reconnaître que la charité, la recherche de la justice et le souci des autres ne sont pas valorisés seulement dans le monde judéo-chrétien. Dans d’autres traditions religieuses, comme le bouddhisme, on croit aussi que l’âme doive pratiquer la charité, le bien, l’amour et d’autres vertus, s’éloignant en cela des coutumes (hindouisme) qui divisaient la société en castes et qui allaient jusqu’à différentier les personnes entre elles par la couleur de leur peau18.

Dans le confucianisme, on demande de respecter les tradi-tions des anciens, de pratiquer le culte des morts, de préserver les liens familiaux et de pratiquer la charité19.

Dans la culture de l’Égypte ancienne, on pensait qu’au terme de la vie, le cœur du mort devait déclarer ses actions de son vivant, et qu’il fallait les peser sur une balance contre la vérité et la justice20.

Dans la culture ougaritique on trouve des préoccupations semblables à celles qui seront propres à la tradition juive. Voici un exemple qui montre qu’on condamnait certaines pratiques :

« Tu n’as pas défendu la cause de la veuve, ni jugé le cas de l’opprimé, ni démasqué ceux qui ont volé le pauvre. Pendant ta vie, tu n’as pas donné à manger à l’orphelin, et tu as tourné le dos à la veuve21 ».

L’empire hittite cherchait à en-courager la population à prendre soin des plus faibles, comme en témoignent ces lignes : « Tu es le père et la mère (…) des opprimés et des humbles ; toi, Telepino, tu dois avoir à cœur la cause des humbles, des opprimés22 » (Ancient Near Eastern Texts 397a).

De leur côté, en Grèce classique et à Rome, des figures telles que Sénèque et les stoïciens veillaient au respect de la dignité des personnes, même celle des esclaves, soutenant que ce qui comptait était leur bonté, car même un esclave pouvait être juste, courageux et magnanime, et qu’il ne fallait pas se mettre en colère contre eux. Quant à Cicéron, il a fait la promotion de la justice : « Nous devons nous comporter de façon juste, y compris avec les personnes des classes les plus inférieures de la société » (De Officiis 1, 13), en la rattachant à l’idée qu’il ne faut faire de mal à personne, sauf en cas de légitime défense (De Officiis 1, 19. 62). Ou alors Ulpiano lui-

même, qui invitait la population à « vivre dans l’honnêteté, à ne blesser personne et à donner à chacun ce qui lui revient », conformément aux principes du droit (Digesto 1, 10).

Bien qu’elles se dissocient de la manière dont l’esclavage était généralement considéré à l’époque, ces positions sont cependant loin du commandement chrétien qui ne consiste pas seulement à ne pas violer les droits des autres en portant atteinte à leur personne ou à leurs biens, mais à consacrer sa vie au service aux autres, y compris aux ennemis et à ceux qui nous font du mal : « Mais je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous insultent » (Lc 6, 27-35).

1.2. DANS QUELQUES TEXTES

DE L’ANCIEN TESTAMENT

Selon le récit de la Genèse, élaboré dans un langage à la fois mythique et symbolique, Dieu réprouve les injustices envers nos frères et ce, dès les origines de l’humanité. À Caïn, qui a tué son frère Abel, il demande intentionnellement et d’un ton accusateur : « Où est Abel, ton frère ? ». Dieu cherche alors à faire prendre conscience à Caïn, et par extension à

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tous les êtres humains, de sa responsabilité vis-à-vis de ses semblables et, le cas échéant, de la faute qui consiste à leur faire subir quelque forme de souffrance, de mauvais traitements ou d’injustice que ce soit. Mais, par-dessus tout, ce récit veut enseigner au peuple de Dieu que l’égoïsme et l’envie, et tout péché envers nos frères, sont la cause des grands maux et échecs de l’histoire des peuples et de l’humanité. Mais cela va encore plus loin : « Ce récit nous transmet un message beaucoup plus profond et vrai : il retrace l’origine de l’égoïsme exercé au niveau collectif ; autrement dit : il montre le caractère maudit, l’origine maudite des groupes de pouvoir qui ont fait tant de mal, et continuent à en faire, à l’humanité23 ».

Dans le livre de l’Exode (3, 7-8), c’est Dieu lui-même qui s’émeut et ne tolère pas l’injustice faite à son peuple. Et il dit à Moïse : « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais ses angoisses. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste ». Il choisit alors Moïse et l’envoie libérer son peuple. Et devant l’ampleur de la mission qu’il lui a confiée, il lui promet d’être

avec lui et d’accomplir des signes merveilleux pour que le Pharaon les laisse sortir d’Égypte et aller offrir des sacrifices dans le désert. Et il promet l’appartenance mutuelle, le progrès et le bien-être à Israël ainsi qu’une terre qui ruisselle de lait et de miel.

Plus tard, Jésus se référera à un précepte mentionné dans le livre du Lévitique, lorsqu’on l’interrogera sur le plus important des commandements : « Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis Yahvé » (Lv 19, 18).

Avant que n’apparaisse la nouveauté de consacrer sa vie à ses frères, qui nous demande d’aimer aussi ceux qui nous font du mal, nous constatons dans le Deutéronome l’apparition du besoin de s’intéresser aux plus faibles, car Dieu Tout-Puissant lui-même s’en préoccupe : « Car Yahvé votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des seigneurs, le Dieu grand, vaillant et redoutable, qui ne fait pas acception de personnes et ne reçoit pas de présents. C’est lui qui fait justice à l’orphelin et à la veuve, et il aime l’étranger, auquel il donne pain et vêtement » (Dt 10, 17-18).

Ce concept apparaît aussi dans les Livres sapientaux : « Père des orphelins, protecteur des veuves, c’est Dieu dans son lieu de sainteté ; à ceux qui sont seuls Dieu donne la chaleur d’une maison, aux prisonniers Il ouvre la porte du bonheur, mais les rebelles demeurent sur un sol brûlant » (Ps 68, 6-7).

1.3. CHEZ LES PROPHÈTES

D’ISRAËL

Les prophètes ont reçu la mission difficile de dénoncer, au nom de Dieu, toute forme d’injustice commise envers ses frères, en particulier envers les personnes pauvres et sans défense. Chacun d’entre eux a connu des situations et des contextes différents. Nous ne les mentionnerons pas tous ici, mais seulement les plus pertinents pour le thème qui nous intéresse.Amos a dénoncé les commerçants malhonnêtes et la corruption : « Car je sais combien nombreux sont vos crimes, énormes vos péchés, oppresseurs du juste, extorqueurs de rançons vous qui, à la Porte, déboutez les pauvres » (5, 12). Et en même temps, il explique comment seront punis ceux qui ont perpétré de tels crimes : « Écoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre et voudriez faire disparaître les humbles du pays, vous qui dites : ‘quand donc sera passée la fête de la nouvelle lune,

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pour que nous vendions du blé, et le sabbat, que nous écoulions le froment? Nous diminuerons la mesure, nous augmenterons les poids, nous fausserons les balances pour tricher. Nous achèterons les faibles à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales ; et nous vendrons la criblure du froment’. Yahvé l’a juré par la gloire de Jacob : jamais je n’oublierai aucune de leurs actions » (Am 8, 4-6).

Osée prend position contre le commerce frauduleux et ne souhaite aucun profit à ceux qui le pratiquent ; il leur prédit plutôt la ruine complète : « Canaan a en main des balances trompeuses, il aime à exploiter. Et Éphraïm dit : ‘oui, je me suis enrichi, je me suis acquis une fortune ’, mais de tous ses gains, rien ne lui restera, à cause de la faute dont il s’est rendu coupable » (Os 12, 8-9).

Isaïe parle du jugement de Dieu envers les personnes qui sont injustes et qui ont été méchantes envers leurs frères, leur ont menti et ont été violentes envers eux : « Ils n’ont pas connu la voix de la paix, le droit ne suit pas leurs traces, ils se font des sentiers tortueux, quiconque les suit ignore la paix. Aussi le droit reste loin de nous, la justice ne nous atteint pas. Nous attendions la lumière, et voici les ténèbres,

la clarté, et nous marchons dans l’obscurité. Nous tâtonnons comme des aveugles cherchant un mur, comme privés d’yeux nous tâtonnons. Nous trébuchons en plein midi comme au crépuscule ; bien-portants, nous sommes comme des morts. Nous grognons tous comme des ours, comme des colombes nous ne faisons que gémir ! Nous attendons le jugement, et rien ! Le salut, et il demeure loin de nous » (Is 59, 8-11). L’injustice, le mensonge, la méchanceté et la violence ne peuvent amener au salut de Dieu. Dans le livre du prophète Malachie , ce même Dieu se met du côté de ceux qui ont été humiliés, qui ont subi des injustices ou qui ont été dépouillés de leurs biens : « Je m’approcherai de vous pour le jugement et je serai un témoin prompt contre les devins, les adultères et les parjures, contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l’orphelin, et qui violent le droit de l’étranger, sans me craindre, dit le Seigneur de l’univers » (Mal 3, 5).

À son tour, Michée montre comment Dieu prend la défense de ceux qui ont perdu leurs champs et leurs biens, à cause de systèmes et de jugements malhonnêtes, conçus dans le but d’appauvrir le peuple : « Malheur à ceux qui projettent le méfait et qui trament le mal sur leur couche ! Dès que

luit le matin, ils l’exécutent, car c’est au pouvoir de leurs mains. S’ils convoitent des champs, ils s’en emparent ; des maisons, ils les prennent ; ils saisissent le maître avec sa maison, l’homme avec son héritage. C’est pourquoi ainsi parle Yahvé : voici que je prépare contre cette engeance un malheur tel qu’ils s’y enfonceront jusqu’au cou ; et vous ne pourrez marcher la tête haute, car ce sera un temps de malheur. Ce jour-là, on fera sur vous une satire ! On chantera une complainte, et l’on dira : ‘Nous sommes dépouillés de tout ; la part de mon peuple est mesurée au cordeau, personne ne la lui rend ; nos champs sont attribués à celui qui nous pille’ » (Mi 2, 1-4).

1.4. JÉSUS, LE CHRIST ET SON

AMOUR : UNE CHARITÉ RADI­

CALE

La charité en Jésus Christ est basée sur la manière dont Lui-même conçoit sa mission et ses préférés en ce monde : « Il vint à Nazareth où il avait été élevé, entra dans la synagogue le jour du sabbat, selon sa coutume, et se leva pour faire la lecture. On lui remit le rouleau du prophète Isaïe et, déroulant le livre, il trouva le passage où il était écrit : L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la délivrance

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et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés, proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4, 16-19).

Lorsqu’on demande à Jésus quel est le commandement le plus important de la Loi, il la ramène de façon surprenante à l’amour de Dieu avant tout et à l’amour du prochain : « Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi? Jésus lui dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ; voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. À ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Mt 22, 36-40)

Celui qui désire devenir disciple de Jésus et le suivre en incarnant son enseignement dans sa propre vie doit se distinguer précisément par l’amour qu’il porte à ses frères et sœurs : « Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 34).

Cependant, cet amour envers les autres ne peut demeurer abstrait. Il faut qu’il pénètre tout : les

relations avec les personnes et les biens, avec la famille, avec les rêves et les projets, et qu’il puisse s’exprimer dans un mode de vie très différent de celui de la majorité. « Vendez vos biens, et donnez-les en aumône. Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, où ni voleur n’approche ni mite ne détruit. Car où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Lc 12, 33-34).

Dans l’évangile selon Saint Luc, l’anaw (le pauvre ; anawim : les pauvres) n’est pas seulement celui qui n’a pas d’argent. C’est d’abord et avant tout celui qui ne place sa joie, sa force et son espérance qu’en Dieu, qui a fait des merveilles en regardant la petitesse et l’humilité de ses serviteurs, comme le dit Marie dans le Magnificat (Lc 1, 46-55).

À la différence des Juifs qui appliquaient la loi de façon stricte et littérale dans leur vie quotidienne, Jésus la considère sous un jour nouveau. Il propose de ne pas interpréter la loi à la lettre, mais plutôt d’en saisir le sens profond et de la vivre concrètement en la poussant à la perfection, c’est-à-dire en la subordonnant toujours au bien-être des personnes. « Et il leur disait : le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour

le sabbat ; en sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat, le jour du repos » (Mc 2, 28).

« Il entra de nouveau dans une synagogue, et il y avait là un homme qui avait la main desséchée. Et les Pharisiens l’épiaient pour voir s’il allait le guérir, le jour du sabbat, afin de l’accuser. Jésus dit à l’homme qui avait la main sèche : Lève-toi et mets-toi là, au milieu. Et il demanda à tous : Est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien plutôt que de faire du mal, de sauver une vie plutôt que de la tuer? Mais eux se taisaient. Promenant alors sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leur cœur et de leur manque de charité, il dit à l’infirme : Étends la main ! Celui-ci l’étendit et sa main fut remise en état. Étant sortis, les Pharisiens tenaient aussitôt conseil avec les Hérodiens contre lui, en vue de le supprimer » (Mc 2, 27 – 3, 6).

En plus d’énumérer plusieurs gestes de miséricorde accomplis par Jésus, Matthieu révèle dans son Évangile le critère sur lequel portera le jugement dernier. En effet, au chapitre 25, Jésus dit : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur le trône de gloire qui lui appartient. Devant lui seront

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rassemblées toutes les nations, et il séparera les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur donnera cette réponse : En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 31-46).

Il est intéressant de constater que Jésus Christ s’identifie à ceux qui ont faim, à ceux qui ont soif, aux étrangers, à ceux qui sont nus, à ceux qui sont malades et à ceux qui sont emprisonnés. C’est le Christ lui-même qui se présente à nous en s’incarnant en eux, et qui veut, pour ainsi dire, connaître le même sort. Voilà pourquoi nous

croyons que nous sommes appelés à le reconnaître dans le visage de nos frères et sœurs pauvres et marginalisés, un visage qui reflète le visage souffrant du Crucifié. Comme le disait Mère Teresa de Calcutta : « Nous avons besoin du regard profond de la foi pour reconnaître le Christ dans le corps mutilé et les haillons malpropres sous lesquels se cache le plus beau des enfants de l’homme. Nous avons besoin des mains du Christ pour toucher ces corps meurtris par la souffrance » [Voir note 37. NDT].

Quant au texte de Matthieu, nous y trouvons donc les trois principales œuvres de charité, qui figuraient aussi déjà dans l’Ancien Testament : « N’est-ce pas plutôt celui-ci le jeûne que je préfère : partager ton pain avec l’affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, habiller qui n’a pas de vêtements ? » (Is 58, 7).

1.5. LA CHARITÉ DANS

L’HISTOIRE DE L’ÉGLISE

A ― L’Église primitive

Dans le livre des Actes des Apôtres, livre qui fait partie des œuvres écrites par Saint Luc, on retrouve des textes qui ont immortalisé l’organisation des premières communautés chrétiennes, auprès desquelles le partage des biens était une

pratique valorisée et répandue depuis le début du christianisme : « Tous les baptisés se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. La crainte s’emparait de tous car nombreux étaient les prodiges et signes accomplis par les apôtres. Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun. Jour après jour, d’un seul cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple et rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur. Ils louaient Dieu et avaient la faveur de tout le peuple. Et chaque jour, le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés24 » (Ac 2, 44-47).

« De toutes les manières je vous l’ai montré : c’est en peinant ainsi qu’il faut venir en aide aux faibles et se souvenir des paroles du Seigneur Jésus, qui a dit lui-même : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir » (Ac 20, 35).

B ― Saint Paul et les pauvres

On retrouve aussi cet engagement envers les pauvres dans les lettres de Saint Paul, où on les appelle

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ptojoi et tapeinoi. Ces termes ont une connotation différente de celle des anawim : les pauvres de Yahvé qui se réjouissent de la miséricorde dont ils ont bénéficié et qui n’ont pas peur d’affronter les difficultés ou les souffrances, car, comme il a été mentionné précédemment, Dieu est leur richesse et représente tout pour eux. Par contre, le terme ptojós signifie pauvre, mendiant, nécessiteux, et le terme tapeinós désigne une personne humiliée, découragée, abattue, sans énergie, ordinaire. C’est-à-dire une personne qui n’a pas encore réussi à adopter cette attitude positive qui consiste à trouver en son malheur une raison de se tourner encore plus résolument vers le Seigneur. À partir de cette réalité, Saint Paul rejoint, à travers son travail apostolique, un très grand nombre de personnes desquelles il prend soin avec une attention amoureuse. « On nous a demandé une chose seulement : de ne jamais oublier les pauvres, ce que j’ai essayé de faire avec toutes mes forces », écrit l’apôtre aux Galates (2, 10).

Saint Paul demande à sa bien- aimée communauté de Corinthe de faire aussi preuve de générosité, en organisant une collecte pour des frères et sœurs qui éprouvent des difficultés matérielles : « Quant à la collecte

en faveur des saints, suivez, vous aussi, les instructions que j’ai données aux Églises de la Galatie. Que le premier jour de la semaine, chacun de vous mette de côté chez lui ce qu’il aura pu épargner, en sorte qu’on n’attende pas que je vienne pour recueillir les dons » (1 Co 16, 1-2).

Nous attardant un peu sur les lettres de Saint Jean, nous pouvons retrouver ce principe que Saint Paul proposait déjà : « Comment l’amour de Dieu pourrait demeurer en quelqu’un qui, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et lui ferme ses entrailles ? » (1 Jn 3, 17).

D’autre part, dans sa lettre à Philémon, Paul dit être en faveur de l’idée que les esclaves soient considérés comme des frères, et non plus comme une possession de quelqu’un, et il intercède pour Onésime en demandant à son ancien maître de le considérer désormais comme un frère. C’est pourquoi cette lettre a été surnommée ‘la lettre de la liberté’.Plus tard, le pape Clément décide de consacrer sa vie aux pauvres, à ceux qui sont tombés en disgrâce, pas seulement en leur donnant de l’argent, mais en améliorant leur sort. Ainsi, au premier siècle de l’ère chrétienne, il écrit dans sa lettre aux Corinthiens : « On

en connaît parmi nous qui ont présenté leurs mains aux chaînes pour en délivrer leurs frères ; d’autres qui se sont réduits en esclavage, et avec le prix de leur liberté ont acheté du pain à leurs frères. Que de femmes, soutenues de la grâce de Jésus-Christ, se sont élevées, par leur courage à des actes d’héroïsme25 ».

C ― Les premières commu­nautés chrétiennes

L’Eucharistie est, depuis toujours, à l’origine des communautés chrétiennes, ainsi que le réaffirme le Concile Vatican II : « Participant au sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils [les chrétiens ; NDT] offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle » (Lumen Gentium 11). La célébration de l’Eucharistie est ce sacrifice qui, avec la catéchèse et le partage du pain, des biens et des besoins, fait partie depuis toujours de la vie de cette communauté de foi que nous appelons Église. Récemment, à Aparecida, le Pape Benoît XVI l’a rappelé aux peuples de notre continent : « La civilisation de l’amour, qui transformera l’Amérique latine et les Caraïbes, ne pourra jaillir que de l’Eucharistie ! ». Dans son encyclique Deus Caritas est, il ajoute : « Le martyr Justinien (vers 155) décrit aussi, dans le contexte

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de la célébration dominicale des chrétiens, leur activité caritative, reliée à l’Eucharistie comme telle. Les personnes aisées font des offrandes dans la mesure de leurs possibilités, chacune donnant ce qu’elle veut. L’Évêque s’en sert alors pour soutenir les orphelins, les veuves et les personnes qui, à cause de la maladie ou pour d’autres motifs, se trouvent dans le besoin, de même que les prisonniers et les étrangers. Le grand auteur chrétien Tertullien (après 220) raconte comment l’attention des chrétiens envers toutes les personnes dans le besoin suscitait l’émerveillement chez les païens. Et quand Ignace d’Antioche (vers 117) qualifie l’Église de Rome comme celle ‘qui préside à la charité’ (agapè), on peut considérer que, par cette définition, il entendait aussi en exprimer d’une certaine manière l’activité caritative concrète26 ».

Il vaut la peine de se pencher sur la grande synthèse de cette pé-riode qu’a faite le Pape Benoît XVI dans cette encyclique, où il décrit l’institution du diaconat et ses répercussions non seulement sur la vie de l’Église, mais aussi sur la société de l’époque. Voici ce qu’il écrit : « Dans ce contexte, il peut être utile de faire référence aux structures juridiques primitives concernant le service de la charité dans l’Église. Vers le milieu du IVe

siècle, prend forme en Égypte ce que l’on appelle la diakonia ; dans chaque monastère, elle constitue l’institution responsable de l’ensemble des activités d’assistance, précisément du service de la charité. Depuis les origines jusqu’à la fin du VIe siècle se développe en Égypte une corporation avec une pleine capacité juridique, à laquelle les autorités civiles confient même une partie du blé pour la distribution publique. En Égypte, non seulement chaque monastère mais aussi chaque diocèse finit par avoir sa diakonia, institution qui se développera ensuite en Orient comme en Occident. Le Pape Grégoire le Grand († 604) fait référence à la diakonia de Naples ; en ce qui concerne Rome, les documents font allusion aux diaconies à partir des VIIe et VIIIe siècles. Mais naturellement, déjà auparavant et cela depuis les origines, l’activité d’assistance aux pauvres et aux personnes qui souffrent faisait partie de manière essentielle de la vie de l’Église de Rome, selon les principes de la vie chrétienne exposés dans les Actes des Apôtres. Cette activité trouve une expression vivante dans la figure du diacre Laurent († 258). La description dramatique de son martyre était déjà connue par saint Ambroise († 397) et elle nous montre véritablement, dans ses grandes lignes, l’authentique

figure du saint. À lui, qui était responsable de l’assistance aux pauvres de Rome, a été accordé un laps de temps, après l’arres-tation de ses confrères et du Pape, pour rassembler les trésors de l’Église et les remettre aux autorités civiles. Laurent distribua l’argent disponible aux pauvres et les présenta alors aux autorités comme le vrai trésor de l’Église. Quelle que soit la crédibilité historique de ces détails, Laurent est resté présent dans la mémoire de l’Église comme un grand représentant de la charité ecclésiale. Dans l’une de ses lettres, l’empereur romain Julien l’Apostat († 363) écrivait que l’unique aspect qui le frappait dans le christianisme était l’activité caritative de l’Église. De cette manière, les Galiléens – ainsi disait-il – avaient conquis leur popularité. On se devait de faire de l’émulation et même de dépasser leur popularité. De la sorte, l’empereur confirmait donc que la charité était une caractéristique déterminante de la communauté chrétienne, de l’Église27 ».

D ― Ignace d’Antioche et le comportement des chrétiens

« Agissez sans cesse pour que tous les hommes découvrent le salut grâce à vos bonne œuvres. En face de leur colère, soyez doux ; de leur orgueil, soyez humbles ;

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des leurs blasphèmes, priez pour eux… Tâchez d’être leurs frères grâce à votre bienveillante compréhension et cherchons toujours à faire comme le Seigneur28 ».

Quant à l’hérésie, Saint Ignace ne la considère pas seulement comme une erreur de jugement, de croyance ou de dogme, mais aussi comme une manière erronée de vivre, si l’on se base sur la manière dont il parle des hérétiques : « Ils suivent une fausse doctrine… ; ils n’ont aucun souci de la charité ; ils ne s’occupent point ni des veuves, ni des orphelins, ni des opprimés, ni des prisonniers, ni des affamés, ni des assoiffés29 ».

Et c’est toujours ce même Ignace qui conseille aux évêques de s’occuper aussi des personnes qui causent le plus de problèmes : « Donne ton aide à tous, comme le Seigneur t’aide toi ; prends soin de tous les malades, (…) parce que si tu t’occupes seulement des fidèles accommodants, tu n’obtiendras aucune récompense. Encore plus, tâche de gagner les plus récalcitrants par la douceur30 ».

E ― L’évolution de la charité dans l’Église à partir de l’Empire romain

L’Église a continué d’exercer son influence caritative, ce qui a donné lieu à l’établissement de lois

civiles et de systèmes juridiques visant à protéger les pauvres. Ainsi, les esclaves dont les maîtres héritaient et qui étaient séparés de leur famille ont pu être soulagés de cette souffrance supplémentaire et demeurer unis. L’intervention impériale permit donc d’empêcher l’éclatement des familles.

Plus bas, nous présentons une longue liste de personnes qui, interpellées par les besoins de leur époque, ont su y répondre en secourant ceux qui avaient besoin d’aide et de soutien avec une attention, une pureté, un don d’elles-mêmes et un engagement profond sans cesse renouvelés.

— Au IVe siècle, Saint Basile fonda une ville hôpital (Basiliade), une sorte d’auberge où l’on s’occupait des étrangers et où l’on priait pour leur salut.

— Dans sa Règle pastorale, Saint Benoît († 547) écrit qu’en la personne qui demande à manger ou à être hébergée, on doit reconnaître le Christ lui-même : « Ceux qui ne partagent pas ce qu’ils ont eux-mêmes reçu, se rendent complices de la mort de leur prochain, qui meurt de pauvreté, car ils refusent de l’aider31 ».

— Aux XIIe et XIIIe siècles apparaissent les ordres de la Merci et des Trinitaires, dont

la mission consistait à prendre soin des prisonniers et des esclaves et à les protéger. Leurs membres avaient aussi fait le vœu de donner leur vie pour les sauver.

— De son côté, Saint Thomas parle de la justice et de la charité dans sa grande œuvre intitulée la Somme théologique (II, 2).

— À la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe, Saint François d’Assise ne se contentait pas de parler de la pauvreté ; il choisit de vivre lui-même dans une pauvreté totale. C’est pourquoi ses frères, appelés les Franciscains, s’inspirent de ce style de vie et acceptent de vivre dans la pauvreté et de servir les pauvres.

F ― De la renaissance à l’ère moderne

Du XVIe au XVIIIe siècle, nous voyons apparaître une véritable professionnalisation de l’aide aux malades grâce à des figures telles que Saint Jean de Dieu et Saint Camille de Lellis. Ce dernier affirmait : « Il ne suffit pas de faire le bien ; il faut le faire bien ». D’autres se consacrent à l’éducation des enfants et des jeunes, en particulier de ceux qui se trouvent dans une situation précaire, comme les pères scolopes ou Saint Jean Bosco, fondateur de

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l’ordre des Salésiens. Ce dernier disait : « Soyez toujours joyeux ; c’est une œuvre de miséricorde que de donner à manger aux affamés et, comme la vie est courte, je ne veux pas qu’au cours de ma vie, quiconque vient me voir reparte sans être rassasié ». Il « a ouvert de nouveaux espaces à l’exercice de la charité : les oratoires, où les jeunes peuvent se réunir et y trouver des écoles d’arts et métiers. Il a développé une nouvelle méthode préventive en éducation, qui contrastait avec la méthode répressive de l’époque32 ». Ces personnes se sont entièrement dédiées à la cause des pauvres à leur époque, tout comme les pères scalabriniens, qui ont consacré leur vie aux migrants. La révolution industrielle a provoqué des changements, générant une vaste migration des campagnes vers les villes, où la demande de main d’œuvre était sans précédent et où les conditions de vie et de travail étaient inhumaines. L’injustice dont les travailleurs étaient victimes créait une situation propice à la naissance de nouveaux organismes de charité. Afin de répondre à cette réorganisation de la société et aux besoins quotidiens des familles, des nouveaux charismes se sont manifestés, comme celui de Saint Vincent de Paul, dont la caractéristique était d’accomplir

des œuvres de charité dans les quartiers ouvriers auprès des femmes et des enfants ayant besoin de soutien. Sans cesse, il répétait : « Sans miséricorde, il n’y a pas justice » ; « Sans justice, il n’y a pas de charité ».

G ― En Amérique latine et dans les Caraïbes

Dans le continent latino-américain et dans les Caraïbes, le service de la charité a été l’œuvre de personnes qui, à travers leurs réussites et leurs erreurs, ont représenté une source intarissable d’amour divin pour tous ceux qui habitaient ces contrées.

Dès leur arrivée sur ce continent, les premiers disciples missionnaires ont inculqué un souffle évangélique en faisant passer la dignité humaine des fils et des filles de Dieu qui peuplaient déjà ces terres avant la richesse et les privilèges de la Couronne espagnole. Ainsi, la Parole est devenue signe du Royaume de Dieu dans les réductions du Paraguay, dans les villages-hôpitaux fondés par Vasco de Quiroga, dans les nombreuses missions qui s’incarnèrent dans le cœur de nos peuples, dans les témoignages de nombreux martyrs, saintes et saints et, enfin, dans les différentes formes de la pastorale sociale Caritas. À travers le service et vivant dans la charité,

demeurant auprès des pauvres, en priant, en partageant et en semant la graine de l’Évangile, ils ont fécondé cette terre et ont donné naissance à de petites communauté fraternelles et soli-daires. Guidés par l’Évangile, des personnages tels que frère Juan de Zumárraga, Bartolomé de las Casas, Bernardino de Sahagún, Antonio de Montesinos, Toribio de Benavente Motolinía, Junípero Serra, Julián Garcés et beaucoup d’autres représentent un trésor de par leur engagement à défendre les vaincus et à en soutenir la cause en raison de l’Évangile. Ils représentent une lumière dans toute la noirceur qui a marqué la conquête de ces territoires.

Le continent latino-américain et les Caraïbes ont eu aussi un grand nombre de saints, des personnes qui non seulement ont été reconnues par l’Église pour leurs vertus héroïques, mais qui ont été aussi un père et une mère pour les personnes auxquelles elles ont consacré leur vie, en particulier les pauvres au service desquels elles s’étaient placées.

H ― L’histoire de Caritas dans le monde

À la fin du XIXe siècle, en Allemagne, plus précisément dans le diocèse de Fribourg et plus tard dans celui de Francfort, le père Lorenz Werthmann (1858-1921)

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CHAPITRE 1

a eu l’idée de doter d’une certaine cohérence et coordination les différents groupes qui s’occupaient des œuvres de charité. En 1884, le père Werthmann confie à cinq autres prêtres son idée d’unifier les organisations caritatives. En 1885, le premier comité de Caritas voit le jour, dans le but d’unifier et d’organiser les organismes de charité en Allemagne.

Douze ans plus tard, le 9 novembre 1897, les autorités reli gieuses de Fribourg et l’arche-vêque Primat de Cologne recon-êque Primat de Cologne recon-naissent officiellement cette nou-velle institution sous le nom de Caritas, placée dès le début sous la responsabilité des évêques. Ainsi, dès le départ, la toute première organisation Caritas, fondée à Fribourg en Allemagne, est née avec une nature associative, ainsi qu’une dimension résolument fé-dérative et profondément laïque.

En 1900, l’idée d’unifier les efforts des organisations œuvrant au service de la charité de l’Église catholique a commencé à se répandre et à se concrétiser dans plusieurs pays d’Europe. En Suisse, ce fut en 1901, et aux États-Unis, les Catholic Charities virent le jour en 1910.

En Allemagne, la Charitasverband für das katholische Deutschland a été l’organisme caritatif de

l’Allemagne catholique. En 1916, elle fut reconnue par la Conférence épiscopale en tant qu’union des associations dio-césaines se consacrant aux œuvres de charité. Pendant la période du national-socialisme, l’association Caritas perdit son influence politique et juridique, même si elle était légalement reconnue depuis 1933.

I ― La formation de Caritas en Amérique latine et dans les Caraïbes

En 1956, le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) autorise le Secrétariat général de la Conférence internationale de Caritas à fonder des Caritas nationales dans tous les pays, dans le cadre d’une fédération. À cette époque, Mgrs Baldelli et Bayer sont respectivement président et secrétaire de la Conférence internationale de Caritas.

Déjà, en 1958, lors de la troisième réunion du CELAM à Rome, avaient été fondées les Caritas de l’Argentine, de la Colombie, du Chili et du Pérou; celles de Bolivie, du Brésil, de l’Équateur, du Paraguay et de l’Uruguay étaient en train d’être constituées. Lors de cette réunion, il apparut évident qu’il était nécessaire de créer des Caritas dans tous les pays du continent.

En 1968, dans la ville de Medellín (Document de Medellín 1, 22), on

décida que : « pour exercer leur mission pastorale, les conférences épiscopales organiseront des Commissions d’action ou de pastorale sociale, dans le but de continuer l’élaboration de la doctrine et pour entreprendre des initiatives qui témoignent de la présence de l’Église comme animatrice de l’ordre temporel, dans une totale attitude de service. On doit faire la même chose dans les diocèses. De plus, les conférences épiscopales et les organisations catholiques tâcheront de promouvoir la collaboration au niveau con-tinental avec les Églises et les institutions qui ne sont pas catholiques et qui sont vouées à l’instauration de la justice dans les relations humaines. Caritas, qui est un organisme de l’Église et qui participe à part entière de son œuvre pastorale, ne sera pas uniquement une institution de bienfaisance, mais au contraire, elle devra s’intégrer de manière efficace dans le processus de développement de l’Amérique latine, et y jouer le rôle d’une institution véritablement dyna-mique ».

En 2007, se sont tenus à Laborde, dans le diocèse des Cayes, en Haïti, la 3ème rencontre continentale de pastorale sociale Caritas et le 16ème Congrès latino-américain et caribéen, dont le

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thème était Disciples de Jésus, pour une Amérique inclusive et solidaire. Cet événement a été le fruit de plusieurs rencontres (Haïtianitos) tenues au cours de l’année précédente dans les différentes régions du continent où sont mises en œuvre des activités de pastorale sociale Caritas (le Cône Sud, la région bolivienne, l’Amérique centrale et le Mexique et les Caraïbes). Les conclusions de ces rencontres ont servi de base au processus de réflexion et d’analyse qui a conduit à l’élaboration des priorités pastorales pour les quatre années suivantes. Les objectifs de cet événement étaient les suivants : évaluer ce qui avait été convenu lors du 15ème Congrès latino-américain et caribéen tenu au Mexique en 2004; connaître et tirer des leçons de nos expériences socio-pastorales ; relire, à la lumière de notre foi, la situation de notre continent en identifiant les événements qui empêchent la volonté de Dieu de se réaliser en chaque personne ; élaborer des stratégies et des axes de travail communs et nous unir dans la prière en vue de la 5ème Conférence de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes qui était sur le point de commencer à Aparecida.

Après de longues journées de travail en groupe, en commissions et en assemblées

plénières, ont été définis les axes thématiques du réseau de pastorale sociale Caritas pour les quatre années suivantes, à savoir : 1 - Justice, paix et réconciliation, 2 - Migrants et traite des per-sonnes, 3 - Environnement et urgences, 4 - Développement humain inté gral et solidaire, et 5 - Renforcement de nos insti-tutions (Haïti, 2007).

À la fin de ce premier chapitre, nous pouvons tirer quelques conclusions préliminaires :

— Dans l’histoire, l’action carita-tive n’a pas été seulement l’apanage de groupes et de communautés de l’Église catholique.

— Depuis la naissance du christianisme, l’engagement envers les pauvres et les opprimés est allé beaucoup plus loin que le respect du simple principe de justice inclus dans le concept du droit positif, dans la mesure où ce dernier se limitait à la notion de respect et à l’idée de faire le bien. Par contre, dans le monde païen, il est rarement arrivé que cet engagement soit poussé au point de donner la vie pour ses frères et sœurs vulnérables.

— La charité ne peut exister seulement au sein de l’Église catholique ou s’orienter uni-quement vers l’intérieur de

celle-ci, se limitant à atteindre la paix dans ses propres murs. Au contraire, elle doit dépasser ses propres limites et se répandre dans toute la société.

— Il faut continuellement rééla-borer et réinventer la charité afin de pouvoir répondre aux nouveaux défis qui surgis-sent nécessairement de par l’évolution permanente des sociétés et des peuples.

— La Parole de Jésus et son Esprit accompagnent et guident continuellement l’Église en éclairant, renforçant et ori-entant la manière dont elle s’organise, dont elle coordonne ses efforts, dont elle manifeste son amour et dont elle sert les personnes démunies, quels que soient le moment et le lieu.

— La charité est un espace particulièrement approprié pour l’engagement des laïques et ceux-ci doivent se former, acquérir des compétences et s’organiser pour l’exercer.

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Nous allons maintenant mention-ner quelques-uns des aspects les plus importants de la pastorale sociale Caritas.

2.1 LE DIEU ATTENTIONNÉ QUI

CRÉE, LIBÈRE, SAUVE ET AIME

L’HUMANITÉ

L’identité de Caritas prend sa source en la qualité de l’amour de Dieu. Un amour qui jaillit, qui cherche, qui se déploie, qui coule à flots avec compassion, qui crée et recrée la vie, qui nourrit une prédilection pour ceux qui sont moins aimés que les autres, qui ne peut demeurer caché ou être indifférent. Si notre Dieu voulait exprimer toute la grandeur de son amour pour l’humanité, il ne pouvait le faire seul ; s’il est bel et bien un Dieu d’amour, il fallait qu’il aille à la rencontre de ses fils et de ses filles bien aimés pour leur manifester sa bonté. Il a voulu partager son histoire avec nous et, pour cela, nous pouvons dire qu’il a célébré plusieurs Pâques, qu’il s’est plongé plusieurs fois dans cette histoire qui est la nôtre :

— La Pâque de la Création : « Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds et multipliez-vous… et Dieu leur donna tout ce qu’il avait créé, …et Dieu observa tout

ce qu’il avait fait, et c’était très bon » (Gn 1 et 2). Lors de cette première Pâque, nous pouvons découvrir la grande déclaration d’amour de Dieu à la femme et à l’homme : ce sont ses enfants, les amis dont il a besoin pour pouvoir manifester qu’il est AMOUR. Il peut établir un dialogue et rechercher une rencontre avec eux, et s’en approcher au tomber du jour pour se promener avec eux dans le paradis.

— La Pâque la Libération : « J’ai vu l’oppression de mon peuple en Égypte ; j’ai entendu la clameur de ses plaintes contre l’oppresseur ; j’ai pris à cœur ses souffrances : j’ai décidé de descendre pour le DÉLIVRER » (Ex 3). Lorsque Moïse rencontre Dieu, celui-ci lui apparaît sous ses traits profondément libérateurs : un Dieu proche, présent auprès de son peuple, qui écoute et connaît sa situation d’opprimé, qui entend ses cris et ses plaintes, qui ressent de l’intérieur, dans ses propres entrailles, les souffrances qu’il endure. C’est pourquoi il décide de le délivrer et de le faire sortir de ce pays pour l’emmener dans une nouvelle contrée, ouverte, où il aura l’avenir devant lui et où il pourra vivre en harmonie avec la nature.

— La Pâque de l’Incarnation : « Jésus, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes. S’étant assimilé à un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix. Aussi Dieu l’a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2, 5-11). Nous pouvons voir tout le processus d’incarnation de Jésus exprimé par les verbes sortir, descendre, se dépouiller, disparaître, naître et grandir… pour élever et sauver l’humanité.

— La Pâque de la Résurrection : « Enfin, il se manifesta aux Onze eux-mêmes pendant qu’ils étaient à table … Et il leur dit : Allez dans le monde entier proclamez l’Évangile à tous les hommes » (Mc 16, 14-16). Désormais, pour toujours, l’humanité a la certitude que le Dieu trinitaire lui manifeste sa présence amoureuse à travers son Esprit et elle en vit l’expérience. Elle peut désormais entrer en relation [avec Dieu] et établir un dialogue amoureux avec lui à travers Jésus et vivre comme une famille de fils et de filles du Père.

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CHAPITRE 2

2.2. L’IDENTITÉ COMME APPEL

L’identité de la pastorale sociale Caritas en Amérique latine et dans les Caraïbes repose sur la ferme conviction que nous sommes une Église qui se consacre entièrement à Jésus Christ, et ce dans les contextes particuliers dans lesquels nous travaillons, c’est-à-dire dans des situations marquées par la souffrance et la douleur, la pauvreté et l’exclusion, l’oppression et l’injustice, afin que chacune de nos actions en faveur des autres, de ceux qui ont le plus besoin d’aide, soit le signe d’une nouvelle humanité, soit une bonne nouvelle. Que chacune de nos actions soit un événement transformateur, capable de provoquer une métanoïa, un changement dans les mentalités, le style de vie, les priorités, et de favoriser l’établissement de relations nouvelles, différentes, qui soient plus en accord avec le Royaume de Dieu qu’Il a commencé à édifier dans ce monde.

Une Église, aussi, qui est consciente de l’importance de vivre une conversion pastorale, comme l’affirment nos évêques dans le document d’Aparecida (365 à 370), et de renouveler son travail pastoral pour le rendre plus inclusif, plus ouvert au dialogue, plus cohérent, et pour qu’il favorise la participation et la

coresponsabilité des croyants et une plus grande proximité avec les habitants de ces terres bénies qui regorgent de richesses naturelles, culturelles et spirituelles.

Une Église, aussi, qui veut transformer, par la force de l’Évangile, les critères de jugement, les valeurs fondamentales, les centres d’intérêt, les lignes de pensée, les sources d’inspiration et les styles de vie de l’humanité qui vont à l’encontre de la parole de Dieu et de son projet de sauver l’humanité.

2.3. LA COMPASSION COMME

FONDEMENT D’UNE ÉGLISE

SAMARITAINE

Dans le plan stratégique de Caritas Internationalis, c’est-à-dire le plan qui oriente le travail de toute la confédération, on retrouve les quatre priorités pour les prochaines années : la compassion en action ; la promotion du développement humain intégral ; le plaidoyer en faveur d’un monde meilleur, grâce à des gouvernements et des structures plus justes à l’échelle mondiale ; une confédération plus solide, plus efficace.

Nous voulons souligner que l’action que nous mènerons dans ce plan stratégique (l’animation compatissante) est basée sur une

manière d’agir instaurée par Jésus, et parfaitement illustrée dans la parabole du Bon Samaritain relatée dans l’Évangile de Luc (10, 25-37). Voyons en quoi consistent ce processus et les différentes étapes à parcourir.

Luc 10, 30. L’étape préalable et absolument indispensable : dans cette parabole, Jésus parle d’un homme, un bon juif qui retourne dans son village, confiant et sans défense. Il raconte comment il est attaqué, volé, appauvri, maltraité et abandonné seul sur la route, condamné à mourir au bout de son sang. Avec cet exemple, Jésus veut nous montrer que les agressions et les vols perpétrés à l’égard des personnes vulnérables, à cause de l’injustice et de l’exclusion, ont des causes et des responsables. La prostration, l’écrasement, la violence… ne sont pas le fruit du destin ou du hasard, mais découlent du fait que l’on a volé les biens, la santé et la vie de personnes pauvres qui n’ont pas la chance de mener une vie digne et qui meurent toujours avant les autres.

La réalité des personnes, des groupes, des peuples démunis et exclus est le grand défi, l’appel, le cri-clameur qui nous bouleverse, nous déstabilise, nous provoque (nous remue les entrailles), nous appelle (nous interpelle, nous

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rassemble, nous attire, nous séduit), nous parle, (parce que l’exclusion est une réalité sociale mondiale).

Jésus explique que deux regards peuvent être posés sur cette réalité (v. 31-33) :

— Le regard des hommes et des femmes religieux qui, à force de regarder le ciel, ne sont même plus capables de regarder autour d’eux et de remarquer les personnes qui sont en train de mourir sur les chemins de l’histoire… et qui passent sans s’arrêter. Ils passent au loin et ainsi il ne leur arrive rien.

— Le regard des hommes et des femmes qui sont profondément humains, qui vont droit au but, qui s’approchent, qui se mettent au même niveau, et qui voient les blessures et les souffrances.

En commentant cette parabole du bon Samaritain, Martin Luther King faisait cette magnifique réflexion : « Lorsque nous sommes ‘égotiques’, lorsque notre vie est centrée sur notre ‘moi’ et sur nos propres intérêts, il est évident que nous allons nous demander : Si je m’arrête pour aider cet homme qui se trouve sur le bord du chemin, que va-t-il m’arriver? Et nous allons toujours trouver mille excuses pour poursuivre notre

chemin, pour ne rien faire pour lui. Quand c’est l’‘autre’ qui est au centre de notre vie, il est certain que la question sera différente : Si je ne fais rien pour aider cet homme blessé, qui a été détroussé et jeté dans le fossé, au bord du chemin, que va-t-il lui arriver ? Et nous allons toujours trouver de bonnes raisons, quoiqu’il arrive, pour nous comporter comme des frères, pour faire ce qu’a fait le bon Samaritain » [Extrait du discours I’ve been to the mountaintop, prononcé par Martin Luther King le 3 avril 1968 à Memphis, Tennessee. Le lendemain, il était assassiné. NDT]

En ne faisant pas de détour et en s’approchant de l’homme qui avait été attaqué, le Samaritain ressent un appel qui l’amène à s’approcher de lui. C’est comme cela qu’une rencontre se produit : une rencontre entre deux personnes, entre deux regards, entre deux cœurs… ce qui fait que le pauvre juif battu se sent reconnu en tant que personne humaine. C’est là que se situe le noyau central, la clé de toute cette parabole : « Par contre un étranger, un Samaritain honni, s’approcha de lui et ÉPROUVA DE LA COMPASSION envers lui… ». Le Samaritain voit là une personne humaine, digne, respectable, dans le besoin, il va à sa rencontre et s’intéresse à toute

sa situation de souffrance. EN LE REGARDANT, IL ÉPROUVE DE LA COMPASSION ; il ressent dans ses propres entrailles la souffrance qu’a pu ressentir le pauvre juif au moment de l’agression ; il le vit au plus profond de lui-même, dans ses tripes : comme ce qu’une mère ressent dans son utérus pour ses enfants lorsque quelque chose les blesse. « On ne peut pénétrer dans l’univers des appauvris que par la porte de l’amitié, de l’empathie. Ce que nous considérons, dans notre tradition chrétienne, comme étant la force et le principe de MISÉRICORDE, c’est la proximité, la relation chaleureuse et affective. Il ne peut y avoir de véritable solidarité envers les pauvres sans amitié. Le principe de la MISÉRICORDE signifie sortir de l’anonymat, donner à l’autre un nom et un visage. Aimer implique toujours faire sortir quelqu’un de l’anonymat. L’amour confère une identité, de la valeur à l’autre ; il le fait se sentir comme une vraie personne » (Joaquín García Roca, Espiritualidad para voluntarios).

Une fois passée l’émotion de la COMPASSION, tout un processus se met en branle, dont la première étape consiste à aider la personne à guérir, à faire ce qui est le plus urgent et efficace.

Verset 34a : Il soigna ses plaies, y versant de l’huile et du vin, et il les banda…

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Une fois que la personne agressée et le Samaritain ont découvert et reconnu les blessures, on apporte une aide immédiate, urgente, non négociable, incontournable pour soigner les plaies, les bander, apaiser la douleur… Tous les services, gestes, aides, projets, allant des plus simples que puisse accomplir un groupe paroissial qui cherche des ressources et les met au service de la communauté pour solutionner une situation problématique et urgente, jusqu’aux projets mis en œuvre dans les maisons d’hébergement, dans les cantines, dans les friperies, dans les centres d’aide sociale, dans les polycliniques de quartier, dans les résidences… font partie de cette première étape.

Ensuite, la seconde étape : s’efforcer d’assurer la PROMO-TION de cette personne et l’accom pagner dans ce processus.

Verset 34b : … le prit sur lui, le chargea sur sa propre monture, le mena à une auberge…

— Il prend en charge toute sa situation (= VOIR : Que se passe-t-il ?).

— Il prend toute sa vie sur ses épaules (= JUGER : évaluer ce que l’on peut faire à partir des priorités).

— Il cherche avec lui des solutions, des alternatives à sa

situation (= AGIR : trouver comment passer de l’épreuve à une présence protectrice).

Après avoir fait tout cela, la troisième étape : l’accompagner étroitement tout au long de sa guérison, l’écouter, lui témoigner de la tendresse, demeurer vigilant.

Verset. 34c : … et prit soin de lui toute la nuit…

— Maison : refuge, toit, protection, sécurité…

— Nourriture : aliments qui rétablissent, qui donnent des forces…

— Un lit : repos, sérénité, paix…

— De la compagnie : des yeux qui regardent, des oreilles qui écoutent, une bouche qui prononce des paroles de réconfort, des mains qui caressent et transmettent une présence et de la chaleur humaine…

Ces quatre éléments ne sont cependant pas suffisants pour permettre à la personne agressée de récupérer ce qu’on lui a dérobé de plus important : sa dignité en tant que personne humaine et sa confiance en la condition humaine. Cela ne sera possible qu’en lui prodiguant beaucoup, infiniment d’affection, pour guérir ses blessures les plus profondes, celles qu’il a dans ses

entrailles, afin que là où il y a eu tant d’inhumanité et de violence, grâce à un débordement de ce qu’il y a de plus profondément humain -- la TENDRESSE -- elle puisse être totalement guérie.

En fait, il faut offrir à ces personnes des conditions qui leur permettent de recommencer leur vie, dont ils seront les protagonistes, et retrouver ainsi l’estime d’elles-mêmes, la confiance en elles-mêmes, leur entourage, leurs habitudes, leur famille.

Cette tâche est accomplie par tous les programmes, projets et services qui accompagnent les personnes qui ont vécu des expériences négatives tout au long de leur processus de guérison, lequel passe par la réflexion, l’accompagnement thérapeutique, la réinsertion dans la famille, la société, le milieu de travail.

La quatrième étape : partager les biens de façon anonyme et gratuite.

Verset. 35a : … Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l’hôtelier…

Il assume aussi ses frais d’hébergement. L’argent qu’il laisse à l’hôtelier sert à couvrir les dépenses de la personne agressée ;

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son rôle n’est pas de fixer une somme d’argent que celle-ci pourra utiliser ; elle ne voit pas l’argent, ne le reçoit pas, n’est pas au courant de ce geste.

La cinquième étape : inviter d’autres personnes à vivre la même expérience empreinte d’humanité compatissante.

Verset. 35b : ... et il invite l’hôtelier à prendre désormais soin de lui… ; et lui dit qu’il reviendra plus tard pour lui rembourser les autres dépenses qu’il aura engagées…

Après avoir fait tout ce qui était en son pouvoir, le Samaritain ne s’approprie pas la personne agressée ; il ne commence pas à la contrôler… mais il invite l’hôtelier à reproduire la même expérience que celle qu’il a lui-même vécue, à grandir en humanité comme lui.

Luc 10, 36-37 : En terminant son récit, Jésus demanda au jeune homme : « Lequel de ces trois, à ton avis, S’EST MONTRÉ LE PROCHAIN DE L’HOMME TOMBÉ AUX MAINS DES BRIGANDS ? » (Le jeune homme lui avait demandé auparavant : Et qui est mon prochain ?).

Et le jeune homme lui répondit « CELUI-LÀ QUI A EXERCÉ LA MISÉRICORDE ENVERS LUI ».

Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais DE MÊME ».

Les gestes que Jésus propose (ET NOUS PROPOSE) ne sont pas des gestes isolés. Ils s’inscrivent tous dans un processus de libération et de guérison de la personne agressée, et aucun d’entre eux ne devrait être omis : analyser la situation ; accomplir ce qui est le plus urgent pour apporter l’aide nécessaire ; réhabiliter la personne battue, l’accompagner et l’écouter, la guérir à tous les niveaux et, par contagion, proposer à d’autres de vivre la même expérience.

2.4. CARITAS EN TANT

QU’ORGANISATION ECCLÉSIALE

La pastorale sociale Caritas est une institution de la communauté ecclésiale qui anime, met en œuvre et coordonne l’exercice de la charité en faveur des personnes les plus pauvres, les plus exclues et les plus marginalisées de la communauté33.

Le document d’Aparecida dit au numéro 401 : « Les Conférences épiscopales et les Églises locales ont la mission de promouvoir des efforts renouvelés pour renforcer une pastorale sociale, structurée, organique et intégrale, qui, sans omettre l’assistance, avec la promotion humaine, se rendra présente dans les réalités nouvelles

d’exclusion et de marginalisation que vivent les groupes les plus vulnérables, où la vie est la plus menacée. Au centre de cette action, il y a chaque personne, qui est accueillie et servie avec toute la chaleur chrétienne ».

Les visages décrits dans le document de Puebla, dans celui de Santo Domingo et maintenant dans celui d’Aparecida, demeurent la preuve flagrante que la douleur continue d’interpeller une charité qui se concrétise dans un développement humain, intégral et solidaire et dans une société juste et libératrice (le numéro 65 du document d’Aparecida contient une longue liste de groupes et de personnes qui souffrent dans nos pays).

Deus Caritas est dit au numéro 22 : « Les années passant, avec l’expansion progressive de l’Église, l’exercice de la charité s’est affirmé comme l’un de ses secteurs essentiels, avec la célébration des Sacrements et l’annonce de la Parole: pratiquer l’amour envers les veuves et les orphelins, envers les prisonniers, les malades et toutes les personnes qui, de quelque manière, sont dans le besoin, cela appartient à l’essence de l’Église au même titre que le service des Sacrements et l’annonce de l’Évangile. L’Église ne peut pas négliger le service

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de la charité, de même qu’elle ne peut négliger les Sacrements ni la Parole ».

Et encore Deus Caritas est, au numéro 25 : « Arrivés à ce point, nous gardons deux éléments essentiels de nos réflexions :

A ― La nature profonde de l’Église s’exprime dans une triple activité : annonce de la Parole de Dieu, célébration des Sacrements et service de la charité. Ce sont trois tâches qui se complètent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence elle-même, à laquelle elle ne peut renoncer.

B ― L’Église est la famille de Dieu dans le monde. Dans cette famille, personne ne doit souffrir par manque du nécessaire. (…) La parabole du Bon Samaritain demeure le critère d’évaluation, elle impose l’universalité de l’amour qui se tourne vers celui qui est dans le besoin, rencontré par hasard (Lc 10, 31), quel qu’il soit ».

2.5. UNE ORGANISATION GUI­

DÉE PAR SES PASTEURS

Au sein de la famille Caritas, nous sommes tous conscients de

notre dimension ecclésiale, c’est pourquoi nous suivons la voie, l’enseignement et le ministère de nos évêques. Ce sont eux qui nous guident dans notre travail de promotion de la charité et de la sainteté auprès de toute la communauté ecclésiale. Ils nous aident, ainsi que tout le peuple de Dieu, à grandir dans la grâce par les sacrements. Ils sont appelés à être nos maîtres dans la foi et à annoncer la bonne nouvelle, car ils sont les témoins proches et joyeux de Jésus Christ, le bon pasteur (Document d’Aparecida 186-187 ; Jn 10, 1-18).

Ils sont les promoteurs et les guides spirituels de nos Caritas et des communautés que nous accompagnons, et nous devons travailler en collaboration avec eux pour faire de l’Église une maison et une école de communion (Voir Novo millennio ineunte 43 et Document d’Aparecida 188-189).

2.6. LE PRINCIPE DE LA COM­

MUNION

Faire de l’Église la maison et l’école de la communion : tel est le grand défi qui se présente à nous dans le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre aussi aux attentes profondes du monde.

Qu’est-ce que cela signifie con-crètement ? Ici aussi le discours

pourrait se faire immédiatement opérationnel, mais ce serait une erreur de s’en tenir à une telle attitude. Avant de programmer des initiatives concrètes, il faut promouvoir une spiritualité de la communion, en la faisant ressortir comme principe éducatif partout où sont formés l’homme et le chrétien, où sont éduqués les ministres de l’autel, les personnes consacrées, les agents pastoraux, où se construisent les familles et les communautés.

Une spiritualité de la communion consiste avant tout en un regard du cœur porté sur le mystère de la Trinité qui habite en nous, et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères et sœurs qui sont à nos côtés, de tous et de toutes, peu importe leur condition sociale, culture, origine, croyances.

Une spiritualité de la communion veut dire la capacité d’être attentif, dans l’unité profonde du Corps mystique, à son frère dans la foi, le considérant donc comme ‘l’un des nôtres’, pour savoir partager ses joies et ses souffrances, pour deviner ses désirs et partager les besoins réciproques, pour lui offrir une amitié vraie et profonde.

Une spiritualité de la communion est aussi la capacité de voir surtout

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ce qu’il y a de positif dans l’autre, pour l’accueillir et le valoriser comme un don de Dieu : un ‘don pour moi’, et pas seulement pour le frère qui l’a directement reçu de Dieu.

Une spiritualité de la communion, c’est savoir donner une place à son frère, à sa sœur en portant mutuellement les fardeaux les uns des autres (Ga 6, 2) et en repoussant les tentations égoïstes qui continuellement nous tendent des pièges et qui provoquent compétition, carriérisme, défiance, jalousies. Ne nous faisons pas d’illusions : sans ce cheminement spirituel, les moyens extérieurs de la communion serviraient à bien peu. Ils deviendraient des façades sans âme, des masques de communion plus que ses expressions et ses chemins de croissance34 ».

2.7. QUELQUES TRAITS DE LA

SPIRITUALITÉ DE CARITAS

ENRACINÉE EN JÉSUS CHRIST

1 ― Une spiritualité des périphéries

Bethléem, Nazareth, Galilée, les chemins, Golgotha… « Dans toute l’histoire du salut, Dieu agit aux marges, à partir des périphéries. Sa voix assume une forme humaine, devient audible,

profonde ; elle porte toujours un sens pour ceux qui l’écoutent de près, ceux qui sont relégués aux marges », dit Carlos Mesters.

2 ― Une spiritualité des petits

Dieu choisit le plus petit, David, pour en faire un roi. Jésus choisit des pêcheurs pour en faire des apôtres, des femmes pour être les premiers témoins de sa résurrection.

Dieu choisit les petits pour faire honte aux forts. « La faiblesse de Dieu est plus forte que la force des hommes », dit Paul.

L’action de Dieu est toujours disproportionnée par rapport aux moyens qu’il emploie, aux acteurs qu’il choisit, aux objectifs qu’il se donne.

3 ― Une spiritualité des faibles

Non seulement Dieu choisit les petits, mais il choisit aussi des moyens pauvres et faibles comme la graine de moutarde, le grain de blé, la levure … pour illustrer la dynamique du Royaume. Il y a une connaturalité, une correspondance entre le Royaume et les moyens du Royaume. Ce dernier est basé sur la vulnérabilité de l’amour, sur l’impuissance, sur l’abandon inconditionnel, confiant… tout le contraire de la richesse et du pouvoir, de l’efficacité à tout prix, du prestige.

4 ― Une spiritualité de la fécondité de ce qui, à première vue, semble stérile

Pour réaliser son plan de salut, Dieu choisit des femmes stériles, infertiles, âgées, païennes, une vierge… pour qu’elles deviennent mères de grands leaders du peuple, mère de Jésus ; parce que « rien n’est impossible à Dieu ». « La femme stérile donne naissance à sept enfants, la mère de beaucoup d’enfants se flétrit » (1 S 2, 5).

5 ― Une spiritualité à l’écoute du cri des pauvres

C’est une spiritualité qui se traduit par la confiance en un Dieu proche, sans cesse à l’écoute du cri de son peuple, des pauvres, et qui est sensible à leur oppression (Ex 3). Une spiritualité qui compatit devant la clameur de tous les martyres qui crient le psaume 130. C’est une spiritualité qui se manifeste à travers la proximité et l’écoute, la présence et la fidélité, l’abaissement et l’accompagnement.

6 ― Une spiritualité du Serviteur

Dans son chemin vers la croix, Jésus incarne les quatre cantiques du Serviteur de Dieu du prophète Isaïe (aux chapitres 42, 49, 50 et 52). Et il se rend visible dans le visage mutilé, blessé, brisé de nombreuses personnes : monseigneur Gerardi, les

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peuples martyrisés, les personnes disparues, torturées, celles qui ont donné leur vie pour demeurer fidèles à l’Évangile de Jésus Christ. « Le peuple qui est toujours maltraité, attristé, dégradé…, qui avance vers l’abattoir, sans défense, sans paroles ni même plaintes, en silence et offre sa vie pour le peuple, sauve le monde entier par le don de sa vie », disait Ignacio Ellacuria.

7 ― Une spiritualité du culte prophétique

C’est une spiritualité du culte, de l’adoration de Dieu qui ne repose pas sur des offrandes, des sacrifices, des jeûnes et des dons de biens matériels, des prières… mais sur la justice et la miséricorde, sur la vérité et une vie digne pour tous, sur la cohérence entre la foi et la vie, sur la volonté de Dieu. C’est la spiritualité des Samaritains qui sillonnent les chemins, une spiritualité faite de proximité, de gestes, de présence, de patience, de tendresse, une spiritualité qui protège et prend soin des personnes agressées, qui écoute le cri et la parole, qui dénonce et proteste, qui est reconnaissante et qui s’abandonne.

8 ― Une spiritualité de la fraternité universelle

Former un peuple libre, composé de fils et de filles et de frères et

de sœurs formant une famille, tel est le désir le plus profond de Dieu depuis l’époque d’Abraham jusqu’à celle de Jésus, et telle est la mission qui donne un sens à sa vie, comme il le proclame à Nazareth :

— Apporter et proclamer la BONNE NOUVELLE aux pauvres

— Annoncer leur libération aux prisonniers

— Promettre aux aveugles qu’ils recouvreront la vue

— Libérer les opprimés

— Proclamer l’année de grâce, la joie de Dieu à toute l’humanité

Telle est aussi la mission que Jésus confie à ses disciples : proclamer la bonne nouvelle et guérir les cœurs blessés afin que tous les peuples puissent entrer dans le Royaume de Dieu et profiter de ses bienfaits.

9 ― Une spiritualité des Béatitudes

C’est la spiritualité des anawim, des pauvres qui ont été confiés à Dieu, du reste d’Israël, des petits, des faibles, des humbles… à qui se révèle et se manifeste le Royaume de Dieu. Ce sont ceux qui, encore aujourd’hui, traduisent et montrent par leurs vies l’Évangile de Jésus : « Je te bénis, Père,

Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Lc 10, 21).

10 ― Une spiritualité de la Terre promise

Ce sont les pauvres, les assoiffés, les protagonistes de la nouveauté, du ciel nouveau et de la terre nouvelle. C’est la nouvelle fraternité qui s’établit dans la communauté du Ressuscité, et qui contient les prémisses, l’annonce de l’eschatologie finale (Ap 21, 1-6).

2.8. UNE ORGANISATION SEN­

SIBLE AUX SIGNES DES TEMPS

Nous voulons accomplir notre service en nous basant sur une connaissance approfondie de la situation de pauvreté et d’exclusion dans laquelle se trouvent les personnes démunies. Nous voulons en cerner les causes, les manifestations et les conséquences, afin qu’en interprétant les signes des temps, nous puissions relever le défi d’identifier des chemins et des stratégies de libération.

Notre première responsabilité consiste à regarder cette réalité en face, car c’est seulement ainsi que nous pourrons nous rapprocher de la vie des familles,

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des communautés, de tant de personnes. Et il ne suffit pas de regarder cette réalité un instant fugitif; c’est une tâche qui demande de la patience, qui repose sur l’analyse, le discernement et des preuves, qui exige des décisions et des démarches logiques, et qui nous permet de comprendre, avec les communautés elles-mêmes, ce que nous voyons, ce qui se passe et ce que le Seigneur nous conseille de faire.

C’est donc grâce à la communauté ecclésiale que nous pouvons développer une vision plus large des choses et maintenir notre présence, nos engagements et nos responsabilités en utilisant l’approche voir - juger - agir.

« Cette méthode amène à contempler Dieu avec les yeux de la foi à travers sa Parole révélée pour que dans la vie quotidienne nous puissions voir la réalité qui nous entoure à la lumière de sa Providence, que nous la jugions selon Jésus-Christ et que nous agissions en tant qu’Église » (Document d’Aparecida 19). Nous voulons découvrir ce que Dieu attend de nous dans des situations concrètes, ce qu’il attend du travail que nous accomplissons pour changer les réalités que vivent nos peuples, réalités qui posent un défi à notre foi, à notre cohérence et à nos actions si, en

tant que pastorale sociale Caritas, nous voulons participer aux dynamiques de transformation de ces réalités pour bâtir quelque chose de plus proche du Royaume proclamé par Jésus Christ.

2.9. EN CONTEMPLATION DES

VISAGES SOUFFRANTS DES

PAUVRES

Dans le document d’Aparecida (393), voilà ce que nos évêques proposent : « Si cette option est implicite dans la foi christologique, les chrétiens, comme disciples et missionnaires, nous sommes appelés à contempler, dans les visages souffrants de nos frères, le visage du Christ qui nous appelle à le servir en les servant. ‘Les visages souffrants des pauvres sont les visages souffrants du Christ’. Ces visages interpellent les fondements mêmes de l’œuvre de l’Église, de la pastorale et de nos comportements chrétiens. Tout ce qui se rapporte au Christ concerne les pauvres, et tout ce qui touche les pauvres renvoie à Jésus Christ : « dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Jean-Paul II a souligné que ce passage de la Bible « jette une grande lumière sur le mystère du Christ, car dans le Christ le grand se fit petit, le fort se fit fragile, le riche se fit pauvre ».

Et au numéro 402 : « La mondialisation fait apparaître en nos peuples de nouveaux visages de pauvres. De façon particulière, et en continuité avec les conférences générales antérieures, nous pointons notre regard sur les visages de nouveaux exclus : les migrants, les victimes de la violence, les déplacés et les réfugiés, les victimes de la traite des personnes, les séquestrés, les disparus, les malades du sida et des maladies endémiques, les dépendants de la drogue, les adultes, les enfants garçons et filles victimes de la prostitution, de la pornographie, de la violence, du travail infantile, les femmes outragées, les victimes de l’exclusion et de la traite en vue de l’exploitation sexuelle, les personnes avec des capacités différentes, les groupes nombreux de chômeurs, hommes et femmes, les exclus de l’analphabétisme technologique, les personnes de la rue de nos métropoles, les indigènes et les afro-américains, les paysans sans terre et les mineurs.

L’Église, par sa pastorale sociale, doit accueillir et accompagner ces personnes exclues, de la manière la plus appropriée ».

Nous voulons relever ce défi lancé par nos évêques de manière nouvelle et créative à travers le travail de pastorale sociale Caritas

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que nous accomplissons dans chaque pays d’Amérique latine et des Caraïbes, en partageant nos moyens et nos ressources, nos analyses et nos conclusions, nos réussites et nos erreurs, sans oublier nos limites et les opportunités qui s’offrent à nous.Non seulement il faut contempler la réalité sous l’angle de la foi, mais il faut travailler avec l’information très précieuse que nous fournissent les organismes de recherche multidisciplinaires et interdisciplinaires. Le dialogue avec les sciences et la société en général sera donc un facteur déterminant dans la construction de l’identité propre et de l’action de Caritas.

2.10. L’OPTION PRÉFÉREN­

TIELLE POUR LES PAUVRES

Dans le document d’Aparecida, au numéro 391, nos évêques disent que « à l’intérieur de cette ample préoccupation pour la dignité humaine, il faut situer notre angoisse pour les millions de latino-américains et latino-américaines qui ne peuvent mener une vie qui corresponde à cette dignité. L’option préférentielle pour les pauvres est un des traits qui marque le visage de l’Église latino-américaine et des Caraïbes ».

Et au numéro suivant, ils ajoutent : « Pour cela ‘l’option

préférentielle pour les pauvres’ est contenue dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté (2 Co 8, 9) », (Benoît XVI, discours inaugural de la conférence d’Aparecida). Ses propos sont venus confirmer l’un des fondements de notre foi chrétienne, en Amérique latine et dans les Caraïbes, et pour de nombreuses personnes vivant sous d’autres latitudes : Dieu nous montre, en Jésus, une prédilection absolue pour les pauvres, les petits, les exclus, les simples, et il veut qu’à travers eux son amour puisse se répandre à toutes les créatures.

Le style de vie que l’option préférentielle pour les pauvres nous incite à adopter conduit à nous opposer à la logique économique de notre société de consommation capitaliste, qui privilégie la possession, l’accumulation et la consommation de biens. Il ne se soucie point des personnes qui n’ont pas de choix, ni des générations futures, reléguant les êtres humains, surtout les plus faibles, à la périphérie de la vie économique comme s’ils étaient de trop (selon l’expression du Pape François), sans leur fournir la possibilité de se développer de façon authentique.

D’un autre côté, Jésus a choisi de vivre dans la pauvreté mais s’est opposé à la misère, parce qu’elle déshumanise la personne humaine. Pour cette raison, le choix de l’option préférentielle pour les pauvres de Caritas signifie s’approprier un mode de vie basé sur la simplicité et sur l’austérité, grâce auquel nous pouvons parcourir le chemin qui nous permettra de vaincre la misère, c’est-à-dire de passer de conditions de vie moins humaines à des conditions de vie plus humaines.

Nous pouvons méditer sur le contenu des numéros 304 à 398 du document d’Aparecida. Voici ce que nous lisons dans ce dernier numéro : « C’est seulement la fréquentation des pauvres, qui fait que nous devenions leurs amis ; qui nous permet d’apprécier profondément les valeurs d’aujourd’hui, leurs légitimes désirs et leur manière propre de vivre la foi. L’option pour les pauvres doit nous conduire à l’amitié avec les pauvres. Jour après jour, les pauvres seront sujets de l’évangélisation et de la promotion humaine intégrale ».

2.11. VERS DES CONDITIONS DE

VIE PLUS HUMAINES

Dans sa lettre encyclique Populorum Progressio (20), le Pape

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Paul VI dit ceci: « Si la poursuite du développement demande des techniciens de plus en plus nombreux, elle exige encore plus des sages de réflexion profonde, à la recherche d’un humanisme nouveau, qui permette à l’homme moderne de se retrouver lui-même, en assumant les valeurs supérieures d’amour, d’amitié, de prière et de contemplation. Ainsi, pourra s’accomplir en plénitude le vrai développement, qui est le passage, pour chacun et pour tous, de conditions moins humaines à des conditions plus humaines ».

Et il poursuit au numéro 21 : « Moins humaines : les carences matérielles de ceux qui sont privés du minimum vital, et les carences morales de ceux qui sont mutilés par l’égoïsme. Moins humaines : les structures oppressives, qu’elles proviennent des abus de la possession ou des abus du pouvoir, de l’exploitation des travailleurs ou de l’injustice des transactions.

Plus humaines : la montée de la misère vers la possession du nécessaire, la victoire sur les fléaux sociaux, l’amplification des connaissances, l’acquisition de la culture. Plus humaines aussi : la considération accrue de la dignité d’autrui, l’orientation vers l’esprit de pauvreté (Mt 5, 3), la coopération au bien commun,

la volonté de paix. Plus humaine encore : la reconnaissance par l’homme des valeurs suprêmes, et de Dieu qui en est la source et le terme. Plus humaines enfin et surtout : la foi, don de Dieu accueilli par la bonne volonté de l’homme, et l’unité dans la charité du Christ qui nous appelle tous à participer en fils à la vie du Dieu vivant, Père de tous les hommes35 ».

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3.1. LA PASTORALE SOCIALE

CARITAS

Dans un document élaboré en 2002, nous disions déjà que, sur notre continent et dans le contexte de chaque pays, notre pastorale sociale visait à « animer, à la lumière de l’Évangile et de la doctrine sociale de l’Église, le processus de transformation de la réalité des peuples d’Amérique, ayant pour protagonistes les pauvres et les exclus, pour construire, en harmonie avec la création, une société, juste, fraternelle et solidaire, signe du Royaume de Dieu » (Mission de la pastorale sociale Caritas, définie lors de la 1ère Rencontre continentale de la pastorale sociale Caritas, tenue à Bogota, en Colombie, en mars 2002).

Voici la vision de la pastorale sociale Caritas proposée par les évêques qui se sont réunis à Aparecida :

— Mondialiser la solidarité, la justice et les droits humains. Numéro 64 : « Pour cela, face à cette forme de mondialisation, nous nous sentons fortement appelés à promouvoir une mondialisation différente, marquée par la solidarité, la justice et le respect des droits de la personne, faisant ainsi de l’Amérique latine et des Caraïbes non seulement le continent de l’espérance, mais

aussi le continent de l’amour, comme l’a proposé Sa Sainteté Benoît XVI dans le discours inaugural de cette conférence ».

— Dénoncer les structures injustes et promouvoir celles qui favorisent la vie en société. Numéro 384 : « Être disciples et missionnaires de Jésus Christ pour que nos peuples, en Lui, aient la vie nous conduit à assumer évangéliquement, et à partir de la perspective du Royaume, les tâches prioritaires qui contribuent à rendre leur dignité à tous les êtres humains ; à travailler avec les autres citoyens et les institutions en faveur du bien pour l’être humain. L’amour de miséricorde envers tous ceux qui voient leur vie violée en certaines de ses dimensions, comme nous le montre le Seigneur avec tous ses gestes de miséricorde, requiert que nous secourions les besoins urgents, en même temps que nous collaborons avec d’autres organismes ou institutions pour organiser des structures plus justes à niveau national et international. Il est urgent de créer des structures, qui consolident un ordre social, économique et politique, dans lequel il n’y aura pas d’inégalité et dans lequel il y aura des chances pour tous. Également, il faudra de nouvelles

structures, qui promouvront un authentique vivre ensemble, qui empêcheront la toute-puissance de quelques-uns et faciliteront le dialogue constructif pour les indispensables consensus sociaux ».

— Exercer une influence sur les politiques sociales qui concernent la population. Numéro 403 : « Dans ce devoir, avec créativité pastorale, on doit prévoir des actions concrètes qui trouvent écho auprès des gouvernements, afin que soient approuvées des politiques sociales et économiques qui répondent aux besoins variés de la population et qui conduisent vers un développement durable. À l’aide de diverses instances et organisations, l’Église peut faire une permanente lecture chrétienne et une approche pastorale à ces réalités de notre continent, en profitant du riche patrimoine de la doctrine sociale de l’Église. De cette façon, elle aura des éléments concrets, pour exiger que ceux qui ont la responsabilité de prévoir et de décider les politiques qui concernent nos peuples, le fassent dans une perspective éthique, solidaire et authentiquement humaniste. En tout cela, les laïcs, hommes et femmes, jouent un rôle

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fondamental en assumant des tâches pertinentes dans la société ».

— Participer à la société civile et à la vie politique. Numéro 406 : « Appuyer la participation de la société civile à la réorientation de la politique et à la réhabilitation qui s’en suit. Pour cela, les espaces de participation de la société civile sont très importants afin de veiller à la démocratie, à une véritable économie solidaire, à un développement intégral, solidaire et durable ».

— Renforcer les structures de la pastorale sociale Caritas et promouvoir l’œcuménisme dans la vie sociale. Numéro 401: « Les Conférences épiscopales et les Églises locales ont la mission de promouvoir des efforts renouvelés pour renforcer une pastorale sociale, structurée, organique et intégrale, qui, sans omettre l’assistance, avec la promotion humaine, se rendra présente dans les réalités nouvelles d’exclusion et de marginalisation que vivent les groupes les plus vulnérables, où la vie est la plus menacée. Au centre de cette action, il y a chaque personne, qui est accueillie et servie avec toute la chaleur chrétienne. Dans cette action en faveur de la vie

de nos peuples, l’Église appuie la collaboration mutuelle avec d’autres communautés chrétiennes ».

Voici quelles pourraient être les grandes lignes de la mission de la pastorale sociale Caritas, inspirées du déroulement de l’histoire racontée dans la parabole du BON SAMARITAIN :

1 ― La compréhension et le discernement évangélique de la réalité : connaître et comprendre les mécanismes du pouvoir, les structures de la société, les relations et la culture.

2 ― L’aide qui guérit : à travers l’empathie, la proximité et l’écoute, le regard, les gestes et les mots, accompagner les personnes pour chercher et obtenir les ressources nécessaires pour résoudre les situations et les défis les plus urgents.

3 ― La promotion humaine : mettre en œuvre des initiatives de solidarité et de guérison, afin de passer de situations moins humaines à des situations plus humaines, et pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes.

4 ― L’action sociale transfor­matrice : provoquer un change-ment structurel, afin d’annoncer et de promouvoir d’autres

relations sociales et de dénoncer les causes de l’injustice et du mal.

Cette charité qui transforme commence par la justice. Cette dernière, la justice, devra être le point de départ de la charité, afin que l’on ne doive jamais donner sous forme de charité ce que l’on doit déjà en toute justice.

5 ― La vie fraternelle et libératrice : reconstruire le tissu social, en s’inspirant de la vie des premières communautés chrétiennes, qui s’efforçaient de vivre en fraternité et en solidarité.

De plus, la charité contribue à élargir les horizons de la justice, lorsqu’elle nous amène à :

— Une détermination ferme et persévérante d’agir pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que tous, nous sommes vraiment responsables de tous36. Il est évident que cela va beaucoup plus loin que ce qu’on entend généralement par le terme justice. Une telle détermination est fondée sur la ferme conviction que le développement intégral est entravé par le désir de profit et la soif de pouvoir. Ces attitudes et ces structures de péché ne peuvent être vaincues qu’avec l’aide de la grâce divine par une attitude diamétralement

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opposée : la disponibilité à se perdre, au sens évangélique du terme, pour le bien du prochain et à le servir au lieu de l’exploiter et de l’opprimer pour son propre profit.

— Rechercher la justice sociale qui permet d’améliorer le niveau de vie des personnes, en les responsabilisant en tant que sujets de leur propre histoire afin qu’elles participent à la mise en place de structures sociales justes, efficaces et durables (Document d’Aparecida 385).

3.2. LA VISION DE LA PAS­

TORALE SOCIALE CARITAS

En tant que pastorale sociale Caritas, « nous voulons un continent solidaire, juste, démocratique et pluraliste, où les pouvoirs publics sont représentatifs, transparents et participatifs afin que tout homme et toute femme puisse vivre avec dignité, obtienne satisfaction de ses besoins de base et utilise les biens de la création pour le bien commun.

Et, donc, nous voulons une Église qui soit le témoin de Jésus dans le monde, une Église pauvre, prophétique et pascale, engagée dans une dynamique de conversion continuelle, où les laïcs jouent un rôle de protagonistes, et qui s’engage à fond dans les processus

historiques de transformation qui vise à rendre présent le Royaume de Dieu ».

Lors de la 3ème rencontre de la pastorale sociale Caritas et du 16ème Congrès latino-américain et caribéen tenus en Haïti en mars 2007, les Caritas ont défini les axes qui guident en ce moment leur travail dans cette région du monde. L’élaboration de ces axes a été le résultat d’une analyse détaillée et engagée de la situation.

1 ― Un service de la charité qui

s’enracine dans des valeurs et

des principes humanitaires

Nous voulons être reconnus comme une organisation qui s’est dotée de principes clairs et convaincants et qui facilitent le dialogue avec le monde moderne. Ce sont des principes que l’Église, tout au long de son histoire, a produits, élaborés, transformés et préservés, malgré les changements qu’a connus l’humanité, afin de pouvoir protéger certains aspects fondamentaux sur lesquels repose l’existence même de l’humanité, comme la défense de la vie et de la dignité humaines, de chaque personne, des personnes les plus vulnérables, des pauvres et de ceux qui, pour diverses raisons, se trouvent en situation de pauvreté et d’exclusion sociale.

C’est pourquoi, dans notre travail et notre service au monde dans lequel nous vivons, nous nous inspirons de l’enseignement social de l’Église, qui consiste en l’ « annonce de la vérité de l’amour du Christ pour chaque personne, présent dans la société » (Caritas in Veritate 5b). Cet enseignement consiste à éclairer d’une lumière constante et qui ne faiblit jamais les problèmes toujours nouveaux qui surviennent dans la société, les nouvelles interrogations que peuvent avoir l’homme et la femme d’aujourd’hui.

2 ― Communion ecclésiale, en dialogue avec la réalité, avec d’autres instances et avec la société civile

À travers son engagement, Caritas cherche à pénétrer profondément les réalités vécues par les Églises du monde entier, en parcourant avec elles le même chemin, sur lequel nous sommes appelés à vivre une véritable et indispensable communion. À l’opposé, l’isolement est l’une des situations de pauvreté que peuvent connaître la femme et l’homme, et qui à son tour peut causer d’autres situations de pauvreté. Nous devons donc passer de la simple proximité à une véritable communion avec l’autre (Caritas in Veritate 53 et 29) et vivre une expérience de fraternité, de communion et

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CHAPITRE 3

devenir de véritables compa-gnons/compagnes de route, de chemin.

Nous devons entretenir des liens avec la société civile, tout en respectant l’autonomie et les compétences de chaque organisation. Caritas est un espace et un instrument privilégié pour accomplir ce travail et nous offre la possibilité, dans ce contexte, de mondialiser la solidarité en établissant des réseaux, en favorisant la création d’espaces de participation et de concertation afin de faire avancer des dynamiques de développement conjointes. Nous devons nous définir comme étant une famille, de manière à pouvoir nous consacrer au développement des peuples en ayant cette capacité de nous reconnaître comme telle.

Il est très important de préciser que Caritas ne se substitue pas aux organisations sociales ou publiques. Elle accompagne, facilite, appuie des processus et autonomise les dirigeants sociaux pour que les laïcs, grâce à des processus de participation citoyenne éclairée, libre et responsable, puissent bâtir leur propre avenir. Il est essentiel que Caritas établisse et maintienne des relations étroites avec tous les acteurs sociaux et avec tous les niveaux de gouvernement.

En ce qui concerne les États, il faut entreprendre des actions qui les influencent afin d’obtenir des politiques sociales, culturelles et économiques qui répondent aux différents besoins de la population et conduisent à un développement durable, tout en nous assurant que ces politiques sont définies et mises en œuvre à partir d’une approche éthique, solidaire et profondément humaniste. Les chrétiens du monde entier ont pour devoir d’accomplir ces tâches de la façon la plus efficace possible dans nos sociétés, comme le dit le document d’Aparecida au numéro 403 : « Dans ce devoir, avec créativité pastorale, on doit prévoir des actions concrètes, qui trouveront écho dans les États, afin que soient approuvées des politiques sociales et économiques, qui accueilleront les besoins variés de la population et qui conduiront vers un développement durable ».

3 ― Avec espérance et confiance en la Providence

Nous voulons être considérées comme des personnes qui agissent avec espérance. Une espérance qui nous motive à être présents aux situations dramatiques que vivent nos communautés, qui nous encourage à croire malgré les nombreuses angoisses auxquelles nous devons faire face sur notre continent et dans

le monde entier. Nous croyons qu’il est encore possible de bâtir un monde différent et meilleur, bien réfléchi, articulé, et de ne pas nous laisser aller à la résignation et au défaitisme.

Une espérance si grande, si joyeuse, si riche, qu’elle nous conduit non seulement à travailler en faveur des plus démunis, mais aussi à y consacrer toute notre vie. Voyons ce qu’en dit le numéro 396 d’Aparecida : « Nous nous engageons à travailler pour que notre Église latino-américaine et des Caraïbes continue à être, avec encore plus d’ardeur, compagne de route de nos frères les plus pauvres, y compris jusqu’au martyre. Aujourd’hui nous voulons ratifier et approfondir l’option de l’amour préférentiel pour les pauvres, proclamée dans les conférences antérieures. Qui dit préférentiel, dit que cela doit traverser toutes nos structures et priorités pastorales. L’Église latino-américaine est appelée à être sacrement de l’amour, de la solidarité et de la justice parmi nos peuples ».

Nous savons que l’argent n’est pas ce qui nous motive, voilà pourquoi nous sommes un organisme d’amour gratuit. Nos projets ne se limitent pas à apporter une aide matérielle ; ils vont bien au-delà de nos capacités

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et de notre compréhension de la réalité. Nous voulons vivre en nous abandonnant à l’amour providentiel de Dieu le Père qui nous a tout donné et sur qui repose toute notre action.

Pour vivre pleinement ce choix, nous avons besoin de baser davantage toute notre vie sur la prière, personnelle et communautaire, la formation, la réflexion et l’échange au sujet de nos expériences et activités, et sur la communion, comme des piliers solides qui pourront nous confirmer que notre action continue à emprunter le style de l’agir de Dieu. C’est pour cette raison que toutes nos actions doivent s’enraciner dans une spiritualité intense, qui donne des ailes à notre engagement dans l’histoire et qui, en ouvrant notre cœur à l’amour de Dieu, l’ouvre également à l’amour pour nos frères et sœurs et nous rend capables de construire l’histoire selon le dessin d’amour de Dieu (Novo millennio ineunte 33).

Nous n’avons pas la vanité de croire que nos organisations accomplissent tout ce travail en agissant seules. Nous avons la certitude que c’est l’esprit du Seigneur Jésus qui fait avancer l’histoire et que le Royaume de Dieu se trouve au-delà de ce que nous pouvons accomplir et

accomplissons. C’est pourquoi nous nous en remettons à Dieu et nous lui demandons de changer la société, tout en cherchant à faire sa volonté et à collaborer avec lui pour que ces changements puissent devenir réalité. Nous savons que la vocation de l’homme et de la femme, et des peuples, de parvenir à un développement humain intégral ne se fonde pas seulement sur nos décisions humaines et institutionnelles, mais aussi sur Dieu qui nous indique le chemin à suivre pour que le véritable rêve qu’Il entretient pour l’humanité toute entière puisse devenir réalité (Caritas in Veritate 34).

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4.1. LA SPIRITUALITÉ COMME

MODE DE VIE

La spiritualité, c’est vivre par l’Esprit, c’est être docile à sa puissance qui mobilise toutes les dimensions de notre existence. Lorsque l’impulsion de l’Esprit Saint imprègne et stimule toutes les dimensions de l’existence humaine, il pénètre en chacun d’entre nous pour définir notre vocation particulière. C’est ainsi que la spiritualité de Caritas et des personnes qui accomplissent son travail de pastorale sociale se forge et se développe. C’est cette spiritualité qui donne sa profondeur et son élan aux tâches que nous accomplissons.

Voici ce qu’en dit le Saint-Père Jean-Paul II au numéro 29 de son exhortation post-synodale Ecclesia in America: « La proposition d’un nouveau style de vie ne concerne pas seulement les Pasteurs, mais aussi tous les chrétiens qui vivent en Amérique. Il leur est demandé d’approfondir et de faire leur la spiritualité chrétienne authentique. En effet, par le terme spiritualité, on entend un style ou une forme de vie selon les exigences chrétiennes. La spiritualité est ‘vie en Christ’ et ‘dans l’Esprit’, qui est accueillie dans la foi, qui s’exprime dans l’amour et qui, animée d’espérance, se traduit dans le quotidien de la

communauté ecclésiale. En ce sens, par spiritualité, qui est le but auquel conduit la conversion, on comprend non pas ‘une part de la vie, mais la vie tout entière guidée par l’Esprit Saint’. Parmi les éléments de spiritualité que tout chrétien doit faire sien, se distingue la prière. Celle-ci le conduira peu à peu à acquérir un regard contemplatif sur la réalité, qui lui permettra de reconnaître Dieu à tout moment et en toute chose ; de le contempler en toute personne ; de chercher sa volonté dans tous les événements ».

La spiritualité chrétienne est nourrie avant tout par une vie sacramentelle assidue, les sacrements étant des racines et des sources inépuisables de la grâce de Dieu nécessaire pour soutenir le croyant dans son pèlerinage terrestre. De plus, il faut noter que cette spiritualité ne s’oppose pas à la dimension sociale de l’engagement chrétien. Au contraire, par sa démarche de prière, le croyant prend davantage conscience des exigences de l’Évangile et de ses propres devoirs à l’égard de ses frères et sœurs, recevant la force de la grâce indispensable pour persévérer dans le bien.

La spiritualité chrétienne est décrite de façon similaire au numéro 284 du document

d’Aparecida : « Il est nécessaire de former les disciples à une spiritualité de l’action missionnaire, basée sur la docilité à l’impulsion de l’Esprit, à sa puissance de vie qui mobilise et transfigure toutes les dimensions de l’existence. Ce n’est pas une expérience qui se limite aux espaces privés de la dévotion, mais bien qui cherche à les pénétrer entièrement avec son ardeur et sa vie. Le chrétien disciple et missionnaire, poussé par l’élan et la force qui vient de l’Esprit, apprend à l’exprimer dans le travail, dans la conversation, dans le service, dans la mission quotidienne ».

Ainsi qu’au numéro 285 : « Quand l’élan donné par l’Esprit imprègne et motive tous les champs de la vie, alors il pénètre et configure aussi la vocation spécifique de chacun. Ainsi se forme et se développe la spiritualité propre des prêtres, des religieux et religieuses, des pères de famille, des chefs d’entreprises, des catéchistes, etc. Chacune des vocations a une façon concrète et distincte de vivre la spiritualité qui donne profondeur et enthousiasme à l’exercice concret de ses tâches. Ainsi, la vie dans l’Esprit ne nous enferme pas dans une intimité commode, mais nous convertit plutôt en personnes généreuses et créatives, heureuses dans l’annonce et le service

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missionnaire. Elle fait de nous des êtres engagés à répondre aux appels de la réalité et capables de donner une signification profonde à tout ce qu’il faut faire pour l’Église et pour le monde ».

Nous pouvons le constater aussi au numéro 308 du document d’Aparecida, où nous sommes invités à participer à la vie des petites communautés et à les promouvoir: « Elles forment un cadre propice pour écouter la Parole de Dieu, vivre la fraternité, nourrir l’engagement par la prière, approfondir les parcours de formation dans la foi et donner des forces en vue de l’engagement, exigeant, à être apôtres dans la société d’aujourd’hui ».

La Parole de Dieu illumine nos esprits et façonne nos cœurs pour que nous puissions exercer la charité fraternelle et la justice, servir les communautés, vivre une spiritualité basée sur la communion avec le Christ et être dociles à l’action de l’Esprit Saint. Nous pouvons développer ainsi une spiritualité de gratitude, de miséricorde, de solidarité fraternelle, d’action désintéressée de la part de ceux qui aiment sans attendre rien en retour (Document d’Aparecida 517c). Une spiritualité qui porte une attention spéciale au monde de la souffrance urbaine, qui aide ceux

qui sont tombés sur le bord du chemin, ceux qui se retrouvent dans les hôpitaux, les prisonniers, les exclus, les drogués, les habitants des périphéries, des grandes banlieues, et les familles décomposées et recomposées (Document d’Aparecida 517 j, sur une nouvelle pastorale pour la ville).

4.2. LES FONDEMENTS DE LA

CHARITÉ

Notre spiritualité prend naissance dans l’amour du Père ; sa présence, son visage, ses gestes et ses paroles empreints d’humanité, son amour inconditionnel qui s’exprime à travers Jésus, par amour et sans limites, pour donner la VIE à chacun d’entre nous et à toute l’humanité. Voici ce que nous pouvons lire au numéro 389 du document d’Aparecida : « Notre mission, pour que nos peuples aient, en Lui, la vie, manifeste notre conviction que dans le Dieu de la vie, révélé en Jésus, se trouve le sens, la fécondité et la dignité de la vie humaine. Pour nous, elle est urgente, la mission de transmettre à nos peuples la vie pleine et heureuse que Jésus nous apporte, pour que chaque personne humaine vive en accord avec la dignité que Dieu lui a donnée. Nous le faisons avec la conscience que cette dignité n’atteindra sa plénitude que

lorsque Dieu sera tout en tous. Il est le Seigneur de la vie et de l’histoire, vainqueur du mystère du mal, et évènement salvifique, qui nous rend capables d’émettre un jugement authentique sur la réalité, qui sauvegarde la dignité des personnes et des peuples ».

1 ― L’importance du Christ

Au tout début de l’introduction de la lettre encyclique Deus Caritas est du Pape Benoît XVI, nous pouvons lire ceci : « Nous avons cru à l’amour de Dieu : c’est ainsi que le chrétien peut exprimer le choix fondamental de sa vie. On ne devient pas chrétien par une décision éthique ou une grande idée, mais par la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive ». Tel est le fondement de notre foi en notre Seigneur Jésus: l’expérience d’une relation intime avec Lui, l’écoute de sa Parole et la contemplation de sa vie, la célébration de sa Pâques en communauté en communiant à ses souffrances, et l’apprentissage de la pratique du Royaume en nous mettant, par amour, au service de ses préférés. Car, en effet, dit le numéro 12 du document d’Aparecida, « ne résisterait pas longtemps aux assauts du temps une foi catholique réduite à un bagage, à un catalogue de quelques normes

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et interdictions, à des pratiques de dévotion fragmentées, à une adhésion sélective et partiale aux vérités de la foi, à une participation occasionnelle à quelques sacrements, à la répé-tition de principes doctrinaux, à un moralisme mou ou crispé qui ne convertisse pas la vie des baptisés ».

Nous pourrions formuler cela autrement : la spiritualité de Caritas prend sa source dans la vie et le ministère de Jésus Christ, dans ses faits, ses paroles, sa propre personne : une personne qui a fait le bien autour d’elle, qui a soigné les malades, qui a rendu la vue aux aveugles et qui a proclamé la Bonne Nouvelle du salut, en nous révélant l’amour infini de son Père et de notre Père. La relation nécessaire qui existe entre Caritas et l’évangélisation repose sur ce fait théologique, car les personnes qui collaborent avec Caritas ou qui y travaillent ont le devoir d’annoncer et de rappeler continuellement le rôle central joué par le Christ dans la solution des problèmes de justice et de développement. Ceci est notre plus importante contribution : dénoncer les problèmes actuels, avoir les mêmes attitudes et les mêmes paroles que celles du Christ envers ses contemporains, poursuivant ainsi la mission de l’Église, la même œuvre de

libération que celui qui a donné sa vie pour la sanctifier.

C’est pourquoi les principes de l’enseignement social de l’Église que nous connaissons, tels que la dignité humaine, le bien commun, la destination universelle des biens, la subsidiarité, la participation et la solidarité (exposés dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église) imprègnent en tout temps notre travail.

Il est certain que dans les crucifiés de l’histoire nous reconnaissons le Christ souffrant, « mais la contemplation du visage du Christ ne peut s’arrêter à son image de Crucifié. Il est le Ressuscité ! » (Novo millennio ineunte 28). Nous voyons aussi le Christ dans nombre de gestes d’amour et de solidarité posés par des personnes de chez nous, et nous vivons quotidiennement le mystère pascal de notre Seigneur, mystère qui imprègne tout notre travail de spiritualité, parce qu’il est le Ressuscité, qui triomphe du péché, de l’oppression, de l’injustice, du mal et de la mort.

Heureusement, au-delà de cette cruelle réalité, par notre foi nous savons qu’il est vivant, présent et ressuscité, et donc que la violence, la douleur, l’injustice et la mort n’auront pas le dernier mot sur notre continent.

Cette expérience de la résurrection, nous la vivons lorsque nous allons visiter nos communautés et constatons les efforts énormes qu’elles font pour s’en sortir avec si peu de moyens. Or, lorsque ces communautés se trouvent dans des situations particulièrement difficiles et dramatiques, elles aussi nous évangélisent, en ce sens qu’un véritable échange a lieu entre nous, échange qui conduit ceux qui travaillent au nom de Caritas et qui voient l’engagement d’un si grand nombre de personnes, à remercier Dieu le Père pour tout cela et à tourner leur regard vers le Christ qui dit « moi, je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante » (Jn 10, 10).

Cette spiritualité pascale est imprégnée de joie, de liberté, de tendresse, d’espérance et d’enthousiasme, qui nous aident à être plus forts et à améliorer notre intériorité, en particulier lorsque nous réalisons que nous n’avons pas réussi à atteindre les buts que nous nous sommes fixés, qu’il y a encore beaucoup de misère et de pauvreté, et que nous n’avons réussi à rendre plus humain qu’une infime partie de ce monde et à encourager un très petit nombre de personnes à ne pas perdre l’espoir d’un avenir meilleur. Nous sommes convaincus que c’est l’Esprit du

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Seigneur Jésus qui nous apprend et nous aide à aimer et à poser tous nos gestes avec amour, car « s’il me manque l’amour, je ne vaux rien, je ne possède rien, je ne suis rien » (1 Co 13, 2b).

2 ― Le Royaume de Dieu comme finalité

Grâce à cette approche qui s’enracine dans la spiritualité, nous ne nous arrêtons pas à l’instant présent et à nos réussites. Le fait de savoir que toute action salvatrice est l’œuvre de Dieu, qu’elle ne dépend pas de nos forces, mais bien du don et de la gratuité de Dieu (Document d’Aparecida 388), nous libère profondément. D’où l’importance de baser notre foi et notre vie sur une mystique de la gratitude et du don pour alimenter notre vocation de servir ses préférés et ne pas rechercher le succès selon les critères de ce monde. Le langage de l’amour créatif nous aide à mûrir et à persévérer dans cette voie et nous permet de voir le visage, la présence et l’action aimante de Dieu dans tous les événements et les faits de notre existence, dans le grand don de la Création, dans la flore et la faune, dans les océans, dans l’immense richesse de la biodiversité et de l’environnement, en particulier dans celle de l’Amérique, continent de l’espoir, que nous sommes appelés à protéger à tout

prix pour les générations futures.Nous sommes convaincus que la grande richesse de Caritas ne se trouve pas dans ses comptes bancaires, dans le nombre de projets qu’elle met en œuvre ou dans le nombre de ses employés ou de ses bénévoles, mais bien dans Jésus Christ mort et ressuscité, bon Samaritain dans nos chemins. C’est notre foi en Lui qui nous aide à bâtir une communauté de prière, fraternelle et solidaire. C’est pourquoi nous devons créer des espaces de rencontre, d’accompagnement, où nous pourrons partager des expériences simples mais profondes, qui joueront un rôle important dans l’édification du Royaume.

Nous sommes particulièrement heureux de savoir que nos communautés sont des pépinières de vie, de justice, de tendresse et d’espérance, et que cela est possible parce que le Seigneur change le monde et les personnes à partir de ce qu’elles sont. C’est pour cette raison que les plus grands témoins de son amour sont issus de la communauté, et que ce sont eux qui l’ont édifiée, et qu’en vivant cette expérience ils ont contribué à l’édification du Royaume, l’ont rendu présent et ont cru que le Seigneur pouvait achever cette œuvre (Document d’Aparecida 143 - 145).

Afin de pouvoir vivre cette expérience, nous devons nous ouvrir de façon permanente à une conversion personnelle et pastorale autour de Jésus Christ, Maître et Pasteur, et annoncer comme lui l’avènement du Royaume de Dieu. De là naît l’attitude d’ouverture, de dialogue et de disponibilité nécessaire à la promotion de la coresponsabilité et de la participation effective de tous les fidèles à la vie des communautés chrétiennes et dans le monde. C’est ainsi que nous offrons un témoignage de communion ecclésiale, de sainteté et de mise en pratique du commandement nouveau de l’amour (Jn 13, 35 ; Document d’Aparecida 368 ; Novo millennio ineunte 20).

3 ― Les pauvres : sacrement vivant de Jésus Christ

En cette époque historique qui est la nôtre, un phénomène ré-sume bien ce qui se passe actuel-lement dans le monde : la MON-DIALISATION. Ce phénomène complexe comporte plusieurs dimensions : économiques, poli-tiques, culturelles, sociales, com-municationnelles, etc. Pour bien le comprendre, il faut pouvoir en faire une analyse fine et en saisir à la fois les aspects positifs et né-gatifs. Hélas, c’est la dimension économique de la mondialisation qui prend le dessus sur les autres

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dimensions de la vie humaine et qui les contrôle.

Dans la mondialisation, la dy-namique des marchés érige l’effi-rige l’effi-’effi-cacité et la productivité en valeurs absolues, devant régir toutes les relations humaines. À cause de cela, la mondialisation entraîne l’apparition de nombreuses iné-galités et injustices. Sous sa forme actuelle, la mondialisation est incapable de fonctionner et de réagir en fonction de valeurs ob-jectives qui vont bien au-delà de l’économie de marché et qui sont ce qu’il y a de plus important dans la vie humaine : la vérité, la jus-tice, l’amour, et, en particulier, la dignité et les droits de chaque être humain, à plus forte raison de ceux et de celles qui vivent en marge de l’économie.

Régie par une tendance qui met l’accent sur le profit et favorise la concurrence, la mondialisation suit une logique basée sur la concentration du pouvoir et de la richesse entre les mains d’un petit nombre de personnes, et cela non seulement au sujet des ressources physiques et financières, mais surtout de l’information et des ressources humaines. Cela exclut tous ceux qui ne sont pas assez compétents ou informés, faisant ainsi augmenter les inégalités qui caractérisent malheureusement notre continent et qui

maintiennent un grand nombre de personnes dans la pauvreté. La pauvreté d’aujourd’hui se manifeste surtout comme manque de connaissances, de nouvelles technologies et d’accès à leur utilisation. Il est donc important que les entreprises s’engagent à créer plus d’emplois dans ce domaine et consentent à faire les investissements nécessaires pour vaincre cette nouvelle forme de pauvreté.

Au contraire, l’exercice de la charité est une manière d’explorer et de comprendre le mystère de Jésus Christ vivant, incarné, devenu une personne humaine, présent dans notre histoire, de sorte que dans chaque situation de pauvreté, en chaque personne pauvre, nous soyons amenés à contempler le visage du Christ souffrant. Nous, les membres de Caritas, devons apprendre à regarder et à reconnaître dans les appauvris la présence particulière, incarnée et réelle de Jésus Christ. Avec Lui, nous allons découvrir et développer une autre dimension de la mondialisation : la SOLIDARITÉ (Mt 25, 30ss ; Document d’Aparecida 61, 62, 65, 74-82).

Nous qui travaillons pour Caritas savons que nous avons été convoqués, en tant que membres de l’Église, à reconnaître le Christ

dans le visage de nos frères et sœurs appauvris et exclus et pour cheminer ainsi avec Lui afin de créer des espaces, des lieux et des expériences pour grandir en humanité. Sur la croix, Jésus s’identifie clairement au destin des défavorisés, des exclus, de ceux qui sont de trop, de ceux qui souffrent d’injustice et dont les droits sont violés, c’est-à-dire, sur notre continent, les pauvres, les enfants et les jeunes, les femmes, les autochtones et les migrants.

Le mystère de l’incarnation de Jésus, dans l’histoire de l’humanité, demande à tous les chrétiens, et à plus forte raison à la pastorale sociale Caritas, de faire nôtres les souffrances et les réalités de ceux et de celles qui ont besoin de notre aide. C’est pourquoi nous voulons accomplir la mission décrite par le Pape Benoît : « Notre option pour le pauvres n’est pas idéologique, au contraire, elle jaillit de l’Évangile. Dans le monde contemporain on retrouve d’innombrables situations dramatiques d’injustice et de pauvreté. Tout comme il faut s’efforcer d’en comprendre les causes structurelles et de les combattre, il est tout aussi important de plonger dans le cœur même de l’homme pour y mener la lutte contre les racines les plus profondes du mal, contre le péché qui l’éloigne de Dieu,

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sans jamais oublier de répondre aux besoins les plus pressants dans l’esprit de la charité du Christ » (Discours de Benoît XVI à la 35ème Congrégation générale de la Compagnie de Jésus). Dans un contexte caractérisé par l’augmentation de la pauvreté et de l’exclusion, le Saint-Père nous invite à pénétrer au cœur même des structures et des personnes pour y trouver les causes de la pauvreté et de l’exclusion.

« Ce que nous faisons, c’est pour Jésus que nous le faisons », déclarait Mère Teresa, lorsqu’on lui demandait les raisons de son travail et de son engagement ; et elle poursuivait : « Nous avons besoin du regard profond de la foi pour reconnaître le Christ dans le corps mutilé et les haillons malpropres sous lesquels se cache le plus beau des enfants de l’homme. Nous avons besoin des mains du Christ pour toucher ces corps meurtris par la souffrance37 ».

4 ― Disciples du Christ, missionnaires en Amérique latine et dans les Caraïbes

Réunis à Aparecida, nos évêques nous ont invités à redevenir des disciples missionnaires, parce que « être disciple et être mission-naire sont comme les deux faces d’une même médaille : quand le disciple est amoureux du Christ,

il ne peut arrêter d’annoncer au monde que seulement Lui nous sauve. C’est la tâche essentielle de l’évangélisation qui inclut l’option préférentielle pour les pauvres, la promotion humaine intégrale et l’authentique libéra-tion chrétienne » (Document d’Aparecida 146). C’est à travers son attachement à Jésus Christ, qui le caractérise, que le disciple peut le connaître, ressentir la joie de sa présence, faire siennes ses attitudes fondamentales et ses op-tions grâce auxquelles il pourra instaurer le Royaume de Dieu.

Le disciple constate que la vie de Jésus se déroule surtout dans les villages de Galilée, auprès des personnes humbles, et que les premiers destinataires de son message sont surtout les pauvres. Le regard qu’il pose sur la réalité, la manière dont il la juge, en nous invitant à profiter de la liberté que le Père nous offre à travers lui, font en sorte qu’il est aussi l’un d’entre eux.

Les moyens que le Seigneur Jésus utilise pour annoncer la bonne nouvelle aux faibles, ainsi que les exemples dont il se sert pour parler du Royaume, sont tirés de la vie quotidienne des gens du peuple. Les semailles, la croissance des plantes, les animaux, le vent, les phénomènes météorologiques, les bergers, les

labours et la moisson, les arbres, les oiseaux témoignent tous de la manière dont Jésus, à travers ses paroles, ses gestes et ses actions, s’approche des pauvres, les libère et leur rend leur dignité.

Les signes messianiques qu’offre Jésus aux émissaires de Jean le Baptiste concernent les pauvres, les personnes vulnérables, les aveugles, les boiteux, les lépreux, les sourds, les morts, ceux qui avaient été écartés de la société à cette époque-là (Mt 11, 2-5). Tous ces gens « sont guéris et reçoivent la bonne nouvelle du salut ». Plus tard, lorsqu’il parle des critères qui serviront à nous juger, il parle à nouveau de ce mêmes personnes et s’identifie totalement aux pauvres, d’où la question : « Mais quand nous est-il arrivé de te voir affamé, assoiffé, malade, nu et emprisonné? Dans la mesure où vous l’avez fait ou pas fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez ou pas fait » (Mt 25, 31-46). De nos jours, nous devons découvrir comment et avec qui nous pourrons transmettre ce message ; quels sont les groupes qui, partout sur la terre, peuvent ressembler à ceux dont parle Jésus et auxquels il montre sa présence ; et quels sont les gestes prophétiques que nous pouvons accomplir pour les accompagner dans leur processus de guérison et de libération.

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4.3. LA SPIRITUALITÉ DES

ORGANISATIONS ET DU PER­

SONNEL DE CARITAS

A ― La spiritualité des organisations

Le moment est venu pour nous de faire un bilan de notre vie spirituelle et de réfléchir à la manière dont nous grandissons à travers notre expérience de la foi. Nous en avons conclu que nous devrions être plus conscients de ce que nous vivons au niveau personnel et dans notre service, et que nous devrions poser un regard plus fervent et plus contemplatif sur notre réalité historique et sur la présence aimante de Dieu dans celle-ci, d’une part, et d’autre part sur les situations que vivent nos frères et sœurs. Comme disait le Concile : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur » (Gaudium et Spes 1).

Cette expérience de la spiritualité nous demande de faire le silence en nous-mêmes et de pratiquer une écoute active, condition essentielle pour développer ce regard contemplatif qui, en sensi-bilisant notre être intérieur pour le rendre plus compatissant, peut

nous aider à être plus réceptifs aux besoins des autres et préparer ainsi en nous l’engagement dans l’action et le service solidaire (Lc 10, 25-37).

La prière et le silence, l’écoute partagée de la Parole de Dieu et la célébration de l’Eucharistie nous amènent bien au-delà de ce que nous sommes capables de faire, de ce que nous pensons, de ce que nous ressentons, de ce que nous désirons, et nous conduisent sur le chemin de la rencontre affectueuse, de la tendresse, du cheminement commun, de la construction du bien commun en tant que réalisation de l’amour et de la justice; jusqu’à ce que nous puissions vivre l’expérience de l’amour du Christ, en qui nous avons la vie, le mouvement et l’être (Ac 17, 28).

La spiritualité qui naît de la Parole nous aide à cheminer vers la vérité, vers une vérité qui n’est pas seulement rationnelle, mais qui nous amène à comprendre le regard de Jésus, empreint de compassion et de respect, afin de pouvoir regarder et voir les autres de la même manière que Lui, comme sujets et protagonistes de leur propre histoire et dotés des capacités nécessaires pour cela.

« La charité n’exclut pas le savoir, mais le réclame, le promeut et

l’anime de l’intérieur. Le savoir n’est jamais seulement l’œuvre de l’intelligence. (…) S’il veut être une sagesse (…), il doit être assaisonné avec le sel de la charité. L’agir sans le savoir est aveugle, et le savoir sans amour est stérile ». « Il n’y a pas l’intelligence puis l’amour : il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour » (Caritas in Veritate 30, voir tout le numéro). C’est pourquoi la théologie sur laquelle repose notre spiritualité est l’intelligence de l’amour38.

Telle est la spiritualité que nous voulons vivre dans notre pastorale sociale en Amérique latine et dans les Caraïbes, celle qui doit transparaître dans nos organisations, dans chacun de nos projets ou activités, dans chacune de nos actions ou célébrations, en chacun de nos agents et en chaque intervenant de l’action caritative de l’Église, et nous aider à raffiner et à enrichir notre manière d’aimer et de servir.

Nous voulons être Caritas au sein d’une Église qui promeut le dialogue, qui souhaite favoriser la stabilité sociale et contribuer à changer les structures qui entravent l’édification du Royaume de Dieu. Cela est dit au numéro 26 du document d’Aparecida : « Illuminées par le Christ, la souffrance, l’injustice et

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la croix nous mettent au défi de vivre comme l’Église samaritaine (Lc 10, 25-37), rappelant que l’évangélisation a toujours fait un avec l’option préférentielle pour les pauvres, la promotion humaine et l’authentique libération chrétienne. Nous rendons grâce à Dieu et nous nous réjouissons pour la foi, la solidarité et la joie caractéristiques de nos peuples, transmises tout au long du temps par les grands-mères et les grands-pères, les mères et les pères, les catéchistes, les responsables de la prière et tant de personnes anonymes, dont la charité a maintenu vivante l’espérance, au milieu des injustices et des adversités ».

À travers notre travail de pastorale sociale Caritas, en communion avec toute l’Église, nous devons encourager le plus grand nombre possible de personnes à rencontrer le Christ afin d’humaniser et de partager le chemin que nous parcourons dans l’histoire. Nous devons nous aussi nous engager dans la même dynamique d’appauvrissement, d’anéantissement et d’incarnation que Jésus a acceptée en obéissance au Père – « mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes » - pour sortir à la rencontre des plus éloignés, nous abaisser à leur niveau pour que la

rencontre se fasse d’égal à égal, laisser de côté notre arrogance pour faire jaillir leur potentiel et leurs désirs, écouter ce qu’ils ont à nous dire et rechercher ensemble de nouveaux chemins de libération.

B ― La spiritualité des agents de la pastorale sociale Caritas

Nous concevons la spiritualité comme un mode de vie, une manière de vivre que doivent partager tous ceux qui travaillent au sein de Caritas, que ce soit comme bénévoles, membres du personnel ou de la direction, ou comme collaborateurs, car :

— Nous avons expérimenté la gratuité de Dieu. Qu’il soit bénévole, collaborateur, membre du personnel ou de la direction, le serviteur de Caritas accepte l’être humain dans toutes ses dimensions en tant que don et gratuité de Dieu. Il sait qu’en tant que fils et fille de Dieu, il fait partie de la communauté des disciples et des missionnaires du Christ, l’Église, afin d’être des frères et des sœurs fraternels, constamment attentifs aux besoins des plus faibles.

— Nous savons que nous sommes envoyés pour vivre les valeurs de l’Évangile. Ainsi, le serviteur de Caritas « invoque l’Esprit Saint pour pouvoir donner un

témoignage de proximité affec-tueuse, d’écoute, d’hu milité, de solidarité, de compassion, de dialogue, de réconciliation, d’engagement pour la justice sociale et d’aptitude au partage, comme l’a fait Jésus. Il continue à promouvoir et à offrir à tous et toutes une vie pleine et digne, et pour ce faire nous nous engageons avec courage et confiance dans la mission de toute l’Église » (Document d’Aparecida 363).

— Nous avons besoin de nous nourrir de la PAROLE et de l’EUCHARISTIE. Comme nous pouvons le lire dans le numéro 363 du document d’Aparecida : « La force de cette annonce de vie sera féconde si nous la faisons dans le style qui convient, avec les attitudes du Maître, et en privilégiant toujours l’Eucharistie comme source et sommet de toute activité missionnaire ».

— Nous nous efforçons de discerner les signes des temps à la lumière de la foi. Le serviteur de Caritas sait qu’il vit une époque marquée par de grands changements qui affectent profondément sa vie et celle de toute la communauté. C’est pourquoi, en tant que disciples missionnaires de Jésus Christ, nous nous sentons appelés, de concert avec toute l’Église, à

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discerner les signes des temps à la lumière de l’Esprit Saint, afin de nous mettre au service du Royaume. Pour cela, « nous sommes appelés à assumer une attitude de conversion pastorale permanente, qui demande d’écouter avec attention et de discerner ‘ce que l’Esprit dit aux Églises’ (Ap 2, 29) à travers les signes des temps dans lesquels Dieu se manifeste » (voir le document d’Aparecida 366).

— Nous agissons comme des témoins. Le contact, l’immersion dans la vie de nos communautés, le fait de partager leurs joies et leurs espoirs, leurs peines et leurs souffrances, de demeurer fidèles à elles, tout cela nous amène à éprouver le sentiment d’appartenir à une même communauté et à nous y identifier, renforce notre témoignage et augmente notre motivation à promouvoir la solidarité entre les personnes, dans toute la communauté et dans la société en général.

— La rencontre communautaire avec les crucifiés nous invite à nous éveiller, nous pose une question qui pénètre jusqu’à nos entrailles, et qui en même temps est provocatrice et profonde : « Où est ton frère ; qui est ton frère ? ». C’est la

voix de Dieu qui nous invite à changer le regard que nous portons sur les autres et à pénétrer au plus profond de nous-mêmes pour découvrir ce que nous ressentons, à changer notre prétention à gagner notre vie, pour accepter de la perdre, de la consacrer aux autres. Nous ne sommes donc pas des professionnels de la charité, mais des disciples missionnaires ayant une vocation, celle de nous aimer les uns les autres comme Jésus nous a aimés, en accordant une attention particulière à ceux qui reçoivent moins d’amour.

— Avec une dimension pro-phétique. Le prophète sait que ce n’est pas par la violence qu’on peut changer la société pour qu’elle devienne plus inclusive et plus libératrice, et que c’est la communauté organisée qui peut le faire. Le prophète sait que la promotion humaine passe par la dénonciation du péché structurel et par l’annonce de l’action de Dieu, qui se manifeste à travers les signes des temps. C’est pourquoi tous les prophètes demeurent dans la communauté ; et lorsque leur foi les amène à devoir verser leur sang, ils savent que si la semence qui tombe en terre meurt, c’est pour qu’elle puisse porter des nombreux fruits

de rédemption et de salut, ces fruits que Jésus donne aux personnes et aux communautés pour qu’elles soient fécondes.

Le prophétisme ne sert pas à nous enorgueillir, mais plutôt à amorcer des chemins de libération auprès des communautés et à donner à toute l’humanité l’espoir d’un avenir meilleur. Le prophétisme montre qu’il y a une place pour l’espoir dans la vie de tous les jours, et c’est pourquoi la voix du prophète est toujours importante et féconde pour le monde.

Nous œuvrons en faveur d’un ordre juste dans la société. Toute personne membre de Caritas est appelée à jouer un rôle pour que la communauté ecclésiale devienne une communauté prophétique et ce, en tout lieu et dans toute situation. Ainsi, nous nous convertissons en agents de construction de la paix, du pardon, de la justice et de la solidarité. Nous nous sentons appelés à être des agents de transformation, à promouvoir et à protéger les droits humains de chacun de nos frères et sœurs, à partager et à célébrer notre foi en communauté. C’est comme cela qu’on bâtit une Église vivante, participative, remplie

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d’espoir et d’enthousiasme. Une communauté qui est capable d’analyser la réalité et de se demander ce qui arrive, quels en sont les causes et les facteurs, ce que nous devons faire et jusqu’où nous devons aller. Une communauté qui célèbre avec créativité les événements, les processus, la vie, de façon ouverte et participative, engendre des expériences qui montrent que quelque chose de nouveau est possible.

Tout cela engendre un mode de vie et une mystique qui permet à chacune de nos Caritas d’approfondir toujours plus son engagement, peu importe le sacrifice que cela suppose. C’est pourquoi une vision et une action politique manifestent notre foi, laquelle ne se limite pourtant pas à une position politique précise, mais cherche à apporter du réconfort, une présence et un soutien aux affligés, même si cet agir ennuie souvent les bien nantis. C’est pourquoi les membres de Caritas doivent agir en faveur d’un ordre juste dans la société. En tant que citoyens, nous sommes appelés à participer à la vie publique et à y exercer notre influence, et nous ne pouvons pas nous couper de la réalité économique, sociale, législative, administrative et culturelle qui vise à

promouvoir de manière organique et institutionnelle le bien commun39.

4.4. L’EUCHARISTIE : PROJET DE

SOLIDARITÉS, L’AMOUR COM­

ME SERVICE ET LE SERVICE

EXERCÉ AVEC AMOUR

L’Eucharistie est la source, le centre et l’apogée de toute la vie de l’Église. Le Pape Benoît XVI l’exprimait ainsi d’une façon très claire :

« La veille de sa Passion, au cours de la Cène pascale, le Seigneur prit le pain entre ses mains - c’est ce que nous venons d’entendre dans l’Évangile - et, ayant prononcé la bénédiction, le rompit et le leur donna, en disant : Prenez, ceci est mon corps. Puis, prenant la coupe, il rendit grâces, la leur donna, et ils en burent tous. Et il dit : Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude (Mc 14, 22-24).

Toute l’histoire de Dieu avec les hommes est résumée dans ces paroles. Ce n’est pas seulement le passé qui est réuni et interprété, mais l’avenir également qui est anticipé, la venue du Royaume de Dieu dans le monde. Ce que dit Jésus, ce ne sont pas simplement des paroles. Ce qu’Il dit est un événement, l’événement central de l’histoire du monde et de notre vie personnelle. Ces paroles sont

inépuisables » (Homélie du Pape Benoît XVI, Messe et procession eucharistique en la solennité du Corpus Domini, jour de Caritas, le 15 juin 2006).

L’AMOUR COMME SERVICE : JÉSUS AUX PIEDS DE SES AMIS. Sans aucun doute, peu importe la manière dont nous vivons, ressentons et accomplissons la célébration de l’Eucharistie, le lieu où elle est célébrée, les gestes qui sont posés, la langue qui est utilisée, les personnes qui y participent, l’Eucharistie demeurera toujours l’Eucharistie. Toutefois, pour nous qui répondons à cet appel du Seigneur à vivre, aimer et servir comme lui, de manière compatissante et solidaire, l’Eucharistie est investie d’une force particulière qui nous permet d’accomplir la double mission qu’elle nous confie, tout en nous rappelant constamment le défi de ce faire.

Le repas du Seigneur est un événement qui ne peut être comparé à aucun autre geste d’aucune autre religion, car toute l’histoire et la vie de Jésus s’y trouvent résumées : le service, diakonia, qui définit toute sa vie, ses paroles et ses gestes, ses prières et ses miracles, ses passions et ses sentiments, ses priorités et ses choix, jusqu’à sa mort et sa

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résurrection. Luc, au verset 27 du chapitre 22, nous donne la clé pour interpréter toute sa vie : « Et moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert ! » Et aussi : « Le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10, 45).

En agissant comme un serviteur, Il a voulu résumer tout le sens de sa vie dans ce repas. Non seulement dans le pain et le vin qui symbolisent sa vie qu’il a donnée et son sang qu’il a versé par amour infini (selon les évangiles de Matthieu, Marc et Luc et dans les écrits de Paul), mais aussi dans le geste scandaleux, singulier et déconcertant du lavage des pieds de ses disciples (décrit seulement dans l’évangile de Jean), comme une mise en scène visuelle de toute sa vie et de toutes ses actions antérieures avec eux.

Jésus nous lance donc un grand défi à relever dans notre travail de pastorale sociale : en étant accompagnés et appuyés par Lui, nous devrons célébrer l’Eucharistie, en vivant pour toujours les deux commandements qu’il a donnés à ceux qui partagent son repas :

— Ces phrases « Prenez et mangez… prenez et buvez …faites cela en mémoire de moi »,

mordre, mastiquer, boire, digérer, incorporer, nous faire comme Jésus, nous cristifier, communier à sa vie, sa parole, sa passion, ses sentiments, être en syntonie avec Lui et agir comme Lui, n’oublier rien de ce qu’il a fait et ne faire rien d’autre que ce qu’a fait Jésus et le faire comme Il l’a fait : se livrer, repartir, partager, donner la VIE pour que tous vivent selon la volonté de Dieu : AIMER SANS LIMITES, AIMER AU POINT D’EN RESSENTIR LA DOULEUR !

— Ce « Vous m’appelez Maître et Seigneur… alors, si je vous ai lavé les pieds, vous devez faire de même les uns aux autres », nous abaisser, nous mettre à genoux, laver, caresser, sécher, embrasser, regarder du bas vers le haut, surtout ceux qui ont les pieds souffrants et brisés, et ne pas le faire seulement le Jeudi saint ni seulement à douze hommes bien choisis mais le faire à tous ceux et celles qui en ont besoin et avec cette conscience d’ÊTRE LEUR SERVITEUR, voilà ce qui nous caractérise.

Dans cette DERNIÈRE CÈNE, nous pouvons contempler ces deux mandats inséparables qui s’enrichissent et se complètent mutuellement, aussi importants

l’un que l’autre. Si nous ne parvenons pas à les vivre l’un avec l’autre, nous mourrons de faim et nous nous éloignerons de l’amour et de la volonté du Seigneur.

Disons-le avec d’autres mots, ceux de Pedro Casaldáliga :

EUCHARISTIE

MES MAINS, CES MAINS ET TES

MAINS : NOUS POSONS CE GESTE,

PARTAGEONS LA TABLE ET LE

DESTIN, COMME DES FRÈRES ET

SŒURS.

TOUTES LES VIES EN TA MORT ET

EN TA VIE

COMME LES GRAINS SONT UNIS

DANS LE PAIN,

NOUS FINIRONS PAR APPRENDRE

À VIVRE ENSEMBLE DANS LA CITÉ

DE DIEU, LA CITÉ DE TOUS.

EN NOUS NOURRISSANT DE TOI,

NOUS-MÊMES DEVIENDRONS

NOURRITURE

LE VIN DE SES VEINES NOUS

POUSSE.

LE PAIN QU’ILS N’ONT PAS NOUS

DEMANDE DE DEVENIR AVEC TOI

LEUR PAIN DE CHAQUE JOUR.

CONVOQUÉS PAR LA LUMIÈRE DE

TA MÉMOIRE,

NOUS AVANÇONS VERS LE

ROYAUME EN CONSTRUISANT

L’HISTOIRE,

FRATERNELLE ET SUBVERSIVE

EUCHARISTIE.

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CHAPITRE 4

4.5. LE VOLONTARIAT COMPA­

TISSANT

A l’origine du mouvement fondé par Jésus se trouvent des gémissements qui l’ont « ému et rempli de COMPASSION ». Ces cris étaient ceux de personnes exclues de la société (lépreux et malades mentaux), de personnes marginalisées pour des raisons d’ordre religieux (prostituées et publicains), de personnes opprimées à cause de normes culturelles (femmes et enfants), de personnes dépendantes de la société (veuves et orphelins), de personnes ayant des handicaps physiques (sourds, muets, mutilés et aveugles), de personnes tourmentées psychologiquement (possédés et épileptiques), de personnes humbles au plan spirituel (les personnes simples du peuple, les pécheurs repentis). On ne peut comprendre la vie de Jésus sans accorder une place centrale à l’exercice de la compassion : « La mystique que Jésus a vécue et enseignée n’était pas du tout une mystique d’yeux fermés ; elle était au contraire une mystique d’yeux ouverts, qui se déployait dans la perception profonde de la souffrance d’autrui » (J. B. Metz).

La provocation primordiale qui ressort du message du Nazaréen est une sensibilité aiguë envers la souffrance d’autrui, les oreilles et les yeux grands ouverts. La

COMPASSION n’est pas une invitation à des gestes d’héroïsme ou à des formes de sainteté hors du commun. Elle se veut quelque chose à la portée de tout le monde, une vertu de tous les jours. On ne peut être disciple de Jésus sans prendre part à la souffrance d’autrui et sans s’engager dans les luttes historiques en faveur de ceux et de celles qui vivent dans des conditions extrêmes » (Joaquín García Roca, Espiritualidad para voluntarios).

Cette manière d’être de Jésus nous amène à suggérer quelques aspects du volontariat inspirés d’un texte de l’Évangile, soit Marc 2,1-12. Jésus se trouve dans une maison en train d’annoncer la Parole, entouré d’une foule venue l’entendre, lorsque quatre hommes lui apportent un paralytique pour le lui présenter. Comme ils ne peuvent entrer dans la maison par la porte à cause de la foule, ils montent à la terrasse et creusent un trou dans le toit au-dessus de l’endroit où se trouve Jésus. Ils y font descendre le grabat où gît le paralytique et le présentent à Jésus. Dès qu’il le voit, Jésus remarque la confiance, la foi et l’engagement des amis du paralytique, qui poursuivent ce qui est mieux pour lui.

Ensuite, Jésus contemple la prostration et le silence du

paralytique, les deux fardeaux qui l’écrasent contre son grabat : l’oppression du péché, (c’est pourquoi ‘il subit ce châtiment’) et le fait de dépendre des autres pour tous ses besoins. Alors, Jésus le libère d’abord du poids du péché : Tes péchés sont remis, puis de celui de la maladie : Prends ton grabat et rentre chez toi.

Nous en tirons dix enseignements pour les volontaires de la pastorale sociale Caritas.

— L’Évangile n’est pas un guide pratique de tactiques et de stratégies à appliquer dans chaque situation pour être efficaces. Au contraire, la Parole et les gestes de Jésus nous donnent une orientation, des critères, des valeurs, éclairent notre regard et nos actions.

— Dieu ne nous a pas donné la vie pour que nous demeurions au ras du sol, pour que nous la subissions comme une malédiction et un châtiment, en étant dépendants des autres, sans pouvoir nous réaliser au plan personnel, sans pouvoir choisir ni être libres. Il veut que nous soyons libres et maîtres de notre vie, et il veut pouvoir compter sur notre participation pour que nous puissions y parvenir ensemble.

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— Il vaut la peine de faire des efforts pour parvenir à rencontrer Jésus. Même si cela peut sembler incroyable, la bonne nouvelle est que nous pouvons changer les modes de vie, les relations entre les personnes et le sens de la vie grâce à nos efforts, à notre créativité et à notre engagement en faveur de la dignité des personnes opprimées.

— Pour y parvenir, le volon-tarisme, le perfectionnisme, l’obligation du devoir, l’auto-suffisance et le militantisme, l’efficacité à tout prix, notamment sans tenir compte des autres, ne sont pas suf-fisants. Il s’agit, au contraire, de cheminer ensemble au même rythme, en étant convaincus qu’ensemble ce sera possible et que c’est de telle manière qu’il vaut mieux procéder.

— Nous pensons que le volontariat n’est pas une succession de gestes posés isolément. Au contraire, le volontariat nous demande de nous engager dans un PROCESSUS DYNAMIQUE qui consiste à prendre sur nos épaules toute la réalité des personnes exclues ou écrasées, et nous engager ainsi ENSEMBLE dans un chemin de recherche et d’action, avec la certitude qu’il n’est pas possible d’agir seuls.

— Il faut des efforts constants et soutenus pour vouloir agir ensemble, de manière coordonnée, en prenant tout le temps nécessaire, en proposant des alternatives, en Y CROYANT ET EN AYANT CONFIANCE et de manière à ce que chacun d’entre nous accomplisse les tâches qui lui incombent afin que les autres puissent s’acquitter des leurs.

— Faire face aux querelles et à l’opposition de ceux qui ne veulent ni regarder, ni voir, ni sentir, ni souffrir, ni se laisser émouvoir, ni manifester d’intérêt, ni se préoccuper de changer la réalité en utilisant leur imagination et leur créativité pour chercher d’autres voies sans se laisser abattre par les difficultés.

— Le service volontaire nous demande de faire preuve de beaucoup de volonté, d’efforts, de créativité, de persévérance, de tenir notre parole et d’être prêts à aller jusqu’au bout.

— Le volontariat repose sur la capacité de briser le cercle malin de l’exclusion, parce que les personnes qui en sont victimes méritent une autre vie et car nous croyons en elles. Le volontariat nécessite une expérience de foi profonde. Comme leur foi est grande, dit Jésus en parlant des amis du

paralytique, et cette simple reconnaissance est déjà, en soi, un outil d’inclusion sociale.

— En tant que membres de la communauté des disciples de Jésus, nous sommes appelés à être une communauté qui fait grandir, qui accueille, qui libère, qui donne un sens, qui humanise, qui inclut et qui relie; une communauté qui change les structures pour que personne ne vive en-deçà de la condition que Dieu nous a donnée en nous créant et en nous donnant la vie (Deus Caritas est 30b).

Nous terminons par un décalogue sur L’IDENTITÉ DU VOLONTARIAT

1 ― Le volontariat nous demande de découvrir toute la complexité des dynamiques sociales ; une idée simple est une idée simplifiée. Dans notre monde contemporain, savoir vivre dans une société complexe en étant bien informés est une qualité essentielle du volontariat.

2 ― Le volontariat n’a de sens que lorsque nous ne perdons pas de vue le principe que chacun est maître de sa propre vie. Tous les gestes de service valent la peine d’être posés dans la mesure où ils représentent autant de pas franchis vers l’élimination des

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CHAPITRE 4

causes de la marginalisation et des souffrances inutiles.

3 ― L’action volontaire n’est éthique que lorsqu’elle découle d’un choix effectué en toute liberté à partir d’une combinaison de trois valeurs : l’estime et la reconnaissance de soi, la solidarité envers les autres et l’engagement en faveur d’une société plus juste.

4 ― Le volontariat ne doit pas être un prétexte que l’État peut utiliser pour se dégager de ses engagements et de ses responsabilités, mais il est plutôt un moyen de l’obliger à les respecter. Si, à un moment donné, notre présence offre aux pouvoirs publics une excuse pour se retirer ou réduire leurs efforts, alors c’est le signe que notre volontariat est entré dans une zone dangereuse.

5 ― L’action volontaire peut être comparée à un orchestre : ce qui compte, c’est qu’il sonne bien; que la flûte soit faite en bois ou en métal, que la musique provienne de tel instrument ou de tel autre, ce n’est pas cela qui compte. Nous devons exiger d’un orchestre qu’il coordonne, harmonise et concentre ses efforts. Chaque volontaire ‘fait partie d’une équipe’ et joue en occupant sa propre place tout en collaborant avec les autres selon sa partition.

6 ― L’action volontaire doit reposer sur des qualités humaines et techniques. L’amour et la bonne volonté ne suffisent pas ; si, par ignorance et incompétence, nous faisons souffrir une personne fragile, même si nous avons les meilleures intentions du monde, nous ne ferons qu’augmenter son impuissance et sa marginalisation.

7 ― Le volontariat devrait être une possibilité pour tous, et pas seulement pour ceux qui ont du temps libre, parce qu’il correspond à l’exercice d’une citoyenneté qui se responsabilise pour les questions qui touchent l’ensemble de la société.

8 ― Le volontaire et le profes-sionnel de la pastorale sociale Caritas travaillent en complé-mentarité, en s’enrichissant et en se soutenant mutuellement.

9 ― Aujourd’hui, le volontariat doit s’encadrer dans un plan, poursuivre des objectifs, se doter d’une méthode, avoir des échéances précises, reposer sur un engagement sérieux et professionnel, procéder à des évaluations (autrement dit, le volontariat doit représenter un engagement stable auprès des communautés, suivre une programmation, respecter des objectifs et des méthodes et s’inscrire dans une perspective à long terme).

10 ― L’action volontaire doit être réciproque : il ne s’agit pas seulement d’aider l’autre, mais de grandir ensemble, même si nos contributions ne sont pas les mêmes. L’estime de l’autre ne nous conduit pas seulement à l’accueillir, mais à nous attendre à un accueil semblable de sa part, ‘nous sommes tous des guérisseurs blessés’.

Témoignage de Monseigneur Leónidas Proaño, évêque auprès des autochtones :

« Je suis né dans une famille pauvre le 29 janvier 1910, à San Antonio de Ibarra. Comme tous les pauvres, j’ai manqué de tout et j’ai souffert de la faim. La pauvreté!... c’est aussi un don », dit Mgr Leónidas Eduardo Proaño Villalba dans son autobiographie.

Pendant 31 ans, il a travaillé sans relâche dans le diocèse de Riobamba, avec beaucoup de volonté et de dynamisme, et il y a cessé ses activités pour avoir atteint la limite d’âge (75 ans). Il a laissé dans le cœur des paysans et de ses frères qui l’ont compris et admiré des traces inoubliables d’une œuvre rédemptrice, la lumière de l’Évangile.

« Ce que j’ai vécu et appris ne vient pas des cours universitaires que j’ai suivis dans mon pays ou

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ailleurs dans le monde, mais du chantier du peuple, parce que mon université, c’était le peuple, et mes meilleurs professeurs, c’étaient les pauvres en général, et en particulier, les autochtones de l’Équateur et de l’Amérique latine, que l’on a proclamés à Puebla comme étant les plus pauvres parmi les pauvres».

Ce POÈME SOLIDAIRE de Mgr Leónidas Proaño, prié et chanté dans de si nombreux lieux, nous offre quelques caractéristiques de ce qu’est le VOLONTARIAT SOLIDAIRE DES DISCIPLES MISSIONNAIRES du Seigneur Jésus :

AVOIR CONSTAMMENT LES OREILLES OUVERTES AU CRI DE

DOULEUR DES AUTRES

ET PRÊTES À ENTENDRE LEUR APPEL AU SECOURS,

C’EST DE LA SOLIDARITÉ.

MAINTENIR LE REGARD TOUJOURS ALERTE ET GARDER

LES YEUX CONSTAMMENT TOURNÉS VERS LA MER

AU CAS OÙ IL Y AURAIT DES NAUFRAGÉS EN PÉRIL,

C’EST DE LA SOLIDARITÉ

RESSENTIR LA SOUFFRANCE DE NOS FRÈRES PROCHES ET

LOINTAINS COMME SI C’ÉTAIT LA NÔTRE ;

NOUS APPROPRIER L’ANGOISSE DES PAUVRES, C’EST DE LA SOLIDARITÉ

SE FAIRE LA VOIX DES HUMBLES, DÉMASQUER L’INJUSTICE

ET LE MAL,

DÉNONCER L’INJUSTE ET LE MÉCHANT,

C’EST DE LA SOLIDARITÉ

SE LAISSER PORTER PAR UN MESSAGE REMPLI D’ESPÉRANCE,

D’AMOUR ET DE PAIX,

ET POUVOIR SERRER LA MAIN À NOS FRÈRES, C’EST DE LA SOLIDARITÉ

DEVENIR SOI-MÊME UN MESSAGER QUI TRANSMET L’ÉTREINTE FRATERNELLE

QUE CERTAINS PEUPLES ENVOIENT À D’AUTRES PEUPLES,

C’EST DE LA SOLIDARITÉ

PARTAGER LES DIFFICULTÉS DE LA LUTTE POUR VIVRE DANS LA

JUSTICE ET LA LIBERTÉ,

EN ÉTANT PRÊTS À RISQUER SA VIE PAR AMOUR,

C’EST DE LA SOLIDARITÉ

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CONCLUSION

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Nous terminons ce texte en tournant notre regard vers Marie, afin de contempler en elle les caractéristiques fondamentales de toute notre argumentation : notre expérience de disciples-missionnaires de la Pastorale sociale Caritas en Amérique latine et dans les Caraïbes, et les défis qui nous poussent à suivre les traces du Seigneur, en aimant passionnément et en servant ses préférés au sein de nos peuples, de nos communautés, de nos églises locales, de nos villes et de nos villages. Nous découvrons en Marie une femme PRIANTE, qui écoute la Parole et y obéit avec confiance ; son OUI inconditionnel au plan de Dieu permet l’événement de l’incarnation - sortie de lui-même, descente, appauvrissement et disparition du Fils de Dieu -, dans son utérus de mère, afin de pouvoir naître comme n’importe quel homme ou femme, en pleine solidarité avec nous.

Femme SERVIABLE et SOLIDAIRE, prête à laisser de côté ses propres préoccupations et ses tâches pour se rapprocher de celui qui a le plus besoin d’elle pour l’aider à créer un espace pour accueillir d’autres enfants de Dieu qui s’en viennent. Marie porte le Fils de Dieu dans ses entrailles et il semble que ce soit Lui qui la conduit à emprunter ces chemins, à aller à la rencontre des personnes les plus défavorisées, témoignant ainsi des bonnes nouvelles que Dieu apporte à l’humanité, sources de joie et d’allégresse.

Femme DISCIPLE qui apprend à suivre les traces de Jésus, à écouter et à méditer sa Parole, à regarder et à voir avec le même regard que celui de Jésus la souffrance et le désespoir du peuple. Comme elle est une bonne mère, elle ne peut demeurer indifférente aux besoins de ceux qui sont en difficulté, et elle demande avec confiance, intercédant en leur faveur.

Femme MISSIONNAIRE, témoin de la VIE, DE LA PAROLE, DES GESTES DE GUÉRISON, DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DE JÉSUS ; femme mère qui embrasse les fils et les filles CRUCIFIÉS qui meurent prématurément ; qui convoque et confirme dans la Foi ceux qui se laissent porter par l’Esprit Saint ; qui continue à évangéliser nos peuples, en étant présente parmi eux sous les multiples appellations qu’on lui donne, en particulier celle de Vierge de Guadalupe.

Nous lui confions l’espoir que ce document nous aide à grandir dans notre foi en son fils Jésus, et à continuer à cheminer ensemble pour aimer et servir les appauvris au sein de nos peuples comme elle.

PRIÈRE À NOTRE DAME DES AMÉRIQUES

VIERGE DE L’ESPÉRANCE, MÈRE DES PAUVRES, DAME DES PÈLERINS : ÉCOUTE-NOUS. AUJOURD’HUI, NOUS TE DEMANDONS D’INTERCÉDER EN FAVEUR DE L’AMÉRIQUE, LE CONTINENT QUE TU VISITES, PIEDS NUS, POUR LUI OFFRIR LA RICHESSE DE L’ENFANT QUE TU SERRES DANS TES BRAS. UN ENFANT PAUVRE, QUI NOUS ENRICHIT. UN ENFANT ESCLAVE, QUI NOUS REND LIBRES.

VIERGE DE L’ESPÉRANCE : L’AMÉRIQUE SE RÉVEILLE. UNE NOUVELLE LUMIÈRE SURGIT SUR LES COLLINES. C’EST BIENTÔT LE JOUR DU SALUT. UNE GRANDE LUMIÈRE A BRILLÉ SUR LES PEUPLES QUI MARCHAIENT DANS LES TÉNÈBRES. CETTE LUMIÈRE, C’EST LE SEIGNEUR QUE TU NOUS AS DONNÉ, IL Y A LONGTEMPS, À BETHLÉEM, À MINUIT.

NOUS VOULONS CHEMINER DANS L’ESPÉRANCE. MÈRE DES PAUVRES, IL Y A BEAUCOUP DE MISÈRE PARMI NOUS. DANS DE NOMBREUX FOYERS, IL MANQUE LE PAIN MATÉRIEL. DANS DE NOMBREUX ESPRITS, IL MANQUE LE PAIN DE LA VÉRITÉ. DANS LE CŒUR DE NOMBREUX HOMMES, IL MANQUE LE PAIN DE L’AMOUR. DANS DE NOMBREUX PEUPLES, IL MANQUE LE PAIN DU SEIGNEUR. TU CONNAIS LA PAUVRETÉ ET TU L’AS VÉCUE. DONNE-NOUS UNE ÂME DE PAUVRE POUR QUE NOUS SOYONS HEUREUX. MAIS SOULAGE LES CORPS DE LA MISÈRE ET ARRACHE DU CŒUR DE NOMBREUX HOMMES ET DE NOMBREUSES FEMMES L’ÉGOÏSME QUI APPAUVRIT. NOTRE DAME DES PÈLERINS.

NOUS SOMMES LE PEUPLE DE DIEU EN AMÉRIQUE. NOUS SOMMES L’ÉGLISE EN MARCHE VERS LA PÂQUE. QUE LES ÉVÊQUES AIENT UN CŒUR DE PÈRE. QUE LES PRÊTRES SOIENT LES AMIS DE DIEU POUR LES HOMMES. QUE LES RELIGIEUX TÉMOIGNENT DE LA JOIE DU ROYAUME DES CIEUX. QUE LES LAÏCS

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CONCLUSION

SOIENT LES TÉMOINS DE LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR DANS LE MONDE ENTIER.

ET QUE NOUS CHEMINIONS AVEC TOUS LES HOMMES ET TOUTES LES FEMMES, EN PARTAGEANT LEURS ANGOISSES ET LEURS ESPOIRS. QUE LES PEUPLES DE L’AMÉRIQUE PUISSENT PROGRESSER EN SUIVANT LA VOIE DE LA PAIX ET DE LA JUSTICE. NOTRE DAME DES AMÉRIQUES : ÉCLAIRE NOTRE ESPÉRANCE, SOULAGE NOTRE PAUVRETÉ, ACCOMPAGNE-NOUS DANS NOTRE PÈLERINAGE VERS LE PÈRE. AMEN !

SERVITEUR DE DIEUR. P. EDUARDO F. CARDINAL PIRONIO

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NOTES

1 Le Pape François au Bureau de Caritas Internationalis, le 16 mai 2013.

2 Paul VI, Exhortation apostolique sur l’évangélisation dans le monde moderne, Evangelii Nuntiandi, 1975, no 2.

3 Paul VI, ibid., no 9.

4 Jean-Paul II, homélie prononcée lors de la messe célébrée à Puebla de los Ángeles, le 28 janvier 1979.

5 Benoît XVI, « Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en Lui. Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 16,4) », discours inaugural de la Cinquième conférence générale de l’Épiscopat latino-américain et des Caraïbes, le 13 mai 2007, Aparecida, Brésil.

6 Le Pape François.

7 Entrevue à Radio Vaticana, le 3 mai 2012.

8 Prenant en compte ce qui a été établi dans la Constitution apostolique Pastor Bonus (146, 2), aussi bien au niveau international qu’au sein de ses organisations régionales.

9 Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in Veritate 6.

10 Nican Mopohua, « Aquí se narra », traduction du père Mario Rojas, 58-59; publié en Don Antonio Valeriano.

11 Document d’Aparecida 44 : « Nous vivons un changement d’époque plus profondément ressenti au niveau culturel. Le concept intégral de l’être humain, sa relation avec le monde et avec Dieu s’efface ».

12 Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas est 25a.

13 Benoît XVI, Motu Proprio Intima Ecclesiae Natura, le 11 novembre 2012, voir www.vatican.va.

14 Ibidem.

15 Document d’Aparecida 276.

16 Benoît XVI, « Disciples et missionnaires de Jésus-Christ pour que nos peuples aient la vie en Lui. Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 16,4) », discours inaugural de la Cinquième conférence générale de l’Épiscopat latino-américain et des Caraïbes, le 13 mai 2007, Aparecida, Brésil.

17 Ibidem.

18 Carlos Alvear Acevedo, « Manual de Historia de la Cultura », Limusa, 2000, México, D.F., p. 203.

19 Ibidem.

20 Cf. Le livre des morts, ou les hiéroglyphes signifiant pour aller vers le jour, vers la lumière, qui consistaient en une série de sortilèges que l’on devait connaître et prononcer pour pouvoir retourner vers la lumière.

21 José Luis Sicre, « Con los pobres de la Tierra. La justicia social en los profetas de Israel », Cristiandad, Madrid, 1985, p. 46.

22 Cité dans José Luis.Sicre, op. cit., p. 47.

23 Luis Alonso Schökel, « La Biblia de nuestro Pueblo », Biblia del Peregrino, América Latina; commentaire sur la Genèse 4, 1-16.

24 Voir aussi: « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun. Avec beaucoup de puissance, les

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apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur Jésus, et ils jouissaient tous d’une grande faveur. Aussi parmi eux nul n’était dans le besoin; car tous ceux qui possédaient des terres ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun suivant ses besoins. Joseph, surnommé par les apôtres Barnabé (ce qui veut dire fils d’encouragement), lévite originaire de Chypre, possédait un champ; il le vendit, apporta l’argent et le déposa aux pieds des apôtres » (Ac 4, 32-37).

25 Clément, Lettre aux Corinthiens, 55, 2. Dans : Joseph Barber Lightfoot, « Los Padres Apos-tólicos », Clie, Espagne. Troisième successeur de Pierre, après Linus et Anaclet, le Pape Clément est connu fort probablement aussi pour son appui à Paul, Philippins 4, 3.

26 Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas est 22 b.

27 Benoît XVI, Lettre encyclique Deus Caritas est 23 et 24.

28 Ignace d’Antioche, Lettre aux Éphésiens, 10, 1-3. Dans : Lorenzo Dattrino, Lineamenti di Patrologia, EDUSC, Rome, 2008 p. 11.

29 Ignace d’Antioche, Lettre aux chrétiens de Smyrne, 6, 2. Dans : Lorenzo Dattrino, op.cit., p. 12.

30 Ignace d’Antioche, Lettre à Polycarpe, 4,3. Voir aussi Cyprien, évêque de Carthage, qui donna ses biens pour aider les pauvres. Il remit son patrimoine au père Rogaciano et continua à en envoyer encore plus par la suite. Cyprien, Epitre 7, Ibidem.

31 Cité aussi dans Gaudium et Spes 69. Pour mieux connaître l’époque médiévale et les groupes qui s’occupaient des pauvres, des veuves, des malades et des orphelins, voir « Pobres, humildes y miserables, en la Edad Media. Estudio social », par Michel Mollat, México 1988.

32 Conferencia del Episcopado Mexicano, Comisión Episcopal para la Pastoral Social-Cáritas, « Vivamos el amor preferencial por los pobres, Identidad, Misión y Visión de Cáritas Mexicana », México, 2005, p. 75. 3e éd.

33 Pedro Jaramillo, « Cáritas en la Pastoral Social », IMDOSOC, México, 2002, p. 11.

34 Jean-Paul II, Lettre apostolique Novo millennio ineunte, 2000, 43.

35 Paul VI, Lettre encyclique Populorum Progressio, 1967, 20-21.

36 Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo Rei Socialis, 1987, 38.

37 Mère Teresa de Calcutta, « Tú me das el amor », écrits recueillis par G. Gorré y G. Barbier, Santander, Sal Terrae, 1979, pp. 115-126. Pour la version française, nous avons utilisé le texte de La femme des Béatitudes, Mère Teresa, Biographie, par Anne-Lise Borghèse, Éditions Salvator, p. 157.

38 Jon Sobrino, « Teología en un mundo sufriente. La teología de la liberación como intellectus amoris », Revista Latinoamericana de Teología 5 (1988) pp. 243-266.

39 Deus Caritas est 29.

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