À un orteil près, il faisait la guerre...encore fier d’avoir joué un coup pendable aux...

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tion à M. Grimonster, il ne faitpas de mystère autour de cettequestion : « La justice a été bien ren­due et le droit respecté. En général,les peines et condamnations ont été àla mesure des faits reprochés. Il n’estpas question d’aller au­delà. »

Et la scission de la Belgique ?« Nous avons fait tout pour vivreheureux et fiers dans un pays mer­veilleux. C’est désolant ce qui sepasse. Il faut que le peuple se mani­feste par un vote. » ■

gare jusqu’à la maison. On est tombédans les bras l’un de l’autre. Fortheureusement, par un heureux ha­sard, mes parents avaient appris pardes réfugiés qui m’avaient croisé enFrance, que j’allais bien. »Amnistie ? Non

Certains élus fédéraux, surtouten Flandre, souhaiteraient que lescollaborateurs et inciviquessoient amnistiés. C’est un thèmerécurrent. Quand on pose la ques­

ville. Il y avait déjà pas mal de bles­sés parmi les militaires. J’ai été dirigéavec d’autres vers un hôpital à Na­mur. Puis, il a fallu qu’on évacue versTournai. Les Allemands allaientaussi vite que nous. Pour plus de sé­curité, tous les blessés ont été achemi­nés en France. En juin, je me suis re­trouvé avec les troupes belges dans lesud de la France, à Pont Saint­Esprit.Un taxi pour la Marne

Au mois d’août, l’Arlonais esttoujours en France. Il décide derentrer : « Après la capitulation dela France, les autorités belges, en ac­cord avec les Allemands, ont décidéde rapatrier ses troupes en train.Dans le courant du mois d’août, lepremier de ces trains a pu franchir laligne de démarcation sans souci. Parcontre, le second convoi a été dirigésur l’Allemagne ! C’était trop dange­reux. Avec des copains on a pris untaxi jusqu’à Chalon, pour passer laligne. La course nous a coûté quatrecents francs français. Le passageétait bien gardé par des sentinelles.On a pu passer sans trop de difficul­tés. J’ai vu les troupes allemandespour la première fois. Je suis rentré àArlon un dimanche du mois d’août.J’avais fait le trajet à pied depuis la

● Phil ippe CARROZZA

C harles Grimonster est né àArlon. Il a une vingtained’années en mai 1940. C’est le

petit dernier de la famille. Il estdevenu soldat un peu par hasard.Alors qu’il était en classe de troi­sième moderne à l’ISMA, il en aeu subitement assez des études. Ilentre à la caserne Léopold à Arlonle 1er avril 1937. En mai 1940, ilétait déjà sergent.

« Le 10 mai très tôt le matin, j’ai en­tendu des tirs de fusil dans la rue.C’était l’alerte générale. Il fallait semettre aux abris le plus vite possible,commente­t­il. Je devais gagner Si­bret au plus vite. Au moment de sor­tir de la maison de mes parents oùj’étais en permission depuis deuxjours, le pont de la route de Longwy,situé à deux pas, a explosé. Tous lesouvrages avaient été minés par l’ar­mée. L’ordre était de démolir toutpour ne rien laisser aux Allemands.Des débris ont été projetés contre lamaison. Un bloc a ricoché sur monpied. Je ne savais plus bouger mes or­teils. La guerre qui venait d’éclaterétait déjà terminée pour moi ! »

Le jeune sergent a deux orteilsfracturés. Un ami permission­naire comme lui le charge sur sondos jusque chez le docteur Mullerà l’avenue Tesch.Dans le Sud de la France

Le médecin lui confirme ce qu’ilcraignait : « J’étais catastrophé. Im­possible de rejoindre mes compa­gnons à Sibret. À la rue des Déportés,en face des bureaux de L’Avenir duLuxembourg, j’ai aperçu le lieute­nant médecin Claisse qui faisait leplein de sa voiture au garage Bosse­ler. Je n’avais qu’une idée en tête : re­joindre la caserne Léopold. L’officierm’a embarqué. Il avait l’ordre de re­joindre Neufchâteau où se trouvaitl’infirmerie du régiment. Je l’ai ac­compagné. C’était la pagaille un peupartout. On a dû prendre des détoursincroyables. On est passé par La­gland, Saint­Léger, Virton, Floren­

1940-45 témoignages« La guerre leur a volé leurs plus belles années »

À un orteil près, il faisait la guerreCharles Grimonster étaitsergent quand la guerre aéclaté. Deux orteilsfracturés lui ont évité lescombats, passantd’hôpital en hôpital.

Charles Grimonster :« Il y a des types à Arlonqui se demandent sansdoute encore aujourd’huipourquoi ils n’ont pasété déclarés aptes. »

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IL A DIT600 francspar mois« Selon les conventions, lesmilitaires de carrièredémobilisés, dès 1940,avaient droit à la moitié deleur solde. Ça me faisaitenviron 600 francs parmois ».

Louis Jouvetle dimanche« J’allais au cinéma. LesAllemands avaient leurséance une fois parsemaine. Il n’y avait quedes soldats dans la salle. ÀArlon nous avions lagrande chance d’avoir unfilm en français tous lesdimanches. J’ai vu commecela « L’assassin habite au21 » et des tas de fois avecLouis Jouvet. »

Maurice et Glenn« Comme tous les jeunes,j’écoutais les chanteurs àla mode. Maurice Chevalier.Moins Tino Rossi qui étaitdéjà plus ancien. Maisalors, deux ans avant la finde la guerre, j’étais séduitpar le jazz venu des USA.J’étais fan de Glenn Miller ».

Sprachuerein« Les collaborateursn’étaient pas nombreux.On savait de qui il fallait seméfier. Il y avait uneassociation regroupant desgens qui parlaient unpatois allemand et quis’appelait Sprachuerein.Elle était un peu privilégiéepar l’occupant. D’ailleursceux qui en faisaient partieétaient pro-allemands paropportunisme ou parconviction. Avec eux, c’étaitmotus et bouche cousue ».

Thon du Portugal« J’ai trouvé de l’embaucheau secours d’hiverprovincial qui faisait de lasoupe pour ravitailler lesfamilles dans le besoin. Lesorphelinats de toute laprovince recevaient aussipériodiquement dessardines, des légumesdéshydratés, du thon etdes figues du Portugal. »

Apte ou inapte au travail enAllemagne ? Charles Grimonsterencore fier d’avoir joué un couppendable aux Allemands :

« La Werbestelle, le bureau dutravail obligatoire était installéaux Arcades et avait enrôlé deforce des fonctionnaires de larégion d’Arlon. En octobre 1943, j’aiété convoqué. J’avais un mal dedents terrible. Le docteur Mullerm’a fait un certificat jusqu’au

30 octobre et il a tamponné ladate en chiffres romains. J’aiajouté deux barres au « x », moncertificat courrait jusqu’au30 décembre ! Les Allemands n’yont vu que du feu. Plus tard, j’aifalsifié une douzaine de« unfähig » en « nicht unfähig »avec un gros crayon. Il y a destypes à Arlon qui se demandentsans doute encore aujourd’huipourquoi ils n’ont pas étédéclarés aptes au travail. »

Unfähig ou nicht unfähig ?

Ce reportage a bénéficié du soutiendu Fonds pour le journalisme enCommunauté française.

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Le 15 mars 1944 à 2 heures dumatin, Charles Grimonsterest réveillé par des éclats de

voix au rez­de­chaussée : « Mamère, native de Radelange, avaitappris l’allemand. Elle expliquaitaux soldats qui venaient de faire ir­ruption dans la maison, que je ne dé­tenais aucune arme et qu’il n’y enavait pas à la maison. Ils sont mon­tés jusque dans ma chambre où ilsont fouillé tout. Pour vous dire s’ilscherchaient réellement des armes,ils sont allés jusqu’à soulever lesnapperons ! Je ne savais pas pour­quoi ils m’arrêtaient. Ils m’ont re­gardé m’habiller. Je suis sorti de lachambre. Ils me suivaient. J’avaisprévu de me jeter par la petite fenê­tre du palier. Elle donnait directe­ment sur un toit. J’ai hésité. Il étaittemps. Les soldats avaient encercléla maison. Si j’avais sauté, ilsm’abattaient comme un lapin !

» Dehors, il faisait un froid de ca­nard. On m’a emmené à la Feldgen­darmerie. »C’est le gamin

Charles Grimonster resteraune quinzaine de jours en pri­son à Arlon. Un matin, il a pris le

« train des raflés » jusque dansun camp en Allemagne. ÀSiegenheim. Commence alorsun long périple à pied ou entrains à bestiaux de camp encamp. les Allemands sont deplus en plus nerveux. Les prison­niers sont pris le plus souvententre le feu américain et russe.M. Grimonster nous expliqueraque c’était comme une loterie.Une balle perdue, un bombarde­ment peu précis et c’était le car­nage. Son périlleux périple pren­dra fin le 29 avril 1945, quand ildébarque d’une locomotive engare de Stockem en pleine nuit :« Je suis descendu à la Posterie et j’aitraversé toute la ville à pied. Je mesuis fait arrêter par une sentinelleaméricaine devant la gendarmerie.Les alliés avaient instauré un cou­vre­feu. J’ai montré au soldat les let­tres « KG » sur le dos de ma capote.Il m’a laissé passer. Je suis arrivé de­vant chez mes parents à 2 heures dumatin. C’était un dimanche. J’aifrappé et j’ai entendu ma mère se le­ver la première. J’ignore commentelle a pu deviner, mais devant laporte, je l’ai entendu dire « Je suissûre que c’est le gamin ». » ■Ph. C.

Raflé en pleine nuit

8 AL MARDI 10 MAI 2011

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