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Cahier du « Monde » No23290 datéMercredi 27 novembre 2019 Ne peut être vendu séparément
Aux portes de la communication quantiqueL’ordinateurn’estpas la seule révolutionpromisepar laphysiquede l’infinimentpetit.Un Internetdont la sécuritédeséchangess’appuierait surdespropriétésdephotonscommenceégalementà sortir des labos. Lepoint surune technologie «disruptive»
A l’université d’Innsbruck (Autriche), une enceinte à vide enfermant des atomes chargés, qui pourraient servir de nœud de réseau d’un futur Internet quantique. ROBBIE SHONE
david larousserie
C omme un clin d’œil de l’histoire.Dans les soussols d’unhôtel particulier parisien, dont la construction aenjambé laRévolution française, unepetite communauté s’agite pour bâ
tir une autre révolution. Celleci sera technologique et reposera sur la physique quantique.Quantique? Le mot encore mal connu a com
mencé à percer dans le grand public. Surtoutdepuis qu’une entreprise du numérique archicélèbre, Google, a prétendu fin octobre avoir
battu un ordinateur classique avec unemachined’un nouveau genre s’appuyant sur les principesde la physique quantique, cette théorie qui décritlemonde des particules.Cependant, le 5 novembre, la quarantaine de
personnes, dont une dizaine de femmes, massées pour deux jours dans les caves de l’hôtelBourrienne, dans le 10e arrondissement, en teeshirt jaune,neveulentpas révolutionner le calculmais les communications. Ou, plus directement,contribuer à l’émergence d’un Internet quantique. «Vous êtes là pour imaginer les premièresapplications qui utiliseront la physique quantique
pour sécuriser les communications», rappellePierreEmmanuel Emeriau, doctorant au laboratoire d’informatique LIP6 à SorbonneUniversité.Il est aussi l’un des jeunes coorganisateurs de cepremier événement paneuropéen sous forme dehackathon, un exercice de travail collectif inspiréde l’informatique conventionnelle. Cinq autresvilles y participent, Sarajevo, Padoue (Italie), Genève (Suisse), Dublin et Delft (PaysBas).La mission de la centaine de volontaires est,
plusconcrètement,deprogrammeretdesimulerdes protocoles pour communiquer grâce auxdiverses particularités quantiques, comme – encaricaturant – pouvoir être dans deux états à lafois, se téléporter ou changer instantanémentd’état. Ces étranges propriétés permettentd’échanger des clés de chiffrement entre deuxpoints, d’anonymiser des transmissions, de certifier des identités, voire de payer en ligne avecdes chèquesoudes cartesbancairesquantiques…«La sécurité ne veut pas dire seulement des systèmes incassables. On peut penser à des techniquesplus efficaces, plus rapides, moins chères, plus
adaptées», prévient Elham Kashefi, directrice derechercheCNRSauLIP6et professeure à l’université d’Edimbourg. Ellemême a imaginé, dès2009, unemanière d’effectuer des calculs «aveugles» sur un ordinateur quantique distant, detelle sorteque lepropriétairedecettemachinenepuisse pas extraire d’informations sur ce que ledemandeur du calcul est en train de faire.Son protocole est l’un des soixante déjà propo
sés par la recherche académique et détaillés surun siteWeb, baptisé «zoo des protocoles», créé ily a deux ans par le LIP6, dont les membres sonten force dans l’organisation ou parmi les participants du hackathon parisien.Dans une des pièces, un étrange ballet com
mence. Face à face, en deux rangs, les participants ont trente secondes pour se présenter,avant de se décaler et de recommencer afin defaire connaissance et de former les cinq équipes. La moitié d’entre eux seulement sont«quantiques», maîtrisant soit la physique, soitles algorithmes.
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4 | ÉVÉNEMENTLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINEMERCREDI 27 NOVEMBRE 2019
Les autres sedivisent entre spécialistesdes technologies de réseau classique, employés d’industrie et consultants. «On a déjà la victoire ennombre de participants!», constate Harold Ollivier, autremembre du LIP6.A l’étageaussi,ons’agite. L’hôtede l’événement,
le fonds d’investissement Quantonation, peaufine son investissement dans une cinquièmestartup issue de la physique fondamentale, lasuisse Qnami, qui développe un microscopequantique très sensible pour détecter les champsélectriques ou magnétiques. En décembre 2018,elle a soutenu Kets, une société britannique dematériel de communication quantique. «Lapériode est favorable, notamment avec l’annoncede Google. La dynamique est positive, mais endeçà de ce qui se passe en intelligence artificielle»,constate Christophe Jurczak, l’un des fondateursde Quantonation, en 2018, avec Olivier Tonneauet Charles Beigbeder, propriétaire des lieux. Leurbut est de lever 50millions d’euros en 2020.Pasdechance, lehackathondémarremal.Moins
d’uneheureaprès ledébutdel’épreuve, leWiFisature. Une équipe est rapidement évacuée à l’étagepour qu’elle se connecte à une autre borne. Toutvamieux. La révolutionpeut commencer.Tandis que, au soussol de l’hôtel particulier, de
jeunes ingénieurs et chercheurs jouent à blanc
aux «communicants» quantiques, d’autres, ensurface, essaient de donner vie à un futur réseau.«On pourrait penser que le public comprend plusfacilement le sujet du calcul quantique que celuides communications. Mais, comme il s’agit dequestions concrètes de sécurité, de banque, de protection de la vie privée ou d’accès aux données desanté, lemessage est très bien compris aussi», rappelle Tommaso Calarco, président du QuantumCommunity Network, réseau communautaireeuropéen quantique, chargé d’animer la communauté concernée, de définir des plans de route etde mobiliser la Commission européenne pourdes financements. En septembre 2018, plus de135millions ont déjà été alloués pour trois ans, enattendant 1milliardpotentiel pour lesprochainesannées. Le volet communications compte pourun quart, réparti sur cinq projets. «L’effort de recherche sur les communications a en fait toujoursété très fort. Le domaine est même plus vivant quecelui du calcul»,précise TommasoCalarco.
Les grandes manœuvres sont lancéesDes applications commerciales sont déjà là,contrairement à celles impliquant des calculs.Depuis 2001, la société suisse ID Quantiquevend ainsi des systèmes d’envoi de clés de chiffrement, dont la sécurité repose sur la physique.«Envoyer une clé entre deux points est commeenvoyer des balles avec des 0 et des 1 écrits dessus, aime à dire Grégoire Ribordy, son PDG. Le
défaut est que cela peut être intercepté. La physique quantique permet de faire cet échangeavec des balles “fragiles” commedes bulles de savon, si bien que, si on les intercepte, leurmessageest perdu.» Si l’entreprise ne communique passur ses ventes, elle a annoncé travailler aucâblage de la Corée du Sud pour le squelette duréseau 5G de l’opérateur local SK Telecom, parailleurs son actionnaire majoritaire. En 2008,un réseau de démonstration à Vienne (Autriche) avait connecté cinq lieux, reliés par les«bulles» de la société. Depuis, Toshiba est aussientré dans la compétition.Alors, pourquoi continuer la recherche puis
que celamarche déjà? «Ces techniques sont limitées en distance à cause des pertes dans les fibresoptiques et de la disparition des propriétés quantiques, rappelle Eleni Diamanti, chercheuseCNRS au LIP6.Onne peut pas dépasser les 100 kilomètres.» Les bulles de savon éclatent après untrop long voyage.
Une des solutions est de passer par un satellite, car l’air atténuemoins le signal qu’une fibreoptique. Les Chinois l’ont fait grâce à Micius,lancé en 2016, qui a même fait voyager des clésentre la Chine et l’Autriche pour chiffrer un fluxde visioconférence. Autre parade, ajouter tousles 100 kilomètres environdes nœuds de répétition, qui lisent les précieuses clés de chiffrement, les stockent, puis les réémettent. C’est lasolution choisie pour la Corée. Et pour la Chine,entre Pékin et Shanghaï, sur 2000 kilomètres et32 nœuds. Problème, la clé est visible dans cesnœuds, ouvrant une faille potentielle.La mécanique quantique y remédierait. Pour
faire passer une information d’un point A à unpoint B très distant, un troisième nœud C intermédiaire est introduit qui ne copie pas l’information,mais rend solidairesA et B, par lamagiequantique. Et ainsi de suite. Personne, pourl’instant n’a cependant réussi à fabriquer un telrépéteur quantique.Ce qui n’empêche pas les grandes manœuvres
de commencer. En France, les équipes participantaux projets QIA (Quantum Internet Alliance) etOpenQKD, financés par l’Union européenne, ontl’intention de déployer des liens expérimentauxsur des fibres commerciales, entre Paris centre etSaclay (Essonne)ou,àNice, entreSophiaAntipoliset lecampusdel’université.AParis, leschercheurstesteront notamment un protocole d’échange declés différent de celui d’IDQantique.
FORMERDES INGÉNIEURSETDES INFORMATICIENSP our accompagner le déve
loppementdestechnologiesquantiques, il fautaussiune
révolution dans l’enseignement»,estime Alexia Auffèves, chercheuseCNRSà l’institutNéel. Il estvrai que lesbizarreries quantiquesne sont enseignées pour l’instantque dans les cours de physiquepour ceux qui s’orientent plutôtvers l’enseignement ou la recherche. Or, il s’agit maintenant deconvaincre les ingénieurs et les informaticiens qu’ils peuvent aussis’intéresser à cesquestions.«Je pense même que l’informa
tion quantique est une excellenteporte d’entrée pour l’apprentissagede la mécanique quantique elle
même. Ses concepts sont peutêtremêmetechniquementetmathématiquement plus simples à manierqueceuxvenusdelaphysiqueenseignés actuellement», estime la spécialiste, qui rappelle que chaqueépoque a abordé cette disciplineavec les technologies dumoment.D’abord le nucléaire, puis la physique atomique. C’est donc au tourde l’informatique, de ses porteslogiques, ses algorithmes, ses protocoles de communication… dechanger le regard sur ladiscipline.Autre point à améliorer, «il y a
encore trop de cloisonnemententre la physique et l’ingénierie,regrette Pascale Senellart, chercheuse CNRS et chargée d’une
mission pour l’université ParisSaclay, consistant notamment àdéfinirdenouveauxcursusde formation. Les physiciens ne font pasforcément de bons ingénieurs. Et laphysiqueellemêmeest très thématique et formedes experts enmatériaux, nanosciences, physique atomique… alors que ces sujets, dupoint de vue des technologiesquantiques, sont en fait très liés. Al’inverse, les informaticiens n’ontpasassezdecontactsavecle“matériel”.» La spécialiste essaie doncdemultiplier les ponts entre tous cesdomaines, profitant de sa récenteexpérience d’entrepreneuse, depuis la création de Quandela, entreprise qui fabrique des sources
de photons. Visiblement, les technologies semblent assez mûrespour que les ingénieurs puissentdévelopper leur savoirfaire dansl’optimisation, le développement,le contrôle, le design, la certification… «Il faut augmenter lamassecritique d’ingénieurs quantiques»,tranchePascale Senellart.Petit à petit, la magie quantique
descend donc des écoles doctorales vers les masters et les écolesd’ingénieurs. EnEurope, auxPaysBas, l’établissement le plus importantdudomaine,QuTechàDelft, aune «académie», qui propose descours en ligne ou avec des enseignants. En France, TélécomParis ason propre cursus depuis quatre
ans avec stages, tutorats et liensavec d’autres établissements.L’Ecole centrale, les universitésParisSaclayetGrenobleAlpessuivront. «Une thèse dans le domaineest même un vrai plus pour les recruteurs»,noteRomainAlléaume,enseignantchercheur et responsable de la formation quantique àTélécom Paris. «Il y a quelquesfreins, bien sûr, car les enseignantsdoivent changer leurs cours, souligne Alexia Auffèves. Mais lesbarrières commencentà tomber.»Comme Pascale Senellart, elle
constate aussi l’intérêt pour de laformation continue de la partd’entreprises dont le cœur demétier est parfois éloigné de ces
hautes technologies futuristes.EDF, Total, Airbus, BMW, DowDuPont, BASF ou SAP rejoignent desgroupes plus attendus commeGoogle, IBM, Atos. Signe destemps, des consultants essaientdéjà de convaincre les entreprisesde s’y mettre. Le hackathon paneuropéen, organisé par le fondsd’investissement Quantonation,les 5 et 6 novembre, s’inscrit aussidans cette veine. «Notre activité abesoin de développer l’écosystèmedes technologies quantiques en intéressantaudelàdesacteurs traditionnels. On participe à l’évangélisation», rappelle Christophe Jurczak, cofondateur de ce fonds. p
d.l.
▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE DES APPLICATIONSCOMMERCIALES
DANS LE DOMAINEDES COMMUNICATIONS
SONT DÉJÀ LÀ
Les premiers pasd’un Internetquantique
A l’universitéduMaryland (Etats-Unis), ces lamesmétalliques créentdes piègesélectromagnétiquespour confinerdes atomes chargésque l’on peutintriquer ensemblepour des opérationsde calcul oude communicationquantique. ROBBIE SHONE
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ÉVÉNEMENTLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 27 NOVEMBRE 2019 | 5Détail d’un piègeà atome chargé,porteur d’uneinformation queles chercheursde l’universitéd’Innsbruck(Autriche) essaientde transférersur un photon pourl’envoyer dansdes fibres optiques.ROBBIE SHONE
«On assiste à un boomde ce sujet», salue SébastienTanzilli, chercheurCNRSàl’universitédeNiceet responsabledu réseauqui structure la communauté française. Du 13 au 15 novembre à Paris, uncolloqueasalué lesdixansdecette initiative fédératrice. Les conférenciers européens invités ontexposé leur savoirfaire: fabrique de photons unpar un, échange de clés de chiffrement à traversles airs suruncampus, simulation, par la lumière,de dizaines de nœuds de futurs réseaux quantiques, certification de protocoles, correction d’erreurs inhérentes à ces objets fragiles… «C’est vraiment intéressant de discuter avec des gens d’horizons différents commedes informaticiens, des spécialistes de protocoles et bien sûr des physiciens»,apprécie TracyNorthup, qui, à l’université d’Innsbruck (Autriche), a déjà réussi à transférer de l’information d’un atome à un photon prêt à partirsur leréseau.Dansquelquesmois,elleenvisagedese servir de celuici pour coupler des atomes àd’autres atomes situés 400mètresplus loin sur lecampus. Ce qui serait l’ébauche du fameux répéteur que tout le monde cherche. En Espagne, auRoyaumeUni ou aux PaysBas, d’autres le tenteront aussi. «Dans deux ans, on aura comme unArpanet européen»,espèreElhamKashefi, enévoquant l’embryon historique américain d’Internetdans les années 19701980.
Préparer, téléporter, mesurerPendant ce temps, lehackathonprogresse. Tout lemondeainstalléunlogicieldesimulationd’unréseauquantique, le SimulaQron, développé à l’universitédeDelft. Leprogrammeremplaceparquelques lignes de code toutes les opérations que doivent réaliser les physiciens: préparer des objetsquantiques, les téléporter, les mesurer… Sur fondnoir, les instructionssesuccèdent.L’équipeQuantum Winter essaie de programmer un chèquesécurisé. Les Qnoobs veulent transmettre anonymement des informations. «On a hacké le hackathon!», plaisante Frédéric Grosshans, égalementdu LIP6, dont l’équipe ne respecte pas les règles.Elle s’attaque eneffet àunprotocole qui n’est pasencore dans le «zoo», car tout juste publié… parle chefdecetteéquipe.«Nousaussi, onahacké!»,rétorque un concurrent, qui résout deux problèmes en même temps: finir une animation ludique et pédagogique présentant les bizarreriesquantiques (bientôt en ligne sous forme d’uncarrémagique) et faire du calcul aveugle. La fibreludique a aussi inspiré l’équipe de Sarajevo quiveut créer un jeu s’inspirant de Guitar Heroe, oùil s’agit non pas de mettre les doigts au bonendroit sur les cordes d’une guitare, mais derépliquer les mesures quantiques qui arrivent àla queue leu leu… Y arriverontils?A plus grande échelle, la tension est aussi pal
pable. La France attend que la mission chargéepar le premierministred’élaborerune«feuillede
routepourlestechnologiesquantiques»rendesesconclusions… depuis septembre. «Les chercheursenattendentdesmoyens,biensûr,maisnousespéronsaussiunplanstructurantqui envoieunsignalrapidement», indique Christophe Jurczak.L’Europe aussi est dans l’attente. En juin, sept
pays, mais pas la France, ont signé une «déclaration de coopération» souhaitant la constructiond’une infrastructure de communication quantique tant terrestre que spatiale, baptisée QCI. Enseptembre, un appel d’offres a été émis parl’Union européenne pour financer deux étudesde faisabilité d’un tel déploiement. Mais, sil’Union veut faire vite, elle devra se tourner versdeux entreprises ayant des systèmes opérationnels, ID Quantique et Toshiba, mais toutes deuxextérieures à l’Europe des VingtSept. Cette option serait alorsdéfavorable à l’essord’une industrie européenne. A l’inverse, elle peut décider demiseràplus long termesurdes technologiespluscomplexes à développer, ce qui limiterait les retombées pour l’industrie. «Il est clair que la communauté doit encore démontrer les avantages destechnologies quantiques enmatière de communication. A long terme, c’est clair, mais beaucoupmoins à court ou moyen terme. D’où les hésitations actuelles», résume Eleni Diamanti.Ce dilemme explique pourquoi la France n’a
pas rejoint le projet QCI. La sécurité quantiquese justifie en partie à cause de la faiblesseactuelle des protocoles de chiffrement. Si un ordinateur quantique débarque, il cassera «facilement» les clés, et on pourra dire adieu auxconnexions sécurisées en ligne, aux paiementspar cartebancaire…Pire, unespionpeutenregistrer aujourd’hui les flux de communicationpour les déchiffrer plus tard, lorsqu’une machinequantique seradisponible.Un cauchemar.Les partisans du quantique font valoir que leurcanal étant par définition inviolable, ils ont lasolution.«C’est oublier que les protocoles quantiques d’échange de clés fonctionnent point à pointentre des nœuds de confiance et pas sur desréseaux multipoints et ouverts comme Internet.Donc, ils ne sont pas adaptés à toutes les applications», tempère Romain Alléaume, enseignantchercheur à TélécomParis.
Par ailleurs, l’école «classique» n’a pas dit sonderniermot, puisqu’une compétition a été lancéeen 2015 pour trouver des algorithmes résistantauxattaquesd’unhypothétiqueordinateurquantique. Des propositions sont déjà sur la table. «Lespays qui ont une communauté cryptographiqueforte, comme la France ou les EtatsUnis, privilégient la crypto classique de nature mathématiqueet ne sont donc pas trop favorables aux systèmesquantiquesd’échangedeclés», résumeRomainAlléaume,quiarépondu,avecunconsortium,à l’appeld’offresQCI. EnFrance, c’esteneffet lapositionde l’Agence nationale de la sécurité des systèmesd’information, qui explique auMondeque, «là oùleséchangesquantiquesdeclésseraientpossibles, ilexiste en fait aussi des solutions de cryptographieclassique»rendantnonnécessairesdefait lestechnologiesquantiques.«Undesécueilsdecettesituation est qu’elle ne favorise pas la collaborationaveclemondede la cybersécurité, étapepourtant essentielle à l’essor de solutions industrielles en cryptographie quantique», regretteRomainAlléaume.
«Des idées comme des blagues»Pour sortir de l’impasse, ce dernier propose,comme d’autres, une sécurisation des infrastructuresdecommunicationreposantsurunecombinaisonmêlant classique et quantique. Par exemple, un des défauts des systèmes classiques actuels est qu’ils peuvent être «écoutés» par l’analyse de leur rayonnement, leur consommationélectrique…«Onpeut imaginerd’intégrerdescomposants quantiques qui, par définition, ne pourraientpasêtreécoutéset serviraientdepointsd’ancrage permettant de renforcer la confiance numérique», estime Romain Alléaume. Il songe aussi àdes systèmes de stockage où les informations àprotéger seraient cassées en morceaux et nonstockées en un seul point. Lesmorceaux seraientensuite rapatriés via des liens «quantiques».Loin de ce tumulte, le soleil se couche dans les
jardins de l’hôtel Bourrienne, marquant la fin duhackathon. «Il y a vingt ans, quandnous écrivionsau tableau nos idées comme des blagues, jen’aurais jamais imaginé qu’il y aurait des gens entrain de les programmer aujourd’hui», estimeElham Kashefi, par ailleurs fondatrice de VeriQloud, une jeune entreprise de développementde logiciels de communication quantique. «Vousl’avez faitendeux jours!Soitvousêtesgéniaux, soitc’est que ce n’est pas si compliqué», atelle ajouté,ironique, en conclusion. Tous n’ont cependantpasétéaubout. LesguitarheroesdeSarajavo,eux,ont réussi leur pari. Tout comme les QuantumWinter. Sur leur écran défilent les différentes étapesd’unpaiementpar chèque: fabrication, signature, authentification, paiement…Ne manque plus qu’à fabriquer les bons vrais
photons, à les contrôler, les téléporter… p
david larousserie
SI UNORDINATEURQUANTIQUE DÉBARQUE,
IL CASSERA LES CLÉS, ET ONPOURRADIRE ADIEU AUXCONNEXIONS SÉCURISÉESEN LIGNE, AUX PAIEMENTSPAR CARTE BANCAIRE…
«3+3=4»,ETAUTRESRECETTESDESÉCURITÉ
S uperposition, téléportation, intrication… sont trois des propriétésincontournablesdes futurs réseaux
de communication, impliquant une,deux ou trois particules.Commençons par les solutions à une
particule, par exemple un grain de lumière, ou photon. Admettons qu’il existedes photons noirs et des photons blancs.En fait, la mécanique quantique autoriseque les photons ne soient ni noirs niblancs, mais «gris», c’estàdire à la foisnoiretblanc.Cen’estque lorsqu’undétecteurde«couleur»entreraenactionquelephotongris seravucommenoiroublanc,avec une chance sur deux d’être vu dansl’unde ses états. C’est le conceptde superposition.Rienqu’avec cela, les chercheursCharles Bennett et Gilles Brassard ontproposé, en 1984, un protocole de communication sûr entre deux points pouréchanger des bits d’information, quiconstituent notamment une clé pourchiffrer et déchiffrer des documents.L’une de leurs idées est que si un espionintercepte un photon entre les deuxpoints, alors celuici perd son caractèremélangé, ce que sauront alors les interlocuteurs, qui choisiront de ne pas prendreen compte ce bit d’information. L’entreprise ID Quantique commercialise un telsystèmepour échanger des clés.
Téléporter la «couleur»Passons à deux photons et à l’intrication.Il est possible de fabriquer une paire magique de photons, liés par une «colle» invisible, qu’on pourrait envoyer en deuxpoints très distants. S’ils n’étaient pas liésou intriqués, mesurer la couleur de l’unn’aurait aucune influence sur la mesurede l’autre, qui resterait aléatoire, noir oublanc à 5050 de chance. Mais comme onles a intriqués, leur corrélation est trèsforte, si bien que trouver que l’un est noirimpose que l’autre le soit aussi (on peutaussi décider que quand l’un est noir,l’autre est blanc).Grâceà ceprincipe, il estpossiblede téléporter, commeensciencefiction, la «couleur» d’un photon sur unautre. Si Alice possède un photon d’unecouleur, qu’elle veut téléporter à Bob, ellecrée en plus une paire intriquée dontelle envoie un membre vers Bob et faitinteragir l’autre avec le sien. Aussitôt lephoton intriqué reçu par Bob se transforme, reproduisant l’état de la particuleinitiale d’Alice (qui est «perdu»).Dans cet esprit, on peut aussi arriver
non pas à téléporter un état d’un point àun autre, mais faire en sorte d’intriquerdeux photons à distance entre Alice etBob, réalisant un répéteur quantique, unGraal, qui augmenterait la distance detransmission d’informations sensibles.Enfin, avec trois photons, les chercheurs
peuvent aussi s’amuser en créantnonpasseulement une paire, mais un trio intriqué.Onpeut alors faireunedrôle d’opération: 3 + 3 = 4…En effet, si l’on prenddeuxpaires de photons intriqués et qu’unmembre d’une des paires interagit avecun membre de l’autre, on peut arriver àintriquer les deux membres restants.Mais,partid’unepaire intriquée,onarriveà une paire intriquée. On n’a rien gagné.En revanche, deux trios qui interagissenten détruisant deux photons laissent, eux,un quatuor intriqué, soit un membre deplus. Et ainsi de suite. De quoi, en théorie,étendre une intrication à l’échelle de toutun réseau et faire profiter le plus grandnombrede lamagie quantique. p
d.l.
V1Sortie par carre le 25/11/2019 17:24:23 Date de Publication 27/11/2019
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