34001797 les-cahiers-pour-la-folie
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- 1. LENFERMEMENT, QUELLE HOSPITALIT POUR LA FOLIE? Elle,
(encourageante): Vas-y! lance un texte! Des mots Lui (dcid): poss
comme Les Nouveaux cahiers une charpe pour la folie feront le lien
sur le cri pour travers les solitudes et quils ne pren- travers les
institutions nent pas froid. portant les dires... Nest-ce pas
trange davoir peur de gens qui ont peur de la folie?
- 2. Elle (encourageante): Vas-y ! lance un texte ! (dcid) : Les
Nouveaux Cahiers pour la folie feront lien travers les solitudes et
travers les institutions portant les dires, les propositions, les
revendications, les pomes, les dnonciations, les refus, les ides,
les lans... pour que chacun, quels que soient sa place, son mtier,
son rle, laisse parler le meilleur de sa folie. Elle (enthousiaste)
: Pourquoi les Nouveaux Cahiers pour la folie? Parce que nous en
avons besoin. Nous, cest dire soigns, soignants, familles,
rsistants mobiliss ou immobiliss, amis, ennemis... ayant affaire la
folie telle quelle se dit en ses diffrents lieux... (perplexe): Oh
l, pas trop vite! Nos ennemis ont-ils vraiment besoin des cahiers
pour la folie ? Ce nous doit englober des gens qui en ont quelque
chose faire... Ou bien on dit qui, de quelle place on parle, ou
bien on ne dit rien. Elle (poursuivant, imperturbable): Nous avons
besoin des Cahiers parce que les voix de la folie ne se laissent
pas craser par la politique gestionnaire/scuritaire qui prtend les
rduire en protocoles et nomenclatures. Nous en avons besoin parce
que les voix de la folie rsistent en leur singulier tissage,
potique et politique, utopique et raliste, qui veille secrtement
sur le destin de nos cultures... (tranchant): Quest-ce quun nous ?
Quest-ce quun collectif ? A t-on des ennemis ou non ? O se situe la
violence ? Que pouvons-nous faire? Quel pouvoir daction retrouver ?
Elle (songeuse): Quest-ce quun collectif dans le cas o il sagit
dcrire ? Peut-il se proposer un autre but explicite que de proposer
un lieu pour des critures diverses? Ce quon voit venir, en tous les
cas, cest que lcriture plusieurs se fera par des processus non pas
dajouts mais de retraits, voire darrachements Le bout de la
violence qui sy attrape na-t-il pas dabord voir avec cet ennemi
intime qui se (re)lve quand on se risque crire ? (didactique):
Lennemi, daccord, nous le portons en nous. Et ltranger, lexclusion,
la peur... Ce nest pas une raison pour faire limpasse sur les
violences lies aux institutions, ces violences qui tendent
saccrotre lorsquune institution soccupe des gens dclars
psychochoses ou autres fous des tous les ples, de toutes les
bulles. Quil y ait, par nature, de la violence dans les
institutions nempche pas que lon peut penser et dfendre des formes
institutionnelles moins violentes. Les Cahiers peuvent-il avoir
cette fonction ?... Elle et (en rvant, en crivant) : Peut-tre....
2<
- 3. Dessins Pierre Sadoul mail Bonjour, comment peut-on
participer aux cahiers pour la folie et vos travaux. Bref, jaime
bien ce que jai lu de vous et jai envie de faire un bout de chemin
parmi ces poussires dvnement. Ci-joint 3 textes. Jen ai dautres
dans la besace. Que faire des mots? Au del du dfaire les maux.
Dessins Pierre Sadoul 3<
- 4. EN PAIN D EPICE Au cur de son cerveau se loge un caillou
blanc, glac, aux artes acres, qui parfois taillade les tendres
mninges qui lentourent. Il sait cette pierre. Il la sent qui
sessaie glacer son me. Parfois, il reste immobile, ptrifi sous un
froid mordant qui paralyse tout et le plonge dans leffroi. Car il
arrive que son esprit tout entier se glace ainsi, rduit un blanc
sans rponse, o plus rien nexiste, rien ne compte. O seule rgne la
peur. Cest blanc. Cest tout ce quil sait. Cest blanc et froid, et a
fait peur. Et dans ce blanc gel se cache un grand bout de sa
mmoire. Cela, il ne le sait pas, force de refuser de le savoir. Il
dit juste que cest froid, que cest blanc, et quil a peur. Il la dit
aux docteurs de lhpital. Leurs blouses aussi taient trs blanches,
et leurs mains pas trs chaudes. Ils ont hoch la tte, lil grave et
le sourcil fronc. Mme, ils ont toussot, lun aprs lautre, la main
poliment devant la bouche. Ils lui ont plant des aiguilles dans les
bras, des lectrodes dans le crne, des pilules dans le gosier. Aprs,
ils ont dit des tas de mots trs savants en regardant des graphiques
trs abstraits. Il y avait son nom, Monsieur Riboule, qui revenait
intervalles dans le discours, et quil reconnaissait au milieu de ce
magma vocal, alors il hochait la tte son tour en sefforant de
prendre lair hautement intelligent. On peut se parler trs longtemps
sans jamais se comprendre. Et les docteurs ont parl longtemps.
Tellement que monsieur Riboule sest endormi dans son lit blanc et
tide. Les discours ont continu entre les docteurs pendant un moment
encore. Ils avaient lair content de mlanger leurs mots savants. Les
infirmires pensaient dj au menu du repas ce soir pour les enfants
et encore aux yeux si bleus du nouvel interne. Aprs, cest une
histoire dhpital banale. Ils ont enferm monsieur Riboule dans une
chambre blanche et ils lui ont prescrit des comprims de toutes les
couleurs. Il a appris articuler lentement chaque mot, mme le plus
simple. Les comprims, cest comme a, a vous oblige larticulation
pteuse. Il a appris les rites du quotidien, les repas et la tisane,
les heures des pilules et celle de la visite, le pas gliss des
pantoufles tranes et le frapp des sandales des aides-soignantes. Il
a appris demander, sil vous plat, est-ce que je peux me doucher,
est-ce que jai le droit daller dehors, je voudrais un autre sucre
pour ma tisane, pourrais-je avoir mon portable Dans son cerveau, il
y a comme une bouillie tide, poisseuse, peut-tre jauntre, engluant
son cortex. Il ne sait gure cette bouillie. Simplement, il sait
quil doit articuler plus lentement. Mais il aime bien la tideur
dans son esprit, sans questions, sans angoisse. Cest tide. Cest
tide, a colle et cest calme. Il a dit merci aux docteurs. Le bout
de mmoire enferm dans la pierre est noy sous la bouillie gluante.
Le tout petit garon qui hurlait sa terreur sest chang en bonhomme
de pain dpice. Tout est sucr, tout est tide, tout est calme. Juste
un peu ralenti, peut-tre. Avec juste un tout petit cadavre en pain
dpice au cur dun ocan de bouillie tide. Les docteurs sont contents.
Monsieur Riboule na plus de crises. A Prigueux, le 30 Janvier 2005
4<
- 5. mail 26/11/2009 19:47 La folie et la mort sont les ailes de
lamour. MERCI DCOUTER VOS PATIENTS cest trs gentil, cest normal au
sens noble et a mange pas de pain. Jajoute que dtre inadapte au
travail est plus une bndiction quune maldiction, en tout cas au
sens normalement positif du terme. Lucie 5<
- 6. LES NOUVEAUX CAHIERS POUR LA FOLIE se droulant au jour d
aujourd hui) Ridentem dicere verum/ Qui vetat ? Dire en riant le
vrai/ Serait-il interdit ? (exergue employe par Lewis CARROL, alias
Charles L. Dodgson) La Raison raisonnante : Quest-ce quil te prend,
chevele Folie, vouloir ressusciter, comme si de rien ntait, tes
plus que dfunts Cahiers pour la folie, qui naquirent ta dfense (si
je crois bien me souvenir) dans ces lointaines et fort infortunes
annes 70, et qui furent enterrs depuis ? : Oui, Mdame, mais le fait
est que, mme si autant de Temps sest coul, fauchant droite et
gauche un grand nombre de mes amis (ce mme Temps se rjouissant fort
de ses indniables victoires), le fait est que (veuillez bien
excuser ma hardiesse, accompagne et soutenue, en cela tout au
moins, par diffrentes formes de folies de ce monde : cheveles, ou
pas), nous estimons le moment venu de nous exprimer amplement, car
le moment est devenu grave, trs grave. Infiniment plus grave, quen
ces annes lointaines, lorsque notre petit bonhomme ntait encore
quun louveteau, en train de grimper (avec hardiesse, il est vrai)
ces hautes marches qui mnent lOmnipotence, et La Raison raisonnante
(en lui coupant vite la parole) : mais aussi la Gloire, folie ! :
Absolument. Absolument. Mais, laissez-moi terminer, Mdame. En ces
annes lointaines (disais-je), il navait pas encore rejoint, dune
faon tmraire, la redoutable Cime, le frissonnant, mais galement si
rjouissant Sommet de lAbsolu Pouvoir. Or, vous, sage Dame, vous,
Raison raisonnante, sachez que, depuis quil occupe cette Place si
hautement respectable, ce Lieu sacr, il ne nous laisse simplement
plus vivre en paix, ne ft-ce que lombre dun instant. Car il ne
cesse ni dapparatre ni de parler, et toute bride, sur la totalit de
nos crans, en nous imposant ceci ou cela. Tout comme il narrte pas
dintervenir physiquement, et dune faon qui pourrait paratre quelque
peu inopportune, dans nos propres lieux, dans nos propres espaces,
allant jusqu souligner avoir t le Premier de son rang stre
gnreusement aventur par l. (Dans ces contres, jentends). Et cela,
afin de nous louer, ou de nous critiquer (parfois mme dune faon,
pour peu dire, tout fait impolie), et en nous repoussant jamais en
des retranchements extrmes dsireux, comme il lest, de tout dcider
pour nous. Bref, notre place. La Raison raisonnante (en prenant de
la hauteur) : Mais ne serait-ce pas l le lot, le destin le plus
noble quil soit sur la Plante, que de nourrir la veuve et
lorphelin, et de revtir consciencieusement le nu et le dmuni ? :
Oui. Bien sr. Mais, en ralit, ce nest pas ce quil fait, ce nest pas
ce qui laguiche, en vrit. Et je peux vous lassurer, sous la foi du
plus sincre des serments ! Il ne cesse donc pas de sacharner
perptuellement ne plus nous laisser la moindre libert, ni dans
lexercice de nos diffrents labeurs, ni dans lexpression de nos voix
disparates. En un seul mot : il se glisse, afin dy rsider en vrai
Prince florentin, dans lenclos de nos propres vies, de nos
vritables existences. (Soupir dru.) Oui, Mdame la Raison
raisonnante ! Et cela aussi parmi ceux qui estiment (ceux qui
estimrent ?) bien connatre leur travail, et laimer fort. 6<
- 7. La Raison raisonnante : Expliquez-vous avec une plus grande
prcision, tout comme avec une majeure clart, folie. De quoi
sagirait-il donc : de labeur, ou de travail ? : Comme vous prfrez
le nommer, Dame. Car cela se passait au temps o on pouvait encore
laisser libre cours (pour ainsi dire) la recherche et linvention
(et mme aux imprvues, soudaines trouvailles), dans son propre
terrain. (Evidemment, lorsque lon vous laissait bien loccuper,
cette place, dans le concert des humains !) Tout a se passait cette
poque, qui apparat dsormais si lointaine et irrmdiable, nos pauvres
yeux de mortels, alors que mes enfants pouvaient encore ne pas se
laisser errer, hagards, le long de rues, diurnes ou nocturnes. La
Raison raisonnante : De grce ! Il noblige personne : Mais si ! Mais
si ! Je vous dis que La Raison raisonnante (expliquant tout fait
calmement, sereinement, souverainement, la chose en elle-mme): Il
voudrait, mieux, il ne dsire tout simplement que de les protger,
ces humains, qui lont bel et bien lu pour quil acquitte cette tche.
Une tche quil accomplit par une constante Prsence,
spirituovirtuelle. Mais galement au moyen des gnreuses techniques
de notre poque, dont galement certains de nos voisins (sur un ton
prcipit): Ce que je voudrais vous dire, cest que depuis le 2
dcembre de lan de grce 2008, ce petit bonhomme sen est plus
particulirement pris nous. nous oui ! les folies cheveles, en
dcidant de rayer de par sa parole si lgamment prise, et dont il ne
se lasse pas (jamais !) de nous abreuver au grand trot (mais propos
de laquelle, dans nos bas-fonds, on murmure, quelle ne serait mme
pas, dans ses aussi riches tournures, le fruit de son estimable
cru), en dcidant donc de rayer de notre belle carte de France, par
des griffonnages ou des violents traits rouges (oh non ! pas rouges
! noirtres, peut-tre ?), notre pass, et tous ces acquis, pour
lesquels nos pres et nos grand pres luttrent infatigablement par le
pass. Or, je me rfre naturellement, ce disant, aux hommes de ce
Pays, car, rgles et coutumes imposent que La Femme ait bien dautres
choses faire. (Comme soccuper duvres caritatives, ou chanter, bien
labri, des douces, charmantes chansonnettes, en lhonneur de tous
ceux qui voudront bien les entendre, en les coutant. Bon !). Et,
pour conclure, gente Raison raisonnante La Raison raisonnante :
Oui, cest bien a ! : pour conclure, donc, jaimerais vous avouer
que, dans ces Nouveaux Cahiers pour la folie, il sera bien question
de tout cela. Prcisment, de la libert ncessaire dont chacun de nous
ncessite, afin de pouvoir jouer convenablement de linstrument de
son choix, mais galement de pouvoir sexprimer de par sa propre voix
(unique !), bien qu lapparence tout au moins, oppose la sienne ( la
vtre ?), afin quon puisse humainement vivre, et se raliser, sur
cette Terre. La Raison raisonnante : Allez ! Dpchez-vous de
conclure, car jai autre chose faire que de (tout prise, et comme
sourde ce parler) : Et surtout ! Et comme il nous revient de droit,
dpauler et de vivifier toute parole se nichant en nos parfois
sombres curs dhumains. Des curs parfois si sombres, quils ne se
lassent pas de dgringoler dans ce quon appelle dhabitude la Folie
cervele, pardon ! Echevele. (Empressant tout coup son dbit, ayant
lu, sur les lvres de la Raison raisonnante, son propos dune
7<
- 8. nouvelle, prompte riposte.) Cest pourquoi nous entendons
accueillir dans notre feuille, toutes suggestions, toutes
productions crites, relatant faits ou vnements ou penses ou dsirs
ou projets, etc. etc., amrement, ou injustement, ou mme
courageusement, et dune faon ttue, vcus par nos lecteurs, sur quel
bord quils se trouvent, ou se dcouvriraient, du grand fleuve de la
vie. Quils soient placs sur le rivage de la Raison raisonnante, ou
sur celui de la Folie chevele. Car, nous osons esprer que ce mot de
citoyen qui nous a revtus jusqu cette heure, et dont nous nous
acharnons pniblement revtir encore et encore la nudit de notre
actuelle et si dmunie Rpublique, ne soit pas quun vain mot, et quon
puisse le rendre de nouveau irrductible, en en (r)conqurant
pleinement sens et signification ! Et cela, en luttant bec et
ongles, et de toutes nos forces, afin de le dfendre, en lassumant
en tant que parole. Un grand merci vous, amis citoyens, et merci
aussi aux Raisons raisonnantes qui voudront bien nous accompagner
et suivre, tout le long de cet aventureux voyage, lapparence tout
au moins, rouge et quasi dmoniaque ! Vtre folie chevele Antonella
Santacroce mail 26/11/2009 19:25 Folie de vouloir croire entrevoir
quoi o ? Samuel Beckett 8<
- 9. Psychiatres vtrinaires On juge le degr de civilisation dune
socit la faon dont elle traite ses fous Lucien Bonnaf La vache
folle nexiste pas, cest un abus de langage. Au pire, on peut voir
de malheureux ruminants avec des troubles neurologiques dus
lencphalite spongiforme bovine, mais point de folie l dedans. Un
animal ne peut pas tre fou, car la folie ncessite le langage. Hlas,
Rabelais a pch par optimisme, le rire nest pas le propre de lhomme.
La ralit est moins joyeuse, cest la folie qui est propre lhomme.
Depuis la plus haute antiquit, autant en Inde quen Chine, en Egypte
et en Msopotamie, les philosophes, savants et lettrs, tous
saccordaient considrer que ce qui fait la diffrence essentielle
entre lhomme et lanimal, cest la parole, ou plus exactement le
langage. Je crois quil faut appeler psychiatrie vtrinaire, toutes
pratiques qui nabordent le fou et la folie que dans une dimension
biologisante dun homme-animal en rfrence explicite, ou le plus
souvent implicite, une idologie qui exclut la folie du champ de
lanthropologie. Depuis la Renaissance, la psychiatrie vtrinaire
sest prsente, selon les lieux (Allemagne, Espagne, Italie,
Autriche, France) sous cinq avatars qui avaient tous en commun la
priori dinvalider le discours dlirant et de traiter les fous comme
des mammifres rduits leur corps biologique. On peut distinguer: -La
psychiatrie asilaire -La psychiatrie neurologique -La psychiatrie
gntique -La psychiatrie biologique -La psychiatrie comportementale.
Historiquement, nous avons donc dj vcu cinq fois ce processus de
rduction de lhomme fou lanimal: -Au XVIIIe sicle, le sicle des
Lumires a laiss dimmenses zones dombres, en particulier en ce qui
concerne la folie et la place des fous dans la socit. A cette poque
ont t conus les asiles dalins de lge dor de la psychiatrie asilaire
qui ne proposait quun enfermement des fous, dans des asiles conus
comme des zoos. Les fous dans le rle des fauves et les gardiens
chargs de nourrir et de garder les btes et dinterdire toute vasion!
Il nest pas question de soigner la folie, dcrte priori incu- rable,
mais uniquement de protger la socit de ses fous, tous considrs
comme dangereux priori. -Au XIXe sicle, la psychiatrie asilaire et
la psychiatrie neurologique, dite neuro-psychiatrie, excluent que
lhomme fou puisse faire partie de lespce humaine. Le fantasme
neuro-psy- chiatrique na jamais cess de faire la promotion de lide
dlirante que le psychique serait un jour rductible au neurologique.
-Au dbut du XXe sicle, cest la psychiatrie gntique qui est devenue
la mode. Elle affir- mait tout simplement que les maladies mentales
taient des maladies gntiques transmises par des tares
chromosomiques. Les nazis ont pouss cette logique jusqu ses pires
extrmits. En 1945, les Allis ont trouv dans la bibliothque
personnelle dHimmler tout ce qui avait t publi sur les techniques
de slection utilises par les vtrinaires pour lamlioration des races
chevaline, bovine ou ovine. Ce sont ces mmes techniques que les
nazis ont appliqu leur population pour lamlioration de la race
allemande . Abattage systmatique de tout individu suspect de tare
gntique. Outre les juifs, les tziganes, les homosexuels, les nazis,
au nom de la gntique, ont assassin cent cinquante mille malades
mentaux sur le territoire du Reich. Sous lOccupation, le rgime de
Vichy a appliqu hypocritement la mme idologie en rduisant les
budgets nourriture dans les asiles. Quarante mille malades mentaux
sont morts de faim en France occupe. Les Sudois, convaincus par les
thses de la psychiatrie 9<
- 10. mail 20/11/2009 09:42 Je suis "malade" en "libert", modle
pour des peintres de temps autre et pote. Je m'inquite, moi aussi,
pour "l'avenir de la folie". Je ne sais si ce que je vous envoie
peut servir mais bon je me suis dit "il faut que j'apporte ma pe-
tite pierre". Sabine 10<
- 11. gntique, ont strilis leurs malades mentaux pendant
cinquante ans. Ces mthodes ra- dicales ont eu au moins un mrite,
celui de faire la dmonstration que les chromosomes navaient aucun
rle dans les maladies mentales, puisque le taux de maladies
mentales est rest inchang dans les trois populations allemande,
franaise et sudoise. -Aprs guerre, avec la dcouverte du premier
mdicament neuroleptique, un engouement sest dvelopp pour la
psychiatrie biologique. En effet, pour les lobbys pharmaceutiques,
il tait obligatoire de trouver des arguments biologiques pour faire
croire que les mdicaments psychotropes constituaient un traitement
tiologique et non simplement symptomatique. On attend toujours le
moindre dbut de preuve dune trace biologique dans les maladies
menta- les. -Au XXe sicle, avec lidologie bhavioriste, sans
surprise puisque le comportementalisme rsulte de la transposition
lhomme dtudes pratiques en psychologie animale, rappa- rat la
rduction de lhomme fou lanimal mais sous une forme nouvelle, avec
en prime une confusion entre les troubles du comportement et les
troubles mentaux. Retour donc des effets de dshumanisation:
incurabilit et dangerosit potentielle qui avaient t postules
priori. Je vous lavais bien dit que tous ces gens l sont incurables
et dangereux. Alors, autant les traiter comme des btes . Deux
illustres neuro-psychiatres, avec quelques autres, ont tent de
rendre lhomme fou sa place centrale en anthropologie : -Sigmund
FREUD en analysant le discours des alins. -Jacques LACAN en
dmasquant le rle majeur du langage dans les troubles mentaux. En ce
dbut de XXIe sicle, la question se pose de savoir si nous
nassistons pas au sixime avatar de la psychiatrie vtrinaire avec la
mise en place de la psychiatrie scuritaire. La confusion entre
troubles du comportement (dlinquance, criminalit) et troubles
mentaux (dlires, hallucinations) relance le mythe du fou dangereux
et permet de faire passer des victimes de maladies mentales pour
des criminels dangereux. La psychiatrie humaniste peine survivre
dans des conditions de plus en plus difficiles. Il est tellement
plus simple et plus facile de grer un cheptel que de traiter
humainement la folie. Dr Ph. LECLERCQ, ancien praticien hospitalier
en psychiatrie. Quelques chiffres: 80% des internements (H. D. T.)
sont des mesures de prvention de suicides. Seuls 20% des
internements (H. O.) sont lis des troubles de lordre public.
Incapables de se dfendre, les malades mentaux sont les premires
victimes de la dlinquance et de la criminalit. La commission
Violence et sant mentale note que les crimes contre les patients
psychia- triques sont prs de douze fois plus frquents que dans la
population gnrale. Concernant la dlinquance les chiffres sont du
mme ordre. Cest le tour de force de la psychiatrie scu- ritaire que
de russir faire passer les victimes de maladies mentales pour des
bourreaux criminels potentiels. 11<
- 12. Fragments Ici on recueille les clats fragments de la misre
du monde. a pourrait scrire au fronton de tous les hpitaux
psychiatriques. Il y en a beaucoup des misres. Passant lautre jour
dans une rue Lyon, tt le matin, jen- trevois sous un porche une
forme engonce dans un sac de couchage et de lendroit o je me trouve
il me semble que lhomme ou la femme couch l sest envelopp le visage
dans un sac de plastique transparent pour se protger du froid et de
lhumidit. Comme je mapproche je ralise quil nen est rien, le sac de
couchage est sans doute bourr de quelques effets et l o devrait se
trouver une tte son occupant dpos en guise de baluchon un sac
contenant ses objets de premire ncessit une gamelle, quelques
canettes, une orange et je ne sais quoi encore. Je me dis que lon
penserait peut-tre proposer au propritaire de ces reliquats de
misre une place au sec, quelque chose de chaud boire mais qui
soccupera, et comment, des maigres objets de survie quil a dans la
tte . Il y en a beaucoup des misres et je pense Nathalie Zaltzman
qui parle de la gurison psychanalytique comme une tentative
daccueillir et de retenir ce qui est en passe en cha- cun de nous
de nous prcipiter hors du monde. Nos patients sont de cette misre
l, des troubls du rapport eux-mmes, aux autres, la socit qui les a
signifis malades mentaux un peu hors du monde. Cest sr il leur
manque des mots pour se dire et sarticuler aux autres, alors a
passe par des crises dagitation, des tentatives de suicide, des
comportement addictifs, des dlires, des demandes incessantes ou des
tendues de repli et a passe dans le corps et dans la tte des
humains qui les entourent On souhaite que les soignants
investissent les patients Mais on ne sait pas qui investit qui
finalement, et cest bien comme a, parce que sinon nous tomberons
tous hors du monde. Pour laccueillir cette misre du monde, des
femmes et des hommes font acte de prsence. Ils ne sont pas l 7h ou
8h ou 12 h par jour pour autre chose que pour a. Faire acte de
prsence cest insister sur ce simple fait que des tres humains sont
l pour cet accueil, ce travail, cette douleur davoir se faire un
peu rceptacle de tout a, et den faire, au mieux, quelque chose
dhumain qui soit plus que le couvert et le gte, quelque chose qui
retisse des liens dhumanit avec cette misre psychique et sociale.
Et cest un acte de prsence qui sprouve, et qui prouve ces femmes et
ces hommes, parce que les humains aux prises avec linhumain sont
sans cesse tirs du ct de leur refus de cette misre l mais aussi du
ct de leurs propres tentations vers linhumanit et son cortge de
violence. a ne se fait pas tout seul, a ne se fait pas sans
retisser infiniment avec des motions, des penses, des mots, les
liens dhumanit qui font que tout a redevient un peu partageable, un
peu humain, a ne fait pas sans effort face la facilit de simplement
servir la soupe et les mdicaments ou de dcrter rapidement ce qui
est bon pour lautre. a ne se fait pas sans une institution qui sy
dvoue et en exige les moyens. Parfois tout est confondu et cest
prcisment de ce magma l que soin peut advenir. On me dit lautre
jour, ailleurs, cette jeune professionnelle depuis peu dans un lieu
de soins pour adolescents : En voil un qui hurle un de ces cris
glacer le sang, et voil quelle na sur linstant dautre choix que de
lisoler dans sa chambre A cris redoubls il martle la porte de ses
poings, elle y va pour le contenir, puise, de longues minutes, sans
succs, jusqu ce quarrive un collgue, tout aussi vocifrant : quest
ce que cest que ce bordel ! Effondre, elle cherche plus tard ce qui
lui noue toujours le ventre. Ce jeune quelle tait l pour soigner
elle a tellement voulu, un si court et si vif instant le voir mort,
comme dautres peut-tre avant elle Elle aurait voulu partager a avec
ses collgues et sy retrouver si humaine comme eux, si dsarme comme
eux, si traverse de haine comme eux, si capable de sy frayer un
chemin, avec eux. Elle aurait tant voulu. L o les hommes et les
femmes ne se parlent pas de ce qui les prouve et de ce quils prou-
vent dans leur travail soignant, sous couvert dtre professionnels ,
donc bonne distance 12<
- 13. inaltrable, ils cessent alors de faire acte de prsence, ils
tombent hors du monde ou en font chuter dautres leur place. L o les
femmes et les hommes sont aisment convoqus pour se remplacer les
uns les autres dans leurs fonctions, en tant ainsi nis dans la
singularit de leur humanit, ainsi que dans celle de leurs patients,
ils tombent un peu hors du monde. L o la liste est longue. Faudrait
faire un inventaire la Prvert. Une collgue me raconte ses Visites A
Domicile chez une dame ge, qui se dfend comme elle peut de sa
mlancolie on dirait A peine a parle dans une demeure isole que
jimagine dans la pnombre et comme fige dans le temps, une maison o
la vieille femme se voudrait quelque peu sorcire, a lui laisse des
pouvoirs ma- lfiques mais des pouvoirs quand mme. Faites attention,
elle lui dit des fois, au mal que je suis capable de faire, prenez
garde ! Mais surtout peine a parle et cest une surprise chaque fois
quelle ouvre sa porte, un miracle quelle accepte encore ce lien l
aprs avoir tout refus. Vous faites quoi ? Elle moffre une cigarette
de son paquet et moi, et bien, je lui en offre une du mien. Aprs on
fume. Cest a ou tomber encore plus hors du monde. Fragments. Echos
tnus de ces immersions dans la misre du monde. Qui les entendra ?
Et comment ? J.de Turenne Infirmier psychiatrique Psychologue
13<
- 14. JE RESPIRE Ils balancent du nocodyon par la fentre de ta
cave cest peut tre pour a que tu ne te sens pas bien Je lai
rencontr plusieurs fois A chaque fois : la porte, la frontire On
dit bien que si lhomme a conscience de sa finitude, cela implique
lide dun infini impalpable mais rel voire implacable Pourquoi
nest-ce pas moi qui louvrirais la porte ? Prends garde ! Ils te
surveillent tu ne noues pas tes poubelles de la mme manire que tout
le monde tu tes fait reprer Garde toi ! Encore des mirages ! Depuis
tant de temps dj, il te dit que cest toi qui va ouvrir la porte Qui
il ? Ton animus Merde ! dans quel labyrinthe ma fait pntrer la
lecture dun homme tel que Jung ? Tu le sais o a ta conduit, non ?
Droit lhpital ! Ncoute pas sa voix Tlphone ton psy tout de suite tu
te promnes allgrement par del la frontire Garde toi des portes que
tant de fous ont cru enfoncer avant toi Personne ny est parvenu !
Pourquoi toi ? Pas plus quune autre Pourquoi souffre-je de cette
maladie pernicieuse, tratre et volage ? tu vois tu reviens cest
bienallonge toi Prends immdiatement la dose quil faut Je veux dire
une dose autorise Je me demande pourquoi cette fois, je ne
ressemble plus un lgume lorsque jatteins cet tat l Laccoutumance ?
Une volution vers une personnalit moins multiple, plus construite
Parce quau bout jy suis alle une fois : dix de tension et tout et
tout Et tout et tout : a veut dire dormir quatre six heures ou pas
du tout, fouiller les poubelles la nuit comme un clochard sans
raison apparente, murmurer des phrases dans la rue sans honte,
devenir une perptuelle trangre jusqu ne plus savoir comment ouvrir
la porte dun magasin, qumander un passant le secret du
fonctionnement dune cabine carte pas que a des dtails se faire des
ides sur tout, avoir peur de changer de pice dans son appartement
et dormir dans le fauteuil parce que dans le lit, il y a lautre
lautre qui donne une frousse de croque mitaine quon berce avec de
la musique interprter tout selon lui, avoir des projets fantasques
comme apprendre le sanskrit, dautres plus amusant : se baigner nue
dans un trou deau au fin fond dun bois avec seulement des mouchoirs
en papiers pour se scher a, je ne regrette pas a ma laisse un
sentiment de libert, de bien tre, dentraver un interdit et au bout
du bout, puise, ne pouvant plus dormir, crivant des mots que moi
seule comprenais, ne pouvant plus donner le change face aux autres
: je suis arrive lhpital et a a t pire Jinventais mille choses pour
les psy qui mobservaient ils marquaient psychose hystrique
ventuelle , ils ninterprtaient que ce que je montrais et la folie
est comme les icebergs ce quon ne souponne pas est norme alors les
certificats ont dfil psychose schizophrnique paranode mais cest
vrai qu un moment avant quon marrte jai eu la sensation que je
portais lhumanit dans ma pauvre tte, tout se mlangeait et je ne
percevais quavec peine qui jtais 14<
- 15. Les diagnostics se sont affin psychose dysthymique ou
psychose schizo affective et je men sors comment ? Je suis alle
voir des faiseurs de pluies et quarante ans je peux vous dire quune
pousse de nimporte quoi qui merge en plein Kalahari avec une petite
pluie fine mais rgulire et lautre ! Il espre immdiatement loasis !
Pour linstant, je suis allonge avec Maria Callas lombre en plein
Kalahari et je respire je respire Je ne peux pas vraiment dire que
jai frl la mort mais lautre la recherche pitoyablement parfois Pas
croire Je suis passe la banque Tout se monnaie dans ce genre
dhistoire Alors trouve un moyen dobstruer ta fentre de cave et tu
nauras pas souffrir des bouteilles vides de nocodyon Cest moi qui
te lassure Et surtout coute bien les palabres dans le cercle tu ne
parviendras jamais au cercle cest lautre qui invente Ce cercle que
je nomme trs peu y parviennent ou alors des grands Toi ! Si
ridicule lautre il a ses rves, moi je ne touche pas a Je massoie
sur le bord du cercle et jcoute mais je ne pntre pas au-dedans
sinon ! Tu connais la suite ? Sur le bord respirer aprs avoir bu un
hibiscus Et lautre aussi subira sa finitude Lautre aussi Lautre
tranquille Maria Callas juste un peu fle pour se remmorer mail
09/11/2009 22:09 Bravo! rsistons la logique denfermement, aux
injonctions paradoxales, la surenchre administrative, aux comits
thodules, la logique de mutualisation- scurisation-prcarisation, la
fausse dmarche-qualit, la trs haute autorit de sant, la
proltarisation du corps mdical, la stigmatisation et la
discrimination, la destruction de nos valeurs. Dr Philippe, chef de
secteur, chef de ple mail 20/11/2009 18:53 Je travaille en
psychiatrie, en maison de retraite et en libral en tant que
psychologue clinicienne. Aujourdhui, il sy passe videmment le mme
schma : le vieux est synonyme de rentabilit , il est maltrait et on
est loin de la loi de 2002. Cest pourquoi, je souhaite apporter ma
contribution ce mouvement essentiel et vital pour nos gnrations et
celles venir, et le propager aussi dans dautres structures que la
psychiatrie. On a besoin de savoir que nous ne sommes pas seuls
rsister ! 15<
- 16. Rflexion thique et citoyenne pour lutter contre
lparpillement et la perte de sens de la psychiatrie Il y a quelques
dcennies, la psychiatrie ne semblait sintresser qu la folie et
lasi- le tait un de ses symboles. Son domaine stend dsormais des
schizophrnies au bour- bier du mal tre de masse. Les formes
dinterventions de cette mme psychiatrie se sont dilues (dlites ?)
dans le tissu social. Nous pouvons maintenant la trouver aux dtours
dune cole, dune prison, de la famille, du monde du travail, dune
catastrophe, dun tri- bunal Les mutations et lvolution socitale
viennent interpeller de fa- on massive la psychiatrie comme tiers
symbolique qui pourrait donner du sens. Les psys sont de plus en
plus soumis des si- rnes attractives, pour rpandre la bonne parole,
sous couvert dun suppos savoir qui leur permettrait danalyser,
dapporter des solutions, dessayer de rassurer ; en un mot de
rpondre tout. Ces nouvelles modalits se font souvent au dtriment de
la clinique et, surtout, sinscrivent dans une dominante de la loi
du march vise normative. Dans un contexte socital caractris par
leffi- cacit financire pure, la dimension singulire, la subjectivit
et le caractre humain de la relation thrapeutique sont de moins en
moins reconnues. Ceci participant faire une place de plus en plus
large la logique administrative et comptable. Aujourdhui, le
trouble mental est devenu une question sociale et politique autant
que mdicale. Une illustration symptomatique : le projet de loi de
prvention de la dlin- quance. Projet dans lequel il est fait un
amalgame inquitant entre maladie mentale et dlinquance. Comment
ragirons-nous si on nous demande, en tant que soignants de sec-
teur psychiatrique, de signaler au maire de la commune concerne
toutes personnes prsentant de graves difficults sociales, ducatives
ou matrielles ; comme le prvoit larticle 5 de ce projet de loi ? La
dferlante des valuations et protocoles en tout genre vient nous
rappeler que, pour notre sant (pour notre bien), il est important
de tout classifier et contrler. Les psys sont partout et plus rien
ne leur chappe, si ce nest peut-tre leur pratique et leur clinique.
Ils sont devenus les matres penser des temps modernes. Des nouveaux
champs dinterventions se prsentent la psychiatrie, notamment avec
lavne- ment de la notion de psychosocial et de son corollaire la
rhabilitation synonyme, ici, de radapta- tion, de retour la norme
sociale. Ainsi, nous nous retrouvons, de plus en plus souvent, en
position dune immdiatet conjoncturelle, paradoxe premier pour des
professionnels qui mettent en avant la singularit et latemporalit
de linconscient. Les psys sont ainsi convis, en tout temps et en
tous lieux, pour par- ler et rguler tous les dysfonctionnements
sociaux et moraux. Dans ce contexte, il ny a plus qu assimiler
psychologie, psychanalyse et psychiatrie une seule et mme science
pour rpondre une qute de rassurance et, surtout, linsupportable du
manque. Pire encore, la psychiatrie peut tre amene et accepter de
cder une drive nor- mative et moralisatrice. Nous entendons par l
un positionnement en tant que matre qui dicte comment jouir , mais
aussi ce quil en est du bien pour lautre. Vouloir le bien de lautre
sans prendre en compte la particularit et lunicit de toute de-
mande ? Dans ces configurations l, lautre est souvent rifi, voire
ni. Alors, quen est-il de lthique de la psychiatrie, en tant que
responsabilit pour lautre ? Comment rpon- 16<
- 17. dre cette continuelle expansion des demandes adresses la
psychiatrie ? Quest ce qui donne sa lgitimit la psychiatrie?
Est-elle assimilable la notion de sant mentale ? Quelle place peut
y trouver la notion de souffrance psychique ? Pour une pratique du
questionnement thique La manire dont on traite les malades mentaux
est, cela est connu de longue date, trs reprsentative de la
politique gnrale dune socit, dun tat. Un centre hospitalier
psychiatrique est soumis des contraintes en terme de politique de
sant, quil ne peut matriser. Contraintes quil est possible de
comparer un certain principe de ralit. Cependant, chaque
tablissement bnficie, malgr tout, dune certaine autono- mie. Mais,
dans le contexte conomique libral actuel, la vigilance doit tre
renforce sur la qualit et le sens des soins prodigus. Dans ce cadre
l, le questionnement thique se doit dallier au moins plusieurs
impratifs : Lapriseencomptedusujetautraversduneoffredesoinseffi-
ciente et de qualit.
Lalgislationrelativeauxdroitsdesmalades,deleursfamilleset de leurs
entourages.
Leprincipederalitsocio-conomiquequereprsentelapolitiquenationalede
sant lie la psychiatrie.
Lencessairequestionnementdelinstitutionsursespratiques,aussibieneninterne
quen externe. Si depuis bien des annes, lvolution de la psychiatrie
tait avant tout due la volont, aux savoirs et aux connaissances des
soignants ; actuellement elle est intime par la primaut de
lconomique sur lHumain et par les rgles du fonctionnement
dentreprise au risque que le sujet sefface ; que ltre du malade ne
soit plus que rifi, ou pire, tarifi ; que lcoute, au sens de faire
advenir la parole du patient, se drobe pour laisser place un trop
plein de protocoles et dactes codifiables. Comment maintenir ce qui
fait lessence de notre spcificit, la rencontre avec le sujet dans
sa globalit, comme loffre la psychanalyse, et non pas scotomis sur
un ou des symptmes, linverse de ce que propose les classifications
nosographiques internationales actuelles ? Cette rencontre ntant
possible quavec le filet des savoirs cliniques, dune thorie de lHu-
main et de lthique. Lthique a pour objet le domaine de la pratique
humaine en tant quaction reposant sur une dcision, impliquant, le
plus souvent, une praxis. Les questions fondamentales de lthique
concernent le bien qui doit dterminer la conduite et laction. Son
but est dtablir les fon- dements dun agir et dune vie en commun
justes, raisonnables et remplis de sens. Les prin- cipes et
fondements de lthique doivent tre perceptibles de faon
universellement valable et raisonnable, sans rfrence des autorits
ou conventions extrieures. Cest pourquoi elle adopte, vis--vis de
la morale en vigueur, un point de vue distanci et critique.
Laspiration la totalit (au sens dune ingrence complte dans la vie
du sujet) contient, en soi, la potentialit du totalitarisme o le
singulier nest plus respect dans son originalit ir- rductible.
Ainsi se rvlent les causes de labandon de lespace intersubjectif,
de la relation lautre et, donc, de lthique. Alors, le point de
dpart de la relation thique est le face--face, cest--dire la
rencontre du je avec autrui. Lapparition dautrui me confre une
responsabilit. Jassume sa faiblesse, sa fragilit, sa vulnrabilit,
sa faillibilit qui font, entre autres, sa spcificit dHumain. Une
relation se noue, constituant le fait originel de la fraternit et
engage ma libert. Je suis 17<
- 18. responsable dautrui . Ici, lthique se hausse au niveau dun
absolu qui rgle lexis- tence et dsigne la relation lautre comme
lune des modalits de ltre. De manire plus globale, la sectorisation
demeure le meilleur dispositif pour ac- compagner tous les
patients, sans discrimination. Ceci dans un temps qui est moins
sous contrainte de rapidit , notamment pour le secteur extra
hospitalier, mais aussi dans leurs environnements propres, avec des
quipes soignantes de qualit. Ef- fectivement, si linconscient est
intemporel, patients et soignants ont besoin de temps. Besoin qui
devient de plus en plus difficile satisfaire par faute de places
lhpital, et par dilution des missions en extra hospitalier. Il
apparat clairement que la nouvelle gouvernance concerne surtout
lattribution des moyens, la logique devient alors : rapporter de
largent lhpital et la psychiatrie. De tout temps, en psychiatrie,
la plus grosse dpense financire est celle lie aux person- nels.
Cest pourquoi une dmarche thique concernant les soins passe
ncessairement par le maintien, mais aussi le renforcement des
personnels de sant et des moyens suffisants pour remplir
quitablement et correctement leurs missions de service pu- blic.
Sans que ce qui va suivre puisse tre considr comme exhaustif,
plusieurs points savrent inquitants et doivent tre r-interrogs au
travers du prisme du questionnement thique. De plus en plus, les
tablissements psychiatriques et les soignants sont pousss une
obligation de rsultat chiffr, cod et quantifiable. La psychiatrie
publique doit, en partie, saffranchir de ce dictat. Ceci, parce que
la fonction publique hospitalire doit, prioritairement, tre au
service du public; deuximement, en raison de la spcificit de la
psychiatrie avec son rapport privilgi linconscient qui, gnralement,
sac- commode bien mal de ces logiques du tout codifiable.
Linconscient nest ni chiffrable ni quantifiable, le sujet ne peut
ni ne doit tre rifi, au risque dtre ni. De plus en plus de demandes
sont adresses la psychiatrie, tant par des institutions, des
administrations que des particuliers. Les limites de notre champ
daction sont sans cesse repousses. Mais toutes ces nou- velles
demandes sont-elles toujours de notre ressort ? La psychiatrie est
une spcialit mdicale dont lobjet est : les maladies mentales . Pour
maintenir la pertinence dune approche globale, il est essentiel de
poursuivre une approche pluridisciplinaire (sciences humaines,
philosophie, sciences sociales), pour une meilleure lecture des
problmatiques psychiatriques. Cependant, la notion de sant mentale
devient de plus en plus envahissante, diluant notre mission
fondamentale. La vie nest pas un long fleuve tranquille et toute
souffrance psychique nest pas psychiatriser. Peut-tre devrions-nous
tre parfois plus vigilants quant au fait de pouvoir dire non
certaines demandes, tout simplement parce quelles ne relvent pas de
notre spcificit ; mais aussi parce que le non peut tre constitutif
dune nouvelle adresse, plus adapte, pour ces mmes demandes.
Cependant, il est important que lhpital psychiatrique puisse
retrouver une fonction dasile . Mot qui, ici, nest pas entendre
comme un lieu denfermement et dali- nation dans lequel la socit se
dbarrasserait du sujet dit fou, mais comme un lieu daccueil
inviolable, o peut se rfugier une personne poursuivie, en rupture,
lieu o lon se met labri dun danger. Vouloir tout prix le bien
dautrui, tre persuad de dtenir ce bien et vouloir lim- poser lautre
cela se nomme le contrle, la matrise, pouvant rapidement driver au
totalitarisme, la dictature, la tyrannie. De plus en plus, nous
sommes confronts au turn over , plus communment appel dure moyenne
de sjour , acclr des patients en raison de la diminution du nombre
de lits en intra hospitalier. Ceci ayant pour corollaire des
difficults pour- suivre la prise en charge en extra hospitalier,
ainsi que des rechutes rapides et donc plus de r-hospitalisations
lourdes, faisant ressentir un sentiment dchec pour les patients et
les soignants. A ce niveau l, pouvons-nous encore parler de qualit
des soins ? Cest l une superbe illustration des drives de cette
logique du tout compta- 18<
- 19. ble. Sur quels critres faut-il valuer le travail soignant ?
Certainement pas uniquement sur la dure moyenne de sjour, mais bien
sur le contenu et le sens que nous donnons aux soins que nous
prodiguons. L aussi, une approche thique, centre sur le sujet,
simpose. De plus en plus, nous devons nous interroger sur la
demande de soins du patient psycho- tique, du dsir du schizophrne
ou du dpressif. En effet, contrairement aux pathologies somatiques,
cest souvent un autre que le patient qui demande. Et mme si cest le
patient qui demande, sait-il ce quil dsire ? Parfois le sujet ne
demande rien alors que nous sommes persuads, ou du moins nous
croyons tre persuads, quil a besoin de soins ; parfois cest vrai,
mais parfois Alors, intervenir, ne pas intervenir, se substituer,
ne pas se substituer, dcider pour autrui ? Pourquoi ? Comment ?
Pour qui ? Depuis peu, tous ces question- nements soignants sont
prendre en compte en intgrant les dis- positions lgales concernant
les malades, leurs familles et leurs entourages. Sachant que,
parfois, nous sommes amens prendre des dcisions allant lencontre de
nos valeurs thiques personnelles (isolements, contentions,
hospitalisations sous contrainte, limita- tions des heures de
sortie), mais pourtant frappes par le sceau de la ncessit de soins.
Pour conclure et au del de la dimension individuelle de lthique, un
centre hospitalier psychiatrique, sil souhaite prendre en compte de
manire la plus globale possible, linterrogation thique doit sin-
terroger sur les relations entre linstitution et les individus qui
la constituent, mais aussi avec ses partenaires extrieurs,
notamment sur la place relle qui est laisse aux familles des
patients, leurs entourages, les associations dusagers. Cest la
raison pour laquelle il est judicieux de r-interroger la notion de
psychothrapie institu- tionnelle. Moyen pertinent permettant
linstitution de rflchir sur ses pratiques. La proccupation et le
questionnement thiques doivent, il sagit bien dun impratif, tre
considrs comme un devoir dindividu, de citoyen et de soignant. Herv
BOYER extrait dun ancien numro des Cahiers pour la Folie
19<
- 20. Malette anti-patient mode demploi: 1. Gentil soignant 2-
Mchant patient 3- Et voil, cest pli! mail 09/11/2009 12:10 Merci de
nous donner l'occasion de nous exprimer car cet isolement dont nous
souffrons dans nos pratiques laisse la part belle aux politiques
pour instiller des ides et des projets inquitants pour notre
profession 20<
- 21. Lettre au directeur propos de la rception du dispositif de
signalement et de gestion des vnements indsirables, en forme de
FSEI Monsieur le directeur, Permettez moi de vous signaler un E.I
(Evnement Indsirable). Qui tient la rception de la F.S.G.E.I (
Fiche de Signalement et de Gestion des Evnements Indsirables), par
le soussign. Celui-ci ne disposant pas du DQEnr-XX-vO (formulaire
de signalement) ni du DQ-Enr-XXX-v0 (fiche de gestion), utilisera
donc les pauvres moyens de communication quil utilise
habituellement, son papier lettre, pour attirer lattention sur la
faon dont lpoque semble tente dapprocher les problmes tenant la
prsence dhumains sur notre pauvre plante. La mthode dont nous avons
ici un exemple tonnant menace ceux qui elle sadresse, bien au del
des EI, seraient-ils catastrophiques. LANAES, la DGS, la DG, la
DRASS, la DDASS, lARH, savent donc moins bien que UBU que ce qui
tient les humains au monde cest lincompltude qui leur ouvre laccs
au langage. Il faudrait que CME, CHSCT, CSSI, CTE, CA et tutti
quanti se rendent compte de la langue que lon cause ici, l hpital
et dans dautres lieux du mme tonneau, o lon pourrait attendre que
se dployt lart de lcoute et de lcho , langue sigle, lN prt on
tombait fous. Il semble que lon y soit tenu de parler la lan- gue
des machines o le sens immanquablement fait dfaut/tes. Cette langue
l est celle dun monde ou lthique serait dtermine par le grand
valuateur post-moderne visant tout normer, tout lisser, tout
numriser, tout simplifier en quelque sorte. Une fois cod en 0.1,
lhumain peut enfin paratre simple, rduit au statut dobjet valu, on
pourrait alors imaginer quainsi on pt avoir raison de lui, lobliger
marcher au pas, tre heureux, ventuellement contre son gr. Il
convient pour cela de corriger quelques erreurs, de transmettre
copie de lAFSEI, dexa- miner les FSEI, dinformer le suprieur
hirarchique pour enfin nommer un pilote, procder la transmission
copies fiches FSEI et FGEI . Pourtant qui a lu Schreiber en sait un
brin sur les mfaits des projets orthtiques. Chacun peut, lire les
livres dhistoire, se rendre compte que lorsquon cher- che des
solutions propos des problmes humains, les plus simples ont quel-
quefois vers du ct de lhorreur. Je crains ainsi que sous les dehors
polics de la dmarche de qualit, voire de la charit lgard des plus
en difficults, lon dcharite comme disait Lacan, et que sous les
couleurs du progrs les humains ne soient confondus en un seul
corps, celui qui prside la jouissance totalitaire et barbare du
grand organi- sateur. Je resterai enfin et jusquau dernier souffle,
rsolu comme le sauvage, rcla- mer le droit dtre malheureux. Dr M.
GUYADER 21<
- 22. MAI (S) Je trouvais du charme l'air vif c'tait brut,
douillet j' tais maigre et fragile. Que font les fous le dimanche 3
heures du matin, l'aprs-midi pareil c'est une mi-temps plus forte
que celle des 12 coups c'est en creux le froid comme une mauvaise
herbe les penses en vague se fracassent sur les rochers puissants
d'une normalit qui les crase et les entaille les brise en cume de
cris les refoule en rsistance souveraine et sombre les penses en
poussire sont domptes comme tout comment tout redevient tal petits
voiliers blancs soleil plongeant Que fait le fou quand finalement
il perd la tte sa dmesure de son jeu dupe ? devient-il vieux,
cendres avant la mort ruines ? quand videmment il ne se fout plus
de rien de lui Il se sacrifie et CRIE Lonore Fandol 22<
- 23. LES MOUTONS NOIRS DE LA PSYCHIATRIE DE MARCH Mouvement de
grve lhpital psychiatrique dAuch Depuis le 14 septembre 2009, le
personnel soignant du centre hospi- talier spcialis dAUCH, qui
soccupe de la prise en charge de sec- teur psychiatrique de
lensemble du dpartement, est en grve pour le maintien de moyens
suffisants pour exercer ses missions de service public. En effet,
revendiquant un EPRD (tat prvisionnel des recettes et des dpenses)
en baisse de plusieurs centaines de milliers deuros, la nouvelle
direction sest attaque brutalement un certain nombre dacquis : gel
ou fermeture dune douzaine de postes de soignants, arrt de la prise
en charge des frais de repas et de dplacement des soignants
travaillant dans les CMP priphriques (situs jusqu 60 km), politique
de restriction, de dqualifica- tion et de prcarisation des quipes
travaillant dans les units intra-hospitalires Nous ne dirons rien
des mthodes employes pour amener lensemble des agents accepter
cette mise plat des organisations , mthodes sapparentant un
management par la peur dsormais bien document. Dans le mme temps,
plusieurs centaines de milliers deuros sont dbloques pour amliorer
la scurit de lhpital, et vont servir essentiellement rehausser les
barrires et cltures, tendre lusage des dispositifs
metteurs-rcepteurs de protection des travailleurs isols , ainsi qu
installer une premire camra de vido- surveillance Depuis un mois
donc, les soignants sont entrs en rsistance, rassemblant travers
une multitude dac- tions toutes les disciplines (et notamment
quelques cadres et mdecins), syndiqus (CGT, SUD et Union Syndicale
de la Psychiatrie) et non-syndiqus : journe de grve hebdomadaire
avec paralysie de lad- ministration et pique-nique gant, actions de
sensibilisation du public, des lus, des familles de patients,
occupation symbolique du CHS par linstallation, 24 heures sur 24,
dune tente de rsistance place lentre, lieu de rencontre festif
(cette tente a t rcemment dplace dans la salle de runion de ladmi-
nistration, fracheur automnale oblige !). Cette mobilisation sans
prcdent du personnel, dont la solidarit et la ferveur dfendre leur
outil de travail au service de la population se sont renforcs au
fil des jours, a contraint la direction de lhpital des ngociations,
et concder un certain nombre de points : rexamen de la situation
des contractuels avec engagement en embaucher un certain nombre,
maintien de la prise en charge des frais de dplacement en CMP
Cependant, aprs plusieurs heures et deux sances de ngociations, un
accord na pas pu tre sign sur la ncessit de prserver un effectif de
fonctionnement suffisant dans chaque unit dhospi- talisation, la
direction exigeant in extremis que le texte mentionne que cet
effectif dpend des contraintes financires pesant sur ltablissement
(EPRD) , les reprsentants du personnel ont alors accept de faire
rfrence ces contraintes financires de la direction, mais en
soutenant jusquau bout quelles lui sont propres . Cette simple
locution reprsente bien un enjeu majeur : accepter de reconnatre le
primat de la logique financire sur la logique de soins, accepter
que lEPRD, susceptible dtre rvis chaque anne la baisse, devrait
dicter la politique mdicale du service public de secteur
psychiatrique, cest accepter une pnurie croissante, labandon
inluctable des catgories les plus indsirables et coteuses de nos
patients, au nom dimpratifs gestionnaires de ren- tabilit. Pire
encore, cest exiger des soignants quils fassent leur, quils
intriorisent cette contrainte financire suppose, quils soient
co-responsables de dcisions conomiques 23<
- 24. injustes dont ladministration cherche ainsi se dcharger, en
les faisant pas- ser faussement pour une ralit suprieure,
intangible On retrouve dans cette intention inavouable les
techniques du management par la responsabilisation des acteurs ,
justement critiqu par des auteurs comme Christophe Dejours ou
Jean-Pierre Le Goff, qui ont compar lidologie du ralisme conomique
nolibral au nazisme, dans la mesure o il induit galement une
soumission pathologique de masse Et maintenant ? Bien videmment, le
mouvement continue ! Car nous ne cau- tionnerons pas cette casse de
nos mtiers et de notre dontologie (au service du patient et en
toute indpendance !), cette perversion gestionnaire et scuritaire
de notre psychiatrie publique, commandites par un systme
politico-conomi- que manifestement bout de souffle, et qui cherche
nous enrler dans sa folle fuite en avant. Une mdiation pourrait tre
propose pour sortir de la crise, mais elle reste soumise au
bon-vouloir de lARS, dont le nouveau directeur vient de lindustrie
des alliages spciaux. Souhaitons quil dcouvre la formule alchi-
mique qui vitera la transformation des soignants du CHS dAUCH en
moutons blants de la psychiatrie de march ! Collectif des soignants
du Centre Hospitalier Spcialis d AUCH Epilogue : Village gaulois,
banquet final! Aprs 37 jours doccupation non-violente, le mouvement
de grve conduit au Centre Hospitalier Spcialis dAUCH sest achev le
20 octobre 2009 par la signature dun protocole daccord, entre le
collectif soignant reprsent par lintersyndicale CGT-SUD-USP et la
direction de ltablissement. Sous la supervision dun conseiller
gnral des tablissements de sant dsign comme mdiateur par le
ministre, ce protocole a avalis toutes les revendications du
collectif, et ce sans condition financire. Ce succs permet de
dmontrer que lunit dun front intersyndical et interprofessionnel,
travers des actions de rsistance offensive non-violentes et
dtermines, le soutien de la po- pulation et de quelques lus, peut
encore avoir raison dune politique de restriction budgtaire, et
contrecarrer toutes les intimidations et la dsinformation, toute la
propagande scuritaire dont sentoure celle-ci. Le collectif restera
vigilant ce que cet accord soit respect, lapproche de la mise en
place dfini- tive de la loi HPST et de la rforme de
lhospitalisation psychiatrique, le fonctionnement par ples et par
territoires risquant dentriner une pnurie des moyens soignants
savamment prmdite depuis des annes, que compenseront
avantageusement des dispositifs de contrle de la bonne sant men-
tale des populations Continuons dfendre une psychiatrie publique
humaniste et indpendante du pouvoir politico-conomique !
24<
- 25. QUE LA FOLIE SOIT Folie ! Folie outrage ! Folie brise !
Folie martyrise ! Et puissions nous dire un jour aussi folie libre
! Cest en tout cas cet objectif de libration que veulent semployer
ces Nouveaux Cahiers de la folie que nous ouvrons aujourdhui avec
vous. Vous tous, les soigns, les soignants sur qui la nuit
scuritaire sest abattue un triste jour de dcembre o celui suppos
prsider nos destines sest employ stigmatiser les plus fragiles
dentre tous, les plus vulnrables, les damns de lintrieur.
Souvenons-nous du 2 dcembre 2008 o Nicolas Sarkozy lhpital dAntony
dlivra sa profession de foi en matire de sant mentale, plongeant le
personnel dans le plus profond dsarroi : des fous il faut se mfier,
les fous enfermerez ! Prenant comme son habitude un fait divers
-certes dramatique, o un schizophrne avait tu un jeune homme, il
nona les rgles du grand retour lexclusion des faibles parmi les
faibles : les fous, enfermerez ! Et il ouvrit ce jour-l la voie
royale au dploiement de lobscurantisme populiste et scuritaire
imposant par le spectre de la peur, le retour au grand enfermement
en lieu et place de ce qui fait lessence mme du soin psychiatrique
: la parole, lcoute, la relation humaine. A lisolement, les fous !
A lisolement ces tres dont la souffrance psychique accable la vie
sur un mode tellement inimaginable quelle a fait deux lincarnation
de ltranget , comme dit le psychiatre Michael Guyader. Depuis, ce
ne sont plus que barreaux qui se dressent, murs qui srigent, vidos
qui surveillent, chambres qui isolent et ceintures qui
contentionnent. Des milliers deuros dpenss pour les plans de
scurisations des hpitaux psychiatriques, mais des milliers deuros
conomiss en rduction de postes de soignants et en destruction
dinitiatives sectorises. On juge ltat dune socit la manire dont
elle traite ses fous disait le grand dsaliniste Lucien Bonnaf.
Alors bien mal en point sommes nous tous. Sauf l, o a rsiste. Car a
rsiste. Ici aux injonctions scuritaires et protocoles aveuglment
appliqus, ici la construction dune Unit pour Malades Difficiles, l
la mise en cause de moyens mis pour pouvoir soigner les malades
hors les murs, l encore pour sauvegarder des postes de soignants.
Les Nouveaux Cahiers pour la folie veulent avoir pour fonction de
faire remonter et de mettre en pleine lumire toutes les rsistances
au quotidien de quelque instance soignante quelles proviennent.
Faites nous parvenir tous ces savoir faire, toutes ces
intelligences relationnelles, mais aussi tout ce potentiel soignant
du peuple comme disait Bonnaf qui ne se laissera pas dicter et
protocoliser ses actions par des experts qui ne voient le monde
quau bout de leur peur, de leurs chiffres et de la rentabilit. Que
les bouches souvrent, de ceux qui rsistent pour pouvoir encore dire
les mots qui apaisent, les regards qui coutent, pour sauvegarder
tous ces moments du lien, non valuables, non comptables qui font le
sel du soin et jamais nentreront dans aucun protocole de la pense
no-librale. Quelle hospitalit pour la folie ? Ce fut la question
pose lors dun meeting organis par le Collectif des 39. Nous la
reprenons notre compte pour ouvrir avec vous ces Nouveaux Cahiers
pour la folie. Que vous soyez soignants, soigns, nous attendons de
vous, tout ce qui rsiste pour restituer la folie toute sa dimension
humaine. Que la folie soit et quelle rsiste ! Non pas en
lenfermant, mais en lui donnant le droit dexister et dtre soigne
dignement, autrement que par ce protocole dshumanis, punitif, que
lon veut dsormais lui appliquer. Que la folie soit, en donnant ceux
qui la vivent et la soignent, matire librer la richesse dont ils
sont tous porteurs. 25< Elisabeth Weissman
- 26. Lhpital de Volterra. Mme si depuis long- temps la Toscane
stait employe dvelopper un travail psychiatrique en rseaux, lorsque
la loi 180, dite Loi Franco Basaglia, dcrtant la fermeture des
hpitaux psychiatrique en Italie, fut vote, lhpital de Volterra fut
soudaine- ment abandonn . Ac- cueillie de faon trs contraste, dans
un contexte politique parti- culirement trouble, (on venait de
dcouvrir le corps dAldo Moro as- sassin par les brigades rouges),
cette Loi fut applique, avec plus ou moins de zle selon la
coloration politique des diverses Rgions. Aujourdhui, 30 ans aprs
sa fermeture,alors que les toits des pa- villons seffondrent et que
la vgtation rapi- dement recouvre ce qui ne fut peut-tre quune
utopie, parcourir les couloirs, cellules et sal- les laisse cette
impres- sion trange que ces murs bruissent encore des voix et
rumeurs qui, un temps, les contint. Photos: Patrick Faugeras
26<
- 27. mail 24/11/2009 20:13 Je suis infirmier dans un CHS en
Savoie. Je mintresse depuis longtemps aux questions scuritaires
lies au sanitaire et social. Aujourdhui jai envie de crer du lien
avec les usagers, les patients, les professionnels de ces domaines
car je ne peux plus supporter le quotidien trop fade de la relation
soignante aseptise et gestionnaire du moindre risque social. Pour
faire simple je rve dorganisations alternatives ce qui existe
dsormais dans ces domaines, censs tre humani- ss. Je ne sais pas
par quel moyen (mme si jai des ides) mais jaimerai participer la
cration, lorganisation de ripostes face ce pouvoir sans fin de la
gestion et du scuritaire. Alors, si vous pouvez, si nous pouvons,
nous soutenir et nous entraider dans cette dmarche, je suis des
ntres... 27<
- 28. TIME IS OUT OF JOINT Tu psalmodies doutre-raison
lenchevtrement discontinu des terreurs et des temps qui thabitent
tels quils sagitent, sentrechoquent dans nos rves lorsque nous nous
laissons emporter par la rminiscence de nos souffrances et de nos
rvoltes. Ta violence minterpelle dans mes rves: la violence que tu
dis, que tu cries qui test faite chaque fois que je passe devant la
porte de ta chambre ferme et que tout se cogne dans ma tte. Cris
douloureux. Gestes dchirs, arrachs. Avorteuse du refoulement, tu te
veux la mmoire anantissant du monde. Tu es mmoire, condensation de
gnrations, rceptacle de toutes les reprsentations qui sinscrivent
dans la chair au temps davant la symbolisation. Ils cherchent sur
leurs fiches le nom de ta maladie. Elle sappelle anachronie,
rptition spectrale, discordance des temps. Qui es-tu Jeanne Azil,
enchane une histoire que tu sembles condamne rpter? A perptuit.
Comment parler de ce pass pass, mais toujours l, aussi actuel
quternis? Comment conjuguer au prsent le pass? Si lhistoire est
rsurrection des temps, la tienne est un disque ray. Que cherches-tu
faire exister, gardienne infatigable de la mmoire? Histoire
familiale, institutionnelle et mondiale, tu veilles sur la vrit
retranche. Tu rappelles la psychiatrie son histoire. Te
souviens-tu, ctait il y a trente ans lors de ta premire
hospitalisation, dj tu venais de lHpital Robert Debr o tu te
retrouves tout prs aujourdhui. Tu as seize ans. Ton premier suicide
manqu. Tu tes jete, crase dans le vide comme on saute dune falaise.
Ils disent que vous vous tes disputs ton frre et toi. Ils disent
que tu es instable, fragile, lunatique. Mais toi seule sais la
vrit. Ce pre qui te battait nen plus pouvoir. Ce pre qui vous
frappait ta mre et toi. Serais-tu passe par la fentre pour empcher
quil ne la tue? A dix ans dj, une histoire dinceste. Tu nas plus pu
lui chapper. Ils disent quils vont te renvoyer lhpital. Ils disent
quils ne vont plus pouvoir te garder. Tu sais quils disent vrai. Je
vais te tuer. On va tenfermer. A lasile des fous. Dans la maison
des alins. Ils ne voulaient pas de toi. Ils tont battue parce que
tu tais malade. Toute la violence sabat sur toi. Farouche, obstine,
nauras-tu de cesse de dchaner les foudres ancestrales? Et de ton
enfance difficile, des atteintes somatiques, des troubles
neurologiques, des douleurs abdominales et intestinales, du
rachitisme, nas-tu jamais rien dit? Nulle autre trace que ton corps
dcharn, presque sans sexe ni ge. Ton seul dlire simprime mme ta
chair. Angoisses Corporelles intenses. Tu ne peux plus aller vers
eux. Tu pars de morceaux en lambeaux. Tu nentends que ceux qui
passent par ton corps. Ton corps se dchire aux points cardinaux de
lhorizon. Tu ne parviens pas conjuguer lespace. Encore moins
dcliner le temps. Mettrais-tu en scne par ce corps sans limite ni
unit, ta radicale impossibilit tre au monde? Eparpills devant toi
les temps de ton histoire comme les morceaux de ton corps. Tu as
perdu la matire comme la forme, le point de rassemblement entre les
parties et la totalit. En renonant habiter ton corps propre en une
image unifie entends-tu signifier la difficult entrer dans ton
histoire? 28<
- 29. 1989, Maison Blanche. Ta mre hospitalise pour un pisode
confusionnel dlirant suite un thylisme chronique. 1993, Maison
Blanche. Ton pre hospitalis pour ivresse pathologique et violence
envers sa femme. 1998, Maison Blanche. Ton frre Didier meurt dune
fausse route . Mais toi, nas-tu jamais trouv le chemin pour tvader?
La psychiatrie te fait horreur. Saint-Herold, lenfer. Sainte-Anne:
de vrais fous; on les attache. Maison Blanche, trente ans dternelle
rptition. Quelle folle histoire incestuelle,
familiale-institutionnelle, joues-tu avec la psychiatrie? Quel vcu
dabandon te pousse toujours y revenir? Quelle violence
insymbolisable tempche de prendre une place qui ne soit toute la
place? Pendant combien de temps encore le jeu du rejet et de la
fascination? Tu dois risquer ta vie pour la gagner. Tu dois mourir
avant de renatre. 2002 et quelques sries choues, rptes
dlectro-chocs. Abandonnes. La vie, dis-tu, nuit gravement la sant.
Les convulsions de la mort nen finissent pas de sagiter comme si tu
cherchais la faire agoniser. Tes angoisses dissquantes de mort. Ils
parlent dhallucinations. Ce frre que tu as dterr? Les cendres de
tes parents dans le bac fleurs, prs du bureau des infirmiers?
Dis-moi quelle langue pour cette mort qui nen finit pas de venir
jusquau jour. As-tu seulement pris la mesure de la dsintrication
des pulsions qui te porte cette intolrable rptition? Ton histoire
convoque une mmoire sans anamnse, un pass qui nen finit pas de ne
pas passer et revient, comme le rel, chaque jour la mme place.
Combien de temps encore cet inoubliable? Lavenir ne peut pourtant
pas tre quaux fantmes. Le temps, il est vrai, est dsarticul,
disloqu, dbot, dtraqu, hors de ses gonds, disait dj Hamlet. The
time is out of joint o cursed spite/ that even, I was born to set
it right. Serait-ce le tort tragique fait ta naissance? Fallait-il
que tu sois ne pour remettre le monde, lhistoire, le temps mme
lendroit? Tu vis dans lintemporalit dun temps par-del le
refoulement. Tu vis un prsent unheimlich hant par les revenants,
revenant lui-mme tmoigner de ce qui fut retranch, exclu de la
parole. Etranges, inquitantes, les dates de ton histoire commmorent
en une seule fois un essaim discontinu dvnements, au mpris de toute
chronologie. Ce qui peut revenir revient pourtant, non plus
seulement dans la mmoire, comme tout souvenir, mais aussi la mme
date dans les spasmes de ton corps disloqu. mail Bonjour, J'ai
retenu qu'on pouvait vous crire et vous faire part de notre
rsistance. Je dois dire que dans le milieu o je me trouve Pau, je
me sens assez isole ou je n'ai pas rencontr les bonnes personnes.
J'ai crit des textes qui sont des portraits "de folie" et j'ai
travaill avec un peintre. Avec ma troupe de thtre, nous avons mont
une pice sur la folie, en y intgrant quelques tex- tes et nous
essayons de la jouer. Voir la folie autrement, toute proche de nous
sans qu'elle nous effraye. Avec tout mon soutien, 29<
- 30. Dans quelle langue le mme temps pour dire le futur et le
pass? Dans quelle langue le mme mot pour dire le contraire et sa
ngation? Tu nes plus quun prsent dilat que rien ne peut combler. Tu
confonds les personnes et les temps. Tu ngliges leur concordance.
Tu cherches le nom de linnommable. Le mot qui manque. Tu es la pice
qui manque. La pice qui manque est une pice de trop. Mais peut-tre
cherches-tu encore inscrire dans lhistoire, la tienne, celle de tes
prents, celle de linstitution, des morceaux de temps arrachs, dlis
de la chane signifiante. Peut-tre cherches-tu obstinment remettre
en marche le temps. Extrait des anciens Peut-tre rejoues-tu dans un
infiniment ternel prsent la tragdie qui prsida ta naissance Cahiers
pour comme pour tenter de la reprsenter et de ten dbarrasser. la
folie Alors seulement serait-il possible de la conjuguer au pass?
Vous avez fabriqu le temps de loubli. Vous avez ajout des temps
pour tre srs de ne pas vous souvenir. Vous vous bouchez les
oreilles avec de limparfait. Vous dites cest du pass, cela passera.
Tu as fait de ton corps la mmoire dune lutte mort. La mmoire dune
horreur que rien ne peut calmer. La mmoire dune souffrance qui ne
peut plus cesser. Tu redeviens toute petite dans son ventre. Depuis
si longtemps quelle veut ttouffer. Ta mre-la-mort. Depuis tant
dannes que vous luttez lune contre lautre. Depuis tant dannes
quelle ttouffe, te rejette en elle. Tu tabandonnes. Tu rgresses en
elle. Et dans ton ventre, nentends-tu pas les derniers
tressaillements de ton enfant? Le viol dun assistant social, non
maternel celui-l. Dans ton ventre un meurtre. Tu touffes ton
enfant. Ils parlent de dlire de grossesse. Ils disent lenfant est
mort. Comm e si tu ne savais pas que dans vos ventres gestants vous
luttiez mort et receviez la folie en hritage. Comme si tu ne savais
que les enfants quils ont mis dans ton ventre, tu les avais ton
tour touffs. Tu dis le ventre des femmes et parle des blessures que
tout un chacune spuise vainement cautriser pour mieux les oublier.
Parfois tu deviens deux puis trois. Tu parles ta sur jumelle qui
vit dans une autre maison, blanche elle aussi. Jeanne la morte,
Jeanne la gentille, Jeanne la mchante. Tu es plusieurs. Ils disent
que cest une maladie. Ils lui donnent un nom:
schizophrnie-autisme-hystrie. Ils veulent te gurir. De quoi au
juste? La ralit, la seule ralit, la ralit objective. Le je
impossible trouver qui te rend folle. Le je et le moi par erreur.
Dans quelle langue les mots signifient-ils aussi leur contraire? Tu
es ensemble toi et elle. Vous tes une. Elle ne ttouffe que si tu es
autre quelle. Si tu disparais en elle, tu survis. Si tu rsistes,
elle te tue. Ils ont chang vos histoires, mais ils nont pu tuer
votre mmoire. Alors tu bois, tu manges, tu avales: emballages,
chaussette, couche-culotte pour les dtruire en toi. Est-ce ainsi
que tu te charges de toutes ces disparitions qui nont pu tre
labores? Tu les tues, tu te tues. 2008, une fausse route, quelques
dix ans aprs celle o ton frre, au mme endroit, a trouv la mort.
Etrangement ton autre frre se dplace. Lide de ta mort? L'espoir
quil dpose en toi de ta mort? Mais tu ny parviens pas, quelque
chose rsiste en toi. Quelque chose au fond de ta folie ne capitule
pas. Le Temps dvore ses enfants. Mais un toujours chappe.
30<
- 31. Un enfant rsiste. Tu abois le jour. Tu hurles la nuit. Tu
deviens la muraille. Aveugle. Sourde. Muette. Le dchet. La folle.
Les yeux clos. La mutit. Les cris. Le refus. Je ne sais quoi qui
refuse de cder et qui survit dans le dsastre. A labri des crises. A
labri de ton corps bris. Ton corps comme un boulet quils ont
appropri. Ils en ont fait leur chose, leur objet : les couches, le
change. Ils se sont empars de ton corps. Ils lont enferm dans la
cellule des condamns mort. Ils lappellent chambre disolement,
chambre de radaptation la normalit. A la vie. Ils disent que tu es
encore jeune. Mais ils tenferment vive. Lenfermement qui accrot la
rgression qui accrot lisolement. Le placement en H.D.T. au mpris du
droit. Et de ta libert : vole ? Envole ? Vous memmenez, vous
memmenez. Tu gmis comme on hurle la mort. Et tu casses et tu
frappes et tu cries. Les murs de ta chambre se couvrent-ils des
monstres de ta psych ? De ceux dune histoire trs ancienne ? Le
rejet, le mensonge, la violence, la haine, le vide. Le manque
damour. De ce que nous avions dcid pour toi, rien na t tenu. Ils
questionnent ta place, lespace. Ils parlent dinadaptation du
service. Ils parlent de difficult pour les quipes. Et cest dj
texclure. Serait-ce comme le remarquait Monsieur H., ton compagnon
dinfortune, quil y a deux coles ici lhpital ? Celle o lon vous
laisse vivre perscut. Celle o vous tes guri et mort au-dedans.