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Aproposdel’auteur
Elizabeth Boyle a toujours adoré la romance et elle vit chaque jour sa passion en écrivant deshistoirescaptivantesetenflammées,queleslectricesdumondeentierdécriventcommedespage-turners.Depuislaparutiondesonpremierromanen1996,elleavuplusieursdeseslivresfigurerdansleslistesdebest-sellersduNewYorkTimesetdeUSAToday.ElleaégalementremportéunRWARITAAwardetunaRomanticTimesReviewer’sChoiceaward.EllehabiteactuellementàSeattleavecsonmarietsesdeux jeunes fils, ses « apprentis héros ». Suivez son actualité sur son site officiel :www.elizabethboyle.com.
ALeHangHuynh,Poursapassionpourlaromance,laquêtesentimentaleetdetouteslesétapesquimènentaugrandamour.
Mercipourtonenthousiasmeettonsoutien.
Chapitre1
Kempton,Sussex,1810
DanslevillagedeKempton,aumoisdemai, le jourse levait toujoursavec lamêmepoésie.Lespremiersrayonsdusoleilscintillaientsurl’herbehumidederoséeetl’onentendaitlepépiementjoyeuxdesoiseauxdanslesjardins.
Ce matin-là, en se réveillant, Tabitha Timmons ne se doutait pas un seul instant qu’elle seretrouveraitfiancéeavantlesoir—etencoremoinsqu’elleétaitsurlepointdetomberdésespérémentamoureuse.
Maispasnécessairementdumêmehomme…Non,laseulechoseàlaquelleellepensait,alorsqu’ellesortaitdechezelleunpeuplustarddans
l’après-midi pour se rendre comme chaque mardi à la réunion de la Société de tempérance etd’amélioration de Kempton, était qu’elle allait pouvoir échapper aux exigences de sa tante et auxrécriminationsdesononclependanttroisheures.
Arrivéedanslejardin,elleentenditlavoixdesonamieDaphnéDalel’interpellerjoyeusement:—Tevoilà!Jecommençaisàcraindrequ’ellenetelaissepasvenir!Daphné s’empressa de franchir le portillon et se pencha pour gratter les oreilles du chien de
Tabitha,M.Muggins. Le gros terrier irlandais leva ses grands yeux expressifs sur la jeune fille et laregardauninstantavecuneprofondeadmiration.
—SitanteAllegram’avaitinterditdesortir,elleauraitdûyalleràmaplace,répliquaTabithaenjetantunrapidecoupd’œilenarrière,etDieusaitsielledétesteavoirdesobligationsàremplir…
Heureusementpourelle, lesrideauxdurez-de-chausséeétaient tirés,cequisignifiaitquesa tanten’étaitpasentraindelasurveiller,nidechercheruneexcusepourlarappeleràl’intérieur.
—C’estbienétrangequ’ellerefuseàcepointdemettrelenezdehors,murmuraDaphné.Sur ce, elle prit son amie par le bras et toutes deux s’éloignèrent du presbytère qui avait été
autrefoisunfoyerheureuxpourTabitha.D’ailleurs, la maison aurait dû rester un endroit confortable et chaleureux, jouxtant l’église
StEdward,unbelédificenormandavecseshautsmursdepierre,salonguenefetsonclochersurplombésparlesHautsdeFoxgrove,domaineducomtedeRoxley.
Hélas,lepèredeTabithaavaitsuccombéàunemaladiecardiaquetroisansplustôt,etl’arrivéedesononclecommenouveauvicaireavaittransformélamaisonenunlieutristeetfroid.
Aumoins,songeaTabithatoutenmarchant,était-elleencoreautoriséeàassisterauxréunionsdelaSociété;maisuniquementparcequesatanteconsidéraitlefaitdedistribuerdespaniersdenourritureauxnombreusesvieillesfillesdeKemptoncommeunecorvéeinsupportable.
TabithaetDaphnédescendirentMeadowLane,l’étroitsentierquimenaitdupresbytèreàlagrand-rue.Daphnénecessaitdebavarder,racontantlesdernierspotinsàTabitha.
—…etladyEssexnelaisserajamaisLouisaetLavinian’enfairequ’àleurtête,lesbanderolesdubaldusolsticed’étéonttoujoursétécouleurlavande.Franchement,vertpomme?Quelleidée!
Tabithasourit,bercéeparlavoixlégèredesonamie.EtreavecDaphnéetparticiperàcesréunionslaréconfortait.Pendantcesquelquesheures,ellearrivaitpresqueàoublierquesavieavaitchangé;elleressentaitladoucequiétudedesonquotidienpassé…
—J’aimêmerenduvisiteaux jumelles,hier,poursuivitDaphnéavecunsoupir,et j’aiessayédeleur expliquer—poliment—qu’ellesmettraient ladyEssexencolère si elles insistaient.Mais tu lesconnais:ellesadorentfairedeshistoires!
Etonnée,Tabithajetauncoupd’œilencoinàsonamie.—Tucroyaisvraimentpouvoirlesfairechangerd’avis?—Jel’espérais,avouaDaphné,etsinonjepensaisquemonnouveauchapeaulesdistrairait.Enriant,ellesecoualesrubansdesonchapeaudesoieverte.Daphnéadoraitparaderdelasorteet
Tabithasouritdevantl’enthousiasmedesonamie.—Tuasréussiàconvaincretonpèredetedonnertonargentenavance?demanda-t-elle.Sonamiehaussalesépaulessanslamoindretracederemords,sesgrandsyeuxbleusscintillantde
malicetandisqu’elleajustaitlereborddesonchapeaudesamaingantée.— Oui et, crois-moi, il vaut bien son prix ! J’avais peur que papa ne cède pas avant que
MlleFieldingneledécouvreàlaboutiqueetl’achète−ettusaisàquelpointlevertneluisiedguèreauteint!
Tabithaneputs’empêcherd’éclaterderire.Décidément,larivalitéentreDaphnéetMlleFieldingnecesseraitjamais…
— Tu sais, je pense que mon chapeau t’irait très bien, ajouta Daphné d’un air insouciant. Tupourraisl’essayerquandnousarriveronschezladyEssex.
Elle se tournaversTabitha, son regardemplidegentillesse, et semordilla la lèvre inférieureenattendantsaréponse.
Tabithadevinaitsansmallesintentionsdesonamieethochalatêtesévèrement.—Tu saisque jenepeuxpas accepter.Te souviens-tude la réactiondema tantequand tum’as
donnécesgants,l’hiverdernier?—Jen’aipasfaitcelaparpitié!protestaDaphné,lessourcilsfroncés.Etjet’assurequecen’est
toujourspaslecasaujourd’hui,maistun’aspaseudenouveauchapeaudepuis…—Deuxans,achevaTabitha.Non,ellen’avaitpaseudenouveauchapeau,nidenouvellerobe,nidechaussures,nidebas…—Sincèrement,celanemedérangepas,reprit-elle.—Ehbien,moi,si!répliquaDaphné.Tononcleettatantedevraientavoirhontedetepriverdetout
commecela.Que répondre ? Daphné disait vrai : son oncle et sa tante avaient été ravis d’obtenir la place
honorabledesonpèreàsamort…Maishériterparlamêmeoccasiond’uneniècesanslesou?N’ayantpas d’enfants eux-mêmes, ils n’avaient pas été enchantés de devoir s’occuper d’elle. Tante Allegran’avaitpaslafibrematernelle—loins’enfaut—etrépétaitsouventqueTabithaprenaittropdeplacedanslecoindugrenierqu’ilsavaientgénéreusementaménagéenchambrepourelle.
Mais, en vérité, Tabitha n’était pas malheureuse dans son sanctuaire. C’était là qu’étaiententreposéeslesmallesdesamère,etcetteproximitéluipermettaitparfoisdesentirleparfumdeviolettequ’elleavaitporté toutesavie.Celaéveillaitenelledessouvenirs furtifsdecettebelle femmemincequ’ellen’avaithélasquetrèspeuconnue.
—Chaquefoisquetononclefaitunsermonsurlacharité,repritDaphnéavecchaleur,jesuistentéedemeleveretdedénoncersonhypocrisie.
—Tuesincorrigible,coupaTabithaavecunesévéritédefaçade.Aprèstout,ellenepouvaitenvouloiràDaphné:personned’autrenesesouciaitd’elle…—Quiestincorrigible?lançalavoixclairedeHarrietHathawayquilesrejoignitaumomentoù
elless’engageaientdanslagrand-rue.Fidèle à elle-même, Harriet portait une robe un peu froissée à l’ourlet boueux, et son chapeau
penchait sur le côté tandis qu’une tache indéfinissable l’ornait.Elle avait sans doute oublié l’heure etétaitpartieencourantsansmêmevérifiersatenuedansunmiroir.
Lady Essex serait certainement fâchée de l’apparence négligée de sa protégée… Tout le mondesavaitqu’elleespéraitemmenerHarrietàLondrespourluioffrirunbeaumariage—bienquepersonne,àKempton,n’ycrûtvraiment.Onparlaitde«Harry»Hathaway,aprèstout!
—Moi,apparemment,réponditDaphnéavantdechangerdeconversation.Regarde,j’aiachetéunnouveaubonnet!
Harrietyjetaunrapidecoupd’œilpeuintéressé.— Oh oui, je vois. N’est-ce pas celui que tu m’as montré dans la vitrine deMmeWelling, la
semainedernière?Daphnéacquiesçaénergiquement.—Ilestbeau,non?Harrietleregardaunesecondefois,avecplusd’attention.—Eneffet,maisjecroyaisqu’ilétaitornédeplumes.— Je les ai enlevées, répondit Daphné avec un coup d’œil lourd de sens en direction de
M.Muggins.Tabithabaissalesyeux,gênée.Elleavaitbeauadorersonchien,ilfallaitbienavouerquelabêtene
faisaitpasladifférenceentreunepelisse,unchapeaubordédeplumesetunoiseau…Peudetempsaprèsl’arrivéedetanteAllegra, ilavaitdétruit troisdesescouvre-chefs ;furieuse,
elleavaitmenacédelejeteràlarue.Heureusement,leshabitantsdeKempton—etunebonnemoitiédela population alentour — avaient refusé catégoriquement d’adopter ce « diable roux », au grandsoulagementdeTabitha.
Finalement,tanteAllegraavaitfaitlamêmechosequeDaphnéetretirélesplumesquirestaientsurtousseschapeaux.Mêmel’indomptableladyEssexavaitenlevétouteslesplumesdesonturbanfavoriavantdeleporterauxréunionsdelaSociété…
Tabitha ne pouvait le nier : aucune plume n’était en sécurité en présence de M. Muggins. Enrevanche,ellen’avaitjamaiscomprispourquoiilnemontraitaucuneagressivitéenverslesécureuils,lesratsetautresrongeurs.
Quoiqu’ilensoit,ellen’avaitd’autrechoixqued’emmenersoncompagnontaquinpartoutoùelleallait,depeurdevoironcleBernardprofiterdesonabsencepourledonneràunbadauddepassagequileprendraitavecluisansseméfier.
— Tu as l’air bien fatiguée, Tabitha, dit Harriet après un court silence, et amaigrie aussi. Tutravaillestrop,tusais.
Unpeuhonteuse,Tabithapréféradétournerlesyeux.—Jemesuislevéetôt:ilfallaitquejefinissedelaverparterreavantdevenir.Pasdupe,Daphnéajouta:—Etjesupposequetudevaisaussifrotterl’argenterie,fairelavaisselle,mettrelatableetcouper
leslégumesdusouperpourMmeOaks.Oui,maiségalement s’occuperdu repassage, songeaTabithasans riendire.Gênéepar les lourds
regardsdesesamies,ellerépliqua:—Nevousinquiétezpas…Letravailnemefaitpaspeur.—Toutdemême, repritHarriet, lesdents serrées,quelqu’undevrait rappelerà tononcleet à ta
tantequetuesunelady,pasleurbonne!—Ohnon,jepréfèrequepersonnenediserien.Aumoins,Tabithaavait encoreun toit sur la tête—détailque sononcleet sa tanteaimaient lui
rappelerchaquejour.
—Tupeuxtoujoursvenirt’installerà…,commençaHarriet,maisTabithalafittaired’unnondelatête.
Tupeuxtoujoursvenirt’installeràPottage.LadyEssexluiavaitégalementproposédevenirvivreàFoxgrove,ainsiqueDaphnéàDaleHouse.
Maissononcleetsatanteavaientcatégoriquementrefusédelalaisserpartir,sousprétextedelavoirmaltournerloindeleurprotection.
Sanscompterqu’ilsperdraientunebonnequineleurcoûtaitrien…Deplus,elleaimaitlepresbytère,songeaTabitha.Cettemaisonavaittoujoursétélasienneet,bien
qu’elledoiveàprésentsecontenterd’uncoindegrenierpourdormiretdeprendresesrepasàlacuisine,ellepouvaitnéanmoinss’occuperdesfleursquesamèreaimaittantetadmirerl’écriturefinedesonpèreenremplissantleregistredelaparoisse.
Jamaisunautrelieuneluirappelleraitautantsonfoyerperdu.—Si seulement nous n’étions pas àKempton, s’exclamaDaphné, tu pourrais temarier et fuir ta
tante!Devinantlatristessesoudainequis’étaitemparéedeTabitha,Harrietlança:— Parlons de quelque chose de plus gai. Imaginez le visage de lady Essex quand les jumelles
Tornadeinsisterontencorepourchangerlacouleurdesbanderolesdubaldusolstice!A cette idée, toutes trois éclatèrent de rire et poursuivirent leurs bavardages insouciants.Tabitha
sentitpeuàpeusessouciss’effacer:certaineschosesnechangeraientjamais.Elles approchaient de la forge et entendaient déjà résonner, comme de coutume, le marteau de
M.ThuryquandDaphnés’immobilisabrusquement.—Seigneur,lâcha-t-elledansunsouffle.Derrièreelle,Harrietfaillittrébuchersurlegravieretpoussaunjuronfortpeuélégantqu’elletenait
probablementdesescinqgrandsfrères.—Quellemagnifiquevoiture!s’écria-t-elle.S’abritantdusoleilaveclamain,Tabithaexaminacequistupéfiaittantsesamies.DevantlaforgedeM.Thurysetrouvaitunvéhiculeluxueux—unphaéton,sansdoute,encoreque
Harriet saurait mieux reconnaître la forme qu’elle. La voiture, qui paraissait coûter une fortune, étaitgaréedetraversetilluimanquaituneroue.SansdouteM.Thuryétait-iloccupéàlaréparer.
UntelfasteétaitrareàKempton…Le village avait beau accueillir de nombreuses vieilles filles et jeunes femmes àmarier, peu de
gentlemenyvivaientetdeséquipagesaussimasculinsétaientrares.—MonDieu,avez-vousdéjàvuquelquechosed’aussibeau?demandaDaphnédansunmurmure.Tabithaluijetauncoupd’œilamusé.—Mêmetonpèreneseserviraitpasdecelapoursedéplacer!—Jeneparlepasdelavoiture,repritDaphné,maisdel’hommeàcôté.Regardez-moicetteveste…Tabithadécouvritlasilhouetted’unhommegrand,élégammentvêtu,quisetenaitsousl’auventdela
forge.Sonmanteaufinétaitouvertetrévélaitunecravated’unblancéclatantornéederuchesdedentellesurunvestonclair à carreaux—unensemble trop surfait augoûtdeTabitha.Unepintedebière à lamain,l’hommes’adossacontrelemuretleurlançaungrandsourire.
—Quidoncpeut-ilêtre?—Oh!c’estjusteRoxley,réponditHarrietavecdésinvolture.Puis,augranddamdeTabitha,ellefitungrandsigneaugentleman.—Bonjour,milord!Etes-vousvenurendrevisiteàvotretante?
Sans aucun respect pour les convenances, elle se précipita à la rencontre de lord Roxley— lecélèbreetrichelordRoxley—etluitenditlamain.Tabithal’observaencoreuninstantpuissuivitsonamie. Lord Roxley se rendait si peu souvent au village qu’il était fort probable que peu de gens lereconnaissent.
—Est-celecomte?chuchotaDaphné.CommeTabitha,ellenequittaitpasdesyeuxleneveudeladyEssex.Sademeure,Foxgrove,n’était
quel’unedesnombreusespropriétésdeRoxleyetcelui-ci,élevéàLondres,nevenaitàKemptonqu’unefoisparan,sanssefaireannoncerafind’éviterquesatantenepuisselepiégerparunefêteouungrandbal.Eneffet,celle-cinerêvaitqued’unechose:luifaireépouserunejeunefemmeduvillage.
—JenesavaispasquevousveniezàKempton,Roxley,lançaHarrietavecfamiliarité.De nouveau, Tabitha fut choquée par lesmanières de son amie lorsqu’elle s’adressait à la gent
masculine. Son enfance auprès de cinq frères y étant certainement pour quelque chose, Harriet neconsidérait pas les hommes comme une espèce mystérieuse et dangereuse, mais comme de simplescompagnons.
CequeTabithaavaitdepuistoujoursdumalàcomprendre.— Chaunce m’a écrit cette semaine, poursuivit Harriet avec une feinte sévérité, et il n’a pas
mentionnévotrearrivée.—Chut,Harry!coupalebeaulordRoxleyavecunclind’œil.Personnenedoitsavoirquejesuis
ici…Harrietseredressaetleconsidérad’unairdésapprobateur.—Voussavezquevousnedevezpasm’appelerainsi,milord!Votretanteseraithorrifiée.Jesuis
MlleHathawaypourvous,maintenant.Toutenparlant,elleprituneposesiélégantequemêmeladyEssexenauraitétéfière.Cependant,lordRoxleyneparutpasimpressionné.Aucontraire,ilsepenchaàsonoreilleavecun
airdeconspirateur.—MlleHathaway,biensûr!murmura-t-il.Horsdequestionquejet’appelleainsi,Harry.Harrietlerepoussaenriant.—Décidément,vousnechangerezjamais,Roxley!—Jel’espèrebien.Jepensequemafamilleseraittrèsdéçuesijedevenaisunjouraussiguindéet
raisonnablequetonfrèreQuinton.IléclataderireavantdeleverlesyeuxsurTabithaetDaphné.Serappelantsoudainsesbonnesmanières,Harriets’empressadelesprésenter.—Milord,voiciMlleTimmonsetMlleDale.—Trèsheureuxdevousrencontrer.Tabitha fut impressionnée car, en dépit des reproches habituels de sa grand-tante, lady Essex, à
propos de son comportement,Roxley les salua très bas tandis queDaphné et elle s’inclinaient en unegracieuserévérence.
— Et comment s’appelle ce charmant animal ? demanda-t-il en caressant affectueusementM.Mugginssurlatête.
Legroschienréponditparungrondementrauque.—Bellebête!ajoutalordRoxleyenretiranttoutefoissamainpournepassefairemordre.—Jesuisvraimentnavrée,milord,s’excusaTabitha.Jecrainsqu’iln’aimeguèrelesétrangers…—C’estlaplumedevotrechapeau,indiquaHarriet.—Comment?M.MugginsregardaitàprésentlordRoxleycommeunloupayantdécouvertunebrebiségarée.
—Laplumedevotrechapeau,répétaHarrietenattrapantprestementlaplumeblanchepasséedansleruban.
—Hé!C’estunsouvenirde…Quoiquelaplumeaitpusignifierpourlui,Harrietlajetaauchien,quil’attrapaauvolavantdese
retournerfièrementversTabithacommes’illuirapportaituneproie.—Vousmeremercierez,plustard,glissaHarrietàRoxleysansautreformed’explication.—Qu’est-ilarrivéàvotrevoiture,milord?demandaTabitha,presséedechangerdesujet.—Cen’estpasmavoiture,mademoiselleTimmons,maiscelledePreston,répondit-ilavecungeste
vagueendirectiondelaforge.Jel’avaispourtantprévenudenepasprendreleviragedugroschênesivite,maism’aurait-il écouté ? Pour être honnête, il peut semontrer aussimal élevé et têtu que votrechien.
Sur ce, il haussa les épaules et sourit comme si leur malheureuse épopée méritait quelquesapplaudissements.
— Mon frère George a fait la même chose au printemps dernier s’exclama Harriet. Il est sicabochard,commeditmonpère.
—Harriet!s’écriaDaphnéd’unairchoqué.Rappelle-toilesparolesdeladyEssexausujetdetonlangage!Elletedonneraitledoubledeleçonssiellet’entendaitparlerainsi.
—Ohnon,Harry,soupiralordRoxleyenregardanttouràtourDaphnéetHarriet.Tunelaissestoutdemêmepasmatantegâtertesqualités?
—Oh ! ellenegâte rien,milord, réponditHarriet.Elle s’efforce simplementd’améliorerunpeumes manières…Mamère a abandonné, mais lady Essex se montre très déterminée. Elle a prévu dem’emmenerenvillelemoisprochain.
—Enville?répétaRoxleyd’unairsurpris.—Oui.Ellenevousapasprévenu?—Ellenemeprévientjamais!Ellesecontentedevenirchezmoietdemetourmenterpendantdes
semaines;mais,grâceàtoi,jesuismaintenantaucourantdesesprojetsetjeseraitonobligé,ajouta-t-ilavecunsouriremalicieux.
—Eneffet,etvouspourrezdoncdanseravecmoiàAlmack.—Jamais ! rétorqua-t-il avecun frisson. Jene seraipas là lemoisprochain…Figure-toique je
parschasser.Harrietcroisalesbrasd’unairpeuconvaincu.—Cen’estpaslasaisondelachasse,objecta-t-elle.—Oh!c’esttoujourslasaisonquelquepart!— Si vous cherchez à ce point à fuir lady Essex, que faites-vous à Kempton ? insista-t-elle,
visiblementdécidéeàavoirlederniermot.—Unecourse,pardi !Nousessayonsdebattrecet idiotdeKippssur la routedeLondreset j’ai
proposéàPrestondeprendreunraccourciparKempton.J’aipariécinqcentslivresavecDillamorequenousarriverionslespremiers.
—Seigneur…Cinqcentslivres?neputs’empêcherdesoufflerTabitha.Acôtéd’elle,Daphnéparaissaittoutaussistupéfaitedelasommeannoncée.—J’espèrequeM.Thurysaitàquelpointilesturgentqu’ilréparevotreroue,lâcha-t-elle.—Ohoui, il le sait, réponditRoxley.Prestonamêmedécidéde l’aider—unsacrécompagnon,
celui-là! Il fautdirequ’ilaparié ledoublequenousgagnerionset,s’ilperdcettesomme, ilauradesproblèmesavecsononclequin’estguèrecommode.
Puisilsetournaverslaforgeetlança:
—NousallonsbattreKipps,hein,Preston?Un grommellement s’éleva depuis l’atelier ouvert où l’on devinait une silhouette courbée sur
l’enclume.Lecomtesetournadenouveauverslesjeunesfillesethaussalesépaulesd’unaird’excuse.— Je ne l’ai jamais vu de simauvaise humeur.Hé ! Preston !Viens donc rencontrer les jeunes
femmesduvillage;ilyapeudegentlemen,ici,etnoussommesvuscommeuneespècerare.Là-dessus,Roxleynepouvaitpasavoirplusraison…Les hommes bien nés avaient pour habitude d’abandonner ce petit bourg paisible afin d’aller à
l’école dès qu’ils quittaient leurs culottes courtes, et peu y revenaient. La perspective d’entrer dansl’arméeoumêmeleclergéleuroffraitdesopportunitésbienplusexcitantesquelesprairiessilencieusesetlescollinesvertesdeKempton.LesfrèresdeHarrieteux-mêmes—àl’exceptiondeGeorge,héritierdudomaine—avaientpréféréexplorerlesquatrecoinsdumondeplutôtquederesterdansleurvillagenatal…
Et,s’ilsl’avaientfait,c’étaitparcequ’ilsenavaientlaliberté.Tabithaneputs’empêcherdesongeràcetamimystérieuxdelordRoxley—elleavaitsuffisamment
entenduladyEssexseplaindredeshabitudesinconvenantesdesonneveupours’inquiéter.QuiétaitceM.Preston?Quelgenred’hommespariaittantd’argentsurunecoursedevoitures?
Bienquechoquée,ellesentitunsoupçond’envienaîtreenelle:ceshommesétaientlibresdeparierdessommesconsidérablesetd’explorerlepayscommeilslesouhaitaient,tandisqu’elle…elleétaittoutsimplementpriseaupiège.
Apeinequelquesminutesplustôt,elles’étaitcrueheureuse—elletravaillaittrop,étaitépuiséeetunpeumalnourrie,certes—mais,soudain,ellecomprenaitàquelpointlavieétaitinjuste.
Oui,elleétaitpriseaupiège.Parleshasardsdel’existence…etparlepeud’opportunitésquiluiétaitoffert. Jamaisencoreellen’avaitété tentéepar le fastedeLondres,pourtant,devantcettevoiturerapidequioffraittantdelibertéàsonpropriétaire,Tabithasentitgrandirenelleuneviolenteenviedeserebeller.
Cependant, même si Londres n’était qu’à deux jours de voyage, qu’y ferait-elle ? Les quelquesrelationsqu’elleavaitàMayfairlarenverraientimmédiatementàKempton.
Cefutalorsqu’ellepritconscienceduvraidangerquereprésentaientleshommes:ilsdonnaientdemauvaisesidéesauxfemmes.Pourunefois,ellefutsoulagéequeKemptonn’ensoitpasrempli.
—Preston, repritRoxleyen tentantunenouvellefoisd’attirersonamidehors,celane teprendraquequelquesminutes!
—Milord,vousn’avezvraimentpasbesoindedérangervotreami,intervintTabithaaussipolimentqu’elleleput.Nousdevrionsrepartir:nousallonsàlaréuniondelaSociété.
Deplus,quellespenséessaugrenuesceM.Prestonpourraitluimettredanslatête?—Nousnevoudrionspasvous retenir,votreamietvous. Jesuiscertainequevousavezhâtede
finirvotre…votre…Oh!Seigneur,commentdéfinirunpariquin’étaitpasseulementabsurde,maisconstituaitégalement
unepertedetemps,d’effortsetd’argent?—Oh ! iln’yaaucunproblème, répondit-il avecungrandsourire.Etpuis, cela feraitdubienà
Prestonderencontrerquelquesladiesrespectables…Satanteleharcèlecontinuellementàcesujet.Lesbrascroisésetlepiedtapotantnerveusementlesol,ilsetournaencoreverslaforge.—Allez,Preston,viens!Saluecesjeunesfemmes,ouonraconterapartoutquemesamisnesont
pascivilisés—ladyEssexmeleferaitpayertrèscher!Toutendisantcela,ilfitunclind’œilmalicieuxàHarriet.
LadyEssexneseraitsansdoutepasraviedelesvoir,elleetsesamies,encompagniedecePreston,songeaTabitha,quellequesoitl’estimequ’avaitdeluilordRoxley.
Unebelleestime,c’étaitcertain!Cethommeétaitàn’enpasdouterlepiredes…Maissoudainellelevitapparaître,sortantdelaforge,unpetitsouffletàlamain,et«estimable»ne
futpaslemotquiluivintimmédiatementàl’esprit.ToutcequeTabithaavaitimaginéausujetdecePreston—lefaitqu’iln’étaitpasconvenable,qu’il
n’étaitqu’unvoyoudangereuxhabituéauscandale—luiparutcommeuneévidence ;puisundoute lasaisitl’instantsuivant.
Oh!oui,M.Prestonétaitpeut-êtreunjoueuretundébauché,sansdoutemêmeunvaurien,mais,augrandregretdeTabitha,sabeautéattiraittouslesregards.
C’étaitpresqueunpéchédeposerlesyeuxsurlui…Loindel’immondeHéphaïstosqu’elles’étaitfiguré,ilétaitleplusbeladonisqu’elleaitjamaisvu
desavie.Elleeutl’impressiond’avoirsouslesyeuxlarépliqueexactedelastatueduhéroslégendaireque ladyEssexconservaitdanssonpetit salon—cellequesonpère luiavait rapportéed’Europe tantd’annéesauparavant.
Maisaumoins,contrairementà l’adonisdeladyEssex,M.Prestonavait ladécencedeconserversonpantalon,sesbottesetsachemiseblanchetrèsàlamode—mêmeouverteetplaquéecontresontorsemuscléruisselantdesueur.
Jamais un gentleman digne de ce nom n’aurait osé se montrer en public dans cette tenue, sanscravate, sans gants, ni rien qui le différencie d’un simple ouvrier.CeM.Preston se présentait à ellespresque…Iln’yavaithélaspasd’autremotpourledécrire.
Ilseprésentaitpresquedéshabillé.Sansornements.Nu.Biensûr,iln’avaitbesoind’aucunartificepoursemettreenvaleur.Soncorpsétaitparfait.Souslechoc,Tabithaseraidit.Seigneur,àquoipensait-elle?Soncorpsentierbrûlait,commes’il
venait d’êtreplongédans les flammesmêmesde la forge, et son cœurbattait beaucoup trop fort.Elleauraitdûdétournerleregardets’empêcherdeledévisagerainsi.Ellenepouvaitpas…nevoulaitpas…
Prestonsecoualatêteetsescheveuxfauvesretombèrentsursesépaulestelleunecrinièresauvage.Sesyeuxsombresseposèrentuninstantsurelleet,l’espaced’uninstant,Tabithaeutl’impressionqueceregard intense laclouait surplace.Cethommeparvenaità labouleverserd’unseulcoupd’œiletelledemeurait là, impuissante. Heureusement, il se détourna rapidement, comme si elle neméritait pas lamoindreattention.
Elle en fut profondément blessée. Comment osait-il ? Mais peu importait : son opinion n’avaitaucunevaleurpourelle!Toutdemême,pourquiseprenait-il?
RoxleyremarquaégalementlaréactiondePreston.—Qu’est-cequetupeuxêtregrincheux!lança-t-il.Celanetefaitpashonneur.Deplus,tun’aspas
à craindre d’avances de ces demoiselles : aucune d’entre elles ne rêve d’attraper un homme pour letraînerdevantl’autel.Ellessonttoutesmaudites!
Ilillustrasondiscoursd’unclind’œiléloquentendirectiondeTabithaetdesesamies.Maudites.Acesimplemot,unelueurd’intérêtbrilladansleregardténébreuxdePreston.Tabitha, qui avait toujours tiré une sorte de fierté de lamalédiction, ou plutôt de la tradition de
Kempton, se sentit soudain très gênée. Lord Roxley les faisait passer pour des campagnardes un peuniaises,alorsquecen’étaitpaslecasdutout!
—Maudites ? répéta Preston en reposant son soufflet et en se tournant une nouvelle fois versTabitha.Est-cevrai?
Sanslaquitterdesyeux,ilattrapaunchiffonetentrepritdes’essuyerlesmains.
—Ohoui!s’exclamaRoxleyavecunnouveausourireendirectiondeHarriet.Etc’estcommeceladepuisdessiècles:aucunhommenelesépousejamais;entoutcas,aucunquisurviveàl’expérience.Onraconteencorel’histoiredupauvreJohnStakes,quiestmortilyaplusdedeuxcentsans.LefoyerduvillageamêmeétérebaptiséensonhonneurdepuisquesajeuneépousedeKemptona…
Incapabledesupporterpluslongtempssesmoqueries,Tabithas’interposa:—Milord,jevousenprie!Pluspersonnenecroitàcessornettesdepuislongtemps.Daphnévintl’épaulerd’unairdécidé.—Toutàfait.D’ailleurs,ilyaquatreans,MlleWoolnothaépouséM.Amisonetilsontététrès
heureux.Acesmots,Harrietétouffaunhoquetdesurpriseet,l’espaced’uninstant,Tabithaeutpeurqu’elle
nerévèlelavérité.M.Amisonavaitenfaitbutoutsonsoûletn’avaitépouséMlleWoolnothqueparcequec’étaitle
moyenleplusaisépourluid’obtenirlemeilleurbélierdeM.Woolnoth…Ilavaitpeut-êtrereçulabête,maisils’étaitsurtoutretrouvépiégéavecunefemmequinecessaitdeseplaindredesaconduite.
Pisencore,lecourtmariagedesAmisonn’avaitfaitquerenforcerlathéoriedelamalédictionquiprédisaitdumalheuràquiconqueépousaitunefemmedeKempton.M.Amisonavaiteneffetétéretrouvédansl’étangdumoulin,aprèsunesoiréearroséeaupubetunretourmouvementéchezlui.
Bien entendu,MmeAmison n’avait rien à voir avec samort,mais ils vivaient àKempton, et larumeuravaitreprisdeplusbelle.
—Milord,nousnesommesabsolumentpasmaudites,affirmafièrementTabitha.Nouschoisissonssimplementdenepasnousmarier.
Evidemment, le manque de prétendants potentiels au village, l’absence de dot en ce qui laconcernait,et lepeud’opportunitésne faisaientque renforcersadétermination ;maisellen’ensoufflamot.
Lesgentlemenlaregardèrentuninstantensilence,puislordRoxleylâchaunbrusqueéclatderire—violentetblessant—etM.PrestoneutunhoquetdedérisionquiexaspéraprofondémentTabitha.Alevoir,onauraitcruqu’ellevenaitdedirelapiresottisequ’ilaitjamaisentendue…
—Desfemmesquineveulentpassemarier!s’écrialordRoxleydansunnouvelaccèsderire.Ah,siseulementlesLondoniennesétaientdumêmeavis,hein,Preston?Tupourraisenfinapparaîtredansunbalouunesoiréesansprovoquerundéchaînementd’hystérie!
M.Prestonneréponditqueparunsecondhoquetencoreplusméprisantque lepremier,quinefitqu’attiserunpeupluslacolèredeTabitha.Quelsombrepersonnageilétait!Cegenred’hommespassaitsontempsàraillerlemariagetoutencompromettantdesjeunesfemmesinnocentesetenlesprivantdetoutespoirdebonheur.
—MonsieurPreston…,commença-t-elle.MaisRoxleyl’interrompitparunnouveaurire.—MademoiselleTimmons,vousdevriezsavoir…— Allons, Roxley, coupa son ami en croisant les bras, laisse la demoiselle parler. Oui,
mademoiselleTimmons?Unpeu intimidée,Tabitha refusadeplier sous ce regardhautain et inspiraprofondémentpour se
donnerducourage.—Monsieur,sachezquejen’aijamaiseul’intentiondemelancerenquêted’unépouxetquema
situationmeconvientparfaitement.Voilà, c’était dit.Cela faisait tellement longtempsqu’elle n’avait pas osé exprimer sonopinion !
Confortéeparlesilencedesdeuxhommes,ellepoursuivit:
—Lemariagen’apporterienauxfemmes.Aucontraire,illesenfermedansunrôled’esclaveàlamercidesdésirsinconstantsd’unhommeetdesesexigenceségoïstes.
Sisononclel’avaitentendueparlercommecela,ilenauraitsansdoutefaitunmalaise…Stupéfaite, elle remarqua alors que Preston paraissait plus amusé qu’autre chose par sa petite
diatribe.Illuisouriait,fiercommeunlion—prédateursanspitiéfaceàunefaibleproie…—Vraiment?lança-t-il.Illacontempladespiedsàlatêteethaussaunsourcil.Refusantdeselaissertroubler,Tabithatint
bon.—Oui,vraiment.—Etvoscompagnesetvousn’avezpasl’intentiondevousmarier?—JenepeuxpasparlerpourMlleDaleouMlleHathawaymais,personnellement,jemeconsidère
commeheureusedemonsort,sivousmepermettezcettefranchise.De toutemanière, une femmeasseznaïvepour épouserunhommecommePreston se retrouverait
bienviteabandonnéeetlecœurbrisé.Cependant… Etait-il possible de le repousser ? Malgré ses résolutions, si fortes soient-elles,
Tabithasesentitvacillerquandils’approchad’elle.Ellehésitauninstantàleremettreàsaplace,faceàsontorsenuetmusclé.
Ils’immobilisadevantelle,siprèsqu’ellepouvaitvoirlesgouttesdesueurruisselersursapeau.Tout en lui respirait le travail, le charbon, et aussi autre chose…Quelque chose de si masculin queTabithaenfuttroublée,perdanttoutsenscommun.
Ellen’eutalorsplusqu’uneenvie:inspirerprofondément,humersonodeur,letoucher.Et,soudain,lesolparutsedérobersoussespieds.
Terrifiée,ellelevitsepenchersurelleetmurmurer:— Si je puis être franc, mademoiselle Timmons, que savez-vous exactement des caprices des
hommesoududésirquepeutressentirunefemme?Sesgrossierssous-entenduslastupéfièrent.Lesoufflecourt,ellereculad’unpas,lefeuauxjoues.—Commentosez-vous?balbutia-t-elle.Loindeparaîtrenavré,l’odieuxpersonnagesecontentaderireetluitournaledos.Arrivéàlaporte
delaforge,ils’immobilisacependant.—MademoiselleTimmons,reprit-ilpar-dessussonépaule,sivous-mêmeaviezoséêtrecurieuse,
unefoisdansvotrevie,vousnediriezjamaisdetellesbêtises.Lecœurbattant,ellenesutquerépondre.Tentantderetrouverunsemblantdedignité,ellefinitpar
rétorquer:—Iln’yariendemal,pourunefemme,àseconnaîtreetàchoisirdenepasêtrecontrôléeparun
hommeetsonarrogance!—Vousparlezbienlibrement,mademoiselleTimmons,répliquaPrestonavantdeseretournervers
elle.Touteslesjeunesfemmesdecevillagepartagent-ellescetraitdecaractère?TabithasentitDaphnéetHarriets’avanceràsescôtéspourlasoutenir.LordRoxleyrecommençaàgloussermais,quandils’aperçutqu’ilsetrouvaitfaceàtroisfemmesen
colère,ils’interrompitets’écartad’unpas,abandonnantsonamiàleurrage.Preston,lui,ramassasonsouffletetajouta:—Visiblement, ce ne sont pas les femmes de cette ville qui sontmaudites,mais plutôt tous les
hommesdansunrayondecinquantelieues!
Chapitre2
Aulieuderentrerdesaréunionsatisfaitedesonsortetprêteàaffronterunesemainesupplémentaireaupresbytère,Tabithapassalaportedesamaisondansunetellehumeurqu’ellenesepréoccupaguèreducalmeetdusilencehabituellementexigésparsononcle.
Defait,ellen’hésitamêmepasàclaquerlaportederrièreelle.Peu lui importait lecapricedes jumellesTornadeausujetdesbanderolesdubal—franchement,
choisir entre lavande et vert n’avait plus aucune importance à présent.Ce n’était pas comme avant…Avant…
— Quel… Quel homme insupportable ! murmura-t-elle à M. Muggins lorsqu’il la rejoignit enbondissant,bousculantaupassagelesbabiolesposéessurlatablebasse.Quelmalya-t-ilàexposersonopinion?
Cen’étaitpascommesiellen’avaitjamaisentenducegenredecritiques:quelfardeaud’éleverunevieillefillequinesaitpassetenir!Sononcleluirépétaitcelatouslesjours,maisaumoinselleétaithabituéeàsesreproches.
En revanche, entendre la même chose de la bouche de cet odieux M. Preston ? C’étaitinsupportable!
Commentsereprendreaprèslascènedecetaprès-midi?Nonseulementlesregardsmoqueursetleton suffisant de cet homme l’avaient profondément troublée,mais en plus elle avait eu la désagréableimpressionqu’ilavaitsulireenelleetavaittrèsbiencomprisquesesprotestationsénergiquesn’étaientquedesmensonges.
—Iln’yariendemalànepassemarier,n’est-cepas?dit-elleàM.Muggins.Eneffet,iln’yavaitriendemal,surtoutsisemariersignifiaitseretrouversouslacouped’untel
homme!Unhommecharmeur,autoritaireetbrutalcommeM.Preston…Ilétaitsansdoutecapablederuinerlaréputationd’unefemmesanslemoindreremords.Toutdans
sonattitudedénotaitl’arrogance:sesyeuxdominateursetperçantsbordésdecilsléonins,sondiscoursquin’admettaitpaslaréplique…Ilétaitpeut-êtremêmecapabledeconvaincreunejeunefilleinnocentequ’ilétaitungentleman—unbaronet,quisait?
Unbaronet?Biensûr!Voilàquiétaitdrôle!Néanmoins,lesquelquesparolesmurmuréesparcettevoixgraveavaientsuffiàéveillerenelleun
frisson,unesensationqu’ellenepouvaitqualifierquede«désir».Lagorgesèche,ellesedévisageauninstantdanslemiroirquiluifaisaitface.Désirpourqui?Pour
M.Preston?C’étaitabsurde!Sielleavaitlamoindreenviedelerevoir,cen’étaitquepouruneseuleraison.
—Pour luidonnerunebonne leçon,grommela-t-elleentre sesdents. J’auraisdû le remettreà saplace,toutàl’heure…
Ellel’auraitfait,d’ailleurs,siellen’avaitpasétésitroubléeparsesremarquesdéplacées.—Sij’avaiseudesfrères,commeHarriet,expliqua-t-elleàM.Muggins,j’auraisétécapabledelui
faireface.Asespieds,sonchienpenchasatêteroussesurlecôtéetl’examinad’unairperplexe.—Oui,reprit-elle,j’imaginequetuasraison:jenesauraijamaissijesuiscapabledel’affronter
carnousnenousreverronssansdoutepas.Cetteperspectiveauraitdûlarendreheureuse.Nejamaislerevoir,nejamaissetenirdenouveau
assezprèsdeluipourpouvoirletoucher,sentirsontorsenusoussesdoigts,sesmusclesdenses,saforcetranquille…
Dansunsoupir,ellerefermasesbrasautourd’elleetfrissonna.Seigneur,ellesefaisaitsansdoutedesidées.Prestonn’étaitpassibeau;aucunhommenel’était.Elleavaitseulementététroubléeparsa…grossièreté.
—Oui,c’estcela!Ilétaitsiimpoli…Sementait-elle?Ellen’eutpasletempsd’ypenserpluslongtemps,carelleentenditlepaslourdde
lagouvernantedanslecouloir.—Ah,vousvoilà!s’écriaMmeOaksenentrantdanslapièce.Grasseet levisageendurciparun regard sévère, elleétait arrivéeaupresbytèreenmême temps
qu’oncle Bernard et tante Allegra ; et, comme ses maîtres, elle trouvait le village sans intérêt etl’entretiendupresbytèreinsupportable.
— Je me disais bien que j’avais entendu la porte d’entrée claquer, ajouta-t-elle avec rudesse,visiblementoutréeparuntelgestedeviolencedanslamaison.Heureusement,d’ailleurs,quec’estmoietnonvotreonclequivousaientenduerentrer,carenvotreabsencec’estmoiquiaidûallercherchersoncourrier!
Bien sûr, cela avait dû provoquer un beau remue-ménage, puisqu’il s’agissait des nombreusescorvéesqueTabithadevaiteffectuer.Ilneseraitmêmepasvenuàl’espritdesononcleoudesatantedemarchereux-mêmesjusqu’aubureaudeposte!
MmeOakseutunnouveauregarddésapprobateurendirectionduchapeaufroisséetdesgantsqueTabithaavaitjetéssurlatable.
—Le révérendTimmonsm’a donné l’ordre de vous envoyer au petit salon dès que vous seriezrentrée.Maintenantquejevousaitrouvée,vousferiezmieuxdevousdépêcher.
—Quesepasse-t-il?demandaTabithasansréfléchir.—Commentlesaurais-je?répliqualagouvernanteenramassantchapeauetgants.Jenesuispasdu
genreàespionnerouàcolporterdesragots;mais,croyez-moi,celanepeutêtreuneaffaireagréable.Amaconnaissance,cesvoleursdeLondresn’apportentjamaisdebonnesnouvelles.
—Quelsvoleurs?MmeOakspoussaunprofondsoupir,exprimantclairementsonexaspérationvis-à-visdesquestions
deTabitha.—Desnotaires.IlssontvenusdeLondres.Desnotaires?Soudain,Tabithaserappelaquesononcleavait reçuquelques lettresd’uncabinet
londonienaucoursdesderniersmois—bienqu’ellen’yeûtpasréellementprêtéattention.Aprèstout,celanelaconcernaitpas.
Cependant,ilsemblaitbienqu’ellesesoittrompée…—Ehbien,qu’attendez-vous?aboyalagouvernanteavantdelapousserdanslecouloir.
—J’yvais,réponditTabithaenlissantrapidementsajupe.Autantenfinirrapidement.Ellelongealecouloird’unpasvifets’immobilisauninstantdevantlaportedusalonpourprendre
uneprofondeinspirationetchasserdesonesprit lesdernièresimagesdePreston.Puisellefrappaàlaporte.
—Mononcle,annonça-t-elleàtraverslepanneau,jesuisrentréedelaréuniondelaSociété.—Oh!entre,machèreenfant,lapria-t-il.Machèreenfant?Tabithasentitsoncœurbondirdanssapoitrine:untelaccueilneprésageaitrien
debon.Son inquiétude ne fit qu’empirer lorsqu’elle poussa la porte et découvrit son oncle et sa tante,
installéssurledivandevantunetassedethé,arboranttousdeuxunsourireanormal.En tout cas, tante Allegra semblait faire de son mieux pour y parvenir, mais Tabitha ne l’avait
encorejamaisvuesouriresincèrement.Face à cesvisagesdeprédateurs, elle se sentit soudain commeunoisillonà l’aile cassée,piégé
dansunegrangerempliedechatsaffamés.Sansseleverdudivan,oncleBernardluifitsigned’entreretdes’asseoirsurlaseulechaiselibre
delapièce.—Tevoilàenfin,machèrenièce!Nousavonsattendutonretouravecimpatience.—Bernard,jet’avaispourtantditd’envoyerlavoiturelachercher,ajoutatantaAllegra.Elleal’air
épuiséeparsamarche!Toutenparlant,lavieillefemmeremplitunetroisièmetassedethéqu’elletenditàTabitha.— Quelque chose ne va pas ? s’enquit la jeune fille, les mains tremblantes en manipulant la
porcelainefinequ’ellen’avaiteujusqu’àprésentledroitdetoucherquepourlalaver.Sononcleetsatanteéchangèrentunrapideregard,puisBernardreposasapropretassepourfouiller
danslapiledepapiersétaléesurlatablebassedevantlui.Unefoisqu’ileutrassembléquelquesfeuilles,ildéclarasansambages:
—Jecrainsd’avoirdemauvaisesnouvellesàt’annoncer,desnouvellesassezgraves.Paroùveux-tucommencer?
Avec l’après-midiatrocequ’elleavaitpassé,Tabithan’avaitabsolumentaucuneenvied’entendrecesnouvelles,maissentitque«aucune»neseraitpasuneréponseacceptablepoursononcle.
—Peut-êtredevrais-jevousapporterplusdethé,proposa-t-elleenselevant,hésitante.— Seigneur, Bernard, s’écria tante Allegra avec un nouveau sourire artificiel, tu effraies cette
pauvreenfant!L’oncledeTabithabaissalatêted’unairentendu,carseulesafemmeavaitcepouvoirsurlui:il
l’écoutait sans jamais oser protester. De toute manière, à en croire les rumeurs familiales, il n’avaitépousél’ancienneladyAllegraAucklandquepoursarenteconfortableetsurtoutindispensablepourcetroisièmefilsd’unbaronet,sansréellesperspectives.
—Ilestdemontristedevoir,reprit-ilavecplusdedouceurunefoisTabitharassise,det’annoncerlamortdufrèredetamère,WinstonLudlow.
OncleWinston?Sonnomn’étaitpresque jamaisprononcédanscettemaison,etcertainementpasparlafamilledupèredeTabitha.
Son oncle maternel s’était fermement opposé au mariage de sa sœur avec le second fils d’unbaronet,quinepouvaitluioffrirquelepresbytèredeKempton.Aucontraire,ilavait toujourssouhaitéquesasœurfassedebellesnoces—cequiauraitaussifacilitésesaffaires—et,dèsqueMissClarissaLudlowavaitépousélerévérendArchibaldTimmons,ilavaitabandonnésafamilleetl’Angleterrepours’occuperdesondomainedesIndesoccidentales.
— Oh ! Seigneur, murmura Tabitha en fouillant dans la poche de sa robe à la recherche d’unmouchoirdontellen’avaitpasréellementbesoin.Quelmalheur!
Tout ce qu’elle connaissait de cet oncle était son visage, peint sur une miniature que sa mèrechérissait ;etvoilàquecebelhomme,déprécié tantdefoisparsonpère,étaitmort.Jamaisellenelerencontreraitenpersonne…
Unefois lasurprisepassée,elle levadenouveaulesyeuxsursononcleetsa tantequisouriaienttoujours,semblablesàdesstatuettesdecire.Biensûr,ellen’attendaitaucunecompassionde leurpart,maispourquoicettenouvellelesrendait-ellesiheureux?
—Allons, allons, ajouta finalement tanteAllegra en chassantquelquesmiettes éparpillées sur sajupe. Cette désagréable affaire est derrière nous, à présent. Apprends-lui donc la bonne nouvelle,Bernard!
OncleBernardseraclalagorgeetsemitàlirelasecondelettred’unevoixnasillarde.—D’aprèsM.Pennyman,ducabinetKimball,DunningtonetPennyman,tononclet’aléguétoutson
domaine.Ils’interrompituninstantetlaregardaensilenceavantdepréciser:—Ilsembleraitquetusoisdevenueunehéritière,manièce.Acesmots,tanteAllegrafonditenlarmes,apparemmentravieparcettenouvelle.—Notretrèschèrenièce,unehéritière!Pensezàcequecelasignifiepournoustous!Tabitha,elle,n’encroyaitpassesoreilles.—Unehéritière?murmura-t-elle.Enuninstant,lesalonparutserefermerautourd’elle,tropétroit,étouffant.Pourlasecondefoisde
lajournée,ellesentitlesolsedérobersoussespieds,prised’unvertigesoudain.—Oui,unehéritière,réponditsononcle,maiscen’estpassisurprenantquecela,àprésentqueta
mèrenous aquittés : tu es la seule famillequ’il restait àLudlow.Lamort aune façonbien à elledeprendreetdedonner—tantauxméritantsqu’auxautres…
Tabitha ne doutait pas une seule seconde de la catégorie dans laquelle son oncle et sa tante laplaçaient ; mais, pour la première fois, cela ne lui fit aucun effet. Un nouveau sentiment de libertés’emparaitd’elle.
Elleétaitunehéritière.Ellen’auraitplusàobéiraumoindrecapricedesononcleetdesatante.SiellehéritaitdelafortuneetdudomainedeWinston,ellepourraitenfinvivreseule,sanssepréoccuperdeleurcharitésipesante.
Troublée,elleseleva.Unelonguelistedechosesàfaires’imposaitàelle.Enfin,elleallaitpouvoirreprendrelecontrôledesavie!
—Jevaisavoirbesoind’unerobededeuil,déclara-t-elle.Aucunedesmiennesneconviendraità…—Ceneserapasnécessaire,lacoupasatanteenéchangeantuncoupd’œilfurtifavecsonépoux.EllefitsigneàTabithadeserasseoir.—Pourquoi?demanda-t-elle,surprise.Biensûr,lanouvelleavaitdûmettredutempsàatteindrel’AngleterreetKempton,mais…—Ils’agissaitdemononcle,poursuivit-elle,etjepensequ’ilseraitmalvenude…—Tatantearaison:cen’estpluslemomentdeporterledeuil,intervintoncleBernard.Deplus,
nousavonsdesproblèmesplusurgentsàrégler.Acesmots,Tabithasentitunfrissonglacéremonterlelongdesondos.—Plusurgents?Commentcela?QuandHarrietavaithéritéd’unemodestesommeàlamortdesavieilletantedeuxansplustôt,le
notaireluiavaitsimplementenvoyél’argentdansunelettre.Iln’yavaitrieneuà«régler».
Bienentendu,lapassationd’undomaineétaitsansdouteuneaffairepluscomplexe.—Tononcleétaittrèssoucieuxàl’idéedeléguersonimmensefortuneàunejeunefemmesansla
moindreexpériencedumonde.—Etc’étaittrèssagedesapart,ajoutatanteAllegra.—Tout à fait, reprit oncleBernard. Je dois d’ailleurs admettre qu’il a géré sa successiond’une
maindemaître.Tabithaneputréprimerunhaussementd’épaulesunpeuméprisant.Elle,incapabledes’occuperde
sespropresaffaires?Sottises!Sononclen’avaitqu’àseplongerdanslescomptesdelamaisonoudanslesregistresdelaparoisse:ilsn’étaientcertainementpasremplisparsagrosseécrituresale,maisbienparcelledeTabitha!
—M.Pennyman,ducabinetKimball,DunningtonetPennyman,ainsiquemoi-mêmeetmonestiméfrère,chefdenotrefamille,sommestombésd’accordsurlefaitque,avantderendreletestamentpublic,quelquesarrangementsdevaientêtreconclus,affirmasentencieusementBernard.Toutceladans laplusgrandediscrétion.
—Tu devrais d’ailleurs nous en être reconnaissante, poursuivit tante Allegra. Une jeune femmerichepeutseretrouvervictimedespiresvauriens.
PourquoiTabithapensa-t-elleimmédiatementàM.Preston?Ellen’auraitsuledire.La gorge nouée, elle chassa l’image de ce si beau voyou et se concentra sur les paroles de son
oncle.—Jenepensepasintéresserleshommes,souffla-t-elle.Acesmots,oncleBernardéclataderire.—Oh!tun’aspasàt’inquiéteràcesujet!Machère,tuserasmariéeavantlesolsticed’été.—Unmariaged’été!renchéritAllegrad’unevoixexaltée.Tabitha,incrédule,lesdévisageauninstantensilence.—Comment…Commentest-cepossible?Sononclesedépartitfinalementdesonsourire,reposaseslunettesetl’examinalessourcilsfroncés
—commeillefaisaitsisouvent.— Ton oncle a précisé que tu n’hériterais qu’après ton mariage, reprit-il en essuyant
consciencieusementseslunettes.Touslesdocumentsserontdéclarésnulssiturestescélibataireaprèstonvingt-cinquièmeanniversaire.
SesparolesrésonnèrentauxoreillesdeTabithasansqu’ellen’encomprenneimmédiatementlesens.Mariage.Vingt-cinquièmeanniversaire.
Sonanniversaire?Soudain,lacruellevéritélafrappa.—Maiscelanelaisseque…—Unpeuplusd’unmois.—Danscecas,l’argentestdéjàperdu,lâcha-t-elledansunaccèsd’impuissance.Commentsuis-je
censéetrouverunépouxensipeudetemps?Ilnenousrestemêmepassuffisammentdesemainespourpublierlesbans;encoremoinspourtrouverunbonparti!
—Oh!tun’aspasàtepréoccuperdecela!s’exclamatanteAllegra,retrouvantsonsourire.Toutestdéjàarrangé.
—Dequoivoulez-vousparler,tanteAllegra?demandaTabithaavantdesetournerverssononcle.Monsieur?
—Toutn’estpasperdu,machère,répondit-ild’unairenjoué.TononcleWinstonaeulaprévenancedetetrouverunépouxavantdemourir.
***
—Quellessontcesrumeursquicourentpartoutenville?lançarageusementlordHenrySeldon.Enfacedelui,dansl’undessalonsduclubWhite,sonneveu,ChristopherSeldon,ducdePreston,et
sonbonàriend’ami,lordRoxley,étaientassisàunetablejonchéedebouteillesvides.Quelquesamis lesaccompagnaient,bienque labonnesociété londonienne jugeâtdéjàsévèrement
l’aventurequivenaitdesedérouler.Cependant,lesdeuxjeuneshommesnesemblaientpassesoucierdelasituationpourlemoinsdélicatedanslaquelleilssetrouvaient.
—J’aibattuKipps!exultaPreston.Personnenepensaitquemescanassonspouvaientdépassersonattelagesiélégantetdontilsevantaittant,maisjel’aifait!J’aipassélasoiréeàrécoltermesgains.
Toutenparlant, ilcaressaamoureusementunepiledebonsposéeàcôtédelui.Toutaussiivreetjoyeuxquesoncompagnon,Roxleytirauneautrepoignéedenotesdesapoche.
—NousvoilàrichescommeCrésus!—Maisçaafaillinoustuer,concédaPreston.—Etnousavonsdûnousarrêterdevantungrouped’oies,ajoutaRoxley.—Oh!c’étaientjustedesoisillons!—Celaauraittoutaussibienpuêtreungroupedechiots,précisalecomteàlordHenry,maisvous
savezcomment estvotreneveuquanddemagnifiquesyeuxmordorés seposent sur lui.Cela l’entraînetoujoursdansunesuccessiondesituationsembarrassantes.
—Jenepensepasquelesoiesaientdesyeuxmordorés,objectaPreston.IlscommençaientàsedisputersurcepointlorsquelordHenryexplosa:—Qu’est-cequivousaprisdevouscomporteraussidangereusement?Vousauriezpuvoustuer!
Sanscompterquevousavezruinélamoitiédel’aristocratielondonienne—etsansdouteaussiKipps,parlamêmeoccasion.Pourquoiavez-vousfaitcela?Dites-le-moi!
PrestonetRoxleyéchangèrentunregardvitreux.—Parcequenouslepouvions,réponditsonneveuenéclatantderire,rapidementimitéparsonami.—Vousfaiteslesfierspourlemoment,coupasévèrementlordHenry,maisattendezdevoirdemain.
Harriets’ensouviendra,croyez-moi!Asongrandregret,sonneveuneréponditqueparungesteinsouciantdelamain.—Crois-moi,ellenesouffriraaucunrefuscettefois-ci,insistaHenry.Elleexigerasansdoutequetu
temaries,neserait-cequepourtousnoussauverdelaruine.—De la ruine?Celam’étonnerait !s’écriaPrestonenbondissant,nonsanschancelerun instant.
M’as-tuentendu?J’aigagnéunefortune,cesoir!Désespérépartantdebêtise,lordHenrysoupira.—Tutemarieras,quetuleveuillesounon.—Non!Denouveau,Prestonluttaquelquessecondespourmaintenirsonéquilibre,puisserassitlourdement.—Jenememarieraipas.—Tuesivre,déclaraHenry.—Complètementgris,oui!avouaPrestond’unevoixpâteuse.—Moi,jepourraispeut-êtrememarier,intervintsoudainRoxley,l’airailleurs.Prestonéclataderire.—Toi?Mais,malgrésonébriété,lecomteacquiesçagravement.
—J’aipeut-êtredéjàrencontrélafemmeparfaiteplusieursfois…Ilmesuffiraitd’ouvrirlesyeuxpourlavoir.
—Pourcela,ilvaudraitmieuxcesserdeboireetdefairelafête,conseillalordHenry.Au même instant, l’un des valets du club entra et, sur ses ordres, entreprit de ramasser les
nombreusesbouteillesvidesquijonchaientlatable.—Sij’étaistoi,Roxley,susurraPreston,j’éviteraissurtoutd’ouvrirlesyeux…Serenversantsursachaise,sonamisemitàglousser.—Jepensaisplutôtquecelamerendaitromantique.Exaspéré,lordHenrylevalesbrasauciel.Romantique?Ilauraittoutentendu.—Cen’estcertainementpascommecelaquejevousdécrirais,Roxley.—Onpourraitplutôtqualifiertaconduitededissipée,suggéraPreston.Oui,celateconvientbien.Cette fois-ci, le comte secoua la tête et se pencha vers son ami pour répondre d’un ton de
conspirateur:—Non,là,tuparlesdeHenry…C’estlepiredesdébauchésdupays,situveuxmonavis.—Pasdutout,repritPrestonavecunsourirerusé,jepensequec’estplutôtunescroc:veniriciet
prononcerlemotterriblealorsquenousfaisonslafête.—Quelmot?Roxley se servit un nouveau verre et remplit également celui de Preston avant d’en tendre un
troisièmeàlordHenry,quirefusafroidementd’unsignedetête.—Lemot«mariage»,voyons!lançaPrestonenlevantsonverre.—Arrête,coupaRoxleyenfaisantminedefrissonner.Oncroiraitentendrematante,ladyEssex!Abandonnantfinalementtoutespoirdeleurfaireentendreraison,lordHenrytournalestalons.—Preston,prévint-ilavantdequitterlesalon,j’essaiedetefairecomprendrequetuesentrainde
ruinertaréputation.Rentre,dors,etreprendsenfintesesprits.
***
Prestonregardasononclequitterlapièce.Sansdoutepartait-ils’enfermerdanslessallesmorosesduBoodles.Onyservaitdebonsrepas,maisjamaisleurcavenepourraitconcurrencercelleduWhite!
—Reprendremesesprits?marmonna-t-ilauboutd’uninstant.C’estcela!Ilestplusâgéquemoi,aprèstout.Pourquoinesemarie-t-ilpaslepremier?
—C’estvrai!renchéritRoxley.Qu’ilfasselegrandplongeon;ilnousdirasil’eauestbonne…—Detoutemanière,jenevoispascommentunhommeaussiennuyeuxpourraittrouverunefemme.Contentdesasortie,Prestonsecaladanssonfauteuiletposasesbottessurlatable.Roxleyleregardaquelquesinstantsavecunpetitsourire.—Et, puisque aucundenousneprévoit de semontrer à l’Almack, je crois quenousne saurons
jamais…Acet instant,unhommegrisonnant—l’undespiresdandysdeLondres—s’approcha.Comment
s’appelait-il,déjà?LordMouncey?Non,lordMurrant.Nonplus.L’espritencoreembruméparlebrandyqu’ilavaitbu,Prestontentavainementdesesouvenirdunomdel’homme.
Espérantquecelui-cipasseraitsonchemin,ilchassarapidementdesonespritcettelégèreabsenceetnes’ensouciaplus,mais,hélas,lenouveauvenumarchaitdroitsureuxenjetantunregardméprisantsur les bottes couvertes de boue de Preston. Bien sûr, un tel homme ne sortait jamais sans cirer seschaussures!
—Dites,Preston,est-celejournaldujour,sousvossemelles?lança-t-il.
Prestonsepenchapourmieuxregarder.—Oui,eneffet,lordMulancy.Voilà!C’étaitcela:Mulancy!Finalement,iln’étaitpassisoûlquecela…—Puis-jevous l’emprunter ?Baldwinm’aparléd’uneannonceconcernantunebelle fournéede
pouliches arrivant cette semaine de la campagne, et j’aimerais prendre connaissance des détailsconcernantcetteaffaire.
PrestonreposaàregretlespiedsparterreettenditlejournalàMulancy.Ils’apprêtaitàs’installerdenouveauconfortablementquandlesparolesdel’hommeretentirentàsesoreilles.Qu’avait-ildit?Uneannonceconcernantunefournéedepouliches…
—Voilàlasolution!Roxley,quiavaitdûs’endormirdurantcettecourteconversation,sursauta, le regardembrumépar
lesvapeursd’alcool.—Quoidonc?Ilexaminavaguementlapièceetparutsurlepointdefermerdenouveaulesyeux,maisPrestonle
secouavigoureusement.—Réveille-toi,bonsang!JesaiscommentnousallonstrouverunefemmepourHenry:ilsuffitde
passeruneannoncedanslejournal.Empli dedétermination, il commandaunenouvelle bouteille debrandy ainsi quedupapier et un
crayon.
***
Quelquesjoursplustard,PrestonsetrouvaitdanslesalonrougedeladyJuniper—anciennementladyHenriettaSeldon—etl’écoutaitpatiemments’égosiller.
—Preston,cequetuasfaitestinacceptable!En dépit des efforts de Hen pour semontrer sévère et intraitable, Preston n’était pas troublé le
moinsdumondeparsesremarques.Aucontraire,ilritens’installantdanscettepièceoùsatanteaimaittantprendrelethé.
L’airdésemparé,ladyJunipersetournaverssonfrèrejumeau.—Henry,jet’enprie,aide-moi.LordHenryseleva,lesmainsdansledos,etfitquelquespasensilence.—Hen a raison, déclara-t-il au bout de quelques instants.Tu devrais cesser de te comporter de
manièreaussiscandaleuseettepréoccuperunpeuplusdesconvenances…—Lesconvenances?coupaPrestonenhaussantlesépaules.Sononcleétaitquantàluiunmodèledebienséance,avecsavesteparfaitementcoupéeetsacravate
nouée.Aucunefantaisievestimentaire,nidefoulardentrôned’amourquirendraitjalouxlesdandysdeLondres… Rien qu’une cravate simple qui apportait une touche élégante et sobre à son ensembleclassique—etpourtanthorsdeprix.
—Oui,réponditHenrysévèrement,lesconvenances.Iln’yaquecelaquiimporte,denosjours.—Oh!vraiment?répliquaPreston,agacé.Danscecas,peut-êtrefaudrait-ilréaménagercettepièce
pourqu’ellesoitunpeumoinsostentatoire…Lesalonrougeatteignaiteneffetdessommetsd’extravagance,avecsesdorures,sonveloursgrenat
etsonacajouciré.D’épaistapisturcsrecouvraientlesoletlesmeublesétaientjuponnésdesoie.Auboutde la longuetable trônaitunegrandethéièred’argentornéedechérubinsetcoifféed’undragon—pasgrand-choseàvoiraveclesthéièresenfaïencequel’onvoyaitdanstouslesfoyers.
Attendantune réponse,Prestonse tournaverssa tante, ladyJuniper.Etait-ceencoreJuniper?OubienMichaels?Ilhésitauneseconde.Non,Michaelsavaitétésondeuxièmemari;elles’appelaitdoncbienJuniper.
Toutcommesamèreavantelle,Henriettaavaitledondechoisirdesépouxquinesurvivaientpaslongtempsàleurmariage…
Et,commesonfrère,elleétaitvêtueàladernièremode;bienqu’elleportâtencoreledeuildelordJuniper,décédéquelquesixmoisplustôt.Detouteévidence,ellenes’arrêtapasuninstantsurcetteidéederedécorersonsalonpréféréetsonregardglacialnes’adoucitguère.
—Lesconvenances,Preston!martelaitencoreHenry.—Grand-père doit se retourner dans sa tombe en entendant cemot prononcé chez lui, rétorqua
Preston.—Pourtant,jepensequ’ilestenfintempspourlesSeldond’adoptercettelignedeconduite,affirma
fermementsononcle.Une fois que Henry commençait l’un de ses discoursmoralisateurs, rien ni personne ne pouvait
l’arrêter;pasmêmesonneveu,quiétaitpourtantduc.Résignéàl’écouterjusqu’aubout,Prestonsecaladoncsursachaiseetcroisalesbras,s’efforçantdeparaîtreintéresséetattentif.
Hélas,cen’étaitpasunetâchefacilefaceauxcrisesdesononcle.—Lestempschangent,psalmodiaitHenry.Nousnepouvonsplusnouspermettredereproduireles
comportementsnégligentsetlesmésaventuresquiont…Rapidement,Prestoncessade l’écouter : il savait trèsbiencommentcette tiradeallait s’achever.
Oui,oui…«Lesmésaventuresquiontmarquécettefamilledepuishuitgénérations.Huitgénérationsdebadinages, de fêtes indignes et de scandales qui nous ont toujours écartés de la haute société et desbonnesgrâcesduroi…»
Depuisletemps,Prestonconnaissaitcetterengaineparcœur.Ilnecessaitdel’entendredepuislamortdesongrand-père,cinqansauparavant.
Cependant, ces derniers temps, ce couplet devenait presque quotidien. Peut-être était-il tempsd’envoyerlordHenryfairelatournéed’inspectiondesterresduduché,enIrlande.
Prestonconsidéracetteidéequelquesinstants;maisilavaitdéjàusédeceprétextepouréloignerson oncle l’an dernier, à l’automne. En face de lui, lord Henry continuait à pérorer, sans donner lemoindresigned’essoufflement.
Non, il ne pourrait recourir deux fois à la même ruse — d’autant plus que lord Henry savaitmaintenantqueleduchénepossédaitpasdeterresenIrlande.
—…honneur,respectabilité,noblessedetapartetnouspourrionspeut-être—et j’insistesur le«peut-être»—retrouverunsemblantdeconsidérationdelapartdesmembreslesplusinfluentsdelasociété.
LordHenrys’interrompituninstantpourreprendresonsouffle,etPrestongoûtatemporairementausilence.
Respectabilité?Honneur?D’aprèscertains,lesSeldonn’avaientjamaispossédénil’unnil’autre;maisPrestonnesesentait
pasd’humeuràlesignaleràsononcle.Pasaujourd’hui.D’ailleurs,Henelle-mêmeprovoquaitquelquesscandalesdetempsàautre;enparticulierlorsde
sondeuxièmemariage.Amuséparcesouvenir,Prestonluilançaunsourireentendu,sanssuccès.Satanteparaissaitaussisévèreetennuyeusequesononcle.Pis:elletiradesonréticuleunpapier
quiressemblaitétrangementàuneliste!Celanepouvaitvouloirdirequ’uneseulechose…
Seigneur,ilsm’ontfaitvenirpourmetendreuneembuscade,compritsoudainPrestonenselevantmaladroitement.Troptard.
—Assieds-toi,Christopher!ordonnasatante.Ilobéit.Quandelleutilisaitcetonfroidetl’appelaitparsonnomdebaptême,ilsavaitqu’ilvalait
mieuxs’exécutersansdiscuter.C’étaituneleçonqu’ilavaitapprisetrèstôt.LadyJunipersetournaensuiteverssonfrère.—Assieds-toiaussi,Henry.Tuvasmedonnerlamigraineàfairelescentpascommecela,ettuvas
incommoderChristopher.LordHenryrepritdoncplacesurledivanetacceptalatassedethéqueHenluitendait.—Ilestgrandtempsque…Prestonlecoupa,sachantexactementoùsononclevoulaitenvenir:—Jeneveuxpasparlerdecela.—Tudoiscesserdecouriraprèslescandale,repritHenrycommes’ilgrondaitunenfantenculottes
courtes.CetteaffaireavecKippsnousacausébeaucoupdetort.Kipps?ToutcelaàcausedesacoursecontreKipps?—Lesragotsfinirontparsecalmer,assuraPreston,ignorantlefrissonglacéquiletraversait.Non,celanesecalmerapas.Ilfitdesonmieuxpourchassersesinquiétudes:lavoixdelaraisonn’avaitpassaplacedanssa
vie.Aprèstout,ilétaitleducdePreston!—Kippsest ruinéàcausede toi, annonça froidementHen,et tu saisqueldéshonneurapporte la
ruine.—Sesdifficultésnemeconcernentpas.En dépit de ses efforts pour paraître froid et distant, Preston sentit la morsure amère de sa
conscience.Tusavaiscequetufaisais,etpourtant…—Bienentenduquecelateconcerne!Toutlemondeteblâme—etnousblâme—poursaruine,
aboyaHen.Décidément,quiavaitbesoindeconscience,quandonavaituneladyHenriettapourlaremplacer?Elles’interrompitquelquessecondes,justeassezlongtempspourqueHenryreprennesatirade.—Seigneur,Preston,tun’aspasfaitqueruinercepauvregarçon!Aprésent,safamillen’aplusun
vêtementàsemettresurledos,ettoutlemondenoustientpourresponsables!Preston,gêné,remuasursachaise.Biensûr,ilavaitremarquéquelquechosed’anormal,laveille,
en entrant auWhite : de nombreuxmembres du club l’avaient ostensiblement ignoré. Cependant, celaarrivaitsouvent,étantdonnésaréputation,etilavaitviteoubliésessoucislorsqueRoxleyl’avaitrejointpourunejoyeusenuitdebeuveriesetdejeuxdecartes.
—SiKippsavaitdetelsproblèmesd’argent,iln’auraitpasdûpariertant,dit-ilsimplement.Quelgamin!
Espérantmettrefinàladiscussion,ilsedétournadesononcleetdesatantepourseservirduthé.—Preston, tu t’es servidecepauvreKipps, repritHen, l’airpluspincéque jamais. Il te faisait
confianceettul’avaismêmeprissoustonaile.Prestonbaissa lesyeux.Lavérité étaitqu’il aimaitbienKipps,uncompagnon toujoursdebonne
humeuretprêtàlarigolade.Iln’avaitjamaisvoululemettredansunesituationembarrassante…—Tuasmissavieendanger!poursuivitHenrietta,savoixpartantdanslesaigus.Lancerunpari
aussiinconvenantetfairelacoursesurunetelledistance…Aquoit’attendais-tu?Illuifallaitatteindre
Londres avant toi mais, au lieu de cela, il a eu un grave accident, a failli se briser le cou et doitmaintenantrecevoirtoutelavillequiexigelepaiementdupari.
—Danscecas,jeneréclameraipasmondû.D’ailleurs,Prestonn’avait jamaisvraimenteul’intentiondedemanderdel’argentàKipps.Après
tout, leurparin’avait étéqu’un jeu ; hélas, sononcle et sa tanten’étaientmanifestementpasdumêmeavis.
—Jepaieraimêmesesdettes,sicelapeutarrangerlasituation,ajoutaPreston.—Vraiment?Serais-tuprêtàpiétinersonhonneuraprèsl’avoirruiné?coupaHenryavecunsoupir
exaspéré.Etpuis,as-tuconsultétescomptesrécemment?Tunedisposespasd’assezd’argentpourcela.EncoreunedetesmauvaisesplaisanteriesetnousnousretrouveronsdanslamêmesituationquelepauvreKipps.
Cettefois,c’enétaittrop!—PauvreKipps!PauvreKipps!explosaPreston.J’aifaillibrisermavoiture,j’aienvoyéRoxley
dansunbuissonlatêtelapremière,etmesdeuxmeilleurschevauxauraientpuêtregravementblessés;maisjen’entendspersonnedire«pauvrePreston».Jelerépète,jenesuispasresponsabledecegaminpleurnichard,mêmelorsqu’ilparieautantd’argent.Siseulement ilavaitété raisonnableetunpeuplusprudent…
SousleregardindignédeHen,lesparolesdePrestons’étouffèrentdanssagorge.—Kippsn’estpasimprudent,ilestdésespéré!s’exclama-t-elleenbondissantbrusquement.Sais-tu
que sa sœur estmalade ?Les facturesdumédecin les ont déjà saignés à blanc.Sais-tuqu’il a quatreautressœursquivontfaireleurentréedanslemondedurantlestroisprochainesannées?Sonpèrel’alaissé aux abois et toi, mieux que personne, devrais comprendre cela, étant donné la situationcatastrophiquequepèrealaisséederrièrelui.
La légère culpabilité que Preston avait ressentie se transforma en une main serrée autour de sagorge:àencroirel’expressionfurieusedeHen,ilallaitsansdouterecevoiruneremontrancesévère
Mais,denouveau,Henryrepritlaparole.—Maintenant,Kippsn’aplusd’autrechoixquedesemarier,etvite.Ildevraprendrelapremière
héritièrequivoudrabiendelui.Stupéfait,Prestonsetournaverssononcle.—Semarier?Pourquoifaire?—Pourpayersesdettes,biensûr! répliquaHenryense levantàsontour,visiblement toutaussi
incapablequesasœurdemaîtrisersacolère.Ilabesoind’unericheépousepourremplirsescoffres.—Danscecas,ilneseraplus«pauvreKipps»bienlongtemps,ironisaPreston.Hélas,aulieudedétendrel’atmosphère,satouched’humourtombaàplatetilsentitpeuàpeuson
propreavenirpesersursesépaules.—Tunedevraispasrire,réponditsononcle.S’ilnetrouvepasd’épouse,ilserajetéenprisonpour
insolvabilité.— Tu as ruiné la réputation de notre famille avec ta petite escapade, Preston, conclut Hen en
retournantsurledivan.Elleregardaunmomentsonneveuensilence.Sesyeuxbleus,habituellementsichaleureux,étaient
sombresetsévères.—Tout lemondenousmet labanqueroutedeKipps sur ledos.As-tu remarquéquepersonnene
s’estprésentéàlaportedepuiscematin?Etlepanieràcourrierestvide.—Celam’étonnerait,ripostaPreston,ildébordaitdelettresquandjesuisarrivé.Acesmots,Henryrougitdecolèreethurla:
—C’estàcausedecettestupideannoncequetoiettonidiotd’amiavez…D’ungestedelamain,Henlefittaire.—Preston,aucuneinvitationn’estarrivée,pasmêmedelapartdesquelquesbonnesâmesquiosent
nous défendre.Le seul courrier important que j’ai reçu cette semainem’annonçait que tousmes reçuspourlasaisonétaientsuspendus.Jesuisbannied’Almack!Moi!
Savoixsebrisaetelletiraunmouchoirdesamanche.Preston laconnaissaitassezbienpoursavoirqu’ellenepleurait jamais,maiselles’entêtaàfaire
semblantd’essuyersesyeuxsecs.—Tun’aimespasAlmack,luirappela-t-il.—Quelrapport?Plusaucunefamillerespectableneveutentretenirderelationavectoi,avecnous.Denouveau,elleprituneposethéâtrale,sonmouchoirplaquédevantseslèvres.Cependant,enl’observantdeplusprès,Prestoncompritqu’elleétait réellementdésemparéeetsa
gorgesenoua—ilavaitsentilemêmenœudd’angoisselorsqu’ilavaitpercutélegroschênepouréviteruntroupeaud’oiesetnepasavoiràrentrerenvilleavecsavoituretachéedesang.
Bonsang!Satanteleconnaissaittropbien…Auboutdequelquessecondes,Henryrepritexactementlàoùsasœurs’étaitarrêtée:—Henetmoiavonsdiscutédetoutcela,etnoussommestombésd’accordsurlefaitquelaseule
chosequipourraitencorenoussauverseraitquetutemaries.—Pourquoinetemaries-tupas,toi?suggéraPrestonpendantquesononclebuvaitunegorgéede
thé.Henrys’étouffadanssatasse.—JecroisqueRoxleyettoiavezdéjàprisceproblèmeenmain,lançaHend’unevoixplussévère
encorequ’auparavant.—Votresaletéd’annonceaattirétouteslesvieillesfillesetlescœurssolitairesdansunrayonde
centlieues!Surpris,Prestonlesdévisageatouràtour.—Quelleannonce?Sononclesoupira.—L’annoncequeRoxleyettoiavezrédigée,voyons!Cettefois-ci,cefutautourdePrestondes’étouffer.Oh!oui…Cetteannonce.Ilsepenchaettapaamicalementsurl’épauledesononcle.—Tun’aimespaslemors,maistuseraisheureuxdemevoirsellé,hein,Henry?Deplus,tuesplus
âgédesixmois,ilseraitnormalquetusauteslepaslepremier.D’ailleurs,tudevraismeremercier:jet’aifaitunefaveurenapprenantàtoutescesfemmesquetuétaisdisponible.
Ils’interrompitavantd’endireplus.IlvalaitmieuxnepaspousserHenryàbout,sinon,laprochainefoisqu’ilsiraientchezGentlemanJim,sononclelebattraitsansménagement.D’ailleurs,Henryselevaitdéjà,lespoingsserrés.Prestonn’allaitpeut-êtremêmepasattendred’êtresurlering…
—Preston,celanenousaidepas!criaHen.Ettoi,assieds-toi!ajouta-t-elleendirectiondesonfrère.
—Nousavonsbesoindemaintenirl’uniondenotrefamille,espècedevaurien!répliquaHenry,toutenobéissantàsasœur.
Ilétaitpeut-êtrecapabled’assommerPrestonsurunringdeboxe,mais—commesonneveu—iln’osaitjamaiscontredireHenrietta.
—Jepourraismemarier,biensûr,maisqu’est-cequecelachangerait?Tucontinueraisàmenertaviedissolue,provoquantscandalesurscandale.
—Autrementdit,réponditPreston,tuattendsdemoiquejesoisaussiennuyeuxetraisonnablequetouscesvieuxcroûtonsavecquitupassestesjournéesàlaChambredescommunes.
Ducoindel’œil,ilvitHenserrerlesmâchoirespourréprimerunsourire.—Henryaraison,tudoispenserànotredescendanceetànotreplacedanslasociété.—AudiableAlmackettouscesbals!lançaPreston,déterminéànepascéder.Etpuis,jenevois
paspourquoic’estsiurgent.Grand-pèrelui-mêmevousaeussurletard.Le mariage du vieux duc à la belle et jeune veuve lady Salsbury avait été l’un des scandales
concluant sa viemouvementée, surtout lorsque la jeune femme lui avait donné deux enfants d’un seulcoup.Toutelasociétéavaitétésouslechoc.Quiauraitcruquelevieilhommeenétaitencorecapable,sanscompterladySalsbury,quin’avaitjamaiseud’enfantsavecsesquatrepremiersmaris?
—BonDieu,Christopher!éclataHenry.Tudoisrenflouertesdomaineset,sijesiègeàlaChambredescommunes,c’estjustementpourt’yaider.Cesvieuxcroûtonsdonttutemoquesontplusdefondsquetoi,ouquenous tous.Lemondeesten traindechangeret,crois-moi,danspeude temps,ceseront lesmarchandsetlesboutiquiersquidirigerontcepays.
—Seigneur,quelleidéehorrible,soupiraHen,visiblementdégoûtéeparunetelleprédiction.Enfin,Preston, il ne s’agit que d’unmariage : trouve une jeune femme convenable et donne un héritier à lafamille.Aprèscela,Henrypourras’occuperduresteetnousn’auronsplusànousinquiéter…
C’étaitdonccela,lasolutionàtousleursproblèmes:lemarier.Pourquoi sa tante ne prenait-elle pas exemple sur ces filles du petit village où Roxley l’avait
entraîné?SicequecetteladyTimmonsluiavaitditétaitvrai—qu’aucuned’entreellesnesouhaitaitsemarier—ilpourraitpeut-êtreenvisagerdes’yinstaller.Définitivement.
Seréfugierdanscepetitvillage?Hélas,sonrêvefutrapidementinterrompuparHenryquiattrapalalistedesasœur.
—Henatrouvélaprétendanteparfaite.Elledescendd’unelignéehonnêteetbénéficied’unhéritageconséquent.
—Quelledélicateattentiondetapart,Hen,marmonnaPreston.Satanteignorasonsarcasme.—Jene jettecette innocentedans tesbrasqu’à regret,Preston.J’aiaussinoté lesnomsd’autres
femmes,aucasoù.—Hen,voyons,jenesuispasunmonstre!Preston évita consciencieusement de regarder la liste que lui tendait Henry. Parmi ces noms se
trouvaitsafutureépouse,etiln’avaitaucuneenviedeprécipiterleschoses.—D’ailleurs,reprit-il,jenevoispaspourquoicepetitscandaledevraitmeconduireàl’autel.—Cepetitscandale?s’étranglaHen.Réfléchisunpeuàtonpassé:lasaisonn’acommencéque
depuisquelquesmoisettuasdéjàunebellelistedebêtisesderrièretoi.Nousnesommesqu’aumoisdemai!
—N’exagères-tupasunpeu?osa-t-ilrépliquer.Maisàpeineeut-ilprononcécesmotsqu’ilcompritqu’ilétaitallétroploin.—Exagérer?PenseàlafilledelordHoldwin,énuméra-t-elleencomptantsursesdoigts,à lady
Violet,àladySeales,auxjumellesducomtedeDurston…—Celles-cinecomptentquepourune,carjen’aijamaissulesdifférencier!Henledévisageacommesielleétaitsurlepointdeluilancerlathéièrebrûlanteauvisage.—Dois-jeaussiterappelerledébutdelasaison?AveclafilledelordRandall?Prestonseleva,incapabledesupportercesaccusationsensilence.
—Cette tête de linotte n’aurait jamais dûme suivre dans le jardin ; lors du bal donné pour sesdébutsenplus!
— Tu l’as compromise ! hurla Hen, visiblement hors d’elle. Et tu as porté un coup fatal à nosréputations,simplementparcequetuesincapabledetecontrôler.
—Jenel’aipasforcée,objecta-t-ilfroidement,jel’aijusteembrassée.Amesyeux,celanesuffitpasàcompromettreunefemme.Detoutemanière,elleestfiancéeàcetEcossaismaintenant,non?
—Oui,mais ilestàpeinechevalieretn’arienàvoiravecleparticonvenableetrichequeladyRandallavaitchoisi.
Interrompant un instant ses récriminations,Hen remplit de nouveau la tasse deHenry en ajoutantdeuxsucresàsonthé,commeill’aimait.
—Michaelsn’était-ilpaschevalier,luiaussi?demandacelui-cienparlantdudeuxièmeépouxdesasœur.
—Ilétaitbaron.—C’estlamêmechose,murmuralordHenry.Iln’avait jamaisapprouvé lemariageprécipitédeHenriettaaveccethommedont le titreétait si
récentquel’encren’avaitmêmepasencoreeuletempsdeséchersurlesdocumentsofficiels.—Quoiqu’ilensoit,ladyRandallvaavoirbeaucoupdemalàplacersesautresfilles,repritHen
enrevenantadroitementausujet.—Ehbien,ladyRandallauraitdûmieuxsurveillersadébauchéedefille.Jetiensaussiàpréciser
que je n’étais pas le premier : la petite savait très bien ce qu’elle faisait ! Elle a failli baissermonpantalonavantmêmeque…
—Oh!Seigneur!coupaHen.Tun’aspasbesoinderépéterdetelleschoses,Christopher!—Peut-être,maisc’estlavérité,répliqua-t-il.J’aipeut-êtrelaisséentendrequejesortaisfumerun
cigare,mais jene suispas responsable si cettepetite idioteaétéassez stupidepourmesuivreoumeproposerdememontrercequ’elleavaitapprisàl’école.
Amuséparl’expressionhorrifiéedesatante,ilajouta:—Imaginezdoncmasurprisequandj’aidécouvertquesesleçonscomprenaientuncertainnombre
de tours de courtisane. Est-ce ce que l’on apprend aux filles, à Bath ? Je pensais plutôt quel’enseignementétaitconsacréàladanseetàlapoésie.
TanteHen,quiavaitpassétroisansdansl’établissementdeladyEmery,levalesyeuxauciel.—Jenecroispasquecequelesjeunesfillesapprennentàl’écolesoitliéàcescandale.Henry,quin’avaitsansdouteaucuneenviedesavoirquels«tours»sasœuravaitbienpuapprendre
àl’époque,s’empressadechangerdesujet.—Depuisquelquesjours,jenepeuxplusmerendreauWhitesansêtreprisàpartieparunpèreou
unfrèrequiprétendquetuasfaitdutortàl’unedesfemmesdesafamille.Preston,biendécidéànepasse laisser troublerparcesaccusations,poussaunsoupirexagéréet
levalesbrasauciel.—Maintenant,mevoilàresponsabledetouslesdépucelagesdeLondres?—Celanenousmènenullepart,l’interrompitHen.Noussommesicipourdiscuterdecesnoms.Arrachantlalisteàsonfrère,ellelatenditàPrestonavecsadéterminationhabituelle,neluilaissant
d’autrechoixquedes’enemparer.OnnepouvaitrienrefuseràHen,quandelleavaituneidéeentête.D’oùlestroisépoux…Réticent,Prestonjetauncoupd’œilaupapier.Lepremiernomluiparutvaguementfamilier—et
ennuyeux—mais,avantqu’ilnesesouvienneduvisagedelajeunefille,Henreprit:
—Cesdemoisellesnesontpaslàpourquetulesembrasses,ouquetulescompromettes,ouencorequetulesattiresdansunealcôve…
CettedernièreremarquefaisaitdirectementréférenceàladyViolet;cependant,pourladéfensedePreston,ellel’avaitelle-mêmeattrapéparlebraspourl’entraînerderrièrelerideau.Ils’étaitjurédepuisdeneplusjamaistournerledosàunefilledelacampagne—elleavaitunepoignedefermier!
—…ellessont làpourque tu lescourtises.Et tu ferasceladans lebutd’épouser l’uned’entreelles.
Unefoissatiradeterminée,HensecalasurledivanetadressaungrandsourireàPreston,puisàsonfrère.
Tousdeuxsavaientbienqu’unefoisChristophermariéceseraitletourdeHenry.Entantqu’aînée,Henavaittoujoursconsidéréquesonrôleétaitderégnersursonfrèreetsonneveu.
Impuissant,Prestonsoupira.—Etsijerefuse?Asagrandesurprise,cefutHenry,etnonHen,quirépondit.—Nousdéménagerons.Surpris,Prestonjetauncoupd’œilàcethommequiavaittoujoursétépourluiplusunfrèrequ’un
oncle.—Vouspartiriez?—Oui,ditsimplementHen,aussiobstinéequetoutSeldon.Elle avait hérité de l’opiniâtreté de son père, un trait caractéristique qui ne sautait aucune
génération…—Vousm’abandonneriez?demandaencorePreston,mêmes’ilsavaitsaquestioninutile.Ilétaiteneffetdenotoriétépubliquequ’unefoisqu’unSeldonfaisaitunsermentsesmotsétaient
gravésdanslapierre;mêmesiceladevaitleconduireàsenoyerdansunpuitssansfond.—Oui,affirmaHen.Prestonsavaitqu’elleenétaitcapable,toutcommeHenry.Commentpourraient-ils l’abandonner?Ilnerestaitplusqu’euxtrois.LesSeldonétaientpeut-être
obstinés, mais leur famille n’était guère étendue, et Christopher, Hen et Henry avaient toujours étéproches.SononcleetsatanteavaientétélaseulefamilledePrestondepuis…depuistoujours,enfait.
Inquiet, il considéra le grand salon, pensa aux nombreuses autres pièces de cette maison, etfrissonna.SansHenryetHen,celieuseraitfroidetbienvide.Pluspersonnenetraverseraitlescouloirs.Pluspersonnenepartageraitsesrepasaveclui.
Un sentiment qu’il n’avait pas éprouvé depuis de nombreuses années s’éveilla en lui, amer etétouffant. La solitude… Il l’avait oubliée, depuis qu’il était venu vivre avec son oncle et sa tante.Oseraient-ilsvraimentpartir?Non,ilsnepouvaientluifairecela!
Hélas,lessourcilsfroncésdeHenetleslèvrespincéesdeHenryluifirentclairementcomprendrequ’ilsn’hésiteraientpas.
— Tu ne nous laisses pas d’autre alternative, Preston, déclara Hen en se levant et reposant saserviette sur la table.Soit tu temarieset tuprendsuneplace respectableensociété, soitnouspartonsdéfinitivement.
Prestonsavaitd’ailleurs trèsbienqu’ilsenavaient lesmoyens. Ilsavaient tousdeuxhéritéd’unerenteimportantedeleurmère,queHenavaitfaitfructifiergrâceàsestroismariages.Aucund’euxn’avaitvraimentbesoindeluipourvivre.
Et,pourêtrehonnête,lasociéténonplusn’avaitpasbesoindelui.L’aristocratien’hésiteraitpasàlebannirdesesbalsetàleproclamerpersonanongratadanstoutLondres.
Avecunsoupir,iljetaunrapidecoupd’œilàlaliste.—Est-cevraimentlaseulesolution?Denouveau,Henlevalesyeuxauciel.—Oh,Seigneur,Christopher!Qu’est-cequelemariageadesiterrible?—Jenesaispas,marmonna-t-il.Sinousposionslaquestionàtesanciensépoux?
Chapitre3
—Non,celaneconvientpasdutout!déclaraladyEssexenjetantuncoupd’œilparlafenêtredesavoiture.
ElleavaitprévudeconduireHarrietenvilledepuislongtempsetavaitfiniparaccepterqueTabithales accompagne. Peu désireuse d’être laissée de côté, Daphné, en véritable héritière Dale, avaitégalementréussiànégocierpourrejoindrelapetitetroupe.
Mais,pourl’heure,letrajet,quiauraitdûdurerdeuxjoursseulement,s’étaitinterrompuàunebonnedemi-journéede la capitale, au grand soulagement deTabitha—et à songrandmalheur par lamêmeoccasion.En effet,malgré la rapidité avec laquelle elles avaient roulé toute lamatinée, leurs espoirsd’atteindreLondresavantlanuitétaientréduitsànéant.Lesroutesboueusesavaienttellementralentileurprogression que lady Essex avait déclaré qu’il fallait trouver une auberge où passer la nuit, nouvelleaccueillieavecjoieparleurcocher.
—Demain!Jen’arrivepasàcroirequ’ilfailleattendrejusqu’àdemainpourvoirLondres!s’écriaDaphnéenenfilantsapelisseetenrattachantsonchapeaupourqu’ilnes’envolepas.
Tabitha,elle,préféraneriendire.Depuisquesononcleavaitdéclaréqu’elledevaitsemarier,ellecontenaitavecpeinesa rageet sa frustration.Sononcleet sa tante refusaientobstinémentd’écouter lamoindredesesprotestations.
«Tononclea fait lebonchoixpour toi,avaitencoremartelé tanteAllegraavant sondépart.Cethommeades relationsetpourrapeut-êtrehériterd’un titreprestigieux.Penseà tout ceque tupourrasfairepouraidertafamille,tescherscousins!»
Depuislanouvelledelamortd’oncleWinston,BernardetAllegraavaienttraitéTabithaavectantde gentillesse et d’attention — après tout n’allait-elle pas devenir marquise ? — qu’elle en venaitpresqueàregrettersongrenieretsesanciennescorvées.
—Franchement, Tabitha, n’es-tu pas déçue de ne pas atteindre Londres ce soir ? repritDaphnétandisqu’ellestraversaientd’unpasviflacourboueusedel’auberge.Etdelerencontrer?ajouta-t-elledansunsoupir.M.ReginaldBarkworth…C’esttoutdemêmetrèsromantique,non?
TabithadéploraitfortqueDaphnéconsidérâtqu’unmariagearrangéétaitlameilleuresolutionpourtrouver un époux.Quant àM.ReginaldBarkworth, héritier d’unmarquisat ? Il ne pouvait être que leparfaitgentlemanàsesyeux.
Harriet, cependant, se montrait moins optimiste et passait son temps à leur rappeler le destind’Agnès, laplus tristement célèbremariéedeKempton.LapauvreAgnès s’était résolue, lamortdansl’âme,àpassersanuitdenocesavecJohnStakes,unhommequesesparentsl’avaientobligéeàépouser,maislesévénementsavaienttournéàlacatastrophe…
«Agnèsnesavaitriendeshommes»,protestaitDaphnéàchaquefois.«Maisellenesavaitquetropmanieruntisonnier»,répondaitalorsHarrietàvoixbasse.Tout cela ne faisait que troublerTabithadavantage.Que savait-elle des hommes, elle ?Qu’avait
doncditcetodieuxPreston?Quesavez-vousdescapricesdeshommesoumêmedesdésirsqu’unefemmepeutressentir?Rien.Ellen’en savait rien, à l’exceptiondu troublequ’elle avait ressenti en rencontrantPreston.
Lui,sachemiseouverte,sontorsenu,seslargesépaules,sescheveuxchâtainsemmêlésetsesyeuxquibrûlaientd’unfeusidiabolique…
Lesimplesouvenirdecetterencontresuffisaitàluicouperlesouffle.ODieu,cethommepourraitl’emmenerdirectementsurlesentierdelafolie!
De plus, il était seul responsable de ses réticences à l’idée de se marier. Que ferait-elle, siM.ReginaldBarkworthétaitàpeineàmoitiéaussibeauquePreston?
Ellespénétrèrentdansl’aubergeetattendirentqueladyEssexprennedeschambres.—Dis-moiaumoinsquetuesexcitéeàl’idéederencontrertonpromis,souspeinedemedécevoir
infiniment…,insistaDaphné.—Peut-êtreunpeu,admitTabitha.Terrifiéeauraitcependantétéuntermeplusapproprié.—Jemedemandeàquoiilressemble,repritDaphné,avecexcitation.Penses-tuqu’ilserabeau?
Tononcleet ta tante te l’ont-ilsdécrit?Tantqu’iln’apasdegrosseuroudeverrue!C’estaffreuxdedevoir éviter de regarder unbouton sur le front dequelqu’unqui est assis en facede soi.Cela seraitinquiétant,non,s’ilétaitaffublédecegenred’excroissance?
Tandis qu’elle réfléchissait à cette possibilité— en silence, heureusement— Tabitha se renditsoudaincompteque l’alluredesonprétendantavaitété lemoindredesessoucis ;mais,àprésentqueDaphnéavaitévoquélesujet,celas’ajoutaitàlalonguelistedesescraintes.
—Queferas-tu,s’ilestdisgracieux?demandasonamieàbrûle-pourpoint.—Quiestdisgracieux?intervintHarrietquiétaitretournéeàlavoiturepourrécupérersonréticule
etarrivaitderrièreelles.—Le fiancé deTabitha, réponditDaphné.Enfin, on ne sait pas à quoi il ressemble,mais on se
posaitlaquestion.—Oh!ceseraitaffreux!Allons,Tabitha,oublietoutescessornettesetvienst’installeràPottage.
Lemariagen’apportequedesproblèmes—entoutcas,c’estcequedisentmesfrères.Surcettenoteamère,ladyEssexrevintetdéclaraquel’aubergeétait«convenable».L’indomptable
vieillefilleavaittyrannisélepropriétairepourqu’illeurpréparesameilleurechambre,celledotéed’unpetitsalonattenant.
Unefoisparvenueenhautdel’escalier,«loindubrouhaha»commeledéclaraladyEssex,celle-cis’installasursonlitetlaissasestroisprotégéessepartagerlesecond.
Cependant, durant les heures suivantes, Tabitha, incapable de trouver le sommeil, ne cessad’arpenterlachambrecommeellelefaisaitchaquesoirdepuisdeuxsemaines,déchiréeentresondésird’alleràLondresetsescraintesàl’idéedecequil’attendait.
M.Muggins, qu’elle n’avait pu laisser à Kempton, la regardait d’un air curieux depuis le tapisétendudevantlacheminéetandisqueHarrietronflaitdoucementsouslescouvertures.
Daphné, plongée dans la lecture d’un journal ramassé sur l’une des tables de la salle, levafinalementlenezets’inquiéta:
—Qu’est-cequinevapas?TutetourmentesencoreausujetdeM.Barkworth?CommeTabithanerépondaitpas,ellereposasonjournal.
—Voyons,tononcleWinstonnet’auraitcertainementpaspromiseàunhommepeurecommandable,tusais.
—Ilareniémamèrequandelleaépousémonpère…Elleavaittoujoursadorélesrécitsdesamèreausujetdurichelordqu’elleétaitcenséeépouseret
desafuiteromantiqueavecsonpère.C’étaitcela,legrandamour,etnonl’accordfroidetcalculateurquesononcleavaitnégociéavantdemourir!
—Peut-êtrequetononclevoulaitseracheterentetrouvantlefiancéidéal.L’espritpluspratiquequejamais,DaphnésemblaitvraimenttrouverlemariagearrangédeTabitha
trèsprometteur.—Aumoins,ceM.ReginaldBarkworthestunhommebienné,cequinegâcherien,conclut-elle
avantdereplongerdanssalecture.Oui,unhommebiennéquiveutm’épouserpourmafortunesansmêmem’avoirrencontrée…Tabithan’osariendire,maisneputs’empêcherdesongerqueHarriet l’auraitfaitsanshésiter,si
elle avait été réveillée. De toute manière, Tabitha n’avait aucune envie de les entendre débattre unenouvellefoisàcesujet.Elleétaitépuiséeetaffamée.Et,commede juste,sonestomacgargouillaàcemoment-làdanslesilencedelachambre—defaçonsonore!
—Seigneur!murmuraDaphnéenbaissantuninstantsonjournal.D’oùvientcebruit?—C’estmoi,jemeursdefaim…Son amie la dévisagea un instant, l’air surpris. Tabitha, elle, ne parvenait pas à comprendre
commentladyEssex,DaphnéetHarrietparvenaientàsurvivretoutelajournéeenneconsommantqueduthéetdestoasts.
MêmeM.Muggins paraissait nerveux— tout en protégeant jalousement l’os que l’aubergiste luiavaitdonné,sansdoutedecraintequ’ilnemâchonnelestapisdesameilleurechambre.
—Commentpourrais-jedénicherquelquechoseàmanger?Daphné ne répondit pas, visiblement fascinée par l’article de son journal. Au bout de quelques
instants,cependant,ellelevalesyeux.—Commentlesaurais-je?Pèreal’habitudededescendreensalle,etonnousmontedesplateaux,
mêmesijen’ytouchepresquejamais.Jen’aijamaisaimémangerenvoyage…Tabithaacquiesça.Siseulementellepouvaitagirde lamêmemanière…Hélas,safaimnefaisait
qu’intensifiersanervositéetsonappréhension.Résignée,Daphnéreposasonjournalunenouvellefois,etsoupira.—Veux-tuquejedescendeavectoi?Elleadoraitdepuistoujourslesfaitsdiversetlespetitesannonces,toutcommeHarrietdévoraitdes
romans-feuilletons.Tabitharépugnaitdoncàl’arracheràsalecture.—Net’enfaispas,assura-t-elle,profitedetonjournal.—Celaa l’air trèscalme,enbas, réponditDaphnéavecunsignede têteendirectionducouloir.
LadyEssexnepourraitpast’envouloirdedescendreuninstantpourcommanderunsouperrapide.—Penses-tuvraimentquecesoitconvenable?Daphnéhaussalesépaules.—Tu pourrais prendreM.Muggins avec toi, suggéra-t-elle.Aucun homme ne viendra t’ennuyer
aveccefauveàtescôtés;jesuissûrequ’ilferaunbienmeilleurchaperonqueladyEssex…Toutesdeuxéclatèrentderire.Eneffet,leurgardienne,malgrétoutessesrègles,sesexigencesetson
décorum,neseréveilleraitsansdoutepasavantl’aubeetleslaissaitdonclivréesàelles-mêmestoutelanuit.
LeventredeTabithagargouilladenouveauetDaphnéhochalatête,leslèvrespincées.—Tuas l’aird’avoirvraiment faim !Dois-je te rappelerque ladyEssexn’aimepasprendrede
petitsdéjeunersenvoyage,ouas-tudéjàoubliécequis’estpassécematin?CommentTabithaaurait-ellepuoublier?Lagrandedame lesavaitpousséesdans lavoituresans
mêmeleslaissermangerunscone!Ouunetranchedebacon.Ouunmorceaudejambon.Pasmêmeunœufdur…Tabithaallaitarriver
chezsononcleetsatantecomplètementépuiséelelendemain.Queferait-ellesiM.Barkworthétaitdéjà là,en trainde l’attendre?Il risquaitderencontrerune
promiseaffamée,demauvaisehumeuretsansaucuneforce.Lafaimrisquaitmêmedeluifaireperdrelaraison.Elleseraitcapabledel’épousersansréfléchir,
justepoursavourerlerepasdumariage!Cetteidéeeffroyablesuffitàladécider.Elleacquiesçaetsedirigeaverslaporte,immédiatement
suivieparM.Muggins.—Oh!Tabitha,avantdepartir…—Oui?—Pourrais-tumedonnermonécritoire?lapriaDaphnéenmontrantdudoigtlapetiteboîtenoire
déposéeàcôtédesamalle.Tabithalaluiapportaetparcourutrapidementlalonguelisted’annoncesimpriméedanslejournal.—Tuastrouvéquelquechosequimériteunepetiteenquête?—Riendetrèsimportant,réponditDaphné,maiscelapeutvaloirlapeinede…N’achevantpassaphrase,elletiraunefeuilledepapierdesonécritoireetorganisasesplumesavec
sonencrieràcôtéd’elle.Cen’étaitpaslapeined’essayerd’ensavoirplus.Tabithaentrouvritdoncdoucementlaporteetjeta
uncoupd’œildanslecouloirdésert.—Silacompagnien’estpasagréable,jeremonteraiavecunplateau,déclara-t-elle.—Et,siturencontresunbelhomme,tupourrastoujoursexercertescharmes,lançaDaphné.—Jen’aipasdecharmes,luirappelaTabitha.Mais,déjà,sonamien’écoutaitplus,occupéeàprendredesnotes.Sachantqu’ilétaitinutiled’attendreunsignedesapart,Tabithadescenditdanslasalle,M.Muggins
surlestalons,pourdécouvrir,désemparée,lerez-de-chausséesombreetsilencieux.L’oragedelasoiréeavaitpoussétouslesclientsàrejoindrelachaleurdeleurslits.Qu’allait-ellefaire?
Tandis qu’elle s’avançait dans la pièce, elle aperçut soudain un faible halo lumineux au bout ducouloirquimenaitauxcuisines.Quelqu’unétaitencorelà!
Oh!oui,jevousenprie,supplia-t-elleensilencealorsqu’unfaibleparfumderosbifluiparvenait.MêmeM.Mugginslevalatête,sagrossetruffemouilléetendueendirectiondelacuisine.S’il y avait du rosbif, il aurait peut-êtremême du pudding…Pleine d’espoir, Tabitha poussa un
profondsoupir.Dupudding!Pressantlepas,elles’engageadanslecouloirétroit,imaginantdéjàunebelleassiettederosbifet
depuddingfumantedevantelle.Elles’engageadanslepassagequilaséparaitencoredescuisinesmais,aulieudedéboucherdanslapièceéclairée,elleheurtadepleinfouetunhommedehautestaturequiluibarraitlaroute.Instinctivement,elles’agrippaauxreversdesonmanteaupournepastombertandisquel’inconnusaisissaitsatailleafinqu’elleneperdepasl’équilibre.
Troublée,elleeutl’impressiondeseretrouverplaquéecontreunanimalbrûlant.Toutenessayantdereprendrelecontrôled’elle-même,elledécouvritsoussesdoigtsunearmuredemusclessouslavestedelaine.
Ellen’étaitpeut-êtrequ’unevieillefilledeKempton,maislafemmeenellesesentitimmédiatementenveloppéeparuneforcequiladépassaitetquelquechoses’éveillaenelle;undésirqu’elleavaitdéjàressentiauparavant.
Elleessayadereprendresesesprits,desesouvenircommentetpourquoielleétaitarrivéedanscecouloir.Mais l’individunes’étaitpascontentéd’empêcher sachute, il la serrait contre lui, sesdoigtscaressantsondos,enveloppantTabithadesachaleurdanslefroiddelanuit.Unfourmillementenvahitsoncorps,lapoussantàrestercontreluilepluslongtempspossible.Aulieuderetrouversonéquilibre,ellesentitsesjambessedérobersouselle,dansunvertigeinexplicable.
Cettesensation,cettelangueur.Seigneur,toutcelaétaitsi…Familier,songea-t-ellesoudain.Ellelevaalorslesyeuxpourdécouvrirlevisagedel’hommequila
troublaittant—pourlasecondefois.—Vous?s’étrangla-t-elle.Preston.Sous le choc, elle s’écarta, faillit trébucher surM.Muggins et, de nouveau, l’homme tenta de la
rattraper ; mais cette fois elle parvint à retrouver son équilibre seule et évita les mains tendues dePreston.
—Oui,moi,quipourrais-jeêtred’autre?répondit-ilens’adossantcontrelemontantdelaporte,lesbrascroisés.Et,vous,vousn’êtespaslaserveusequidoitapportermonsouper.
—Laserveuse?Certainementpas!ElleavaitdumalàcalmerlesbattementsaffolésdesoncœuretattrapaM.Mugginsparsoncollier,
tantpourserassurerquepouréviterqu’ilnebondissesurl’homme.Mais,apparemment,iln’enavaitaucuneenvie:selibérantd’unmouvement,ils’élançaverscequi
semblaitêtreunpetitsalonprivé—etnonunecuisine—derrièrePrestonets’installaconfortablementdevantlefeu,visiblementinconscientdelatensionquirégnaitdanslecouloir.
Prestonjetauncoupd’œilendirectionduchien,puissetournadenouveauversTabitha.—Non,vousn’êtesdéfinitivementpaslaserveuse.—Etj’ensuisplutôtheureuse,étantdonnéquevoussemblezavoirpourhabitudedelesaborder…Elle se frotta instinctivement le bras, dans l’espoir fou de se débarrasser du souvenir de ses
caresses.—Aborder?demanda-t-ild’unairàlafoisamuséetfierdelui.Bienaucontraire.Ils’approchaunpeu,tournantautourd’ellecommeunrapaceautourdesaproie.—Bienaucontraire,mademoiselle,etilnemeviendraitpasàl’idéedefairecelaavecvous…Soudain,ils’immobilisa,lareconnaissantenfin.—BonDieu!Maisvousêteslapetitemaligneinsolenteetmaigrichonnedecevillage…Petitemaligneinsolenteetmaigrichonne?Commentosait-il?—Mademoiselle…Mademoiselle…Cherchantvisiblementsonnom,illadévisageaitsiintensémentqu’elleeutl’impressiondesentirde
nouveausesmainsaudacieusessurelle.—MlleTimmons,lâcha-t-ellesèchement,réprimantlefrissonquimenaçaitdetrahirsondésarroi.—Ah,oui :MlleTimmons,acquiesça-t-il.Ehbien, sachezque, si j’avais réellementvouluvous
aborder,vousnem’auriezpaséchappé.Une nouvelle fois, un sourire diabolique illumina son visage et, dans la pénombre, ses yeux
brillèrentd’unéclatsardonique.—Etvousn’auriezpasnonplusvoulum’échapper…Malgréelle,Tabithasavaitqu’iln’avaitpastoutàfaittort.
Ellereculadenouveaudequelquespas,maisseheurtaaumur.Ellen’avaitplusnullepartoùfuir…Le regard sans équivoque de Preston faillit la faire défaillir, et elle serait sans doute tombée sans lacloisonfroidepourlasoutenir.
—Oh!vousêtesunvéritable…Aumêmeinstant,unevoixl’interrompitdepuislepetitsalon.—MlleTimmons?Preston,ai-jebienentendudire«MlleTimmons»?Derrière l’épaule de Preston, elle aperçut alors une haute silhouette qui se levait d’un fauteuil
installédevantlacheminée.—MonDieu,maisc’estbienvous!s’écria-t-ilenl’apercevantàsontour.—LordRoxley.Elleauraitdûsedouterqu’ilseraitlà,dansl’ombredesonami—etfutsoulagéeparsaprésence.—Quediablefaites-vouslà?demanda-t-ilenlesrejoignantetensaluantTabitha.Commentsefait-
ilquejevousretrouvesiloindeKempton?Sansattendresaréponse,illapritparlebrasetpassadevantPrestonpourlaconduiredanslesalon
éclairé. Rassurée, elle le suivit, ignorant le regard de l’autre homme qui épiait le moindre de sesmouvements.
Quen’aurait-ellepasdonnépourseretrouveràKempton,loindecedémonauxyeuxdebraise?—Votre tante, ladyEssex,me conduit àLondres, indiqua-t-elle cependant, depeurde trahir son
troubleenrestantmuette.Seulement, elle fut incapable d’achever sa phrase. Elle me conduit à Londres pour que je me
marie.Commentoserait-elleavouerunechosepareille,aprèssadernièrerencontreavecPreston?«Monsieur, sachezque jen’ai jamaiseu l’intentiondememettreenquêted’unépouxetquema
situationmeconvientparfaitement.»Savieavaittellementchangé,depuisqu’elleavaitprononcécesmotsfatals!Pourtant,elleavaitété
sincèreetauraittenusaparolesioncleWinstonnes’enétaitpasmêlé.—MatantevousemmèneàLondres?s’inquiétasoudainlordRoxley.Ilsetournaverslaportecommes’ilcraignaitdevoirladyEssexentreràtoutinstant.D’ailleurs,lepauvrecomteparutsurlepointdesetrouvermallorsquequelqu’unentrabeletbien
danslesalon.Ilétouffaunpetitcrietfermalesyeux.—Seigneur,c’enestfaitdemoi,murmura-t-il,provoquantunimmenseéclatderirechezsonami.—Bonsang,Roxley,reprends-toi:cen’estquelabonne.Encore peu rassuré, il entrouvrit tout de même une paupière avant de lâcher un soupir de
soulagement.Eneffet, la filledecuisinevenaitd’arriver—cellequePrestonparaissaitattendreavectantd’impatience—,ungrandplateauàlamain.
Derrièreelle,ungarçonapparutaussi,portantunsecondplateautoutaussichargé.—Avez-vousbesoind’autrechose?demandalajeunefille—enfin,passijeunequecela,songea
TabithaenlavoyantondulerdeshanchesavecunregardlourddesensendirectiondePreston.—Non, rétorqua celui-ci en jetant une pièce aux deux domestiques, le souper a l’air excellent.
Merci.Le garçon attrapa sa pièce adroitement et disparut avec un sourire, mais la fille, une fois son
pourboireenmain,s’attarda.Troublée par cette scène, Tabitha se souvint alors des conseils deDaphné et lança avec le plus
d’autoritépossible:—J’aimeraisqu’unplateausoitmontédansmachambre,s’ilvousplaît.
La fille de cuisine la jaugea d’un rapide coup d’œil et, devinant qu’elle n’obtiendrait aucunpourboiredesapart,répondit:
— Je suis désolée,mademoiselle.Nous n’avons plus rien en cuisine, il faudra patienter jusqu’àdemainmatin.
Attendrejusqu’aumatin?Désespérée,TabithajetaunregardsurlesplateauxposéssurlatableetvitquePrestonavaitdéjàcommencéàremplirsonassiettesanslemoindremotetsanssesoucierdelaprésencedesautres.
Lajeunefillequittaalorslapièce,sansdoutepourregagnersachambreetnonprépareruntroisièmeplateau.
Pendantcetemps,Roxleys’étaitmisàfairelescentpas,oubliantsonsouper,manifestementinquietdelaprésencedesatanteàl’étage.
—VousvoulezdirequeladyEssexestvraimentlà?reprit-ilauboutdequelques instants,d’unevoixoùlapaniquepointait.Danscetteauberge?Souscetoit?
—Oui,milord,réponditTabitha.Dansunultimeeffort, elle ignora leparfumdu rôti qui s’élevait de l’assiettedePrestonpour se
concentrersurRoxley.—Elledortenhaut;maisjepeuxvousassurerqu’elleneseréveillerapasavantdemainmatin.—Simachancenetournepasd’icilà,murmuraRoxleyenpassantnerveusementunemaindansses
cheveux.Aprèsuncourtsilence,illevadenouveaulesyeuxsurTabitha.—Etvousavezditqu’elleserendaitàLondres?—Oui.Jepensequ’elleal’intentiondelogerchezvous,lançaTabitha,distraiteparPrestonquise
servaitunesecondetranchederôti,et—oui—unegénéreusepartdepudding.M.Mugginsaussidutsentirl’odeurdelaviande,carils’approchadelatableetattendit,assiset
parfaitement immobile,avecunedocilitésurprenante,quePreston lui jetteunmorceauderôti—qu’ildévoraensuiteavidement.
Tabithapoussaunsoupird’envieets’arrachaàsacontemplationpourpoursuivreladiscussion.—Elleaprévudevousdemanderdel’héberger.Souvenez-vous,Harrietl’amentionnéladernière
foisquenousnoussommesvus.L’airdeplusenplustendu,lecomtecontinuaitd’arpenterlapièced’unpasvif.—Oui…Oui, jem’en souviens…Celam’avait échappé. Je ne sais pas pourquoi, avoua-t-il en
s’arrêtantuninstant.Jevoussuisredevable,mademoiselleTimmons;vraimentredevable.Iljetaunrapidecoupd’œilàlatable,mais,visiblement,lefaitquelerôtidisparaisseàvued’œil
étaitlecadetdesessoucis.—Preston, je vais avoir besoin d’un toit pour…MademoiselleTimmons, combiende tempsma
tantecompte-t-elleresteràLondres?—Deuxsemaines,jepense.Roxleyacquiesça,puisreprit:—Jesuisnavrédem’imposerdecettemanière,monami,maisjet’aiaccueillil’andernier,quand
Henryestrentréd’Irlande.—Oui,oui,réponditPrestonavecunmoulinetimpatientdesafourchette,maissilavieillevientte
chercher…— Cela m’étonnerait qu’elle vienne frapper à ta porte, assura Roxley avant de ramasser son
manteau,sonchapeauetsesdiverseffetspersonnels.
Prestonlevalenezdesonassiette,interrompantbrusquementleva-et-vientdesoncouteauetdesafourchette.
—Quediablefais-tu?—Jevaismecacher.Jedoism’enfermerdansmachambre; jenepeuxpasprendre le risquede
rencontrermatantedanslescouloirs.Sijamaisellemetrouveici—pireencore,entacompagnie—j’enentendrai parler pendant des mois ! Et je ne pourrai certainement pas m’échapper durant ces deuxsemaines,ajouta-t-ilavecunfrisson.Ellevoudraquejel’escorteenvillepourfairelesboutiques,allerauthéâtre,dansdessoirées…
IlsetournarapidementversTabitha,etunéclaird’épouvantetraversasesyeux.— Seigneur ! Peut-être même voudra-t-elle m’emmener à Almack ! Il vaudrait mieux que nous
partionstôt,dèsl’aubeenfait.Acesmots,Prestonreposasescouvertsbruyamment.—Tunepeuxpasmontermaintenant.Tusaisbienquej’aihorreurdedînerseul.MaisRoxleyavaitdéjàgagnélaporte,sansmêmesaluerTabitha.—Tun’espasseul:MlleTimmonsestarrivéeàpointnommé.Tous deux se tournèrent vers elle.Le regard deRoxley était suppliant, celui dePreston, froid et
sceptique.—MademoiselleTimmons,repritlecomte,sivousvoulezbienprendremaplace…—Souperaveclui?—Avecelle?Leursvoixsefirentéchoet,surpris,tousdeuxsedévisagèrentuninstant,avantdeseretournervers
lecoupable.— Bon Dieu, Roxley ! Es-tu un homme, oui ou non ? s’écria Preston en se levant et, jetant sa
serviettesurlatable.Fuirunrepasdécentett’enfermerdanstachambredepeurdecroisertavieillefilledetantedanslecouloir…
Roxleyparuthésiterquelquessecondes.—Jenefuispas.Jecroisseulementquej’aiprisfroid.Ilétayasonargumentparunéternuementquineconvainquitpersonne.—Roxley,c’estridicule!Cen’estqu’unevieillefemme,pasunchefdeguerrebarbare.Assieds-toi
etmange.Lecomte,loindeparaîtretroubléouinsulté,soutintsonregard.—Aimerais-tuquejediseàHencequetufaisais,cematin,enpleinecampagne?Sijemerappelle
bien,nousavonsdûnousleveravantl’aubepourluiéchapper.Tabithasuivaitcetéchange,stupéfaite.Quiquesoitcettemystérieuse«Hen»,elleavaitlepouvoir
d’effrayerl’indomptablePreston.IlfronçalessourcilsetserassitlourdementsursachaiseavantdefairesigneàRoxleydequitterle
salon.—Danscecas,vas-yetcache-toitantquetuveux,maislaisseHenendehorsdetoutcela.Etsache
quejenetepardonneraijamaisdem’avoirabandonnécesoir!—Biensûrquesi!Detoutemanière,jesuistonseulamipourlemoment.RoxleysetournaalorsenfinversTabithaetserrasesmainsdanslessiennes.—Merci, chèremademoiselle Timmons, de tenir compagnie à Preston àma place. Il aurait été
d’unehumeurexécrabledemainsansvotreprésence.Jevousseraiéternellementredevabledevotreaide.Tabithalibérasesmains,priseaupiègedecettepromessemuettequ’onluiavaitarrachéedeforce,
etexaminabrièvementlapetitepiècesiintime.ElleetPreston,entêteàtêtepoursouper?C’étaitsi…
Soudainprisedepanique,ellerattrapaRoxleyparlamanche.—Milord, ne partez pas, ce serait inconvenant ! Je suis une jeune femme respectable, fille de
vicaire.—Toutàfait,renchéritPreston.TulaissesunagneauàlamerciduliondeHarleyStreet.Tuseras
tenupourresponsable,Roxley.Hélas,samenacetombaàplat.—Tudevraissavoirquejenesuisjamaistenupourresponsabledequoiquecesoit,Preston.Deplusenplusterrifiée,Tabithalesregardaittouràtour.Ilsdécidaientdesonsortdevantellesans
mêmeprendrelapeinedeluidemandersonavis.—Jeneresteraipasseuleiciavecce…ce…Incapable de trouver un terme approprié, elle indiqua Preston du doigt— qui eut l’aplomb de
paraîtreoffensé.—Seigneur,mademoiselleTimmons,jen’aipasl’intentiondevouscompromettre!—Nevousenfaitespas,ilsaitsetenir,lorsqu’oncommenceàleconnaître,ajoutaRoxley.Vraiment?Unhommesedéfinissantcommeun«lion»pouvait-ilsecomportercorrectementavec
unefemme?C’étaitfortpeuprobable,etTabithan’avaitdetoutemanièreaucuneconfianceenlui.—J’ai toutsimplementhorreurdedînerseul, lançaPrestonenhumant levinquireposaitdansla
carafe.Apparemment,ilenfutsatisfaitcarilseservitunverre.—Cela neme regarde pas, répondit fermement Tabitha en dépit du parfum enivrant du rôti qui
faisaitgargouillersonventredemanièrefortpeuconvenable.Etait-elle énervée par la faim, ou par les fermes déclarations de Preston qui lui assurait qu’elle
n’avaitrienàcraindredelui?Qu’est-cequin’allaitpaschezelle,pourqu’ilrefusedel’ajouteràsalisteprobablementlonguede
conquêtes ? Et pourquoi se posait-elle toutes ces questions ? Avait-elle envie de faire partie de soncatalogue—oudeceluiden’importequelhomme?
Elle était destinée à épouser unhomme respectable, dignede sa vertu et de sonhonnêteté. Si cesatanéPrestonnevoulaitpasd’elle,c’étaitdoncplutôtunebonnenouvelle…
Ou,dumoins,celaauraitdûl’être.—Mademoiselle Timmons, reprit Roxley, je puis vous assurer que vous êtes en sécurité avec
Preston:ilvousadonnésaparole.Deplus,ilmesemblequecerepasal’airexcellent,etj’imaginequevousêtesaffamée,aprèsavoirvoyagétoutelajournéeavecmatante.
Tabitha serra les dents. Il avait raison sur ce dernier point ; mais de là à manger seule avecPreston?
—C’estunetrèsmauvaiseidée,protesta-t-elle.Ou,dumoins,celaauraitdûl’être.Hélas,elle fit l’erreurde regarderencoreune fois leplatdepuddingentaméet sentit sesbonnes
résolutionsfondrecommeneigeausoleil.Lacroûteferaitunbruitsidouxsoussafourchette…Profitantdesonhésitation,Roxleyavaitdenouveaurejointlaporte,maiss’immobilisaaudernier
moment.—MademoiselleTimmons?Vousneparlerezpasdenotrerencontreàmatante,n’est-cepas?Tabithahésita,gênéeàl’idéedementir,maisRoxleyluiadressaunsourirecharmeur—comment
résisteràcethomme?
D’ailleurs, lady Essex répétait cela sans cesse : son neveu, tout vaurien qu’il était, ne perdraitjamaissaplaceensociétécarpersonnenepouvaitrésisteràsonsourire.
—Jeneluienparleraipas,milord,maissielledécouvrequejeluiaimenti…—Cen’est pas unmensonge, pas tant qu’elle nevousposepas directement la question, objecta
Prestonensepenchantdenouveausursonassiette.Detouteévidence,ilconnaissaittrèsbienledondepersuasiondesonamietn’imaginaitpasunseul
instantqueTabithapuisseremontersecouchersanspartagersonrepas.Nonqu’ilparûtraviàcetteidée.Seuleunebouchéesupplémentairederôtiluiredonnalesourire.Laviandeétait-ellevraimentsibonne?Ellenepourraitlesavoirqu’en…—MademoiselleTimmons,suppliaRoxley,vousconnaissezmatante.Oh!Seigneur!Entresafaimdévorante,l’odeurdubœufetdupuddingquiluidonnaitdesvertiges,
etlecharmedeRoxley,elleétaitincapablederéfléchirposément.—JenedirairienàladyEssex,promit-elle,l’espritailleurs.Roxley fut immédiatement soulagé et, sur un rapide salut, quitta la pièce, se précipitant dans sa
chambrecommes’ilavaitétépoursuiviparunbataillonarmé.Et,d’unecertainemanière,c’étaitlecas…
***
—Eh bien, qu’attendez-vous ? lança Preston dès que Tabitha se retrouva seule avec lui en lui,indiquantlachaiseplacéeenfacedelui.
Quellecourtoisie!Maisqu’attendred’autredelapartdecevoyou?Pensait-elleréellementqu’ilétaitcapabledeseconduireengentleman?
—Vousdevezavoirfaim,ajouta-t-il.—Pourquoidites-vouscela?—Parcequejenevoisaucuneautreraisonpourquevousvouspromeniezseuledansuneaubergeà
cetteheure-ci.Ils’interrompituninstant,puisreprit:—Et puis, vous ne semblez pas du genre à quitter discrètement votre chambre pour taquiner la
bouteille.—Oh!s’écriaTabitha,choquée.Jeneboispas!Monpèreétaitun…—Oui,oui,unvicaire,vousl’avezdéjàdit,répondit-ild’unairabsentenjetantuncoupd’œilau
boldepurée.Instinctivement,elles’avançad’unpas.Seigneur,c’étaitunepuréedenavets!Commentavait-elle
punepaslavoirplustôt?Levantlesyeux,ellesurpritPrestonentraindeladévisager,unpetitsouriredessinésursesjolies
lèvres.Oui,ill’avaitpercéeàjour,etillesavaittrèsbien.—Pourêtrehonnête,voussemblezavoirbesoind’unbonrepas,déclara-t-il.Uneétrangelueurdeconsternationtraversauninstantsesyeuxmais,trèsvite,ilretrouvasafroideur
habituelle.—Asseyez-vous.C’est encore chaud et je ne tiens pas à faire des amabilités toute la soirée en
attendantquecelarefroidisse.Cela dit, il entreprit de remplir une nouvelle fois son assiette de purée et dévora le tout avec
l’appétit…d’unlion.
Ilnesemblaitdéfinitivementpasprêtàlaprierdesejoindreàlui,tirersachaiseetluiservirlesmorceauxfinscommeleferaitungentleman.
CommeleferaittrèscertainementM.ReginaldBarkworth…Deplus,ilétaittoutàfaitimprobablequecethommehonorableetestimé,choisiparoncleWinston
pourl’épouser,eûtosésuggérerdedînerseulavecunejeunefemmedansunsalonaussiintime.Cegenredesituationpérilleusequipourraitlacompromettreauraitsansdouterebutésonfiancé,fût-ilàlaplacedePreston.
Mais l’homme assis en face d’elle ne semblait pas s’en soucier. Elle l’examina brièvement : cegenredechosesdevaitêtremonnaiecourante,pourlui,etcettesoiréeneparaissaitpasletroubleroutremesure.
Oh!siseulementellen’avaitpasfaimaupointd’enperdrel’esprit!Elleregardaencoreuninstantsonbeauvisage,sesyeuxsombresquiscintillaient—telsdesraisinssecsaumilieud’ungâteau—,etcompritquelafaimn’étaitfinalementpeut-êtrepaslaseulechosequil’avaitretenue.
Elle inspira profondément dans l’espoir vain de se calmer.Dire que, depuis deux semaines, elleavait passé son temps à se répéter que tout ce qu’elle se rappelait de cet homme— sa beauté, sasilhouettemusclée,largeetpuissante,quil’avaitlaisséeauborddel’évanouissement—n’étaitqu’uneillusionfantaisiste,unevisiondéforméedelaréalité.
Seulementvoilà,ilétaitdenouveaufaceàelle,aussibeauquedanssessouvenirs.Heureusement,cettefois,ilavaitgardésachemise—etsonveston!Saveste,quantàelle,avaitéténégligemmentjetéesur le dossier d’une chaise. Chaque fois qu’il parlait, sa voix grave prenait des accents profonds,dangereux,commesisesinflexionsétaientcapablesdeseglissersouslapeaudeTabithaetd’yéveillertoutessortesdepenséesinconvenantes.
Pourtant, il luiavaitfaitunepromesse:«MademoiselleTimmons, jen’aipasl’intentiondevouscompromettre.»
Celadevaitavoirunecertaineimportanceàsesyeux,non?Pisencore,lesplatsencoreentierssurladesserteetcelui,bienentamé,posésurlatablelaissaient
soupçonner lavérité : lescuisinesavaientcertainementbeletbienétévidéespourPrestonet ellen’ytrouveraitsansdoutepaslemoindrecroûtondepainniunetassedethé.
Encoreeût-ilfalluqu’elleréveillelabonne…Siellevoulaitmanger,elleallaitdoncdevoirsupporterlaprésencedePreston.Etilavaitaumoinsraisonsurunpoint:rienn’étaitpirequ’unsouperfroid,ouquemangerseul;
elleyavaitétécontraintesuffisammentsouventdepuislamortdesonpèrepourlesavoir.Finalement,endépitdesescraintes,elledécidades’asseoirenfacedulion.
***
Prestonn’auraitjamaisdûproposeràcetteinnocentedemoiselledelerejoindreàsatable.Seule.Danscesalond’aubergesombreetaccueillant.Henauraitétécapabledel’écorchervif,sielleavaitétélà.
Mais,enmêmetemps,sielleavaitétélà,iln’auraitpaseuàsubirunetelleépreuve.Oui,ilauraitdûrenvoyerMlleTimmons,cependant,ildétestaitlesrepassolitaires.Ilhaïssaitcela,
àtelpointquelasimpleidéedevoirHenetHenryquittersamaisonetlelaisserlàaveccommeuniquecompagniecelledesesdomestiquesetsonmajordome,Benley,l’avaitpousséàsetenirtranquilledepuisplusieurssemaines.
Etvoilàoùcelal’avaitmené.Affronterundînersolitaire—affreuseperspective—ourisquerlescandaleensoupantavecMlleTimmons—situationatrocementennuyeuse…
S’arrachantàsespensées,ilregardalademoiselleenquestion.Elleneressemblaitdécidémentpasà toutes ces prétendantes au mariage qui avaient fait de son existence un enfer depuis le début duprintemps.Aencroiresesmâchoirescrispéesetsessourcilsfroncés,ellen’avaitrienencommunavecces filles de Bath qui faisaient de leur mieux pour l’entraîner dans une situation déshonorante dansl’espoirdelepousseraumariage.
Non,cetteMlleTimmonsnepartageaitaucundeleurscharmes.Elleétaitmaigrichonne,portaitunerobe sombre mal coupée et d’une laideur accablante ; elle grimaçait trop et passait son temps à leconsidéreravecunairdeméfiancedédaigneuse.
Finalement, mieux valait qu’elle le traitât comme cela plutôt qu’elle jetât sur lui les regardsgourmandsqu’elleréservaitpourl’instantaurôtidebœuf…
Ilnerisquaitvraimentpasd’êtreséduitpardesyeuxdeveloursetdesbattementsdecilsdelapartdecettefemme.
Enfindecompte,lefaitqu’ellenelevoiequecommeunjoueurodieuxetunindividuauxmœursdissoluesn’étaitpeut-êtrepasunmal.Iln’avaitpasnonplusàcraindrequ’elleparleàquiquecesoitdecette soirée, une fois parvenue à Londres.Une demoiselle comme elle ne se vanterait jamais d’avoirpartagéunrepasentêteàtêteavecunfêtardinvétérécommelui.
Paselle.Paslarespectablefilled’unvicaire…S’appuyantcontreledossierdesachaise, ilcompritsoudainqu’elleétaitsansdoutelameilleure
compagnedetablequ’ilpûttrouver.Enfin,peut-êtrepasparfaite,maisentoutcasmeilleurequeRoxley,quibuvaittoutlevinetvidaitsystématiquementleplatdepuddingcommes’ilnefaisaitquecollectersondû.
Entoutehonnêteté,ildevaitadmettrequ’ilappréciaitledédainetl’absencededocilitéflatteusedeMlle Timmons. Même sa manière de lui parler, froidement et sur un ton hautain, et sa manière deprononcer«MonsieurPreston»,commesisonnomseulpouvaitentachersaréputation,l’amusaient.
Ilaimeraittellementpouvoirêtreprésentlejour—proche,puisqu’elleserendaitàLondres—oùelleapprendraitlavérité,neserait-cequepourvoirsatête.Dansunparc,oudurantunbal,quelqu’unlatireraitpar lamancheet lemontreraitdans la foule, comme il avait vudes femmesaccomplies et desjeunesfilleslefairebiensouvent…
«Machère,cethommeestleducdePreston,lepiredébauchédeLondres.Evitez-leàtoutprix.»Sans doute le dévisagerait-elle avec insistance avant de comprendre, mortifiée, qu’elle s’était
montréesiarroganteetprétentieusefaceàunduc.Biensûr,ellenepourraitenparleràpersonne,ellesesentiraittrophonteuse…Cetteidéelefitsourire.Seigneur,celarendaitMlleTimmons,avecsesremarquesimpertinenteset
sonregardsombre,parfaiteentoutpoint!—Croyez-moi,jenesuispasplusheureuxquevousd’avoiràpartagercerepasavecvous,lança-t-
ild’unevoixlégère,savourantl’expressiondeplusenplusferméedesoninterlocutrice,maisjecrainsquevousnesoyezcontrainted’acceptermoninvitation.
Elle s’était assise sans unmot et inspectait les différents plats comme un homme qui choisit sespistoletsenvued’unduel.
Plusamuséquejamais,Prestonsecalaconfortablementsursachaise.—Allons,quelestleproblème?Cesouperestvraimentexcellent.—Oui,celasembledélicieux,seulement…Ellegigotad’unairgênésursonsiègeetdétournaleregard.
—Seulementquoi?Qu’est-cequinevapas?Ilexaminaunenouvellefoislesplats;quelquechoseavaitdûluiéchapper…MaisMlleTimmons
nelequittaitpasdesyeux.— Je n’ai encore jamais dîné seule avec un homme. A part mon père, bien sûr. Si jamais cela
s’apprenait…C’étaitdonccela:saréputation!Sansdouteétait-celeseulbienqu’ellepossédait.Pauvrechaton.Alorsqu’ill’observaitencoin,unedouleurfamilières’éveillaenlui,lamêmequi
l’avaitpousséunjouràramenerchezluiunpanierdechatons—justement—envahisdepucesqueHenavaitimmédiatementprisenhorreur.
C’était sa faiblesse, et Roxley le savait pertinemment lorsqu’il l’avait poussé à manger avecMlleTimmonsafindelanourrirunpeu.
Ilnepouvaitlaquitterdesyeux.Elleestmaigre,susurrasaconscience,personnenedoits’occuperd’elle.
Luttant contre ses instincts protecteurs, il se replongea dans son assiette, résistant au désir deremplircelledesonhôte.Aprèstout,iln’étaitpasresponsabledecettefille.
—Qu’ya-t-il?Pasderemarquedésobligeante?Pasdeplaisanteries?s’étonna-t-ellesoudain.Surpris,ilsursauta.Combiendetempsétait-ilrestésilencieux?—Non,pasdutout.Jepensaissimplementquejen’avaisjamaismangéaveclafilled’unvicaire,
doncnoussommesquittes.Cetaveuneparutpasapaiser lademoiselle ; aucontraire, elle fronça les sourcilsdeplusbelle.
Queldommagequ’ellen’aitjamaisapprisàsourire…Puisqu’elleneseservaitpas,ilallaitdevoirlefaire.Ilcoupadoncunetranchederôtiqu’ildéposa
dans la seconde assiette avant d’entreprendre de la remplir de légumes.Après tout, peut-être que sesmanièresrevêchesn’étaientduesqu’àlafaim.
—MademoiselleTimmons,reprit-iltoutens’activant,puisquevousn’avezpasl’intentiondevousmarier,vousn’avezpasbesoindeperdrevotretempsàvoussoucierdevotreréputation.
Elleouvritlabouche,pourprotestersansdoute,maisill’enempêchaenajoutanttrèsvite:—Etvouspouvezavoirconfiance : jenevaispas racontercettesoiréeàmesamis,ni la rendre
publiquedanslesgazettesàscandale.Dîneraveclafilled’unvicaire…Toutlemondepenseraitquejemesuisrangé!
Illustrantsonproposparunsoupirexagéré,ilseservitàsontourunenouvelletranchedeviande.—Jenesaispassijedoismesentirsoulagéeouinsultée,monsieur,répondit-elle,lesyeuxbaissés
surl’assietteabondammentrempliequ’illuiavaittendue.—Sivousvoulezmonavis,optezpour«soulagée»etmangez : lebœufestdélicieux.Deplus,
vous ne ressemblez pas aux autres jeunes femmes que je connais et j’imagine que vous ne vous êtesjamaislaisséguidervotreconduiteparquiquecesoit.
Sous ses sourcils froncés, ses yeux s’illuminèrent d’un éclat offensé. Elle penchait donc pour«insultée».
—Oh!neminaudezpasavecmoi,ajouta-t-ilfermement.Jedisaiscelaenguisedecompliment.Peut-êtreserait-elleplusavenantesiellebuvaitunpeudevin.Ildécidadetentersachance,même
sielleluiavaitpréciséqu’ellenebuvaitpas.—Jevousenprie,mangezvotresouper.Jevousassurequetoutestexcellent.Sansunmot,ellepritsescouvertsetpicoraunepetitebouchée.Celadutluiplaire,carellesemità
mangeravecappétit,dévorantsonplatcommesiellenes’étaitpasrassasiéedepuisdesannées.Auboutdequelquesinstants,sonassiettefutpresquevideetelleseresservitunesecondepartdepudding—la
plusgrosse.MêmeRoxleyn’auraitsansdoutepasoséseservirautant.Prestonneputréprimerunsourireavantdecontinuersonproprerepas.
Que c’était agréable ! Les vieilles filles… Seigneur, personne d’autre n’avait-il remarqué leursattraits?SiLondresenétaitrempli,aulieudecespestesenquêtedemariage,ilnesedisputeraitpeut-êtrepasperpétuellementavecsononcleetsatante.
Au bout de quelques instants de silence, il jeta un coup d’œil au chien, qui surveillait la tablecommelemeilleurdeschaperons,etluilançaundeuxièmemorceaudeviande.
Ilsefaisaittoujoursunpointd’honneuràamadouerleschaperons;celalesincitaitàfermerlesyeuxaumomentopportun.
—Votreanimala-t-ilunnom?Ellelevalesyeuxdesonassietteetregardasonchiencommesielleavaitoubliésaprésence.—M.Muggins,répondit-elle.— M. Muggins, murmura-t-il en gratifiant l’animal d’un troisième morceau de bœuf. Race
inhabituelle,maisilal’œilvif.—C’estun terrier irlandais.Unétameur l’a laisséà laparoissequandiln’étaitqu’unchiotet je
n’aipaseulecœurdelechasser.Prestonacquiesçaensilence.Ainsi,ilsavaienttoutdemêmequelquechoseencommun…Préférant
nepasypenser,illançauneautretranchederôtiàlabête.M. Muggins la dévora, puis s’approcha de quelques pas et s’allongea, la tête sur ses pattes,
dévisageantPrestondesesgrandsyeuxsombresavecuneexpressiond’adoration.— Il ne vous lâchera pas d’une semelle si vous continuez à lui donner votre souper, protesta
MlleTimmons.—Jepenseplutôtquec’estmoncharmequiopère,assuraPrestonavecunclind’œil.J’aitoujours
euundonpourattirerlesincorrigibles.Ellene répondit queparunhochementde tête si désapprobateurquemêmeHenn’aurait su faire
mieux.MaisHenn’auraitpasrougicommeMlleTimmons…Amoins que ses joues ne se soient colorées sous l’effet du vin.Après tout, elle s’était accordé
quelquesgorgéesquandellepensaitqu’ilnelavoyaitpas.Oui,celadevaitêtre levin.Commentpourrait-il fairerougirunetellefemme?Unpeutroublé, il
baissalesyeuxetposalapremièrequestionquiluivintàl’esprit:—Parlez-moidevotrevillage,ceKemptonetsamalédiction.Quepouvez-vousm’endire?Visiblement,ilavaitchoisiladiversionparfaite.MlleTimmonssemblaitaimersonvillagedetout
soncœuret,enécoutantsonrécit, ilenvintpresqueàenviersapetiteviecampagnardeconfortableetcalme,sonimplicationdanscetteSociétédevieillesfilles—quelquesoitsonnom…
Ilsesurpritmêmeà rireenapprenant les frasquesdes jumellesTornadeet leurcampagnemenéepour changer la couleur d’une banderole en dépit des refus de lady Essex, horrifiée que l’on puissebouleverserunetelletradition;unpeucommeHenetsonamourpoursonsalonrouge.
Auboutd’unmoment,ileutenvied’unenouvelletranchederôtietbaissalesyeuxsursonassiettepourladécouvrirdéjàremplie.
Roxleyet luin’étaientpartisquepourune journéeetnes’étaientpasencombrésdedomestiques.Habitué comme il l’était à avoir un valet prêt à le resservir sur un signe de tête, il n’avait pas prêtéattentionàgrand-chosependantlerécitdeMlleTimmons.Aprésent,ilremarquaitque,toutenparlant,elleavaitremplisonassiette,sonverreetavaitmêmereplacélesplatsdemanièrequesespréféréssetrouventjusteenfacedelui.
Cesquelquesinstants,sipaisibles, luirappelèrent lessoupersdesonenfance,quandsonpère,samère, ses frères et sœurs se rassemblaient pourpartager un repasbruyant.Samère et sa grande sœurs’appliquaientalorsàluiservirsesmorceauxfavoris.Toutcequiluimanquait,cesoir,étaitlebavardageemplissant lapièce,et laguerreéternelleentreFélixet luipoursavoirquidécouvrirait lemorceaudesucrecachésousl’unedestassesàthé—unpetitjeuquesonpèreaffectionnait.
Ileutsoudainl’impressiond’apparteniràquelquechosedeprofond,quiledépassait.Et,sicelanesuffitpasàlebouleverser,laquestionsuivantedeMlleTimmonsyparvintsansmal.
—Oùvivez-vous,monsieurPreston?—Oùjevis?bafouilla-t-il,prisdecourt.—Oui,oùrésidez-vous?insista-t-elleenposantsescouvertspourcroiserlesbras,lesyeuxfixés
surlui.—Ehbien,àLondres,évidemment!—Etvousvivezseul?—Non,certainementpas.Peuàpeu,lessouvenirsflousdecesrepastantaimésàOwleParks’évanouirent.Detouteévidence,saprécipitationdutintriguersacompagnecarelleledévisageaplusintensément,
commesiellecherchaitàdécouvrirtoussessecrets.—J’habiteavecmononcleetmatante,ajouta-t-ildonc.Voilàquisatisferaitsansdoutesacuriosité.Oupas.—Etapprouvent-ilsvosfrasques?LasimpleidéedevoirHenetHenryapprouverquoiquecesoitchezluilefitéclaterderire.—Non,paslemoinsdumonde,répondit-il.—Dites-moi,quefaites-vousdanslavie,monsieurPreston?Ellesecalacontreledossierdesachaiseenattendantsaréponse,toutenjetantunregardd’envie
surlerestedupudding.Décidément,elleétaitcommeRoxley!Prestonallaitvraimentdevoirtrouverdescompagnonsunpeumoinsportéssurlepudding.
— Ce que je fais ? répéta-t-il, surpris, tout en faisant glisser la dernière part de pudding dansl’assiettedeTabitha.
Faceàcetteattention,elleesquissaunpetit sourireétonnéet timideet, l’espaced’un instant, sonvisage abandonna son expression de vieille fille aigrie. Sa transformation avait quelque chose destupéfiant,depresqueséduisant…
UnesueurglacéeparcourutPreston.Séduisant?Peut-êtreavait-ilbutropdevin.—Oui,reprit-elleaprèsquelquesminutes,cequevousfaites.Votretravail.Untravail?Personnen’avaitencoreoséluiposercettequestion!Faceàsonsilencestupéfait,elledutcroirequ’iln’avaitpasentenduoucompris saquestion,car
elleinsista:—Votretravail,voussavez;cequevousfaitespourassurervosrevenus.Aidez-vousvotreoncleet
votretante,puisqu’ilsonteulabontédevousaccueillir?Abasourdi,ilreposasescouvertsetlaregardauninstant.—Vousplaisantez,j’espère.Mais elle n’esquissa pas lemoindre sourire, toute droite sur sa chaise comme seule une fille de
vicairesavaitlefaire.—Non,jeneplaisantepasdutout.—J’imagine,oui…
Ilseresservitunverredevin.Cen’étaitpasétonnantquesonpèrel’aitconfiéeàladyEssexpourqu’ellel’emmèneàLondres:elleavaitvraimentbesoind’apprendrelesbonnesmanières.
Son père… C’était peut-être le sujet idéal à aborder pour éviter les questions trop intimes deMlleTimmons.
—Quepensevotrepèredevotrevoyage? lança-t-ildonc.Allez-vousluimanquerpendantvotreséjourencompagniedeladyEssex?
Ilavaitdemandécelaavecunecuriositésincère,maisregrettaimmédiatementsaquestionenvoyantlajeunefemmepâliretdétournerlesyeux.
—Monpèreestparti,murmura-t-elle.Ilestmortd’unemaladiecardiaqueilyatroisans.—Jesuisdésolé.Etvotremère?Vousaccompagne-t-elleaussiàLondres?Lajeunefemmelevalesyeuxsurluietsecouatristementlatête.—Mamanestmortede suettequand j’avaiscinqans.Beaucoupdepersonnesont succombéà la
maladie,cetteannée-là,jenesaispassivousvousensouvenez…S’ensouvenir?Prestonsentitsagorgeseserrerdouloureusement. Il laregardaencoreuninstant.
Biensûrqu’ils’ensouvenait.Ilsavaitexactementdequelleannéeelleparlait.Cette année-là, la suette avait emporté toute sa famille. La maladie avait détruit son foyer si
chaleureux,qui,jusque-là,avaittoujoursétérempliderires,d’amouretdesourires.Ilavaittoutperdu…Lorsquesongrand-pèreétaitenfinarrivéàOwlePark,Prestonétaitleseulsurvivantdelamaison,
abandonnéparlesquelquesserviteursquin’avaientpasétécontaminés.—Jesuisnavrée,reprit-ellegentimenteneffleurantsamaindesesdoigtschauds.Jepeuxvoirque
vousavezété…—Mesparentssontmortsdelasuette,cetteannée-là,lâcha-t-ild’unevoixétranglée.Jamaisencoreiln’avaitparlédecelaàquiconque.Jamaisiln’avaitévoquécejourfataloùilétait
passédelordChristopheràl’uniquehéritierdesongrand-père.Sesparentsn’avaientpasétélesseulsàsuccomber,sesfrèresetsœurs lesavaientsuivis :Freddie,Félix, ladouceetbonneDove,etmêmelapetiteLydia.Ilsavaienttousdisparu,partisenunclind’œil.
PresqueplustroubléparlacaressedeMlleTimmonsqueparsessouvenirs,ilretirasamain,loindecettedouceur,decettechaleur,decettegentillesse.
Loindes’enoffenser,MlleTimmonsrepritlescouvertsdeserviceetluiremplitunenouvellefoissonassiette.Ileutpeurdelavoirinsistersurlesujet,maiselleeutletactdediresimplement:
—Monpèrerépétaittoujoursquelavieétaitfaitepourêtrevécue,paspourpleurerceuxquel’onperd.
Elles’interrompituninstant,etlevaversluiunregardempreintdemélancolie.—Maisilmemanquetoujoursautant.—Jevouscroisaisément. Il semblaitêtreunhommesage, répondit-ilen récupérantsonassiette.
Vivez-vouschezdesparents,àKempton?—Oui.Après lamort demonpère, son jeune frère s’est installé au presbytère. Je vis avec son
épouseetlui.—Aumoins,vousavezquelqu’unpourprendresoindevous.Lasituationauraitpuêtrebienpire.—Oui,j’imaginequeoui…Acesmots,ellesedétournadenouveau,ignorantlerepasquirefroidissaitdanssonassiette.
***
Tabithasentitsoncœurs’emballer.Cethomme,qu’elleconnaissaitàpeine,n’avaitpasbesoindesavoirquesononcleetsatantel’enfermaientdanslegrenieretnelalaissaientsortirquepourrécurerleschenets.Avantqu’ilnepuisseluiposerd’autresquestions,ellerevintàsonsujetdedépart:letravaildePreston.
Ou,visiblement,sonabsencedetravail.—Dites-moi,monsieur,quefaites-vousdanslavie?Jenecroispasvousavoirentenduenparler.
***
Preston hésita un instant, puis décida de lui servir le genre de réponses qu’il réservait à Henryquandcelui-cicommençaitàluiparlerdesesresponsabilités.
—Pourêtrehonnête,j’enfaislemoinspossible.Toutcommesononcle,elleneparutpasapprouveret,biencaléeaufonddesachaise,ledévisagea
d’un air dur. Décidément, il ne fallait surtout pas qu’il la présente à Hen et Henry : ces trois-làrassemblésseraientredoutables!
—Tousleshommesn’ontpasbesoindetravailler,mademoiselleTimmons,protesta-t-il.Mais,aprèstout,pourquoidevait-ilsedéfendre?Illuisuffiraitdedireàcettefemmequiilétaitet
elleneluiposeraitplusdequestionsimpertinentes,n’oseraitmêmeplusdardersurluiceregardsévère.Nicessourirestimidesetsicharmants…Avantqu’iln’aiteuletempsdesepersuaderquecesinstantslégersneletroublaientenrien,elle
poursuivitsondiscoursmoralisateur,chassanttoutessesémotions.—Unhommedevraitaumoinsavoiruneactivitépouroccupersontempssouspeinede…de…De nouveau, elle rougit un peu, les mains fermement plaquées sur ses genoux tandis qu’elle
cherchaitsesmots.Peut-êtremêmeessayait-elledesesouvenirdessermonssévèresdesonpèrepour les lui réciter.
Maisilachevasaphrasepourelle.—Souspeinedemeneruneexistencedepéchésetderegrets?Cesermon-là,illeconnaissaitdéjàparcœur.—Exactement,répondit-elleenbuvantunelonguegorgéedevin.Alorsqu’elleavalaitsonmadèregoûteux,sesyeuxs’écarquillèrentuninstant.Avait-elleoubliéque
sonverreétaitremplid’alcooletnond’eau?Quoiqu’ilensoit,ellelereposarapidementsurlatable.Amusé,Prestonluilançasonplusgrandsourireetsepenchaversellepourmurmurer:—MademoiselleTimmons,jeneregretteraijamaisunbonpéché.Abasourdie,elleledévisagea,laboucheentrouverte.Lorsqu’ellesereprit,elleétaitredevenuela
vieillefilleoffenséeetaustèrequ’ilavaitrencontréeàKempton.—Jamaisjen’oserais…Unbonpéché?Unetellechoseexiste-t-ellevraiment?—Sivousavezbesoindeledemander,c’estquevousn’avezpasencoretrouvécetteperlerare…
Chapitre4
Tabithan’encroyaitpassesoreilles.—Cequevousditesestscandaleux!s’écria-t-elle.Unpéchéestunpéché.Enfaced’elle,sondiaboliquecompagnonhochalatête.—VousnetrouverezjamaisvotreplacedanslabonnesociétédeLondres,sivousvouscramponnez
àdetelsprincipes.— Je suis certaine que tous les cercles n’ignorent pas la préséance et les bonnes manières,
monsieurPreston,répondit-ellefroidement.Acesmots,ilaffichaunsourirepresquegentil.—Peut-êtrebien.Peut-êtrebien?Quevoulait-ildire?Etpourquoiluiparlait-ilcommeàuneenfantquel’ontentede
persuaderqu’iln’yapasdesorcièresdansleplacard?IlexistaitbeletbiendesgensrespectablesàLondres;desgenscommesononcleetsatante.Etdes
gens comme sonpromis,M.ReginaldBarkworth.TanteAllegra lui avait dit qu’il venait de l’unedesmeilleuresfamillesd’Angleterreetqu’ilsecomportaitentoutecirconstanceenparfaitgentleman.
Elleseredressaetcroisalesbras,dansl’espoirdesedonnerunecontenance.—Avez-vousdéjàsongéquevotrepropreméprispourlesconvenancesinfluaitsurlecercled’amis
quivousentoure?Sielleavaitespéréquesapetiteleçonsurlesvaleursmoralessuffiraitàeffacerlesouriresatisfait
dePreston,elles’étaitlourdementtrompée.— Bien sûr que j’y ai pensé, mademoiselle Timmons, répliqua-t-il d’une voix légère, mais
n’importequelleautrecompagnieseraitennuyeuseàmourir.—Toutdemême,unpeud’ennuiauseind’unesociétéconvenablenevousferaitsansdoutepasde
mal.—Nonmerci !coupa-t-ilavecunpetit rirehautain.Croyez-moi,cesderniers temps, j’aieumon
contentd’embarras.Envérité,jepréfèreRoxleyetsesamis—oumêmevous.Stupéfaite,elleledévisageasanscomprendre.—Moi?—Oui,vous,murmura-t-ilensepenchantverselleau-dessusdelatable,avecsonsourireleplus
charmeur.Du moins, c’est ce qu’elle pensa. A vrai dire, aucun homme n’avait encore jamais tenté de la
séduire…
Et, lorsqu’il laregardaitaveccette intensitéqui lui laissaitcroirequ’elleétait laseulefemmeaumondeavecqui il eûtenviedepartagerun repas, soncœurbondissaitdans sapoitrineet toute raisonsemblaitl’abandonner.
Pisencore,ilsemblaitn’avoiraucuneintentiondemettrefinàcedélicieuxtourment.—Vousn’êtescertainementpasassommante,poursuivit-il, toujours souriant,ni convenable.Vous
savez,unefemmecommevousnedevraitpasêtreautoriséeàsemêleràlabonnesociétédeLondres.Ellerestasansvoixdevantcetteinsultesoudaine,puisserecula,ledosplaquécontreledossierde
sachaise.—Pourquoipas?bafouilla-t-elle.Qu’est-cequin’allaitpas,chezelle,pourqu’illuidisedetelleschoses?—Toutsimplementparcequevousparlezfranchement.Vousneressemblezpasauxfemmesquej’ai
rencontrées.Pourêtrehonnête,j’aimeraisquevousnechangiezjamais.Puisilattrapatranquillementlatarteauxpommesetcommençaàlacouper.Tabitha,elle,demeuramuette.Elleauraitvoulurépondre,maisaucunmotnesortaitdesabouche.«Vousneressemblezpasauxfemmesquej’airencontrées…»Peut-être était-ce le vin, ou les trois — quatre, en fait — portions de pudding qu’elle avait
englouties qui lui faisaient entendre des choses… En tout cas, les paroles de Preston la laissèrentinterditeetentièrementsoussoncharme.
Ellenepouvaitdétachersonregarddelui,lesoufflecourt.Luinonplusneressemblaitpasauxhommesqu’elleavaitrencontrés;mais,enmêmetemps,elleen
avaitsipeuconnu!Etait-elleréellementbonjugeenlamatière?Soudain,unequestionvintlahanter.Sonfiancéserait-ilcommePreston?Aussisophistiqué?Aussi
finetmusclé?Beauetsidésinvolte?Serait-ilcapabledefairebattresoncœuren luimurmurantdesparolesosées?
TabithaTimmons,tufilesunmauvaiscoton,soufflalapetitevoixdelaraisonenelle.Cethommeest un goujat ! Il charme les femmes avec ses paroles mielleuses, et puis… avant que l’on puisseprotester…onseretrouvecompromise.
Prised’unsoudainélandepanique,ellejetaunrapidecoupd’œilàM.Muggins,pourdécouvrirsonchaperon profondément endormi. Rassasié par le rôti, il ronflait joyeusement sur le tapis, une patterégulièrement saisie de soubresauts comme s’il rêvait d’immenses champs remplis de faisans et deperdrixàchasser.
Elleseretrouvaitdoncseulefaceàcethommedangereux.Dansquelle impasses’était-elle laisséentraîner?Prestoncherchait-ilvraimentàlaséduire?
Cependant, auboutdequelques secondes, il releva la tête et elle comprit immédiatementqu’elleavaiteutort.
—Celadit,affirma-t-ilplusfroidement,sivousallezenvilledansl’idéedecorrigerlesmanièresdetousleshommesquevousycroiserez,vousnetrouverezjamaisdemari.
Tabithasentitsoncœurs’arrêteruninstant.Direqu’elleavaitcruquelepuddingavaitfaitperdreàPrestonsonarroganceetsessourirescondescendants!
—Et,honnêtement,jen’aijamaiscruunesecondequelesfemmesdevotrevillagenevoulaientpassemarier, reprit-il avant demordre à pleines dents dans une part de tarte et de pousser un soupir decontentement.J’imaginequelesdemoisellesdeKemptonseserventdecelapourbernerleshommesnaïfsetlestraîneràl’autel.
—Quelleidéeridicule,etvulgairepar-dessuslemarché!parvint-elleàbalbutier.Aucunepersonnesained’espritnepourraitcroireàcettehistoiredemalédiction.Cen’estqu’unvieuxcontequia isolé
notrevillagedesonvoisinage.—Oui, lesmalédictions ont souvent cet effet, répondit-il en riant et en levant sonverre dans sa
direction.— Peut-être mais, s’il y a peu de mariages à Kempton, cela n’a rien à voir avec cette vieille
légende:ilyasimplementtrèspeudegentlemenauvillage.—Pénuriedeprétendants,hein?dit-ilensecouantlatêted’unairfaussementnavré.Danscecas,
j’aieudelachancedem’ensortirindemne.—J’aiditquenousmanquionsdegentlemen,pasdegoujats,monsieurPreston,rétorqua-t-elleen
levantsonverreàsontour.Jepeuxvousassurerquevousnecouriezaucundanger.—Ah,ah,ah,mademoiselleTimmons,voilàdenouveauvotrefranchisemaladroite!Maisl’éclatapprobateurquibrillaitdanssonregarddémentaitletonsévèredesavoix,sibienqu’il
était impossible de savoir ce qu’il pensait réellement, ou s’il avait compris qu’elle avait cherché àl’insulter.
—JecomprendsmieuxpourquoivosamiesetvousvousrendezàLondres,àprésent,reprit-il.Peut-êtremêmedevrais-je faireparaître une annoncedans leTimes : «Attention à tous les gentlemen tropconfiants…»
—Nesoyezpasridicule!Ignorantsesprotestations,ilpoursuivit:—Comprenez-moi,jemesentiraiscoupablesivousparveniezàensorcelerl’undemesamisgrâce
àvosgrandsyeuxinnocentsetqu’onleretrouve,aulendemaindumariage,avecuntisonnierdanslecœurcommelepauvrehommedontRoxleym’aparlé.Comments’appelait-il,déjà?
—Sonnomn’aaucuneimportance,répliqua-t-elle.Le fait que John Stakes soit connu au village n’avait fait que donner plus de crédibilité à la
malédiction auxyeuxdeshommesdeKempton…Et auxyeuxde tout le comté, ainsi qued’unebonnepartiedusud-ouestdel’Angleterre.
—Unebonnefoispourtoutes,affirma-t-elle,jenevaispasàLondrespourytrouverunépoux.Aprèstout,cen’étaitpasfaux:ellen’avaitrienà«trouver»,puisquel’hommeavaitdéjàétéchoisi
parsononcle.Sonpromisl’attendait,préparépourellecommeuncadeaudeNoëllaisséprèsdel’âtre.Néanmoins,leregarddePrestonlatroublaittoujoursautant.Ellepritsonverredevin,maispréféra
lereposersansboire.Voilàcequiarrivait,lorsquel’ondînaitavecdesvoyous!Riendebonnepouvaitenressortir—Prestoncachaitpeut-êtremêmeunearmedanssespoches,commentsavoir?
—Vousn’yallezpaspourtrouverunépoux?répéta-t-il,visiblementsurpris.Danscecas,pourquoidiablevoyagerjusqu’àLondres?
Tabitha hésita un instant. Il lui fallait trouver une explication crédible si elle voulait éviter lesquestionsindiscrètesdecethomme.
—LadyEssexl’aexigé.SadamedecompagnieesttombéemaladeetelleademandéàMlleDaleetmoi-mêmedel’accompagnertandisqu’ellevoyageaitavecMlleHathaway.
Encore une fois, ce n’était pas loin de la vérité. La dame de compagnie de lady Essex étaiteffectivementmalade.C’étaitd’ailleurscelaquiavaitpermisàDaphnédeprendresaplace…
Etelle-mêmen’allaitpasàLondrespourtrouverunépoux,songeaTabitha.Déterminéeànepaslaissercethommela troublerdavantage,elleseredressaetregardalefauve
quisetenaitfaceàelledanslesyeux,lemettantaudéfidemettresonhistoireendoute.Nonpasqu’ellesesouciâtdecequ’ilpouvaitpenser…Celan’avaitaucuneimportance.Pourtant,elleneputserésoudreàluidirelavérité;peut-êtreparcequ’elle-mêmeavaitencoredu
malàadmettrelefaitqu’elleallaitbientôtsetrouvermariée—etmariéeàlahâte.
—Vouspouvezmecroire,mademoiselleTimmons,vousaurezdumalàsupporterunséjourdedeuxsemaines à Londres en compagnie de ce vieux dragon de lady Essex. C’est là que réside la vraiemalédiction,àmesyeux,ironisa-t-ilavantderetourneràsatarteauxpommesavecenthousiasme.
Unetartequiparaissaitvraimentdélicieuse…Pourquoineluienavait-ilpasencoreproposéunepart?Lesbonnesmanièresl’exigeaient,pourtant.Ildutsurprendresonregardd’enviecar,avecunnouveausourire,ilfitglisserunmorceaudetarte
danssonassiette;sonairmoqueurpointaitdéjàdenouveau.Prenantlesdevants,ellechangeadeconversationdansl’espoirdedétournersonattention:—Pourquoiavez-vousinsistéàcepointpouravoirdelacompagnieetnepasdînerseul?Son air surpris, qu’il dissimula rapidement, piqua sa curiosité. Avait-elle touché une corde
sensible?—Cen’estqu’unehabitude,déclara-t-il,riendeplus.Surce,ilsereplongeadanssondessertavecunintérêtexagéré.Et elle-même n’allait pas à Londres pour se marier, songea-t-elle soudain, saisie d’un soupçon.
Hélas, elledemeura silencieuse trop longtemps,permettant àPrestond’orienter la conversation surunterrainplussûr.
Plussûrpourlui,entoutcas.—Sivousnecherchezréellementpasd’époux…—Eneffet,insista-t-elle,catégorique.—Jemepermettraipeut-êtredevousinviteràdanser,sinousnouscroisonsdenouveau,lâcha-t-il,
affectantl’aird’unseigneurquiaccordeuneimmensefaveuràl’undesesserfs.Semoquait-ilencore?—Jenelesouhaitepas,dit-elle,plustroubléequejamaisàcetteidée.CefutautourdePrestondeparaîtreétonné.—Pourquoidonc?—Jepensaislaréponseévidente.—Paspourmoi,répliqua-t-ilenposantsafourchetteetens’accoudantàlatable,lesdoigtscroisés.
Sivousnedésirezpaschercherunmari,pourquoinedanseriez-vouspasavecmoi?Cette invitation, si abrupte, la prit au dépourvu. Traversée par un frisson glacé, elle reporta
instinctivementleregardsurlesmainsdePreston—desmainssilarges,simasculines…Danseravecluil’obligeraitàtenirl’uned’elles,peut-êtremêmelesdeux;ellelessentiraitalorsl’envelopper,laguider,lafaireglisseraumilieudesautrescouplesdedanseurs.
—Jenedansepas,rétorqua-t-elleprécipitamment.—Biensûrquesi!Il la couva d’un regard inquisiteur, comme s’il cherchait un défaut qui aurait justifié son refus,
quelquechosequil’empêchaitphysiquementdedanser.—Quand on vit à Kempton, on n’a pas besoin de leçons de danse, expliqua-t-elle donc. Nous
occuponsnotretempsdemanièreplusutile,commeletravailquejefaisaveclaSociété.—Quellesociété?Seigneur,nel’avait-ildoncpasécoutée,depuisledébutdurepas?Leshommes!Sonpèreavaitété
exactementpareil.—Jevousl’aidéjàdit:laSociétédetempéranceetd’améliorationdeKempton.Apparemmentloindesesentircoupable,ilhaussalesépaulesetcontinuaàmanger.—Nousdistribuonsdespaniersauxvieillesfillesduvillage,pourfaciliterleursdernièresannées,
etnousaidonslespauvres.Nousplantonsdesfleursaucimetièreet,biensûr,nousorganisonslebaldu
solsticed’été.—Aha!s’exclama-t-ilàlamentiondubal.Vousvoyezbien:vousdansez!—Non,répondit-ellefroidement.Engénéral,jemecontentedem’occuperdusaladierdepunchet
desuperviserlapréparationdusouper.Acesmots,Prestonfermalesyeuxetpoussaunsoupirexagérémentdésemparé.—C’estunevéritablecatastrophe.Etes-vousentraindemedirequevousnesavezpasdanser?—Si,quelquesreelsetdesdansescampagnardes,maisjenelesaijamaispratiqués.—Commentlesconnaissez-vous,alors?—Seigneur,monsieurPreston,arrêtezdem’interrompre!s’écria-t-elleencroisantlesbras.Cet homme était exaspérant ! Quelle importance, si elle dansait ou non ? Mais, en voyant ses
sourcils froncés et ses lèvres pincées, elle comprit soudain qu’il continuerait à se montrer aussiinsupportabletantqu’iln’obtiendraitpasderéponseàsesquestions.
—Jelesaipratiqués,maispasavecungentleman,confessa-t-elledoncenbaissantlesyeux.Voilà.Elleluiavaittoutdit.N’osantpascroisersonregard,ellerepritsafourchetteetengloutitungrosmorceaudetarte,bien
moinsdélicieusetoutàcoup.Preston l’avaitpousséedansses retranchementspour lui faireavouer l’undesessecrets lesplus
honteux:lefaitqu’ellen’étaitqu’unecampagnardemaldégrossie…—Cettefameusemalédictionvousinterdit-ellededanseravecdesgentlemen?demanda-t-ilaprès
uncourtsilence.Biensûr,ilnemanquaitpasdesemoqueretdelatournerenridiculepourl’humiliertotalement!—Non,biensûrquenon,balbutia-t-elle, lagorgenouée.Maisquandonsaitque riennepeuten
découler…Lavéritéétaitbienamère,maisTabithanepouvaitl’ignorer;surtoutàprésentqu’elleétaitloinde
Kempton.Cesoir,toutesleschosesauxquellesellen’avaitjamaisaccordéd’importancejusque-là,peut-êtreà tort, comme ladanse, les robeséléganteset leshommes, rendaient sonvoyageàLondres—oùl’attendaitsonpromis—deplusenplusangoissant.
Mais,soudain,Prestonprononçaquelquesmotsencoreplusalléchantsquelatarteauxpommes,lepuddingoulerôti,quelquesmotsquiluicoupèrentlesouffle:
—Sivouslesouhaitez,jepeuxvousapprendreàdanser…
***
Ces paroles— « je peux vous apprendre à danser »— jaillirent des lèvres de Preston et, toutcommelorsdesonaccidentàKempton,ileutl’impressiondechuterlatêtelapremièredansunfossé.
S’ilavaitpuretirersapropositionetl’enfermerauplusprofonddelui-même,làoùétaitsaplace,ill’auraitfait.Jepeuxvousapprendreàdanser!Aquoidoncpensait-il?
C’étaitencorepirequed’avoirproposédedanseravecelles’ilssecroisaientdenouveau.Biensûr,iln’avaitditcelaqueparbontédecœur,pourlaremercierd’avoiracceptédedîneravec
lui.Saufqu’unepart de lui-mêmedoutait.Etait-il vraimenthonnête ?Danser avec lui n’était pasune
faveurauxyeuxd’unedemoiselle,plusmaintenant…Peut-êtreaurait-ilpusevanterd’êtreunbonparti,autrefois,maiscen’étaitpluslecasdepuislongtemps.
Non,s’illuiavaitproposédeluiapprendreàdanser,c’étaitseulementparcequelavuedel’assiettepresque vide deMlle Timmons lui avait fait comprendre que la soirée allait bientôt s’achever. Il ne
faisait que s’agripper désespérément à quelque chose que, pendant des années, il avait cru perdu àjamais.
OwlePark.Sa famille.Voilà longtempsqu’il n’avait paspensé à tout cela, en tout cas, pas sanschasserimmédiatementcessouvenirstropdouloureux.
CetteMlleTimmonsdevaitêtreunpeusorcière,carilluiavaitsuffides’asseoirenfacedeluipourque sa famille lui paraisse vivante à nouveau.Accessible.C’est pour cela qu’il ne pouvait la laissers’échappermaintenant.Pasencore…Pastantqu’iln’auraitpasdécouverttoussescharmes.
Cetteidéeluiarrachaunfrisson.Non,peut-êtrepastoussescharmes.CegenredesituationétaitlaraisonpourlaquelleHenetHenryluienvoulaient.Mêmesipersonneneledécouvriraitjamais…Oui,peut-être.Aprèstout,l’aubergeétaitsilencieuse,vide,etpersonnenepourraitlesvoir.Si,ilyavaittoujoursquelqu’unpourlesurprendre,illesavaitbien.Ilobservasacompagne,assise
enfacedelui.Qu’enpenseraitHen,siellelarencontrait?Mlle Timmons et sa franchise, ses manières campagnardes ; sa sévérité et ses opinions bien
tranchées.MlleTimmons,sonappétitvoraceetsoninnocencedigned’unereligieusecloîtrée…Queluiétait-ildoncpasséparlatête,quandilluiavaitproposédeluiapprendreàdanser?Ne fais pas cela,mon vieux.Cette fois, il ne s’agit pas d’un chaton abandonné ou d’un chiot
errantauborddelaroute,maisd’unejeunefemme.Elleétaitdelamêmeengeancequecesmenacesenmousselinequiavaientfaitdeluiunpariadelasociétélondonienne.
Cependant…Commentnepas l’aider?Il luidevaitbienquelquechose,pour la remercierdecetaperçufanédesonpasséqu’elleluiavaitoffertsansmêmes’enapercevoir.
Etpuis,lorsqu’elleluiavaitfaitcetteterribleconfession—n’avoirjamaisdanséavecunhomme—,sesyeuxnoisetteluiavaientclairementsignifiécombiencetaveuluicoûtait.
Cependant,quellesqu’aientétélesintentionsdePreston,MlleTimmonsn’avaitpasnonplusbondidejoiefaceàsaproposition.Aucontraire,ellesecontentaitdeledévisagercommes’ilétaitdevenufou.
C’étaitpeut-êtrevrai,aprèstout.Iljetaunregardsursonverredevinvide.Mauditsoitl’excellentmadèredecetteauberge!Mauditsoit lepuddingqu’ilavaitmangétropvite,et l’abandondeRoxley!C’étaitàcausedecelaqu’ilperdaitàprésenttoutbonsens.
Oui,àbienyréfléchir,toutétaitlafautedeRoxley.—Bien,dit-ilpourtantenselevant,maintenantquevousavezapprisàmangeravecungentleman,il
vousfautapprendreàdanser.Voilà.Ilnepouvaitplusreculer.Ilneluirestaitplusqu’àluitendrelamainetattendrequ’ellela
prenne.Elleeutunehésitationdeplusetjetaunregardautourd’elle,commesielles’attendaitàcequele
scandalefondesurelletelleunecolèredivine.Maisriennesepassa.Leplafondnes’écroulapasetlechienneremuamêmepasunepatteendépit
delaproximitédePrestonavecsamaîtresse.Tuparlesd’unchaperon!Peut-êtreM.Mugginssecontentait-ildefermerlesyeuxparcourtoisie,
unefaveuraccordéed’unchasseuràunautre.Oubienpeut-êtreavait-ilcomprisquePrestonavaitpromisdenepascompromettreMlleTimmons,
cequiétaitvrai.Ilpritdonclasituationenmain,saisitdoucementlepoignetdelajeunefemmeetl’aidaàserelever.
Endépitdesonappétitimpressionnant,elleétaittrèslégère—non,plutôtmaigreetmalnourrie—soussonaffreuserobe.
Seigneur,personneneprenait-ildoncsoind’elle?Ilfermalamainsursesdoigtsrudesetcalleux,semblablesauxdoigtsd’unebonnedecuisine.
Surprisparcettedécouverte,ill’examinaplusendétail.Elleparaissaitabandonnéedetous—plusesseuléequ’unchatonsansmère.
Sansdouteremarqua-t-ellesasurprise,carelledétournaleregardettentavainementdelibérersamain;maisilétaittroptardpourdissimulercettepreuvedeslourdstravauxqu’elledevaitaccomplir.
Lagorgenouéeparl’émotion,ilauraitvoululalâcher,maisilenétaitincapable.—Iln’yapasdemusique,protesta-t-elleencore.Bonsang,elleavaitencorevraimentbeaucoupdechosesàapprendredelavie!— La danse n’a pas grand-chose à voir avec la musique, vous savez. Le plus important est
d’apprendreàsuivrelespasdevotrepartenaire.Elleeutunhaussementd’épaulesagacé,maisneditmot.Etait-elleoffusquéeàl’idéededevoirle
«suivre»?Illedécouvritrapidement,etàsesdépens.Eneffet,ladocilitén’étaitpaslepointfortdeMlleTimmons—cedontilsedoutaitunpeu.Jamais
encoreiln’avaitdanséavecunejeunefemmeaussipeuconciliante.—C’estimpossible,grommela-t-elleensecognantpourlasecondefoisàlatable.Sansmusique,
nousavonsl’airridicule!Elleparaissaitprêteàbondirsurlaportepours’enfuir,maisPrestonn’avaitaucuneintentiondela
laisserfaire.—Jen’aijamaisl’airridicule,répondit-iltranquillement.Toutenparlant,ilglissasamainsurlahanchedesapartenaireetl’attiraplusprèsdelui.C’étaitun
mouvement intime, très intime,et l’espaced’uninstant ilss’immobilisèrent, lesyeuxdans lesyeux.Endépitdeleursdisputesetdeleurséchangeshouleux,lorsqu’ilsseretrouvaientl’uncontrel’autre,leurscorpss’accordaientnaturellement…
Prestonavaitdéjàdanséavecdesdouzainesdefemmes,peut-êtremêmedescentaines,maisaucunen’avaitparulecompléteràcepoint.Lecompléter?MlleTimmons?C’étaitabsurde!Apeinel’avait-ilprisedanssesbrasqu’ilvoulutlarepousser.
Voulut,maisfutincapabledelefaire.Pendantcetemps,MlleTimmonsessayaittantbienquemaldeselibérerdesonétreinte.Prestonl’ignoraettintbon.Iltapotadoucementlerythmedesonpiedetcommençaàfredonnerun
air, plutôt fort et assez faux, avant d’entamer cette leçon absurde et de faire virevolter la demoisellestupéfaitedanslesalon.
Aprèstout,qu’avait-ilàcraindre?Cen’étaitqu’uneleçondedanse,riendeplus.Il lui fit faire le tour de la pièce deux fois, puis trois, en dépit de la raideur de sa partenaire.
Désespéréparsonmanquedecoopération,ilfaillitabandonner,maissoudainunmiraclesurvint…MlleTimmonséclataderire.Justeaprèsluiavoirbrutalementmarchésurlepied.Sous le coup de la douleur, Preston sautilla un instant sur un pied tandis que la jeune femme
continuaitdeglousser.Finalement,ilretrouvasonéquilibreetlarattrapafermement.Ils’immobilisa,sanslalâcher,sansplussesoucierdesesorteilsenfeu.—L’avez-vousfaitexprès?lança-t-il.Voussavez,unedamenedoitjamaisagirdelasorte.Celane
sefaitpas,mademoiselleTimmons,pointfinal.—Sivousledites,répondit-elleavecunsouriremalicieux.Maiscelanel’empêchapasderecommencer.Deuxfois.
—Cen’estpasconvenable!s’exclama-t-ilenlalâchantpoursoulagersonpied.Mêmelechienlevalatêteausondesavoix.Onauraitpresquecruqu’ilcompatissait…Peut-être
était-cepourcelaqu’iln’avaitpasprotégésamaîtresse,plustôt:ilsavaitdequoielleétaitcapable!—Jecroyaisquenousdevionsdanser,lenargua-t-elleenchassantunemèchedecheveuxtombée
devantsesyeux,quiretombasursonépauleenuneboucleauburnsoyeuse.—Jedansais,corrigea-t-il,ignorantlabeautédecesimplegeste.Vous,voussembliezdéterminéeà
metorturer!—Sivousn’aimezpasmamanièrededanser,alorsvousn’auriezpasdûtant insister,répliqua-t-
elle,leregardbrillant.—Insister?Cettefemmeétaitdécidémentbienloindelavérité.—Sivousvouleztoutsavoir,jen’aijamaiseuàinsisterpourqu’unefemmedanseavecmoi,bien
aucontraire.Acesmots,elleéclataderireunenouvellefois,commesic’étaitlachoselaplusamusantequ’elle
aitjamaisentendue.—Oh!MonsieurPreston,n’exagérezpas,pouffa-t-elle.Vousnecompteztoutdemêmepasmefaire
croirequecesdamesn’attendentquevousdanslesbals?Exaspéré,Prestonfaillitprotester,maisilseretint.Celaavaitétélecas,dumoinsjusqu’àcesderniersmois,etilauraitaiméleluipréciser.Hélas,àprésent,quandilentraitdansunesalledebal—uniquementparcequeHenavaitpoussé
l’hôtesseàl’inviter—presquetouteslesfemmesluitournaientledos;ilneluirestaitdorénavantquecellesquiavaientunetropmauvaisevueouuneinfirmitéquilesrendaientsuffisammentdésespéréespourlespousserverslui.
Enfacedelui,MlleTimmonspoursuivitsondiscours,déterminéetblessant.—Quoiqu’ilensoit,monsieur,jepensequevousdevriezoubliervosrêvesdedevenirprofesseur
dedanse…Sonrêve,biensûr!Queltristejour,celuioùleducdePrestonenseraitréduitàapprendreàdanser
auxvieillesfillescampagnardes,etoùilfailliraitlamentablementàcettetâche.Cette pensée aurait dû suffire à le faire fuir, mais un autre événement survint, qui lui fit
définitivementoubliersonpiedenflé.MlleTimmonsritdenouveau, l’enveloppantdesonrirecristallin.Oui,ellesemoquaitde lui,et
semblaittrèsamuséeparsatentatived’enseignement.—Ah,j’imaginecela:M.Preston,professeurdedanse.Etes-vouscertaind’avoirassezd’orteils
pourcela?Personnen’osait jamaissemoquerdelui,dumoinspasenface.L’espaced’uninstant, ilsesentit
troubléparcemanquedebonnesmanières.Onnesemoquaittoutsimplementpasd’unduc.Puisl’atmosphèrebasculadutoutautout.LeriresiirrévérencieuxdeMlleTimmonseutenfinl’effet
escompté,endépitdelaraideurdePreston:ellefinitparlefairerireàsontour.—Sachezquejesuisconsidérécommeunexcellentdanseur,machère.Du moins quand on ne le traitait pas avec mépris. Hélas, cela ne suffit pas à calmer
MlleTimmons…—Quellebonnenouvellepourmoi,danscecas.—Commentcela?demanda-t-ilentirantsursabottepourlareplacer.—Sivousêtesconsidérécommeunexcellentdanseur,personneneserachoquéparmonmanquede
talent.
Sesyeuxsombresbrillaient,sabouchesetordaitenunepetitemouesensuelle—sansdouteparcequ’elles’efforçaitderetenirsonrire—etelleplaçalesmainssurseshanches,pleinementsatisfaitedesadernièresalve.
Commentosait-ellesemontrersiprésomptueuse,sirude,siaudacieuse?Prestonprituneprofondeinspiration;elleledéfiait,ilétaithorsdequestiondebaisserlesarmes.Jamaisiln’avaitfui.
Illissasonveston,levalatêteetluipritdenouveaulamain.C’étaitàprésentunduelentreelleetlui.
—Nous n’avons pas assez de place pour danser ici, dit-elle, cessant de rire. Que pensez-vouspouvoirm’apprendredansunlieusiétriqué?
—UnesalledebaldeMayfairn’offriraitpasplusdeplace.ALondres, jeseraisobligédevoustenircommececi,ajouta-t-ilenl’attirantcontrelui.
Samaladresselafittrébucheretelletombalourdementdanssesbras.SapoitrinesepressacontreletorsedePrestonendépitdeseseffortspaniquéspourretrouversonéquilibreet ilsentitses jambes,àtraversl’étoffedesesjupes,contresacuisse.
Lemiracleseproduisitalorsunesecondefois.Tandisqu’ilssemettaientenplace,ils’aperçutdelaperfectionde leurscorps l’uncontre l’autre,quiserépondaientcommes’ilsavaientétéfaitspourêtreréunis. Lentement, il leva les yeux et croisa le regard de Mlle Timmons, illuminé par une formed’émerveillement.
Elleavaitdûsentirlamêmechose,carsonvisagetroublétrahissaitsespensées.Troublé,oui,maispasseulement…Unéclatdepassioncouvaitaufonddesesyeux,plusbrûlant
queceque l’ons’attendait àvoirchezunevieille fille.Unepassionquiauraitdû s’éteindrechezelledurantsesannéesdesolitude.
Mais, une fois encore, Mlle Timmons ne ressemblait pas aux autres femmes. Ses lèvres roséess’entrouvrirentetelleplongeasonregarddanslesien,commesiellesavaitexactementcequiallaitsepasser…Et,denouveau,ChristopherSeldon,ducdePreston,seretrouvaitpiégédansunesituationquinepouvaits’acheverqueparunscandale.
Chapitre5
Seigneur,commentcettesoiréeavait-ellepuenarriverlà?Prestonavaitbeauluiavoirpromisqu’ilne la compromettrait pas, il était pourtant en trainde la serrer contre lui, dans le salon silencieux.Lesoufflecoupé,Tabithasentitlapaniquelagagner.Ilallaitl’embrasser!
Ettun’asjamaispromis…Non,ellen’avaitrienpromis.L’espritconfus,elletentadeseraccrocherauxderniersfragmentsde
bonsensqu’elleavaitencore.Quefaire,àprésent?Courirsemblaitl’optionlaplussensée.Partirleplusloinpossibledecedébauché!Maiscommentfuir,quandsespropresjambesrefusaientdebouger?Quandtoutsoncorpstremblait
—d’anticipation?QuandsesmainsrefusaientdelâcherlevestondePreston?Quandsesyeuxsombres,indéchiffrables,s’enflammaient?
Quefaire,quandlaseulechosequ’ellesouhaitaitardemmentétaitqu’ill’embrasse?Lelaisseragiràsaguise…
Soudain,quelquechoseenelleserebella.Lelaisserfairequoi?Lacompromettre?Non!PenseàBarkworth.Penseàtonpromis.
Bien sûr ! Comment penser à un homme qu’elle n’avait encore jamais rencontré ?De plus, ellen’avaitrienpromisàBarkworth,sononcles’étaitpermisdelefairepourelle.
Elle aurait peut-être pu se contenter de cet hommequ’elle n’avait pas choisi, si elle n’avait pasrencontréPreston.Arrogant,sensuel,désinvolte—et,plusimportantencore,d’unemoralitédouteuse—,ilavaitréussiàbannirtoutesaraisonetsonbonsens.
Quelquepart,entrelatroisièmepartdepuddingetlemomentoùilavaitprissamainpourlafairedanser, cet homme, qui la plongeait maintenant dans une langueur délicieuse, avait cessé d’être cePreston-là.
Oh!Seigneur!C’étaitmal.Dansunultimeeffort,ellefermalesyeuxetcherchauneéchappatoire.Mais il fallait d’abord apaiser son cœur affolé, convaincre ses lèvres enflammées que tout cela étaitvraimentmal.Soudain,avantqu’ellen’aiteuletempsderéagir,Preston,sonPreston,fitl’impensable.
Enunéclair,illarepoussa.Durantunpetitmoment,elleavaitétélà,danslenidchauddesesbras,etl’instantd’aprèselleeut
l’impressiondeseretrouversousuneaverseglacéeenpleinhiver.Sous le choc, elle rouvrit les yeux pour découvrir Preston à quelques pas d’elle. Il paraissait
bouleverséluiaussi—maisétait-cepourlesmêmesraisons?—Je…Jesuisvraiment…désolée,balbutia-t-elle.Ai-jeencoremarchésurvotrepied?
Elle ne trouva aucune autre excuse pour se justifier d’être tombée ainsi dans ses bras. Prestonsecoualatête,l’airabsent.
—Non,non.C’estmafaute,répondit-ilendétournantleregard.Jecrainsquevousn’ayezraison:cettepièceesttroppetitepourdanser.
Tabitha jetaun regardalentour.Ce salonqui,un instantplus tôt, avait semblé se resserrerautourd’ellecommeuncorsets’ouvraitàprésent,grandetnoir,commeunecavernesansfond.
Unecavernevideetfroide.Saisie d’un frisson, elle se rendit compte qu’elle avait fait tomber son châle et traversa
précipitammentlapiècepourleramasser.Ellelepassasursesépaules,commesicelapouvaitencorelaprotéger.Hélas,lemalétaitdéjàfait.
Pendantuneseconde,ellefermalesyeuxdansl’espoird’oublier…Oubliercedésirqu’elleavaitressenti.Oubliersespensées,sesémotionsincontrôlables.
Et,surtout,oubliercefrissonimpatientàl’idéequelesbelleslèvressculptéesdePrestonpuissentl’embrasser;oublierque,pourcela,ill’auraitattiréeencoreplusprèsdelui.
Finalement,ellerouvritlesyeuxetlaissalegouffrequivenaitdesecreuserentreeuxl’envahireteffacerlesdernierssouvenirschaleureuxdecemomentsiintime.
Pourvuque ses joues en feune trahissent pas ses pensées !Y avait-il seulement unepart d’elle-mêmequinerougissaitpas?
EllejetaàPrestonunrapidecoupd’œilpar-dessussonépaule.—Jedevraispartir,murmura-t-elle.Mercid’avoirbienvoulupartagervotresouperavecmoi.Voilà.C’étaitdit.Elleallaitpouvoirseretirersansparaîtreimpolie.Lavoixdelaraisonavaitenfin
parlé.Iln’yavaitplusqu’àespérerquesontroubleneseressentepassouslafroideurdesavoix.Aumoins, ilnepouvait lireenelle,nientendresoncœurbattre lachamade,niencoredeviner la
faiblessequis’emparaitdesesjambes.Un simple regard sur ses yeux sombres, sa mâchoire bien dessinée, son torse large et musclé
suffisaitàl’affoler;alorscommentaurait-ellepurésisteràsonbaiser?Tousleshommespossédaient-ilslemêmepouvoirsurlesfemmes?Sic’étaitlecas,ilsétaientplusdangereuxencorequ’ellenel’avaitpensé.
Biendécidéàremonterdanssachambre,elleallaréveillerM.Mugginsparquelquescaresses,maisPrestonl’arrêta:
—Vousnepouvezpasdéjàpartir,mademoiselleTimmons.SavoixfermeetautoritaireclouaTabithasurplace.—Quevoulez-vousdire?s’enquit-elle.—Jen’aipasencorefini.Sefaisait-elledesillusions,oubienlesparolesdePrestonsemblaient-ellesaussihésitantesquesa
proprerespiration?—Pasfini?Quevoulait-ildire?Durantquelquesinstants,ilssedévisagèrentensilence.Qu’avait-ill’intention
definir?Comptait-ilvraimentl’embrasser?—Jedoisencore…Visiblementplustroubléencore,ilexaminalapiècerapidement.—…finirmatarteauxpommes.—Comment?Avait-ellebienentendu?L’expression« tarteauxpommes»était-elleuncode, chez leshommes
commelui,pourquelquechosedeplussinistre,oudeplusdélicieux?Nonpasquelatarteenelle-même
nefûtpasexcellente.Prestonacquiesçaensetournantverslatable.—Vousavezacceptédemetenircompagniependantmonsouper,etjen’aipasfini.De nouveau, leurs regards se croisèrent et elle sentit un tel désespoir émaner de lui qu’elle put
presquel’entendremurmurer.Restez,MissTimmons.Restezavecmoi.Iltiraunechaisepourelleetelleneputrésisteràsonappel.Elleauraitpourtantdûfuirlesalon,
commetoutedemoiselleconvenableetsensée—bienqu’unefemmeconvenableetsenséeneseseraitjamais trouvéedansune tellesituation—,mais lapuissancede la suppliquemuettedePreston luiôtatoutecapacitéd’oppositionetelles’assit.
Pis encore, une petite voix s’insinua dans ses pensées.Peut-être que, si tu restes, il finira part’embrasser.Commesielledésiraitqu’ilfasseunetellechose!Bienaucontraire…
Non,ellenevoulaitpasqu’ill’embrasse.Il reprit saplaceen faced’elle, s’emparadesa fourchetteet recommençaàmangercommeside
rienn’était.Peut-êtreétait-celecasàsesyeux.Peut-êtreque,pourlui,riend’importantn’étaitarrivé.Tabitha l’observa. Il coupait sa part de tarteméthodiquement, en silence, comme si la leçon de
dansen’avaitétéqu’uneétapenormaledurepas;unplatqu’ilavaitàpeinegoûtéetqu’ilavaitrepoussé.Acetteidée,unpincementétrangeluiserralecœur.Qu’est-cequin’allaitpaschezelle?Ildevait
embrasserdesjeunesfemmestouslesjours,oupresque,alorspourquoipaselle?Soudain,elles’aperçutqu’il avaitcessédemangeret ladévisageait—ouplutôtqu’il regardait sonassietteavecunsoupçond’horreur. Elle baissa les yeux à son tour et remarqua qu’elle avait passé les dernières minutes àtransformersapropretarteauxpommesencrumble.
—Vousa-t-elleinsultée?ironisa-t-il.Lediableemportecethomme!—Pasencore,rétorqua-t-elleenavalantunebouchée.Quelquechosedesombrecontinuaitàlatorturerintérieurement.Unedouleurqu’ellen’avaitencore
jamais ressentie, une sorte de jalousie. De l’envie face à toutes ces femmes qui avaient su retenirl’attentiondePreston…etbienplusencore.
Elledécoupaunautremorceaudetarte,unpeutropférocementsansdoutecardesmiettesvolèrentsurlanappe.Interrompantsonmouvement,elles’assuraqu’iln’avaitpasremarquécetaccèsdeviolencegratuite.
Puis, une inquiétude nouvelle la saisit — au-delà du fait d’avoir massacré son dessert. Quepenseraitsonpromislorsqu’ellearriveraitàLondresavecsesvêtementscampagnardsetsonsensdelavertu quelque peu dépassé ? Il ne serait jamais impressionné par une femme qui semblait tout droittombéed’unemeuledefoin!
L’épouserait-ilseulementpourlarejetercommePrestonvenaitdelefaire?Renvoyéesansavoirétégoûtée…Ceseraitplushumiliantquetout.
Humiliant,commecetinstant,danscesalondésert.Peut-êtremêmepire.Ellereplongealenezdanssonassietteetdévoraunnouveaumorceaudetarte.Toutcelaétaitabsurde.Prestonluifaisaitperdretoutsenscommun.
M.ReginaldBarkworthnes’attendaitcertainementpasàundiamantbrut.Aprèstout,leurmariagen’étaitqu’unarrangementconclupar intérêt.Uneunionrationnellededeuxpersonnesdemêmemilieu,commediraitDaphné.Seigneur,quelledescriptionfroideetennuyeuse…
Ellegrignotaquelquesbouchéesavantde leverdenouveau lesyeux surPreston.Pourvuque sonpromis sache la regarder avecdesyeux sibrillants, sibrûlantsdedésir !Brûlantsdedésirpour elle.Hélas,commentlepourrait-il,sielleressemblaitàunepaysannedémodée?
—Celasevoit-iltantqueça?demanda-t-ellesoudainsansréfléchir.Surprisparsonanxiété,Prestonsecalasursachaiseetladévisageauninstant.—Dequoiparlez-vous?dit-ilenreposantsescouvertssurleborddesonassiette.Unenouvelle fois, il regarda lechampdebataillequiavait remplacé la tartedeTabithad’unair
interrogateur.—Quejeviensdelacampagne,déclara-t-elleenposantelleaussisafourchetteavantdecroiserles
brasnerveusement.LeregarddePrestondemeuraitindéchiffrable.—Est-cevraimentimportant?—Oui.Comment pouvait-il poser une question pareille ? Comme si elle avait envie d’être tournée en
ridiculedèssonarrivéeenville!—Ehbien,précisa-t-ilauboutd’uninstant,celadépendsivousvouspréoccupezdujugementdes
autresfemmes,ouduregarddeshommes.—Lesdeux,j’imagine,répliqua-t-elleavantd’ajouteràlahâte:nonpasquejemesouciedeplaire
auxgentlemen,carjenecherchepasd’époux.—Oui,glissa-t-ilavecunsourire.Vousl’avezdéjàdit,voussavez.Pourquoiparaissait-ildouterdesaparole?Soudain,M.ReginaldBarkworth,héritierpotentield’un
marquisat,neluiparutniromantique,niprometteur,nimêmecapabled’unmariagederaison.Illuiparuteffrayant.
Prisedepanique,ellelevalesyeuxversPreston,etcrutsaisirfurtivementunelueurd’étonnementenlui,commes’illavoyaitpourlapremièrefois.Puis,àsagrandesurprise,ilsepenchaau-dessusdelatableetmurmurad’untondeconspirateur:
—MademoiselleTimmons,vousn’avezrienàcraindre.LeshommesdeLondresnepourrontpasêtre indifférentsàvosyeuxensorcelantsouàvoscheveuxdesirène.Vous lescharmerezenun instant.Quantauxfemmes,ellesserontjalouses.
Puisilserecula,unsouriresensuelauxlèvres.Souslechoc,Tabithanesutquerépondre.Avait-ellebienentendu?Desyeuxensorcelantsetunecheveluredesirène?Instinctivement,elleportalamainàsonchignonquipendaitsursanuque,àmoitiédéfait.Sescheveuxquesatantejugeaitsiépouvantables?Elle,unesirène?Seigneur,qu’arrivait-ilàPrestonpourqu’ilprononcedetellesabsurdités?
—Vousavezdûboiretropdemadère,riposta-t-ellefinalement.Oui,celanepouvaitêtrequecela:levinavaittroublésavisionetsespensées.—Levinnefaitqu’exacerbervotrecôtéséducteurinvétéré.Aulieudesemblerconfus,ilparutfierdecetteremarque.—Maisvoilàuneexcellentesuggestion,mademoiselleTimmons!Unesuggestion?—Quevoulez-vousdire?—Vousm’avez trouvéuneprofession, vousn’avezdoncplusbesoinde chercher à tout prixune
occupationpourmoi,répondit-ild’unairtranquilleetsongeur.Oui,jepensequecelapeutmeconvenir.Merci.
—Uneprofession?Jenecomprendspas,jen’aifaitaucunesuggestion.—Biensûrquesi:jepensequejeferaisunexcellentséducteur.N’êtes-vouspasd’accord?—Vousappelezcelauneprofession?répliqua-t-elle,plusfroidementqu’ellenel’auraitvoulu.Denouveau,elle fitdesonmieuxpournepas le regarderen faceet fuircesyeuxdiaboliqueset
fascinants.
—Etpuis,ajouta-t-elle,celanepaiepas.—Oh!si,debiendesmanières!
***
—MonsieurPreston,j’essaied’avoirunediscussionsérieuse,ici.Prestonneputs’empêcherdesourire.Elleavaitraison:ilétaitunpeuivre.Ilfaudraitàtoutprix
qu’ildemandeàl’aubergisteoùilseprocuraitcemadère,c’étaitvraimentunboncépage—àtelpointqu’ill’avaitconduitàvoirMlleTimmonscommeunesortedenymphevenueletenter.Aunmoment,sansdoute après le troisième verre, elle avait cessé d’être une vieille fille exaspérante et s’étaitmétamorphoséeenunefemmebiendifférente.
Pourquoidiables’était-ellecouléesiparfaitemententresesbras?Etquecherchait-elleàfaire,enleregardantaveccesgrandsyeuxmordoréssiséduisants?
C’est à causedumadère, se répéta-t-il.C’était certain.Après tout, elle n’était que la fille d’unvicaire ;peut-êtremêmequeHen l’approuverait.Enfin, sansdoutepas toutà fait,maisMlleTimmonsétaitparfaitementrespectable.
Parfaitementrespectable.Bieninstallésursachaise,illaregardadenouveautandisqu’unplanseformaitdanssonesprit.Oui,elleétaitrespectable.
La société pourraitmême la trouver attirante.Même à présent, elle insistait sur l’importance de«s’adapter»,denepasparaîtrecommeun«parentpauvre»enarrivantenville.MaisPrestonneputs’empêcher de songer que, pour s’adapter à la société londonienne, lady Essex et ses mystérieusescompagnesallaientdevoirlapriverdetouslescharmesqu’ellepossédait.
Et ce serait un crime…Denouveau, sagorge se serra tandisqu’il imaginaitMlleTimmonsbienvêtueetcourantaprèsleshommescommetoutescesdemoiselleséduquéesàBath.
Non,onnepeutpaslaisserfairecela.S’illaissaitlasociétéfaire,elleétoufferaitenMlleTimmonscettemagiemystérieusequ’elleseule
semblait posséder. Ce soir, elle avait su ouvrir un royaume caché en lui ; comme s’il venait de seréveiller dans une pièce à la fois familière et inconnue. Elle avait su lui rappeler une vie qu’il avaitoubliéedepuislongtemps.
Pourquoi,quandil laregardait,assisàcettetable,avait-il l’impressiondeneplusêtredanscettepetiteauberge,maisdans lesalond’OwlePark,où toutesafamilleseréunissait lesoir?Bonsang, iln’avaitplusrepenséàcettepiècedepuis…depuis…
Troublé, il chassa ses souvenirs. Peut-être était-ce parce qu’il n’avait encore rencontré personnecomme elle. Toute sa vie, il n’avait été entouré que deHen et de ses amies si hautaines.Bien sûr, iln’avaitriencontreHen,maiscertainesdesesfréquentations…Cettesimplepenséeluiarrachaunfrisson.Sansdouteétait-cepourcelaqu’iln’avaitjamaisdécouvertlagrâcedesvieillesfillesdelacampagne.
Hélas,MlleTimmonspartaitpourLondres,pouryêtremodeléecommetouteslesautressansdoute.Non!Personnenedénatureraitcettedélicieusejeunefemme!PersonnenelatransformeraitenuneautreladyVioletouMlleSeales.
Il la considéra une fois de plus, tâchant d’ignorer ses cheveux d’un auburn flamboyant, presquedétachés,qui luidonnaientenviede luidégager levisagepour seplongerdanssesyeuxoude laissercourirsesdoigtsdansleursbouclessoyeuses.Iltentaaussid’ignorerseslèvrescharnues,cettecourbeàla base de son cou qui ne demandait qu’à être embrassée. Si cela ne tenait qu’à lui, il oublierait lamanièredontleurscorpss’emboîtaient,commes’iln’avaitétéqu’unepartdelui-mêmeduranttoutescesannées.
S’iln’avaitpasressentiuntelbesoindelasauver,çaauraitétéfacile,pourlui,delalaisserpartir.Mais il eut soudain une profonde envie de l’enlever, de l’arracher à lady Essex et de l’empêcherd’atteindreLondres.Seulement,cegenredecomportementétaitjustementcequeHenconsidéraitcomme«honteuxaupossible»et«impardonnable».Oui,enleverMlleTimmons,mêmepourlaprotégerdelasociété,neseraitpasvud’unbonœil—mêmeparMlleTimmonselle-même.
Tandis qu’il réfléchissait à ce qu’il pouvait faire et rejetait ses plans l’un après l’autre, ellecontinuaitàparler.Ausujetd’Almack,s’ilnesetrompaitpas.
Almack,vraiment?Pourlafaireentrerdanscessallesdebalconsacrées,ilfaudraitluipassersurlecorps!
—MademoiselleTimmons,quelestvotreprénom?coupa-t-il.—Pardon?demanda-t-elle,l’airsurpris.—Votreprénom,répéta-t-ilenramassantdistraitementsafourchette.Ce«MlleTimmons»nevous
vapasdutout.—Pourquoidonc?C’estmonnom,répliqua-t-ellesèchement,desavoixsi je-suis-la-fille-d’un-
vicaire.Pourêtrehonnête,ildevaitavouerqu’ilaimaitceton.Personnen’osaitluiparlerainsi,àpartelle.—C’est peut-être votre nom,mais je trouve qu’il ne vous va pas, et j’aimerais connaître votre
prénom,celuiparlequelvosamisvousappellent.Enentendantcela,elleéclataderireetprituneposehautaine.—Monsieur,vousn’êtescertainementpasl’undemesamis.Il faillit lui rappeler qu’elle avait été sur le point d’être bien plus qu’une compagne de repas,
quelquesminutesàpeineauparavant;quandill’avaittenuedanssesbrasetqu’ilavaitfailliacheversonsouperparunbaiserqueseulunbondîneretdenombreuxverresdevinpouvaientjustifier.
D’ailleurs, il avait eu raison de la repousser. S’il s’était laissé aller à l’embrasser, cela auraitdétruittoussesautresprojets…
—Nous nous connaissons assez pour partager un souper, préféra-t-il déclarer d’un ton lourd desous-entendus.
—Ilmesembleplutôtquejesuisicisouslacontrainte.—Pasdutout.Sivousêteslà,c’estgrâceàunactedecharitédemapart.—Charité?Jecroyaisquejedevaisvoustenircompagnie,répliqua-t-ellevivement.Prestonneputretenirunéclatderire.—Biensûr,maisjemesouciaissurtoutdesautresclientsdel’auberge.—Quediablevoulez-vousdire?Ah, décidément, ce petit chaton avait des griffes bien acérées… Et cela ne fit que l’amuser
davantage.— Jemedevais de sauver les autres clients du sort horrible qui les attendait : être réveillés en
pleinenuitparcesgargouillementsvirulentsvenantdevotreestomac.Maintenant,Dieumerci,grâceàmabonté,ilssesonttus—«ilssontvaincus»seraitpeut-êtreplusexact.
Elle ouvrit de grands yeux stupéfaits et rougit instantanément. Hélas, dès que les matrones del’aristocratieenauraientfiniavecelle,cettedélicieuseteinteroséedisparaîtraitdesesjouesàjamais.
—Desgargouillements?Monsieur,vousn’avezpasuneoncededécence!Est-cedonclegenredeconversationsqu’ontleshommesaveclesdamesàtable?
—Jenesaispas,répondit-ilsanssedépartirdesonsourire.Jen’avaisjamaisencoreentenduunestomacsefaireentendreàcepoint.
Acesmots,sesjouesrougirentdeplusbelle.Aveccettecandeur,elleseraitdéfinitivementdéchiréeenmenusmorceauxàAlmack.MaisPrestonn’étaitpashommeàabandonnersifacilement.Ilchoisitdoncd’userdel’unedesruseshabituellesdeRoxley.
—TrèschèremademoiselleTimmons,pourrais-jeavoir leprivilègedeconnaîtrevotreprénom?demanda-t-ildoncd’unevoixdouce,charmeuse,sensuelleetintime.
Les lumièresvacillantesdesbougies et la chaleurde lapièce avaientdûadoucir l’humeurde sacompagne,oubienl’excellentdînerl’avait-ilpeut-êtrecomplètementrassasiée,carelleparutincapablederésisteràlalangueurdesesparoles.
Seigneur, combien d’assiettes avait-elle englouties ? Suffisamment pour combler la faim d’unéquipagedemarinsaumoins,maiscelan’avaitaucuneimportance.
Aprèsunehésitation,elleserrait leslèvres,visiblementprêteàleremettrefroidementàsaplace,quand il se résolut à adopter son arme ultime de séduction. Il ramassa la dernière part de tarte etl’approchadel’assiettedelademoiselle,avantd’insisterencore:
—Voyons,mademoiselleTimmons,ceseranotrepetitsecret.Quelestvotreprénom?Lentement,ellebaissalesyeuxsurlapartdetarte.—Tabitha,lâcha-t-elledansunsouffle.Jem’appelleTabitha.Prestonglissalapartdanssonassietteetsongeaquelquesinstantsàcenom.—Non,celanevousvapasnonplus,conclut-il.Etonnée,elleledévisagea.—Qu’êtes-vousdonc?Unjugedesnoms?—Voilàuneautreoccupationpossible!Seigneur,mademoiselleTimmons,vousm’aurezdécouvert
denombreuxtalentsavantlafindelasoirée.—Nesoyezpasridicule!—J’essaie,croyez-moi,répondit-il.Seulement,jetrouvequeTabithan’estpasunprénomfaitpour
vous.—Biensûrquesi.C’estmonpèrequil’achoisi.—Ilacommisuneerreur,coupaPreston,seulementrécompenséparunregardoffensé.—Vousneconnaissezpastoutel’histoire.—Eclairez-moidonc.—Puisquevousdevezàtoutprixsavoir…—Jeledois,insista-t-ilens’installantconfortablement,prêtàl’écouter.Elleprituneprofondeinspiration,puisselança:—J’étais inconsciente,quand je suisnée—dumoins,enapparence.Mais la sage-femmeapris
soindemoietj’aifiniparcrier.Monpèreadoncdécidédem’appelerTabitha.Satisfaite, elle se cala à son tour sur sa chaise, lementon levé, commepourmurmurer« jevous
l’avaisbiendit».—Ah,commelafemmequesaintPierrearamenéeàlavie.—Vousm’étonnez,monsieurPreston,glissa-t-elle,unsourcillevé.—Oh ! je ne suis pas aussi goujat que vous semblez le croire ! s’exclama-t-il en lui volant un
morceau de tarte. Contrairement à ce que vous semblez penser, j’ai été éduqué — et bien éduqué,d’ailleurs.
—Peut-être,maisvousservez-vousdecelaàdesfinshonorables?—Touslesjours.—Vraiment?l’interrogea-t-elleavecunpetitsourireincrédule.
Touché,petitediablesse!Elle ressemblaitdeplusenplusàsonchien : tenantàprouverqu’elleavaitraison,ellelecouvaitd’unregardsatisfait,persuadéed’avoirtouteslescartesenmain.
Quellegraveerreur…Croisantlesbras,ilselançadansuneexplicationsanslaquitterdesyeux:—Vousn’imaginezpasàquelpointlesmathématiquespeuventaiderunhomme,pournepasparier
tropd’argent.—Vousêtesodieux!Cependant, sous le ton sévère perçait une lueur d’amusement ; ses yeux scintillaient tandis que
MlleTimmonss’efforçaitdeparaîtreinflexible.—Etvousêtesincorrigible…—Oui,reconnut-iltranquillement,c’estcequeditmafamille.—Jelesplains.—Lerestedelasociétélondoniennesembledevotreavis.—Nepensez-vouspasquevousdevriezcesserdejouerettrouverunemploihonnête?—Voilàunechosebienimpolieàdireàl’hommequivientdevousoffriràdîner.Jevouscroyais
mieuxélevée,Tabby.Tabby.Ce surnom lui fit lever les yeux sur lui et, une nouvelle fois, il se sentit pris au piège. Coincé.
Acculé.Tabby…Oui,celaallaittrèsbienàcettefemmequis’étaitblottiesiparfaitementdanssesbras.—JepensequejevaisvousappelerTabby,reprit-ilavecunsouriredefaçadeenlevantsonverre.—Tabby?Vraiment?lâcha-t-elled’unairindignéenreposantbrutalementsafourchette.—Oui,c’estunsurnomquivousvacommeungant.Unnomdechatontrouvé.SaTabby…Unjour,elleleremercieraitdel’avoirsauvéeetilsesentit
satisfait:toutsedéroulaitàmerveille.IlétaitarrivéjusteàtempspoursauverTabbyd’elle-mêmeetdelabonnesociété;justeàtempspourqu’elledemeurequielleétait.
Elleétaitsicharmante,sirespectable—dumoins,tantqu’ilpourraitseretenirdel’embrasser.Etilétaitcapabledelefaire;capabledenepasregarderseslèvresrosées,sesyeuxnoisetteenvoûtants.Illedevait, s’il voulait qu’elle reste elle-même… parfaitement innocente, impertinente, agaçante et sirespectable.
Saufqu’ilavaitoubliéunechoseessentielle.Lademoiselleaccepterait-elleseulementsonaide?
***
—Vousnepouvezpasm’appelercommeça,répliquaTabitha, tâchantd’ignorerlesursautdesoncœuràchaquefoisqu’ilrépétaitcenom.
Tabby.Ilyavaitquelquechosede trop intimedanscesurnom.Commes’il l’avaiteneffetembrasséeau
lieudelarepousser.— Oh ! si, je compte bien vous appeler ainsi, rétorqua-t-il sans paraître se soucier de ses
protestations.—MonsieurPreston,jevousenprie…Luicoupantlaparole,illuitenditlamain.—Jesaisquevousmeremercierez,unjour.
Le remercier ?C’était peuprobable.Si jamais elle croisait son chemin, àLondres, ce débauchéanéantiraitcertainementsaréputation.
Croiser son chemin… Soudain, tout en dévisageant le voyou qui lui faisait face, un flot desoulagementl’envahit.Quellesétaientleschancesqu’ilsserevoient?
Cethommen’étaitpeut-êtrepasdugenreàhanterlessallesd’Almack—etencoremoinsàpassersessoiréesàécouterdesrécitalsrespectables.
Ilétaitpeut-être l’amideRoxley,maismêmeellesavaitquecelanesuffiraitpasà luiouvrir lesportesdelasociété.
En toute logique, ilyavait trèspeudechancesqu’ilsseretrouventfaceàfaceunenouvelle fois.Aprèssonsoulagementinitial,ellepensaitêtreparfaitementrassuréemais,aucontraire,unepartd’elle-mêmeressentitunvaguesentimentdeperte.
Cettenuitseraitlaseulequ’ilspasseraientensemble.Non,pas«nuit»,secorrigea-t-elleensilence.Lemot«nuit»impliquaittoutessortesdechoses,et
silesimplefaitd’avoirétédanssesbraspendantquelquesinstantsavaitsuffiàlabouleverser,dequoiPrestonserait-ilcapableenunenuitentière?
Troublée,ellechassabienvitecettepensée.—Peut-êtredevrions-nousfinircettesoiréeparunpetitpari,Tabby?lança-t-ilsoudain.Surprise, Tabitha le dévisagea un instant sans répondre. Pendant qu’elle laissait ses pensées
vagabondersurlaplacequecethommetenait—ounetenaitpas—danssavie,ilavaitdébarrassélecentredelatableetyavaitplacétroistasses.
Unpari,avait-ildit?— Certainement pas, répondit-elle en jetant un rapide coup d’œil aux tasses. Cela ne serait
absolumentpasconvenable.—Non,biensûr,approuva-t-ild’unairabsentenregardantlatablecommes’ilcherchaitquelque
chose.Mais,quandunefemmeetungentlemanpartagentunrepas,ilsfinissenttoujoursparunpari.Elleneputréprimerunrirefortpeuélégant,unpeuridicule,quiauraitpresquepupasserpourun
artificedecoquette.Cependant,sonregardsévèrenesuffitpasàfairetairePrestonouàluiarracherunseulmotsérieux.—Ah,voilà!annonça-t-il,triomphant.Ilattrapaunmorceaudesucreetlemaintintdevantelledefaçonqu’ellelevoiebien.Puis,avecun
souriremalicieuxquiallumadesétincellesaufonddesesyeux,illelaissatomberdansl’unedestasses.Tabithasentitsoncœurs’emballer.—Jenecroispasque…—Nevousenfaitespas,c’estunparitrèssimple,expliqua-t-ilenretournantlestroistassesface
contretable.Sansunmot,illesdéplaçarapidement,intervertissantleurpositionavecdegrandsgestesafindelui
faire perdre de vue la tasse dissimulant lemorceau de sucre. Il poursuivit son ballet un longmomentjusqu’àcequ’elles’affalesursachaise,couvrantsonsouriredesamain.Ellen’avaitcertainementpasbesoindel’encourager…
Enfin,ils’immobilisa,levantverselleunregardinterrogateur.—Alors,Tabby,oùestlemorceaudesucre?Jevouspariequevousnesaurezpasleretrouver.Curieuse,elleexaminalestassesunmoment,puisaperçutquelquechosequibrillaitfaiblementsous
lalumièredesbougies:quelquesgrainsdesucreétaientdispersésprèsdel’unedestasses.LesgrandsmouvementsdePrestonluiavaientindiquéunepisteconduisantdirectementàlabonnetasse.
Netrahissantpassasatisfaction,elledemanda:
—Quelestl’enjeu?Prestonsepenchaverselle,toujourssouriant.—Sijegagne,jeveuxunepromesse,Tabby:lapromessequenousseronsamis.—C’esthorsdequestion,protesta-t-elleinstinctivement.Horsdequestion,eneffet…UneamitiéavecPrestonouvriraitlaporteaudéshonneur;ellelesavait
aveclamêmecertitudequ’ellesavaitoùsetrouvaitlemorceaudesucre.—Danscecas,choisissezvotrepropremise,maislamiennetienttoujours.Oh!quelhommeimpossible!Commesisonamitiéétaitunebénédiction.Ilseraitpeut-êtrebonde
leremettreàsaplace.Maisqueparier?Unpeugênée,ellel’interrogeaduregard.—Jen’aipasl’habitudedeparier,avoua-t-elle.—Vousnejouezdoncpasauxcartes?Tout en parlant, il tapota du bout des doigts l’une des tasses, commepour lui indiquer celle qui
cachaitlesucre—unefaussepistedeplus.— Si, lorsque lady Essex organise des parties. La plupart du temps, nous ne parions que des
pennies.—Alors,sivousgagnez,jevousdevraiunpenny;et,sijegagne,j’obtiendraivotreamitié.Tabithan’auraitsansdoutejamaisacceptés’iln’avaitpasadoptécetonsupérieur,tropsûrdelui.
Mais, puisqu’il semontrait si vantard, elle lui prouverait qu’elle avait beau être une campagnarde deKempton,elleétaitencorecapabledebattreundandytelquelui.
Fronçantlessourcils,ellesemordillaleslèvrescommesiellesesentaitcomplètementdépassée,essayantpendantquelquesinstantsdeluifairecroirequ’elleignoraitoùsetrouvaitlesucre.
Puis,finalement,sanslamoindrehésitation,elleretournalabonnetasseetlareposasurlatable.— J’avoue que j’aime bien parier avec vous, monsieur Preston, déclara-t-elle avec un sourire
victorieux,etjecroisquevousmedevezunpenny.Stupéfait,Prestonselevad’unbondetexaminalonguementlatableavantdeleversurelleunregard
incrédule.—Commentdiableavez-vousfaitcela?demanda-t-ilenregardantdenouveaulestasses,puiselle.
Sijenevousconnaissaispasmieux,Tabby,jediraisquevousaveztriché.—Quelleodieuseaccusation!Monpenny,s’ilvousplaît.Sansselaissertroublerparsonregardscrutateur,elletenditfermementsamain.Les sourcils froncés, il fouilla lapochede sonvestond’unair absent, commes’il réfléchissait à
chaqueétapedesonpetittourpourtrouversonerreur.Iltirafinalementunpennydesapocheets’apprêtaàledéposerdanslamaindeTabitha,maissuspenditsongesteauderniermoment.
—Commentavez-voussu?Voilà,c’étaitenfinautourdeTabithadesevanter,etellen’allaitpass’enpriver…—Lemorceaudesucrealaisséunetrace,indiqua-t-elleenluimontrantlapistemenantàlabonne
tasse.Acesmots,ilreculasamain.—Tabby,espècedepetitediablesse!Vousaveztriché!—Pasdutout.J’aiseulementutilisémesyeux.Monsieur,s’ilvousplaît,donnez-moimesgains.Lepennyatterritenfindanssamainet,àl’instantmêmeoùellerefermaitlesdoigtsdessus,elleeut
leterriblepressentimentd’avoirgagnébienplusqu’unepetitepièce.Unevoixenelleluimurmuraqueceparileslieraitàjamais…
—Cepennyestrayé,lança-t-elleenl’examinant.
—Laissez-moivousendonnerunautre.—Non,assura-t-elleenrefermantsamainsurlapièce.Jel’aimebien.—Parcequ’ilestrayé?—Oui,commecela,jemesouviendraidevous.Apeineeut-elleprononcécesmotsqu’ellelesregretta.Hélas,cequiétaitditétaitdit,etsesparoles
résonnèrententreeuxcommeunaveu,intimeetrévélateur.Lesmots,commeunlien,lesrapprochaientd’unefaçonqu’ilssavaientinconsidérée.Toutcommela
manière dont le corps de Tabitha avait su se fondre dans les bras de Preston, si parfaitement qu’elleauraitaiméresterlààjamais.Ciel,quecettesoiréel’avaittransformée…etavaitsuéveillerdesdésirsnouveauxenelle!
Jamaisencoreellen’avaitressentidetelleschoses.Cethomme,cevoyousansmorale,serait-illeseulàsavoirouvrirpourelle laportedecemondedechaleur?Serait-il leseulcapabledela laisserainsisatisfaiteetpourtantencoreaffamée,commecerepaspartagél’avaitfait?
Affamée.Oui,elleenvoulaitplus,etcettesimpleconstatationlatroublaplusquetout.Elleglissadonclapiècedanssapocheetseleva,faceàPreston.—Mercipourcedîner,monsieurPreston,dit-ellefermement.—Toutleplaisirétaitpourmoi,mademoiselleTimmons.Elle sentit soudain son cœur se serrer.MlleTimmons…Elle n’était doncplusTabby. Ce n’était
peut-êtrepassimal.Elles’écartadelatableetsifflapourappelerM.Muggins.Arrachéàsasieste,lechienbonditjoyeusementetfaillitlafairetomber.Vifcommel’éclair,Prestonlarattrapaetl’attiracontrelui.
Seigneur!Commentcelas’était-ilpassé?Elleavaitétédéterminéeàquitterlapièce—àlefuir—etvoilàqu’elleétaitdenouveauprisonnièredesesbras.
Prisonnière,vraiment?Lesdoigtsentrelacésdanslesplisdesonvestonetlesjambestremblantes,ellenesemblaitpasavoirassezdevolontépourfuirPreston.
—Jepensequevousn’avezpasencoreréglévotredette,murmura-t-il.Lesongravedesavoixlafitfrissonner,maisellen’osapasleverlesyeuxverslui.Tout,plutôtque
setrouverencorepriseaupiègedeceregardtroubleetdangereux.—Alors,Tabby,qu’endites-vous?Sommes-nousamis?Amis ? Cette fois, elle fut incapable de garder les yeux baissés et surprit au fond du regard de
Prestonquelquechosedebeaucoupplusintensequ’unesimpleamitié.Etait-ilfou?Oubienl’était-elle,pournepascourirs’enfermerdanssachambreimmédiatement?—Jenevousdoisrien,j’aigagnéhonorablement,répliqua-t-elleentâchantd’ignorerlesbattements
affolésdesoncœur.—Non,vousaveztriché.Piquéeauvif,Tabitharétorqua:—J’aiutiliséunraisonnementpluspoussé.—Pluspoussé?Iléclataderireetsepenchaverselle.Voilà,ellen’avaitpasfuiàtemps,etàprésentelleétaitprise
danssesfilets.—Sivousaviezvraimentemployéun«raisonnementpluspoussé»,vousauriezdemandélaluneau
lieudeunpenny.—Lalune?parvint-elleàproférer,lecœurbattant.—Oui,oumêmeplus,Tabby…
Il ne la quittait pas des yeux et, soudain, elle sentit que sa présence l’enveloppait d’une aurabrûlante.Sesbrasserefermèrentautourdesoncorps,sesmainssemirentàfroissersarobe,sontorsesepressantcontreelle.Ill’avaitcapturéeetlalaissaithaletante.
—Plus?chuchota-t-elle,àboutdesouffle.Plus était dangereux. Plus la détruirait. Et, pourtant, ce simple mot avait quelque chose
d’irrésistible.Audébutdelasoirée,ellenesavaitriendeshommes,etvoilàqu’elleétaittotalementdépasséepar
les événements— leur discussion s’étaitmuée en une folie passionnée etmenaçante.Elle était sur lepoint de le laisser lui arracher son premier baiser, un pas qu’elle n’avait jamais pensé franchir ens’asseyantàlatable,quelquesheuresplustôt.
Sic’estcela, lafolie…,chantasoudainunepetitevoixenelle…,alorsque jemenoiedanssonbaiser.
Unbaiser…Quelmalyavait-ilàcela?Preston l’attiraplusencorecontre lui,et le tempsparuts’arrêter.Elleseserraétroitementcontre
sontorse,sesjambeseffleurantsescuissesfortes.Toutcelaétaitbientropintime,ou,dumoins,c’estcequ’ellecrutjusqu’àcequeleurslèvress’effleurent.
Là,lemondechaviraautourd’elleetelleselaissaembrasser.Tabitha ne savait pas vraiment à quoi s’attendre lorsqu’elle sentit les lèvres de Preston sur les
siennes,sesmainsquilapressaientcontreluipluspassionnément,l’uneplaquéeaucreuxdesesreinsetl’autreentresesomoplates.
Ilavaitréussiàl’attirerexactementlàoùilledésirait,tissantsatoileautourd’elleetlapiégeantàl’intérieur. Bien sûr, elle ne se serait dégagée de son étreinte pour rien au monde, envahie par despicotements brûlants de désir. Les flammes s’étendaient en elle jusqu’à atteindre les recoins les plusprofondsdesoncorpsafindes’yépanouir—etavanttoutjusqu’àsoncœur…
Sans paraître s’en apercevoir, Preston l’embrassait toujours, mordillait sa lèvre, comme s’ilattendaitqu’ellerépondeàsasensualité.Et,alorsmêmequ’ellen’auraitjamaisdûlelaisserapprocher,elles’aperçutavecsurprisequesonproprecorpss’animait,répondantnaturellementàsesbaisers.
Instinctivement,elles’ouvritàlui,laissalalanguedePrestonpasserlabarrièredeseslèvresetsesmainsexplorersondos,seshanches,embrasantsapeaudemillefeux.
Blottiecontre lui,elles’abandonnaavecàcettevaguededésir.Lentement,sesdoigtscaressèrentd’eux-mêmessontorse,remontantjusqu’àsanuquepourl’attirercontreelle—enelle.
LeslèvresdePrestonquittèrentalorslessiennespourdescendredanslecreuxdesoncou,sagorge,tandisqu’ilôtaituneàunelesépinglesquimaintenaientencoresescheveuxattachésetlesjetaitdanslapiècecommeautantd’offrandes.
Lorsqu’ileutachevédedéfairesonchignon,sescheveuxtombèrentencascadesurlesépaulesdeTabithaetungémissementrésonnaaufonddelagorgedePreston.Ungémissementdedésir,brutetprêtàtout,emplid’unbesoinanimal,duretmasculin.
Tabitharéagitimmédiatement,soncorpsfutagitéd’unlongfrissonetsetendit,répondantainsiàsonappel.Sapoitrinesefitpresquedouloureusecontrelachemisedesoncompagnon.Oui,ellevoulaitêtretouchée,caressée,séduite.Embrassée.
Seshanchesondulèrentd’elles-mêmes, se frottèrent à luipourdécouvrirquelquechosededuretlongquisetendaitverselleetlafitgémiràsontour.
Aucreuxdesesreins,uneardeurnouvelles’éveilla,ungouffredesensationsencoreinconnues.Ellevoulutl’attirerauplusprofondd’elle-même,tandisqu’ilcontinuaitàl’embrasser,commeunepromessemuettedecequiallaitadvenir.
Decequipourraitadvenir…Sanscesserlalitaniedebaisersaucreuxdesoncou,illacaressadenouveau,l’entraînantdansune
rondedangereuse,traître,neluilaissantqu’uneseulepenséeentête.J’enveuxplus…Oui,voilàenquoiexcellaitcethomme:ilprovoquaituntourbillondedésiravecsesbaisersetses
caresses ; il effaçait tout discernement chez les femmes et entraînait ses maîtresses dans le péché,désemparéesetincapablesderésister.
Prestonétaitunpéché lui-même.Ilétait la tentation incarnéeet,s’ilavait lemoindre titre,c’étaitceluidelordduDésir.Entoutcas,unechoseétaitcertaine:iln’avaitriend’ungentleman.
Oh!Seigneur,commeelleledésirait!Elleauraitvouluqu’ilnecessejamais,qu’ill’allongesouslui et que son grand corps musclé la recouvre de sa chaleur. Elle avait envie de choses qu’elle necomprenaitmêmepas,qu’elleneconnaissaitpas ;qu’ellecommençaitàpeineàentrevoir,commeuneflammevacillantedansl’obscurité.Uneflammequeluiseulpourraitraviver.
Ill’entraînaitauborddudéshonneur—etdelafolie.—Preston,je…Quevoulait-elle vraiment dire ?Voulait-elle le fuir, ou bien éprouver cette ardeur qui brûlait en
lui?Savoixetsescaressesparurentl’exciterplusencore.LeursregardssecroisèrentetTabithacomprit
qu’ellen’étaitpasseuledanssafolie.Mais, soudain, le regardpassionnédePrestons’éteignit,ne révélantplusqu’unebrutaleprisede
conscience.—Oh!monDieu!bafouilla-t-ilenladévisageantlonguement.Bonsang,Tabby,quelsortm’avez-
vousdoncjeté?Tabitharestamuettedesurprise.Elle?Ellen’avaitrienfait!Sansluilaisserletempsderétorquer
qu’ilétaitceluiquil’avaitembrassée,Prestonlarepoussa.Laviolencedesongestelasurpritetellefaillitbasculer.Sansunmotdeplus,Prestontournales
talonsetquittalapièced’unpasvif,lalaissantseuleetdésemparée.Elleauraitdûsesentirrassurée:n’était-cepascequ’ellevoulait,aprèstout?Oui.Dumoins,ça
l’avaitété,songea-t-elleeneffleurantseslèvresencorechaudesduboutdesdoigts.Çal’avaitété…
Chapitre6
Londres,deuxsemainesplustard
—Cesoir,Tabitha!Tulerencontrerascesoir…Daphné seglissaadroitementdans le traficdeParkLaneendirectionducélèbreRottenRowde
HydePark.— Oh ! Seigneur, Daphné ! répliqua Tabitha en lançant à M. Muggins un regard réprobateur.
Commentveux-tuquejepenseàcesoir?Depuis quelques minutes, l’animal s’agitait au bout de sa laisse, cherchant désespérément à se
libérer.Ildevaitsentirqueleparcn’étaitplustrèsloin.Dansl’espoirdelefairepatienter,Tabithaluicaressadoucementlatête.
—Nousn’ysommespasencore,luimurmura-t-elle.Siseulementellepouvaitagirdemêmeavecsaproprevie:selibérerdesbarrièresquesafamille
avaitdresséesautourd’elleets’enfuiraussiloinquepossibledeLondres…Hélas,aucunedistancenesuffiraitàleluifaireoublier.Lui.Preston.Ils’étaitpassédeuxsemainesdepuiscettesoiréefataleoùill’avaitembrassée.Oh!cebaiser…Achaqueinstant,cesouvenirluirevenait,plusvivantquejamais.Sescaresseschaudes,leurslèvres
qui s’étaient rejointes, lamanière dont son corps s’était éveillé et le délire passionné dans lequel cebaiserl’avaitplongée.
N’était-cequ’un rêvesorti toutdroitdeson imagination?Non,carelle sesouvenaitdesparolestroublantesdePreston.
«…Quelsortm’avez-vousdoncjeté?»Luijeterunsort?C’étaitplutôtluiquil’avaitenvoûtée.Commentavait-ellepusuccomberainsi?
Elle,TabithaTimmons,larespectableetinnocentevieillefilledeKempton.Ellen’étaitplusinnocenteàprésent,songea-t-elleensuivantsesamiesdansleparc.Ellenepouvait
s’empêcher de penser aux lèvres de Preston, à son étreinte d’acier qui l’avait fait chavirer, l’avaitprotégée,enveloppée.
Commes’ilnevoulaitpaslalaissers’échapperloindelui.Hélas, il avait finipar la repousserviolemment, il avait fui et avait laisséderrière luiun flotde
passion,dedésir,qu’ellepensaitnejamaisressentir.Mais,maintenant,ellesavait…Durantlanuit,cesémotionsincontrôlablesl’avaientréveilléeensursaut,lesoufflecourt,soncorpsengourdiparlemanque,hantéeparlessouvenirsdelasoirée.
Preston!avaithurléchaqueparcelledesoncorps.Retrouve-moi.Pisencore…Elleavaitpassélanuitàseretournerdanssonlit,mueparunedangereuseenviedele
retrouver,neserait-cequepourluidemanderdel’envoûterencoreetdelesentraînerdanscettepassionàjamais.
TiréedesespenséesparlebrouhahapermanentdeLondres,elleserralesmâchoiresetfouilladanssapocheàlarecherchedupennyrayé.Finalement,ellesentitsasurfacefroidecontresesdoigts.Oui,toutcelaavaitbienétéréel.Prestonl’avaitenlacée,embrassée,puisrejetée.
Il était même profondément bouleversé lorsqu’il s’était écarté d’elle… Non, pas bouleversé,tourmenté,sesyeuxcriantsdedouleur,prêtàs’enfuiràtoutesjambes.
Embrassait-elle donc si mal ? Lâchant le penny, elle poussa un profond soupir. Voilà qui neprésageaitriendebonquantàsonfuturbonheurconjugalsisonépouxdevaitquittersachambretouslessoirsaveccemêmeregardhanté.
Peut-êtrequelamalédictiondeKemptonétaitvraie,aprèstout…—Tabitha!s’écriasoudainDaphné.Tum’écoutes?Brusquementrevenueà la réalité,elles’aperçutquesonamievenaitde luiposerunequestionau
sujetdeleursprojetspourlasoirée—dontlarencontreavecsonfiancé,M.ReginaldBarkworth…—Laisse-ladonctranquille,coupaHarriet.Sij’étaisàlaplacedeTabitha,jemesentiraismal,moi
aussi.—Celasevoittantqueça?s’inquiétasoudainTabitha.Asongranddésespoir,Harrietacquiesça.—Ilyaquelquesminutesàpeine,tuparaissaissurlepointdet’évanouir.—Oh ! tais-toi, Harriet ! protesta Daphné en lançant à son amie un regard glacial. Tabitha est
rayonnante !Et pourquoi ne le serait-elle pas quand elle s’apprête à rencontrer l’élu de son cœur, cesoir?
Daphnétournalestalonsetdescenditl’allée,rapidementrejointeparTabithaetHarriet.—JenecomprendspaspourquoiM.Barkworthn’esttoujourspasvenulavoir,répétaHarrietpour
lamillièmefoisdepuisleurarrivéeàLondres.C’esttoutdemêmeétrange.— Il va hériter d’un titre, répliqua Daphné d’un air insouciant, il a bien droit à quelques
excentricités.Deplus,Tabithan’étaitpasprêteàlerecevoir—pasavecunegarde-robedansuntelétat.Elleponctuacediscoursparunsoupirdésapprobateurenjetantuncoupd’œilàlasimplerobede
mousselinedeTabitha.—Qu’y a-t-il ? demanda celle-ci en regardant sa tenue à son tour. Je n’allais tout demêmepas
gâcherl’unedemesnouvellestoilettes!—Tuesunehéritière,maintenant,déclaraDaphné,tupeuxt’acheterunenouvellerobechaquejour.Tabitha ne put s’empêcher de hausser les épaules. Comment pouvait-elle savoir ce qu’être une
héritière signifiait ? Sa tante, lady Timmons, avait été très ferme depuis son arrivée et avait refuséd’emmenerlesjeunesfilles—etenparticulierTabitha—danslemonde.
«Unefemmedetonrangestunebiengrandetentationpourlespireshommesdelaville.Jefaiscelapourtonbienetpourtasécurité»,avait-elledéclaré.Deplus,toutcommeDaphné,labraveladyavaitétéindignéeparlagarde-robedeTabitha,qu’elleavaitdéclaréehonteuseetindigned’unefemmedesonfuturrang.
Ainsi,durantlesdeuxdernièressemaines, lamaisondeHertfordStreetétaitdevenueunvéritableatelier de modistes, couturières, bonnetières et gantiers, tous décidés à transformer Tabitha en uneéléganteLondonienne.
—M.Barkworth seramarquisun jouret, en tantquegentleman, il s’attendsûrementàavoiruneépousebienmise,repritDaphné.
—Untitrenesuffitpasàfaired’unhommeungentleman,coupaHarriet,etsasituationn’estpasl’assuranced’unmariageheureux.
Daphnéhaussalesépaules,maisTabithachoquasesamiesparsaréponse.—Lemariagen’estpasforcémentunemauvaisechose,dit-ellesimplement.Comment pouvait-elle leur expliquer ? Le mariage impliquait des dîners intimes, de vives
discussions,desrires.Desbaisers…SasoiréepasséeavecPrestonavait-elleétéunaperçudecequesignifiaitréellementlemariage?—Oui,ajouta-t-elleàlahâte,aveclebonépoux.—Peut-être,concédaHarriet,maiscommentsavoirsic’estlebontantquetunel’aspasrencontré?Avant queTabitha ne puisse répondre, bien qu’elle partageât les inquiétudes deHarriet,Daphné
intervint:
—Jepensequec’esttrèsromantique:tuessamystérieusehéritière.Crois-moi,tulerencontrerascesoirchezladyKnolles,etceseravraimentmagique.
Magique. Oui, Tabitha savait désormais ce qu’était la magie. Hélas, ressentirait-elle la mêmeémotionauxcôtésdeM.ReginaldBarkworthqu’avecPreston?
—Jenevoispasenquoiêtreunehéritièrepeutapporterlebonheur,sil’ondoitpassersontempsàsecacheretànevoirpersonne,soupiraHarriet.
Eneffet,ellesn’avaientmêmepaseulapermissiond’allervoirlaTour,cequil’avaitprofondémentdéçue.
—JesaisbienqueChauncepensequetatanteadebonnesintentions,reprit-elle.IlditqueLondresestunendroitdangereuxetjepensequ’ilsaitdequoiilparle.
LefrèredeHarriet,Chauncey,ouChaunce,commeilétaitsurnommédansleclanHathaway,étaitsouventvenuleurrendrevisite.Notaire, il travaillaitàprésentauministèredel’Intérieur.Lapremièrefoisqu’ils’étaitprésenté,ilétaitarrivéavecsonchapeauposédetravers,envraidandy,etavaitlancéquelquescomplimentsgrivoisauxcousinesdeTabithajusqu’àcequ’ellesrougissentcommedesfillettes—cequin’étaitpastâchefacile,carlescousinesTimmonsseconsidéraientdéjàcommeblaséesparleur«haute»placeensociété.
—Jesuisbiend’accordavecHarriet,renchéritDaphnédansunbâillement,avoiràsecacherainsiest trèsdécevant.Ce serait bien plus agréable de fréquenter le beaumonde au lieu de ne sortir de lamaisonqu’àdesheuresinduescommeaujourd’hui!
Endépitdestraditionsdelacampagne,elles’étaitpliéeauxhorairesethabitudesdeLondresavecunefacilitédéconcertante.Bienentendu,aucunedesesamiesnes’ytrompait:quandelledisait«beaumonde»,Daphnépensait«gentlemen».
—Noussortonsàcetteheure-ciparcequematanten’estpasencorelevée,etnepourradoncpasseplaindredenousvoiranéantirtoussesplansenétantvuesenpublic,expliquaTabithapatiemment.
En effet, ladyTimmons ne pourrait guère protester contre ces promenadesmatinales, car, à cetteheure-ci,personneàLondresn’étaitlevé—etencoremoinsprêtàapparaîtrepubliquementauparc.Cen’étaitpaslamode,toutsimplement.Deplus,querisquaient-elles?Personnenelesconnaissaitenville,puisqu’ellesn’avaientpasencorefaitleursdébuts.
Cematin-làn’étaitpasdifférentdesautres,etlestroisamiesavaientl’alléepourellesseules,cequiconvenaitparfaitementàTabitha:ellepouvaitlaisserM.Mugginscourirsurlegazonsanssesoucierdelamoindremaladressequipourraitêtrerapportéeàsatante.
—Net’enfaispas,aprèscesoir,tun’aurasplusàtecacher—niàcachertafortune,lançaDaphné.M.ReginaldBarkworthasansdoutetardéàterencontrercarilétaitoccupéàfaireétablirunelicencespéciale pour t’épouser au plus vite. Comme cela, il n’aura pas à craindre l’apparition d’autresprétendants.
Harrietéclataderire,plusdirecte.—Sitonfiancéestfinalementtroplaid,tupourraisenvisagerdetelaisserenleverparunpirate…
ouunduc!Daphnésoupiraetlevalesyeuxauciel,commesiellen’avaitjamaisentendudepareillessottises.—Unducn’auraitpasbesoind’enleverunefemme,Harriet.Deplus,Tabithaperdraitunevéritable
fortunesiellen’épousaitpasM.ReginaldBarkworth,n’est-cepas?— Oui, admit Tabitha. Le testament d’oncle Winston est clair : je n’hériterai de rien à moins
d’épouserM.Barkworth.Harrieteutuninstantd’hésitationets’arrêtabrutalementaumilieuduchemin.
—Peut-êtrequetuserasprised’unaccèsdefoliependanttanuitdenocesetquetudeviendrasunecharmanteetricheveuve,commeAgnès.
—Situn’asriend’intelligentàdire,tais-toi,Harriet!s’écriaDaphné.Agnèsaétéexécutéeaprèsavoir tué son mari, et Tabitha finirait ses jours à Newgate ou Bedlam si elle… enfin, si les chosestournaientmal.
—Jeneseraipasvictimedecegenredecrise,répliquafermementTabitha.Non,paslegenredefoliequilaconduiraitàpoignardersonépoux;maisilexistaitd’autressortes
depassions…—Nemedispasquetucroisàlamalédiction,Daphné?s’enquitHarriet.Tabithas’arrêtaaussidemarcherpourécouterlaréponse,maisM.Mugginsnesemblaitpasdecet
avis.Ilsemitàtirerviolemmentsursalaisse.Ellejetaunrapidecoupd’œilalentourpours’assurerquepersonne ne la surveillait et libéra le chien. Ravi de se dégourdir enfin les pattes, le grand terriertournoyavivementautourdestroisamiesavantdedisparaîtreauboutdel’allée.
—Biensûrquejen’ycroispas!répliquaDaphnéenseraidissantunpeuavantd’ajouter:enfin,si,peut-être.Unpetitpeu…
Stupéfiéesparcetteconfession,TabithaetHarrietéchangèrentunregard.—Ehbien,commentnepasycroire?Jesuisnéeetj’aigrandiàKempton.Etpourtantnousvoilàà
Londres,suffisammentloindelamaisonpourque…ehbien,pourcommenceràenvisagerde…—Tunepensesquandmêmepasà…?commençaTabitha,incrédule.—Seigneur,non!Ilmefaudraittafortunepourattirerunhomme!—Tun’aspeut-êtrepasd’argent,maistuasunnom,arguaHarriet.TuesuneDale,aprèstout,cela
doitavoirunecertaineimportance.—Oui,biensûr,renchéritTabitha.SijamaisDaphnédevaittomberdanslepiègedumariage…—Peut-êtredevrais-tut’adresseràtafamille,ici,teservirdeleursrelations.MaisDaphnéeutungestededésespoir.—Vousdevezpourtantavoircomprisque,bienquemamèresevanted’êtreuneDaleàlamaison,
notrenomsembleunepiremalédictionàLondresquelefaitquenousvenionsdeKempton.Tabitha,n’as-tupasremarquél’expressiondetatantequandtunousasprésentées?
—Oui,reconnutTabitha,elleaeul’airsurprise.Cependant, lady Timmons n’était pas la créature la plus généreuse qui soit ; elle n’avait jamais
montrélemoindreintérêtpoursanièce—n’avait-ellepasdéjàtroisfillesàmarier?L’arrivéedeTabithaetdesesdeuxamiesl’avaitprisedecourt,maiselles’étaitbienviterésignée.
Tabithal’avaitd’ailleursentenduedireàsirMauris:—Nousdevonsessayerdegarderlafilleavecnous.Pensedoncauxrelationsqu’elleaura,unefois
mariée,etàsafortune!Toutlemondevoudralaconnaître.Rappelle-moipourquoinousnel’avonspaspriseavecnousàlamortd’Archibald?
Quant à ses cousines… Elles n’avaient pas vraiment accueilli Tabitha à bras ouverts. Bien aucontraire,ellesavaientcouvécettenouvellevenueetsesamiescampagnardesd’unregardméfiant, lesconsidérantcommedesennemiespotentiellesdeleurmondesibiengardé.Cettefroideurn’avaitfaitques’accentuerlorsquedesrobesetdespaquetsavaientcommencéàarriverpourMlleTimmons.
MlleTabithaTimmons.Pourtant,celaavaitétéEloisa,laplusjeunedestroissœurs,surlaquellelafamillefondaitleplus
d’espoirgrâceàsonintelligenceetsabeauté,quiavaitindiquéàTabithalecheminduparc.Elleluiavait
mêmeassuréque, si tôt, personnen’empêcherait son« estiméecousine et sespittoresques amies»derespirerunpeu«d’airfrais»,quisauraitsansdoute«satisfaireleursbesoins».
Cependant, Tabitha l’avait peut-être mal comprise, car elle aurait juré entendre ensuite Eloisamarmonnerquelquechoseau sujetd’une stationde fiacresprocheetde sonespoirdevoir sacousinetomberdessus.
—Penses-tuquenousauronsdesproblèmesànotreretour?demandasoudainDaphné.—Jenevoispaspourquoimatantenousempêcheraitd’emmenerM.Mugginssepromener,répondit
Tabitha.Aumoins,commecela,iln’abîmeriendanssamaison.—Etn’y«satisfaitpassesbesoins»,ajoutaHarrietavecunpetitrire.DepuisleurarrivéeàLondres,l’exubérantterriers’étaitmisentêtedesuivreladyTimmonspartout
où elle allait et de la surprendre à chaque instant par un aboiement rauque. La tante deTabitha avaitdéclaré,laveilleencore,qu’ilfiniraitparveniràboutdesesnerfs.Elles’apprêtaitàgrondersévèrementsanièceàcesujetquandunepetitetouxsèchedecousineEuphemial’avaitpousséeàravalersesplaintesderrièreungrandsourire.
—Pensez-vousquenousavonsletempsd’allerjusqu’àBondStreet?proposaDaphnéd’unevoixrêveuse,aprèsuncourtsilence.Justepourpasservoirunecouturièreavantderentrer,uneseule,jevouslepromets.
Tabithaneputréprimerunfourire.—Justeune?Tuessûre?—Ehbien,peut-êtreaussiuneboutiquederubans.Enentendantcela,Harrietlevalesyeuxauciel.—Oui,etunemercerie,etcettemodistedonttuasvularéclamedanslejournal,etpuis…—Oh!nesoispasridicule!coupaDaphné.Jen’iraisjamaisvoiruneboutiqueseulementàcause
d’uneannonceparuedansunegazette,jesuisbientropmalignepourcela.Cette affirmation fit de nouveau éclater de rireTabitha etHarriet, à tel point queDaphné semit
finalementàs’esclafferàsontour.—Pardonnez-moidevouloirfairelesboutiques!s’écria-t-elled’unevoixexagérémentthéâtrale.—Oh!tuestoutepardonnée,réponditTabithaquicommençaitaussiàselasserdesonenfermement
forcé.—Aumoinsaurons-nousenfinlachancedesortircesoir,ajoutaHarriet.Serappelantsoudainlesconséquencesqu’auraitcettesoirée,elledétournaleregard.—Oui, et nous aurons de nouvelles robes à porter, renchéritDaphné, comme si cela suffisait à
rendreagréablel’idéederencontrerlefuturépouxdesonamie.J’espèrequelacouleurdematoilettememettraenvaleur.
—Jecroyaisquetunecherchaispasd’époux,luirappelaHarriet.—C’estvrai,répliquasèchementDaphnéavantdebaisserlavoix.Maiscelanemedérangeraitpas
d’êtreunpeuadmirée,pourunefois…Oui, juste une fois. Tabitha ne put qu’être d’accord et sentit son cœur se serrer. Que penserait
Prestondesanouvellerobe—unecréationoséequeDaphnéavaitcommandéeenprofitantdel’absencemomentanéedeladyTimmonsausalon?
Nonpasqu’elleespérâtêtreadmiréeparPreston.Paslemoinsdumonde!Oh!Seigneur…Queferait-elle,sijamaisellelerevoyait?Etquedirait-ils’ildécouvraitlavérité
—qu’elleétaitàLondrespouryêtremariée—alorsqu’elleavaittantinsistésurlefaitqu’elletenaitàrestervieillefille?
Ilauraitsansdoutelancéuneremarqueacerbe;oupis,faitquelquechose…
«Jemepermettraipeut-êtredevousinviteràdanser,sinousnouscroisonsdenouveau.»Une plaisanterie, rien de plus ; et pourtant comment se déroulerait la soirée à venir, s’il était
présent?Oserait-illuiprendrelamainpourl’entraîneraumilieudesautrescouples,enpleinelumière?Troublée, elle scruta rapidement la longue allée d’arbres et les gazons uniformes, s’attendant
presqueàvoirsasilhouetteapparaîtredevantelle.Non,c’étaitstupide:ellenerisquaitpasdelecroiserici,etsurtoutpasàuneheurepareille.
— Peut-être ferions-nous mieux de rentrer avant que ma tante ne se lève ou qu’un désastre nesurvienne,lança-t-elle,soudainnerveuse.
—Hélas,jecrainsqu’ilnesoittroptard,réponditHarrietendésignantl’alléedevantelles.Alors que toutes trois avaient mis un point d’honneur à se comporter avec toutes les grâces et
bonnesmanières que lady Essex s’évertuait à leur enseigner,M.Muggins, lui, avait trouvé quelqu’und’autreàtourmenter—ets’apprêtaitàleurcauserdegravesproblèmes…
***
—Oh!tudoisêtreenmauvaiseposturepourquenoussortionsàuneheurepareille,déclaraRoxleytandisquePreston,tenantlesrênes,s’engageaitdansRottenRow.Rappelle-moipourquoinousavonsprislavoituresitôt.
—T’ai-jevraimentréveillé?protestaPrestonenexaminantsesnouveauxchevaux,vifsetdociles.—Non,c’estvrai.Roxleys’adossaaufonddesonsiège,étenditseslonguesjambesetcroisalesbras.—Lanuitétaitbienagréable,etvoilàquec’estdéjàlematin.Lavieestétrange,parfois…Surcesmots,ilfermalesyeuxcommes’ilétaitsurlepointdes’assoupir.Preston lui jeta un rapide coup d’œil. Son ami portait encore son costume de soirée et avait
immédiatement accepté sa proposition d’essayer sa nouvelle voiture au parc. Preston n’en avaitcependant pas douté : Roxley, irresponsable et oisif comme il l’était, ne refuserait jamais undivertissementquelqu’ilsoit—mêmes’ildevaitserendormirenpleinmilieu.
Hélas, s’il dormait, il ne serait pas très utile àPreston.Le réveiller pour lui demander son aideattireraitsûrementsessoupçons.
Et,pourtant,ilavaitbesoindeluipourretrouverMlleTimmons…Tabby.Maudite soit-elle, avec ses grands yeux noisette et son appétit pour le pudding !Un seul
baiseravaitsuffiàlebouleverseretqu’avait-ilfait?Ilavaitfui.Non,celan’avaitpasétéuniquementlafautedecebaiser,bienqu’ilaitjouéunrôleimportantdans
son accès de panique. Il était parti car Tabby était la seule à détenir la clé d’une porte qu’il avaitcherchée pendant des années en lui sans vraiment s’en apercevoir. A présent, pour se libérer de cesortilège,ildevaitàtoutprixlaretrouveretseprouver,unefoispourtoutes,quecettefollesoirée,danslepetitsalondel’auberge,n’avaitvraimentrieneudesimagique.
Mais comment la revoir maintenant qu’elle avait disparu, emportée par la tante de Roxley sanslaisserlamoindretracederrièreelle?Commentlaretrouver?
IlsavaitexactementoùsetrouvaitladyEssex—cloîtréechezRoxleytandisquecelui-cisecachaitlui-même chez Preston—,mais il savait aussi que la vieille femme n’avait pas gardé ses protégéesauprèsd’elle,niTabby,nilesautres…
Cettedécouverteluiavaitd’ailleurscoûtéquelquesbilletsglissésdanslapochedumajordomedeRoxley,Fiske.Etvoilààquoiilenétaitréduit:arpenterlesruesdeLondresdansl’espoirdedécouvrircequeladyEssexavaitfaitdeTabbydepuissondépartdel’auberge.
Denouveau,il jetaunregardàRoxley,lagorgeserréeparunesoudaineculpabilité.Ilsavaittrèsbiencequ’ilallaitdevoirdemanderàsonami,etc’étaitunechoseimpensable…
Cependant,Roxleyétaitsondernierespoir,etledernieramidePrestondepuisquelesmembreslesmoinsestimésdelasociétéluitournaientégalementledos.Iln’auraitmêmepaspusefaireinviteràuncombatdecoqs!
Et,pourtant,Henavaittoutfaitpourétoufferlescandale.Ilavaitfiniparcéderàsesexigencesetparaccepterdechercheruneépouse,dansl’uniqueespoirquecelaleconduiseàretrouverTabby.C’estàcemomentqu’ils’étaitrenducompteàquelpointtoutlemondelefuyait…
Il avait même été prêt à accompagner sa tante à Almack pour y voirMlle Timmons ; mais lesmatronesquigardaientjalousementl’entréeleuravaientfermélaporteaunezetilsétaientrentréschezeuxcouvertsdehonte.
Biensûr,l’indomptableHenn’avaitpasbaissélesbras.ElleétaituneSeldonetn’avaitpasacceptéd’êtreainsiméprisée.
—Ils s’en repentiront tous, le jouroù je t’aurai fait revenir sur ledevantde la scène, avait-ellemarteléjusqu’àparveniràdécrocheruneuniqueinvitation.
— Je ne me serais jamais retrouvé dans une telle situation sans cette fichue course, grommelaPrestonentresesdents.
—Qu’ya-t-il?demandasoudainRoxleyenouvrantunœiletenseredressantunpeu.—Lacourse.ContreKipps.—Oh!oui,cettecourse.Unesacréehistoire,eneffet…S’installant plus confortablement, Roxley examina les chevaux quelques instants d’un air
approbateur.—Celadit,tun’aspasparutrèsattristéquandtuasempochétesgains,lançaamèrementPreston.—Jen’airienpariéaveclepauvreKipps,jemesuiscontentédeprendrel’argentdeDillamore—
ou,plutôt,saparole,ajouta-t-ilentapotantlapochedesonpardessusoùilconservaitlesreconnaissancesdedettesqu’ilrécupérait.Situterappellesbien,jet’avaisprévenudenepasentraînerKippsplusbasqu’ilnel’étaitdéjà.
—Oui,c’estvrai,admitPrestonàregret.J’auraismieuxfaitdet’écouter…Acesmots,Roxleysursauta.—Comment?Unetraced’humilitéchezPreston,letout-puissant?Ilembrassal’alléedéserted’unregardetsoupira.—Queldommagequepersonnenesoitlàpourl’entendre…Prestonéclataderire.—Situlerépètesàquiquecesoit,jenieraitout!Roxleyeutunhaussementd’épaulesindigné.—M’as-tudéjàentenducolporterdesragots?—Dois-jevraimentterépondre?— Dans l’intérêt de notre amitié, je pense qu’il ne vaut mieux pas, rétorqua Roxley dans un
bâillementavantdecroiserdenouveaulesbras.Deplus,sijedisaisquetuasdesremords,personnenemecroirait:onmeprendraitpourunfou!
—Onteprenddéjàpourunfou…—Etc’estbienpratique!gloussaRoxley.Personneneveutmariersafilleàunfou.Satisfaitdesontraitd’esprit,ilaffichaunlargesourire.—Peut-êtredevrais-jeessayerdefairecommetoi,murmuraPreston,presquepourlui-même.Seigneur,ilétaitdéjààmoitiéfoudevouloirretrouveràtoutprixTabby!
—Personnenepourraittecroiredément,déclaraRoxley.C’estpourcelaquejen’aijamaisracontéàpersonnequetuavaiseuunaccidentdevoitureàlasortiedeKempton.
—Roxley!interrompitPreston,soudaininquiet.Maissonamiéclataderire.—Net’enfaispas,jenedirairien.Deplus,jet’assure,personnenemecroirait.Le comte lança un nouveau coup d’œil aux chevaux et changea de conversation, au grand
soulagementdePreston.—Cesontdebonnesbêtes,fortes,avecunebelleallure.—Oui,jesuisd’accord.—Aumoins,ellesnerisquentpasdesecabrerenpassantunvirageetenseretrouvantfaceà…—Roxley.Denouveau,sonamieutunpetitrire.Cesserait-ilunjourdeluirappelercestupideaccident?Ilsdemeurèrentsilencieuxquelquesinstants,puisRoxleylança:—J’imaginequeladyJuniper—c’estbienencoreJuniper,n’est-cepas?Prestonacquiesça.—Ehbien,j’imaginequ’ellen’apasentenduparlerdecetteautrecourse,contreWalsby,ilyadeux
semaines.—Non,Dieumerci!Sic’étaitlecas,Henryetelleauraientdéjàpliébagage.—Pourtant,repritRoxley,jepensaisqu’ellel’apprendraitquandnousnoussommesretrouvésdans
cetteaubergeoùcesjeunesfillesdeKemptonavaientfaithalteavantdeserendreàLondres.TuterendscomptequenousavonsfaillinousretrouvernezànezavecladyEssex?Nousaurionseudroitàunbeausermonenbonneetdueforme!Elleahorreurdujeu.Quantauxcourses…
Ileutunfrisson.—HeureusementquecettefilledeKemptonn’estpasbavarde.Pourunefoisqu’unedemoisellefait
preuvedebonsens,hein?Preston ne trouva rien à répondre. Roxley lui avait offert une ouverture parfaite, mais comment
pouvait-ildemanderàsonamideprendredesrisquespourlaretrouver?Roxleyneparutpass’apercevoirdesontroubleetpoursuivit:—Comments’appelait-elle,déjà?—Qui?lâchaPrestond’unairinnocent.Hélas,savoixsonnafaux.—Qui?Preston,monDieu,tuesunpiètrementeur!Tusaistrèsbiendequijeparle:lajoliefille
avec laquelle je t’ai forcé à souper, dit-il. Et ne me dis pas que tu ne te souviens pas de son nom.MlleTate?Non,plutôtMlleTrifle?
—MlleTimmons,marmonnaPreston,soucieux.Roxley était peut-être tête en l’air,mais il avait un don pour deviner tout ce qu’on tentait de lui
cacher.Oui,sonnométaitMlleTabithaTimmons…Tabby. Avec son appétit vorace et ses opinions tranchées. Ses baisers et son regard enflammé
capabledeprécipiterlachuted’unhomme.Carc’étaitcequis’étaitpassé:ill’avaitembrasséeets’étaitsentiperdudepuis.
Aprésent, ildevait s’empresserde la retrouveret l’embrasserdenouveaupours’assurerqu’elleétaitparfaitementordinaire—etpasunesortedesirènecapabledeluivolersoncœur.Aprèscela,saviereviendraitenfinàlanormale,ilenétaitcertain.
—Ah oui,Mlle Timmons, la fille du vicaire, reprit Roxley, les sourcils froncés. J’ai d’ailleurspenséquecettesoiréeajouteraitunautrescandaleàtacollection.
Eneffet,celaavaitfailli.CommentPrestonavait-ilréussiàs’extirperdeceguet-apens?C’étaitunmystère.
Ill’avaitembrasséedansuninstantdefaiblesse,maisn’avaitjamaispensépouvoirêtreainsiprisaupiège—nicompromettreTabby.Biensûr,certainspourraientdirequ’elleétaitdéjàperdue,aprèscebaiser, comme tant d’autres jeunes filles imprudentes déjà tombées dans ses filets.Cependant, aucuned’entreellesn’avaitsus’emparerainsidesoncœur.
Et il n’avait jamais encoredésiré une femmecomme il désiraitTabby.Pourtant, lorsqu’il l’avaitregardéedanslesyeux,cesyeuxremplisd’untelémerveillement,d’unteldésir,ilavaitcomprisqu’ilnepouvaitallerauboutdesonacte.Ilnepouvaitladétruire.Quelquechose,aufonddesoncœur,l’enavaitempêché.Nefaispascetteerreur…Cetavertissementquiavaitrésonnéenluil’avaitfaitfuir.Peut-êtreétait-ceplutôtluiqu’ilavaitsauvé.
—C’estvrai,renchéritRoxleyavecunregardnonchalantsursesbottes,tun’asregagnélachambrequeforttard,cesoir-là.Jecommençaismêmeàmedemandersij’allaisencoredevoirteseconderdansunduel…
Agacé, Preston lança à son ami son regard le plus hautain — celui que son grand-père avaitperfectionnéaufildutemps.
—Un duel pour cette vieille fille ? Balivernes !De plus,Hen demanderaitma tête pour un telscandale.
—Seulementsielleenentendparler,répliquaRoxleyavantdefermerdenouveaulesyeux.Tusaisqu’ellemefaittrèspeur,tatante.
—Ellefaitpeuràtoutlemonde.Elleamêmeréussiàmefaireinviteràunefête,cesoir.CelasuffitàréveillercomplètementRoxley.—C’estvrai?Quidoncaacceptédeterecevoir?Voilà lehic :depuis ladébâcleavecKipps,pluspersonnene luiavaitenvoyéd’invitations.Sauf
une.—LadyKnolles,lâcha-t-il.Roxleyfrissonna.— Pauvre lady Juniper ! soupira-t-il. Elle est tombée bien bas pour devoir fréquenter une telle
créature.PlainsplutôtladyKnolles,c’estunedesamiesdematante,tusais.Oui,Prestonlesavait,etc’étaitjustementpourcelaqu’ilavaitbesoindel’aidedeRoxley.Malheureusement, avant qu’il n’ait pu formuler sa question, son ami eut un petit signe de tête en
directiondeschevaux.— Belle paire, déclara-t-il. Mais chevaucher ici, sur l’allée, n’est pas la même chose qu’à la
campagne.—Oh!ilsferontl’affaire!Veux-tutenterunessai,demain?—Jepensaisquetunemeledemanderais jamais!Rassure-moi, tun’organisespasunenouvelle
course?—Toiaussi,monfils?plaisantaPreston.—Onnepeutseretrouvertoujoursassociéàdemauvaisesactionssansentachersaréputationàla
longue,soupiraRoxley.Tuconnaismestantes.—EttuconnaisHen.—Oui,eneffet,admitRoxley.Honnêtement,jecroisque,ladernièrefoisquejesuisvenudansce
parcsitôt,jeportaisencoredesculottescourtes!J’avaisoubliécommecelapouvaitêtreagréable…Ma
nourricem’yemmenaittoujoursaupetitmatin.Paslatienne?MaisPrestonn’avaitpasécouté,l’espritailleurs.—Pardon?—Tanourricet’amenait-elleiciquandtuétaisenfant?Surpris par cette question, Preston examina le parc. Il n’avait jamais remarqué à quel point les
grandsarbresetlesétenduesdegazonressemblaientàOwlePark,oùilavaitgrandi.Pourquoines’enétait-iljamaisaperçu?
—Non,répondit-il,pluspourchassersessouvenirsquepourrépondreàRoxley.—Jamais?—J’aigrandiàlacampagne,précisasèchementPreston.—Alorstudevaisavoirl’impressiond’êtretoujoursauparc,murmuraRoxleyavantdeseplonger
danssessouvenirsd’enfance.Cependant,pourPreston, les souvenirsd’enfancen’étaientqu’amertume.Bienqu’ilessayâtdene
pasécouterlebavardagedesonami,ilneputs’empêcherderevoirlamaisond’OwlePark,plusvivantequejamais,etautourdeluilegazon,leschiensquicouraientdanstoutlejardin,lesjeuxavecsesfrères,le riremusicaldesasœur, sonpèreet samèrequimarchaientmaindans lamain le longdescheminsqu’ilsaimaienttant…
Tout cela avait disparu. Tout était perdu. Pas la maison elle-même, bien sûr : le grand manoirpalladien existait toujours, même si ses volets étaient clos depuis longtemps. Depuis son dîner avecTabby,ilneparvenaitplusàchasserOwleParkdesespensées.Elleluiavaitfaitcomprendrequetoutcelapourraitreprendrevie,unjour…
Soudain,commepourl’empêcherdechassercesimagesdouloureuses,ungroschiensurgitdenullepart,bondissantcommes’ilétaitmontésurdesressortsetaboyantsauvagementfaceauxchevaux.
Lesdeuxbêtes,quiavaientavancéenparfaiteharmonie jusque-là, secabrèrentet immobilisèrentbrusquementlavoiture.Prestonparvintaisémentàlescalmeretselevadesonsiègepourmieuxvoircequ’ilsepassait.
—Va-t’en,salebête!Va-t…Cefutalorsqu’ilreconnutlemonstre.M.Muggins?Lechienlereconnutàsontouretl’accueillitjoyeusementparunenouvelleséried’aboiements,tout
encourantentrelespattesdeschevaux,quis’agitèrentdenouveau.Souslechoc,Prestons’affalasursonsiège.
Acôtédelui,Roxleys’étaitagrippéàlarambarde.—D’oùestdoncsorticediableroux?Ilmesemblebienfamilier…Entoutcas,quelsauvage!Preston tâchait d’apaiser les battements de son cœur lorsqu’il vit trois silhouettes féminines
apparaîtred’unemanièrefortpeudistinguéeauboutdel’allée,courantetcriantquelquechosed’assezconfus.
Laplusprochetenaitunelaisseàlamain,maiscefutsadémarchedéterminéeetlesbouclesrougesombrequis’échappaientdesonchapeauquiattirèrentl’attentiondePreston.
Tabby.Soudain,horrifié,illavitseprécipitersouslessabotsdeseschevauxemballésenhurlant:—Monsieur,voschevauxvontpiétinermonchien!Non,c’étaitellequiallaitfinirpiétinéesiellenereculaitpas!PrestonlançalesrênesàRoxleyet
bonditausol,lagorgenouée.Ilauraitaimédescendredevoiturepourunebonneraison—sauverTabbydesongestesiinsensé—maiscen’étaitpaslaseuleexplication.
Ilne le fitpasnonplusparpeurde se faireencore remettreà saplaceparHensi sesnouveauxchevauxblessaientlafilled’unvicaire.
Seigneur,Preston,tunecesserasdoncjamaisdejeterledéshonneursurcettemaison?Non,s’ilbonditausol,cen’étaitenrienpourtoutcela.AumomentmêmeoùilattrapaTabbypour
lasecourir,àl’instantoùilsentitsoncorpschaudplaquécontrelui,sescourbesàprésentfamilièressoussesmains—moinsmaigresqu’àl’auberge,semblait-il—,etàl’instantoùilplongealesyeuxdanssonregardprofondetfurieux,ilcompritque,laseulepersonneendanger,c’étaitlui.
Chapitre7
Preston.Tabithaétaitstupéfaite. Ilétaitaussibeau,dangereuxet irrésistiblequedanssonsouvenir…Plus
encore,siunetellechoseétaitpossible.Ses bras vigoureux l’enserraient, ses mains étaient plaquées contre son dos et ses muscles
l’enveloppaientdenouveau,commeàl’auberge.Ellesentitalorssoncœurs’emballeretlesolsedérobersoussespieds.Oui,ilétaittoujoursaussi
irrésistible.—Monsieur,veuillez…veuillez…Elleprituneprofondeinspiration,dansl’espoirvaindesecalmer.—Lâchez-moi,parvint-ellefinalementàbalbutier.Ellelevaalorslesyeuxetcequ’ellevit lapétrifia.Danssonregardbrillait lamêmeflammeque
l’autre soir, celle qu’elle avait vue après qu’il l’avait embrassée. Un feu affamé, possessif, qui nedemandaitqu’àêtrelibéré.
—Tabby,murmura-t-ilàvoixbasse—assezbassepourquepersonned’autrenel’entende.Mais Tabitha, elle, l’avait entendu ; et ce simple nom, intime, la fit frissonner de plaisir. Elle
redevenaitTabbyetluin’étaitriend’autrequesonamantdangereuxettéméraire.Soudain,Harriet fitentendreunepetite touxdanssondosetTabitha futbrutalement ramenéeà la
réalité.Ellen’étaitpasdans le salonprivéd’unepetiteauberge isolée,maisaumilieudeLondres,enpleinematinée.Deplus,ellenepouvaitpasêtreTabbypourcethomme,nimaintenantniplustard.
—Laissez-moi,chuchota-t-elletoutensurveillantleschevauxqueRoxleyavaitréussiàcalmer.Près d’elle, M. Muggins s’était couché, et demeurait calme, couvant Preston d’un regard
d’adoration.Sansdouten’avait-ilpasoubliélerosbifqu’illuiavaitdonné,toutcommeellenepouvaitoublierlebaiserqu’ilsavaientpartagé.
—Jevousenprie,reprit-elleplusnerveusementenremarquantl’airscandalisédeDaphné.—Oui,biensûr,s’excusa-t-ilavantdefaireunpasenarrière.Vousn’êtespasblessée?Lecœurbattant,ellesecoualatêtebienqu’elletremblât.Blessée?Non.Bouleversée?Oui,sans
aucundoute.Daphné, intrépide comme à son habitude, s’avança d’un pas décidé. De toute évidence, elle se
trompaitsurlesraisonsdutroubledeTabitha.—Ceschevaux,lança-t-elleavecunregardsurlesbêtesdePreston,sontbienmaldressésettrès
maltenus.Ilsontfaillipiétinermonamie,monsieur.Jenesuisplusétonnéequevousayezdesaccidentsdevoiture!
Prestonparutpiquéauvif.Sansdoutesonorgueilavait-ilététouché…—Maltenus?répliqua-t-il.—MademoiselleTimmons?EtmademoiselleDale?s’exclamaRoxleyaumêmeinstantavantde
jeteruncoupd’œilsurHarriet.Comment,toiaussi,Harry?—LordRoxley!s’écriaHarrietd’unairsurpris.LadyEssexnousapourtantditquevousn’étiez
pasenville.Quandêtes-vousrentré?LecomteétouffaunepetitetouxgênéeetlançaàPrestonunappelàl’aidesilencieux.—Je…jeviensderentrer,balbutia-t-il,prisdepanique.Voussouvenez-vousdemonami,Preston?—Ahoui,réponditcelui-cid’unevoixinnocenteensaluantTabitha.MademoiselleTimmons,c’est
biencela?De…Kempton?IlregardaRoxley,commes’ilattendaituneconfirmationdesapartet,profitantdetournerledosà
HarrietetDaphné,gratifiaTabithad’unclind’œilcomplice.—Oui,dit-ellesimplement,ignorantl’affolementdesoncœur.Non,ilnedevaitpasluifairedeclind’œil!Necomprenait-ilpasquetouterelationentreeuxétait
impossible?Siseulementtupouvais,luimurmurasoudainunepetitevoix.Siseulement…— Veuillez excuser ma tenue négligée, reprit Roxley avec un petit geste en direction de ses
vêtementsfroissés.— Vous portez vos vêtements du soir, milord ? plaisanta Harriet qui caressait l’encolure des
chevaux.Vousn’êtespasrentrédelanuit,j’imagine.AttendezseulementqueladyEssexentendecela…—Non!s’écrièrentenmêmetempsTabitha,RoxleyetPreston.DaphnéetHarrietlesdévisagèrentuninstant,surprisesparleurréaction,maisRoxleys’empressa
debriserlesilence:—MademoiselleHathaway, jevousprieraidenepasparlerde tout celaàma tante.Vous savez
commentellepeutêtre…IlajoutaàcepetitdiscoursunegrimaceéloquenteetunfrissonthéâtralquifirentsourireHarriet.—Oh!maiselleseraittellementraviedevoussavoirenville!Lecomtepâlitenuninstantet,s’ilparaissaitdéjàfatiguédesanuitfolle,affichasoudainunemine
patibulaire.—Aimez-vousLondres,mademoiselleHathaway?coupaalorsPreston,venantà larescoussede
sonami.—Pasdutout,répliqua-t-elleavecsafranchisehabituelle.Prestonéclataderire,cequinefitquelerendreplusbeauencore,augranddésespoirdeTabitha.—Commentcelasefait-il?—Ehbien,latantedeTabithanousempêchedesortir,saufpourfairelesboutiquesenvuede…—En vue d’acheter de nouvelles robes, intervint précipitammentTabitha, de peur que son amie
n’endisetrop.Ellecompritalors leréeldangerdecetterencontre :DaphnéouHarriet risquaientdedévoiler la
véritéàPreston…—Oui,denouvellesrobes,repritHarrietavecunregardenbiaisendirectiondeTabitha.—Bien,j’imaginequevousavezàfaire,messieurs,poursuivitcelle-ci,deplusenplusinquiète,et
nousaussi.Nousdevons…c’est-à-dire…Quelleexcusetrouverpourpartirauplusvite?Non,pourpartirimmédiatement…Prétendreêtreen
retard?Maisoù?Uneseulechoseluivintàl’esprit.
—Nousdevonsallerdanser!lâcha-t-elle.Oui,nousdevonsrentrer:matanteaengagéunmaîtrededanseetjecrainsquenousnesoyonsdéjàenretard.Veuilleznousexcuser.
Visiblement stupéfiéespar saprécipitation,DaphnéetHarriet restèrent interdites.Mais,bien sûr,Harrietn’étaitpasdecellesquicomprenaientleschosesàdemi-mot.
—Ilneserapasàlamaisonavantdesheures,Tabitha,corrigea-t-elle.Tatantenousaditqu’ilneviendraitpasavantdeuxheuresetdemie.
—Unmaîtreàdanser?demandaPrestonavecunpetitsourireencoin.Seigneur,pourvuqu’ilnediseriend’autre…Hélas,lesprièresdeTabitharestèrentlettremorte.—Cepauvregarçona-t-ilprévudesbottesderechange,mademoiselleTimmons?Jecrainspour
sesorteils,s’ilessaiedevousdonneruncours.Illaregardaavecinsistanceenprononçantcesmots.Espérait-ilréellementqu’ellerépondeàcela?
Ou,pis,qu’elleexpliquelesraisonsdesamoquerie?Heureusement,ledestineutpitiéd’elle.—Vousallezprendredesleçonsdedanse?intervintRoxley.Encepremierjourensoleillédepuis
dessemaines?Queldommage:ilyatantàvoiràLondres…—Jesuistoutàfaitd’accordavecvous,renchéritHarriet.J’aimeraisvoirl’éléphant,àlaTour.Et
aller à Astley. Et au théâtre. Et au Vauxhall, même si lady Essex dit que c’est un lieu immoral etqu’aucunefemmedécentenedevraityentrer.
—Oui,vossouhaitssonttrèsraisonnables,admitRoxley,àpartpeut-êtreleVauxhall.—MaisladyTimmons,latantedeTabitha,nousrefusetouscesplaisirs,soupiraHarriet.—Pourquoidonc?demandaalorsPreston,sanslâcherTabithadesyeux.Seigneur,pourquoidevait-ilflairertouslessecretsdesgensainsi?Pourquoinepouvait-ilêtreplus
naïf,commeRoxley?—ElleapeurqueTabithan’attireleschasseursdefortune,biensûr!répliquaHarriet.Soudain,réalisantsansdoutequ’elleenavaittropdit,elles’interrompit.Maisilétaittroptard.—Deschasseursdefortune?s’écriaRoxleyavantd’éclaterderire,imitéparPreston.—Quecraignez-vousdoncdeceshommes,mademoiselleTimmons?s’enquitcelui-ci.Cen’esttout
demêmepascommesivousétiezvenuepiégerunépoux.Lagorgenouée,Tabithareculad’unpas.Quedire?Malheureusementpourelle,Harrietsefitdenouveauunejoiedecomblerlesilence.—Tabithavientd’hériterunegrandefortunedesononcle.Elleseratrèsdemandée,àprésent!Lesdeuxhommeslesdévisagèrentuninstant,l’airtotalementhébété;puisRoxleyfinitparretrouver
savoix:—Oh!celaexpliquetout!DoncvousêtesvenueàLondrespourytrouverunépoux,n’est-cepas?Satentativedeplaisanterienerencontraguèrelesuccèsescompté.—Non,ellen’estpasvenue«piéger»unépoux,commevousleditessicrûment,précisaDaphné
en s’avançant d’unpas pour prendre le bras deTabitha.Pourquoi le ferait-elle, alors qu’elle est déjàfiancée?
—Daphné!Figéesurplacepar l’horreurdecetaveu,TabithalevalesyeuxsurceuxdePrestonetyvit toute
lueurd’amusements’éteindrebrutalement.Voilà,quelquessecondesplustôt,elleétaitencoresaTabby,etmaintenant elle n’était plus rien. Elle ne serait plus jamais sienne… Il ne l’embrasserait plus, nepartageraitpluslemoindresouperintimeavecelle.
—Fiancée?lâcha-t-ild’unevoixrauque.Est-cevrai?
A cet instant, tout Londres parut s’immobiliser autour de Tabitha, paralysé dans l’attente de saréponse.
Querépondre?Quefaire?Pourquoi,d’ailleurs,sesouciait-iltantdesesfiançailles?Al’auberge,ilavaitpassésasoiréeàplaisanter,àtenterdelaséduire.Ill’avaitembrasséepuisavaitfui…Etvoilàque,maintenant, son bonheur futur semblait l’inquiéter ? Les hommes étaient vraiment une espèceincompréhensible!
— Bien sûr que c’est vrai ! s’exclama Harriet. Pourquoi serions-nous venues à Londres, si lesfiançaillesn’avaientpasdéjàétéarrangées?
Preston,presqueaussipâlequeTabitha,reculad’unpas,laregardantcommes’illavoyaitpourlapremièrefois.
—Toutcetemps…?souffla-t-il.Ellesutinstantanémentcequ’ilvoyaitenelle—oucequ’ilcroyaitvoir:qu’ellen’étaitquel’une
deceshorriblesetmalhonnêtesélégantesqu’ilméprisaittant.—Ehbien,mademoiselleTimmons ! finit-ilpar lancerd’unevoixsarcastiqueetamère.Moiqui
pensais que vous évitiez lemariage— et les hommes— à cause de votre prétenduemalédiction deKilton…
—Kempton,corrigèrent-ellesenmêmetemps.—Oui,lafameusemalédictiondeKempton!Cellequivousdestineàvoustransformerensorcières
assoifféesdesanglorsdevotrenuitdenoces,n’est-cepas,Roxley?—Entoutcas, jeneprendraispaslerisquedevousépouser,gloussalecomte,avantderectifier
hâtivement:sansvouloirvousoffenser.—Nousnelesommespas,affirmaHarriet.—Iln’yaaucunemalédiction,insistaTabitha.—Jel’espère,pourlebiendevotrefiancé,réponditPreston.Sivousmelepermettez,qu’est-cequi
amotivé cette décision soudaine ?Un coup de foudre ?Ou bien vous a-t-il déshonorée et se voit-ilmaintenantprisaupiège?
UnetellecruautéfrappaTabithaenpleincœuretellesentitsesjouess’enflammer.—Vousêtesodieux,monsieur,protestaDaphné.—Ce n’était pasmon intention,mademoiselle, répliqua-t-il sans pour autant quitter Tabitha des
yeux.—Sivousvouleztoutsavoir,lefiancédeTabithaestunparfaitgentleman,repritsonamie.Elleinsistabiensurlederniermot,luifaisantainsicomprendrequ’ilnepouvaitprétendreàuntel
honneur.—Ilestbienplacéetn’ariend’undandy,contrairementàvous,monsieur.Prestonportalamainàsoncœur,dansungesteexagéré.—MademoiselleDale, vousme blessez ! Sachez que je ne suis pas un dandy et, si votre amie
épouseeneffetuntelsymbolederespectabilité, jeleursouhaitebeaucoupdebonheuràtousdeux:ilsserontbienassortis.
Tabithabaissalesyeux,lagorgenouée.SielleplongeaituninstantdeplussonregarddanslesyeuxsombresdePreston,ellerisquaitdefondreenlarmes.D’oùvenaitcettedouleurquilaterrassait?Aprèstout,ellen’auraitpasdûsesoucierdecequecevoyoupouvaitpenser!
Hélas,toutcelan’étaitqu’unécrandefumée.Elles’ensouciait…Ohoui,elles’ensouciait…Ilneluirestaitplusqu’àsuivresonexempleettournerlestalons.Cependant,aprèsquelquespas,
elles’aperçutqueMonsieurMugginsnelasuivaitpascommeàsonhabitude.—MonsieurMuggins,aupied!appela-t-elle.
Maislechienl’ignora:pourquoitournerledosàunepersonnequiluioffraitdurosbif?Incapablederesterlàpluslongtemps,ellefitvolte-faceetseprécipitapourrattacherM.Muggins,
maiselletremblaittellementqu’elleneparvintpasàdéroulerlalaisse.Prestonsepenchaàsontour,pritlalaisseetlapassafermementaucollierduchien.
—Vaavecelle,bonhomme,murmura-t-ilentendantdenouveaulalaisseàTabitha.A l’instant où elle la prit, leursmains s’effleurèrent furtivement et, bien qu’ils fussent tous deux
gantés,cecontactlesfoudroya—exactementcommelorsqu’illuiavaitdonnélepennygagnélorsdeleurpari.Instinctivement,Tabithalevalesyeux.Prestonavaitl’airfurieux,encolèrecontreelle.Blessé.
—Tabby!Commentas-tupu?souffla-t-il,oubliantsoudaindelavouvoyer.Hélas,avantqu’elleaitpurépondre…Oh!Seigneur,expliquerquoi?Quecesfiançaillesn’étaient
pas son idée ? Qu’elle ne voulait pas épouser M. Reginald Barkworth ? Qu’elle n’avait qu’unealternative:semarierethériter,oupassersavieàfaireleménagepoursatante?
Comment expliquer une telle chose à un hommequi prenait ses plaisirs et sa liberté pour argentcomptant ? Que pouvait-il savoir de sa vie ? Comment pourrait-il seulement comprendre un choix sidouloureux?
Devantsonsilence,Prestons’écarta,aussibrutalementqu’ill’avaitfaitcettenuit-lààl’auberge,etremontadanssonphaéton,horsdeportée.
—Bonnejournée,mesdemoiselles,lança-t-ilensoulevantsonhautchapeau,etfélicitezvotrefiancédemapart,mademoiselleTimmons—puisqu’ilvousépouse,ilmériteaumoinscela.
Puisildonnauncoupsecsurlesrênesetpartit.—Oh!Quelhommeinsupportable!s’écriaDaphnélorsqu’ilsfurentloin.—Etmoiquipensaisquemesfrèresavaientmauvaiscaractère,soupiraàsontourHarrietavantde
réajustersonchapeauetsesgants.—Toutàfait!Tabitha,quiestcethommequiseconduitavectantd’insolence?—Jen’enaiaucuneidée,confessa-t-elle,maisjel’aitrouvéparticulièrementodieux…—Odieuxpeut-être,mais ilpeut sepermettred’êtreaussigrossierqu’il ledésire,glissaHarriet
avecunnouveauregardendirectiondelavoiturequis’éloignait,avantdesetournerendirectiondelamaisondesTimmons.
—Pourquoidis-tucela,Harriet?demandaDaphné,visiblementintriguée.CevoyoudeM.PrestonainsultéTabitha!Iln’enavaitaucundroit.
—Ilatouslesdroitsdumonde,aucontraire.Harrietlesconsidérauninstantavantdesoupirer.—Vousnesavezdoncpasquiilest?Surprise, Tabitha s’immobilisa, imitée par Daphné. Que signifiait cette question, et cet air
malicieux?—Enfin,c’estPreston,repritHarrietd’unevoiximpatiente,commesicelasuffisaitàtoutexpliquer.
Celuidonttescousinesnecessentdeparler,voyons!—M.Preston?Tabithaneparvenaittoujourspasàsesouvenird’uneseuleparoledesescousinesàsonsujet—et
pourtant,sielleavaitentenduparlerdelui,elleauraitcertainementtendul’oreille.MaisHarrietdevaits’êtretrompée:lestroissœursn’auraientsansdoutepasprisletempsdesesoucierd’untelindividu.Elles n’avaient d’yeuxque pour les titres et les hommesqui regardaientPreston et ses semblables dehaut.
RegarderPrestondehaut…Cetteidéelapritdecourtetelleposalesyeuxsurlephaéton—unevoitureéléganteethorsdeprixtiréepardeuxchevauxassortisquiavaientaussidûcoûterunefortune.
Oui,unefortune.Unfrissonglacélaparcourut.Harrietavait-ellebiendit:«C’estPreston.»Enfaced’elle,sonamiesecouaitlatêted’unairincrédule.—Tabitha,cethommen’estpasseulementM.Preston,c’estleducdePreston.LeducdePreston?Tabithafutsoudainprised’unvertige.Ellefitdesonmieuxpourreprendresonsouffletandisquelavéritéprenaitcorpspeuàpeu.Preston
n’était-ildoncpasunsimplebonàrienbourgeois?Undébauchéquicherchaitàsefaireuneplacedanslegrandmonde?
Non,millefoisnon.Ilfaisaitpartiedugrandmonde.—CethommeestunSeldon?s’enquit finalementDaphnéavantdehausser lesépaules.Ehbien,
celaexpliquesesmauvaisesmanières!Cettefois,HarrietparutaussisurprisequeTabitha.—C’estunSeldon,insistaDaphnécommesicelaexpliquaittout.—Et?demandaHarriet.—JesuisuneDale.Elledévisageauninstantsesamiesavantdereprendre:—VousavezdéjàentenduparlerdelaquerelleentreSeldonetDale?Commeaucunenepipaitmot,ellesoupiradenouveau.—DisonsseulementquelesSeldonsontdesdémonsimpertinentsetnonchalantsquiauraientdûêtre
bannisd’Angleterredepuisdessiècles.Oui, cela ressemblait bien à Preston… Mais, avant que Tabitha ne puisse approuver, Harriet
intervint:—Entoutcas,ilnesemblepasrespectable.—Loindelà,acquiesçaDaphné.—Harriet,pourquoidis-tudeschosespareilles?s’enquitTabitha.—N’as-tudoncpasécoutéunmotdecequetescousinesontracontéàsonsujet?—J’essaied’éviter,engénéral,admitTabitha,quecesstupidescomméragesexaspéraient.—Harriet, es-tu vraiment certaine qu’il s’agisse bien de l’homme dont parlent les cousines de
Tabitha?—Oh!c’estcertain!Apparemment,pluspersonnen’acceptedelerecevoir.—Parcequ’ilétaitreçu?repritDaphnéd’unairsombre.Harrietjetauncoupd’œilautourd’elleetbaissalavoix,commesitoutLondreslesécoutait:—Lesbruitscourentqu’iladéshonorécinqdemoisellesdepuisledébutdelasaison…—Vraiment?s’écriaDaphné.Tabitha,elle,préféraneriendire,lesoufflecourt.Elleauraitpuêtrelasixième.Dequisemoquait-elle?Elleétaitlasixième.—Mescousinest’ontrévélétoutcela?—Biensûr.Cesontdevraiesgazetteset,pourêtrehonnête,leurbavardageestbienplusintéressant
quelesruminationsdemonpèreausujetduprixdumaïsoudesretardsdepaiementdeseslocataires.Toutenreprenantsaroute,Daphnédonnauncoupdepieddansuncaillou.— J’espère ne pas le croiser de nouveau, assura-t-elle, je ne pourrais sans doute pas tenir ma
langue.Ilmérited’êtreremisàsaplacepoursoncomportementenversTabitha!Et,entantqueDale,jesuislamieuxplacéepourcela.
—Jedoutequenous le revoyions, répliquaTabitha,peudésireused’êtreentraînéedans l’undesscandalesdePreston.Etjepensequ’ilvautmieuxquenousneparlionsàpersonnedecetterencontre.Jen’osepasimaginerlacolèredematantesiellel’apprenait…
Asongrandsoulagement,sesdeuxamiesacquiescèrent.—Pasunmot,approuvaDaphné,bienqu’ellefixâtdenouveaulavoiturecommesielleétaitsurle
pointdelaprendreenchassepourmettresamenaceàexécution.— Tout de même, reprit Harriet, ce serait une histoire passionnante : il t’a sauvée d’une mort
certaine!Quand il t’aprisedanssesbraspour teprotéger, jemeseraiscruedans l’undesromansdeMlle Briggs. Vous rappelez-vous cette scène où le lieutenant Throckmorten sauve Mlle Darby d’unebrigadeespagnole?Ons’yseraitcru…Ceducestpeut-êtreunvoyou,maisilestaussicourageuxetbeauquelelieutenantThrockmorten,vousnetrouvezpas?
Tabitha vit leurs deux regards se poser sur elle, comme si ses amies attendaient réellement uneréponsedesapart—Harrietespérantsansdouteuneconfirmation,etDaphnéuncrioffusqué.
Commentpouvait-elleleuravouerque,deprès,Prestonétaitaussibeauetfortquesasilhouettelesuggérait ?Comment confesser qu’à l’instantmême où il l’avait prise dans ses bras son corps s’étaitemplid’unepassionlanguissante,dangereuse,quilafaisaitfrissonner?Commentleurfairecomprendreàquelpointsesbaisersluiavaientmanqué?
—Toutestarrivésivite,balbutia-t-elle,jenemesuispasaperçuedegrand-chose…Mais, toutenparlant,elleneputs’empêcherdeglisser lesdoigtsdanssapochepourcaresser le
pennyéraflé.— Je dois tout demême confier que cette rencontre était assez effrayante, ajouta-t-elle dans un
soupir.C’était lavérité, car àprésent il s’éloignaitd’elle. Il lahaïssait.Et celane faisait que ternir les
souvenirsqu’ellegardaitdeleursoiréeàl’auberge.Toutestroiscontinuèrentleurroutejusqu’àParkLane,oùellesdurents’arrêterfaceauxvoituresde
plusenplusnombreuses.—Ilyaencoreunechosequejenecomprendspas,Tabitha,lançaalorsHarriet,quiregardaitd’un
œilconnaisseurdeuxchevauxtirantunphaétonsemblableàceluidePreston.TabithacaressalatêtedeM.Muggins,occupéàexaminerlespassants,probablementàlarecherche
decethommequiluidonnaitsifacilementdelaviande.—Quoidonc?demanda-t-elled’unevoixaussiinnocentequepossible.—CommentPrestona-t-ilsuquetunedansaispas?
***
—Jen’aiplusqu’unechoseàfaire :partirpourHalifaxetépouser lapremièreindigènevenue!s’écriabrusquementPreston.
—Pourquoidonc?s’étonnaRoxley,surprisparcetteviolencesoudaine.—Enépousantuneautochtone,aumoins,jen’auraispasàsubirdesannéeslesjérémiadesquece
genrededemoisellesapporteavecelles,s’indigna-t-ilenpointantsonregardendirectiondutriorestéaumilieudel’allée.
MaissonargumentneconvainquitpasRoxley,bienaucontraire.—Jen’ensuispassisûr…Tusubiraistoujoursautantdedoléances,maispasenanglais.Preston grommela quelque chose d’incompréhensible — mais Roxley n’avait pas besoin de
traduction.Ilsavaittrèsbiencequesonamipensait.—Tusais,ajouta-t-ilensecalantdenouveauaufonddelabanquette,situn’avaispasdécidéde
sortirtonattelageàuneheurepareille,tun’auraispasrencontré«cegenrededemoiselles».—J’aimesortirtôtparceque,justement,jenerencontrejamaisdefemmesenville.
Ou,dumoins,iln’enavaitjamaisrencontré,bienqu’ilaitdésespérémentcherchécettefemme-là.Tabby.SaTabby.Maisnon, ellen’était plus sa Tabby.Quellementeuse éhontée !Elle avait tout fait pour paraître
innocente, elle avait passé son temps à prétendre vouloir rester vieille fille, alors qu’elle se rendaitjustement à Londres pour y retrouver un époux. Sa gorge se noua et il dut prendre une profondeinspirationpournepass’étouffer.
—Situcherchesàcepointàéviterlesfemmes,tuferaismieuxdequittercepaysjusqu’àlafindelasaison,repritRoxleyenriant.Lavilleseraenvahieavantlafindelasemaine!Maintenantquemêmelesfillesmauditesviennentcourirlesbals,aucunhommen’estensécurité.
Maudites?Non,lesdemoisellesdeKemptonn’étaientpasmaudites.Seulluil’était,songeaPreston.Ilavaitpassécesdeuxdernièressemainesàrevivrecettesoiréeàl’aubergeencoreetencore,àtelpointqu’ilcommençaitàcroirel’avoirseulementrêvée.
Peuàpeu,uneautreidées’étaitimposéeàsonesprit:ets’ilpouvaitpassersavieàneconnaîtrequedessoiréessemblables?Passionnées…Ilavaitalorscommencéàpenser—non,àespérer—que,commeHenlerépétaitdepuisdesmois,l’amouravaitfiniparletoucheretpouvaitfairesonbonheur.
Seulement, tout ce qu’il avait cru découvrir durant cette nuitmagique n’avait été quemensonge.MlleTimmonsétaitaussidéloyaleque lesdemoisellesdeBathquienvahissaientLondres tous lesanscommeunefouled’intrigantesenrobedesoie.
Au bout de quelques minutes, Preston parvint à retrouver un semblant de calme — pas assez,cependant,pourgarderlesilence.
—Fais-moiconfiance,cettefilleestexactementlegenredepestesqueHenmeprésenterapourquejel’épouse—etceladansleseulespoirdefairerentrerlafamilledanslesbonnesgrâcesdesmatronesdecetteville.
— Au moins, cette Mlle Timmons est jolie, d’une manière rustique, répondit Roxley, les brascroisés,enjetantuncoupd’œilderrièrelui.Pourmapart,jen’imaginemêmepasquellaideronmatantemeprésentera…
Acesmots,Prestontirabrutalementsurlesrênespourfairefaceàsonami.—MlleTimmons?Jolie?lança-t-ild’unevoixqu’ilespéraitsarcastique.Tunedoispasencore
avoirrécupérédetasoiréesitutrouvescettefillejolie.Non,Tabbyn’étaitpasseulementravissante;elleétaitstupéfiante.Sachevelured’unrougesombre
cuivré, ses yeux brun doré et son nez qui, au soleil, s’ornait de discrètes taches de rousseur lebouleversaient.Ilnepouvaitlarevoirsansavoirdenouveauenvied’embrassercebeauvisage…
—J’aidit:jolie,d’unemanièrerustique,corrigeaRoxley.Tusaisbien:passarobe—quiestvraiment hideuse—,mais ses yeux et ses cheveux. Les filles de la campagne ont toujours de beauxcheveux.
IlfitsigneàPrestondereprendresaroute,etcelui-cis’exécutasansunmot.—Debellesdents,debeauxcheveux.Unedémarcheagréable,toutcelapourleplaisirdesyeux.—A t’entendre,oncroiraitque tuparlesdechevauxetnondedemoiselles,coupa impatiemment
Preston.Habituéàsesaccèsd’humeur,sonamisecontentadehocherlatête.—Jeferaispeut-êtremieuxdem’assurerqueMlleTimmonsettoinevousrevoyiezpas,déclara-t-
il.Ellesembleavoirledondetemettrehorsdetoi.Jesuiscertainqu’ellearendutonsouperbienamer,l’autrejour.Pourtant,j’aieul’impressionqu’elleétaitplutôtdecommerceagréable,quandjet’ailaisséensacompagnie…
—Quandtum’asabandonné.
—Oui, peut-être, admit le comte sans trahir une once de culpabilité. Tu sais, quand je t’ai vuremonterentrombedanslachambreaprèsminuitcesoir-là,j’étaispersuadéquetuavaisétésurprislamaindans lesac.Onavait l’impressionque lediable lui-même tecouraitaprès.Ques’est-ilvraimentpasséentrevousdeux?
—Riendebienimportant,s’empressaderépondrePreston.Non, rien.En toutcas,àprésent,celanesignifiaitplus rien :cette satanée filleallaitépouserun
autrehomme!Hélas,Roxleyperçasonmensongeàjour.—Rien ?Cen’est pas ceque j’aurais dit envoyant lamanièredont tu la regardais. Je n’aurais
jamaiscruceladetoisijen’enavaispaseulapreuve…—Cruquoi?—Quetuaimaiscette—commentl’as-tuappelée?—cettesatanéefille.Roxleys’interrompitunesecondeavantdereprendre:—Maintenant,jecomprendsmieuxtoutestesquestionsausujetdematante…Tuespéraisretrouver
MlleTimmons.—Tais-toi,Roxley.—Oh!nemontepassurtesgrandschevaux!Jeteconnaistroppournepasvoirclairdanstonjeu.
Tuasunfaiblepourcette filleet tucherchesdenouveau lesennuis, repritRoxleyd’unair faussementréprobateur.Hentel’auraitfaitpayertrèscher.Peuimporte,àprésent:lademoisellet’arenduunfierserviceensefiançantavantquetunelacompromettes.
—Jen’avaisaucuneintentionde…Roxleylefittaired’unregardtriomphant.Prestoncompritlavéritéàcetinstant.Sonvieilami—quileconnaissaitmieuxquequiconque—
avaitréussiàlepousseràsetrahir.IlspoursuivirentquelquesinstantsleurrouteensilenceavantqueRoxleyn’oseajouter:—Quoiqu’ilsoitarrivéentreelleettoi,àl’auberge,tuferaismieuxdel’oublier;nechercheplusà
l’approcher,celanet’apporterariendebon.Quelquechose,danslesparolesducomte,semblaitteintéparl’amertumedel’expérience.—Etsijen’arrivepasàlalaisserpartir?Prestonavaithonted’admettresafaiblessemais,s’ill’avaitpu,ilauraitimmédiatementrebroussé
cheminencourantpourlaprendredanssesbrasetluiarracherlavérité.—Situn’yarrivespas,soupiraRoxley,jeteplains.Elleestfiancée,Preston,tuasperdu.Perdu…Voilàunmotquinefaisaitpaspartiedesonvocabulaire.Iln’avaitjamaisrienperdudesa
vie—àl’exceptiondesonpariavecTabby.Ilauraitdûsavoirtoutdesuitequ’ellelebriserait.Cependant, s’il devait être parfaitement honnête avec lui-même, la victoire n’était pas non plus
toujourslameilleuredessolutions.Ilsuffisaitdevoiroùl’avaitconduitsavictoiresurKipps!—J’avoueavoirétéassezsurprisenapprenantqueMlleTimmonsétaitfiancée,repritRoxley.Surpris?Ilétaitsurpris?Preston,lui,avaiteul’impressionquelaterresedérobaitsoussespieds.—Netrouves-tupasétrangequ’ellesemariedemanièresisoudaine?poursuivitsonamid’unair
soudainsoupçonneux.Tunel’asquandmêmepaslaissée…ehbien,tusais?Prestonledévisageaquelquesinstantssanscomprendre,puislesous-entendudesonamilefrappa
depleinfouet.—Seigneur,non!Toutcequej’aifait,c’estl’embrasser!—Aha!s’écriaRoxley,triomphant.Donc,tut’esbeletbienamuséavecelle!—Pasintentionnellement,répliquaPreston,exaspéréàl’idéedes’êtretrahi.
—Biensûr.Cependant,siellen’estpasenceinte…—Celanes’estpasséqu’ilyadeuxsemaines,idiot!Il espérait ainsi offenser Roxley afin que celui-ci lui demande de s’arrêter immédiatement pour
descendredevoiture.Hélas,lecomten’étaitpasdugenreàsesentirinsultéparunetelleremarqueetnelaissapasPrestonenpaix.
— Dans ce cas, reprit-il en haussant les épaules, je ne vois pas pourquoi elle se marie siprécipitamment.
Mettantdecôtésacolère,Prestonsongeasoudainquesonamiavaitraison.Pourquoitantdehâte?Abieny réfléchir,Tabbyne s’était pasvantéede ses fiançaillesdevant lui…Aucontraire, elle avaitmêmetoutfaitpourluicacherlavérité.
Mais pourquoi ? Il se retourna une dernière fois, mais Tabitha avait déjà disparu à l’angle del’allée.
—Situcherchesunmoyendelaretrouveretdedécouvrirlesraisonsdecemariagesirapide,jenet’yaideraipas,prévintRoxleyavantmêmequePrestonneluidemandelamoindrechose.
—Jepensequetun’aspasdesouciàtefaire:jenerisquepasdelarevoir.MlleTimmonsnedoitpasavoirbesoindefairedescourbettespourobtenirdes invitations,etcertainementpasdans lesalonpeudistinguédeladyKnolles.
Roxleysetut,préférantnepasfaireremarquerqueMlleTimmons,entantqu’héritière,arpenteraitlesparquetsd’AlmackbienavantquePreston—étantdonnésadisgrâceactuelle—nesoitdenouveauaccepté en société. Le simple fait qu’il n’ait reçu qu’une seule invitation, si peu digne de son rang,reflétaitbien sa situation.D’ailleurs, lady Junipern’avait certainement courtisé ladyKnollesquedansl’espoirdes’attirerdenouveausasympathie,sanssesoucierdeladignitédesonneveu.
—Pourquoineviendrais-tupasavecmoichezladyKnolles?proposasoudainPreston.Tupourraism’aideràrésisteràlatentation,aucasoù…
—Moi?ChezladyKnolles?répliquaRoxley.Jerisqueraisd’yrencontrermatante!C’étaitunrisque,eneffet,etc’étaitjustementpourcelaquePrestonavaitbesoindesonamiàses
côtés.—Lâche,plaisanta-t-ildoncens’engageantdansl’alléequilongeaitsamaison.Oùestdoncpassée
notreprétendueprécieuseamitié?Tum’abandonneraisdeuxfoisenmoinsd’unmois?Tsss…Puisildétournalesyeuxd’unairsévère.Danssondos,Roxleyeutungrognementrésigné.—Jetesuivraisauboutdumonde,maisfairefaceàmatante?Celaseraitinsensé,Preston!—Dans ce cas, je pense que je pourrais suggérer à lady Juniper d’inviter ta tante pour le thé.
Imaginesa réaction,sielledécouvraitqu’au lieud’êtreen trainde« t’occuperde tondomaine» tu tecacheschezmoi…
Chapitre8
—Seigneur,mademoiselle,vousressemblezàunevraieprincesse,murmuralafemmedechambrede Daphné tandis que samaîtresse, Tabitha et elle admiraient dans lemiroir le résultat de leur longouvrage.
Lajeunefemmeavaitraison:unecréaturestupéfiantesereflétaitdevantellesdanslaglace,vêtued’unerobeneuveetcoifféesuivantladernièremode.
—Unevraiereine,assuraDaphné.Ellereplaçauneboucledecheveuxderrièrel’oreilledeTabithaetluifitunclind’œil.—TousleshommesenvierontlachancedeM.ReginaldBarkworth,tupeuxenêtrecertaine!Tabithaseregardaunenouvellefoisdanslemiroir,abasourdieparlamétamorphosequeDaphnéet
sa bonne avaient contribué à créer. Son amie lui répétait pourtant depuis des années que de simpleschangementspourraientinfinimentaméliorersonapparence—commeportersescheveuxenunchignonpluslâcheplutôtquesastrictecoiffurehabituelle,oulesornerd’unrubanbleuetdepetitesfleursensoiequiformaientàprésentunecouronneau-dessusdesatête,commeunetiarechampêtre.
Cependant, tanteAllegran’aurait jamais acceptéune telle coquetterie, qu’elle considérait commeune«vanitéinutile».
—Lesfleursnesont-ellespassuperflues?neput-elles’empêcherdedemanderenlesajustant.Daphnéhaussalesépaules.—Rienn’estjamaissuperflu:cesfleursmettentenvaleurtoninnocenceettajeunesse.—Oh!jenesuispasjeune!marmonnaTabitha.Dansmoinsd’unesemaine,elleauraitvingt-cinqans,cequiétaitvieux,comparativementà l’âge
desautresdemoiselleslondoniennes…—Personnenepourraledeviner,répliquaDaphnéavantd’enfilersespropresgantsetdejeterun
coupd’œilàsacoiffure.Acet instant,Harriet apparut,vêtueelle aussid’unenouvelle robeet tout aussi apprêtéeque ses
amies,bienquelaplupartdesesbouclesbrunessesoientdéjàéchappéesdesonchignon.—Lavoitureestarrivée!annonça-t-elleenentrant.Elle s’interrompit soudain et dévisagea longuement Tabitha, couvrant sa robe d’un regard
circonspect.—Seigneur…Personnenetereconnaîtrait,àKempton.—Oui, l’important est queTabitha ait l’air d’unevraie ladydistinguée aupremier regard, lança
Daphné,lesbrascroisés,commesiellelesdéfiaitdelacontredire.Commesiquelqu’unétaitcapabledeprendreDaphnéendéfautenmatièredemode.
Cependant,Tabithanepouvait s’empêcherde trouver sanouvelle robe inconvenante—mêmeaupremierregard.Personnenepourraittrouveràredireàlaruchededentellequiornaitledécolleténiauxvolantscroisésquirévélaientsavammentlasoiebleuelustrée.
Non,cequil’inquiétaitétaitlalongueurdelajupe,quis’arrêtaitbienau-dessusdusol,dévoilantseschevilles…Et,sicelanesuffisaitpasencore,lescourtesmanchesbouffantesetledécolletéprofondrévélaientbeaucoupplusdechairquenel’exigeaitladécence.
Quecesoitounonlamode.Elleeutunsoupiramer.TanteAllegran’auraitcertainementpasapprouvécettetenue;quantàson
autretante…—LadyTimmonsnemelaisserajamaisportercetterobeenpublic.D’ailleurs,lagrimacedeHarrietluiprouvaitqu’ellenonplusn’approuvaitpas.—MonfrèreGeorgediraitqueportercetterobeestcommepêcheravectropd’appâtsauboutdela
ligne.Daphné parut offensée devant ces remarques,mais continua de virevolter autour deTabitha pour
donnerdubouffantauxdentellesetlisserlajupe,telleunevraiehabilleuse.— Ce que tu dis est vulgaire, Harriet, déclara-t-elle froidement. A t’entendre, on croirait que
TabithadoitséduireM.ReginaldBarkworth.Cen’estpaslecas:sielleportecetterobe,c’estluiquiferatoutpourlacharmeravantqu’unautrenelefasse.
Elleponctuasaphraseparunregardsignificatif,sanspourautantoserendireplusdevantsafemmedechambre.Eneffet,Tabithaavaiteulafaiblessed’avouertoutelavéritéàsesamiessurlecheminduretour,lematinmême.ElleavaitadmisavoirdînéavecPreston—non,leducdePreston—etl’avoirlaissél’embrasser.
—C’esttout?avaitdemandéDaphnéens’arrêtantnetsurlesentierdelamaisonetenrefusantdefaireunpasdeplusavantdetoutsavoir.Ilt’aembrasséeetilestparti?
Detouteévidence,ellen’étaitpasconvaincueparlerécitdeTabitha.—Oui.Ilm’embrassaitpuis,enuninstant,il…ilétaitparti.Siseulementelleparvenaitàoublierlapaniquequiavaitenvahisonregardalorsqu’ilseprécipitait
verslaporte…—Pourquoineluias-tupasditquetuétaisfiancée?QuetuvenaisàLondrespourtemarier?avait
insistéDaphné.Heureusement pourTabitha, elle n’avait pas eu la présence d’esprit de poser la question la plus
évidente:àquoiavait-ellepenséenacceptantsoninvitationàdîner?Tabithan’avaitpasrépondu,secontentantdehausser lesépaules.Elleseposaitelle-mêmetoutes
cesquestionsdepuisdeuxsemaines.Etlaseuleréponsequiluivenaitentêteétait:parcequelepuddingsentaitdivinementbon.Hélas,
celan’auraitprobablementpassatisfaitDaphné.Devantelle,sonamies’étaitmiseàfairelescentpassurl’alléedegravier.—Tun’enasparléàpersonne?s’était-elleinquiétée.—Aquienaurais-jeparlé?Asescousines?AladyTimmons?Daphnéavaitacquiescégravement.—Tuessûrequepersonnenet’avue?—Oui.—Dans ce cas, avait repris son amie avec un profond soupir, cet événement malheureux ne te
causerapasdetort.
— En quoi est-ce malheureux ? avait interrompu Harriet. Pour moi, le duc n’a pas détruit laréputationdeTabithacar ilest tombéamoureuxd’elle. Il s’estsentidépasséparcesentimentnouveaupourluietafui,avantderegrettersongeste…
—Tombéamoureux?Pendantunsimplesouper?avaitlâchéDaphnéd’unairincrédule.C’estunSeldon.Ilestincapablederegretterquoiquecesoit.
Toutesdeuxs’étaientalorstournéesversTabitha.Etait-ilvraimentpossibledetomberamoureuxenune soirée?Ellen’avaitosé répondre.Avantde se retrouverdenouveauen facedePreston, ellen’yauraitpascruelle-même…Maisc’étaitpossible,trèspossible.
Elle était tombée amoureuse de lui, cette nuit-là. Et, à présent, les choses s’avéraient pluscompliquéesquejamais.
—Oh!Tabitha,quelimbroglio!s’étaitécriéeHarriet.Dis,tunepensespasquePrestonvatecréerdesdifficultés?Ilavaitl’airsifâchéd’apprendretesfiançailles!
C’était vrai. Il avait paru hors de lui, et elle n’avait pas eu le temps de lui demander pourquoi.Aprèstout,ilavaitdissimulésavéritableidentitécommeelle-mêmeavaitdissimulélavraieraisondesavenueàLondres.
—Bien sûr qu’il lui causera des problèmes : c’est unSeldon, affirmaDaphné, pour qui ce nomsemblaitprésagerlespiresatrocités.Maisjenepensepasqu’ilseprésenteraaubaldeladyKnolles…
Commeaucunedesesamiesn’avaitrépondu,elles’étaitexpliquée:—Commel’aditHarriet,pluspersonnenelereçoit.Tabithaavaitopinésansunmot.—Oublie-le,avaitpoursuiviDaphnéenlissantsajupe.Aprèscesoir,tunerisquerasplusriende
sapart.TurencontrerasM.ReginaldBarkworth,quiestcertainementungentlemanhonnêteetrespecté,etil saura te faire la cour convenablement, en tevoyant avecun chaperon.Ensuite, tupourras temarier,exactementcommeprévu.
Surce,Daphnéavaittournélestalonspourremonterl’alléejusqu’àlamaisonTimmons,commesileproblèmeétaitréglé.
MaispasHarriet.ElleavaitexaminéTabithaensilence,gravement,commesiellepressentaitquecetterencontreavecPrestonn’étaitqu’undébut.
—Queferas-tu,sinouslecroisonsdenouveau?avait-ellemurmuréassezbaspourqueDaphnénepuissel’entendre.
Tabithan’avaitpuréprimerunfrissonenentraînantM.Mugginsverslamaison.Commentrépondre,quand la simple vue de Preston lui donnait envie de lui voler un second baiser ? De le supplier del’embrasser…
Aprésent, alors que le jour déclinait rapidement, Tabitha rassembla ses affaires, sa pelisse, sesgants et son réticule, avant de s’immobiliser au milieu de sa chambre, troublée de nouveau par lesouvenirdecebaiserquil’avaittantbouleversée.
—Tuviens,Tabitha?lançaDaphnéquil’attendaitàlaporteencompagniedeHarriet.—J’arrive.Ellessecontentèrentdecetteréponselaconiqueet la laissèrent,songeantsansdoutequ’elleavait
besoind’uninstantdecalmeavantcettesoiréesiparticulière.Unefoisseule,elleplongealamainaufonddesapocheetentira lepennyéraflédePreston.La
gorgenouée,elleleregardauninstant.Ilfallaitàtoutprixqu’elles’endébarrasse,qu’elleledonne,ledépenseoumêmelejettedanslecaniveaus’illefallait!
En toutcas,elledevaitcesserde l’emporterpartoutavecellecommeunefaveur,unsouvenir.Lamaintremblante,elleentrouvrituntiroir,puissonpetitsac.
—Oh!bonsang,murmura-t-elleenreplaçantfinalementlepennyexactementàsaplace.
***
Si Tabitha avait espéré que le trajet jusqu’à la maison de lady Knolles apaiserait son angoissegrandissante,ellefutbiendéçue.Peut-êtreaurait-elledûfaireletrajetàpied,etnonenvoiture…ElleauraitdûsedouterdequelquechoseenvoyantEuphemia,EdwinaetEloisarejoindrejoyeusementleurpèredanslesecondvéhicule.Quelquechosesepréparait,elleenétaitpersuadée.
Lesproblèmescommencèrentàl’instantmêmeoùladyPeevers,lasœurdeladyTimmons,s’installadans lavoitureetattira fermementTabithaàcôtéd’elle sur labanquette.Elle se lança immédiatementdans un discours vantant les nombreuses qualités de M. Reginald Barkworth — quand elle neréprimandaitpasTabithasursoncomportement.
— Seigneur, ma fille, cessez de tripoter vos rubans ! Tout le monde va croire que vous êtesnerveuse!
Auboutd’unmoment,Daphnéselevapourladéfendre.—Milady,c’estlapremièrefoisqueMlleTimmonsrencontreraM.Barkworth.—Etcelavousdonneuneexcusepourêtrenerveuse?s’exclamalavieillefemmeavecunregard
sévèreversTabitha.VotreoncleWinstonvousachoisiunbonépoux—jepuisvousenassurer.FeumoncherépouxétaitdelafamilledeBarkworth.
—Vousêtesparents?s’écrièrentDaphnéetHarrietenmêmetempsavantdejeteruncoupd’œilàTabithapourépiersaréaction.
—Parents?C’estmonneveu!déclarafièrementladyPeevers.LasœurdemonépouxétaitmariéeàlordFrancisBarkworth,oncledeM.Reginald.Bientôt,nousseronsnous-mêmesliéesjoyeusementparvotremariage.
Tabithalaregardaensilence.Ellenepartageaitpasréellementl’enthousiasmedesonchaperon—enparticulier,l’idéede«lien».Toutcelaétait-ilvraimentnécessaire?
—Pourquoidoncavez-vousl’airsimal,monenfant?repritlavieillefemmed’unevoixplaintive.M. Reginald Barkworth, d’Acornbury et maintenant de Foley Place, à Londres, est un gentleman trèsrespectable;et,sitoutsepassecommeprévu,ilhériterabientôt.
—Barkworthestunhommeélégantettoutàfaitconvenable,ajoutaladyTimmons.Denombreusesjeunesfemmesauraientétéheureusesdel’épouser!
—Alorspourquoinel’ont-ellespasappâté?soufflaHarriet.—Appâté?s’exclamaladyPeeversd’unairoffensé.Quellevulgarité!Appâté,vraiment?—J’aiseulementdumalàcroirequ’unhommesidemandésoitencorecélibataire,rétorquaHarriet
sansselaisserintimider.Grâceà ses cinq frères et auxattentionsque luiportait ladyEssex, elle avait appris ànepas se
taire,mêmedevantl’indignationdesautres.Aucontraire,elleprenaitmêmesouventcelapourundéfi.— Si vous tenez absolument à le savoir, mademoiselle Hathaway, dit lady Peevers en agitant
frénétiquementsonéventail,lesBarkworthsontdesgenstrèsexigeants.Ilsnesemarientpasàlalégèreettiennentbeaucoupàlaréputationdeleurfamille.Touteslesjeunesfemmesnesontpasdignesd’eux.
— Notre Tabitha l’est, en revanche, intervint Daphné, et un jour elle sera marquise. Seigneur,Tabitha,peux-tul’imaginer?
—Oui,glissaladyPeeversavecunregardenbiaisversTabitha,commesielle-mêmeavaitdumalàycroire.Unjour…Et,quandcemomentviendra,vousn’oublierezpasmonsoutiendurantcettesoiréesiimportantepourvous.
Comme pour appuyer ses dires, elle lui jeta un : « Redressez-vous, ma fille, votre position estdéplorable ! » Suivi de : « Par le ciel, voulez-vous bien sourire ? Nous allons à un bal, pas à unenterrement.»
Enfin,lavoitures’arrêtaetunvaletvintouvrirlaportière.Tabithainspiral’airfraisavecungrandsoulagement.Cequil’attendaitdanscettemaisonnepouvaitpasêtrepirequecevoyagedepuislamaisonTimmons!
—Bonnechance,luimurmuraHarriettandisqueladyTimmonsetladyPeeversseplaçaientdepartetd’autredeTabithapourl’entraîneraumilieudelafouled’invitésquisepressaitlelongdesmarchesenattendantdepasserlaported’entrée.
Laseulechosequil’apaisaitétaitlacertitudedenepassetrouvernezànezavecPreston.Lefaitqu’ilaitapprissesfiançaillesétaitdéjàassezdouloureuxsansqu’ilnesoitprésentpoursemoquerdesarencontreavecsonpromis.
Rapidement,ladyTimmonsselançadansunelonguesuitedesévèresrecommandations:—N’oubliepas,ilestessentielqueBarkworthtetrouvedignedelui.Souris,neparlequelorsque
l’ondemandetonavis,etsoisrespectueuseavecsamère.Ilfautàtoutprixquetut’attireslesfaveursdetonfiancé,cesoir.
— Amon avis, glissa Harriet, maintenant que Tabitha est une héritière, ce sera plutôt à lui des’attirersesfaveurs.
Lady Timmons et lady Peevers échangèrent un regard horrifié à cette idée, mais ce ne fut riencomparéàleurexpressionlorsqueTabithaôtasapelisse.
—SeigneurDieu!s’écrialadyTimmons.Cen’estpaslarobequej’aicommandéepourtoi!LadyPeevers l’examinaausside la têteauxpieds,sanspipermot—cequi indiquaclairementà
Tabithaàquelpointsatenuedevaitêtreosée.— Tu ne peux pas rencontrer Barkworth comme cela ! balbutia encore sa tante. Tu as l’air
parfaitement…—Indécente,achevaladyPeevers.Acemot,ladyTimmonsjetaunregardpaniquéalentour,craignantquequelqu’unnelesaitrepérées.
Momentanément rassurée,ellepritTabithapar lebraset s’apprêtaità la reconduireà laporte lorsqueleurhôtesseapparutdevantelles,élégante,occupéeàbavarderavecuneautrefemme.
LadyKnolleslesavaitàpeinesaluéesàleurarrivéemais,enapercevantlarobedeTabitha,elleseprécipitaverselles,sonamiesurlestalons.
—LadyTimmons,quelplaisirdevousvoir!Etcettecharmantecréatureestvotrenièce,n’est-cepas?
—Oui,manièce,répliquaassezfroidementladyTimmons.EllesemblaitprêteàdésavouertoutlienavecTabitha,ouàlapousseraufonddelaTamise…Mais
ladyKnollesneparutpass’enrendrecompte.—Quellerobedivine!J’aivulemodèledansl’Ackermann, lemoisdernier,et j’aisouhaitéêtre
plusjeunepourpouvoirmepermettreunetellecoquetterie.Machère,vousallezêtrelafavoritedecesmessieurs,jevousl’assure!
Puisellefitvolte-facedansunfroissementdedentellesetrejoignitsesautresinvités.LadyTimmonsparaissaittroublée,àmi-cheminentreleplaisiretlacolère,etobservadenouveau
latoilettedeTabitha.—Ilesttroptardpourterameneràlamaison,murmura-t-elle.EspéronsseulementqueladyAncil
seradumêmeavisqueladyKnolles.Aprèsunlongpiétinementaumilieudesinvités,ellesatteignirentenfinlasalledebal.
—C’esttypiquedeladyKnollesd’invitertantdemonde,selamentaladyPeevers.Une fois la porte franchie, elles s’immobilisèrent un moment pour admirer la foule colorée,
constelléedebijoux,dedentellesetderubans.L’immensesalledebal,auxmurstendusd’unbeauvertprofondornédedorures,étaitéclairéepardescentainesdebougiesdontlesflammesscintillaientsousleplafond.
—Bonsang,soufflaTabitha,médusée.Mêmedanssatoilettederniercri,elleneparvenaitpasàsesentiràsaplace,ici.—As-tudéjàvuunechosepareille?murmura-t-elleàl’oreilledeDaphné,quiavait toujoursété
plusmondainequ’elle.—Jamais!réponditcelle-ci.EtdirequejetrouvaisFoxgrovesibeau…Faceàtantdeluxe,Tabithaenoubliauninstantquesondestinallaitêtrescelléavantlafindela
soirée.Commedansunrêve,ellesuivitsononcleetsatante,ladyPeeverssursestalons,jusqu’àl’autreboutdelapièce.
—Voilà!déclaraladyTimmonsendécouvrantunpetitespacedégagécontreunmur.Nousseronstrèsbien,ici,pourvoirarriverlesinvités.
—SurtoutBarkworth,ajoutaladyPeeversavecunsourireentenduàl’intentiondeTabitha.Mais,lagorgesèche,Tabithanepouvaitdétachersonregarddelaporte.Là,aumilieudel’escalier
quidescendaitverslasalledebal,setenaitPreston.Non,impossible!Elledevaitsetromper.Aprèstout,Harrietneluiavait-ellepasassuréqueleduc
dePrestonn’étaitplusreçuàLondres?Cependant,àl’autreboutdel’immensepiècesetenaitunhommequiluiressemblaitétrangement…
Devenait-ellefolle?Non,carunmurmurescandalisétraversalafoule.Touteslesvoixseturentetlaplupartdesmatronesse tournèrentvers lesmarches, l’airabasourdi.Bientôt,chacunsepenchaverssonvoisinetlamêmephraseparcourutlasalle:«C’estlui!»
—Ma fille,murmura lady Timmons à Tabitha en lui donnant un coup de coude pour qu’elle setiennedroite,ilestarrivé.Souris.
Troublée, Tabitha était comme aimantée par cette lointaine silhouette. Cela ne pouvait pas êtrePreston!
—Quiestarrivé?demanda-t-elle,latêteailleurs.— Comment cela, qui ? Barkworth, bien sûr, tête de linotte ! répliqua sa tante avec un soupir
désemparé.LadyPeeversentrepritalorsdepincerlesjouesdeTabithapourlesrendreplusrouges.—Voilà, dit-elle en contemplant son ouvrage, comme cela, vous paraîtrezmoins pâle. Nous ne
voulonspasquevousayezl’airmalade:Barkworthaurabesoind’unhéritier,aprèstout.Tiréedesespensées,Tabithaladévisagea,stupéfaite.Ellen’avaitpasencorerencontrécethomme,
etl’ons’attendaitdéjààcequ’elleportesonenfant?Soudain,lesouvenirdelasoiréeàl’aubergeluirevintenmémoire,fulgurant.Prestonl’avaitprisedanssesbras,avaitcaressésondos,seshanches,enflammantsapeaupartout
oùillatouchait.Toussessenss’étaientéveillésàlapassion.Ill’avaitembrassée,salangueavaitjouésur ses lèvres, lui arrachant des soupirs. Elle avait été incapable de réfléchir, de calmer son cœuraffolé…Ledésirl’avaitemplie,avaitalourdisapoitrine,avaitéchauffésescuisses,etdelongsfrissonsavaientparcourusoncorps.
—Ilarrive!luiglissasoudainladyTimmonsàl’oreille.Commesil’onvenaitdeluijeterunseaud’eaufroidesurlatête,Tabithasursauta,prisedepanique.
— Pourquoi faut-il qu’il y ait autant de monde ! Voilà qu’il est coincé par cette affreuse ladyGudgeon!
AcôtédeTabitha,Daphnésehissasurlapointedespiedspourmieuxvoir.—Oùest-il?demanda-t-elle.—Là-bas,précisaladyPeeversenlemontrantduboutdesonéventail.Harriet et Daphné se contorsionnèrent pour voir l’homme,mais Tabitha ne put se résoudre à le
regarder.EtsiBarkworthétaitdisgracieux?S’ilavaitlesmainsmoites?S’iln’avaitpaslamêmesilhouette
imposantequePreston?S’iln’embrassaitpascommePreston?Soudain, elle souhaita pouvoir demander à sa tante si tous les hommes embrassaient de lamême
manière.Prisedevertigeetsurlepointdes’évanouiraumilieudelasalledebal,elleauraitétérassuréed’apprendrequetouslesbaiserssevalaient.Cependant,unepartd’elleendoutait.
—Oh!Seigneur,soupiraHarrietd’unevoixangoissée.Cettefois,Tabithaallaitréellementtournerdel’œil.—Est-cevraimentlui?repritsonamieàvoixbasse.—Jecroyaisqu’iln’étaitpasreçu,renchéritDaphné.Pasreçu?Tabithalevalesyeuxsursesamies.Leursexpressionshorrifiéesnepouvaientvouloir
direqu’unechose.Ellesn’avaientpasaperçuBarkworth,maisquelqu’und’autre…Preston.Lentementetfaisantdesonmieuxpourcontrôlersesémotions,Tabithasetournaversl’entréeet,à
présentqu’ilétaitplusproche,sentitsagorgesenouer.Rasédeprès,dansunemiseimpeccableetvêtuàladernièremode,leducdePrestonétaitl’image
mêmedel’éléganceetdelaperfection.Seigneur,c’étaitunevraiecatastrophe!Puis,Tabitharemarquaautrechose:ildonnaitlebrasàunefemmevêtuedenoir,toutaussibelleet
élégantequelui.—Quiest-ce?demandaHarrietensetournantversDaphné,leurbibleenmatièredemondanités.Incapabledeprononcerlemoindremot,Tabithamultipliaitleshypothèses.Sa…sœur?Laveuve
d’unamiproche?Samaîtresse?Cette dernière explication semblait la plus plausible, compte tenu de la réaction outrée que
provoquait leur arrivée. Devant lui, la foule s’écartait, l’enveloppant d’un bourdonnement de voix etd’agitationsd’éventails.
SibeauquePrestonpuisseêtre,lafemmequil’accompagnaitsedéplaçaitavecl’assurancedeceuxquisesaventadmirés—uneassurancequeTabithan’auraitsansdoutejamais.
Unfrissonamerlaparcourut,plusdésagréablequetoutcequ’elleavaitdéjàressenti.Endépitdesarobeneuve,ellesesentitpluscampagnardequejamaisfaceàlatoilettedécolletéede
soie,auxbouclesd’oreillesendiamantetaulourdcollierscintillantquimiroitaientsurcettefemmeenépousantlacourbegénéreusedesesformes.
Acetinstant,ladyPeeversperçutlavaguedescandalequigrondaitdanslasalleet,toussessensenéveil,semitàexaminerlafouleàlarecherchedelacausedecetémoi.
—Parleciel!s’écria-t-elle.Cen’estpaspossible…Preston!Jen’arrivepasàycroire.Elleeutunpetitreniflementhautainetdonnauncoupdecoudeàsasœur.—Antigone!Regarde,là-bas.Quellehorreur!Elle ponctua cette exclamation par un signe de tête en direction de l’entrée dans un grand
foisonnementdeplumes.LadyTimmonseutunhoquetdestupéfactionendécouvrantàsontourlasilhouettedePreston.
—Jen’arrivepasàcroirequeladyKnollestombeaussibas.Pourquoil’a-t-elleinvité?—Cethommen’estqu’ungoujat,unvoyou,poursuivitladyPeeversavecunnouveaureniflement.—Toutàfait,masœur.LeducdePrestonestlepirehommedeLondres!S’interrompantbrusquement,elleétouffaunpetitcri.—Pourquoidoncnousregarde-t-ilainsi?murmura-t-elle.Nousn’avonsaucunlienaveclui.Endépitdesontonassuré,ellevérifiaquesesfillesétaientbienàl’abriderrièreelle.—Etc’est tantmieux,glissa ladyPeevers, inspectant l’hommeendétailgrâceà sa lorgnette.En
effet,ilsembleregarderdansnotredirection.Ondiraitmêmequ’ilregarde…SasœuretellesetournèrentversTabitha,quisentitsoncœurfaireunbonddanssapoitrine.Non,
ellenerépondraitcertainementpasàsatante;et,oui,ellesavaientbeletbienunlienaveclecélèbreducdePreston—entoutcas,Tabithaleconnaissait.
Heureusementpourelle,cetteinspectionsilencieusenedurapaslongtemps.LesdeuxsœursjugèrentsansdouteimprobablequePrestonpuisses’intéresseràleurpetitgroupe.
—CettepauvreladyKnollesadûêtreplacéedanscetteeffroyablepositionparcettefemme,repritladyTimmonsavecunsignedetêteendirectiondelafemmequiaccompagnaitPreston.Cedoitêtreellequiainsistépourqu’ilsoitinvité…
Tabitha jetaunnouveaucoupd’œil à« cette femme»avecplusd’intérêt.Prestonétait peut-êtreconsidérécommeunecrapulemais,d’aprèssatante,sacompagneétaittoutaussicélèbrequelui.
Quidoncpouvait-elleêtre?Dansunmouvementexagéréd’éventail,ladyTimmonspoursuivit:—Commentpeut-elleaccepterd’êtrevueenpublicavec lui,aprèscequiestarrivéàcepauvre
Kipps?—PauvrecherKipps,répétasasœur.Toutesdeuxbaissèrentuninstantlatêteensilence.Tabitha,elle, futprised’un légermalaise.Kipps?Oùdoncavait-elleentenducenom?Soudain,
toutluirevint.Qu’avaitditPrestonàlordRoxley,lejouroùellelesavaitrencontrés,àKempton?« Viens, Roxley ! Comment pouvons-nous espérer ruiner Kipps si nous restons ici toute la
journée?»Effaréeparcetterévélation,Tabithaserralesdents.C’étaitdonccela,lecrimedePreston:ilavait
ruinéceKippsquisemblaittrèsbienconsidérépartoutelasociété.Quelhommediabolique!Soudain,laculpabilitéqu’elleavaitressentieàl’idéedeluiavoircaché
sa vraie situation s’allégea. Après tout, que savait-elle vraiment de lui ? Rien, sauf que son baisersuffisaitàlalaisserchancelante.
—PauvreKipps!soupiraencore ladyPeevers, imitéeparsasœur,commesiceKippsavaitétéleurplusprocheparent.Sijeune…
—Si impressionnable, ajouta ladyTimmons.Aprésent, il ne retrouvera plus jamais sa place ensociété,àcausedelui.
DaphnéjetaalorsunregardtriomphantàTabitha,quisignifiait«jetel’avaisbiendit».Acôtéd’elles,lalitaniedeslamentationscontinuait.—PauvreKipps.Jepleurechaquejourpoursachèremèreetsessœurs!—Oui,ilssonttousruinés…—Jemedemandecommentilfaitpourdormir,lanuit,renchéritladyTimmons.Acesmots,ladyPeeverslaissaéchapperungloussementméprisant.—JenepensepasqueleliondeHarleyStreetsesouciededormirlanuit,sivousvoyezcequeje
veuxdire.
Tabithapréféradétournerlesyeuxcommesiellen’avaitrienentendu,feignantdeneprêteraucuneattentionàcethommesiouvertementméprisé.Seulement, lorsqu’elleregardaPrestonunefoisdeplus,elles’aperçutqu’iloccupaittouteslesconversationstandisqu’ilsefrayaituncheminàtraverslasalle,lafemmeendeuil toujoursàsonbras.Partout,cen’étaitqueregardshautainsetcomméragesderrièreleséventails.Quelqueshommesetfemmesleurtournèrentcarrémentledos.
—J’aimeraisqu’ilarrêtederegarderdansnotredirection.Iln’arienàvoiravecnous,lançaladyTimmonsassezfortpourquelespersonneslesplusprochesl’entendent.
SirMauris,quis’étaitéloignépourbavarder,arrivaaumêmemomentets’exclamasanslamoindrediscrétion:
—Avez-vousvuquiestlà?TabithajetaunnouveauregardsurPrestonetvitqu’ilnelaquittaitpasdesyeux.Sonsouriresombreetdangereuxsemblaitluiparler.MademoiselleTimmons,quelplaisirdevous
voir…denouveau.Ils’immobilisauninstant,commepourluilaisserletempsd’examinerchaquedétaildesatenueavantdelasaluerd’unpetitsignedetête.
Ilsavaitqu’ellesavait…Ilsavaitqu’elleavaitapprissaréelleidentité,qu’iln’étaitpaslegoujatdebasétagequ’elleavait
cru.Nonpasqu’ungoujatfortunévaillemieux!Luiaussil’examinaitd’unaircurieux,commes’iléchafaudaitunplanensilence.Non!Iln’oseraitpas…Allait-illuifairel’affrontdeveniretdeluidemanderunedanse,commeil
l’avaitpromisàl’auberge?S’ilagissaitainsi,ildétruiraittout!Maispeut-êtreétait-cejustementsonintention.Bien sûr, elle ne lui avait pas parlé de ses fiançailles, à l’auberge,mais il devait savoir qu’elle
n’avaitfaitcelaqueparorgueil—etildevaitcertainementêtreunfinconnaisseurdanscedomaine.Deplus, il aurait également pu lui révéler qui il était.Ce qu’il était : un duc qui passait son temps àdéshonorerlesfemmesetquiétaitsurlepointdel’ajouteràlaliste.
—Tabitha, est-ce que tum’écoutes ? Il est là ! chuchota soudain ladyTimmons, tout excitée, enajustantchaquedétaildesatoiletteetdesacoiffurecommeonbrosseraitunchevalavantdeleconduireaumarché.
Alorsqu’elleregardaitencorePreston,unehautesilhouettes’avançadevantelle,obscurcissantsonchampdevision.Unevoixd’hommes’éleva,proche.
—MatrèschèremademoiselleTimmons,quelbonheurdevousrencontrerenfin.Lavoixprofondeetgravelacaressadesesintonationsdouces,l’arrachantàsespensées.Quelbonheurdevousrencontrerenfin…Oh!Seigneur!Barkworth!Lesoufflecourt,ellelevalesyeuxsurl’hommequ’elledevaitépouser,stupéfaitedeledécouvrir
presqueaussibeauquePreston.Presque.Cequiétaitdéjàbeaucoup.Il avait les cheveuxnoirs, desyeuxbleu très clair et unnez aquilinqu’encadraientunemâchoire
carréeetdessourcilsbiendessinés.Sacoiffuresisoignéeetsestraitssiparfaitssemblaientdirectementsortis d’une gravure demode.M.ReginaldBarkworth était-il un homme, ou une illustration dotée devie?
Avecunsourireéclatant,illasaluad’ungesteparfaitementmaîtrisépuisluifitunbaisemainavectoutel’éléganced’un…oui,d’unduc.
—M.ReginaldBarkworth,àvotreservice,murmura-t-ilenlevantàpeinelesyeuxdesesdoigts.
Oui, il était l’imagemême du parfait gentleman londonien, bien loin du caractère orgueilleux etemportédePreston.Aubrasd’unhommesi convenable, elle serait certainementà l’abride toutes lesmanigancesdePreston…
Oui,tuessauvée,soufflaunepetitevoixaufondd’elle-mêmetandisqu’ellejetaitundernierregardfurtifderrièresonépaule.Prestonavait-ilvusoninstantdetriomphe?
Non,ilavaitdisparudanslafoule.ElleseretournadoncàregretversM.Barkworth,cethommequesononcleavaitchoisipourelle.
Hélas,endépitdesonapparencesiparfaite,quelquechosesemblaitmanquerenlui…
Chapitre9
IlfallutàpeinedeuxsecondesàPrestonpourapercevoirTabby,àl’autreboutdelasalledebal.SetirerdesgriffesdeHen,cependant,luidemandaunpeuplusdetemps.Alorsquesatantelistaità
voix haute les gens présents, les absents, et établissait sa liste de candidates aumariage, il fit de sonmieuxpourparaîtreattentiftoutenexaminantlafoulequisepressaitdanslapièce.
Ilavaitpresqueoubliéàquoipouvaientressembler lescheveuxdeTabbylorsqu’ilsn’étaientpasenserrésdansunchignonsévère.Cependant,ilsavaitparfaitementcommentunebouclefolle—legenredebouclesquisemblaitsupplierunhommedelibérerlerestedelacheveluredesesépingles—étaitlemieuxmise en valeur : en la laissant retomber librement sur une épaule. Et c’était exactement ce queTabbyavaitfait…
Soudain,lavoixdeladyJuniperletiradesarêverie:—Est-cequetum’écoutes,Preston?DeuxdansesavecladyPamelaetriendeplus,tum’entends?—Situytiens,répondit-ilvaguement.Levrairisquedescandale,cesoir,nevenaitpasdeladyPamela.Levrairisquesetenaitsagement
del’autrecôtédelasalle,l’attirantplusqu’aucuneautrefemmenel’avaitjamaisfait.Maisiln’avaitaucuneintentiondeprovoquerunscandaleavecTabby—MlleTimmons.Toutce
dontilavaitbesoin,c’étaitdesréponsesàsesquestions.Parexemple:pourquoiluiavait-ellecachésesfiançaillesalorsqu’elleavaitvolésoncœur?—Preston,jetepréviens,jenesuispasd’humeurpatiente,repritHen.—Jen’abusejamaisdetapatience.Cequin’étaitpaslecasdeTabby…—Sottises!Tulefaisàchaquefoisquetujouesàséduireunefemme!répliquasèchementHenà
mi-voix,sanssedépartirdesonsouriremondain.Elleétaitbien la filledesamère :desgénérationsd’aristocratespesaientsursesépaulesetelle
était capable de faire face aux pires querelles, aux pires scandales, tout en arborant un air de dédainparfaitementcontrôlé.Mêmefaceàlui.
Cependant,cesoir,ilsesentaitplutôtrebelle.—Tusaistrèsbienquejeneprendspresquejamaisl’initiativedeces«jeux»,Hen.—Peut-être,maistuneteprivespasquandils’agitd’yparticiper.Cen’était pas la peine de répondre.Personnenegagnait jamais face à elle. Il ne réussirait qu’à
s’enfoncerunpeuplus,commeaimaità le rappelerHenry. Il la suivitdoncensilenceaumilieude lafoule, sans se soucierdesmèresqui regroupaientprécipitamment leurs fillesprèsd’elles, visiblementinquiètesdevoirleprédateurfondresurleursprécieuxpetitsagneaux.
S’ill’avaitosé,illesauraitrassurées.Cesoir,uneseulefemmeretenaitsonattention…Tabby.Et, à chaquepasqui le rapprochait d’elle, il sentaitmonter ledésir en lui. Il voulait tout
découvrird’elle,etpasseulementsachevelurecuivrée.Enfin, alors qu’une grosse femme au turban lourd de plumes s’écartait de son chemin, il put
l’apercevoirdistinctementetfuteffaréparsanouvelleapparence.Seigneur,queluiavaient-ilsfait?Toutcequ’ilavaitcraint,àl’auberge,étaitdevenuréalité!
La femme qui se tenait là n’était plus Tabby, maisMlle Timmons, héritière mondaine et futureépouse.Sasilhouetteapprêtée,sophistiquée,n’avaitplusriendelajeunefemmetropfranchequil’avaitsifacilementséduitparsafraîcheur.
Lafilledevicaire insolentes’étaitchangéeencréaturesoignée,vêtued’une toiletteà ladernièremode ;uneposeusecommeonn’enfaitpas…Pisencore,elleétaitexposéeauxyeuxde lasociétédetellemanièreque,dèslelendemain,MlleTabithaTimmonsdeviendraitlanouvellefavoritedelaville.
Cette femme fascinantedans sa robeaudacieuse—bonDieu,onvoyaitmêmeses chevilles !—enflammerait tous les hommes présents aussi rapidement que la vieille fille de Kempton avait su lebouleverser.
Suivant sa silhouette des yeux jusqu’à sondécolleté outrageusement profond, il croisa finalementsonregard.Unregardhorrifiéquiluiprouvasanslemoindredoutequ’ellen’étaitpasraviedelevoir.
Ainsi,ellesavaitquiilétait…Etelleparaissaitprofondémentencolèrecontrelui.Qu’avait-ildoncfaitpourcela?Tul’aslaisséepenserquetun’étaisqu’undébauchédebasétagequis’amuseàembrasserles
femmesetàlesquitter.Oui, en effet. Hélas, il n’aurait pas l’occasion de lui prouver à quel point il pouvait être
inconvenant;pasaprèscequesonamie—uneDale,rienquecela—avaitannoncéauparc.Commentavait-ilpul’oublier?
Sonfiancéestunparfaitgentleman.Commesil’onpouvaitfaireconfianceàuneDale!IlallaitvraimentdevoirdiredeuxmotsàTabby
ausujetdesesfréquentations.Enparlantdefréquentations…Unfrissonglacé leparcourut.SiTabbyétait là,celasignifiaitque
sonchanceuxdefiancén’étaitsansdoutepasbienloin.Balayantlasalled’uncoupd’œilcirculaire,ils’aperçutquelapièceétaitrempliejusqu’auplafond
decesparangonsdevertuennuyeux.Cen’étaitpassurprenantqueRoxleysefasseattendre.Un parfait gentleman ! Preston était-il le seul à voir à quel point ces paons efféminés étaient
insupportables?Toutcequimanquaitàlatoilettedecesdandyssurfaitsétaituncollieretunelaisse.Aucund’euxneconviendraitàl’orgueilleuseettêtueMlleTimmons.Iljetaunnouveauregarddans
sa direction,mais elle faisait de sonmieux pour l’ignorer—c’était évident, vu l’expression terrifiéequ’elleavaitaffichéelorsqu’ill’avaitsurpriseentraindelelorgneràladérobée.
Maislaseulequestionquiimportaitétait:oùsetrouvaitcemystérieuxfiancé?Oùsecachait-il?S’il n’était pas complètement idiot, il ne devait pas être loin pour sauverMlle Timmons des regardsinquisiteursquesondécolletéattirait,mêmeparmicesinvitésguindés.Qu’attendait-ildonc?Pourquoinevenait-ilpasclamercequiétaitàluipourévitertoutemésaventureàsapromise?
Cependant, dans cette assemblée de parfaits gentlemen, le seul homme présent ce soir qui étaitcapabledeladéshonorerétaitcertainementlui,lecélèbreducdePreston.
Celadevait-illerendreheureuxoul’attrister?IlavaitpromisàHendenepascauserdescandale ;maiscomment tenirparole,maintenantqu’il
savaitqu’elleétaitlà?S’ilavaitétéaucourantplustôt,iln’auraitrienpromis.
—Ah,voiciladyPamelaetsamère,lançaHenenl’arrachantunenouvellefoisàsacontemplation.—Laquelleest-ce?parvint-ilàdired’unairpresqueintéressé.—C’estcettecharmantejeunefilleenrobepuce.Charmante?C’étaitcertainementlameilleureplaisanteriequeHenaitjamaisfaite!Unseulregard
surcette«prétendanteidéale»luisuffitpoursavoirqueladyPameladevaitavoirunrirechevalin.—Hi-han,murmura-t-ilmalgrélui.—Hi-quoi?Voyantqu’ilnerépondaitpas,Henpoursuivitfroidement:—Preston,jetepréviens,situprévoisdegâchercettesoirée…—Hen!Arrêtedoncdet’agiter,ondiraitl’unedestantesdeRoxley.Jen’aipasl’intentiondefaire
quoiquecesoitd’autrequecequetum’asdemandé.Meprésenter.Danser.Partir.Surtoutpartir,songea-t-ilavecunnouveaucoupd’œilendirectiondeMlleTimmons.Ledestinle
tentaitdangereusement.Ilauraitfaitn’importequoipourgoûterdenouveauauxlèvresdeTabby…Toutpourpasseruninstantavecelle…
—Hum!Cettefois-ci,cefutàluidefrémirsousleregardméfiantdeHen.Maisiln’étaitpasducpourrienet
luirenditunregardàfairegelerlaTamiseenpleinété.Si seulement il parvenait à contrôler ses émotions comme les expressions de son visage… Son
corpsentiers’enflammaitcommelaforged’Héphaïstos.—Etqu’enest-ildesautresfemmesdemaliste?demanda-t-elleimpatiemmentenluidonnantun
petitcoupd’éventail.—Jem’ensouviens.Commentoublierlamarchequileconduiraitauxgalères?Hennelequittaitpasdesyeux,l’airinterrogateur.Biensûr,ellenelecroyaitpas.—MlleHollings,MlleCorbleetMlleMarch,énonça-t-ilpourluiprouversabonnefoi.Afin d’éviter une querelle, il évita cependant d’ajouter son propre avis sur ces prétendantes : la
progéniturepatauded’unbaronruiné,etlesfillesavidesdedeuxchevaliersrécemmentadoubés.Il ne put réprimer un soupir. Ses bottes allaient souffrir, ce soir, piétinées par des demoiselles
nerveusesàquiHenavaitdûpromettredesentréesàAlmackoutoutautrelieuhorsdeleurportéesiellesacceptaient de danser avec sonneveudévoyé.Une soirée longue, ennuyeuse, sous l’œil autoritaire deHen…renduepireencoreparlaprésencedeMlleTimmons.
Il luirestaitcependantencorel’espoirqu’elle lerejoignepourleremettrefermementàsaplace;celapourraitapporterunpeud’intérêtàlasoirée.Deplus,ilétaitégalementprêtàluirépondre.
—N’aiepasl’airsiremonté,lançasoudainHen.Toutcequetuasàfaireestdedemanderàleurêtreprésenté,danser,puisteretirer.
—Bonsang,Hen,as-tuvraimentbesoindemerappelertoutcela?Ilavaitl’habitudedesmondanitésdepuissesneufans.—Oui,jecrainsd’enavoirbienbesoin,assura-t-elle.Cettefois,elleavaitpresqueraison,songea-t-ilenlevantdenouveaulesyeuxsurMlleTimmons.Oui, Hen avait raison. En dépit de ses bonnes résolutions, la silhouette de Mlle Timmons, qui
s’efforçaittoujoursdenepasleregarder,suffisaitàéveillerunepointederébellionenlui.
***
Depuisl’annoncedesesfiançaillesprécipitées,TabithaavaitcraintqueBarkworthneressembleàunpersonnagedemauvaisroman, lescheveuxgras,petit,peut-êtremêmechauveetbégayant.Mais,aulieudecela,ellesetrouvaitfaceàunvisagemagnifique.
M.ReginaldBarkworthétaitdeplusaussiélégantetbienélevéquecequeprétendaientsatanteetladyPeevers—àtelpointqueTabithaavaitl’impressiond’êtreentrainderêver.
Toutsedéroulaitmerveilleusement…Celanepouvaitêtrevrai.Celanepouvaitêtreréel!Lesmariagesarrangésn’étaientpascensésoffriràunefemmeunfiancéauprofilsiciselé,aufront
déterminé,aunezdroit,auxlèvresbiendessinéesetaumentonvolontaire.Seigneur,qu’ilétaitimpressionnant!—Tabitha,tesmanières!lançasatanteauboutd’uncourtsilence.Disquelquechose.Acesmots,M.Barkworthéclataderire,d’unrirechaleureuxetdouxàlafois.—Voyons,ladyTimmons,j’imaginequ’ilesttoutnaturelpourunejeunefemmed’êtretroubléeen
detellescirconstances.Laissezàmafutureépousequelquesinstantspourseremettre.Secalmant lentement,Tabithavitalorsceparfaitgentlemanreculerd’unpas,sanspourautant lui
lâcher lamain, et l’examiner commeon examinerait un cheval, un chien de chasse ou, pis, une bonnevache à lait. Il détailla sa silhouetted’un rapide regard approbateur, s’arrêtant justeun instant sur seschevillesnuesquiprovoquèrentchezluilamêmemouequechezladyTimmons.
Cependant, s’il désapprouva la longueur de sa robe, il n’en laissa rien paraître et annonçafinalement:
—Parfaite!Stupéfiéeparcecomportement,Tabitha levitalorsfaireunclind’œilàsirMauris,quisefendit
d’ungrosrire.Acôtédelui,ladyPeeversetladyTimmonsagitaientjoyeusementleurséventails,tentantvainement
dedissimulerdegrandssoupirssoulagés.Voilà : elle,Mlle Tabitha Timmons, campagnarde devenue héritière, avait réussi à satisfaire les
exigencesdeM.ReginaldBarkworthd’Acornbury.Elle essaya de sourire,mais ne put réprimer un soudain accès de panique. Comment pouvait-on
conclureunmariagecommecela?Sivite,aprèsunsimpleregardéchangé,sanslamoindrediscussionetsansmêmeavoirpartagéunrepas…
Elles’efforçadenepasregarderPreston,maiscelan’empêchapaslessouvenirsdel’aubergederevenirlahanter.
Illuiavaitgardéladernièrepartdepudding,luiavaitserviduthéetelleavaitdécouvertavecjoiequ’illebuvaitexactementcommeelle—avecdeuxmorceauxdesucreetunegrossecuillèredecrème.
Pourquoidoncnepouvait-ellecesserdepenseràlui?Ellen’auraitmêmepasdûsavoircommentilaimaitsonthé!
Faisantdesonmieuxpourchassercespensées,elleréussitenfinàsourireàcebelétrangerquisetenait en face d’elle.Non, ce n’était pas un étranger.Mais son fiancé. Lorsqu’elle saurait comment ilbuvaitsonthé,s’ilpartageaitsonpuddingous’iln’aimaitpaslespoèmesdeColeridge,alorspeut-êtreparviendrait-elle à surmonter cette angoisse soudaine. Mais, pour le moment, elle avait l’impressiond’êtreunemartyrequel’onjetaitauxlions.
LevantlesyeuxsurBarkworth,ellecherchasursestraitsl’assurancequetoutsepassaitbien.Cesfiançaillesledéconcertaient-ellesautantqu’elle?Hélas,elles’aperçutavechorreurquelaconversationavaitchangéetqu’ilétaitentraindebavarderavecladyPeeversetladyTimmonssanss’apercevoirquesafiancéedevaitlutterpournepasseprécipiterverslasortie.
Instinctivement,ellepromenasonregard toutautourde lapièce.N’yavait-ilpas làuneporte,unbalcon,n’importequoi?
TrouvePreston.Iltesauvera.Oh!Seigneur,qu’est-cequin’allaitpaschezelle?Pourquoipensait-elleencoreàlui?Elleétait
surlepointdesemarier.AvecBarkworth.Ungentlemanrespectable.ElleallaitdevenirMmeBarkworth,etseraithorsdeportéedePreston.
Cettepenséeauraitdûlaréconforter,etpourtant…—MademoiselleTimmons,vouscorrespondeztoutàfaitàcequevotrechèretantem’aditdevous,
etmêmeplus ! proclama soudainBarkworth, plus pour le public qui l’observait que pour elle-même,avecunsourirecharmeurpourladyTimmonsetunnouveauclind’œilàsirMauris.Nosfiançaillesfontdemoil’hommeleplusheureuxdeLondres.Non,d’Angleterre.
Quelquechose,danscettejoieexagérée,piquaTabithaauvifetelledéclara:—Vraiment?Nousvenonstoutjustedenousrencontreretjenevoispascomment…—Cequeveutdiremanièce,coupaladyTimmonsavantqu’ilnes’aperçoivedelarébelliondesa
promise, c’est qu’elle partage votre surprise en constatant à quel point votre union à venir s’annonceheureuse.
Puis ellebaissa sesyeuxde rapace sur sanièce, imitéepar ladyPeevers, sirMauris etDaphné.Tousladévisageaient,attendantsaréponse.
Mais Tabitha se sentait de plus en plus d’humeur désobéissante. Etait-ce si anormal pour elled’attendredavantagedesonmariage?
Unenouvellefois, levisagedePrestons’imposadevantsesyeux.Sonbaiser.Letremblementquis’était emparé de ses genoux quand il l’avait attirée contre lui. Ce sentiment délirant, passionné, quil’avait envahiedans sesbras, quand il l’avait regardéed’unair enflammécomme s’il avait été sur lepointde…
Non,elledevaitcesserderepenseràcela.Barkworth,sibeauetattirant,étaitcertainementcapabled’inspirerautantdedésir.
Ellerelevalesyeuxverslui.Illuisouriait,attendantluiaussiuneconfirmationenthousiastedecequesatantevenaitdedire.
—Nosfiançaillesprésententdenombreuxintérêts,expliqua-t-il,surtoutpourvous;maisaussipourmoi. Elles ajoutent un éclat supplémentaire à ma situation déjà reconnue. Ne doutez pas de vous,mademoiselleTimmons:vousêtesparfaitementconvenable.
Convenable ? Il la trouvait convenable?Un sentiment inconnunaquit enelle.Elle auraitdûêtreravie, enchantéede le satisfaire,mais…Convenable?Vraiment?Etait-ce toutcequ’il avait trouvéàdire?
ContrairementàTabitha,DaphnéparaissaitsouslecharmedeM.Barkworthetdesesdéclarationsconvenues,àencroirelesourireéclatantqu’ellelançaàsonamie.
Harriet,cependant,demeuraitsilencieuse.Sestraitssombres,habituellementsiouvertsetenjoués,masquaientàprésentsespensées.
Enfin,BarkworthlâchalamaindeTabithapoursetournerverssatanteetladyPeevers.— Tout ce qu’il nous reste à faire est de recueillir la bénédiction de ma mère et j’irai voir
l’archevêquepourobtenirunelicencespéciale.—Sivite?balbutiaTabitha,stupéfaite.Commentpublierons-nouslesbans?— Pour attendre si longtemps ? Non, mademoiselle Timmons, vous n’êtes plus très jeune, vous
savez, répondit-il, toujourssouriant,commesicette idéedemariageprécipité l’amusait follement.Ah,voilàmère!
—LadyAncil!s’écrialadyPeeversenagitantsonéventaildeplusbelle.Oùétiez-vous?Vousavezmanquéleurrencontremais,commejel’avaisprédit,ilssontdéjàséduits.
SiTabithaavaitdéjàeudesdoutesausujetdesonavenirauxcôtésdeM.Barkworth,l’arrivéedesamèrenefitqu’attisersonangoisse.
— Mère, voici Mlle Timmons, commença Barkworth en se tournant vers Tabitha qui s’étaitinstinctivement rapprochéedeDaphné, craignant inconsciemmentde se fairedévorer toute cruepar safuturebelle-mère.
LadyAncil dévisagea d’abordDaphné d’un air peu convaincu.Apparemment l’idée d’avoir unebelle-fille particulièrement charmante ne lui convenait pas. Le nez froncé, les yeux scrutateurs, elleaffichaituneexpressionoùsemêlaientlasurpriseetladéception.
— Oh ! ce n’est pas moi ! s’exclama joyeusement Daphné, visiblement ravie de pouvoir sesoustraireàcetexamen.VoiciMlleTimmons.
Traîtresse,songeaTabithaavantdeplongerenuneprofonderévérenceverslavieillefemme.—JesuisMlleTimmons,ladyAncil,annonça-t-ellerespectueusement,etjesuisenchantéedefaire
votreconnaissance.L’autreneréponditpas,leregardfixésursarobe—enparticuliersursonourlettropcourt.—Mère,jedisaisjustementàMlleTimmonsquenousallionsnousdispenserdelapublicationdes
bans, intervintBarkworth en prenant lamain de samère et celle deTabitha, comme s’il comptait lesprésenterdanslesformes.
—Eneffet,maisj’auraispréférépouvoirmemarieràKempton,ditTabitha,soudainsoucieusedegagnerleplusdetempspossible.
Oui, il luifallaitdutempspourapprendreàconnaîtreBarkworth;dutempspourêtresûrequelemariageaveccethommeneseraitpasunemalédictionenlui-même.
Sononcle avait certainement eudebonnes intentions en rédigeant son testamentde cettemanièreinattendue. Sans doute avait-il pensé qu’unir sa nièce à un homme respectable lui éviterait de tomberentrelesgriffesdedébauchéscommePreston—leducdePreston,corrigea-t-elle.
Bonsang!Siseulementilavaitétélevauriensanslesouqu’ellel’avaitsoupçonnéd’être…Maisc’étaittoutlui,deposséderfinalementunefortuneconséquente,etdes’avérerêtreunduc!
—Vous voulez vousmarier à la campagne ? répliqua Barkworth. Si je puisme permettre,mononcle,lemarquisdeGrately,seraittrèscontrariéparcegenredechoses.
—Saprésenceest-ellenécessaire?demandaTabitha.—Nécessaire?Barkworthladévisageaitcommes’ilnecomprenaitpaslesensdesaquestion.—MachèremademoiselleTimmons, reprit-ilauboutd’un instant,sans labonnevolontédemon
oncle, il n’y aurait pas demariage. Et, jusqu’à son infortuné décès quime placera dans une situationconfortable,jemedoisdemefieràsesexcellentsavisetdeleménager.
—Aller jusqu’àKempton pour semarier ? renchérit samère d’un air incrédule.Mais pourquoidonc?Ceseraitunedépensebieninutile,machère,puisquevousvivrezàLondresavecBarkworth.
—Et avecmère, ajouta-t-il fièrement, commesi laprésencede ladyAncil ajoutait encore à sonbonheurconjugal.
Acetinstant,lasoiréedéjàdésespéréedeTabithasombradansungouffresansfond.
***
—Roxley, qui est ce pédant ? demanda Preston à son ami qui avait enfin réussi à saluer ladyKnolles.
Lecomteétaitarrivéavecunehaleinecopieusementparfuméeaurhumetl’airunpeudéfait—mais,enmêmetemps,ilétaittoujoursdifficiled’avoirunavistranchéavecRoxley,quiparaissaitcultiversonaspectquelquepeunégligé.
—Quelpédant?ironisa-t-il.Lasalleenestpleine!—Celui-là,enbleumarine.Commecen’étaitpassuffisantpoursonami,Prestonajouta:—CeluiquidiscuteaveccesdemoisellesdeKempton.Cependant,Roxleynefutpasdupe.—Tuveuxdire,celuiquisetientprèsdeMlleTimmons?—Elleestlà?demandaPrestond’unairinnocent,enespérantabusersonami.Oui,eneffet,celui
quisetientprèsd’elle.Roxleypoussaunprofondsoupir.—Jet’aidit…—Puis-jeterappelerquec’esttoiquim’asmisdanscettesituation?coupaPreston.—Jemedemandais àquelmoment tu t’en rendrais compteet commencerais àmedemanderdes
faveurs,admitsonami.Il embrassa une nouvelle fois la salle du regard, comme s’il essayait d’envisager ce qu’il lui en
coûterait.Finalement,ilsetournaversPrestonetlâcha:—C’estBarkworth,l’héritierdeGrately.—Grately?Cettevieillesangsue?—Lui-même,approuvaRoxley.Ilestpresqueruiné,d’aprèscequej’aientendu.SiMlleTimmons
estdevenuehéritière,ellepourraitêtreexactementcedontBarkworthabesoinpournepasseretrouvercoincéavecuntitresansvaleur…
—Commec’estpratiquepourlui!Lesdentsserrées,Prestonjetaunnouveaucoupd’œilau«parfaitgentleman»deTabby.Barkworth.Iln’avaitpasbesoindeleconnaîtrepourlehaïr.D’oùvenaitcettesoudaineanimosité?
Etait-cesoncoltropamidonné,oulenœuddesacravatesurfait?Etpuissesbottesnebrillaient-ellespasexagérément?
IlnesavaitquetropbienqueceM.ReginaldBarkworthnepourraitjamaisrendreTabithaheureuse—et,siellenes’enétaitpasencorerenducompte,quelqu’unallaitdevoirleluidire.Immédiatement.
—Oùvas-tu?s’inquiétaRoxleyenemboîtantlepasàPrestonquisedirigeaitdroitsurTabbyetsonpédantpromis.
Rapidement,lecomtecompritsonstratagème.—Ohnon,nefaispascela!lança-t-ilenl’attrapantparlebraspourl’immobiliser.—Queveux-tudire?Prestonsedégagearapidement,maisRoxleyn’abandonnapas—cequiprouvaitqu’iln’étaitpas
complètementsoûl,maisavaittoutjusteassezbupourdevenirprofondémentagaçant.—J’aiseulementl’intentiondeprésentermesfélicitationsàMlleTimmonsetàsonM.Barkworth.—Celam’étonnerait,rétorquaRoxley.Bonsang,Preston,pasplustardquecematin,tuasdittoi-
mêmequecettefilleétaitdangereuseetqu’ilfaudraitêtrefoupourluicouriraprès!—Peut-être,maisjenel’avaispasencorevuedanscetterobe,Roxley.Acesmots,lecomtes’immobilisaetconsidéradenouveauTabby.—Oui,ehbien,jet’avaisditqu’elleétaitbelle…
Puis,sereprenant,ildéclaraplusfroidement:—Oubliecela!TudoisresteràdistancedeMlleTimmons.—Comment?Nepaslaféliciter?Ceneseraitpaspoli.—Preston,tusaisqueriendebonn’ensortira.Crois-moi!—Tucommencesd’abordparmerabâchercettehistoiredemalédiction,etmaintenantcela?coupa
Preston. Quand cesseras-tu tes prédictions hasardeuses ? Franchement, Roxley, tu devrais vérifierl’étiquettedetesbouteillesavantdelesboire:jefaisseulementpreuvedecourtoisie.
—Cequetut’apprêtesàfaireesttoutsaufcourtois.—Roxley,tumeblessesprofondément.Situnemecroispas,tun’asqu’àm’accompagner.Lecomteparuthésiterquelquesinstants.Heureusement,ilavaitdéjàbutropderhumpourréfléchir
trèslongtemps.—Nouslesfélicitons,etnousrepartons.C’esttout.—Biensûr!réponditPreston.Etjedanseraipeut-êtreaveclacharmantepromise.—BonDieu,Preston!C’estunetrèsmauvaiseidée.SiladyJuniper—ou,pire,l’unedemestantes
—mesoupçonned’avoirparticipéà…—Jen’auraiqu’àdirequec’étaitcontretongré.—N’est-cepastoujourslecas?marmonnaRoxleyenpassantunemainnerveusedanssescheveux.
***
—Tabby!Quediablefaites-vousici?LavoixenjouéedePreston, justederrièreelle, fitsursauterTabitha.Elleenfitmêmetomberson
réticule,queleducs’empressaderamasserpourleluitendre.Danssagrandemain,lapetitepochettedesoieparaissaitplusfragilequejamais.
Aprèsavoirpasséunegrandepartiedelasoiréeloind’elle—ceenquoielleluiétaitinfinimentreconnaissante—,voilàqu’ilétaitlà,àcôtéd’elle,commeunlionenchasse.
EtTabithan’étaitqu’unegazelleeffrayéefaceàlui.Unegazelleblesséequitraînaitàl’arrièredutroupeau.
LeursregardssecroisèrentuninstantetellesurpritunéclairdemalicedanslesouriredePreston.C’étaitunecatastrophe…Elle lui arracha son réticule et prit une profonde inspiration.Que faisait-il ici ?Que voulait-il
encore?— Ah, mademoiselle Dale ! Et mademoiselle Hathaway aussi, lança-t-il en saluant Daphné et
HarrietavantdesetournerdenouveaufaceàTabitha.Tabby,petitecachottière!Commentavez-vouspuoublierdemedirequevousveniezchez ladyKnollesquandnousnous sommes rencontrésauparccematin?
Mêmeenignorantle«petitecachottière»,lasimplementiondeleurrencontreauparcsuffitàjeterunsilenceglacialsurlepetitgroupe.Al’exceptiondeladyTimmons,quilâchauncriétouffésuggérantqu’ellevenaitd’avalersonéventail.
Tabitha,elle,semitàfrissonnerderage.Quelhommeprésomptueux,arrogant…—Allons,Tabby,poursuivitPreston,pluspoursatanteetladyPeeversquepourelle,jevoisbien
quevousêtesencolèrecontremoi.Iladressaunsourirecharmeurauxdeuxvieillesfemmes,unsourirequiauraitpuréussirautrefoisà
s’attirer leurs bonnes grâces, mais qui n’avait plus aucun impact sur des ladies aussi mondaines etexpérimentées qu’elles. Elles se contentèrent de le dévisager froidement, le nez froncé par lemépris.
Apparemment habitué au dédain des mères, il s’avança tranquillement entre Tabitha et Barkworth,obligeantcelui-ciàreculerd’unpas.
—ChèreTabby,j’aivraimentfaillinepasvousreconnaître?Savez-vouspourquoi?ChèreTabby?Personnenel’appelaitjamaiscommecela;etsurtoutpasleducdePreston.Prenant son temps, il regarda tour à tour les membres du petit groupe comme s’il attendait
sincèrementquequelqu’un lui réponde.Voyant finalementquepersonneneparlait, il poussaun soupirexagéré.
— Votre robe, petite futée ! s’exclama-t-il avant d’adresser un nouveau sourire flamboyant, àBarkworthcettefois.Cettetoilettelatransformevraiment.J’aiàpeinereconnunotrepetiteTabbyavantqueRoxleynevousdésignedudoigt…
—Jen’airienfaitdetel!coupasonami.Mais Preston le fit taire d’un geste de la main comme s’il trouvait le comte trop modeste et
enchaîna:—Personnellement,sij’étaisvotrefiancé,Tabby,jenevousauraijamaislaisséesortirdanscette
tenue.Vous avez provoqué une véritable vague demystère et les suppositions vont bon train. Tout lemondesedemandequivousêtes.JecrainsquevotreBarkleynedoivesupporterunesévèrecompétitiondemainmatin.EnparlantdecevieuxBarks,oùest-il,cebravehomme?
Finalement,n’ytenantplus,Tabitharépliquasèchement:—SonnomestBarkworth,Preston.—Ahoui!Maisvoussavezcommentjesuis.L’airparfaitementinnocent,il jetauncoupd’œilautourdeluieteutunpetitsourired’excuse.Au
boutd’uninstant,iltenditlamainàsirMauris.— Vous devez être Barkworth ! Tabby m’a tellement parlé de vous, ce matin, que je ne vous
imaginaispassiâgé.Puis,s’adressantàTabitha:—Jenem’étonneplusdenepasvousavoirvuedanser.Nousnevoudrionspasquevotrefiancé
s’épuisetropavantlemariage…ConsidérantdenouveausirMauris, ilexaminaTabithadela têteauxpiedsetsoupiracommes’il
désapprouvaitcesfiançailles.Désapprouver,lui?Etpuis,qu’importaitsonavis?Cethommeodieuxneméritaitpasqu’onl’écoute.Qu’était-ilvenu
faireici,enfindecompte?SirMaurisrepoussafinalementlamainduduc.—Jesuisl’oncledeMlleTimmons,sirMauris,monsieur.Acesmots,Prestonlâchaunsoupirdesoulagement.—Bonnenouvelle!Mais,danscecas,oùsetrouvenotreparfaitgentleman,Tabby?Toutenparlant,ilregardaautourdelui,sanss’arrêterunseulinstantsurBarkworthquisetenaiten
silenceàcôtédesamère.—Jepensaisque l’hommenevousauraitpasquittéede lasoirée,depeurqu’uncoquinnevous
découvre,expliqua-t-ilensouriantcommesinil’unnil’autrenesavaientd’oùprovenaitlevraidangeràcetinstant.
Finalement,s’écartantdesamère,lefiancédeTabithas’interposa.—JesuisBarkworth,annonça-t-ilenjetantunregarddésapprobateuràTabithaalorsqu’ilreprenait
saplaceàsescôtés.Ilétaittemps,murmuraunepetitevoixenelle.Sonmanquedecourageétaitconsternant.Imagines-
tuPrestonprendreainsiletempsd’évaluertranquillementunesituationavantd’intervenir?
Certainementpas.Aucontraire,leducparaissaitenchantédesetrouverenmauvaiseposture.AugranddésespoirdeTabitha.—Etvousêtes?luidemandafroidementBarkworth.—Preston,bien sûr ! Jepensaisque tout lemonde le savait, ajouta-t-il avecunnouveau sourire
pourTabithaassortid’unclind’œil.Vraiment,unclind’œil?DevantladyAncil?Est-cequecefichu…insupportable…mauditvauriensavaitcequ’ilfaisait?Ohoui,biensûrqu’illesavait.Elle chercha désespérément une réplique qui saurait le faire taire et le renvoyer, honteux ;
cependant,ellenefutpasassezrapideetPrestons’engouffradanslabrèche.Encore.—Ah,Barkstone,moncher!s’écria-t-ilenpassantsonbrasautourdesesépaulesetenleguidant
jusqu’àcequetousdeuxseretrouventfaceàTabitha.Admettezquevotrepromiseestlapersonnelapluscharmantedecetteassemblée,n’est-cepas?
Barkworth ouvrit la bouche,mais aucunmot n’en sortit, comme s’il ne s’étaitmêmepas posé laquestion.Auboutdequelquessecondes,ilparutreveniràlaraison,carils’écartadePrestonetseplaçaentreTabithaetsamère.MaisPrestoncontinuaàfairecommes’ilsétaienttousdevieuxamis.
—J’étaisétonnéquevousne l’ayezpasconduite sur lapistededanse,puis j’ai enfincompris :vouscraigniezquel’assembléenedécouvreetn’admireseschevilles.Charmantetenue,n’est-cepas?
Dansunnouveausoupirthéâtral,ilreculaunpeuetexaminaintensémentl’espacenuentrelebasdelajupedeTabithaetsesescarpinsplats.
—Jeveuxdire…FaceauxbégaiementsembarrassésdeBarkworth,Prestonhochagravementlatête.—Vousvoulezdire?Ohoui,quevousnecomptezpasdanser?Sagedécision.—Jen’aipasdanséavecMlleTimmonscarjen’aimepasvraimentladanse.—Ahbon?Prestonembrassalegrouped’unregardinterrogateur.—Mais c’est criminel, monsieur ! Il faut faire danser Tabby, et la faire danser encore jusqu’à
l’étourdir.Avait-ellebienentendu?Iln’avaittoutdemêmepasosé?Tabithafermauninstantlesyeux,dans
l’espoirquecenesoitqu’unmauvaisrêve.Quandellelesrouvrit,unsimplecoupd’œilsurladyAncil,quiétaitlivide,confirmasescraintes.
—Connaissez-vouscethomme?demandaBarkworthàTabitha.—Non,affirma-t-ellefermement.Paslemoinsdumonde.—Oh!Tabby,vousdevriezavoirhonte !Biensûrquenousnousconnaissons :noussommesde
vieuxamis.Dis-leur,Roxley,c’esttoi-mêmequinousasprésentés.Lecomteparaissaitsurlepointdedéfaillir,etbafouilla:—Je…Pourainsidire…Jen’aijamais…—Voyez:ill’admetlui-même,interrompitPrestoncommesilaréponsedesonamiavaitétéclaire
pour tout lemonde.Nous nous sommes rencontrés àKempton, il y a peut-être unmois. Et nous noussommesrevuscematin,dansleparc.Noussommesdegrandsamis,maintenant,n’est-cepas,Tabby?
—Certainementpas,riposta-t-elledesavoixlaplusglaciale.Fortheureusement,Prestoneutlasagessedetaireleurautreentrevue,cellequilesavaitvraiment
rapprochés.
—Croyez-moi,j’aipourrègledenejamaismedisputeraveclesfemmes—demandezdoncàmatante—etjemedoisdeprotester.Aprèstout,nousavonspasséunagréablemoment,cematin,àécouterTabby vanter son cher Barkshire : M. Barkshire ceci, M. Barkshire cela… Je dois avouer que jem’attendaisàrencontrerunvéritableadonisdotéd’unesagessedigned’unroiSalomon.
Toutenparlant,illançaunregardencoinàBarkworth,commes’iln’étaittoujourspasconvaincud’avoirrencontrélebonindividu.
—Vousêtesl’héritierdeGrately,n’est-cepas?—Eneffet,réponditBarkworth.—Héritierpotentiel,ajoutaPrestond’unevoixétrange.Presquecommesisonhéritagen’étaitpaslaseulechosequeBarkworthattendait…—Oui,grommelal’intéressé,levisagecramoisi—d’embarrasoudecolère?—,sonmalheureux
décèsm’apporterasontitreetsesterres…—Unmarquisat,sijenemetrompepas?insistaPreston.—Oui.Tabithaobservaitceballet,intriguée.Oùdoncleducvoulait-ilenvenir?Acôtéd’elle,sonfutur
fiancéparaissaitàprésentprofondémentagacé.—Celaméritedeflatterlevieilhomme,n’est-cepas?lançaPrestonendonnantuncoupdecoude
compliceetunpeuexagéréàBarkworth.Oh !Seigneur !Combiend’insultes cethommeessuierait-il avantde réagir ?Ne trouvait-il donc
aucunerepartiesuffisammentcinglantepourfairetairePreston?Si,ilserebellaenfin.Oudumoinsilessaya.—VotreGrâce,commença-t-ild’unevoixhautaine,toutlemondesaitbienquevousn’êtespasreçu.Tabithacruts’étouffer.C’étaittout?N’avait-ilrientrouvédemieux?Vousn’êtespasreçu!Bien sûr, elle ne s’était pas attendue à voir Barkworth jeter un gant au visage de l’intrus ou lui
demanderréparation,pistoletsdeduelenmain;cependant,n’importequoid’autreque«vousn’êtespasreçu»auraitrassuréTabitha.
Loindeparaîtreinsulté,PrestonéclataderireetdonnaunegrandetapedansledosdeBarkworth.—Vousnem’aviezpasditqu’ilavaitdel’humour,Tabby!Biensûrquejesuisreçu,monbrave.
Aprèstout,jesuislà,n’est-cepas?IlinspectaencoreunefoisBarkworthdelatêteauxpieds,sanssedépartirdesonsourire,etfinit
pardéclarer:—Franchement,monsieur,jenecomprendspasquenousn’ayonspasétéprésentésplustôt.—Jenefréquentequedesamisrespectables,répliqual’autreavecmépris.—Jevois…Vousnedevezpasrecevoirbeaucoupdemonde,j’imagine.Barkworthseraiditplusencore.—Non,répondit-ildignement,prouvantparlàquelamoqueriedePrestonluiavait,unefoisencore,
échappé.Jesuisunvieuxgarçonetn’aiquemamèrepourtenirmamaison.— Plus pour longtemps, hein, Barks ? rétorqua Preston d’un ton familier. Je suppose que votre
demeureserabientôtlethéâtredebals,derécitalsetmêmedesoiréesdejeux.Tabbyadoreparier,vouslesaviez?
—Vousêtesvraimentodieux,lâchaTabithadansunsouffle.Prestonluiadressaunsourireencoreplusflamboyantquelesautres.— Je savais que je finirais par m’attirer vos faveurs. Regardez, me voilà déjà élevé au rang
d’odieux!SirMaurisfinitpars’interposer,faiblement.
—VotreGrâce…—Oui,monsieur,j’imaginequevousvousdemandezpourquoijesuisici.Ehbien,jesouhaitaistout
simplement présenter mes félicitations à ces deux jeunes gens, expliqua Preston, toujours souriant, etm’assurerquececherBarkwellcorrespondaitauxattentesdenotreTabby.
PuisilexaminaBarkworthd’unairdubitatif.—Montez-vousàcheval,Barkwell?Ilparaissaitinquietdecequesoninterlocuteurpourraitluirépondre.—Barkworth,corrigeal’autresèchement.—Oui,peuimporte.Donc,montez-vousàcheval,Barkle?Lespoingscrispés,plusraidequejamais,lefiancédeTabitharépondit:—Commetoutgentleman.—Dieumerci,hein,Tabby?Vousnevoudriezpasd’unépouxincapabledesetenirenselle?Avecunpetitgloussement,ildonnauncoupdecoudeàBarkworthetajouta:—C’estunejeunefemmecaractérielle,maisjepensequevoussaurezlaprendreenmain.—VotreGrâce,dois-jevousrappelerquec’estdemapromisequevousparlez?coupaBarkworth
entresesdents.—Oui,jelesais.Noussavonstousqu’ils’agitdevotrepromise,répondittranquillementPreston
comme si la colère de Barkworth le surprenait. Quant à votre train de vie, vous avez déjà dû vousapercevoir queTabby a un faible pour lamode.Avez-vous les revenus nécessaires pour lui offrir cequ’elledésire?
—Celanevousconcerneenrien,monsieur.—Oh!jevois…Onpréfèrenepasrévélerqu’onalespochesvidesavantlemariage.—Preston!Celasuffit,intervintTabithaàboutdepatience.Veuilleznouslaisser.Illadévisageauninstantensilence.Serendait-ilcomptedel’humiliationqu’illuifaisaitsubir?—Sic’estcequevousvoulez.—Oui.—Jemesouciesimplementdevotrebonheur,Tabby,assura-t-ild’unairprofondémentsincère.L’espaced’uninstant,ellefaillitlecroire.Seulement…—Jepréféreraisquevouscessiezdevoussoucierdemoi.Prestons’avança, lesyeux fixés surelle.Commes’ilsétaientencoreà l’auberge, seuls, en têteà
tête.—Jevousaipromisdelefaire,reprit-il.Saisie d’une angoisse soudaine, elle recula et faillit heurter sa tante de plein fouet. Sous l’œil
enflammédePreston,ellefrissonnaetfaillithurler:Alorssauvez-moi,monstre,sivousvoussouciezdemoi!Emportez-moi,déshonorez-moipourque
jen’aiepasàépousercetidiot!Lavéritélafrappabrutalement.Ellejetaunrapidecoupd’œilàBarkworthet,bienqu’ilsaientà
peineéchangéquelquesmots,ellesutquelgenred’hommesilétait.Orcen’étaitpascegenred’hommes-làqu’ellevoulaitépouser.Malheureusement,sielleseconfiait
àPreston,siellelesuppliaitdeladéshonorer,savieseraitdétruiteàjamais.Nonseulementelleperdraitsonhéritage,maiselleseraitrenvoyéeàKempton—sitoutefoistante
Allegraacceptaitdelareprendre—pourpassersavieàrécurerlessolsdupresbytère.Prestonnevoyait-ildoncpasqu’ellen’avaitpasd’autrechoix?Et,mêmes’ils’enrendaitcompte,
queferait-il?Ilneluidemanderaitjamaissamainpourlasauver.
Iln’étaitpashommeàsemarier.Pisencore,ilinterprétamalsonsilencemortifié.—Jemerendsdoncàvosraisons,lâcha-t-ilavantdesetournerunenouvellefoisversBarkworth.
Cependant,jenecomprendspascommentunéléganttelquevouspeutrésisteràl’enviededanseravecunesijoliepartenaire.
Tabithas’étaitposélamêmequestiontoutelasoirée,attendantquesonfiancél’invitesurlapiste—aumoinspourseretrouverseulàseuleaveclui.
Enfin,seule…Autantqu’ilétaitpossibledansunetellefoule.—Je tiensà resterdigneen toutecirconstance, répondit l’hommeavecun regardsongeursur les
couplesdedanseursquiglissaientsurleparquet.Onnedevraitdanserquesil’onyexcelle.—Vousavezparfaitementraison,monsieur!réponditlégèrementPrestonavantdeprendrelamain
deTabithad’ungesteautoritaire.Peut-êtrepourrions-nousmontreràtoutlemondecommentilfautfaire,Tabby…
Surce,etavectoutel’audaced’unduc,ilentraînaTabithaverslesdanseursquisereplaçaient,sansattendrel’accorddesatante.Abasourdie,Tabithajetauncoupd’œilàBarkworth,maissonfiancénevintpas à son secours. Il se contentade resterplanté là, en silence, tandisque lenoblevoyou l’emportaitcommeunagneausacrifié.
Ehbien,s’ilnecomptaitpasprotester,elleleferait!—Jen’aiaucuneintentiondedanseravecvous,dit-elleens’arrêtantàmi-chemin.—Biensûrquesi,rétorquaPreston,avecsonarrogancehabituelle.Etvoussavezpourquoi?Tabithanesoufflamot.Cettefois,ellen’entreraitpasdanssonjeu.MaisPrestonsepenchaàson
oreillepourmurmurer:—Vousdanserezavecmoi,parcequec’estcedontvousavezenviedepuisledébutdelasoirée.—Non,c’estfaux,jen’ai…—Menteuse,coupa-t-ilavantdelaprendredanssesbrasetdelaserrerbienplusquecequeles
convenancesn’autorisaient.—Vousêtesvraimentl’hommeleplusodieux…—Oui,oui,jelesais.Jesuisodieux,arrogant,présomptueux…Ai-jeoubliéquelquechose?—Ohoui!Beaucoupdechoses.Tandis qu’ils parlaient, Preston la guida d’unemain demaître dans une série de pas complexes.
Seigneur, c’était exactement comme à l’auberge…Non, c’était encoremieux car, grâce aux leçons duprofesseurdeladyTimmons,elleétaitenfincapabledesuivrePrestonavecsouplesse.
Et puis, il fallait bien reconnaître qu’au fond d’elle-même une force irrésistible la poussait à lesuivre,enveloppéeparlachaleurdesesbras,animéed’undésirqueluiseulsavaitprovoquer.
— Permettez-moi d’ajouter une chose à votre liste me concernant, chuchota-t-il à son oreille,laissantsonsoufflebrûlantcaresserlapeaudesoncou.
—Quoidonc?parvint-elleàbalbutier,lagorgesèche.Ilsepressaunpeupluscontreelle.—Jesuisleseulhommedecettepiècecapabledes’emparerdevotrecœur…
Chapitre10
Qu’avait-il dit ? Preston lui-même n’en crut pas ses oreilles. S’emparer de son cœur ? Etait-ildevenucomplètementfou?
Toutcela,c’était lafautedeMlleTimmons!Ilyavaitquelquechosededangereuxenellequi lepoussaitàluirévélersessecrets,às’ouvriràelle.
Quel sort lui avait-elle donc jeté ? C’était la pire des séductrices et, d’un simple regard, elleparvenait à fairevolerenéclats sa raisonmême—sur laquelle il avait l’habitudede s’appuyer…detempsentemps.
Hélas,enprésencedeTabby,iln’étaitpluscapablederéfléchir,commeRoxleyn’auraitpasmanquédelefaireremarquer.
Non,cen’étaitpastoutàfaitcela:ellen’annihilaitpassonbonsens,elleenfaisaitressortir lespirescôtés.
Apeineavait-ilpromisàHendenepascauserdescandalesqu’ilarrachaitTabbyàsonfiancépourdanseravecelle.Avait-ilperdulatête?Danseravecunefemmequinefaisaitpaspartiedesoncerclehabituelrisquaitdefairecroireàunefamiliaritéquinedevraitpasexister.
Etpourtant, songea-t-il en contemplant le visage offensé de sa cavalière.De toute évidence, saconfessionirréfléchieavaitprovoquélamêmestupeurchezellequechezlui.
Tantmieux.Celaluiserviraitdeleçon;ellen’auraitjamaisdûentrerdanssavieainsietéveillerenluitoutessortesdepenséesabsurdes—commecellederouvrirOwleParkparexemple.
Agacé,ilchassarapidementcetteidéenonseulementidiote,maiségalementimpossible.Seulement,lorsqu’ilplongeasonregarddansceluideTabby,sombreettrouble,mélangedangereux
decolèreetd’enviesassassines,ilsentits’enflammerlesrecoinslesplusreculésdesoncœur.Tantdepossibilités nouvelles germaient au fond de ces yeux… Son cœur s’emballa, emporté par une fièvrenouvelledeconquête. Il l’avait tiréedesgriffesdesonnigaudde fiancé—cequi,en toutehonnêteté,n’avait pas été biendifficile.Soudain, il ne songeaplusdu tout aux conséquencesde ses actes : il latenaitdanssesbras,denouveau.Etseulcelacomptait.
Fortdesavictoire,ilrépugnaàdevoirlalaisserrepartir.Un sentiment brut, presque chevaleresque, s’emparait de lui ; un désir que ses ancêtres auraient
compris,n’auraientpas tentéderéprimer,maisquin’avaitplus lieud’êtreencesiècledemodernité :enlevercettefemmequiavaitsuattirersonregardgrâceàsontitrededuc…
Aumoins,sisonstatutneluipermettaitpasdepartiravecTabby,ill’autorisaitàdanseravecellesanssepréoccuperdesonpromis.
—Qu’est-cequivousfaitsourire?demanda-t-ellebrusquement.
Illaregardauninstantetneputrésisteràl’enviedeluiavouerlavérité.—Jeréfléchisàunmoyendevousemmenerloind’ici.—Vousêtesinfernal!protesta-t-elled’unevoixqui,pourtant,neparaissaitpassisévère.—Jeseraisinfernalsijevousdemandaisdevousenfuiravecmoi,dèscesoir,murmura-t-il.Il lui fallutd’ailleurs recourirà toutesavolontépournepas le faire.Nepas luidemanderdese
glisserdanslanuitàsonbras.Nepascéderàlatentation…— D’après ce que j’ai cru comprendre, Votre Grâce, et étant donné votre réputation, une telle
suggestion de votre part ne serait pas particulièrement choquante, répondit-elle. Ce serait plutôt unehabitudebienrodée,uncheminquevousavezdéjàemprunté.
Prestonneputréprimerunéclatderire.—Aïe!VousavezécoutélesmédisancesdeMlleDale,apparemment.—Ainsiquedepresquetoutelasociétélondonienne.—Presque toute lasociété londonienneestcomposéed’idiots, lâcha-t-ilavecunsignede têteen
directiondescouplesquiparadaientautourd’eux.—Essayezdedirequelesrécitsdevos…vos…—Méfaits?suggéra-t-il.—Oui,quelesrécitsdevosméfaitsnesontenfaitquedescommérages?—Non,admit-il.Jesuisbiencoupabledelaplupartd’entreeux.—Daphnéaffirmequ’entantqueSeldonvousnepouvezvousempêcherdepervertirtousceuxqui
approchent.—Vousai-jepervertie,vous?Acetinstant,ilneputs’empêcherdesesouvenirdelademoiselleenflamméequ’ilavaittenuedans
sesbras,àl’auberge,etquiluiavaitrendupassionnémentsesbaisers.—Vousai-jepervertie,Tabby?répéta-t-il.Ellesedétourna,refusantclairementdeluirépondre.—Voussavez,cequelaplupartdecesbravesgensoublient—etenparticuliervotreimpertinente
MlleDale—,c’estqu’ilfautêtredeuxpourprovoquerunscandale.Sijevousproposaisdevousenfuiravecmoi…
—Jevoussuppliedenerienfairedetel.—Tabby,jemesoucieuniquementdevotreintérêt.Jevousaipromisdevousaider,vousn’avez
qu’àdemander.—C’esthorsdequestion.—Oui,j’avaisdéjàcompriscela,répondit-ilenl’entraînantaumilieudesdanseursalignés,sousle
regarddelafoulequin’attendaitqu’unfauxpasdesapart.Maisadmettonsquejevousledemandeetquevousrefusiez.
—Cequejeferais.—Sivousledites…Denouveau,elleparutprêteàprotester,maisill’arrêta.— Mademoiselle Timmons, nous n’arriverons à rien si vous continuez à m’interrompre, et
j’aimeraisbienvousexposermonraisonnement.—Faites,jevousenprie,dit-ellesanscesserdedanser.—J’enaibienl’intention.—Parfait.Ileutunnouveaurire.—Admettonsquevousrefusiezmaproposition…
Ilattendituninstantqu’elleproteste,maisellesetut,leslèvrespincées.—…alorsmasuggestionseraitseulementdéplacée,etpasscandaleuse.Ilsepenchaencoreplusprèsdesonoreilleetbaissalavoixpourqu’elleseulepuissel’entendre:—Mais sivousveniezavecmoimaintenantetquenous finissionscequenousavonscommencé
l’autrenuit,àl’auberge…Ilcrutlasentirfrissonnerenl’écoutantévoquercettesoiréepasséeensemble.Setrompait-il?—…alorsnotrecomportementseraitpirequescandaleux:ilferaitjasertoutLondrespendantau
moinsdeuxsaisons.—Celanefaitqueconfortermonchoixderefuser,répliqua-t-elle,latêtehaute.Necomprenez-vous
doncpasquecelagâcheraittout?—Sic’esteneffetlecas,àquoipensiez-vouslorsquevousavezacceptédedanseravecmoi?Ilsatteignirentlafindelalignedesdanseursetdurentseséparerpourremonterdepartetd’autre.Prestonenprofitapourexaminercettefemmequ’ilpeinaitencoreàreconnaître.Sescheveuxétaient
artistiquement rassemblés en chignon, laissant une cascade de boucles coquettes retomber sur sesépaules.Maislepireétaitcettesacréerobedontonl’avaitaffublée,avecsondécolletétropprofondquiexposaitlacourbedesesseinsetsonourlettrophautquidécouvraitseschevilles…
Aquoidoncavaientpensésononcleetsa tante—sonfiancé,même—enla laissantsemontrerdansunetelletenue?
Finalement,ilsserejoignirent.—Quelquechosenevapas?demanda-t-ellelorsqu’illarepritdanssesbras,résistantaudésirde
laserrerfortcontrelui…unenouvellefois.Cependant,sansmêmelavoir,ilsentaitleregarddeHen,brûlant,danssondos.Ildevaitàtoutprix
sauverlesapparences.Pourlemoment.—Jen’aimepasvotrerobe,avoua-t-ilauboutd’unmoment,nivoscheveux,niriendecequevous
portezcesoir.Siseulementilpouvaitlatransformerdenouveauensapetitepesteamusante.SaTabby.—Monapparencenevousconcerneenrien,répliqua-t-elle.Puis,aprèsuninstantdesilenceobstiné,lessourcilsfroncéssursonregardhouleux,ellereprit:—D’ailleurs,qu’est-cequinevapasavecmarobe?Jevoussignalequec’estladernièremode!—Riennevaaveccetterobe.Iln’avaitaucundoutelà-dessus,endépitdesmodes.Ellepoussaundesessoupirsaffectés,lemêmequelorsdeleursoiréeàl’auberge,quilafaisaient
ressembleràl’unedestantesguindéesetamèresdeRoxley.Mais,pouruneraisonmystérieuse,cettesévéritéavaitquelquechosed’irrésistible.—Ma toilette a été créée parMmeMoreau, et c’est l’une desmeilleuresmodistes de Londres,
ajoutaTabby.—Ellenevousvapas.Ilauraitaiméparaîtremoinsfroid,maisneputs’enempêcher:sespirescraintesétaientdevenues
réalité.—Danscettetenue,vousressemblezàtoutescesfillesdeBathquiarriventàLondrescommeune
arméedepêcheursquilancentleursfiletsdansleseulespoirdeprendreaupiègeunépouxirréfléchi.—Jen’aiaucuneintentiondeprendrequiquecesoitaupiège.Jesuisdéjàfiancée.— Raison de plus pour vous habiller avec un peu plus de décence. Comment Barkling peut-il
approuvervotretoilette?
Aulieuduregardoffusquéqu’ilattendait,unelueurmutineilluminaleregarddeTabby.—J’auraispenséqu’unhommetelquevousauraitappréciématransformation,aucontraire.—Entempsnormal,peut-être,maispasavecvous,Tabby.—Qu’auriez-vousdoncvouluquejeporte?—Ici?Unsacdejute…Surce,ilsepenchaenavant,cédantenfinàsonpenchantpourlescandale.—Et,enprivé,riendutout.
***
Prestonsourit tandisqu’ilentraînaitunefoisdeplusTabithalelongdesdanseursalignés,commes’il n’avait rien dit de choquant. Comme s’il ne venait pas de suggérer qu’il aurait préféré la voirdéshabillée.
Nue?Vraiment?Seigneur,sisatantel’avaitentendudireunechoseaussiinsolente—pisencore,siladyAncilou
l’unedecescommèresl’avaientsurpris—,Tabithaauraitétéperdue,renvoyéechezelleparlapremièrediligenceoulapremièrecharrettedefermiervenue.
N’était-cepassuffisantqu’ilaitlaissésupposeràtoutlemondequ’ilsétaientproches?Mais vous êtes proches, puisque vous avez partagé un baiser, susurra une petite voix au fond
d’elle.Nedésirais-tupasqu’iltedemandedefuiraveclui?Commentcethommeparvenait-ilàladéstabiliseràcepoint?Enquelquesmots,iléveillaitenelle
undangereuxdésirdetrahison,l’incitaitàabandonnertouteretenue,etluidonnaitenviede…de…Ellenesavaitmêmepluscequ’ellevoulait!Si.Ellevoulaitdécouvrirtoutel’extasequesonbaiserluiavaitlaisséentrevoir.Ellevoulaitêtresa
Tabby,sonâmesœur.Mais, surtout, elle aurait voulu qu’il ne vienne pas, ce soir. S’il n’avait pas été là, elle aurait
rencontréM.Barkworth,l’auraitjugéparfaitementacceptableetcelaluiauraitsuffi.Celadevaitluisuffire,carlaseuleautrepossibilitéétaitlapauvretéetlamisère.Déterminée, elle étouffa la flammequePreston éveillait au fond de son cœur délicat, fit taire la
passionquimontaitenelle,etplaquauneexpressionneutre,convenable,sursonvisage.Laseuleexpressioncapablededissimulerletumultedésordonnéquil’envahissait.MaisPrestonnefutpasdupe.—Allonsbon,vousn’allez tout demêmepasmonter survosgrands chevauxavecmoi,Tabby !
s’exclama-t-ilavecungrandsourire.Jevouscroyaisfaited’unmatériauplusnoble…Tabithaserralesmâchoiresets’assuraquepersonnenepouvaitlesentendre.—Arrêtezdem’appelercommecela,murmura-t-ellefermement.—Devousappelercomment?—Vouslesaveztrèsbien!—Franchement,Tabby,jenecomprendspasdequoivousparlez…Qu’iljouel’innocenttantqu’illesouhaitait,celan’empêchapasTabithadesurprendreunéclatde
malicedanssonregard.—Personnenem’appelleTabby,reprit-elleauboutd’uninstant.—Cen’estpasvrai,coupa-t-ilavecunpetitsourire.—Ahbon?Aquipensez-vous?—Amoi.
Il paraissait parfaitement tranquille et confiant, comme si le fait d’avoir rebaptisé Tabitha luidonnait plus de droits sur elle. Soudain, il raffermit son bras autour de sa taille et l’attira davantagecontrelui.
—Vousnecomptezpas,répondit-elle,ignorantledésirquimontaitdechaqueendroitoùleurscorpss’effleuraient…Etvotreopinionn’aaucuneimportance.
—Vousvenezdeprouverquej’avaisraison,lança-t-ilavecunnouveaurire.—Etcommentdonc?Laquestionluiavaitéchappé.Prestonn’avaitvraimentpasbesoinqu’onl’inciteàs’expliquer!—ParcequeTabbyestunnomquivousconvient,petitediablesse…Ellefermalesyeuxuninstant.Diablesse!Seigneur,c’étaitencorepirequeTabby.—Cessezdemedonnertouscessurnoms.Celadonnetropl’impressionquenousnousconnaissons,faillit-elleajouter.Ellelevalesyeuxetdécouvritsonregardamuséposésurelle.Detouteévidence,ilpensaitavoir
gagnélabataille.Loindelà…—Etnesoyezpassifamilieravecmoi,cen’estpasconvenable.—Oui,j’imaginequevousavezraison.Pouvait-ellecroireencettecontritionsoudaine,encesoupçond’humilité?—Vousmemettezdélibérémentdansunesituationdélicate,Preston.—Moi?demanda-t-ilenfeignantl’innocence.—Oui,vous,VotreGrâce.Etlepireestquevouspensezêtredansvotrebondroit.Endépitdesbattementsaffolésdesoncœur,ellefitdesonmieuxpourparaîtresévère,maiscela
n’ébranlapaslesouriredesoncavalier.—Maisjesuisdansmonbondroit.—Pasencequimeconcerne,VotreGrâce.—Ainsi,nousnesommesplusPrestonetTabby?Ilsecoualatêted’unairnavréetladévisageacommes’ilcherchaitautrechoseenelle.Quelqu’und’autre.Tabitharéprimaunesoudaineenviede lui rappelerqueTabby—saTabby—n’avaitétéqu’une
illusion,crééepartropderosbif,detarteauxpommesetdemadère.Tabbyétaitunefemmedangereuse,uneensorceleusequ’ilvalaitmieuxlaisserenferméequelquepart,auplusprofondd’elle-même.
—Nousn’avonsjamaisété…MaisPrestoninterrompitsesprotestationsensepenchantsurelle,siprèsqu’ellesesentitchanceler.—Biensûrquesi,murmura-t-il.Cesquelquesmots,cetteintimitésoudaine,firentfrémirTabitha.Etait-ceuneconfessiondelapart
dePreston?—Jen’auraisjamaisdûdîneravecvous.—Commentaurais-jepuprofiterdecerepas,sivousnem’aviezpasrejoint?—Vousn’auriezeuqu’àvousasseoiretàmanger,répliqua-t-elle.—Quel senspratique !Bienentenduque j’auraispu,d’autantque j’avaisprévudemanger avec
Roxleyjusqu’àcequevousveniezl’effrayeravecvoshistoires.Pourquoiluiavoirracontéquesatantedormaitégalementàl’auberge?
—Quellesbêtises!rétorqua-t-elle.Maintenant,c’estmafaute?—Eneffet:c’estàcausedevoussinousavonsdûdînerentêteàtête.—N’êtes-vouspasdonccapabledemangerseul?—Non,affirma-t-ilsanshésiter.
—Pourquoi?Une ombre traversa son regard habituellement simalicieux ; lamême émotion poignante qu’elle
avaitsurprisecesoir-là,àl’auberge,ainsiquelorsqu’elleétaittombéedanssesbras,lematinmême.Unedouleurfaceàquelquechosedeperdu,quelquechosedeprécieuxmaisàjamaisdisparu.Ilseraiditetdéclara:—Jepréfèrenepasmangerseul.—Vouspourriezrésoudreceproblèmeenvousmariant,suggéra-t-elle,lefaisantpresquetrébucher.Touché.Hélas,sontroublenedurapasetilrepritrapidementsesesprits,visiblementdécidéàne
pass’enlaisserconter.—Pourquoicroyez-vousquejesoisici,cesoir?Stupéfaite,Tabithalevalesyeuxsurlui.—Vousavezl’intentiondevousmarier?Une pointe d’amertume transperça son cœur, comme lorsqu’elle l’avait vu apparaître au bras de
cettesijolieveuve,audébutdelasoirée.—Ma tante pense que lady Pamela et moi pourrions nous convenir, révéla-t-il avec un rapide
regardendirectiond’unegrandefillemaladroitequisetenaitdansuncoin.—Larobepuce,là-bas?—Oui,eneffet,répondit-ild’unevoixpeuconvaincue.— Elle n’est pas faite pour vous, déclara Tabitha vivement, sans réfléchir à la portée de ses
paroles.PrestonetcetteladyPamela?Absurde!Ellejetaunnouveaucoupd’œilincréduleàceparangonde
convenancesquesatanteavaitchoisipourlui.Cependant, ce genre de femmes bien né et sophistiqué était certainement destiné à épouser des
ducs…LadyPamelan’auraitévidemmentpassoupéavecPrestondanslepetitsalonétriquéd’uneauberge
isolée.Ellen’auraitpaspariéaveclui,niembrasséunhommequ’ellepensaitn’êtrequ’unbonàrienetunvoyou.
UnfrissonparcourutTabitha.Pourquoi,danscecas,avait-elleagiainsi?ElleétaittoutaussiconvenableetbienélevéequecetteladyPamela—sonpèreavaitétévicaire,
pour l’amour du ciel ! Alors pourquoi avait-elle, elle,Mlle Tabitha Timmons de Kempton, laissé cedangereuxM.Preston la serrer dans ses bras et l’embrasser, enflammer chaqueparcelle de son corpsavecseslèvresetdesescaressessihabiles?
Etpourquoineparvenait-ellepasàoubliercettesoirée?Endépitdetoussesefforts,elleétaitincapabled’effacerdesonespritlesouvenirdecesinstants,
telunbouchondechampagneprisonnier,luttantpourselibéreretexploserdansunepluiedebulles.Pourtant, l’hommequi la tenait dans ses bras à présent n’était plus sonPreston, tout comme elle
n’étaitplussaTabby…—Pourquoinemel’avez-vouspasdit?demanda-t-elleauboutdequelquesinstants.—Vousdirequoi?répondit-ild’unairabsent—maisTabithanefutpasdupe:ilsavaitexactement
dequoielleparlait.—Quivousêtes.Vousm’avezlaissécroireque…—J’aimaisbienquevousmepreniezpourunautre,ironisa-t-il.Vousparaissiezsiconvaincueque
jen’étaisqu’un…qu’un…—Etvousn’avezrienfaitpourmedétromper,répliqua-t-elle,s’efforçantdesedéfendre.—Oh!jecroissurtoutquevousaimiezbienpenserlepiredemoi,neleniezpas.
—Lepire?Seigneur,quevousêtesarrogant!Vousvousêtesmoquédemoi.Sansdoutevousêtes-vousbienamusépendanttoutcetemps.
—Bienaucontraire.Dansunlargemouvement,illafittournoyertoutenembrassantlasalleduregard,maissansmême
remarquerlesnombreusestêtestournéesverseux.—J’aimaisvotresévérité,lefaitquevousnem’accordiezaucuneliberté,poursuivit-il.Aucuneliberté?Al’exceptiondecellequ’ilavaitpriseen l’embrassant ;mais,mêmelà,ellene
pouvaitleblâmerentièrement.Nes’était-ellepaslaisséfaireavecplaisir?Si.Elleavaitvouluqu’ill’embrasse.Elleavaitmêmevouluplus…Etc’étaitcelaquil’inquiétait:
plus.—Neparlonsplusdecela,c’estdupassé,conclut-elleenessayantdeseconvaincreelle-même.—Tenez-vousvraimentàfairecroirequenousnousconnaissonsàpeine?—Oui.Commecela,notrerelationseratoutàfaitrespectable.Prestonacquiesçaets’écartalégèrementd’elle,adoptantuneétreintelégèreetplusappropriée.—Alors,aimez-vousLondres,mademoiselleTimmons?C’étaitcerteslesujetdeconversationleplusmondainpossible.—Jen’aimepasdutout.Acesmots,ill’attiradenouveaucontrelui.—Cen’estguèreconvenablecommeréponse,voussavez.—Peut-êtrepas,admit-elle,maismamaisonmemanque.—Vraiment?—Biensûr.Elle n’aurait pas dû se confier, se montrer si familière, mais quelque chose, chez cet homme
énigmatique,luifaisaitoubliertoutlereste.Lorsqu’ilconcentraitsonattentionsurelle,ellenepouvaitluirésister.
—Lescampanulesétaientpresqueenfleurlorsquenoussommesparties…etmaintenant…—Vouslesaurezmanquées,dit-t-il,étonnammentperspicace.Cependant,voussavezqueLondres
estremplidejardins.—Oh!oui!Desjardinsbientenusetparfaits,neput-elles’empêcherderépondre,frustrée.D’ailleurs, la semaine précédente, sa tante avait été horrifiée de la trouver dans le jardin qui
s’étendaitderrièrelamaisonetpassurl’allée.Mais,aprèstout,quelétaitl’intérêtdeposséderunjardinsil’onnepouvaits’approcherdesfleurspourhumerleurparfum?
Pendantcetemps,Prestonéclataderirefaceàsondédain.—Vousparlezvraimentfranchement,déclara-t-il.—Avecvous,oui.Illadévisageaencoreuninstant,etreprit:—Vousaimezlescampanules?—Oui,répondit-elledansunsouffle.—Etc’estpourcelaquevousavezchoisiunerobedecettecouleur?—Preston,coupa-t-elleententantvainementdeparaîtreencolère.Maisillafittournerdansunbruissementdejupesetnelarepritquepourlaserrerdanssesbras.Il
étaitsiprèsd’elleàprésentqu’elleavaitdumalàrespirer.Plus…Seigneur!Elleétaitdenouveaudanssesbras,sentaitdenouveaucettegrandemainforteplaquée
sursesreins.Ellesetenaitsiprèsdeluiquesajupesechiffonnaitcontresescuissesdanslemouvement
deladanse.Ellenevoyaitquesontorseetn’auraiteuqu’àôtersongantetglissersamainsoussavestepoursentir,à travers lachemisede lin, lebattementdesoncœur, lachaleurdesapeau,enveloppantecommelefeuquilabrûlaitdel’intérieur.
Commeunefièvrededésirstroplongtempsréprimés.Preston,je…Jet’ensuppliePreston…Etvoilàque,danssesbras,elleredevenaitTabby.Devanttoutlemonde.Mêmedevant…Saisied’unesoudaineculpabilité,elle jetaun rapidecoupd’œilàBarkworthqui la regardait—
non,ilregardaitPreston,sonvisageaffichantunesévèredésapprobation.Ellen’osapas,cependant,regarderladyAncil.Prestonetellefurentalorsséparésquelquesinstants,letempsqu’ellecontourneuncercleetqu’il
fassedemêmedanslesensinverse.Lorsqueleursmainsseretrouvèrentenfin,unevaguelasubmergeaetletempsparuts’arrêter.
LadouceurdesdoigtsdePrestondéclenchaunflotjaillissantdesensationsdanstoutsoncorps.Leursregardsserencontrèrentetelledécelaunéclatdesurprise—non,d’émerveillement—dans
lesyeuxsombresetmoqueursdesoncavalier,commes’ilsecroyaitperduaumilieud’unrêvedevenuréalité.
—Pourquoiépousez-vouscethomme,Tabby?Elleeutsoudainuneenviefolledeluiconfierlavérité.Maiscomment?Ilnecomprendraitpas.—Mesmotivationsnevousconcernentpas.—L’aimez-vous?L’aimer ? Grands dieux, elle venait à peine de le rencontrer ! Cependant, jamais elle n’oserait
avouerunetellechoseàPreston.Quepenserait-ild’elle,s’ilsavait?Mais,detoutefaçon,pourquoidevrait-ellesesoucierdesonavis?—Etes-voustoujourssiimpertinent?rétorqua-t-elledoncfroidement.—Non.Engénéral,jenemesouciepasdelaviedesfemmesquejerencontre.—Qu’ai-jedoncfaitpoursuscitervotreintérêtquinesemanifestevisiblementquerarement?Il n’eut pas besoin de répondre pour qu’elle comprenne la vérité— dumoins, qu’elle pense la
comprendre.Non,cen’étaitqu’uneidéeabsurde.Unespoir.Unvœu.Prestonsesouciaitd’elleparcequ’il…Leslèvrespincées,ellechassacettepenséeridicule.Tout
celan’étaitqu’unjeupourlui,unpasse-temps.—Rappelez-vous:j’aipromisdelefaire,poursuivit-il.—Jen’aipassouvenirdevousavoirautoriséàvousmêlerdemavie.—Etnotrepari?Lepari?Oùvoulait-ilenvenir?— J’ai gagné ce pari et vous avez payé votre dû, fit-elle remarquer. Nous n’avons plus aucune
obligationl’unenversl’autre.—Permettez-moidenepasêtred’accord.Biensûrqu’iln’étaitpasd’accord!Iln’avaitsansdoutejamaiseul’intentiondes’arrêterensibon
chemin…—Vousaveztriché.—Pasdutout!—Deplus,ajouta-t-ildansunsourire,ilmesemblequevousaimezbienmesattentions.—Paslemoinsdumonde,répliqua-t-ellevivement.—Menteuse.Vousmentez,toutcommeàl’auberge,quandvousm’avezditquevousn’aviezaucune
intentiondevousmarier.
Arrivéauboutdelafilededanseurs,illafittourneretlaramenacontrelui.—J’aimeraiscependantsavoirunechose.CommentvotreM.Barkhalla-t-ilréussisirapidementà
vousfairechangerd’avisàcesujet?—Barkworth,corrigea-t-elle.—Oui,peu importe.Quelestdonc lesecretdecethomme?Commentvousa-t-ilcourtiséepour
obtenirvotremain?Gênée, elledétourna lesyeux.Que répondre?Devait-elle luidire lavérité ?Qu’ellen’épousait
Barkworthquepourtouchersonhéritage?Quel’amourn’avaitrienàvoirdanscetteaffaire?—Ilnem’apasvraimentcourtisée…—Comment?coupaPreston.Ilnevousapascourtisée?Tsss!—Jen’attendaispasd’unhommequ’ilmecourtise…—Vousauriezdû.Vousdevezêtrecourtisée,séduite,charmée.Charmée.UntalentquePrestonsemblaitmaîtriseràlaperfection…D’ailleurs,elleauraitdûs’en
douteraupremierregard.— Une lady mérite d’être courtisée, poursuivit-il, sans cela, l’homme n’est pas digne de ses
attentions.Dumoins,c’estcequeHenaffirme.Encorecenom…—Hen?s’enquitTabitha,curieuse.—Matante,expliquaPrestonavecunsignedetêteendirectiondelabelleveuveavecquiilétait
arrivé.—Cettefemmeestvotretante?—N’ayez pas l’air si stupéfaite : il s’agit bien dema tanteHen ou, comme on l’appelle en ce
moment,ladyJuniper.—C’estellequivouseffraietant,Roxleyetvous?—Qu’est-cequivousfaitcroireque…?—Vousavezparléd’elle,àl’auberge.—Vraiment?—Oui,réponditTabitha.Maisjem’étaisimaginéqu’elleserait…—Plusâgée?Elleestplusâgéequemoi,mais seulementdesixmois.Elleadoreseconsidérer
commemaconscience.—Ahbon?Pauvrefemme,celasemblaitunetâchedésespérée…Incapabledeseretenir,elle jetaunnouveau
coupd’œilàladyJuniper.—Ellen’apasl’airraviedenousvoirdanser,lança-t-elleàmi-voix.Prestonsuivitsonregard.— Vous ne faites pas partie de ma liste. Mais ne prenez pas cela pour vous, il n’y a rien
d’inconvenantchezvous…C’estplutôtchezmoiqu’ellevoitunproblème.—Chezvous,VotreGrâce?ironisa-t-elleenfeignantlasurprise.— Très amusant, mon chaton, répliqua-t-il. Ma tante est déterminée à faire de moi un membre
respectabledelasociété.—Oh!quellehonte!—N’est-cepas?rétorqua-t-ilenignorantsoncynisme.EtquandHenauneidéeentête…Ellea
mêmemenacédedéménagersijecausaisunnouveauscandale,etd’emmenerHenryavecelle.—Henry?
—Sonfrère.Mononcle,lordHenrySeldon.Iln’estpassonjumeaupourrien—exceptépeut-êtresapassionpourlemariage.
—Maisellenepeutpasdéménager,objectaTabitha.Avecquiprendrez-vousvosrepassielles’enva?
Acesmots,Prestonpâlit.Elleétaitalléetroploin…—Pardonnez-moi,jenevoulaispas…—Non,non.Ilsdansèrentquelquesinstantsensilence,puisTabithareprit:—LadyJunipera-t-elled’autresprétendantesenvuepourvous?ApartladyPamela?—Oui,répondit-ilavecunimperceptiblefrisson.Maisnevoushabituezpastropàl’appelerlady
Juniper.—Pourquoidonc?La veuve avait-elle quelque chose de spécial qui justifierait une telle remarque ? Elle semblait
pourtantbiennormale…—Matanteestuneincorrigibleromantique,soyezcertainequ’elleseremarierarapidement.Ilponctuasondiscoursd’unprofondsoupir,commes’ilnepouvaitcomprendreuntelbesoin.—Dansquelquesmois,elleaurafinisondeuiletlamaisonserempliradenouveaudeprétendants.
Henaimeêtrecourtisée—puisépouserlemieuxvêtu,ouceluiquiluioffrelesplusdélicatespâtisseries,ou lui écrit les plus beaux vers. Juniper avait réussi à gagner son cœur avec quelques ballades assezmièvres.
Des ballades mièvres. Tabitha ne put réprimer un soupçon de jalousie envers la belle veuve.Habituéecommeelledevait l’êtreauxattentionsde lagentmasculine,ellesemoquerait sansdoutedeDaphnéetHarrietquiseseraientdamnéespourunseulregardadmiratifdelapartd’unhomme.
Un désir que Tabitha avait longtemps partagé,mais qu’elle n’aurait pas admis pour tout l’or dumonde—etencoremoinsfaceàPreston.
Ellehaussalesépaulesd’unairdétaché.—Faire la cour, c’est trèsdémodé.Barkworth etmoi avonsun arrangementqui vabien au-delà
de…—VotreBarkleyestunimbécile,Tabby,coupaleduc,ets’ilnevousamêmepasoffertunseulpetit
bouquetilneméritepasvotremain.Tabitha se mordit la lèvre. Il ne fallait surtout pas qu’elle reconnaisse qu’elle venait de le
rencontrer.Non,elledevaitàtoutprixcontinueràdéfendresonfuturfiancé.—SonnomestBarkworthetvousneleconnaissezpas.Acesmots,Prestons’immobilisaun instant, attendantque leur tour reviennede s’incluredans le
cercledesdanseurs.—Jeparieraisquevousnonplus,murmura-t-il.Bon sang ! Comment faisait-il pour être si perspicace ? Elle n’eut cependant pas le temps de
répondre,carPrestonreprit:—Ceque je trouve si étrange, c’estpourquoiune femme tellequevous, siopposéeaumariage,
sentimentquejerespecte,décidesoudainementd’abandonnersa—commentavez-vousdit?—situationconfortablepours’enchaîneràunidiotcommeBarkton.
—Barkworth.—Cela n’a aucune importance, répliqua-t-il.Vraiment, Tabby.Abandonneriez-vous votre liberté
pourcethomme?Saliberté!Quellelibertépouvaitbienposséderunefemme?
—J’aimesraisons,dit-elled’untondéfinitif.Illadévisageaalorsd’unregardscrutateur.—Roxleypensequevousattendezunenfant.Cen’estpasvrai,n’est-cepas?Tabithafaillittrébucher,maisPrestonl’empêchadetomberetparvintmêmeàdonnerl’impression
quec’étaitluiquiavaitmanquéunpas.—Etes-vousdevenufou?Ilhaussalesépaules.—VotreBarkeyparaîtbienlegenred’hommesàquiunefemmepeutrefilerl’enfantd’unautresans
craindredescandale.—Vosinsinuationssonttoutàfaitodieuses!Sansreleversaremarque,ilreprit:—Alors,sivousn’êtespasenceinte,pourquoil’épouser?Celan’aaucunsens.—Cessezdoncdedénigrermonpromis.—Non.Sur ce, il jeta un bref coup d’œil par-dessus son épaule en direction deBarkworth qui attendait
impatiemment leur retour. Lorsqu’il se retourna vers Tabitha, elle ne vit plus aucunemalice dans sesyeux,maisdécelaquelquechosedeplusgrave,deplusprofond.
—Pourquoilui,Tabby?—Peut-êtrea-t-ilréussiàgagnermoncœur,répondit-ellefermementdansl’espoirdeleconvaincre
etdeseconvaincre.MaisPrestonignorasabravade.—Jenecroispas,non.—Commentlesauriez-vous?Commentsauriez-vouscequejeressens?—Jelesaisparceque,sivousaimiezvraimentcetimbécile,vousneseriezpasentraindedanser
avecunautrehomme.Soudain, la musique s’arrêta et ils chancelèrent, surpris. Preston eut cependant le réflexe de la
rattraperavantqu’elleneperdel’équilibre.—J’imaginedoncquelavraiequestionest:pourquoidansez-vousavecmoi?
***
Lorsquelamusiquesetut,ilss’immobilisèrentetseregardèrentuninstant,puisPreston,quiavaitmeublésavied’amourettesdepassage,compritqu’ilnevoulaitpasqueTabbydisparaissecommetouteslesautresfemmesqu’ilavaitconnues.
Ilinsistadonc:—Pourquoi,Tabby?Pourquoimoi?Parviendrait-ilàluifaireconfessertoutelavérité?Et qu’en ferais-tu, de cette vérité ? murmura une voix au fond de lui.Que ferais-tu de cette
femme?Non, ce n’était pas cela qui le hantait le plus. Ce n’était pas la vérité qu’il désirait vraiment
connaître.Tabby,pourquoim’avoirfaitcroirequevousétiezdifférente?Pourquoiavez-vousvolémoncœur?Cefutalorsqu’ilcompritàquelpointsoncœurbattaitfort tandisqu’ilsenoyaitdanssesgrands
yeux mordorés. Elle entrouvrit les lèvres, presque imperceptiblement, comme lors de cette soirée àl’auberge,justeavantqu’ilnel’embrasse.
—Preston,murmura-t-ellecommeunepromesse,unaveu.Sondésirétaitdoncpartagé…Hélas,unesecondeplustard,elles’étaitécartéed’unpas,enhochant
latête.Elleavaitquittésesbras.Ilyavaitautrechose:lasalleentièreétaitàprésentplongéedansunsilencedemort.Détournantà
regretlesyeuxdeTabby,ilvitquetoutlemondeledévisageait.Oh!Seigneur…Qu’avait-ilfait?—MademoiselleTimmons,pardonnezmamaladresse,souffla-t-ilens’inclinantdansunsalutpoli.Il se redressaet, ignorant les regardsoutrés,prit lamaindeTabbypour ladéposersursonbras,
respectantainsiscrupuleusementleprotocole.—Vousdevezmetrouverbienmaladroit,reprit-ilassezfortpourêtreentendu,devousmarchersur
lepiedcommecela.Pourmadéfense,jevousavouequejen’aipasdansédepuislongtemps.—Non,non,parvint-elleàrépondre,l’airtoujoursaussitroublée,jecrainsquecenesoitmafaute,
VotreGrâce.Jen’étaispascertainedudernierpas.—Blâmonsdoncvotremaîtreàdanser, renchérit-ilavecungrandsourirealorsqu’elle levait les
yeuxsurlui.Cesyeuxunefoisencoreemplisd’uneétrangeetmerveilleusemalice.Autourd’eux,lesdamescommençaientàmurmurerque,hélas,riend’inconvenantn’étaitarrivéet,
rapidement,lasallebruissadenouveaudevoixetderires.Lescandaleavaitétéévité—momentanément—etPrestonpoursuivitsaroute,prenantlecheminle
plus longpossiblepourraccompagnerTabbyjusqu’àsonfiancé.Elleneparutd’ailleurspasfâchéedecesdétours.
—Toutlemondenousregarde.—Toutlemonderegardetoujours,rétorqua-t-ilens’efforçantd’ignorertouscesyeuxfixéssureux.
N’yfaitespasattention.—Pourquoisortez-vousdanslemonde,sivousdevezàchaquefoissubirunetelleanimosité?—Quepourrais-jefaired’autre?Resterchezmoi?—Resterchezsoiestunebonnechose,soupira-t-elle.Lireàvoixhautedevantunbonfeu.Jouerau
backgammon.Jouez-vous?—Jesuisl’undesmeilleurs,répliqua-t-ilfièrement.—J’auraisdûm’endouter.Monpèrem’aapprisàjouer.Jen’avaisnifrèresnisœurs,maisj’aime
lesmaisonsrempliesd’amis.Etvous?J’imaginequeoui.Preston allait lui servir une réponse convenue quand un souvenir presque oublié lui revint en
mémoire.
***
—Félixatriché!seplaignait-ilàsagrandesœurquilisaitàl’autreboutdelapièce.—C’estpasvrai!avaitréponduFélix.Dove, elle, avait soupiré, reposé son livre et les avait rejoints pour examiner le plateau de
backgammonposésurlatablebasse,devantlefeu.—TuascoincéFélix,Gopher,avait-elleannoncéauboutd’uninstant.PuiselleavaitsouriàPrestonetluiavaitébouriffélescheveuxtendrement.
***
Soudain,ilrelevalesyeux,presquesurprisderetrouverautourdeluilafouleétouffantedusalondeladyKnolles.
EtTabbymarchaitàsescôtés.— Mademoiselle Timmons, demanda-t-il d’un air aussi détaché que possible, me prenez-vous
vraimentpourunhommesentimental?—Oui,répondit-elleaveclamêmecertitudequesielleavaitététémoindesonsouvenirému.Commentfaisait-elle?Commentparvenait-elleàéveillerlepassécommecela,enquelquesmots?
Ellesavaitfaireresurgirdesémotionsoubliéesaufonddesoncœuretluifaireavouerdeschosesqu’ilauraitdûtaire…
—MademoiselleTimmons?—Oui,VotreGrâce.—Vousrappelez-vousnotrepari?—Oui.—Avez-vousencorevosgains?Ellel’examinauninstantpuissecoualatête.—Jen’aipasbesoindepennieséraflés,VotreGrâce.L’avez-vousoublié?Jesuisunehéritière,à
présent.—Etj’auraispréféréquevousnelesoyezpas,soupira-t-il.—Vousm’envoulezd’avoireudelachance?demanda-t-elled’unairsurpris.—Non,jesuistristedevoiràquelpointcettechancevousatransformée.Ilscontinuaientàsefrayerunchemindanslasallerempliedemondeet,commeilsfinissaientpar
s’approcherdelafamilleetdesamisdeTabby,celle-cireprit:—Pourquoivousintéresseràcevieuxpenny?—J’auraisaimévousproposerunautrepari.—Jecroyaisquevousn’aimiezpasperdre,VotreGrâce,lança-t-elledansunéclatderire.—Maisjen’aiaucuneintentiondeperdre,voussavez.—Alorsvouscompteztricher.Etvoilà:elleredevenaitsapetitediablesseimpertinente.Apparemment,seulesonapparenceavait
changédepuissonarrivéeàLondres.Ilrestaitdel’espoir…—MademoiselleTimmons,vousmeblessez,répliqua-t-ilsanspourautantpouvoirdissimulerson
sourire. Je n’ai ni l’intention ni le besoin de tricher. Je compte bien gagner à la loyale. De plus,maintenant,jeconnaismonadversaire.
Ellesouritàsontour.—Etqueseraitcepari?Ah!Ill’avaitpriseaupiège!Savourantcettepremièrevictoire,ilsepenchaverselleet,s’assurant
quepersonned’autrenepuisselesentendre,luimurmuraàl’oreille:— Je parie qu’avant votremariage avec Barkworth vousme demanderez de vous embrasser de
nouveau.Ill’entenditétoufferuncridesurprise.Elletentamêmedes’écarterdelui,maisilposafermement
samainsurlasienneetsouritlargementàlafoule.Unpeucrispéeàsescôtés,ellefinitparchuchoter:—VotreGrâce,cen’estpasparcequevousêtesréputépourvotreconduitescandaleusequevous
devezdonnerraisonauxragots.—Jen’aipasàleurdonnerraisonavecvous,mademoiselleTimmons:voussavezexactementqui
jesuis.
Et,pourtant,ilauraittoutdonnépourqu’ellenelesachepas!—Vousêtesvraimentun…—Oh!jevousenprie,nemefaitespassubircettelitanieencoreunefois.Oui,jesuisunchienfou,
undébauchéarrogant.Toutcelaestsiépuisant,àlalongue.Deplus,celanesertàrien:jeconnaiscettechansonparcœur.
Denouveau,illuisourit.—Alors,notreparitient-il?—Nesoyezpasridicule,protesta-t-elle.C’estuneidéeparfaitementdéplacée.—Paspourmoi.Etpaspourvousnonplus…sivousgagnez.Ellefronçalessourcils,commesiellenecomprenaitpasvraimentoùilvoulaitenvenir.—Ilestcertainquejegagnerai,dit-elle.Jamaisjenevousdemanderaisunetellechose.Jamais.Et, comme pour lui prouver qu’elle avait raison, elle lança un sourire radieux à Barkworth qui
réponditparunpetitsignedetête.MaisPrestonne fut pas dupede cette diversion.Ce sourire était aussi artificiel que ses boucles
travailléesetlerestedesatoilette.—Vousmeledemanderez,n’endoutezpas,reprit-il.— Si vous vous rappelez bien, j’ai déjà eu le privilège de vous embrasser une fois. Pourquoi
pensez-vousquejeferaisdenouveauunetelleerreur?Savoixétaitfroideetdédaigneuse;ungrandjeud’actrice.Ellefaillitmêmeluifairecroirequ’elle
n’avaitaucuneenviede l’embrasserunesecondefois.Cependant,elleneputdissimuler la flammequibrûlaitaufonddesesyeux.
—Sivousêtessisûredevous,pourquoinepasacceptermonpari?Vousaurieztoutàgagner.Lementonlevé,elleeutunpetitrirehautain.—Etquegagnerais-je?Unautrepennyéraflé?—Sic’estcequevoussouhaitez.Voussemblezavoirunétrangepenchantpourcela.Oubienpeut-
êtreavez-vousseulementenvied’enavoirunsecondpouralleravecceluiquevouscachezdansvotreréticule…
Habituéàcespetits jeux, ilavaitcalculésontempsderéponsepourqu’ellen’aitpasle loisirdeprotesteravantqu’ilsn’arriventenfacedesafamilleetdesesamis,quil’accueillirentfroidement,sansunmot.
Iln’eutpasbesoindelaregarderpourdevinersaréaction:illasentitfrissonneràsonbras.Et, alors qu’il regrettait de devoir l’abandonner aumilieu de ces gens, il comprit que plus elle
passeraitdetempsavecsonidiotdeBarkless,pluselleseraitheureusedereleversondéfi.Etpluselleseraitheureusedeperdre.Quant à lui, il avait encore unedanse à subir avec lamaladroite ladyPamela pour s’assurer les
bonnesgrâcesdeHen.— Lady Timmons, merci de m’avoir permis de passer quelque temps en compagnie de votre
charmantenièce,dit-ilavantdesaluerlepetitgroupeetderepartiràgrandspas.Soudain,unefemmeluibarralechemin.Tiens,enparlantdeHen…—Preston,explique-toi,lança-t-elleenluiprenantlebras,sanssedépartirdesonsouriremondain.Unsourirequedémentaitsavoixfroideetsévère.—J’aiseulementdanséavectroisjeunesfemmessansimportance,commetumel’avaisdemandé.—Non,deux,corrigea-t-elle.Quiestcettefille?ElleeutunbrefsignedetêteendirectiondeTabitha.—MlleTimmons.Elleestlafilled’unvicaire.
—Bah!—C’estvrai,Hen.C’est aussi laniècede lordTimmons,une fille sans importanceparfaitement
respectable.—Netemoquepasdemoi.—Hen,jetelepromets:ellen’estriendeplusqueMlleTimmonsdeKempton.Situnemecrois
pas,demandeàRoxley;jen’aidanséavecellequeparégardpoursatante,ladyEssex.Henjetaunnouveaucoupd’œilàTabby,l’airpeuconvaincue.—Vraiment,Preston?Lafilled’unvicaire?—Oui.Aprèstout,jet’aipromisdenepasprovoquerdescandale,répondit-il.Eneffet,ilavaitpeut-êtresuscitéunpeudecuriosité,maiscertainementpasdescandale—entout
cas,pasdescandalevisible.Heureusement,personnenepouvaitvoirlatempêtequifaisaitrageaufonddesoncœur.
—Bien.Sic’estvrai,j’acceptedepasserl’épongesurcepetitécart.Denouveau,Prestonseforçaàsourire.Dieumerci,endépitdetoussespouvoirs,Hennesavaitpas
liredanslespensées!CarMlleTabithaTimmons l’avait laissé plus troublé que jamais. Il étaitmêmeprêt à risquer la
colèredeHenpourembrassercettepetitediablesseunenouvellefois.DepuisquePrestons’étaitéloigné,Tabithanecessaitdesemaudired’avoirglissé lepennydans
sonréticule.Quandill’avaitramassépourelle,ilavaitdûsentirsaformeàtraversletissuetdécouvrirlavérité.
Ilavaitdûcomprendrequ’ellelegardaitsurellecommeuneamulette.Non, c’était stupide ! Il ne savait rien. Elle resserra le lacet de la pochette nerveusement. De
nombreusesfemmesgardaientquelquespiècesdansleurssacs.Cepennynesignifiaitabsolumentrien.Ilnefaitqueterappelercebaiser,cettesoiréequiasuffiàchamboulertavie.—Vousparaissezbouleversée, s’étonnasoudainBarkworthenprenant sonbraspour laconduire
tranquillementàl’entrée,suiviparsamèreetladyPeevers.—Jevousdemandepardon?Ellenel’avaitpasécouté,perduedanssespensées.Elleavaitété tropoccupéeàchercherPrestondu regardaumilieude la foule.En fait,elleavait
mêmeàmoitiéespéréqu’ilrevienneetcauseunnouveauscandale;mais,mêmepourcela,saconduiteétaithélasimprévisible.
Il l’avait rendueà son fiancéet l’avait abandonnée là, à saplace,pourdisparaîtreau fondde lasalledebal.
—Jedisaisquevousparaissezbouleversée,répétaBarkworth.Etc’estbiencompréhensible:cettegrandesoiréetoucheàsafinetvousavezhâtedeparveniràsontermetelqu’ilestprévu.
D’unairquisevoulaitsansdoutepaternel,illuitapotalamainetcontinuaàlaguiderlentementaumilieudelafoulequicommençaitàsedisperser,souriantàtousceuxquilesregardaient.
Elleavaithâte?Non,cen’étaitcertainementpasletermequ’elleauraitemployé.Toutel’attentionqu’elleprovoquaitlamettaitprofondémentmalàl’aise.EncoreunechoseàmettreaucréditdePreston:endansantavecelle,ilavaitsoulevédeuxquestionsdanslasalle.
«Quiestcettebellecréature,arrivéeavecladyTimmons?»Et:«Pourquoia-t-elleàcepointretenul’attentionduducdePreston?»EllefutalorstraînéedevantladyPompeuseoulacomtesseCruellapourleurêtreprésentéeetdut
subir lesbaisemains lascifsd’unearméed’hommesetde lordsquiaccompagnaient leurempressement
trop marqué par des invitations— une danse, un souper— et la quittaient avec des remarques quiauraientrendufollesatantesiellelesavaitentendues.
Pendant ce temps,Barkworth se tenait à ses côtés, appréciant toute cette attention comme s’il enétaitl’objet.Commes’ilavaitdécouvertlui-mêmelacharmanteetuniqueMlleTimmons,aufonddesacampagne…
Bientôt, ils passèrent la porte, encombrée par quelques pochards qui essayaient vainement deprolongerlasoiréeetnesegênèrentpaspourlouchersurelle.
— Pour vos premiers pas dans la société londonienne, lança alors Barkworth, j’avoue que jen’auraispaspuêtreplusheureux,chèremademoiselleTimmons.Vousavezsurpassétoutesmesattentes.
—Vousêtesheureux?Commentcethommepouvait-ilêtreheureux?Elleavaitpasséleplusclairdelasoiréeloindelui,
devenantunobjetdecuriositémalsaineetdespéculation!— Bien entendu, répondit-il avec un petit salut en direction d’une femme qui les dévisageait à
traverssespetiteslunettesetleurfitunlégersignedetête.Regardez,vousavezmêmeretenul’attentiondeladyMelden.Dèsdemainaprès-midi,vousrecevreztrèscertainementuneinvitationpoursonrécitalàvenir,j’ensuissûr.
—Maispourquois’intéresse-t-ontantàmoi?murmura-t-elle,dépasséeparlesévénements.Ellen’avaitpourtantrienfait!ApartdanseravecPreston…—Commentpourrait-onvousignorer?Vousêtessiparfaite,répondit-ilenluitapotantlamainde
nouveau.Décidément, après avoir étépromenéeà travers toute la salle etmontrée à tous, récompenséede
tempsàautreparunepetitetapeaffectueusesurlamain,elleavaitplusquejamaisl’impressiond’êtreunchiendeconcoursquel’onfaitparader.Etait-cecommecelaqu’unhommetraitaitsafutureépouse?
LorsquePrestonluiavaitoffertsonbraspourtraverserlafoule,ellen’avaitpasressentilemêmemalaise,loindelà.Oui,lesgenss’étaientécartésdevanteuxaveclamêmecuriositémais,auxcôtésdePreston, elle s’était sentie en sécurité. Protégée. Comme si sa présence avait suffi à la préserver duregarddesgens.Deplus,enlaraccompagnantauprèsdesafamille,ilavaitconcentrétoutesonattentionsurelle.Ilnel’avaitpaslâchéeduregardetnes’étaitpasuninstantperduenmondanités.
Ill’avaitguidéefermement,l’enveloppantdesessoins,desesgestes,commeuncordialtroublantetdangereux.
SiseulementellepouvaitressentirlamêmechosepourBarkworth…Hélas,elleavaitl’impressionden’êtrequ’unornementàsonbras.Achaqueinstant,illalaissaitdecôtépourbavarderaveclesinvités,ne s’occupant d’elle que lorsque personne d’autre ne réclamait son attention. La seule chose qu’elleredoutait en se tenant à ses côtés était son profond désir de fourrer son réticule au fond de sa gorgebavardeetcondescendantepourlefairetaire.
Désespérée,elleseretourna,cherchantunpeuderéconfortauprèsdeDaphné,HarrietetlefrèredeHarriet,Chaunce,qui lessuivaient.Harrietétaitenpleineconversationaveccelui-ci,maisDaphné luilançaungrandsourired’encouragement.
Ceschoses-làprennentdutemps,semblait-elleluidire.Dutemps!Ellen’enavaitpas,c’étaitbienleproblème.Etlasituationnes’arrangeraitpassielle
continuaitàcomparerPrestonetBarkworth.Pourquoin’avait-ellepasplusd’expérienceenlamatière?Ouplutôt,après lebaiserdePreston,
pourquoin’enavait-ellepasmoins?Danscecas,sonignorancen’auraitpuqu’avantagerBarkworth!
Soudain,unejeunefemmevêtued’unerobeclaires’interposadevanteux.MmeDrummond-Burrell,se rappela Tabitha. Enveloppée de soie chatoyante, des bijoux ornant ses oreilles, son cou et sespoignets,ellesemblaitilluminerlanuitdesaprésence.
— Monsieur Barkworth, lança-t-elle avec un grand sourire. Je viens d’apprendre la bonnenouvelle:toutesmesfélicitations.MademoiselleTimmons,sachezquej’aigrondévotretantepourvousavoirtenueécartéedemondernieraprès-midi,maisjesuiscertainequecen’étaitqu’unoublidesapart.Rassurez-vous,jevousferaienvoyerdesinvitationspourAlmackdèsdemain!
AprèsundiscretcoupdecoudedeBarkworth,Tabithaserappelasesbonnesmanières.— Merci, madame, répondit-elle avec une révérence qui lui attira une nouvelle série de
compliments.C’étaitétrange:MmeDrummond-Burrellnedevaitpasêtreplusâgéequ’elle,maisellepossédait
déjàuneélégancelondonienneetuneaisancemondainequeTabitha,fraîchementdébarquéedeKempton,n’acquerraitsansdoutejamais…
Acôtéd’elle,Barkworthdévisageaitlajeunefemme,bouchebée.Detouteévidence,l’idéequ’ellesoitinvitéeàAlmackl’émerveillaitautantquesoninterlocutriceelle-même.
—Commentdoncavez-vousdécouvertcettecharmantegravuredemode,Barkworth?Etdirequejevousaitoujoursprispourunhommeennuyeux!Quellesurprisequecesoitvousquil’ayezdécouverte.
ElleexaminaalorsTabithadespiedsàlatête,commeunrapace,notantchaquedétaildesatoilette,depuisledécolletéjusqu’àl’ourletdelajupe.
— Vous ne pourrez plus garder cette divine créature pour vous seul maintenant, Barkworth !MademoiselleTimmons, jevousenverraiuneinvitationpourmercrediprochain.EtamenezBarkworth,ajouta-t-elleavecunéclatderire,commesicetteidéeétaitparticulièrementamusante.
Sur ce, elle les salua d’un geste léger de lamain, son éventail déployé, et, dans un tintement depierresprécieuses,s’éloignapouraccostersanouvelleproie.
—Desinvitations!murmuraBarkworth,plusposeurquejamais.AAlmack,par-dessuslemarché!Letorsebombé,ilsouriaitavecfierté,visiblementcertainquecelaavantageaitsastature,etTabitha
seretintdeluifaireremarquerquesesboutonsmenaçaientdecraquer.—JenesuispassurprisquevousayezsuséduireMmeDrummond-Burrell,dit-ilencore,bienque
jedoivevousavouerquevosmaladresses,cesoir,auraientpuvousdesservir.Votrerobe,toutd’abord…Etpuis,vousavezdansébeaucouptropprèsdecevoyou…
—Commejevousl’aidéjàexpliqué,jen’aipaspuprotester,répliqua-t-elle.Toutcommeellenepouvaitpasignorerlesdésirsquelevoyouenquestionéveillaitenellequandil
laprenaitdanssesbras.—Oui,oui,vousl’avezdéjàdit.Quoiqu’ilensoit,vousdevriezmeremercierdenepasêtretrop
durement jugée pour cela. Je dois avouer, en toute humilité, que mon nom et ma réputation vous ontsauvéedecequiauraitpuêtreundébuttoutàfaitcatastrophique.
Tabithaserralesmâchoires,dominantsacolère.—Jenepensevraimentpasqu’uneseuledanse…MaisBarkworthl’interrompitparun«tsss»sentencieuxetrépondit,enbaissantlavoix:— Il vous a parlé de manière terriblement familière, mademoiselle Timmons. Tabby, quelle
horreur!Etquellevulgarité!Jecrains,machère,qu’iln’aitcherchéàvousinsulterou,pire,àfairedevousl’objetdel’undesesnombreuxscandales.
—Oui,quelhommeinsupportable,lâcha-t-elled’unevoixqu’ellevoulaitconvaincante.—DenombreusesdemoisellesontétééblouiesparleducdePreston,maisilnelesépousepas,il
secontentedelesdéshonorer.
Ponctuantsondiscoursd’unhochementdetêtenavré,ilconclut:—Enfin,nevousenfaitespas:toutestdéjàoublié.Non, Tabitha n’oublierait pas— et, pourtant, Dieu savait à quel point elle aurait voulu en être
capable…—Ah,voiciunedomestiqueavecvotrepelisse,repritsoudainBarkworth,cherchantvisiblementà
passerpouruncompagnonattentif.Ilbaissaenfinlesyeuxsurelleetremarquasonétatpourlapremièrefois.—Seigneur,maisvoustremblez!Lesnuitssontterriblementfraîches,encettesaison!s’écria-t-il
enarrachantlapelissedesmainsdelabonnepourenenvelopperTabitha.Nelaissezpersonnevousvoirfrissonnercommecela,outoutLondrespenseraquevousavezunesantéfragile.
Ils’interrompituninstantetladévisagead’unairinquiet.—Cen’estpaslecas,n’est-cepas?—Non,réponditTabitha,abasourdieparunetellequestion,pasàmaconnaissance.Ayantpassélestroisdernièresannéesàrécurerlepresbytèredessolsauxplafondschaquejour,elle
savaitqu’ellepouvaitcomptersursesforces.—Parfait, répondit tranquillementBarkworth,déjàen traindesalueruncouplequipassaitavant
d’ajouteràmi-voix:Mononclem’aditquevousveniezd’unelignéesolideetbienélevée.J’auraisététrèsdéçuquecenesoitpaslecas.
—Votreoncle?Enquoitoutcelaleconcerne-t-il?—Enquoitoutcelaleconcerne-t-il?répéta-t-ilcommesilaquestiondeTabithan’avaitaucunsens
à ses yeux. Simon oncle désapprouvait notre union, ce serait catastrophique ! Que deviendrait notrepositionsociale,sivousdéplaisiezaumarquisdeGrately?
Tabitha,ayantdéjàsubisuffisammentde«bonnesociété»pourunevieentière, fitdesonmieuxpourparaîtrecontrite.
—Jemefieàvotreexpériencesupérieureàcesujet,monsieurBark…L’espaced’un instant, elle faillit l’appelerBarkton,Barkley,ou l’undesautres surnoms ridicules
dontl’avaitaffubléPreston.—MonsieurBarkworth,parvint-ellefinalementàprononcer.Sonpromisluirenvoyaunsourirebienveillant,visiblementenchantéparcettenouvellehumilité.—Oublionstoutcela,mademoiselleTimmons,etparlonsd’autrechose.Mèreetmoiavonsprévu
devenirvousvoirdèsdemainpournousmettred’accordsurlesderniersarrangementsdenotremariage,sicelavousconvient.
—Demain?répéta-t-elle,suffoquée.Ilsavaientatteintleporchedelamaisonetelles’immobilisaenhautdesmarches,lagorgesèche.
Barkworth, bien sûr, ne s’aperçut pas de son trouble, car il était encore en train de sourire àMmeDrummond-Burrell.
—Biensûr,demain,finit-ilparrépondrelorsquelafemmesefutdétournée,attendantcommetoutlemondequesavoitureviennelaprendredevantleperron.Commentvoulez-vousquenousnousmariions,etleplusvitepossible,sinousneprévoyonspastout?Biensûr,laplupartdesarrangementsontdéjàétéréglésparlesavoués;desdétailsfastidieuxquivousennuieraientcertainement…
Tabitha écoutait, de plus enplus stupéfaite.Qu’avaient-ils doncbesoin de prévoir ?Elle jeta uncoup d’œil à Barkworth. Elle aurait voulu lui demander comment leur — non, son — avenir étaitnégocié,maisilneluiauraitcertainementpasrépondu.Comprenait-ilseulementlesrouagesjuridiquesdontilparlait?
Ellesetournaalorsverssononcle,taciturnecommeàsonhabitude,quienvoyaitungarçoncherchersa voiture. Sir Mauris savait certainement ce qu’il advenait de chaque penny de la fortune d’oncleWinston,maisaccepterait-ildel’éclairer?Rienn’étaitmoinssûr.
Peut-êtreprendrait-elletoutdemêmelerisquedeluiposerlaquestion,unefoisàlamaison.—J’avais l’intentionde finir la saisonenville,mentit-elle alors, etdecélébrernotremariageà
l’automne.Detoutemanière,jeneseraimajeurequedansunesemaine…MaisBarkworthhochaitlatêtefermement.Illaconduisitsurletrottoir,assezloindesatanteet—
surtout — de sa mère pour ne pas être entendu ; mais assez près tout de même pour respecter lesconvenances.
— Pourquoi reporter à demain ce que l’on peut faire le jour même, ma chère mademoiselleTimmons ? Plus vite nous serons mariés, mieux cela vaudra : notre heureuse union sera un exemplebrillantauxyeuxdumonde.Toutelasociétéseréjouiradenotreamour.
—Notreamour?s’exclama-t-ellemalgréelle.Ilsvenaientàpeinedeserencontreret,déjà,ilparlaitd’amourentreeux?C’étaitstupide!Lecoup
defoudren’existaitpas.MêmedanslecasdePreston,illuiavaitfallutouteunesoiréepourquesoncœurcède.—Oui,notreamour,réponditBarkworthd’unevoixconfiante.—Vousallezbienviteenbesogne,monsieur.Onnepeutpasencoreparlerd’amourentrenous.Acesmots,illadévisageaintensément.— Je ne sais pas pour vous,mademoiselleTimmons,mais après cette soirée je ressens une très
profondeadmirationpourvous.Une trèsprofondeadmiration.Elle regardaquelques instantscebeauvisage,cesyeuxd’unbleu
limpide,etattenditquesoncœurs’éveille,semetteàbattrefaceàcette…cette…déclaration.Maisrienneseproduisit.Etait-cesiétonnant?Unetrèsprofondeadmiration.Jamaisencoreelle
n’avaitentendudecomplimentplusridicule.Preston ne dirait jamais cela.De toutemanière, il ne perdrait jamais de temps à « admirer » le
mondeautourdelui—etencoremoinsàdiscourirsurunsentimentaussistupide.— J’ai peut-être parlé un peu vite, reprit plus doucement Barkworth en lui faisant un tendre
baisemain.Figéesouscebaiserquiduraunpeupluslongtempsqu’ilnel’auraitdû,Tabithaattenditencorede
ressentirquelquechose,deretrouverunpeudelamagiedescaressesdePreston.Où était la passion aveuglante qui savait faire battre son cœur, qui lui nouait le ventre et faisait
tremblersesgenouxàchaquefoisquePrestons’approchaitd’elle,latouchait,oumêmelaregardait?Mais, là encore, elle n’éprouva rien et se surprit même à guetter impatiemment l’arrivée de la
voituredesononcledanslalonguefiledevéhiculesquilongeaitlamaison.—Maisn’ayezcrainte,ajoutasonpromis,lefaitquenousnousconnaissionspeun’empêcherapas
notremariaged’êtreheureux.Mesparentsontaussiétémariésrapidementetmamèrem’a toujoursditque, simon père n’était pasmort deux semaines plus tard d’un rhume, leur union aurait été des plusagréables.
—Nepensez-vousdoncpasqu’ilvautmieuxensavoirunpeuplussursonpartenaireavantdesefiancer?demanda-t-elle,désespérée.
—Oh!votreoncleWinstonsavaitparfaitementquenousnousconviendrionslorsqu’ilnousaliésparsontestament.
Tabitha résista au désir de lui faire remarquer que son oncle ne l’avait jamais vue de sa vie etn’avaitdoncaucunmoyendesavoirquelgenred’hommeslui«conviendrait».
—Peut-êtrequ’aulieuderéglerlesdétailsdumariagedèsdemainnouspourrionsnouspromenerensembleauparc,proposa-t-elle,pourapprendreàmieuxnousconnaître…
—Commeleditmère,uncouplemariéatoutelaviepourtomberamoureux,murmuraBarkworthdutond’unpoètequidéclameunsonnetàsabien-aimée.Etquinevousaimeraitpas?Vousavezsuséduirelafinefleurdubeaumonde,cesoir;et,dèsdemain,toutLondresseracharmé,j’ensuissûr.
Toutendisantcela,ilsefenditd’ungrandgesteembrassantlesruessombresdeMayfair.—Jepensequecelan’estdûqu’aufaitquejesoisnouvelle,enville.Car,àdirevrai, ilnefallaitpasêtre trèsmalinpourcomprendrequesonapparitionsoudaine,sa
robeoséeetlesattentionsdePrestonétaientlesseulescausesdecetémoimondain.—Sivoussouhaitezvouspromenerauparc,mademoiselleTimmons,j’auraistortdevousrefuser
ceplaisir;maisjevoussoupçonned’avoirchoisicetendroituniquementpourqueLondresnousvoiefenouveauensembleetquedavantagedepersonnesvousinvitent.
***
Preston sortit de l’ombre, sur le trottoir où il attendaitRoxley. La dernière fois qu’il l’avait vu,celui-ciétaitentraindecharmerunejeuneveuvedansunealcôve.
Cependant,lecomteapparutàl’instantmêmeoùPrestons’approchaitdeTabbyetBarkworthquisedirigeaientverslavoituredesirMauris.
Ilsnesontpasfiancés,serépétait-il.Barkworthetellen’étaientpasengagés—pasofficiellement,entoutcas.
Ilavaitencoreunechancedelasauver.—Laisse-ladonc,Preston,luiconseillaRoxley.—Cethommen’estqu’unbalourdpédant,protestaPreston.—Bien sûr,Barkworthestun imbécile,maisdes filles commeMlleTimmonsépousent cegenre
d’hommestouslesjours.Ainsivalavie.Roxleyjetaunnouveaucoupd’œilàlafamilleTimmonsethaussalesépaulesavantdescruterle
basdelarueoùsavoitureremontaitlentementlafile.—Ainsivalavie?Qu’est-cequecelasignifie?Roxleyleregardapar-dessussonépaule.—Tusaisexactementcequecelaveutdire.Sicettefilleetsurlepointd’hériterunefortune,ilvaut
mieuxlamarierauplusvite.C’estleseulmoyendelasauverdesgriffesdeschasseursd’héritièresou,pire,de l’empêcherd’êtredéshonoréeavantqu’aucunaccordnepuisseêtreconclu,ajouta-t-ilavecunsourireentendu.
Oui,Prestonl’avaittrèsbiencompris:lui-mêmeavaitagiainsiplusieursfois.—Il…Touscesgensvontladétruire,lâcha-t-ilenexaminantrapidementlafoulequidévisageait
toujoursTabithaetBarkworthaveccuriosité.—ElleseramieuxavecBarkworthqu’avectoi:cetidiotaprévudel’épouser,aumoins.CettedernièreremarquefrappaPrestondurement,commeRoxleyl’avaitcertainementprévu.Lecœurbattant, ildutprendreun instantpourcalmer sa respiration.Bonsang,oui,Roxleyavait
raison!Barkworthétaittoutàfaitdugenreàépouserunehéritière—sanssesoucierducaractèredesapromise.
Sonami,quiattendaitquelevalets’effacedevantlui,s’installadanssavoiture.Preston,lui,neputs’empêcherdetraînerencoreunpeu.
—Situneveuxvraimentpasêtretémoindecemariage,repritlecomteenajustantlesrênes,tun’asqu’àteretireràlacampagnejusqu’àlafindelasaison.
Non, c’était impossible ! Partir à la campagne signifiait retourner àOwlePark, et il n’avait pasrepassé la porte de cette maison depuis… depuis qu’il l’avait quittée, enfant. Il serait incapable d’yretourner,même si cela l’obligeait à voirMlle Timmons, sa Tabby, se transformer enMmeReginaldBarkworth.
Quellehorreur…Dèslelendemaindeleurnuitdenoces,Barkworthluiferaitsansdouteporterdestoilettesdematrone;ou,pisencore,unturbancouronnéd’unetouffedeplumespourdissimulersonsijolivisage.
—Peut-êtrepourrais-je…MaisRoxleylecoupa.—Hen ne te pardonnerait jamais de déshonorer cette fille, ni personne d’autre. Pas maintenant
qu’elleafaitsesdébutsetqu’elleaséduitlamoitiédelaville—ycompristoi.D’ailleurs,toutcelaneserait jamais arrivé si tu n’avais pas attiré l’attention sur elle en dansant. Bon sang, Preston, dis-moiquellemouchet’apiqué!
Preston serra les dents. Il ne savait pas lui-même pourquoi il avait fait cela. Il avait agi sansréfléchir.Queluiarrivait-il?
Tabby,voilàcequiluiarrivait.Tabbyetsonairsévèredissimulantunenaturepassionnée.Lorsqu’illa voyait, il avait l’impression de contempler les splendeurs d’une cathédrale sous le chaume humided’uncottage.
Et,letempsd’unesoirée,elleavaitétésienne;dumoinsjusqu’àuncertainpoint…—Allons-nousauWhite?s’enquitsoudainRoxley.Henestdéjàrentréecheztoiencompagniede
sesamis.—Nousnepartironspasavantquetun’obtiennesl’adressedecetteveuvequit’atantcharmé.Roxleytapotalapochedesonvestonoùilgardaittoussespapiersavecunsouriresatisfait.—C’estdéjàfait,assura-t-il,maiscettedamepeutattendre.J’espéraisplutôtcroiserDillamoreau
club.—Ilnepaierajamaissadette,tulesais.—Peut-être,maiscelanecoûteriend’essayer.Prestonneputréprimerunéclatderireetgrimpaàsontoursurlesiègedelacalèche.Ceperchoir
élevé bien au-dessus du pavé lui donna un meilleur point de vue sur la foule et, de là, il put voirBarkworthdonnerlebrasàTabbypourl’aideràmonterdanslavoituredesononcle,toutenminauderieetaffectation,envraidandy.Cettesimpleimagesuffitàlefairetremblerderage.
—Peut-êtreas-turaisonetest-ilplusprudentpourelledesemarierrapidement…—Oui,j’airaison,coupaRoxley.—…alors,pourquoilui?Pourquoiépousercethommedansunetellehâte?Sielledoitàtoutprix
semarier,pourquoinepeut-elleaumoinschoisirl’hommeàquielles’unira?Ellepourraitcertainementtrouverquelqu’undeplus…demoins…
—Stupide?proposaRoxleyenregardantlepetitgroupeàsontour.—Oui,toutàfait.Observant levisagede sonami, il suivit son regardet aperçutMlleHathawayqui s’étaitunpeu
écartée en compagnie d’un homme. A en croire l’évidente ressemblance de leurs visages et de leurssourires, ce devait certainement être l’un de ses parents. Elle prononça quelques mots et l’embrassarapidementavantdedisparaîtreàsontourdanslavoituredesTimmons.
L’homme resta près de la portière en attendant qu’elle soit bien installée et que le cocher fasseclaquersesrênes,puisilsedétournatranquillement.
—Ah,Chauncevientnousvoir,lançaRoxley.—Quiest-ce?—Chaunce,répétalecomteenapprochantsacalèchedel’homme.—Quellechance?demandaencorePrestonquil’entendaitmalaumilieudubrouhahadelarue.—Bonsang,Preston!Pas«chance»,«Chaunce».Toutenriant,sonamiarrêtalavoitureàlahauteurdel’inconnu,lesaluad’uncoupdechapeauet
déclara:—Preston,mon ami, permets-moi de te présenterM.ChaunceyHathaway, deKempton.Mais tu
devraissurtoutl’appelerM.BonneFortune,carsiquelqu’unpeutavoirlesréponsesàtesquestions,oulestrouverfacilement,c’estbienmonvieilamiChaunce.
Chapitre11
Le lendemainmatin, lorsqueTabitha,DaphnéetHarrietdescendirentdans le salondesTimmons,ellestrouvèrentEuphemia,EdwinaetEloisa,lescousinesdeTabitha,danslegrandhall,deboutautourduplateaud’argentoùl’ondéposaitlecourrier.
Ce n’était pas réellement surprenant, car les trois jeunes filles passaient là le plus clair de leurtemps,àattendredesinvitationspourlethé,pourdessoirées,oud’autresmessagesmondains.
—Ah,cousine,s’exclamaEuphemia,vousavezunadmirateur!Plantéesàcôtéd’elle,sessœursfirententendredepetitsrireschevalins,puisletrios’écartapour
dévoilerauxyeuxdeTabithal’objetdesacuriosité.C’étaitunpetitbouquetdecampanulesattachéparunmorceaudeficelle.—Ilestarrivésansmessage,soupiraEdwina.Visiblement,elleétaittrèsdéçuedenepouvoiridentifierl’expéditeur…—Etondiraitquelesfleursontétéramasséesauborddelaroute,renchéritEloisaavecunemoue
dedédaintoutens’écartantdelatable.Ellesn’ontmêmepasl’airdevenirdelaserre.Les trois sœurs se poussèrent alors un peu plus pour permettre à Tabitha d’examiner l’étrange
bouquet, lissant nerveusement leurs jupes comme si la seule présenced’un cadeau simodeste risquaitd’entacherleurmondesiélégant.
Contrairement à ses cousines, Tabitha n’avait pas besoin demessage pour deviner qui lui avaitenvoyéceprésent.
Preston…Prestonluiavaitfaitparvenirdescampanules.C’estpourcelaquevousavezchoisiunerobedecettecouleur?Leboutdes tiges était écraséainsiquequelques-unesdes fleurs,mais il s’agissaitnéanmoinsde
vraies campanules. Tremblante d’émotion, elle caressa la ficelle du bout des doigts, pour s’assurerqu’ellenerêvaitpas.
—Jelestrouvevraimentcharmantes,lançaDaphnéàlacantonade.J’imagineque,quandtul’aurasépousé,ilsaurasemontrerbienplusgénéreux.
Puis,ensouriant,ellesetournaversl’aînéedescousinesdeTabithaetpoursuivit:—Unemarquise ! Je n’arrive toujours pas à y croire. Ne serez-vous pas heureuse d’avoir une
parentesidistinguéeàmentionnerlorsdevosvisites,mademoiselleTimmons?Acesmots,Euphemiavacillatandisquesesdeuxjeunessœurseurentsoudainl’aird’avoiravalé
unegrandegorgéedelimonade—sanssucre.Tabitha,elle,préféranepasrévéleràsonamiequelescampanulesnevenaientpasdeBarkworth.
Aprèstout,n’était-cepasamusantdevoirsescousinessijalouses?
Ellejetadoncunnouveaucoupd’œilauxpetitesfleursposéessurleplateau.Uneladymérited’êtrecourtisée.CelaressemblaittellementàPrestond’envoyercebouquet…Tandisque,desoncôté,Barkworthne
luiavaitrienfaitporter.Cependant,ilnefallaitpasoublierqu’ellen’avaitrencontrésonpromisquelaveille,mêmesielle
était installée à Londres depuis près de deux semaines. Comment, en si peu de temps, aurait-il pu laconnaîtresuffisammentpourluienvoyerdescampanules?
QuelediableemportePreston!Ilparvenaitàéveillerdesdoutesenelleausujetdesesfiançailles.Pourquoi M. Reginald Barkworth n’était-il pas venu la voir avant leur rencontre officielle si
brillamment orchestrée ? Au moins aurait-il pu lui envoyer un message. N’était-il pas curieux de larencontrer, elle, sa future épouse ?De toute évidence, il estimait qu’elle ne valaitmême pas un petitbouquetdecampanules,desfleursmodestesramasséesauborddelaroute,songea-t-elledansunsoupir.Non,ilavait laisséPrestondécouvrir lessecretsdesoncœuravantlui.Quelhommeinsupportable,ceduc!Ilavaitarpentétousleschemins,denuit,afinderamassercesfleursetluiprouverainsiqu’ilavaitraison.
Cette image lui arracha néanmoins un sourire : le grand duc de Preston, dehors dans un champ,occupéàcueillirdesfleurs!Soudain,enbaissantlesyeuxsurcesimplepetitbouquet,ellecompritautrechose.
Voilàcequecelafaisaitd’êtrecourtisée…Mêmesiellen’avaitaucuneintentionderépondreauxavancesdePreston,serappela-t-elle.Ellefinitparreleverlesyeux,àtempspourcroiserleregardétrangementsilencieuxdeHarriet.Un
regardquisignifiaitdeuxchoses.Toutd’abord,quesonamiel’enviait.Nonpasdemanièremesquinecommesescousinesquinela
croyaientpasdignedeBarkworthetdesonfuturstatutdemarquisedeGrately,etnes’encachaientpas.Non, Harriet enviait Tabitha car elle comprenait le sens de ce présent ; et elle avait également
comprisquelescampanulesnevenaientpasdutoutdeBarkworth.QuantàDaphné,elleétaittropoccupéeàlouerletriomphedeTabithaetàrappelerquelessœurs
Timmonsn’avaientrienreçuparlapostedumatinpourremarquerl’échangemuetentresesdeuxamies.EllepritlebrasdeTabithaavecungrandsourire.
—N’est-cepaspourcelaquenoussommesvenuesàLondres,Tabitha?PourquetuapprennesàconnaîtreM. Barkworth ? Et maintenant regarde ! Ses intentions sont claires puisqu’il t’a envoyé unbouquetdetesfleurspréférées…
—Je nem’avancerai pas en disant que ses intentions sont claires,Daphné, corrigeaTabitha. Jeconnaisàpeinecethomme.
—Biensûr!C’estnormal:vousn’avezpuéchangerquequelquesmots,hier.Maiscettejournéetepermettra demieux cerner son caractère.Tu ne dois pas juger ce brave homme avant d’avoir saisi lachanced’enapprendreunpeuplussurlui.
—Ellesaitdéjàqu’iln’estqu’unpaonstupide,marmonnaHarrietentresesdents.Daphné l’ignora et toutes trois suivirentEuphemia,Edwina et Eloisa vers le salon de réception.
Danslecouloir,Daphnénetaritpasd’élogessurBarkworthetsonrangsupérieurparrapportauxautresgentlemendeLondres,jusqu’àcequelepetitgroupesoitassezprochedelaporteferméepourentendrenonseulementlavoixdeladyTimmons,maisaussicelledeladyPeevers.
—Jetel’assure,Antigone,toutelavilleneparlequedecela,disaitladyPeeversd’unevoixforte.Onracontequ’ill’achoisieparcequ’ilapenséqu’ellen’étaitqu’une…
—Ah,chèreTabitha!s’écrialadyTimmons,coupantnetsasœurlorsqu’elleaperçutsaniècedansl’embrasuredelaporte.Tevoilà!Quetuescharmante!
—Daphnéachoisimarobe,expliquaTabitha,unpeugênée.Ellen’avaitencorerienportéd’aussidélicatquelamousselinevertpommequil’habillait,avecson
corsage couvrant attaché juste sous sa poitrine.De son col haut à sesmanches longues, sa toilette serévélaitparfaiteetmêmesatantesiexigeantenepouvaitémettrelamoindrecritique.
— Cette tenue convient parfaitement pour recevoir des visites d’après-midi, approuva ladyTimmonsensaluantlechoixdeDaphnéd’unhochementsatisfaitdelatête.
Daphnéréponditparunpetitsourireetseglissajusqu’àlafenêtrepours’asseoiràl’écart.Ellejetaunregardausalonbienremplienmarmonnant:
—Celaneconviendrajamais…Harrietlasuivitets’assitàsontour,lesyeuxbrillants.Pendantcetemps,ladyTimmonsavaitchasséEloisaducanapépouryinviterTabitha.— Viens donc t’asseoir ici, proposa-t-elle à sa nièce avec un large sourire. Ainsi, tu seras la
premièrepersonnequeM.Barkworthverraenentrant.Aumêmeinstant,commedansunepiècedethéâtre,laclochedel’entréesonnaettoutlemondese
tournaverslaporte.Tabithan’eutmêmepasletempsdedemanderàladyPeeversquelsproposl’avaientscandalisée:
ladyAncilentradanslapièce,précédantpresquelemajordome,l’airaffolé.—NoussommesvenusimmédiatementpourvoircommentseportaitMlleTimmons!s’écria-t-elle
sanspréambule.Toutes plumes dehors, elle emplit le salon de son froissement de jupes et, lorsqu’elle se laissa
tombersurlachaisequ’Edwinaeuttoutjusteletempsdeluicéder,Tabithavitàsesyeuxrougisqu’elleavaitpleuré.
Surprise,ellelançaunrapidecoupd’œilàHarrietetDaphné.Qu’ai-jeencorefait?Commentlesaurions-nous?semblèrentluirépondresesamiesdansunhaussementd’épaules.—Avez-vousdit «MlleTimmons» ? lâcha ladyPeevers.Oh ! très chère ladyAncil, c’est tout
vous : vous soucier de notreMlle Timmons alors que ce scandale a dû être un véritable enfer pourvous…
Elles’interrompituninstantavantd’ajouter:—EtaussipourBarkworth,bienentendu.LadyAncilsecontentad’agitersonmouchoirenguisederéponse,commesiparlerétaitsoudainau-
dessusdesesforces.Barkworth,lui,étaitrestéjusque-làdeboutdansl’embrasuredelaporteetsedécidaenfinàentrer
d’unpasvif,teluncomédienquiattendlemomentidéalpourapparaîtresurscène.Et,visiblement,ladéclarationdeladyPeeversluifournitcetinstantdegrâce.Dèsqu’ellel’aperçut,
ellelaissaretombersonmouchoirdansunsoupir.—Ah,Barkworth,cherbravehomme…Maisl’intéressén’avaitd’yeuxquepourTabitha.—MachèremademoiselleTimmons, la nouvellede ce scandalen’apas eu raisondevosnerfs,
j’espère?Il mit un genou à terre près d’elle et lui prit la main, le regard empreint d’une inquiétude qui
paraissaitsincère.MaisTabithanecomprenaittoujourspaslaraisondetoutcetémoi.Jetantbrièvementuncoupd’œilàDaphnépuisàHarriet,ellefinitparrépondre:
—Jecrainsdenepasêtreaucourantdumoindrescandale…
Tandisqu’ellecroisaitleregardtroublédeHarriet,celle-cisouffla:«Pasdefleurs.»En effet, son promis s’était présenté à elle sans lemoindre bouquet. Tabitha ne put quemaudire
Preston : sans lui, elle n’aurait pas su quoi attendre de son promis et n’aurait certainement pas été siamèrementdéçue.
Barkworthagrippaittoujourssamain,maissonattentionétaitàprésenttournéeversladyPeevers.—Vousneluiavezencoreriendit?—J’étaissurlepointdeluienparler,protestacelle-cientirantnerveusementsurlesdentellesde
sarobe,visiblementfrustréequ’onluiaitvolélavedette.—Quesepasse-t-ildonc?demandaDaphné.LadyAncil lui jeta un regard hautain, puis se tourna de nouveau vers le petit groupe rassemblé
autourducanapé.— On raconte que le duc de Preston a choisi de porter son attention sur Mlle Timmons, hier,
uniquementparcequ’illacroyaitbienendessousdesonrang—indignedel’attentiondelasociété.Ilaagiainsidansleseulbutdenousoffenser.
Tabithaneputretenirunmouvementd’humeuretarrachasamaindecellesdeBarkworth.—C’estabsurde!—Pasdutout,repritsonpresquefiancé.Lespreuvessontaccablantes.LadyPeeversacquiesçaférocement.—Iladanséavecvousainsiqu’avecdenombreusesautresfillesissuesdefamillessanslamoindre
importance.—Al’exceptiondeladyPamela,ajoutaEloisa.—Tout celadevait être l’idéede lady Juniper, renchérit ladyPeevers.Elle cherche à lemarier,
maisPrestonaclairementmontréhierqu’iln’avaitaucuneintentiondefonderunefamille.ToutelapièceapprouvaensilenceautourdeTabithaetdesesamies,plusabasourdiesquejamais.Toutcelan’avaitaucunsens…EnquoisadanseavecPrestonpouvait-elleêtreconsidéréecomme
uneoffense?Denouveau,Barkworthluipritlamain.— Soyez courageuse, mademoiselle Timmons, énonça-t-il gravement. Je suis certain que cette
insulteaunoblenomdesBarkworthn’empêcherapasmononcledenousdonnersabénédiction.—Quatre cents ans de comportements irréprochables, geignit encore sa mère. Quatre cents ans
d’honneursanstache,sansfauxpas,etvoilàquetousnoseffortsserévèlentvains!—Jesuisdésolée,mais jenecomprendspasenquoimadanseavec leducdePrestoninsulte le
nomdesBarkworth,repritTabitha.A les écouter, onpourrait presque croireque cet homme l’avait déshonorée…Il n’avait pourtant
rienfaitderépréhensible—paslaveille,entoutcas.—Sincèrement,jenecomprendspasnonplus,ajoutaDaphné.Ilsn’ontfaitquedanser.Eloisaeutunsoupirexagéré,commesil’ignorancedesescompagnesl’exaspérait.—Ilnes’agitpasdeladanseenelle-même,expliquapatiemmentladyPeevers,encorequeleduc
tenaitMlleTimmonsbeaucouptropserréeàmongoût—maisjecrainsd’avoirdesavisunpeudémodésenlamatière…
—Non,leproblèmen’estpasladanse,renchéritsasœur,maislesdemoisellesqu’ilaouvertementfréquentées hier soir. Plus personne n’accepte de danser avec lui, à l’exception des familles les plusmédiocres.Ainsi,envousoffrantsonbras,ilalaisséentendreàtousquevousnevaliezpasmieux.Ilnepeutavoirfaitcelaquepournousinsulter.
—Nousinsulter?lançaHarriet.Bienaucontraire!
Tous les regards se tournèrent vers elle d’un air à la fois surpris et désapprobateur, mais, envéritableHathaway,elletintbon.
—Leducessaiedes’amenderetderetrouversonstatutensociété.C’estpourcelaqu’ilachoisiTabitha.
—Oùdoncêtes-vousalléecherchercela?demandaladyPeevers.—LordRoxleyme l’adit, réponditHarriet, le rougeaux joues. Il affirmeque leducdePreston
souhaiterétablirsaréputationetqu’iladanséavecTabithacarelleestladignefilled’unvicaireconnupoursonrespectdesconvenances.
La petite compagnie rassemblée dans le salon se dévisagea un long moment, soupesant cettenouvelle informationensilence.Lescomméragesdumatinseraient-ilsexagérés?Etsi lescandalequifaisaitjaserlavilleentièren’enétaitfinalementpasun?
Tout de même, cela concernait la société, et Harriet ne pouvait visiblement pas savoir. Lesévénementsdelaveillenepouvaientêtreconsidérésquecommeunodieuxcamouflet!
Aprèstout,quelsragotspourraientnaîtred’unhommequichercheàregagnersonhonneur?Tabitha,désemparée,lesvitdoncunàunsecouerlatêteensignededénégation,aucund’euxn’étant
prêtàcroirequePrestonsouhaitaitréellementseracheter.Soudain,unequestionlafrappa:pourquoilaissait-elleHarrietdéfendrePrestonalorsqu’elleaurait
dûlefaireelle-même?Biensûr,ilétaitbienl’hommequetoutlemondeconnaissaitetméprisait—undébauchédangereux
et immoral…Cependant,Tabithanepouvait oublier la douleur qui avait traversé son regard lorsqu’ilavaitparlédesesparents.Cevoyouluiavaitlaisséladernièrepartd’unetarteauxpommesetluiavaitapprisàdanser…
Oui, leducdePrestonétaitbienplusque lebonà rien récriépar toute la société.Hélas, si elletentaitde leurexpliquerqui ilétaitvraiment,elleallaitdevoir leur révélerqu’elle leconnaissaitbienplus intimement qu’elle ne le prétendait. Et cela détruirait sa réputation aussi sûrement que s’il avaitrenouvelésonbaiseraubeaumilieudelasalledebaldeladyKnolles.
—C’estridicule,mademoiselleHathaway,déclarafinalementladyPeevers.Sincèrement,j’auraiscruladyEssexplusenclineàvousmettreengarde:onnepeutpascroireuntraîtremotdecequeditsondépravédeneveu!
—LeducainsultéMlleTimmonset,parextension,notreproprefamille,repritladyAncil,semblantdenouveauauborddeslarmes.
— Vous n’allez tout de même pas le provoquer en duel, n’est-ce pas, monsieur Barkworth ?demandaHarrietquis’étaitapprochéedeTabitha.
CettesuggestionjetaunsilenceglacialdanslapièceetparvintmêmeàcalmerleshoquetsdeladyAncil.
Tabithaeutquantàellebeaucoupdemalàdissimulerunsourire.Biensûr,Harrietne faisaitqueplaisanter—n’est-cepas?—,maistoutlemondesemblaitavoirprissaquestionausérieux.
Barkworthladévisageaitd’unairstupide,laboucheentrouvertecommeunpoissonhorsdel’eau.—Ilvousfautdéfendrel’honneurdevotrebien-aimée,insistaHarrietavectoutel’assuranced’une
Hathaway.N’est-cepascequefontlesgentlemen,entempsnormal?Acesmots,Barkworthseredressa,ajustantsavested’ungestenerveux.—Jesuppose,commença-t-iltrèsdoucement,commesichaquesyllabeleblessait.Ilétaitobligéderépondre,maisillefitàcontrecœur;ilsemblaitattendrequequelqu’unvienneà
sonsecoursetletiredupiègetenduparHarriet.Et,eneffet,lestroismatronessemirentàlancerdehautscrissansmêmelelaisserfinirsaphrase.
—Jamais!—C’estscandaleux!—Songezàvotrenom,àcequepenseraitvotreoncle!C’était visiblement l’excuse qu’attendait Barkworth pour se rétracter. Il leva les mains pour
réclamerlesilenceetsouritauxtroisfemmesquiavaientsoudainpâli.—Mesdames,jeferaidemonmieuxpoursurmontercetteépreuvesanslaissermesémotionsaltérer
monjugement,niheurtervotredélicatesensibilité.CetteréponsearrachaunegrimacededégoûtàHarrietquirejoignitsonsiège,prèsdelafenêtre,en
murmurantuneexpressionqu’elletenaitsansdoutedesesfrères.«Pauvrecapon…»Daphnéavaitprofitédecetteagitationpourseleveràsontourets’approcherdelaporte.—Sivousvoulezbienm’excuser,dit-elleensaluant lacompagniede la tête, j’ai reçuune lettre
urgenteàlaquellejedoisrépondreavantledépartdelaposte.Sans attendre de permission, elle s’éclipsa et, pour une fois, Tabitha lui envia sa constante et
exigeantecorrespondance.Aumoins,celaluidonnaituneexcusepourregagnersachambre.Quenepouvait-elle,elleaussi,échapperàcettemascarade?— Ne parlons plus de duels, déclara lady Ancil en jetant un regard accusateur à Harriet. Je
préféreraisquenousdiscutionsdesarrangementsdedemainsoir.LevisagedeBarkworths’illumina,chassantlesultimestracesdecraintedanssonregard.—Oui,oui!Nousn’avonspasapportéquedemauvaisesnouvelles,bienquecescandaleaitbien
entachénotrehumeur…Unesériedehochementsdetêteluirépondirent.—Dèscematin,j’aicomprisquenousallionsdevoiragirrapidementpourétoufferlesrumeurset
jesuisallédemanderconseilàmononcle.—Cher,sagelordGrately,ajoutabéatementladyAncil.—Oui,toutàfait,mère.Donc,mononcle,letrèsestimémarquisdeGrately,pense—non,sait—
quelameilleurechoseàfaireestd’annoncerpubliquementnosfiançaillesdemainsoir,lorsdesasoiréeannuelle,commeprévu.
—Uneannoncepublique?balbutiaTabitha,lesoufflecourt.Sivite?Etquevoulait-ildirepar«commeprévu»?Quidoncavaitprévucela?Désemparée,ellechercha
lesoutiendesatante,maisladyTimmonsévitasonregard.—Bien entendu,machèremademoiselleTimmons, réponditBarkworth avec aisance.Lorsque la
société—labonnesociété,biensûr,etnonceramassisvulgairequeladyKnollesoserecevoirchezelle—verraquemononcle, lemarquisdeGrately, approuvenon seulementnotreunion,mais aussi votrepersonne,celaempêcheracetodieuxscandaled’affecterlenoblenomdeBarkworth.
Iln’yavaitplusquesourirestoutautourd’eux,commesicettesolutionréglaittousleursproblèmes.MaisTabitha sentait la colèremonter enelle.D’ailleurs, sonpromisavaitbienparlédu«noble
nom deBarkworth », et non du sien. Le noble nom deMlle Tabitha Timmons n’avait-il donc aucuneimportanceàsesyeux?
—MonsieurBarkworth,dit-elleaussiposémentquepossible,jepensaisquenousétionsconvenusqu’avantd’annoncernosfiançailles…
…nousprendrionsletempsdemieuxnousconnaître.Hélas,ellen’osafinirsaphrase,sentantsurelleleregardassassindeladyTimmonsetdesasœur.
Cependant,personnen’eutletempsd’ajouterunmotcaruneexplosiondecriséclatasoudaindel’autre
côtédelaportedusalon—ou,plutôt,uneexplosiond’aboiementssauvagessuivisparunlourdbruitdechute.
M.Muggins.Tabithafrissonna.Cettebrusqueagitation—etlapossibilitéquelechienaitcasséquelquechose
—neferaitrienpouradoucirl’humeurdesatante…Quelquessecondesplustard,Daphnéfitirruptiondanslapièce,toutessoufflée.—Tabitha,viens immédiatement ! Jene saispasquellemoucheapiquéM.Muggins,mais il est
devenuintenable!Commepourconfirmersesdires,lechiendébouladanslesalonetsemitàtournerfrénétiquement
autourdesmeublesavecdesaboiementsfurieux.—Seigneur!s’écrialadyAncil,serrantsonréticulecontresapoitrinecommesilamaisonvenait
d’êtreprised’assautpardesbandits.Daphné,quitenaitlalaissedanssesmains,proposaalorsavecungrandsourire:—Peut-êtrequ’unepromenadeauparc l’apaiserait,Tabitha.M.Barkworthet toipourriezyaller
ensemble.Tabithaseprécipitapourrécupérersonchien,avantdesetournerverssonamie.Quecherchait-elle
doncàfaire?— Je suis navrée, je ne comprends pas du tout ce qui l’a mis dans cet état, s’excusa Daphné
platement.Naturellement,lefaitqueDaphnésoitmontéedanssachambreenfilersanouvellepelissebordéede
plumes—qu’ellen’avaitpasencoreoséessayerenprésencedelabête—avaitpeut-êtrequelquechoseàvoiravectoutcechahut…
—Je t’enprie,Tabitha, supplia ladyTimmons tandisque ladyAncilpâlissait et tremblait sur sachaise.
Barkworth,lui,s’étaitcachéderrièrelaporteouverteetnepassait latêtequepourjeterdepetitsregardsapeurésdanslapièce.
Bonsang!TabithaparvintenfinàattraperlecollierdeM.MugginspuisarrachalalaissedesmainsdeDaphnéetl’attachafermement.
—Qu’essaies-tudefaire?murmura-t-elleàsonamie.—Jetedonneunechancedetelaissercourtiser…Cependant, entre la lâchetéde sonpresque fiancéet le souvenir émudescampanulesdePreston,
elleavaiteusoncomptedeséductionpourlajournée!
***
Ellesortitnéanmoinsdelamaison,accompagnéeparBarkworthquis’immobilisasurlapremièremarcheduperron,lesfixanttouslesdeux.Achaquefoisqu’ilposaitlesyeuxsurM.Muggins,ilsemblaitressentirunmélangededédainetdepeur.
Exaspérée,Tabithapoussaunprofondsoupir.—Allons-nousauparc?—Etcommentirions-nous?J’airenvoyémavoitureenarrivant,répliqua-t-il.—J’avaisplutôtl’intentiondemarcher,réponditTabithaenraffermissantsaprisesurlalaisse.Unpeu plus loin sur leur droite, la femmede chambre deDaphné suivait leur échange avec une
curiositénondissimulée.—Marcher?répétaBarkworthenconsidérantlarue.
Enlevoyantainsi,onl’auraitcruàl’oréed’unecontréedesplussauvages.—Oui,c’estencorecequenousavonsdemieuxàfaire,sinousvoulonspromenerM.Muggins.De
plus,lajournéeesttropbellepourresterenfermés.L’espaced’uninstant,illadévisagea,neparvenantvisiblementpasàdéterminersielleplaisantait
ounon.—Quec’estpittoresque,finit-ilpardire.Prenantsansdoutesoncourageàdeuxmains, ilosaenfindescendre lesmarchesduperronet lui
tenditlebras.Unefoisqu’elleeutposésamainsursamanche,ilsetournaendirectiondeHydePark,ungrandsourireauxlèvres.
—Iln’yariend’inconvenantàmarcher,n’est-cepas?demanda-t-elle,unpeucynique.RienquinepuissenuireàvotreréputationniaunoblenomdesBarkworth?
Enentendantcesparoles,ils’arrêtanetetseredressadetoutesahauteur.—MademoiselleTimmons,cettepréoccupationesttoutàvotrehonneur.Vousferezuneadmirable
marquise, un jour, et vous figurerez parmi les contributions les plus précieuses de notre arbregénéalogique.
Tabitha s’efforça de sourire tandis que M. Muggins tirait férocement sur sa laisse, visiblementpressédegambaderdansleparc.
—LesBarkworthsemblentprendreleurréputationtrèsàcœur.Jecroisavoirentenduvotremèreparlerdequatresiècles…
—Quellemémoire,mademoiselleTimmons!répondit-il.Oui,lesBarkworthonteul’honneuretleprivilègedeservirleursroispendant…
—Leursroisetuncertainnombredereinesaussi,précisa-t-elle.— Oui, bien sûr, lorsque les circonstances s’y sont prêtées. Les Barkworth ont donc servi la
Couronnefidèlementetn’ontjamaisfailliàleursobligations.—Aucunscandale,aucuncousindévoyépourentachervotrenom,ni lamoindreaffaire illicite?
plaisanta-t-elle.Barkworthparutsurprisdelaquestion.—Biensûrquenon.Nousavonsaccomplinosdevoirsentoutbien,touthonneur.— Et durant les réformes de Henry VIII ? De quel côté était votre famille ? Soutenait-elle les
réformesoul’Eglise?—Nousavonssuivinotreroi,déclaradignementBarkworth.—Etaprès,quandCromwellafaitdécapiterCharles?—Cefurentdestempsdifficiles,maisnoussommesrestésloyauxàl’Angleterre.Restésloyauxàl’Angleterre…Unemanièreélégantepoursignifierquelalignéeétaitadroitement
passéed’uncampàl’autre—puritainetroyaliste—pourfinirauxcôtésdeCharlesIIàsonretoursurletrône.
—Votredroitureestimpressionnante,affirma-t-elle,netrouvantpasd’autreréponse.Ils poursuivirent quelques instants leurmarche en silence.Aubout de sa laisse,M.Muggins lui-
mêmesemontraitplussageetobéissantquejamais.— Je dois avouer que cette petite excursion est un excellent moyen d’être vus, reprit enfin
Barkworthaprèsavoircroiséunemèreetsafillequirentraientdeleurproprepromenade.Avez-vousvuleregardapprobateurqueladyColicottvientdelancerdansvotredirection?Elleesttrèsobservatrice,voussavez…Oui,jecomprendspourquoivousaimeztantmarcher.
—Jepensaissurtoutquenouspourrionsmettrecemomentàprofitpourvoircommentnousnousentendons,suggéraTabitha.
C’étaittellementplusimportantquel’avisdeladyColicott…—Nousentendre?AencroirelessourcilsfroncésdeBarkworth,cettenotionluiétaittoutaussiétrangèrequelefaitde
sedéplaceràpied.—Oui,répondit-elleenfaisantdesonmieuxpourcontenirsonagacement.Ainsi,noussauronspeut-
êtresinotremariageadeschancesd’êtreheureux.Aprèsuntempsderéflexion,levisagedeBarkworths’illuminaetiléclataderire.— Mademoiselle Timmons, vous avez réellement des idées bien étranges ! Pourquoi ne nous
entendrions-nouspas?Tabithaauraitpuluidonnerdescentainesderaisons,maisellepréférasetaire.Daphnéneluiavait-
ellepasconseillédenepasselaisseralleràdesconclusionstrophâtives?VoisàquelpointtuaseutortausujetdePreston.Oui,elles’étaittrompéeenpensantqu’iln’étaitqu’unvoyousansnoblessecar,aumoins,ilavaiteu
ladélicatessedeluienvoyerdesfleurs…—Mon oncle m’a dit que vous étiez notaire, lança-t-elle donc en s’efforçant d’« apprendre à
connaître»celuiquesafamillevoulaittantluifaireépouseretdechasserlescampanulesdePrestondesespensées.J’espèrequejenevoustienspaséloignéd’affairesimportantes…
—Non,non,répondit-ilavecungestevaguedelamain.J’aienfaitbienpeudetâchesàaccomplir.Bienentendu!—Vousnetravaillezdoncpas?—Travailler?fit-ilavecunlégerfrissond’horreur.Biensûrquenon!Jen’aiétudiéledroitqu’à
lademandedemononcle.Iladitquej’avaisbesoind’uneoccupationenattendantson…son…Sonmalheureuxdécès,sembla-t-ilsurlepointdedire.—Commentdoncoccupez-vousvosjournées,danscecas?insista-t-elle.Quelle vie pouvait bien avoir un homme qui ne travaillait pas ? Son père avait toujours eu des
devoirsàaccompliraupresbytèreet,depuissonenfance,ellevoyaitlepèredeHarriets’occuperdesondomaine.Même lordRoxley passait de temps à autre à Foxgrove pour s’assurer de l’entretien de sesterres—cequioffusquaitsouventsatantequisejugeaittoutàfaitcapabledes’enoccuperseule.
—Commentjem’occupe?Ehbien,delamêmemanièrequetouslesgentlemen,j’imagine.—C’est-à-dire?Ilsetutuninstant,secontentantdelafixer;ilnes’étaitvisiblementjamaisposécettequestion.—Oh!jenefaisrienquisortedel’ordinaire,reprit-ilenfin.Jerendsrégulièrementvisiteàmon
oncle.—Pourenapprendreunpeuplussursesaffairesetl’aideràentretenirsondomaine,sûrement.Sansdouteétait-cepourcelaquelemarquisavaitinsistépourquesonneveuétudieledroit.—Ohnon,pasdutout.Mononcleaunintendantquis’occupedutout-venant.Deplus,jenepeuxme
permettredeparaîtretropintéresséparsesbiens,celasembleraitdéplacé.Oui,pourunhéritierpotentiel,faillitajouterTabitha,maisBarkworthsemblaitnepassaisirtoutes
lesnuancesducynisme.— Je ne lui rends visite que pourm’enquérir de sa santé, ajoutaBarkworth, comme si ce détail
devaitrendresesintentionsplushonorables.—Quelledélicateattention,murmura-t-elle, s’empêchantencoreune foisdedireàhautevoixce
qu’ellepensaitréellement.Bonjour,mononcle,commentvavotrecœuraujourd’hui?—Vousnevivezdoncpasaveclui?
Barkworthprotestavivementenhochantlatête.—Seigneur,pasdutout!Celaseraitvraiment…—Déplacé,acheva-t-elle.—Toutàfait.MèreetmoivivonsdansunepetitemaisondeFoleyPlace.Elleestassezconfortable
—sansdoutebeaucoupplusélégantequ’unpresbytèredecampagne—,maisn’estenriencomparableàlasplendidedemeuredemononcle,surHanoverSquare.Celadit,jenem’enplainsabsolumentpas;entoutcas,pasdevantmononcle.
—Vousplaindredequoi,sivotremaisonestconfortable?Illaconsidérad’unairsurpris.—Ehbien,mère la trouveunpeupetite,déclara-t-ilavecaplomb,etdésireunevillaplusvaste.
Notremariageapprochant,elleacommencéàchercheruneautrerésidence.—Elleadoncl’intentiondevivreseule?UnfolespoirenvahitsoudainTabitha.—Non,quelle idée !Une foisquevousvousajouterez ànotrepetitemais joyeuse famille, nous
auronscertainementbesoindeplusd’espace;surtoutlorsquenousauronsélarginotrebonheur,sijepuism’exprimerainsisansvousoffenser.
Ilponctuacetteremarqued’unsourireenhaussantlessourcilsdemanièresignificative.Oh!Seigneur,ilparled’enfants…Tabithas’imaginasoudainavechorreuraumilieud’unetribude
beauxetstupidespetitsBarkworthpendusàsesjupes.—Heureusement,nouspourronsdéménagersansproblèmedèsnotreunion,grâceàlagénérositéde
votreoncle…C’est-à-dire :Une fois que j’auraimis lamain sur la fortune de votre oncle, je ne serai plus
contraintdecomptersurlacharitédumarquis,quim’offreuneviebientropmodeste.Dieu du ciel, songea Tabitha, cela expliquait beaucoup de choses, en particulier pourquoi
Barkworthavaitimmédiatementacceptédel’épouser.Illavoulaitvraimentpourfemme.Non,ilavaitbesoind’elle…Suppositionqu’ilconfirmaimmédiatement:— Je sais que mère a déjà visité une maison près de Grosvenor Square, sur Brook Street. Le
propriétaireesttrèsmaladeetsouhaitelalouer.Hélas,mèrepensequ’endépitdesonexcellentesituationlebâtimentestensimauvaisétatqu’aucuneladynesouhaiteraitypénétrer—etencoremoinsyvivre.
— Je suis pourtant certaine que la villa que votre oncle amise à votre disposition est à la foiséconomiqueetsuffisammentgrande.Jenevoisdoncpaslanécessitéde…
— Mademoiselle Timmons, vous êtes délicieuse et pleine de surprises, la coupa Barkworth.J’imaginequevotresimplicitévientdufaitquevousaveztoujoursvécuàlacampagne,quiplusestdansunpresbytère,etquemonhumbledemeureserapourvousunchâteau.MaispourunLondonien…
Sansacheversaphrase, il repritsafâcheusehabitudede lui tapoter lamaind’unairpaternaliste,commes’iln’avaitpasbesoind’endireplus.
Abasourdie,Tabithaneputqueluirendresonsourirevideetseretintdeluirappelerqu’ellen’avaitpasencoreacceptédel’épouser.
Pourquoidoncpersonnenepensait-ilqu’ellepourraitavoirdesobjections?Qu’ellepourraitnepastrouvercetteunionàsongoût?
Parce que épouser cet homme t’évitera de passer ta vie à récurer les sols pour ta tante ett’apportera la sécuritépour le restantde tes jours…Parcequec’estcommecelaque leschoses sefont.
Oui,toutcelaétaitrationnel,etelles’étaitmêmesoumiseàcesargumentslorsqu’elleétaitvenueàLondresdansleseulbutdes’uniràcethomme.
En tout cas, jusqu’à ce quePreston croise sa route.A présent, elle ne pouvait plus regarder sonpromissanssongerauxdizainesd’objectionsqu’elleavaitcontrecemariage.
—Etquepensez-vousd’unemaisonàlacampagne?suggéra-t-elleauboutd’uninstant.Celanouscoûteraitbienmoinscheretvotremèrepourraitavoirtoutl’espacedontellerêve.
Parexemple,dansuncottageàl’autreboutdudomaine,auraitmêmepuajouterHarriet.—A lacampagne?Vousavezbiendit : lacampagne?Ohnon,mademoiselleTimmons,celane
conviendraitjamais!s’écria-t-ilavecemphase.—MaisM.Muggins serait tellement plus heureux, à la campagne ; etmoi aussi.Mon jardinme
manquebeaucoupet…—Mademoiselle Timmons, je vois que vous aimez plaisanter ! J’imagine que vous n’allez pas
tarderàmesuggérerdevivreenpleinenature,commedessauvages.D’oùvenez-vousdonc?—DeKempton.DuvillagedeKempton,répondit-ellesèchement.Siseulementelleavaitpul’emmenerboireunepinteauJohnStakespourlerégalerdescontesdela
malédiction.Celaleferaitpeut-êtreréfléchiràdeuxfoisavantdel’épouser…—Unvillage?Aencroire ladescriptionquem’a faitema tante, j’avaiscrucomprendrequece
n’étaitriendeplusqu’untrouperdu.En entendant cela, Tabitha se retint de le gifler. Parler ainsi de son cher foyer !Cependant, elle
s’efforça de nouveau d’accorder le bénéfice du doute àBarkworth : peut-être n’avait-il jamais quittéLondresdesavie.
—Jenemesuisjamaisréellementintéresséàlacampagne,poursuivit-il,commepourconfirmersessoupçons.C’estbientrop…commentdire?Rural!Voilà:lacampagneestbientroprurale.
—Maismoi,j’aimelacampagne,protesta-t-elleunenouvellefois,etM.Mugginsyseraittellementplusheureux.
—Danscecas,ilvaudraitpeut-êtremieuxlerenvoyerlà-bas,rétorquaBarkworthavecunregardfroidendirectiondugrandterrier.Commevousavezpulevoir,mèreaunepeurterribledeschiens.Ellepréfèreleschats:elleenaquatre.
Quatrechats,dansunepetitemaison,avecM.MugginsquileurcourraitaprèstoutelajournéeetlesourirestupidedeBarkworthpourlasaluertouslesmatins?
Seigneur,cemariages’annonçaitcommeunevéritablecatastrophe!S’ildure,luimurmuraunepetitevoixluirappelantledestind’AgnèsStakesetlafintragiquedesa
nuitdenoces.Incapablederésister,ellelançaunpetitsourireàBarkworth.—D’ailleurs, reprit-il, quellemouche apiqué cet animal ?Pourquoi est-il devenu si agité alors
qu’ilparaîtplutôtcalmeàprésent?—Acausedesplumes.—Pardon?—Les plumes, répéta-t-elle.M.Muggins a horreur des plumes, leur simple vue le rend fou. Et
Daphnéportaitsapelisseàplumes;sansdoutea-t-elleoublié…Cequiétaitfortpeuprobable.—Mamèren’aimepasdutoutcettehabitudedemettredesplumespartout.—Danscecas,jesuiscertainequeM.Mugginsetelles’entendrontàmerveille.Denouveau,illuilançaunregardnoir,lessourcilsfroncés.—Jecroyaisavoirétéclair:mèren’approuvepasleschiens,déclara-t-ilsévèrement.
Tabitha avait cherché à détendre l’atmosphère avec une plaisanterie légère mais, à en croire lasombreexpressiondeBarkworth,ellecompritquesanoted’humourluiétaitpasséebienau-dessusdelatête—commeuneplumeauvent…
Ciel,celanes’annonçaitvraimentpasbien.CommeHarrietseraitheureused’apprendrecedésastre;etcommeDaphnéseraitdéçue,aprèsses
nombreuxefforts!Cependant, Tabitha tenait encore à composer, dans l’espoir de trouver un équilibre entre leurs
différentspointsdevue.—Nepourrions-nouspaspasserunepartiedel’annéeenville,etleresteàlacampagne,commele
fonttantdefamilles?MaisBarkworths’obstina.—Jenepourrais jamais tantm’éloignerdemononcle.Lorsquevousserezmarquiseetquenous
emménageronsaunuméro5,vousserezémerveilléeparlefastedelamaisonetvousnepenserezplusàlacampagne.
Ils’interrompitbrusquement,puisreprithâtivement:—Nonquejesoisimpatientdeperdremoncheroncle.—Bienentendu,acquiesça-t-elleaussigravementquepossible,luttantpournepassourire.—Cependant,nousdevonstousnousprépareràcejourfuneste,quiattristeratoutelabonnesociété,
scanda-t-ild’unevoixtellementrodéequ’elleôtaittoutecrédibilitéàsespropos.IlspoursuivirentensuiteleurrouteensilenceetTabithaselaissaunefoisdeplusemporterparses
pensées.Laisse-luiunechance.«Tudevraisfaireunelistedesesqualités»,auraitsansdouteproposéDaphné.C’estdonccequ’elleallaitfaire,résolutTabitha.Pourcommencer,iladebonnesmanières.Ilest
attentionné, bel homme, élégant. Elle lui jeta un rapide coup d’œil. En effet, sa tenue suivaitscrupuleusementladernièremode,despointesdesonhautcolàsacravateextravagante.
Peut-êtremêmeétait-iltropélégant…Ilmarchaitd’unpasraide,commes’ilsesentaitcoincédansunetoiletteinconfortable.Ilavaitl’air
d’êtreengoncédansuncorsetsemblableàceluidetanteAllegra.Fermantun instant lesyeux,Tabitha tâchadechassercette imageetde revenirà sa liste.Bonnes
manières,attentionné,belhomme…Soudain,d’autresqualificatifsluivinrent,plusconvaincants.Ilestennuyeuxetn’aaucunsensdel’humour.«Etilestbeaucouptropattachéàsamère»,entendit-ellepresquePrestonmurmurer.Non,décidément, cette listene lui servirait à rien. Il ne lui restait plusque la conversationpour
tenterdedénicherunsemblantdequalitéchezcethomme.—Dites-moi,unefoisquevousavezrenduvisiteàvotreoncle,quefaites-vousdevosjournées?Barkworthneréponditpastoutdesuite,réfléchissantsincèrementàlaquestion.—Ehbien,j’assistemamèrelorsdesesvisitesdel’après-midi—tâchequi,biensûr,seravôtre
unefoisnotreheureuxmariagecélébré.Heureuxmariage?Tabitharéprimaunfrissond’horreur.AprèslesdésirsbrûlantsquePrestonavait
suéveillerenelle,laperspectivedecet«heureuxmariage»paraissaitbienterne.Bienmorne.Barkworth ne saurait jamais la prendre dans ses bras comme Preston l’avait fait, l’embrasser
commesic’étaitsondroit,sondû.Ilnesauraitjamaislatransporterdansuneextasesiabsoluequ’ellelalaisseraitpantelante,lesmembresgourdsetlecœurenfête…
Non,ilnefallaitpaspenseràcela.Hélas, lavérité étaitque lavie auxcôtésdeBarkworth l’emprisonnerait autantqueM.Muggins,
retenu par sa courte laisse : elle serait plongée dans un océan d’ennui, sans aucun espoir de liberté,totalementmuselée.
Rapidement, ilsdébouchèrent surParkLaneet attendirentdepouvoir traverser la ruepourentrerdansHydePark.
Plusilapprochaitdesgazonsetdesarbres,plusM.Mugginss’agitait,tiraitsursalaisse,bondissait,prêtàtrouverd’autresplumesàchasser.
—Queluiarrive-t-ilencore?s’énervaBarkworthenlâchantlebrasdeTabithapours’éloignerduchien.
—Lacampagneluimanque,luirappela-t-elleunenouvellefoistandisqueBarkworth,l’aireffrayé,nelequittaitpasdesyeux.Ilal’habitudedecourirlibrement,oùilveut.
— Je ne vois pas en quoi ce serait une bonne idée de lâcher ce fauve, soupira Barkworth enexaminantrapidementleparcoùtoutLondressemblaits’êtredonnérendez-vous.
—Leschosessontdifférentesàlacampagne,expliquapatiemmentTabitha.—Ilsembleraitbien.Il remarqua alors un passage entre les voitures et lui fit signe d’avancer. M. Muggins,
particulièrementexcité,s’élança,traînantTabithasursestalons.— Cet animal devra absolument retourner à la campagne quand nous nous marierons, cria
Barkworthderrièreelle,coincéàforced’hésitationsentreunecharrettedefretetunegrandecalèche.Tabithan’eutcependantpasletempsdeluirépondre,interrompueparunevoixhautperchée.—Barkworth,est-cevous?appelaunefemmequilesdévisageaitàtraverssonlorgnon.Etest-cela
charmantecréaturedontonmeparletantdepuiscematin?— Lady Gudgeon ! Oui, c’est elle. Permettez-moi de vous présenter ma future fiancée :
Mlle Timmons. Je puis bien sûr compter sur votre discrétion pour garder le secret au sujet de nosfiançailles?ajouta-t-ilavecunclind’œiléloquent.
L’airravi,lafemmeréponditdansungloussement:—Barkworth,meslèvressontscellées.Tousdeuxéclatèrentalorsderire,sousleregardsidérédeTabitha.Cettefemmesemblaitaussipeu
capabledegarderunsecretquedesortirdechezellesansunchapeauderniercrisurlatête…Unchapeau,remarquaTabitha,quis’ornaitd’unimmensebouquetdeplumesrouges…
***
—Nemedispasquenousarpentonsleparcnonpaspouressayertesnouveauxchevauxcommetuleprétends,maisdansl’espoird’ycroiserMlleTimmons,lançaRoxley.Bonsang,monami,as-tuperdulatête?
Prestonhésita.PuisqueRoxleyavaitdéjàtoutcompris…—Jevoulaisseulementm’excuser…MaisRoxleylecoupad’unhaussementd’épaulesbourru.—Tuauraismieuxfaitdeluienvoyerunmessage.Un message ? Preston avait été tenté d’en glisser un dans le bouquet de campanules avant de
l’envoyer.ChèreMademoiselleTimmons,jedoisavouerquelanouvelledevosfiançaillesaveccetimbécile
arendumoncomportementd’hiersoirparfaitement…
Non,non,çan’allaitpas.—Roxley,insista-t-il,ellenepeutépouseruntelidiot.Tuasbienentenducequenousarapporté
tonami,hier?—Quelami?Ahoui,Chaunce.Cequ’ilaracontéquandnoussommesallésauWhite,tuveuxdire?
demanda le comte en fermant les yeux afin demieux se remémorer cette soirée.Tu vois, j’avais déjàoubliétoutcela.
Oublié?Commentpouvait-iloublier?Preston,lui,enétaitincapable.
***
M.ChaunceyHathawayavaitétéunevraiemined’informationsausujetdeTabby…Il lui avait apprisqu’ellevenait àpeinede rencontrerBarkworth.Si elle l’épousait, c’étaitpour
respecterletestamentdesononclequiavaitposécetteconditionàsonhéritage.L’oncledeBarkworth,lemarquis deGrately, avait en effet emprunté d’importantes sommes d’argent à celui de Tabby et avaitoffertlamaindesonneveuenéchangedel’effacementdesadette…si,biensûr,Barkworthrestaitsonhéritier.
CelapermettraitàTabbydedevenirmarquisedeGrately—unhonneurpourunefilledevicaire.—Pourquoidiablesononclel’a-t-ilcontrainteàcetteunion?avaitdemandéPrestonauprécieux
M.Hathaway,aprèsqu’ilssefurentconfortablementinstallésdansl’undessalonsduWhite.Roxleylesavaitalorsabandonnésàleurdiscussion,préférantcouriraprèsl’hommequiluidevait
de l’argent, fourrageant furieusement dans ses poches à la recherche de sa reconnaissance de dette.L’hommeenquestionavaitrécemmenteubeaucoupdechanceaujeu,etpourraitfairelafortunedesonusurier.
—ToutecettehistoireremonteàlajeunessedelamèredeMlleTimmons,avaitexpliquéChaunce.C’étaitunetrèsbellefemmeet,lorsqu’elleafaitsesdébutsàLondres,ellearapidementeuunearméedeprétendants.Sielle l’avaitvoulu,elleauraitpuêtreduchesseenunclaquementdedoigts.Maisellearejetétousleshommesquilacourtisaient,préférantépouserlebraverévérendArchibaldTimmons,avecsonpresbytèredeKemptonpour toutefortune.ElleadoncquittéLondresmariéeetheureuse,augranddamdesonambitieuxfrère.
— Cela peut expliquer les motivations de l’oncle, mais que gagnera Mlle Timmons dans cetteaffaire?
Prestonsavaitpeut-êtrepeudechosesurTabby,maisilsedoutaitdéjàqu’elletenaitdesamèreetpréféraitsuivresoncœurplutôtquedefaireunmariaged’argent.
—Uneéchappatoire,avait réponduChaunceenvidantsonverre,quePrestons’étaitempresséderemplirdenouveau.Aprésentquesesdeuxparentssontmorts,elleestàlamercidesafamille.Aucundeses proches ne voulait d’elle lorsqu’elle s’est retrouvée orpheline, mais lord Rawcliffe, qui estpropriétairedelademeure,aétéclairavecsononcle, lerévérendBernardTimmons: ilpouvaitveniravecsonépouses’installeraupresbytère—unebienmeilleuresituationquecellequ’ilavaiteuejusque-là—àlaseuleconditiondeprendresaniècesoussonaile.
—MlleTimmonsadoncpuresterchezelle.Acesmots,Chaunceavaitfaillis’étoufferdanssonbrandy.—Sionpeutparlerde«chez-soi»!Biensûr,Timmonsetsafemmel’ontgardée,maisuniquement
pournepasavoiràpayerdebonneoudesecrétairepourlaparoisse.LapauvreTabithaapassélestroisdernièresannéesàrécurerlesmarmitesetàtenirlesregistres.
Prestons’étaitalorssouvenudesmainsdeTabby,rugueusesetabîmées, lorsqu’il lesavait tenuespour lui apprendreàdanser, cettenuit-là, à l’auberge. Il s’enétait immédiatement aperçu,maisne s’yétaitpasarrêté,tropoccupéàsurveillersaconduite.
Quelleironie…—EpouserBarkworth,sistupidesoit l’homme,luioffriraunebienmeilleurevie,avaitpoursuivi
Chaunce,quoiqueHarrynesoitpasdemonavis.ElleinsistepourqueTabithaannuletoutetviennevivreàPottage.
Tirédesespensées,Prestonl’avaitdévisagésanscomprendre.—Harry?Pottage?—Harriet,masœur.EtPottageestlenomdudomainedemonpère.Chaunces’étaitinterrompuuninstantpendantqu’unhommeenmanteaunoirpassaitprèsdelatable.
Le fait de travailler auministère de l’Intérieur semblait lui avoir donné l’habitude de transformer laconversationlaplusbanaleensombrecomplot.
—HarryaessayédeconvaincreTabithadevenirvivreavecnous,maiselleestbientropfière—Tabitha,jeveuxdire.
—Votresœuraboncœur,entoutcas,avaitréponduPreston,cequiavaitfaitrireChaunceàgorgedéployée.
—Vousnediriezpaslamêmechosesielleétaitvotresœur!Harrypassesontempsàfourrersonnezpartout,etsurtoutdanslesaffairesquinelaregardentpas…
—Non,bienaucontraire.MlleHathawaydevraitêtreremerciéepoursibienveillersursesamies.—Necherchezpasàresterpoli,VotreGrâce.Harryestunepesteinsolente,etc’esttout;ellel’a
toujours été. Au grand désespoir demamère, elle amême fini par ressembler à toutes ces filles deKemptonquiméprisentlemariage.
—Lamalédiction,avaitlancéPreston.—Cenesontquedessottises!Maisallezdireauxvillageoisqueleurpetitecélébritén’estbâtie
quesurunesuperstitionabsurde…—Quoiqu’ilensoit,MlleTimmonspourraitannulersesfiançailles.—Jenepensepasquesesoncles la laisseraientfaire.SirMaurisetsonfrèreont toujoursvoulu
avoiruneplaceensociétéetlefaitqueleurniècedeviennemarquiselesaideraitàatteindreleurbut.—Cependant,sielleatteintsamajorité—cequinedevraitpastarder,j’imagine—,nepourrait-
ellepastouchersonhéritageetsedébarrasserd’eux?Chaunceavaitsoupiréenbuvantunenouvellegorgée.—Harryprétendqu’elledoitépouserBarkworthpourhériter.Entoutcas,c’estcequiestcenséêtre
inscritsurletestament.Intriguéparcettedernièrephrase,Prestonavaitexaminéuninstantsoncompagnon.—Cequiestcenséêtreinscrit?— J’ai été formé pour devenir avoué, avait expliquéChaunce, et un tel testament n’aurait aucun
sens.Imaginonsqu’elleannule,ouqueBarkworthcassesapipeavantlemariage,oùiraitl’argent?Ilyaforcément des clauses prévues pour ces cas-là. Quand il s’agit d’argent, toutes les éventualités sontenvisagées…
Le verre à la main, Preston avait alors demandé à mi-voix, adoptant à son tour un ton deconspirateur:
—Etqueditvraimentletestament?Chaunceavaiteuunpetitsourireapprobateur,saluantmanifestementlaperspicacitéduduc.
—Jenelesaispas,etMlleTimmonsn’ensaitpasplusquenous,sivousvoulezmonavis.Maisquelqu’und’autreestaucourant…
—Quidonc?—Barkworth,pourcommencer.Grately.LesonclesdeTabitha.Ilsonttousbeaucoupàgagneravec
cemariageetsontsansdouteprêtsàtoutpourquelesévénementssedéroulentcommeprévu.— En effet… Si vous avez raison, aucun d’eux n’accepterait que Mlle Timmons annule, avait
murmuréPreston,presquepourlui-même.—Toutàfait.—Danscecas,commentpourrais-jedécouvrirlavérité?Amoinsquejen’attrapeBarkworthpar
lapeauducouetquejenelesecouejusqu’àcequ’ilparle?LevisagedeM.Hathaways’étaitéclairéàcetteidée.— J’adorerais voir cela, Votre Grâce, mais vous feriez mieux de suivre notre vieil adage, au
ministèredel’Intérieur.—Queladage?—Allezàlasource.—Biensûr,letestament!En facedePreston,Chaunce souriait toujours.Preston s’était alorsdit qu’il savait déjà comment
retrouverledocument.Hélas, Roxley avait précisément choisi ce moment pour revenir, bousculant les chaises sur son
passage,levisageilluminéparungrandsourire.—J’ail’argentd’Osbourne!s’était-ilécrié.Ungarsextrêmementrusé;ilabienfaillim’échapper.—Parfait,commecela,tuvasenfinpouvoirmerembourser,avaitrétorquéPreston.—Oh ! non…De toute manière, j’ai déjà parié le tout au sujet de fiançailles. On raconte que
Grately va faire une annonce après-demain, avait-il ajouté en se remplissant un verre. Comme si unefemmesenséeaccepteraitd’épousersonneveu!
— Roxley, quel imbécile tu fais ! avait soupiré Preston. Ce pari concerne Barkworth etMlleTimmons.
LecomteavaitalorsdévisagéPreston,puisChaunce.—Seigneur!Alorsjesuisperdu:j’aipariéquelafilleallaittoutannuler.Sanssesoucierdeslamentationsquelquepeuavinéesdesonami,Prestonavaitreprisladiscussion.—Avez-vousunplan,Chaunce?—Oui…L’undes avantagesd’avoir une sœurqui fourre sonnezpartout et qui aune excellente
mémoireestqu’ellearéussiàsoutirerlenomducabinetd’avouésdeWinstonLudlowàsirMauris,dansl’espoirquejedécouvreunmoyendesauverTabitha.
—Oh!ça,c’estbienHarry !avait lancéRoxleyavecungestesigrandiloquentqu’ilavait faillirenverser le verre de brandy qu’il tenait à lamain.Cette donzelle ne seménage pas— sans vouloirt’offenser,Chaunce.
—Non,net’inquiètepas.Prestonavait songéqu’il commençait réellementàapprécier lesHathaway,d’autantqueChaunce
avaitcontinué:—Lachanceestdenotrecôté,VotreGrâce:j’aijustementunbonamiquitravaillechezKimball,
DunningtonetPennyman;unamiquimedoitunefaveur.Acesmots,Roxleyavaitbondisursonsiège.— Dites donc, tous les deux, êtes-vous en train de comploter pour empêcher Mlle Timmons
d’épouserBarkworth?
—Pourquelleautreraisonnousaurais-tuprésentés?avaitrépliquéPreston.—Oui,c’estvrai…Finalement,monparitombebien.—Alors,vousnousaiderez?avaitdemandéPrestonàChauncesanstropécoutersonamidivaguer.Chaunceyavaitéclatéderireetcroisésesbrassursapoitrine.—VotreGrâce,vousn’avezdetouteévidencepasdesœur!—Non,maisj’aiunetante…
***
—Matanteseradans toussesétatssielleapprendque je t’aideà interférerdans lesaffairesdeMlleTimmons,déclaraRoxley,lamaintoujourspresséesursonfront,commes’ilessayaitdechassersamigrainedelaveille.
—Jecroyaisquetutenaisàgagnertonpari,luirappelaalorsPrestontoutenexaminantleparcàlarecherchedeTabby.
—Oui,c’estvrai,maisvaut-ilmieuxperdrecinqcentslivresoubiensupporterlescolèresdematantependantunan—oumêmedeux?
—Tut’ensortiras.Roxleybaissalereborddesonchapeausursesyeuxetcroisalesbrasd’unairbuté.—Jenecomprendstoujourspasenquoi lefuturbonheurdeMlleTimmonsteconcerne.Amoins
quetunesoistombéamoureuxdecettefille.—Pasdutout!répliquaPreston,unpeutropvite,sansdoute,etunpeutropfermement.Sagement,Roxleychoisitdenepasrépondreetsecontentad’adresseràsonamiunlégersignede
tête,d’unaircompatissant.Mais Preston ne se laissa pas troubler. Il n’était pas amoureux de Tabby. Absolument pas.
Cependant,ilneputledireàvoixhaute,pasplusqu’iln’avaitpus’empêcherdevenirauparc…D’ailleursilneluiavaitpasenvoyécebouquetdecampanulesparcequ’ilsesouciaitd’elle.Non,il
l’avaitenvoyéparcequ’ilsavaittrèsbienqueBarkworthneleferaitpas.S’ildevaitvoirTabbyaujourd’hui,c’étaitpourunetoutautreraison.Illuiavaitpromisd’êtreson
ami,del’aider—mêmesiellen’appréciaitpasses«interventions».Peuimporte!Entantqu’ami,ildevaitluidirequ’ellen’étaitpasobligéed’épousersonM.Barksot.
Que,sielle,cettefemmequiluiavaitjurénejamaisvouloirsemarier,décidaitfinalementdes’uniràunhomme,mieuxvalaitquecesoitpourdebonnesraisons.
Parexemple,parcequ’elleaimaitsonpromisau-delàdetout.EtilétaitparfaitementimpossiblequesaTabby,sidéterminée,sitêtue,sifranche,tombeamoureuse
d’unhommecommeM.ReginaldBarkworth.Acôtédelui,Roxleyl’examinaitavecunsourireentendu.Bonsang!Prestonn’étaitpasamoureux,alorspourquoineparvenait-ilpasàledire?—Bon,àprésent,situpersistesdanscettefolie,tuvasdevoirtedirigerparlà,repritsoudainson
amienluiindiquantl’undessentiers.Ondiraitbienquevoilàtaproie,coincéeentresonpromis,cequi,situl’asoublié,signifie«l’hommequ’ellevaépouser»,et…
Se redressant, il plissa les yeux pour reconnaître la femme qui se tenait en face de Tabby, puisfrissonna.
—…oh,Seigneur!ladyGudgeon!MlleTimmonsaurabesoindetesconseils,finalement,elleadesfréquentationsdéplorables.
Prestonimmobilisaseschevauxetsuivitleregarddesonami.Oui,Roxleyavaitraison:ilreconnutimmédiatementBarkworthetladyGudgeon.Maiscesdeux-làluiimportaientpeu:toutcequicomptaitétaitcellequ’ilapercevaitdeloin,Tabby.SaTabby.
Non, il n’était pas amoureux d’elle, bien au contraire, se rappela-t-il en se rasseyant et enconduisantsavoituredansuncoin.
Troublé par l’image de cette silhouette familière, il mit ses chevaux à l’arrêt une nouvelle fois,n’osantpluslaregarder.
Soudain,Roxleyluidonnaunviolentcoupdecoudequiletiradesarêverie.—Preston,ondiraitquetaMlleTimmonsabesoindetonaide!—Queveux-tudire?Sans répondre, lecomteeutunpetit signedumentonendirectiondugroupeetPrestonvitque le
chiendeTabithaavaitbrusquemententreprisdepourchasserladyGudgeon—quifuyaitavecunerapiditédéconcertante.
L’animal aboyait sauvagement, dansant et bondissant autour de sa proie, poursuivi à son tour parcellequ’ilauraitreconnueentretoutes,lechapeaudetraversetunelaisseàlamain.
—Décidément,Preston,plusjelavois,plusjepensequec’estlafillequ’iltefaut,murmuraRoxleydansunpetitrire.
—Dequoiparles-tu?demanda-t-ilendesserrantsacravate.Soigneusementnouée,ellecommençait à l’étoufferet ilnepouvait sepermettred’êtregênéalors
qu’ils’apprêtaitàselancerdansunecourseeffrénéederrièreTabbyetsonmolosse.—Ehbien,ellesembleaussidouéequetoipourlescandale!s’exclamaRoxley.Ignorantcetteplaisanterie,Prestonpassalesrênesàsonamietbonditàterre.—OùdiableestBarkworth?Cetimbécilenevoitdoncpasqu’elleabesoind’aide?—Pourquoil’aiderait-il?lançaRoxleyquis’étaitredressépourmieuxassisteràlascène.C’estle
cerbèrequicourtaprèsladyGudgeon,pasMlleTimmons.Celafaitd’ailleurslongtempsquej’attendsdevoircettevieillecommèrerecevoircequ’ellemérite…
—Franchement,Roxley!Prestons’apprêtaitàrejoindreTabbyàsontour,maissonamin’enavaitpasencorefini.—Quandtularattraperas,veux-tubienmefaireunefaveur?Surpris,Prestons’arrêtaenpleinecourse.—Quoidonc?—Demande-luioùjepeuxtrouverunchiencommecelui-là,celamepermettraitpeut-êtredetenir
mestantesàl’écart.
Chapitre12
AumomentmêmeoùTabithavitladyGudgeonpartirencourantdansHydePark,criantaumeurtreetpourchasséeparM.Muggins,ellesutqu’unevéritablecatastropheétaitentraindeseproduire.
Il s’était à peine écoulé une seconde entre lemoment où elle avait vu les plumes rouges sur lechapeaudelafemme,etresserrésapoignesur la laisse,etceluioùlechien,aussivifqued’habitude,avaitluiaussirepérésaproiefrémissantedanslapetitebrise.
SonpremieraboiementraviavaitfaittaireladyGudgeonet,enunclind’œil,labêteavaitbondisurelle.
Aumoins,ilavaitprévenulafemmedesonassaut…Tabitha s’agrippa à la laisse et tira de toutes ses forces, maisM.Muggins, tout enmuscles, se
débattaitsibienquelamincecordelâchabrutalement.Déséquilibrée,Tabithatombaenarrière,percutantBarkworth de plein fouet. Celui-ci, engoncé dans son pantalon trop serré et sa chemise plus ajustéeencore,neputlaretenirettombaavecellesurlegazon.
Le premier choc passé, allongée sur Barkworth et face à son regard éberlué, elle sentit qu’il larepoussaitd’ungestebrusqueetroulaitplusloinsurl’herbe.
Lechien,enrevanche,neperditpasdetemps:ilflairasaproieet,unefoiscelle-ciretrouvée,lapoursuivitàgrandrenfortd’aboiements.
LadyGudgeon,terrifiée,s’enfuitalorsencourantàtoutesjambesàtraversleparc.Horrifiée,Tabithaserelevaetobserva,impuissante,sonchienquigrognaitetjappaitsurlestalons
delafemme.Ilnecessaitdebondir,essayantd’attraperlechapeau.Cettefemmen’avait-elledoncaucuneidéedudangerquilamenaçait?—Non!MonsieurMuggins,aupied!criaTabithasanssuccès.MaisladyGudgeoncontinuaitàcourir—étonnammentviteendépitdesatoilettesipeupratique.Dansleparc,onnevoyaitplusqu’elle,sefrayantuncheminàtraverslesalléesbondées,traversant
lesgazonsetlesplates-bandes,commesielledansaitautourdesarbres.Avait-elleencore lemoindreespoird’échapperàsonpoursuivant?Hélaspourelle,M.Muggins
pouvaitpourchassern’importequelleplumependantunejournéeentière…—Levez-vous,Barkworth!hurla-t-elle,prisedepanique.Ondoitrattrapermonchien!Cependant, son élégant futur fiancé, toujours affalé dans l’herbe, les bras et les jambes s’agitant
danslevidecommeunscarabéesurledos,secontentadegeindretandisquelabonnedeDaphnél’aidaitàseredresser.
—Déshonoré!Humilié!Fichu!marmonnait-ilenpleurnichant.
Décidément, il ne lui servirait à rien…A quoi donc avait pensé oncleWinston ? AbandonnantBarkworthàses lamentations,Tabithaseprécipitavers lespetitsgroupesd’hommesetde femmesquis’étaientarrêtéspourregarderlespectacle.
Aumoins,aprèscela,pluspersonneneparleraitdesadansedelaveilleavecPreston.— Excusez-moi… Pardon… Oh ! par le iel, laissez-moi passer ! lança-t-elle en se frayant un
cheminaumilieudelafoule.Enfin,elledécouvritladyGudgeonperchéesurunbanctandisqueM.Mugginsaboyaitetgambadait
autourd’elle,pleinementsatisfaitd’avoirréussiàacculersaproie.Lorsqu’elles’approcha,Tabithaauraitjuréqu’illuiadressaitunsourirefier.—Aidez-moi ! Cet animal est devenu fou ! hurla ladyGudgeon en lemontrant du doigt tout en
plaquantfermementsonréticulecontresapoitrinedesonautremain.Tabithaparvintàattrapersonchienparlecollier,maisellesavaitqu’ellenepourraitpasleretenir
longtemps.—Milady,dit-elle,c’estvotrechapeau.Lafemmes’immobilisaàcesmots.—Monchapeau?Maisilestàladernièremode!—Sansdoute,maisc’estcelaquil’excite.L’airabasourdi,ladyGudgeondévisagealechien,puisTabitha.—Unebêtequisepiquedemode?Jamaisencorejen’aientenduunechosepareille!—Non,pasdu tout, expliquaTabithapatiemment, ce sont lesplumes. Ilpensequevousavezun
oiseausurvotrechapeau.C’estunterrierirlandais—ilssonttrèsdouéspourlachasseauxoiseaux.—Irlandais!répliqualafemmed’unevoixméprisante.Celaexpliquebeaucoupdechoses.Au pied du banc,M.Muggins s’était finalement assis— si l’on pouvait appeler cela assis. Son
arrière-traintouchaitàpeinelesol,ettoutsoncorpsétaitagitédetremblements,commes’ils’apprêtaitàbondir.
—Sivousacceptiezseulementderetirervotrechapeau…—Retirermonchapeau?Enpublic?MademoiselleTimmons,jepréférerais…EllefutinterrompueparungrondementsourdvenantdeM.Muggins,quis’approchadubanc,ayant
apparemmentcomprisqu’ilpouvaitluiaussigrimperdessus.— D’accord, d’accord, mon chapeau, murmura précipitamment lady Gudgeon en commençant à
retirerlesnombreusesépinglesquilemaintenaientenplace.Sachezbien,MademoiselleTimmons,quejesuistrèsrespectéeenville.Onm’écoute.
Uneàune,lesépingless’entassaientdanssamain.—Etvousn’avezpasgagnémesfaveursaujourd’hui,loins’enfaut.Une fois ce petit discours achevé, elle jeta son chapeau au loin d’un geste théâtral. L’étrange
accessoire s’envola, aidé par la brise, et M. Muggins le suivit du regard, fasciné, comme s’il avaittoujourssuquecetoiseaupouvaitvoler.
Profitantdesadistraction,Tabithaempoignaplusfermementlecollieretelleétaitsurlepointderattacher la laisse quandM.Muggins partit d’un bond et la fit basculer par-dessus le petit fossé quilongeaitlegazondansuneconfusiondejuponsretroussésetdechevillesàl’air.
Pourvuquelesbadaudsn’aientvuqueseschevilles,songea-t-elleavantdeperdreconnaissance.
***
—Tabby?Tabby?suppliaitunevoixtourmentée,lointaine.Réveille-toi!
L’espritencoreembrumé,elleluttacontresondésirderejoindrecettevoixgrave,sensuelle.Non,c’étaitbientroptentant,tropdangereux.
Cependant, elleouvrit finalement lesyeuxet aperçut lebeauvisagedePrestonpenchéau-dessusd’elle,tenduparl’anxiété.
—Ah,terevoilà…Dieumerci,tuesvivante!s’écria-t-ilenlaprenantdanssesbras,oubliantdanssonémotionlevouvoiementderigueur.
Soncorpsétaitchaudetdégageaitlemêmeparfumdesavonquelaveille;ellesentitmonterenelleunflotdedésirbrûlant,commeàchaquefoisqu’ellesetrouvaitprèsdelui.
Rien, pasmêmedes compresses d’eau glacée passées sur son visage, n’aurait pu la tirer de sontroubleplusrapidement.
Et,pourtant,celaauraitétéunmoyenplusconvenabledeluifairereprendresesesprits.Maisils’agissaitdePrestonetrienn’étaitconvenableaveclui.Lentement,ilrepoussalesmèches
decheveuxqui s’emmêlaient sur ses tempes avecunepetitegrimace sévère face à tantdenégligence,tandisqueTabithanesouhaitaitellequ’unechose:sepelotonnerplusencorecontreluietprofiterdesafaiblessepourbénéficierpluslongtempsdesachaleur.
—N’essaiemêmepasderefermerlesyeux!Regarde-moietdis-moiquetuvasbien,ordonna-t-ilcommes’ilavaitledroitdelaserrerainsidanssesbras.
CommesielleétaitsaTabby.Hélas,cen’étaitpaslecas.Ellenepourraitjamaisêtresienne…— Non, non ! s’exclama-t-elle dans un ultime effort de volonté, le rejetant et se tenant sur la
défensive,encoreassisedansl’herbe.Quefaites-vous?Elles’efforçaderemettreunpeud’ordredanssamise,emprisonnalesbouclesfolleséchappéesde
sonchignonets’assuraquesajupenes’étaitpasretrousséeoutremesurelorsdesachute.Siseulementellepouvaitcalmersesémotionsaussifacilement!—Ceque je fais?Je tesauve,petite ingrate ! répliqua-t-ilavecunsouriresatisfait, tandisqu’il
étaitconfortablementinstalléparterre.Ilfallaitqu’ilserelève,qu’ils’éloigne.Cetteposition,cesourirelégerluidonnaientpresquel’air
d’unpetitgarçonespiègle.Commentnepasfondreenuninstant?—Jenemesouvienspasvousavoirdemandéd’intervenir,assena-t-elleaussifroidementqu’ellele
put.Aucontraire,vousm’avezmêmepromissolennellementdevousteniréloignédemoi.—Saufsitumeledemandais,précisa-t-il.—Jamaisjen’aifaitunechosepareille.Detoutemanière,j’avaisperduconnaissance!—Peut-êtremais,heureusement,teslèvresbougeaientencoreetjesuiscertaindet’avoirentendue
chuchoterquelquechosecomme«oh,Preston»oubien«embrasse-moiencore,Preston».Toutenparlant,ilsepenchaverselleetluitenditseslèvresoffertes.—Vous êtes insupportable ! cria-t-elle en le frappant au visage avec la laisse deM.Muggins.
Jamaisjen’aieubesoind’êtresauvée!Faisant appel à toute savolonté, elle se remitdebout,maisunedouleur fulgurante lui traversa la
chevilleetelles’effondradenouveausurlegazon.—Aïe!Etdirequ’elleavaiteupeurdemontrersespieds…Ladouleurluicoupaitlesouffle.Entendantsoncri,M.Mugginss’immobilisa,oublialechapeaudeladyGudgeonetrevintauprèsde
samaîtresseaugalop.Latêtebasseetlaqueuefrémissante,lechiens’allongeaetluiléchalamainavecdouceur.
—Grossebrute,murmura-t-elle,tantpourM.MugginsquepourPreston.
Iln’yavaitabsolumentaucunedifférenceentrelesdeuxet,àlavérité,ellen’avaitjamaisétéaussiheureusedelesvoir,l’unetl’autre.
—Laisse-moivoirsi tachevilleestcassée,proposagentiment leducenremontant légèrementsajupepourdégagersachaussure.
Tabithatentaunefoisdeplusdelerepousser,maisilignorasongesteetexaminasonarticulationens’yprenantparfaitement.
—Non,ellen’estquefoulée.—MonDieu!Elleessayadebougerlepied,maisladouleurl’arrêta,plusviveencore.—Bonsang,commentdoncvais-jerentreràlamaison,maintenant?—Commececi,réponditPreston.Et,sans lui laisser le tempsderépondre, il se leva, ladominant telun titan,commel’Héphaïstos
qu’elleavaitaperçudanslaforgedeKempton.Puisilsepenchaavecsouplesseetlapritdanssesbraspourlasouleverdeterre.
Iltraversaalorslevastegazonet,silespromeneursavaientfaitdesgorgeschaudesdelacourse-poursuite entre M. Muggins et lady Gudgeon, ce ne fut rien comparé à leur étonnement lorsqu’ilsaperçurentTabithadanslesbrasdePreston,ausommetdelapetitebutte.
Voilà : le chevalier errant avait sauvé la damoiselle en détresse. Une bonnemoitié des femmesagitaient leurs éventails avec de petits sourires approbateurs, tandis que l’autre les dévisageaitfroidement.
—Que faisiez-vous donc dans le parc ? demandaTabitha pour rompre le silence.M’espionnez-vous?
Preston,quinereculaitdécidémentdevantrien,eutmêmel’aplombdeparaîtreoffensé.—Certainementpas!J’aimieuxàfairequedem’occuperd’unefilledevicaire.—Quoidonc?Empruntantl’airhautainquisiedàunduc,ilsoupira.—Iln’yaquetoipourposerdesquestionssiimpertinentes,Tabby…—C’estMlle Timmons, pour vous ; et cessez deme tutoyer. De plus, ma question n’a rien de
choquant,VotreGrâce:quefaisiez-vousauparc?—Jepassais.Ilpassait?C’esttoutcequ’ilavaittrouvécommeexcuse?Devantsonincrédulité,Prestons’entêta:—Apprenezquejeviensicipresquetouslesjours,mademoiselleTimmons.D’ailleurs,jepourrais
vousretournerlaquestion:pourquoiest-cequ’àchaquefoisquejeviensauparcjevousyretrouve?Onpourraitpresquecroirequevousavezunfaiblepourmoi.
—Comment?Maisc’estparfaitement…— Je vous préviens, d’autres ont essayé deme prendre dans leurs filets, et n’ont connu que le
déshonneur.—UniquementparcequeVotreGrâceelle-mêmen’aaucunhonneur,répliqua-t-elle.— Non, Tabby, pas du tout. Seulement, je refuse d’épouser une femme dont je ne suis pas
passionnémentamoureux.Il la serra contre lui—beaucoup tropprès—et continua à parader aumilieuduparcd’unpas
tranquille.Son dernier aveu aurait pu sembler sans importance s’il ne l’avait accompagné d’un regard
enflamméquilalaissasansvoix.
M.Muggins,surleurstalons,avaitobservéleuréchangeattentivement,sanslesquitterdesyeux.Ilexaminaitàprésentsamaîtresse,haletant,commes’ilattendaitsaréponse.
Qu’aurait-ellepudire?Detoutemanière,soncœurbattaitsifortqu’ellenepouvaitreprendresonsouffle.
Jamaisencoreellen’avaittantdésiréunechoseaussiinaccessible…Etrecettefemme…cellequisauraitséduirePreston.Cellequ’ilaimerait.Passionnément.Etrecettefemme,carellesavaitquelgenredepassionilpouvaitéveillerenelle.Aumêmeinstant,Barkwortharriva,rougeetessoufflé.—VotreGrâce!Quefaites-vousavecma…ma…?—Votrequoi,monsieur?réponditPreston,leconsidérantavectoutelahauteurqueluiconféraitson
statut,sanslâcherTabitha.—Mafiancée.Seredressantdetoutesataille,Barkworthledévisageaitsansciller.—Jen’aipasencoreentendud’annoncepublique,rétorqualeduc.IlconsultaTabithaduregardpourqu’elleconfirme,maisBarkworthnelui laissapasletempsde
protester.—Ils’agitd’uneaffaired’ordreprivéquinevousconcernepas.Aprésent,jevoussuggère—non,
jevousdemande—dereposerMlleTimmonsparterre.Immédiatement,ordonnasonpresquefiancéenindiquantdudoigtlesolentreeux.
***
—Sivousinsistez,déclaraPrestontranquillement.IlremitdoncTabithasursespieds,laquelleperditpresqueimmédiatementl’équilibresouslecoup
deladouleur.MaisPrestonl’avaitbiensûranticipéetillarepritimmédiatementdanssesbras.—Commevouspouvezlevoir,MlleTimmonsestblessée.Sans attendre, il reprit son chemin en direction de sa voiture, bousculant Barkworth au passage.
Décidément,cethommeétaitprofondémentagaçant.—Jesuiségalementblessé,lança-t-ilenclaudiquantderrièreeux.Prestonluijetaunrapidecoupd’œilpar-dessussonépaule.—Vousparaissezallerplutôtbien.—VotreGrâcen’a tout demêmepas l’intentionde la porter jusqu’à lamaisonde sa tante ?Ce
seraittoutàfaitinconvenant.Mais Preston aurait bien pu la porter à travers toute la ville s’il l’avait voulu : des années de
négligenceet demalnutrition avaient considérablement aminciTabitha et elle était aussi légèrequ’uneplume.Cegenredemaltraitanceavaittoujourseuledondelefaireenrager.
—Jelaportejusqu’àmavoiture,lâcha-t-ilenaccélérantlepas.Derrièrelui,Barkworthluttaitpournepasselaisserdistancer.— Dans ce cas, pourriez-vous nous raccompagner tous les deux ? Je vous en serais très
reconnaissant.—Désolé,monbrave, iln’yapasassezdeplace, rétorquaPrestonenadressantunclind’œil à
Tabitha.Vousn’aurezqu’ànousrattraperquandvouslepourrez.A ces mots, Barkworth parut retrouver un regain d’énergie et les rejoignit en quelques pas,
examinantTabithad’unairàlafoisanxieuxetfrustré.—Jenevous«rattraperai»pas.MlleTimmonsestmondevoir,monobligation.
Preston se faisait-il des idées, ou bienTabby avait-elle frémi à cesmots ?D’après le peu qu’ilconnaissaitd’elle, ilétaitévidentqu’ellenedevaitpasêtre raviedesavoirque l’ons’occupaitd’elleuniquementpardevoirouparobligation.
«Unefemmeapeudelibertédanslavie»,luiavait-elledéclaré.Et,pourlemoment,lalibertédontelleavaitleplusbesoinétaitdepouvoirdéciderseuledesonavenir.
AvecousansPreston.Cettevéritéétaitdouloureuse,soit,mais,s’ilvoulaitréellementl’aider,c’étaitunrisqueàcourir.—VotreGrâce!Cettejeunefemmeestmienne,insistaBarkworth.— Peut-être bien, mais vous ne semblez pas pouvoir lui donner ce dont elle a besoin en ce
moment…Moi,oui.L’allusionétaitoséeetmêmeTabbyledévisagead’unaircontrarié.Barkworthparuthésiteruninstant,puisilcoupalaroutedePrestonpourl’obligeràs’arrêter.—Aumoins,laissez-moileplaisirdelaportermoi-même,ainsi,nousferonstairelesragots.Exaspéré,PrestonsoupiraetresserraTabbycontrelui.—Monsieur,sachezquejenepartagejamaismesplaisirsetquejenemesoucieguèredesragots.Barkworthmanquas’étranglerdevantuntelméprisaffichépourlesconvenances:ildevintrougeet
semitàsuffoquer.—N’avez-vousdoncaucunhonneur?Prestonréfléchituninstantàlaquestion.—Non,répondit-ilfinalement.Aucun.Enfin, ilatteignit lavoitureetassitTabbysurlabanquetteavantderécupérerlesrênesquetenait
Roxley.Celui-cieutunsoupirsévère.—C’estdonccommecelaquetuéviteslescandale?Preston préféra ignorer sa boutade,maisBarkworth ne semblait pas décidé à lâcher prise. Il se
campaunesecondefoisdevantPreston.Bonsang,qu’ilétaitobstiné!—JereconduiraiMlleTimmonschezelle,déclara-t-il.CequiarrachaunéclatderireàPreston:sesdeuxchevauxfougueuxentrelesmainsincompétentes
deBarkworth?—Vousvoulezconduiremavoiture?Horsdequestion.—MlleTimmonsestmafiancée,répétal’autre.—Etoùsetrouvesasuivante?Barkworth,l’airunpeugêné,piétinauninstant.—Jel’aienvoyéefaireunecourseimportante.—Ahbon?Quoidonc?lançaPreston,quecettegênesoudaineamusaitprofondément.—Jeluiaiditd’allerchercherunmédecin…etmontailleur.Pourappuyersesdires,ilmontralamanchedéchiréedesaveste.Surpris,Prestonjetaunpetitcoupd’œilàTabby.—Vraiment?s’enquit-il.Ellesecoualatêted’unairnavréetdétournalesyeux.Barkworth,lui,restaitplantélà—commes’ilétaitprêtàcampersurplacejusqu’ausoir.—VotreGrâce,votreinterventionn’estpasconvenableetjenesauraisl’accepter.Jevaischercher
unfiacrepourramenerMlleTimmonschezellemoi-même.Prestonleconsidérauninstant,puishaussalesépaules.
—Sivousinsistez.—J’insiste,réponditl’autreenregardantTabby.Jerevienstoutdesuite.Puisils’éloignaàgrandspas.Prestonattenditqu’ilaitdisparu,puisattrapaM.Mugginspourleplacersurlesupportàbagages.
Enfin,ils’assitauxcôtésdeTabby.—Roxley,celanetedérangepasderentreràpied?—Pasdutout,réponditsonamiavecunpetitsalut.Unclaquementderênesmitlevéhiculeenbranle.—Mais,Barkworth…,protestaTabitha.—Cen’estqu’unidiot.Iln’auraitjamaisdûtelaisserseuleavecmoi,murmuraPreston,revenantà
sontutoiementfamilier.
***
Tabithanepouvaitlecontrediresurcepoint.Cependant…—Vousn’auriezjamaisdûintervenir,reprit-elle.—C’estunpeutardpourcela.Deplus,tunedevraispasépousercestupidedandy,Tabby.Ilnete
méritepas.Ilpoussaunsoupirexaspérépuisl’examinaunlongmoment.—Jenelesupporteraipas.Tabithahaussalesépaules,agacée.Peuimportaitqu’ils’agissedePreston,etpeuimportaitqu’illui
ait—encoreunefois—sauvélavie;ellenevoulaitplusentendreunseulhommeessayerdeluidirecequ’elleavaitàfaire.
Ce n’était pas étonnant que la pauvre Agnès Stakes se soit emparée du tisonnier dès sa nuit denoces!
—Situveuxvraimentl’épouser,ajoutaPrestonàmi-voix,jemeretirerai,maisseulementsitumedisquetul’aimessincèrement.
—JedoisépouserBarkworthpourtouchermonhéritage.Voilà.C’étaitdit.Ellen’osapasleverlesyeuxsurlui.Elleavaitenfinréussiàluiavouerlavérité.
Leresteétaitau-dessusdesesforces.—Etsijetedisaisquetuasd’autresmoyensd’héritersansépousertonBarksot?Souslechoc,ellefrémit.Mêmeladouleurdesachevilleparuts’atténuer,l’espaced’uninstant.—Qu’est-cequevousdites?—J’airéfléchiàtoutcela,confessa-t-ilavecunrapidecoupd’œildanssadirection.—Quellesurprise!répliqua-t-elled’unevoixqu’ellevoulaitsévère.—Vas-tum’écouterjusqu’aubout,petitepeste?Ilseglissaadroitementdansletraficdensedesavenues,etpoursuivit:—Jemesuisrenseigné.—Renseigné?—Ausujetdutestamentdetononcle.Surprise,ellerenonçaàfeindrel’indifférence.—Dansquelbut?—N’est-cepasévident?Ilse tournadenouveauverselleetsonsourireenfantin illuminasonvisage—cesourirequi lui
donnaitl’airsivulnérable.
—Jecommenceàpenserquevousn’êtespasleséducteurimmoralquetoutlemondeméprise…Aucontraire,vousêtespeut-êtrefou.
Elleétaitalléetroploin!Gênée,elledétournaleregard.—Oui,jesuispeut-êtrefou.Maisjediraipourmadéfensequej’aiparléavecM.Hathaway,hier
soir.Tuleconnais,j’imagine.Ilestlefrèredetonamie,MlleHathaway.—Chaunce?Ohoui,elleconnaissaitcebonàrien!Detoutemanière,cettehistoireportaitlamarquedeHarry
depuisledébut,toutautantquecelledePreston.—C’estvraimentunhommeremarquable,déclaraPrestonavecsolennité.—Pffff…Ils s’étaient bien trouvés, tous les deux : des vauriens qui semêlaient toujours de ce qui ne les
regardaitpas!Commeàsonhabitude,Prestonignorasonsoupir.—Luietmoisommesdumêmeavis.Noussoupçonnons…—Preston,ilnefallaitpas!—Ecoute-moi,coupa-t-il.Réduiteausilence,elleserralesmâchoires.SiPrestoncommençaitàs’intéresserdetropprèsaux
affairesdeWinstonLudlow,celamettraitenragetouslesTimmons—enparticuliersirMauris.Hélas, le ducn’était pasdugenre à abandonner lorsqu’il avait flairéunepiste,Tabitha le savait
depuislepremierjour.— Demande-toi, reprit-il, où ira la fortune de ton oncle, si tu n’épouses pas le respectable
M.Barkworth?Ses paroles et les sous-entendus qu’elles impliquaient résonnèrent en elle un instant.D’un coup,
Londresparuts’immobiliserautourd’elle.Oui,oùiraitl’argent?—Jenesaispas,avoua-t-elle.Pourquoin’yavait-ellepaspenséplustôt?Souslecoupdel’annonced’oncleBernard,elleavait
dûemballersesaffairespourvenirenville;puiselleavaitétéemportéeparletourbillondesmodistes,desleçonsdedanse,sansprendreletempsdeseposerlamoindrequestion.
—Ehoui,tunesaispas!lançatriomphalementPrestontandisqu’ils’engageaitdanslesruespluscalmesdeMayfair.
—Maismesonclesontditque…Prestonlafittaired’unregard.Iln’avaitpasbesoindeparleretellelesavait.Eneffet,pourquoisesoncles luidiraient-ilsautrechose?Tabithan’étaitpas laseulequiavaità
gagnerenépousantlefuturmarquisdeGrately.Soudain,desbribesdephrasesprononcéesaucoursdecesdernièressemaines lui revinrent,plus
clairesquejamais.«Unemeilleureposition», avait dit un soir tanteAllegra enpensant queTabitha était à l’étage,
occupéeàrangerdesdraps.« Pense aux relations pour les filles », avait souvent répété ladyTimmons à sa sœur quand elle
croyaitquesaniècen’écoutaitpaslaconversation.SanscompterlamanièredontsirMaurissefrottaitlesmainsàchaquefoisqu’ilposaitlesyeuxsur
elle,commes’ilvenaitdedécouvriruntrésorenterrédanssonjardin.—Pensez-vousvraiment……quejen’auraispasàl’épouser?songea-t-ellesansparveniràacheversaphrase.
Prestonneréponditpasdirectement.—Quandatteindras-tutamajorité?—AlaSaint-Jean.—Ah!Ilparutréfléchiruninstant.— J’imagine que cela explique pourquoi tout le monde est si pressé de te marier, reprit-il
finalement.Amonavis, lesconditionsdu testamentde tononclenesontcertainementpas lesmêmesàpartirdetesvingt-cinqans.
Subitement,lesmotsprononcéslaveilleparBarkworthrésonnèrentàsesoreilles.«…jeneseraimajeurequedansunesemaine.—… pourquoi reporter à demain ce que l’on peut faire le jourmême,ma chèremademoiselle
Timmons?Plusvitenousseronsmariés,mieuxcelavaudra.»Unfrissonlaparcourut.Prestonavaitpeut-êtreraison.D’ailleurs,lorsqu’elleavaitencoreessayéderepoussersadécisionfinale,lejourmême,Barkworth
avaitinsisté.«…lameilleurechoseàfairerested’annoncerpubliquementnosfiançaillesdemainsoir.»Etqu’avaitditsonpromis,quandelleavaitvouluprotester?«Tun’esplustoutejeune…»Toutlemondesemblaitdécidéàlamarierauplusviteet,d’unseulcoup,celaéveillaenelleune
multitudedequestionsquiappelaienttoutautantderéponses.—Sais-tucequiarriverasiBarkworthdécidaitdenepast’épouser?insistaPreston,latirantde
sespensées.Adosséeàlabanquette,ellecroisalesbrasdansl’espoirdedissimulersonmalaise.—Hélas,laquestionneseposepas.—Oh!quelleconfianceentescharmes!gloussa-t-il.Tuassuensorcelercetidiotavectonpetit
sourire?—Jepensequ’ilvoitenmoilabeautéd’uneboursebienremplie,répondit-elleavantdeluidonner
unviolentcoupdecoude.Arrêtederire!C’estinsupportabled’êtreconvoitéecommeuneoiegrasseaumarché!
Apeineeut-elleprononcécesmotsqu’elles’interrompit,mortifiée.Ellel’avaittutoyé!Heureusement,riantencoredesontraitd’humour,ilneparutpass’enapercevoir.—Jemarchanderaispourtoisansmêmelaperspectived’obtenirtafortune.—Arrête,répéta-t-elle,griséeparlafamiliaritéquis’établissaitentreeux.—Jevaisfairedemonmieux,maisadmetsquelacomparaisonestamusante.Elle lui lança un regard assassin, et il se tut—mais, au bout de quelques instants, il éclata de
nouveauderire.—Qu’ya-t-ildesidrôle?—JepenseàBarkworth,àsonvisagequand j’ai refuséde te rendreà lui.Cen’estpasétonnant
qu’ilaiteul’airsivexé:jeluivolaissonoiegrasse…—Preston!Ilriaitdesiboncœurqu’elledutsemordrelalèvrepournepasl’imiter.—Tuauraisdûmelaisseraveclui,insista-t-elleencoredansl’espoirdelecalmer,etdesecalmer
aussi.—Jen’aipaseul’impressionquetuvoulaismequitter.J’avaisraison,n’est-cepas?
—Oui,avoua-t-elle, lecœurbattant.Oh!arrêtedesourire!Si jenevoulaispasqu’ilmeporte,c’estseulementparcequej’avaispeurqu’ilmelaissetomber.
—Situledis,répondit-ilavecunclind’œilcompliceensepenchantverselle,bientropprès.LeurscuissessefrôlaientetTabithaeutl’impressionqueleurscorpss’emboîtaientparfaitement.Commes’ilsétaientfaitsl’unpourl’autre.Non,ilnefallaitpasqu’ellepenseàtoutcela…Ilnefallaitpasqu’ellepenseàluicommeàun…Lesbrastoujourscroisés,ellesoupira.—Preston,aprèsavoirdécouvertlavéritéausujetdutestamentdemononcle,jetesuppliedene
plust’immiscerdansmavie.—Non,riposta-t-ilimmédiatement.—Non?—Toutàfait:non,jen’arrêteraipas.—Pourquoi?—Si jem’immiscedans tavie, comme tu ledisavecune telle ingratitude,c’estpourunebonne
raison.Toutenparlant,ilseredressa,commepourasseoirsoncomportementnobleetgénéreux;maiscela
nefitqu’accentuersoncôtédiabolique.Aprèsunlongsilence,elleserisquaàdemander:—Quellebonneraison?—Tafamille,ceBarkworthettoutesleurs«bonnes»relationstedétruisent.—Oui,jesais,tumel’asdéjàdithier.Maisjetesignaleque,sijesuislecentredetouslesragots
aujourd’hui,cen’estàcausenideBarkworthnidemafamille,maisbiendetoi!—Non,machèreTabby.Toutlemondeparledetoiàcausedelarobeindécentequetuportaishier.Biensûr,ilfallaitqu’ilblâmesatoilette!—Oh!non,oubliecetterobe.—J’aimeraisbien…—Tunel’approuvestoujourspas?—Non,répliqua-t-ilfermement,bienquetusoiscertained’éveillerl’intérêtduvieuxGratelygrâce
àelle.Soudainuneidéegravesemblatraversersonespritetvintassombrirsonregard.—Enfait,ajouta-t-il,cettetenuepourraitêtretonéchappatoire:laseulechosequipourraitt’éviter
d’avoiràépouserBarkworth—surtoutsiGratelytevoitavec…—LemarquisdeGrately?Pourquois’intéresserait-ilàmatenue?—Oh!tonfuturoncleparallianceestlevieuxboucleplusjalouxetleplusenvieuxdeLondres.
S’iltevoitdanscetterobe,ilt’épouseralui-mêmeaulieudetelaisseràsonneveu.—M’épouser?Mais,enfin,ilaaumoins…—Quatre-vingtsans,achevaPreston.Iladéjàeuquatrefemmesdansl’espoird’avoirunhéritier
quiremplaceraitlepèredeBarkworth,etdonctonestiméfiancé.Acetteidée,Tabithaneputréprimerunfrisson.—Tucommencesenfinàcomprendre,murmura-t-ild’unairsatisfait.— En fait, je pensais surtout porter cette robe à Almack. Mme Drummond-Burrell a promis
d’envoyerdesinvitations.—AAlmack?Plutôtmourirquedetelaisseryaller!Surprise,ellenesutquerépondre.—Pourquoidonc?C’estunlieutrèsrespectable.
—Unlieuexécrable,rétorqua-t-il.Matanteaétéinsultéeparungoujat,là-bas.—LadyJuniper?Pourtant,jamaisTabithan’auraitcruquiquecesoitcapabled’insultercettefemmesihautaineetsi
sûred’elle.—Oui,insultée.DanslessallesdetonrespectableAlmack.Ettoutcelaparunmalotrudelapire
espèce.—Ques’est-ilpasséensuite?—Ehbien,mononcle—lefrèredeHen—etmoiavonsdûretrouverl’hommepourlecorriger.Tabithaneputs’empêcherdesourire.ElleétaitplutôtcontentedesavoirquePrestons’occupaitde
sesproblèmesfamiliauxavectantdesérieux,mêmesicelaauraitdûêtrelecadetdesessoucis.—Etqu’adittatante?demanda-t-elleencore.—Elleétaitfurieuse.—T’a-t-ellepardonné?—Pire:elleaépousécethomme!Acesmots,Tabithaéclataderire.—Voilàunmauvaisprésagepourmoi…Prestonluilançauncoupd’œilsurpris.—Enquoileschoixmatrimoniauxdematanteseraientunmauvaisprésagepourtoi?l’interrogea-t-
il.—Toninterventionn’afaitquelapousserdanslesbrasdel’hommequetudésapprouvaistant.—JedoutequetusoisassezstupidepourdevenirMmeReginaldBarkworth.Denouveau,ill’examinadespiedsàlatête,commes’illajaugeait.—Non,vraiment,jenetevoispasenBarkworth.—Pourquoipas?D’aprèscequejesais,lesBarkworthviennentd’uneanciennefamillerespectée
quiatoujoursfidèlementservilaCouronneetlepays.—Quiatoujoursfidèlementcirélesbottesduroi,plutôt.Iln’yenapasunpourracheterl’autre:ce
nesontquedeslèche-bottesobséquieuxetméprisants.—Vraiment?Etcelavenantd’unSeldon…—Jet’enprie,laisselesopinionsdetachèreMlleDaleendehorsdeça.Jepeuxtepromettreque
tunetrouverasjamaisunBarkworthnomméàAzincourt,àHastingsouàFlodden!—EtlesSeldon?—Ilsétaientdetouteslesbatailles,assura-t-ilfièrement.Atonavis,commentavons-nousobtenu
tousnostitres?—Decombiendetitresparlons-nous?Ilréfléchituninstant.—Dix,auxdernièresnouvelles.—Dix?Biensûr,ellesavaitqu’ilétaitduc,maisellenes’étaitpasattendueàcela.—Tunemecroispas?reprit-il.Nouspourrionspeut-êtrenousarrêteràlaprochainebibliothèque
pourquetupuissesvérifierdansunexemplaireduDebrett?—Ohnon!s’exclama-t-elleenriant,ceneserapasnécessaire.—Dois-jeendéduirequetuasdéjàvérifié?L’espaced’uninstant,ilparutassezsatisfaitdesapropreimportance,tropsansdoutepourqu’elle
puisserésisteraudésirdelemoucher.Baissantlesyeuxsursesmainsgantées,elleréponditinnocemment:
—Pasdutout.—C’estvrai?—Oui,jura-t-elleenlevantsolennellementlamaindroite.Jen’aijamaisluuneseulelignedecette
célèbregazette.Prestoneutdenouveauunpetitrire.—Tuesvraimentunefemmeétrange,Tabby.Unefemmeextraordinaire.—Peut-être.Pourquoinem’endis-tupasplus?—Aquelsujet?—Surtestitres.SijedoisêtreimpressionnéepartonrangettecompareràBarkworth,jevaisavoir
besoindedétails.—D’accord.JepossèdedoncleduchédePreston.—Cela,jelesavais.—AinsiquelesmarquisatsdeWallingtonetdeBrinsley,poursuivit-il.Deuxmarquisats,etnonun
seul,commeGrately.—Quellemodestie!Prestonécartacettesortied’ungestedésinvolte.—Jejouisaussidetroiscomtés:Kirkburn,DanthropeetDimlington.—Dimlington?répéta-t-ellesanspouvoirréprimerunpetitgloussement.Jamaisellen’avaitentendudenomplusétrange.—TuescomtedeDimlington?—Onnesemoquepasetonnefaitpasledifficilequandleroivousoctroieuntitre.—Oui,jesuppose,admit-elle.Continue.—Enfin,jepossèdequatrebaronnies.—Seulementquatre?—Oui,Cartworth,Castley,Dewsbury-PooleetRylestone.Tabitharecomptalentement.—Celafaitcinq,n’est-cepas?—Dewsbury-Pooleestlenomd’unseuldomaine.—Oh!Dieumerci!Imagineàquelpointtuseraisdépassé,aveccinqbaronnies…Pourtouteréponse,ilsecontentadehausserlesépaules.Passantenrevuelalistedestitresencomptantsursesdoigts,Tabithas’arrêtasoudain.—Tun’espasvicomte?Cettefois-ci,Prestonparutsincèrementoffensé.—Ai-jel’aird’êtreunsimplemarchandanobli?—Oh!justeunpetitpeu…—MademoiselleTimmons,vousmeblessez,lança-t-ild’unairvexé.Vousn’êtesplusTabbyàmes
yeux.Jedevraismêmevousabandonnerimmédiatementsurletrottoir.Commepourconfirmersesdires,iltirad’uncoupsecsurlesrênesetrangealavoitureaubordde
laroute.—Tun’oseraispasmelaisserlà!s’écria-t-elle.Jenesaismêmepasoùnousnoustrouvonsetje
n’airiendansmonréticuleàpartun…Affolée, elle lui saisit lamain pour ramener les chevaux aumilieu de la rue et, durant quelques
secondes,ilsrestèrentlà,lesyeuxdanslesyeux,lesdoigtsentrelacés.Prestonluiadressaunsourireruséet,lagorgeserrée,ellecherchadésespérémentquelquechoseàajouter.
Pourretirersamaindelasienne.
Oh!toutcelaétaitinsensé!Elleavaitl’impressionqueleursoiréeàl’aubergerecommençait…—Sais-tumanierlesrênes?demanda-t-ildoucement,lesyeuxtoujoursintensémentfixéssurelle.Parlait-ildechevauxetdevoitures?Non,ellen’eneutpasl’impression.—Pasdutout,admit-elle,toujoursémueparlachaleuraucreuxdesesdoigts,lachaleurdecette
paumemusclée,decettemaintranquilleagrippantfermementleslanièresdecuir.—Alorsjevaist’apprendre.Ilenroulalesrênesautourdeleursdeuxmains,lesattachantdélicatementensemble.—Nem’as-tupasapprissuffisammentdechoses?—Ohnon,nousnefaisonsquecommencer.Cette promesse murmurée résonna un instant aux oreilles de Tabitha, l’emplissant d’un frisson
nouveau.Puis,rapidement,Prestonseconcentrasurleschevauxetsepenchaàsonoreillepourlaguider.—Lachoselaplusimportanteàsavoirestqu’ilsontbesoindeconnaîtretesdésirs—delessentir.
Soisdoucemaisferme.Tabithafrissonna.—Parles-tuvraimentdevoituresetdechevaux?— Bien entendu ! répliqua-t-il en se penchant plus encore, jusqu’à effleurer son oreille de ses
lèvres.Dis-moi,Tabby,quedésires-tu?Déplaçantdoucementsesmains,ilrelâchalégèrementsapriseafinqu’ellepuisseserrerlesrênes
plus facilement, toutencontinuantde laguider.Sapeauchaude,sesgestesassurés luidonnaientenvied’atteindreautrechose—quelquechosedelointain.Horsdeportée.
Ellelevalesyeuxetsetrouvapresquenezànezaveclui.Commelorsdeleursoiréeàl’auberge…justeavantqu’ilnel’embrasse.
Ilvoulaitsavoircequ’elledésirait?Oserait-elleseulement l’avouer?Là, toutdesuite,saseuleenvieétaitqu’ill’embrasseencore.Qu’illadévore.
Ildutliresondésirdanssesyeuxcarilbaissalatête.Leurslèvress’effleurèrentuninstant,maisilsfurentbrusquementséparésparungrandchoc.
—Rentrezchezvous,lerupin!criaunhomme.Tabithaseredressa,stupéfaite,pourdécouvrirqueleurschevauxs’étaientarrêtésaubeaumilieude
larueétroiteetqu’ilslabloquaientcomplètement—provoquantlacolèred’ungroshommerougeaudquiconduisaitunelargecharrette.
Enfin,quiessayaitdelaconduire.—Quesepasse-t-il?reprit-il.Vouspouvezmêmepasvouspayerunechambre,c’estça?Acesmots,Tabithasentitsesjouess’enflammer.Prestonsaisitvivementlesrêneseténonçatranquillement:—Ladeuxièmechoseàsavoirest:nequittejamaistonattelagedesyeux.Onnesaitjamaiscequi
peutarriver!D’unpetitgeste,ilrepritenmainseschevauxetcontournaadroitementlacharrette.— Désolé, mon brave, lança-t-il au conducteur, qui se contenta de cracher par terre. De toute
évidence, il ne s’est pas trouvé en compagnie d’une lady depuis longtemps, déclara-t-il quelquessecondesplustardavecsasuffisancehabituelle.
Puis,aprèsavoirbifurquédansuneruemoinsanimée,illuitenditdenouveaulesrênes.—Jenesaismêmepasoùjevais,protesta-t-elle.Ellen’avaitjamaisriendirigéd’autrequelapetitevoitureàponeydeHarriet!—Jenelesaispasnonplus,Tabby.Jesuisenterritoireinconnuici…
L’airtranquille,ils’adossaàsonsiègesansquitterlaruedesyeux,nebougeantquepourcorrigerlapositiondesmainsdeTabithaparmoments.
—Vousneconnaissezpascetendroit?N’avez-vousdoncjamaisenlevédefemme?—Oh!onnepeutpasvraimentparlerd’enlèvement,maisplutôtdesauvetage.Detoutemanière,
Roxleymedéfendra.—LordRoxley?—Oui…Jen’aiguèrelechoixpourmadéfense:ladyGudgeonn’estpasvraimentcequel’onpeut
appeler une référence, plaisanta-t-il avant de se retourner pour gratter affectueusement la tête deM.Muggins.Voilàuneaffairebiencompliquée,hein,monchien?Tuasmistamaîtressedansundrôledepétrin…
— Ce n’est pas uniquement sa faute, répliqua-t-elle en les gratifiant tous les deux d’un regardsévère.
Maiselledutrapidementreportersonattentionsurleschevaux.Conduireluidemandaitbeaucoupplusdeconcentrationqu’ellenel’avaitimaginé.
—Preston,jevaisvraimentau-devantdegrosproblèmessijenerentrepasbientôt…—Acepoint-là,monchaton?s’inquiéta-t-ilenreprenantlesrênes.—Oui,murmura-t-elle,émueparcenouveausurnom.—Etoùvitvotrechèrefamille?Elle lui donna rapidement l’adresse et il prit le premier virage. Pendant quelques minutes, ils
gardèrentlesilence,puisPrestondemanda:—Qu’as-tudanstonréticule?—Pardon?Elles’était lentement laisséeallerà imagineruneautreviedans laquelleoncleWinstonluiaurait
choisiunépouxdifférent…Unhommesauvage,dontleslèvresl’auraientbouleverséeparunsimplebaiser.—Tudisaisquetun’avaisriend’autredanstonréticulequ’un…quoi?s’enquit-ilavecungrand
sourire.Peut-êtreunpenny?Tabithapréféradétournerleregard.Siellel’avaitosé,elleauraitsortilepennyéraflédesonsacet
l’auraitjetédanslecaniveau…—Tuasvraimentunebienhauteopiniondetoi-même,répliqua-t-elle.—Ehbien,quandonpossèdeautantdequalités…—Autantdequalités?Ilsouritetsepenchaverselle,leslèvresfrémissantes.—Veux-tuconnaîtrelapluspopulaire?Troublée,ellelerepoussaaussivivementqu’elleleput.—Finalement,celaneteferaitpasdemalquel’ontenommevicomte,dit-elle.—Jenecroispasquel’ondistribuecegenredetitrespourexcellencedansl’artdubaiser,Tabby.—Ahbon?C’estpeut-êtrepourcelaquetonancêtres’estvuconfierlecomtédeDimlington…Prestoneutunairétonné.—Pouravoirembrasséleroi?Voyons,ceneseraitpasconvenable!Lefeuauxjoues,elleneputs’empêcherderire.—Preston,tuesvraimentimpossible.—J’essaiedel’être,entoutcas.Ils se turent quelques instants, mais une question taraudait Tabitha. Une question à laquelle elle
n’avaitencorepaseuderéponse.
—Preston?—Oui,chaton?—Pourquoidétestes-tumangerseul?Ils’assombritbrusquementetsoupira.—Celadatedeplusieursannées…—Quandtesparentssontmorts?Ilacquiesça,leregardnoyédanssessouvenirs.—Passeulementmesparents,Tabby…Mafamilleentière.—Oh!non,souffla-t-elle,lecœurbattant.
***
Alors,illuiracontal’histoire,cettehistoirequ’ilavaitcherchéàoublierdepuissonenfance.Toutesavie, il avait espéréquedes scandales et une réputation sulfureuse suffiraient à éloigner les curieuxpourqu’ilnesoitplusconfrontéàsessouvenirs.
—Lafièvreestarrivéesivite,murmura-t-il.Toutlemondeesttombémalade,moiycompris.—Jemesouviensdelarapiditéaveclaquellemamèreaétéemportée,murmuraTabby.—Oui.J’étaismalade,délirantdefièvre.Jemerappelleavoirvumamèreàmonchevet,puiselle
estpartie.Magrandesœur,Dove,aprissaplaceavantdedisparaîtreàsontour.Puiscefutmavieillenourriceet,quandjemesuisréveillé,iln’yavaitpluspersonne.
—Pluspersonne?balbutiaTabitha,lesyeuxàprésentremplisdelarmes.—Pluspersonnedevivant,entoutcas.J’aierrédanslamaisonpouressayerdetrouverquelqu’un,
n’importequi,maisj’étaisledernier.Mesparents,mesfrères,messœurs,lesdomestiques:ilsétaienttoussoitpartis,soitmortsdansleurslits.
Asescôtés,Tabithafrissonna.—Jenesavaispasquoifaire,avoua-t-il.Jesuisallédanslasalleàmangeretjemesuisassisdans
lefauteuildemonpère.Acemoment-là,jen’aipassongéunesecondequej’étaisdevenusonhéritier,aprèslamortdemonfrèreaîné,Frederick.Jemesuissimplementinstallélàpourmerassurer…
***
Tabithan’osaitplusleregarder.Lasimpleimagedecetenfantvaillantetterrifiépelotonnédanslefauteuildesonpèreluibrisaitlecœur.
—Combiendetempses-turestélà-bas?Là-bas,toutseul…—Deuxjours—dumoins,c’estcequemongrand-pèrem’adit,répondit-ilenlevantlesyeuxsur
elle.Quelqu’unluiavaitenvoyéunmessagepourleprévenirquelamaladieavaitenvahilamaisonetils’étaitimmédiatementmisenroute,maislevoyageétaitlongpouratteindreOwlePark.Jemesouviensencoredumartèlementdesesbottessurlesolenmarbreduhall.Jelerevoisouvrirlaportedelasalleàmangeràtoutevolée,meprendredanssesbrasetm’emporteràLondres.Iln’amêmepasparlé.Etjenesuisjamaisretournéchezmoi.
—Oh!Preston…Tabithaessuyaseslarmesd’unreversdelamain,bouleversée.—Jesuistellementdésolée.—C’estinutile.Tusais,tueslapremièrepersonneàquij’enparle.
Chassant son trouble, Tabitha jeta un coup d’œil autour d’elle. Ils étaient quasiment arrivés à lamaisondesononcleetdesa tanteàprésent.Elleauraitvoulu trouver lesmots justes,desparolesquiapaiseraient la douleur de Preston—mais il n’y avait rien à ajouter. Il y avait cependant une chosequ’ellevoulaitfairedepuisqu’ellel’avaitretrouvé.
—Mercipourlescampanules,murmura-t-elleenselaissantalleràposerunesecondela têtesurl’épauledePreston.
—Cebouquett’a-t-ilaidée?demanda-t-il.—Ilm’afaitsourire…—Parcequecesfleurst’ontrappelétamaison,acheva-t-il.Tabithayréfléchituninstant,perplexe.—Non,paspourcela.Surpris,ill’interrogeaduregard.—Pourquoi?N’ai-jepascueillilesbonnes?Ilsemblaitavoirdumalàtrouverlademeure,etTabithalaluiindiquadudoigt.—Net’inquiètepas,reprit-elle.Lesfleursétaientparfaites.—Alorsqu’est-cequit’afaitsourire?Repensantauxtigesécraséesetauxcorollesfroissées,ellesouritdenouveau.—J’étaistropoccupéeàimagineràquoitudevaisressemblerenlesramassantdanslabouepour
penseràmamaison.Prestonéclataderire.— A quoi je ressemblais ? A un imbécile ! Et j’ai massacré ma plus belle paire de bottes en
pataugeantdanscepré.J’aimêmepeurquemonvaletmequitteenvoyantlesdégâts!Illevalajambepourluimontrersesbrodequins,salesetabîmés.C’étaitcertain:ilneferaitplus
autantd’envieuxchaussédelasorte,songea-t-elleenriant.—Tuvois?Ellessontirrécupérables,etjetetienspourresponsable!—Celanem’étonnepas,répliqua-t-elle,lagorgesoudainnouéedevantleporchedelamaisonde
lordetladyTimmons.LeriremourutlentementsurleurslèvresetPrestonluipritlevisageentresesmains,l’airgrave.—Tabby,sais-tuquetunecessesdemesurprendre?—Etsavez-vousquevousmesurprenezaussi,VotreGrâce?parvint-elleàchuchoterensouriant,le
soufflecourt,selaissantalleràcettecaresseinattendue.Spontanément,ellerelevalatêteetfermalesyeux,prêteàrecevoirsonbaiser.Mais,une foisdeplus,ReginaldBarkworth fitmontredesonuniquequalité : sonartd’entreren
scèneaubonmoment.
***
—MademoiselleTimmons!lançalavoixdeM.Barkworth.Tabbysefigeaimmédiatement,seslèvreseffleurantpresquecellesdePreston.Seigneur,elleétait
déshonorée!MaisPrestonserepritrapidement,soupiraet lui lançaunpetitclind’œilrassurantavantdefaire
minederajustersonbonnet.—Jen’apprécievraimentpascettemodedeschapeauxportésdetravers,mademoiselleTimmons,
dit-ild’unevoixforteavantdel’examineruninstantetd’ajouteràl’intentiondeBarkworth:Voilàquiestmieux.
—VotreGrâce!s’écriaBarkworth,lâchezmafiancée!Prestonpoussaunsoupirexaspéré.—Comment pourrais-je la lâcher quand je ne la tiensmême pas ? répliqua-t-il avec un regard
incréduleversTabitha.Unregardquisemblaitvouloirdire:«Sais-tudequoiilparle?»Gênée, Tabitha leva les yeux à son tour et découvrit non seulement Barkworth, debout sur les
marchesetfigédansuneexpressiond’horreur,maisaussiladyAncil,leslèvresaussipincéesqu’àsonhabitude,ainsiquelordetladyTimmons.Derrièrecepetitgroupe,ellevitmêmeapparaîtrelevisagedeHarriet,laquelledevaitsedressersurlapointedespiedspourassisteràlascène.
Elleétaitmêmeprêteàparierquesescousines,dépitéesdenepasavoirdeplaceaupremierrang,s’étaientpostéesderrièrel’unedesfenêtrespournerienraterdesadisgrâce.
Quoi qu’il en soit, Barkworth ne resta pas immobile bien longtemps. Il se précipita jusqu’à lavoitureettenditlamainàTabitha.
—Venez,mademoiselleTimmons,avantd’êtretotalementdéshonorée…Fidèleàlui-même,Prestonsepenchapourlesaideretmurmura:—Quivousditquecen’estpasdéjàlecas?Puisiladressaunclind’œilàladyAncil,toujourspétrifiéesurleseuil.—VotreGrâce,vousn’avezdécidémentriend’ungentleman,déclarafroidementBarkworth.Lesdeuxhommessedévisagèrentuninstant,commedeuxcoqsprêtsaucombat.Ilscommençaient
vraiment à agacer Tabitha. Tous les deux. Preston, qui ne pouvait pas s’empêcher de suggérer qu’ill’avaitdéshonorée,etBarkworth,quiétaittellement…Barkworth!
Exaspérée,ellerepoussalamaintenduedesonpromisetdescenditseuledevoiture.Hélas,auboutdequelquespas,unedouleuraiguëluivrillalacheville.Ellepoussauncrietdutserattraperàlacalèchepournepastomber.M.Mugginsseprécipitaverselleetlacouvad’unregardanxieux.
Sefrayantuncheminjusqu’aubasdesmarches,Harrietvintàsonsecours.—Tabitha!Ques’est-ilpassé?s’exclama-t-elle.—Jemesuis tordulachevilleauparc,expliqua-t-elleaprèsavoirpris lebrasdesonamiepour
rejoindrelamaison.—Barkworthnenousapasditquetuétaisblessée,réponditHarrietàvoixhaute,avecunregard
sévèreendirectiondelordetladyTimmons,ainsiquedeladyAncil.LadyTimmonsexaminarapidementsanièce,deloin.—Qu’est-cequ’ilt’afait?—Riendu tout.Leducm’a simplement ramenéeà lamaisonaprèsmachute. Il était là, avec sa
voiture,etcommeilparaissaitimprobablequeM.Barkworthsoitcapabledemeporterjusqu’ici…LadyAncillacoupaparunraclementdegorgeindigné,maisTabithan’yprêtaaucuneattention.—…SaGrâcem’aproposédemeraccompagner.Asescôtés,Harrietfulminait.—M.Barkworthnousaracontéunehistoireahurissante,prétendantqueleduct’avaitenlevée.Ila
ditqueM.Mugginsavaitattaquéunepassanteetquelui—Barkworth,jeveuxdire—s’étaitblesséenlasauvant.
Elleeutunsoupirexagéré,avantdepoursuivre:—J’aitoutdesuitecomprisqu’ilavaittoutinventé,maispersonnen’avoulumecroire.—Toutcelaestridicule!protestaTabitha.Jesuistombée,etleducm’aramenéedanssacalèche,
c’est tout. Franchement, je ne vois pas ce qu’il y a à redire à ce geste bienveillant, et pourquoiM.Barkworthajugénécessaired’inventerunetellehistoire.
Prestonn’avait-ilpasassuréqu’ellepouvaitchoisirparelle-même?Celaavaitsuffiàallumerunfeuderébellionenelle.Deplus,elleavaitencoremanquéuneoccasiondel’embrasser…
Soncœurbattaittoujoursunpeutropfortet,lorsqu’ellerepensaauxlèvresdePreston,siprochesdessiennesavantl’irruptiondeBarkworth,safrustrationatteignitsoncomble.
LadyAncil,quiparaissaitlasse—ousimplementinquiètequeBarkworths’emporteetfinisseparprovoquerPrestonenduel—,appelasonfils.
—Reginald,nouspartons.PuisellesetournaavecraideurverslatantedeTabitha.—Toutcelaest impardonnable. Jen’acceptepasquemon fils soit ridiculisépar l’inconduitede
cettejeunefillequimanqueàtoussesdevoirs.LesBarkworthsonttrèsexigeantssurlesconvenancesetvotrenièce…
Ellen’achevapassaphrase,maissonairdégoûténelaissaaucundoutequantàsonopinion.—LadyAncil!s’écrialadyTimmons,vousnevoulezpasdireque…Qu’elledésiraitquesonfilsannulelesfiançailles?Tabithacroisalesdoigtsenexaminantlesdeux
femmestouràtour.Siseulementc’étaitaussisimple!— Je serai parfaitement claire, reprit ladyAncil. Ecoutez-moi bien : gardez cette fille sous clé
jusqu’à ce que lemariage ait eu lieu ou je vous tiendrai pour personnellement responsable de ce quiarrivera,ladyTimmons.
LatantedeTabithapâlit.—Manièceestinnocentedanstoutecetteaffaire.CesoutiensiinespérésurpritTabitha.Non,satantenesesouciaitpasréellementd’elle,ellepensait
àsaréputationetàcelledesesfilles—sesfillesàmarier—,qu’elleprotégeait.—Toutlemondeàl’intérieur!ordonna-t-elleenindiquantlaportedudoigt.EllesetournaensuiteversPreston.—VotreGrâce,monépouxetmoi-mêmesommesvosdébiteurspourl’aidequevousavezapportée
ànotrenièce,maisnousn’avonsplusbesoindevosservices.—JecroisquetatantevientderenvoyerleducdePrestondechezelle,glissaHarrietàTabitha.LadyTimmonsneconnaissaitpastrèsbienPreston,c’étaitévident:iln’étaitpasdeceuxquel’on
pouvait«renvoyer»d’unmot.D’ailleurs,unetellemenaceneferaitqu’excitersongoûtdudéfi.Tabithaeutàpeineletempsdel’apercevoirunedernièrefoisavantquesononcleclaquelaporte.
Bienque l’imagedesamâchoirebiendessinée,deses lèvressi sensuellesetdesesyeuxsi lumineuxsuffiseàluifairebattrelecœurplusfort,unseulregardsurlesvisagesgravesetsévèresdesononcleetde sa tante le glaça immédiatement.Une fois encore, elle se prit à souhaiter n’avoir jamais rencontréPreston.
***
—Hathaway!Vousvoilà!Chaunceyouvritunœilensommeilléetaperçut la silhouetted’un jeunehommecampédevant son
fauteuil. Souriant et contenantmal son impatience, il ne travaillait sans doute auministère que depuisquelquesmois.
Sinon,ilneseraitpassisatisfaitdel’avoirdécouvertici…D’ailleurs,Chauncen’avaitaucuneenvied’êtredécouvertparquiquecesoit.Ilavaitpassélaplus
grandepartiedelanuitàerrerdanslesbureauxdésertsdeKimball,DunningtonetPennymanet,après
toutcela,n’avaitréussiàs’accorder—iljetaunregardendirectiondelagrandehorlogeaccrochéeaumur—qu’unepetiteheuredesommeilavantdeseprécipiterauWhitepouryretrouverleducdePreston.
Bien sûr, il avait prétendu avoir un ami travaillant à cette étude,mais cela n’avait été que pourempêcherl’amideRoxleydefaireunebêtise.
IlconnaissaitdepuislongtempsleshommescommePreston:leducauraitétécapabled’entrerentrombe dans l’étude de l’avoué, brandissant ses titres et donnant des ordres, sansmême penser qu’uncommis serait immédiatement envoyé chezGrately. Barkworth aurait été prévenu sans tarder, puis sirMauris,ettoussauraientcequisetramait…
Enmoinsdeuneheure,ilsauraientforcéTabithaàmonterdansunevoitureetl’auraientemmenéeàGretnaGreen.
Non, cela n’aurait jamais fonctionné etChaunce savait parfaitement queHarry l’aurait tenu pourresponsabled’unetellecatastrophe.«Unehorribletragédie»,aurait-ellesansdouteditavantdepasserlesdixannéessuivantesàselamenter,àrépéterqu’ilauraitdû«fairequelquechose»poursauversonamie.
Elle blâmait encore son frère pour avoir perdu sameilleure canne à pêchedans l’étangquand ilavait quatorze ans et elle seulement dix. Combien de temps l’aurait-elle accusé pour avoir condamnéTabitha?
Ilvalaitmieuxnepasprendrederisquesetc’étaitpourcelaqu’ilavaitpriscettedécision.Ilavaitmenti;puisilavaitfaitcequ’ilfaisaitlemieux…Ilétaitremontéàlasource.
Néanmoins,celan’avaitpasétéfaciledes’introduiredans l’étude,dedécouvriroùétait rangéletestamentdeWinstonLudlow,d’enrecopierlespointsessentiels,puisdefuirTemple’sInnavantd’êtresurpris.Ilavaitbienfaillisebriserlanuqueensautantdelafenêtredupremierétageetavaitensuiteétépourchasséparl’undesgardesbienplusloinqu’ilnevoulaitl’admettre.
Enfacedelui,lejeunehommepiétinait,l’airgêné.—Monsieur,onvousdemandeauministère.Immédiatement,déclara-t-il.Chaunceledévisageauninstant,sansprendrelapeinedeselever.Detoutemanière,iln’auraitpas
réagidifféremments’ils’étaitagid’uncollègueplusâgé…Encore à moitié endormi, il se frotta l’arrière du crâne. Sa chute avait laissé de douloureuses
séquelles…Laprochainefoisqu’ilvoudrait«remonteràlasource»,ils’arrangeraitpourquecelasepasseaurez-de-chaussée!
—Monsieur Hathaway, répéta le jeune clerc en lui secouant l’épaule. Le ministre nous a tousenvoyésàvotrerecherchedepuisminuit.Ilveutsavoiroùvousétiez.
Detouteévidence,lejeunehommeétaittoutaussicurieuxqueleministre—neserait-cequepouravoirunragotàrapporteraubureau.
J’aitrouvéHathawayauWhite,aussisoûlqu’onpeutl’être,etvousnedevinerezjamaiscequ’ilafait…
—J’étaisici,réponditChaunce.J’aidûm’assoupir.Seigneur,quellenuit!Il valaitmieux que leministre n’apprenne jamais qu’il avait passé une nuit blanche pour rendre
serviceàunducécerveléquineserendaitmêmepascomptequ’ilétaitamoureux.—Sivousledites,monsieur,repritlejeunehommed’unairpeuconvaincu.Sivousvoulezbienme
suivre,unevoiturenousattenddehors.—Jenesuispasprêt.J’aiencoreunechoseàfaireavantdepartir.Soudain,ungrandconcertdecriss’élevaduhalletChauncesepenchapourexaminerlascène.Bien
sûr,aumilieudel’assemblée,ilreconnutlasilhouettedeRoxley—luiseulpouvaitprovoquerunetelleagitation.
IlpourraitsansdouteluidireoùtrouverPreston.—Leministreadit…,balbutialejeunehommeavantdes’interrompresousleregarddeChaunce.S’ilcontinuaitàfairetantdezèle,cegaminfiniraitparprendredugalon.—Oui, oui, je suis sûr que lordMain-de-fer vous a dit deme traîner hors d’ici,même si vous
deviezmepasserlesmenottespourcela.Ilse levapéniblementsansquitter leclercdesyeux.Heureusement, ilmesuraitunebonne têtede
plusquelegamin,celapourraitl’aider,aubesoin.—Enavez-vousapporté,desmenottes?Lejeunehommereculad’unpasetjetauncoupd’œilnerveuxautourdelui.—Biensûrquenon,souffla-t-il.NoussommesauWhite!—C’estbiencequejepensais.M’accorderez-vousdoncuninstant,monsieur…?—Hotchkin.—Oui,bien.Hotchkin,j’aiuneaffaireàréglericiavantquevousnemetraîniezdevantleministre
etquevousaccomplissiezvotremission.Sansattendrederéponse,ilrepoussaHotchkinetentrepritderejoindreRoxley,noyédanslafoule,
affrontantunhomme.—Unereconnaissancededette?s’exclamaitRoxley.Poggs,vousavezperdu—àlaloyale—et
jamaisvousn’avezindiquéquevouspaieriezvotredetteavecunereconnaissance!Lecomtesetrouvaitmaintenantnezànezavecsoninterlocuteur.Unbaron,silamémoiredeChaunceétaitcorrecte.LordPoggsavaitl’airprofondémentoffenséparlacolèredeRoxley.—C’esttoutcequejepeuxfairepourlemoment,milord,etmonoffreesthonorable.L’undemes
chevauxcourtcetaprès-midietdèsquejetoucheraimesgains…—Dèsquevous toucherezvosgains? s’étranglaRoxley. J’ai lespochespleinesdecegenrede
promessesetpersonnen’ajamaisencorehonorésesdettes!Pourpreuvedecequ’ilavançait,iltiraunepoignéedefeuilletsdesavesteetlestenditdevantlui.—Ilvafalloirquevoustrouviezdesboursesmieuxgarniesàpiller,hein,Roxley?s’exclamaune
voixdanslafoule.Lecomteseretourna,prêtàfrapper lepremierqui lui tomberaitsouslamain.Ilétait tempspour
Chauncedes’interposer.—Milord,puis-jevousparleruninstant?lança-t-ild’unevoixfortepourcouvrirlebrouhaha.—Quoi?répliquafurieusementRoxley.Décidément, il paraissait toujours plus ou moins soûl… Heureusement, Chaunce le connaissait
mieuxquecela.—Ah,Hathaway!s’écrialecomteenl’apercevantenfin.Espècedebrigand!Quefais-tulà?—Sais-tuoùjepourraistrouverPreston?J’aidesinformationspourlui,expliquaChaunceenlui
tendantlesquelquesfeuillessurlesquellesilavaitgriffonnésesnotes.—DesinformationspourPreston?Roxleyparutdéconcerté,puisunelueurilluminasonregardvoilé.—Ah,oui!Cesrenseignements-là!Tun’asqu’àmelesconfier.Chauncehésitauninstant,maisRoxleyreprit:—Bonsang,net’enfaispas,jelesluiporterai.Jelogechezlui,aumoinsjusqu’àcequematante
rentreàKempton.Il tendit lamainmais, commeChaunceneparaissait toujourspas convaincu, il insistad’ungeste
impérieux.
—MonsieurHathaway,enavez-vousencorepourlongtemps?lançalejeuneclercderrièrelui.Toutcetapagenefaisaitdéfinitivementrienpourapaisersonmaldetête.Cegaminfiniraitsoitàla
placeduministre,soitnoyédanslaTamise,s’ilcontinuaitàsemontreraussiagaçant!Pressédetoutesparts,ChauncefinitparconfiersesnotesàRoxley—malgrésesréticences.—SitunetrouvespasPreston,disàHarryque«ladameenquestiondoits’arrangerpourquele
gentlemanannule».—Annule?demandaRoxley,l’airplussoûlquejamais.—Oui,disàHarryqu’ellesdoiventtrouverunesolutionpourqu’ilannule.Ellesauraquoifaire.—Harrysaittoujoursquoifaire,réponditlecomteenfourrantlespapiersdanssapoche,aumilieu
desreconnaissancesdedettesetautresbêtisesqu’ilyentassait.DonnerlespapiersàPrestonetrendrevisiteàHarry.S’arrangerpourqu’ilannule.C’estbon,jem’encharge.
C’étaitbiencequiinquiétaitChaunce,maisquelautrechoixavait-il?Ilnepouvaitpassepermettredeperdreuneheuredeplusàcherchersasœurouleduc…
De plus, le clerc qu’on lui avait envoyé pour le ramener àWhitehall paraissait aussi têtu qu’unenquêteur—etprêtàmordresinécessaire.
—Bien,Hotchkin,vousavezl’honneurdem’avoirtrouvé,luidit-il.Veuillezm’accompagner.—Oh!merci,monsieur!s’écriaHotchkin,enthousiaste.Chaunce ne put réprimer un sourire. Ce gamin devait fraîchement sortir de Cambridge, sinon il
sauraitqu’on jette toujours lemessagerenpâture…LevieuxMain-de-ferne sepriveraitpaspour leshouspillertouslesdeux.
Hotchkinseraitconsidérécoupableparassociation—c’étaitunrefrainconnu.Tout en descendant l’escalier d’un pas vif, le clerc sur ses talons, Chaunce entendit de nouveau
Roxley:—Sivousdevezmelaisserunereconnaissancededette,alorsenvoyezchercheruneplumeetde
l’encre.J’étaispourtantcertaind’avoirunefeuilledepapier,quelquepart…Pourunefois,Chaunces’efforçad’ignorerl’avertissementquis’éveillaenlui.Décidément,Harryneluilaisseraitjamaispasserlamoindreerreur…
Chapitre13
Enferméedanssachambre,Tabithaauraitaumoinsvoulupouvoirarpenterlapiècedelongenlargepour calmer sa frustration. Hélas, sa cheville enflée lui interdisait même cette faible consolation.Allongéesursonlit,lepiedposésurunépaiscoussin,elleembrassasaprisonduregardetsoupira.
Daphnéavaitbeauêtrelàpourluitenircompagnie,ellerestaitpenchéesursonbureau,occupéeàrédigerunelettreensilence.Elleécrivaitprécipitamment,contrairementàseshabituellescompositionssoignées.
Elles entendaient la clochette de l’entrée sonner de temps à autre, ou sirMauris qui longeait lecouloir,maispersonnen’entraitdans leur chambre—pasmêmeEloisa, simalveillante,quidevait seréjouirdecettesituation.
Nonquecesoitunmal:DaphnéavaitjuréàTabithadecoudrepersonnellementdesplumessurtousleschapeauxdesafunestecousinesielleosaitfrapperàleurporte.
SaseuledistractionavaitétéHarriet,quiavaitaperçuRoxleyprèsdumurdujardinets’étaitglisséedehors pour aller lui parler, sans se soucier des menaces de lady Timmons qui avait promis de lesrenvoyertouteslestroisàKemptonendisgrâcesiellesosaientsortirdeleurchambre.
Tabitha soupira de nouveau. Il s’était passé tant de choses avec Preston depuis lematin— sonsauvetage,leurpromenade,lamanièredontilluiavaittenulesmains,sesaveuxsursonpassé…
Ilavaitdenouveauravisoncœuret,enyrepensant,ellesentitdeslarmesperlersoussespaupières.Auboutd’uninstant,percevantunregardposésurelle,ellelevalesyeuxpourdécouvrirDaphnéquiladévisageait.
Ellenes’étaitmêmepasaperçuequelalettreétaitàprésentsoigneusementpliéeetcachetée.—Jepensequejetedoisdesexcuses,ditdoucementsonamie.—Queveux-tudire?—Barkworthn’estpasdignedetoi…—Mêmes’ilestunparfaitgentleman?plaisantaTabitha.Mêmes’ilhériterapeut-êtred’untitreet
deterres?Daphnéhaussalesépaulesavantdeplacerlalettreàlaquelleellevenaitderépondredansunepile
attachéeparunrubanrouge.Avant queTabithanepuisse l’interroger sur ce changement d’avis si brusque,Harriet reparut, le
soufflecourt.—J’aidebonnesnouvelles,déclara-t-elleavantdetirerdesapocheunelettrecachetée,etjepense
que cela en contient demeilleures encore. Je l’ai volée dans l’entrée avant que tes cousines ne s’enemparent.
Tabitha,surprise,sentitsoncœurbattreplusfort.—Est-elledePreston?—Non,deBarkworth.S’affalantunefoisdeplussursonoreiller,Tabithadétournaleregard.Ellen’avaitaucuneenviede
lirecemessage,quineseraitsansdoutequ’unesévèreleçondeplussursonmanquedetenue.—Tabitha, il peut s’agird’excellentesnouvelles, insistaHarriet en lui glissant la lettredans les
mains.Lis-la.Vite!Jemeursd’impatience…Avecunnouveausoupir,Tabithabrisalesceauextravagantetparcourutrapidementlamissive.—Ilveuttoujoursm’épouser,conclut-elle.Quelle pouvait être la raison qui poussait cet homme qui tenait tellement à la réputation de sa
familleàignorertoussesmanquements?Iln’yavaitqu’uneexplication:lafortuned’oncleWinston.—Ilmaintientcemariage?s’étranglaHarriet.C’esthorsdequestion!—Tucrois?aboyaTabitha,àboutdepatience,avantderegretterlasécheressedesonton.Heureusement,Harrietn’enpritpasombrage.—Net’enfaispas, tuas toutes lesraisonsd’êtreencolère ;mais j’apporteaussiunmessagede
Roxley.Monfrèreluiadonnédebonnesnouvelles.Acesmots,Tabithasentitsoncœurs’envoler.—Ausujetdutestamentdemononcle?—Oui!L’airsurpris,Daphnéseredressa.—Dequoiparlez-vous?Tabithadutluiexpliquerrapidementcequis’étaitpassédanslavoiture.— Eh bien, Preston… je veux dire, Sa Grâce, pense que le testament de mon oncle contient
probablementuneclausemepermettantd’héritersansavoiràépouserBarkworth.—Pourquoin’yavons-nouspaspenséplustôt?repritDaphné.Harrietacquiesçavivement.—Chaunceaprocuréunecopieauducet,aucasoùcelui-cinepuisseteparleràtemps,ilaenvoyé
Roxleypournousdonnerdesinstructions.Enfait,uneseuleinstruction…Daphné bondit au chevet de Tabitha pour lui saisir la main, qu’elle broya presque dans son
excitation.—Quelleinstruction?Harrietprituneprofondeinspiration,puisdéclara:—NousdevonsforcerBarkworthàannuler.—Annuler?repritDaphné.Biensûr,quellebonneidée!Oui, c’était une bonne idée. Seulement, il y avait un problème, et Tabitha, désespérée, sentit sa
gorgesenouerdenouveau.—Celan’arriverajamais.MaisHarrietnevoulaitpass’avouervaincue.— Il avait l’air prêt à annuler cet après-midi même, et n’oublie pas que sa mère a menacé
d’abandonnertoutprojetdefiançailleslorsqu’elleasermonnétatante.— Elle peut proférer toutes les menaces qu’elle veut, répondit Tabitha en relisant la lettre de
Barkworth,écoutezcequeditsonfils :endépitdemon«manqueprofonddecompréhensionpour lesconvenances,compréhensionattenduedelapartdelafuturemarquisedeGrately»,ilm’écritquesamèreet lui feront de leur mieux pour m’apprendre ce que je dois savoir et s’assurer que je sois prête àaccomplirmes«devoirs»avantl’arrivéedujourmalheureuxquimeverraélevéeàunesihauteposition.
MêmeDaphnéfrissonnaàcetteidée,sansdouteàcauseduterme«devoirs».En effet, la seule pensée d’accomplir ses « devoirs » avecBarkworth suffisait à rendre Tabitha
malade.—Jenepeuxpasl’épouser,lâcha-t-elle.Jenepeuxpas…—Jesuisd’accord,ajoutaDaphné,s’attirantunregardsurprisdelapartdeHarriet.—Tuesd’accord?Sonétonnementsecomprenaitaisément : jusque-là,Daphnéavaitété leplus ferventdéfenseurde
Barkworth.— Quoi ? répliqua-t-elle vivement. N’ai-je pas le droit de changer d’avis ? En le fréquentant
davantage,jemesuisaperçuequecethommen’estqu’unporcinsupportable,c’esttout.—Oui,celaparaîtévident,murmurasèchementHarriet.Jetantunregardexaspéréàsonamie,Daphnépoussaunprofondsoupir.—Honnêtement,lefaitqu’iltienneàcepointàt’épouser,mêmeaprèstoncomportementdéplacé…—Monquoi?protestaTabitha,maisellefutviteinterrompueparunregardglacial,sitypiquedes
Dale.—Oui,toncomportementscandaleux.Lefaitquecelan’aitpassuffiàlefairerenoncerprouvebien
qu’ilnet’épousequepourtonargent.Iln’adoncriend’ungentleman.Elleponctuasaphraseparunpetithochementdetêtenavré:l’idéed’unmariageuniquementmotivé
parl’intérêtsemblaitlarépugner,endépitdusenspratiquedontellefaisaitpreuvehabituellement.— Pas un gentleman ? C’est une vraie ganache, oui ! renchérit Harriet. Encore une expression
qu’elleavaitdûapprendredesesfrères…—Oui,eneffet,admitDaphné.—Prestonm’a promis dem’aider àme débarrasser de lui,mais que dois-je faire ? Barkworth
m’écritquesononcleaprévud’annoncernosfiançaillesdemainsoir!Tabithafrissonnad’horreur.Unefoislanouvellerenduepublique,ellenepourraitplusreculer.Songeuses,HarrietetDaphnés’affalèrentsurlepetitdivan.Finalement,Harriets’écria:— Il y a toujours lamalédiction deKempton !Barkworth pourrait devenir fou durant la nuit de
nocesettelaisserlibre,entantquejolieveuve.Daphnépoussaunsoupirexagéré,commesiellen’avaitjamaisrienentendudesistupide.—C’estlamariéequidevientfolle;Barkworth,lui,finiraitjustemortetenterré!Non,c’esthors
dequestion:mêmeunidiotcommeBarkworthneméritepasdepérirainsi…—Entoutefranchise,sijedoisvraimentl’épouser,ilesttoutàfaitpossiblequejedeviennefolle,
avouaTabitha.—Tun’asqu’àrefuser,repritDaphné.Aprèstout,ilsnepeuventpast’yobliger.—Hélas, je crains que si, coupaHarriet.Tabitha, j’ai entendu tes cousines parler quand je suis
descendue.TononcleBernardaétérappelédeKemptonpourofficieràlacérémonie,etiln’auraaucunscrupuleàtemariercontretongré.J’aibienpeurquetun’aiesguèrelechoix.
—Seigneur,soupiraDaphné,qu’allons-nousfaire?Non,songeasoudainTabitha,pas«nous»,«lui».—IlyatoujoursPreston…—Leduc?Quepourrait-ilfaire?Lecœurbattant,Tabithaglissalamaindanssapochepourcaresserlasurfacerayéedupenny.—Avecunpeudechance,quelquechosedescandaleuxetd’impardonnable.Maisplusellesongeaitàluidemandersonaide,peut-êtremêmeàlesupplierdeladéshonorer,plus
ellecomprenaitqu’elleenseraitincapable.
Biensûr,lesconséquencesseraientgravespourelle,maispourlui?Ellenepouvaitluidemandercela—etprendreparlamêmeoccasionlerisquequesononcleetsatantelelaissentseul.
S’illasauvait,ceseraitsansdouteluiquisouffriraitleplus…
***
Lesoirsuivant,Prestonrentrachezlui,radieux.Tabby,petitediablesse!Elleavaitsuprovoquerunecertaineagitationensociété.Ilavaitpasséles
dernièresvingt-quatreheuresàrépondreàdesdizainesdequestionsàsonsujet.Oùavait-ilrencontréunetellecréature?Etait-ilvraiquesonchienavaitforcéladyGudgeonàseréfugierdansunarbre?«Non,justesurun
banc»,avait-ilcorrigé.Avait-elledessœurs?Oùpouvait-ontrouverunchiencommelesien?Prestonavaitfaitdesonmieuxpourignorerlesremarquesquiluirappelaientqu’elleétaitpromiseà
unautre.Detoutemanière,cethommenelaméritaitpas.Etilnel’auraitpas;pasaprèslafureurqu’ilavaitsuprovoquerchezBarkworthenraccompagnant
TabbychezsononcleetlesbonnesnouvellesqueRoxleyluiavaitdonnéesquandilss’étaientrencontrésauWhite,quelquesheuresplustôt.
SiBarkworthannulait,Tabbyseraitlibre.Libredetouchersonhéritageetdechoisirsavie.Sansdouterentrerait-ellechezelle,àlacampagne,danssamaisonauxchambresconfortablesetaux
largescheminées,oùellepourraitcoulerdesjoursheureuxentouréeparsesamisetsafamille.Quantàlui,ilserait…Ils’immobilisasoudaindevantlaported’entrée.Oui,quelleseraitsaplace,
danscecontedefées?IlseraittoujoursàLondres,loind’elle.Non,ilfallaittrouverautrechose.—Bienvenue,VotreGrâce,lançaBenley,sonmajordome,quivenaitd’ouvrirlaporte.Il conservait en toute circonstance le respect compassé que l’on attendait d’un domestique
londonien,maisavaitlapéniblehabituded’interromprelespenséesdesonemployeur.—Jesuisravidevousvoir,Benley!réponditnéanmoinsPreston.Oùsontlesautres?—Danslesalonrouge,VotreGrâce.Une foisdans lehall,Preston ralentit lepas et inspecta leguéridonoù l’ondéposait le courrier.
Depuisplusieurssemaines,leplateaudemeuraitvideetilavaitperdul’habituded’yfaireattention;maisaujourd’huilatableétaitrecouvertedelettres.
—EncoredescœurssolitairespourHenry?—Oui,VotreGrâce,acquiesçaBenleyavecsondétachementhabituel.Prestonréprimaunpetitrire.—Celanepeutpasêtrequecela:ondiraitquelamoitiédeLondresnousaécrit!—Lamoitiéféminine,VotreGrâce.Pauvre Henry… Preston l’aurait presque plaint — surtout depuis que Hen avait décidé de lui
trouverunefemme,àluiaussi.Chassantcesoupçondeculpabilité,ilgrimpal’escalierquatreàquatreets’arrêtasurlepalierde
l’étage.Desvoixvenaientdu salon rouge et, lorsqu’il ouvrit laporte, il découvritHendansune robemagnifique,commesielles’apprêtaitàsortir.SonfrèreetRoxleyétaientlàaussi.
—Jet’aipourtantditquejevoulaisquetum’accompagnes,cesoir,disait-elleàHenry.Jetel’aiditcematin,aupetitdéjeuner!
—Bonsang,Hen,turacontestantdechosesdèslematin…Tun’espèresquandmêmepasquejemesouviennedetout?
Prestonconnaissaitcettescèneparcœur.HenadoraitsortiretHenryenavaithorreur.Endépitdesonavantageuxstatutdeveuvequilalaissaitbeaucouppluslibredesesmouvements,Hentenaitàtoutprixàobserverlesconvenancesetnequittaitjamaislamaisonsansescorterespectable—Henryou,àdéfaut,Preston—ousanschaperonconvenable—l’unedesvieillesamiesdesamèreparexemple.
—DemandedoncàRoxleydevenir avec toi, repritHenryavecun signede têteendirectionducomte,quiétaittranquillementinstallédevantlefeu,lesjambestendues.
—Moi?lança-t-il,commeréveilléensursaut.IlesthorsdequestionquejepasselasoiréechezGrately!Onymangetoujoursaffreusementmal.
Soudain,ilaperçutPrestonetsonvisages’illumina.—Voilàvotredépravédeneveu!Vousn’avezqu’àleluidemander,qu’ilpaielesviolons…—Ah,Preston!Tevoilàenfin,jen’ycroyaisplus,fitsèchementHensansmêmeleverlesyeuxsur
lui.—Jevisici,tusais,répondit-ilavantdeseservirunverredebrandy.—Eneffet,et ilsembleraitquejen’yviveplustrèslongtempsmoi-même.Honnêtement,avais-tu
besoindeprovoqueruntelscandale,auparc,hier?—Pourquoi?Son verre plein, Preston poussa Henry pour qu’il lui laisse une place sur le divan avant de
reprendre,lesbrascroisés:—Jecroyaisquetuvoulaisquejedevienneunexemplepourlasociété.MaiscelanesuffitpasàconvaincreHen,quihaussalesépaules.—Situavaistenuàêtreunexemple,tuauraisportésecoursàladyGudgeon.—Pourquoidiableaurais-jefaitunechosepareille?répliqua-t-il,cherchantduregardlesoutiende
Henry.Elleestloind’êtreaussibellequeMlleTimmons!—MlleTimmons!Cettefois,Henfaillits’étouffer.—Quidoncestcettejeunefemme?Toutlemondeneparlequed’elle,enville!Franchement,une
filledevicaire…Soudain,elles’interrompitetexaminaPrestond’unairsoupçonneux.—C’estlamêmefilledevicairequecelleavecquituasdansél’autresoir,n’est-cepas?Cen’était pas véritablement une question ; pas venant deHen.Non, cela ressemblait plutôt à un
débutd’interrogatoire…—Oui,rétorqua-t-il,unpeugêné.—Ettul’asportéeàtraversleparc?—Oui,maiselleétait…—Chut!Jeneveuxpasensavoirdavantage.Detoutemanière,celan’aplusaucuneimportance:
dèsdemain,elleseradéfinitivementàl’abridetoutlemonde,ycomprisdetoi.Oui,tudevraisvraimentm’accompagner,cesoir,àlaplacedeHenry.
—Jet’enprie,Preston,suppliaHenry,accompagne-lachezGrately…—Oui,sauve-noustouslesdeux,ajoutaRoxley.—Non,àbienyréfléchir,c’estimpossible,repritHen.Iln’apasétéinvité.—ChezGrately?Tantmieux!Jenesupportepascevieuxdébris!Quelgenrededivertissements
pourrais-jetrouverchezlui?
D’ailleurs,Hennonplusn’avaitpas l’habitudede fréquenter cegenredemaisons, songea-t-il enjetantuncoupd’œilsursatoiletteresplendissanteornéedelourdsbijoux.
La robe était neuve, nonpasnoiremaismauve.C’était unedéclarationdesplus explicites :Henavaitchoisidequittersondeuil.Danspeudetemps,elleseraitderetoursurlemarchédumariage…
QueDieunousprotège,faillit-ilmurmurer.—Gratelyoffreundînerdefiançailles,annonçaHend’unairabsent.Fiançailles?Prestonsentituncourantglacéleparcourir.Barkworthn’avaitpasannulélemariage?
Seigneur,celasignifiaitque…Si son émotion le trahit,Henneparut pas le remarquer.Elle s’admiraune fois deplusdans son
miroirpuis,aprèsavoirajustésacoiffured’unairsatisfait,elleluilançaunregardpleind’espoir.—Bien,j’imaginequejen’aipaslechoix:jedoisyallerseule.Dieusaitsij’aihorreurde…—Attends!coupaPrestonenselevantd’unbond.Jet’accompagne.—Non, tun’aspas été invité.Tu saisbiencommentest lemarquis…Il est très exigeant sur les
personnesqu’ilreçoit.—Ettupensesvraimentyallerseule?Henhaussalesépaules.—Ilestpeut-êtretempsquejeprennedesrisques.Commetuaimesàlerépéter,jedevrais…MaisPrestonn’allaitpas renoncer si facilement. Ildevaità toutprixempêchercetteannonce : il
avaitpromisàTabbydel’aider.Rienaumondenepourraitledécideràlalaisserseule,àl’abandonner.Nimaintenant,niplustard,murmuraunepetitevoixaufonddelui.Pendantcetemps,Hens’étaitsaisiedesesaffairesetsepréparaitàquitterlesalon.—Jet’interdisd’yallersanschaperon!s’écriaPreston.Ellesefigeadevantlaporte,etseretournadoucement.—Quoi?Seredressantpourretrouvertoutelaprestancedueàsontitre,ilprituneprofondeinspiration—son
grand-pèreauraitétéfierdelui…—Jet’interdisdequittercettemaisonsansescorte.—Je…Quoi?balbutia-t-elleavantdesetournerverssonfrèred’unairdésespéré.MaisHenryneluifutd’aucuneaide,tropoccupéàdévisagersonneveu.CommesiPrestonvenaitde
semétamorphosersousleursyeux.—Jel’interdis,répéta-t-ild’unevoixferme,dignedesonpère,digned’unduc.Tun’iraspasàcette
fêtesansmoi.Henfinitparacquiescer.—SiSaGrâceinsiste.—J’insiste.Durantquelquesinstants,ilsdemeurèrenttousimmobiles.Lamaisonelle-mêmesemblaitretenirson
souffle,surpriseparcebrusquechangementd’attitude—cechangementtantattendu.—Dans ce cas, tu ferais peut-êtremieuxd’aller te changer rapidement, laissa finalement tomber
Henensurveillantl’horloge,ounousarriveronstroptardpourl’annonce.—Tuasraison,concédaPrestonenconsidérantsavesteetsonpantalon,c’estunetenuetropsimple
poursortir.Etilnefautsurtoutpasquenoussoyonsenretard.—Uneannonce?s’exclamaalorsRoxley.Cesoir?Henpoussaunnouveausoupirdésemparé.—Oui,n’avez-vousdoncrienécouté?
—J’essayaisdenepas.Henrylâchaunpetitrire,viteétouffésousleregardassassindeHen.—Preston,rappelle-toi:jeneveuxaucunscandale.—Biensûr,madame,réponditPrestonavecunpetitsalut.Iln’avaitplusqu’unechoseàfaire: trouverunmoyendedéshonorerMlleTabithaTimmonssans
quesatantes’enaperçoive.
***
—Endépitdesévénementsmalheureuxd’hier,mononclevousapprouvetoutàfait,machère,ditBarkworth.
Asonbras,Tabithanesoufflamot.Elleauraitpréféréqu’ilenfûtautrement.Seigneur,qu’allait-ilfalloirqu’ellefassepourqueBarkworthserétracte?
PourquoidoncPrestonnel’avait-ilpasembrasséeplusvite,laveille?Cebaiserauraitpuinfléchirtant de choses — des choses délicieuses, qui la firent frémir. Hélas, une fois de plus, Barkworthinterrompitsespensées.
—MademoiselleTimmons,contrôlezcette fâcheusehabitudede trembler ;quelqu’unvafinirparcroirequevousêtesdesantéfragile,seplaignit-il.Mononcleatrèspeurdesmaladies.
Etquipeutl’enblâmer,quandvousêtessonpotentielhéritier?Réprimantuneréponsecinglante,ellesecontentadesourireetdeseredresser.Ellen’avaitaucuneintentiond’attirerplusquenécessairel’attentiondumarquis.
CommePrestonl’avaitdit,Gratelyétaitunvieuxboucparticulièrementodieux.Dèssonarrivée,ill’avaitexaminéecommeunchevalsurunétaldemarché.C’étaitàpeines’ilneluiavaitpasinspectélesdents!
— Excellent, Barkworth. Excellent, avait-il déclaré en tournant autour d’elle, s’arrêtant sur sonprofonddécolletéavecunsourirelibidineux.
Et,pendant toutce temps, ladyTimmonset ladyAnciln’avaientpasouvert labouche, lacouvantd’unregardapprobateur.
Aprésent,aubrasdeBarkworthetavecsafuturebelle-mèreetsatantederrièreelle,ellenevoyaitaucunmoyendefuir.Ellesavaitquelesdeuxfemmesnelaisseraientrienauhasard.
Pis encore, Barkworth n’arrêtait pas de bavarder au sujet de la licence spéciale qu’il s’étaitprocuréel’après-midimêmeafindeprécipiter«leurheureuseunion».
Heureuse?Tabithal’auraitpeut-êtreétésielles’étaitréveilléelematinaveclachevilleenflée,delatailled’unepetitecourge;illuiauraitétéalorsimpossibled’assisteraubal.Hélas,seslonguesheuresdelabeuraupresbytèrel’avaientendurcieetsachevilleneluifaisaitpresqueplusmal.
Donc,àmoinsqu’elleneparvienneàseblesserunesecondefois,riennesemblaitdevoirempêcherl’oncledeBarkworthd’annoncerleursfiançailles…
Preston,jet’ensupplie,sauve-moi.—Dieuduciel!s’écriasoudainladyTimmons.Quefait-elleici?LadyAncileutunhoquetdemépris.—Quellecréaturescandaleuse.Troisépoux,etelleoseencoreseconsidérercommeunmodèle?Troisépoux?Lecœurbattant,Tabitha leva lesyeuxetvit ladyJuniperentrerdans la salledebal.Sesprières
avaientdoncétéentendues!Sicettefemmeétaitlà,alorsPrestonnedevaitpasêtreloin…
Dresséesurlapointedespieds,ellelecherchaduregard,maiscen’étaitpasluiquiaccompagnaitladyJunipercesoir.C’étaitlecomtedeRoxley.
Non,non,non!Oh!Preston,oùes-tu?Harriet,qui se tenait à sescôtésavecDaphné,croisa son regardetacquiesçaensilenceavecun
petitsourire.Ellen’avaitguèrebesoindemotspourcomprendrecequeTabithadésiraitsavoir.Elleseglissadoncaumilieudelafoule,endirectiondelaported’entrée.
Tabitha, nerveuse, suivit son amie des yeux tandis que celle-ci rejoignait discrètement Roxley.C’était un acteosé et peuconvenable,mais il n’y avait guèrede risquespourque ladyTimmons s’enaperçoive:elleétaittropoccupéeàsurveillerdeprèssanièce.
Pendantcetemps,sansserendrecomptederien,Barkworthcontinuaitàénumérerlesméritesd’unemaisonvide,prèsdeHanoverSquare,dontundesesamisluiavaitparlé.
—Ilm’amêmepréciséquelesalonavaitunetrèsjolievuesurlejardin,ajouta-t-il.Tabitha s’efforça de paraître intéressée, tout en repensant au bouquet de campanules quePreston
étaitallécueillirpourelle.Direqu’ils’était renduenpleinecampagnepour les ramasser—toutcelapourelleseule.
Tabby,sais-tuquetunecessesdem’étonner?Etsavez-vousquevousmesurprenez,VotreGrâce?Soncorpss’éveillaitausouvenirdesescaresses,decevisagepenchésurelle.Encetinstant,elle
aurait toutdonnépourqu’il l’embrassedenouveau,pourqu’il la laissesihaletanteet troubléequ’ellel’aurait laissé reprendre les rênes et la conduire loin de Londres sansmot dire. Elle se serait laisséenleversanslamoindreprotestation.
Commentcelaavait-ilpuarriver?Elleavaitpourtantréussiàsepersuaderqueleursoiréemagiqueàl’aubergen’avaitrésultéquedelafaimpourelle,d’unexcèsdevin,pourlui,d’uneintimitéquin’avaitpaslieud’être,ainsiquedelaprésenced’unchaperonparticulièrementinsouciant…
Cependant,même entourée par la foule du bal de ladyKnolles, Tabitha avait découvert que sessentimentsn’avaientrienàvoiraveclepetitsalondel’auberge:unmondenouveau,totalementcoupédelaréalité,pouvaitnaîtreentredeuxpersonnes.Unmondequin’appartenaitqu’àelles,etàellesseules.Unmonde secret, emplide caressesquiprovoquaientdesvaguesde frissons sous lapeau,de regardspassionnésetdedésirspartagés.
Cette seconde soirée en compagnie de Preston l’avait transportée. Danser avec un beau duc,étourdieparlamusique,vêtued’unerobesurlaquelletouslesregardssetournaient…Jamaisauparavantellen’avaitrêvéd’unetellesoirée.
Elleavaitalorscomprisqueleshommesn’étaientpastouslesmêmesetquesoncœurnepourraitplusjamaisfeindred’ignorercesdifférences.
Prestonetsesfichuescampanules…Sonsouriremoqueur,sesplaisanteries…Siseulementellenel’avaitjamaisrencontré!Siseulementilavaitpriscorrectementlevirage,près
duchêne,àKempton,etpoursuivisaroutejusqu’àLondres!Siseulementiln’étaitjamaisentrédanssaviepourlabouleverserainsi!
Oubiens’ilétaitlà,àsescôtés,àlaplacedeBarkworth—neserait-cequepourladéshonoreretlasauver!
—Oh ! et j’ai oublié de vous annoncer la bonne nouvelle :mon oncle nous a invités àGratelyHouse,cetautomne,pourlachasse,poursuivaitBarkworth.Comprenez-vouscequecelasignifie?C’estsamanièred’approuvermonchoixvousconcernant, j’en suiscertain.Deplus, celavouspermettradeséjournerquelquetempsàlacampagne,machère.
Tabitha sentit son cœur s’emballer. Unmois entier passé à subir les regards lubriques du vieuxbouc?Leslarmesauxyeux,ellesedétournapouréviterquesonpromiss’aperçoivedesontrouble—iln’auraitplusmanquéquecela!
Soudain,ellecrutl’apercevoir…Preston!Ellenepouvaitdistinguerqu’unehautesilhouettesombre,dansuncoinde lapièce.Sepouvait-il
quecesoitvraimentlui?Lagorgenouée,elles’essuyahâtivementlesyeux.Aumêmeinstant,Harrietrevintd’unpasvif.—Tabitha !Tevoilà ! J’aide trèsbonnesnouvelles : ladyEssexest ici.Tudoisabsolument lui
présenterBarkworth.— Lady Essex ? s’extasia lady Ancil. Bien entendu ! Vous la connaissez vraiment,
mademoiselleTimmons?—Oui,madame,réponditTabitha.ElleaeulagentillessedenousameneràLondres.—LadyEssexestimebeaucoupTabitha,ajoutaHarriet,cequiétaitunpeuexagéré,maiseuttoutde
mêmel’effetescompté.—Oh!maisc’estmerveilleux!s’écrialadyAncil.Pour une fois, le regard qu’elle posa sur Tabitha s’emplit d’une pointe d’admiration et
d’approbation, alors que, jusqu’à présent, elle ne s’était contentée de la regarder que comme unmalnécessaire.
—Onditqu’elleporteunegrandeattentionauxpersonnesqu’elleinviteàsesdéjeuners,ajoutalavieillefemme.
—Nousavonsétéinvitées,assuraHarrietenbaissanthumblementlesyeuxsursesmainsgantées.Entoutcas,Tabitha,Daphnéetmoiavonsétéinvitées.
Acesmots, ladyTimmons toussota,visiblementvexée.Apparemment, ladyAnciln’avaitpasnonplusreçud’invitationetellesaisitl’opportunitéquis’offraitàelle.
—Oui,oui…Ehbien,nousdevrionstousallerprésenternoshommagesàladyEssex.Sansattendrederéponse,ellesemitenrouteaumilieudelafoule,suivieparBarkworthquitenait
toujourslebrasdeTabitha.HélasHarriet,unpeudistraite,marchasurl’ourletdelarobedeTabitha,quisedéchira.
—Oh!non!s’exclama-t-elle,horrifiée.Tabitha,quilaconnaissaitdepuissuffisammentlongtempspourdevinerquetoutcelan’étaitqu’une
miseenscène,fitdesonmieuxpourparaîtreaffolée.LadyAncilexaminalajupe,dontlesdentellesdoréespendaientlamentablement.— Espèce de maladroite ! gronda-t-elle. Comment peut-elle se présenter à l’annonce de ses
fiançaillesdanscetétat?—Oh!jesuisdésolée,j’aitoutgâché…Tabitha,mepardonneras-tu?Harrietparaissaitprêteàfondreenlarmes—unegrandecomédienne,décidément…Aumêmeinstant,Daphnéintervint.—Harriet,conduis-laauboudoiretréparecela.PuiselleentrepritderassurerladyAncil:—Harrietestpeut-êtremaladroite,maisjevousassurequ’ellen’apassonpareilavecuneaiguille.Elles’emparaensuitedubrasdeladyAnciletdeBarkworthetlesentraînaavecautorité.—Vousai-jeditqueladyEssexétaituneDale?C’estdoncl’unedemesparenteséloignéesetla
familleatoujoursétéimportanteàsesyeux.Jesuiscertainequesijeluidemandaisdevousinviter…— Pensez-vous pouvoir le faire, mademoiselle Dale ? pria Barkworth, oubliant instantanément
Tabitha.
Malheureusement,ladyTimmonsneselaissapassifacilementduperetcontinuaitdefixerlajupedéchirée.
—Allons,viens,Tabitha.Nousdevonsraccommodercetterobe,annonça-t-ellefroidement.MaisDaphnén’étaitpasuneDalepourrienetréagitimmédiatement:—LadyTimmons,vousnevenezpas?Jesuissûrequenouspourrionsvousfaireinviter,vousetles
cousinesdeTabitha,sivousétiezlàpourrappeleràladyEssexsonimpardonnableoubli.L’idéed’êtrevueàl’undesdéjeunerslespluscourusdeLondressuffitàséduireladyTimmons.—Tabitha,qu’attends-tu?VaréparerlesdégâtsdetarobeavecHarrietetreviensdèsquetupeux,
dit-elleenleschassantendirectiondel’entréeavantd’emboîterlepasàDaphnéetladyAncil.—Allez,viensvite,murmuraHarrietenprenantlebrasdeTabitha.—Maisj’aicruvoirPreston,réponditcelle-cidansunsouffle.Ilétaitlà-bas…—Net’enfaispas,ilatrouvél’endroitidéal.—L’endroitidéalpourquoi?Ayantatteintlehall,elless’immobilisèrentuninstant.Lapièceétaitvide,àl’exceptiond’unvalet
quidemeuraitlàpouraccueillirlesretardataires.Harrietdévisageasonamieavecungrandsourire.—L’endroitidéalpourteperdre,qu’est-cequetucrois?
***
Harrietlapoussaprécipitammentderrièreunepetiteportequ’ellerefermaderrièreelleetTabithaatterritdanslesbrasouvertsdePreston.
—Tabby,quefais-tuici?luiglissa-t-ilàl’oreilleenlaserrantcontrelui.LecœurdeTabithas’emballaimmédiatement.Quelquechosechezcethommeluifaisaitperdrela
tête.Illuidonnaitenviederesterblottiecontreluiàjamais,desefrottercommeunchatonenmanquedecaresses…En un instant, elle fut enveloppée par sonmerveilleux parfum, son odeur d’homme— unmélangedesavonaumyrteetdequelquechosed’autre,àlafoisindéfinissableetreconnaissableentretous.
Unefragrancemasculinequetousleshommesdevraientavoiretquiluifaisaittournerlatête.—Net’a-t-onpasinforméquecettefêtedevaitcélébrerdesfiançailles?reprit-ild’unevoixferme,
aristocratique,quetrahissaitl’éclatmalicieuxdesonregard.Direquetum’avaissincèrementpromisdenejamaisrienfairedesicommun.Tut-tut…
Immédiatementdétendueentresesbras,ellesourit,soulagée.—Jenesuispasvraimentlàdemonpleingré,VotreGrâce.—Preston,corrigea-t-il.—Situinsistes,répondit-elle,consciente,commelorsdeleurdernièrerencontre,qu’elleneserait
plusjamaiscapabledes’adresseràluicommeàunduc.Non,ilsseconnaissaienttroppourcela…—J’insiste,c’estmondroit.—Tuesvraimentinfernal,répliqua-t-elleavantdejeteruncoupd’œilautourd’elle.Oùsommes-
nous?—Danslecabinetduvalet.En fait, c’était à peine un cabinet, coincé sous l’escalier et éclairé par une seule lampe. Des
parapluiesétaientsuspendusauxmurs,prêtsàl’emploi,ainsiqued’autresobjetsutilesauvalet.Dansun
coin,unvieuxdivansemblaitattendre l’arrivéedupauvrehomme,épuisédedevoirsurveiller laportetarddanslanuit.
—C’estl’endroitparfaitpourprovoquerunscandale,n’est-cepas?reprit-ilàmi-voix.Il l’écartad’unpaspour l’examiner rapidement, sans lui lâcher lesmains.MaisTabitha sentit sa
gorgesenoueretdéclara:—Situmedéshonores…penseunpeuauxconséquences.Queferas-tusitatantemetsamenaceà
exécution?Oùiras-tu?Non,Preston,jenepeuxpastelaisserfairecela.— Dans ce cas, nous ferions mieux de nous assurer que ce scandale ne soit pas rendu public.
Faisonsjustecequ’ilfautpourqueBarkworthserétracte.—Jenesaispas…—Tant de résistance de la part de mon éternelle damoiselle en détresse ? s’étonna Preston en
tournantlentementautourd’elle,sanslaquitterdesyeux.—Quefais-tu?— Jeme demandais pourquoi tu portais une robe pareille, répondit-il sans cesser d’examiner la
mousselineblancheornéededentellesetderubansdorés.Tabithanecomprenaitpassonintérêtsoudainpoursatoilette.—Qu’est-cequemarobeaàfaireavecnoseffortspourmelibérerdecesmauditesfiançailles?—Tout,rétorqua-t-ilenplongeantlamaindanslapochedesaveste,maisnousnoussoucieronsde
celaplustard.Puisilluitenditunmorceaudepapierrecouvertd’uneécriturehâtive.—Est-ceunecopiedutestamentd’oncleWinston?Lafeuilleétaitfroisséeetàpeinelisible.—Oui.Hélas,jecrainsqueM.Hathawayn’aitdûenrecopierlesgrandeslignesàlahâte.Leslarmesauxyeux,ellesejetadanssesbras.Allait-ellerireoupleurer?Elle-mêmen’ensavait
rien.—J’aileregretdetedirequec’estenversM.Hathawayquetudevraistemontrerreconnaissante,
protestaPrestonsanspourautantlalâcher.C’estluiquinousaprocurécepapier.Cependant,peut-êtrepourrais-tutecontenterd’unelettre,danssoncas…
—Oui,maisc’esttoiquiasrendutoutcelapossible!Finalement,Prestonavaittoutd’unpreuxchevalier,endépitdesasulfureuseréputation.—Est-cevrai,alors?Ai-jejustebesoindepousserBarkworthàannuler,commeHarrietl’adit?Prestonacquiesçaetlaconduisitjusqu’àlapetitetablepourydéplierlafeuilleprèsdelalampe.—Ya-t-ildel’espoir?demanda-t-elle,peinantàdéchiffrerlesgriffonnagesdeChaunce.—Tabby,ilyatoujoursdel’espoir.Tiens,ajouta-t-ilenluiindiquantunparagraphe,voicilacléde
taliberté.
Article 3, Paragraphe 1. Si le parti désigné dans l’article 2, paragraphe 5,déclaren’avoiraucuneintentiond’épousermanièce,MlleTabithaTimmons,ous’ilestmariélorsdemondécès,ouencoreadéjàquittécemonde,ellehériteradel’intégritédemesbiensenatteignantsamajorité.Cesbiensserontconservéssoustutelle…
Lanotes’arrêtaitlà.Encoreunpeuincrédule,Tabithalevalesyeuxverslui.—C’estdoncvrai?SiBarkworthannule,jepourraigardermafortune?—Oui.
—Etjen’auraipasàépouserquelqu’und’autre?Mononclen’apasprévudesecondecréaturedumêmegenrepourleremplacer?
Prestonéclataderire.—Situnedésirespastemarier…—Eneffet,jen’aiaucuneintentiondememarier…MaisunseulregardsurPrestonsuffitàlafairetaire.Non,ellenevoulaitpassemarieràBarkworth—surtoutpasàlui.Mais, si jamaiselleavaitenvieun jourd’épouserunhomme,elleenchoisirait sansdouteunqui
ressembleraitàceluiquisetenaitdevantelle,danscepetitcabinet.Unhommecapabledevoleràsonsecours, de la rattraper avant qu’elle ne tombe— ou de l’aider à se relever. Un homme capable departageravecelleladernièrepartd’unetarteauxpommes.
Un homme aux baisers si extraordinaires qu’ils pouvaient la tenir éveillée une nuit entière, à sedemandersiellen’avaitpasrêvé.
Qu’arriverait-ilsiPrestonl’embrassaitdenouveau?Son regard se perdait sur son beau visage, ses yeux intensément bleus, son demi-sourire.Oui, il
pourraittoutàfaitl’embrasserdenouveau.Oh!ceseraittropbeaupourêtrevrai…Tropbeaupourycroire…Maiss’ils’exécutait…Soudain, il sedétournaetunétrangesilenceemplit lapièce.Quelquechosed’intime,devibrant,
venaitdepasserentreeux,etilsenétaientparfaitementconscients.Gênée,Tabithatoussaetfitmined’examinerlemorceaudepapierposésurlatable.Maisuneseule
choseoccupaitsonesprit.Peut-êtrequePrestonavaitdessentimentspourelle.Non!C’étaitridicule!Cependant,enuninstant,ilsutéveillersonespoir.Ilcaressadoucementuneboucleéchappéedeson
chignonetlaglissaderrièresonoreille.Lasimplecaressedesesdoigtslafitfrissonnerdebonheur.—Mefais-tuconfiance?Laréponsefutévidente.—Absolumentpas.—Parfait,répondit-ilavecl’undesessouriressisensuels.Voicicequenousallonsfaire…
Chapitre14
Roxley,quisetenaitdansuncoindelasalledebal,vitHarrietsefaufilerjusqu’àlui.Elleavaitdûaccomplirsamission…
—Tevoilà,Harry!—C’est«MlleHathaway»,milord,répliqua-t-elleimmédiatement.—Oh!tuserastoujoursHarrypourmoi…—Jenesuisplusuneenfant,voussavez.Prouvant ce qu’elle avançait, elle se redressa dans sa robe neuve et prit une pose adulte-et-
londoniennequitroublaRoxley.—Oh!si,tuesencoreuneenfant,répondit-ilenladévisageant,lesbrascroisés.Et,situdanses
encoreavecFieldgate,jepréviendraitesfrères.Cen’estpasunhommetrèsfréquentable.— Moi, je le trouve charmant ! Et je danserai avec qui je veux, si vous continuez à ne pas
m’inviter…—Jen’aimepaspatienterenattendantmontour,dit-ilsimplement.—Etjen’aimepasmemorfondre.Elleneparvintpasàdissimulerunepointed’agacement,quiamusaRoxley.—Tunecomptestoutdemêmepasmefrapper,commeladernièrefoisoùj’airefusétamain?—Milord!Commentosez-vousparlerdecela?—Pourêtrehonnête,ilnem’arrivepassouventderecevoirunedemandeenmariageetunœilau
beurrenoirdanslamêmejournée…Harrietsoupira.—C’esttoutvous,milord,deparlerdecelaenpublic.—Arrêtederépéterce«milord»,jet’enprie.Auneépoque,tum’appelaisautrement—ettume
tutoyais.—Peut-être,maisceneseraitpasconvenable,rétorqua-t-elleavecplusdedouceur.—Voyons,noussommespresqueseuls…Toutenparlant,iltournaledosàlasallepourlaprotégerdelafoule,l’avoirlà,danscecoin,rien
quepourlui.Etsoudainquelquechosechangea.Non,ilsn’étaientplusdeuxenfants,àKempton,àl’époqueoùla
grand-mèredeRoxleyl’avaitemmenévoirsonfuturdomaineetrendrevisiteàladyEssex.Là,ilavaitrencontrélesenfantsHathaway,venusdistrairelefuturcomte.
Illaregardauninstant,oubliantlamusiquequilesentourait,eteutl’impressiondelavoirpourlapremièrefois.
—As-tuabandonnétoutespoirdem’épouser,Harry?Ellebattitdescils—ungestecoquet,parfaitementmaîtrisé,conçupourséduireetcharmer.Oùdonc
avait-elleappriscela?—Aforced’êtrerepoussée,toutefemmefiniraitparselasser,murmura-t-elle.Sa voix était grave et ses paroles résonnèrent en lui un instant. Elle avait raison. Un jour, elle
renonceraitàluietenépouseraitunautre.Peut-êtrecetidiotdeFieldgateou—pisencore—unhommequilamériterait,quiseraitdigned’elle…
Plongédanssonregardvertémeraude,illuifalluttoutsoncouragepournepassepenchersurelleetl’embrasser.
Oh!Seigneur!EmbrasserHarry?Qu’est-cequiluiprenait?Detoutemanière,s’ilfaisaitcela,sesfrèresletueraient.Touslescinq.L’unaprèsl’autre.
Iltrouvaenfinlaforcedes’écarter.LasimpleidéedesefaireassaillirparunehordedeHathawaysuffisaitàapaisersesardeurs.
— Je continuerai toujours à refuser tes demandes en mariage, petite diablesse, lâcha-t-il en seretournantvers lasalleetsereplaçantàcôtéd’elle.Detoutemanière, turegretteraisvite tonchoix,sinousnousmariions.
—Oui,probablement,répondit-elle.Illuijetaunpetitcoupd’œilencoin.Pourquoiparaissait-ellesisûred’elleendisantcela?Auboutdequelquessecondes,ellefitunpetitsignedumentonendirectionduhall.—Depuiscombiendetempssont-ilslà-dedans?Nousdevonstoutplanifierparfaitement.—Ah,tunetecontentespasdedébarrasserTabithadeBarkworth,n’est-cepas?demanda-t-ilen
s’efforçantdefairetairesesémotions.Tujouesaussilesmarieuses?Harrietl’ignoraquelquesinstants,avantquesonfranc-parlernaturelnereprenneledessus.—Qu’ya-t-ildemalàcela?Roxleyneputréprimerunsourire.Heureusement,soncaractèrebientrempén’avaitpasentièrement
disparusoussesrobesdesoieetsesnouvellesbonnesmanièreslondoniennes!—Rien.Ils restèrentencoresilencieuxquelquesminutes, surveillant lesaiguillesde lagrossehorlogequi
s’avançaientlentementjusqu’àminuit.—Combien de temps cela prend-il de déshonorer une femme ?murmura-t-elle enfin d’une voix
tranquille,commesielleluidemandaitlechemindeHydePark.Surpris,Roxleyfaillits’étouffer.—Ehbien,celadépenddugentleman…Ilneputs’empêcherdejeterunnouveaucoupd’œilàHarry,lecœurbattant.—…etdelafemme,biensûr.Hélas,elleneleregardaitplus.ToutesonattentionsemblaittournéeverslafamilledeTabitha,qui
paraissaits’agiter.— Ils la cherchent, déclara-t-elle simplement. Bon sang ! Je crois qu’ils ont besoin de plus de
temps.—J’aiditàPrestonquej’arriveraisàminuitpile.—Nepourrions-nouspasleuraccorderquelquesminutessupplémentaires?Illefaut…Elle lesuppliait,battantdenouveaufurieusementdescils,sachant trèsbiencommentfairefondre
soncœur.L’espaced’uninstant,ilfaillitoublierquielleétait,etdansquelpétrinilseraits’ilsemontraittropaudacieux.
—Trèsbien,situinsistes,conclut-il.
Ilvalaitmieux seplier auxdemandesdeHarryque laisser son imaginationéveillerdenouveauxdésirsenlui.
Hum.Desdésirsqu’ilavaittoujourseus,enfait.Tunepeuxpasl’avoir,Roxley,ettulesais.—Va donc distraire ces dames, lui ordonna-t-il une fois son plan formé, et je m’occuperai de
Barkworth.Aumêmemoment,celui-cipassajustementdevantlui,endirectionduhall.Roxley n’ayant plus le temps de réfléchir à une stratégie pour le retarder, il songea qu’il allait
devoircomptersursonplusgrandtalent:l’improvisation.—Ah,monsieurBarkworth!Puis-jevousparleruninstant?lança-t-ildonc.—Pasmaintenant,milord,réponditl’autresanss’arrêter.Bon,ilétaittempsdepasserauplanB…Roxley tendit vivement la jambe pour faire un croche-pied au digne et respectable Barkworth,
l’envoyants’écrouleràl’entréeduhall.
***
—Preston,jeneveuxpastedétruire,murmuraTabitha.Ilyaforcémentunautremoyen.Prestoneutunpetitsignedetêteendirectiondelaporte.—JepourraisappelerRoxleypourqu’ilmeremplace.Toutenparlant,ilsedirigeaverslaporte,maisellel’arrêta,terrifiée.—Non!—Veux-tuquejet’aide,ouiounon?—Biensûrquejeleveux!Sonaide,riendeplus…Elleleregardabrièvementetfrémit.Comment pouvait-elle garder son calme, lorsqu’elle voyait cette mâchoire si bien dessinée, ces
lèvres fines?Lorsqu’elle surprenaitce regardoùelle sentaitbrûleruneenvieviolentequi luidonnaitl’impressiond’êtreladernièrepartd’unetarteauxpommes—désirée,convoitée,délicieuse.
Elleavaitdumalàycroire.Elle,TabithaTimmonsdeKempton…Convoitéeparunduc…L’espaced’uninstant,elleeutréellementl’impressiond’êtreunebeautécommeDaphné,ouunefemmeintrépidecommeHarriet.
Cethommeétaitréellementimpossible!D’unmot—d’unregard,même—ilparvenaitàluifaireoubliertouteraison.
Ildutdécelerunehésitationdanssonattitudecarilreprit,plusinsistant:—C’estmadécision,Tabby.Jeveuxt’aider.—Et,moi, jene sacrifierai jamais tonbonheur contrema liberté. Jene te condamneraipas à la
solitude,dansleseulespoird’êtresauvée.—C’estmonchoix,répéta-t-il.Jefaislechoixdet’accordercequetudésires,detelibérer.Sansluipermettredeprotesterdenouveau,illapritdanssesbras,etlaregardauninstantavantde
l’embrasser.Tabitha sentit immédiatement son corps fondre sous ce baiser qu’elle avait tant attendu.Non, ce
n’étaitpasseulementlebaiser,maisluitoutentier…Preston.Illaserraitpassionnément,sesbrasformantunrempartinfranchissableentreelleetlemonde.
Elles’ylaissaitpiéger,lecœurbattant,saisiedevertige.
Iljouaitavecseslèvres,lesmordillait,leursusurraittoutessortesdetendressecrets,etelles’ouvritàlui,s’abandonnaàcetassautsilencieux.Peut-êtreaurait-elledûsedéfendre,maiselleétaitincapabledeprotester.
Depuisdessemaines,soncorpsavaitattenduquePrestonluirevienne,qu’ilréveillesoussapeaules flammesdedésirqu’ilavait suyallumer.Tout—lamusique, la rumeurdubal, la tensionqu’ellesentaitenellesoussesbaisers,soussalanguequiseglissaitsurlasienne—roulaitsurellecommeuntorrentdéchaîné.
Viensavecmoi,suis-moi,plonge-toienmoi.C’étaitellequiplongeait,enextase.Et il l’embrassait, lacaressait—sondos,sapoitrine…Son
pouceeffleurasontétonàtraverslamousselinedesoncorsage.Unefois,puisdeux.Ilpassaetrepassajusqu’àcequ’ellesentîtsapoitrinesetendreverslui,traverséepardedoucesondesdeplaisir.
Puis,peuàpeu,unetempêtemonta,s’étenditàtraverssoncorps,indomptable.Prestonsenichadanslecreuxdesoncoupourdéposerdepetitsbaisersderrièresonoreille,mordillantsonlobe.
Lesoufflecourt,ellebalbutia:—Oh!Seigneur…Oh…LeslèvresdePrestoncontinuèrentàexplorersapeau,s’aventurantjusqu’aucreuxdesesseins,qu’il
soulevadoucementdesamainpourmieuxs’yenfouir.Lecœurbattant,Tabithasedressasurlapointedespieds,lescuissespresséesl’unecontrel’autre.
Le feu qui s’était éveillé là, au plus profond d’elle-même, était à la fois insoutenable et délicieux—devait-elle le libérer,ous’yaccrocherenespérantqueceladure leplus longtempspossible?Ellenesavaitplus…
Preston la couvait d’un regard sombre, hanté de désir. Sans unmot, il glissa les doigts sous lamousselinedesoncorsage.Plusriennelaprotégeaitdesachaleur,àprésent,etellesentitladouceurdesapeaucontresachairfrissonnante.
Denouveau,ill’embrassa,tandisquesesmainscontinuaientleurcheminenflammé.—Oh!Preston,murmura-t-elledenouveau.Ses jambesfaiblissaient,ellenepouvaitplus tenirdebout.Ellenevoulaitplus tenirdebout.Elle
n’avaitpeut-êtreaucuneidéedecequisepassait,maissoncorps,lui,semblaitlesavoir…Ilfallaitàtoutprixqu’elles’allonge,qu’ils’étendesurelleetapaisecebesoinqu’ilavaitfaitnaître
enelleparsescaressesetsesbaisers.S’écartantunpeu,illacouvad’unregardconquérant.Elleauraitpresquepujurerqu’ilétaitsurle
pointdelasouleverdeterrepourlaporterjusqu’audivanquandunehorloge,quelquepartdanslehall,semitàsonner.Ilétaitminuit.
Le premier coupmétallique les fit sursauter et ils reculèrent tous les deuxd’un pas.Le cœur deTabithabattaitlachamade.SéparéedePreston,ellefutimmédiatementenveloppéeparlafraîcheurdelapièce,quineparvintcependantpasàeffacerlachaleurdesesbaisers,desescaresses.Lapassionqu’ilavaitalluméeenelleétaitplusfortequejamais.
—Oh!Seigneur,souffla-t-elleunenouvellefois,prisedevertige.SoitlesbaisersdePrestonétaientdeplusenplusparfaits,soitelle-mêmes’améliorait…Aumoins, cette fois, il ne quitta pas la pièce en courant— et heureusement, car elle aurait été
incapabled’apaiserseulesesdésirs.—Oui,oui,balbutia-t-il,l’airunpeuperdu,regardanttoutautourdeluipourévitersesyeux.Oui,
celadevraitsuffire…Tuasl’air…Tabitha,troublée,sentitunsouffleglacélaparcourir.Elleavaitl’airdequoi?
Prestonn’achevapassaphrase,se tournantenfinverselle, les lèvresentrouvertes. Il ressemblaitplusquejamaisàunlion—affaméetprêtàdévorersaproie.
Ilsrestèrentimmobilesquelquesinstants,jusqu’àcequeTabithanetienneplusenplace.—Lecomten’estpasencorelà,dit-elle,lagorgesèche.Peut-êtredevrions-nousnousembrasserde
nouveau.—Situinsistes,répondit-ilavantdelareprendredanssesbrasdansunélanpassionné.
***
Prestonavaitdéjàdésirédenombreusesfemmes,maisiln’avaitencorejamaisgoûtélefeudévorantquepouvaitéveillerenluilafemme,cellequiétaitfaitepourlui…Leurslèvresserencontrèrentunefoisencore, gourmandes, fiévreuses, comme si les quelquesminutes qu’ils avaient passées à quelques pasl’undel’autreavaientduréuneéternité.
—Tabby,murmura-t-il,nichédanssoncou.Elle sentait la rose, épicée et séductrice. Il nepouvait rien faired’autreque respirer sonparfum
avecavidité,goûtersapeau.Emportéparsondésir,ilemprisonnadenouveausapoitrinedanslecreuxdesesmains;mais,cette
fois,ilneperditpasdetempsàladécouvriràtraverssarobe,ilfitglisserlesmanchesdesesépaulespourlibérersesseinsrosés.
Il plongea alors pour les embrasser, l’un après l’autre, et sentit son sexe se dresser sous lesgémissementsdeTabby.Leurscorpssepressaientdansunrythmefamilier.
Duboutdelalangue,iljouaaveclapointetenduedesonpremiertéton,puiss’occupadusecond.Tabby,sonchatonsipassionné,ronronnaitpresquededésir…
Ilavaitenvied’elle,etbesoindetellementplusquequelquesbaisers!Seredressant,ill’embrassade nouveau et entreprit de libérer sa chevelure des trop nombreuses épingles qui la retenaientprisonnière, jusqu’àcequ’elle tombe sur ses épaules commeunvoilemoiré.Unvoilede feu sombre,aussidangereuxquelacrinièrefloued’unesirène.Ellen’étaitpluslavieillefillecaractériellequ’ilavaitconnue,maislaplusbelledesensorceleuses…
Enfin,caractérielle,ellel’étaitpeut-êtreencore,songea-t-iltandisqu’elleluirendaitsesbaisers.IlsentitlesmainsfinesdeTabbyglisserdanssondos,jusqu’àseshanches,puisplongeràl’avantdesonpantalon.D’ungesteaudacieux,elleletoucha,exploraduboutdesdoigtssonsexetendu,sensible.
Ellesoupirait,gémissaitdedésir,àtelpointqu’ilfaillitselaisserallerauplaisir.Commentavait-ellepuluiinspireruntelbesoin,brutetinsoutenable?Au départ, il n’avait ressenti qu’un simple écho de ces flammes qui avaient crépité entre eux à
l’auberge. Mais à présent, après ces baisers, tout son être se consumait véritablement. Il brûlait del’allongersurcepetitdivanetdeladéshonorer—entièrement,sansscrupule…jusqu’àcequ’ellecriesonnometsoitsienne…
—Preston,jet’ensupplie,chuchota-t-ellenerveusementàsonoreille.Sesprièresétaientaussienivrantesquesesbaisersetsescaressesfiévreuses.Il jeta un rapide coup d’œil au divan. Il la voyait déjà dessus, ses jupes retroussées pour qu’il
pénètreauplusprofondd’elle.Ilnedésiraitriend’autre…MaissonregardrevenaitsanscesseàlapetiteportequeBarkworthetRoxleypouvaientpasserà
toutinstant.Cettefois-ci,ilnelaisseraitpascepantindefiancél’interrompre.Plusjamais.Tabbyétaitàlui,maintenantetpourtoujours.Prenantsadécision,ils’écartad’elleetrejoignitlaporte.
***
Tabithatitubauninstant, lesjambesencoton.Seigneur!Quecomptait-ilfaire?Iln’allait toutdemêmepaspartir?
Pasmaintenant!voulut-ellehurler.Jet’enprie,pasmaintenant.Cédantàlapanique,elleseprécipitaverslui—endépitdesachevilleencorefragile—etbarrala
portedesoncorps.—Tuaspromis…Illevaverselledesyeuxencoreemplisdedésir.Tabithaserenditalorscomptequesarobe,siconvenable,glissaitàprésentdesesépaulesenles
dénudant outrageusement et que ses cheveux cascadaient le long de son dos. Tout était le fait de cethomme;cethommediabolique,débauché.Ill’avaitlaisséedéfaite,éperdue…
—Oui,tuasl’airparfaitementdéshonorée,conclut-ilauboutd’uninstant.Jetantinstinctivementuncoupd’œilàlaporte,Tabithasentitsoncœurbattreplusfort.—Qu’est-cequinevapas,alors?Neserait-ilpasplusconvaincantqu’onnousdécouvreentrain
denousembrasser?lança-t-elled’unevoixqu’ellevoulutinsouciante.MaisPrestonéclataderire.—Tabby,tucauserasmaperte…—C’estpourtanttoiquiasinsistépourmesauver,répliqua-t-elle.—C’estvrai.Alorssauve-moi!Refrénantsonimpatience,elleposasamainàplatsursontorse.Soussesdoigts,lecœurdePreston
battaitaussivitequelesien.—TuasbienditqueRoxleydevaitarriveràminuit?—Oui,c’estcequenousavionsprévu,répondit-il.Presque inconsciemment, elle agrippa la poignée de porte de sa seconde main, incapable de la
lâcher,delelaisserfuir.—Danscecas,ceneseraitpastrèsutilequeBarkworthetluifinissentparnoustrouverentrainde
nousdisputerpoursavoirsinousdevrionsnousembrasserounon,n’est-cepas?—Jesuisbiend’accord,admit-ild’unevoixrauque.Maissinouscontinuons…—Jeseraiperdue,acheva-t-ellepourlui.C’estjustementlebutdetoutcela,non?Sansunmot,iltenditlamaindanssondosetTabithaattendit,figéed’horreur,qu’ilouvrelaporteet
l’abandonne.Seule.Anxieuse.Enattente.Délirantededésiraussi…—Qu’est-cequetufais?murmura-t-elle,lagorgenouée.Prestonsepenchaàsonoreilleavecdouceur.—Jeverrouillelaporte.Stupéfaite,ellerestamuettetandisqu’iltournaitlacléetlaretiraitdelaserrure.Puis,àsagrandesurprise,illadéposadanssamain.—C’esttoiquichoisisdelarouvriroupas,Tabby.Jamais, voulut-elle répondre en examinant la petite clé nichée au creux de sa paume. Puis elle
relevalesyeuxsurluietrefermalamain.Cetteclé…C’étaitlaclédesavirginité.Del’autrecôtédelaporte,unbrouhahas’éleva,suiviparuncridestupeur.Cen’étaitplusqu’une
questiondetempsavantquequelqu’unnelesdécouvre.
Du temps… Ses choix… Etre découverts… Un flot de pensées contradictoires se mirent àtourbillonnerdanssatête,maisuneseuleréponseluivint:ellejetalaclésurlapetitetableoùbrûlaitencorel’uniquelampeetsecouladanslesbrasdePreston.
Leduc l’enveloppa.Etait-ceune simple impression,oubien avait-il pousséunpetit soupir en laserrantcontrelui?Etait-ilsoulagéqu’elleaitdécidéderesteraveclui?
Peuimportait:leurslèvresserencontrèrent,plusfiévreusesquejamais.Leurslanguessemêlèrent,etTabithasentitsoncorpssetendreverslui.
Ellesecambrait,sepressaitcontrelui,incapablederésister.—Preston!supplia-t-elle.Alors,commes’ilavaitcompris,illasoulevadanssesbrasetlaportajusqu’audivan.—Tabby…Mabelle,madangereuseTabby.Ces mots firent battre son cœur plus fort et elle se sentit exactement aussi belle qu’il le disait
lorsqu’illadéposasurledivan,sesyeuxemplisdepassionpourelle.Ils’agenouillaentresescuissesetl’embrassa, d’abord sur les lèvres, puis sur le lobe de l’oreille, dans le cou, dans le creux de sondécolleté.
Ilmordillasestétons,l’unaprèsl’autre,jusqu’àcequ’ellegémissecommeunechatte.Alors, lentement, il retroussa sa jupe, laissa courir sesmains le long de ses jambes, ses doigts
semantunepluied’étincellesbrûlantes.Ilremontaplushaut,lelongdesescuisseset,soudain,elleeutuninstantdepanique.Sessouliers
glissant sur le tapis, sesdoigtsagrippésà lui, sansunmot.Un instantdepaniquequi s’effaçapresqueimmédiatementlorsqu’ilatteignitlesbouclessombresnichéeslà.
Illacaressaitlentement,doucement,toutencouvrantseslèvresdebaisers,etjouaitavecleboutdesalanguedansunedanselascive.Ellesentitalorsl’undesesdoigtsglisserenelle.Emprisonnéeparsesbaisers,lesoufflecourt,ellecaressasamain—neserait-cequepourmieuxl’éprouver.
Entresescuisses,ellesesentaithumide,tendue,incomplète.Elleavaitbesoindelui.Besoindelevoircomblercemanqueenelle.Sesmainssedirigèrentseulesjusqu’àsonpantalonqu’elledénouaavantdeserisquersousletissu.Ellerefermalesdoigtsautourdesonsexe,lecaressantdehautenbas.
Etourdie par son désir, elle le regarda puis, d’un geste un peu maladroit, s’allongea plusconfortablementsurledivan.
—Preston…S’ilteplaît…Ils’étenditau-dessusd’elle,souleva tendrement l’unedeses jambespour l’enroulerautourdesa
tailletoutenglissantsonautremainsousseshanchesetenl’attirantcontrelui.Ellesentitalorssonsexeseglisserenelle,lentement,dansunmouvementsouple.
Elleretintungémissement.Ilcontinuaitàlacaresseretàl’embrasser,s’aventurantdeplusenplusenelle jusqu’àatteindreunpointdouloureux—lequelsignifiaitclairementqu’aucunhommenel’avaitencorepossédée.Là,ils’immobilisa.
Tuaslechoix,s’attendait-ellepresqueàl’entendredire.Tuaurastoujourslechoixavecmoi.—Vas-y,jet’enprie.Vajusqu’aubout,souffla-t-elle,incapabledecontrôlersespulsions.Alors,sansunmot,illaprit,finissantdelaperdre.Ilchangeaderythme,leregardfiévreux,etsutentretenirunfeunouveauenelle—enluiaussi,si
elleencroyaitsarespirationsaccadée,deplusenplusforte.Ilsemontraitpluspressant,plusbrusque,etleurdansedevintsoudainunecourseeffrénéepouratteindreuneseulechose.
Mais quoi ? Tabitha n’en avait aucune idée. Tout à coup, les vagues de désir et de plaisir quil’avaientaccompagnéedepuislepremierbaiserl’emportèrentdansunetourmenteincontrôlable.Ellesesentittomberinexorablement,haletante,emportéeparuncourantimplacable.
Elle gémit, cria sans se soucier d’être entendue. Le bal, la foule, Barkworth : plus rien n’avaitd’importance.
LaseulechosequicomptaitétaitPrestonàquielles’agrippait,etquigémissaitaussi,répétantsonnomdesavoixbrisée.
***
Reprenantpeuàpeusonsouffle,Prestonregardalafemmequ’iltenaitdanssesbras.Jamaisencoreilnes’étaitsentisicomblé.Ilavaittrouvélechemindechezlui.Lechemindesoncœur.
Non,c’étaitimpossible.Etpourtant…Tabby.Oh!Tabby,commentas-tufaitcela?Cettevieillefilledelacampagneavaitsuluifairetournerlatête,luiavaitarrachétoutsemblantde
contrôle, et voilà qu’il lui avait fait l’amour, le soir où elle devait être fiancée. Il avait provoquébeaucoupdescandales,danssavie,maiscelui-làdépassaitallègrementtouslesautres…
Oh!Seigneur!Cependant, faceà lui,Tabbyparaissaitnepasserepentir lemoinsdumonde.Elle lecontemplait
d’unœilrêveur,illuminéparunelueurquiybrûlaitpourluietluiseul.Non,MlleTabithaTimmonsn’avaitpasétéperdue.Lui,oui.Ilsepenchaverselleetl’embrassaavecdouceur,endépitdutumulted’émotionsquifaisaitrageen
lui. Lorsqu’il l’embrassait, toutes ses peurs anciennes et tout le vide en lui brillaient d’une lueurapaisante,capabledechassertoutepartd’ombre.
Unelueurquipourraitlereconduirechezlui…
***
—Relève-toi!aboyalemarquisdeGratelyens’adressantàsonneveu.Barkworthseremitmaladroitementsursespieds.—Onm’afaittomber,répliqua-t-ilavecunregardnoirendirectiondeRoxley.—Vraiment?Oui,cedoitêtrecesmarchesquivousontfaittomber,réponditcelui-ci.Cen’estpas
biendetantboirelesoiroùl’ondoitannoncersesfiançailles,Barkworth.Onpourraitpresquecroirequevousnevoulezpasvousmarier.
—Jen’aipasbu,geignitl’autre.Sachezquejeneboisjamais…—Oh!Tais-toi!coupasononcleenlepoussantpourfairefaceàRoxley.OùestMlleTimmons?Roxleyaffichal’expressionlaplusinnocentepossible.—Comment le saurais-je ? Ce n’est pasma fiancée, ajouta-t-il avec un regard en direction de
Barkworth,occupéàessuyersavesteetsonpantalon.Vousl’avezdéjàperdue?Celaneprésageriendebonpourl’avenir,sivousêtesincapabledegarderunœilsurelle…
—Roxley,jevoustueraimoi-mêmesivousnemeditespasoùelleest!explosaGrately.Mais le comte ne répondit pas, affrontant la colère du vieux marquis jusqu’à ce que le visage
déforméparlaragedecelui-cidevienneplusrougeencore.—J’avouequejenecomprendspascequevousvoulez.Comptez-vousmetuersijenevousdispas
oùelleest,ousijevousledis?Autourd’eux,ungroupeseformait,incluantlatanteetl’oncledeMlleTimmons,ainsiquequelques
autresinvités.
—Non,vraiment,jenecomprendspas…—Bah ! lâcha lordGrately avec un geste agacé avant de se tourner vers son neveu : Fouille la
maison!PuisildardasesyeuxfurieuxendirectiondesirMaurisetladyTimmons:—Vousaussi!Enfin,ilconsidéraRoxleyavecunregardassassin.—Vous,jevousinterdisdebouger.—Oh!Celavaêtredifficile:çamedémange,justeici,rétorqua-t-ilensegrattantcopieusement
l’épauleavantdeglisserlesmainsdanssespoches.—Imbécile…Surunderniersoupir,Gratelygravitlesmarches,suiviparlaplupartdesesinvitésetdesesvalets.HarrietpassaalorsdevantRoxleyetlegratifiad’unclind’œilcomplice.—Bienjoué!murmura-t-elle.Lecomtelasaluad’unpetitgesteets’appuyaposémentcontrelemur,enfaceducabinetduvalet,
évitantàtoutprixderegarderlaportefermée.
***
OnretournalademeuredeGratelyàlarecherchedeTabitha,del’officeauxgreniers.—Allezchercherune lanterne,criaGratelyauvaletde l’entrée lorsqu’il redescenditdesétages.
Nousdevonsfouillerlacave!Acesmots,sirMaurispoussaunsoupirexaspéré.—Quevoulez-vousqu’ellefassedanslacave?Elles’estenfuie,c’esttout!Le valet hésita un instant, regardant les deux hommes l’un après l’autre, puis obéit à sonmaître,
mêmes’ilpartageaitsecrètementlaconvictiondesirMauris:lafilleétaitsansdoutepartie.Cependant,lorsqu’iltentad’ouvrirlaportedesoncabinet,celle-cirestaclose.
—Qu’est-cequivousprendtantdetemps?grondaGrately.Levaletessayad’ouvrirunesecondefois,maislapoignéerefusaitdetourner.—Laporteestfermée,milord!Etjenel’aijamaisverrouillée…LordGratelyetsirMauriséchangèrentunrapideregard.—Enfoncezlaporte,idiot!ordonnalemarquis.
***
Preston ne pouvait quitter Tabby des yeux. Elle avait les lèvres rougies par leurs baisers, lespaupièresàdemifermées,leregardencoretrouble.Personnenepourraitdouterdecequis’étaitpasséentreeux…
HenneluipardonneraitcertainementpascenouveauscandaleetHenrylasuivrait,commetoujours.Ilsquitteraientlamaison.
Mais ce n’était pas cela qui l’affligeait autant… C’était son cœur, blessé et solitaire, qui étaitravagé.Hélas,avantqu’iln’aiteuletempsderéfléchiràtoutcela,lapoignéedelaportesemitàbougerfurieusement.
Ils’ensuivitunvéritablechaos.Ontambourinaitsurlaporte.Tabbyetluibondirentpourrécupérerleursvêtementsetretrouverunsemblantdepudeur.
TabbylissasajupeensoupirantetessayavainementderattachersescheveuxpendantquePrestonenfilaitprestementsonpantalonetsesbottes.
Prisdansleurétreintepassionnée,ilnesesouvenaitmêmepaslesavoirenlevées…Aucund’euxneprononçalemoindremot.Aprèstout,iln’yavaitrienàdire.Si,parle.Avoue-luitessentiments.Acettepensée,Prestonsefigea.Non,c’était impossible : ils’était juréquecelane luiarriverait
jamais.Quandonaimait,onavaittropàperdre.Ilrefouladoncsesémotionsetramassalaclésurlatable.—Tuesprête?Tabithaacquiesça.Ilglissadonclaclédanslaserrureetlatournalentement.Celle-ciémitungrincementsonoretandis
quePrestons’écartaitvivement.En un instant, la porte s’ouvrit à toute volée etGrately surgit dans le cabinet, suivi de près par
BarkworthetsirMauris.SiPrestonavait espérécontenir ce scandale, il s’était lourdement trompé :dans lehall, un large
publics’étaitrassemblé.LespirescommèresdeLondresétaientlà,jouantdescoudesafind’atteindrelepremierrangpourmieuxserégalerduspectacle.
Auboutdequelquessecondes,lavoixdeladyPeeversretentit,stridente:—Seigneur,qu’est-cequePrestonluiafait?Unsilencestupéfaitsuivitetlavieillefemme,horrifiée,prituneprofondeinspiration.—Ilaoséfairecela!Oui,cela,songea-t-il,lagorgesèche.—Mon Dieu, gémit lady Ancil avant d’enfouir son visage dans son mouchoir et de fondre en
larmes.Prèsd’elle,son idiotdefilsobservait lascène, laboucheouverte, incapablede trouver lesmots
justes.L’oncledeTabitha,lui,n’étaitpasaussihébété.—Eloignez-vousdemanièce!ordonna-t-il.Rapidement,leurhôterenchérit,lavoixvibrantedecolère:—Salemufle!Commentosez-vous?Etdansmamaison,enplus!Maisl’onpouvaitsedemandercequicontrariaitlepluslemarquis:perdrecetterichehéritièreou
voirsonnomassociéàun telscandale? Ilétaitévidentque, ladyPeeversayantété l’undespremierstémoins, l’histoire ferait le tourdeLondresavant le lendemainmidi,alimentant tous lespotinsdans lebeaumonde.
Vousnecroirezjamaiscequis’estpasséchezlordGrately,hier…Preston observa Tabby, ses lèvres si rouges, ses yeux illuminés par la passion, et il ne put
s’empêcherdesourire.Ill’avaitsauvée.Illuiavaitévitéunhorriblemariage,l’avaittiréedesgriffesdesafamille,desesintriguesetdes
sordidescalculsdesononcleWinslow.Ou,dumoins,c’estcequ’ilcroyait.— J’aurais dû me douter que vous tourneriez mal, reprit Grately, son regard enflammé fixé sur
Tabitha.Votreoncle était un imbécile sans aucunhonneur.Utilisermesdettespourme faire chanter etm’obligeràacceptercemariage…Jamais,vousm’entendez?
—Mais,mononcle…,balbutiaBarkworth.
—Cessedepleurnicher,espèced’incapable!Taseuleprésencemerappellesanscessequejen’aiaucunhéritierdignedeportermonnom,celane te suffitpas?Maintenant, tuvoudraisque j’accueillecettecatindansnotrefamille?
IlparaissaitsihorsdeluiqueladyAncilécartaprécipitammentsonfils.—Sortezdechezmoi!grondaencoreGrately.Voustous!SirMauristraversaalorslepetitcabinetàgrandspas.—Espècedegaminestupideetinconsciente!Arrivé devant Tabitha, il s’immobilisa, lamain levée comme s’il s’apprêtait à la frapper.Mais
Prestonfutplusrapidequelui.IltiraTabbyderrièreluietsetintentreelleetsononcle.—Sivouslatouchez,vousdevrezm’enrépondre,prévint-ilgravement.MaissirMaurisneselaissapassifacilementimpressionner.—C’estvousquidevriezrépondredevosactesetjevousgarantisquevousallezlefaire!Jejure
quevous…—Pasici,intervintladyTimmons,quis’étaitelleaussifrayéunchemindanslapièceàprésentque
BarkworthetladyAncilétaientpartis.N’aggravonspaslasituation.EllepritalorslebrasdeTabithaet,d’unregard,mitPrestonaudéfidel’arrêter.Maisc’étaitinutile,iln’avaitpasl’intentiondeprotester.D’ailleurs,levantlesyeux,ilaperçutla
silhouettedeHendansl’embrasuredelaporte,levisagepâleettendu.IlbaissalatêteetlaissapasserladyTimmons,quitraînaTabbyhorsdelapiècesirapidementqu’il
faillitraterlebrefregardqu’elleluilançapar-dessussonépaule.Elle fut tirée devant lady Ancil qui recula d’un pas et son ancien presque fiancé qui lui tourna
fermement le dos, mais parvint tout de même à souffler un mot que seul Preston entendit dans lebrouhaha:
—Merci.Ill’avaitsauvée.Pendantcetemps,Henavaitrelevésajupeets’éloignaitàprésent,danslesillagedesirMauriset
safamille.Ellen’avaitpasprononcélemoindremot—etn’enavaitd’ailleurspaseubesoin.Ilnerestaitdoncplusqueluidanslecabinet,etilsesentaitlacibledetouslesregards.Desregards
dedégoût,dedésarroietdecolère.Depuisdesmois, ilétaithabituéàcela.Depuisdesmois, ilenavait ri,nesesouciantpasdesa
fragileplacedanslasociété.Ils’étaitpromenéenvillecommesiLondresétaitsasalledejeux.Maispascesoir.Cesoir, ilavaitdéshonoréuneinnocentefilledevicaire.Etait-ildoncaussivil
quetouscesgenssemblaientlecroire?Cen’estpascela,voulut-illeurdire.Cettefois,c’estdifférent.Tabbyestdifférente…Oh ! Si différente. Désemparé, il avança jusqu’au perron. Dehors, Tabby fut précipitée dans la
voituredesononcle,quis’éloignarapidement,etPrestoneutl’impressionqu’unepartdeluis’éloignaitaussi.
Son cœur accompagnait Tabby. Dans cette voiture se trouvait la seule personne capable de luirendrecequ’ilavaitperdu,tantd’annéesauparavant.
OwlePark, lumineuxet rempliderires.Uneviepasséeàsedisputerausujetde ladernièrepartd’un pudding ou d’une tarte aux pommes…Des journées entières à se promener, monter à cheval etsurveillerlesméfaitsdeM.Muggins.
Etquandlanuittomberait…Quandlanuittomberait,lachambresetransformeraitenunmerveilleuxparadis.
Oui,ildésiraitTabbydetouteslesmanièrespossibles.Illadésiraitparceque…parcequ’il…
Seigneur,parcequ’ilétaittombéamoureuxd’elle!Cetterévélationlebouleversa.IlaimaitTabby.Ill’aimaitparcequ’elleavaitsuluiredonnerlafoi.LadyEssexprofitadesonsilencestupéfaitpourseplanterenfacedelui,clairementdécidéeàdire
touthautcequetoutlemondemurmurait:—Goujat!Vousavezperducettefille.Pluspersonnenevoudral’épouser,àprésent.Pluspersonne,saufmoi…Séduit par cette idée, il sourit à la vieille femmepuis la prit par les épaules et se pencha à son
oreillepourluiglisser:—Jesais.N’est-cepasunesolutionparfaite?
Chapitre15
Preston passa trois jours à attendre que quelqu’un se présente chez lui. Trois jours…Habituellement,ilnefallaitpasplusd’unematinéepourqu’unpèreenragé,unfrèrefurieuxouuntuteuroffenséfrappeàsaporte—avecousanssecond—pourluidemanderréparation.
Ou,plusprécisément,pourexigerquePrestonépouselajeunefemmeconcernéeafindepréserversonhonneur.Biensûr,lefaitquelafilleenquestiondevienneparlàmêmeduchessenefaisaitqu’ajouteràleurjoie…Duchesse.Saduchesse.
Evidemment,fidèleàlui-même,ilavaittoujoursrefuséàlafoislesduelsetlamaindetouteslesdemoisellesauxmœurslégèresqu’ilavaitperdues.Ilavaitrésistéàtouteslestentativesdechantage,àtouteslesmenacesproférées.IlsecontentaitdelaisserBenleymontreràtouscesgenslechemindelasortie…
C’était ainsi que les choses devaient se dérouler — et, sur ce point, chacun s’accordait pourconsidérerleducdePrestoncommeunexpertenlamatière.
Maiscettefoiscefutdifférent:personnenevint.NiBarkworth,nisirMauris,nimêmeGratelyn’empruntèrentlechemindelamaisonpourtantbien
connuedePreston.AucunneseprésentaàHarleyStreetpourdéfendrel’honneurdeTabby.Aumatindutroisièmejour,ilseréveillaexaspéréparl’attitudedelafamilleTimmons,bienqu’il
gardât toujours le mince espoir de voirMlle Dale etMlle Hathaway devant sa porte, décidées à lecouvrirdereproches.
Mais,àsagrandedéception,mêmeceterribleduonedaignapassedéplacer.—Seigneur,vais-jedonctoutdevoirfairemoi-même?marmonna-t-ildevantsondéjeunersolitaire.Eneffet,iln’yavaitpersonneàlaporteetlamaisonétaitdéserte…Cevide transformait sa demeure en véritable tombe, bien qu’il ne s’en soit pas encore vraiment
aperçujusque-là.Ilavaitététropoccupélesjoursprécédentsàretrouverlesbijouxdesamère,donnerdesordresetrédigerdeslettrespourrouvrirOwlePark,employerdupersonnel.Bref,ilavaitpréparéaumieuxsonaveniravantquesirMaurisneseprésente.
Mais,biensûr,unsimplebaronetnepouvaitpasfaireleschosesdanslesrègles…Enpoussantunprofondsoupir,PrestonécartasatassedethéfroidetappelaBenleypourqu’ilfasse
avancersavoiture.Peut-êtrequesirMauris,quin’avaitjamaisétéconfrontéàuntelscandale,ignoraitcommentréagir.Quelidiotilavaitétédenepasyavoirpenséplustôt!
Aprèsavoirgrimpésur lesiègedesacalèche, il sedemandas’ildevaitappelerRoxleypour luiservirdesecondavantd’allervoirl’oncledeTabby.Non,ceneseraitpasnécessaire.Detoutemanière,iln’avaitpasrevulecomtedepuislebaldeGrately,etRoxleyétaitcapabledetoutgâcher.
Prestonse renditdonc seulà lamaisondeHertfordStreet,où il apprit seulementque sirMaurisétaitpartiàlacampagneavantdesefaireclaquerlaporteaunez.
IlallaensuiteauWhite,maisdécouvritquesirMaurisn’enétaitmêmepasmembre—ilallaitauBoodles,franchement!Alorsqu’ils’apprêtaitàrepartir,ilaperçutlasilhouettedeRoxleydansl’undessalons.
Ens’approchant, ilvitquesonamiavaitenfincoincésonhomme,lefuyantNelsonDillamore,cequiétaitunexploit:l’autreétaitaussisouplequ’uneanguillequandils’agissaitd’échapperàsesdettes.
—Vousmedevezdel’argent,monbrave!grognaitRoxley.J’aivotrereconnaissancededetteici,etj’exiged’êtreremboursé.Jeneveuxplusentendreunmotd’excuse.
—Jenemesouvienspasdecepapier,Roxley, lançaDillamore, lesbras tranquillementcroisés.Montrez-le-moi.
Prestonpoussaunprofondsoupir.Roxleyetsesreconnaissancesdedettes…Ilpassaitsavieàlescollectionneretlesperdaitpresquetoujours.
Eneffet, lecomte fouilla lapochedesavesteeten tiraune liassedepapiersqui s’éparpillèrentaussitôtautourdeluicommedespétalesemportésparleventdansunpré.
—Tuasbesoind’aide?demandaPrestonenramassantlesfeuilletstombésausol.Lecomte,l’airsurpris,seretournaverslui.—Preston?C’esttoi?Jecroyaisquetuavaisquittélaville!—Jenequittejamaislaville.Roxleyréfléchituninstantàcetteaffirmation,puishochalatête.—C’estvrai,tuasraison.Oublionstoutcela.Bonsang,quellesemaine…Puis, sans même le regarder, il attrapa Dillamore par le col. Celui-ci, profitant de l’arrivée de
Preston,essayaiteneffetdes’esquiver.Lecomtele traînadenouveauà tableet lemaintintfermementassisdanssonfauteuil.
—N’essayezpasdemefaussercompagnie,Dillamore. Jesuis fatiguédevospetits jeuxet ilestgrandtempsquevousassumiezvosactes.Cen’estpascommesivousn’aviezpasd’argent.
Prestonréprimaunsourireetsecontentad’observerl’hommed’unregardamusé.Roxleyavaitraison: lepèredeDillamoreavaitétéunsecondfilsenvoyéauxIndesoccidentales
pourfairefortuneetavaitstupéfiésafamilleenréussissantadmirablementsamission.Aprésent,lapetitefouine,ayanthéritédel’argentdesonpère,étaitrichecommeCrésusetmenaitunevieplusluxueusequecelledesesplusrespectéesrelations.
Cequinelerendaitpaspourautantenclinàpartagercetterichesse,nine luiavaitdonnéunplusgrandsensdel’honneuroududevoir.
—Allons,Roxley,vousferiezmieuxderetrouvercettereconnaissancededettepour justifiercesmanières,repritDillamore,oujemeplaindraiauclub.
Roxley tourna vers lui un regard assassin. On pouvait se permettre de l’insulter de bien desmanières,maisilconsidéraitsaplaceauWhitecommeunepreuvedesonstatutetdesarespectabilité.
—As-tuentenducela,Preston?—Oui,toutàfait,maisj’aideschosesplusintéressantesàfairequedeteseconderdansunduel
contrecetimbécile.Illuitenditlespapiersqu’ilavaitramassésetpoursuivit:—Retrouvecettefichuereconnaissancededetteetjeletiendraipendantquetuluivideslespoches.
Maislaprochainefois…Soudain, il s’interrompit car, parmi les feuillets qu’il tenait encore, une écriture familière venait
d’attirersonattention.
—Mevider lespoches?couinaDillamore,qui tentaunenouvelle foisde se relever, retenuparRoxley.
—Elledoitpourtantêtrelà,grommelacelui-cienprenantlaliassedesmainsdePreston.Maisleducrésista.—Donne-moicela,insistaRoxley.Prestonignorauninstantsarequêteettiralafeuillequil’intriguaittantdulot.Souslechoc,ilneput
queparcourirencoreetencorelesquelqueslignesgriffonnées.—Vousluidevezaussidel’argent,n’est-cepas?plaisantaDillamore.—Taisez-vous, coupaPrestonavec l’autoriténaturelled’unducobligeant l’hommeàbaisser les
yeux.Denouveau,illutlanote,lagorgesèche.Non,cen’étaitpasunereconnaissancededette,maisune
catastrophed’unetoutautresorte…
Article3,Paragraphe2.Dans l’éventualitéoùmanièceatteindrait samajoritésansêtremariéeethériteraitdel’intégralitédemesbiens,monargentseragérépar ses deux oncles, sir Mauris Timmons, baronet, et le révérend BernardTimmons. Ils devront superviser les investissements et lui fournir une rentesuffisantepourluioffrirunevieconvenableenattendantsonmariage.Ilsdevrontaussijouird’unegénéreusecompensationpourcesobligationsetdevoirs.
Souslechoc,Prestonneparvenaitpasàdétachersonregarddecesquelqueslignes.Ilyavaitplus,dansletestamentdeWinstonLudlow,quel’uniquefeuillequeRoxleyluiavaitremise.
Soudain, il comprit ce qui s’était passé. Hathaway, pressé, avait confié la copie du testament àRoxleyetlecomte,étant…ehbien,lui-même,avaitdûfourrerlesfeuilletsdanssapocheaumilieudesacollectionetoubliéqu’ilyavaitplusdeunepage.
Oh!Seigneur!IlavaittiréTabbyd’unenferpourlaplongerdansunautre.Aprésentquesesonclesavaientmislamainsursafortune,ilslacacheraientquelquepartetnelalaisseraientjamaissemarier.
D’ailleurs, ilétait fortpeuprobablequ’ils luioffrentunevieplus«convenable»quecequ’elleavaitconnujusqu’àprésent:elleresteraitleurservante,contraintedeseplieràleursmoindrescaprices.
—Queljoursommes-nous?cria-t-ilàDillamore.Surpris,l’hommesursautaetsetassaplusencoredanssonfauteuil.—Queljour?balbutia-t-il.Prestonl’attrapaparlecoldesavesteetleforçabrutalementàserelever.—Queljoursommes-nous?—Ven…Vendredi,bégayaDillamore,quiluttaitpourselibérerdesonétreinte.—Non,queljourdumois?—Le22,VotreGrâce.—Alorsj’aiencorejusqu’àdimanche,murmuraPreston,lecœurbattant.Oui,moinsdedeuxjoursavantquelesonclesdeTabbynecherchentàlaplacerhorsdeportéede
n’importequelhomme—àl’exceptiond’eux-mêmes.Ildevaitàtoutprixlesenempêcher.RepoussantDillamore,ilattrapaRoxleyetlesecouajusqu’àle
tirerdesesfichuesreconnaissancesdedettes.—NousdevonstrouverMlleTimmons.Est-elletoujourschezsononcle?— Bien sûr que non, répondit le comte en lançant un regard agacé à sa manche, agrippée si
fermementparPrestonqu’ellemenaçaitdesedéchirer.Leduclerelâchaetlelaissalisserlelainaged’unreversdelamain.
—Elleest rentréeàKempton,poursuivit-il tranquillement.LadyEssex l’a ramenéechezelle, encompagniedesirMauris.Pauvrefille,elleadûsefairedisputerduranttoutletrajet…
—Nous devons y aller, interrompit Preston, cédant brusquement à la panique. Nous devons lessuivre.
—Quoi?AlleràKempton?Non,pasavantquej’aie…Bonsang,Preston!Regardecequetuasfait!
Prestonledévisageasanscomprendre.—Qu’est-cequej’aifait?Roxleypointalefauteuilvideavecunsoupirexaspéré.—TuaslaisséDillamores’échapper!—Jeteprometsdet’aideràlepisterdèsquenousrentreronsdeKempton.—J’aidéjàentenducegenredepromesses…— Cette fois, je suis sincère, reprit Preston en l’entraînant dans l’escalier. Viens, nous devons
rejoindreKemptonauplusvite.MaisRoxleynecédapassifacilement.—Tesouviens-tuquec’estlà-basquetoutacommencé?—Oui,etc’estlà-basquetoutdoitfinir.Regardeça,ajouta-t-ilenluitendantlanotedeHathaway.Roxleylaparcourutrapidementeteutunhoquetdestupeur.—Bonsang!Sesonclesvontviderlescomptesenbanqueenunclind’œil…Illevalesyeuxsursonami.—Detoutemanière,elleadéjàatteintsamajorité,n’est-cepas?—Non.Ellel’avaitpresqueatteinte,maispasencore.—Vraiment?Jelacroyaisplusâgée.—Pasdutout,réponditPreston,etsimessoupçonsseconfirment,dèsqu’elleauravingt-cinqans,
ilslacacherontquelquepart.Il reprit Roxley par la manche et l’entraîna derrière lui jusqu’au milieu du grand escalier, où
quelqu’unleurbarralaroute—lemarquisdeGrately!—Preston!Commentosez-vousvousmontrerenpublic?—Pasmaintenant,Grately,coupaPrestonenessayantdel’éviter.Maisl’autrel’attrapaparlebras.—J’aiquelquesmotsàvousdire,espècedevoyouirresponsable!Vousavezdétruitmafamilleet,
maintenant,monneveus’estenfui,biendécidéàépousercettefille.Maisjevouspréviens:ilesthorsdequestionquevotrecatinhéritedemontitre!
Enentendantlemotdecatin,Prestonpilanet.S’ilnes’étaitpasretenu,ilauraitpufrapperàmortlemarquis.
—NeparlezjamaisdeMlleTimmonsencestermes.Ilsedégageavivementdel’étreintedeGratelyetétaitsurlepointdepoursuivresaroutelorsque
sesparolesrésonnèrentenlui.«Monneveus’estenfui,biendécidéàépousercettefille…»Oh!Seigneur,non!Enfacedelui,Gratelyfrappalesolavecsacanne,contrôlantmalsonimpatience.—Oui, c’est cela : elle ne restera pas longtempsMlle Timmons. Je l’ai déshérité, et voilà son
idée?Epousercettefillesansmonautorisation?—Jamais!grondaPreston,horsdelui.
Lemarquistenditundoigtosseuxdanssadirection.—C’estvousquejeblâmed’abord,puissamère,cettegarceavide.Ellen’ajamaissusecontenter
de cequ’elle avait.Elle a toujours vouludavantage, et cetteMlleTimmons lui apporte justement toutl’argentqu’elledésire.Quelduoderapacescesdeux-là!Ehbien,iln’aqu’àl’épouseretilverraquellehonteellejetterasurnotremaison.
—Celan’auraaucuneimportance,assenaPreston.SiMlleTimmonsatteintsamajoritéavantd’êtremariée—cequiarriveradimanche—sesoncless’emparerontdesonargent.
Acesmots,levieilhommes’étouffa.—Commentdiable…?—Commentai-jedécouvertlavérité?Toutsimplementenmeprocurantunecopiedutestamentde
WinstonLudlow.—Maisj’aiditàcesidiotsdenelaisserpersonne…,commençaGratelyavantdes’interrompre,les
lèvrespincées.Prestonl’examinauninstant.— J’imagine que vous pensiez que votre autorité sur Pennyman et ses associés empêcherait
quiconque— en particulier sirMauris ouMlle Timmons— de prendre connaissance des détails dutestament.Hélas,jecrainsquevousnevoussoyezsurestimé.Pourpreuve,jel’ailuetj’imaginequesirMaurisaaussiobtenuunecopie,maintenant.
Levieilhommedemeuramuetquelquesinstants,commes’ilavaitdumalàadmettresonerreur.—Quecomptez-vousfaire?finit-ilpardemander.—Jevais arrêtervotreneveuet lesonclesdeMlleTimmons, et les empêcherd’utiliserTabitha
commeunpion.PuisiljetaunregardendirectiondeRoxleyettousdeuxcontinuèrentleurroute.Maislemarquisn’enavaitvisiblementpasfini.—Jevouspardonneraipeut-être sivousparvenezàempêchermonneveud’agir. Jen’accepterai
jamaisdelevoirépouservosrestes.Prestonsefigea.Ill’auraitvolontiersassommés’ilenavaiteuletemps…Néanmoins,Gratelypoursuivit:—Barkworthestpartiilyadesheures.IlarriveraàKemptonetépouseralafilleavantdimanche,
sivousneluibarrezpaslaroute—d’ailleurs,jenevoispascommentvouspourriezréussir.Preston,lui,avaitdéjàunesolution.—Monsieur,votreneveun’apasd’aussibonschevauxquelesmiens,lança-t-il.IlssortirentenfinduclubetRoxleyplantafermementsonchapeausursatête.—Décidément,jenesupportepascethomme,grommela-t-ilsansralentirlepas.—Moinonplus.—Ai-jebiencompris?Barkworthatoujoursl’intentiond’épouserTabitha?—C’estcela.Arrivéaucoindubâtiment,Prestonsifflaunvaletpourqu’ilaillecherchersavoiture.— Je sais que je t’ai causé beaucoup de problèmes récemment, Roxley, et que je n’ai rien à te
demander,mais…pourrais-tu…accepterais-tude…?—De t’aider à empêcher unmariage ? répondit son ami en affichant un souriremalicieux. J’en
serais heureux. Cela blessera peut-être suffisamment ma tante pour qu’elle ne vienne plus à Londrespendantaumoinsdeuxoutroissaisons.
Prestonsouritàsontour.—Alors,repritRoxleyauboutd’uninstant,qu’allons-nousfaire?
—PrendstameilleuremontureetretrouveBarkworth.Roxleyacquiesçaetgrimpasursoncheval.—RetrouverBarkworth,trèsbien.Etjel’arrête?—Oui,partouslesmoyenspossibles,réponditPreston.Tupensesyparvenir?—Necrainsrien!J’improviserai.LacalèchedePrestonfinitpararriveretilsautasurlesiège,agrippantfermementlesrênes.—Et,pendantquetut’occupesdelui,jeferaicequejefaisdemieux.—Déshonorerunefemme?plaisantalecomte.—Non,affirmaPrestonavecunpetitrireconquérant,allerleplusvitepossiblepourluivolersa
fiancée.
***
—Oùm’envoyez-vous?demandaTabitha,anxieuse,àsesdeuxoncles.Asescôtés,M.Mugginsrestaitcalmetandisque,danslefonddelapièce,sestantesfaisaientles
centpas.Toutcepetitmondes’étaitentassédanslegrenierétriquédupresbytère.TanteAllegra et ladyTimmons avaient revêtu leursplusbelles robes—sansdouteprévoyaient-
ellesd’assisteraubaldusolstice.C’était de bon augure pour ce que Tabitha avait prévu… Deux personnes de moins pour la
surveiller.Cela faisait trois nuits déjàqu’elle espérait s’enfuir,mais sa famille ne relâchait jamais savigilance.Cesoirseraitpeut-êtresadernièrechancedes’échapperavecM.Muggins.
—Jet’aidéjàditquecelaneteregardaitpas,rétorquasirMaurisendésignantdédaigneusementlegrenier.Ontefaitpartirpourtonbien.Maintenant,rassembletesaffaires.
—Oui,c’estpour tonbien,Tabitha, renchérit ladyTimmons.Tunousasdéjàmontréque tuétaistropvulnérablefaceauxhommesmalhonnêtes.
Non,Prestonn’étaitpas«malhonnête»!Ilétaitsonhéros,sonchevalierservant.Elleauraitvoulupouvoir leur expliquer qu’à chaque fois qu’il l’embrassait elle avait l’impression de ne plus toucherterre…
Mais,danslasituationprésente,celarisquaitfortd’aggraversoncas.—Oui,oui,pourtonbien,ajoutaàsontourtanteAllegraquiavaittoujoursbesoind’intervenirdans
lesdiscussions—bienqu’ellen’aitpasbesoindeparaîtresiravieàcetteidée.Nousdevonsteprotégerdesvoyousetdesrustresquinecherchentqu’àvolertafortune.
M.Muggins poussa un longgrognement, comme s’il savait aussi bienqueTabitha que les quatrepiresvoleurssetenaientdevantlui.
Croyaient-ilssincèrementqueTabithan’avaitpascompriscequ’ilsavaiententête—tantpourelleque pour son chien ? Hélas pour eux, elle connaissait le presbytère sur le bout des doigts et savaitexactementoùsecacherpour lesespionner.Ellen’étaitpas fière,biensûr,d’avoirpassé trois joursàépierleursconversations—sanssefaireprendreparMmeOaks—mais,commepersonnenedaignaitluidonnerlamoindreinformation,ellen’avaitpaseud’autrechoix.
Etcequ’elleavaitapprisnel’avaitpasrassurée…Ilsavaientl’intentiondes’appropriersafortuneetdel’utilisersuivantleurspropresintérêts.AveconcleBernardetsirMauriscommepartieprenante,ilsavaienttoutelibertépouragiràleurguise.Maispasavantqu’ellen’atteignesamajorité.
Cequiarriveraitaudouzièmecoupdeminuit.Elleauraitalorsvingt-cinqans,etc’étaitpourcelaquetoutlemondesemblaitsipressé.
SiseulementPrestonparvenaitàlaretrouveràtemps!
—Jeneprépareraipasmesaffaires tantquevous refuserezdemedireoùvousnousconduisez,répéta-t-elleobstinément.
—Neparlepassurcetonàtesaînés,demoiselle!coupaoncleBernarddesavoixlaplussévère.Aumoins,cettefois,ilneluiavaitpasrappeléàquelpointelleétait«indigne»deleursattentions
—commeill’avaitfaitcontinuellementdepuistroisjours.—J’emploierailetonquejeveuxtantquel’onmeforceraàquittermonfoyercontremavolonté.
C’estunenlèvement!Celasuffirait-ilàlesfaireculpabiliser?—Pour t’enlever, il faudraitque tu soisdignedenos soins, répliquaoncleBernard,visiblement
enchanté de pouvoir placer sa critique favorite dans la conversation. Tu es une fille perverse,déséquilibréepartaprédispositionaupéché.
Autourd’elle,toutlemondeacquiesça.C’étaitl’explicationsurlaquelletoutlemondes’accordait.Soudain,ellecomprit.C’étaitcommecelaqu’ilsavaientprévudesedébarrasserd’elle…Pauvre
Tabitha,renduefolleparsaliaisonavecundébauchélondonien!Elle comprit aussi où ils comptaient l’emmener— ou plutôt l’enfermer. Dans un asile, hors de
portéedetousceuxquipourraientl’aider.Saisiedevertigefaceàcettesituationplusdangereusequetouslesévénementsauxquelselleavaitdûfairefacejusqu’alors,ellepuisaunpeudeforcedanslaprésencerassurantedeM.Muggins,àcôtéd’elle.
Non,cen’étaitpaspossible!Ellen’étaitpasfolle.Toutesafamillel’étaitenrevanche;leuraviditéleuravaitfaitperdrelatête.
Pis encore, quel sort avaient-ils prévu pour M. Muggins ? Elle préférait ne pas y penser.Nerveusement,elleglissalesdoigtsdanslepoilrêcheduchienensepromettantqu’ilneluiarriveraitrien.Pastantqu’elleseraitenvie,entoutcas.
—Prestonnevouslaisserajamaisagirainsi,pasplusquetoutesmesamiesàKempton,prévint-elleavectoutel’autoritédelamarquisequ’elleavaitfaillidevenir.
—Sicethommet’aimaittantquecela,glissaladyTimmons,tunepensespasqu’ilt’auraitsuivie?Qu’ilseraitdéjàlà?
Ellejetauncoupd’œilfaussementétonnéàlafenêtre,puisàlaporte.—Oùest-il?A cesmots, Tabitha sentit son assurance faiblir. Elle avait passé les derniers jours à guetter le
moindresigne,lamoindretracedelaprésencedePreston.Oùdiableétait-il?Ilavaitundonexaspérantpourarriverlorsquel’onn’avaitpasbesoindelui;mais,àprésent,ilseraittempsqu’ilsedépêchedevenirlasauver.
Laveille,elleavaitplongédansunetellevaguededésespoirqu’elleauraitpresqueétéheureusedevoir apparaître Barkworth. Hélas, même cet idiot de chasseur d’héritage n’avait pas daigné venir latrouver.
—Alors,oùest-il,petitesotte?insistaàsontourtanteAllegraavantdejeterunrapidecoupd’œilàladyTimmons.SansdouteencoreàLondres,occupéàabuserdelanaïvetéd’uneautreinnocente,situveuxmonavis.
Lesdeuxfemmeséclatèrentderireetleshommeshochèrentgravementlatête.MaisTabitharefusaitd’abandonner.Ellenepouvaitperdreespoir…—Prestonviendrapourmoi.Maisilavaitintérêtàsedépêcher.OncleBernard,encoresouslecoupdelacolère,haussalesépaules.
—Tuferaismieuxd’admettrelefaitquepersonneneviendraàtonsecours,mafille,carc’est lavérité.
Tabithafaillitluirireaunez,endépitdesonangoisse.Non,ellen’étaitpasseule:lavoituredesirMauris,quil’avaitramenéeàKempton,s’étaitsoudainementdétériorée.Lelevierdufreinavaitdisparuetl’unedesrouess’étaitbrisée.Ledestinnes’étaitpasarrêtéensibonchemin:lesharnaisduvéhicule,plusmodeste, d’oncleBernard avaient eux aussi disparu.De plus, aucun habitant deKempton n’avaitacceptédeleurprêterunattelageendépitdesexclamationsfurieusesetdessommescolossalesoffertesparsirMauris.
TabithasoupçonnaitHarrietd’êtreàl’originedetoutcela,cequiluifaisaitdubien.Ellen’étaitpasaussiseulequesafamillevoulaitbienleluifairecroire.LadyEssexaussis’étaitmanifestée,venanttouslesjourssousleprétextedeprendredesesnouvelles.
Cependant,àchaquefois,sirMaurisetoncleBernardl’avaientcongédiée,cequiprouvaitbienàquelpointilsdésiraientmettrelamainsurlafortunedeleurnièce.
—Préparetesaffairesoujeteprometsquetupartirasdemainsansriend’autrequelesvêtementsque tu portes, ordonna sirMauris avant de lui tourner le dos pour redescendre. Bernard, qu’a dit ceforgeronausujetdemavoiture?
—Qu’elleseraitprêteàl’aube,réponditoncleBernardd’unairunpeuembarrassé.Noussommesàlacampagne,monfrère…Cevillageestdécidémentarriéréetj’aihâted’enpartir!
SirMauriseutunhoquetd’impatience.—ALondres,ceproblèmeauraitété régléenmoitiémoinsde temps.Mais,bon,sicelanenous
retardepasplus,nousferonsavec.Surce,ilsquittèrentlegrenier,cequin’empêchapasTabithad’entendreencoresononclelancer:— Pennyman doit nous retrouver à l’arrêt de diligence pour que nous signions les papiers
nécessaires.Ensuitenouspourronsenfinnousdébarrasserd’elle…Sesdeuxtantessuivirentleursépouxdansl’escalier.Tabithaseleva.—Vous nem’avez toujours pas dit où vousm’emmeniez, dit-elle à tante Allegra, la dernière à
partir.—Tulesaurasbienasseztôt.Surce,ellerefermalaporteetlaverrouilladerrièreelle.
***
Preston fit une troisième fois le tour du presbytère, cherchant le meilleur moyen d’entrer pourenleverTabby.
Asonarrivée,ilavaittrouvélevillagevideàl’exceptiondelasallepubliqueJohnStakes,fermée,d’oùs’échappaientdesvoixetdelamusique.Maiscelanel’avaitpasempêchédetrouverfacilementlepresbytère.
Le clocher de l’église St Edward s’élevait au-dessus des toits comme un phare et avait guidéPrestonjusqu’aucimetière,puisaupresbytèreconstruitjusteàcôté.
Ils’étaitcachédanslesbuissonsetavaitvudeuxfemmessortirdubâtiment—l’uned’ellesétaitmanifestementladyTimmons—,maispaslesonclesdeTabby.Sansdouteétaient-ilsrestéspourmonterla garde ; d’autant que leur proie seraitmajeure dans quelques heures. Il leur fallait s’assurer que lafortuneneleuréchappepas…
Aumoins,grâce à sonpassédedévergondé,Preston savait parfaitement comment entrer et sortird’unemaisoninconnue.Etcepresbytèreneferaitpasexception.Ilavaitrapidementlocalisélaportedela cuisine, la fenêtre du bureau, et devinait que Tabitha devait être enfermée dans le grenier car unebougieétaitalluméeprèsduchien-assisderrièreunrideautiré.
Cependant, la cuisine était gardée par une effroyable gouvernante qui semblait capable dedémembrerunbœufàmainsnues.Unrisquequ’iln’étaitpasprêtàprendre.
Danslebureau,ilavaitaussiaperçusirMaurisetunautrehommequiluiressemblaitbeaucoup—peut-êtresonfrère.Tousdeuxsirotaientduportotandisquelebaronetnecessaitdeparleretquel’autrenesemblaitavoird’autrechoixqued’acquiescerensilencedetempsentemps.
Prestonréfléchituninstantàsonplan.Sansdouteserait-ilcapabledesefaufileràl’intérieurparlaported’entrée ;mais,àunmomentouàunautre, ilse trouveraitcertainementfaceàsirMaurisetsonfrèreouaumastodontequileurservaitdegouvernante.
Soudain,unmurmuredanssondoslefitsursauter.—Bonsoir!Etouffantuncri,ilseretournad’unbondetdécouvritlevisagedeRoxleydanslapénombre.—Bonsang!—Oui,désolédet’avoireffrayé,réponditsonamiavecungrandsourire.Alors,commentcelase
passe?—T’es-tuoccupédeBarkworth?demandaPreston.—Oh!oui!Jeluiaiditquetuavaisl’intentiondevenirletrouveretdeluivolersonhéritière,etil
estrepartiaugrandgalop…Lagorgesèche,Prestonledévisagea,incrédule.—Qu’as-tufait?Tudevaisleretarder,pasluidonnerunavantage!—Eneffet,jeluiaidonnéunbelavantage,jubilaRoxley.Jeluiaiindiquéunraccourciprèsdugros
chêne et je lui ai dit de lancer ses chevaux à toute allure. S’il prend ce virage comme je le lui aiconseillé…
—Roxley,tuesungénie,coupaPreston,rassuré,enluidonnantunegrandetapedansledos.—Ilétaittempsquetut’enrendescompte…Sonamilissasonmanteauetexaminarapidementlafaçadedupresbytère.—Tuasl’intentiond’entrer,toutsimplement,etderessortiravecelle?—Oui.—Simpleetdirect,approuvaRoxley.Commeunduodecambrioleurs…—Toutàfait,acquiesçaPrestonavantdesortirsonpistolet.Roxleyeutunpetitrireamusé.—Quandj’étaispetit,jerêvaisdedevenirvoleur!—Pourquoinesuis-jepassurpris?murmuraleducavantdesefaufilerjusqu’àlaported’entrée.Ellen’étaitpasverrouillée—aprèstout,c’étaitunpresbytère…Tousdeuxtraversèrentlevestibuleets’apprêtaientàmonterl’escalierqui,avecunpeudechance,
lesconduiraitàlaprisondeTabithalorsqu’unbruitdevaissellebriséelesfitsursauter.Denouveau,Prestonsentitsoncœurbondiretseretourna.Uncriaigurésonnadanslapetitepièce.—Al’aide!Auvoleur!Auvoleur!Al’assassin!C’étaitlagouvernantequiseprécipitaitsureux,lepoinglevé,unplateauvidesouslebras.Roxleys’écarta sivivementqu’ellen’eutpas le tempsde réagir.D’ungeste rapide, ilouvritune
portederrière luietelles’y jeta la tête lapremière.Sanssedépartirdesoncalme,Roxleyrefermalaporteavantdes’appuyercontrelebattant.
—Passe-moicettechaise,ordonna-t-ilàPreston.Celui-cis’exécutaetcalaledossiersouslapoignée.Lagouvernanteétaitpiégée…Cependant, sescrisavaientalerté toute lamaisonnéeet laportedubureaus’ouvrità toutevolée,
laissantapparaîtresirMaurisetsonfrèrequibrandissaitunpistolet.—Nebougezpas!C’estunpresbytère,ici,quefaites-vous?Prestons’avançad’unpas,camouflantRoxley,etlevasonarmeàsontour.—Lâchezcela,monsieur,oujetire.Heureusement pourPreston, le frère de sirMauris pâlit et sa résolution s’évanouit en un instant.
Manifestement,jamaisiln’auraitpufairecarrièredansl’armée!Lesmainstremblantes,ilposasonarmeausoletreculad’unpas,seglissantderrièresonfrèrepour
seprotéger.—Restonscalme,balbutia-t-il.Toutsourire,Roxleyramassalepistolet.—Oùest-elle?OùestTabitha?lançaPrestonenmettantlebaronetenjoue.SirMaurisrougitjusqu’auxoreilles.—Espècedevaurien!Jepréféreraismourirplutôtquedevouslaisserlaprendre!Prestonhaussalesépaulesettournalecanondesonarmesurlevicairequiessayaittoujoursdese
cacherderrièresonfrère.— Etes-vous du même avis, monsieur ? Préféreriez-vous mourir plutôt que de nous conduire à
MlleTimmons?L’hommeouvritdegrandsyeuxetindiquaimmédiatementl’escalierdudoigt.—Elleestenferméeaugrenier.Sonfrèresetournabrusquementversluietluiadministraunegiflesonore.—Stupidecouard!Ilnenousauraitjamaistirédessus!—Vraiment?réponditPrestonenappuyantlecanondesonarmesurlefrontdesirMauris.Alors
quevousavezenlevé la femmeque j’aimeetquevousaviez l’intentionde luivoler la fortunequi luirevientdedroit?Nememettezpasàl’épreuve,monsieur.
Acesmots,l’hommerougitdeplusbelle,maisileutlasagessedenesoufflermot.Prestonlesfitavancerdanslevestibuleavecautorité.—Conduisez-moijusqu’àelle.LesfrèresTimmonss’exécutèrent,grimpantlentementlesmarchessanscesserdeserejeterlafaute.Enfin,ilsatteignirentlaportedugrenier.SirMaurisdéclaraalorsqu’ilnesavaitpasoùsetrouvait
laclé,rapidementimitéparsonfrère.Lasséparcepetitjeu,Prestonpritleschosesenmainetenfonçalaported’uncoupdepied.
Ilseprécipitadanslapiècemais,àsongranddésespoir,n’ytrouvapassafutureépouse.SaTabby.Legrenierétaitvide.MlleTabithaTimmonsn’avaitpasattendued’êtresauvée;pascettefois-ci…
***
Tabitha était très fière d’elle : M. Muggins et elle avaient réussi à se glisser dehors sans quepersonne ne les voie. Heureusement pour elle, oncle Bernard et tante Allegra ne s’étaient jamaisréellement intéressésàcettemaison, sinon ils auraientdécouvert lesnombreuxsecretsqu’elle recélait—commeTabithaelle-mêmel’avaitfaitaufildesans.
Parexemple,ilsignoraientqu’untrouducuréouvraitsurlegrenieretmenaitàunescalierdissimuléquidescendaitjusqu’àlacuisine,permettantd’entreretdesortirdupresbytèreentoutediscrétion.
En effet, Kempton s’était plié à la nouvelle religion comme il se pliait à tout changement —lentementetdemauvaisegrâce.Cequiavaitaujourd’huipermisàTabithaderegagnersaliberté…
D’unpasrapide,elleremontaMeadowLane,sonsacrempliàrasbordpendantauboutdesonbras.Devantelle,M.Mugginsbondissait joyeusement.Elleavait finalementobéiàsononcleetemballésesaffaires,maisn’avaitjamaiseul’intentiondeserendrelàoùilcomptaitl’emmener.
En quelquesminutes, elle atteignit le croisement de High Street et, le cœur battant, aperçut unevoiturequiarrivaitàtoutevitesse,conduiteparunehautesilhouettesombre.
Preston ! Il étaitbeletbienvenu ! Il s’étaitpeut-être fait attendre,mais il était là, enfin.Elle lelaisseraits’excuser,lasupplierdelepardonneretluidemandersamain,puiselleluipardonnerait…
Ohoui, soncorpsavaithâtede luipardonner,pétridusouvenirde leursétreintesetbrûlantd’undésirquicouvaitsanscesseenelle.
—Jesuislà!cria-t-elleavecdegrandsgestesendirectionducocherpourqu’ilralentisse.Cequ’ilfit,évitantauderniermomentqueseschevauxnelarenversent.Lecœurbattant,Tabithase
précipitasurlecôtédelavoitureetsefigeasurplace,horrifiée.Oh!Seigneur,non!—MademoiselleTimmons!Quellechance!s’exclamaM.ReginaldBarkworth.Quellechance?Ellen’auraitcertainementpasditcela…Barkworthsepenchaverselleet,sansluilaisserletempsdeprotester,lapritdanssesbras.—Mapauvre,chèredemoiselle.Quandjepenseauxinjusticesquevousavezsubies…Maisn’ayez
crainte:jesuisvenuvoussauver!Siseulementils’enétaitabstenu,songea-t-elle,désespérée.
***
Après avoir découvert la disparition de Tabitha, Preston et Roxley enfermèrent sirMauris et lerévérendTimmonsdanslacave.Unefoisdanslarue,làoùlavoituredePrestonetlechevaldeRoxleystationnaient,ilsréfléchirentquelquesminutes.Oùavait-ellepualler?
—Sij’étaisàsaplace,lançafinalementRoxley,jediraisàPottage…—ChezMlleHathaway?—Oui.Oubien…Soudain,desaboiementsaffoléslesinterrompirentetM.Mugginsbonditjusqu’àeux.—Tevoilà,monchien!s’écriaPreston,rassuré,enluicaressantlatête.S’ilétaitlà,Tabithanedevaitpasêtrebienloin.Hélas,ilnelavitnullepart.—Oùdiablea-t-ellebienpupasser?Ellen’abandonneraitjamaissonfidèlecompagnon.—Eneffet,admitRoxleydansunprofondsoupiravantdejeteruncoupd’œilenhautdelarue.Je
n’aimepascetteidée,maiselles’estpeut-êtrerenduelàoùtoutlemondesetrouvecesoir…—Lebaldusolstice,achevaPreston.Roxleyleregardad’unairsurpris.—MlleTimmonsl’amentionnéuneoudeuxfois,expliquasonami.—Plutôtdeuxfoisqu’uneàmonavis.Lesgensd’icineparlentquedecelapendantdesmois.Dans
cecas,nousferionsmieuxd’alleràFoxgrove.Roxleygrattaaffectueusementlesoreillesduchienets’emparadesrênesdesoncheval,imitépar
Preston.Ilscommencèrentàremonterlarue,lentement,M.Mugginssurleurstalons.
—Jetepréviens,repritlecomte,matanteneserapascontentedemevoir—oudetevoir…—Ellen’estjamaiscontente,detoutemanière.Roxleyacquiesçad’unairdésolé.—AvantdequitterLondres,ellen’afaitqueseplaindrequetul’aiesembrassée,chezGrately.—Jepréféreraisnepasparlerdecela,coupaPreston.—Et,moi,j’aimeraisautantnepasensavoirdavantage.Jamais.
***
Peudetempsaprès,ilsarrivèrentàFoxgroveetlecomteguidaPrestonjusqu’àlaportedederrière.Sefaufilantdanslapénombre,leducjetaunrapidecoupd’œilparlesgrandesportesouvertesdelasalledebal,cherchantTabbydanslafoule.Mais,àsongrandregret,ellenesemblaitpass’ytrouver.
Bonsang!L’espaced’uninstant,iléprouvaunefurieuseenviedefouillertoutelademeuredeladyEssexpour la trouver.Cependant,celaneserviraitqu’àalerter ladyTimmonset sabelle-sœur,et leurpermettraitd’achevercequeleursépouxn’avaientpaspufaire:enleverTabby.
Soudain,unebellejeunefemmeblonde—MlleDale!—passalaporteetPreston,habituéàagirpromptementaveclesjeunesfilles,luiattrapalebraspourl’entraînerdansl’obscurité,loindesregards,plaquantsonautremainsursabouchepourl’empêcherdecrier.
Ellesedébattitpendantquelquessecondespuislereconnut.L’expressiondesonregardpassaalorsdelapeurpaniqueàlacolèrenoire.
UneDaleenfurie…QueDieu legarde!Hélas,elleconstituait sonmeilleuratoutpour retrouverTabby.Illarelâchadoncavecdouceur.
—MademoiselleDale…—Votre Grâce, coupa-t-elle d’une voix glaciale, laissez-moi ! Cela ne vous suffit pas d’avoir
déshonoréTabitha?Maintenant,vouscomptezaussiruinermonavenir?Roxleys’adossacontrelacloison,lesbrascroisés,d’unairdedire:«Ellen’apastoutàfaittort.»
Pendantcetemps,M.Mugginss’étaitassisauxpiedsducomteetobservaitlascène,attentifaumoindremouvementdePreston.
—MademoiselleDale,repritplusfermementcelui-ci.—Voyou!Vousn’êtesqu’unmonstre!—Unmonstre?répétaRoxley,lesourireauxlèvres.Voilàquiestnouveau.Agacé, Preston le fit taire d’un regard. Il allait avoir suffisamment de difficulté à convaincre
MlleDaledel’aidersansqueRoxleyn’intervienne.Pfff, lesDale… Ils ne savaient que semontrer hautains et pérorer sans arrêt—etPrestonne se
sentaitpasd’humeurpatiente.—MademoiselleDale,voussavezpourquoijesuisici.JedoistrouverTabby…MlleTimmons.—Dansquelbut?Vousavezl’intentiondeladéshonorerdenouveau?D’ungesterageur,elleajustasajupe.—Biensûr,lesSeldonnesaventpass’arrêter,reprit-elle.Prestonneputréprimerunsoupir.—MademoiselleDale,écoutez-moi:jesaisquenousnenousapprécionspas…—Pfff!LesSeldon!Oui,ehbien,jepartagevossentiments,voulut-ilrépliquer.LesDale!Insolents,dédaigneux…Il
prituneprofondeinspiration.Qu’est-cequ’ilnefallaitpasfairepourtrouverTabitha!S’efforçantdeparaîtreconciliant,ilrépondit:
—Pourunefois,j’aimeraisquenousoubliionsnosdifférendsfamiliauxpoursauvervotreamie.—Lasauver?Vousl’avezperdue!Autempspourlatrêvequ’ilespérait…—Bonsang,mademoiselleDale!Nousperdonsdutemps.Avez-vousl’intentiondem’aider,ouiou
non?—Biensûrqu’ellevousaidera,coupalavoixdeHarrietHathawayquivenaitdepasserlaportede
sonpasvif.—Ah,tevoilà,Harry!soupiraRoxley.Lajeunefemmeluilançauncoupd’œilsévère.—Roxley,vousferiezmieuxdevouscacherdevotretante:ellenedécolèrepas…Ilparaîtqu’un
ducaosél’embrasseretquevousn’étiezpaslàpourdéfendresonhonneur.Roxley lui réponditpar l’unde ses sourires tranquillesetPrestonaurait juréqueMlleHathaway
avaitrougifurtivementavantdesetournerverslui.Là,ilcompritbienvitepourquoisesfrèrescraignaienttantdelamettreencolère.—Ilétait tempsquevousarriviez,VotreGrâce ! s’exclama-t-elle, lespoings sur leshanches. Je
commençaisàcroirequevousneviendriezjamais,malgrétoutlemalquejemesuisdonnépourquesirMaurisnepuissequitterKempton.
—Qu’as-tufait,petitepeste?s’enquitRoxley.—J’aipeut-êtredémontéquelquespiècesdesavoiture…Daphném’aaidée.—Oui,maispaspourquevouspuissiez la sauver, répliquaMlleDale. Jecherchais seulementà
gagnerdutempspourtrouverunmoyendesortirTabithadupresbytère.—Maintenantquevousêteslà,VotreGrâce,repritHarriet,oùestTabitha?Ellecherchasonamiedesyeuxderrièrelui.—Si vous avezM.Muggins, c’est queTabitha doit être ici. Elle ne l’abandonnerait sous aucun
prétexte,pasvolontairemententoutcas.—Ellen’estplusaupresbytère,indiquaPrestonavantdeleurexpliquercequis’étaitpassé.—Alorsvousdevezlatrouver,etvite!repritHarriet.—Tuesfolle?C’estunSeldon!Daphnéseplaçarapidemententreleducetsonamie,puisbaissalavoix.—IladéshonoréTabitha,ilnepeutluivouloirdubien…—Seigneur,Daphné, il est là pour la sauver ! Si je t’avais écoutée, j’aurais pensé que tous les
Seldonavaientpourhabitudedetuerleursenfantsetd’agresserdesfemmes.Mlle Dale répondit par un haussement d’épaules et grimaça : tu-verras-bien-que-j’ai-raison ;
commesielleétaitpersuadéequePrestoncachaitmilleetunerusesdanssacalèchepouryattirerviergesetorphelinsaucasoùilseraitàcourtdevictimespoursessacrificesquotidiens.
Harriets’apprêtaitàrépondre,maisMlleDaleluisecoualebrasd’unairangoissé.—Commentpeux-tuluifaireconfianceausujetdubonheurfuturdeTabitha?—ParcequeRoxleyluifaitconfiance,répondittranquillementsonamie,etparcequeChauncem’a
assuréquePrestonaplusdequalitésquecellesquel’onattendd’unduc.Preston, désemparé, poussa un nouveau soupir. Jamais il ne s’habituerait à ces demoiselles de
Kempton…—Jevousenprie,mademoiselleHathaway,oùestTabby?—Harriet!coupaencoreDaphné.Mais,cettefois,Prestonperdittoutepatience.IlfitfaceàDaphnéets’approchajusqu’àcequ’ilsse
trouventnezànez.
—Maudite soyez-vous, impertinente petite garce ! Je suis là pour la sauver de ses oncles et deBarkworth.
Elleledévisagea,abasourdie.—Oui,vousm’avezbienentendu,poursuivitPreston.Al’heureoùnousparlons,Barkworthesten
routepourl’enleveravantqu’ellen’atteignesamajorité.—Mais…—Iln’yapasde«mais».Deplus,sivousvouleztoutsavoir,jecomptebienm’assurerqu’elle
hérite de la fortune de son oncle et lui proposer de devenirma duchesse.De lui proposer, entendez-vous ? Pas de la contraindre à un mariage qui arrangerait tout le monde sauf elle. Je veux qu’elledeviennemafemme,machèreettendreépouse.Oupas.Celadépendraentièrementd’elle.Quoiqu’ellechoisisse,elleaurabeaucoupd’argentàsadispositionetseralibredefairecequiluiplaît.Celasuffit-ilàm’assurervotreaideounon?
Lesyeuxgrandsouvertsetleslèvrespincées,Daphnésecontentad’acquiescer.Enfin…Prestonseredressaetlissasonveston.Ilétaitsurlepointdelaremercierquandilaperçut
unesilhouette,devantlaportedujardin.Wouf!M.Mugginsbonditenavant—manquantdefairetrébucherRoxley.—Tabby,balbutiaPreston.Il oublia instantanément les deux autres demoiselles et la serra dans ses bras. Leurs lèvres se
rencontrèrentetilss’embrassèrentfiévreusement.Cebaiser,c’étaitcommes’ilrentraitenfinchezlui,uneémotionqu’iln’avaitpaséprouvéedepuis
desannéesetquilebouleversa.IllevalevisagedeTabithapourmieuxlevoirdanslafaiblelumièrequifiltraitparlaportedela
salledebal.—Tabby…Oùdiableétais-tu?Mais elle ne put répondre immédiatement, à cause du concert d’aboiements deM.Muggins, qui
tournaitenrondautourd’eux.Lorsqu’illaregardadeplusprès,Prestonpoussaunpetitcri.—Seigneur!Quet’est-ilarrivé?Sarobedemousselineétaitdéchiréesuruncôtéetcouvertedepoussière.Elleavaitaussiunbleu
surlajoueetsesdeuxbrasétaientégratignés.—Quet’est-ilarrivé?répéta-t-il.—Tun’espasvenuàtempsetj’aidûimproviser,avoua-t-elleavecungrandsourire.—C’esttoujoursunbonplan,àmonavis,glissaRoxley,bienquepersonnenel’écoutâtvraiment.—Mesonclesm’avaientenferméedanslegrenier…—Quelsgoujats!s’écriaDaphné.—Maisilsneconnaissentpasletrouducuré,nil’escalierdérobéquimèneàlacuisine.Toutce
quej’avaisàfaireétaitd’attendrequeMmeOaksapporteunplateauàmesonclespuis…Prestonneputréprimerunsourire.Là,ilretrouvaitsaTabby:malignecommeunchat.—Finalement,jen’avaisdoncpasbesoindefairetoutcecheminpourtesauver,constata-t-il.—J’auraispourtantaiméquetusoislàplustôt…J’aidéchirémarobeensautantdelavoiturede
Barkworth.Unsilencedestupeurs’installa,puislesquatreautresreprirentenmêmetemps:—Barkworth?—Oui,Barkworth.Quandj’aiatteintHighStreet,j’aivuunevoitureentrerdansKemptonaugrand
galopetj’aicruquec’étaittoi,Preston.
Elle s’appuya quelques instants contre son épaule, comme si elle avait eu besoin de s’assurerqu’ellenerêvaitpas.
Non,Tabby,tunerêvespas;etjenetequitteraiplusjamais.Cependant,unechosel’agaçaitquelquepeu.—Tum’asconfonduavecBarkworth?—Oui, je sais, c’est assezgênant.Mais,pourmadéfense, il faisaitnuit et jen’avaispasmangé
depuismidi.—Bien,tuespresquepardonnée,plaisanta-t-il.—Jet’autoriseàteservirdecelapourtemoquerdemoi,maispasplusd’unefoisparan,répliqua-
t-elled’unevoixfaussementsévère.—Entendu.—Ques’est-ilpasséquandtut’esrenducomptequ’ils’agissaitdeBarkworth?intervintHarriet,
visiblementpresséed’entendrelerestedel’histoire.—J’étaissouslechocet,avantquejepuisseréagir,ilm’aattrapéeettiréedanssavoiture.—Barkworth?répliquèrent-ilsdenouveaud’uneseulevoix,deplusenplusabasourdis.—Oui,M.Barkworth.Apparemment, lefaitd’avoirperdul’appuifinancierdesononcle,entout
cas, jusqu’au « malheureux jour » de son décès, jour que Barkworth ne trouvera d’ailleurs pasmalheureuxdutout…
—Non,certainementpas,ajoutaDaphné.—Bref, le faitd’avoirperdusa rente semble luiavoirdonnéunenouvelle formedecourage,au
moinsassezpourvenirmepoursuivrejusqu’icietobtenirmafortuneàn’importequelprix.J’aiessayédem’enfuir,mais ilétaitdécidéàm’enlever ; ila refusécatégoriquementdem’amener icioudeprendreM.Mugginsavecnous,etestrepartiàviveallureendirectiondelagrand-route.Là…
—Ilaprisunraccourci,achevaRoxley.—Toutàfait.Commenta-t-ilpuconnaîtrelarouteduvieuxchêne?Lecomtehaussalesépaulesetfrottanerveusementsespiedsl’uncontrel’autre.MaisTabithaneparutpass’apercevoirdesagêne.—Quoiqu’ilensoit,quelqu’unavaitdû luidirequ’il s’agissaitde lamanière laplus rapidede
rejoindrelaroutedeLondres.—Quelidiot!s’écriaRoxley.Jeluiaiditlecontraire!—Etvousaveznégligédeluiexpliquerpourquoionappellecelalarouteduvieuxchêne?glissa
Harriet.—Peut-êtrebien…—Vousavezbienfait,repritTabitha.Ilmetenaitd’unemainetconduisaitdel’autre.Leschevaux
allaientbientropviteetquandnousavonsprislevirage…Elleleurmontraunenouvellefoisletristeétatdesajupeenguised’explication.— Ilm’a lâchée juste à temps pour que je saute. J’ai cru quema cheville allait se brisermais,
heureusement,j’aiatterridanslahaie.—Oh!oui,jeconnaisbiencettehaie,murmuraRoxleyavecunpetitregardencoinendirectiondu
duc.Tabithaacquiesça,serappelantévidemmentlejourdesarencontreavecPreston.—Jemesuiséchappée,maisjecrainsqueBarkworthn’aitpasétéaussirapide.—M.Barkworthestmort?balbutiaDaphné.—Non,maisilestcoincésoussavoiture.Ilamêmeeul’audacedemedemanderd’allerchercher
del’aide…etuntailleurpourraccommodersonsibeaucostumedevoyage.
Sonrécitachevé,ellepritletempsdecaresseraffectueusementM.Muggins,assisàsespieds,puislançaungrandsourireàPreston.
—Jeluiaipromisd’envoyerdel’aide,maisjen’aiencoretrouvépersonne.—Oui,celapourraitprendreunpeudetemps,admit-il.—Oh!desheures!renchéritHarriet,quecettehistoiresemblaitavoirmiseenjoie.—Amonavis,repritTabby,ilrisquederesterlàjusqu’aumatin…—Etceserabienfait,intervintàsontourDaphné.Mais,Tabitha,tunepeuxpast’attarderici,tu
sais.C’estlepremierendroitoùtesonclesviendronttechercher,ettestantessetrouventàl’intérieur.Onnepeutpasleslaissert’enlever.
Preston,lui,n’étaitpassiinquiet.—Nevousenfaitespas,ilsn’oserontpluslatoucher.Pourappuyersesdires,illapritdanssesbrasetl’embrassatendrement,lecœurbattant.Maison.Foyer.Amour.Tabby.—C’estlebaldusolsticeetj’avaisespéré…Enfait,jepensais…Ellelevalesyeuxsurlui,leregardaniméparuneflammequinepouvaitêtrequelefruitdel’amour
—dumoins,ill’espérait.—Non,répondit-il.Jeteconnaisbien,etjepensequetun’esvenuequepourvoirdequellecouleur
sontlesbanderoles.Elleéclataderire.—Alors,dequellecouleursont-elles?Prestonjetauncoupd’œilparlaportedelasalle,toujoursentrouverte.—Lavande.—Parfait,assuraTabby.Certaineschosesnedevraientjamaischanger.De nouveau, ils se dévisagèrent quelques secondes, sans vraiment se rendre compte queHarriet
emmenaitRoxleyetDaphnéàl’intérieurpourleslaisserseuls.Délicieusementseuls.Al’exceptiondeM.Muggins,leurchaperonsipeuportésurlesconvenances.—Tunepensespasquecertaineschosesdoiventchanger,aucontraire?s’inquiéta-t-ilsoudain.—Ettoi?As-tuchangé?—Serais-jeici,sij’étaistoujourslemêmequ’autrefois?Ilneputs’empêcherdelaserrerplusfortdanssesbras.—Jesuisvenutesauver,maisjetepréviens,Tabby,c’estladernièrefois.—Tuasfaittoutcevoyageuniquementpourcela?ElleeutunpetitsourirecharmeurquifitbattrelecœurdePrestonencoreplusfort.—Oui,répondit-il.—Mesauverdemesoncles?—Oui.—Etcommentas-tudécouvertcequ’ilsmanigançaient?—Parchance.—LefrèredeHarriet?reprit-elle,pensantsincèrementqu’ilparlaitdeChaunce.—Non,j’aivraimenteudelachance.Il luiexpliquacomment ilavait retrouvélasecondepagedutestamentdeWinstonLudlowetelle
poussaunsoupirmi-soulagé,mi-inquiet.—Etquesouhaitez-vouscommerécompense,VotreGrâce?Prestonsefrottalementonetréfléchit—plutôt,fitminederéfléchir—uninstant.—Tuesunehéritière,maintenant…Celanedevraitpasêtretropdifficile.
—Espècedegredin!répliqua-t-elleenlefrappantdoucement.—Tonamiem’atraitédemonstre.—Oui,ehbien,elleavaitraison.—Sérieusement,jepensaisquetupourraismesauveràmontourpourmeremercier.Mesauverde
matante.—LadyJuniper?—Toutàfait.Elleestdécidéeàmemarieràlapremièrevenue.CefutautourdeTabithadesemoquer.—Et…as-turencontréquelqu’und’assezrespectable?—Biensûr.Maisjenel’apprécieguère—surtoutdepuisquejet’airencontrée…Ils’interrompitetreculad’unpaspours’agenouilleretluiprendrelamain.—Tabby,jeveuxt’épouser.Elleeutunpetitsourire.—Pourêtrehonnête,jelesaisdéjà.—Vraiment?Onm’espionne?—Oui.Jesuisd’ailleurssurprisequeladyEssexnet’aitpasentenduharcelercettepauvreDaphné.—Jen’aipasharceléMlleDale,protesta-t-il.Enfait,c’étaittoutlecontraire:ilavaitmêmefaitpreuved’unegrandemaîtrisedelui-mêmefaceà
cettefillesiobstinée!—Tusaisqu’elleauradumalàcroireque tuneveuxquemonbien, reprit-elle.Rassure-moi, tu
n’aspasl’intentiondemevolermafortune,aumoins?CettequestionpritPrestondecourt.—Jemefichede la fortunede tononcle!N’as-tudoncpasentenduceque j’aiditd’autreà ton
amie?Quejevoulaisquetusoismaduchesse?—Si,j’aitoutentendu,affirma-t-elle,lesbrascroisés.Maisjeveuxd’abordtoutsavoirausujetde
mafortuneetdemalibertédefairemespropreschoix.Ilauraitpucroirequetoutétaitperdu,s’iln’avaitdistinguéunepetitelueurmalicieusequiscintillait
aufonddesyeuxdeTabby…Ilacquiesçadonc,etexpliqua:—Letestamentdetononcleditque,situatteinstamajoritésansêtremariée,tesonclesformeront
unealliancepourgérertafortune.—Mesonclesnesontpasdignesdeconfiance!Ilsvoulaientm’enfermerdansunasile!—C’estunetrèsbonnenouvelle,répondit-il.—Paspourmoi.—Jesais,maiscelaprouveraqu’ilsnesontpasdignesdes’occuperdetesaffaires—oudetoi.
M. Pennyman, en tant qu’avoué chargé de cette affaire, sera donc contraint de trouver une nouvellepersonnepourdirigerl’affaire;et,puisquej’aiapportébeaucoupdetravailàsonétude,jepensepouvoiravoirunecertaineinfluencesurlui.
—Celaauraitpuêtreutilelasemainedernière,avantquetunemedéshonores,lança-t-elle.—Ehbien,c’estleproblèmelorsquel’onconfieunmessageàRoxley,répliqua-t-ilenreprenantsa
main,qu’elleavaitéloignée.Quandj’aiapprislavérité…—…tuesvenumesauver?—Celasembleêtremondestin.Ilvoulutparaîtrehumble,maisc’étaitunetâchedifficilepourunduc.—Tondestin?C’esttout?—Tabby,jet’aime.Quandjel’aicompris,celaachangémesconvictionssurlemariage.
Cesmotslafirentfrissonneretilvitdeslarmesluimonterauxyeux.—Tu…Tum’aimes?murmura-t-elle.Dansunélanpassionné,Prestonl’embrassafougueusement.—Seigneur,commentpeux-tuendouter?SaTabby,toujourssirationnelle,réponditsimplement:—Tunemel’asjamaisdit.—Jepréfèrelesactesauxmots,tulesais…Ellesepelotonnaplusencorecontreluietcaressasajouemalraséeavecuneinfiniedouceur.—Danscecas,VotreGrâce,qu’attendez-vous?Agissez.
Chapitre16
Londres,deuxsemainesplustard
Tabithaeutunpetit sourire en lisant lesquelquesmotsdélicatement imprimés sur l’épais feuilletqu’elletenaitàlamain.
LenobleducdePrestonEspèreavoirl’honneurdevotreprésenceLorsdesonmariageavecMlleTabithaTimmonsLemercredihuitaoûtEnl’andeNotre-SeigneurmillehuitcentdixAOwlePark,Surrey
—Quatresemaines!soupiraPrestonenjetantàsontouruncoupd’œilsurl’invitationqueTabithaluitendait.
Ilsétaient installésdans lesalonrougedesamaison londonienne.M.Muggins,quine lesquittaitpas,étaitrouléenboulesuruntapiscertainementhorsdeprix,devantlacheminée,saqueuebattantdebonheur.Pourunterrierirlandaissansmanières,ilavaitpresqueadoptésanouvelleviededuc.Presque.
Il demeurait néanmoins un mauvais chaperon. Après tout, le soir de leurs retrouvailles, il avaitlaisséTabithaetPrestonpasserde longuesheuresen têteà têtedans les jardins—«fichusSeldon»,avait grommeléDaphnéen l’apprenant.Cependant, lorsqu’ils étaient retournésdans la salle debal deFoxgrovepourannoncerleursfiançailles,Harrietavaitconcluque«c’étaitcommecelaqueleschosesdevaientsepasser».
Au grand dam des oncles de Tabitha. Seule lady Timmons avait vu ce changement d’un œilpragmatique.
—Penseànosfuturesrelations,moncher,avait-elleglisséàsonépouxoffensé,quiavaitfinalementréussiàs’échapperdelacave.NotrechèreTabithavadevenirduchessedePreston!
LadyEssex,elle,avaitimmédiatementprisenchargelafutureépouseetl’avaitconduiteàLondrespour l’aider à choisir son trousseau avant de déclarer haut et fort qu’elle avait été celle qui avait sumétamorphoserlecélèbreducdePreston.
—Ilm’amêmeembrasséeunefois,répétait-elle.Cependant,quandPrestonavaitproposéd’obtenirunelicencespécialepoursemarierauplusvite,
Tabithaavaitrefusé.—Jeveuxpublier lesbansetavoirunmariageconvenable, luiexpliqua-t-elleencorece jour-là,
danslesalonrouge—commeellel’avaitfaitchaquejourdepuisqu’ilsavaientquittéKempton.—Oui,oui,concédaPreston,bienqu’ilnesoitpasprêtàabandonnerseseffortspourprécipiter
l’événement.IlavaitpenséquedeuxsemainespasséessouslahoulettedeladyEssexsuffiraientàlafairechanger
d’avis;maisilcommençaitàapprendrequesafutureépouseétaitaussiobstinéequelui.—J’aicommandémarobehier,etelleseraprêteàtempspourlafêteàOwlePark,annonça-t-elle.OwlePark.Prestonavait encoredumalàycroire. Il s’yétait rendu la semaineprécédenteavec
Tabitha,accompagnéparHenetHenryquiavaientfaitofficedechaperons.Apeineavait-ilposéunpiedhorsdesavoiturequetoutessescraintess’étaientévaporées.Devant
luis’étendaitunvastegazonvert tendresurplombéparlahautefaçadedepierreclairedevantlaquelle
s’alignaitunelonguerangéededomestiques.Tousl’avaientchaleureusementsaluélorsqu’ils’étaitapproché,aubrasdeTabitha.Etilauraitjuréquelavieilledemeurefaisaitdemême,ensilence…—Bienvenuecheztoi,luiavaitglisséTabbyàl’oreille.—Non,bienvenuecheznous,avait-ilrétorqué.Toutavaitétépréparépourlafêtequidevaitaccompagnerleurmariage.Etvoilàquelesinvitationsétaientenvoyéesàtousleursconvives.—Jegardetoujoursl’espoirdeteconvaincredesavantagesd’unmariageparlicencespéciale,lui
dit-ilenjetantencoreuncoupd’œilàl’invitation.Bonsang,quatresemaines!Hélas,Tabithahochalatêtegravement.—Jeveuxunmariagedanslesrègles,unmercredi,enpassantleporchedel’églisedansunerobe
neuve.—Tu ne laisses rien au hasard, n’est-ce pas ? plaisanta-t-il face à tant de traditionalisme et de
superstition.Non,décidément,cettefiancéedeKemptonn’aimaitpaslehasard…ProfitantdufaitqueladyEssexétaitredescendueuninstantavecHenpourinspecterlavaisselle,il
embrassalonguementTabitha.—Unelicencespéciale,insista-t-ilmalicieusement,etnouspourrionspartagernotrelitdèscesoir.—Non,répéta-t-elleencoredecettevoixobstinéequ’ilaimaittant.—NouspourrionsmêmealleràGretnaGreen,cen’estqu’àquelquesjoursdevoyage—ouplus,si
noustrouvonsuneaubergeauxchambresconfortablessurlaroute.Maisellefitdenouveaunondelatête,secouantdoucementsesbouclesfauves.—Etsi tonestiméM.Barkworths’étaitmisentêtedet’enleveravantlacérémonie?Onm’adit
qu’ilétaitderetourenville…—Iln’oseraitpas.Ellesouriait,tranquille,etl’attiraàellepourl’embrasseràsontour.Il se laissa faire et lui rendit ses caresses, laissant sa Tabby — sa chère et tendre Tabby —
haletante.Toutcommelui.—Jeconnaisunautremoyendeteconvaincre,murmura-t-il,biendécidéàobtenirgaindecause.Maisellelefittaireenposantsonindexsurseslèvressanslequitterdesyeux.—Seriez-vousprêtàparierlà-dessus,VotreGrâce?
***
Sivousavezaiméceroman,nemanquezpaslasuitedelaséried’ElizabethBoyle,
àparaîtreenseptembredansvotrecollectionVictoria!
TITREORIGINAL:ALONGCAMEADUKE
Traductionfrançaise:HélèneArnaud
HARLEQUIN®
estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin
VICTORIA®
estunemarquedéposéeparHarlequin
©2012,ElizabethBoyle.
©2016,Harlequin.
Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:
Femme:©TREVILLIONIMAGES/ILINASIMEONOVA
Réalisationgraphiquecouverture:L.SLAWIG(Harlequin)
Tousdroitsréservés.
Publiéavecl’aimableautorisationdeHarperCollinsPublishers,LLC,NewYork,USA
ISBN978-2-2803-6279-5
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.
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