Abécédaire de 1861 Théophile Gautier - … · 6 se regardaient de travers, prêts à dégai n er...

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A B É C É DA I R E

DE 1 8 6 1

THÉOPHILE GAUT IER

PARI S

B . DENTU ,EDITEUR

Libraire d e la Soc ié té d es Gens d e lettresP AL AIS- RO YAL ,

4 3 et 1 7,GAL E R I E D

O RLÉANS

1 8 6 1

l‘

om d \‘

0 l lS resewe»

SALON DE 1 8 6 1

C O UP D’

OE I L GÉNÉR AL

C’est une solenn ité toujours impatiem

ment attendue que l’ouverture du Salon . La

foule s ’y porte avec une curiosité qui ne selasse pas . Les rival ités d ’écol e changeaientautrefois cette curio si té en passi on , et chaqueexposition étai t comme un champ de hataille où des tableaux ennemis s e d isputaient ardemment la victoire au milieud

un tumulte de cri tiques et d ’éloges,exa

gérés de part et d ’autre avec une égal ebonne foi . Sublime ! Détestable Échappéde Charenton î Perruque ! Dieu de lapein ture ! Barbouill eur d ’

enseignes ! tellesétaient les aménités qu

échangeaien t lesd eux camps . Les disciples accouraient ausecours de leurs maî tres ,C lassiques bien rasés à l a face vermeil le ,Homautiques harbus au Visage hMmi ,

6

se regardaient de travers , prê ts à dégai

ner pour la l igne ou la couleur . On voyaitce j our- là errer fièremen t et d ’

un airagressif, parmi l es bourgeois effarouchés ,des rap ins caractéris tiques et truculents ,en pourpoint de velours noir , le feutregris sur l e chef

,la chevelure prolixe , le

sourci l circonflexe,la moustache en croc ,

qui croyaien t naïvement ê tre Murill o , Ruben s ouVan Dyck , pour en avo ir adopté lecostume . D ’autres plus modestes , maisnon moins étranges , séparaien t leurs cheveux par une rai e au mil ieu de la tê te etfaisaient j ai lli r leur col nu d ’

une chemisette carrée en l ’honneur de RaphaëlSanz io .

Les uns venaient de l ’ateli er de Devériaou de Delacro ix , les autres de l

’atelier d ’

ln

gres . Çà et là se pré lassait , l répandant ,comme le Mmse de Michel-Ange , un fleuvede barbe sur une redingote douteuse , un

gaillard dont le regard satisfai t semblaitdi re : Admirez -moi

,j e sui s Jéhovah , Ju

piter , le fleuve Scamandre, le doge , l’er

mite,le bourreau ! Des femmes d ’

unetoilette négligée et prétentieuse , à figuresjuives , dont le buste , sûr de lui-même ,

dédaignai t les mensonges de la corsetœres

arrêtaien t devant les Vénus , les nymphes ,les ondines

,et souriaient a leurs images

avec une complaisance coquette , heureusesd ’avoir prêté leurs formes pour revêtirl ’ idéal des artistes . (l

’étaien t les modèles

qui épousaient , su ivan t l eur type grec oumoyen âge , les querelles des écoles .

Cette cohue turbulente causait un certain effroi aux spectateurs pai sibles , qui nese hasardaient guère au Salon que trois ouquatre j ours après l ’ouverture , de p eur dequelques—unes de ces malicieuses avaniesdont l es étud iants sont prodigues à l ’endroit des philistins .La physionomie du Salon a beaucoup

changé et ne présente plus rien de particul ier . Les artistes , auj ourd

’hui , nous neles en blâmons pas

,nous constatons seu

lement le fait,affectent la tenue la plus cor

recte ; ils évitent avec soin toute mode un

peu voyante et bizarre . I ls fuient l ’original ité ex térieure comme ils la poursuivaientautrefois . Rien ne les distingue plus desgens du monde , et leur ambition secrèteparaî t être de ressembler à de parfaits notaires . Ils y réussissen t souvent . Peut- être

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serait- il l ogique que des gens occupés paré tat de forme et de couleur , essayassen td ’ imposer leur goût , qui doit être bon , etde dérober le costume moderne

,dont ils se

plaignent sans cesse , à l’

autocratie destailleurs . Les rapins calmés portent avecsagesse le paletot brun ou le simple habitn o ir . Le tourn iquet arrête les pères éternel s en leur demandant vingt sous , et lesVénus à quatre francs la séanc e s

enveloppant d ’

un châle long,prennent l e domino

de l ’

uniformité générale . L’

observateur

ne rencontre plus à ces ouvertures l ’intérêtde première représentation qui l e faisaitstationner j adis d e longues heures devantla porte

,assiégée dès l’aurore . Les con

trastes et l es excentricités ont disparu.

L’art lui -même s ’es t profondément mo

difié plus d ’

antithèses violentes , plus decamp s furieux , plus de doctrines s

excluant

l’une l ’autre , plus de rivalités d’écol e . Les

dieux vrais ou faux n ’ont plus de fidèleschacun est son dieu et son prêtre . Les

maîtres,à défaut d ’

imitateurs se copienteux-mêmes . Sans doute on discerne çà etlà comme des groupes d e talen ts simi laires ,mais une conformi té de tempéramen t les

_ 9 _

rapproche par hasard . Ce n’es t pas une

même traditi on,un même enseignement

,

qui produi t ces ressemblances . Les ten

dances les plus d ivers es sont représen tées ,mais individuellement et san s se rattacherà une école ; le réal iste coudoi e l

archaï

que, le préraphaél iste ,comme d isent l es

Anglai s , mais la critique aurait tort de voirdans cette manifestation isolée un mouvement significatif. Toute formule généralequ’on essaye d ’adapter l ’art contemporain est suj ette à tan t d ’

excep tions qu’ i l y

faut b ientôt renoncer . La classificati onmême par genres , n

’est p lus possible . La

plupart des tableaux échappen t à ces anc iennes catégories s i commodes h istoire

,

genre , paysage ; presque aucun ne s’y en

cadre rigoureusement . Diversi té infin ie sansgrande originalité

,tel n ous sembl e être le

caractère du salon de 1 86 1 diversité

qu’

augmente encore le cosmopol itisme desartistes que la vapeur disperse à tous lespoints de l ’horizon .

Auss i le classement des toiles a—t - il étéopéré , cette année , par ordre alphabéti

que . Les tableaux se suiven t sur l es mursd e l ’exposition comme dans le l ivret de

1 0

pui s A jusqu’à Z . Chose surprenante,les

rapprochements qu’

amènent les hasards dela lettre valen t le plac ement réfléchi et dis

puté . I l n ’y a pas trop de disparates . Delongs essais n ’

eussent pas mieux réussi , etp ersonn e ne p eut se plaindre .

En dehors de ce classement sont réunisdans le grand salon carré des tableauxparmi lesquels on remarque l a Ba ta i l le

d e l’

Alma ,de M . Pils ; l a B a ta i l l e de

Solfer ino et le portrait de S . A. l . l ePrince Impérial

,de M . Yvon ; le portrait

du Prince Napoléon , de M . HippolyteFlandrin ; un Ep isod e d e la ba ta i l le de

S olfer ino, de M . Armand Dumaresq ; l eportrait de S . A. I . la Princesse MarieClo tilde

,de M . Hébert ; l e Dénoûmen t de

la ba ta i l l e d e S olfer ino, de M . Devil ly l e

C or te’

ge p on tifica l , proj et de frise , deM . de Coubertin ; le portrai t de S . A. I . laPrincesse Mathilde , de M . Edouard Dubuffel a Ren trée à Par is d es troup es d e l

ïa rme'

e

d’

I ta l ie, de M . C iheiu, et l a Gard e imp ér ia l e au p on t d e M agen ta , de M . EugèneCharpentier .A la droite du salon , faisant face à la

Ba ta i l le de Solfer ino , de M . Yvon , com

_ u _

meuse la lettre A ; le Z ferman t cet immense bracelet de peintures se trouve à lagauche . Le serpent alphabétique se mordla queue comme le s erpent de l ’étern ité .

Nous suivrons dans notre compte rendul ’ordre des l ettres . Quelques-unes son triches

,d ’autres sont pauvres . Le tal en t

semble affectionner certaines initi ales .

Nous devons signaler dès à présent le portrait de M“Emma Fleury

,de l a Comédie

Française , de M . Amaury Duval ; l e Sed a ine

,de M . App ert ; l a C onva l escence,

de M . Anker ; l a C onfidence et l e p ortra i td e M

"° de M . Aubert l a Char lotte

Cord ay , de M . Paul Baudry , qui arrête lafoule ; l a Pr emière Discorde, de M . Bou

guereaw l’

H ercu l e auæ p ieds d’

Omp /za le

et l a Rep etit ion du joueur de flû te, dansl’

atrium de la maison pomp é i enn e du

Prince Napoléon , de M . Gustave Boulanger ; l a Rond e du S abba t

,de M . Louis

Boulanger ; le Parc auæ moutons,de

M . Brendel ; l e Soir , l es Sarc leuses etl

Incend ie,de M . Breton ; l es Paysages

d’

Or ien t,de M . Belly ; ceux de M . Belle]

l es S cènes d e H arem’

,de M“ Henriette

Browne .

1 2

Citons l a Nymp /1e en levéep ar un Faun e,et

l e Poè te floren tin , de M . Cabanel ; l a

Raz z ia de ba c/zi -bouzoucks, de M . Cer

mak ; l es portraits de M . Chaplin ; Bel lumet Concord ia , de M . Puvis de Chavannes ,d

un admirable sentiment décoratif l a

Danse d es Nymp hes, de Corot ; le Comba td es C or/

s,de M . Courbet ; E cco fior i , de

M . de Curzon ; l e Dan te et Virgi le , deGus tave Doré ; l

E x écution d’

un e femme

ju ive, de M . Dehod dencq ; l a Vuep r ise au

Bas—M eudon ,de M . Françai s ; l a Phryne

'

d evan t l e tr ibuna l , Socra te a l l an t cher

cher Al c i biade chez Asp asie , Rembrand t

l es Augures, de M . Géromé ; le portrait deC . , Une rue d e C ervara , de M . Hé

bert ; des Moutons , de Charles—Jacque sdes Chiens

,de Godefroy. Jadin ; Un;e Veuve,

d e M . Jalabert ; l es F emmes d e J érusa lem

cap tives à Ba by lone, de M . Landelle ; l aNoce bretonne

,d

Adolphe Leleux ; Un efel l ah

,d e S . A. I . l a Prin cesse Mathilde ;

Riche et Pauvre , Une p osi tion cr it ique,

de M . Matout ; S . M . l’

Emp ereur à S ol/e

r ino,de Meisson ier , une mervei ll e inat

tendue dan s l ’œuvre du peintre ; M adame

- 4 3 …

M ère et l a Le'

da,de M . L Muller ; l a Cha

r i te'

,de Célesti n Nanteuil ; l es Ruines d e

Pestum,de Palizzi ; l a M ort d e Judas , l e

S a in t J érôme et l es Rochers du GrandPaon ,

de M . Penguilly— I’

Haridon ; l e Chêne

d e Roche, de Théodore Rousseau ; l a M u

sique de chambre, d e Philippe Rousseaul

[dy l l e a l l ema nd e , de Schutzenberger ;l e Bouquet , l a Veuve, de M . Alfred Stevens ; Pend an t l

office,F aust et M a rgue

r i te ou jard in , Voie d es F l eurs Voie d es

p leurs ,de M . James T issot , curieuses

peintures d ’

une originalité profonde dan sl ’ imitation ; l es S cènes d e fami l l e , de

r ie C . ,de Gabriel Tyr , d

un dessin s iferme et s i pur ; l e Ghetto d e S ienne, deValerio ; l e Bern ard Pa l issy , de Vet

ter ; l e Portra i t d e S . M . l’

Imp e'

ra tr i ce,

de W interhalter ; l es Vues d e Ven ise,de

Z i em ; et l es B ohe'

miens,de M . Achille 20 .

Voilà à peu près ce que l’

on peut discerner dans une prem1 ere tournée

,à tra

vers les coudo iements de la foul e,l e ta

page des couleurs , les exhalaisons alcool iques des vernis frais , qui finissen t parvous griser et vous faire mal à la tête .

1 4

Cette indication rapide ne contient aucunjugement , nous avons seul ement voulumentionner les to iles qui se détachentd

’-ell es mêmes de la mu1 ail lé et vont au

devant du regard . Beaucoup d ’autres,

sans doute,méritent l ’attention , mais

celles - ci ont une signification particuli ère ,un type

,un cachet . A elles seules elles

donnerai ent une i dée , non pas complète ,mais suffisante , à coup sûr , de l

’art contemporain .

La sculpture a fait d ’assez nombreuxenvois . Des marbres

,des bronzes

, des

plâtres,se dressent autour du j ardin

,au

bout duquel s ’allonge,tout chargé de

mystérieux hiéroglyphes,

un obélisquemoul é . Nous n ’avons pas eu le temps d ’ydescendre , et , d ’ailleurs

,tableaux

balayés de l ’œil en une demi-j ournée en lèvent au regard la l impidité nécessairepour contempler dans leur blancheur sa

crée ces belles formes pures et calmes .

PE INTURE

Avant la mesure qui vient d’être adop

tée, nos salons commençaient par un feu ille ton carré

,où nous donn ions des places

d ’honneur aux tableaux dignes , à notreavis , d

’ être susp endus dans cette espècede tribune . Nous couronn ions , à

'

notre man ière, le p eintre don t nous nous occu

pions d ’abord . Le nouvel arrangementne permet pas cette désignation de méri te , et peut—être est—cc un bien . Les

mêmes noms se présentaient presque touj ours aux débuts des rendus comptes avecune certaine mon otonie . Des rapprochements et des contrastes curieux naî trontsansdoute des hasards alphab étiques . App l i

quons tout de su ite à notre cri tique l ’ordre récemment inauguré , et entamons lalettre A.

A CH ENB AC H (Oswald) .— Ou se souvientde la Vue du mâ le de Nap les exposée parcet artiste au dern ier Sa lon . C

’était l ’œuvre d

un observateur in telligent et d ’

un

fin coloriste . La nature méridional e et seschaudes harmon ies y é taien t rendues avecun sentiment intime , tou t direct et toutpersonnel . L ’auteur n e reprodui sait pascette Ital ie de conventi on que l

on peutpeindre sans sortir de chez soi , tant lesp onci fs en son t répandus . Cette année

,i l

nous montre une F ête rel igieuse et un

Convoi fun èbre à Pa l estr ina , p rès d e

Rome.

Cette douce I talie qu eclaire un s i douxciel ne souri t pastouj ours comme les poètesl e prétendent . Pour temperer sans doute un

peu sa j oie , elle donne aux cérémoniesfunèbres un aspect sinistre et fan tas tiqueplus frappant que partout ailleurs . E lle

joue le mélodrame de la mort avec

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une mise en scène à e ffrayer les plus braves . A la tombée du j our , le corps estporté

,l e visage découvert , dan s un cer

cueil à bras , précédé et su ivi de pénitentsblancs masqués tenant des torches , au milieu d ’

un e psalmodie lugubre à découragerl es tambours de basque pour le re ste dela nui t . M . Oswald Achenbach fait cirenler dan s les rues sombres de Palestrina ,dont un dern ier rayon de soleil colore enrose le s hautes fabriques , un convoi indi

qué par des étoiles l iv ides éveillées avantcelles du firmament . Toute cette parti e dutableau , baignée d

’ombre , est d’

une finessede ton extrême . Les obj ets y gardent leurcouleur sans rompre un ins tant l ’harmonie . Les personnages s ’y meuvent distin ctement modelés par un e touche sobre etnaïve . Pendant que le convoi passe ou illumine la chapel le d ’

un saint ou d ’

unemadone . S

il y a deuil sur terre,i l y

fête au ciel .Les Pèler ins d es Abruz zes, surpris par

l ’orage près de Civ ita Castel lane , prouven t

que le ciel n’ est pas perpétuellement d ’a

zur en I tal ie l a rafale roul e les nuages ,la poussière et l es feuil les dans son tour

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billon ; la p ieuse caravane s’avance péni

blement sous la tempête,e t l e bon prêtre

qui la dirige retient comme il peut sonmanteau près de s ’envoler .

A L I GNY .— Umpoete écrivi t , i l y a quel

que vingt ans , ces vers où le talent deM . Al igny s e trouve caractéri sé d

une manière encore juste auj ourd ’hui

C ’

est a ligay qui, l e crayon en main,

Comme Ingres le ferait pour un profil humain ,Recherche l ’ idéal et la beauté d ’

un arbre ,E t c isel le au p inceau sa peinture de marbre .

I l sait,dans la prison d ‘

un rigide contour ,Enfermer des flots d ’

a ir et des torrents de jour,Et dans tous ses tableaux , fidèle au nom qu

i l signe,Sculpteur athénien, i l caresse la ligne,Et

,comme Ph id ias le corps d e sa Vénus

,

Polit avec amour le flanc des rochers nus.

M . Aligny ; et c’est une raison d 1nsu0

cès en ce temps de réal isme , a cherché lestyl e et l ’ idéal dans l e paysage

,élaguant l e

détai l pour arriver à la beauté . Les plusnobles s ites de Grèce e t d ’

Ital ie ont étédessinés par lui d '

une main ferme , correcte e t sobre

,avec un caractère d ’

austé

ri té magistrale et d ’ élégance sévère . Si lesGrecs avaien t fait du paysage

,ils l ’au

et nous aimons ceux qui sacrifien t l e suc

cès à l ’ intégrité de leur idéal .

M . Al igny a exposé tro is tableaux . Les

deux premiers on t pour titre : l es Ba igneuses , souvenir des bords de l

An io, à Tivol ile S ouven ir d es roches scyron iennes au printemps , en Grèce . Si on les découvrait sur lesmurs de quelque temple antique exhumé , ilsseraien tvan tés comme des chefs - d

œuvre depoésie

,et l ’on y verrait toute l a g râce des

idylles de Théocrite ; on trouverait adorables l eurs bleus célestes et leurs vertstendres ; on admirerait l ’élégance su

prême des arbres sveltes comme des corpsde nymphes , et qui semblen t l

’habita tionde divin ités . Par malheur , l

’ imaginati onet le style ne sont p lus à la mode dans l epaysage , et la seul e val lé e de Tempe estla vallée d ’

Auge .

On aurait cependant tort de cro ire queM . Al igny ne peut pas , quand il l e veut ,rendre la nature te ll e qu ’el le est ; i l suffitpour se convain cre d u con traire de ré

garder lo Tombeau d e C éc i l ia M etel la ,

dans la campagne d e Rome . Quelle superb eassiette de terrain s ! Comme l es plans sed éploien t fermement sous la peau de l ion

des végétations brû lé es ! Que l c iel lunnneux et sévère à travers ses bandes d enuages b i zarres ! Quelle solidité de con

struction dans ces ruin es éternelles ! Jamais la désolation mâle e t la misère splendide du champ romain n ’ont été mieux exprimées . A cette belle et forte nature ,M . Aligny n

’avait pas besoin d ’aj outer ; i ln ’y a mis que son style .

AMAURY -D UVAL .— l l faut ranger auss i

M . Amaury - Duval parmi ces dél icats,ces

tendres et ces raffinés à qui l‘a brutal ité

des gros effets répugne . I l a exposé un

Portra i t de M“ Emma F leury ajusté aveccette sobriété discrè te dont il a le secre t , et

qui laiss e à la tê te toute sa valeur . La

j eun e actrice porte une s imp le robe detaffe tas noir ; un nœud de ve lours compos esa co iffure . Ses mains s’

ajusten t avec grâcel ’une sur l ’autre , et la face un peu tournéeregarde par— dessus l ’épaule . Elle passe etne pose pas . I l fal lai t tout l ’espri t deM . Amaury -Duval pour trouver cette intention si fine et tout son talent pour la rendre .

AN A ST AS I . Le Vi l l age d e W i lems

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dorp au C la ir d e lune rappelle les Van derNeer e t les vaut presque ; avec une patined ’

une cinquantaine d ’années i l les,vaudra .

M . Anastasi a complétement pris au maîtreces gris argentés , ces lueurs tremblotantes

,ces noires silhouettes d ’arbres , ces

maisons à to it en escal ier , ces clo chersaux renfiemen ts bizarres , ces moulins à

collerettes de charpente,ces canaux à l ’eau

dormante et brune , ce ciel d’

un bleu d ’acier , et ce disque de lune entourée depeti ts nuages moutonnants . Mais en vo

lant sa lun e à Van der Neer , M . Anastasil ’a démarquée , et nul ne peut l e convaincrede larcin ; s i on la reprenait dans sa pocheon y lirai t la lettre A. C

’est s ingul iercomme cet artiste au nom ital ien s ’est ass imilé la Hollande ! i l la p eint sous tousses aspects , à toutes s es h eures Ap rès l a

p lu ie, Pendan t l’

hiver,Au Solei l cou

chan t . Il sait faire rayer la glace des marais par les patin eurs et y fai re glisser l etraîneau

; il allume des brasiers dans lesvapeurs de ses horizons bas ou i l y faitbleuir des clairs de lune .

Le l ivret affirme que ce peintre est n éa Paris. Pourquoi pas à Lynbann , aux

2 3

bords de la Meuse , ou à Wilemsdorp

même ?

A NKER . M . Anker , un Suisse du canton de Berne , a deux tableaux , M ar tin

Luther au couvent d’

E rfurt et Conva lescence. Martin Luther , malade et tourmentéde doutes , est visité par Jean de Staupitz ,le supérieur du couvent, qui le récon forteet le console .

— Il y a du mérite dan s cetteto ile

,mais nous lui préférons Conva les

cence. Une petite fill e , qui a dû entendre

,comme l ’enfant mal ade d ’

Uhland,la

sérénade des anges l’

appelant à Dieu,mais

que l’amour obstiné d ’

une mère a retenue sur ce monde , est assise dans unfauteuil

,flanquée et soutenue d ’ore ill ers.

Sur une planchette placée devant elle gisent des j ouj oux de toute sorte , poupées ,pantins , petits ménages , animaux sortis del ’arche de Nuremberg , qu

’elle cherch e à

remettre debout de sa main fiuette, pâlecomme une hostie . Les couleurs de la viene son t pas encore revenues à c e cherpeti t visage allongé , d

un ton de cire ; leslèvres n ’ont pas de sourire, l e regard flotteatone ; cependant ell e n e mourra pas,

soyez - eu sùr z quand une petite fille demand e sa poupée , on peut renvoyer le médecin .

Cette figure est pleine de sentiment , eti l y a beaucoup de déli catess e dans les tonspâles des chairs .

A NT 1 GNA Huit tableaux forment l ’apport de M . An tigna . Cet artiste faisai t duréalisme bien avant Courbet , mais commeM . Jourdain faisait de la prose , sans le savoi r et sans ê tre orgueilleux . I l copiai ttout bonnement la nature comme il lavoyait

,sans choix ni recherche ; ses mo

deles n ’étai ent pas touj ours beaux , maiss ’ il ne les flattait pas , i l n e les en laidissai t pas non plus . Sa peinture étai t unebonn e grasse peinture franche

,saine

, ro

buste , un peu bise e t agréable parfo iscomme du pain de ménage après une suited e soupers fins . M . Antigua mérite et obt in t des succès honnêtes

,et s outien t con

sc iencieusemen t la réputation qu ’ i l s ’est acquise , et i l ne lui manque pas grand

chose

pour ê tre tout à fait un peintre . Quoi ? unrayon , un éclair , une pensée . Cc quelquechose , i l semble l ’avoir a ttrap é dans l a

25

Fon ta ine verte ; une fillette de dix ou

douz e ans , en costume breton , descendpour pui ser d e l ’eau l ’escalier tap issé demousses e t de fon tinales d

un Regard .

Un‘

j our vert gl isse sur les marches humides de l ’escalier qui s e perd dans le hautde la toi le

,et met une pai llette au miro i r

sombre de la source ça n’est pas b ien ma

lin,sans doute , mais c

’ est charman t ; un

peu de tristesse vague e t de nostalgie dansles yeux de l ’ enfant deux touches d ’

bert seulement,et l ’on resterait à rêver

devan t cette petite toile .

Les F i l l es d’

Ève reprodu i sent en patoisbre ton la scèn e symboli que de la Genèse.

Un méchant gamin enroulé autour d ’

un

pommier , comme l’antique serpent , per

suade aux filles d ’

Eva de mordre 31 bellesdents au frui t défendu

,mais l ’orage qu i

gronde et le zigzag aigu de l ’éclair ef

frayant les j eunes maraudeuses . Au second coup de tonnerre el les s’

en fuieron t .

Ève est peut- être la s eule femme qui aitaimé les pommes .

Seule au mond e nous semble un titreun peu bien prétentieux pour une petit efil le en haillons et dormant à pleins

poings sur la paille d ’

une écurie ou

d ’

une étable . A peinture naï ve,i l

ne faut pas de ti tre Sp irituel . M ar ie

enfan t à sa fenêtre l e t ort de vou

loir représenter la M ar ie de Brizeux ,

un typ e pur , gracieux , poétique , qui voltige devant l ’ imaginati on sur le s ailes durhythme . On exige plus d ’elle qu ’ ell e nep eut donner .

A PP ERT .— Au milieu d ’

un chan tier ,Sedaine, le tailleur de p ierres , étudi e avecune attention qui étonn e ses rudes compognons un l ivre don t le dos porte le n omdu grand comique ; l

’ouvrier communieavec le poete ; à l

’heure où les autres vontau cabare t essuyer la sueur de leur front ,lui pense e t rêve ; i l s e désaltère à cettesource éternell e d u beau . Déj à les planss

ébauchen t , l es scènes se coordonnentdans cette tête courbée jusqu ’ i c i sous l etravai l

matériel . Les tail leurs de pierreappelleraient volontiers Sedaine paresseux ,comme s i la p lume n ’ étai t pas pluslourde que le marteau !Le suj et se comprend au premier coup

d ’œil , et M . Appert s ’est trop défié de lui

28

bord de la mer, chastemen t groupée danssa draperie . Elles sont là toutes les deux ,debout sur la terrasse d ’où se découvre laplaine azurée , ayant interrompu leurs travaux de femme

,pour se murmurer d ’o

reil le à oreil le le grand secret ; la plusj eune est émue , l

’ainée prend son p etitair grave , et l

on dirait deux Grâces détachées du groupe de Canova , car le co loris

,dans sa pâleur blonde , ne dépasse

pas beaucoup les chaudes transparencesdu marbre .

Citons aussi un très —j o li portrai t de péti te fi lle aux mains finement dessin ées

la physionomie simple,étonnée et naï ve

,

qui , pour poser devant le pe intre , a laissétomber son bouquet de violettes .

La l ettre B domin e une série nombreusede tableaux , parmi l esquels i l s

’ en trouveplusieurs d ’

un vra i mérite et qui fixentl ’attention de l a foule , un peu distraitepar la dissémination du talent dans unemultitude d ’ouvrages . Plus l e fon d du cielest clair , plus les étoi les ont de pein e à ybril ler . I l faut la nu it pour l e flamboiement , une nui t relative du moins, et sile Salon de 1 86 1 n e paraî t pas conten ird ’œuvre exceptionnel lemen t écl atante , c

’est

que l’ombre a beaucoup diminué .

B ALLEROY . Desportes et Oudry,les

grands veneurs de ’ écol e‘ française , ont fai t.de bons piqueurs qui savent relever une

trace , suivre une piste découpler une

meute , sonner l’

hal lal i et diriger la curée .

M . de Balleroy est de ce nombre . Chaqueannée i l fai t des progrès sensibles . C

ê

tait un fin chasseur , il devient un bon p ein

_ 30 _

tre,et sa brosse acqu iert de la souplesse et

de l ’aisance sans rien perdre de son exectitude — LoRel a is des Chiens, l a Retra i te

p r ise, sont des to iles i rréprochables au

po int de vue cynégéti que , et très— satisfaisantes au point de vue de l ’art cependantnous préférons la M eute sous bois, dont lep aysage a été p ein t d ’

une façon magis tralepar M . Belly . C

’est un cadre de vaste dimension qui ornerait bien la sall e a manger d ’

un château ; les chiens , de grandeurnaturell e , que M . de Balleroy fait courir

,

quê ter aboyer sous les feuillages deM . Belly , son t peints avec une grande vigueur et d ’

un ton excellen t . Saint Hubertles accueillerait dans sa meute . Le paysage est auss i fort b eau . Outre ses tableaux de chasse , M . de Balleroy a exposéles portraits de M . Chalon , docteur endroit , de M . Schmitz , peintre , et de M . X . ,

qui sont d’

une bonne facture et que pourrai t signer un portraitiste de profession .

Nous insistons sur ces portrai ts,parce

que l’artiste qu i l es a peints s

’adonn e à ce

qu’on appelle auj ourd ’hui une sp écia

l i té .— A notre avis , qui pein t les chiens

peut pe indre les hommes, puisque, s

il faut

3 1

en cro ire Charlet , ce qu ’ i l y a de mieuxdans l ’homme

,c ’ est l e chien ; qui sai t

rendre un arbre doit savoir représen terune maison ,

la peinture étan t l ’art d ’ap

pl iquer l e dessin , la p erspecti ve et l a coul eur à tous les obj ets visibles . Maismaintenan t l ’art tend à se subdiviser et à

se lo cal iser à l ’ infin i au l i eu d ’ê tre , commeaux larges épo ques , la vaste synthèse deschoses . Te l tient les cl airs de lune , te l autreles effets de neige ; celui - c i déb ite du satinaumètre ; celui - là ne vend que des blouses et des sabots d ’au tres font une vague ,un mur crép i à la chaux , un pot de grèsou une chope de bière . Quelques-un s ,

p lus sobres encore , s e réduisent à une

botte d ’oignons , ou pendent au même clou,

par la même pail le,l e même hareng .

M . de Bal leroy a rai son d’ abandonner par

fo is la forê t pour la ville,l e chen i l pour

le salon , et de briser l e cercle étro it de laspécial ité .

B ARON (Henri) . — Nous adresserons lemême éloge à M . Henri Baron ce charmant artiste s ’est créé comme un peti tmonde enchanté

,chatoyant , où régnai t un

printemps éternel . D un aginaires villas ital iennes y déployaien t leurs blanches archil ectures sur des massifs de feuillages dominés par des p in s - parasols ouvertscomme des ombrell es de marquises ; auxbalustrades des terrasses , entre les vasesde fleurs , s

accoudaien t sur les tap is deTurquie de j eunes femmes écoutan t le s sérénades ou les madrigaux de galants cavaliers l es piè ces d ’ eau rayées par le s illagedes cygnes reflétaien t les blancheurs dess tatues ; l es e sca l iers de marbre semblaien tdes éche l les de Jacob chargées d ’angesradi eux . Ce n ’était , d ans cet Eden dela fantaisi e

, que j oie , lumière , j eunesse etgrâce . Le satin , le velours , le brocart , lesdentelles

,l ’or , les p ierreries , les plumes ,

les fl eurs,y formaient le vestiaire habituel .

Ce parc d e Watteau , transporté dansl’

Ital ie de la Renaissance , personne n’avai t

envie d ’

en sortir , tan t le posse sseur savai ten varier l es fê tes , les enchan temen ts etl es perspectives . On ne croyait mêmepas qu

11 pût le quitter . Quand on habiteun si déli cieux palazzino

,à quoi bon cher

ch er un gî te ail leurs ? Eh bien M . Barona fai t une excursi on hors de son domaine ,

33

et il s en trouve à merveille . I l a p eint unRetour d e chasse au châ teau d e Noin tel

(Oise) . Notez bien cet Oise ! un châteaumodern e avec des personnages de notreépoque . Il passe de la pure fan tai si e à lahigh l ife ; du décaméron au sport . Certes ,c ’ est là une ten tative hardie

,car rien ne

se prête moins que l es modes actuelles auxélégances de la ligne , aux caprices de lacouleur . M . Baron a tiré de ces élémen tsrebell es en apparence un tab leau ple in degrâce e t de charme

, qu i j o in t aux méritesde ses autres to ile s l ’attrai t i ntime de lavérité .L

ingén ieux artiste group é sur l e perron d u château vu de profil

,à l ’ombre

d ’

une veranda , la famill e et les hôtes attendant le retour des chasseurs . Le curé yfigure causan t avec une personne grave ;les grand

mères sourient aux j eunes femmes qui sourient aux enfants ; et tout cemonde , heureux , tranqui lle , élégant , s

’ é

panouit au milieu de fraiches étoffes, étagésur les marches de pierre blanche , poncée ,ou s ’appu ie aux volutes de la rampe en ferà cheval . Au bas de l ’escalier, une j eunebonne fai t sauter un baby sur ses bras .

3 4

Ou peti t garçon abreuve dan s une

"

sébileun grand épagneul altéré . Les piqueurs etles j ockeys étalent l e gib ier

,l ièvres

,fai

sans,perdrix

,sous le regard satis fait des

fashionables Nemrods . Au fond s ’ étend leparc frai s et bleuâtre

,donnant de la valeur

par se s tons vaporeux aux couleurs éclatan te s du premier p lan .

Toutes ces figures s i b i en tournées , s isp ifi tuel lemen t touchées , d

une couleur siaimable et s i fine , sont autan t de portraitsfort ressemblants , nous a- t—ou dit , exac titude qui semble n

’avoir gêné en rien lal iberté de l ’artiste .

B ARRIAS .— Nous avon s peine à retrou

ver l ’auteur des Eæi l és d e Tibe‘re dans l aConjura t ion chez l es court isanes vén i tien

n es . Le moyen âge va bien moins que l’

an

tiquite à M . Barrias. Le suj et n e se comprend pas aisément

,et sa nature anecdo

tique ne comportait pas des personnages decette dimension . Le tableau d es Eæi l és s efaisait remarquer par une composition pathétique

,une mélancoli e navrante , une ex

pression profonde , dont il était difficil e dene pas être touché ; c

’étai t dans toute la

fut commis , car elle exi ste encore sans

que rien ait été changé à la physionomiedes l ieux , afin de donner à la scène un

fond et une assi ette rigoureusement historiques ; i l n

a négl igé aucune minuti e decostume pour habiller son héroïne selonl e styl e de l

’ époque,car une femme peut

se révolter contre un tyran , mais elle sesoumet touj ours à la mode . Ce scrupul ede vérité et d ’

exac titude n ’a pas produit ,comme vous le p ensez b ien , un tableauréal iste M . Paul Baudry a trop d ’ élégancenative pour cela : mais il a donné par lesgênes mêmes qu 11 imposait une grandenouveauté à la composition .

Quelques lignes de Michele t on t servi dethème à l ’artiste . «Elle tira de dessousson fichu le couteau e t le p longee tout eutier jusqu ’au manche dans la po itrin e deMarat . A moi , ma chère amie C

’esttout c e qu ’ il put d ire et i l expire . A ce cri ,on accourt et on aperço it près de la fenêtreCharlot te debout et comme pétrifiée . » Les

figures son t de grandeur naturelle , car l’ar

tiste a voulu faire un vrai tableau d ’histoireet y pleinement réussi dans le sens leplus moderne et le plus in tel ligent du mot .

La chambre ou p lutô t le cabin et ou se

passe la scène recoi t un j our blanc d ’

unefenêtre à rideaux de percal e ; un e vi eill ecarte de France en tepisse l e fond sur une

tablette de sapin son t j etés quelques vo

lumes ou brochures . L’espace est s i res

treint , qu’ il n ’y a place que pour le bai

gnoire, une chaise foncée de j onc e t lacaisse de bois supportant l

encrier deplomb où

,même au bain

,l e j ournaliste

in fatig”

able trempai t sa plume .

La baignoire , rangée le long du mur, seprésente en p erspective , et Marat e st vu

par l e sommet de la tê te,hardiesse de

raccourci qu ’

un artiste sûr de lui—mêmepouvait seul s e permettre . Ces partis pri sviolen ts que l es peintres évitent , car … il sont leur danger , offrent l

’avan tage,lors

qu’ il s réussissent , de donner des aspectsnouveaux , de s lignes inattendues e t d

’ enleve r ten te banalité à ce thème b ien connude la figure humaine . En outre

,de cette

façon , M . Paul Baudry éludait une res

semblance presque forcée avec le M ara t

de David , un chef— d ’

œuvre redoute

ble , et i l l aissai t toute l ’ importance a

la Charlotte Corday , l’ intérê t devan t por

— 3 8

ter sur l’

hérome et non sur le monstre .

La tête de Marat , enveloppée de linge ,se renverse sur le bord de la baignoiredans la suprême convul sion de l ’agonie .

Le manche du couteau,couteau vul

gaire acheté la veille,sort de la poitrin e

où s ’est p longée la lame tou t enti ère , s in istre et noir ; l e bras droit p end au dehors sur le drap qu i garn i t le bain , et lamain gauche , crisp ée , se rattache à le planchette servant de pup itre au farouche u iveleur , que la maladi e n

arrêtait pas dansson œuvre monstrueuse .

Al’

autre coin,collée contre la mura ille ,

se ti en t debout Charlotte Corday , l’ange

de l ’assassinat,comme M . de Lamartine

l ’appe l le . E lle a mis entre elle et son acteterrib le toute la distan ce que lui permetl ’espace res treint . Les couleurs de la vi eon t quitté ses nobles j oues qui rougirontaprès la mort au soufflet du bourreauses yeux bleus se di laten t d ’horreur , sesnerines frémissantes respirent la vapeurti ède et fade du sang , ses lèvres violettestran chan t à pein e sur son visage exsangue ;sa m ain fermée sembl e encore étreindrele manche du poignard

,et l ’autre s’

app l i

que à l’

angle de la fenêtre comme poursouten ir le corp s chancelent . On dirait uneNémési s p étrifiée ! La prostration du

meurtre l ’eccable : tuer un homme , fût -ceMarat , est un effort si grand que la n aturerévoltée s ’y épui se ' Quand j ai ll i t

,s ous

l e couteau , la liqueur rouge , aucun motifne paraît plus valable quels que soient sescrimes , l

assassiné devient innocent !L

’artiste a rendu avec une grande puissance cette stupéfaction profonde de l ’ idéedevant le fait , cet ab attement soudain d ela résolu tion accomplie ,

ce hau t— le- cœur

féminin de l ’héroïne en face de sa besognesanglante . San s doute p lus tard l a penséed ’avoir dé l ivré sa patrie d

un tyran etsauvé peu t— être le vie d ’hommes généreuxrelèvera le courage d e la chaste fille loindu cadavre

,dans l a prison d ’

où el l e n edevra sortir que p our al ler à l

écha faud ,

el le pourra s’

applaud ir de ce meurtreabstrait, renouvelé de l

’an tique, et qu’

An dré

Chen ier chantera en ïambes à l a grecque .

Mais là l’ enthousiasme s ’éteint sous la

froide horreur . L’

assassinat seul apparaî tdans sa hideuse réalité .

Cette tête pâl e,au regard fixé , et comme

médusée au milieu de son auréole de cheveux blonds , se grave invin ciblement dansla mémoire el l e est terrible et charman teelle inspire l ’effroi et l ’amour , et l

’on con

coi t en le voyant la passion posthumed

Adam de Lux .— Ou frémit à songer

que ce col gracieux et flexibl e porterapour colli er , dans quelques j ours , le filpourpré de la gu i llo tine .

Charlo tte Corday est vê tue d ’

une robegrise à mille raies blan ches , ornée au corsage d ’

un nœud de ruban viol et ; l’

ample

fichu de linon où était caché le couteause pliss e et bouffe autour de la gorgepalp itan te . Le chapeau d ’homme en feutreno ir , de forme haute , cerclé d

un cordonà bouc le , selon la mode du temps

,dont

la jeune femme é tai t coiffée,

roulé à

terre dans le désordre de l ’action ; lachaise de j onc s ’es t renversée avec lespap i ers qui la j onchaien t , e t l

’eau de l abaignoire a j ai l l i . San s que M . Baudry aitcherché le trompe —l

œil , par l’effet de la

perspec titxe et de la j ustesse d u renducette chaise produi t une illus ion complètei l en est de même des llaques d

’eau qui

s'

é t alen t sur le c arreau rouge , formant des

— 4 1

dessins suivant les hasard s de la p ente ; i lsemble qu’on s ’y mouillerai t le s p ieds . Oncroirai t aussi pouvoir l ire l e numéro 2 1 1du Publ ic iste, entraîn é par la chute de lachaise

,ainsi que la l iste de proscription

terminée par un mot sin istre .

Ce tableau , l’

un des p lus remarqués duSalon

,prouve que M . P . Baudry sait faire

autre chose que des Lédas, de s Vénus etdes Madeleines

,ta lent qui nous suffirai t

d ’ailleurs ; — car pour nous , sans le nu ,

i l n ’y a pas de véritable peinture d ’histo ire .

Mais tout en admiran t comme i l convi en tle Charlo tte Corday , nous admirons autan tet nous aimon s mieux Cybèl e et Amp hitr i te, deux tableautins , esqu i sses de décorati on s exécutées…dens l e salon de M ” lacomtesse de Nadaillac . De la mythologie ! cela n ’a rien d 1nté ressan t pour lafoule

,curi euse surtout de suj ets dramati

ques et formels ; cependant ceux qui

cherchen t dans la pe inture la peintureelle- même

, s’

arrê teront longtemps devan tces deux peti ts cadres d ’

un dessin s i él égant , d

une couleur s i rare et d ’

un ajustemen t s i exqu is . Cybe

l e, qu

embrasse un

petit génie , repose sur une d raperi e bleue ,

près des l ions d ételés de son cher ; un

amour plonge ses doigts dans leurs fauvescrinières . Amp hi tr i te, allongée sur une

draperi e bl eue,ajuste sa coiffure avec un

mouvement de la grâce la pl us féminin e àun miroir que lui présente un j eune enfant ; au second plan l ’on distingue laproue d ’

une galère antique,dont un peti t

géni e,sonnen t de la conque marin e

,sem

ble rappeler l es matelots d ispersés .

Plus loin s ’étend cette mer azurée,d

ou

est sorti e l a b londe Aphrodite .

Une adorable et dél icieuse toile , c’est

le portrait du fi ls de Mme la comtesse

Swieytowska en peti t saint Jean . Ce genred e portrai t histor ie'

,comme on disai t au

trefois, nous plaî t beaucoup , surtout pourles enfants e t l es femmes ; i l donn e de laliberté a la fan taisi e du pein tre et p ermet d e faire entrer une plus grandesomme d ’art dan s des œuvres trop facilemen t bou rgeoi ses . M Baudry a représen té le pe tit sain t Jean se grattant la tê ted

un ai r d ’ i ncertitude,car i l a p e rdu sa

route au m1l ieu du tail l is ; i l reti en t de lamain restée l ibre sa cro ix de roseeu où sel it sur une ban delc tte l

’i nscrip ti on sacre

masque l umineux où l es yeux pé tillen t , oùla bouche semble voulo i r parler . Nous re

procherons seul ement au menton un peu

de lourdeur ; il est b ien inutile d’aj outer

que la tête est charmante ; nous avons di tqu ’e l le ressemble .

C’est une œuvre tou t à fait magistral e

que l e portrait de M . Gui zot . L ’artiste,

en le pe ignant , avait à vaincre une granded ifficulté . L

imagination s’ était habituée à

se représenter l ’ 1 l lustre écrivain d ’

après l eportrai t de Paul Delaro che , popul aris é parl a gravure . sans tenir compte des changements qu ’ont dû apporter les années àcette sévère physionomie . I l fal lai t , pourê tre vrai

,détruire ou du moins mod ifier

profondément un typ e accep té . Le

Gui z ot de M . Baudry s ’ est substi tué bienvi te a celui de Paul Delaroche ; ce fron taux tons d ’ ivo ire , ces yeux au regardferme , cette bouche sérieuse

,ces j oues

ma igres que rayent quelques plis austères ,commandent impéri eusemen t à la mémoire de les garder .

Nous n e connaissons pas p ersonnel lemen tle baron Charles Dupin , mais nous nous

portons garant de la ressemblan ce de son

— 4 5

portrai t ; il y a la une individua l i té dephysionomie

,une sincérité d ’a tti tude et

de couleur qui ne trompent pas.

On peut en dire autant du portrait deM . le marqui s B . C . de la F .

, un j eunehomme qui a quelque chose , pour la véritésimple et . forte e t l

’él égance tranqui l le , dece beau portrai t de Calcar qu ’on admireau Louvre . C

’est,à coup sûr , un des

meil leurs morceaux de l ’artiste .

B ELLEL . M . Bellel est un des rarespaysagistes qui auj ourd

hui se préoccupen tdu style

,non pas d ’

une manière abso lue,

comme Al igny , mais dan s l a sage mesuredu Poussin ; i l chois it , i l compose , il éla

gus , i l interprète , en regardant touj oursson modèle . Les p lus s évères et les plusconsciencieuses études l ’on t familiariséavec les divers aspects de la nature

,où il

pui se l es éléments nécessaires pour rendrel ’ i déal qu ’ i l porte en l ui et qu ’

une simplecopie d ’

un s ite quelque bien exécutée quellefût ne réal iserait pas . Sans doute , reproda ire avec exactitude e t naïveté

,comme

dans un miroir noir, un bouquet d

’arbres,

une chaumière, une prairi e , une berge de

— 4 6

rivi ère , est un travail dont on peut se contenter ; plusi eurs n

’on t pas fait davan tage

qui se sont acqui s un nom et une placedans les galeries . Cependant

,le vrai paysage

c ’ est la nature plus l ’homme , et par là nousn

en ten dons pas les figurines qu ’on y peuti ntrodu ire , mais l e sentiment humain , laj oie

,la tristesse

,la rêverie

,l ’amour , en

unmot l e tat d ’

âme du pein tre en face detel ou tel horizon .

LeSouven ir d eTauves, enAuvergne , a nncaractère sauvage , austère et grandiose desblo cs de rochers

,d ’ énormes pierres p laquées

de mousse , des arbres robustes qui on tponssésan s contrainte , une eau sombre tomben ten cascade , composent un poème de solitude , de l iberté et d ’oubl i . La vil le est

lo in,le s i lence pro fond , nul œ i l qui vous

ép is , excepté peut— ê tre celui du milan traçan t des cercles dans le ciel ; l

’âme calméeasp i re au repos et fait un de ces rêves deretrai te que suggère , au mi l ieu des civilisations extrêmes , la fatigue des mille obli

gations so cia l es . Si vous n ’ ê tes pas d isposé à voir cette pen sée dans l e S ouven ird e Tauves

,vous admirerez du moins la

beauté des arbres , la solidi té des terrain s,

4 7

la lum1ere du ciel,

et sur ce d e ss in si

ferme , une couleur sobre,grave et mâle

,

merveilleusement appropriée à la tonal i tédu s ite .

M . Bell el a fai t son excursi on au désert .Il a suiv i la caravane dans la plaine immense , et i l n ous rapporte un S ouven ir de

Tolga . La vue est prise en dehors de l ’enceinte formée de vieil les murailles démantelées

,confites au sole il e t grenues comme

des peaux d ’orange . La p orte découpe'

son

arcade en cœur dans une tour carrée don tle faite s’

ébrèche sur un fon d de ci el d ’

un

bleu transparent et profond . Un templeantique , avec ses colonnes et son entablement

,s

en châsse entre la porte e t l e rempart

,témoignant d ’

une civi l isation disparue dont la barbarie a é té impu issante àfaire disparaître les nobles restes . Au - dessus de la ligne des murs s

é lah cent desveltes palmiers

,de no irs cyprès

,un mi

nare t à étages en recul accompagnant lacoupole blan che d ’

un marabout . Au premier plan , à l e gauche du spectateur , un evigne grimpe autour de p iliers de p ierreet s ’arrange comme une treille à l ’ital ienne ,j etan t son ombre sur l

ange de p ierre où

s’

abreuven t des chameaux conduits parleurs guides . Plus lo in , d

’autres chameauxs e reposent

,les genoux p loyés sous l a po i

trine,l e col allongé dans la poussière ,

Quel ques figurines finement touchées animent le second p lan ; un courrier , montésur un dromadaire

,passe sous l ’arcade de

la porte ; d’autres pers onnages sorten t de

la vil le, ou , drap és dans leur burnous , se

vourent l e kief s i cher aux musulmans .Cela n e ressemble n i à Decamps , n i à Marilhet

, ni à Delacroix,n i à F romen tin .

M . Bel lel cherche le style de ces beauxpays don t on a jusqu ’ ici rendu de pré féren ce le cô té pittoresqu e ; i l revêt leurs l ignes pure s d ’

une couleur lumineuse et

serei n e ; il tranquil lis e,sous une gravi té

magistral e,les tous ardents de cette 11e

ture particul ière . Son Souven ir d e To lga

l aisse une impress ion de beauté qui nenu i t en ri en à l ’exactitude . C

’est à la foisune vue de vil l e africain e et l ’ idée quel ’esprit s ’en fe rait à travers les mirages del ’ imaginati on .

La rou te d’

E l -Ka n tara Ba tna (provin ce de Cons tantin e ) est un tout petittableau d

un grand caractère . Des mon

4 9

tagnes d’

un bleu verdàtre d éco upe…l ’hori zon orageux des masses d e roches effritées s

en tassen t à droite et a gauche , et

sur le premier plan d éfil e une caravanede chameaux traversan t à gué un de cesoueds au l i t vagabon d torrents en hiveren é té ravines ,

qui barrent les chemin sarabes dan s leu r tracé capric ieux .

Jamais M . Bel lel n e s ’ es t montré p luscolori ste que dan s l e Paysage comp osé .

A travers une forê t d ’

une riche végé tations ’ ouvre une al lé e déserte , fréquentée seul ement pa r l es chevreu ils t imides et l esamoureux furti fs . Les folles herbes

,l es

fleurettes sauvages , l es eignes aux om

bel ie s blanches , diminuent le sen tier peufrayé , comme pour fermer aux pro fanesl ’accès de ce tte discrète sol i tud e . A gauchefi l tre d e dessous un e roche une sourceverdi e de cresson et de fon tinal e . Les arbres aux troncs élégants et sveltes , quirappel len t vaguement des colonnes festonnées de gui rlandes

,forment comme une

espèce de porti que condui san t à une clai

rière où miro ite une eau tranqu ill e,où

fri ssonne un gazon printanier,l it de repos

d’

un couple amoureux qui ne semblent

que deux fleurs de p lus dans l ’herbe .

Quelques ray on s de solei l égarés j ouentdan s la fraîcheur opaque de la forêt

,éve il

lant l es verts tendres , semen t l ’ombre depai l lons d ’or

,argentan t la collerette des

marguerites et faisant rayonn er d ’

une j oieinusitée la peinture ordinai rement un peumélancolique de l ’artiste . Le charme dela coul eur s ’

uni t cette fo is à l’

exquise

pureté du dessin . M . Bellel trop sévère pour lui -même , peu t sans craintelaisser courir son pinceau s i bien disci

pl in é .

Citons encore trois magnifiques fusainsdon t les suj ets sont emprun tés à la natureafricain e l a Route de B a tna d Con stan

t ine, l a C aravane traversan t l es mon tagnes

d e S adouré p our se rend re à Boussad a,

et l’

E /f et d e simoun d ans le S ahara d l

gérien ; on sait que M . Bellel manie le fusain avec une maestr ia sans riva le et qu ’ i ltire de ce moyen si simple des eff ets d

unepuissance surprenante .

B ea n — Sans mépriser lessites de noscontrées

,on doit de la reconnaissance aux

artistes qui nous rapportent , sur des to iles

d es bulfles p ressé s d ’a l ler se ra fraî ch irsous l ’eau vaseus e .

— Tout c e la est model éavec une s ingul ière pui ssance , dans unetonalité lumineusement grise très - lo caleet très —vraie , car les p ays chauds ne sontpas touj ours in cend i és par l e j aune deMars et la mine de Saturne .

Ce pauvre Gérard de Nerva l nous a biensouvent p arl é de cet te Avenue d e Choubra /z

,près d u Cai re , e t nous concevons ,

d ’après l e tab l e d e M . Bel ly,l ’attrait

que devait avoir cette promenade pour l epoè te rêveur . Ces énormes p latan es proj etten t une ombre s i fraîche et s i transp aren te ! ii fait s i bon prendre l e café et fumer l e chibouk à leur abri

,tand i s que l e

sole il verse du p lomb fondu sur la plaine !Sous ces beaux arbres , l

’artiste a fait s ’acc roupir que lques chameaux au chargemen tp i ttoresque

,don t la verdure rehausse les

tous bario lés .

Les Bords d u N: ! o ffren t l e spe ctacle leplus vivan t

,l e plus d iap ré , le p lus bizarre

dumonde . A la rive s ’

amarren t les canges ,les argosils, le s sandal s , toutes l es embarcation s particul ières au cabotage du Nil

,

mê lan t a‘

i l ’œ il leurs mâ ts,l eurs vergues ,

leurs antenn es , leurs guibres , leurs gréements inus ités . Ri en n ’est plus gai e t

plus amusant que cette l igne de barques ,dont les unes rapp ellent les ancienn es bar ismystiques égypti enn es , et les autre s les galeres ou les gal iotes de Della Bella , s

’ap

puyant a cette rive bordée de grands arbres et peuplée de tout un monde de ti

gurines caractéristiques .

Si l’

Egypte ne suffit pas à votre ardeurvoyageuse , vous pouvez su ivre l es P êlerz

ns

a l lan t à l a M ecque, cela vous fera ou

blier e t peut- ê tre regretter le confort bour

geois des excursion s en chemin de fer . A

travers la plaine sans borne,où la route

est j alonnée par des carcasses de bêtesmortes , s ’avance p éniblement dans un

poudro iement d e sable , sous un ciel in can

descent dont le bleu calcin é a blanchi lacaravan e accablée , pan telante , mais sou

tenue par l ’espérance de boire enfin au

pui ts Zem— Zem et de contempler la p ierrenoire de la Kaaba . Un hadj i monté sur un

dromadaire guide le long cortège ; aucunturban n

abrite son crâne rasé où flaimbe

une lumière blanche ; nul burnous ne défendson torse un con tre le fer rouge du so lei l .

L’

ardeur de son fanatisme étein t cell e ducl imat . Derrière lui , se p résentant de faceavec des raccourcis et des déhanchementsimprévus , marchent les chameaux d itÏormes qui balancen t leurs cols d

autruches etleurs têtes d ’oiseau . Sur l eurs épaulesbossues son t juchés des pèlerins ; à leursflancs pendent des ballets ou se balan centdes atatiches . A côté de la caravaneque lques hommes vont à pied

,tâchant de

profiter de l ’ombre étroite que proj ettentles bê tes de somme

,et l ’extrémité du cor

tege se perd dans le nuage de p oussièreb lond e soulevé par son passage . C

’estun tableau de grand mérite que l es Pèle

wins a l l an t a l a _M eeque, et j amais l’ar

tiste n ’a fait mieux . Les types si variés d el ’ i slam y son t représentés par des échanti llons caractéristi ques avec leur costume , leur allure

,leur expression et

leur solenn i té bizarre,dans une a tmo

sphère dont on sen t l a chaleur , sur un sa

ble qui brûle les pieds , au sein d ’

un e uature qui sembl e un rêve à force de réali té .

Quo ique p lus sp écia lement paysagiste,

M . Bel ly tra i te la figure avec beaucoup d etalent . Son portrait de la marqui se de

et de sa fil le est p lein de grâce et d ’élegance ; celu i de M” fera i t honneur àun portraiti ste de pro fession .

—Nous avonsparlé

,en rend an t compte de l a M eute sous

bois, de M . de Bal leroy,du superbe fond

de forêt que M . Belly avait p eint pour encadrer ces chiens de bonne race ; nousn ’avons donc pas à y reven ir .

B ÉB ARD . Con tinuous n otre voy agesur les pas de M . de Bérard . Celui— là nous

mène lo in,à l ’embouchure du Gange e t

aux bords de l ’Hoogly , où vont trop rarement les p eintres , dans cette Inde queles dessins du prince Alex is Sol tikoff ontdécoupée en si étranges s i lhouet tes , et

qui in spire un e curiosité , hélas ! trop di ffici le à satisfaire . Remerci ons M . de Bêrard de nous en avoir rapporté deux morceaux tout en cadrés .

Les Forêts d e l’

embouchure du Gangefrappen t tout d ’abord par ce caractèred

énormité par ti culi er à l a nature del’

Inde . Des arbres monstrueux contemporains de la création

,auprès desquels les

géants de nos forêts sont comme l ’hysopea côté du cèdre

, fouil lenf par mille racines

les vases fécondes,e t arrondissent leurs

dômes d ’

épais feui llages dans une atmosphère de brumes chaudes incendiée s auxbrasiers du soi r . Leurs troncs aux nervures pui ssantes rapp ellent les colonnesdifformes du temple cryptique d

Ellora .

Sous l ’ombre bleue de la forê t, l e Gangeendort ses larges ea1. x où les éléphantsviennent faire leurs ab lutions comme desbrahmes . Quelques—uns

,restés sur la rive ,

balancent l eurs trompes en façon d ’eneenso irs ; d

’autres paraissent p erdus dans desrêves cosmogoniques et le souvenir descolossales genèses d i sparues , don t seulsils témoignen t encore . M . de Bérard arendu avec une véri té singuli ère cetteexubérance de végétat ion

,c et air chargé

d ’humidité et de feu , cette te rre saturéede vie et de miasmes où le l imon semb len

attendre pour s ’

an imer que l a main d’

un

créateur .

L’autre tableau d e l ’artis te voyageur ,

l es Bords d e l'

Hoogly l e matin ,pour ê tre

moins sauvage que l es Forêts d e l’

embou

chure d u Ga nge, n’

en a que plus d ’étrangeté . L

’architecture y mê le ses fé eriesaux singularités de la nature : des con

poles aux dômes cô telés se teignen t derose sur l e fond vaporeusement sombre desbaobabs ; des escaliers de marbre d escendent eu fleuve du porche des pagodes

,e t

sur leurs marches s’

échelonnen t dan s l eursrobes de l in ou leur demi- nudité , brahnñes,sann yasis

,dévots de toute sorte , s

apprê

tan t à s e purifier selon l es rites , lorsquel ’astre du j our dégagera son disque desbrouil lards du crépuscule . ( let in stan t oùla fraîcheur de la nu i t s’

évapore aux premiers feux du sol e i l a été saisi par l ’artis te avec une étonnan te justesse et un rarebonheur .

B ERC HÈB E . Retournons en Égyp teavec M . B erchère ; Suez est sur la route del’

Inde , et traversons l e Gué d e la merRougeà la queue de sa caravane . Pour les gens

qui n’ont pas :dépassé Fontainebl eau ,

cetteto ile do it paraître d ’

une coloration folle etrentrer ’dans les effets de pyrotechn ie . A

l ’horizon,des sables d '

un rose vi f que bai

gne une eau d’

un bleu in tense comme lebleu de ces bagues un instant à la mode etqu’on appelai t des marqui ses ; au premie rplan , le fond de la mer à sec , sauf quel

_ 0 8 _

ques peti tes flaques miroitantes , commei l d ut se présenter aux Hébreux condu i ts parMoï se , et par - dessus cela un ciel en fus ions

irisant de nuances nacrées vo ilà le paysage . Les figures consisten t en Arabesextravagamment juchés sur des chameaux

qui se suiven t à la fil e,épatan t avec pré

caution leurs larges pi eds qu’

inquiète l’

hu

mid ité du sable . On se croirait dans uneautre plan ète , tel lement l

’asp ect est différent d e ceux que nos prunelles on t l

’hab i tude de refléter .

Le temp le d‘

H ermon this s eloigne moins

que l e Gue'

de l a mer Rouge des vraisemblances occidentales . Les nobles colonnesdu temp le , surmon tées encore de l eur eutabl ement , se détach en t en vigueur d ’

un

ciel clair , avec cette indestructibl e et sévère élégance qui semb le défier l

’étern itéet caractéris e l ’arch i tecture égyptienne .

Quelques buffles errent parmi les blo cs degran i t sur l es premiers plans et remp lacent les an tiques mammisis.

Quell e gigan tesque idée de la civili satin égypti enne inspirent l es Ru ines du

p a la is de Rhamsès le Grand à Louqsor ,l ’an cienne Thèbes ! L’œ i l contemple avec

bout sur une pa tte anime seul le paysage ,si un héron p eut animer quelque chose .

Les Etangs du Pesgu ier ont de l’ana

logie avec l es Bord s du Gap eau pour lanature des terrains , des eaux et de la vé

gé tation . Les p ins parasols y mettent lasignature du Midi .

B ERT AUT — Nous n e sommes pasde ceux qui s

é tonnen t de voir l es femmesprati quer l es arts . Le fait , selon nous , devrait ê tre plus fréquen t , mais sans l es ré

duire à l a miniature en au genre sous desproportions restre intes

,on p eut ê tre sur

pris de voir une j eune femme aborder la

grande p einture et brosser un tableaud ’égl ise avec une énergie e t une solid itétoutes viriles . Le Chr ist insu l té , deMm

e Hen riette Bertaut , s e d istingue p ardes qualités farouches

'

et violen tes qui netrahissen t en ri en son sexe . Autour de la

pâle figure du Christ se pressent des typesd ’

une bestial ité cynique et méchante quirappel len t , pour le dessin et la couleur ,la man ière caractéristique de Gus tave Doré .

B muu . M . Biard semble avoir aban

donné le genre cari catura l qui lui avait valude si b eaux succès parmi les phil istins ,

p our une peinture plus grave et plus instructive . Ses tableaux s ’ ils péchent au

point de vue de l ’art , son t au moins curieuxcomme ren seignements . M . B iard abeaucoup voyagé dans l ’Amérique du Nordet dans l ’Amérique du Sud , et i l a tradu i t la n ature peu connue de ces paysneufs en tableaux d ’

une observation trivial e sans doute , mais sincère et minutieusement vraie . Un botan iste ne trouverait rien à red ire aux végé tation s exotiques de l a Forêt vierge, i l n

’y manque

que la lumière et l’

effet ; l a Prép ara t iondu cura re par l e s vi eil les femmes d ’

unetribu sauvage présen te des types d ’

unelaideur à faire p laisir aux réalistes . Il y alo in de là aux Indiens homériques de Chateaubrian d e t de F enimore C00per . La

Pr ière dans l es bois est p lus bizarre quesolennelle

,mais la scèn e a dû s e passer

ainsi,on l e sent . Quant à l a Chasse aux

esc la ves fugi t ifs, à l’

Emme'

nagemen t d’

es

c l aves a‘

. bord d’

un n égr ier et à l a Ven ted

esc l aves d ans l’

Amér ique du Sud , quelles magnifiques vignettes aboli tionnistes

on ferait avec ces to i les traduites au bu'

rinpour la C abine de l ’on c l e Tom de M ‘“

Bee

cher Stowe ! Plaisan terie à part , il y adans le n égrier une certain e ingén iositéd

arrangemen t et des morceaux d ’

unebonne facture . Le nègre descendu dansla cale au bout d ’

un palan a un e e‘xpression de terreur a l a foi s p itoyab le et comi

que très—bien rendue .

Commen t on voyage d ans l‘

Amér ique

du S ud, Commen t en voyage d ans l

A

mér ique du Nord , cela p eu t intéresser noslecteurs , à cette ép oque de locomotion , etnous allons le leur dire d ’après M . Biard .

Dans l ’une en se fraye un chemin à traversles forê ts

, que barre l’

inextricable réseaude s l ianes

,à grands - coups de sabre d ’a

bati s , en s’

é corchan t les j ambes aux ronces

,en marchant sur la queue des ser

pents à sonn ette , en recevant en pleinefigure le coup de fouet des branches

,en

se trouvant face à face avec les j aguarset les pumas ; dans l

’autre ,' en voyage

sur les rails d ’

un chemin de fer,dans

un waggon instal lé comme le salond

un steamer . Les Yankees fument , crachant , tai llent des morceaux de bois , be i

ven t , mangent, s’

asseoien t sur les épaule set metten t leurs p ieds sur l e dossierdes banquettes ; i c i la sauvagerie , làl ’extrême civil isation avec son confortbrutal . Nous aimons mieux la sauvagerie .

B OUGUEREAU .— Elle n e date pas d ’hier

,

l aïPremie‘

re Discord e ! Le monde étai t b ienj eune quand elle s ’est man ifestée . I l a suffipour cela de deux frères , et la querellen ’est pas apaisée encore ; peut - ê tre le jugement d ernier séparera —t—il l

Abel et l e

Gai n de l ’avenir , se battant sur l e cadavrede la terre ! M . Beuguereau rendud ’

une façon auss i ingén ieuse que s imple cesymptôme d ’

aversion naissante qui plustard amènera le meurtre . Le p etit Caï ns ’est disputé avec Abel , réfugié dans legiron d ’

Eve, qui essaye vainement de lesréconcilier . Caïn , opiniâtre , rancun ier , j aloux , roul e des yeux déj à farouches . Unecolère boudeuse abaisse le co in de ses lèvres, et , dans les crispations de s on frontbas , s

ébauche le signe fatal dont toute sarace sera marquée . Abel se pelotonn e sousl

ail e matern e l l e,gracieux , caressant ; _son

chagrin ne se trahit que par des sang lots ,et il ne demande pas mi eux que de pardonner à son frère . Eve

,tout en pressant

l ’enfant b ien —aimé contre son cœur,tâche

d ’y ramener l ’autre . El le penche la tête ,et sur s es j oues coulent des larmes silenc ieuses . Dans son prophétique instinct demère

,e l le pres sent les in imitiés qui déchi

rerent les p euples à naître , dont la première famille est l e rudiment . Cette hainede Caï n pour Abel renferme un mytheprofond . Elle représente l e duel des déshérités contre les favorisés . I l y a dans lad is tributi on du bonheur et du malheur unmys tè re insondable . Pourquo i la fumée dusacrifice d ’

Abel mon te— t- ell e dro ite et ao

ceptée vers les cieux , tand is qu’

un tourbi llon rabat la flamme sur l ’autel de Caïn ?Pourquo i à l

un la beauté , l’amour

,et

,

pour tout travail , la garde indolente destroup eaux , et a l

’autre la déformation dulabeur forcé , les morsures du sole i l e t lemaigre produi t d

une terre avare ? Ce n ’estpas dans un rendu comp te de Salon qu ’ onpeu t résoudre ces questi on s formidables ;auss i conten tons—nous de les soulever enpassan t , et revenons à l ’admirable groupe

d e M . Bouguereau . L’arti s te a donné a

la figure d ’

Eva une b eauté grand iose et

puissante qui réalise l’ idée qu’ on s e forme

de la femme modelée dire ctement par l ep ouce de Dieu , ce, sculp teur encore plusgrand que Phidias e t Michel —Ange . Maisen la faisant forte , il l

’a faite auss i grac ieuse . Eve devai t posséder l ’éternel fémin in ,

cet élément d ’

irrésistible séduction

qui fit désob éir Adam à Jehovah , et n ousferma pour touj ours le Paradi s terrestre .

La toile de M . Bouguereau n e laisseraitrien à désirer s i l e pe intre

,pour ob ten ir

l ’harmonie , n’avait trop sacrifié le s d iver

sités de ton . La p eau d e bête qui couvreà demi Eve n e diffère pas assez des chairs ,et les plantes , très - bien exécuté es d

’ailleurs

qui remplissent le fond , gagneraient à êtred

un vert plus franc . Leurs nuances rouss esles rapprochent trop de la gamme blondedes nus.

La Pa ix est un délicieux tableau qui

forme , involon tairement sans doute , avec l aPremièreDiscord e, une charmante et poé ti

que an ti thèse . Au mil i eu d ’

une prairie,

deux enfants,le frère et la sœur, ou ,

s i vousl ’aimez mieux , le peti t mari et la peti te

femme dans la sainte nud i té de l mnocence

, s’

embrassent en laissant tomber lamoisson de fleurs qu ’ ils viennent de cueill ir . Ce suj et qui , sous un pinceau moinssûr de lui-même , pouvait tourner à l

affé

terie,

la grâc e sérieus e et t endre queLéonard de Vinc i prê te aux caresses del ’enfan t Jésus et de sa int Jean dans lesS a in tes F ami l les. Ce charmant groupe serai t digne de j ouer aux p ieds de la Vierge .

Théocrite et Vi rgil e ne désavoueraientpas l eRetour d es champ s, une idyl le traduiteavec le plus pur sentimen t de l

’antiqui té .

Une j eune femme porte un bel enfantsur son épaul e ; l e père , qui vient ensuite ,sourit à l ’enfan t et en agace la gourmandise d ’

une grappe de rais in qu’ i l cachederri ere son des, sans s

’ap ercevoir que lachèvre familière la lui mange dans lamain . Tout ce la s ’

arrange comme lesfigures d ’

un bas- re l i ef grec,et Mél éagre ,

le délicat poè te de l’

an thologie, ferai t làdessus une charmante ép igramme .

Nous trouvon s moins heureux l e F auneet l a Ba cchan te

,l e moins importan t

, du

res te , des quatre tableaux exposés parl ’artiste .

— La tête d e la bacchau l e respire

68

dans la fau te,souven t commise

,de faire

d’

Ompha le une gaillarde robuste et pres

que herculéenne . Il l ’a représentée , au

contraire,dél icate

,svelte , blonde , d

uneél égance presque moderne , aussi fémin ine

que possible , en un mot . Elle n’

a pas lemoins du monde l ’air d ’

un e dompteuse demonstres ; c

’est une sorte de Fœdora grécoasiati que , de femme sans cœur des âgesfabuleux . Ses yeux p é til lent d ’

une mal i ceféline ; ses marines se dilatent avec une

10 1e méchante , et un ri re de courti sanedécouvre ses dents blanches . Ah ! la gueuledu l ion Néméen était moins redoutable

,

hérissée d e tous ses crocs, que coiffan t

cette j ol ie tête blanche et rose !L

Omp ha le de M . G . Boulanger triemphe d ’

avil ir’

un héros , satisfacti on si doucepour certaines femmes ! Ell e l e tient làsous son pied , courbé , faisan t le gros des,imbéci l e et ridicule , l

Al c ide invaincu , lechevalier des douze prouesses celui qui ,de son bûcher de l ’OEta , montera prendresa place dans le c iel parmi les Olymp iens lIl fil e e t di t des fad eurs . Les hydres

,

les l iens,l es ha rpies

,les sangl iers et les

monstres chaotiques dont il purgeait la

terre , les impuissants , les j aloux , les p oltrons sont bien vengés !On est si déshabitué de la peinture d ’

his

toire e t du nu mythologique , que les formes de l ’Hercul e ont gén éralement su rpriset paru chimériquemen t monstrueuses .On ne croi t p lus à ces prodigieux développements de muscles , a ces pectoraux ,à ces dentelés, à ces b iceps , à ces del totdes

,à ces grands trochanters

,à toute ce tte

myologie , bien réell e p ourtant , et dont i l n eserai t pas difficil e de retrouver le modèlevivan t . L ’

Hercul eFarnèse est b eaucoup plusvrai qu ’ on ne le suppose , et M . Boulangern

a paseubesoin d ’y recourir pour composerson type d ’

Al cide .— Peut- être l ’a—t—il fait un

peu bestial d’express ion ; maisHercule,quoi

que demi—dieu , n’

a j amais passé chez lesGrecs pour fort sp irituel , e t les poè tes comi=

ques ne se gênaient pas pour s ’

en moquer .

Les fêtes ne l aissent ordinairement pasde trace ; l a rép étition du Joueur d e flûteet de l a Femme d e Diome‘de dans l ’atriumde la maison pompéienne du Prince Napeléen , cons ervera l e souven ir d

un sp ectacle charmant . L ’ar tiste a peuplé cet intérieur gréco - romain si fidèlement repro

70

dui t de figures qu ’on pourrait cro ire au

premier coup d ’œ il enlevées aux panneauxde la maison du po è te tragique , si , en s

’ap

prochant, on ne retrouvai t des visages deconnaissance à ces comédiens et à ses co

méd iennes costumés comme s ’ i ls al laien tj ouer du Ménandre ou du Plante . Peutê tre même ce poè te drapé d ’

un manteau ,

qui sui t sur un papyrus tation d ’

un eactrice

, s’

habil le- t - il d’

un hab itbleu à palmes vertes , et se fait— i l applaudirrue Richelieu comme il eû t é té applaudiau théâ tre d e Bacchus à Athènes . Ehquoi ! voic i Made l eine Brohan , Marie Favert

,et Got , et Samson , et Geffroy . Ils

y son t tous ! antiques et modernes à lafois , gardant leur p ersonn al i té sous l e dé

guisement . M . G . Boulanger a su fondreensemble

,avec un esp ri t rare et une con

venance parfaite , ces deux élémen ts inconcil iables en apparence le présen t e t l epassé , Paris et Pompei

,avant l ’ érup tion

du Vésuve !

Tous l e s détai ls d ’

architecture sont touchés d ’

une façon nette,légè re

,préc ise

,sans

que l e cô té p ittoresque a it à souffrir du cô téarchéologique , et il en résulte un e har

monie b ien difficil e à obtenir dans une déceration polychrome . Les personnages on tl e style et le caractère voulus , et rarementpastiche antique fut mieux réuss i .Arabe tel est l e ti tre d ’

un petit tableau

qui n’

attire pas beaucoup le regard , mais

qui est peut- ê tre le chef— d’

œuvre du peintre . Un j eune Arabe posé en sen tinelleperdue rêve , appuyé sur son long fusil .Sa tête réguhere et douce , ses lon s

_bur

n ous blancs pareils à des vê tem’

s defemme

, son attitude langu i s samment distraite ont un charme pénétrant et singul i er que n ous ne pouvons mieux comparer

qu’

à celu i de l ’Aouïmer d e F roment in dansUn été au S ahara . Pour nous , toutel’

Algérie est renfermée dans cette figure

qui nous donne une de ces mélancol iesnos talgiques bien connues des voyageurs .

B O ULAN GER (Loui s) Celu i - ci , c’ est le

Boulanger de M a z epp a , de l a Ronde dusabba t et de l a S a in t -Barthél emy , cesdeux lithographies s i sauvagement romantiques , qui horrip i laient les phil ist ins amateurs des têtes de GrévedonEt leurs pas ébran lant les voûtes coloasales,Troublaient lesmorts couchés sous les pavés des sal les .

Ce vi eux refrain , avec son trépignementrhythmique, est venu après plus de trenteans bourdonner aux oreilles de l ’artistedevenu sage , et il lui a fallu céder à l ’obsession et faire tournoyer sous le s ogivesde la cathédrale abandonnée la rondemonstrueuse et sacrilege sorcières , nécromans

,goules , aspioles . Le tableau a du

mouvemen t et de la couleur ; mais la lithographie était p lus vertigineuse

,plus

formidable et plus satanique . Le scepti

cisme a un peu corrigé e t diminué l ’edition peinte . En 1 828 on croyait au sabbaton n ’y cro it plus .La Rêver ie d e Vel l e

d a représente laj eun e druidesse regardan t les deux yeuxde la lune au milieu d ’

un paysage sentimentalement bleuâtre . I l y a de la grâceet de la couleur dans cette inspiration deChateaubriand .

B ROW NE (M“Henriette) . A Constan

tinople , lorsque notre curio sité , lasse d ecouri r les rues , entrai t dans les maisons ets

irritait de ne pouvoir dépasser le sé laml ik avec ses tasses de café et l es chibc ucks,nous nous sommes d it souven t Les

femmes seules d evrai ent voyager en Tur

qu ie . Que peut vo ir un homme dansces pays j aloux ? Des minarets blancs

,des

fontaines gui llo chées , des baraques roses ,des cyprès noirs , des chiens galeux , deshammal s chargés comme des chameaux

,

des caïdjis à chemise de soie , des cimetières plantés de p ieux d e marbre , desphotographie s ou des vues d

aptique .

Rien de plus .—Pour une femme , au con

traire,l

odal ik s ’ouvre , l e harem n ’a plusde mystères ; ces visages , charman ts sansdoute

, que l e touriste barbu cherche envain à devin er sour la mousselin e du yachmak , elle l es con temple d épouill és de l eurvoile

,dan s tout ’éclat de leur beauté ; le

feredgé , ce domino du carnaval perpétue lde l ’ islam

,ne dissimul e plus cés corps

gracieux et ces costumes splendides .

Le rêve que nous fais ions , M…Henri e tte

Browne vient de le réali ser ; el le rapported

Orien t des nouvelles p lus fraî ches quecelles des M i l l e et une Nuits, auxquellesil fal lait nous en tenir .Une Visi te nous montre enfin i ntérieur

d’

un harem par quel qu ’

un qui l’a vu,

chose rare et peut être unique , car , bien5

que les peintres mâ les fassen t souven t desodalisques , aucun ne p eu t se vanter d

’avoi r travaill é d ’après nature . Pour l ’architecture

,n ’allez pas vous figurer un Al

hambra ou un palais de fée , mais bienune salle très - simple , avec quelques colonnettes et des murail le s b lanches garn iesde divans . Les vis i teuses arriven t , lacadine les reçoit au haut de l ’ escal ier . E llesn ’on t pas encore quit té le yachmak e t leferedjé ; l

une est en rose , l’autre est en

b leu ,et l a transparente moussel in e de

leur men tonnière l aisse voir que toutesdeux son t j ol ies ; elles on t amené avecelles un e p e tite fil le . Les femmes du harem , assises ou p lutô t accroup ies sur l edivan

,on t l ’air d ’essayer un mouvement

qu i coû te à l eur nonchalance pour fêterles nouvel les venues . Leurs occupationsn

étaient pas b ien importan tes , l’

une res

p irai t une fleur , et l’autre

,appuyée à la

paro i du mur , fumait un papipos — la cigarette de l ’Orient— car , sachez— le bien , lenargh ilé commence a passer de mod e làbas . Sur un escabeau incrusté d e nacre poseun p la teau de cuivre avec son aiguière .

Ri en n ’est é l égant comme ces longues

vraies dames turques . M‘ue

Henrie tteBrowne a trouvé , après Decamps, un moyenneuf de peindre l es murailles blanchesau l ieu de l es empâter , de l es égratigner ,de l es truel ler ,

ell e les uni t,ell e les

ponce elle les stuque pour ainsi dire,

lai ssan t tout l e rel ief aux figures ; l’effe t

qui en résulte es t très- heureux .

Une femme d ’

E l eusis est assez bellepour ê tre canéphore aux El ensin ies, maisce n ’est pas un marb re an ti que que

Mme Henri e tte Browne a coloré de sa pres

tigieuse palette,c ’est une Gre cque nie

derne au typ e charmant et superbe,à la

chemise blan che brodée de rouge , à laves te de peau d ’

agneau ,à la ceinture

bosselée d e boules de métal , au tab l ier à

triples franges ,“

au fez entouré de mous seline — une déesse qui s

’e st faite marchandede limons

,de pas tèques et de raisins .

I l y a beaucoup de n aturel et de sen timen t dans la C onsol a t ion . Un peti tgarçon ti en t à bra s le corps sa sœur , plusgrande que lui et grondée pour quelquel econ mal sue avec quel cœur et quellesympathie enfantine ! comme il y va deto ute âme ! e t comme i l boira i t ces larmes

s 11 étai t assez haut pour atte indre l es veuxde l ’affligée !Le portrait de M . l e baron de est

d ’

une coul eur excellente e t d ’

une vigueurtou te virile . San s connaî tre l e modèle , onsen t sa ressemblance ; on sen t que ce n

’estpas là une ressemblance à fleur de peau .

La personne morale y est auss i b ien quela personne physique .

B O DMER .— Sous une espèce de hangar

ou de hutte dont la neige b lanchit l e toitpicorent de s pou les auss i b ien pe intes quece ll es de M Couturier . Au lo in on ap ercoi t la campagne p oudrée à frimas . Celas ’appelle Pou les sous un a br i . Ce n ’est pasun suj e t pal ingenésique faisant pressen ti rles des tins futurs de l ’human ité , mais leton en est fin , l

’ exécution délicate et serrée .

I l n’

en faut pas davan tage . t . Bodmer aexposé aussi d es Terr iers sous d es genêt.s

et un paysage inti tul é au Ba s— Bréau oùl’

on retrouve les qual i tés séri euses del ’arti s te .

B ounuuu (Auguste) . — M Rosa Bonheur

n ’a pas exposé ; mais son frère la remplace

— 7s

avec un tel air de fam ille,qu ’au premier

a —peet l ’on pourrait s ’y tromper . Jamai sressemblance n e fut plus frappante , j amaisconsanguin ité de talent n e fut plus irréensab le . Les tro is tableaux de M . AugusteBonheur

,l

Arr ivée d l a foire (Anver

gne) , Ren con tre d e d eux troup eaux d ans

l es Pyrénées, l a Sor tie du p â turage, semblent non - seul ement exécutés par la mainde M“e Rosa Bonheur mai s enco re vus avecson œ i l e t compri s a travers son intel l i

gence ce n ’est pas d e l ’ imitation , c’ est de

l ’assimil a tion . Chose bizarre , le s œuvresde la sœur se reconnaî traient peut - ê tre àquelque chose de p lus ferme et de p lusv i ri l .L

hab itude de la pe inture gris e , terneet boueuse , qui passe pour vraie aujourd

hui , peut fai re trouver soyeu se,argen

tée et bri l lante la couleur de ces to i les ;mais la nature

,lorsqu ’on la regard e sans

espri t de sys tème,n ’a pas l

’aspec t ma lpropre et fangeux qu ’on se p laît

,nous ne

savons trop pourquoi,a lui donner . El l e est

au con traire singul ièremen t ne tte dans sesformes ; pure , franche et gaie dans sestous . Les arbres on t des ve rts tendres ,

frais,transparen ts , et ne ressemb lent. pas

à des éponges pourrie s . Le gazon se veloute de friss ons moirés ; l e c iel est l éger ,vague , lumineux , et l es nuages n

’y prennent pas l ’air de décharges des gravats .I l suffit pour s

en convain cre de se promener un j our d ’été dans une belle campagne et de j eter l e s yeux autou r de soi .M . Auguste Bonheur a osé , e t c

’est là unegrande audace , dévern i r l a n ature , lui enlever la fumée et la crasse

,la d ébarbouil l er

de la sauce au bitume don t l ’art la recouvreordinairemen t

, et i l l’a pein te telle qu

’ i l lavoyait . Ses animaux ont la robe lisse et satinée des an imaux b ien portan ts ; ses feuillages

,l a fraî cheur vivace de p lan tes la

vées par la p luie et essuyées par l e so l eil .Certa ines portions arriven t au trompe

l ’œ i l comple t et p roduisent l ’i l lusron derel ief du s téréoscop e ; entre autres

, le

petit rui sseau qui coule au bord de laroute , dans la p lus grande toile . Sans doutecette i llusion n ’ est pas n écessaire dans lapeinture d histoire

,où l ’ i dée et l e styl e

doivent prédomin er ; mais e lle aj outeun charme à la représ entation d e la nature physique . Quel peut être le mé

rite de bestiaux et de pâturages , 8 1 ce n’est

d ’ ê tre vrais ?

B O NNE GRA C E . La Pudeur va incue

p a r l’

Amour est un de ces suj ets que Prudhon eût aimé à trai ter , e t qui , par leurnature al légorique , donn en t au_p eintre uneoccasion de nu b ien rare dan s les tempsmodernes. Nous aimons ces motifs va_gues en dehors des temps et des l ieux , et

qui , par leur générali té même , resten tétern ellement humains ; ils transportent lefai t vulgai re dan s la sphère de l ’art. Unréaliste

,croyan t faire mervei lle , eû t ré

présenté un séducteur quelconque , rou

li er ou garcon de ferme , lutinant à coupsde poing une laveuse de vaisselle . Pournous, duss ions - nous paraî tre rétrograde ,nous préférons l

Amour corrégien deM. Bonnegrace, en levan t d

une main lê

gère le dernie r voile que la Pudeur retien t d ’

un e main tremblante . Ce bel adolescent à la chevelure bouclée et parfuméed

ambroisie, aux blanches ai les de cygne ,nous semble plus vrai dan s son dégui sement my thologique que l ’amoureux l ep lus grossi èremen t réel . I l symbolise

— 8 1

l’

immorte l désir s’emparent de la beauté ,

son idéal touj ours poursu ivi . La j eunefi lle est charmante d ’émotion con tenue et

d’

embarras virginal . Ce groupe , d’

uneblancheur dorée , s e détache harmonieusemen t d ’

un fon d de paysage aux tons d ’

uneri chesse étouffée et sourde qui l e fai t ressortir et en augmente la valeur . La coul euren est excel lente et rappell e à l a fo is lanature et l es maîtres également étudiéspar l ’artis te .

Outre l a Pudeur va incue p ar l’

Amour ,

M . Bonnegrace exposé trois portraits quel ’on peut ranger parmi les mei l leurs d uSalon : le portrai t de M . Tchoumakofi

,

artis te russe le n ôtre et celui de M . Ha

vin . Ce qui est assez rare maintenan t,

M . Bonnegrace cherche la coul eur , et i l l atrouve . La belle tê te de M . Tcheumakof

f,

avec sa pâleur ambrée,ses cheveux noirs

en désordre,sa barbe qu

argen tent çà et

là quel ques poi l s b lancs,a une puissance

de vie s ingul iè re ; l e regard nage dan s unfluid e lumineux , la marine respire , la bonche va parl er ; les mains , croi sées sur l egenou , son t magnifiques de dessin , de modele et de ton ; la veste de vel ours est

5

82

d’

un noir intense et transparen t qui s’ac

corde à merveill e avec les g lacis chaudement ol ivâtres du fond . C

’est là {une peinture magistrale et s o l i de

,ébauchée en

ple ine pâte , condui te dans le sens des formes par un e bross e auss i sûre que hardieet d ’

un grain superbe . Le temps l ’egatisera sans l ’obscurc ir , et alors e lle pourraprendre place dans un e galeri e espagnoleou vén itienne , parmi les œuvres des p lusfiers co loris tes .

I l nous est difficil e de porter un jugement sur notre propre portrait . Si nousavons quelquefo is pratiqué la maximegrecque I

vä9: m w a’

y ç’

a été p lutôt àl ’i ntérieur qu

à l ’extérieur ; mais tous ceux

qui passen t devant cette to i le , ne nouseussen t- i ls rencontré qu ’au théâ tre ou dansla rue , s

exc l amen t e t nous nomment au

p remier coup d ’œ il ; nous devons donc enprésumer la ressemb lance par faite . Quantà l ’ exécuti on ,

el le a les mêmes qual ités que celle d u portrai t de M . Tchoumakoff .

fort be lle e,d ’

une coul eur for te et

lumineuse , d’

un modelé pui ssan t , et fait

— 84

feui llages ; à gauche s’

en tassen t des maisons en bois d iaprées de coul eurs tendres ,avec leurs étages en surplomb et leursmoucharabys gri l l és , et sur la p lace circul ent les a rabas a ttelés de bœufs gri s

,

l es ta l ibas rapides , l es monbhirs à cheval ,les piéton s de toute race et de tout cestume , Turcs , Syriens , Arnautes, Bulgares ,femmes en feredgé rose , p istache ou bleu ,

tand is que l es marchands vendent dubaklava , des concombres

,des épis de

mai s rôti e t autres denrées exot iques .L

un d ’eux a même adossé sa bouti que à

ce p i lier tronqué formé de deux serpentsde b ronze s

enroulaut en sp iral e e t quiprovi ent , d it- on

,de l ’ancien temple de

Delphes . Nous pouvons , comme témoinoculaire , attester la vérité sobre et fortedu tableau de M . Brest . Nous en dironsautan t de l a Poin te d u séra i l et d u M issinCharsi , bazar d

Égypte où se vendent lesdrogues , à Constant inople .

B RETON . I l y a chez M . Breton un sen

timen t p ro fond de la beauté rusti que quile sépare des vulgaires fa is eurs d e paysana eri es . I l n e flatte pas la nature en lai d .

Cet artiste vraiment d igne d’

un nom tropprodigué auj ourd ’hui a compris la poésiegrave

,s éri euse et forte de la campagne .

qu’ i l rend avec amour,respec t et s incérité .

Les travaux nourriciers de l’homme on t

leur grandeur et l eur sain teté ; p our quisai t b ien les regarder

,ils s

accomp l issent

solenn el lemen t à la manière des rites rel i

gieux , avec des formes et des attitudespresque hiératiqu es , comme si l

’on celébrait les fê tes de l ’antique Cybel e . Re

gardez dans l e Col za ce tte j eune fil le quicrible la graine . Ne dirait— ou pas , à lavoi r avec cette noble pose donnée par safonction même

,une vierge d ’

Eleusis tenan tle van mystique ? Sa tê te hâlée au profil

pur et ferme ne démen tirai t pas la'

supposition .

Le tableau des S urc ’

eases produi t une

impression mystérieuse et douce qu’onn

attendrait pas de Son titre . Le solei l se

zon , au bout d ’

une vaste plaine dontquelques femmes cou rbées arrachen t lesmauvaises herbes . L

une d ’elles,fatiguée

sans doute,s ’est relevée et s e ti ent debout

86

au secon d plan,détachée en s ilhoue tte

sur la l irhp idité du cie l ave c un e svel tesseet une élégance rares . Le travail va fin i ravec le j our , et l a bel l e créature se redressecomme une p lante à la fraîcheur d u soir !Est— ce la même qui rêve accoudée dans

le tableau in titul é l e Soir,pendan t que ses

compagnes plus folâtres se p rennen t l esmai ns et forment une rond e ? Ce typ esemble préoccuper l e pein tre , et il reparaîtà travers son œuvre comme la répétitioninvolontaire de quelque Fornarina vi lla

geoise . On peut , du reste , le revo ir avecp laisi r . I l rappel le avec plus de force et

de style la C l a ud ie de George Sand .

L'

I n cend ie sort de la man ière de M . Bre

ton , qui affec ti onne les s cè nes tranqu illeset simples et ne vise pas hab i tue l lemen tau dramatique . [l y a beaucoup de mouvemen t , d

’action et de terreur dans cetab leau . L

’ in cend i e,a l ivid i té de

la flamme au sole i l,dé ravers des

m 1ere . On accourt, on s’empresse

,on se

passe les seaux d ’ eau , on attaque les mura i l les pour isoler l e feu,

tout en procédan t nu sauvetage des personnes des

87

animaux et des meub les . Les bestiauxeffarés qu ’on fait sortir malgré eux de

l ’etable s e révolten t et mettent le désordredans la foule . Tout cela est rendu avecbeaucoup d e tal ent , d ’énergi e et devérité .

B RI GUIB O UL . Cet artiste a expos é uneDanae

'

, un Job et un por tra i t d’

homme . La

Danaé est une grande figure exubérante deformes , qui semble accuser chez l e p ein treune préoccupat ion de Rubens et de Jordeens , bien qu

’ i l n ’

incen d ie pas sa pal ettede tons rouges et. se main t ienne dan s unetonal i té blonde plus itali enn e que fl a

mande . Cette figure a de l ’aspect e t unecertain e tournure magistral e . Job

, p iteu

semen t étendu sur son fumier , écoute lesconsolations i roniques de sa i emme dansune pose de raccourci orig inal e et savante .

Le portrait d ’homme est d ’

une bonne facture .

B R I ON . Le S i ege d’

un e vi l lap a z l es

Roma ins sous Jul es C ésar nous mon tre,

chose curieuse , une batterie de bal istes etde catapultes . Ce sont des engins formida

88

b les à l ’oei l que ces an tiques in s trumen tsde destruction ! D’

un effet moins puissan t

que nos canons rayés e t n os mortiers , ilson t un aspect én orme , farouche et monstrueux qui frappe l

’ imaginati on et l’

épou

van te . Quelle compli cation de poutres , deressorts , de roues , de déten tes et d

’engreuages ! E lles sont là , bal istes et catapultes, bardées de cu irs verts pour ne pas s

’allumer aux dards euflammés et aux pots àfeu . Les so ldats tendent sur un treui l lacorde qu i do i t chasser l e p roject ile , ou balancen t le madrier destiné à battre enbrèche les remparts . Au pied des machines son t rangés les b oucl i ers desti nésà fo rmer la tortue au momen t de l ’assau t .Tout l ’attirail du s iège an tique est re

construi t avec une science d ’archéologie

que nous ne soup ç onn ion s pas chezM . Brion , qui j usqu

’à présen t s 'était p lusoccupé d es habi tan ts d e la forê t Noire quede la bal is ti que sous Jul es César . Mais I’ l€Dn

’es t imposs ible a un homme d ’

un vraital en t comme M . B rion . Son S ie

'

ge d'

une

vi l l e p a r l es Roma ins lui f ai t beaucoupd ’honneur , car l

’exac ti tude techni que nel ’a pas empêché de composer un tableau

plein de vie , de mouvemen t et de cou

l eur .

La Noce en Alsa ce, l e Rep as d e noce etl e Bened ic i te nous ramènen t aux suj etsfavoris du peintre

,les vie ill es coutumes

pittoresques conservées encore dans quelques provinces fidèles à l a couleur lo cale

,

et que l es artistes se d épêchent de fixersur l a toi l e avan t qu ’ el les n e disparaissent .

M . Bri on sait rendre avec une grâce charmante ces types particuliers , ces costumesbi zarres , ces intérieurs aux détails caractéristiques ; il donne du sentiment et de labeauté à ces physionomies rustiques quipeut- ê tre n ’en ont pas ; mais, . si c ’est unmensonge , nous l e lui pardonnon s bienvolon tiers .

C A B ANEL .— L€hasard alphabé tique , ju

d ieieux ce tte fois, amène en tête de la le ttre Cun pein tre à qu i son méri te assigne en effetcette place , M . Caban el . l l domin e réellement ce tte séri e abondante en œuvre s remarquables et qui se renferme presqueent iè re , au bout de la galerie des B ,

dan sune espèce d e salon carré où l a lumièrenous a semb l é p lus favorabl e qu ’ai ll eurs .

C’ est un charman t tableau que l a Nym

p he en l evée p a r un fa une . Charman t n ’estpoint i c i un e va i ne ép i thè te élogieuse .

E lle résume l ’idée même de l ’œuvre .

M . Caban el a évidemmen t , et nous l ui ensavon s un gré i nfini , travail lé sous la préoccupati on du cha n n e. Les artistes aujourd

hui ne pensen t pas à p laire aux yeux,ce

qui , en somme, est le but de la p ein ture .

I l s veul ent ê tre savants,pro fond s

,origi

naux , sub l imes, bizarres même ; mais i ls

mê ler à l ’épouvante chez la nymphe qu’

i lenlève . Aux boucles laineuses de sa tê te ila enlacé une agreste couronn é de coquel icots c ’est plus de coquetteri e que n

en

on t ses pareil s . Une peau de panthère senoue autour de ses reins , et à sa ceintureest suspendue une flûte de Pan , qui ind i

que l e mus icien , l’

ar ti ste capable d ’

empor

ter le prix aux luttes de chan t .D

un bras vigoureux il soulève la nymphe qui se renverse en se débattant , etdont le s cheveux défaits s

épan chen t parnappes d

'

or . El le cherche à éviter l e baiser camus du raviss eur , mais sa peti temain est un obstacl e faci le à é carter , etl ’exp ression de ses yeux noyés , de ses j ouesrougissantes , de sa bouche entr ’ouverteoù relu it l ’ éclair parlé du sourire , n

ind iquepas une volon té de résistance bien farouche . Le l ieu est désert , l e demi— d ieu pressant ; les napées se cachen t sous les ro

seaux , les o réades dans les cavern es desmontagnes ; les compagnes de la j eunenymphe se sont en fuie s . Heureux faune !On ne saurai t rêver un corps p lus j eune ,

plus suave , plus dél icatement virginal quece torse de nymphe , d ’

une blancheur

neigeuse , qu i palpite contre la b rune poitrine de l ’ægipan . Des demi — te in tes azurées, rappelant le ton l éger du ciel c ommel ’or des cheveux rappel le les rousseurs dufeuillage

,baignent de leur transparence

les rondeurs d u sein , tandis qu’

une l nmière argentée satine le ventre , les hanches et les cuisses , pour reparaî tre en

baisers roses au bout des p ieds . Quellefraîcheur ! quelle grâce ! quelle hermonie ! Comme cela es t caressé d ’

un pinceausûr de lui dans sa légèreté , et qui sai t fondre l es coul eurs sans al térer les formes ,sans perdre le modeléLe paysage , traité d

une man ière largeet vague

,soutient les figures comme un

accompagnement souti en t la mélod i e . Il

est é tofi’

é et riche , mais d’

une richesse peuvoyante , et il enveloppe amoureusementla scène de mys tère de si len ce et

d ’ombre .

Dans son genre l e Poel e floren tin estun e toi le aussi réussie que l a Nymp he en

l evée p ar un faune. Assis sur l e banc demarbre d ’

une villa , l e poè te fait s ans doutela glose d ’

un sonn et d ’amour p latoniquemen t alambiqué à la mode du temps . Un

j eune c ouple : l ’aman t , beau j eune hommede vingtaus , lamaî tresse , dél ici euse b lon deau pur profi l , écoutent réciter l e po è te .

Peut - ê tre une é tincell e de j al ousi e bri l let- el le dans l es yeux de l ’aman t à voir sonaimée prê ter une attenti on si émue auxrimes de l ’auteur ! Plus loin se t ien t aocroupi ave c une pose de n onchalance heureuse un autre compagnon égalementj eune et beau . Un tro is ième s ’est a l longésur l e dos sie r du banc

,e t, la tê te en tre

ses mains,savoure à son aise la poésie .

Tous ces personnages , vê tus de beaux co stumes floren tins , s

arrangen t avec une él égance rare e t forment un groupe dontl ’œ il n e peut se d étacher .

L a M a del ein e p én iten te ne s e montre

qu’

à mi— corps et semble un p eu gênéepar son cadre ; abîmée dan s une p ieuserê ve rie

,e l l e con temple sa c roix de roseau ,

la po i trine gonflée de sanglots,l es yeux

meurtri s de larmes . La tê te maigrie et fatigué e , quoi que bel le en core , a cette douloureuse pro fondeur d e sen timen t qu ’onadmi re chez Ary S ch i ffe r, mais avec desqualités de pein tre bien sup érieures . I l est.fâcheux que les bra s , vus en ra ccourci , ne

s’

emmanchen t pas bien avec l es épaul es etdonnent à la figure un a ir con traintcela ti ent

,sans do ute

,à la dimens io n res

treinte d e la to i le . Quelques cen timè tresajoutés par en bas mettraient la b e l l e p én iten te à l ’aise et doub le raient son charmemai s peut— être M . Cabanel a—t- il crain t

,

en un suj et demi— religieux , d’ê tre tr0p

séduisan t .Outre le mérite de la ressemblance , le

portra it de Mme I . P . a celui d ’ê tre ad

mirablemen t composé . Qu’on n e s ’ytrompe pas

,l ’agen cement d ’

une seule figuredemande une composi tion tou t au ss i bien

que l e balancemen t d ’

un groupe . Les

grands maîtres n ’y manquent j amais , etc ’est ce qui fa it des tableaux des portrai tssignés par eux , tandis que l a p lupart desportraits modernes n e sont que des images . L

’atti tude es t simple les main s s ’arrangen t avec bonheur sur l ’ éventail quipré texte leur mouvement ; les blancs douxet chaud s de l a robe de mousseline , l ebleu turquoise l égèrement verd i de l ’écharp e fon t valoir l e te int brun et les cheveux noirs du modèle .

Le portrait de M“ W . en robe — de

velours noir , que contourne une ri che fourra re

,n ’est pas moins remarquable . M . Cu

banel,avec l ’harmon i e de tous et la dou

oeur de p inceau qui sédui t les gens dumonde

,sai t conserver toutes les quali tés

sérieuses de l ’ar tiste . Il est agréabl e ettendre dans sa pe inture

,mais point efi

é

min é ; sous ces chairs si soyeuses e t d’

un

grain si fin , il v a des os , des muscles , desnerfs . Citons auss i avec éloge le portrai tde Son Exo. le ministre de l ’agricul ture ,du commerce et des travaux publ ics .

Tout autre peintre queM . Cabanel , prenant la route du j oli , nous alarmeraitp eut— ê tre un peu

; mais , chez lui , l a grâceest la grâce de la force , e t pour s

en convaincre

,i l suffi t de penser à la M or t d e

M oïse,ce tabl eau grandiose et michel

angesque, par l equel i l débuta .

C AMP O TO STO . Malgré ce nom espa

gnol e t torride , M . Campotosto est Belge ,de Bruxel leset non de Madrid , comme l

’atteste l e l ivre t ; mais un nom cast i l lan n ’estpas rare en Belgique . L

’aspect de la peinture dc M . Campotosto permettrai t de continuer c e tte suppo siti on d ’origine mé ri

— 97

d ionale ,car elle est chaude , colorée , un

peu brû lée au so leil ou‘

au four , et d’

un efacture énergique .

L’

Heureuæ Age, un Petit C oin où l’

on

p l eure, les Enfan ts de p êcheurs, son t faitsd

un mélange de Muri llo et de LéopoldRobert , que l

’auteur a relevé d ’

une sauceà l ui par ticul i ère . Le tout forme un régaltrès—agréable à l ’ œ i l et d ’aspect original .La loterie a acqui s une des toiles deM . Campotosto , qui ne sera pas un des lot sl es moins enviés .

C ARAUD .— Ou ne peut

refuser aM . Cu

raud un e assez fi ne intelligen ce du 1 8° e tdu 1 7

° siècle i l en _connaî t fami l i èremen tles mœurs

,la physionomie et le costume .

Son dess in ne manque pas de correction ,sa couleur est agréable

, sa touche adro ite ;un peu plus d ’

ac cent et d ’original i té , cesera it parfai t dans —

,son genre . Son exposition de cette année consis te en

quat re tableaux l a Pr ise d

habit d e ll d e

la Va l l ie‘

re a u couven t d es C àrme'

l i tes

( 1 67 4 ) la Pr ière, l a C on va lescence e t l aCha ise p orteurs . Le

°

p ine cons id érable estl a Pr ise d

ha bi t d e M “ d e l a Va l l ie’

re. La

figure de celle qui , après avoir été la premiere et p eut - ê tre la seule passion deLouis XIV ,

d evint humb lement sœurLouise de la M iséricorde , a une g râce pénitente et mé lanco l ique sous les c iseaux

qui entamen t sa blonde chevelure ; maisl ’ensemble du tableau pèche par une tropgrande gaie té de couleur et une coquetterie un peu mondaine d

ajustemen ts .

Ce tte solenn ité rel ig ieuse eù t demandéune gamme de tous plus grave et plussombre . L

’effet de la scène y eû t gagné .

Dans l a C onva l escence,l ’ expression de la

j eune femme qui , soutenue par ses parents , va , au sorti r de sa chambre de malade , aspirer sa première bouff ée d

’air auj ard in , est rendue avec beaucoup de s entiment . La Pr ière est un e j ol i e toile

,et l a

Cha ise d p or teurs , où , guidée par un se igueur , va monte r cette bel le dame , caractérise b ien la galanterie cérémon ieuse d ugrand s i ècle .

GA STAN .— l l y a beaucoup de fraîcheur

et d e lumière dans les E nvirons d e S ion

(Valais) e t Au bord d’

un ruisseau deM . Castan . Ce t a rtis te a un e. facon l égère de

pu issan te et lumineuse . Un bachi—bouzouch à tête rasée enlève

,pour la reven

dre à quelque sérail , une bell e j eunefemme une qui se tord en tre ses bras etl’

égratigne . On voi t à l ’ impassibilité op iniâtre du ravisseur qu ’

i l p en se plutôt auxbourses d ’or du Dj e llab qu’aux charmesde s a victime . l l voudrait b ien n e pas endommager cet obj et d e prix qui s e débatsans souci des déchets e t des meurtrissures . Au pied du groupe s ’étale un enfantmassacré -don t l es vagissements importunaien t . Au fon d , d

’autres bachi-bouzoucksme tten t le feu aux maison s saccagées .

Ces détails son t plus apparen ts dans ladescripti on que dans le tableau même , oùle torse de la femme accapare l ’œ i l parl ’éclat vivace du ton et la fougueuse luxuriance de la chair . C

’est un beau morceau que ce corpsp lein de force , dejeunesseet de santé

,grassement féminin e t satiné

d e lumière .

Le Ra ta slave,drap é dans son grand

manteau rouge , a bien le caractère mélancol ique , féroce e t sauvage d u type . La

tête est superbe,et le co rps se sen t à mer

veille sous les larges plis de l ’epaisse étoffe ,

l tl l

Nous a imons auss i beaucoup l a jeun ePaysanne avec son enfan t (Croatie) . Tousles détails de son p ittoresque costume ,

manches fen estrées d ’en tre —deux de gui

pdre, tab l ier à franges , broderies aux couleurs vives, colliers, plaques , chaîne ttes desequins , son t rendus avec largeur et précision à la fois . Le type d e la figure une

grâce exotique qui met le rare dans lecharmant . — Quan t a l

en fan t , il est fort j olisans doute , mais un peu trop mou ,

carses chairs cèden t comme de la pâte sous lapress ion des doigts maternels .Cette exposition est

,a ce qu I l nous

semble , l e début de M . Jaroslaw Cermak .

Du premier coup il a su se tirer d e lafoule

,et se faire apercevo ir dans cette im

mense cohue de tableaux .— Au Salon , ce

n ’est pas le tout que d’avoir du ta len t

,i l

faut encore que ce talen t so i t visible en

plutôt voyan t , pour parler le j argon de lamode .

C H APL I N . Occupé de pei nture sdéc oratives aux Tuil eries e t à l

É lysée ,

M . Chapl in n’a exposé que troi s portrai ts

le portrait de M“ M . ,ce lui de M°”P. et ceux

102

des en fants de M M A. G . On y retrouve lesqual ités qu i on t fa it l a réputation de l

’art iste

,l e réal isme dans la grâce et une fraî

cheur rare de coloris . La _touche à la fo isdél icate e t b rusque de M . Chap l in , l e mélange de frotti s e t d ’

empâ temen ts qu’ i l

emplo ie,l ’éclat lumi neux de ses satin s , la

man ière l ibre d on t i l chiffonn e le taffetaset les gazes , ô tent à se s toile s la fadeur

qu’

éviten t rarement les pe intres fashionables .

C H AVAN NE S (Pavis de) . — Nous plaçonsi ci M . Put is de Chavannes ; il y a dro it parl ’in iti a le d ’

un de ses n om s, et ses deux

vaste s peintures o ccupen t toute un e paro idu Sal on où s e tro uven t le s toil es de M .

Cabanel . Quoique M . de Chavannes aitdéj à exposé un Retour d e chasse p lein debel les promesses

,on peut dire qu’ i l dé

bute véritablement cette année . D’

un seu lcoup il est sorti de l ’ombre ; la lumièrebrille sur lui et ne le qu i ttera plus . Sonsuccès a é té grand et cela fait honneur aupub l i c , car M . P . de Chavannes n e cherche pas , comme on d i t

,la -pe ti te bê te.

Son espr i t se ment dans la p lus haute

l Oi

de réal isme,est nature ll ement hé r0 1que ,

épique et monumen ta l , par une ré cur

rence de gén ie bizarre . Il semble qu ’ i ln ’ai t rien vu de la peinture contemporaine et sorte d irec tement de l ’ atel ier duPrimatice ou du Bossa .

Le suj et de l a Guerre est pris dan s un

sens synth é tique , en dehors des circon

stances de temps , de l ieu e t de parti culari téquelconque . C

’ est l ’ idée elle-même renduesen sible avec une singulière pu issance poétique . La guerre a pass é sur un pays ; l

œu

vre de conquê te est achevée ; trois cl aironsa cheval , impassibl es, semb lable s d

’attitude , sonnen t la fanfare d u t ri omphecomme les anges sonneron t l ’appel du jugement dernier , et son t auss i effrayants .

Cela est grand , farouche et sauvage , ave cune tournure an tique , à la façon de certains vers des Niebelungen . Derri ère

,

vien t confusément l ’armée emmenan t lescapti fs qui se torden t les bras dans l eursl iens .

— Au centre de la composition , debelles j eunes femmes , enchaînées ou dé

pouil lées de leurs vê tements , déplorentleur virginité ou leur honneur .

— Au premier plan

,la vie i lle aï eul e

,Hécube rusti

1 05

que aux flancs fourbus par la maternité,

pour nous servir de l ’én ergique expression shakspearienne, aboi e de douleur devant l e cadavre de son fils . Le vi eux pèresanglote e t se lamente , fou de désespoir .

Un peu plus loin , l es bœufs de labour éventrés agonisen t

,renversant la charrue dans

village qui en voi e au ciel , commeune prière e t une demande de vengeance ,un

,long j et de fumée noire que

'

le ven trabat , comme le dais d

un immense catafal

que, sur la p laine l ivide . Rien n ’est plustragique que ce tourbillon sombre ! Destrophées

,des palmes

,des engins de guerre

groupés avec un goû t s évère , encadrentc e chant de po ème homérique .

La Con corde nous transporte dan s un

vallon de Tempe,ombragé de grands ar

bres verts,arrosé d ’eaux courantes ; l es

guerri ers on t dépo sé leurs armures ; ils serep osen t ou s ’exe rcent à dresser les chc «

vaux ; l es i nnocen tes industrie s de la paixoccupen t l e loi si r des femmes ; l ’uned ’elles, agenoui l lée , presse l e p is d ’

unechèvre , l ’autre porte une corbei l le defruits

, une tro is i ème tresse des fleurs

106

ce l le- ci rêve ac coudé e ; celle —là, qui rap

pelle dans sa nudi té superbe l es hautesélégances floren t ioes se ti en t debou t fièremen t

,comme une Ven us sortant de la mer .

On se croirai t au temp s d e l ’âge d’o r ,

tan t i l y a de calme , d e fraî cheur et derepos dans cette composi ti o n aussi tran

La cou

leur e l le —mèn e en est abstra i te et

plus humaine . Le p ein tre semble avoirprofité de la paix pour achever à loi sircertain s morceaux auss i beaucoup d egens préfèrent - ils l a Concorde à l a Guerremais ce n ’ est pas notre avi s , quo iquenous admirions sincèrement l ’une e t l ’autre . Des fleurs et des fruits d ’

une cou

l eur excel lente borden t cette idylle arcadienne et la comp lè ten t ; l e sens or

nemental et décoratif p erce chez M . deChavannes jusque dans l es moindres ae

cessoires .

Et la cri tique ! a llez -vous d ire,vous n ’en

indiquez aucune . M . Puvis de Chavanneses t don c parfait ? Eh ! mon Di eu ! non ; i l ad ’ énormes défauts ; mais voilà un peintre qu i naî t, ne l e tuons pas tout de sui te ;laissons— le faire . Nous l e cri tiqueron s plus

108

ble bordée d ’

arbres noirs*

où ba l lo tte une

barque désemparée e t qui rej ette un cadavre à ses rives . La sensation froide et ,

maladive de l ’aube a raremen t été mieuxrendue . Vers l e soir représente un troupeau se hâtant de rentrer au bercail sousl a menace de la tempête . La rafale souffle

,mêlant aux nuages des tourbillons

d e poussière ; les arbres se torden t con »

vulsivemen t,les herbes ploien t , les ro

seaux claquent comme des lan i è res defouet . B ientô t les larges gouttes vonttomb er e t les cataractes du ciel s ’ouvrir .

C LÉMENT . Quel excellen t morceau depein ture que la Roma ine end ormie de M .

C lément ! Nous avon s revu avec p laisir cettebe l le femme brun e , étendue sur des lingesb lan cs comme une Vénus du Ti tien

,et

no tre admirat ion pour el l e s ’est augmentée en core . Les moiteurs de la si es te coloren t ses j oues hâlées et lus trent ses abondan ts cheveux n oirs ; sur sa poi trine , l erhythme du sommeil soulève et gonfle sagorge orgueilleuse , et le reste du co rps se

group e dans un souple abandon . Commec es chai rs son t vra ies

,fermes et pleines

1 09

de suc La vie y circul e ; elles sont supportées par des os et des muscles , et n

’on tpas le moindre rapport mec ces crèmesfouettées , blanches et ros es , dont on pétri tles nudités de boudoir . C

’est une vraieRomaine , une fill e de la Louve , ren dueavec un art tout itali en .

LeDén ic/zeur d’

oiseauæ , une vie ill e connaissan ce de l ’Écol e des beaux - arts commela Roma ine endormie, est une chose charmante d ’

une grâce s érieuse et sévère , oùl ’étude de la nature e t l ’étude d e l ’antiquese fondent heureusement .

GLÈB E .

— L’

l tal ie est la grande insp iratrice

,a imezp arens elle a porté bonheur à

M . Clère . Les Femmes d e S ara c inesco la

fon ta ine éblouiss en t l ’œi l par l a réverbé

ration de cette lumière blanche du M id i

qui semble invraisemblabl e sous le j ourlouche et faux du Nord . Le sole i l frapped

ap lomb le versant du rocher d’où sourd

l a fon taine , découpan t des ombres é troites et bleues , in cend ian t et décoloran t lesfemmes aux costumes p ittoresques qui segroupent autour de la source avec leursvases de cuivre et leurs paniers de l inge .

1 10

Une F ami l l e d e moissonneurs d ans la

camp agne deRome rappelle , pour la beautédes types , l e style rustiquement raphaéles

que de Léopo l d Robert . La j eune femme

qui se penche vers le berceau deviendraitb ien aisément une madone avec l ’EnfantJésus , M adonn a col B ambino

,comme

disent les I tal ien s dan s l eur dévotion ca

ressante e t famihere .

Le jeune Pâ tre d ans l a camp agne de

Rome a aussi beaucoup de caractère .

C OMTE . «Après que Charles VII eutre cu l ’onction sain te et eut é té pro clamér01 , Jeann e , tout en pleurs , lui dit en embrassan t ses genoux Genti l roi , ores estexécuté l e p laisir de Dieu qui vouloit quelevasse le si ège d ’

Orléans et que vous amenasse en caste c i té de Reims

,recepvoir

vo tre saint sacre,en montran t que vous

etes vray ro i e t celui auquel le royaumede F rance do it appartenir .

Cela se passai t dans la cathédrale deReims le 1 7 j ui llet 1 4 29 .

M . Comte,l ’auteur de Henr i [I I mon

tra n t ses singes et ses p erroquets aa a: d a

mes d e l a cour e t de tan t d ’autres toi les

1 12

coùté de sacrifi er à l ’harmon i e généralequelque détail caractéristique pé niblementappris ou reconstitué . Que de tê tes vivantes de la vie de l ’ ép oque que de costumes ou d ’accesso ires merveill eusementrendus on distingue parmi cette foul e dia

prée en s’

approchant un peu du tableau !Jamais M . Comte n ’a fait une plus

grande dépense de talent .

C ORO T . Nous avons toujours'

eu pourM . Coro t une vive sympathie . C

’est une

nature na 1ve , timide , i dyll i que qui tradui tparfois l ’antiqui té avec la bonhomie famil ière de la Fon taine ; mais , cette fo i s , nousavouon s que son Orp hée nous pla î t médiocrement . Cette si lhouette bizarre

,

su ivie d ’

une Euryd ice roide comme une

poup ée , exciterai t l e rire , s i l ’on pou

vait rire de cet exce l len t Coro t , s i amoureux de son art , s i travai lleur et s i convaincu . Heureusemen t ou le retrouve toutentier dans le Sol ei l l evan t , d ans le Souven ir d

I ta l ie,dans l e Lac , avec son atmo

sphère argentée , sa vapeur lumineuse , seseaux c almes , ses arbres cla irs et son as

pec t élyséen .

1 11 3

C OU RB ET .— OH dirait que M . Courbet a

enfin compri s qu’ i l avait trop de talen t pourchercher le succès par des excen tri ci tésvoul ues . L

apôtre du réalisme s’est con

tenté ce tte année de faire de l ’excellente e tsol ide p e inture .

— Pas de Vénus capitonnée ,pas de demoiselles de vi llage , pas de lorettes au bord de la Seine , mais des animaux et des paysages d

une grande véritée t d ’

une exécution magistrale . Le But du

p r in temp s nous fai t assister à un de cescombats entre rivaux d ’amour qui se terminen t souvent par la mort . Dans la c lairiere d ’

une forê t aux arbres séculaires,

deux cerfs, llesbois entre- croisés , lutten t avecune rage op iniâtre . Un troi s ième , hors decombat , brame et agon ise , une large plaieau flanc . Les a nimaux s on t admirab lementpeints , l e paysage est superbe .

— Le 0er]à l

eau,hale tan t

,à bout de forces , se j e tte

éperdument dans une mare sombre au

milieu d ’

un si te sauvage e t lugubre . Sney

ders ou Velasquez signerait cette -to ile .

Nous aimons infin iment mo ins l e P iqueur ,dont l e paysage seul est beau . Maî tre Courbet , efi

acez ce cheval de carton monté parun caval ier de bois

,mais réservez pour

1 1 4

en sonner une fanfare la trompe don t lecuivre fait illus ion . Le Renard dans la

neige est plein de finesse . On ne croquepas plus sp irituellement un mulot faute d epoules . Citons, pour finir

,l a Roche d

Ora

gnon un e roche gri se , des arbres verts,une eau l impide et frissonnante .

C URZ ON .— M . de Curzon continue à ex

pla iter heureusement la veine de ses souven irs i tal i ens .

\

E cco fior i représente de jeunes bouquetières napo litaines offrant avecun sourire leur marchandise embaumée . Onsait la grâ ce que M . de Curzon sai t donnerà ces types populaires . Peut— être mêmemaintenant vise — t- il trop au j ol i . Une

l essive a C erva ra ,E tats romains

,a un

caractère plus sérieux . La H a l l e d ep ê

lor ins , près du couvent de Subiaco,ac

qu ise par la lo terie,est une des meil

leures choses qu’ait peintes l ’artiste .

La Fami l l e d e p êcheurs, dans l’

î le de Capri

,ne manque pas de charme ; mais nous

lui préférons l’

1 l issns et l es Ru ines du

temp l e d e Jup i ter ,près d ’

Athènes , un

s i te d ’

une b eauté s évère,dess1ne avec une

fermeté de l ign es qui fon t regretter que

Damn — Cc pei ntre , né à Boston , aposé Une Cour d e /erme à Etreta t . — Descorps de bâtiments rust iques aux murail lesgr ises , ombragés d

’arbres se reflétant dansune mare , et sur tout cela un j oyeux rayonde sole il égayan t l es demi— t e intes blanatres qui baignent le reste de la to il e .

C’es t fin de ton et bien rendu ; mais peutê tre eussion s— nous préféré , vu la nationalitéde l ’auteur

,un s ite plus exoti que

, une deces forê ts ou de ces prairies que FenimoreCooper décri t s i bien . Cela s emble étrangede venir du nouveau monde dans l e vi euxpour peindre une ferme à Etretat .

D’

A RGENT (Yan ) . — l l y a un véri tablesentiment fantast ique dans l es La vand ièresd e nu it , de M . Yan d

Argen t . On conn aî t cette l égende bretonne fdes laveusesspectres

, qui savonnen t des l inceuls avecdu cl air de lune sur la pi erre des lavoi rs

H T

et pr ian t'l e passan t éga ré d e les a i der à

tord re leur l inge . C’ es t par ces nuits où

des brumes blanches fl otten t au- dessusdes prairies etç des saulaies qu

’on entendle brui t de leurs b attoirs couper la n oteplain tive de la ra inette dans le vaste si

lence de la campagne . L’artiste a re

présenté,sur une to ile de forme ob

longue ,le s lavandiè res d e nu i t à la

poursu i te d ’

un pauvre paysan bas—breton ,

à qui la p eur donne des ailes malgré se s

grègues embarrassantes et ses lourds sa

bo ts . Mais l ’haleine va bientô t lui manqueret i l tombera mort dans une de ces fl aquesd ’eau où , parmi l es n énufars

,fl o tte déj à

un cadavre . L’

essaim des laveuses nocturnes s ’allonge dem are lui comme un

banc de vapeurs , dessin ant de vaguesformes humaines , tendan t de maigre s brasarmés de batto irs . Les vieux troncs desaules éc imés se tortil lent h ideus ement aubord de l a route et prennent de monstrueuses apparences spectrales ; de leursmoignons in formos, i ls semblent voulo irretenir l e fugit if ou le menacer . Cependan t une lune bla farde je tte son fro idrayon sur cette scèn e de fan tasmagorie .

ébauchant ca et l à, a travers l’obscuri té ,

des silhouettes in qui é tantes

Les P i l l eurs de mer a Gu isseny ,quoi

que rentrant dans le domainfl: de la réali té,

on t n éanmoins un caractère fantastique .

Des paysans ont attaché une lan terne aux

cornes d ’

un bœuf et l e pous sent sur l esréci fs où la vagu e déferl e , pour donner lechange aux vaisseaux en péri l et le s fai reéchouer .

A voi r ces chênes aux racin es én ormes,

aux troncs pui ssan ts,aux branches qui

seraien t des arbres, en ne se douterait

guère que c’ est là un Souven ir d e col /69e .

On aurai t p lutô t l ’i dée de cette forê t ma

gique de Brocéliande où Merlin a d i sparu .

Mais regardez ce j eune ga rçon si j oyeuxd ’être seul e t l ibre ! Il fai t l ’éco le bu issonn ière, ce tte école qui vous apprend tantde choses

,et , loin des maî tres , écoute la

vo ix sil enci euse de la nature . Le Pâ tre d es

p la ines d e-Ker louan M en/air prend un ca

ractère so l ennel —sur cette lande hérissée

d e mystérieuses p i erres d ruidi ques et

sembl e lui-même ta ill é dans legrani t breton . M . Yan d

Argent exprime l e côté l é

gendaire de cette Bre tagne dont Adolphe

4 20

lorsqu 11s o ccupen t l e premier plan . Les arbres né sont n i des plumets n i des fumées .

Les terrain s même couverts d ’herbe on t uneassi ette solide et ne ressemblent pas à dela terre glais e pétri e avec d e l a lain e hachée . Chaque obj et se dessine par un contour apparent ou réel

,et les paysages de

M . Daub igny n ’offrent guère que des taches de couleur juxtaposées . l l n

eût ce

pendant fallu que quelques j ours de travail pour faire des tableaux excel lents dec es préparation s insuffisantes .

Le Pa rc moutons l e ma t in satisfaitau premier aspect . L ’heure crépusculairechoisi e par le pe intre n

ex igean t pas decon tours arrêtés e t de détails précis

,l ’effet

gén éral est bon . M . Daubigny a très- bienrendu la tonali té grise du matin . Su r

la ligne d ’horizon où s’

évei llent le s lueursde l ’aube , se dess ine un moulin à ven t.l ’ail e bizarrement repl i ca, e t se tordent enfrissonnant de petits arbres trapus . Entreles barrière s d u parc

,près d e la cabane

du berger , son t couchés confusément d esmoutons dont quelques uns se dressentavec somnolence sur leurs pieds .

Nous n e pouvon s regard er l’

I l e d e Va u .r

1 2 4

à Auvers que comme une pochade d’après

nature , bonne à susp endre au mur d’

un

atel i er et à consul te r pour faire un ta

bleau . La rangée d ’arb res qui borde l’

î leest àpeine indiquée , et l e saul e du p remierplan n ’est qu’

un frottis bleuâ tre où l ’onne discerne n i branches n i feuille s . LeVi l l age p rès d e Bann ières est une bonneétude , mais rien de plus . C

’est le soir ; uneberge couronnée de chaumières se réfléch itdans l ’eau tranquil le d ’

une rivi ère e t s edécoupe sur un ciel déj à assombri par lachute du j our . Un moti f s i vulgai re

,s i

peu pi ttoresque en lui —même , avai t beso ind’être relevé par l ’exécution pour ê tre intéressan t .

Nous en dirons au tan t du Lever d e l uneun ciel .rou ssâtre , des arb res vaguemen tébauchés , des herbes con fuses t achetées dedeux ou trois vaches , des chaumières informes dont la fumée monte toute dro i te

,ce

n ’est vraimen t pas assez p our ê tre s ign éDaubigny . Les Bord s d e l

O ise, avec leurgroupe de laveuses battan t l e l inge

,par le

ton gris bleuté des arbres , la transparencefluide des eaux , l a touche plus fine et plusl égère , rentrent dans la première man ière

122

de l 'arti ste et méri ten t des él oges sans restrictions.

D AUZAT S ;— M . Dauzats est un des cos

mopol ites de l’art . Il a vu l ’Espagne lors

que personn e encore n’y allait

,et l ’Algérie

et l ’Asie Mineure , tout l ’univers et cen tautres l ieux — Cette année il nous montrel es Environs d e Damas

,— un canal où glis

sen t des barques,où se miren t des tours

et un pavil lon abritant des Turcs et desSy ri en s qui fument le chibouck ou prennen tdes sorbets . Un paysage des M i l l e et

une Nu i ts d’

une vérité invraisemblabl e !— Nous reconnaissons l es En v irons d e

B l id a/i et l a Grand e p la ce d e M anzanerès

avec son église défen due par des murscrénelés

,ses maisons aux miradores sail

lants , aux étages en surplomb , ses galèresa dix mules

,ses p romeneurs embossés

dans leurs cap es,et son vie i l aspect es

pagnol . Peut - être l ’habi tude de l ’a

quarel le rend — el le un peu mince et lavée la pein ture à l ’hui le de M . Dauzats .

Mais i l excel l e à tracer l ’archi te cture et àsais ir la physionomie caractéristique desl ieux .

1 2 4

M . Dehodencq a q ui tté l ’Espagne, qui

l’

insp irait si b ien , pour le Maroc , où i l

a rencon tré Delacro ix . Il est dangereux decro iser le l ion dans son chemin , et l

origina

lité de l ’artis te en a recu un coup de griffe .

L’

Eæe'

cut ion d’

uneJu iveauM aroea l a turbu

len ce de geste et la furi e de brosse du mat

tre; c’est encore un éloge : mais au tre fo is

M . Dehodencq peignait avec sa propre palette

,et ses tab leaux s e reconnaissaient au

premier coup d ’œil . La M a r iée ju ivea Tanger est plus individuelle . On

mène la j eune femme les yeux ferméschez son époux

,avec un cortège bizarre

dont les fal ots fon t danser l ’ombre sur lesmurs de la ruel le é troite on dira it uneidole chamarré e de dorures qu 'on instal l edans sa pagode .

D EJ ON GH E . La Lecture in terromp ue,

l e M a tin,l a J eune M ère, de M . Dejonghe ,

reproduisent avec un sentiment tendre,

une couleur fraî che e t une touche délicate ,les graci eux ép i sodes de la vie de fami lle .

Les femmes s ’arrê ten t volonti ers aux toi lesde M . Dejonghe e t d isen t C

’ est charman t ! » l eur grand mot .

DELAM A IN .

— La caravan e orien tale se

grossi t chaque j our de quelque n ouveaupèl erin . Voic i M . Delamain qui se hissesur la haute sel le

arabe e t galop e avec legoum par les grandes plaines hériss éesd

al fa . Il a déj à de l ’assiet te et n e serapas désarconn é . Le C leef ara be et son

goum en voyage rappel le certain es pagesde F romen tin dans Un E te

'

au Sahara .

Au premie r aspect on prendrait p our unDecamps l e Café maure . La M ura i l l e

turque a Alger a beaucoup de carac tère .

Les remparts crénelés , montan t et deseendan t avec les roche rs qui les supportent ,n ’on t peut- être aucune valeur au point devue stratégi que

,mais ils sont p ittoresques ,

brûlés de ton et d ’

une férocité superbe .

D E L AM AB RE .— NOUS n e savoirs s i M . De

lamarre est j amai s all é en Chine,mais i l

semble de son autori té privée s ’être const itué le peintre ordina ire du Céleste Emp i re . Le l ivre t le dit é lève de MM . Bouretet Loyer ; n

aurait- i l pas plutôt appris sonart chez Lam—

qua de Canton ? L’

occ i

d en ta l iste de Shang- Haï nous fait voir unl ettré à la face jaun e

,aux yeux obli ques ,

1 2 ti

en touré de livres et de j ournaux d ’

Europe,

étudiant avec une appli cation toute ch in oise les différents id iomes des barbares .

M . Delamarre non - seulemen t a faitune peinture curi euse , mais , chose rare ,i l a créé un mot ; ou possédait or ien

ta l iste occ iden ta l iste manquait ; c’était

une lacune humiliante pour l ’amour- proprede nos langues . Nous avons des chairesde tartare-man tchou ,

mais il n ’y a pas dechaire de francais au co l l ège impérial dePékin ; cela v1endra . Le M archand d e thé

et l e Pein tre d e l an ternes d e C an ton s on tdes ehinoiseries fort amusantes .

DE S GO F F I—1 ( Blais e ) . Si l ’ imitationmatérie lle des choses é tait le but de lape inture , M . Blaise Desgoffe serait , à coupsûr

,le p remier p eintre du monde . Entre

ses modèles et ses reproductions il n ’y ad ’autre différence que l e po ids sp écifique .

L’œ il est abso lument trompé . M . B . Desgoffe a groupé , sur une table , une ai

guière en argent doré,un christ en j aspe

sanguin,un buste de vierge en cristal de

roche, un marteau de porte , une statuette

en bui s de Jean de Bologne , un vase

/emme, agate d’

Allemagne , et du Va se en

aga te rouge, le p lus surprenant de touspeut— être . Dans l e Terme avec tête de

femme i l y a une perle baroque qu ’ i risent des reflets burgautés d

une véri té tellequ’elle semble un e i ncrustation . I l fautse mettre de côté pour s e c onva in cre quele tableau est plan .

D E SJ O B ERT S . Il serai t difficile de faireun cho ix parmi les toiles de M . Desjoberts .

Elles se recommanden t toutes par un as

pect agréable et une exécuti on soignée .

Le dessin y donne à la coul eur une certitude qui manque souvent aux paysageL

anatomie des arbres se suit aisémen tsous le feuil lé ; les p lans des terrainss ’enchaîn ent du bord de la to i le à l ’horizon , même à travers l es taill is et les futaies . Nous c i terons l es P aysagistes , occu

pés à peindre dan s une cl airière de l‘

orôt ; Sous l es p ommiers e t l

In tér ieur d e

bois,où

,l oin du fus il des chasse urs ,

se rengorge un beau fa isant ; l a Forêtenautomne, avec ses troncs d

’arbre cou

pés et sa rousse fourrure ”de feu il lesmortes .

— l 2 9

DEVÉRIA (Eugène ) . La Récep tion d e

Chr istophe Colomb p ar Ferd inand et [sa

bel l e,ue M . Eugène Devérid , mon tre une

entente de la peinture d ’

apparat qui ne

surprendra personne chez l ’auteur de laNa issance de Henr i I V, ce beau tableaudont Paul Véronèse se fû t reconnu volontiers le parrain . I l y a de ’ élégance , dela pompe

, du faste dans ces groupes habilement étagés autour du trône . Les so ie sse chi ffonnent , les velours miro itent , lesorfro i s reluisent à la vén iti enne . Un p inceau expédi ti f e t large a touché ces nombreux acce ssoires vases d ’or

,coll i ers

,

pierres précieuses,frui ts exoti ques , man

teaux de plumes représentant l es ri chessesdu nouveau monde . Mais auj ourd ’hui onn ’aime plus ces sortes de suj ets ; i ls déplaisent comme les drames a co stumes

,

et peu de curieux regarden t cette p einturepleine de mérite pourtant .

D O NEAUD . Sous ce t it re mystérieuxjusqu’à n e rien expliquer , la Dern ièreNui t ,M . Boucaud a exposé une peti te to ile dontle souvenir nous préoccupe comme une

énigme non réso lue à l ’en trée d ’

un e

— 1 30

caverne, un guerrier semble accompl ir

une veill e funèbre . Sa lance et son bonel ier sont déposés près de lui , et d

un œilméditatif i l contemple un cadavre drapéd’

un l inceul . Sur un autel de forme rusti

que, fume et tremblote la flamme d’

unelampe près de s ’éte indre . Le mot èxer o estgravé au flan c de l ’autel . Ce vocable grecsignifie dans son accep tion poéti que ilmourait , » pour i l mourut , » avec ce vaguesens continuatif du passé qui s e prolongedans un état p ermanent . Quel e st le personnage que garde , jusqu

’à ce qu’ il soi tl ivré au bûcher ou rendu à la terre , ceguerri er pensi f Qui est lui—même le gardien ? Nous avons essayé d ’ajuster à cesdeux figures

,d ’autant plus probl émati

ques que l’

une d ’elles est voilée,plusi eurs

noms de la mythologie ou de l ’histoire,

sans obtenir un résul tat satisfaisant .Le p ortra it d eM . qui nous paraî t

être,d ’après l ’ initiale et la pose

,celui du

peintre pris au miro ir,se dis tingue par la

finesse du dess in et du modele, qualité quepossède égalemen t la Dern ière Nui t .

DORÉ (Gustave) . — No cherchez pas le ta

damnés brisen t la croû te épaiss e qui lesenchâsse , mai s l ’apre froid refait auss i tô tleur prison . Ugolin , sorti jusqu

’aux épaul es de la glace entr ’ouverte , ronge le crânede l ’archevêque Ruggieri qui rena î t sousle s dents de son insatiable faim. Le

j eûne de la tour l ui a donné cet horribleappétit

,et i l ne fait pas la peti te b ouche .

De ses lèvres dégouttent le sang e t la cervel le de

'

son an cien persécu teur .

Dante regarde cette scèn e avec épouvante , et se replie sous l a protection deVi rgile , son guide impassibl e . La tête du

poè te latin est vraiment sublime ° c ’ estbien l e visage d ’

une ombre habituée depuis des s iè cles déj à au spec tacle des choses souterraines . La sérén ité morue du

front, l

aton ie du regard , la langueur dela bouche , par où no_passe aucun souffledonnen t , san s al térer en rien la beauteclass ique du type

,une phys ionomie de

l ’autre monde à cette figure spectrale .

Dans les postures des damnés,M . Gustave

Doré a déployé cette imagination de dessinsi rare aujourd

’hui, qui fait penser à Mi

chel -Ange retournant en tout sens le corpshumain comme un Ti tan ferait d ’

une ma

rionnette . Les aspects les plus imprévus , lesraccourcis les plus violents

,les torsions les

plus exagérées n ’

é tonnent en rien l 'audacedu j eune artiste ; il brouille et débrouille ason gré l

écheveau des muscles i l conduitcomme il veut les contours

,les ramasse ,

les élargi t, les came,les fait ronfler , et , sous

toutes les perspectives possibles , les force àrendre le mouvement dont il a besoin .

Cette imagination du dessin ,M . Doré l ’a

auss i dans la compo si tion . Quel le fac i l ité î,quelle richesse

,quelle force , que l le pro

fondeur in tuitive , quelle p én étration des su

je ts les plus d ivers quel sens de la réal i té ,et en même temps que l espri t visionnai re e tchimérique ! L ’être et le non - ê tre ; l e co rpset le sp e ctre , l e soleil e t la nui t

,M . G .

Doré peu t tout rendre . C’ es t à lui

qu ’on devra l a première i llus tra tion du

Dan te,pui sque celle de Michel -Ange est

perdue .

D UB O I S .- L € Coin d

une table dejeu estun tableau bizarre que l

on croirai t insp iréde certaines composition s grandioscmeutcaricaturales , où G . Doré s ’est amusé à réproduire avec toute la furie de sa c ouleur

1 3 1

et de sa brosse l es types monstrueux desbouges , des tap is francs et des tripots .Autour de la table verte se groupent , l iv ides

,hébétés

,convulsi fs , selon la man ière

don t le jeu les impressionne , le maj or sus

pect , la fille de plâtre sur ses boulets,la

veuve du colon el , plus laide que le Vieuxvice des marionnettes anglai ses , l

’hommeà la martingale , et tout l e personüfl el deces enfers . La mimique de ces ê tresabj ects es t bi en rendue et i ls ont une sortede laideur bestial e e t terrible qui ne man

que pas de caractère .

D UB UF E fil s . La critique se trouvevis- à— vis de M . Duhufe dans une posi tiondifficile . Les portrai ts d e femme qu ’ i l expose p laisent au p ubl ic , peu soucieux desqual ités sévères et d u grand art . I l s sonten effet charman ts , d

une coquetterie exqu ise , frais , blancs , roses , satinés , et surl es tentures de damas pon ceau , dans leursmagnifiques cadres à rocail les et à volutes

,

i ls doivent produire un effet auss i agréablequ’

u n énorme bouque t de fleur s’

évasan t

auto ur d ’

un co rn et d u Japon . Tout celabrille

,pap i l lo te . mi roi te s i j o l imen t . aver

i l choisit,il élague , i l aj o ute , il ramène

au styl e ce qui s’ en éloigne

,il affarmit le

dessin , il tranqui ll isa la coul eur ; d’

unephysionomie qui va s

évanouir bientôt,i l

fait une image étern elle . Cas exigencesne son t nullemen t inconciliables avec ce

que l e monde demande au peintre de portrai ts . Léonard de Vinci

,Raphaël , Ti tien ,

Van Dyck , Velasquez , Largillière , Rigaud ,Lawrence , Prudhon ,

on t représenté lesreines

,les prin cesses et les grandes dames

de leur temps de façon à sati sfaire l acoquetterie féminin e e t a produire deschefs - d

œuvre . Pour être beaux ,leurs

por traits n ’

en sont pas moin s charmants .

Si nous tenons ce discours à M . E . Da

bufe,c ’est qu ’ i l a un talent réel et qu ’ il

n ’aurai t pas beso in de tant de con cessionspour plaire . Sa couleur es t gaie , clai re ,harmon ieuse ; ses ajustements sont riches , étoffés , coquets ; son pinceau obéitl ibrement à sa main . Qu ’ il ai t moinspeur de la nature , el le lui donnera debons con se il s .

Le portrai t de S . A. Madame laPrincesse Mathilde a cet air de faste quine messied pas à la peinture (1 apparat .

Les accesso ires architecture drap eriesconsoles, maublent richemen t le fend ; l

as

pect général en est agréable . Mais la têten e rend pas la beauté tranqui ll e e t la s érén ité bienvei llante du modèle . S . A. I . laPrincesse Mathilde est assez artiste ellemême pour n e pas exiger de ton s ro ses ;al l e admettrai t au besoin des ombres etdes méplats .

I l y a beaucoup de grâce, de fraî cheuret d ’éclat dans le portrai t de Mme la duchessede Medina—Cœl i . La tête

,accentuée par de

b eaux sourci ls noirs , a un caractère i ndividual ; l a couronne de p ierreries , la robeà larges volants sont faite s à ravir . La portrai t d a M ‘n e Eugène Pouj ade , n ée princesse Ghika , en costume national , est trèsj oli

,trop jol i même, let ressemble à une vi

gnette des l ivres d e beau té anglais . Nous endirons autant des portraits de M“ la marquis e de Gal iff et e t de Mme W i l l iamSmyth ; non pas que nous doutions deleurs charmes : el les seraient bi en plusbal les, à coup sûr

,s i le p ein tre ne l es

avait pas fl attées .

DUC . La Chevrzere de M . Duc est une

— 1 3 8

toute petite toile dont nous n e parlarionspas si el le n

aecusait chez l ’artiste une fa

çon particu l i ère d ’envisager la nature .

L’obj e t l e plus important de son tableau

est l e to it d ’

un hangar rustique couvertde bourrées ren dues brin à brin , avec cesoin prod igieux et ce féti chisme du détail

qui faisaien t de l’

0p he'

l ie de Millais,l ’artiste

britannique , une peinture s i bizarrementcurieus e . Les herbes , l es brindilles

,les

feui lles , l es manues flaurettas son t traitées dans la même goût et tel les qu’ellesdoivent apparaî tra aux yeux des sca

rabées .

D URAND -B RAGER . La mer sembleéchapper à la peinture par l

’ infini et lamobilité .

— Commant rendre c e qui n’a pas

de l imites e t pas de formes pour ains i d ire?Car les vagues se fon t e t s e défont parpétuel lement dans leur agitation stéri le , défian t les rapid ités du crayon et de la brosse ,et ne se la is san t saisi r qu

à la photograph ie instantanée . I l est vrai que l es riva

ges , l es po rts, l es va isseaux agrand issen tle domaine de la ma rine et offren t l ’ artiste d e précieuse s ressources . Dans s a

1 4 0

manich , l e dôme e t les murs rayés d e roseet de blanc de Sain te -Sophie . Un peu pluslo in s ’élève la tour du Sérask ier , d

où l ’onsignale les incend ies . Sur l e devant vontet vi ennent des embarcati ons de toute nature , touchées avec une précision savante .

L’expositi on de M . Durand - Brager lui fai tbeaucoup d ’honn eur .

D URANGE L . Accroup i dans une poserêveuse

,Sa tan méd z

te l a ru ine d e l’

homme.

— M . Durangel n ’a pas fait de Satan , de ce lui

qui fut l e p lus beau des anges , un hideuxfanto che

,bon à épouvanter les enfants ; i l

lui a gardé son type p rimiti f, mais assombri par les fumées de l ’ab îme . La grimaced e l a hain e impu issan te con tracte ses

nobles trai ts e t leur donne seul e l ’expressi on diabolique . Sans doute i l en traînerabien des âmes à la perdition , mais le piedde l

archange vi ctorieux est touj ours sur

son col , et i l ne peut se rel ever . Cette fi

gure bistrée,d écoupant son contour sur

un ciel d ’

un b l eu d ur, ne manque n i degrandeur n i de s tyle . La Por té ir z

s est unefigure é légante e t fiè re, qui p orte son fardeau comme une canéphore .

M l

DUSAUS SAY . I l y a dans M . Dusaussay

l’

étoffe d’

un remarquabl e paysagis te . Le

M ara is, avec se s eaux dormantes et plombées , ses l ignes de ro seaux , ses brumesblanches que cherche à percer le solei l , ades finesses de ton , des dégradation s deteintes qui montren t un peintre complè tement maître de sa palette . Rien n ’étaitplus d ifficil e a rendre que cet eff et blanc .

Avan t l’

Orage, tableau d’

un aspect toutcontraire

,n ’a pas mo ins de mérite ;

vent chass e sur l ’hori zon blafard le noirtroupeau des nuages

,courb e la cime des

arbres, ride la surface de l’ eau et bal lotte

une barque qu ’

un homme tire sur l a rive .

Le Soir sédui t par une impression desérén ité et de fraî cheur ; un coteau déj àbaign é d ’ombre fait

onduler sa l igne dentel ée d ’arbres et de chaum1eres sur un

ciel orangé,dont l es ton s d ’or se d égra

dent et passent au bl eu de turquoi se , puisau bleu violet , avec une harmoni e rare .

Le Solei l couchan t , fin d’

automne, desrend à travers les branches d ’

un bo is effeuill é

,il luminant le fond du tableau en

laissant les premiers plans , où miro iteune flaque d ’eau et où défil ent des

1 4 2

bœufs dans‘

une tonal ité sombre et vi

goureuse.

D UV AL LE C AMUS (Jul es) . — Les suj etsfantastiques semblent atti rerM . Duval le Camus. M a cbeth chez l es sorc ières comportetcut naturellement l ’attirai l de la s c reellori e

,l es fantômes , les lueurs bleues et

les effets bizarres , sans compter l es troisv i e ill es au menton barbu ; mai s dans sonJ a cques C l émen t , su :et purement bi stori

que , l’

artiste ,voul ant rend re vis ibl es les

pensées du moine méd itan t l ’assassinat,

fai t apparaître au fond de la cellule l es ilgures spectrales du Fanatisme et de laMo r t , non pas sous leur classique formed

al légorie, mais avec une laideur hideusement romantique , comme Goya pourrai tles i ndiquer dans une de ses ténébreuseseaux- fortes .

1 4 4

peut être b ien sûr qu’aucun j ournalis te nereviendra le dimanche continuer son feui lleton .

E S C AL L I ER El éonore) . — Les deuxpanneaux décorati fs exposés par lt Escall ier sont dans cette gamme claire dont lapeinture ornementale ne devrait pas sortir l

un de ces panneaux , intitul é l’

Eta ng,représente des cygnes gonflan t l eurs ailese t repl iant leurs cols dans une clairière deplantes aquatiques rendues avec cettescience et cette sûreté de dessin qui ca

ractérisen t Mme

Escal l ier ; l’autre , nommé

le Ja rd in, nous montre un paon étalant saqueue ocellée sur l e rebord d ’

une terrasse ,dan s un fou ill is de p ivo ines

,de roses tré

mieres , d’

iris, d ’

une facture magistrale .

Escal l ier cherche à donner du styl eaux fleurs et elle y parvient l e Pan ier d e

fleurs, l e Peti t Vase d e p c'

tunz‘

as témoi

gnen t que l a recherche du style ne lu i fai tri en pe rd re de sa dél icatesse et de sa fraicheur d ’exécution . L

E l ang et l e Ja rd in

son t de la décoration,l e Pan ier d e fleurs

et le Pet i t Vase d e p e'

tun ia s son t des po rtrai ts d c fl eurs .

F AURE .— Les Premiers Pas . N ’ayez

peur ce ti tre attendrissant et bourgeo isn e tient pas ce qu ’ i l promet . Ce n ’est pasà une sentimentale scène de famille queM . Faure nous fai t assister . La chose sepasse en ple ine mythologie . Le marmotest l ’Amour ; la mère , Vénus ; la bonne ,une des Grâces . Cup idon , récemment sevré , essaye ses petits p i eds roses sur une

peau de léopard , tenu aux li s ières parles bras charmants d ’

Aglaé ou d’

Euphro

sine qui , en se penchant pour le Con

duire , découvre tous les trésors de s escharmes , car l

’artis te n ’

a pas suivi la tradition archaïque selon laquelle on représente les Grâces habillées . Le souvenirde l a For tune et l ’Enfan t, de M . PaulBaudry , semble préoccuper M . Faure . I lcherche ce tte gamme de tons claire

, am

brée et mate , rappelan t le vieux tableau

1 1 6

déverni de ses fumées e t de ses erasses ,qui a pour l

’œ il une harmonie Isi douce .

L’aspect de sa peinture est agréable . Sondessin ne manque pas d ’ é légance , maisles mi l ieux de ses figures sont un peu vides et superfici els . Citons le por trai t defemme blonde encapuchonn ée de den te ll es noires ; il est d

un fin sentiment e td ’

un e couleur charmante .

F AURÉ . Ils sont rares auj ourd ’hui lespeintres qui emprunten t des suj ets à l

his

to ire du moyen age . La‘

mode n ’ est plus là ;notre époqu e semb le n e voulo ir regarder

que sa propre image . E lle détourne sesyeux du passé et n e paraît plus faire cas

de cette i ntui ti on rétrospective qui reconstruit avec leur architecture , leur costumee t leur physmnomie les s i ècles d isparus .

Cette d éfaveur prive l ’art de grandesressources . F é l i c itons M . Fauré d ’a voir eule courage roman tique d e nous montrer unJean H uss d eva n t l

emp ereur S igismond .

Condamné par l e conci le de Con stance aêtre brûl é vif, Jean [lues s ’avance versl ’empereur et lui d i t J

’ é tais venu ic i

avec un sauf— condui t que vous m ’ave z

1 4 8

tourner la difficu l té e t non la vaincre .

Chez lui , l e j aune reste j aune ; l e rouge nemet pas de l ’eau dans sa pourpre, le vertn e se déguise pas en gris ol ivâtre . De sonillustre maî tre i l a appris le secre t defaire concorder en tré elles les va leurs lesplus opposées sans les éteindre . Nous augurens très - b ien de l ’avenir de M Fauré ,dont ce tableau est l e début

,car n otre

mémoire ne nous rappelle de lui aucunouvrage antérieur .

F EYEN -P ERR IN .— NOW aurions bien en

vi e de chercher un peu noise à M . FeyenPerrin sur le titre qu ’ il donne a . sa composition tirée du cinqui ème chant d e l ’Enferdu Dante l es Ames d amnées . Toutes lesâmes que le b ilieux gibelin rencontre dansl es neuf cercles de la spirale sont damnées

,

puisqu ’elles son t en enfer ; mais laisson sde cô té cette p etite querel le p lus li ttéraire

qu’

artistique , et ven ons au tab leau lui—même . M . F eyen —Perrin a représen té le groupeéploré que balaye , dans l

’ai r sombre,l’

ê

ternel tourbillon , avec des poses tordues etcontournées qui exigeraien t plus de sû

re té anatomique qu ’i l n ’

en possède . Pour

— 1 4 9

se hasarder à ces libres mani emen ts de laforme humaine qui sont les j eux des forts ,il faut connaî tre à fond son bonhomme

,

comme on dit en s tyle d’atel ier . Les figu

res deviennent alors des déductions logiques et prévues d ’

un jeu de muscles danstelle attitude , sous tel le p erspective , et

non des reproductions réal istes du medèle soumis à l

estrapade sur la table depose .

A côté de portions supposées i l y a,dans

les figures de M . F eyen — Perrin , des pertion s copi ées qui détruisent l

’ensemble etmélangent désagréablement le vrai au fantastique, défaut don t s e garde M . GustaveDoré dans ses enlacements de damnés etde démons dess inés d ’

un seul j et . Tenonscependant compte au peintre de l ’ambi tionde son effort et des morceaux louables querenferme sa toile . Ce travail , incom

plétement réussi , n e lui aura pas étéinutil e .

Les Prod iga l i te'

s d e l’

Are'

tin s eparpillent dans un cadre trop vaste pour l ’ importance du sujet . M . I ngres , cet esprit s isage et s i plein de mesure , a emp runtédeux anecdotes à la vie de l ’Aré tin , mais

il l es a rédu i tes aux d imension s du chevalet . — L

Aré tin , qui eut l’

honneur d’ê tre

l ’ami du T itien,menait

,grâce aux lettres

de change qu ’ i l tirait sur l ’amour— propreou la peur des puissan ts de la terre

, une

vie large,sp lendide et quasi princi ère . I l

habitait à Venise un palais magnifique surle grand canal

,où le couvert étai t touj ours

mis pour une orgi e perpétuelle . Cinq bell esfi l les appelées les Arétines en faisaient l eshonneurs . Plus d ’

un pauvre artiste vints ’y ass eoir et re çut aide et protection

,car

ce grand coquin aimai t fort la pein tureet s ’y entendai t . I l était bonhomme , dureste , malgré ses vic es , son impudence etson chan tage, et sur les marches de marbre de son palais

,les malheureux n ’atten

daien t pas longtemps l ’aumone .

Il y a dans le tableau de M . F eyenPerrin des figures gracieus es , des group esd

un arrangemen t coquet , des portionsd

une imitation véni tienne heureuse ; maisle suj et ne se comprend pas aisémen t , etl’

Aré tin n’

oceup e pas une pl ace assez visib le au mi l ieu d ’

une ‘composition dont ildevra i t ê tre l e p ivot

,pour emprunter une

expression au vocabula ire fouriériste .

avec une in tel l igen te exacti tud e les allures , le poses caval ière s et maniérées . Le

Bap tême d e M"° C la iron offre une cu

ri euse réun ion des costumes et des typesde théâtre de l ’ époque ; pour ce tableau ,

nous renvoyons à l ’in dication du l ivret

qui l’ expl ique suffisammen t .

Les Noces d e Gama ches sont conçuesdans des proportions relativement vastes ,par rapport aux habi tudes de M . F iche];ce son t ses Noces d e C ana . Les tablessont dressées au milieu d ’

une elairiere sur la gauche du tableau fumentles cui s ines ; aux branches des arbrespendent des gibiers variés ; 1e1 un bœufentier rô tit sur un immense brasier ; làun cui sinier tire d ’

une énorme marmiteune o ie qui fait rêver Sancho Panea . Les

marmitons affairés commencent à dresserl e fabul eux festin , car l a no ce de Gamacheset de Qui ter ia l a Hermosa débouche dubois

,musique en tê te . Quoique ce tableau

soit traité avec la finesse et l ’ esprit qui nepeuvent manquer à M . F i che], on sen t que l epein tre n ’est pas là dans son élémen t ; il saitmieux asseo i r un fumeur dan s un cabare t

que fai re manœuvrer des foul es . Ses Noces

sont un peu froides, et n ’on t pas cet entra in ,

ce t te exubérance don t Cervan tesles a an imées . Ci tons en core le Portra i td e M .

F L AH AUT .— Les Bords du l ac d e C e

nêoe ont dans la toil e de M . F lahau t un

aspect argenté et lumineux qu i s éduitl ’œ i l . A gauche, un groupe d

’arbres d ’

unerare élégance se profi le sur l e ere] d ’

unesérén ité limpide ; la route qui s

abaisselaisse voi r en abîme l ’eau bl eue du lac oùflottent quel ques vo iles blan ches commedes plumes de cygne . Ce n ’est rien et c ’es tcharmant . On ne saurait mieux exprime ren peinture l ’agréable surprise que causeà la crê te d unemontée l ’apparition subited ’

une vaste étendue d ’ eau . Nous aimonsauss i beaucoup la Vuep rise al E treta t . Deson dulations de terrains très— fermemen tmodelés remplissen t les premiers plans

,et

entre l ’écartemen t des falaises la mer pais ible tire sa barre bleue . Cela est p le ind ’air , d

’espace et de lumière La Ferme

normande, comprise dan s un s ens tout opposé , prouve que M . F lahaut sait passerdu styl e à l ’expressi on simp l e de la nature .

1 54

Les bâtime nts d e la ferme s’

en fouissent

dan s des massifs d ’arbres et la gammedu tableau est une ombre verte e t transparente où se gli ssent quelques furti fsrayons de sole il . L’ eau sombre d ’

une maremiro ite çà et là sans détruire l

’harmoniefraîche , discrète et rep osée du tableau .

F L AND R IN (Hippolyte) . Absorbé depui s longtemp s par d ’ importants travaux depe in ture religieuse où il dép loie l es p lusnobl es qual ités de l ’art

, M . Hippo lyteFlandrin n

a expose que des portraits .

Mais quels portrai ts ! de purs chefs — d’

œu

vre e t tels que M . I ngres seu] pourrai t lessurpas s er . Le portrait entendu ainsi atoute la valeur du tab l eau d ’histoire . Celuide S . A . I . l e Prince Napol éon a un e

grandeur tranquille , une maj es té simple ,qui imp osen t au premier aspec t et révèlent ,malgré l

’absence de toute décoration et

de tou t sign e o ffici el , la haute situati on dumodèle . Nul le pompe

,nul apparat ; le

Prince , en habi t no ir,est. assis dan s un

fauteui l de velours grenat ; une de sesmains s ’appu ie sur les bras du fauteuil

,

l ’autre se ferme à demi sur la cuisse , et la

de lui un guéridou supporte des brochureset des papiers ; un rideau ver t à demiramen é laisse vo ir un fond d

un brunneutre . La discrétion de la couleur et lesacrifice de tout éclat accesso ire con cen

trent l e regard sur la tê te , modelée avec

une science qui n’enlève rien au charme .

Quelle dél icatesse de passages , que l le suitedans les plan s

,quelle logique dan s ce tra

vail don t l ’artis te dérobe les traces et quidonne l ’ idée d ’

une image fixée sur la to ilesans l ’ intermédiaire du p in ceau On nesaurai t me ttre plus d e grâce dans la s évéri té

,plus de n ob less e dan s l ’abandon .

Les deux portraits que n ous venons dedécrire sont assi s . Celu i de M . l e comte l) .est d ebout . I l se d étache d ’

un de ces fondsv erts qu

affectionneM . Hippolyte F landrin,

et sur l eque l , par surcroî t , s e drape un

rideau également vert . Le comte D . porteune main a la basque de sa redingoteavec l ’ i nconscien ce d ’

un geste famil ier,et

appu i e l ’au tre sur une tabl e couverte d el ivres . La tête vi t e t semble vous rendre votre regard .

Une figure de Minerve en bron ze e t desmédailles désignent M . G . comme si la

ressemblance n ’y suffisai t pas . Les grandsartistes on t parfois de ces modesties .

La tête,les mains de ce portrai t son t

d’

une exécution parfaite e t d ’

une bell ecouleur , car les dessinateurs pei gnentaussi très— bien , quo i qu

’on en veuil le d i re .

Le comte S . ,par sa tê te aux traits ré

gul iers et caractéris tiques , sa barbe et sesche veux longs

,prêtait à la peinture , et

M . Hippolyte F landrin en a tiré un excellen t parti . Le eomte est debout ,

'

une mainj ouan t avec un gant , l

’autre au gilet , enpaleto t violâtre . On d irai t , en dép i t ducostume moderne

,un patrici en de Ven is e .

Un portrait de femme qui n’ es t pas

por té au l ivret e t que nous ne pouvons désigner autremen t

,car la p ersonne qu ’i l

représente nous est i nconnue,a l ’austérité

élégante et délicate que M . I] . Flandrinapporte à la représen tation de la natureféminine . Sa physion omie est douce

,dis

tinguée et triste . Une robe noire agrémen

tée de j ais , une pointe d e dentelle s blanches nouée négl igemment autour du col

,

accompagnent de leur harmonie sourdel

expressi on languissante de la tête .

Ces quelques l ignes donnent une idé e

bien faib le du méri te dép loyé par il l . H .

F landrin dans ces admirables portraits ,auxquels on ne saurait reprocher qu ’

uneperfection trop égal e p eut— être . Mais comment , en dehors du suj et , de l

'action et

du costume , faire sentir avec des parolesla beauté de cinq ou six portrai ts d ’

uned iversi té très - sen s ible à l ’oei l

,mais qui

disparaî t forcément dan s un compte rendu?Les mots manquent pour exprimer certaine différence essentielle de contour

,

certa1n jeu particul ier de lum i ere,c er

taine quali té de ton spéciale qui mettenttant de dis tance en tre une nature et une

autre .

F L ANDR I N (Paul ) . Le paysage est la spec ia li té de M . Paul F landrin , connue en d it

aujourd’hui ce qui ne l

’empêche pas defa ire de très- beaux portrai ts qu i se sou

ti ennen t acoté de ceux de son grand frère .

la baronne pour être représen téepar un pinceau habi tué à rendre les arbres , les terrains e t l es ciels , n

’en est pasmoins d ’

un dess in très —

pur e t d’

une b ellecouleur . Les chairs ressortent j eunesfraîches et vivan tes de la robe de velours

160

son t d es a rbres , et i l faut lui en savoir gré ,car cela d evien t un mérite auj ourd ’hui .C

’est une charmante rivière que la Bresl ea Auma l e

,avec sa voûte de

vieux noiset iers au feuil lage massé en peti tes touffesune vache qui sort de se baigner brout ill el es j eunes pousses ; une compagn ie decanards barbote dans l ’ eau pai s ible ; unpetit ruisseau

,barré par un batard eau

moussu et encombré d ’herbes et de branchages, va s e perdre sur la gauche

,sous

les obscurités d ’

un tai ll is . Quelques toits d echaume surgissen t dan s l e fon d derrièreles arbres . Un ci el normand , bien tempéréde nuages blanchâtres , éclai re ce ta bleaufrai s e t calme . Les Tu i l er ies du Perreya u Havre n e témoignent pas d ’

une grandeactivi té industriel le des cabanes et desgranges en bois , de mauvaises palissadesd on t les planches titubent comme d es ca

puc ins d e car tes , un moul in inac ti f, remp lissen t l a d roite de la toi l e . Une eau l en te

,

verdi e d ’

une végéta ti on paludéenne,gar

n it la gauche . Sur l e bord , où son t échouéesquelques barques en mauvais é tat

,est ac

croup i un pêcheur à la l igne , seul personnage qui témoign e de l ’animation hu

4 6 1

maine : c ’ es t. peu ,comme l ’on voit . La

facture de ce tte toile , qui est grasse et

large,con traste avec le faire des autre s

ouvrages exposés par M . F l ers , qui son ttrès— finis et très- détaillés .

F RAN Ç AI S .— Si j amai s nom s ’est ajus té

avec précision à la personne qu ’ i l dés igne ,c ’ est assurément celui de Fran çai s . Ce

charmant art iste n ’

a - t— il pas un talent toutfrancais , p lu s que franca is , parisi en Celasemble b izarre pour un p aysagiste , e t

cependan t , sans porter p lus loin que Bou

gival ou Meudon son parasol e t sa boîte àcouleurs , M . F rancai s a trouvé moyende faire des chefs- d ’

œuvre de grâce , d ’ él égance et d

’esprit . Ce n ’est pas qu ’ i lne so it capab l e comme un au tre d ’affronter l ’azur

,l e sole il e t le s tyle i tal iens : l es

vues du port de Gênes , du lac Nemi e t d ela campagne de Rome l ’ ont suffisammentprouvé mais si

, sur la rive du Tibre , i l ades rivaux , sur les bord s de la Sein e i ln ’en rencontre pas . Cette n ature est à l uri l la domine en maî tre

,i l en dégage

,sans

mensonge , des beautés que les au tres n’y

saven t pas voir . La i l e st véritabl emen t

1 62

orig inal . Ne lui devons —nous pas de lareconnaissance , n ous autres habi tan ts dela grande vi l le

,de nous faire ainsi corn

prendre la poésie de ces s ites dél i

cieux qui n’on t d ’autre défaut que leur

prox imité , et don t les ombrages on t encad ré l es p romenades , les rêveries et l esamours de notre j eunesse ? Nous l esavons fa is pour des con trées loin tainemen tet prétentieusemen t pit toresques

,mais

M . Français leur est resté fidèle,et bien

lui en a pris .

Son expositi on d e cette année est une

d es meil leures que nous ayons vues depui s longtemps ; auss i n è s ’est- i l pasécarté de sa chère ban l i eue parisienne .

Quo i d e p lus charman t que la Vue

p r ise a u Bas —M eudon La Sein e coule et

miroi te , rayée de b rusques égratignures ,entre des rives di ffuses bordées de saules ,de p eupl i ers , d

a rbres vulgaires ; au fonds

éb:urche dans un poudro iemen t grisatre

,un co teau boisé , e t les maison s d u

Bas -Meudon ,assises au p i ed de la co l l ine

,

mê len t leurs fumées à la brume lumineuse . Par - dessus tout ce la s ’ étend un

c iel qui n’ es t n i ind igo , n i orange , un

noyée dâns la vapeur d ’or du couchant.tend au fond du tabl eau son rideau violatre . Au sommet , l

aqueduc de Marly ,dessinant s es arcades romaines

,j ette

comme un e note antique à travers la medern i té du paysage .

Au premier plan , un j eune garçon aqui tté ses habi ts p our prendre un bain e tcontinue l ’ impression an tique par son costume de tous les temps . C

’est un gamin,

mais ce pourrait être un pet it bergerd

Arcadie .

y a dans cette to il e l a fraîcheurchaude et moite des so irs d ’ é té .

— Un

léger voile de vapeur s’

in terpose entre l’œi l

et l es obj ets et donne à l ’ ensemble une

suave harmoni e crépusculaire .

Au bord d e l’

eau,environ s d e Pa r is.

voilà du Françai s tout pur, sans aucunepréoccupation de style , s

abandonnan t

avec naïveté à sa nature , et peignant dubout d u pinceau ce qu ’ i l aime et ce qu ’ i lsait . Rien n ’ es t plus charman t. que ces

œuvres ord inai remen t déda ignées d e l 'artiste , parce qu

’elles lui vîcnnent sans ef

fort et coul en t comme de source . Elleson t la grâ ce de l ’ involon ta ire . La ri

viè 1‘c s’étale en c lai res nappes, coupée

c omme une vitre par une carre de d iamant

,parmi l es herbes

,les roseaux , les

plaques de sable découvertes par les eauxbasses . Ç l e t là quelques saules s

ébou

riffen t , quelques peupliers s’

al longen t ,

deux ou trois vaches broutent le gazon,

et sur un tertre une Paris i enne , en robeblanche et en mantele t noir , sui t , abritée

par un e rose ombrel le . l es p éripéties d’

unepêche a l a l igne . Le gouj on mord— i l ? l ’ind icateur de l i ège a —t- i l frémi ? qu

importe î

le plais ir c ’est d ’être deux tout seul s , dansce j oli paysage sans p ré ten tion ,

sous ceten dre ciel b roui l lé de b l eu pâ le et de gri sde perl e , par un beau jour d

’ été , avec lafacil ité de revenir l e soir, après avoir dîn ésous la tonnelle du pêcheur Con tesenm

,

prendre des glaces à Tortoni .Avec quelle aisance magistrale et dénuée

de pédanterie es t brossé ce clair e t tranqui lle paysage , s i famili er à nos yeux , e tpourtan t s i neuf depui s que M . Français ya mis sa grâce

, son esprit e t sc h sentimen t !

F aune (Edouard) . M Edouard Frère ,laissan t à son aîné les spl endeurs de

166

l’

Orient , va chercher en Normandie d es suj ets moins maj estueux et un ciel moinsaveuglant . La toi le intitulée l a Ba ta i l l e estun j o l i tab leau . Un parti d ’

é col iers a prisune position avantageuse sur l es marchesd ’

une églis e et repousse avec force boulesde neige l ’armée ennemie qui ten te envai n l ’assaut . Les bonnes p etites mainsviol ettes pétri ssent les proj ectil es avec activité

,au mépris des engelures ; que lques

blessés geignen t dans les coins en at

tendant que les parents et l e maître d’é

cole viennent mettre ñ u a la lutte . Au

fond de la place se découpent , à travers l abrume , des silhoue ttes de vi eilles maison s .

L’

Asi lep our l a viei l lesse etEcouen offre unsp ectacle moins gai que l a Ba ta i l le. Dansune chambre nue

,aux poutre s apparentes ,

quatre ou cinq vie il lards des deux sexesson t groupés si len ci eusemen t autour d ’

un

po ê le de faïen ce,avec cet air absorbé ha

bitue] a l’

imbéc i ll ité . Une sœur de charitéci rcul e dis tribuant des potions . A que] de

gré d’

infimité l e travail exigé par la civil isation rabaisse- t — il la créature humaineQuell e d ifférence de cette décrép i tude ala maj esté sén ile des anciens et des

— 108

l’

Orien t se trouvent la p ittoresqrwmen tgroupés . Le premier p lan se fai t de luimême , et , pour le fond , quelques dômes ,quelques minarets et une demi - douzainede palmiers doum s suffisent .

L’

Ara be buvan t a un e fon ta in e du C a ireet un carac tère original . Enclavée dan s lemur d ’

une maison , la fontaine consiste enune p laque de marbre où s

ajuste un ro

bin et . Pour boire , i l faut s’

agcnouil l cr e t

laisser l ’eau fi ltrer goutte à goutte danssa bouche . Aussi tro is degrés de p i errefo rmant perron comp l èten t— i ls l e menument . Le Restaura n t a rabe al l a p or te

d e Choubr ah ne satisferai t guère la gourman d ise europ éenne , mais la sobriété .

ori en ta le s ’en con tente .

Le meilleur des tableaux de M . Théodore Frère est assurément celui inti tul éune Fête chez un u le

'

ma , à Constan tinop le.

La chose se passe dans une grandesalle aux murs en cadrés de faï ence bleue .

Des tap is de Smyrne couvrent le plancher ,e t sur de longs divans les i nvités , splend idemen t vêtus des vieux costumes caractéristiques de l

Orient , se tiennent accroupis, fumant des pipes aux tuyaux de

j asmin ou de cerisier , aux bou‘quins d ’am

bre,dont les fourneaux reposent dans des

plateaux de cuivre . Sur la dro ite , desmusici ens j ouent du tarbouka , de * la flûtede derviche e t du rebec . Des esclave s appor tent sur des p l ate aux - du café , dessorbe ts

,des conserves de roses , du rabat

lokoum et autres sucreries ori entales .

Au fond , une large bai e , aux po rti eresrelevées , laisse vo i r un second salon , également entouré de divans , où se t i en nen td ’autres invités .

Tout cela est très - ñ u ,trè s - étud i e , très

vrai d ’attitude et de couleur . C’est b ien

une soirée turque , i l n’y manque que

'

lesfemmes , absen tes en Orient de la vi e publique ; mais heureusement M HenrietteBrowns nous a révélé les mystères dusérai l .

F ROMENT I N . M . Eugène Fromentindécidément pri s la tê te de la caravane

orientale Seul l e dromadaire blanc deM . Belly se maintient à côté du cheval al

gérien que notre j eune voyageur, penchésur la haute sell e arab e

,pousse 5 1 Vi vemen t

du tranchant de ses la rges étriers . Comme1 o

l 7 0

i l va , comme il se précip ite dans le tourbillon d e la fan tasia l Sa pein ture a l

é

blomssemen t rapide de la chos e en trevueau galop ,

la spontanéi té du premier coupd ’œil fixée sur la toile

,le mouvement de

la photographie instantanée !Les C ava l iersrevenan td

unefan tasia prèsd

Alger sont pris au vol : ils passen t comme un rêve , d iaprés , éti n celants , emportés par une course ver tigineuse . Les bur

nous et les étendard s flottent , les crinières’

échevèlen t,

les naseaux fumen t l esétri ers se choquent , les pistolets e t les fusil s crépitent . coul e dans le ravin un

torren t de chevaux aux robes bizarresp igeon bleu à l ’ombre

,jou e de Fatma

,

sourcils d’

Ebl is ainsi que les nommen tles po è tes dans les descript ion s lyri quesde s Moal lak ats . Au- d essus de ces chevaux ,l es cavali ers semblent p lan er comme un

essa im d ’oiseaux aux coul eurs éclatan tes .

Devant eux sautent en j appan t les sve ltess loughis

,ces l é vriers de race qui seuls

peuven t d evancer l ’essor du coursierarabe .

Sur la pen te esca rpée , parmi les frond a1 son . verdovan tes

,des marabouts fon t

l 7 2

au bord du cie l et d essine sur son fondclair la si lhouette dé l i cate des plantes .

faut s e dépêcher de regarder ces courriers ; dans une seconde , il s seront horsde la to il e , et l e milan qu i plane l

a- haut ,es sayan t de lutter de vitesse avec eux , l esaura bi entôt perdus de vue .

Le B erger (hauts p lateaux de laKabylie )nous révèle une Afri que d ’

une nouveautéinattendue et charmante une Afri quebleue

,argentée et glacé e de ne ige . Monté

sur un magnifique cheva l gris , un j euneberger

,beau , nobl e et tris te comme Apol

l on chez Admè te,gagne les hauts plateaux

enla chaleurà

n’

a pas desséché l ’herbe , poussan t devant 1ui son troupeau de moutons .porte sur l ’arcon de sa sell e un peti t

agneau trop faibl e pour suivre l es autres .Comme la poésie de la vie p atriarcal e

apparaî t la dans toute sa primitive beautéComme on se s ent déchu à côté de cej eune berger mon tant de la p laine , où fument les foyers déj à lointains , a cettealpe afri caine que l e souffle du désert n epeut d épouiller de son voil e de neige ,dans la soli tude

,le si len ce et la l iberté !

i l a réalisé le vœu de ce berger qui d i

— l 73

sai t que s’

il é tai t ro i i l gardera i t ses mouton s a cheval , et j ama is ro i n

’eut plusfière mine , p lus al t ière et plus simp l e attitude que ce pauvre pâtre kabyle don t lapourpre est un haillon et la couronn e unchapeau de paill e j eté n égligemment derriere l e des . Le B erger nous paraît jus

qu’

à présen t être le chef— d ’

œuvre de M . E .

Fromentin .

Que de fo is nous avons travers é desoueds semblables au l i t d e l

'

Oued -M z i,

un ravi n de sable en combré de lauri ersroses et pailleté çà et là , comme un miroir d

alouettes , de flaques'

d ’eau persi stan tes ! Ce n ’est rien qu ’

une esqu isse . Maisles taches de coul eur son t posées si j us te

,

les pe ti ts cavaliers manœuvren t s i légèrement leurs chevaux à t ravers l es p ierre set les branches . qu

’on cro irai t traverser ‘

l e

gué ave c eux . Pour nous , cette p etite toilea le charme nos talgique d ’

un s ouven irpersonnel .Oh les ma isons carré es et blanches

, au

dôme arrond i comme un sein ple i n delait , où s

abatten t l es colombes,l es grands

cyprès montan t vers l ’azur , comme dess oupi rs de feuillage

,la mélanco l i e s ereine

10

d e la mer oon temp l ée du haut des terrasses

,la haie de cactus , l e ci erge à sept

branches de l ’aloès, e t dans l e chemin aux

cailloux luisants l e petit âne algérien quichemine poussé par son ân ier ! M a isons

turques d e M ustapha , que nous montreM . E . F romentin , quelle bell e vie indol ente et rêveuse on m

enerait à l ’ombrefraîche de vos arcadesC

’est aussi une d é l icieuse to ile que

l’

An c ienne mosquée d e Tebessa . La mos

quée dresse sa tour carrée , que surmonteun minaret , dans un ciel d ’

un b l eu intense

,près d ’

un monceau de décombresCuits au so le i l , non lo in d ’

une mare oùs

abreuven t des chameaux allongean t leurscols d ’autruche . Quand vous avez d itcela vous n ’avez rien di t

,et cependan t

quel l e impre ss ion profonde,quel souve

n ir p ersistant vous laisse ce p e ti t cadre !Si l e devoir

,l a famil le , les l i ens de toutes

sortes dont vous en lac e la civil isation n e

vous retenaien t,comme on ferait b ien vite

sa mal le e t comme on irai t fumer le chihouque , adossé à ce mur b lanc !

les humbles suj ets auxquels i l savai t donner un charme austère et p én é tran t. I l y achez M . A. Gautier un amour du vrai , unesincéri té in time d ’ exécution qui l e renden tpropre à in terpréter fidèlemen t la physionomie humaine , et il devait réuss ir dansla n ouvelle voie qu I l ten te . Par une sin

gularité dont son talen t n’

avai t pas besoinpour fixer l ’attention , M . A. Gautier adonn é à ses portraits une bi zarre formed e trumeau ou de c arte de visite photographique . Nous aimon s assez ce partipris . La figure , resserrée . dans un cadreé troit

,prend de l ’élégance et se présen te

bien . Les p ortrai ts du prin ce de San Castaldo , de M . Tailhardat et du doc teurC achet , se d i stinguent par l

’ exactitude d ela ressemblan ce , la tournure o riginal e etl a sobrié té vigoureuse de la c ouleur .

G ÉRO M E . S ’ i l est un trait qui peign el ’a imable carac tère athénien

,c ’est l ’acquit

tement d e Phryn é par le tribunal de l’

A

réopage, ébloui des charmes de la c élèbrehétaï re . La beauté admise c omme c ircon

stance atténuan te , Vénus d ésarman t Thémis

,c ’est bien là une idée toute grecque

4 7 7

et tout attique . Ces juges , don t les dieuxmêmes acceptaient les décis ions , reculantà la pen sée de détruire ce corps par fai t

,

statué vivante qui inspirait Prax itè le , n’

ex

priment- i ls pas,sous une forme char

mante,la morale de cette c ivil isation hel lén i

que, plus amoureuse en core du beau quedu bon et du vrai Peut- être Phryné é taitelle coupable , mais a coup sûr les ar tistes absoudront les membres de l ’Aréopageil s eussent jugé comme eux .

M . Gérome a trouvé dans cette scène ,faite à souhait pour le plaisir des p eintres

,

le suj et d ’

une toile remarquable par s esqualités e t ses défauts

,e t devant laquelle

personne ne passe indifférent .Le tribunal , composé de vieillards , s1 ege

sur les degrés d ’

une estrade en hémicycle .

Au milieu de la salle se dresse une statue ttede Pallas—Athénè , de style archaïque , ayantpour socle un autel . En face du tribunal setient debout Phryne

,dont l ’avocat

,à bout

de raisons , vi ent d’

arraeher la tun ique dansun lyrique mouvemen t oratoire . L

hétaïre,

surprise , se cache à d emi la figure avec sonbras par un geste de pudeur involontairep lein de naturel et de grâce : mais sa dé

1 78

fense n ’en est pas compromise , car sonbeau corps

,tourné et pol i c omme une sta

tue d ’ ivoire , éclate dans toute sa blancheuret p laide éloquémment sa cause .

L’attitude de l ’avo cat qui en lève le vo ile

est une vraie trouvail le ; seulement , l ep ersonnage semble un peu grand à côtéd e la Phryn é dont l

’artiste a fait une trèsj eune fille

,mince

,petite

,délica te

,un peu

trop virginale peu t— ê tre pour le suj et .Phrvn é , riche à pouvoir rebâ tir les murai lles de Thèbes détrui tes par Alexandre ,devait ê tre d ’

une beauté main s en fleur,

plus développée,p lus fémin ine enfin

,p lus

ressemblante aux Vénus dont les statuairescherchaien t le type en e l le

,ce qui ne

l ’empêche pas d ’être charman te commee l le est , avec sa graci lité ado lescente et juvénile .

La foule admire beaucoup la vari é téd ’expression que M . Géromé donnée àl

Aréopage . Le sentiment que la plupartde ces tê tes chenues trahissen t n ’est pasce lui qu ’on t dû éprouver ces augustes juges athén iens .

Ils paraissen t émus sensuel lemen t parle nud i té d écouverte a l eurs yeux . C

’est la

térê t, presque inséparable du genre ad

miratif,et il a cherché à rendre p iquants

par des expressions de luxure ces graves

personnages’

assis les uns à côté des autres .Cette critique faite et l e regrettable

parti pris de l ’artiste admis , on ne p eut

que louer l’ extraord inaire finesse de mi

mique , la vari été infinie de nuances dansla traduction du même effet différencié parl ’âge

,l e tempérament et le caractère de

chaque juge . C’ est une amusante comê

die de su ivre sur ces visages ridés et barbus la flamme du désir voltigeant commele reflet d ’

un miroir et se modifiant selonle type des tê tes depuis la volupté platonique jusqu ’à la pétulance du satyre .

Quant à l ’ exécution propremen t dite,

elle a cette netteté savante qu i caracté ris eM . Gérome. Les moindres détai ls témoi

gnen t une recherche archaï que très au

courant de son antiqu i té . La petite statuette de Minerve , vraie idole des tempsprimitifs

,une ro ideur égin é tique et dé

dal ienne tout à fai t amusante .

Socra te v ien t chercher Al c ibiad e chez

A3p asie. Tel es t le titre d u second tableau

grec d e M . Gérome . Alcib iade,couché sur

1 8 1

un li t de repo s près d ’

Aspasie , ne para î tpas très— disposé à suivre son maître , etcela se conçoit : la philo sophie ne vautpas l ’amour

,surtout quand la maî tresse

est Aspasie . Une j eune esclave , d ’

un ebeauté mal icieuse et sournoise

,hab i llée

d '

une demi— teinte transparente , cherche àreteni r l ’ époux de Xan tippe , et sur l eseui l de la porte un e vieille souri t d ’

un

sourire oblique .

Au premier plan s ’ étale un chi en magn ifique, ce même chien dont Al cibiadecoupera la queue pour donner de la pâture au babil athénien . Aucun spéc ia

l iste d ’animaux n ’en ferai t un pareil .Placé comme il est , i l prend peut- ê tretrop d ’ importance pa r rappor t aux per

sonnages ; mais le chien d’

Al cibiade es tlui-même un personnage et non un ao

cessoire .

Le fond représente un atrium ornéavec cette él égance antique famihere à

l ’arti ste . C’est une restauration dan s toute

la force du mot,d ’

une cur i osi té exquis ee t d ’

une sci ence qui n e nu i t en r ien àl ’ effet . Les figures se détachent en vigueurde cette architecture polychrome , gaie et

1 1

1 82

lumineuse , à laquel le on ne saurait reprocher qu ’

un peu trop de ri chesse . Les

Athén iens réservaient tout leur luxe p ourl es monuments , et leurs maisons étaientfort p eti tes ; mais Aspasie, la plus renommée des hétai‘ res

,la maî tresse , l e consei l

e t plus tard l ’épouse de Pé riclès , pouvaitse permettre ces sp lendeurs .

Nous trouvons b ien absolue cette phrasedu l ivret Deux Augures n

on tjama is p u se

regard er sans r ire . Quoi qu ’en aient d i t l e ssceptiques et les voltairien s de l ’antiquité ,deux augures se ren contrant gardaient parfaitement leur séri eux . D ’abord la p lupartd ’en tre eux croyaien t à leur art ; ensuite ,eussent— i ls été incrédul es

,l eur profession

même leur imposait une gravité hypo cri te .

Tout au plus se permettaient - ils un im

p erceptible clignement d ’ œ i l, un d iscret

sourire d 'intel ligence , tand is que les au

gures de M . Gérom é rient d ’

un gros rireégueulé et rabelais ien a s e ten ir les côté s ,à pouffer

,à tomber en apop lexie . Il est

vra i qu’ ils sont dans la coul isse , lo in des

pro fanœ , tout s euls au mil ieu du pou

lail ler sacré : les volailles prophétiques

qui al longent le col hors de leur cage

— 1 84

vite par un che f—d ’

œuvre Rembrand t

fa isan t mord re une eau—forte . Là, il n es ’est pas mis en frais d ’

ingén iosi té ; i l n’

a

pas demandé à la p einture ce qu ’e l l e n epeut n i n e doit rendre , i l est res té dansla sphère de l ’art le j our descendantd ’

une haute fe nê tre se tamis e à traversun de ces cadres garnis de pap i er blan cdont les graveurs se servent pour amortirl’éclat du cuivre , glisse sur la table , traverse des flacons remplis d ’

eau ou d ’acide,

se répand dans la chambre , et va mouriraux co ins obscurs en pénombres chaude :et mystéri euses .

Rembrandt,vêtu de noir et penché sur

la tab l e , fai t miro i ter une planche pourvérifier la profondeur de l a morsure . Rien

de plus . Mais vo ilà un véri table suj e t depeinture un e lumiè re concen trée sur unpo int et s’

éteignan t par dégradati on s insensibles en partan t du b lan c pour ’arriver au bi tume . Cela vaut toutes les i déesspirituelles e t l ittéraires , et Rembrandtlui-même n ’

en a guère eu d ’autres dansses tableaux ou ses eaux—fortes . La planchequ’ il est en tra in de fa ire mordre contient probablemen t une i dée de ce genre .

1 85

Le Rembra nd t est une merveille definesse , de tran sparen ce et d ’effet . JamaisM . Géromé ne s ’ e st mon tré plus colori ste .

l e pompéien , ce pe intre à l’

en caustique ,

cet enlumineur de vase s grec s atte int dupremier coup a la p erfection intime d esmaî tre s hollandais .

Nous aimons:beaucoup le H a che—

p a i l l e

égyp t ien . Ce séri eux pre sque hiératiqueva bien au talent de l ’artiste . Un Egyp

tien,grave et tranqui ll e comme l ’Osiris fu

nèbre , fait tourner sur un cercl e d e gerbes un char, pareil à un trône

,attel é de

deux buffles et porté par des roulettes demétal ; derri ère lui , comme un aoëris

derrière un pharaon,se tient un j eune

garçon se pré sentan t auss i de profil .On dirait un dessin calqué dans une nécropole de Thèbes ; et cep endant c

es t uncroqu is exact d ’aprè s l a réalité vivante .

— Un sole il aveuglan t déverse ses rayonssur le di sque j aune des gerbes qui

fai t songer au cercle d ’or d ’

Osymand ias,

argente le ciel e t rosi t les loi ntains .Quel le grandeur et quelle solenni té dansce simp le travail d ’agricul ture ! Le dessinest ferme comme une in cise sur le grani t ,

1 86

l a couleur éclatante connue l ’en luminured

un papyru s sacré !Le P or tra i t d e Ra chel est à la fo is un

portrait et une p ersonn ification . La Tragé

die se fond dans la tragédienne , la Musedans l 'actrice ; drapée de rouge et d

’orange

,elle se ti en t debout sous un s évère

porti que dori en . Les sombres passions , lesfatalités

,l es fureurs tragiques contractent

son pâle visage . C’ est Rachel par son côté

sin istre,farouche et violent . L

’artisteaurait pu , ce nous semble , sans amollir l ecaractère de sa figure ,

y me ttre un peu

de cette grâce féminin e e t vipérine quepossédait à un si haut degré l ’ il lustfeactri ce .

G HÉQUIER . I l est difficile de parlerdes peintres de fleurs , un bouquet defl eurs ne se raconte pas on le regarde et.on le resp ire ; cependan t d isons avec desmots i ncolores et sans parfums que lesF leurs et Frui ts de M . Chéqui er ont toutl e velouté ,

tout l ’arome et toute la fraîcheur imaginables .

Le Bouquet d e fleurs sur fond d’or lutte

avantageusement contre cette lueur riche

mentionne que deux toi l es le Portra i t d e

M l e comte d eM ic/rech et une Tête de Sarrasin . Le comte est debout , solidement etcarrément campé

,dans une pose naturell e

et élégante . Le vêtement modern e ,aux

teintes fausses et vineuses, à la coupe d isgrac ieuse a pris sous la main de l ’artisteune allure large et une coul eur presqueagréable . LeS arrasin

,avec sa calotte de fer ,

sa face plate et j aun e,est une sp irituel le

ébauche .

G IRAUD (Charles ) . — Après avoir débuté par des scènes d ’

Ota‘

tti,la Cythère de

l ’o céan Pacifique , M . Charles Giraud sem

ble voulo ir se reposer de la vi e sauvage etvagabonde dans la représentation des iatér ieurs . Nul ne sait mieux que l ui cx

primer harmonieusement les mi lle détailsd

un ateli er ou d’

un cabinet artisti quetableaux poti ches , statuettes , armures ,vi eux bahuts

,tap isseries passées de ton

,

tout l e curieux monde du bric - à- brac . Là

i l éte in t par un glacis un obj et pap il lotant i ci i l p ique un réveill on de lumière .

Son i n térieur du 1 5° siè cle,ses deux in té

rieurs modernes,sont d ’

un ragoût exquis .

4 89

Mais voilà une Vue d e Tingva l /a en Is

l ande, qui nous mon tre que M . Charles Gi raud n ’est pas d isposé à toujourschanter

Home home, sweet home .

G I RAUD (Eugène) . — M . Eugèn e Girauda voulu sans doute é chapper au repro chede peindre des Espagnols d ’

0p6ra- com1que

en nous donnant cette Bohe'mienne verte,

accroup ie dans un haillon j aunâtre,au coin

d’

un vieux mur : i l y a évidemment exa

gération dans ces te intes le solei l de l ’Espagn e cuivre son monde mais n e l ’oxyd epas . Nous n

aimons guere non plus le

Henr i I V d ans l a tour d e S a in t— Germa ind es- Pre

s où l ’accompagne un moine . Ces

deux personnages,de grande dimension

,

son t mal à l ’aise dans l ’étro i t escalier encol imaçon ; l

’artiste aurai t facilement pudonner de l ’air et de l ’espace à son tabl eauen ouvrant un e plus vaste p erspective surla vil le que le ro i va acheter d

une messe .

Les vêtements fauves et mats des deuxhommes se con fondent avec les teintesbrunes de la p ierre

,ce qui rend la toi le

un peu monotone de couleur .

1 90

Nous retrouvon s M . E . Giraud dans lagalerie des pastels . Le portrait d e S . A. laprin cesse Anne Murat est , dans le genre ,un des meilleurs de l ’ exposi tion . La princesse est posée de des, et , par un mou

vement gracieux _qui motive de bel l es oudulations , présente la tê te de profil . Lecontour net , ple in de fermeté , est de ceux

qui prê teraient admirablement à la gravureen médailles . Un sang rich e anime et colore l es chairs des fils d ’or et de soie smê lent a la chevelure blonde , relevée defleurs et de feuillage .

Le Portra i t’

d e Pau l in Men ier , dans l e

Courr ier d e Lyon ,est d ’

une exécution vi

goureuse et d ’

une extrême vérité . C’ est

bien la pose insolente du coquin ; on deviné la vo ix enrouée qui d oit sortir de cegos i er alcooli que ; l e peintre n

’a eu du

r este qu’

à copi er exactement son modèl e ,et qu

à reproduire l e type cr é é par le coméd ien arti ste .

G LAI Z E (Auguste) . M .A. Glaize a sudonner une tourn re ori ; inale et fantasti

que à son tableau de la Pourvogeuse M ise‘

rc ,

suj et qui , vu sa modernité , aurait pu prê

1 92

que la lune éclai re paisiblement les vertueuses ouvrières d e la dro ite , domineet complète cette singuhere composi tion ,largement et hard imen t‘p ein te.

Une vingtain e de polissons se bousculentautour d e l a gamel le immense et p l eined e bouill ie . A voir leur acharnement etleur oubl i du voisin , on dirai t une trouped

écrevisses altérées sentan t l ’eau au delà

de la marge d ’

un bassin . C’est à qui plon

gere le plus souven t sa cui ller dan s lamixture . M . G laize , touj ours un peu moraliste et phi losophe , a tracé sur le mur

blan c qui sert de fond au tableau,la

maxime évangél ique Aimez —vous l esuns les autres , » si bouffonnemen t méconnue dans cett e pe ti te scèn e . Un

Trou d e meu l ière a l a Ferte—sous- Jouarre,

présentan t la nud i t é du roc,encadré de

verdure et surmonté d ’

un ciel bleu,

‘com

plète honorablemen t l’

exposition de M . Au

guste Glaiz e .

G LA IZ E (Léon ) . Le S amson p r is p ar

l es Phil ist in s,de M . Léon Glaize

,peut

compter pour d e l a bonn e et so lide peinture . Six hommes à physionomies basses se

192%

son t attelés au bloc vivan t , qui s’arc— bou læ

sur sa j ambe gauche ; autrefois il aurait.rompu d

une simp le con traction de muscles les cordes qui se c ro isent sur soncorps ; mais l

0mphale biblique a bientravaill é

,et d u res te les soldats armés de

p iques , qui marchent derri ère Samson ihdiquen t que tou te rési stance es t inutile .

En avant du cortège éclatent des trompe ttes

,annonçan t la bonne pris e aux Philis

tins . La Dal ila regarde, par sa j alousie

en tr’ouverte passer sa victime . Le ta

bleau de M . Léon Glaize est bien agencéles poses des personnages sont viol entes ,sans exagérations , ni gesticulations impossibles

,et s’

harmon isent bien avec l es constructionsmass ives et trapues qui garnissen tla dro i te de la to i le . La Nymp he et l e

Faun e,peinture à la cire , s

enl èven t l égèrement sur l eur fond noir

,et révèlen t chez

M . Léon Glai ze de bonnes qualités d écoratives .

G UD IN .— M . Gudin ,

l’

Horace Vernet dela marin e

,a exposé deux grands tabl eaux

o fficiel s l’

Arr ivc'

e d e l a reine d’

Angl e

terre â Cherbourg et la Flotte frança ise se

1 94

: cn d a n t d e Che; brmrg à Brest . L’

a—cadrebri tann i que arrive par un temps gris

, qui

donne au ci el et a la mer une teinte d ’ardoise un peu triste» La flotte fran çaise

,

plus heureuse , s’avance a toute vapeur et

à p leines vo iles en coupant les vaguescourtes

,dont les an fractuosi tés arrêtent

les rayon s ambrés d ’

un solei l levant .M . Gud in a exposé troi s autre s petitestoi les

,rap idement et spirituel lement bros

sées . Renonçant , pour un i nstant , à l’

azur

et aux transparen ces conventionnelles del a Méditerranée

,l ’artiste a affronté les tem

pê tes de la Manche et de la mer du Nord ,l eurs eaux épaisses et sombres

,leur écume

lourde et crépelée . Un gros temp s sur l a

côte d’

Angleterre e t l a Disp ersion d e l’

Ar

mad a son t d ’

un effet p lus vrai et p lus émouvant que bien des grandes composition s sevamment et consc ienc ieuscmen t élaborées .

GUILLEM lN (A) . Les Va n neuses d’

Ossau

sont de fort be l les fi l les,au te int de cui

vre, campées à l’antique et fai sant leur

besogn e a la porte d ’

une maison baignéed ’ombre , tandis que le sole i l inond c declarté le ravin

,cerclé de montagnes bleues .

H AMON . Il faudrait ê tre sur la symbol ique de l a force de plus ieurs Creutzerpou r expliquer les mythes e t allégories deM . Hamon . On d ira it qu ’ i l s amuse , pour

parler l e langage méd iocrement harmonieuxde Boi leau, à préparer des tortures aux S i umaises futurs . La C oméd ie huma ine étai tdéjà d ’

une interprétati on labo ri e use . L’

Es

camoteur manque to tal emen t de c larté, et

le sous - titre l e Quar t d’

Heure d e Ra bel a is

ne l ’é l uc ide guère . C’est de la nui t

ajoutée à de la nu it ; noir sur no ir , ou plutôt gris sur g ris . 0hscur i ta te rerum verba

sæp e obscura n tur , d it un e viei lle phrase debasse latin i té che z M . Hamon le vaguede la pensée s

augmen te en core du vaguede la fo rme . Racontons donc sans cornp rendre . Où se passe la scène ? à quel l eépoque ? nous n

en savons rien . Certainsdétai ls indiquerai en t l ’an tiqui té , d

autres

1 97

ramènen t au temps ac tuel . Le prin cipal personnage rappell e par sa souqueni lle l e Dave des coméd ies de Plante

,par

sa gibeci ère et son chapeau de feutre ,Miet te ou tout autre vendeur d ’

orviétan .

Un hibou roule ses prunelles nyctalopessur l a traverse du tréteau des vi ctimes dela mort aux r ats pendent à des gaul es ettémoignent de l ’efficaci té dumoyen destructi f. La cuisine de l ’escamoteur fume sur un gueur de portier ou de marchande de harengs saurs . A la tables ’

edesse une lyre grotesque , enj ol ivée degrelots et de plaquettes de cu ivre . Le charlatan vi ent de faire d i sparaî tre sous ses

gobelets la muscade sacramen telle . C’

e stle moment de la re cette ou l e quart d ’heu rede Rabe lais . Un ê tre hybride , d

un sexeindétermin é comme les sorci ères de Macbeth en marmotte et en tunique , fait c ircul er le tambour de basque . Y tombe— t — i i

des sous ou des oboles ‘

? l ’assi stan ce se compose— t—elle d ’

Athén iens ou de Paris i ens ?Chi le soi ? Et i l y a là des enfants , desjeunes fi l les , des écol iers , des gamins dont lablouse prend des a i rs de chlamyde , ou don tl a chlamyde prend des airs de blouse si vous

1 98

l ’aimez mieux . Touj ours est— i l que la moitié de l ’assemblée fait vo lte- face et s ’ écoule pro cessionnellement comme un e

panathén ée inverse , car le tableau a la forme d ’

une fris e . Aux marmots est mê lé unmagicien qui braque sa lunette sur lesétoi les e t va probab lement se laisser choirdans un pu i ts

,pour se conformer à la fa

ble de la F ontaine . Que s ign ifie là cetastrologue cherchan t l e s é toil es en pleinmid i ? Mystère mais qu ’ importe aprèstout ? Il v a de j ol ies tê tes , des détai lsamusants et curieux dan s cett e énigme

qui vous impat ien te et vou s retient .La Tutel l e et La Vol ie‘re sont deux char

man tes fantais ies pomp éiennes que l’

on

comp rend tout de sui te e t qui n’en val en t

pas moins pour cel a . Dans la première ,une j eune fi l le met un tuteur a un arbuste ; dans la seconde

, un e autre j eunel il l e donne la pâ ture à des o iseaux .

— Ces

deux toi l es feraien t deux dél ic i eux p anneaux de sa l l e à manger antique .

La sœ ur a î née survei l l e toute une nichéede j eunes frères et de j eunes sœurs qui labalancent dans un fauteui l à l ’américaine .

Les figures on t ce tte grâce poup in e que

300

çois, assi s sur le p ied de son li t,l ’écoute

à peine ; une servante , vêtue d ’

une robecouleur orange , circul e , portan t des fruitssur un plateau ; dans l e fond , un hallebardier

,appuyé au chambranle de la porte

,

garde l ’entrée . M . Hamman s ’ est san s douteassuré de la ressemblance de sa Marguerite ; elle nous paraî t cependant manquer del’

amén ité et de la vivaci té qu ’on s ’ imagin eavoir dû animer la figure de l ’aimable et sp irituelle princesse . Le F rançoi s I ‘" est p eutêtre auss i d ’

une taille un peu exagérée , etrappelle un peu trop le gigantesque Pantagruel . Lou is X I I I et M a r ie d e M éd icis

son t en train de con certer la d isgrâce deRichel i eu ,

lorsque le cardinal apparaî t pa rune porte cachée sous la tapi sseri e ; sa

p résence terrifie l e ro i et sa mère, qui

s e

rasso ient,immobi les comme des écoliers

pris en faute . Le Loui s XIII le M . Ham

man est b ien le roi ennuyé,faible

,trem

hlan t devan t sa mère e t son ministre,et

les hat—sant tous deux .

/

L’

aspect glacia l e tsûr de lui—même du Richel ieu est fine

men t exprimé . L’

ameubl ement,les acces

soires sont tra i tés avec soin e t vérité àla muraill e pend une de ces pompeuses

allégorics, brossées par Rubens à l ’o ccasion da mariage de la reine . Le j our selève

,l ’étoile du matin n e va pas tarder

à s’

effacer devant l ’éclat du solei l ; lalampe commence à rougir et à fumer , un

j eune caval ier , debout près de la fen être ,dont la draperie s

en tr’

ouvre, tien t embrassée une j eune fil le b londe

,vê tue de

satin bl eu et blan c ; l’en fant ferm e les

yeux , et ses mains effi l ées se pos en t surle bras de son amant ; elle détourn e latê te pour retarder ce bai ser , qui doi t ê trele dernier . Cette toi le

,in t itul ée l es Ad ieua ,

est ple ine de tendresse et de sen timentles vapeurs de l ’aube naissante l ui donnen tquelque chose de fondu, qui repose un

peu de la ro ideur hi storique des deux tableaux que nou s venons de c iter .

H AN OTEAU . M . Hanoteau a exposétro is grands paysages

, qui rappel lent lesbeaux pâturages de Troyon et nous prometten t

'

un maî tre . La M a tinée de p êche

sur l a C anne (Nièvre) nous semble le pluscomple t de ces tro is tableaux . Dans un deces endro its où la rivi ère s ’élargit et formece que l

on appel le des fosses , des p é

202

cheù r*s son t occupés à amarrer sur l ebord leur bateau plat . L

épervier, sus

pendu à sa perche , sèche au soleil . Lesajoncs de la rive et un gros bouquet d ’arbres

,placé un peu ,

en arrière , à droi te ,sont fidèlement reflétés dans l ’eau paisib le ;cet effet est admirablement rendu. Au delà,s ’ étend une grande prairie , bornée par lescol l ines qu i marquent le bassin de la riviere . Cela est frais et gras la verdure ala vivacité et l ’é clat des terres bien arrosées . Un chemin sous bois se déploi evis—à—vi s du spectateur ; derrière les arbres qui garnissent les deux côtés du tab leau

,on devine une grande clairière

,

abondamment éclairée , sur laquelle va

guent quelque s bestiaux . La route traverse la clairière et va aboutir à une

maison cachée dans la végétation . Une p é

tite mare , encadrée de broussai lles et d’ar

bustes à feui llage déchiqueté , occupe lepremier plan des E nv irons d e S a int

P ierre- l e-M ou‘

t ier qui , ains i que l e Ruisscau d Charan cy (Nièvre) , sont conçus avecla même simplici té d ’effets , la même sû

reté et la même vigueur que la premièretoile .

204

c iel , éclairés par un so lei l encore vi f quise couche derrière les arbres du premierplan . Le fleuve se dérou le large e t calmevers un horizon fuyant et qui commencea se noyer de vapeurs . Cela s ’appelleun Soir sur l es bords d e l a Loire.

La Loire p rès d e Nevers est loind ’être auss i majestueuse . Le_fleuve, parune -de ces fantais ies qui lui sont communes , a qui tté son li t ; quelques mincesfilets d ’eau, serpentant à travers des bancsd e sable

,représentent assez misérablemen t

le grand tributai re de l ’Océan . Une bruyèregaleuse , parsemée de maigres bouquetsd

osiers et sur laquelle cherchent à paître

quelques moutons de bonne volon té , bordecette rivière de sable Un beau temp s sur

l es bord s d e l’

Al l ier , avec son premier plande verdure et d ’arbres vigoureux , ses buisson s bas placés de l ’autre cô té de l ’Al l ier

qui coule sablonneux au milieu du tableauest ple in de lumière chaude et de calmechampê tre .

H EB E RT .— L

admiration publ ique forcequelquefo is le pinceau et un artiste et l ’obl ige à se circonscrire dans un genre pré

féré . Ain si , par son charmant tableaude l a M a l

arz‘

a , M Hébert a inspiré un telamour de ces déli cieux typ es i tal iens sipassionnémen t pâles et s i gracieusementsauvages qu ’on lui en demande touj ours .On l ’a reconnu seign eur suzerain de Cervara et d ’

Alvito, et l ’on exigera i t p resquede lui qu’ i l rés idât à perpé tu i té dans sesdomaines . Cependant , quoi qu

’ il excel le àrendre ces figures fières, ardentes e t morbides

,et qu ’ i l l eur donne une nostalgique

poésie , M . Hébert est capabl e de faire autre chos e . Sa magnifique to i le du Ba iserd e Jud as l

a bien prouvé . C’étai t la

de la _grande peinture d’his toire

,à la fois

profondément reli gieus e et tendrementhumaine . La tête du Chris t exprimant ,malgré sa résignation divin e , l e suprêmedégoût que cause la perfid ie avec son froidbais er de serpent

,était l ’une des p lus bel les

que l 'art eût prêtée au Rédempteur dumonde . Ce supplice moral , ou l e voyait ,pour la douce vi ctime , effaçait les affresphysiques du Calvaire .

Ce tab leau ,sans doute

,fut appréci é

comme il le méritait ; mais on l e regardacomme un brillante digression , comme

un épisode heureux dans la vi e de l ’arti ste .

Ce qu’on voulait de M . Hébert , c’ étaient

des F1énarol les, des Cervarol les , des Celestina

,des Rosa Néra , et cette année , l e

publi c désori en té furette,sans en ren con

trer,par tous les coins du salon . I l ne

trouve que deux beaux portraits , s’ étonne ,

et chercherai t presque noise a son p eintrefavori , pour n

’avoi r pas ramen é de la fontaine quelque mince fi l le brune portant surla tête un e amphore ou du l inge .

Le portrai t de S . A . I . la Prin cesse Marie ,

Cloti lde se d istingue par la simplic ité él égan te de la pose et la dél icatemorbidesse del ’exécution . Quoique Ital ienne

, Son AltesseImpériale est blonde et son teint peutlutter de fraîcheur avec les plus blanchescarnations de l ’Angleterre , — ce n id de cygnes , comme l ’appel le Shakspeare . Heu

reusemen t M Hébert n ’

a pas sur sa palette que des nuances fauves et bistréesi l a trouvé pour p eindre la princessetoute une gamme d e tons argen tés

,nacrés

,

lactée, b l eutés , d

une suavi té extrême .

So l] Al tess e Impérial e a pour costumeune robe blan che et un m an teau de ve

lours bleu rej e té en a rri ere ; la robe , pur

208

Le portrait de il a ce charme mélancolique que l e peintre de l a M a l

ar z‘

a

garde même dans l’expression des élégancesmodernes . Sur un fond de ciel don t le b leusombre verdi t comme celui des vieux tableaux

, Mme C . vêtue de noir , rappelle

la mani ere eflume'

e de Léonard de Vinci .Une gaze noire laisse devin er les blancheurs de la poitrine à travers ses sombrestransparences et les bras nus se fondent

par des con tours noyés avec les tous

sourds de l ’é toffe . Un petit bouquet deviolettes piqué au corsage mê lé une

no te de gaie té modeste à cette sobre harmonie . Ces teintes n eutres fon t valoir latê te

,modelée dans une vapeur de tons dé

l icats, fins,rares , cherchés en dehors de la

palette crue de la vie . On dirait que M . Hé

bert veut faire seulement des p ortraitsd ’âmes et non de corps . La réalité , mêmearistocratiqu e e t charmante semble luirépugner comme trop bru ta le . Il faut peindre le corps et l ’âme .

Une rue à C erva ra . Ce n ’est qu ’

unepochade

,une étude faite sur place

,sans

doute mais quel dél icieux petit tableau !On reste longtemps a con templer cette rue,

209

qu ’

une éd ilité soigneus e s’

empresserait defaire abattre , mai s que regretteraient tousl es peintres . Ce sont de hautes masureslézardées , lépreuses , chancelantes , à traverslesquelles se troue une l ongue voûte noire

,

une sorte de galerie de Pausil ippe, ayan tau bout une étoile de lumière . Quelquesvieilles accroupies çà et là s

’occupen t enplein air de besognes domesti ques avec lelaisser- aller i tal ien . Peut- être mêmequelque cochon bleu retourn e — t — il de sonboutoir la fange du ruisseau ‘

? Nousn

en sommes pas sûr , mais le s ite autori se à l e croire . C

’es t pourtant par cetterue que passent les can éphore s en gue

mil les à qui M . Hébert donn e la beautépour récompense du caractere qu’

ell es luifourn issent

H ÉDO UI N . M . Hédouin , occupé de travaux décorati fs eu Palais - Royal , n

’a exposéqu'

un tableau sous l e t itre de Colp or teursesp agnol s . Le peti t convoi

,composé d ’

un

homme à cheval,d ’

une femme juchéeavec son enfant sur un mulet

,et de per

son n ages montés ou à p ied ,chemine sur

un terrain rosé,marqué çà et l à de que l

2 4 0

ques plaques d ’

un e verdure rouss ie ; un

ponceau ,sur l equel passe une femme con

duisan t des bê tes de somme , enj ambe unfossé

,vraisemblablement à sec . Sur l e de

vant du tableau ,un mule tier s

abreuve

a une pe ti te mare . Le ciel,d

un bleuun p eu clai r p eut- être , vien t p ar des dégradati on s d e tein tes se confondre avecle sol . C

’ est lumineux et suffisammentar id e .

H E I L B UT H .— L

exposition de M . B eilba th

,aussi nombreuse que variée , révèle

chez l’

artiste une rare diversité d ’

aptitudes .

Le plus important de ses tableaux , c’

est le

Cheva l ier p oê l e Ul r ic d e Hu tten ,couronne

'

et Augsbourg sous l’

emp ereur M ax imi l ien

en 1 5 1 9 .

Cette toi le sans sortir des dimen sionsdu genre , peut être consi dérée comme unvrai tableau d ’histoire , et b eaucoup s

éta

lent dans de larges cadres qui neméritentpas si b ien ce t itre honorable . La scène esttraitée ave c style et gravité . Les grou

pes s’

agencen t bien au tour de l ’action

p rincipale les costumes sont d ’

une grandefidél ité sans pédan tisme archaïque et ne

2 1 2

au fond de la salle on aperçoi t la s i]houette den te l ée d

Augsbourg avec ses

tours,ses flèches

,ses pignons en esca

l i ers et tout son pittoresque décor gothique .

M . Heilbuth n’

a j amais mieux fait . Ledessin a de la correction e t de la finessela couleur est harmoni euse et chaude , etl ’esprit du temps respire dans toute lacomposition .

Le M on t - de-p iéte' nous reporte de la

sphère hérorque en plein réalisme . Dansune sal le d ’attente

,ignob lement nue ,

comme tous les l ieux où s’

agiten t des intérêts poignants

,son t réunis les nom

breux neveux de cette tan te don t l ’ohl i

geance n ’est j amais en défaut pourvuqu’on lui apporte un gage quelcon que .

Au guichet du commissionnaire se penche un ouvri er , de ceux qui ne fon t rienet s ’appellen t travailleurs ; une grandefi lle

,a la toi lette d isparate , se tient de

bout prè s de lui l ’un engage ses outil s ,l ’au tre son matelas . Au fond , rangés surla banquette

,attenden t un viei l homme

brisé par la misère,de pauvres femmes

avec un paquet de l inge sur les genoux,

2 1 3

la dern i ere robe et le dernier drap . L’

en

fant les a suivies ; car il n’y a personne à

la maison pour le garder ; un e orphelin een deui l apportant peut— ê tre l ’anneau demariage de sa mère pour retarder d ’

un

jour son déshonneur ; un j eune hommeinsouciant , étudiant viveur , au gilet mul

ticolore , qui vient mettre sa mon tre au

clou pour déj euner avec une lorette . Toutcela est rendu avec un e pénétrante fidé

l ité d’observation et une grande finessed e p inceau . M . Heilbuth a su se garderde la laideur , de la trivial i té e t de la sensiblerie

,écueil s d ’

un pareil suj e t .Quoique n ous n ’

aimions pas l e comiqueen peinture , n ous lui pardonnons lorsqu

’ iln ’ est que le rel i ef exact du vrai , et n e s

’ étal e poi nt en des toiles importantes .Le tableau inti tulé Souven ir d

I ta l ie,

nous a fai t sourire . C’est un bon vieux

moine tout naï f,tout bonhomme , dont le

free tombe d ’

un seu l pl i de la nuque au

talon avec une disgrâce bur lesque e t quise promène par la campagne

,un énorme

paraplui e rouge à la main , du genre di tne

'

p in ou Robinson C rusoé , sous lequeltoute la communauté s

abriterait . La

sérénité parfaite du cie l augmente l ’ effetdu paraplui e .

— Le bon moine est hommede précaution

,on ne le prendra pas sans

vert .L

Auto-d a - fe' n est pas une grillade de

j uifs ou d ’

héré tiques, comme le titre pourrait le faire croire . M . Hei lbuth laisse cessuj ets mélod ramatiquement sin istres à

M . Robert—F leury . I l s ’agi t tout s implement d

une j eun e femme qu i an éan t itsa correspondance amoureuse ave c un

soupir de regret . Ne sont- ce pas auss ides infidè les qu ’el le brûle ? Les protestat ion s

,l es serments

,les madrigaux , les

eni phases s’

évanouissen t en une p el l icul eno ire où couren t quel ques é tin celles quibientô t 8 é teindront e l les -mêmes . Ainsipasse l ’amour

,sie tra nsi t glor ia mund i .

S ol i tude,au tre to i le de M . Heil buth ,

secache

,pour justifier son ti tre , en un

coin s i retiré, qu

à notre grand regretnous n ’avons pu l a découvrir .

H ENNE B ERG .— Oii n

a pas oub l i e l e Fe’

roce chasseur de M . Henneberg,un e pein

ä

ture fan tastique où respirai t l e vie il espri tlégendaire de l ’Al lemagne et qui , déve

sera bientô t envolée,l ’en dine est s i j ol ie !

sauf quelques ombres opaques et lourdesà la cambrure des reins .Voilà la vraie vein e du talent de

M . Henneberg ; il devrait la suivre et laisser à M . B iard l es Déc l a ra tions d

amour

de nègre a négresse .

Hanesrnorren.— Il y a beaucoup d ’esprit e t

de finesse dans les deux toiles de M . Herbsthoffer Unemauva ise comp agn ie et l e Cabaret . Dans un tan dis équ ivoque , un j euneofficier s ’ es t pris de querell e avec un habitué de l ’endro i t . I ls ont dégainé et " s

adébatten t eu milieu des filles qui se son tj etées entre eux pour les reten ir ; les boute i lles et les

'

escabeaux roulen t culbutésau milieu du brouhaha

,les hommes vo

c ifèren t , les femmes gémissent ; el les n esavent que trop à quel mauvais adversaire le j eune homme va avoir affaire . Le

C a baret des soldats est moins turbulent

que celui des maî tres . M . Herbsthofi’

er y arassemblé la foule bigarrée des troupes dela guerre de Tren te ans , lourdemen t harnachée , surchargée d

oripeaux et vê tue dedéfroques hé térogènes . Malgré leur petite

dimension , ces tableaux son t p leins demouvemen t et d ’

aisance , de dé tails ingén ioux en même temps qu

exacts.

H E S”S_E de M . Alexan

dre Hesse,pourrait s ’appeler tout auss i

b ien l e M auva is r iche et l e Bon p auvre .

Un pèlerin,dont les trai ts rappellen t ceux

de Jésus— Christ, s’ est assis sur une p ierre ,

au mi li eu de la route , en tre une courti

san e chargée de bij oux et un j eun e él égant qui s

’éloignent de lui avec mépris .

En même temps, une pauvre famill e de

pêcheurs s ’approche e t vient offrir son

aumône au malheureux . La disposi tion decette toile déno te l ’hab itude de la peinture monumentale ; en effet , M . Hesse décore en ce moment une des chapelles aSaint - Sulp i ce .

H I L L EM AC H ER .— M . Hillemacher a ex

posé plusieurs tableaux pleins d ’ in térê t e td ’

une facture excellente , l a Présen ta tion duPoussin au roi Louis X III , Jea n Gutenberg, aidé de Furst , tirant les premiè resépreuves typographiques un C ierge à

Notre -Dame des douleurs ; mais la plus1 3

— 2 1 8

curi euse de ses toiles est James Wa tt, ré

fléchissant sur la compression e t sur lacondensation de la vapeur . Assis devant la cheminée où chante l ’é tern ell eboui llo ire anglais e , l e j eune Watt ,« sourdaux observations de sa tante , l\l ‘ne Murihead ,

qui l’appelle au travail bouche avec les

p inc ettes l e goulot par ou s’échappe l e sur

plus de la vapeur,dont les flots compri

mês soulèvent le couvercle de la cafetière .

Cette observation d’

un enfan t dans une

cu is ine a changé la face du monde . Le

pyroscaphe et la locomo tive viennent decette boui lloire . M . Hil lemacher a donné. àl a tête de James Watt une intensi té pensivetout à fai t remarquable .

H UET .— Nous voyons avec plai sir que

M . Paul Huet est touj ours fidèle à la vieil leinsp irati on romantique . La grande marée

d’

éga inoæe aux environs de Honfleur aune turbulen ce e t une sauvagerie d ’

exé

outien incroyables . Les vague s , j aunes delimon , se tordent convulsivement sur l esobs tac l es , lançant con tre le c iel noir desfusées d

écume . El les semblent voulo irdérac iner un groupe d ’arbres aux bran

C’est un paysage de grande

allure que le Pon t du Gard de M . lmer .

Deux masses de rochers rougeâtres , d on tla tranche à nu laisse vo ir les superposit ions

,forment

, en gagnant le fond du tableau , un ravin qu

enjambe l e gigan tes

que ouvrage . Les eaux bleues et l entes duGard s ’ étaien t au premier plan ; un cielbleu , pommelé de nuages orangés , domin ece paysage plein de chaleur méridionalel’

aqueduc , avec ses étages superposés , lesrochers aux contours obtus , l

immobilité

de l ’eau donnen t à cette to i le un aspec t dep lacidi té an tique d ’

un grand effet . La l isie

re d u bois d e M on tesp in est concue dansune tout autre man ière . Dans une rivière

qui s’avance. en s

é largissan t jusqu’

au pre

mier plan , quelques racines se ba ignen t aumilieu des hautes herbes, un souffle d

’orage

— 22 1 _

trouble l ’eau, agite la frondaison , e t trouele ciel noir d

une éclairc ie zébrée d ’azur

l SAM B E RT .

— NOU8 ne sommes pas tr0pcontent de M . Isambert . l l a fai t , autrefoi s ,une Jeune femme d e’cora n t un vase e

'

trus

que, p ein ture charmante et d él icate don ti l faut se souveni r pour lui pardonner sesdeux tableaux de cette année Pein ture

mura le et S cu lp ture sen timen ta l e . La pre

mière de ces toiles représen te une femmepeignan t , dans une pose man iérée e t diffici le à ten ir

,des figures de danseuses sur

l es panneaux d ’

un atrium . Un enfan tles mains croisées derrière le do s , cambreen connaisseur

,semble su ivre avec inté

ret l e travail de l ’artiste un au tre bambin essaye de faire tourn er sur le marbrela molette à broyer les couleurs qu ’i l aprise des main s d ’

une esclave . Les typede s têtes sont écrasés e t camards

,et tra

hissent , sous des prétentions antiques , desvulgarités modernes .

S culp ture sen t imen ta le nous montre ,

dan s un impluv1um à colonnes fes tonnéesde pampres

, une j eun e femme occupée àmodeler un Cup idon d ’après son enfant ,

222

tenu sur une se l le d e sculp teur par une

es c lave . Certes,l ’arraugemen t du groupe ne

manque pas d ’

une coquetteri e archaïquement ingén ieuse . M . l samber t est hommed ’

esprit , on le sait , mai s pour Dieu ,lui

d irons- nous,comme Mme d e Sé vigné ; à

p ropos de la religion Épaissis sez un

peu la p ein ture , ou el l e s’

évaporera touteà force d e subtil ité . Pour peindre , il fautd es couleurs . La peinture , ains i atténuéen ’est plus que l

’ombre d ’

un e ombre .

I SB E RT — Dans cette lettreI, qui commande à s i peu de noms

,citons

Isber t qui a fai t de M . Préaul t un portrai t en miniature d ’

une ressemblance frappan te et d ’

une largeur de modelé que ne

compo rte pas ord inairemen t la mi èvreri ed u genre . M

'“ de Mirbel n ’eut pas mieuxréussi . Le portrait de M . Tinan t , d

un

type tout opposé , n’es t pas moins bi en

venu .

I SRAEL S . I l nous semble que cetteexposition est le début de M . Israëls, carnotre mémoire n e nous r appel le aucun erouvre de l ui , et ses tableaux son t trop re

22 i

couleurs de la san té reluis en t sur sesjouesrouges comme des p ommes d ’api . Il deviendra

,pour p eu que Dieu lui prête vie ,

un brave et fort paysan comme les au

teurs de ses j ours tout fiers d ’avoir un s ib eau gars

,car nous sommes en Bretagne

,

s’

i l faut s’

en rapporter au costume des acteurs de cette p etite idylle domesti que .

Au fond l ’on aperçoi t l es chaumièresd

un village , et sur l e devan t sautil le un ep ie fami l i ère .

On aurait envi e d e passer ses j ours ou

bliaut,oub l i é , d ansl

intérieur queM . Israë ls

désigne sous ce titre une M a ison tran

qui l l e. Oh ! tranqu i l l e et b ien heureuse eneffet ! Que l le paix , quel calme , quelle intimité ! Un t iède et gai rayon de l umière y glisse à travers la fraîche transparence des ombres

,caressant au passage

quelques meubles d ’

une propreté lui san te .

L’art même ne manque pas à cette

humble demeure . Con tre une murai ll ep laquée d e faï ence à fleurs bleues sedresse une vieille ép inette

,don t les sens un

peu grêles et cassée doiven t accompagnermerveille le s na‘

ives mélod ies du vieuxtemps une fi ll ette

,vue de dos

,cherche

sur l e clavier quelque a ir du Dev in «lev i l l age ou de ma tan te Aurore avec une

app l ication con scien cieuse el le a le sen timent musical , cette pet ite , nous en jurerions

,et nous préférons l ’air qu ’elle j oue

aux sonates à grand fracas des b e lles demoisel les. Ce n ’est pas difficil e

,mais c ’ es t

tendre,mé lodieux et touchant .

Près d ’e l le , une sœur aînée travail le aquelque couture ou a quelque tricot , sansrien perdre de la musi que

,et non lo in de

l à se pelotonne le chat de l a maison ,de la maison tranqu il l e filant sonroue t en sourdin e , comme un honnêtechat capable de comprendre e t dign e d epartager ce bonheur paisible . Le peintrea bien fait de n e pas oublier l e chat dan scette poési e du foyer le chat est l ’espri tfamil ier d u logis

,l e gen ius loc i ; i l a ime

l ’ordre , la propreté , le calme , tous l es peti ts conforts d ’

un intéri eur b ien réglé . Où

i l se plaî t , soyez sûr qu ’

un philosophehab ite et qu ’

une sage ménagère gouverne .

Ce tableau de M . l sraels a un charme

secret , une séduction mystéri euse ; on leregarde longtemps d ’

un œ i l rêveur.

Une impressi on du même gen re est pro1 3 .

226

duite par Viei l l esse heureuse. On voudra itêtre

,dans quel que vingtaine d ’ann ées , ce

bon vieux monsieur à la tête chenue , habil lé de noir comme un savant , qui émiettedu pain aux canards , tout en fuman t sa lon

gue pipe de terre b lanche sur le ponceau deson j ard in ,

au mi lieu de la verdure entrecroisée de ses arbres .

— Il fait p en ser au sa

vant que l e Raphael d e Balzac va con sulter, au j ard in des Plan tes , sur la contrac

tion de la p eau de chagrin,et qu’ il trouve

tout occupé d es amours et d es d isco rdesde ses canard s .

La Vi ei l le mère M arguer i te est un e

franche et robuste étude d ’après n ature,

une bonne vie ille paysann e toute frip ée et

toute peaussue, mais qui a de l a cord ial ité p lein ses rides

,et qui do it ê tre un e

excel lente femme . Ce qui di stingue M . I srae ls

,outre l e mérite de sa pe in ture har

mon ieuse et grasse , c’e s t l ’âme e t. l e sen

timen t .

perdu dan s un free de ba re gross i è remen trap iécé

,est étendu dans un grand fan

teuil ; autour de l ui s’

empressen t desmoines n on moin s p i les que l eur chef, etdont l ’un por te quel ques fruits sur un p lateau . Un enfant

,agenouill é a la gauche

du père , l e contemp l e d’

un air extatique .

La chambre,tendue d e tap isseries

,est

éclairée par une porte donnant sur un

escalier en col imacon . Cette toi le de

moindre dimension que la précédente , esttraité e avec la régularité e t le fin i quel

on est en droit d ’attendre de M . ClaudiusJacquand .

J A C QUE . Le sp irituel et naï f aqua- for

tiste , Jacque fait , lorsqu’ i l l e veut

,de très

bonne pein ture . Le Troup ea u d e M ou ton ç

dan s un paysage peut lu tter avec les

Troyon les Bonheur , les Pal izz i l es

Brando]. Tout. en tendan t l ’herbe,le trou

peau s ’avance , chien et berger en tê te,du

cô té de l ’é tahle,

car l e ci e l g risâtre et rayésemble chanter la ballade

Il pleut,i l pleut, bergères,

Rentrez vos blancsmoutons.

Seulement les moutons ne sont pas

blancs . Les moutons d ’

idyl le enrubann ése t savonnés avaient ce privilège qu

’ i ls on t.

perdu dan s notre si ècle réaliste .

0 Phil is ! vous reconnaî triez— vous danscette b ergère adossée à un arbre qui gardel e Group e d e moutons sous bois ? Tircis !

que diriez- vous de ce berger en blousebleue , survei llan t, appuyé sur un bâton ,l e Troup eau d emoutons en p la ine

? Nousn

en savons ri en , mais nous pouvons affirmer que moutons , bergers , bêtes et

gens sont p ein ts de main de maî tre .

Ne passez pas sans regarder ce p en ta i ll er q ui caquette si ga i ement au soleil surson fumier .

.I ADIN . Voic i l e chen il de maî tre Jad in Une Vi ctime d e l

arbi tra ire en 4 86 1

Pauvre boul e -dogue, que retien t à la

chaîne un e ord6hnan ce de pol ice et qui se

rencogne de l ’air l e plus maussade,bro

chant des bab ines e t mon tran t des cro csformidabl es . Lin da

,la chienne d e S . M .

l’

Impératrice, fait au contraire l a mine l ap lus gracieuse et semble j apper à demivo ix le quatrain en lettres d ’or in scri t àcôté d ’elle . La p eti te M eu te de S . A. I .

230

Mme l a prin ce s se Ma thilde e st une amu

sante et sp irituel l e gal eri e de portraitspui s vi ennen t Jup i ter , Rigol boche et autres célébrités can ines . N ’oublions pasl es Poissons, nature morte d ’

une force,

d ’

une intensité et d ’

une richesse de tonineomparabl es .

— Jamais l ’étal de Sneydors n ’a porté un e marée p lus vermeille ,plus argentée

,p lus dorée et plus fraî che

que cell e - là.

J AL AB ERT . Chaque p eintre peut s er ésumer dans une œuvre réussie , fleur etper l e de son talen t . La Veuve sera cetteœuvre pour M. Jalabert . Jamais cet artist etendre

,gracieux et dél i cat

,n e s ’est exprimé

d ’

une façon pl us compl ète . I l a donn é latout ce que comporte sa charmante na

ture . Une j eune veuve , dont l ’âmeseule est encore en deuil

,car une so ie

b l eue doubl e sa manche noi re , berce sur

ses genoux l ’insoucian t orphel in qui n’

aurapas connu son père

,et qui ti ent une ce

rise doubl e à cheva l sur son peti t do igtrose ; un second enfant

,mais plus âgé et

capable de comprendre,appuie sympathi

quement sa tête à l’épaul e maternelle . A

-Ï EANB O N . M . Jeanron a su trouverdans la guerre d ’

Italie mati ère a paysages .Sur l e bord sablonneux d ’

une bai e bleue ,plaquée de reflets blancs , et gagnant dan sl e lo in tain la plein e mer , tro is zouavesdebout contemplent le vaste spectacle . Desrochers escarpés teintés de lilas se dressentsur la gauche , tandis qu

à droite , sur l aplage basse

,flânent des soldats e t des pê

cheurs . Une barque à voi les blanchesgliss e sur la surface tranquil le . Ces troispersonnages , debout au premier plan , sontd

un effet original .Les autres toil e s de M . Jeanron répè

tent a que lques modulation s près l e thèmedes L ouaves au bord d e l a mer p rès de

Gênes . M entionnons cependant un effet deso lei l couchan t

,dans l es Zouaves au bord

d u Zambro, M el egnano . Au pied d

un

monti cul e sur l equel se dressen t trois grostron cs dépoui llés , des zouaves vienn en tremplir leurs bidon s dans l ’eau rougie parl es refl ets d ’

un ciel arden t . Cette toileapporte quelque vari été dans l ’expos i ti onun peu monotone de M . Jeanron .

J ÉRI C HAU I l y a un vrai sen ti

men t religi eux et une in time connaissancedu paysan protestant dans le tableau deMmeJérichau,

in titul é La lec ture d e l a

B i bl e. Le père , le s bras appuyés sur la table

,éeoute, dans une atti tude respectueuse

et méditative,la sainte l ecture ; sa femme

est assise à côté de l ui , les mains croi séessur la poitrine . Vis- à- vis d ’eux , l eur fille ,posée de profi l

,leur fait la l ecture ; elle y

met un intérê t naï f ; sa j eune imagination voit peut— ê tre

,dans l es réci ts sacrés .

autre chose que des { suj ets d’

éd ification .

La F iancée d e Rejekiaw iek ( I slande) estune belle fille à la figure mâle e t s érieuse ,malgré son opulente cheve lure blonde etson te int rose et frais . Une robe de draps

ajuste sur ses formes robustes . Une ca

l otte noire , cercl é e au front par un bandeau orné de plaques de métal

,lui sert

de coi ffure . C’est un fort beau typ e et que

l ’on sent devoir être vrai . Au m il ieud ’

une mer c lap0teuse sur laquel le bril l en t ,comme des écailles

,les reflets de la lune

,

une sirène attirée par la blème lueur est

venue s’

accouder a un rocher ; des algueset des fueus s

emmêlen t en tre ses cheveuxblonds ; sa beauté inqui étan te n ’a cepen

23 4

dant rien de surhumain ; mais on devinequ’

un sang fantastique coule sous cettepâle carnation . I l y a dans tout cela quel

que chose de p erfide et de mystérieuxmalheur à l

U1ysse scand in ave dont labarque touchera le récif !Les Paysa ns p olona is quittent l eur vi l

lage par un ciel lugubre fouetté de teintes sanguinolentes ; l eur douleur transparaî t à travers leur ivresse et l eurs hurlemen ts . Ci tons encore le p ortra i t

d e S . M .

C a rol in e—Amel ie,reine douairière de Dane

mark ; on retrouve dans cette toile , commedans toute l ’exposition de M ‘“ Jérichau ,

une

vigueur , une énergie toutes viri les , unevivacité et une vérité de coul eur remar

quables chez un peintre sep tentriona l,car

l e nord,avec ses clartés é tranges , autorise

souvent l es peintres a d es effe ts qui nousparaissent invraisemblables et choquen tn os yeux habitués à une lumière plein e etréguli ère .

J UNDT (Gustave) . — M . Gustave Jundta mis beaucoup d ’esprit e t de talent dansson tableau du Premier - n é (Tyrol) . Au centre de la composition

,une puissante nour

dre son gargarisme mus i cal . A dro ite ,dans l ’ombre

,le quatrième chanteur su i t

attentivement l e jeu du musicien touten chantant sa parti e . A vo i r son i sol ement et sa modestie , nou s parieri ons quec ’est une basse -taille . M . Jundt a renduavec une grande finesse d ’observation lan i aiseri e enfantin e du Tyrolien ; quant aucostume , i l n

’est plus p ermis auj ourd ’huide l e fai re in exact .

J ounn AN . Sous ces titres modestes .

Une jeune ven dangeuse, Une jeune fil le,

étude M . Jourdan , é lève de M . Jalabert,

a fa i t deux tableaux charmants,plein s

de grâce et de distinction . La vendangeuse se repose , appuyée contre une ro

che et la main sur une corbeille de ra isins .

Mais l e sol eil n ’a pas haie sa tê te dél i cate,

ni la poussière souillé ses pi eds de marbrerose , i nvraisemblan ce que nous pardonnon s bien volon tiers au p eintre . La

jeune fi l l e,assis e au pied d '

un arbre sur

le bord d ’

une source , va qui tter s on dern ier voil e

,et ce qu ’on voi t de son corp s

virginal fai t bien augurer du reste . L’

é

lève est d igne du maî tre .

KNYF F . M . Knyft‘

en tend l e paysagrd ’

une facon large et s imple vraiment ma

gistrale. La Gra vie‘re abandonnée secreuse par un brusque escarpemen t dansune plaine dont la ligne coupe horizontelement le tab leau en d eux . Sur cette l i

gne se dessin ent des bouquets d ’

arb res ,des s ilhouettes de moul ins et de village s .

Au—desSus, un ciel brou ill é de nuage s v ideses urnes de plui e , tandis que le soleilbrille dans un coin . Le tumul te des premiers plans , faits de terrains remués e tde plantes in cultes , donn e une grande valeur à la tran quill ité des lo intains .

I l est diffici le d ’étaler sur un e toi le deseaux plus calmes

,plus l imp ides , plus

transparentes , que celles qui baignen t l eBa rrage d u moul in de Champ igny . On v

pêcherai t à la ligne .

Dans l e Souven i r du l a c d e C ôme

M . Knyff , qui d’ord ina ire se borne à l ’in

tel ligen te reproduction de la nature , semble avoir cherché le sty le . Les grands arbres , qui s

’élèvent à l a dro ite d u spectateuret contournent le lac safrané par les tousoranges du solei l couchant , rappel len t l eGuaspre

—Poussin pour le dessin des branches et la condui te du foui l lé .

Mais,au S ouven ir du l a c d e Côme, nous

pré féron s un p aysage foncièremen t hollandais

,appe lé , nous n e savons trop pour

quoi , lo Rapp el . Une rivière coule à p le in sbords au m i l ieu de la to ile entre des rivesde saules e t d ’aunes , sous un rayon deso l eil b lafard qui l

écail le de lumière etva blanchir les maisons du hameau . Les

nuages s’

entassent à l ’horizon ,il va pleu

voir , et l’artiste a rendu avec la tonalité la

p lus juste cette heure l ivide qui précèdel ’orage .

KUW AS SEG .

— Une grande falaise orageuse occup e sur presque toute l a hauteurla gauche du tableau intitul é Prem ière

vue à F l amborough Head . La marée montante commence à mousser sur la plage

L AF ON . Dans son tableau in titul é Ép isode d es M assa cres d e Syr ie, M . Lafon n ’apas cherché à rendre une scèn e parti enl ière ; il a plutô t voulu symbolise r sansavo ir recours a l ’al l égorie, le sens gen éra lde cette lamentable histo ire . Autour d ’

un

autel profan é , les chrétiens s e mass en t

par groupes éperdus ; les massacreurs ,D ruses , Mahométan s , se précipitent sur ce

pâ le troupeau avec une fureur barbare , lefer d ’

une main , la torche de l’

autre , foulant aux pieds les cadavres e t les saintesimages

,tuant l ’enfant sur le sein de la

mère déshonorée , égorgeant l e vi eillard

qui n’ a plus même assez de sang pour

teindre le couteau . C’étai t l à

,certes

,un

beau suj et et comme la peinture l esa ime : du mouvement , de la terreur, un

mélange de types contrastes, du un et

du cos tume , un rui ssellemen t de chosesprécieuses éparpil lées par le s doigts ero

chus du vol . M . Lafon , s’ il n ’a pas remp li

tout à fait c e difficile programme , qui n’eut

pas moins demandé que Delacroix pourl’

exécuter , a fai t une œuvre remarquabl edont plusieurs morceaux sont très— réussis .

L AGIER . M . Lagier apparti ent a cettep etite école de Marsei lle qui se caractérisepar son méridional amour de la coul eur .

Orp hel ins une jeune fille de douzeou treize ans

,vêtue de noir

,tonte pâle e t

sonflreteuse, t ien t son peti t frère appuyésur son cœur avec un sentiment maternel .C

’est ell e qui remplac e la chère femme

qui n’est plus . Les couleurs vermeilles du

gamin disen t assez que la brave fi lle gardeles chagrin s et les privations pour elle .

Nosta lgie es t une poé tique idée poé ti

quemen t rendue . N ’oublions pas deuxportraits au crayon

,ceux de M . J . B . e t de

Mme O . P . , enlevés avec une crânerie quin ’ exclut n i la grâce

,n i la délicatesse .

M . Lagier excelle dans ces croquis ra

p ides .

2 4 2

L AMB RO N . Le F l â neur si insouciam

ment occup é à j ouer au bilboquet , avecsa pose d ésœuvrée et son éc latante couleur véni ti enne , ne pouvait guère faireprévoir les fantaisies lugubres auxquellesM . Lambron s ’est l ivré cette année . San sd oute l ’artis te , ne comptan t pas sur son

talen t très— réel au fond,a voulu forcer

l ’attention d i straite du publ i c par la bizarrerie d e ses suj ets . Il s ’est d it : Tous lesgenres sont p ris ; ce lu i- là fait des Bretons ,celui— c i des Turcs cet autre des Tyroliensou des femmes de Pompe ‘

i ; un quatrièmedécalque des vi traux gothiques , d

’autrespeignen t des soldats , que lques— uns chi ffonnen t du satin

,mènent paître les mou

to ns , ou j etten t des grains de blé aux

po ul es : i l ne reste que l es croque—morts .

Cette in téressante classe de la société n’

a

pas d e pe in tre ordinaire soyons le sp é

c ia l iste des croque-morts . Comme il l ’a d i t.i l l ’a fait

,avec un sang- froid mathémati

que, une rigueur anglais e , une cruautéd

’humour à la Swift,et sous ce titre féro

cement anod in, Réun ion d

amis , i l n ousdé roule dans une toil e taill ée en frise la

panathén ée des pompes funèbres .

2 4 4

e t se faisant des politesses sous l eur noirel ivré e ! Les uns sabl en t le pe tit bleu ; le sautres regarden t j ouer au tonneau ; deuxfumeurs allumen t leurs pipes fourneaucontre fourneau avec des façons de goutlemen ceux— l à se donnent des poignéesde mam comme dans le grand monde ;ceux— ci causen t - des nouvelles du j our .

Un croque—mort commet cette sp irituelleplaisanteri e de coiffer jusqu ’aux épaul esun moutard de son tricorne . Un autre deces messieurs , galan tin de sa nature , enlève avec un geste d ’

opéra— comique une des

bouteilles qu’

apporte une j eune servanterieuse , flattée par ce larcin de bon goû t .La noire cl i entèle règne en maî tresse

au cabaret . Seul , un j ockey anglais,ao

coutumé aux croque - morts par les fossoyeurs de Shakspeare , se mêle à ces ébatsfunèbres qui n

alarmen t pas son flegin o

britann ique . Pourtant un sol dat du genretourlourou s ’est fourvoyé avec sa paysedans ce cabaret macabre ; la payse n

’ estguère rassurée . Quan t au philosophe en pautalon garance

,ne craignan t pas la mort

el le—même,i l n ’

a pas pour de sa valetaille .

On ne saurait imaginer l’e ffet que pro

2 1 5

d uisen t, sur ce fond bl anc , ces ombresch in oises lugubres , occupées à se diverti ravec un oubl i parfai t de leurs tri stes fon ctions . L

’artiste a donné du style à ces figu

res plus que réalistes ; i l a fouillé les pl isde leurs manteaux et de leurs bottescomme s ’ i l s ’agissait de personnages héroïques , et a il rendu d e la façon la plus séri euse les moindres détail s de leur vu lgairecostume . Le dessin est n et , ferme , arré técomme dans un bas —rel ief.I l y a une aristocrat i e et une bourgeoi

s i e parmi les croque -morts . Regardezd e quel ai r affable ce cocher de p remièreclasse galonn é d ’argent

,à bottes lu isan

tes , en culo ttes courte s à genou illère sblanches , ganté de gants de coton re ço itla porgnee de main de cet humble cocheren man ches de chemis e

, qui ne mène encore que l e corbillard des pauvres ! Commel

in férieur est visiblement flatté par cettemarque de condescendance ! Comme ilsourit obséqui eusement et d ’

un air suba l terne ! Qu’ i ls son t bon s auss i cesdeux nécrophores vus de des , Oreste etPylade des pomp es funèbres , don t l

un

s’appu i e n égl igemmen t sur l ’ épaule de

l ’autre , comme le grand ami sur le pe ti tcompagnon !La Réun ion d

amis n e dépasse pas l esproportion s du tableau de genre

,mais

M . Lambron p en sé que ce tte dimensionmod es te ne suffisai t pas a l a gloire d e sonmodèle d e préd i lection ,

et dans le M er

c red i d es C end res i l lui a donné la tail leh istorique ; i l a p ein t le croque -mort degrandeur naturelle , commeAch i l le , commeAj ax . Hardiesse effron tée insolenceénorme à faire se hérisser d ’horreur laperruque de la routin e ! Eh ! pourquoi

pas, s’ i l vous pla î t

tQuel le raison de re

fuser au croque -mort un mè tre soixante

qn inze cent imètres de hauteur ? N ’ est- ccpas un personnage d ’ importance

, qui tien tson rang dans la so cié té ? N’

aurons—nouspas tous affaire à l ui ? I l est l e noir Automédon qui n ous condui t de ce monde à

l’autre , l a tran sformation modern e d el

’an tique Mercure p sychopomp e .

Ex trema ga ud i i l a c ta s occup a t , d i t Salomon dans ses Proverbes. M . Lambron a

mis l e proverbe en action . On dirai t,

pour la bouffonneri e féroce . une scèn e depan tomime anglaise .

2 4 8

l mqmete un peu : mais on lui a d it qu l l

fallai t ê tre polie .

Au fond , quelques polissons , s e faisan t.un porte— voix de leur main , accouren t,poussant cette ignoble huée don t l es gamins accompagnent le carnava l .La bizarreri e du suj et la tonal ité

étrange de la couleur , on t fait de ce tab l eau un e des toiles non pas les p lus admirées , mais à coup sûr les p lus regardéesdu Salon . Pour laisser toute l eur valeuraux figures

, M . Lambron a choisi une deces pâles matinées où le soleil lu i t blan cà travers l es vap eurs et les fumées de laville . Le ciel est lai teux ,

l e terrain

gri s , les arbres dépoui llés de feu illes .

l es maison s aperçues au lo in plâtreuses .

Les losanges bigarrées du costume del

Arl equin ,l e j aune vi f et l e rouge cru

d’

un moul in que traîne la petite fi lle au

bout d ’

un e ficelle,emp êchen t

,par l eurs

notes éclatan tes,cet te gamme presque

monochrome de tomber dans la fadeur .M . Lambron devait , à ce qu

’on prétend,

envoyer au Salon une toi l e de vingt - cinqpi eds de haut sur deux de large , qui représen tai t des marcus faisan t la chaîne sur

2 4 9

une é chelle et se passan t des p ierres ; sansdoute i l a redouté les rigueurs du jury ou

pensé que son expos ition é tait suffisamment excentrique comme cela . Voi là maintenant

,a tor t ou à raison

,M . Lambron

sorti de la foul e . Le coup de pistolet qu ’ i la tiré a été entendu à travers c e tumulted e toil es et a fai t retourner tout l e monde .

Désormai s i l n e passera pas in apercu .

Qu’i l se contente de mériter par son talen tl ’attention qu ’ i l a détourn ée par sa bizarreric

,e t nous lui pardonnerons très- vo

lontiers ses croque mor ts . Cette plaisanterie lugubre

, qu’excuse la valeur réelle de

l ’exécution , ne doi t pas s e pro l onger indéfin iment .

L AND ELLE .— L€S Cap tives de M . Lan

delle chan tent le Sup er flum in a Baby lon isun peu comme un no cturne de salon . Leurdésespoir nostalgique n e dépasse pas l eslimites d une gracieuse mélan coli e . Les

douleurs antiques étaient plu s farouches

que cela ; mais , à la rigueur , le p saume deDav id peut s’

in terpréter dans ce sens et

M . Lande l le a bien fait de ne pas forcer cecharme languissant , cette poési e vaporeuse

— 250

qui le caractérisen t . Ses Ju ives, sans êtrebien hébraï ques , on t des tê tes charmantesdont , après tou t , elles auraien t tort d

al té

rer les traits par les contractions de la donleur .Nous préférons à cette grande toi le un

peti t tab leau très— ñ u ,très -vrai et très char

mant l e Chem in d e l a Gra ip d ans l a cha

p el l e d e l a Vierge, a B éost . C’ est une église

blanche aux nervure s col oriées , où dej eunes filles d e la va l l ée d ’

Ossau , en capuchon rouge

,s

agenoui llen t avec ferveur devant le s images qui marquen t les stationsde la vo ie_douloureuse . L

’archi tec turebaigne dan s une d emi - te inte fraî che ettransparen te , et les figures

,dé l icatemen t

touchées , on t une grâce p l eine d’

onction .

Citons aussi l e portrai t de Mme L. C.

très -

pur de sen timen t et très - suave deton .

L AN O UE . On voit à la nature de sessuj ets que M . Laneue est un ancien prixde Rome et qu’i l se souvi ent de sa chèreItal ie . I l n ’a pas fait dan s toute son expositiou la moindre infidélité au pays deschênes verts et des rouges terrains . Nous

ture . Nous aimons La Vue du mon t Jan

vier dans l a camp agne de Rome e t l aF orêt de p ins du Gombo, deux paysagesd

un beau style et d ’

une chaude coul eur .

L AUGÉE — Sans imiter M .Breton,M .Lau

gee se rattache à ce cycle de peinture rurale où tournent auj ourd ’hui tan t d ’artistes ; il a exposé une Récol te des œ i l lettes

en P icard ie, d ’

une poés ie rustique quin ’es t pas sans charme . Des femmes

,des

j eunes fi lle s,des enfants lient en bottes les

tiges d ’

œil lettes sur un champ d ’

une tonal ité violâ tre assez harmonieuse

,quoique

un peu triste ; il y a de la grâce dans lesposes de ces humbles travailleuses ; leurstypes , sans trop d

idéal isation , ont de lapureté

,et trahissent chez M . Langée la

main d ’

un ancien p eintre d ’histo ire retiréa la campagne . La S ort ie d e l

école n ’apas ce j oyeux tumulte d

écol iers s ’échoppant de la classe

, que son ti tre indi

que . I l fait fro id,l e temps est noir , la

n eige couvre le so l de son tapis glacé , lesrares passan ts fuien t en soufflan t entreleurs doigts , et les pauvres pe tits quitten ten grelottan t la chaude a tmosphère du

253

poêle . La pensée d’

une bataille à coups deboules de neige les réchautfera sans doute .

Nous n’

aimons pas beaucoup la peinture sentimental e ; elle nous déplaîtpresque autant que la pe inture comique .

Cependant , l a figure de la j eune fill e évanouie dans la B onne Nouvel l e a une morbidesse charman te ; n e craignez ri en , elleva reprendre bientôt ses sens ; car la lettre ,historiée de cœurs e t de drapeaux e t datée de Magenta

,lui dit que son fian cé a

passé intact à travers la grêl e des balles .

L AZERGE S .— DBSutil itaires p euvent dire

que l’

Algérie ne sert à rien et n e rapportepas assez à la France . Quant à nous , quine sommes pas économiste , nous l

aimons,car elle a fourni son contingent à l ’art

,

el l e lui a procuré un élément nouveau .

Le voyage d ’

Alger devient pour les pe intres au ssi ind i spensabl e que le pè lerinageen I talie ; ils vont là apprendre l e soleil ,étudier la lumière , chercher des types ori

ginaux , des mœurs et des attitudes primit ives et bibli ques . Avec quelle noblesse ,quell e maj esté , les M oissonneurs kaby les

dans l a M itialz‘

a accomplissent les rites

sacrés du cul te de la terre ! Vêtus de tuniques courtes serrées à la tail le , chaussésde sandales ficel éesjusqu

àmi —jambe , la têteabritée des larges feui l l es du palmier nain ,

le s un s coupent l e blé , d’autres l ient en ger

bes l es tiges déjà moissonnées ; plus loin ,le

maî tre,à demi noyé dans le flot doré

£des épis ,

donne des ordres à ses gens,en se faisant

un porte— voix d e ses deux mains . La

plain e , immense , à en juger par la petitesse des personnages et des maisons dontelle est parsemée , va regagner dans lelointain la chaîne bleuâtre de l ’Atlas. M . La

zerges a rendu avec une l ouable fidél itéles opposi tions brutales de couleur , cetteombre bleue , à con tours nets , qui seraitde la lumière pour les peupl es du Nord . La

gamme gén érale est élevée sans ê trecriarde ou fausse .

On connaît les effroyables exercices desAî ssaouas

,auprès desque l s nos convuls ion

naires ne sont que de bien timides et bienp i è tres in i tiés . Au mi lieu d ’

une cour demaison arabe , une demi - douzaine d

il lumi

nés se l ivren t aux con torsions les plus etrun

ges . L’

un , l‘

t lèvre pendan te , les yeux li o rsde la tê te , se démène et saute avec des ges

L ELEUX (Adolpheÿ) . L’exposition de

M . Adolphe Leleux nous a causé un vifplaisir . Nous avons vu avec j oie ce ro

buste talent , qui depui s quelques annéessemblait défaill ir, rentrer dans sa santépremière . Une Noce en basse B retagn e sedistingue par l ’ importance de la composition

,la sin cère phys ionomie des types et

l’

harmonieuse gaieté de la coul eur .A travers l a lande montueuse parsemée

de j oncs aux fleurs d ’or et de bruyères \ iOlettes , l e cortège s

’avance formant une lon

gue cavalcade dont le s dernières si lhouettes se détachen t sur l e ciel ; en tête chevauchen t l e mari é et la mariée en corsagerouge et en jup e verte , précédés de chiens

qui j appent ; les filles et l es garcons d’hon

n eur , les parents et les invités , tous revê tusdu co stume nat ional , su ivent , tro ttan t surleurs p etits chevaux bretons aux longuesc rin ières et aux regards p leins de feu , acc roup i s c omme des Arabes et les j ambesretroussées par l eurs étriers courts . Les

femmes,ass ises en travers de bâts ou de

couver tures , n’ont pas mauvaise grâce , e t

leurs j upes aux vives couleurs an iment l epaysage .

M . Adolphe Leleux connaît sa Bretagn ecomme personne

,et il la p eint avec cette

exacti tude aisée et vivante des choses depu is longtemps familière s les longs cheveux , les larges brai es , les gilets brodés ,les chapeaux à grands bords e t les physionomies séri euses j usque dan s la j o ie deces braves gars auxquels i l a dû plusd

un succès . Les chevaux son t auss i trèsbien traités ; vus la plupart en raccourc ie t se présentan t par la tête

,car la noce

vien t au - devant du spectateur , il s of

fraien t des difficultés que l’

artiste a sur

montées avec bonheur .

Les Joueurs d e bou le n ’on t pas besoind ’explication ; le titre di t à quoi s’

occu

pent ces bon s paysan s s i naï fs,si vrais de

pose et s i attenti fs aux péripé ties de leur

jeu . La scèn e se passe dan s un de cesenclos aux talus garnis d ’arbres trapus qu ifont du Bocâge comme un e su i te de ré

tranchements naturel s . Au fond l ’on en

trev01 t une chaumière . Arbres e t personnages sont d

un ton frais et vigoureuxd ’

une touche ferme et souple à la fois , etd

un s incère accen t de nature .

Un M a récha l /erran t en basse Bre tagne

n ms montre,a la porte d ’

une forge cou

verte de larges ardoises et dont la chemin ée dégorge sa fumée bleuâtre dans l esfeu i llages , ce group e si favorabl e à l ap e inture du maréchal posant l e fersu r le sabot du cheval et de l ’aide

qui ti en t le p ied . Deux autres chevaux ,un paysan et des poules comp lèten t lacomposi tion . B ien n ’est p lus simpl e , commeon voit ; mais tou t cel a est s i vrai , si in timement breton

,l e paysage encadre les

figures avec une tell e local ité , qu’on s ’ar

rête longtemps à cette to ile,une des mieux

réussies de M . Adolphe Leleux .

L ELEUX (Armand ) . M . Armand Leleux a exposé un e demi- douzaine de petitstabl eaux charmants que le d éfaut de placenous empê che de décrire en détai l .

Con tentons— nous de ci ter l a J eune C onc al eseeu l e

,composition p leine de sentiment

,

et l a S er ran te du p ein tre, qui , l e p lumeauà la main et se reculen t dans un grandfauteuil

,contempl e avec une admiration

naï ve un tab leau de son maî tre posé sur lechevalet . Si c ’es t l a Fami l l e du char

ron on l ’Enfa n t gâ té de M . Armand Le.

2 tio

j ambes sont en foui es dans d mun enseshauts—de- chausse surchargés de dentell e set de canons . Et les gants de peau dechien , et la bad ine dont il j oue n égl igemment ! Heureusement, cc s ingul ier type n esera pas perdu i l pose sans s

en douter ,car Mo l iè re est la qui l

observe , e t nousle re trouverons dépeint trai t pour trai tdans l ’

E cole des mar is. Le jeu des physionomies est fort spiri tuel l ement rendu ,

et le détai l de l’

ameublement n e laisserien à désirer .

L IE S .— l l y a dans le nom comme dans

le tal ent une certain e s imil itude entreM . Lie s e t M . Leys . Nous trouvons dan sle Paysage a vec figures de M . Li es la netteté méticul euse de la nouvelle écol ed

Anvers , qu’on pourrait appeler prém

ben siste, pour faire p endant aux préra

phaél istes de l’

Angleterre et de l’

Al le

magne . Un j eune homme et une j eunefemme , en costume de la Renaissance ,sont assi s au bord d ’

un lac,prê ts à mon

ter dans un e barque que des rameurs détachent du rivage . Des arbres élancés détachen t l eurs silhouettes grêles sur un ciel

26 1

tourmen té , don t l ’

eau calme répè te lesfantais ies nuageuses . Cette p et ite to i le.,d

un bon sen timent e t d ’

une fine exécu

tion,fai t regretter que M . Lies s

en so i ttenu à ce seul spécimen .

L UM INA I S . On a pu vo ir et apprécierà l ’exposition du boul evard des Ital ien sle Champ d e fa ire de M . Luminais . C

’estune entreprise fort dé l icate que de reprendre un suj e t s i magistral ement traité parRosa Bonheur . Sans voulo ir faire injure aM . Luminais, nous devon s d ire qu

’ i l n’

a

pas fai t mieux . De gros chevaux montésen tenus en main par des pal efren i ers c ccupent l e devan t du tableau ; des paysans

,des maquignon s bottés , les examinen t

et l es fon t marcher pour étud i er l eurs al

lures et leur anatomie . Au secon d plan,

un tricorn e protecteur émerge de la foul edans le fond , on voit poindre au somme td ’

une col l in e , au pied de laquelle s’

arrê tele champ de foire

,l e clocher d ’

un vil lage .

i l règne dans tout cela p lus de con fus ion

que d e mouvement . Le terrain gris et p ietin é , le ciel neutre , les hommes vê tus d ecostumes tern es et poudreux donnent à

1 5 .

2 62

cette toile un aspect d ’

un iformité que necorrigent pas des empâtemen ts inutiles etun certa in parti pris de grossièreté .

Le Retour d e cha sse, quoique conçu dan sles mêmes princip es , sati s fait davantagel ’oeil . Deux p etits chevaux breto ns , harassés, descendent une lande accidentéel

un,men é par un paysan

,porte le tro

phée de la chasse un cerf à pu issante ramure ; l e second cheval est mon té par unhomme ten an t en tre ses bras son chienb lessé et sang lant . En avan t du cortège

,

une modeste meute , composée d’

une couple de chiens

,traîn e un peti t garcon qui

s’

arc - boute pour l a retenir . Un cie l lourdet orageux ind ique que l a poursui te a dûê tre p énible , et justifie la fatigue des chass curs . A n otre avis

,ce tableau ,

avec sescinq ou s ix personnages

,est plus vi vant et.

plus animé que le précéden t .

sanglan té de Lad i slas Hunyady gî t en trede grands chandel iers d ’argent , recouvertd

un linceul sur lequel est placée , commeun e cro ix , la grande épée à deux mains

qui a servi à la décap itation . Sous l espl is du l in ceul , à l a jaun e lueur des cierges

, on devine un corps svelte et j eune .

Auprès du mort , deux femmes agenoui llées sang lotent et mêlen t des prières à

leurs larmes . Les tentures n oires du catafalque et l es vieux arceaux baignés d

’ombre de l ’église forment un puissant re

poussoir à l a blancheur sinistre du suaire,

d es flambeaux et des cires .

Nous n e pouvons que ci ter F é l icienZach et H é lène Zryny i , qui se di stinguen tpar l ’énergie dramatique de la composition et l ’exactitude de la couleur ;locale .

M . Madarasz a de l ’originalité , et du premier coup i i a su attirer les yeux

,chose

di ffici le , parmi cette foul e de toiles sanscaractère qui encombren t le Salon .

M AN ET . Cmamba ! vo ilà un Gu i tarero

qui ne vi ent pas d e l’

Opéra— Comique et

qui ferai t mauvaise figure sur une l i thographie de romance ; mais Velasquez le

26»

saluerait d ’

un peti t cl ignement d ’œil amical

,et Goya lui demanderait du feu pour

allumer son papel ito . Comme i l braillede bon courage en raclan t le jambon !I l nous semble l ’en tendre . Ce brave Èspagnol au sombrero ca la ñ ee, à la vestemarse illais e

,a un pantalon . Hélas ! la

culo tte courte de Figaro n ’ est plus portée

que par les esp adas et l es band er i l l eros .

Mais cette concess ion aux modes civi l isées ,les alpargates la rachètent . I l y a beaucoupde talent dans cette figure de grandeurnaturelle

,pein te en pleine pâte , d ’

un ebrosse vaillante e t d ’

une coul eur trè svraie .

M ARC H AL . Sous ce titre In tér ieur d e

ca baret , un jour de fête, chez l es p aysa ns

p rotestan ts du can ton d e Bouævi l ler (Bas

Rhin) , M . Marchal a exp osé une toi led ’

une originalité s incère , car elle n e résulte pas d ’

un parti pris,mais d ’

une étudeconsciencieuse de la nature . L

’artiste,s ans

sort ir de notre F rance s i peu connue , a sutrouver des mœurs excep tionnelles

,des

types particul iers,des costumes p i ttores

ques . Bouxvil ler, un petit village du Bas

— 266

Rhin,lui a fourn i tout ce la . I l est vrai

qu ’ i l a eu la pati en ce d ’y pass er toute unesaison

,se famil i arisant peu à peu avec les

allures de ses modè les involon taires , ap

prenan t chaque j our quelque d éta il caractéristique inaperçu d

’abord .

Cet intéri eur de cabaret représente unesall e basse garnie de ban cs et de tablesen chêne, ornée d e son po ê le monumentalen faïen ced e Saxe et d écorée des portraitsd e Luther et de Melan chton . L

’ image deLu ther n ’ est pas d éplacée dans un cabaret

,

car ce bon apôtre disai t Ce l ui qui n’aime

n i le vi n,n i l a musique , ni les femmes ,

cel Li l — là est un sot et l e sera sa vie durant .Au mi l ieu du tab leau

,une bel le fi l le en

gran ds atours campagnard s , brass iere b rod é c et pai l letée , jupe tuyautée de p lis symétriques

,tabl ier fenes tré de j ours

,s

a

muse à faire la coque tte avec un j eunehomme en gilet rouge qui se pen che amoureusemen t vers el le , pour faire enrager ungalan t o ccupé à boire parmi d ’autres com

pagnons à la tabl e d e droi te . Le j aloux n ’

a

ri en perdu d e ce manège , i l serre l e poinget semb l e prêt à j eter sa chop e de bi ère àla tê te de son rival

,contenan t et contenu .

parce que cela ferait mieux . Aussisa to ile a— t- el le un peu l

’aspe ct des imagescoloriées d ’

Epinal , ce qui est un éloge etnon un b l âme comme on pourrait l ecroire . En peignant des paysansM . Marchal a pris quelques— uns des procédés na'

tfs de l ’art qui les charme .

M ARC H E (Émile Van ) . Les travauxagricoles son t décidément à la mode enpeinture . Au dernier s iècl e et même au

commencemen t d e ce lu i- ci, qu

eussent d it.

les connaisseurs et l e publ ic d ’

un suj et detabl eau formul é en ces termes Récoltede betteraves à la ferme impériale de Grignon

,effet du matin ? Ce la eût semblé

une pure moquerie , et l’on n ’eut pas trouvé

que les betteraves fussent du domaine del ’art . Cependant M . Van Marche a tiréun excell en t parti d e ce moti f, en apparence s i ingrat . Un. chario t attel é de quatre bœufs occupe le centre de la toile ;d es paysan s le chargent d e betteraves arruchées . Le j our se lève dans des vapeursargen tées , et l es l ongues ombres des hmufsfrisés de lumière s ’ étenden t sur l e sol . Lamanière grasse et large de M . Van Marcke

269

se rapproche du faire de Troyon La M are

auæp ies estu n fort beaumorceau ; desbœufse t des vaches v iennen t bo ire à la mare

,

d ’où s ’envolen t les p ics en sautillant et encaquetan t ; mais nous l ui préférons l e H ameua . Au bout d ’

un terrain vague plaquéde gazon et parsemé de quelques bestiaux ,se détachen t un peu au hasard les chaumières du hameau , égratign ées d

un rayon

qui en fait valoir les détails p ittoresques .

M A S S ON (B . ) — Le supp l ice de Manl iusCapitol inus, précip ité du hau t de la ro cheTarpéienne , aurait pu ê tre traité avec plusde développements que n e l ’a fai t M . B .

Masson . Ne lui cherchon s cependant paschican e : i l a nommé son tableau l a R0

che Tarp é ienne, n ous n ’avons droi t qu’

à

de l a pierre,et s ’ i l l ’a surmontée de quel

ques personnages,c ’est pure générosi té de

sa part . Les tribuns poussent vers l e préoipiceManl ius le Superbe i l a beau d ési

guer du doigt l e Cap itole , où i l a mon té entriomphateur , l a foul e furieuse l e hue et l eharcèl e . La roche , aux paro is égratignéeset effritées , surplombe bien ; elle suin te lesang et appelle le c adavre .

S . A . I .M'" 8 LA P RIN C E S SE M A

'

PH ILDE

La cri tique , qui éprouverait peut—ê tre uncertain embarras à parler des œuvres d ’

unefemme et d ’

une Altesse Impérial e setrouve mise à son ai se par la cord ia le s im

p l ic ité avec laque lle Mme la Princesse Ma

thi lde accep te les conditions imposées àtous les artistes . Ell e arrive à sa lettrecomme les autres

,sous l e même j our que

ses vo i s i ns d e Salon . Nous -même nous allon s nous occup er d e ses ouvrages à l ’instan t précis où le hasard alphabétique lesamène sous notre p lume sans avan cernotre rendu comp te d ’

un al inéa .

I l faut être prévenu pour découvrir queles trois cadres exposés par S . A. la

Princesse Mathilde ren ferment des aquarelles . Leur d imens ion et l eur in tensité decouleur ferai ent croire a des tab leaux àl ’hui le , et l e vern is qui l es glace comp lè tel ’ i l lus ion . On s ’ é tonne qu ’

une main impérial e et fémin ine pousse jusqu ’à la forcece genre qui , même traité par d es hommes

,se con ten te d e la fraîcheur e t de la

grâce .

Une Fel l ah représen te une femme d uCa ire mystérie usemen t enveloppée de ces

bl e d ’

un ciel égyp tien . Comme qualité detou ,

l es no irs de son vêtement sont d ’

unechaleur et d ’

une transparence que l’huil e

aurait de la pe ine à atte indre lesmains

,d ’

une blancheur ambrée , s ont fortb elles et grassement peintes . Seulement elles nous paraissent un peu grandesp our des mains de fellah . Les races oriental es se dist inguen t par la finess e des extrémités ; chacun a pu remarquer , en maniant un kandjiar , un yataghan ou un sabreturc quel conque , que l a poignée en esttouj ours trop étroite aux mains européennes , même à celles qui se cro ien t trèspetites .Il n ’est pa s aisé d e copier Rubens en

s e servan t des moyen s usités ; mai s combien la tâche devi en t—elle plus diffici l elorsqu’on transpose ce maître s i chaud , s icoloré

,s i v ivace

,de l ’hui le à l ’aquarel le

Le Por tra i t du baron d e l icg résou t ceprob l ème l es chairs , blond ies par la patin e d u temps

,son t imitées avec une rare

perfection , et l a co llere tte 21 tuyaux , surlaquell e la tête repose , a une transparenceet une l égèreté qu ’on ne cro irai t possiblesqu ’au moyen de frottis d ’hui le grasse .

Le portrait d ’après Muri l lo — quelqueinfant sans doute — représente un adoles

cent d ’

une douzaine d ’années , d’

un éclat,

d ’

une fraîcheur et d ’

une intensi té de ton

qui charment et surprennent l’ œi l et que

fai t ressortir enco re une forêt de cheveuxbruns crêp és . L ’œ il é tincelle de lumière ,une pourpre vivace colore l es lèvres , et lestons roses des j oues se fondent par desdemi—te inte s bleuâtres aux ombres chaudeset profondes ; une cravate a bouts dedente l le se noue négl igemment autour ducol et retombe sur la po itrine avec un e

blancheur p é til lante obtenue par l ’égratignure du papier

,car S .

: A. I . M° “ laPrin c esse Mathi lde n e gouache pas sesaquare l les

,réserve qui leur garde toute

leur l imp idité et toute l eur franchis e .

M AT OUT . M . Matout a c onsacré unegrande to il e au suj et intituléRiche etPauvrePar une large fenêtre ouverte sur la rue ,

on aperçoit , dans un intérieur somptueux ,un riche seigneur , chauve et ventru , lourdement install é devant une tabl e surchargéede p lats , de verres et de candé labres end ésordre . l l reçoit avec maj es té les cares

27 4

ses d ’

une belle fi lle , qui détourne légèrement la tê te pour sourire à un j eunehomme

,debout derr i ere elle . Au premier

p lan,dans la poussière de la rue , un mi

sérable mend iant à demi—nu ramp e, a f

faibli par la faim,essayant de se soulever

jusqu ’à la fenêtre pour y passer la main .

Ses cris e t ses gémissements on t san sdoute importuné les gens du dedans , carun garde sort de la maison et l e heurteinsolemment du bout de sa hal lebarde . La

disp osition de ce tableau est orig ina le ets ort de s traditi ons suivie s en pareil lemati ere : au l ieu de remplir sa toile desomptuosités et d

orgies en dissimulan tdans un coin le mend iant honteux , M . Matout a donné la p lace d ’honneur au pau

principal e figure de la composi tion,

bonne et fière mine , avec son maill otrayé et sa large toque .

Un e p osi t ion cr i t ique nous semble un

titre bi en fo lâtre , eu égard au sujet e t auxsentiments philanthrop iques d ont doit êtrean imé l ’auteur de Riche et Pa uvre. I l n ’ya que trois p ersonnages dans ce tte peti tetoile

,deux n ègres et un l ion . Les deux

des tons vigoureux . Cependant , un j our lafantaisie lui prend de peindre un fragmentde frise dans ce style gréco étrusque réservé aux dél icats , et il y réuss it de tellesorte que les maîtres du genre seraient fortembarrassés d ’en faire autant .Diogène cherchan t un homme, tel est l e

suj et qu’

a spirituellement cho is i M . Ma

zerol les. Le cynique,lan tern e en main ,

ayant sur le do s l a définition de l ’hommepar Platon , c

’ est—à— dire un co q p lumé , semet en route accompagné de son chienderrière lui , sur le fond turquo ise de lafrise , une panathén ée de j eunes filles portan t des lampes parten t

,elles auss i , pour

chercher un homme ; elles le trouveront plustôt que Diogène ; leur malicieux sourirele donn e à entendre et nous n ’

en douton spas , car elles sont toutes p lus charmantesles unes que les autres e t dans un déshab il l è antique fort galant . De peti ts amoursse faufilent parmi el les et les mettront surla p iste . La pro cess ion se termine ingén ieusement par deux vénérables matrones

qui on t laissé tombe r leur lantern e celleslà n e cherchent p lus ; el les on t trouvé

,et

peut- ê tre plus d ’

une fois.

27 1

Vénus et l’

Amour rentren t dans la mamere habituelle de M . Mazerolles , qui estfort bonne . Dussions - nous passer pourclassi que et p erruque , cela nous plaî t devo ir un beau tors e de femme et un gracieux corps d ’en fant model és en plein epâte et en p lein e lumière . I l y a si peu deun au Salon ! et sans le nu , po int d

’art vêritable .

Il y a dans l’

Ep 0n ine imp loran t l a

grâ ce d e Sabinus son mar i un mouvement et une chaleur vrai e qu ’on rencontretrop rarement dans les tableaux d

his

toire . Sur la gauche de la to il e , dans un esorte de ni che assez élevée

,trôn e l e pro

consul,immobile et sereinement implaca

ble comme il convient au représentant dupeuple qui gouverne le monde . Eponine ,éperdue

,à genoux , élève les bras vers lui ,

lui mon trant ses enfan ts ; son mari , qui s et ient debout , farouche , semble souffri rde voir sa femme implorer le vainqueur .

Derrière lui la foule des gardes et descurieux en combre le prétoire , dont lescolonnes de marbre et les portiques ma

jestueux rempl issent l e fond du tableau .

Lorsque l ’on traite l ’histoire avec cette1 0

27 8

ampleur on a bi en le dro it d e se perme ttre quelque fan taisi e et quelque badinagean tique .

M e rss omnn .— Lorsque , que lques mois

avant l ’ouverture du Salon,nou s regardions ,

chez M . Meissonier, l

Emp ereur à Sol

fer ino, cette toil e promise par le l ivret eten vain attendue

,el le nou s semblai t ache

vée et parfaite ; mai s le maî tre , difficil e pourlui -même , ne s

’est pas contenté de ce quinous satisfaisa it p leinemen t . A ses yeux

,c e

tableau si exquisement fin i n’é tait qu’

uneébauche

,qu ’

une simple préparation qui

devait rester encore bien des j ours sur lechevalet sans recevoir la dernière main .

Nous eussions é té heureux d ’avoir à fairel ’appréciation de ) l . Meissonier dans cettephase si nouvel le et s i curi euse de son ta

len t, que le désir des amateurs p lutôt que

sa propre vo lonté a fait tourner autourd

un certain cercl e de suj ets . C’est un plai

sir qu ’i l faut remettre à l ’Exposition prochain e . M . Meisson ier peintre de batailles

, riva l d ’

Yvon ,de Pi ls , d e Bel langè ,

d’

Armand - Dumaresq cela i l e tait i l pas p iquan t ? Du reste , nous avon s de quoi nous

280

d ieulcs. On croirai t presque avoir vécu aveceux car ce n ’est pas seul ement par le fini

et le précieux du travail que se d i s tingueM . Meissonier

,quoique ce soit le cô té que

l’

on admire le plus en lui il compose avecun art tout particul i er et une rare sagaci téd

observation les scènes à deux ou trois interlocuteurs qui se j ouent dans ses tableauxmicroscopiques .

Le M usicien montre qu ’

un vrai peintren ’a pas besoin d ’

un suj et tenant dix lignesd ’expl i cation au livret pour intéresser . Cclui—ci j oue de la flûte , ce lui—là j ouai t de lacontre- basse . L

un est debout , l’autre était

assi s ; le j our venai t de dro ite , il vien t de

gauche . En voilà b ien assez pour d ifférencier le tableau actue l du tableau précéden t,et pour faire un pet i t chef— d ’

œuvre il nefaut p as non p lus beaucoup de place . Le

M arécha l ferran t en est la preuve ; la petite main de lady Macbeth le couvrirait, etcependant

,sur ce panneau lill iputien grand

comme un dessus de tabati è re,M . Meis

sonier a trouvé moyen de fondre ensembleCuyp et Wouvermans .

C’ es t une perle rare dans l ’œuvre du

peintre qu ’

un portrai t d e femme . Celui de

28 4

W“ l l . T .,une b londe à la peau rosée

,

aux cheveux moirés d ’or , s e distingue parune rare finesse de modelé e t une certainegrâce anglaise don t le p in ceau net etferme de l ’artiste n ’a pas l

’habitude . Le

portrait de M . Loui s Fould , entouré d’ob

j ets d ’art et vêtu d ’

une robe de chambreà carreaux écossais gris et noi rs

,est une

mervei l le à défier les Hollandais les plusfins

,l es p lus précieux et les plus patients .

M ÉNARD (Ren é etLouis) .— La M ort d’

un

cri/an t, d e M . Ren é M énard , est la traduction libre d ’

une p ièce d e vers de M‘“l e deGirard in . Le p eti t enfant , d éj à pâl i , est

é tendu dans son berceau,l e crucifix sur la

poi trin e ; l e curé lui donn e la dernièreb énéd icti on ; autour de lui s

agenouil lent

et prient ses parents,ses frè res

,ses sœurs.

Mais pourquo i donc pleurer ? I l a à pe in equ itté la terre que l e voi là parti pour les éjour bienheureux de petits anges l ’ontposé tout endormi dans un j ol i berceaudoublé de b l eu; en se révei llant i l retrouverases jouj oux favori s que ses nouveaux com

pagnons ont eu soin d ’ emporter . L’asoen

s ion enfan tine monte baignée d ’

une vapeur1 6 .

cél es te et il luminan t l a pauvre chaum 1 ere .

lala est plein de goû t , de sentiment e t denaïveté . Les paysages de M . B . Ménarddénoten t une b onne et so l ide éducat ionart isti que ; i l y a du mouvement dans sonAssemblée en basse Norma n d ie ; ses cam

pagnards se trémoussent bravemen t sur

une herbe drue et franchement verte .

Quan t à M . Louis Ménard , nous l e savionsbi en poe te

,ph i losophe et adorateur de

Jup i ter , mais nous n e l ’avions pas soupeonn é de peinture . La Comp agn ie d e

rerfs traversan t un champ vaut pour l emo ins autant que ce l l e qu’aurait faite unpaysagiste de pro fession ; mais en revanche

,san s vou loi r humiher les paysagis tes

,

nous croyons qu ’on en trouverait peu en

état de traiter l e vers comme M . Lou isMénard .

M ERLE .— C

æ t une œuvre conscieneieusee t solide que la Bethsa bée de M . Merle . Adosséc à une cuve d e marbre rouge

,la femme

d’

Urie, l es genoux cachés par une draperie bleue

,d éroule sa longue et lourde che

ve lc ro blonde ; elle se croi t seule , et , sonrian t de sa beauté

,el le prolonge avec une

2 84

admiren t quand même,sous prétexte de

réal isme,ces fantaisi es monstrueuses

,aussi

éloignées de la vérité que les crèmes fouettées roses et bl anches de Boucher

,de Fra

gonard et de Venic e . Sous prétexte destyle

,M . M ille t donne a ses personnages la

s tup idité morue et farouche des idoles iadoues. Leurs gestes somnolents s

immobi

l isent,leurs yeux n ’ont plus de regards , et

sur leurs corps de bois colorié pèsent desétoffes épaisses comme des cuirs . Sansdoute i l y a une certaine grandeur dans cessilhouettes , dégagées de tout détail et remplies par des tous monochromes ; mais elleest trop chèrement achetée .

Une Tondeuse d e moutons représen teune paysanne tendant un mouton posé surun tonneau , et déj à à moitié dénudé de sa

laine . La placidité animale de la tondeusese confond avec la résignation passivede la bête, personnage prin cipal d u ta

bl eau . Le mouton a peut- ê tre même l ’ai rplus humain ; il est d ’

ailleurs d ’

une trèsbelle couleur , tand is que la femme , si l

’onpeut lui donner ce nom ,

disparaî t sous une

couche de tons briquetés dont jamais peauféminine

,même tannée par la plui e , le ven t

et le soleil,n ’a pu se revêtir . Sur le col

glisse , on ne sait pourquoi , une lumièreblanche comme une égratignure récentesur un mur de plâ tre noirci . Au fond , setient

,fatidi que et solennel

,un vieux paysan

vêtu d ’

une blouse bleue .

La Femme fa isan t manger son enfan toffre un arrangemen t d e lignes asse z heureux . Le mouvement est naturel , mais leparti pris de M . Millet gâte tout . Nousn

exigeons pas des paysannes d’

opéra- cc

mique,en corset de ve lours et en jupe

de taffetas . Ni Rib era , ni Murillo , n i

même Courbet ne n ous fon t peur . Cependant nous nous refuson s à reconnaître unecréature humaine dan s cette femme , couleur de pain d ’épice

,don t la bouche est

cernée par d eux l èches de lumière ou de

bou il li e,n ous n e savons trop lequel ; et

l ’enfant,est - il assez laid

,assez plaqué de

rouges sanguinolehts‘

? Est— ce là de la vérité ?Dans les temps de nawe ignorance , l

’anachron isme étai t pardonnable ; i l avai tmême sa grâce

,comme les erreurs et les

bégayemen ts du premier âge ; mais en

1186 1 on admet d iffici l ement ce tte traduc

286

tion d’

une légende bib l ique en pato ispaysan . Dans son tab leau de l

At ! en te,

M . Millet afi’

uble d’

un casaquin et d’

un

jupon bleu la mère de Tobie allant vo irsur le ch emin si son fils arrive , et i l habi l l e en V l €l l aveugle de vi l lage le viei llard patriarcal . Cela ne serait rien en coresi,a ces personnages travestis de la sorte

,

i l laissait la forme humaine ; mais le pèreTobie n ’a pas de tib ias dans les jambes

,

et. la mère Tobie a pour mains des moi

gnons .

Sur un ban c,près de la porte une b ête ,

aussi fantastique que les chimeres j apohaises à tire- bouchons bleus , se haussesur ses pattes et fai t le gro s dos . A forcede rêver

, on finit par reconnaî tre un chatdans cet an ima l étrange

, que des sauvages de la Polynésie feraient p lus ressemhlant en sculptan t un morceau de boisavec une arê te de coqu il lage . I l fautcep endan t reconnaî tre que l e paysagebaigné par la lumière du crépuscule , estd ’

un e tonali té très- vrai e et très -fine .

M ona (Van) . — Canaletto a laissé une

nomb reuse postérité . Guardi , Bonnington ,

bléau de M . Moschelès . Elle est blonde , vêtue d ’

une tunique blanche,accoudée au

clavier d ’

un orgue ; ses yeux fixent le va

gue où l’a transportée sans doute quelque

mé lodie rêveuse,quelque poésie découra

gé ante . M . Moschelès aurait pu donner un

peu plus d’abandon et de laisser— aller à sa

Mélancolie, qui nous semble roide et man

quant de relief.

NI O UL I GN ON — Si le hvret n ’était pas làpour l ’affirmer , on croirait difficilement quecette femme aux formes pleines , aux chairsfermes et colorées

,so it une M end ian te, et ,

dans tous les cas, son état de prospérité fait

l ’éloge de la charité arabe . Agenouilléeau pied d ’

un mur b lanc,à l ’angle d ’

un deces escaliers qui servent de rue a la par tieancienne de la ville d ’

Alger, elle laisse voir ,par sa chemise entr ’ouverte sur l e côté , toutle contour extérieur de son corps . Un triangle découpé dans son voile donne passage àun regard calme et profond . Un marmot ,déjà coiffé de l ’ inévitable fez

,se hausse

pour atteindre le sein de sa mère . Derrièreelle , un autre enfan t plus âgé , dont lesyeux pleurent l ’ophthalmie si_fréquente dans

289

l’

Orient, tend sa sébile aux passants . A

gauche,la vue descend sur les terrasses é ta

gees jusqu’à la mer bleue . On s ’arrê te volon

tiers devant cette toile,franche de tons

,

attiré par cet œil unique qui forme commele point visuel du tableau.

Qui refuserait une aumône à cette petitefill é blonde et mignonne , vêtue d

un bail q

lon noir,et qui nous offre une rose d

un

air triste , s’accordent mal avec sa fraî cheur

et sa j eunesse ? S eul e au monde ! la pauvre enfant entre dans la vie par une bientriste porte .

NIUL L ER (Louis ) . — M . Louis Mull er, qui

renon ce peu à peu aux grandes ma chin es,

a concentré son talen t de peintre d ’h isto ire,

qui lui avait valu des succès mérités , dansdeux petites to iles , l

une intitul ée M ad ame

M ère l ’autre représen tant Léd a .

Le titia , mère d’

empereur et de rois,vivait retirée à Rome depu i s 1 8 1 4 . Lors

que Napoléon mourut , elle prit l e deu ilpour ne p lus l e qu itter . Ass ise sur un ca

napé qui s’

adosse au mur au— dessousd ’

une n iche dans laquel le on d istingue ungroupe de sculp ture , el le contemp le , affais

1 7

290

see par l ’âge et la douleur , le p ortrai t en pi edde Napoléon en grand costume impéri al .Ell e a laissé gl isser la terre son fuseau et

ab andonné sa quenou i l le . Près de la fenêtre à droite

,deux dames corses , viei rl es

amies d ’ en fan ce , tri co ten t s i lencieusement,j etan t à la dérobée un regard compatisan t sur Cette désola ti on muette .

La façon d ont M . Mul ler placé le portrait de l ’Empereur, qui est presque per

pendiculaire au plan du tableau, produit unsingulier effet de perspective ; le personnagepara î t démesurément long et maigre c ’estmathématiquemen t vrai

,mais ce n ’est pas

heureux . Cette observation faite louonsl ’harmonie mélancolique de cette composition qu

éclaire un j our fd lb l€ , tamisé par degrands arbres .

— Quoi qu ’on fasse et qu ’ondise

,on en revient touj ours à la my tho lo

gie ; la Sculpture , la Peinture , la Poés iesentent de temps en temps le besoin d

’allerrevo ir et emb rasser leur mère à toutes ,l’

Antiquité . M . Muller n 'a pas résisté à l ’entraî nement

, et nous donne une Leda d’

unebonne et solide fac ture . Debout au milieud

un bois sacré , comme l'indique un temple

si tued ans le fond du tab leau ,la Tyndaride a

veau plein d ordre l ’a balayée .— Le Moine

en p r i ère découpe son profil maigre sur l estnc d

un piédesta l dans une église de Rome .

De j olies filles,en jupes de taffetas rose et

en tablier de dentelle,attendent

,assises sur

les marches d ’

un confessionnal, que leur

tour vienne de confier au grillage discre tleurs péchés mignons . Une ânesse suiviede son ânon porte l a F ami l l e i ta l ienne envoyage, le père , la mère et l

’enfan t. On

dirai t la famille du charpentier que Uœthefai t rencontrer à W ilhelm Meister

,et qui lui

rappelle la sainte famille . Comme ellecouve ardemment son nouveau-né du cœuret du regard

,avec une pose qui s

’ insp irede la vierge d ’

André Solario , cette heureusefemme que M . Van Muyden a peinte si chermante dans l es Dél i ces d e la ma tern i té !

NANT EUIL (Céles tin) . Si M . CélestinNanteuil n ’avait pas crayonné une multitudede composition s charmantes , pleines d

espritet de couleur, dépensent au j our l e j our untalent des mieux doués

,et qu ’i l se fût con

tenté d’envoyer de temps en temps au Salonquelques—unes de ce s grandes toiles solennellement insignifi antes et qu’on relèguevers les frises où personn e ne les regarde .

il s erait dan s une situation superbe . Le

publ ic fran ç ais,très— classique au fond

,mé

prise cc qui l’

emuse et n e respecte que ce

qui l’

ennuie . Essayez de lui persuader que( l evarni

,Daumier , Raffet Gustave Doré

comptent beaucoup plus d ans l ’art quemessieurs tel s et tel s , inutiles à nommer , i lsourire d ’

un air poliment incrédule et voulaissera achever ce paradoxe rui sselantd

inou‘

isme ; mais sovez_ sû r qu ’

il n ’en

29 3

c roire pas un mot L‘

apparence que ce

t l’

t)

q S sur bois , que ce charbonnage l ithographique , que cette batail le ih-8° vei llent

ces énormes machines dont une seule couvre tout un pan d u Salon Nosmoeurs

,nos

usages , nos types , nos goûts , nos modes ,notre espri t de chaque matin

,quel intérê t

cela peut— il offrir ? On a si peu le sentimen t des choses modernes

, que ceux qui lesrep roduisent passent à peine pour des artiste s . M . C . Nan teuil a souffert plu s quepersonne de cepréj ugé on n ’a pas vu àtravers le lithographe le peintre qui est en lui .La Char i té .est une composition très- in

gén ieusemen t arrangé e dan s un goû t à laPaul Vé ronèse

,et la misè re qui s

’y mêlecommeé lémen î indispensab le n ’en appau vrit

pas l’

opulence . Sur le perron demarbre d ’

uneriche demeure , une j eune dame symbolisantla Chari té , distribue aux nécessi teux des vê tements et des pains qu

’«l le prend dans uneco rbei l le inépui sable tendue p ar une sui

vante . Derriè re el le descendent des serviteurs , des intendan ts , tou t un monde em

pres : é , portant des secours en argent et ennature Au bas des marches se groupent lesvie i llards infirmes

,l es pauvres petits enfants

Un choc de cavaliers , que domine la hautestature du chef gaulois , occupe le centre dela composition . Un engin de guerre incendie emplit de fumée la gauche du tableau .

Sur la droite , une masse compacte de R0mains

,faisant avec les bouc liers imbri ques

la manœuvre de la tor tue, sort des rempartsde la ville pour se j eter sur ces acharnéscombattants . La peinture de M . Navlet a

quelque chose de heurté e t de brusque quirappelle la manière de Bourguignon et deParrocel . On retrouve les mêmes qualitésdans le Passage d e l a S e

'

sia,quoique le suj et

prête moins au mouvement et à le couleur . L

’aventure de S a lva tor Rosa chez l esbr igand s est assez connue pour que nous nedonnions pas le détail du tableau de M . Navlet . Nous dirons seulement que, malgré sagrande dimension il y a dans cette toilemoins d ’originalité que dan s celle citée plushaut .

N AZ ON . M . Nazon fait du paysage puret absolu ,

ainsi que le prouve l a simpl eindicati on de P aysage, insc rite au l ivre t iila su i te des numéros de ses deux tableaux .

l‘en nous importe , du res te , de savoir où il a

trouvé cette pe ti te riv1ere se‘

p erdan t dan s »

l ’herbe,ces bouquets de peupl iers

,c es

grand s arbres ébrén chés et minces cou

pen t perpend iculairement le ciel rougi parl e soleil couchant l a n ature sai t être bel lesan s grands e ffets ; d

un rien elle se fai tune parure , varient et tran sposant à l

in

fin i les trois ou quatre éléments qui lacomposent . Il suffit de savoir la surpren

dre dans ses moments d ’abandon,et de la

saisir sous son vrai aspect , dont un hommede goût tire toujours quelque chose d

’ori

ginal .

NÈGRE (Charles ) . — _A voir les deux tebleautins d ’ail leurs très - ñ us et très - charmants d e M . Charles Nègre on devin e , ala

netteté des détai ls , à la proj ection mathémathique des ombres , qu

’ il prend le de

guerréotype pour col laborateur . Le daguerréotype , qui n

’a pas été nommé et qui n’a

obtenu aucune médail le , a pourtan t beaucoup travaillé pour l ’exposition . Il a fourn ibien des renseignements , épargné bien desposes aux modèles

,livré bien des ac cessoi

res, des fonds et d es draperies , qu

i l n efallait p lus que copier en les colorant . La

1 7 .

298

C ol l a tion est bien 1rugel e . [le pauvres d iable s arrosent un morceau de pain sec d ’

un

v erre de coco que leur verse , de sa fontainesurmontée d ’

un drapeau ou d ’

une Victoire,

un de ces a cquajol i paris ien s , moins p ittoresques que ceux de Naples . Le régal estpour les yeux des spectateurs . On retrouvele microscop ique finesse de Buttura dansl es M ou l insahu i le à Grasse . Cel a représen teune rue escarpée , d

aspect méridional,l e

long de laquel le s’

étagm t de hautes maisons aux murs en p ierreil les, p laquées ce etlà de chaux ou de p lâtre

,surmontée s de

tuyaux à vapeur dégorgeant leur fuméedans un cie l d ’

un éclat inten se ; des femmes mon tées sur des ânes gros comme desfourm i s et sp iri tue llement touchées d escen dent la pente rapid e .

dessin au crayon noir,est pris à ce momen t

où l ’ange de la destruction semble reculerdevant son œuvre et donne la beauté dumarbre au corps qu’il vient de priver de lavie . L

illustre tragédienne ainsi couchéepourrai t servir de statue à son tombeau.

P AL I Z Z I . Les Ru ines temp les d e

Pestam ont fourni à M . Pal izz i un fondmaj estueux pour ses groupes de chevauxet de chèvres sauvages allant boire à un e

mare ; car,on le pen se bien , l

’artiste ,pein tre d ’an imaux , n

’a pas fai t prédomine rle cô té architectural dans sa to ile . Les nobles colonnes doriques aux profondes cann elures se voien t seul ement à moi tié ; lecadre en coupe le fût

,et

,d ’après cette

échel le,la grandeur de l ’ édifice se devine

m i eux que s i on le voyait en plein . Nousn ’avons pas besoin de louer la facture habile et la couleur vigoureuse de M . Pal izzi ;on les connaî t assez . Ce retour a son paysnatal a é té heureux .

Dans la Forêt,l ’artiste en revient à ses

moutons ; on ne saurai t l’

en blâmer,il les fait

si bien ! A travers l ’herbe fraî che et drue ,

s ta r—l es g ran -is arbres aux rameaux en treeroisés, le petit troupeau se gl isse , nageantdans la verte végétat ion

,jusqu’à la clairière

où tombe un rayon de So leil . Le paysagevaut les animaux , les animaux valent l epaysage ; ce n

’est pas peu d ire .

P AT RO I S — Uh paysan russe,accroup i sur

une tab le et grattant sa ba la l a t‘c lra,sorte de

guitare a trois cordes,accompagne un duo

rustique,chanté p ar une paysanne blonde

,

vêtue d ’

une robe b leue ceinte sous la taill e,

et par un moujick en blouse rouge et vestede velours n oir : la famille , groupée sur lagauche , écoute avec intérê t les deux vir

tuoses ; dans un coin brûle la lampe éternellemen t allumée eu - devant des imagessaintes : tel est le suj et du tableau intitulél

I z ba . L es Jeunes fil l es consul tan t une ts i

gane ont fourni à M . Patrois l ’occasion d ereproduire la beauté de la paysanne russesous trois types di ffé rents l ’une est blonde

,

l ’autre rousse , la tro isième brune , toutestrois également bel les avec des airs angéliques et tristes ; la tz igane

,assise devant

ell es étale ses cartes sur ses genouxpour plus de commodité , elle a rejeté dans

304

blémit lavée par la sueur froide et le refle tblafard de la lune ; encore une seconde et

Satan mâchera en tre ses crocs cette âme , lap lus noire des âmes abj ectes que ce mondecriminel ai t envoyées aux enfers .

D’

immenses assises de rochers laissententre elles un hiatus qui forme la grotte deS a in t Jérôme.Le saint , vu de dos , les brascomme étendus sur une croix invisible , pétrifié dans une catalepsie de prière qui rappelle les extases des sannyasis indiens

,n

aqu’

une importance secondaire . Le personnage principal da tableau est le -lion . l l

s’ é tal e , i l s

’allonge,il se lèche les pattes

,il

prend ses aises ; à le voir, on sent qu’ ilest le seigneur du logis . Par un sentiment de charité

,il souffre dan s sa caverne

ce pauvre saint,si vieux

,si cassé

,si maigri ,

si consumé d’

ebstinenœ et de macération,

qui d’ailleurs ne vaudrait rien du tout à

manger . Lui , sa cuisine est mieux fourniedes carcasses de bê te et des squelettes

d ’homme, qui blanchissent aux premiers

plans,son t la preuve qu’il ne j eûne pas

comme son commensal . M . Penguilly- I’

Ha

ridon a regardé ce suj et,qu’ont traité tant

de pein tres, par un a ngle particulier : le

ménage de la bê te fauve et de l ’ascè tc .

Dan s le paysage , l’artis te apporte la

même recherche et la même singulari té curieuse . I l n e s e contente pas du premiers ite venu et de des asp e c ts vulgaires qu’ontrouve au bout du pin ceau . Loin du chemin d cs hommes , l e long des bai es dés ertes , dan s les cri ques connues du goeland et de l a mouette , i l va en quête deroches aux configurations étranges et

monstrueuses,d ’

horizons bizarrement déchiquetés de mers gleuques ou céruléonn es ,et , avec une exactitude de daguerréo type ,i l reprodui t des s ites scrupuleusementvrai s qu ’ on croira i t pri s dans la lune ou

dan s Mars, tant i ls diffèren t des aspects

qu’on a l ’habitude de voi r . L es Rochers d u

Grand —Paon (î le de Brehat) cau sent cetteimpress ion . F igurez - vous un e ntassementde roches tumul tueuses

,affectan t toutes les

formes e t colorées par l es rayon s roses dusole il couchant . L

Océan s ’ est creusé dan sleur gran i t un bass in où dort une eau

couleu r d ’

aigue-marine que le vol rap ide

d ’

une mouette raye d ’

un s i l lage d iamanté .

Des o iseaux de mer,confian ts comme au

premi er j our de la création . s’

ébatten t ou

: e r t osrn t s ur les ro ches . Si le n ce . se l i«tude , immen si té on dirai t un paysage dela p lanète avant l ’apparition de l ’homme .

P H IL IP P E . Une d ifficulté particul i erese présen te dans les portraits de comédiens .

La personnal ité physique de ces arti stesexposés tous les soirs au feu de la rampeest généralement connue

,mais sous un

aspect artificiel , pour ain si dire . Le blanc,

le rouge,toute la palette du maqui l lage

,

les perruques de nuances diverses,sans

compter les coiffures et les costumes leurcomposent un e physionomie factice qui ,très— souvent , d iffère de leur physionomi e àla vil l e . En outre

,on voit au théâtre leurs

figures éclairées de bas en haut , car lesc omédiens ont leur solei l à leu rs pieds

,

tandis que le res te des mo rtels l ’a eu

dessus de la tête,ce qui déplace tous les

plans et met l es lumières où sont les ombres

,à peu près comme dans un cliché de

daguerréotypc .

En p eignan t l ’art iste comme i l se ré‘ïè le dans l ’in timi té de la vie ord inaire , ous

’expose à fa ire un portrai t fort ressem

blan t qu i n’

est reconnu d e personn e

feu, de vie et d’ intelligence . Un fond mêlé

de verdure et de fleurs encadre gaiement lej eune Prince , tranquille et fi er sur sa monture lilliputienne .

Le Tourn an t , chevaux d e tra i t frança is,montre que M . Pichet peut faire , sans lemoindre embarras , des portraits équestres .

Il connaît l ’anatomie et l es allures du cheval . Le por traitiste est doubl é chez lui d ’

un

pei ntre hippi que .

P I C O U . F ermez — l ui l a porte au n ez ,

i l ren trera p ar l a fen être . Pour qui connaîtles habitudes de M . Picon i l n ’est pas d i fficile de deviner que le voleur, l

importun

en ques tion , c’est l ’Amour . Une viei lle ma

trone brandissant un gourdin,verrouille la

porte du boudoir , tandis que la bel le filleblonde confiée à sa garde, étendue sur un

l it en désordre,ouvre la fenêtre au petit

Dieu, qui pénètre hardiment dans le place ,

quand la vieille le croit en train de se lamenter a la porte . Une couleur gaie et claire

,

des draperies largement disposées,animent

cette peti te toile ingénieusement et élégantment traitée .

P I EDAGNEL Nous citons avecd ’autant plus de plais ir la belle 00pie sur

porcelaine d ’après l a Jeann e d ’

Aragon ,de

grand regret , disparaî tre ce t art difficile etcharmant . La copie , sur porcelaine

,d

un

chef— d ’

œuvre sur panneau ou sur toile , luiassure

,par son inaltérabil ité , comme une

seconde j eunesse et une vie nouvel le . Dansquelques s iècles , c

’es t à ces plaques sorti esdu feu ,

et incorruptibles comme lui , qu’il

faudra demander le souvenir des Léonardde Vinci , des Raphaël , des Titien , envolés àj amais de leurs cadres . M

"ePiedagnel , é l ève

de M “3 Turgan , a rendu avec une scrupu

leuse fidélité de ligne et de couleur cettebeauté souveraine , un des plus merveilleuxportraits sortis du pinceau de Raphaël .

P LA SSAN . M . Plassen devien t, sanscontredit

,un des maîtres de l’école micro »

scopique . Son tableau intitulé l a F ami l levaut un Meissonier . Dans un grand l it abaldaquin

,adossé à la haute muraill e d une

grande salle de château ,repose la j eune

mère ; - une autre femme lui appor te un

poupon qui tend ses peti ts b ras vers le

sein rose que lui présente l’

accouchée . Prèsd ’ elle , accoudé à une table , le mari travaille et l it

,distrait , par in stan ts , par le ,hé

edes deux femmes . Au fond , une servantefait sécher des lenges devan t un feu clai r

qui brûle dans la haute cheminée . Cettetoi le n ’

occupe guère plus de p lace que lesquelques l ignes que nous lui consacréns, etce pendant tout y est si finement dessiné

,si

bien propor tionné , qu’ on y respire à l’aise .

Une jeune femme en jupe de soiebleue foui lle dans son étagère

,en combrée

de chinoiseries , obj ets en vieux Sexe, deces mille riens

,bimbeloterie de l ’amour et

d u souven i r . Chaque matin , san s dou te ,elle fa i t sa Visi te au t iroir ; c

’est l ’oratoire où elle vient chercher sa rêverie de laj ournée .

Ma lgré ses d imension s inusitées,l e Re

p as d e fiança i l l es n ous pla î t moins , commeeffet

, que les précédents tab leaux . Autourd ’

une g rande table carrée son t rangés despersonnages en cos tume Loui s X I I I . Surle devan t

,un caval ier se lève et porte la

santé du j eune couple placé à gauche ; lefutur baise ga lammen t la ma in de sa tian

ven ir d e C rimée) de M . Protais un sentiment poétique et triste , un accent doul oureux et nostalgique d ’

un grand effet . Perdudans l a plaine , un sol dat vêtu de la capotebleu— gri s

,les mains appuyées sur l e ca

non de son fusi l , lève les yeux au ciel ;i l n ’est plus en Crimée , il est au pays ; sap ensée es t par tie pour son vil lage , jusqu

’aumoment où le cri lointain de la s en tinelle ,qu’on distingue dans la brume d

’automne ,viendra le tirer de sa rêveri e . M . Protais

a trouvé ce qu’on p eut app e ler la poésiedu so ldat .La M arc/2e l e so ir (camp agn e d

I ta l ie)représente des chasseurs à pied

,cheminent,

harassés,sur une route grise et poudreuse .

Les clairons essoufflés n ’ont plus la forcede soutenir la marche ; les hommes pliéssous le poids du sac vont la tê te basse , lep ied lourd . Le so lei l se couche derrière unrideau de poussière qui estompe les conleurs sombres de l’uniforme . Savent- ils oùils vont , quand ils s

arrê teront ? Le champde bataille est p eut - être au bout de laroute , i ls l

espèrent sans doute ; cela les reposera . Deux Bl essse

'

s,un Franç ais et un

Autrich ien , gi scht, abandonnés ou oublié :

sur le terrain fa ib lemen t ondulé . L’

Al le

mand se traîn e sur le ventre pour atte indrele gourde que lui tend le Françai s étendusur le dos . La nuit vien t, le ciel est d

unesérénité iron ique

,les étoiles s ’allumen t à leur

heure e t à leur place,san s se préoccuper

des horreurs qu’elles vont éclairer . Ce con

traste est fort b ien exprimé dan s le tableaude M . Proteis

, qui sort des banal ités dontce suj et a fourn i le prétexte .

Nous parlerons incessamment,dans unar

ticle sp écial , des autres toiles exposées parM . Proteis .

QUANT IN . Le S a in t É tienne a l l an t

au martyre, de M . Quen tin , est une de cestoiles pleines de mérite

,mais qui n

ettirent pas l ’œil . — Ou pourrait passer d ix foisdevant el les sans l es voir .

— Quand on s ’yarrê te , on trouve que la composit ion est

sage,bien en tendue , que l e dessin est

pur ; que la coul eur , sans ê tre bonne , n’est

pas mauvaise ; on cherche un defaut , i l n’y

en a pas, de choquant du moins . L’art iste

sai t son mé tier , il a étud ié les maî tres .

Son tableau , p lacé d ans une ég l ise,y tien

dra son rang . Il n’y manque que la vie , le

tempérament, l’originali té .

n on p a ssi bus requ is . ( traces du christianisme, charmantes sœurs théologales

,est

ce donc vrai que vous quittez ainsi notrevieux monde ? Ce serait dommage , carM . Ranvier vous a donné des é légan ces florentines, des sveltesses à la Primetice bienregrettables .

Dans les Ægip ans autre tableau deM . Ranvier

,les personnages ont moins

d ’ importance : Ils s e fondent avec la natured

une manière panthéiste . A travers lesrousseurs d ’

un soleil couchant,sous les ar

bres de la forêt,les demi-dieux à pieds de

chèvre apparaissent comme des b êtes fauvesl e front dans l e rayon , le pied fourchu

d an s l ’ombre .

R EYN AUD .— Cé $Marsei l lais on t vra imen t

le d iable au corps ! Le sol ei l phocéenleur chauffe la cervelle et leur infuse l esentiment de la couleur quand ils débarquent en I tal ie d ’

un paquebo t de lacompagnie Baz in

,i l s savent déj à sur le

bout du doigt le ciel d ’azur , la mer bleue ,le s murailles blanches

,les terrains rissolés

,

les te ints de bis tre,les hail lons p ittores

ques , on d irait qu i ls ne son t pas sortis

de chez eux . M . Reynaud peint les typesi taliens avec une aisance

,une familiarité

,

et un lai sser- aller incomparables . Qu’ i lssont charmants ces lazzaron i vautrés sur l em

ôle de Naples dans toutes les délices du

far n ien te/ Quels glorieux coquins , quels fainéants superbes ! Que ls yeux de d iamantnoir dans leurs masques hâlés ! Quels corpsde bronze sous leurs cabans rapiécés t— I lschantent

,j ouent de la guitare et regardent

fumer le Vésuve . O bienheureuæ existence !Les Abruz z iens N01 ) l 88 représentent la

descente vers la ville de cette colonie sauvage chassée de la montagne par la misère . On ne saurait imaginer types plus farouches , costumes plus pittoresquementdéguen illés .

A ces deux tableaux si carac térist iquesnous préférons encore les J eunes fi l les d esAbruzzes . Sous un ciel d ’

un b leu d ’

indigo,sur un chemin blanc de poussière , une fil

lette et une petite fille aux jupons bridésaux tabliers à frange , marchent en belan=

çant leurs mains unies . L’

une d ’elles renverse la tê te et lance en l ’air un e fusée denotes , quelque j oyeux chant appris à l ’êcole des oiseaux .

Pour nous ce tableau est adorabl e .

i s

Ri BOT. Les marm i tons n’on t pl us rien

à envier aux croque —morts ; eux auss i on tleur pein tre , leur Spéc ial iste . M Rub0t atrouvé l e côté pi ttoresque de la ve s te etde la ca sque tte blanches ; i l a sais i lesaspects vari és d e ce tte intéressan te et modes te ins ti tuti on

,e t tra i te les divers épi

sodes de la vie cu isinière avec une verveet une touche originales qui réj ouiraientV élasquez .

R IED EL — Quand les Allemands se mettent à ê tre coloristes , il s n

y vont pas parquatre chemins . M . Riedel a donné a511e

,sur

sa palette,a tous les tous que proscrivent

de leurs fresques palingénésiques Corné liuset son austère école . La couleur ne lui suffit même plus il fai t de la pyrotechnie .

Son tab leau des B a »

gneuses ressemble à cettedevanture de boutique où l ’on voit allumées

,le soir

,des lanternes en forme de

fl eurs , d’o ranges

,d ’étoiles , d

’oiseaux,pour

les i llumina tions des j ardins . Les corps,

écla i rés en dedans,ne reço ivent pas la lu

1n 1ère , ils la répandent . On d ira1t ces personnages transparents qui figurent dans laféerie du P ied d e mou ton ,

et qui porten t

ment c ’ est un ar titicier en pein ture . l l combine

,au lieu de couleurs

,des phosphores

,

des feux de Bengale bleus et rouges , et enéclaire ses poupées .

Une Jeune fil l e d e F rasea l z‘

,environs de

Rome,serait assez j oli e si elle n ’avait tout

un côté de la figure et du corps incendiépar un reflet métallique venant

on ne s aitd ’où , et qui éteint le côté lumineux naturel lemen t . Il y a de la grâce dans l ’ajustemen t et dans le sourire .

Quan t à l a M oretta,j eune paysanne des

environs de Rome , dont le nom peut setraduire par Brunette , M . Riedel , au l ieude la dorer d ’

une chaude teinte de bi stre,

jugé à propos de lui passer sur l e mas

que, la poi trine et les bras , une couche d eviolet d

encre , le tout dans l’intention defaire bri l ler un petit luisan t j aune sur lebord extrême du conteur . On ne peut n ier

que l e luisan t ne brille , mais n ous euss ionsmieux aimé voir tou t simplement en plein .lumière le visage de More tta .

— Pourquoi,

diabl e , emporter toujours le sole il au fonddu tableau et l e cacher derrière un écran ?M . Riedel jouit en Al lemagne d ’

une

grande réputation . I l n ’est pas de rési

32 4

den ce royale , n i de galerie publique , quine con tiennent quelques -unes de ses to il espayées très—cher . La ÿ inacothèque deMunich en montre plusi eurs avec orgue il .

R O DAKOW SKI . Sous une colonnademagnifique , te l l e qu

’en bâ tit Paul Véron èse ,Sobieski

,roi de Pol ogne , vê tu d

une pél isse amarante doublée de fourrure , et

coiffé d ’

un bonnet de forme singul ière,se

tien t debout . fi er et hautain . Devan t lu isont prosternés l es ambassadeurs d ’

Autri

che et le n once du pape , implorant le secours de ses armes pour chasser le Turc

qui assiége Vienne . La composi tion s’

équi

libre b ien d’

un cô té,le ro i

,derrière l e

quel se pressent ses l i eutenants e t s es soldats costumés à l ’orien tale ; gauche

,l es

ambassadeurs humili és e t suppl ian ts .

N ’ oub l ions pas ce grand l é vri er placé dansun angl e du tableau et qui témo igne despréoccupations vénitiennes de M . Rodakowshi .

R O US SE AU (Philippe ) . — N’allez pasrêver .

à propos de ce ti tre M usique de chambre,

un quatuor de Bach,de Haydn ou de

Mozart , religieusemt n t exécute dans un

cabinet aux boiseries gri ses , par de vieuxamateurs en habit feuille morte en tourterel le . I l s ’agit bien de cela , en vérité !Bouchez vos orei l les en regardan t l a

toi l e . L’

harmon ie est un vacarme , le virtuose un quadrumane . Avec M . Ph . Rouseau

,animal i er de pro fession

,il faut s ’at

tendre à ces tours- là . Un siege de gran detail le , profi t an t de l

’absen ce d e son maî tre ,é tud ie sur la grosse caisse un e parti e deviolon fripée

,déchi rée et posée

'

à l ’ envers .

l l y va de ses qua tre mains,exal té et ravi

par le bru it qu’

i l fai t . Ave c quel le j oyeusefurie i l ma rtè l e la peau d ’âne à coups detampon , san s souci de la crever ! comme ilse eramponne du pouce de son pied à unedes cordes de la caisse ! l es yeux lui sorten t de la tê te , ses nerines palp i ten t de jubil ati »n . On sent qu ’ i l a la conscience deson talent !La C u is ine est un de ces suj ets qu ’a i

fectionne M . Phi l ip pe Rousseau et auxquels

i l sait touj ours donner d e l ’ in térê t par sabel le coul eur sob re et chaude , par son exéoutien large et puissan te .

SAB A '

I‘

IE R Elève deMeisson ier ou plutôt d

’elle — même,

Sabati er fait à l ’hui le de charman ts portraits

qui on t toute la déli catesse de la miniature .

Dans ces peti tes tê tes , grandes commel’ongle et qu’on pourrait monter en broche ,il y a une finesse de couleur , une suavitéde modelé et un espri t de touche qu’ il serai t difficile, sinon impossible , d

’obtenir surivoire . Les portraits d ’enfant désignés sousces ti tres Portra i ts d e M“° M ar ie L . et d e

M“9 Jeanne S . , sont d ’

une fraîcheur et

d ’

une j eunesse de ton adorables . La j eunefemme

,vêtue de noir, est charmante ,

mais nous lui préféron s encore le portraitde l ’auteur

, qui nous montre de profi l unetête que M . Ri card fai t voir de face dansune toile devenue célèbre .

S e nu ne — Les deux d essin s de M . Schu

ler on t un grand aspect de sévérité , renduplus sensible encore par l ’effet de la menochromie Les Solda ts d éfricheurs brouettent la terre arrachent les souches d ’

ar

bre piochent et bêchent avec une ardeurmem e et discipl inée où se résument lanature du soldat et celle du paysan . Le

C ava l ier d‘

a la rme,dans les Vosges , lan c é

au galop de son petit cheval hérissé , à travers les broussailles éclairées fantastiquement par les brusques intermitten ces de lalantern e sourde qu’ il tient a la main

,est

d ’

une composition plus fougueuse et assezsauvage , avec son vi llage qui commence àbrûler dans le fond . En outre de ces deuxdessins

,M . Schuler a exposé un tableau

Les Emigran ts a lsa c iens . Tris tement assissur leur tri ste bagage , attendant l e moment de s

embarquer ils sont là plongésdans une s orte d ’

anéantissement et d ’

hébé

tude,accablés par la vague intuition de

l ’ immensité où i ls vont se lancer et par lesouvenir de ce qu’ il s laissent derrière eux .

Un peintre aussi habile à se servir de laterre d ’ombre et du bitume se trouve a sonaise lorsqu’ il tient à sa disposi tion toutes lesnotes du clavier p ittoresque ; c

’est assez

dire que la p einture de M . Schuler est sel ide comme son dessin .

S C H UT Z ENB ERGER .— C

esl une agréablesurprise qu ’

une fantais ie antique de M .

Schutzenberger . L’

Arcadie ne lui réuss itpas moins b ien que l

Alsace,sa patrie na

turel le et la patrie de son talent . On diraitqu’ il a é té toute sa vie berger d ’

églegue au

service de Théocrite ou de Virgile , à voirla manière aisée

,élégante et poétique d on t

i l s e tire de ce genre nouveau pour lui .Au milieu d

un paysage idyl l ique ayantpour horizon l’azur d ’

un e mer grecque ,

Terp sy chore, la Muse de la danse , formeaux évolutions rhythmiques de son art unadole scen t et une j eune fille qu’elle tien tpar la main

,leur faisant répé ter les pas

dessinés par elle - même sur le court gazonsemé de fleurèttes. Ri en n ’est plus gracieux

que c e groupe svelte , juvénile , aérien , découpant ses lignes pures dans une nuditémv thologique . L

’orchestre se compose d ’

un

berger j ouan t de la double flûte , d’

une enfaut promenant ses l èvres sur la flûte dePau et d ’

une femme marquan t la cadenceave c des cymbal es Au fond

,dans sa

328

de son paquet d herbe,elle penche sur son

sein ému s a tête rougissante et confuse .

Le garde , le bras appuyé contre un arbre , s ’ incl ine tendremen t vers e ll e . Une

transaction est sur le poin t de se conclure .

La forêt est d iscrète,et les petits o iseaux

ne diront rien .

Gessner serait content du tableau int ituléIdy l l e a l lema nd e, tout empreint de naïvetégerman ique . Près d ’

une fontain e rustique àange de bois , une j eune fille et un j eunegarçon se sont rencontrés , par hasard sansdoute , et ils s e tiennent debout, gauches,interd i ts , osant à peine se regarder mais

que d’amour dans ce tte bê tise Dans l e

B ra conn ier a l’

afi zlt,le paysage domine .

L’automne a effeuillé la forêt , et les branches menues s

en tre- croisen t sur un cielcrépusculaire ; au bout des allées , la brumepasse son estompe , et des hardes de daims ,rassurées p ar le silence et la solitude , serisquen t hors des fourrés . Au premier plan ,caché derrière le tronc d

un gros arbre,le

braconnier,immobile e t le cœur palpi tant ,

saisit lentement son arme le coup vapartir ; la troupe aux pieds légers s

en

l'

uira effrayée par la dé tenation ; mai s un

pauvre an imal , une tache rouge au flancrestera sur le gazon j onché de feuillesmortes ; car ces braconn iers on t le coupd ’œi l infai llible de Bas— de— Cui r . M . Schutzenberger a très—bien rendu l ’eff et triste ,solennel et mysté rieux de ce tte scène .

Un pein tre de marine serait fier d ’

a

voir fai t l a M a rée ba sse,souvenir de Bre

tagne . La mer , en s e retirant , a laissédans les sables des flaques d

’eau miroitantes où pataugent

,les pieds nus , des femmes

et des enfants portant des p an iers de poisson . Que lques barques échouées , et que l eflot prochain viendra reprendre

,rompen t à

propos l ’horizontal ité des l ignes . Un

ciel clair,mêlé de nuages blan cs et d ’azur

,

remp l it tout le haut de la toi l e,car le poin t

de vue e st pris bas .

S IEURA C . M . Sieurac a concentré dansune toile relativement pet ite les magnificences et la pompe d ’

un Tr iomp he roma in . Celase passe au beau temps de la républ iqueFabius Gurges , une première fois battu parles Samnites , les a taillés en p ièces, secondépar son père , Fabius Maximus , qui a uo

blement offert de servir sous ses ordres il a

— 330

venge la honte des Fourches— Caudines . Dansun char de forme circulai re , le triomphateur ,peint de vermillon

,se tient d ebout . Un

homme placé derrière lui dans le char élèveau- dessus de sa tê te une couronne de laurier .

Fabius Maximus chevauche à côté de sonfi ls

,au mi lieu d ’

une troupe d’en fants quileur j et tent des bouffées d ’

en cens. En avantmarchent les prisonniers Pontius B erennius leur chef

,placé sur une p late—forme

,

pré cede immédiatemen t le vainqueur .

Les sacrifi cateurs et l es victimes forment

,en te te du cortège

, une longue fi l eso l enn el le et gravissent la rampe qui

mène au Capitole , qui , avec ses fortifications et son temple de Jupiter

,domine et

clô t la composition . Les sénateurs , en robeblanche bordée de pourpre , s

étagen t sur

les marches et se groupen t sous la co lonnade d ’

un portique qui s’é tend au pied de

la forteresse . Par un patient et ingénieuxtravai l de recons ti tuti on

,M . Sieurac a donné

à cette scène un mouvemen t réel , une animation fami l ière , qui rendent son tableaufort intéressant et rachèten t ce que la con

leur et les procédés peuven t laisser a désirer .

mes et l ’admiration des hommes . Mais quesignifie le Bouquet j eté négligemment surla console ? Sans doute un amoureux dédaigné en a fait l’envoi . Venu d ’

une mainchère , i l serait précieusement install é dansun cornet du Japon plein d ’eau fraîche .

Pe ut- ê tre s era- t- il mi eux accueilli,ce

pauvre bouquet, chez Une veuve. Étalantson deu il sur le capiton d ’

un divan cerise,

une j eune veuve,à demi consolée

,regarde

d’

un air attendri la gerbe de fleurs qu’ illumine un gai rayon de solei l . Les pensées funèbres s ’ envolent

,les larmes s’

éva

percut comme des gouttes de rosée,le sou

rire va renaître,car un nouvel amour pal

pite déj à sous ces voiles de crêp e .

Un F â clzeuæ . F âcheux en effet , Bartho l oou duègne

,celui qui dérange cette j olie Bo

sine en train d ’écrire un poulet ! El le se lève,

court à la porte ; de papier et de plume , i ln ’y a plus trace ; mais , à défaut de sontrouble , une peti te tache no ire a son doigtpourrait bien la trahir

,car les littérateurs de

profession savent seuls écrire sans se maculer d ’encre et sans faire de pâtés ,

c ’est à cela qu’on les reconnaî t,disai t gra

vement Balzac , le grand observateur .

Est- elle bonne ou mauvaise l a nouvel l e

que l it cette j eune fille habillée d e blanc ?

Favorab le plutô t,car un léger sourire se

dessine sur ses l èvres . La dame qui s’ap

prê tait a sortir est rentrée . Nous la reconnaissons à sa robe en moire feuille morteet à son cachemire j aune . Sous ce ti tre

,

Une mère,elle donne a teter au petit nour

rissom qui dormait tout à l’heure sous ses

rideaux de mousseline dans son berceau desatin bleu de ciel . Un enfant adoré à coupsûr ! La bonne mère , sans prendre le tempsde changer de toilette

,a entr ’ouvert son cor

sage et livre les trésors de son sein au cheraffamé . Monsieur l ’amoureux

,adressez

vos bouquets ailleurs !M . Alfred Stevens traite ces petites scènes ,

qui pourraient aisément ê tre fades , d’

un

pinceau ferme,dans une couleur harmo

nieuse et sobre . Nous ne lui reprocherons

que l’

abus des lignes noires cernant les contours ; ces traits de force , qui détachent lesfigures des tinées à être vues de loin

,sont

trop V isibl es dans les tableaux de chevalet .

STEVEN S (Joseph) . Rarement les Hollandais et les F lamands on t mieux fait que

1 9

3 3 4

l a C uis ine de M . Joseph Stevens . C 'estun intérieur qui n

’ est animé par aucunefigure pas d ’

intéressante cuisin ière épluchant les légumes en écoutant un amoureux accoudé sur la fenêtre

,pas de mar

miton en toque blanche léchant son doigtbeurré de sauce . M . Joseph Stevens a dédaigné ces artifices vulgaires ; il a peintavec une austérité magistrale la cheminéeaux tons de bistre , les fourneaux plaquésd e faï ence

,sans autres acteurs que les

grand s chenêts de fer , le tournebrochedentu

,les casserol es pelles comme des

boucliers antiques,les chaudrons rayon

nan ts,les cafeti ères bavardes ; tout cela est

d '

une couleur si vraie , s i for te et si bel le ,d’

un rendu s i large et en même temps siexact , qu

’on s ’arrê te devant l a C u is ine

comme devant un Pierre de Hooge .

Le C oin d u feu est gardé par un chiende chasse gravement ass i s sur son derrièree t par un chat noir qui se roul e voluptueusement dan s les cendres . Il fait s i bon là !La marmi te , lé chée par les flammes , bourdonne et fai t la basse aux notes s triden tesdu gri llon .

Il n ’est pas à beaucoup près aussi à son

T IDEM AND . On n ’a pas oubl i é

marquable exposi tion par laquelle sevé la , en 1 855

,M . Tidemand . La Toi lette

d e l a fiancée en Norwe'

ge continue la sériedes scèn es de cette vi e scandinave à laquel le nous a initiés le p eintre . La j eune

tement croisées sur lesur ou une amie lui matteses de ch eveux blonds en

haute couronne toute découpée à j our lacoiffe a la facon d

une sain te Vierge . Sapoitrine e t son col rui ssellent de chaînes

,

de croix , d’

agrafes et de col l i ers ; mai s lavieille mère

,trouvan t sans doute que cela

ne suffit pas,ti re d ’

un é crin rustique etpatriarcal de nouveaux bij oux à dessinsantiques

,bossel és de cabochons grossie

rement enchâssés , merveilles ignorées

qui pourraient figurer dan s un bal costumé ou dans une collection de curiosités .

De peti ts enfants naï fs,rencogn és dans un

angle,contempl ent avec une vénération

admirative la j eune idole , qui se laissefaire

,immobile et les yeux baissés . Des

tap is de laine,brochés d ’

arabesques ensoie grossière

,couvren t les murailles de

bois ; d’autres tapis pendent perpend icu

lairemen t du plafond comme des bandesd ’air aux fri ses d

'

un théâtre . Tout cemonde est honnête , placide et recueilli . La

peinture de M . Tidemand est solide et

calme , comme ses suj ets et ses personnages .

T IMB AL . Un S ermon d e sa in te Rose

d e Vi terbe , de M . Timbal,est un tab leau

d’

un style élevé et pur et d ’

un profondsentiment religieux . La j eune sainte , âgéede douze an s , prêche dans la rue; elle élèveau ciel ses petites mainsjointes, et ses conci toyens

,évêques , moines , hommes d

’armes , bourgeo is , l ecoutent avec respect etoublien t leurs discordes . Une couleursobre , harmonieuse et douce , revêt cette

33 8

compositi on où revit , sans pas tiche , l’ es

prit du moyen âge .

T I S S OT .— Au voleur ! au voleur ! pour

rait crier M . Leys devant la peinture deM . Tissot ; il m

’a pris mon individualité ,ma peau , comme un larron de nuit emporte un vê tement lai ssé sur une chaise .

— A cela M . Ti sso t répondrait qu’ il a beancoup étudié Van Eyk , Albert Dürer , LucasCranach , Wohlgemuth, Martin Schongauer ,Holbein et les vieux maî tres allemandscomme l ’a fait M . Leys lui -même . Ao

cep tons cet te réponse pour valab le , car ily a beauc oup de talent chez M . Tisso t , et

l e pastiche pouss é à ce point de perfectionvaut presque un e oeuvre originale .

Voie d es fleurs , voie d es p l eurs , composi tion symbolique qu

accompagne cettel igne de latin funèbre Penetran tes in

in ter iora mor t is,rappelle les fantaisi es

macabres de la Danse des morts au cimetiere de Bâle . Sur la crête d ’

un coteause détachant en vigueur d ’

un ciel pâle ,nuancé de rongeurs comme les j oues d

un

phthisique , dé fi lé dans l ’ordre suivan t. l ’étrange procession . En tê te , la Mort , d égui

3 4 0

suivie par la Luxure sénile agi tant à sesoreilles , d ’

une main décharnée,des bour

ses p l eines d e ducats . La Mort fermela marche

,comme elle l ’ouvrait . Son ac

coutremen t est des plus b izarres : e l leporte une cuirass e ; ses tibias flottent dansdes bottes a chaudron ; un cercueil lacoiffe , pendant derrière ell e comme laqueue d ’

une cagoule . Au rebord extrêmedu coteau , aimable peti t détai l qu

’ i l n e fautpas oub l ier appara i ssent deux pied sd ’homme assassiné

,don t le corps gî t sur

l ’autre revers .

Au premier plan , parmi les pierres , lesbroussailles et les flaques d

’eau , en démêled e petits squelettes d ’enfant sacrifiés au

Molo ch du libertinage .

Le fantastique cortège découpe sur labande lumineuse du tableau la silhouettela plus bizarrement tailladée . Les lanières ,l es lambrequins et le s déchiquetures en

barbe d ’

écrevisse d u vieux costume al lemand

,voltigent sous l e pinceau de l ’artiste

d ’

une façon si farouche,s i héraldique , s i

moyen âge, que les personnages semblen t

sortir d ’

un vitrage suisse ou d’

un jeu de

tarots ; mais quelle finesse de couleur ,

3 4 1

quelle curiosi té de détail,quelle intimi té

de sentiment go thique !M . Tissot a illustré la légende de Mar

gueri te en tro is tableaux qui la résumen tl a Rencon tre de Faust et M arguer i te

Faust et M arguer i te aujard in ,M a rgueri te

a l’

office. N ’est- cc pas , en effet , toute l’

bistoire de la pauvre Gretchen ? L’amour

,l a

faute et l e repen tir . La rencontre al ieu sous l e porche d ’

une vi eille égl i seallemande

,his toriée d ’

auven ts à pili ersrouges , de calvai res et de christs au tombeau ,

d’

un goût minutieusemen t archai

que . De bons bourgeoi s von t et viennent

,curi eusement habil lés

,pendan t que

Faust salue la naïve enfan t et lui offreson bras . Les amandiers aux fleursroses e t blanches abriten t la scène d ’amour , e t par—dessus la murail le basse duj ardin l a découpure d ’

une vi l le gothiquedentelle l ’horizon avec ses clochers

,se s p i

gnon s po intus et se s tours en poivrière .

L’égl ise où Marguerite enten d l ’office

est bi en faite pour insp irer l ’épouvan teun Christ sculpté , en bois

, un colli erd

eæ— voto au col,se to rd sur la croix

comme un cep de vigne au feu ,exprimant

3 4 2

d’

atroces to rtures et de ses maigres brassembl e maudire l enfant coupable tombéeà demi év:m ouie sur un banc

,au chant

lugubre du Dies iræ .

Citons en core le portrait de M M . P

d ’

une expression si féminine et s i indéfinissable .

T O UL M O U C H E . Après quelques vell éités néo - grecques , M . Toulmouche s ’ est.voué définitivement au sentiment et à lafami lle . Le meilleur moyen de se faire comprend re

,c ’est de parler la langue de tout.

l e monde . M . Toulmouche a pensé ainsi ,et

, du res te son talent est suffisamm en trobuste pour résister au régime un peu

affadissant auquel il le soumet .

Le Premier chagr in . Quel le douleur profonde et sérieuse chez cette petit e fil le enrobe blanche et ceinture rose , tenan t en treses mains déso lées l e cadavre de son chardonneret favori ! La première affection n

a

mène— t— elle fatalement l e premier chagrin !La mè re a beau l ’embrasser

,lui développe r

dan s quel que d émonstration a sa portée ledogme de la métempsyco se , l

’ enfant,aver

l’

in crédu l ité opin iâtre parti cul i ère. à son

blancs,aux toits bas soutenus par des

p i l iers emmaillotés de pampres et de feui llages grimpants

,où fumen t des Turcs ac

croupis ! Cette année,l ’artiste a élargi son

cercle ; le bas Danube va faire concurrenceà l

Asie Mineure . Le tableau inti tulé F l aman ts et Ibis est d ’

un effet assez origina l .Sur la surface calme d ’

une eau bleue bordée d ’

une plage basse,des oiseaux roses

et blancs plongent , volètent et s’

ébattent al eur ai se , car ils sont les seuls personnagesde cette scène . On ne saurait croire l ’an imation que ces o iseaux p ittoresques donn ent au paysage ; c

’est une vraie trouvaille

qu’

a faite là M . de Tournemin e . D ’

autresauraient pein t des Valaques farouches , desbachi—bozoucks déguenil lès , des tz iganesà poses simiesques ; lui a imaginé l

’effetde flamant et d ’ ib is ! c ’est un élément nouveau et un prétexte à touches roses .

T O URNEUX .— M . Tourneux a sans doute

en pitié de cet honnêteWagner , trop oubliéd e ceux qui exploitent la vieille légende deFaust , effacé qu

’ il est par ’éclat de Mèphistophé lès et la grâce d e tl retchen . Dans letabl eau de M . Tourneux , Faust est. encore

le vieux savant dissertant sur les vanités dela science

,avec son docile e t naï f famu lus.

Ils on t dépassé la porte où se diverti ssaien tles paysans e t les soldats , et gravissen t lacolline acciden tée du haut de laquelle ondis tingue, fondus par les broui llards , lesflèches , les aigui lles et les pignons de lavi l le . Les deux personnages marchent d ’

un

pas philosophique , se détachant sur un cielverdâtre haché de rouge , qui fai t pressentir

ses cercles de feu.

3 4 6

T r a — Nous espérions voir au Salonla Vénus anadgomène et l

An tigone deM . Gabriel Tyr il ne les a pas finies àtemps . Nous le regrettons , car ell es eu

rai ent montré sous un j our nouveau cetéminent artis te

,absorbé jusqu ’à présent

par la peinture religieuse . En art ,M . Tyrest chrétien , mais c

’ est un Grec baptisécomme V . Orsel, son maître . I l n ’

a envoyéqu’

un portrait e t qu’

un pastel . Le portraitest celui de M“Marie C .

,qu

’on prendraitpour une Transtèverine

,tant le type en est

fier et sévèrement accusé . M . Tyr a renduavec l e dessin sévère et le style ferme qu i luisont propres cette caractéristique physionomie . Le masque , les mains sont admirabl ement modelés

,l es pli s de la robe foui l

lés comme dans le marbre,mais peut —être

le ton gris de l’

étoffe et le ton rouge dufond forment- ils un contraste un peu brus

que .

L’

Etude d e jeune fil le n ’a rien de commun avec ce qu ’on entend par pastel .

On dirait plutôt un fragment de fresque ende peinture à l ’eau d ’œuf d ’

un ancien mai

tre de l ’ école de Sienne .

V ALER I — Cette fois , M .Valerie a quittéses chers Tsiganes , avec lesquels il a silongtemps vécu en familiarité e t qu ’ il aimecomme les aimai t le poète Lenau. I l estallé planter sa tente pittoresque à Sienne

,

une ville en dehors du courant des touri stes , triste , silencieuse et farouche

,où les

types se sont conservés purs , et qui n’a pas

encore subi les outrages d e la civilisationmoderne . Voilà deux étés qu i l passe ladans la solitude

,étudian t sur les fresques

les maîtres de cette primitive école deSienne , si admirable et si peu connue , dèterminant non sans peine quelque bellefille sauvagement dèfian te à poser pour lui .Le type fémin in siennois, car généralementles hommes n e sont pas beaux

,est svel te

,

mince,élégant , d

une finesse un peu maigre , mais ple ine de caractère . La nature

B i ll

de Rachel , l’illustre tragédienne , en don

nerait assez l ’idée . M . Valerie s ’ est attachéa le rendre avec ses nuan ces les plus dé l icates dans de gracieuses compos itions , carchez lui , en tre l ’artiste

,il y a encore

l’

ethnographe préoccup é des races , mêmel orsqu ’il semble ne chercher que l e beau .

Le cadre le plus important qu ’

ai t expo séM . Valerie

'

est l e Ghetto d e S ienne . Au

coin d ’

une rue ,dont des arcs —boutants

étayent le s murs,s

en castre une fon tainede l ’architecture la plus simple une

niche bordée de claveaux , une ange depi erre où tombe l ’eau ,

c ’est tout . Mais unefon taine est un li en de réunion . Les femmes y viennent remplir l eurs cruches oul eurs amphores et causer des nouvel les duquartier . Le babil coule de leurs lèvrescomme l ’eau du rob inet qui déborde parfois de l ’urne oubl iée . Le costume desfemmes de Sienne n ’a pas ce tte riche fantaisie que les peintres recherchent dans levestiaire italien . Une camisol e d ’

indienn e

rose ou l ilas,l e plu s souvent sur une jupe

de couleur sombre,des cheveux rej etés

vers les tempes et noués négligemment auchignon ne composent pas

,en apparence

,

eo

seu

un e mise bien pittoresque Heureusemen tla camisole

,sur ces bustes aux formes pu

res,se drap e comme un p éplum ; la jupe ,

qu ’aucune crino l ine ne gonfle de sesmensonges fait des plis d ’

un simpl ici tésculptural e , et ces cheveux , que jamaismain de coiffeur n ’a touchés , semblen t arrangés d ’après d ’

antiques médail les syracusain es. Elles son t là trois l ’une inelinant un vase pour rempl ir une j arre poséesur la margelle pavée de l a fontaine ; l

au

tre debou t, dans une de ces fières attitu

des que donne aux femmes du Midi l’babi

tude de porter de l ’ eau , tien t une cruchede la main dro ite

,et , de la gauche, en place

une seconde un rebord de la vasque pourrecueillir le jet .

Une fi llette,vêtue d ’

un jupon et d ’

un echemise

,un mouchoir noué au co l , s

a

dosse au mur,le po ing sur la hanche , en

attendant son tour . Une autre,a peu

prè s du même âge,ayant fait sa provision

d ’eau,s ’ éloigne

, un pain sous le bras . Surla margelle de la fontaine est assis une è s

pèce d e galan t. la veste au co in de l’épaule ,

l ’ air bravach e et fort satisfait de lui-même .

N ’oublions pas un pe tit enfant dont l ’uni

recherché les modèles vivan ts dans l e peuple qui l es avait j adis fournis . I l les a rétrouvés en effet au fond de ces pauvresdemeures aux murs de p ierrailles , aux

portes et aux volets peints en rouge,le

long de ces rues é troites,escarp ées

,sol i

taires,avan t conservé intacte la physiono

mie du moyen âge . Ces belles têtes tristes .ces profils d ’

une arête s i pure qui semb lent appartenir à l ’ id éal

,exi sten t touj ours .

L’ar ti ste attentif en rencontre au co in des

carrefours qu’on pourrait cro ire détachésd ’

une fresque de la cathédrale .

Dans trois autres tableaux d ’

une importance moindre . M . Valerio présen té sousd iverses faces ses types favoris , Fortan a ta

, une J eune femme tressa n t d e l a

p a i l le , et , sous le ti tre de l’

O isea u,un e

autrejeune fil le de Sienne accoudée à unefenê tre

,prè s d ’

une cage,et découpan t

sur un fond de lumière éclatante une s ilhouette d ’

une fierté singul ière . La

Muse tragique,s i e l le voulait se manifes

ter comme aux temps de la mythologie ,n e p rendrai t pas un autre profil .C itons encore un magnifique dess in ,

d’

après une femme de Sienne . L’absence

de couleur laisse paraître davan tage lagrandeur des lignes et lui enlève toutevulgarité moderne on pourrait l ecroi re fait d ’après une statue antique inconnue .

Comme peintre à l ’huile , M . Valerie ,

qui s’étai t con tenté longtemp s d ’être un

de nos premiers aquare llis te s,a beaucoup

gagné ; son coloris prend de l ’harmonie, de l ’épaisseur e t de la sol idité . Le

moyen qui le gênai t d’abord ne le préoc

cupe p lus il est maître de sa palette et deson pinceau .

V ERL AT .— M . Verlat a remisé son tom

bereau ,congéd i é ses charretiers

, d écharge

ses moel lon s,et l e voilà revenu a sa vé

ritable voie . L’artiste séri eux reparaî t

dans le tableau intitul é Au loup ! L’an i

mal a en levé un mouton , mais i l a manquéson coup on l ’a rejoin t à la l isière dubois . Un chi en lui a santé à la gorge , et ,quoique terrassé , l

ètrangle avec acharnement . La pauvre bête fauve tourn e la têteavec une exmession de férocité impu issan teet d ’angoisse suprême ; car un paysan , précédé d ’

un second chien,va enfoncer sa

20.

fourche dans le flanc de l ’anima l traqué .

Une j eune paysanne,blonde

,abritée der

rière un bui sson , désigne l e monstre avecun geste d ’

épouvan te . Cette scèn e est fortdramdfiquemen t ren due les bê tes s ’emm êlen t et se bousculent avec furie autourdu mouton ; l es pel -ages se confonden t . Leloup hurle b ien son dernier cri . Un fourré ,grassement pe int

,sert de fond au tableau

et l aisse toute la valeur à la scène p rin cipale

V ETTER . On s e rappelle le succès

qu’

obtinrent l e M ol ière et l e Rabela is deM . Vetter , deux fines et précieuses p eintures

,dign es en tout point de leur réus

site .— Cette année , l

’artiste a exposé deuxtableaux qui soutiennent la réputation qu

’ils

’ est faite : Bern ard Pa l issy et l a Déc l a rat ion . Le Bernard Pal i ssy a é té acqui s parla loteri e don t il forme un des plus b eauxlots .

Les lignes suivantes , insérées au l ivre t ett irées des mémo ires de Bernard Palissylui—même , exp l iquent , on n e peu t mieux

,

la si tuation reprodui te par le peintre .

J’

estois en un e telle angoisse que j e

3 56

la curios ité recherche si ardemmen t ; maisdans que l état

,grand Dieu ! cassés

,cre

vassès, tombés en pâ te, vitrifiés, informescomme des s cories ; et pourtant avec quelso in

,avec quel art, avec que l le précau

tion ces charmantes fantaisies céramiquesavaien t - el les été modelées ! Mais s ous l ’action da feu , l

’émail s ’est l osangé de cra

qnelures, l es vern is on t cou lé , les cou leurschangé de ton aucune pi èce n ’est présentab le . D ’autres vases attendent sur des tablettes l ’heure d ’ ê tre mis au fourneau . Seront— i l s plus heureux ?Au second plan , sous un rayon de ln

mière,se dessinent plusieurs personnages

que la femme de Palissy est allée chercher

pour lesprendre à témoin de la folie obstinéedu pauvre homme . E lle leur montre d ’

un

geste éploré le misérable état où il est rèduit

,la nudi té de l ’atel ier et le fourneau

touj ours fumant . Un docteur en longuerobe noire

,coi ffé du bonnet carré , apparte

nant au genre des ânes sérieux,la main

sous le coude et se caressan t le menton,

dé cide in p etto que Bernard Palissy n ’est

qu’

un fel à interdire ; cet avis semble partagé . Un homme a pourpoint tailladé

35 1

acquiesce d’

un'

signe de tête ; quant au

jeune seigneur , debout derrière ce groupe ,il promène vaguement dans l e tand is un

regard distrait . Une commère , placée prèsde la femme de Pal issy

,un poupon sur le bras

et l ’autre à la main,ne serait pas éloignée

de prendre le malheureux inventeur pourun sorcier

,car ses yeux expriment une

s orte de terreur respectueuse .

Près de la p orte se tiennen t des ou

vriers des potiers de terre jaloux dePal issy

,sans doute ; l

un examine , enriant

,un plat manqué

,l ’autre porte le

doigt à son fron t pour indiquer que là estla véritable fêlure , l

’étoile à la boî te osseusepar où s ’est enfuie la raison du bonhomme .

La bê tise routin ière , se moquant des hard iesses du génie

,ri t sur l eurs faces égueu

lées . Un e viei l le femme et quelques silhouettes de voisins se discernent dansl

in terstice des groupes .

M . Vetter possède un pinceau d ’

unegrande finesse et une couleur très -harmo

n ieuse . Ses figures son t modelé es dansleurs plans , et le détail des accesso ires ,quoique précieux , n

a rien de sec . SonBernard Pa l issy est une œuvre remarqua

338

b l e . Nous aimons aussi beaucoup l a Déc laration

,un tout p e tit cadre très - charmant .

Ésquissons- le en quelques mots . Un raffiné , en costume de taffetas incarnadin , lep ied avancé

,l e j arret tendu

,off re

,avec

une révérence , une fleur à une jeune damedont la robe bleue ouverte laisse vo irune jupe de satin blanc

,digne de Gaspar

Nestcher . La dame est assise sur un fan

teu il à dossier p lat et à pieds en quenoui l lestyle Louis XIII

,près d ’

une table reconverte d ’

un tapis turc et d’

un n apperon d e

guipure { el le sourit au caval ier d ’

un airsi agréable que la suivante discrète juge apropos de se retirer et s’

esquive en fermant la portière de tapisseri e .

V EYRA SS AT . Les paysages de Veyrassat sont dénués de tout artifice ils sontsimples comme la véri té . Deux ou troischarrettes chargées de gerbes

,arrêtées au

bord d ’

une p etite rivière , forment l e suj etde la M oisson à E z auv i l l e. Au delà du rui sseau

,la ferme aligne ses bâtiments à l ’en

trée d ’

une plaine bornée par un p etit bois .

Les Chevaux d e ha l age stationnent surla berge , groupés d evan t une chaumière a

autant sous cette forme que sous la première .

V O IL L EM O T .— Pourquoi M . Voillemot

a—t— ii donné à sa Nymphe du p r in temp sdes formes si puissantes , une pose si onvertemen t voluptueuse ? L ’ idée du printemps éveille cel le de beauté naissante , defraîcheur virginal e ; le printemps e st laj eunesse de l ’année , et la nymphe deM . Voil lemot nous semble un e femme faite ,pour laquelle l ’ été sera une décadence .

Elle est debout au milieu d ’

un bosquet ;un petit amour cherche à écarter le vo iletransparent qui gl isse sur ses genoux ; unautre se hausse fami l ièrement jusqu’à sabouche . Cup idon , carquois au dos, marchedevan t el le , secouant son flambeau

,don t

les étincelles ont sans doute allumé déjàl ’ incendie chez la jeune femme , car ellese contourne e t rej ette la tête en arrière

,

dénouant ses cheveux , entr’ouvran t la bon

che et fermant à demi les yeux .— Quel nuage

a pu venir poser sa vi lain e touche noiresur l ’amour bien de ces deux j eunes gens ?Ils se bouden t sérieusement et se tournentle des ; mais le peti t dieu , qui les trouve

36 1

trop beaux pour les laisser faire,est glissé

entre eux deux , et , tiran t l’

un e par son

vo ile , l’autre par sa courte tuni que , il les

rapproche insensiblement en sourian t deleur enfan tillage . M . Voillemot a prodiguédans ces deux toiles ces ton s roses , nacrése t vaporeux dont il a le secret .

W A SH IN GTON . M . Washington n ’ad

américain que le nom , Dieu merci ! Sapeinture e st toute française

,elle es t même

marsei llaise , ainsi que le preuve, par sestons violents , sa Fami l l e a rabe d e l a tr ibu

d es Ou l ed -Nay ! arrêtéep rès d’

un p u i ts d e

l’

Oued -Souf (Saha ra ) . Au bord d'

un peti t

pui ts que cercle une margelle de terre durcie et que surmonte une charpen te destinéesans doute à élever l ’eau , le dromadaire ,monté par une femme tenant un enfant entreses bras , fait sa provision d ’eau pour latraversée—dn désert

,tandis que l

’homme remplit une j arre . Un petit âne

,surchargé de

bagages,attend modestement à quelques

pas en arrière de son grand camarade . Une

épaisse verdure d'

easis revê t cette scènepatriarcale d ’

une ombre nette et bleue,

fe rmement arrê tée à ses Con tours par une

Z IEM . Quand une foi s un peintre s ’estengagé dans les canaux de Ven ise , i l n

en

sort plus,et ce n ’est pas nous

,certes,

qui l’

en blâmerons . La Vénus de l ’Adriatique a des séductions si puissantes

,elle

vous retient avec de si molles caresses,elle

vous b erce si doucement sur son cœur envous chantant ses vieilles chansons en fantines

, que pour elle on oub lie la maisonpaternelle e t les amis et les maî tresses .

Ceux qui l’ont vue et qu’

un devoir imperieux a forcés de partir en gardent unenostalg ie incurable . M . Z iem es t de ceuxlà. I l a bien essay é de l ’Orien t pour seguérir

,mais Stamboul ne vaut pas Venise ,

la mer de Marmara ne vaut pas les Lagunes,

la gondole l ’emporte sur l e ca‘

ique, e t levoilà qui fai t de sa vil le chérie une espècede p a in ( l

OM et en arrange l es vues en

365

triptyque comme pour les mettre sur un

autel . Au centre est l a p la ce S a in tM arc

,le cœur de Venise . Sur un volet

,l e

p on t des S oup irs sur l ’autre,le p a la is

d es Doges et le l ion de S a in t-M arc . C’est

une vraie dévotion .

Z o .— Nous certifions authentiques et

conformes à l ’original ces G i tanos du

mon te S agrado, à Grenade . Voilà bien lechemin blan c de poussière avec ses escar

pements hérissés de cactus et ses tameres

de troglodytes que nous avons suivi tant”de

fois . Là— bas,au delà du ravin de los Avel

lanos,se dessinent l ’Alhambra et le palais

de Charles —Quint . Ces gitanos , noirs commedes Maures d ’

Afrique, nous les reconnaissons ; ces gitanas au teint de cigare , aux

yeux de diamant noir , à la jupe bleue étoiléeet garnie de falbalas en loques

,ont dansé

devant nous le zorongo, les pieds nus dansdes chaussons de satin .

Cette F ami l l e d e bohémiens en voyage,

nous nous sommes rencontré avec el le dansune posada d ’

Andalousie . Nous avonsdonné des

°

piécettes aux enfants et des cigares aux hommes

,peut—être même bien

aux femmes,et , la connaissance ai1 1 5 1 fai te ,

nous les avons regardés danser,nous les

avons écoutés chanter , tout en regrettantde ne pas mieux comprendre le mystérieux idiome colo que les b ohémiens parlent entre eux .

M . l e possède la lumi ere crue,aveu

glante,implacable

,n écessaire pour peindre

cette nature incendiée de so leil . I l a aussi lacambrure et la fierté de pose de l ’Espagnepi caresque drapant sa gueuserie avec sonarrogance .

Z UB ER -B UHLER . Les Trouble— Fête,

souvenir d ’

une noce aux environs de Paris ,nous plairaient

, SI l’élément comique y do

minait moins , pour le mouvement de lascène , la vérité des types et la facture habile de l ’ ensemble . La mariée

, qui pleuredans un coin

,est fort j olie

,e t nous regret

tons que sa noce soi t s i désagréablementtroublée . Cette bataille en tre des Centaures et des Lapinhes de banlieue tourneun peu trop au Paul d e Koch .

Mais , dans l a Visi te chez la nourr ice,

nous pouvons louer M . Zuber - Buhler sansrestriction . Une mère parisienne , qui

BATAI LL E S

M M . PXL S , A RM AND -DL M A RE SQ ,B EAU C É , Pa r na

NOSTRE , YV ON , JANET - LANG E , DEV I L LY ,RIGO ,

C OUV ERC B E L , B ELLANGÉ.

Pour les batailles , nous ne suivrons pasl ’ord re alphabé tique comme pour les autrestabl eaux . E l les sont la plupart suspenduesdans le grand salon , sans égard à la lettreinitiale que peut présenter le nom de leursauteurs , mais d

’après des con venan ces devois inage ou de d imension . La pein ture debata i l le est

,du reste

, un art par ticuli eret tou t moderne .

— Sans doute,on a peint

autrefo is des batailles , mais l es artis tes nes

astreignaien t pas a une fidé l ité histori

que et mili taire que personne , d’ai l leurs

,

ne l eur demandait , et qu’on exige aujour

d’

hui assez raisonnabl ement,puisque les

2 1

3 70

faits son t connus d e tout l e monde . I lsgroupaient ou faisaient se heurter à l eurfantaisi e des combattants imaginaires

,pré

texte à des contraste s d e couleur ou à desdéveloppements anatomiques , donnan t plutôt l ’ idée abstraite de l a guerre que la re

présentati on pré cis e de telle ou telle batail l e . C

’ est ain si que , dan s un ordre élevé ,procédèren t Léonard de Vin ci , Michel—Ange ,Raphaël et Lebrun ; et , dans un ordre inférieur

,Salvato r Rosa

,Aniel lo F alcone

,l e

Bourguignon et d ’autre s inutiles à rappeler .

Le choc de caval i ers,l e carton de la

guerre d e Pise,la batail le de Constan tin

et de Maxence,cel les d ’

Alexandre,l e com

bat de Sal vator,malgré son énergique mê

lée,les rencontres de cava lerie et les é s

carmouehes tant de foi s répé tées des an

cions pein tres adonnés a ce genre , n’of

frent aux artistes de no tre temps chargésde rendre un grand fait d ’

armes qu’

unsuj et d ’é tude puremen t p i ttoresque . La

batai l le st ratégique ne date guè re que deVan der Meulen . Encore

,dans la rep ré

sentation des campagnes du grand roi ,Louis XIV et les carrosses d e la cour occu

op ter en tre ces deux parti s à prendre , quichacun offren t leurs inconvén ients .

B ien des connaissances sp éciales son tnécessaires au pein tre de batail le . I l do itsavoir faire l es chevaux , le paysage

,l e

portrait ; posséder sur le bout du doigt lesmille détails de l ’uniforme , de l

’armementet de la manœuvre , ce n ’est pas peu dechose .

— Ou ne se conten te pas aujourd’hui

des monstres chimériques qu ’on accep ta i t

jad is‘

pour des chevaux : la facilité des voyages a rendu familiers a tou t le monde l 'aspeet et le climat des l ieux ; les générauxe t les officiers mis en scène exi stent

, du

moins ceux qu’

un boule t ou une ba l le n ’apas emportés au mil ieu du triomphe ; l

’onpeut les rencontrer dans le grand salon ré

gardant l a bataille qu’ i ls commandaien t .Trompez — vous d ’

un bouton de guê treou d

un passe— poil,faites exécuter un mou

vemen t faux à un so ldat,le premier zouave

qui passe devien t un cri tique cœnpétent .Nous ne parlons pas des exigences géné

rale s de l ’art, de la composition , du dessinet de la couleur. Les lignes stratégiquescontrarient l es groupes savamment balannés , l es mouvements voulus dérangent le

contour plein de style , les tons réglemen

taires de l ’uniforme s ’opposent parfois ades harmonies ou à des contrastes rêvés parle peintre ; eh bien , tout cela n

’a pas empêché M Pils de faire un excellent tableaul a Ba ta i l le d e l

Alma .

Ce n ’est pas,à proprement parler

,une

batai lle , puisqu’on ne s ’y bat point

,mais

une grande manœuvre de guerre irrésisti=

blé et décisive , admi rablement propre à lapeinture . Nous transcrivons les lignesde la noti ce insérée au livret , qui donnen tl ’historique du fait d ’armes

,avant de passer

à la description de l ’ œuvre .

A onze heures , la deuxœme divis ion ,commandée par le général Bosquet

,fran

chit Son artillerie , sous les or

dres du commandan t B irra l (batteries Fievee et Robinot-Marcy) , accomplit des prodiges . Montan t en colonnes par p iècessu ivan t des sen tiers à p eine tracés et pres

qué impraticables , elle avait escaladé avecune rap id ité extraordinai re ces hauteursregardées ccmme Cette manœuvre hard ie , exécutée par le généralBosquet

,a décidé d u succès de l a jou r

3 7 4

M . Pi ls en cadré ce tte manœuvrehardie dans une vaste toile , et au pre

mier plan ses hommes ont la grandeur naturelle . L

Alma vient battre le bord ducadre . Dans ses eaux troub lées , l e généralBosquet s ’avance à cheval , suivi de ses officiers et de son porte- fanion . Des turcos,submergés jusqu’aux genoux , le précèden tsur deux files , l e fusi l à l

’épaule .

Ces figu res au teint bronzé,aux tempes

rasées et bleuissan tes, fournissaient à l’ar

tis te peintre d ’excellentes o ccasions de couleur dont i l a très - bien profi té . Leur pittoresque costume algé rien , leurs physiomomies carac téri s ti ques et leurs allures indolemmen t farouches , font un con trasteheureux avec l ’uniforme sévè re des artilleurs . L

un d ’eux,déj à parvenu à l ’

an

tre rive,s

agenouil le et se penche pourrempl ir sa gourde . Une p i è ce d ’

artil

lerio,en levée par son pu issan t attelage et

poussée à b ras d ’homme,franchit l ’escar

pement du bord en y traçan t de pro fondssil lages . Les tambours des turcos , la cais sesur l

’épaule ou sur l a hanche , gravissen t lapen te à côté d e la pièce que d

’autres attelages précéd en t sur le revers abrupt de

L’

effet général d u tableau est harmo

n ieux . Les premiers plans , d’

une couleursobre et sol ide , repoussent les fonds , et lalumière détache au flanc de la montagnela fourmillante ascension d ’

une multitudede figurin es

,si justes de mouvement qu ’ il

semble qu’

on les vo ie marcher .

Disons encore à la louange de M . Pilsqu ’ il a su rompre san s mensonge ce bleuréfractaire des uniformes

, que les uns fontbien de ciel , l es autres indigo , ceux - cinoir

,ceux— là gris

,mais personne de la

nuance vraie . Les chevaux ont une bonneal lure ; ils n e sont pas sat inés et moirésde lu isants comme s ’ i ls sortaien t d ’

un

box anglai s,mais ils déplo ient la vigueur

du cheva l de guerre et tirent à pleincoll i er .

Le titre B a ta i l l e d e Solfer ino, donné

par M . Armand—Dumarescq à son tableau,

serait bien amb i tieux s ’il n ’é tait tout desuite corrigé par l e sous —ti tre Ep isod e d eschasseurs d p ierl . Et d ’abord c et ép i sodevaut - i l les hon neurs d ’

une s i grande to ile ?

Trai té d ans des dimensi ons moindres,il

n 'aurai t rien perdu , ce nous semble , deson in térê t

,et les conveuaures de propor

tion entre le suj et e t l ’ œuvre eussen trendu la critique moins exigeante .

Rien n ’est plus singulier d ’aspect que letableau de M . Armand-Dumarescq .

- Sur letalus intérieur li de terrain qui lesmasque

,parm i roussail les e t quelques

grêles arbres écimés , égratignés , amputéspar les boulets , les chasseurs à pied sontcouchés à plat ventre , prêts à faire feu , vus

en raccourci et présentant à l’œil une sériede semelles à gros clous . C ’est , vous en conviendrez

,un étrange premier plan Ces

diables de semel les ont une importanceénorme . Les corps qu ’ elles chaussent étantdiminués par une perspective d irecte , e llessemblent plus grandes qu’elles n e le sonten réalité . Un officier se hausse à demi pourcommander le feu au moment précis , et l eclairon agenouillé approche le cuivre de sabouche pour que la fanfare éclate en mêmetemps que la fusillade .

En effet,une batterie d ’artillerie antri

chienne arrive au plein vol de ses chevauxanimés par les coups de fouet et les dé tonat ions ; un officier galope en tête , le pistolet à la main

,le sabre attaché au poing .

ne s ’attendent pas à la grêle de balles qui

— 3 7 8

le va saluer au passage . Au loin s ’étend lechamp de batai lle avec ses mouvements detroupes , ses monceaux de b lessés et demorts

,ses col lines surmontées de tours

,ses

masses de fumée , ses denælures de montagnes et son ciel orageux , haché , dans uncoin ,

d ’

une pluie diagonal e .

Faut- i l d ire toute notre impre ssi on Sansdoute la guerre a ses exigences , et ce serai t s’

attend rir hors de propos que de fairede l a sens ib lerie sur un champ de b a tai lle .

L’

embuscade est un moyen de dé trui re l ’ennemi qui en vaut un autre ; et , certes , ceux

qui courent au - devan t de la mitrai ll e ontle droi t d e l ’emp loyer . Cependan t ce la nousf’

ro isse un p eu de voir ces pauvres d iablesd

Autrich iens qui galopent avec tan t deconfiance

,se croyan t re lativement en sû

reté,arriver devant ces chasseurs à pied ,

rasés contre terre comme des Mohicans , etprêts à le s canarder . Nous leur crieri onsvolontiers Ne passez pas là . L

’artisteaurait pu trouve 1 aisément un fait d

’armesplus propre à mettre en lumière l

roïsme de ces braves chasseurs à pied quece t épisode i l eût peut- ê tre évi té ain si derappeler une li thographi e b ien connue de

“ 380

corps dans la plaine qui s etend entre cedernier point et la ferme de Casa—Nueva .

Le maréchal occupe avec son état—maj or lecentre et le premier plan de la compos ition , à quelque distance de la ferme sur

laquelle se porte l ’effort de l ’ennemi et quicommence à brûler et à s

écrouler . Toutela gauche du tableau est occupée par uneformidable artillerie , rangée en arc decercle et qui i ntercepte inébranlablement comme dit le l ivret lescommunications des Autri chiens avec ceuxdes leurs qui défenden t Solferino ; à deuxkilomètres au delà

,on distingue leurs lignes

blanches rayant la plaine et se con fondent

avec la fumée de l ’artil leri e e t des“ feux depeloton . Sur la droite , la batterie se prolonge

,perpendiculairement au plan du ta

bleau,pour prendre l ’ennemi à revers .

Derrière l’etat—maj or , sur un terrain parsemé çà et là d

’arbres décapités et écorchés

par les boulets , au milieu d’

une cohue defantassins

,de caval iers

,de caissons et de

fourgons,s ’avance une colonne de prison

niers autrichiens ; un soldat conduisant àl’

ambulance un officier supérieur resté à

cheval malgré sa blessure mortel le,un ré

giment de hussards dont on n’

aperçoit que

les premiers rangs et qui attend son tourde donner

,remplissent la droite du tableau,

qui figure , pour ainsi dire , la couli sse decet immense théâtre . Des nuages

,amoncelés

du côté de Sol ferino , commencent à se déverser en pluie sur l ’ennemi et vont lui fac il iter la retraite en cachant ses mouvements .

Malgré son immense développemen t,la

composition s’équi libre b ien , et le spectateur saisit au

premier coup d’ œ il l ’e sprit

de cette manœuvre qui restera célèbre .

M . Beaucé a vu ce qu ’ il a peint,e t san s

chercher à rehausser son tableau (1 ep i

sodes sentimentaux et invraisemblables,i l

a fait quelque chose d ’

émouvan t, de grandet de vrai .I l y a beaucoup de mouvement dan s l a

Ba ta i l l e d e S olfer ino de M . Paternostre .

L’

Empereu r, arrêté à in i - cote d ’

un monticule

,donne l ’ordre à l’arti lleri e de la garde

de se mettre en bat terie devant Cavriana .

Des attelages ivres de brui t et d e pour sedressent et se renversent au premier p lan ;défilant devant l ’Empereur , il s gagnen tau ga lop leur position et graviss ent l a

3 82

c rê te de la colline . L’effet de ces silhouet

tes de caval iers , de canons et de chevauxcabrés

,se détachant en vigueur sur un

ciel o rageux illuminé par un e éclairciesubite

,est vraiment fantastique .

Au l ieu d ’

intituler son tab leau Ba ta i l l ed e Solfer ino , M . Yvon aurai t dû le désiguer sous le titre de l ’Emp ereur a Solfer ino, il se serait par là évité bien des critiques . Tout en e ffet , dans ce tte to ile , converge vers l ’Empereur ; la ba taille , reportéeà l ’arrière-plan , se distingue à p eine , cachée en partie par la hauteur sur laquelleest placé l e Souverain .

L’

Empereur donne au général Camoul ’ordre d ’envoyer la brigade Manèque

(garde impériale) appuyer la division F0rcy ( i

" corps) et s’emparer de la position

de Solferino . Tel est le tex te et l e véritab le titre de l ’œuvre d e M . Yvon . É tabliau sommet du mont Fén i le , l

Empereur

étend la main dans la direction de Solferino , d ont on voi t la tour se dresser au

fond du tab leau . Le général Camou ,à qui

s ’adressent le geste et l ’ordre de l ’Empereur, salue et passe au galop , escaladantla pente abrupte du mo n tic ule que tourne

38 4

façon de M . Yvon . L’

Emp ereur et sa ma i

son mi l ita ire S olfer ino offre une ré unionfort intéressante de portrai ts ; mais la gêneimposée à l ’arti ste par la nécess ité de laressemblance amène une certain e ro i deurdans l ’ exécution et dans la pose des personnages. Heureusement les blesses , lescadavres, les affûts brisés , les caisses crevées, les chevaux éventrés , que M . JanetLange a entassés sur la droite de son tableau ,

nous rappe l lent que nous assisto n sa une vraie bataille .

Le Dénoûmen t de la journ ée de Solfer ino, de M . Devilly , est d

un aspect assezlugubre . L

’orage, qui a menacé toute la

matinée, et que nous connaissons déjà par

les tab leaux précédents,vient d ’

éclater,fa

vorisant la retraite de l ’armée autrichienne .

L’

Empereur , du haut d ’

un mamelon quidomine la plaine

,suit , avec sa lorgnette , les

mouvements de l ’ennemi . On s ’ est terriblement battu sur ce petit plateau . C

est,

par

terre,au milieu des d ébris d ’armes et d ’

ob

j ets d ’équipement,un pôle- mêle d ’

Autri

e l1 iens et de turcos . L’

acharnemen t de lalutte persiste enœ re sur leurs visages décolorés par la mort, car les nègres ont leur

pâleur , tout aussi sensible et tout aussi al’

frea se que celle des blancs . Une pluie torrentiel le strie le fond du tableau et perme tapeine de distinguer la tour de Solferino cen

tre de l ’action multiple de la terribl e bataille . Nous ne pouvons mieux clore quepar cet épisode final la série des peinturesinspirées par la grande j ournée du 2 4

,

juin1 859 .

Parmi les tableaux qui ont trait à la bataille de Magenta

,nous citerons une mêlée

de M . Rigo , représentant le C omba t d eM arca l lo . Français et Autrichiens

,engagés

corps à corps , occupent le devant de lacomposition . A gauche

,la lutte plus op i

n iâ tre et plus sanglante encore se groupeautour d

un drapeau autrichien qu’

unzouave vient d ’

arracher à ses défenseurs .

Plus loin on voit déboucher , d’

un boi s quiborne l ’horizon

,de nouvelles troupes qui

vont amener le succès des nôtres .

La ba ta i l le de M agen ta , de M . Couverche], n

’ est encore qu’

un épi sode,traité, il

est vrai , avec beaucoup de vigueur et desûreté . Des chasseurs

,lancés dans un ter

rain planté de vignes et d ’arbres,les uns

debout . l es autres coupé . par l es boul ets ,

fondent de toute l a rap idité de leurs chevaux arabes sur les tirailleurs ennemis .

Derri ere eux s e pressent les zouaves et lesgrenadiers —auxquels ils ont ouvert l e chemin . Cela est mouvementé , sans confus ion ,et fort habi lemen t pein t .On sait l ’habileté spirituelle de M . Hip

polyte Bel langé à manœuvrer ses troupesc ’est un des généraux de la peinture de hataille . Il a exposé plusieurs tableaux où l ’onretrouve ses qual ités ordinaires L e Com

ba t d ans l es rues d e M agen ta Un carré

d’

infan ter ie républ ica in e rep oussa n t un e

cha rge d e dragons autr ichiens . L’espace

nous manque pour en parler,mais nous

dirons quelques mots de la toile intituléeLes Deux Amis

, qui est une note nouvelledans l e talent de l

artiste,la note attendrie ,

la note du cœur

Et tels avaient vécu les deux jeunes amis,

Tels on les retrouvait dans l e trépas unis.

l ieux amis,deux frères d ’armes on t été

tués devan t Sébastopo l l’

un à côté del’au tre Leurs agonies se sont cherchéeset leurs cadavres on t gardé l ’at ti tude del

embrassemen t sup rême .

SC UL P TURE

M M . C L ÉSING E R , GA V E L I E R , GU I L L A UM E , G .- J

TH OM AS , F ERRAUD , BARRE , M A1 L L L T,M ARC ELL I N .

SC H O EN EW E RKE , O TT IN , FRAN C ESC H I , LE HAR IV E LDUROC H ER CORDI ER

,PO LL ET , F RÉM I ET , GASTON

GUITTON , SAN ZEL , C H ATRO USSE ,RO B INE T , PRO UH A ,

AIZEL IN , CUM B ERW ORTH , C LÈRE , C B AU CK ,ETEX .

Le bel art de la statuaire disparaî trai tbien vite san s le dévouemen t des fidèles

qui le pratiquent . Le publ ic y res te indifférent et ne descend guère au j ardin oùsont exposées les sculptu res que pour fumer son cigare ; la dernière bouffé e exha

lée, i l remonte en toute hâte aux galeriesdes tableaux . Quoique au fon d il ait un

respect vague pour le sculpteur e t le po e te ,parce que le marbre et le vers son t dursà façonner , il trouve les s tatues et les poé

22

si es également ennuyeuses . Cette formeabstraite lui dép laî t. Pas de suj et i ntéressent

,pas de drame , pas d

’actual it é .

Cela ne fait pas son affaire . D ’ai l leurs,i l

faut bien l e d i re , la statuaire , s i naturell eà la Grèce , sous une religio n anthropomorphe , n

’ est dans notre ci vi lisati on chrétienne qu ’

une fleur de serre chaude,

fleurprécieuse et qu’on doi t n e pas laiss e rmourir . Nos mœurs , notre cl imat , lui sontinvolon tairement hostiles . Cet art , destinéaux glorificat ions de la forme humaine e t

qui ne peut v ivre que par le nu, choquenos pudeurs ou tout au moins nos habitudes . Un peuple touj ours vê tu des p i ed sà la tê te

,comme nous l e sommes , s

’étonneà l ’aspect de ces marbres découvran t avecla chasteté de l ’art des beau tés dont l ’Amour ose à peine soulever les voiles .

Commen t admirer e t j uger ce qu ’on n evo i t j amais ? et quo i d e plus inconnu àl ’homme ci vi lisé que sa propre formeSans l a sculpture , i l en perdrai t l

idée .

Malgré tous ces obstacles , les statuaire5persistent dans leu r ingrat métier ni l ’oub l»

,ni l e dé la issemcn t, n i la m isère n e les

découragent . I ls main tienn en t obstiné

louer les efforts courageux d es artistesvoués au maintien de ce grand art .M . Clésinger a envoyé de sa laborieuse

retraite de Rome des ouvrages qui n’attes

tent pas moins son talent que sa fécon

dité . Le principal est un group e en marbre de C om él z

'

e mon tran t ses d eux fil s,bij oux vivants don t se pare son orgueil demère romaine , dédaigneuse des coll iersd’or et des unions de perles . Sa beautéfière a bien le type anti que . De chastesdraperies se plissent respectueusement autour de son noble corps , et les deux eu

fauts,dans leur grâce puérile , ont une

énergie qui fai t déj à pressentir les Gracques .

L’aspect da groupe est monumental .

Corné lie trône au centre sur son tabouret ,comme une d ivinité du foyer romain , commeun symbole de la maternité v irile ses deuxfil s, qu

’elle a poussés au—devant de la damevisi teuse qui lui demandai t à voir ses j oyaux ,se détachent de chaque côté avec une symétrie heureusement balancée .

Pour sculp ter ce groupe , M . Clésinger acherché les lignes pures et tranqui lles del ’antiqui té et modéré la fougue qui caracté

rise sa manière . Il n’

a pas voulu montrer sa personnalité à travers son suj et . Cornél ie et ses fils ont le cachet de la statuaireromaine ; le typ e des tê tes , la nature desformes , l

’agencement des draperies,tout

rappelle cet art , moins beau que celui desGrecs

,mais encore magnifique .

Une tel le œuvre eût paru à tout autreun envoi suffisant ; mais M . Cl ésinger nese contente pas de si peu. I l a exposé enoutre une Diane au rep as .

— La déesse ,fatiguée de la chasse

,s ’es t endormie sur

un bloc de rocher . L’

un de ses bras 3 arrondi t au—dessus de sa tê te ; l

’autre gl isselanguissamment le long du corps , retenantà demi les j avelots et l ’arc . Une draperie ,qui préserve sans la voiler l a beauté virginale de la déesse du contact de la p ierre ,accompagne de ses plis l ’ondulation des

l ignes,remplit les vides et assure la sol i

dité de l ’œuvre admirablement ramasséedans son bloc . A côté de Diane , un lé vrierdort, la tê te sur ses pattes .

La nature fine,souple et

nerveuse dela chasseresse a été b ien comprise et parfaitement rendue par M . Clésinger . On ré

connaî t,à la svel tesse él égante des j ambes

39 4

al longées dans le repos,l’

agile déesse qui

force les bi ches sur le Ménal e ; à la purefermeté du sein , la vierge des forê ts qui ,seul e avec Pa l las , n

’a pas partagé la grandeorgie o lympi enne . Ceux qui on t parléd

Endymion son t des fa iseurs de can can s ;et , d

’ail leurs,les affaires de Phébé ne ré

gardent pas Diane , non plus que cellesd

Hécate.

Rarement M . Cl ésinger a caressé un

tors e féminin d ’

un ciseau plus pur ; il s’est

abstenu de ces baisers ardents,de ces tod

ches de flamme dont la hardiesse lui réussit, se souvenan t qu

’ i l avait affaire à une

déesse vrrgmale et farouche sans p itié pourles téméraires .Comme si un groupe de trois p ersonna

ges et une figure en marbre n ’ étaien t pasassez

,l’

in fatigablesculpteur les faisait suivre

d ’

une Cléopâ tre , d’

une tête de Rome , d’

un

buste d ’

Hé lène à mi- corps , san s compterun essai de restauration appliqué à ces fi ‘

gures frus tes du Parthénon qu ’on désigne sous l e nom d e Parques . Ces

morceaux,arrivés trop tard

,n ’ont pu ê tre

placés que p endan t la fermeture temporairedu Salon .

lue. Le ventre , les flancs , la hanche qui serelève par un volup tueux contour

,sont in

diqués à travers la mince étoffe avec uneprodigi euse habileté de ciseau . La poitrine ,les bras

, que ne di ssimule aucun voile , ontcomme une fleur d ’

épiderme ; quant à latête , sa beauté délicate a bien le caractère

que lui attribue l’histoire .

Le buste d’

H él ène trahi t une certaineinfluence de Can ova qui s

’explique par lelong séj our de l 'arti ste à Rome , où abondent le s œuvres de ce statuaire , p roclamépar Sten dhal l e seul homme de génie dusiècle , avec Rossini et Vigano . Une éléganceal longée

,une grâ ce vaporeuse , une mol

lesse coquette se fondent à la beauté anti

que dans le buste de M . Cl ésinger , commedans le s typ es du grand sculp teur italienmais ressembler une fo is par hasard à Canova n ’ est pas un grand mal , quand onpossède soi-m ême une individualité franche

,et puis le mouvement de la main qui

j oue avec les perles du co l l ier , commepour donner une con tenance à la b ellecréature embarrassée des regards d ’amourfixés sur elle

,est si heureusement trouvé ,

s i féminin ,s i j o l i ! l ’arrangemen t de la

397

c oiffure et des cheveux tordus sur sa nu

que d’

un goû t si charmant !Dans le buste qui personn ifie Rome sous

la figure d ’

une femme du Transtévère ,

M . C lésinger est revenu à son original i té .

Cette tête aux lignes fières et pu i ssan tes es tdu plus grand caractère . Malgré la sévé

ri té du type,la grâce ne l ui manque

poin t,car le nom secret , le nom cabalisti

que de Roma est Amor .

La restauration des Parques , groupe enplâtre , comble ingénieusement et avec unebeauté probable les vides faits dans lesdivines sculptures

,non par le temps , il

est pur de ce sacrilége, — mais par la stup ide barbarie des hommes .

Une rencon tre d ’idées toute fortuite a

fa i t s ’occuper du même suj et deux artistes

, l’

un à Rome , l’autre à Paris . M . Ç a

vel ier , l’auteur de la Pén élop e, a exposé

une C aw e'

tt’

e avec ses enfan ts , placéeau Salon non loin de l a C om é l z

e deM . Clésinger . L

’œuvre de M . Cava lier estpleine de mérite , et chaque groupe a sespartisans . Celui de M . Cavel ier nous semble plus moderne de sentiment . Les enfantsse rattachent à la mère comme des enfants

2 3

398

gâ tés , et si les trois figures s’

agencent et selient mieux de la sorte , peut- ê tre l

’actionmême n ’es t— elle pas si bi en exprimée . Pourune matrone romaine , cette Corné lie serrant ses fi ls près d ’elle est un peu tendre etpas assez fière . Du reste , les têtes des enfauts sont charman tes , les draperies ajustées avec un goût parfait , et l

’ensemble del ’œuvre est digne de l ’auteur .

Le Nap ol éon l égis la teur représentel’

Empereur en costume an t ique , largementdrapé d ’

un manteau qui laisse les bras nus,couronné de laurier et tenant les tables dela loi . Sa tête un peu penchée a un caractere de médi tation profonde . C

’est le législateur et non le conquérant qu’ il s ’agissaitd ’exprimer . M . Cavelier y a complétementréussi . Le visage réunit à la ressemblanceexacte l 'idéalisation nécessaire quand onfait revivre dans le marb re un héros quel’

apothéose permet de dépoui ller du vê tement moderne .

Outre sa C ornél ie et son Nap oléon ,

M . Cavel ier a exposé un buste en marbred

Horace Vernet , traité d’

une facon supé

rieure .

Tou t à l ’heure nous comparions le

4 00

quelques vestiges incertains,le chaste poe te

qu ’on appelai t la vierge,le timide ami

d’

Auguste, de Mécène , d’

Horace et de Varius

,le trop modeste écrivain qui , par

testamen t, l ivrait l’

E ne'

zd e aux flammes .

Une mélancolie inconnue des anciens attendrit son regard , et, sur son front penché

,luit comme un rayon du ch rist ia

n isme près de naître et qu’ il semble eunon cer dans sa fameuse églogue . Jamaispoète antique ne fut plus humain , et , en cesen s , plus moderne . Chez lui

,sou s la

b eauté plastique , vibre l’accent du cœur .

S ’ il a la blancheur délicate du marbre , i ln

en a pas la fro ideur ; il devin e le premierla sensibilité et les larmes des choses , sun t/a crymæ rerum,

mot immortel et qui ouvretout un monde Aussi le moyen âge a— t— il

refusé de le damner , quoique paï en . N 'estil pas un prophè te ? e t , né quelques annéesplus tard , n

eût—i l pas embr‘

assé avec ferveur la religion nouvelle qu ’ il avai t p ressentie par une faveur par ticul ière de D ieu ?

Le farouche Dante , qui l’appelle son

maî tre et son auteur , le prend pour guidedans son voyage au monde souterrain , oùil erre exempt de suppl ices . Dejà la

4 01

erédulité nerve des âges barbares en ava 1 tfait un sain t, confondan t l e poè te avec lema rtyr .

L’artiste n ous montre Virg i l e debout

dans l‘a tt i tude de la m éd itat ion ; la dra

p e rie qu i se 1 hy lh rn€ autour de son c orps,

à pl is é légants et n ob le. lui laisse les braslib res D une mu n i l t i » n t un r

'

n u lr au d epapyrus su r leque l i l semb le r l ire l

hexa

mètre qu’

i l vi ent d e trace r ; de l’autre , le

style dont il note ses pensées . A ses pi eds .

un p ipeau , une gerb e et une ép ée symbo

l i s e n t l es B um / { ques, les Georg :‘

ques et

l’

É ne'

ide,les t rois genres de poeme où

i l a exce l é . Une couronne de lauri er C e i 11 tson fro n t rêveur et presse ses cheveuxd emi - tomban ts . Le masque rappell e un

peu-

le p rofi l que M . Ingres donne au poè tem +mouan réci tan t en présence d ’

Augusœ

et d e Livi e Tu M a rcel /us cr is . Une

ce rtain e langueur , qui n’

a l tère pas la pureté des l igues

,ind ique bien l a nature va

lé tud 1nwire de Vi rg1 le et la sup é ri orité chezlui de l ’homme mo ral sur l

homme physique . Les b ras

,quo ique su ffisamment

p l e in s, ne sont pas ceux d’

un ath é té ou

d’

un travailleur . Les mains on t l a dél ica

tesse é légan te . nerveuse et fi ne d e mainsl i ttéraires dont tout le la beur es t de fix e r lesparo les a i lées , — le. vers immor tels d es tinésà vo lt iger sur les lè vres des gén é ra tions .

Toute la figure s’

a jus te avec une. ra reélégance ; l e b ras rep l i e sur l a poitrine

,

comme p our in d i quer que l ’insp i rationprend sa source dans le cœur

,dis c ipl ine

la drape ri e , empê che les pl is d e flo tte r auhas ard

,et la fo rce à serrer le co rps . Ce tte

dispo s i tion heureu se d eg i ge la s ta tue et luiprê te une svel te s s e sans maigreur .

Une pure fo rme an ti que , animée par unsen time n t moderne comme l e s ve r s d ’

An

d ré Chén ier , tel est le Vi rgi le de M . G .

Thomas .

Quelle est la doul eur qui accabl e desa p ros trati on la remarquab l e figure deM . Perraud ? Est- ce un amour trahi , une

amb ition d é çue,une pe rte ir :é par .b le? Qu

a

so il ffert ce beau j eune homme a sis à terre ,le s bras pendants

,les j ambe s ine rtes , la

tè te h i sse e t n e regardan t r ien , d ans unepose de dése .

s péran c e romptè t» ? El l quoisi j eune , s i beau, si fo rt , s

abd iquer a insi ,donner sa démission de la vie

,se ret1rer

de. l ’arène comme un athlète vaincu, ne

-

‘tOé

et le dos, qu

arrondit un e courbe légère,

p résen te une grande finesse de modelé .

M . Perraud se soutien t à l a hauteur deson Faune , et sa figure gagn era encore àl ’exécution defini tive en marbre

,car c ’ est

le marb re que d emande cette œuvre melanco l ique et del i ca te .

M . Ba rre a fait un portrait en p ied de S . M .

l lmpé ratrice , où i l a vain cu avec un rarebonheur les nomb reuses difficul tés que l ecostume moderne Oppose au marbre . Heu

reusement le man teau d’

hermine rentredans les cond itions sculpturales , et sa noblesse an tique accompagne bien la poseSimple et maj es tueuse de la Souveraine : laressemblanc e de la tête n e laisse rien a désirer . Nous en d irons autant du buste

, qui

répète l es mêmes traits,mais avec une

beauté plus ind ividuel le , plus étud i ée dansses g racieux détai ls comme l ’exige la di fference d ’

un b uste a une statue .

Le buste de S . A . la Princesse Clotildeest bien réussi ; les chairs son t d

un modele soup le et fin

,les cheveux et les drap e

ries arrangés avec goû t .

Quant au buste de M . I sidore GeoffroySaint— Hilai re . il a une vie et une ressem

4 05

b lance auxquel l es atteignen t peu souventles por traits de marb re .

L’

Ag7=zj9p in e po rtant les cendres de Ger

man ica s . sta tue en marbre de M . Mail letest une b e l le figure nob

'

eme nt d rapée , qu1atti re l

’ a t ten tion par un tou r de fo rce plusfaci le à exécuter que l e vulgaire ne l epense . Un voile couvre la tête d

Agripp ine

et ma sque son visage , d ont cependant ondevine les tra its a travers la transparencedu m arbre .

— Un scul p teur napo l i tain avaitfai t de cette impo s sibil i té apparen te sonprinc ipal ou plutô t —on unique moyen desu cces — M Ma i l let n ’

en est pas là ; i l possède ass ez d e semeuses qualités pour se

pa sser de ce p e tit charlatanisme . L’

idee qu i

l ’a gu idé , sms doute,es t la répugnance que

les anci ens ava ient à se laisser voir agi téspar des émotions extrêmes ; l ’express iond ’

une vi ve d ou leu r blessait , selon eux .

l es convenances : n ulle grimace ne devai tal térer l«-u r seren 1té sculptumle. Un statua ire d evait comp rendre un parei l scrup ule .

De cette figure sévère nous passon s à

une cha rmante fan ta i s ie anac réoutnqrœ .

Cela s ’appe l le l a Rép r imand c . L’

Amour

23 .

4 06

n ’a pas été sage , et sa mè re l e réprimandeen le menaçant du doigt , avec un j ol i geste

qui ne p araî t pas eff : ayer b e aucoup l’

en

fan t . Soyez sû r qu ’ i l recommencera àtroubler les cœurs , à taquiner les Grâees

,

à mettre le d ésordre p ar tout ; peut — ê t remême d écorhe ra- t - i l une de ses flèches à

Vénus elle -même .

On d i ra i t que M . Marcel l in a scul p té uneé pigramme de l

An tho logie dans son groupein t i tulé la Jeun es se cap ti

r e l Amour . Re

présen té e par une b e lle fille,la Je unesse

tien t l ’Amour garn —t té par des l iens de fleurset l ui s » rre son band e au . L

Amour selaisse fa ire ; il sai t qu

’ i l est en bonnesmain s . L ' 5 l ignes on t de l

h 1rmonie,e t les

cha irs sont traitées d’

un ciseau soup le et

tend re .

La D »uceur , statue en marbre , n’

aurait

pas beso in , pour ê tre reconnue au p remierco up d

’ œ i l,d es attr ibuts que l

ar tiste a crudevoi r lui donner . A quo i bon l

agneauet la tourtere l le ? La bon té caressan te nesouri t- el le pas sur sa figure sympath ique ?Au bord d u 7 u isvea u . M . Sel—menewmke

nous montre une j e une l i de assise auprèsd ’

une source où el le vient rempl ir son

4 08

pour nous la grâ ce d’

une fillette de quin ze .

Nous préfé rons Psyché à l ’Amour , avec unegalanterie que les Grecs n

’avaient pas .

B ien de plus fi n,de mieux é tudié que ce

j eune corps maigre let qui se penche versl ’eau pour survei l ler ses engins de pêche .Psyché et Pandore, bas— rel iefs en pl âtre ,

sont conçus dans la manière et le style deJean Gouj on ces deux figures d ’

un reli ef .

très-mince ont beaucoup d ’ é légance .

Citons encore d e M Schoenewmke d euxbeaux bustes représen tant M . Triat etM . Edouard Del essert , dont la tête fermeet d

un beau caractère an ti que prê tait a lasculp ture .

Le C en taure Te'

re'

e de M . F rémret rennit!

dans une proport ion heureuse pour la spéc ial i té d e l 'art iste , la figure humaine et l ’aui t ual . l l paraî t, d

’après l es M étamor

n/zoses d’

Ovide, que ce brave centaure s’

a

musait a p rendre dans les mon tagnes del’

Il emus d es ours qu’ i l apportait à sa ca

verne,renâclant et se faisan t tirer l ’oreille .

Plaisanterie de centaure un peu lourde !h s toire de dive rtir sa pet i te famille !Donc Té rée, ren versant son torse d

’hommesur son garro t de cheval

,main tient par les

4 09

baj oues,pour l ’empêcher de mordre

,un

ours qu’ i l force à le suivre . L’ours distord

son rictus,fait une grimace aff reuse , se

p ié té , s

’arc- boute,agitant comme des bras

ses pieds de devant dont les gr i ffes ouve rte sen éventail ne trouven t rien pour s

agripper .

Le bon rentaure,rengorgé d ans sa barbe ,

rit des efforts de la bête impuissante etaugmen te son allure , pressé de ren trer aulogis pour faire hommage du monstre àmadame la centauresse .

M . Frémiet sai t faire les ours et l es chevaux

,ce l a n

’es t douteux pour personn e ;mais i l n ’a pas moins bien l éUSSl la partie humaine de son groupe . Le torse et lesbras du cen taure son t d ’

un bon modelé , etla tê te , coiffée de pe ti tes sp i rales de cheveux à la man ière archa 1que , a une ex

pression de bonhomie narquoise et de jovial ité ath l ét ique très—finement rendue .

! tre et Pa ra î tre ne sont pas la mêmechose , et M . Le Harivel- Durocher en donneune preuve avec son marbre . Affaissée dansson fauteu il , une j eune femme , dont le peigunir a garnitures tuyautées a gl issé j usqu ’àl a hanche , tient un masque qui sourit , tandis que sa figure exprime les langueurs et

— 4 1 0

les accab le1nents de l ’ennui . Des bouque tseffeui llés

,des roses flétries j onchent le sol

à ses pieds . M . Le Harivel - Durochertraité son suj e t avec des formes et un styleparisiens . Nou s connai ssons cette tê te ,nous avons vu au ba l

,un peu moins dé col

letées peut- ê tre , ces épaules et cette gorge .Ce peignoi r clufib nné vient de chez la faiseuse a la mode et n ’ a pas la moindre préten tion ’

a la dra perie antique . Malg ré samodernité en à cause m ême de sa modern i té , Etre et Pa ra î tre arrê te le regard et leretien t agréab lement .L e Tr iomphe d

Amp hi fl* i te

, deM .Cord ier,

est un modè le de fon ta ine décorat ive dans legoû t ital ien d u 1 8° s iècle , un goû t rocaille ettourmenté de décadence

,mais amusant à

l’

Œ i l et se prê tant aux fantaisies o rnementale s .

Sur un massif de roches entremêlées demad répores et de pl an tes marines, la dées setrône dans sa b lanche nud i té . Des tri tonsenfan tins se suspenden t aux flan ‘ s du ro

che r,sonnan t de la co nque

,agi tan t des t ri

dents,tourmen tan t d es poissons et se li

vran t à mille folâ treries mythologiques sousle rejailli ssemen t des eaux figurées par unetein te verte .

dures,vo ilà sa toilette

,dont les tous s ’ac

cordent avec une ha rmonie que nos yeuxhabitués aux pati en t s du marbre ne reconnaissen t pas vo lon ti ers à la statuai remul ticolore .

M . Ottin a eu à lutter contre les exigences du costume moderne dms sa statue de[Emp ereur ,

Nap o le'

on I II . Le Souverainest représenté corps posan t surla jambe gauche , sceptre en main

,et 1 e

vê tu du grand uni forme m i litaire . Le man

teau impérial j e té sur les épaules se d rapebien

,et donne de l ’ampleur au person

nage ; la figure calme et sévè re reproduitavec une exac titude frappan te les trai ts ca«

rac térisés de l ’anguste modè le .

Le buste d e S . M . l‘

Emp ereur , de M Pol

let , surprend un peu par ses d imens i onscolossales . Cette tê te ferme et ex pressive ,

couronnée de lauriers , n’est pas fa i te pour

ê tre vue de près ou au mi lieu d’obj e ts tad

lés selon les proport ions ordina i re s ; elledew ait plutô t surmon ter une colonne tra

janc ou domine r un a rc de triomphe .

M . F rance —ch i , don t on n’

a pas oubliél’

And romêd e d u Sa lon dern ier,a exposé

cette année une sta tue en bronze dest inée

à surmon ter la tombe d ’

un j eune so ldat,

fils d ’

un noble Polonai s , M iec z‘

sl as Ka

mienski , tué à Magenta dans le s rangs d ela l égion étrangè re . Le sculpteur a abo rdéhard imen t son suj et , à la manière deRude et de Dawd d

Angers, sans chercherà se rattacher par quelque subterfuge m i l

adroit aux trad i tions anti ques . Le j eunehéro s vient d ’être frappé à mort . É tendu aterre , i l se soulève sur l e bras gauche

,

tandis que le droit , traversé par une balle ,retombe inerte sur la cuisse . La tê te , no

ble et pure , s’incl in e avec une expression de

regret plu tôt que de doul eur . La capotedéboutonnée découvre une poitrine et un

col d ’

un dessin pur , en même temps qu’elle

fourni t l e moti f de drap eri e indispen sa=

ble . Le sac , auquel s’

adosse l e mouran t ,ses armes et sa giberne , complèten t l

en

semble et garnissent les vides laissés par lemouvement des membres . I l y a dans cettestatue une remarquab le entente du suj etle noble Polonais meurt sans emphase ,sans contors ions

,s ans colère .

Une strophe de Sapho a in sp iré àM . Gaston — Guitton le suj et de sa statueintitul ée l ’Atten te la sculpture , astreinte

— 4 1 4

à une pureté et à une correc ti on qui n’

ad

mettent. pas l ’

artifice comme la peinture,

est la seule langue qui traduise b ien legrec . Assise sur un bloc

,le torse un peu

atfai .—sé et penché en avant,la j ambe gau

che repliée sur la droite qui pose à terre ,l a j eune femme la i ss e re tomber un bras surson genou

,tand is que de l ’autre elle

s ’appuie sur le ro cher . Elle rêve , la tête l ê

gè remen t tourn ée de cô té , l e regard n e sefixan t sur rien , ou p lu tô t tourn é en d edans .On pourrai t peut- être reprocher à cette

figure , fort sédui sante du res te , un sen timent nu peu trop moderne , quelque chosed

etféminé et de dél i cat que n’a point l ’an

tiqui te. Jamais Lesbienne n ’eut ce nez effi lé , ces chevi lles fines

,ces extrémités aris

tocrat iquement mignonnes . L’ âge du per

sonnage ne nous paraî t pas non plus suffisammen t ind iqué . I l y a l à des gracd itése : : f…t ines et des ampleurs de femme faite

qui s’accordent mal . Ces réserves faites ,

nous n e pouvons que louer l’é l égance et le

charme de l ’œuvre de M . Gaston — Guitton .

L'

Amour cap t i/ de M . Sanzel s ’e stla issé l ier à la s tatue en gaine d

un dieuTerme . Ce n ’ est pas l e peti t Cupidon qui a

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zel in,descendant au bain sous ses voi les

,

exp rime bien la suscep . ibi lité des pudeursorie n tales .

On ne peut qu’

approuver la jol ie statuede fe u Cumbenvorth ,

achevée parM . C : ere,de ca re sser d

un baiser sa propre épaul edans l ’Amour d e soi

,car ce mouvemen t

p i oduit une iufiex ion de ligues charmante .

Le Fa un e en bronze de M . Crauck vau

dra it bien un long a l in éa ; i l est mode léavec une vi tal i té énerg ique , et pourraitdanser sur un versant du Ménale ou du

Taygete .

Si l e proj et de fontaine d e M . Etex est

plus humani taire qu’

architectural,en re

van che l'

Amozw‘

p ique'

p a r une abezl l e,

groupe en marbre,et l a L e

'

d a,groupe en

ma rb re agate,nous mon trent l e sta tuai re

habi le,l

art isre maî tre de sa [o rme et de sonc iseau, qui n

a d ’

autre tort que d’

éparpil ler

«les facultés puissantes .

Une foul e de noms se présen ten t - sousn otre p l ume ; mais l heure presse

,le temps

marche,i l y a déjà quinze j ours que le Se

lon est fermé . A quoi bon parler scul pturea des oreil les non pas sourdes , mais déjà

tendues vers d ’autres rumeurs Fini ssonsen priant ceux que n ous avons omis denous pardonner . Que pouvions - nous faireseul con tre objets d ’art”

F I N .

Tvmgmplt ie F. . p wcxouc xn e t c ie , quai V ol

{ s i te , t3

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