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8/13/2019 Anglade, J.(1919) Les Troubadours (2e Ed.)
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Les troubadours, leursvies, leurs oeuvres, leur
influence (2e dition)Joseph Anglade,...
Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France
http://www.bnf.fr/http://gallica.bnf.fr/8/13/2019 Anglade, J.(1919) Les Troubadours (2e Ed.)
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Anglade, Joseph (1868-1930). Les troubadours, leurs vies, leurs oeuvres, leur influence (2e dition) Joseph Anglade,.... 1919.
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http://www.bnf.fr/pages/accedocu/docs_gallica.htmmailto:reutilisation@bnf.frmailto:reutilisation@bnf.frhttp://www.bnf.fr/pages/accedocu/docs_gallica.htmhttp://www.bnf.fr/http://gallica.bnf.fr/8/13/2019 Anglade, J.(1919) Les Troubadours (2e Ed.)
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JOSEPH ANGLADE
Professeur l'Universit de Toulouse
LES
TROUBADOURS
LEURS VIES LEURS UVRES
LEUR INFLUENCE
DEUXIME DITION
Librairie Armand Colin
io3, Boulevard Saint-Michel, PARIS
1919
Tous droits 48 reproduction, de traduction et d'adaptation rervs pour tous pala
8/13/2019 Anglade, J.(1919) Les Troubadours (2e Ed.)
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Publlihcd Octobcr 24lb, nineteen hundred and cight.
Privilege of Copyright in th United States reserved,
bndef th Ad approved Slafcti, 3, 1903,
by Mai Leclerc and H. Bourrelier, proprietors of Librairie Armand Colin.
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LES TROUBADOURS
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LIBRAIRIE ARMAND COLIN
Du mime Auteur
Grammaire lmentaire de l'Ancien franais. Un volume
in-i8, broch.
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AVANT-PROPOS
Ce livre est issu d'un cours profess l'Uni-
versit de Nancy pendant le semestre d'hiver de
19074908! C'tait la une matire bien nouvelle
pour le public clair auquel nous nous adressions,
et que nous remercions ici de sa sympathie, Le
dsir de lui faire connatre sous une forme acces-
sible, dpourvue de l'appareil d'rudition qui
accompagne d'ordinaire ces tudes, une priode
glorieuse de notre ancienne littrature explique le
caractre de cet ouvrage. Aussi y trouvera-t-on
plus d'affirmations que de discussions. Il est des-
tin au grand public, celui du moins qui sait
s'intresser encore aux choses du pass, non parce
qu'elles sont le pass, mais parce qu'elles sont
belles et intressantes.
C'est l'intention de ce public que nous avons
multipli les citations. Nous aurions dsir les
donner dans le texte provenal. On aurait pu
ainsi mieux goter les vers gracieux de Bernard
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VI AVANT-PROPOS
de Ventadour ou de la comtesse de Die, le style
ferme et nergique de Peire Cardenal, et surtout
tant d'artifices de mtre ou de style dont la tra-
duction ne peut garder la moindre trace. Mais ce
volume en et t dmesurment grossi, et de plus
toute une partie du charme de cette langue aurait
chapp ceux qui ne la connaissent pas. Pour
les autres, esprons qu'une anthologie provenale,
avec traduction, ne se fera pas trop longtemps
attendre.
On trouvera d'ailleurs des renvois aux textes
dans les notes qui accompagnent le volume. Cettedernire partie de notre travail comprend des notes
bibliographiques et des additions. Nous avons
voulu tre utile ceux qui s'intressent la posie
des troubadours en leur donnant, non pas une
bibliographie complte, mais de simples notes
qui leur permettront d'tudier plus fond les
sujets que nous traitons. Nous savons les s ervices
que peut rendre un guide de ce genre, mme rduit
de modestes proportions.
On voudra bien ne pas chercher dans ce livre
ce que nous n'avons pas voulu y mettre une his-
toire complte de l'ancienne littrature provenale.
Nous avons voulu simplement crire l'histoire de
la posie des troubadours en nous en tenant aux
plus grands noms, en
choisissant les plus int-ressants ou les plus caractristiques d'une priode.
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AVANT-PROPOS Vil
Il n'y sera donc question ni de Gaucelm Faidit,
ni de Peirol, ni de Folquet de Romans, ni de
tant d'autres qui mriteraient l'honneur d'tre
nomms . Pour t ous ceux-l on trouvera des
renseignements dans le livre toujours prcieux
de Diez, Vies et GlCuvres des Troubadours. (Il
n'existe malheureusement de traduction franaise
que de la premire dition, qui est vieillie.) Nous
l'avons constamment consult pour une partie de
notre travail. L'ouvrage de Fauriel, dont la plus
grande partie est d'ailleurs errone, nous a t
moins utile.
Ce livre rponalt-il un besoin? Il nous l'a
sembl. Il nous a sembl qu'il tait temps de
faire sortir la posie des troubadours des ncro-
poles scientifiques que sont trop souvent nos
revues, nos collections et nos dissertations, pour
la produire au grand jour. L'tude des trouba-
dours a profit du
dveloppement
des tudes
romanes. Plusieurs ditions ont paru, d'autres
sont en prparation; certaines parties de l'histoire
littraire ont t traites fond. Ce sont les
rsultats de ces divers travaux que nous avons
voulu rsumer. Aprs tout les troubadours n'ont
pas crit pour que leurs uvres deviennent des
sujets de thses de doctorat ou de discussions
acadmiques. Ils ont crit pour le public, pour un
grand public o les femmes d'intelligence et de
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VIII AVANT-PBQPOa'
coeur formaient la majorit et o rgnait le culte
de la posie. Malgr la diffrence des temps et des
murs, ce public ne doit pas avoir compltement
disparu du moins nous ne le croyons pas.
En tout cas nous nous comparerions volontiers
un adversaire du drobar- clus on verra plus loin
que ces mots dsignent une manire d'cr-ire qui
consiste drouter les profanes et rserver la
posie aux seuls initis. A quoi un grand trou-
badour, Giraut de Bornelh, rpondit un jour par
la dclaration suivante, qui sert de dbut une
de ses chansons Je ferais, si j'avais assez detalent, une chansonnette assez claire pour que
mon petit-fils la comprit. C'est la pense qui nous
a souvent guid dans la rdaction de ce travail.
Nous l'aurions voulu assez clair et assez simple
pour qu'il ft la porte de tout le monde y
avons-nous russi?
Nous avions l'intention de ddier ce volume
notre vieux matre Camille Chabaneau. Nous ne
pouvons le ddier aujourd'hui qu' sa mmoire
vnre.
J. A.
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LES TROUBADOURS. 1
LES TROUBADOURS
CHAPITRE PREMIER
INTRODUCTION
La civilisation gallo-romaine. Maintien de traditions artis-
tiques et littraires. Les limites de la langue d'oc. Les ori-
gines limousines. de la posie des troubadours. La priodeprparatoire (xi' s.). Le premier troubadour. Caractre
artistique et aristocratique de la posie des troubadours. -Germesde faiblesse et de dcadence. Aperu sommaire de son histoire.
Grandes divisions. Comparaison avec la posie de langue
d'ol. .
L'tude des littratures modernes s'est renouvele
depuis qu'on a appliqu cette tude la mthode
comparative qui a donn de si heureux rsultats en
linguistique. L'habitude a rgn longtemps d'tudieren elles-mmes, sans regarder pour ainsi dire
l'extrieur, chacune des grandes littratures natio-
nales. Mais on a reconnu assez vite les dfauts et les
faiblesses de cette mthode. On n'ose pas et cela
depuis les origines tudier l'histoire du roman-
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2 LES TROUBADOURS
tisme franais, sans tudier en mme temps l'histoire
littraire des pays voisins. L'histoire. de certains
genres au xvn sicle, sur lesquels il semblait que
tout et t dit, a t renouvele rcemment par
l'tude des rapports littraires de la France et de
l'Espagne. La posie franaise du xvi sicle a subi
de la part de l'Italie une influence qu'on a longtemps
souponne et mme admise, mais que les rudits
contemporains ont seuls tudie en dtail.
La m me mthode applique l'tude des littra-
tures du moyen ge a donn d'aussi heureux rsul-
tats. Pour prendre comme exemple l'Italie, les his-
toriens de sa littrature n'ont pas eu de peine
reconnatre que l'pope franaise tait l'origine
de sa posie pique et que sa premire posie lyrique
tait imite de la posie lyrique provenale.
Cette influence de la posie des troubadours sur
la littrature des peuples romans a t reconnue
depuis longtemps. Diez l'avait dj marque en tu-
diant la posie galicienne, qu'il a t un des premiers
faire connatre. Les textes ont tpublis depuis
et la dmonstration a t reprise avec plus d'ampleur;
la conclusion est hors de doute. La m me conclusion
s'impose ceux qui ont tudi les origines de la
posie catalane. Dans le fond comme dans la forme,
dans les ides comme dans la technique, on retrouve
partout la trace d'une influence provenale. Quant
la posie lyrique franaise, celle de langue d'ol,
l'influence de la posie lyrique
mridionale a t
magistralement dmontre dans un livre dont il suffit,
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INTRODUCTION 3
de rappeler le titre Les Origines de la Posie lyrique
en France, par M. Jeanroy.
Enfin on n'a pas eu de peine dcouvrir des traces
de cette influence dans la littrature allemande. Le
savant Karl Bartsch, qui la philologie germanique
doit autant que la philologie romane et plus particu-
lirement provenale, a montr que deux Minne-
singer, Friedrich von Hausen et le comte Rodolphe
deNeuenburg, de la fin du xne sicle, avaient formel-
lement imit deux troubadours bien connus, Folquet
de Marseille et Peire Vidal. L'ensemble du Minnesang
laisse entrevoir de nombreuses traces d'emprunt.
Ces simples constatations suffisent marquer
l'intrt de notre sujet. Nous y reviendrons en dtail
par la suite, quand nous aurons fait grands traits
l'histoire interne de la posie provenale. Pour le
moment nous voudrions tudier ses origines, dli-
miter son domaine, marquer son caractre, sa dure,
sa valeur, rsumer en un mot ce qu'il est indispen-
sable de connatre avant d'aborder l'tude des trou-
badours. Nous serons obligs de passer rapidement
sur des points importants, de rsumer en quelques
lignes ou de rappeler par une simple oallusion des
travaux de grande valeur; mais le caractre que
nous voulons laisser ces tudes sur les troubadours
nous y oblige. Nous nous promettons seulement de
ne rien dire qui ne soit vrai, de ne rien affirmer qui
n'ait t dmontr, renvoyant pour le dtail des
dmonstrations d'autres tudes d'un caractre plus
scientifique que celle-ci.
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4 LES TROUBADOURS
La civilisation romaine avait pntr en Gaule par
la Provence et par le Languedoc, par Marseille et
par Narbonne, qui toutes deux avaient dj connu la
civilisation grecque. 'De bonne heure de savantes
coles d'enseignement suprieur s'levrent dans les
provinces mridionales. Il suffit de rappeler l'clat
dont brillaient au ive sicle Bordeaux et Prigueux,
Auch et Toulouse, Narbonne et Arles, Vienne et
Lyon.
C'est par le Midi galement qu'avait commenc
l'vanglisation des Gaules de gracieuses lgendes
le rappellent encore aujourd'hui en Provence. Ces
causes runies donnrent ces pays, pendant les
premiers sicles de l're chrtienne, une vie intellec-
tuelle et artistique que d'autres parties de la Gaule
n'avaient pas connue ou ne connaissaient plus. Sans
doute, dans l'Est et le Nord-Est, les coles de
Besanon, d'Autun et de Trves, comme celles de
Bourges et d'Orlans, dans le Centre, taient restes
clbres, mais leur dcadence, pour des causes que
nous n'avons pas rappeler ici,
avait tplus rapide
que celle des coles du Midi. Trves en particulier,
malgr Ausone, tait, comme l'a remarqu M. Jullian,
une grande place d'armes plutt qu'une grande
Universit (1). Une curieuse anecdote, rapporte par
Grgoire de Tours, nous renseigne sur l 'tat d'esprit
d'un abb parisien de son temps que le caprice du
roi Clotaire voulait envoyer comme vque Avi-
gnon, en Avignon, comme on dit plus euphonique-
ment, en Provence Le pauvre saint Domnolus. c. r
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INTRODUCTION 5
c'est de lui qu'il s'agit, passa toute la nuit en prires,
demandant Dieu de ne_pas tre envoy parmi les
senalores sophisticos (c'taient les conseillers muni-
cipaux du temps) et les judices philosophicos (la
magistrature 1) qui peuplaient Avignon; il affirmaitque, vu sa simplicit, le poste qu'on lui offrait serait
pour lui une humiliation plutt qu'un honneur (2).
Il semble donc que dans la plupart des villes du
Midi de la Gaule des traditions littraires et arlis^
tiques s'taient maintenues, au moins jusqu' la
rnovation des tudes classiques l'poque de Char-
lemagne. A cette date, cent cinquante ans peine
noussparent
despremiers
monumentspotiques
de
la langue d'oc, qui sont un pome philosophique
commentant le De Consolatione de Boce, et un
pome sur sainte Foy d'Agen. A la fin du xie sicle
apparat le premier troubadour, Guillaume, comte
de Poitiers.
La tentation est grande d'expliquer par une survi-
vance des traditions littraires la naissance de ce
mouvement potique. La posie des troubadours
serait l'hritire de la posie latine de la dcadence.
Une explication de ce genre parat mme si naturelle
qu'on pourrait tre port s'en contenter tout
d'abord et n'en point chercher d'autre. Cependant
la vrit parat tre bien diffrente. Nous essaierons
de la dgager aprs avoir dlimit le domaine lin-
guistique de l'ancienne langue d'oc. La question des
origines sera plus claire aprs cet expos.
Les limites de la langue d'oc ne paraissent pas
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6 LES TROUBADOURS
avoir chang depuis le moyen ge. La ligne qui
spare les deux langues de la France part de la rive
droite de la Garonne, son confluent avec la Dor-
dogne, remonte vers le nord, en laissant Angoulme
dans le domaine de la langue
d'ol et en dpassant
Limoges, Guret et Montluon; elle redescend en-
suite vers Lyon par Roanne et Saint-tienne.
Une partie du Dauphin (jusqu'au-dessous de
Grenoble), la Franche-Comt (jusqu'aux environs de
Montbliard) et les dialectes rojnans de la Suisse
forment un groupe linguistique que le savant Ascoli
a dnomm franco-provenal (3),, cause des traits
communs aux langues
franaise etprovenale que
prsentent les dialectes de cette rgion.En redescendant vers la Mditerrane la frontire
linguistique se confond avec la frontire politique,sauf en ce qui concerne le Val d'Aoste qui appartient
au franco-provensal et quelques villages italiens de
langue d'oc.
Au sud-ouest, la limite linguistique dpassait de
beaucoup les limites de la France actuelle; car le
catalan, avec Barcelone, Valence et les les Balares
est du domaine de la langue provenale.
La rgion que nous venons de dlimiter grandstraits comprenait, comme aujourd'hui, plusieursdialectes. Les principaux taient le limousin, quivoisinait avec les dialectes de la langue d'ol (sain-
tongeais et poitevin), le gascon, qui occupait, peu
prs comme aujourd'hui, la boucle forme par la
Garonne, le languedocien, les dialectes d'Auvergne
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INTRODUCTION 7
et de Dauphin et le provenal proprement dit.
Aujourd'hui ces dialectes prsentent des diffrences
profondes; livrs eux-mmes pendant des sicles,
ils ont librement volu. Il n'en tait pas d e mme
aux origines; les diffrences taient beaucoup moins
sensibles.
De plus, il se forma de bonne heure une sorte de
langue littraire. Sans Acadmie, sans rgles, par la
force des choses, disons mieux, par la force de la
posie, la langue des premiers troubadours s'imposa
leurs successeurs. On peut reconnatre des diff-
rences dialectales en petit nombre chez quel-
ques-uns d'entre eux; mais, dans l'ensemble, la
langue resta la mme, du dbut du xn sicle la
fin du xm\
Le dialecte auquel cette langue tait le plus appa-
rente tait le dialecte limousin. Il y a l une indi-
cation prcieuse, qui n'a pas chapp ceux qui se
sont occups les premiers des origines de la posie
provenale. La linguistique a servi de point de
dpart aux recherches d'histoire littraire. C'est dansce dialecte limousin qu'ont t crites les premires
posies des troubadours, c'est lui qui s'est impos
aux potes du xn et du xm" sicle (4).
Il se produisit mme un phnomne peu frquent
dans l'histoire littraire. La langue limousine-pro-
venale devint la seule- langue potique non seu-
lement du midi de la France, mais d'une partie de
l'Espagne et de l'Italie. Des
potes ns dans le
domaine de langue d'ol, en Saintonge par exemple,
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8 LES TROUBADOURS
crivirent en provenal. Une lgende attribuait
Dante l'intention d'crire la Divine Comdie dans
cette langue (n'oublions pas que son matre, Bru-
netto Latini, crivit en franais, et son compatriote
Sordel en provenal); ce qui est certain, c'est qu'ilest l'auteur des vers provenaux qu'il met dans la
bouche d'Arnaut Daniel dans la Divine Comdie.
Mais il est temps de revenir la question des ori-
gines, que nous avons d laisser en suspens elle est
d'ailleurs dj rsolue.
Pour la rsoudre, il fallait connatre auparavant ce
fait si important que les premires uvres potiques
nous viennent de l'ouest et dusud-ouest, du
Limousin, du Poitou, de la Saintonge; il fallait
savoir que la langue des troubadours s'appela
d'abord langue limousine . C'est en effet dans le
Limousin, et en partie dans le Poitou, plus vraisem-
blablement la limite commune des deux provinces,
qu'on peut placer le berceau de la posie des trou-
badours. Le premier d'entre eux n'est-il pas Guil-
laume VII, c omte de Poitiers (5)?
Il a exist des u sons poitevins (mlodies). Dans
cette partie de la France o les dialectes d'oc et ceux
d'ol taient en contact, il semble qu'on ait compos
de nombreux chants populaires, romances, aubes,
pastourelles, rondes et danses c'est dans ces chants
qu'il faut chercher l'origine de la posie des trou-
badours.
La forme artistique de leurs premires composi-
sitions, la technique lgante de leur mtrique,
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INTRODUCTION 9
toutes choses qui nous loignent de la facture
simple et fruste de la posie populaire, ne doivent
pas nous faire illusion sur les humbles origines de
leur art. La chanson courtoise, qui est le produit le
plus remarquable de la posie des troubadours, a eu
pour aeule la chanson populaire, chanson d'amour
ou rondes de printemps. Rondes de printemps sur-
tout, si on en juge par le dbut des chansons cour-
toises qui r appellent presque toutes la rapparition
des feuilles et des fleurs, avec le retour des oiseaux;
la mention du mois de mai, du rossignol, de l'hiron-
delle ou de l'alouette, oiseaux populaires et po-
tiques, laisse entrevoir ds les premiers vers deschansons les plus conventionnelles les origines .loin-
taines de cette posie.
D'ailleurs parmi les genres traits par les trouba-
dours, il en est quelques-uns qui ont gard leur type
populaire. Rappelons seulement que les principaux
d'entre eux sont la pastourelle, dialogue entre un
chevalier, qui est ordinairement le pote, et une ber-
gre l'aube,
genre curieux o un
personnage qui a
veill toute la nuit sur un rendez-vous amoureux
annonce son ami la naissance du jour et l'avertit en
mme temps du danger; les ballades et danses dont
il reste quelques exemples et quelques autres genres
plus rares qu'il est inutile de citer ici (6).
Mais en dehors de ces genres, qui ont conserv
surtout au dbut un certain caractre populaire, la
posie des troubadours est une posie essentielle-
ment artistique, de l'art le plus raffin. Un seul dtail
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10 LES TROUBADOURS
marque bien sa diffrence avec la posie populaire
qui lui a donn naissance. On sait que celle-ci ne pr-
sente pas une trs grande varit dans l'emploi des
mtres et dans la combinaison des strophes; les
moyens d'expression de la
posie et de la
musiquepopulaires, compagnes habituelles, sont simples. Eh
bien, c'est par centaines qu'on a pu compter les
formes de strophes dans la lyrique provenale; on
en a relev 817 et le compte est incomplet. En ra-
lit on peut dire qu'il y en a prs d'un millier,
depuis la courte strophe de trois vers jusqu' la
strophe de quarante-deux vers. Il y a l une richesse
strophique, une technique telle qu'aucune posie
lyrique peut-tre n'en peut offrir de semblable. Le
caractre artistique de cette posie s'affirme avec
vidence mesure qu'on avance dans son tude;
qu'il suffise pour le moment d'avoir marqu par un
aperu trs sommaire de sa forme combien elle s'est
loigne de la simplicit qu'elle a d avoir ses
origines (7).
A quelle poque peut-on fixer ces origines? On
comprend qu'tant donn le caractre populaire de
cette premire posie il est bien difficile de donner
une date mm3 approximative. La chanson populaire,
avec ses thmes assez simples, dans leur apparente
varit, a exist de tout temps. Le folklore relve
peu prs dans tous les pays, au moins dans les pays
dits civiliss, si diffrents qu'ils soient de race et de
civilisation, des chansons qui ont entre elles de nom-
breux traits communs. L'auteur des Origines de la
8/13/2019 Anglade, J.(1919) Les Troubadours (2e Ed.)
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INTRODUCTION 1 t
J Posie lyrique en France a pu citer (p. 457), dans la
posie populaire russe contemporaine, des chansons
sur le thme de la Mal marie o un cosaque joue
auprs de la dame abandonne le mme rle de con-
solateur que jouent les chevaliers dans les chansons
populaires du moyen ge. N'essayons donc pas de
fixer une date la premire priode de la posie des
troubadours. Pour nous cette posie commence avec
Guillaume, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine,
dont le rgne s'tend de 1087 1127. Il est cependant
vraisemblable que le dbut et le milieu du xi, sicle
ont vu se multiplier les chansons populaires, c'est la
priode prparatoire, la priode de germination pour ainsi dire. Les preuves ne manquent pas, ou du
moins les hypothses, peuvent s'appuyer sur des faits
incontestables.
D'abord, si la posie lyrique est peu dveloppe
pendant le xi sicle, s'il ne nous en reste que
quelques fragments, il s'est conserv jusqu' nos
jours des posies d'un genre diffrent, comme la
paraphrase de Boce, et la chanson de sainte Foy
d'Agen, dj cites. Ce dernier pome surtout a t
une heureuse surprise pour les rudits, qui en soup-
onnaient l'existence depuis que le prsident Fauchet
l'avait cit au xvi sicle, et qui ne l'ont connu que
depuis quelques annes, grce au flair d'un savant
portugais, M. Leite de Vasconcellos, furetant par
hasard dans la bibliothque de l'Universit de
Leyde (8).
La Chanson de sainte Foy par le caractre archa-
8/13/2019 Anglade, J.(1919) Les Troubadours (2e Ed.)
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12 LES TROUBADOURS
que de ses formes nous fait remonter tout fait aux
origines de la langue d'oc. La mtrique, quoiqu'il
ne s'agisse pas d'une posie lyrique mais d'un
pome pique et narratif, est dj d'une facture
remarquable. C'est de la posie savante, n'en dou-
tons pas. Mais la langue qui, vers l'an mille (et
mme peut-tre avant, car on discute encore sur ce
point), la langue qui tait apte la posie savante
tait-elle incapable de servir l'expression de simples
sentiments populaires? Est-ce que les clercs,, qui
nous devons sans doute les deux pomes que nous
venons de citer, n'auraient pas, dans le cas contraire,
employ leur langue habituelle, le latin, pour louer
le caractre de Boce ou pour chanter les miracles
de sainte Foy? Il est de toute vraisemblance que s'ils
se sont servis de l'idiome vulgaire et s'ils ont pu en.
composer, sans trop de maladresse dans les deux
cas, un assez long pome, c'est qu'il existait autour
d'eux une langue et une posie toutes formes.
Redescendons de prs d 'un sicle et examinons les
premires posies du premier troubadour connu,Guillaume de Poitiers. Elles sont des environs de
l'an 1100. Nous trouvons ici une langue potique
capable d'exprimer les sentiments les plus levs et
les plus dlicats (joints, il est vrai, aux sentiments
les plus vulgaires et mme les plus grossiers). Nous
remarquons surtout une technique dj merveil-
leuse. Il existe des rgles potiques, il y a des con-
ventions, des
lois, toutes choses
qui caractrisent ce
qu'on est convenu d'appeler l'art. Cet art le comte
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INTRODUCTION 113
de Poitiers ne l'a pas invent; il en a trouv certaines
rgles tablies; il existait une tradition. C'est pen-
dant le xi sicle que cette tradition s'est sinon
forme, au moins
dveloppe.
Entre lespomes
nar-
ratifs du dbut et les posies de Guillaume de Poitiers
la langue s'est assouplie, la posie populaire s'est
dveloppe, elle a grandi, pendant le xi sicle, et
elle nous apparat transforme avec le premier trou-
badour, trs lgante dj, trs belle et ne sentant
ses origines que par sa jeunesse et par sa fracheur.
C'est donc dans le xie sicle qu'il faut placer la
priode la plus ancienne de la posie des trouba-
dours, celle que nous ne connaissons pas, mais que
nous pouvons reconstituer par hypothse, et en nous
aidant aussi, comme on l'a fait, de certains refrains
qui nous ont t conservs. Un texte clbre nous
prouve que les premiers troubadours avaient peut-
tre eu conscience des origines de leur art. Il nous
est dit que le troubadour gascon Cercamon, qui a
vcu dans la premire moiti du xn sicle, avait
compos des pastourelles la manire antique .
Malheureusement l'auteur de la biographie des trou-
badours qui nous donne ce dtail a vcu au
XIII sicle et c'est peut-tre son point de vue qu'il
se plaait quand il parle de la manire antique .
De sorte que le renseignement n'a peut-tre pas
toute la valeur qu'on a voulu lui .attribuer. Mais
mme si on ne fait pas tat de ce texte, les vraisem-
blances sont infiniment nombreuses en faveur de
l'hypothse que nous venons d'exposer.
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i4 LES TROUBADOURS
Quoi qu'il en soit des origines de cette posie et
la prendre telle qu'elle se prsente nous chez les
premiers troubadours du xue sicle, elle a ds le
dbut un caractre d'lgance raffine qu'elle a con-
serv jusqu'en son extrme dcadence. C'est une
posie essentiellement courtoise et aristocratique. 11
faut entendre par le mot courtois une posie de
cour, faite exclusivement pour des milieux lgants,
rarement pour la bourgeoisie, jamais pour le peuple.
Ce caractre s'explique par l'tat de la socit
l'poque des troubadours et aussi en partie par leur
condition sociale. Beaucoup d'entre eux et le pre-
mier entre autres, Guillaume, comte de Poitiers et
duc d'Aquitaine, furent de grands seigneurs
plusieurs rois et autres gens de qualit cultivrent
la posie et protgrent les potes. Car pour ceux
d'entre eux qui taient de petite extrace comme
dit Villon, la protection d'un grand seigneur les
mettait l'abri des misres de la vie la posie
n'a jamais bien nourri son homme, sauf certaines
poques privilgies; le moyen ge ne fut pas une de
ces poques; ou plutt s'il le fut dans le Midi de la
France, et si les troubadours y obtinrent de bonne
heure crdit et considration, ce fut, le plus souvent,
au prix de leur indpendance, et leur posie y prit
un caractre peu prs exclusivement aristocra-
tique.
Mais quelle a utre socit que celle des grands
seigneurs du temps auraient-ils pu s'adresser? Et
quel got pour la posie auraient-ils trouv en
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INTRODUCTION i5
dehors de ces milieux? La bourgeoisie n'tait pas
encore assez cultive, du moins au dbut de la
priode qui nous occupe. Sans doute, dans la plupart
des villes du Midi, elle a vu grandir rapidement son
importance politique. En Provence et en Languedoc,les consulats, imits des institutions similaires qui
florissaient en Italie, s'lvent de plus en plus nom-
breux la fin du xn sicle; ils sont en plein clat au
xiii0 dans toutes les grandes cits mridionales. La
bourgeoisie a fini par dresser son pouvoir en face de
celui de la noblesse; elle a imit ses gots et a pris
ses habitudes; et pendant le xm sicle on observe
dans laposie provenale
des traces de transforma-
tion, image du changement qui s'est opr ou qui
s'opre dans la socit. Mais cette poque la posie
lyrique est en pleine dcadence. Pendant sa priode
la plus brillante elle est reste une posie aristocra-
tique elle ne pouvait pas tre autre chose.
On connat assez par l'histoire de la civilisation la
transformation profonde qu'a produite dans les
murs le dveloppement de l'esprit chevaleresque et
courtois. Il semble que cette transformation se soit
produite plus rapide et plus complte dans la socit
fodale du Midi de la France. Pour quelles raisons y
prisait-on plus qu'ailleurs l'ensemble de ces qualits
que l'on dnommait du gracieux nom de cour-
toisie , motqui nous est rest mais qui s'est singuli-
rement affaibli? Il n'est pas trs facile de l'expliquer.
Peut-tre le caractre fut-il, cette poque, dans ces
rgions, plus gai et plus lger, l'esprit plus vif et
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16 LES TROUBADOURS
plus alerte, et surtout la vie plus facile et plus large.
Ceci est possible ce qui est moins probable c'est
que le climat y soit pour quelque chose, comme l'ont
cru trop d'historiens trangers qui voient les pays du
Midi, qu'il s'agisse de la Grce, de l'Italie ou du Midi
de la France, travers leur rve d'hommes du Nord.
Ce qui est certain enfin c'est que ds les dbuts la
posie provenale reflta les ides et les murs de
ces milieux. C'est dans la conception de l'amour sur-
tout que ces ides diffrent de celles des ges prc-
dents et que la socit fodale mridionale est en
avance sur celle du Nord. Les ides chevaleresques
du temps avaient contribu relever la condition de
la femme, comme l'avait fait jadis le christianisme.
Elle devint dans la plupart des pays o se dveloppa
l'esprit de la chevalerie un objet de respect et d'ado-
ration. C'est dans le Midi de la France que cette vo-
lution se produisit d'abord avec le plus d'clat. Les
troubadours ont cr par leur thorie de l 'amour
courtois un vritable culte de la femme. Le mot ne
paraitra pas trop fort, quand nous aurons examincette thorie, que nous en aurons tudi le dvelop-
pement et que nous verrons l'amour profane ainsi
conu se transformer presque insensiblement en
dvotion la Vierge. Cette volution est rgulire;
elle est sortie sans effort de la conception primitive.
C'est le dveloppement de ce thme de l'amour
courtois qui a fait l'originalit de la posie des trou-
badours. C'est luiqu'elle
doit et son clat et son
influence sur tous les pays o ont pntr les ides
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INTRODUCTION 17
LES TROUBADOURS.
de la chevalerie. Elle lui doit d'tre reste encore
vivante, malgr les ans. A tel point qu'en un certain
sens on pourrait l'appeler classique. Ne nous posons
pas la question clbre qu'est-ce qu'un classique?
Mais si l'on rduisait le classicisme au fait d'avoir
exprim sous une forme parfaite des vrits ter-
nelles, l'ancienne posie provenale mriterait le
nom de classique. Pour la forme, on peut dire
qu'aucune posie lyrique ne l'a cultive avec plus de
soin, disons mieux, avec plus d'amour; quant au
fond, les sentiments qui y sont exprims sont de
ceux qui, idaliss et ennoblis, ont toujours fait
vibrer les curs des hommes. Et quel charme de
plus pouvons-nous donc exiger de la posie?
La posie morale, didactique, ou satirique a eu te
mme caractre aristocratique que la chanson .
La posie lyrique mridionale se divise en plusieurs
genres, dont les principaux sont la chanson, con-
sacre l'exaltation de l'amour courtois et le sirvents
ou seruentois, comme on l'appelle dans la posie
d Nord. C'est le sirvents qui sert l'expressiondes ides morales, ou d e la s atire personnelle, litt-
raire, politique et sociale. La posie des troubadours
a connu.toutes ces divisions du genre; mais l encore
on voit qu'elle est un produit de la socit aristocra-
tique. Les pices diffamatoires ne sont pas rares
dans cette posie. Un grand seigneur refusait-il sa
protection un troubadour? La vengeance du pote
.irritable s'exprimait
sous forme de satire person-
nelle, dure et mprisante. Les posies de ce genre
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18 LES TROUBADOURS
qui nous sont restes et elles sont assez nom-
breuses sont de curieux documents pour l'histoire
des murs.
Malheureusement cette posie portait, ds ses
origines, des germes de faiblesse et de dcadence.Son existence tait trop intimement lie celle de
cette socit brillante au milieu de laquelle elle
s'tait dveloppe et pour laquelle elle tait faite. Le
moindre changement dans les murs ou dans les
conditions d'existence de cette socit devait avoir
pour consquence la transformation ou la dcadence
de cette posie. La noblesse mridionale s'appauvrit
assez vite pour
de nombreuses raisons dont lesprin-
cipales sont les suivantes les contributions aux
croisades, le dveloppement de la bourgeoisie et sans
doute aussi l'abus du luxe, des ftes et des tournois.
Mais surtout elle eut supporter, pendant et aprs
la croisade contre les Albigeois, de Toulouse aux
bords du Rhne, les consquences de la dfaite. Les
cours o les troubadours trouvaient aide et protec-
tion devinrent de plus en plus rares et bientt dispa-
rurent tout fait. A la fin du xme sicle un trs petit
nombre seulement, dans toute la France mridionale,
essayaient de maintenir les anciennes traditions.
Avec la dcadence de la chevalerie commena la
dcadence de la posie des troubadours. Elle tait
frappe mort ds les dbuts du xme sicle. Non pas
que les chevaliers d'outre-Loire et d'ailleurs qui
prirent part la croisade contre les Albigeois aient
tmoign des sentiments hostiles la posie et sex
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INTRODUCTION 19
reprsentants. Il y avait parmi eux des potes de
langue d'ol, comme Amauri d Craon, Roger d'An-
doli, Jean de Brienne, Thibaut de Blazon. On a mme
voulu tirer de ce fait la conclusion
piquante que
ces
chevaliers-potes auraient profit de la guerre pour
introduire dans le Midi un genre potique, la pastou-
relle, qui serait ne dans les pays du Nord. On n'a
pas eu de peine rpondre que la croisade laquelle
ils prirent part n'tait rien moins am'ttue croisade
potique (9).
D'une tout autre importance fut, notre point de
vue, l'tablissement du' tribunal de l'Inquisition. Ce
tribunal d'exception fut tabli dans les principaux
centres du Midi, d'abord Toulouse et Narbonne.
En mme temps saint Dominique fondait, ds les pre-
mires annes du XIII sicle, le couvent de Prouilhe
et engageait avec toute l'ardeur d'un croyant du
moyen ge la lutte contre l'hrsie. Il ne semble pas,
du moins au dbut, que la posie profane ait t per-
scute. Cependant l'glise proscrivit les livres en
langue vulgaire qui traitaient de choses religieuses.
On comprend le danger redoutable qu'il y avait pour
elle ce que des livres de ce genre se rpandissent
dans le peuple. Nous savons aussi que quelques trou-
badours s'exilrent, peut-tre pour aller chercher
l'tranger d'autres protecteurs, peut-tre aussi par
peur de l'Inquisition. Cependant aucun document
formel ne nous per-net de croire qu'elle les ait pour-
suivis comme complices des hrtiques.Mais l'tablissement de l'Inquisition, la fondation
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20 LES TROUBADOURS
de l'ordre des frres Prcheurs par saint Domi-
nique, et de nombreux ordres religieux, pendant le
xm sicle, produisirent un changement sensible
dans la socit. Le got des choses religieuses, de
l'orthodoxie surtout fut restaur. On ne s'intressa
plus la posie purement profane. On ne comprit
plus le paganisme qui animait la posie de l'ge pr-
cdent. Deux troubadours de la dcadence nous
avouent -*et ces tmoignages, quoique rares, sont
prcieux que d'aprs les gens d'glise la posie
est un pch. Cet aveu est caractristique; il est
l'indice d'une nouvelle conception de la vie et de la
posie. C'est en ce sens qu'on peut dire que le dve-
loppement de l 'esprit religieux a contribu hter la
dcadence de l'ancienne posie.
L'histoire de cette posie est donc brve; sa vie est
courte et elle meurt jeune, comme ceux qui sont
aims des dieux. Diez le premier a divis son histoire
en trois grandes priodes, celle de son dveloppe-
ment, celle de son ge d 'or et celle de sa dcadence.
La premire va, d'aprs lui, de 1090 1140; la
deuxime de 1140 1250; la troisime de 1250 il
1292. Les dates qui marquent ces priodes n'ont rien
d'absolu. Mais d'une manire gnrale elle les
limitent assez bien.
C'est entre 1140 1250 que Diez place la priode
la plus florissante de la posie provenale. Si l'on
avait le got des divisions et des subdivisions, on
pourrait en tablir dans cet espace de plus d'un
sicle; on montrerait sans peine que les plus grands
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INTROHUCTION 21
troubadours appartiennent la fin du xue sicle et
que les germes de dcadence sont dj sensibles ds
le dbut du xme. Mais quoi bon tablir des distinc-
tions oiseuses? Une priode d'histoire littraire, sur-
tout au moyen ge, ne se laisse pas limiter avec une
rigoureuse prcision. Admettons donc d'une manire
gnrale les dates fixes par le premier historien de la
posie des troubadours.
Nous pourrions arrter ici cette vue sommaire de
l'histoire de la posie provenale. Mais il n'est pas
sans intrt de donner, pour terminer cette introduc-
tion, un aperu rapide de la posie de la langue d'ol
cette poque.
Cette
comparaison,
en faisant ressortir
l'originalit de la lyrique provenale, montrera aussi
quelles lacunes graves on remarque dans la littra-
ture de la langue d'oc.
Par ses origines connues la posie des troubadours
est peu prs contemporaine de la Chanson de
Roland. Sa priode de splendeur correspond une
priode de mme clat dans la posie pique fran-
aise. La fin du XII sicle, qui marque dans la
France du) Midi la priode la plus brillante, est
l'poque o natt dans la France du Nord la posie
narrative et courtoise. Aux posies des troubadours
correspondent vers la fin du xne sicle les romans
d'aventures du grand pote champenois Chrtien de
Troyes c'est l'poque o il chante d'Iseut la blonde,
d'Erec et d'Enide, du Chevalier au Lyon, de Lancelot
du Lac et de Parceval le Gallois.
C'est cette poque aussi que se placent les pre-
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22 LES TROUBADOUIIS
miers monuments de la posie lyrique que Gaston
Paris appelle l'cole provenalisante . Les
quelques chansons d'amour composes par Chrtien
de Troyes pour Marie de Champagne sont parmi les
premires que l'on puisse rattacher cette cole.
Celles de Conon de Bthune, de Gui de Couci, le
Jean de Brienne, de Gace Brul sont un peu post-
rieures. C'est au dbut du xme sicle que cette
posie lyrique de langue d'ol est dans tout son
clat.
Elle passe bientt de la noblesse, au milieu de
laquelle elle a pris naissance, comme dans les cours
du Midi, la bourgeoisie qui petit petit voit
grandir son importance. L'cole bourgeoise d'Arrs
produit les potes les plus remarquables du temps.
La posie pique cde sa place aux romans d'aven-
tures et aux nouvelles. Mais pendant toute cette
priode du xnr sicle, qui est pour la littrature du
Midi une priode de dcadence et de mort, de nou-
veaux genres naissent dans la littrature franaise;
elle dborde de sve et de vie. Laposie allgorique
commence, ainsi que la satire, la posie dramatique,
et l'histoire. Ces nombreux genres si varis dont le
xme sicle montre les origines sont le prsage d'une
magnifique floraison; la littrature du Midi meurt
au mme moment parce qu'elle n'a pas pu se
renouveler.
Elle l'aurait pu peut-tre, si elle s'tait souvenue
de ses
origines populaires;
elle aurait retrouv
cette source toujours fconde dans toutes les littra-
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INTRODUCTION 23
tures une vie nouvelle ou bien elle en aurait t heu-
reusement transforme. Mais le souvenir de ces loin-
taines origines tait perdu depuis longtemps. Pendant
la dcadence aucun effort, aucune tentative ne fut
faite pour y remonter.
Cette posie aristocratique ne fit d'effort que pour
se perdre plus srement. On rechercha pendant la
dernire priode les difficults de la forme plutOtque
l'originalit du fond on revint aux choses dj vieillies
ou mortes, la prciosit, la jonglerie des mots, des
rimes et des mtres, tous ces artifices purils de la
forme qui sont en honneur dans toutes les littratures
vieillies. De tout cela rien de vivant ne pouvait
sortir.
Est-ce dire que les principaux genres que nous
avons numrs, en parlant de la littrature do
langue d'ol, lui aient t inconnus? Quelques-uns
peut-tre. En ce qui concerne la posie pique, la
question a t discute et rsolue avec clat dans un
sens affirmatif par Fauriel. Il parat assez vraisem-
blable, au premier abord, qu'un pays comme le Midi
de la France, qui a eu tant souffrir des invasions
sarrasines, en ait gard le souvenir. D'autre part
l'clat de la posie lyrique, ds ses origines, laisse
supposer que le talent n'aurait pas manqu ses jon-
gleurs pour mettre en vers cette matire pique. Et
que sont la Chanson de Roland, toute la magnifique
geste de Guillaume d'Orange, les chansons d'Aimeri
de Narbonne et de la Morf d'Aimeri sinon le rcit
d'exploits accomplis contre les Sarrasins? Ces pomes
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24 LES TROUBADOURS
n'auraient-ils pas t prcds d'une pope qui
aurait t chante sans tre crite, dans les pays qui
avaient le plus souffert des invasions? Une pareille
hypothse n'aurait rien d'absurde, on comprend
qu'elle ait t soutenue avec vraisemblance, et qu'elle
ait trouv des partisans convaincus.
Cependant, si flatteur que cela ft pour l'amour-
propre des mridionaux d'avoir fourni leurs frres
de langue d'ol la matire pique en mme temps que
la matire lyrique, il faut laisser cette hypothse dans
son domaine d'hypothse aucun fait n'est venu la
confirmer. Il semble au contraire que l'tude des ori-
gines de l'pope franaise lui soit de plus en plus
dfavorable. La littrature mridionale a peu de
choses offrir en comparaison de la splendide flo-
raison pique du Nord. Cependant si la belle pope
de Grarl de Roussillon n'est pas d'origine mridio-
nale, la Chanson de lci Croisade reste comme un tmoi-
gnage remarquable des aptitudes des potes du Midi
la posie pique.
En fut-il de mme pour la posie dramatique? Iciaussi les textes sont assez rares. Et cela est fcheux,
parce qu'il semble bien que les reprsentations dra-
matiques aient t de bonne heure un objet de prdi-
lection pour les populations du Midi. Nous n'avons
que quelques fragments anciens et nous sommes
rduits, pour crire son histoire, des textes qui sont
tout rcents et imits probablement d'originaux
franais. La
question
de
l'originalit de la
posie dra-
matique en langue.d'oc reste donc assez douteuse.
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CHAPITRE II
CONDITION DES TROUBADOURS
LGENDES ET RALIT
TROUBADOURS ET JONGLEURS
Troubadours d'origine noble, bourgeoise. Potesses proven-ales. Les protecteurs des troubadours. Sources de leurs
biographies. Nostradamus. Biographies de Bernard de Venta-
dour, de Guillem de Capestang, deJaufre Rudel, de Peire Vidal,de Guillem de la Tour, de Giraut de Bornelh. Lgendes et
ralit. Jongleurs et troubadours.
Nous possdons des posies d'environ quatre cents
troubadours, du xn et du xm sicle. Nous connais-
sons aussi le nom de soixante-dix autres potes dont
les uvres ne nous ont pas t conserves. Ce chiffredonne une ide de l'activit potique qui a rgn
pendant ces deux sicles. Mais le temps a fait subir
ce trsor des pertes irrparables. Les posies des
troubadours furent runies ds le xl et le xnr3 sicle
en anthologies. Combien d'entre elles n'ont-elles pas
disparu depuis cette poque lointaine? Avec une
pieuse sagacit, quelques savants ont suivi la trace
des manuscrits signals par les
rudits du xm etsurtout du xvn et du xvm sicle (1); mais leurs
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CONDITION DES TROUBADOURS 27
efforts n'ont pas t toujours couronns de succs.
Un heureux hasard vient quelquefois en aide aux
provenalistes. 11 y a une quarantaine d'annes
M. Paul Meyer publiait le contenu d'un manuscritdes plus importants pour l'histoire des derniers trou-
badours. Suivant la potique rflexion du savant
diteur, la terre de Provence avait t lgre
au vieux manuscrit . Il avait sjourn en effet
plusieurs annes (2) enfoui au pied d'un olivier. Plus
rcemment, dans une des bibliothques les plus fr-
quentes de Florence, un savant italien dcouvrait il
son tour un autre manuscritqui
mettait aujour plus
d'une vingtaine de noms de troubadours inconnus
jusque-l (3). Mais ces hasards sont rares et il faut se
rsigner admettre que de nombreuses richesses
sont jamais perdues.
Celles qui nous restent proviennent de t rouba-
dours de toute classe et de toute condition. Le pre-
mier connu, est, comme on l'a vu, un homme de
haut parage , Guillaume de Poitiers, duc d'Aqui-
taine. Parmi les plus anciens se trouvent galement
d'autres personnages de noble naissance. Ains
Jaufre Rudel, qui s'enamoura de la Princesse
lointaine et qui usa la voile et la rame pour
chercher sa mort suivant l'expression de Ptrarque,
tait prince de Blaye. Cinq rois se sont exercs la
posie provenale il est vrai qu'on a remarqu il
leur sujet que leur contribution n'avait pas t des
plus brillantes. La liste des troubadours comprend
encore dix comtes, cinq marquis et autant de
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28 LES TROUBADOURS
vicomtes; parmi eux Bertran de Boru. Beaucoup
d'autres sont de puissants barons ou de riches che-
valiers. Plusieurs, par contre, sont des chevaliers sans
fortune qui abandonnent le mtier des armes pour
la posie (4).
Cependant ce n'est pas seulement dans les hautes
classes que sont closes les vocations potiques. Un
des troubadours les plus anciens et les plus ori-
ginaux, Marcabrun, originaire de Gascogne, tait un
enfant illgitime. Un des plus gracieux, le Limousin
Bernard de Ventadour, tait le fils d'un domestique
du chteau de Ventadour, dont les seigneurs, potes
eux-mmes, furent depuis les origines de la posi
provenale les protecteurs ns des troubadours
Giraut de Bornelh, dont la vie, suivant la biographie
provenale, fut si difiante, tait aussi de petite nais-
sance. De mme origine fut sans doute le dernier
troubadour, Guiraut Riquier de Narbonne.
D'autres troubabours, et non des moindres,
s'taient destins d'abord l'tat ecclsiastique. La
biographie provenale nous raconte de
plus d'un
qu'arriv l'ge d'homme il s'prit des joies du
monde n et quitta le mtier de clerc pour celui de
troubadour. Il est vrai que plusieurs suivirent une
voie inverse. Bertran de Born, aprs une vie con-
sacre aux armes et la posie, finit obscurment
l'abbaye de Dalon. Le troubadour Folquet de Mar-
seille, fils d'un riche marchand, entr dans les ordres
aprs sa carrire potique, devint vque de Tou-
louse. Il se signala, dans ce nouveau poste, par un'
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CONDITION DES TROUBADOURS 29
tel zle contre les Albigeois que l'glise le sanctifia.
Un demi-sicle plus tard le troubadour Gui Fol-
queys, devenu pape sous le nom de Clment IV,
accordait cent jours d'indulgence qui rcitait ses
posies; htons-nous de dire qu'il s'agissait de
prires la Vierge.
Les sentiments de l'glise vis--vis de la posie
des troubadours paraissent avoir vari avec le
temps et peut-tre aussi avec les hommes. Ainsi
Gui d'Ussel, qui appartenait une noble famille de
troubadours, et qui tait chanoine de Brioude, dut
jurer au lgat du pape de renoncer la posie pro-
fane. En revanche le moine de Montaudon avait la
permission de son suprieur de se livrer la posie
dans l'intrieur de son couvent. De plus il tait auto-
ris visiter les chteaux du voisinage et y rciter
ses chansons; seulement il devait rapporter au clotre
les prsents qu'il recevait. On a compt seize eccl-
siastiques parmi les troubadours, dont deux vques
et plusieurs chanoines. Au point de vue profane,
trs profane mme, la palme appartient parmi ceux-ci un chanoine de Maguelone, Daude de Prades,
qui peut compter au nombre des anctres les plus
immdiats de Rabelais; il vivait au xme sicle, et son
activit potique ne parat pas avoir t gne par ses
suprieurs.
La bourgeoisie enfin a fourni galement bon
nombre de troubadours les fils de marchands ne
sont
pas rares
parmi eux Bartolom Zorzi, de
Venise, tait marchand; lias Cairel, originaire du
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30 LES TROUBADOURS
Prigord, tait graveur en mtaux prcieux; Arnaut
de Mareuil et plusieurs autres taient notaires.
Toutes les classes de la socit taient ainsi repr-
sentes dans ce monde trange des troubadours;
fils de nobles, fils de bourgeois, ou simples fils de
gueux, un mm amour pour la posie les rappro-
chait.
Il manquerait un fleuron cette couronne po-
tique, si nous n'ajoutions que les femmes aussi
s'exercrent avec honneur la posie. On compte dix-
sept potesses parmi elles Batrice, la gracieuse
comtesse de Die, dont les chansons nous font con-
natre le roman d'amour avec le troubadour Raim-
baut, comte d'Orange. Marie de Ventadour, femme
d'bles IV, passait pour une connaisseuse en art
potique; elle composa des posies et fut choisie
comme juge, avec d'autres nobles dames, dans des
questions de casuistique amoureuse (5).
Dans certaines familles les deux poux taient
potes nous connaissons au moins deux exemples
d'unions de ce genre (6). Quelquefois il se formaitune vraie dynastie de troubadours, comme dans la
famille des chtelains d'Ussel, en Limousin. Gui
d'Ussel, nous dit le biographe, tait un noble ch-
telain l'un de ses frres s'appelait bles, l'autre
Pierre; son cousin s'appelait lie; et tous quatre
taient troubadours. Gui trouvait de bonnes chan-
sons, lie de bonnes tensons et bles les mauvaises
[il y
a l une distinctionqui
n e nousparat pas
trs
claire peut-tre les mauvaises lensons dsignent-elles
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CONDI TION DES TROUBADOURS 31
des tensons grossires, comme cela arrivait quel-
quefois]. Pierre chantait tout ce que son cousin et
ses frres composaient. Gui tait chanoine de Brioude
et de Montferran. C'est lui, on s'en souvient,
que le lgat du pape fit jurer de renoncer la posie
profane.
On voit, par cette rapide esquisse, combien varie
fut la condition des troubadours. Il y en eut parmi
eux qui la fortune sourit en mme temps que la
posie, ds leur berceau; et il y eut aussi de pauvres
hres, qui, pris d'idal et de rve, n'eurent d'autre
ressource pour le raliser que de courir le monde.
Aussi la plupart d'entre eux furent-ils de grands
voyageurs. Nous en connaissons qui sont alls en
Orient, quelques-uns dans les pays d'outre-Loire,
comme Bernard de Ventadour et Bertran de Born,
qui sjournrent en Normandie. D'autres paraissent
avoir vcu la cour des comtes de Champagne,
comme un des plus anciens, Marcabrun, et peut-tre
Rigaut de Barbezieux.
Quant au sud de la
France, la
pninsule ibriqueet au nord de l'Italie, c 'tait leur pays de prdilection.
C'est l qu'ils trouvaient leurs plus puissants et leurs
plus gnreux protecteurs en Italie les marquis de
Montferrat et d'Este, dans la marche de Trvise;
l'empereur Frdric II. En Espagne ils vinrent en
foule la cour des rois de Castille et d'Aragon, en
particulier celles du roi Alfonse X le Savant et de
Jacme le Conquistador. En France il suffit de citer les
noms de quelques-uns de leurs protecteurs pris parmi
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32 LES TROUBADOURS
des plus connus ce sont les comtes de Toulouse et de
Provence, les vicomtes de Marseille, les seigneurs de
Montpellier, les vicomtes de Bziers, les vicomtes de
Narbonne, les comtes de Rodez, et ceux d'Astarac. A
ces puissants protecteurs il faut ajouter les rois d'An-
gleterre qui ont vcu en France, comme Henri au
Court-Mantel et surtout Richard Cur de Lion, pote
lui-mme, et protecteur d'Arnaut Daniel, de Peire
Vidal, de Folquet de Marseille (7).
Ce rapide coup d'oeil sur l'histoire des troubadours
nous laisse entrevoir combien ardent tait, dans toutes
les classes de la socit, l'amour de la posie et de
quelle faveur y jouissaient les potes. Une tude
rapide de leurs biographies confirmera ces impres-
sions. Jamais peut-tre la posie n'a suscit tant
d'enthousiasme, tant de dvouements.
Il existe deux sources priricipales pour la biogra-
phie des troubadours l'une ancienne, l'autre plus
rcente. Celle-ci est du clbre Jehan de Notredame,
plus conuu sous le nom de Nostradamus, procureur
du roi au Parlement d'Aix-en-Provence, la fin du
xvi sicle, et mystificateur littraire des plus auda-
cieux. Il connaissait trs bien l'ancienne posie pro-
venale et il avait sa disposition de prcieux docu-
ments que nous ne possdons plus. Il pouvait rendre
service aux tudes provenales pour lesquelles ilavait
une si grande sympathie. Il s'est amus crer une vie
lgendaire des troubadours en mlant des faits exacts
ce que lui suggraient son imagination et sa fantaisie.Il tirait ses renseignements, prtendait-il, du manus-
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34 LES TROUBADOURS
naissait de l eur vie que des lgendes; mais il semble
avoir choisi parmi les plus intressantes.
Si son rcit est des plus suspects au point de vue
historique et s'il a crit en pote la vie des troubadours,
son uvre est un document de premier ordre, non
seulement pour l'histoire de la littrature, mais encore
et surtout pour l'histoire de la socit du Midi de la
France au moyen ge. (9) C'est ce titre que ces
biographies mritent d'tre examines ici; elles nous
feront connatre le milieu o vcurent les trouba-
dours n'oublions pas seulement, avant de les aborder,
que la plupart sont des lgendes, nes dans l'esprit
des contemporains des troubadours et dont le chro-
niqueur anonyme s'est fait l'cho.
Commenons par une des rares biographies, dont
l'auteur nous soit connu celle de Bernard de Venta-
dour, crite dans la premire moiti du xtin sicle
par le troubadour Uc de Saint-Cyr. Ce qui la dis-
tingue de toutes les autres, c'est que l'auteur en a
recueilli les lments auprs du vicomte bles IV de
Ventadour, descendant d'bles II, pote, proteteur et matre de Bernard.
Bernard de Ventadour tait originaire du chteau de
Ventadour, en Limousin. Il tait de naissance pauvre,fils d'un domestique qui chauffait le four. Il tait bel
homme et adroit, savait bien chanter et trouver, et il tait
courtois et instruit. Le vicomte, son seigneur, le prit en
affection cause de son talent potique et l'honora gran-dement. Le vicomte avait pour femme une dame aimable
et gaie, qui s'intressait beaucoup aux chansons deBernard; elle s'prit de lui et lui d'elle. Longtemps
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CONDITION DES TROUBADOURS 3:i
dura leur amour, avant que le vicomte et ses compagnonsl'eussent remarqu quand il s'en aperut, il s'loigna de
son pote e t fit enfermer et garder s vrement la dame.
Celle-ci fit donner cong Bernard, en lui disant de quitterle
pays. Et il
partit; il s'en alla vers la duchesse de
Normandie, qui tait jeune et de grand mrite. Bernard
de Ventadour trouva auprs d'elle un excellent accueil.
Mais bientt elle devint la femme du roi Henri d'Angle-
terre (10). Et Bernard resta triste et dolent; il s'en vint
vers le bon comte de Toulouse et demeura auprs de lui
jusqu' la mort du comte. A ce moment, de douleur, il se
retira l'abbaye de Dalon; c'est l qu'il mourut.
Plusieurs points sont remarquer dans ce rcit.
C'est d'abord le soin que prend le vicomte pote du
fils d'un de ses plus humbles serviteurs, en qui il
reconnat des dons potiques. Et c'est aussi l'ingrati-
tude de cet enfant gt, mais c'est surtout la punition
dont elle fut paye. Par ce temps de haute et basse
justice, la vie d'un pauvre pote pouvait paratre peu
de chose. Mais le seigneur de Ventadour se contenta
de lui marquer sa froideur en ne l'admettant plus
dans son intimit.
Tout autre fut, en pareille occurrence, la conduite
d'un grand seigneur du Roussillon. Voici comment le
chroniqueur anonyme raconte l'histoire.
Guillem de Capestang tait un chevalier de la
contre du Roussillon, voisine de la Catalogne et du
Narbonnais. Il tait trs beau, trs bon cavalier ei
trs courtois. Il y avait dans la contre une dame
appele Seremonde, femme du seigneur de Castei-
Roussillon. Celui-ci tait un homme riche, mais dur
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36 LES TROUBADOURS
sauvage et orgueilleux. Et le troubadour Guillem de
Capestang faisait de belles chansons sur la dame de
son seigneur. Celui-ci l'apprit et un jour, rencontrant
le troubadour la chasse, il le tua. Ensuite il lui
enleva le cur et le fit porter par un cuyer son
chteau. Il le fit rtir avec du poivre et le donna
manger sa femme. Et quand elle l'eut mang, le
seigneur lui dit ce que c'tait, et elle en perdit la vue
et l'oue. Revenue elle, elle lui dit Seigneur, vous
m'avez donn un si bon mets que jamais je n'en
mangerai de semblable. Il voulut la frapper, mais
elle se prcipita du haut de sa fentre et se tua. La
cruaut du seigneur de Castel-Roussillon et le sui-
cide de la dame causrent une grande tristesse dans
le pays. Tous les chevaliers de la contre, tous ceux
qui taient jeunes, se runirent, le roi d'Espagne
se mit leur tte et le comte fut pris et tu. Les
corps des deux victimes furent ports en grande
pompe dans l'glise de Perpignan. Tous les ans avait
lieu un plerinage et les parfaits amants priaient
Dieu pour l eur me.C'est l, sous sa forme provenale, le roman du
Chtelain de Coucy (11), pome du xme sicle, comme
la biographie de notre troubadour. Ce n'est pas le
lieu de chercher ici si le rcit a un fondement histo-
rique ou si, comme cela est plus vraisemblable, il
n'est pas une variante d'un conte populaire.
Opposons cette lgende une des plus gracieuses
et des
plus
touchantes
que
le
biographe
nous ait trans-
mises. C'est celle dont le troubadour Jaufre Rudel,
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CONDITION DES TROUBADOURS 37
prince de Blaye, fut le hros. Voici ce rcit dans sa
sche brivet
Jaufre Rudel, prince de Blaye, s'enamoura de la
princesse de Tripoli, sans la voir, pour le grand bien et la
courtoisie qu'il entendit dire d'elle aux plerins qui reve-
naient d'Antioche. Il fit sur elle mainte belle posie avec
de belles mlodies. Pour aller la voir il se croisa et
s'embarqua. Mais quand il fut en mer, une grave maladie
le prit; si bien que ses compagnons pensaient qu'il mour-
rait sur le navire. Ils firent tant cependant qu'ils l'ame-
nrent Tripoli et le dposrent en une auberge, comme
mort. On avertit la comtesse, qui vint son chevet et le
prit entre ses bras. En la voyant, il recouvra la vue, l'oue
et l'odorat; et il loua Dien et le remercia d'avoir soutenu
sa vie jusqu' ce moment. Il mourut ainsi entre les brasde la comtesse. Elle le fit ensevelir avec honneur dans la
maison des Templiers et entra dans les ordres le mme
jour, pour la douleur qu'elle prouva de sa mort (12).
Telle est cette romanesque histoire. Elle n'a pas
manqu d frapper les historiens et les potes,
depuis Ptrarque jusqu' l'auteur de la Princesse
lointaine, jusqu' Carducci et Gaston Paris, en
passant par Uhland, Swinburne et autres. HenriHeine en a senti toute la posie et l'a admirablement
rendue dans une des plus belles pices de son
Romancero. On peut se douter par avance de tout ce
que l'imagination du pote romantique a su ajouter
au simple rcit du v ieux chroniqueur.
Dans le chteau de Blaye, on voit la muraille de
tapisseries que la comtesse de Tripoli broda jadis de ses
mains sages.
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38 LES TROUBADOURS
Elle y broda toute son me, et des larmes d'amour ont
sanctifi la tapisserie brode de soie qui reprsente le
tableau suivant
Comment la comtesse vit Rudel mourant couch sur le
rivage, et reconnut dans ses traits l'image de ses rves.
Rudel aussi a vu ici pour la premire et pour la dernirefois en ralit la dame qui l'a si souvent charm dans
ses rves.
Sur lui se penche la comtesse; elle le tient amoureuse-
ment dans ses bras; elle embrasse le ple visage de celui
qui a si bien chant ses louanges.Dans le chteau de Blaye, toutes les nuits, il y a comme
un bruit de vtements, comme un frmissement. Les
figures des tapisseries commencent soudain s'animer.
Le troubadour et sa dame secouent leurs membres
.endormis, sortent du mur et se promnent travers les
salles.
Tendres propos, doux badinage, mlancoliques secrets,
galanterie posthume de l'poque des chants d'amour.
Geoffroy, mon coeur mort est rchauff par ta voix;
dans les charbons depuis longtemps teint? je sens une
nouvelle flamme.
Mlisande! Bonheur et Fleur! Quand je te regardedans les yeux, je revis, moi aussi; m on mal terrestre, mes
souffrances terrestres sont seules mortes.
Geoffroy, nous nous aimions ainsi jadis en rve; et
maintenant nous nous aimons aussi dans la mort. Le D ieude l'amour a fait ce miracle.
Mlisande, qu'est-ce, que le rve? Qu'est-ce que la
mort? De vaines paroles; dans l'amour seul est-la ralit
et je t'aime, ternellement belle.
Geoffroy, comme il fait bon ici, dans la salle silen-
cieuse claire par la lune; je ne voudrais j amais plus
sortir aux rayons du soleil.
Mlisande, chre folle, tu es toi-mme la lumire et
le soleil. Partout o tu passes fleurit le printemps, l'amour
et la joie du mois de mai sortent de terre. C'est ainsi que devisent, en se promenant, ces tendres
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CONDITION DES TROUBADOURS 39
spectres; ils vont d e ct et d'autre, pendant que la lune
laisse tomber ses rayons par les fentres gothiques.
Mais, repoussant ces gracieux fantmes, la fin revient
l'aurore; et ils rentrent craintifs dans le mur, dans la
tapisserie.
Enfin une des plus romanesques biographies est
bien celle du toulousain Peire Vidal, dont la carrire
potique s'tend sur la premire partie du xm sicle.
Il semble avoir t dou d'une imagination fertile et
touch d'un grain de folie. Son imagination ne
dpassait peut-tre pas celle du chroniqueur qui lui
a prt de si tranges aventures. pris d'inconnu
Peire Vidal partit pour l'Orient et se maria avec une
Grecque de l'le de Chypre. On lui donna
entendre, raconte son biographe, qu'elle tait nice
de l'empereur de Constantinople et qu' cause d'elle
il avait des droits l'empire. Il n'en fallait pas
davantage pour mettre en branle son imagination et
son ambition. Il employa son argent faire con-
struire un vaisseau pour aller conqurir l'empire.
Et il portait des armes impriales, se faisait appeler
empereur et sa femme impratrice.
Voil pour la folie des grandeurs. Mais ce n'tait
pas la seule dont la nature l'et gnreusement dot.
Il tait l'homme le plus fou du monde, dit la chro-
nique, car il croyait que tout ce qui lui plaisait ou
qu'il voulait tait vrai. Et c'est ainsi qu'il s'prenait
de toutes les dames qu'il voyait et qu'il leur faisait
des dclarations. Ces femmes d'esprit se moquaient
de lui, mais lui laissaient croire tout co qu'il
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40 LES TROUBADOURS
voulait . Et il croyait, continue le chroniqueur,
qu'il tait l'ami de toutes et que chacune se donnerait
la mort pour lui.
Mal lui en prit cependant avec Azalas, femme du
seigneur de Marseille, Barral de Baux.
Le seigneur Barral, dit la chronique, savait bien que
Peire Vidal aimait sa femme et il s'en amusait. Tous ceux
qui le savaient, ainsi que sa femme, le prenaient en riant.
Et quand Peire Vidal s'irritait contre elle, le seigneur
Barral remettait aussitt la paix, et lui accordait par piti
tout ce qu'il demandait. Un jour Peire Vidal apprit que
Barrai s'tait lev et que la dame tait seule en sa chambre.
Il vint devant elle, la trouva endormie, s'agenouilla et lui
baisa la bouche. Elle sentit un baiser, crut que c'tait le
seigneur Barrai et s e leva en s ouriant. Elle regarda et vit
que c 'tait ce fou de Peire Vidal; alors elle se mit crier
et faire grand bruit. Ses demoiselles d'honneur vinrent
ses cris et demandrent ce que c'tait. ,Et Peire Vidal
s'enfuit.
La dame fit appeler son mari; mais les troubadours
avaient dcidment des privilges Barrai, comme
un galant homme, prit l'aventure en riant; et il
gronda sa femme d'avoir fait. tant de bruit pour l'acte
d'un fou.
La dame exigea le dpart du troubadour, qui se
rfugia Gnes. L, ayant appris qu'Azalas le
poursuivait de ses menaces, il passa outre-mer. Il se
consolait par des chansons, sans oser revenir en
Provence. Enfin Barrai de Baux, qui aimait beau-
coup son pote, obtint son pardon, le lui manda en
Syrie, et Peire Vidal, pardonn, revint joyeusement
a Marseille.
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CONDITION DES TROUBADOURS 41
Une autre de ses folies faillit finir plus mal pour
lui. Il s'tait pris d'une grande dame qu'il surnom-
mait la Louve (on ne sait, pour le dire en passant, si
ce nom lui vient de notre troubadour, ou s'il tait un
de ses surnoms). La Louve, puisque louve il y a,
habitait un chteau des environs de Carcassonne.
Pour lui tmoigner ses sentiments, Peire Vidal ne
trouva rien de mieux que de s'habiller en loup. Il
se vtit d'une peau de loup, pour le faire croire aux
bergers et aux chiens. Cette fantaisie drgle faillit
lui tre fatale. Ptres et chiens se mirent sa pour-
suite.
Le pauvre loup en cet esclandre,
Empch par son hoqueton,Ne put n i fuir ni se dfendre.
Il fut port pour mort au chteau de la Louve.
Quand elle apprit que c'tait Peire Vidal, elle
commena rire beaucoup de sa folie, et son mari
de mme. Son mari le fit mettre en un lieu bien
tranquille; il manda un mdecin et le fit soigner jus-
qu' ce qu'il ft guri. Peire Vidal paya ces soins
et racheta sa folie par une de ses plus jolies chansons
(De chantar m'era laissalz).
Une des plus tranges biographies est celle de
Guillem de la Tour. Il vint en Lombardie, enleva
Milan la femme d'un barbier et s'enfuit avec elle
jusqu'au lac de Cme. Il advint que la dame mourut.
Il en eut une si grande tristesse qu'il en devint fou;
il crut qu'elle simulait la mort pour se sparer de
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42 LES TROUBADOURS
lui. Il la veilla dix jours et dix nuits; et chaque soii
il lui demandait si elle tait morte ou vivante; si
elle tait vivante, qu'elle revnt vers lui; si elle tait
morte, qu'elle. lui contt ses peines et il lui ferait
dire toutes les messes qu'elle voudrait.
Il fut chass de la cit. Il partit la recherche de
devins ou de devineresses. L'un d'eux lui dit que
s'il rcitait cent cinquante patentres par jour, s'il
donnait des aumnes sept pauvres avant de se mettre
table, et s'il agissait un an ainsi, sans faillir un
seul jour, sa femme reviendrait la vie, mais sans
pouvoir manger, ni boire ni parler. Le pauvre homme
suivit le conseil avec joie; seulement quand l'anne
fut termine, il s'aperut qu'il tait bern; il se dses-
pra et se l aissa mourir.
Terminons cette revue par une biographie di-
fiante.
Giraut de Bornelh tait Limousin, de la contre d'Exci-
deuil. Il tait de basse naissance, mais il tait trs
savant et avait beaucoup d'intelligence naturelle. Il fut
appel le matre des troubadours, et il l'est encore parles bons connaisseurs, ceux qui entendent bien les mots
subtils qui expriment bien les sentiments amoureux. Sa
vie tait la suivante tout l'hiver il restait l'cole et
tudiait; tout l't il parcourait les chteaux, menant avec
lui deux chanteurs qui chantaient ses chansons. Il ne
voulut jamais de femme; et tout ce qu'il gagnait il le
donnait ses parents pauvres et l'glise de la ville o il
naquit.
Mais voil assez de lgendes, tragiques ou gra-cieuses nous en passons beaucoup d 'autres soub
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44 LES TROUBADOURS
La connaissance de ces conditions d'existence doit
nous rendre indulgents pour les troubadours. Ils man-
quent de dignit, c'est certain, dans les demandes
qu'ils adreseent aux grands seigneurs; avec inso-
lence ou humilit, par la menace ou la flatterie, ilstchent d'obtenir, l'un un bon cheval, l'autre un
beau vtement, celui-ci quelques deniers le milieu
o ils vivaient n'tait pas une cole de caractre.
Vouloir leur en faire un reproche, c'est mconnatre
les conditions de leur vie et ignorer leur histoire.
Renan, traitant dans l'Hisfoire litlraire de la
France (13), de la posie hbraque au xm sicle,
dit en parlant d'un
pote juif, Gorni, dont la vie res-
semble trangement celle d'un troubadour
Gorni n'tait pas pote d'une faon dsintresse.
Il l'tait de profession. Tout nous montre eh lui un
adulateur, ou un insulteur vnal, qui mesurait
l'loge ou le blme aux profits ou aux mcomptes
de sa vie de mendiant littraire. Les rflexions de
Renan rappellent les critiques de ce bourgeois cossu
qu'tait Boileau, reprochant Colletet, non pas de
faire de mauvais vers, mais d'aller chercher son pain
de cuisine en cuisine. Les troubadours allaient le
chercher de chteau en chteau cette ncessit
explique et excuse bien des choses.
Ils y trouvaient de redoutables rivaux dans la per-
sonne des jongleurs. Les jongleurs taient un hri-
tage de la socit romaine ils existaient d'ailleurs
avant elle et on peut suivre leur histoire depuis
l'Empire jusqu'aux origines des littratures mo-
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CONDITION DES TROUBADOURS 45
dernes. Ils taient en pleine activit quand les trou-
badours commencrent chanter. Les jongleurs
devinrent pour eux des auxiliaires les troubadours
grands seigneurs et ils taient nombreux l'ori-
gine leur confirent souvent le soin de rciter les
chansons qu'ils avaient composes. Leur rle grandit
ainsi, en mme temps que le got pour la posie se
dveloppait.
Le rle de ces deux classes, troubadours et jon-
gleurs, tant bien dlimit, il n'y avait pas de raison,
du moins au dbut de leur histoire, pour qu'elles
fussent rivales. Seulement il n'tait pas rare de voir
un jongleur s'lever au rang de troubadour. Le
mtier de jongleur exigeait certaines qualits une
mmoire fidle et une grande habilet toucher des
instruments. A chanter ainsi les vers d'autrui, plus
d'un sentit s'veiller en lui le got de la posie, et
son instruction gnrale de jongleur, sa connais-
sance de l'art et de la technique des troubadours lui
permirent d'arriver son tour au rang de pote. Ce
contact continuel entre troubadours et jongleurs
favorisait la confusion des deux classes. Vingt et
un troubadours au moins furent en mme temps
jongleurs (14).
Cette confusion n'aurait pas t grav
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