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n° 153 novembre 2012
Après la représentation
Pistes de travail
Les souvenirs de la représentation de La Mouette
Yannick Mancel, dramaturge du théâtre du Nord, dit à propos du partage des regards entre spectateurs après une représentation : « Au commencement est la description scrupuleuse de tout ce qui a été vu et entendu. Aucune analyse ni interprétation n’est possible si on ne l’instruit à la base et si on ne la déduit ensuite d’une description quasi clinique des faits, signes et symptômes.1 »
Solliciter de la part des élèves des souvenirs précis est capital car l’interprétation se fonde sur les signes et est sujette à caution si la mémoire est faillible. La réunion de trente élèves permet de reconstituer au plus près le souvenir de la représentation.
1. Mancel Yannick, « L’apprenti specta-teur : portrait historique, subjectif et utopique » dans Le théâtre et l’école :
histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002, p. 187-189.
Yannick Mancel revient sur ces éléments dans Théâtre Aujourd’hui n°13 : la scénographie, SCÉRÉN, 2012.
ActivitéÉcrire le souvenir d’une image de la représentation
Objectif : mener une description scrupuleuse du spectacle avant toute appréciation.
b Pour que la description « clinique » devienne ludique, chaque élève prend un papier et, à la manière de Georges Perec, écrit une phrase qui commence par « je me souviens » en décrivant très précisément un souvenir visuel (lié à l’espace, au mouvement des corps, aux objets, à la lumière) et sonore (lié aux bruits, aux chants, à la musique enregistrée) de la représentation de La Mouette.Par exemple : « Je me souviens des sons d’oi-seaux au début quand Macha et Medvedenko se parlent sous les arbres et que la lumière les éclaire à peine ».
b Puis chacun lit à haute voix son souvenir, ou celui d’un autre élève, et la classe écoute l’ensemble des souvenirs sans commentaire.
Pour mesurer la portée symbolique des images construites par le metteur en scène et son équipe, on peut questionner ensuite les élèves sur leur souvenir de la première et dernière image de la représentation. C’est une façon concrète de raconter l’histoire qu’ils ont com-prise. L’enseignant leur demande d’être sen-sibles aux points communs et aux variations de ces deux images et de les interpréter. Chacun contribue à les reconstruire par un échange oral.
La représentation commence par l’expression de la douleur de Macha adressée à Medvedenko sous les arbres par une nuit sombre. Elle se termine par une image chorale à l’intérieur d’une maison obscure. Seules quelques lumières venant de lampes rouges sont disséminées sur le plateau, quatre bougies sont allumées par Paulina, éclairage pour une catastrophe annon-cée, le suicide de Treplev. Dans l’image initiale, le rideau de scène presque invisible tombe très lentement au-dessus de Macha et Medvedenko qui se trouvent dans le décor du feuillage et du rocher factice. Ce rideau immense annonce la pièce de Treplev. À la fin il réapparaît en descendant à chaque extrémité du plateau côté jardin sur le bureau vide de Treplev, côté cour sur le canapé méridienne, comme une dernière apparition fantomatique de Treplev. C’est Frédéric Bélier-Garcia et non Tchekhov qui propose ce retour du rideau de théâtre de Treplev à la fin de la représentation. À partir de ces images (initiale et finale), on comprend que Tchekhov nous raconte le destin d’hommes et de femmes qui rêvent d’art et d’amour et voient leurs idéaux se briser. Mais si les hommes se tuent, les femmes hurlent leur douleur jusqu’au bout.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
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Le jeu amoureux
ActivitéRejouer un instant de duo amoureux
Objectif : développer le regard du spectateur sur le jeu physique des acteurs dirigés par Frédéric Bélier-Garcia.
b Dans un premier temps, l’enseignant demande aux élèves d’écrire, sous forme d’un schéma, la chaîne des amours : Medvedenko aime Macha qui aime Treplev qui aime Nina qui aime Trigorine qui aime… ? Paulina aime Dorn qui aime… ? Comme pour l’Andromaque de Racine, tous aiment sans être aimés en retour. Puis en s’appuyant sur la mémoire du spectacle, les élèves préparent par deux la reconstitution d’un duo amoureux sous forme d’images fixes. L’enseignant rappelle que le dessin des corps, la gestuelle, les attitudes, la physionomie, les regards doivent être précis : – Arkadina allongée au pied de Trigorine lorsque ce dernier lui avoue son attirance pour Nina (acte III) ;– Macha qui frappe avec violence le dos de Medvedenko quand ce dernier veut la ramener dans leur maison (acte IV) ;– Nina qui serre dans ses bras Treplev tout en lui avouant son amour pour Trigorine (acte IV) ;– Macha qui se refuse à Medvedenko et se débat dans ses bras (acte IV) ;
– Paulina qui dégrafe son corsage pour attirer Dorn… (acte II).
b L’enseignant, pendant ce bref temps de préparation, dessine au sol une aire de jeu de 3 x 3 m à l’aide d’un scotch blanc et demande aux duos à tour de rôle de se placer à l’endroit du plateau où se tenait l’image dans leur souvenir. Ils tiennent ce tableau vivant puis l’animent brièvement. Ils peuvent alors émettre un son ou une parole.
b Après chaque reconstitution sans parole, les élèves spectateurs disent de quels personnages il s’agit et par quel traitement du corps le metteur en scène a montré le désir ou la douleur des personnages. L’enseignant aide les élèves joueurs à être précis dans la reconstitution de la relation amoureuse et les élèves spectateurs à analyser toutes les variétés physiques de l’expression de la douleur d’aimer.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
Le jeu choral
ActivitéReconstituer un tableau collectif par le jeu et analyser deux photos de groupe
Objectif : être sensible à ce qui les rend vivantes.
b L’enseignant peut proposer aux élèves de se souvenir d’une scène chorale et de la reconstituer devant les autres. Par groupe de dix, ils préparent ce tableau après avoir choisi une scène collective où chacun s’attribue un rôle. Chaque groupe présente son image dans l’aire de jeu. L’enseignant demande
« La difficulté des scènes chorales, dit Frédéric Bélier-Garcia, c’est que deux parlent pendant que dix sont sur scène. Il faut absolument veiller à ce que les dix soient impliqués sans artifice dans le dialogue en cours. Il faut faire monter de vrais enjeux humains pour que la scène ne relève pas de la simple conversation » (annexe 14).
« Tchekhov compose avec La Mouette un grand cabaret de l’existence, dit Frédéric Bélier-Garcia. Chaque personnage est introduit dans un duo (Macha/Medvedenko, Paulina/Dorn…) puis y va de son numéro. Chacun essaie d’être aimable… tandis qu’au plus profond de lui ahane la panique d’exister » (annexe 14).
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aux élèves d’être précis dans l’attitude, les regards, la place de chacun dans l’espace et de tenir l’image muette quelques secondes. Les spectateurs disent ensuite de quelle scène il s’agit et comment « les enjeux humains » sont visibles.
b Deux photos de la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia peuvent être observées
afin de voir comment le metteur en scène réussit à rendre vivant ce grand groupe (annexe 15). Les élèves observent avec précision les regards et attitudes qui rendent vivant l’individu au milieu du groupe. Les expressions des visages et des corps permettent de comprendre les enjeux de la scène pour chaque personnage.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
Acte I : scène du début, le groupe assiste à la pièce de Treplev mais quelques uns n’ont pas les yeux rivés sur le spectacle. Chamraiev (côté jar-din) regarde vers la salle, signe d’ennui face à cette pièce d’avant-garde, lui qui aime le vieux théâtre et les acteurs d’« avant le déluge »,
comme le lui dit Arkadina. Sorine s’inquiète des réactions de sa sœur qu’il voit lever les bras en signe de désapprobation, Paulina n’a d’yeux que pour Dorn côté cour. Quant aux autres, leurs yeux convergent vers Nina et le spectacle.
Fin de l’acte IV : tous sont regroupés autour du jeu de loto mais seuls Trigorine et Chamraiev regardent le jeu. Arkadina, la mère, et Macha, l’amoureuse, regardent Treplev. Paulina adresse
un regard noir de jalousie à Arkadina. Quant à Dorn, il semble regarder de façon nonchalante le duo Treplev-Arkadina ou… dormir comme Sorine qui se trouve sur le canapé à l’arrière.
L’enseignant peut aussi rendre les élèves sensibles à l’équilibre du plateau visible dans ces deux photos, équilibre dont tout metteur en scène connaît les lois et qu’il doit particulièrement recher-cher dans les scènes collectives.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
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La bande sonore
André Serré est le concepteur son de La Mouette et a commencé avec Patrice Chéreau dans les années 1970. Ils ont été les premiers à proposer des sons venant du décor : « Avant La Dispute mise en scène par Chéreau, le son venait exclusivement de la salle. Avec Chéreau on a inventé le son du décor. Dans La Dispute, le rideau s’ouvrait sur une forêt et on a mis le bruit de la forêt. Cela a été une révolution. Au théâtre l’œil guide l’oreille. Si l’image est sur scène, le son est sur scène. Ce sera aussi le cas dans la mise en scène de La Mouette.2 »
À la question du choix des bruits réalistes et des musiques suggérés par Tchekhov dans les didas-calies, André Serré répond : « Il y a des sons inscrits dans le texte : les musiques de l’autre côté du lac, des gens qui jouent du piano… la tempête sur le lac… Mais le son est subjectif et je ne vais pas tout faire entendre : je sais par exemple qu’il y aura des aboiements des chiens car ils éner-vent Sorine et doivent aussi énerver le spectateur. Quant aux musiques, elles viendront de toutes les époques, antérieures ou postérieures à Tchekhov mais rien de russe… Ce que j’aime dans une bande-son c’est que, même si elle est faite de plein de petits bouts, elle ait une cohérence et que le public ait l’impression qu’elle a été écrite pour le spectacle. »
2. Propos recueillis par l’auteur.
ActivitéÉcrire une liste de souvenirs sonores
Objectif : comprendre la fonction du son.
b L’enseignant demande aux élèves de faire une liste de tous les sons dont ils se sou-viennent et de préciser leur intensité (fort au 1er plan ou plus lointain au 2e plan). Il peut ensuite relire avec eux les didascalies initiales de Tchekhov (annexe 9 et repérer les sons qui relèvent de l’auteur et ceux qui ont été choisis par l’équipe artistique. Enfin il leur demande de se questionner sur la fonction des sons entendus et d’en choisir un pour chacune des trois fonctions ci-dessous, en sachant bien que le bruit réa-liste a souvent une portée symbolique pour Tchekhov.
– Créer un effet de réelAinsi les bruits d’oiseaux du début créent un effet de réel et, comme le dit André Serré, correspondent à ce que le spectateur a sous les yeux : deux êtres sous les arbres, près de rochers, un soir.
– Accroître la tension dramatiqueLa musique enregistrée (Variations Enigma d’Elgar) accompagne à chaque fois le dépla-cement du décor mais aussi la grande tension
dramatique à la fin de chaque acte. Tchekhov le disait lui-même : « Je termine chaque acte comme mes récits : je le conduis doucement, paisiblement et, à la fin, pan ! sur la gueule du spectateur. » Ainsi Macha avoue à Dorn son amour pour Treplev à la fin de l’acte I. L’acte III se clôt sur le premier baiser entre Trigorine et Nina. Le choix d’Elgar, musique très lyrique et quasi cinématographique, est une traduc-tion sonore puissante de l’émotion voulue par Tchekhov à ces moments-là et rappelle les formes opératiques et cinématographiques que connaît bien Frédéric Bélier-Garcia.
– Apporter une lecture symbolique de la pièceLe bruit du vent (voulu par Tchekhov au début de l’acte IV) crée évidemment un effet de réel mais a surtout une portée symbolique. C’est à une violente et dernière tempête dans les cœurs que nous assistons. Le drame s ‘achève. Macha essaie d’échapper à l’étreinte brutale de son mari et, dans une valse de plus en plus rapide avec sa mère, dit son souhait d’« arracher » de son « cœur » l’amour pour Treplev. Nina, entre rire et larmes, serre une dernière fois Treplev tout en lui disant son amour pour Trigorine. Sorine attend la mort allongé sur la méridienne et, à l’image de Firs dans La Cerisaie, semble déjà oublié de tous. Quant à Treplev, il se sui-cide. Finie la tempête. Silence sur le plateau.
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ActivitéSuivre la vie d’un objet sur scène
Objectif : apprécier la fonction des objets au théâtre.
b L’enseignant rappelle que, dans les didas-calies de Tchekhov (annexe 6), un certain nombre d’objets sont présents, objets dont ne tient pas toujours compte le metteur en scène. Ainsi des objets datés : le croquet (jeu de l’époque de Tchekhov) disparaît, la tabatière de Macha est remplacée par la cigarette… Les élèves écrivent sur un papier le nom d’un objet dont ils se souviennent. L’enseignant rappelle au préalable le sens de l’objet : devient objet au théâtre tout élément manipulé par l’acteur (objet certes, mais aussi accessoire du personnage, élé-ment de décor ou morceau de costume). Chacun place dans un chapeau le nom de son objet puis les élèves à tour de rôle sortent un papier, lisent le nom de l’objet, le décri-vent rapidement disent par qui et de quelle manière il est manipulé. Enfin, ils émettent une hypothèse sur sa fonction. Les élèves peuvent aussi découvrir combien la mise en scène de Frédéric Bélier Garcia est proche de l’esprit tchekhovien avec une forte présence d’objets réalistes qui ont une fonction sym-bolique. Très souvent l’élément le plus banal révèle, par l’usage qu’en font les acteurs, désir et souffrance des personnages.
Quelques exemples :– la corde au milieu du plateau avec laquelle joue Macha et qui est aussi manipulée par Paulina dans une sorte d’autoflagellation ;– le verre d’alcool partagé par Macha avec Trigorine, signe de sa souffrance de ne pas être aimée par Treplev ;– les feuilles mortes cueillies puis jetées une à une par Treplev quand il parle de l’amour filial de sa mère dont il doute ;– la mouette jetée au pied de Nina par Treplev comme symbole de sa douleur et qui reparaît empaillée à la fin comme une image de la mort symbolique de Nina ;– le col du costume de Paulina qu’elle dégrafe violemment pour séduire Dorn ;– la fleur donnée par Nina à Dorn et détruite par la jalouse Paulina.
Pour prolonger cette recherche, on peut, à titre de comparaison, regarder quelques photos de la mise en scène d’Arthur Nauzyciel (Pièce (dé) montée n° 148) d’où toute trace d’objet a disparu. L’enseignant questionne les élèves sur cette opposition entre les deux mises en scène : d’un côté chez Frédéric Bélier-Garcia une pléthore d’objets réalistes, de l’autre chez Arthur Nauzyciel une disparition totale des objets qui évoque plutôt un monde de morts que de vivants.
La fonction des objets
« Il ne faut pas mettre sur scène un fusil si personne n’a l’intention de s’en servir », dit Tchekhov. Dans la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, il y a un nombre considérable d’objets qui servent le jeu et contribuent à recréer de façon authentique une époque révolue. Mais l’abondance d’objets sur scène est peut-être aussi un signe d’ironie face à l’esthétique réaliste.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
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La scénographie : une mise en abîme du théÂtre
« La Mouette parle d’une mise en abîme du théâtre, dit Sophie Perez. Entre l’histoire de la mère et du fils, ça ne parle que de réinventer le théâtre. Il faut que la scénographie soit envisagée comme un objet de théâtre relatant l’histoire des codes théâtraux et l’idée de la modernité » (annexe 8). Certes les meubles, les objets sont authentiques et relèvent d’une esthétique réaliste que le travail de l’éclairagiste accentue. Ainsi le clair-obscur du dernier acte semble vraiment venir des objets lumineux du décor, appliques, lampes, bougies. Mais la scénographie, elle, est bien une machine de théâtre qui éloigne le spectateur de toute illusion.
ActivitéReconstruire les éléments et mouvements du décor
Objectif : comprendre l’évolution et le fonc-tionnement de la scénographie.
b Par groupe de cinq, l’enseignant demande aux élèves de reconstituer avec des croquis l’évolution de la scénographie au cours des quatre actes. Quelques groupes présentent l’évolution du décor.
Un sol noir suggère la brillance d’un lac ou d’un parquet, délimite l’aire de jeu et est entouré de feuilles mortes rougeoyantes. Le décor est composé d’un immense rideau de scène et de cinq éléments mobiles qui sont déplacés pour se joindre ou se disjoindre dans l’espace. Trois d’entre eux glissent sur le sol : le décor de feuillages et rochers et les deux éléments qui ressemblent à des parties de pièces (salon et bureau). Deux autres éléments descendent des cintres : une porte (avec des dorures et deux appliques rouges) et un élément composé de trois cadres-fenêtres en bois brut. Les acteurs se déplacent de façon
très libre et non réaliste d’un élément à l’autre.L’espace change quatre fois. Le décor de feuillages et rochers de la pièce de Treplev, fermé par un rideau qui disparaît dans les cintres, est retourné à la fin de l’acte et placé côté jardin (acte I). Le spectateur voit alors une sorte de déjeuner sur l’herbe avec corde, balançoire, nappe recouverte de coussins et de bouteilles, fermé au lointain par les trois cadres-fenêtres (acte II). Puis les deux parties de pièces de la maison avancent ainsi que la porte et viennent créer un angle côté cour. Une table et des chaises occupent le côté jardin. Avant la rencontre entre Treplev et sa mère, le décor change à nouveau et les deux pièces de la maison se disjoignent : le salon côté jardin légèrement en arrière et le bureau côté cour plus proche de l’avant-scène. La porte aux appliques disparaît au lointain (acte III). Enfin l’espace est totalement fermé sous forme rectangu-laire : le salon glisse côté cour, le bureau côté
jardin (parallèles aux coulisses), la porte aux appliques rouges au centre et les trois cadres-fenêtres légè-rement au lointain. Le rideau de la pièce de Treplev tombe. Les personnages sont totalement enfermés, la maison a avancé © STÉPhANE TASSE
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
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L’évolution du personnage à travers le costume
« Nina a quatre costumes, dit Catherine Leterrier. On a marqué le temps. À la fin, elle a un corset sous sa robe : elle est devenue une femme marquée par la vie. »
Si l’espace évolue, les costumes aussi, signe du temps qui passe. Nina passe de « l’amour sororal » pour Treplev à un « amour événement » pour Trigorine, selon une distinction de Roland Barthes citée par Georges Banu 3. De l’espace de son enfance (les bords du lac) Nina part dans les grandes villes, prend le train…
Nina est le seul personnage dont on peut dire qu’elle change vraiment : la toute jeune fille du début, rêvant d’amour et de théâtre, devient une femme qui part tenter sa chance sur les scènes de théâtre, a un enfant de Trigorine, enfant qui meurt, puis est abandonnée par son amant.
3. Banu Georges, op.cit.
© MARC ENGUERAND et ARMELLE ENGUERAND CDDS
progressivement et emprisonné ceux qui vou-laient partir (acte IV).
b L’enseignant demande ensuite aux élèves de chercher un argument qui révèle que toute la scénographie est une mise en abîme du théâtre (et pas seulement quand il est question de jouer la pièce de Treplev). Au préalable l’enseignant peut lire et commenter avec les élèves l’extrait de l’entretien de Sophie Perez. Voici quelques arguments :– l’importance du rideau qui est inspiré de l’histoire du théâtre russe et de la mise en scène de Stanislavski ;– le décor factice de la pièce de Treplev (arbres et rochers) ;– les murs de la maison qui évoquent aussi des châssis de théâtre ;– le jeu avec les nombreux cadres vides qui trouent les cinq éléments mobiles et qui peuvent être des portes, des fenêtres mais aussi des cadres de scène. À travers eux,
les personnages espionnent, regardent des scènes qu’ils ne devraient pas voir ;– le déplacement à vue des meubles et des objets par des machinistes qui sont aussi ponctuellement acteurs (ils viennent d’ailleurs saluer) et des acteurs qui sont machinistes ;– le décor qui s’avoue décor de théâtre puisqu’il est déplacé, déconstruit et recons-truit à vue et que le spectateur ne voit que des murs coupés ou des pièces tronquées.
Si les objets, les beaux meubles d’époque mis en lumière par Roberto Venturi entraînent le spec-tacle vers ce que Vitez appelait « un réalisme enchanté », la scénographie en revanche repose sur un jeu de construction et de déconstruction qui éloigne du réalisme et affirme la moder-nité. Ce mélange radical d’esthétiques fait bien résonner le propos de Tchekhov sur l’opposition entre formes anciennes et formes nouvelles.
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ActivitéÉcrire la lettre de l’acteur à son person-nage
Objectif : comprendre le lien entre l’écriture de Tchekhov, la psychanalyse et la direction d’acteurs de Frédéric Bélier-Garcia.
b L’enseignant demande aux élèves d’écrire la lettre de l’acteur à son personnage et de choisir l’un des quatre jeunes : Éric Berger écrivant à Medvedenko, Agnès Pontier à Macha, Manuel Le Lièvre à Treplev, Ophélia Kolb à Nina.
La lettre doit révéler les choix de l’acteur dirigé par Frédéric Bélier-Garcia pour incarner son per-sonnage et s’appuyer sur des souvenirs précis du jeu de l’acteur. Comme s’il était son double conscient, l’acteur écrit au personnage peu conscient de ses actes et paroles et lui révèle pour quelles raisons il l’incarne ainsi (actions, manières de parler, pensées intérieures, passage d’une émotion à l’autre sans transition, évolu-tion, mouvements dans l’espace).
L’enseignant précise que la psychanalyse est née à la même époque que La Mouette et que
Tchekhov se tient constamment informé des travaux de Freud. Il n’est pas surprenant alors qu’il crée des personnages aussi peu maîtres de leurs paroles et de leurs gestes et dont nous nous sentons si proches aujourd’hui. Pour ana-lyser cette écriture du non-dit et voir comment Frédéric Bélier-Garcia traduit cette inconscience du personnage, l’enseignant demande aux élèves de se souvenir de moments où un per-sonnage agit sans savoir ce qu’il fait (Arkadina dit « Pourquoi ai-je blessé mon pauvre petit garçon ? ») ou parle à une personne et pense complètement à quelqu’un d’autre (l’actrice Ophélia Kolb — Nina — se jette dans les bras de Manuel Le Lièvre — Treplev — à l’instant même où elle dit aimer toujours Trigorine). Tchekhov, lui, proposait cette étreinte seu-lement à la fin de leur échange. La cruauté inconsciente de Nina est mise en valeur par la mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia : Nina ne voit pas que ses mots et gestes sont en train de précipiter le suicide de Treplev.
b Les élèves font entendre au reste de la classe un extrait de leur lettre. Celles-ci circulent enfin dans la classe pour être lues par tous.
La construction du personnage par l’acteur
À la question : « Comment avez-vous construit le personnage de Macha ? » Agnès Pontier répond : « Je pense toujours à Macha comme si j’étais elle. Je regarde dans la rue les filles habillées en noir et qui cultivent cette façon de se vêtir. J’essaie d’avoir une vision globale de l’évolution de Macha qui apparaît toujours en début et fin d’acte et ponctue la pièce. Sous son costume noir je cherche la vie, le pétillement, la ferveur. Certes elle se morfond mais, si je vais dans le sens du texte, cela peut devenir linéaire. Je l’imagine au contraire exaltée, lisant la poésie amoureuse de Louise Labbé. Sous le costume noir, serré et couvrant tout le corps brûle un feu intérieur. Je joue contre le costume qui pourrait évoquer une femme asexuée. »
ActivitéObserver deux costumes de Nina (annexe 16)
Objectif : être sensible à l’évolution d’un personnage à travers ses costumes.
b L’enseignant demande aux élèves d’ana-lyser l’évolution de Nina à travers deux de ses costumes : costumes de l’acte I et de l’acte IV pour qu’ils mesurent l’évolution du personnage en l’espace de deux ans.
Si à l’acte I elle est encore une toute jeune fille (costume aux couleurs claires, robe courte,
sans manche et légère qui laisse voir beaucoup de chair), le costume de l’acte IV est long, plus sombre, recouvre le corps, sauf la poitrine et le cou entouré d’un foulard rouge, signe de sensualité. La robe a des rayures qui rappellent celles des costumes de l’actrice admirée de Nina, Arkadina. Un corset invisible soutient et enferme le corps moins libre qu’à l’acte I. Le manteau semi-long est recouvert de taches blanches qui peuvent évoquer la mouette à laquelle Nina s’identifie. La chevelure et le maquillage viennent accentuer cette transfor-mation : les cheveux assez libres du début sont tirés et tenus par un chignon à la fin et les yeux non maquillés finissent charbonneux.
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Comité de pilotageJean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts et Culture, CNDP Patrick LAUDET, IGEN Lettres-ThéâtreCécile MAURIN, chargée de mission Lettres, CNDPMarie-Lucile MILhAUD, IA-IPR honoraire Lettres-Théâtre
Responsable de la collection Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Théâtre, département Arts et Culture, CNDP
Auteur de ce dossierDany PORChÉ, professeure de Lettres, formatrice
Directeur de la publicationFlorence CABRESIN, directrice du CRDP de l’académie de Nantes
Responsabilité éditorialeCyril ROY
Secrétariat d’éditionSandrine BERCIER
Maquette et mise en pageLydia BOILEAU, d’après une création d’Éric GUERRIER, CRDP de l’académie de Paris© CRDP académie de Nantes, novembre 2012
ISSN : 2102-6556ISBN : 978-2-86628-461-1
Ce dossier a été élaboré dans le cadre du PRÉAC (Pôle de Ressources pour l’Éducation Artistique et Culturelle Théâtre Angers-Nantes)
Nos chaleureux remerciements à Frédéric Bélier-Garcia, directeur du NTA et metteur en scène, ainsi qu’à ses collaborateurs, qui ont permis la réalisation de ce dossier dans les meilleures conditions.
Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique et ne peuvent être reproduits hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur.
La mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés est strictement interdite.
Retrouvez sur4http://crdp.ac-paris.fr l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée »
Bibliographie
Filmographie
Banu Georges, « Ruptures dans l’espace de La Mouette », dans Le Texte et la Scène, Institut d’études théâtrales, 1978.La scénographie, Théâtre Aujourd’hui n° 13, SCÉRÉN, 2012.Mancel Yannick, « L’apprenti spectateur : portrait historique, subjectif et utopique », dans Le théâtre et l’école : histoire d’une relation passionnée, Actes Sud-Papiers, 2002.naBokov Vladimir, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Stock, 1999.neMirovski Irène, La vie de Tchekhov, Albin Michel, 1989.Pastoureau Michel, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, Éd. du Seuil, 2003.Porché Dany, 10 rendez-vous avec Yannis Kokkos, Actes Sud/ANRAT, 2005stanislavski Constantin, Ma vie dans l’art, Éditions l’Âge d’homme, 1980.stein Peter, Mon Tchekhov, Actes Sud, 2002.tchekhov Anton, La Mouette, préface de Patrice Pavis, traduction de Antoine vitez, Actes Sud/Librairie Générale Française, 1999.—, La Mouette, traduction André Markowicz et Françoise Morvan, Actes Sud/Labor/Lemeac, 1996.« Stanislavski/Tchekhov », Alternatives théâtrales, numéro 87, octobre 2005.vinaver Michel, Écritures dramatiques, Actes Sud, 1993.
La petite Lili, Claude Miller, adaptation de La Mouette avec Nicole Garcia et Bernard Giraudeau, 2002.Partition inachevée pour piano mécanique, Nikita Mikhalkov, adaptation à l’écran de Platonov, 1977.La Mouette, Youli karassik, Russie, Potemkine K, 1972.
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