Charlotte Roucel Flirter avec ses...

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CharlotteRoucel

Destins:

Flirteravecsesdémons

Tome3

Roman

Celivreestunefiction.Touteréférenceàdesévénementshistoriques,descomportementsdepersonnesoudeslieuxréelsseraitutiliséedefaçonfictive.Lesautresnoms,personnages,lieuxetévénementssontissusdel’imaginationdel’auteur,ettouteressemblanceavec

despersonnagesvivantsouayantexistéseraittotalementfortuite.

ÉDITION:LeCodefrançaisdelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudeses

ayantsdroitouayantcause,estillicite(alinéa1erdel’articleL.122-4)etconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL.425etsuivantduCodepénal

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondecelivreoudequelquescitationsquecesoit,sousn’importequelleforme.Lespeinesprivativesdeliberté,enmatièredecontrefaçondansledroitpénalfrançais,ontétérécemmentalourdies:depuis2004,la

contrefaçonestpuniede

«troisansd’emprisonnementetde300000€d’amende».

CouverturephotoCopyright:KopytinGeorgy

Premièreédition:aout2016

ISBN:9782375760772

Copyright©2016

Correctrice:Amélie

Illustratrice:Constance

Attachéedepresse:Phanie

www.passioneditions.com

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PassionEditions

Retrouveztoutel’actualitésurl’auteur:

CharlotteRoucel

Tabledesmatières

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ÉPILOGUE

Remerciements

CharlotteestnéeetagrandienHaute-Vienne.ElleapasséplusieursannéesaupieddesPyrénéesletempsdesesétudes,maisestfinalementrevenuedanssarégionnatalepourtravailler.Passionnée,depuispetite,parlalectureetl’écriture,Charlottedécidequ’ilesttempspoursespremiersécritsdequitterleurpetiteboîtesecrètepourserévéleraugrandjour.

Destins,commevousl’appelezlesfilles.Àtoutesvosenquêtesetvosthéoriesquim’ontfaitrireetruinéeenpopcorn.

EtàCooki,monbébéd’amour.

Cettefinestpourtoi…

1

Situationsinattendues

LaconversationavecTonyauraeuleméritedemedivertir.Mesdémonssontretournésdansleurcage,guettantmonprochainmomentdefaiblesse,quinesauraittarder,pourresurgir.

Ilfautquejerentre.

Jepaye la consommation et quitte le bar dans le but de rejoindre rapidementmon lit.Enfin, ça,c’est ce que j’avais prévu à la base. Avant de voirMax etMatt assis dans mon canapé, attendantimpatiemmentmonretour.

Alorsquivafairelebonflic?Jeprendslesparis.

—Oùest-cequetuétais?medemandeMaxenmesautantquasimentdessus.

Jecroisquejesaismaintenantquiestqui.

—Jesuissortieunedemi-heure,grandmaximum.Deplus,jesuismajeureetvaccinée.Jenepensepasavoirbesoindemejustifier,encoremoinsquandvousêteschezmoi.

—Tuparsdéboussolée,jenesaisoù…

—Jen’étaispasdéboussolée.

—OhMaya,jet’enprie,pasàmoi!Tuasbeaufairetonpossiblepouraffichertagueulede«j’enai rien à foutre de rien », je vois dans tes yeux quand quelque chose ne va pas. Et là, depuis queThomasestpassé,çanevapas.

—Tuveux peut-être que je prépare un peu de thé et qu’on en discute tranquillement lovés l’uncontrel’autre?luidemandé-jesarcastiquement.

—Pourquoiturefusesdeparlerdetesproblèmes?intervientMatthew.Çapourraitt’aider.Jecroisquetuneprendspasconsciencedubienqueçapourraittefairedetelivrer.

Ilssontdebout,devantmoi,lesbrascroisés,levisagefermé.

—Voussavezquoi?Vousn’avezqu’àéchangerentrevouscesoir.Jevaismecoucher.

—À9heuresàpeine?

—Décalagehoraire,sansdoute.Etdemain,jebosse.Donc,bonnenuit.Surtoutn’hésitezpasàmepiquermonmaquillagedanslasalledebainpourvotresoiréepapotageentrefilles.

Jevaismechangeretcherchemessomnifèresavantdememettreaulit.

Jelesavaislaisséssurmatabledechevetcematin,àcôtédeceverred’eau.Maisletuben’estpluslà.

Je reviens dans le salon pour demander si les garçons n’ont pas, par pur hasard, pris mescomprimés.

—Je savaisque tuavais envied’unemanucure, semoqueMattquand je rentredans lapièceenpyjama.

—Quiatouchéàmessomnifères?

—Cestrucssonttropforts.Cen’estpasbonpourtoi,meditMax.

—Alorsquoi?Tuasdécidédemelesenlever?

— Peut-être que quand tu en auras marre de tout ça, tu te décideras à parler, me répondl’Américain.

—Oh,c’estuncomplot.Jevois…Parfait.Max,tusaisàquoiressemblentmesnuitssansartificespourmeplongerdansunsommeilprofond.Pourquoifais-tuça?

—Ilfautquetuprennesconsciencequetuasunproblème,Maya.Etqu’ilfautquetuenparles.Petitàpetit,lessomnifèresneferontpluseffet,alorstutetournerasversquoiàtonavis?

—Versquelquechosedeplusfort,continueMatt.Commedeladrogue.Deladroguedure.Extasie,morphine…C’estmaintenantqu’ilfauttraiterlachose,pasquandtuserasencurededésintox'.

Mêmesijesaisqu’ilsfontçaparcequ’ilss’inquiètent,enfinMaxs’inquiète,maisMattjepensequecen’estquedelacuriositémalplacée,çamemethorsdemoi.

Etj’ailatrouille.

Latrouilledefermerlesyeuxetdevoircesvisagesencoreunefois.

Mais je fais comme d’habitude, je pars me coucher en haussant les épaules comme si de rienn’était,tropfièrepourmontrerqu’àl’intérieurdemoi,j’aidéjàrongémesonglesjusqu’aucoude.

Jem’allongeentremblantpresque.Ilfautquejepenseàautrechoseettoutirabien.Jetentedemeconvaincretantbienquemal.

Je tourne etme retourne durant plus d’une heure. Il y a vingtminutes, j’ai entenduMax quitterl’appartement.LatéléestencorealluméedoncMatthewesttoujoursausalon.

Petitàpetit,mesyeuxseferment.Doucement,jesombredansunsommeilagité.

Quelquesheuresplus tard, jemeréveilleunefoisdeplusenhurlant,enpleursetensueur.Moncorpsestagitépardestremblements.Jenesaispasvraimentoùjemetrouve.Quelqu’unestlà,jesenssesmainssurmesbrastentantdemaîtrisermesspasmesd’affolements.

—Calme-toi.Maya,calme-toi.Toutvabien.

C’estMatt,jereconnaissavoix.

J’ouvrelesyeuxetlevoispenchésurmoi,mespoignetsentresesdoigts,leregardpeiné.Quandj’amorcelepremiergeste,ilmelâcheetseredressepourquejepuissem’asseoir.

Jepassemamaindansmescheveuxpuiseffacemeslarmes,maisd’autresglissentlelongdemesjoues.Unsanglotmeurtdansmagorge.Moncorpss’agitesoudain.Mattcaressedoucementmondos.J’aiunsursautàsoncontact.

—C’estmoi,toutvabien.Tunerisquesplusrien,mechuchote-t-ilens’approchantdemoi.Jesuislà.C’estfini.

Sonbrass’enrouleautourdemeshanchesetilmetireàlui.Levisageenfouidanssoncou,jetentedemecalmer, sansgrandsuccès.Alors, ilmemurmuredesparolesapaisantes toutenmecâlinantcommeuneenfant.Samainseperddansmescheveuxhumidesetglisselentementetinlassablementlelongdemacolonnevertébralejusqu’àcequejecessedetrembleretquemeslarmessetarissent.Mespaupières commencent à se fermer. Je pèse de plus en plus contre son torse. Matt devine que jem’endors,alors,sansmelâcher,ilnousfaitbasculergentimentsurlelit,rajustelacouverturesurnoscorpsetmemaintientcontreluijusqu’àcequelafatiguem’emporteànouveau.

Jereviensdoucementàmoiaprèsquelquesheuresdesommeilsansrêves.J’ouvreàpeinelesyeuxquejemerendscomptequequelquechosecloche.Moncorpsseraiditsoudainetmarespirationsecoupe.Mamain est posée sur des abdos durs et chauds tandis quema joue est contre un pectoraltravaillé.Majambeestpasséepar-dessusunbassinfintypiquementmasculin,habilléd’unboxernoirCalvinKlein.Un souffle léger caressema chevelure surmon front et des doigts reposent surmahanche.

Putain,c’estquoicebordel?!

Jelèveunpeulesyeuxpourapercevoirlevisaged’Anderson,tournéversmoi.Sespaupièressontcloses,sabouchelégèrementouverteetsatignasseenbataille.

Jeréprimel’envied’yglissermesmainscarc’esttotalementstupidedevouloirça.

Cenesontquedescheveuxaprèstout.

Etqu’est-cequ’ilfaitlà,sousmoi?

Jenemesouviensplusvraiment.

J’ai encore eu un de ces cauchemars,mais… Il y avait quelqu’un avecmoi.Quelqu’un quim’aaidéeàm’apaiser.Jebaisselesyeuxsursapeauaubronzageatténué.

Merde!

JemesuislaisséeallercontreMattcettenuit.

Quelleconne!

Cequ’ilavu,iln’auraitjamaisdûlevoir.Siseulement,ilsn’avaientpasprismescachets.

Leréveilm’indiquequej’aiencoreunpeudetempsavantqu’ilnesonne,maisjeneveuxsurtoutpascroiserleregarddel’Américainaprèscequ’ils’estpassécettenuit.Ilfautquejemelèvesansbruit. Je fais délicatement glissermes doigts sur sa chair afin d’appuyermapaume sur lematelaspourmerelever.Unenuéedefrissonssuitmonpassage.Mattgrognedoucementetbouge.Sesmainss’insinuentsousmontee-shirtetrencontrentmapeau.Ilyacommeuncrépitementdansmacolonnequandilresserrel’emprisequ’ilasurmoietqueseslèvresseposentsurmonfront.

Putain,ilfautquejemesortedelàcarmoncorpsneréagitpasdelabonnemanière!

Maisaprèstout,dois-jeluienvouloir?Depuiscombiendetempsn’a-t-ilpasconnulesplaisirsdelachair?Bientroplongtemps.

Avant, je n’aurais pas hésité à glissermamaindans ceboxer pour réveiller de la façon la plusdouce mon compagnon de sommeil, mais aujourd’hui, tout est bien trop différent. Tony m’adéfigurée,enbas,etpersonnen’aencorejamaisvudequoiilenretournait,misàpartlesmédecinsàl’hôpital.Touslestypesquibossaientpourl’Italiennem’ontjamaistouchée.Jerentraischezeux,lesdroguaisetrepartaisaupetit jour.Toutcequejesouhaitais,c’étaitqueTonycroitquejemetapaistoutcequibougeaitpourluifaireautantmalqueluim’enfaisaitensortantavectoutescesblondes.Ilaétéledernieràmevoirentièrementnuesouslui.JenepeuxdoncpasenvouloiràmoncorpsdesetendrecontreMattsuiteàcebrusquerapprochement,maisilfautqu’ilsoitbienconscientqueriennepeutsepasser.

Absolumentrien.

Jerestecinqminutes,immobile,àécoutersarespirationredevenirrégulièreavantdesortirdulit.Je désactivemon alarme, avance sur la pointe des pieds jusqu’àmonplacard, prends des fringuespropresetfilesousladoucheàpasdeloup.

Je laisse tomber le sèche-cheveuxetme faisune tressevite faitbien fait. J’attrapedequoipetit-déjeuneraubureauetm’envaisenrefermantdoucementlaportederrièremoi.

Unefoissurlepalier,unpetitsoupirdesoulagements’échappedemabouche.Jemedépêchederejoindremavoiture.Àmoil’inventairedelaréserve!

Jemetstrèspeudetempsavantdeparveniràdestination.

Quandj’allumelapièceetfaisunerapideévaluationdesdégâts,jesaisdéjàqu’ilmefaudraplusdetroisjourspourtoutrépertorier.

J’aibesoind’uncafé.Après,jem’ymets!

**

Ilest22heuresetjen’aimêmepaslistélamoitiédumatériel.Touteslesfeuillessontétaléesausolen face demoi, des cadavres de gobelets en plastique traînent çà et là aumilieu d’emballages encartondemalbouffe.

Jemefrottelesyeuxàcausedecettelumièreartificielleviveetremetslesmèchessortiesdematressederrièremesoreilles.Cettepièceestdansundésordremonstre.Rienn’estrangéàsavéritableplace.C’estunenferpourtrouverlebonmatériel.

Jeportemamainàmabouchepourcamouflerunénièmebâillementalorsquemonventregrondeunefoisdeplus.Ilfautdirequ’àpartlesandwichetlepaquetdechips,jen’airienavaléd’autre.Oh!Si!Unlitredecafé,bienentendu.

Ilvafalloirquejerentre.J’aitéléphonéàMaxcematinpourluifairepartdesinfosqueTonym’adonnées,j’espèrequ’ilsontpuavancerunpeusurnotreprojet.J’espèresurtoutqueMattvaaccepterdem’aidersinon,jenesaispastropcommentmedébrouiller.

Allez,Maya,rangetonbordeletrentretecoucher!

Jeramassemesgobeletsvides,faisuntasavecmesfeuillesetfermelaremiseàclé.

Sur le chemin du retour, j’appréhende d’être confrontée àMatthew. Je n’ai absolument aucuneenviederevenirsurcequ’ils’estpassécettenuit.D’ailleurs,ilfautquejetrouveunepharmaciedegardeetrécupèreunenouvelleboîtedesomnifères.Ilsnemerendrontpasmescomprimésetjenecomptepasdiscuterdemesproblèmesaveceuxouavecquiquecesoitd’autred’ailleurs.

Unefoislesprécieuxcachetsenmapossession,jerentreplusapaiséesachantquemanuitserabienmeilleurequelaprécédente.J’ouvremaported’entréeavecdifficulté,encoreunefois.Cetteserrureaunsouci.Ilfaudraitpeut-êtrequejedemandeàquelqu’undelaremplacer.

J’ai un légermouvement de recul quand je pénètre dans la cuisine.La table estmise pour deuxpersonnes.Ilyaunplatdanslefouretjedoisavouerquel’odeurestalléchante.Maisdînerentêteàtêteavecl’Américainnemeréjouitguère.Ilvaencoremeposermillequestions,suiteàmacrisedepaniquedueàmoncauchemar.

—Tuasdelachance,tusais.Çaauraitpufinirbrûléàforced’attendrequeturentresduboulot,meditMattducanapé.

Jesursautelégèrement;jenel’avaispasvu.

Ilcoupelatélévisionetselèvepourserapprocherdesfourneaux.

—Tu débauches toujours aussi tard d’habitude ou tu espérais justeme fuir éternellement pourqu’onneparlepasdecequ’ilt’estarrivécettenuit?

Ilmejetteunregardinterrogateurtoutenservantunverredevinrougequ’ilmetendensuite.

Jedétestecetteperspicacité.

—J’avaisduboulot,c’est tout, lui réponds-jevaguementen trempantmes lèvresdans le liquiderouge.Çasentbon,tuasfaitquoi?

J’essayedel’orienterversautrechose,mêmesijesaisqu’ilreviendraàlachargeplustard.

—Unesimpletartechèvre-épinards.Assieds-toi.

Jeposemavestesurledossierdelachaiseetprendsplace.Ilnoussertets’installeenfacedemoi.

—Maxestpassécematin,m’annonce-t-il.Lesinfosquetuassontmaigresquandmême.Onpartunpeutropàl’aveugletteaveccettepièce.

—Cequisignifie?

— Je vais devoir faire un repérage extérieur. Je veux vraiment être certain de tout ce que vousm’avezavancéavantdemelancer.

—OK,pasdeproblème.Etquandcomptes-tufairecerepérage?

—Demain.Letempspresse,mesemble-t-il.

—C’estsûrqueplusviteceserafait,plusvitetupourrasprendreuncontratplusintéressantetsansdoutemieuxrémunéré.

—Oh,jen’aipasencorefixémonprix.Alors,nedivaguepastropàcesujet.Çarisquevraimentdetecoûtercher,m’annonceMattensouriantfièrement.

—Jet’aiditquejetepaierai.Pourcedossier,jesuisprêteàtout.

Cettephrasen’auraitpasdûsortirdemabouche.Sonregards’assombritetunsouriresatisfaitse

collesursonvisage.Ils’adosseàsachaiseetcroiselesbrasenmedétaillantsanslamoindregêne.

—Etjusqu’oùserais-tuprêteàaller?medemande-t-ild’unevoixsuave.

Jelèvelesyeuxauciel,maisquelquechoseausuddemonanatomieseréveille.

Faischier!

—Jeneferairiendesexuelavectoi,mets-toibiençadanslecrâne.

—Trèsbien.Alorsquedis-tudequelquechosedeplusbestial?

—Tun’aspasdûcomprendre.Jevaistel’expliquerautrement.Jenetoucheraipascequitesertdecerveauàl’heureactuelleettuneposeraspastesmains«hyperhabiles»,jecite,surmoncorpsetencoremoinsauxendroitsstratégiques.Est-cequec’estplusclairpourtoi?

—Essayes-tudet’enconvaincre?

Jesouffled’exaspération,maisnerelèvepas.Inutile,ilal’aird’êtrenépourm’emmerdercelui-là.

Jefinisdemangersoussonregardinquisiteur.

Ilfautdirequ’ilauncertaintalentaveclacuisinecarcettetarteétaitvraimentdélicieuse.J’avalerapidement mon verre de vin et grimace quand je me souviens avoir promis à Tony de ne plustoucheràl’alcool.Aprèstout,cen’estquepouragrémenterlerepas.Jenecherchepasànoyermapeine,c’estdifférent.Non?

Biensûrquesi!J’aipromisàTony.

Pourquoi?Ilm’afaitdéjàtantdemal.

Pourquoiai-jefaituntrucpareil?Jen’ensaistroprien.

J’aimepeut-être juste l’attentionqu’ilmeporte.Parcequepersonnene s’estvraimentoccupédemoicommeill’afaitpendantdeuxans.Aufond,personnenem’aaiméecommelui.

Si,Lucas.Lucasm’aimait.

Ilauraitpeut-êtrepumedonnerça. Ilauraitpum’apporterde lastabilité. Il savaitmegérer. Ilatoujourssumerendrelesourire.Oui,maisilestmort.Lucasestmort.Tonyl’abattujusqu’àcequesoncœurlâche.Ill’adéfiguré,ill’afaitsouffrirjusqu’àsonderniersouffle.

—Maya!

Jenem’étaispasrenducompteàquelpointj’étaispartieloinniàquelpointj’agrippaisleborddelatable.Mattmeregardeavecincompréhensionetinquiétude.

—Tupensaisàquoi?Qu’est-cequ’ils’estpassé?

—Rien.

Commed’habitude,jefaiscommesiderienn’était.

—Nemedispasrien!J’aivupasseruntasdechosesdanstesyeux!Pourquoirefuses-tutoujoursdeteconfier?Cen’estpasêtrefaible.Tuenasbesoin!

—J’aibesoinquetuarrêtesavecça.Arrêtedevouloirouvrirdesportesalorsquetun’asmêmepasidéedecequ’ilyaderrière!Cessedevouloirmefaireparler.Jeneveuxpas!Qu’est-cequetunecomprendspas?!

—Jenecomprendspaspourquoi tu refuses justement. Je tevois souffrir ! J’ai senti tadétressecettenuit.

—Sivousn’aviezpasprismescomprimés, j’auraispupasserunenuit tranquilleetm’épargnertoutça.

—Tescauchemarssontviolents!J’essayaisdeteréveillerdepuisdeuxbonnesminutes.J’aivuàquelpointtuétaisterrorisée.As-tuuneidéedutempsquetuasmispourtecalmer?Ilt’afalludeuxheuresetdemiepourpouvoirarrêterdesangloter.Cetruc,c’estdelatorturementale!Tuasbesoind’aide.

—J’aibesoindecesputainsdesomnifères!luicrié-je.

Enme levant d’un bond,ma chaise tombe avec fracas sur le sol de la cuisine. Ilm’imite et serapprochedangereusementdemoi,levisagefermé.

—Etquandilsneferontpluseffet,tuteréfugierasdansladrogue.Tumourrasprobablementd’uneoverdosedansuneruellesombre.C’estcequetuveux?

—Lemondeseporteramieuxsansmoi.

—Tudisn’importequoi.Laseulechosequetuasàfaire,c’estpartagertonfardeau!Lesautresle

font.

—C’estmonhistoire,monproblème.

Onsetientàquelquescentimètresl’undel’autre,lesyeuxdanslesyeux.

—Pourquoiest-cequetuesaussibutée,bordel?!

—Ettoi?

—Parcequejeveuxt’aider!

—Maispourquoi?Jenetel’aipasdemandé,ilmesemble.

Jequittelacuisinepourm’enfermerdansmachambre.

Jemejettesurlelitetétouffeuncrideragedansmoncoussin.Quelqueslarmescoulentdemesyeux.Jeplongemonvisageunpeuplusdansl’oreilleretattendsquetoutçapasse.

Jemesuisendormiesurmoncousintrempé,troplassedemespleurs,sansprendredesomnifères.Je suisdonc sortiebrutalementdece sommeil agité, la respiration saccadée, les jouesbaignéesdelarmes, le corps tremblant etmon estomac se contractant violemment. Il n’y a pas une seconde àperdre.Jemelèveetcoursaussivitequemesjambesflageolantesmelepermettentjusqu’àlasalledebain.

Danslecouloir, jemanquedemefairetélescoperparMattquej’aidûréveilleravecmoncridedouleur.

Jerepoussesesbrasquitententdemerameneràluipourglissersurlecarrelagefraisdelasalledebain.J’ai juste le tempsderelever lecouvercledes toilettesetdemepencheravantquemoncorpsrendeabsolumenttoutcequ’ilavaitpuingurgiterdanslajournée.

Matt, quim’a suivie, empoignemes cheveux afin de les écarter du champde tir. Je le remercieintérieurement.Ils’agenouillederrièremoietglisseunbrasautourdemeshanchespourmesoutenir.

Ilrestelà,jusqu’àcequemesspasmessecalment.

Quand c’est le cas, ilm’aide àm’asseoir un peu plus loin,m’aide àme brosser les dents et vamêmemechercherunverred’eaupourmerincerlabouche.

Lanauséeestpassée,maispas le reste.Quelquesgouttes salées tombentdemesyeux fatiguésetmoncorpstrembleencore.

J’ai remontémesgenouxcontremapoitrine etme suis entouréedemesbras,mais cen’estpassuffisant.

Mattposesamainsurmacuisse,m’appelledoucement,maisc’estàpeinesijel’entends,bientrophantéeparmonpassé.Sesdoigtss’incrustentsousmonmentonetmerelèventlevisageafinquejesoisenfacedelui.Sesyeuxbleusmescrutent,peinés.

—Tunepeuxpasresterici.Viensteremettreaulit,ceseraplusconfortable,medit-ilgentiment.

Maisjen’esquisseaucunmouvement.Alors,ilpasseunbrassousmesfessesetl’autredansmondosavantdemesoulever.Naturellement, jem’accrocheàsoncouetposematêtedanslecreuxdesonépaule.Jepaniquelorsqu’ons’approchedemonlit.Moncorpsseraidit.Jeresserremonemprisesurlui.

Jenepeuxpasmerallongermaintenant.C’esttroptôt.

— OK, pas de problème, me dit Matt sans que je n’aie eu besoin de parler. Regarde, je vaism’asseoirlà.Çateva?

Jemeretrouvesursesgenoux,danssesbras,aupieddemonlit.Matêtereposetoujourssursonépaule,undemesbrasestaccrochéàsanuqueetlamaindel’autreaglissésursontorseàl’endroitexactoùsoncœurbatdoucement.Sapaumesurmahanchememaintientcontre luiet ladeuxièmefrottemondospourm’apaisercommelanuitdernière.

Detempsàautre, ilmefredonnedesmotsréconfortantsetquelquesfois,ses lèvress’appliquentsurma tempe.Peuàpeu,ma respiration se cale sur la sienne, lesbattementsdemoncœur sur lessiens,commesinousnefaisionsplusqu’un.Mattdoitsentirquejesuismolledanssesbras,quejereviensdoucementàmoicarilreprendlaparole.

—Ilparaîtquelefaitderaconteruncauchemarempêchequ’ilseréalise,mechuchote-t-il.

—Lemienestréel,parviens-jeàluirépondredansunsouffle.

—Iltesembleréel,maiscen’estqu’unmauvaisrêve.

Non,cen’enestpasun.Cesontmessouvenirsquiremontentchaquenuit.Maiscommentluifairecomprendresanstoutluirévéler.

—Est-cequetuveuxmeleraconter?medemande-t-ild’unevoixpeuassurée.

—Jenepeuxpasfaireça.

—Pourquoipas?

—Parceque…

—Parcequequoi?

—Parcequeçavoudraitdirequeças’estvraimentpassé.Etjeneveuxpasqueçasoitlecas.Ilfautqueçarestedansmatête.

—Tunel’asjamaisracontéàpersonne?

—Non.

Onm’ainterrogéungrandnombredefoissurcequ’ilétaitarrivécesoir-là,maisjen’aijamaisrépondu. J’ai vu leurs regards quand ils ont compris ce que j’avais fait. La peur et le dégoûtqu’exprimaientleursyeuxm’ontblesséeauplusprofonddemonâme.Laisserlavéritésortirdemabouchen’auraitfaitqu’aggraverleursperceptionsdemoi.Alors,jen’aijamaisriendit,niauxpsys,niauxinfirmières,niauxpompiers,niauxflics.Àpersonne.MêmepasàThomas.

Ilétaitlà,ilavu,ilaparticipé,maisjamaisnousn’enavonsreparlé.C’estcommeunaccordtaciteentrenous.Onfaitdesallusions,maisriendeplus.

Jemeconvaincsquetantqueçanesortpasdemabouche,c’estqueçanes’estjamaispassé.Toutçan’estjamaisarrivé.Jesuisdansledénitotaletc’estcomplètementincohérentavecmondésirdevengeance,maisjefonctionnecommeçadepuiscesoir-là.

Nepasdireleschosesfaitqu’ellesn’existentpas.

—C’estpeut-êtrepourçaqueçateremueautant.Tunecroispas?

Thomas n’en a jamais discuté avec moi, mais il en a parlé avec beaucoup de monde. Lescauchemarsqu’ilfaisaitaudébutsesontassezvitearrêtés,environtroismoisaprèsquenousavonsintégrél’hôpitalpsy.Etàcettepériode,ilallaittouslesdeuxjoursenconsultation.Aujourd’hui,çanel’atteint plus commemoi. Il vit sans trop de séquelles et continue toujours à s’entretenir une foistoutes lesquatresemainesavecunpsy.Lefaitd’avoirsorti leveninluiapermisd’avancersansselaisser happerpar les démonsdupassé.MaisThomasn’a été que spectateur alors que j’ai joué le

premier rôle dans ce sombre épisode de notre histoire. Est-ce comparable ? Pourrai-jemoi aussividermonsacetrevivresanstoutecettehorreurenmoi,sanscettedouleurincessante?J’aibeaucoupdemalàycroire,maispourlapremièrefoisjel’envisage.

—Pasmaintenant,murmuré-jecontresontorse.

Il resserre son étreinte et se contente d’enfouir sa tête dans mes cheveux avant de lâcher un«comme tu voudras ». Ses doigts s’appliquent dansma chevelure brune puis son cœur s’accélèrelégèrementdanssapoitrine.Samainenveloppemonvisageetletourneverslesien.

—Jevaisallerlecherchertondossier,medit-ilenplongeantsonregarddanslemien.Jeprendslerisqued’yalleràuneseulecondition.

—Laquelle?

—Toncauchemar.Jeveuxquetumeleracontes.C’estmonprix.

—Tuneveuxpasd’argent?luidemandé-je,surprise.

—Non.Jeveuxjustequetumeparlesdeça.

Je fronce les sourcils,nesaisissantpasvraimentpourquoi il souhaiteêtrepayédecettemanièrealorsqu’ilauraitpuavoirunpetitmillion.C’estassezabsurdequandonypense.

—Jenecomprendspas…

—Iln’yarienàcomprendre.Jevaist’aider,c’esttout.

Samainglissedemajoueetreplacequelquescheveuxderrièremonoreilleavantd’enserrermanuque.

—Pascesoir,soufflé-jeduboutdeslèvres.

—Nonpas ce soir.Quand tu seras prête à partager ça avecmoi.En attendant, je reste là, je nebougepas.J’irailechercherensuite.D’accord?

Je hoche la tête, ne trouvant plus lesmots. Il est proche, trop proche demoi. Ses lèvresm’onteffleurée et mon corps s’est réveillé. Ma respiration s’est accentuée, mon ventre s’est serré. J’aiempêchémespaupièresdesefermer,maisleregarderm’affole.Jelesenssecontractersousmoietsesdoigtss’emmêlentdansmescheveux.Sesyeuxfixentmabouchetandisquesonsouffles’écrase

avec forcecontreelle.Monespritestcommeanesthésié. Je saisqu’il fautque jeme lèveetque jequittecettepiècecarjenepeuxpaslelaisserm’embrasseretm’allonger.Ilnedoitpasm’approcherdetropprès.Dèsqu’ilverramesbrûlures,ilseradégoûtédemoietpartira.Maisj’aibesoindeluipourmondossier.Ilfautqu’ilresteaumoinspourça.Personned’autrenepourralefaire.

Pourtant, je ne bouge pas d’un pouce lorsqu’il descend progressivement vers moi et pose seslèvreschaudessurlesmiennes.Unsoupirs’échappedesabouchequandj’entrouvrelamienneetsuissesmouvements.Jepassemamaindanssescheveuxindomptablesetmerapprochedelui.

Nosgestessontlentsetdoux.Ilyaquelquechosedetrèsrespectueuxdanslamanièrequ’iladememaintenircontreluietd’emprisonnermeslèvresentrelessiennes.Néanmoins,unfeuindescriptibles’emparedemoi.Jeserremescuissespour tenterdetairecedésirdérangeant,mais lapressionnesuffitpaspourlefairedisparaître.Celafaitbientroplongtempsquepersonnenes’estoccupédemoi.Etcesoir,moncorpsledemande,lecrie,lehurle,l’exige.

LesdoigtsdeMatt caressentmacuisse. J’ai soudainenviequ’ilsvisitentune toutautrepartiedemon anatomie. Quand sa langue cajole ma lèvre inférieure, la réalité me saute au visage. Je medétachedeluiavecbienplusderegretsquejenel’auraispensé.J’essayedemerelever,maisilm’enempêche.

—Excuse-moi,c’étaitcon,souffle-t-ilententantdemegardercontrelui.Jesaismetenir,laisse-moiresterencoreunpeu.

Sonregardestsuppliant,maisjenepeuxpascéder.

—Lâche-moi,s’ilteplaît.

—Maya…

—Matt,s’ilteplaît,insisté-je,unpeuplusvigoureusement.

Ildesserresonempriseetserelèveavecmoi.

—Jem’excuse,d’accord?C’étaitidiotetjen’auraispasdûfaireça,mais…

—Sors,lecoupé-je.

—Maya…

—Sors.

Ilexpireentirantsursescheveuxetmeregardeavecunairmeurtri.Ilfinitquandmêmeparquittermachambreetrejoindrelasienne.

Pourtant,jesensencoresaprésence,sesmainssurmoietseslèvressurlesmiennes.

C’estuneerreur,unegrosseerreur.Monétatdefaiblessem’apousséeàçaetjemedéteste.Jeledéteste,lui,d’avoirprofitédelasituationpourm’embrasser.

2

Mensongesettrahisons

Je jetteunœilauréveilquiaffiche04heuresdumatin. Inutilede tenterdemerendormir, jen’yarriveraipasetilesttroptardpourquej’avaleunsomnifère.Alors,jem’habillerapidementetmemetsenroutepourletravail.Detoutefaçon,jenepeuxpasresterchezmoiavecMattdel’autrecôtédelacloisondemachambre,c’estinenvisageable.

**

Leparkingestdésert,cequiestnormalpourcetteheure.Levigiles’étonnedemevoirlàaussitôt,mais me laisse quand même entrer. Je prends l’ascenseur jusqu’au quarante-septième étage pouravaleruncaféavantdememettreauboulot.

Lesbureauxsontplongésdanslenoiretjen’aipasfranchementenvied’allumercesfoutusnéons.Quand j’arrive au milieu du couloir, de la lumière filtre sous la porte du bureau de Georges,entrouverte.C’estassezbizarrecarcederniern’embauchegénéralementpasavant06heures.

Jem’approchediscrètementpourvérifiersinousn’avonspasunintrusdansnoslocaux.

—Vousl’avezperdu?

LavoixdeGeorgesmestoppe.Sontonestduretbrutal.Jenesaispasquiestsoninterlocuteur,maisiladequois’inquiéter.

Rassurée d’entendremonpatron, je commence à rebrousser cheminpour aller enfin boiremonprécieuxcaféquandunedeuxièmevoixs’élève.CelledeThomas.

—JevousavaisditquesansMaya,onrisquaitd’avoirdesproblèmes!Onn’avaitpas les infosqu’ilfallait.

—Jeneveuxpasqu’ellesoitmêléedeprèsoudeloinàça.

—Jenevoispaspourquoi.Elleseseraitcertainementfaitunplaisirdele liquider.Claireestun

bon élément,mais pour le renseignement, c’estMaya lameilleure et vous le savez. Elle aurait sutrouverquelqu’unpournousfilerletuyauquinousmanquait!

—Oh,parcequetucroisquec’estsonabsencequivousafaitéchouer?

—C’estenpartieunecause,oui.

—Non,trancheGeorges,vousêtesincompétents.Tousautantquevousêtes.Unseulhommeauraitdûsuffirepourça.Unseul.C’étaitsimple.Vousdeviezprogresserdenuit,entrer,liquiderlacibleetvousextraire.Unedemi-heuredecréneau.Alorsqu’est-cequivousaéchappé?

—Peut-êtrelefaitqued’autreshommessontvenusl’extraire!

—Quandbienmême.C’étaitd’autantplusfacileàfaires’ilétaitsortidesacellule!

—Ilsétaientlourdementarmés!Claireaprisuneballe,sonétatétaitcritique…

—TusaispourquoiMayaestdeloinau-dessusdevoustous?Parcequ’ellen’apasd’étatsd’âmeetpeuimporteavecquiellecouche.

Commentn’ai-jepasremarquéqueThomassetapaitClaire?!

—Jen’abandonnepasmeséquipiers!

—Etgrâceàça,Rossiestdanslanature.Etvivant,desurcroît!

Marespirationsecoupeetmoncœurcessedebattreuninstant.

Tony?Qu’est-ceque…

Putain,GeorgesademandéàThomasde le liquider?C’estpourçaque jeme retrouvecoincéedanslaréserveàcompterlesmunitions?

—J’aifaitmonmaximum.Maisjen’avaispasd’hélico,s’écrieThomas.

—J’aicompris.Arrêtedesanscesseessayerdetejustifier!

—Quefait-onmaintenant?J’aidéjàlancédesrecherchessurnosserveurs,maisjenepensepasqu’ilsoitidiotaupointdeprendreuntrainouunavion,ditThomas.

—Onnefaitrien.

—Commentça,onnefaitrien?

—Ilvavenirànous,sansqu’onaitbesoindeleverlepetitdoigt.

—Jenevoispasbienpourquoiilreviendraitparlà.

—PourMaya,luirépondGeorges.

—Ilfautqu’ellesoitaucourant.Rossiluivoueunehainesansfaille…

—Ilneviendrapaspourlatuer,crois-moi.Cequetuignores,moncher,c’estqu’ilatentédelajoindre plusieurs fois lorsqu’elle était en mission en Afrique. Fort heureusement pour nous, j’airéussiàcontenirsesassautstéléphoniques.

—Jenecomprendspas.

— Rossi a trouvé quelques pièces manquantes au puzzle deMaya. Il sait certaines choses et ilcomptes’enservirpourfairepencherlabalancedesoncôté.

—Commentpouvez-vouslesavoir?

—Iln’estpasleseulàavoirdesamisunpeupartout.IlveutrécupérerMayaetjenelelaisseraispasfaire.

—Jenevoispasquelles informations ilpourrait avoirpour…,Thomass’arrête soudain. Il saitquelquechosesurl’internat?

—Peuimportecequ’ilsait.Ilesthorsdequestionqu’ill’approche.

—Pourquoinedonnez-vouspastoutàMaya?Oncourt-circuiteRossietellenousaideàl’avoir.C’estsimple.

— Non. Il faut qu’elle arrête avec sa stupide chasse aux sorcières. Elle a passé l’âge de semorfondre.

—Alorsqu’est-cequ’onfait?

—OnattendetonmetMayasoussurveillance.J’aidéjàdeséquipesquilasuiventdepuisquelquesjours.Jeveuxquetuprennesleschosesenmain,Thomas.IlnefautpasqueRossientreencontactavecelle.Jeneleveuxmêmepasdanssonchampdevision.Est-cebienclair?

—Trèsclair,Monsieur.

—Etpasunmotsurcettehistoire.Ellen’apasbesoindesavoirqu’iladisparudelaplanète.Pourelle,lenomRossiestàbannir.

—Trèsbien.Onvaresteràl’écartjusqu’àcequecesoitréglé.

—Jevaisfaireensortedelamainteniroccupéejusqu’àcequecesoitfait.

Jesuislà,aumilieudecefoutucouloir,immobile.Jenecomprendspascequejeressens.Tropdechosesmeprennentauxtripes.

Tonyestsorti.

Ilaréussiàs’évader.

Ilserabientôtprèsdemoi.

EnfinsiThomasneluimetpaslamaindessousavant.

Cependantdois-jeredouterquel’Italiencommetteunfauxpas?Jusque-là,ilatoujourssumenersabarque.Maisquandçam’impliquemoi,iloubliesouventdejouerlaprudence.Ilsaitquel’Agenceestaprèslui.Ilserasursesgardes.

Pourvuqu’ilfasseattention.J’aibesoindelui.

Vraiment ? Tu crois que tu ne peux pas t’en sortir seule ? Penses-tu pouvoir lui faire encoreconfiance?

La question est là. Sur qui puis-je encore compter aujourd’hui ? Qui sont les personnes quisouhaitentréellementmonbien?Visiblement,ceuxquiavaientcerôledepuisdesannéesnesontplusdignesdeconfiance.JenesaispassiTonyestvraimentfiable,dumoins,passansavoirjetéunœildanscedossier.

Andersonveutunechosequejenepeuxpasluidonner.

EtilyaMax.Leseulenquijepeuxavoircentpourcentconfiance.

Mavieaprisuntournantinattendudepuisquelquetemps.Jesuispasséedemeilleurélémentaduléàparia.Jesuisseule,fatiguée,uséeetperdue.

Je les entends sedirigervers le couloir, alors je rentrediscrètementdansunbureauetme tapisdansl’ombre.Ilsvontpasserparlepostedesécuritéouparleparkingetilssaurontsansaucundoutequejesuislà.Ilfautquejerejoignelaremiserapidement.

Au diable le café, il est nécessaire que je conserve l’avance que j’ai sur eux. Jeme dépêche desortirdubureauquandlesportesdel’ascenseurserefermentsureuxetprendslesescaliers.Jesautelesmarchesdeuxpardeuxetmerueautrente-cinquièmeétage.J’ouvrelaremise,allumelalumière,étaledespapiersdevantmoi,tacheunpeumesdoigtsd’huileetcoinceunstyloderrièremonoreille.

Cinqminutesplustard,Georgesentreetlanceunregardcirculaireàlapièce.

—Tuestombéedulit?medemande-t-il,méfiant.

C’est sûr que pour moi qui n’arrive jamais au bureau avant 10 heures, ça tient carrément del’exploit!

—Enquelquesorte,luiréponds-jeennotantlaréférencedecettehuile.

—Etqu’est-cequetufaislà?Pourquoitunet’espasrecouchée?

— Je n’avais plus sommeil et puis, vu ce qu’ilme reste à faire, je suismieux ici. Thomasmetomberadessussijen’aipasfiniquandilrentrera.

—Tuasletempsalors,parcequej’airallongéleurmission.

—Ilyaeuunproblème?demandé-jeinnocemment.

—Claireareçuuneballe.

—Peut-êtrequ’ilfautquej’yaillepourlaremplacer.

Àquoibonposerlaquestionsic’estgraveoupas?Jenelasupportepasetchacunlesait.

—Non,c’estbon.Ilssedébrouilleront.Finisça.Quandc’estfait,viensmevoir.Jet’expliqueraicommentrentrertesdonnéeseninformatique.

—OK.

Ils’apprêteàsortir,maisseraviseauderniermoment.

—Est-cequetudorscorrectement?

Laquestionàunmillion.

—Çava,merci.

—Tumelediraissiturefaisaiscescauchemars,n’est-cepas?

—Biensûr,luirétorqué-jeavecunsourire.

—Jem’inquiètepourtoi.

—Toutvabien,jet’assure.

Jetentedel’apaiser,maisauvudesonregard,jesaisquec’estunéchec.

—Beaucoupdechosestesontarrivéesettavieneressembleplusvraimentàcelled’ilyaquatreans.Jepeuxcomprendrequeçateperturbe…

—Jegère,Georges.Jen’aipasbesoinqu’onfasseça.

—Tuveuxdire,enparler?

—Oui.Toutvabien.

—Commed’habitude,hein…,s’exaspère-t-il.Toutvatoujoursbiendanslemeilleurdesmondes.

Jenerépondspas.

Jesaisoùçavanousmeneretj’aidéjàtropeucetteconversationdepuisquelquetemps.

—Tuseraisparfaitesitun’étaispasaussibutée,souffle-t-il.

—Laperfectionn’existepas.

—Elleauraitpu,chuchote-t-ilavantdefermerlaporte.

Sesparolesmelaissentungoûtamerenbouche.Qu’est-cequeçaveutdire?

Jen’aipasvraimentletempsderéfléchir.IlfautquejecontacteMax.Matthewnepeutpasresterchezmoi,c’est tropdangereuxpour lebiende lamission.Etpuis,çam’arrangebiencaraprèscematin,jenesaisplustropquoipenserdelui.

On amis en place certaines alertes avecmon ami. Je lui envoie un bref texto d’un prépayé. Il

comprendraetsauracequ’ilfautfaire.

Oui,sij’aibienunepersonnesurquijepeuxcompter,c’estMax.

**

Jeterminetard,trèstard,suffisammentpourqu’ilfassenuit.

Ensortantduparking,jeremarqueunevoituregaréesurletrottoir.J’enregistrelenumérodesaplaque et avance un peu plus loin. Elle s’insère dixmètres derrièremoi, laissant quatre véhiculesentrenous.JesaisquelespersonnesqueGeorgesamisesenplacesontdansl’habitacledelaberline.Jepeuxdéjàdirequebientôt,elledécrochera,etqu’uneautreviendrameprendreenfilature.Ilfautquejelesrepèretoutesetquejenotementalementlesimmatriculationsdechacune.Jedoutepouvoirvoir levisagedes agents recrutés,mais si jamais cela arrive, jedois êtreprête àmémoriser leurstraits.C’estimportant.

Quandjerentre,l’appartementestvideetplongédanslenoir.Jefermerapidementlesvoletspuisverrouillemaporte.

Jevérifielachambred’amis;lesaffairesdeMattontdisparu.Unpoidss’envolesoudainement.Jesuissoulagéedenepasavoiràlerecroisertoutdesuiteetdenepasavoiràdiscuterdecequ’ils’estpassécematin.

Surlatabledelacuisine,unequichem’attend.Jen’aiplusqu’àlafaireréchauffer.

Pourquoi a-t-il pris la peine de me laisser à manger ? Pense-t-il que je ne me nourris pascorrectement?Tonym’aditquej’avaismaigri,maisçanevientpasdufaitquejenem’alimentepas.C’estmonsommeilquijouelà-dessus.

**

Lelendemain,j’arrivevers09heuresaubureau.

Jem’enfermedans la remise,vérifie s’iln’yapasdemicrosquelconqueset téléphoneàMaxàl’aided’unnouveauprépayé.

—Dis-moi,toncolis,jel’airécupéréhiersoiretiln’apasdesserrélesdentsdepuis.C’estàpeines’ilgrognequandjeluidemandeuntruc,melanceMaxenguisedebonjour.

—Ehbien,tuasdelachance!Parcequ’avecmoi,ilesttoujoursunpeutroploquace.Qu’est-cequ’ilfaitlà?

—Ilesten traindeplanchersur lesous-sol. Ila faitunrapiderepéragehier,donc il revoit toutpourêtresûrden’avoirrienloupé.

Aumoins,ilnerefusepasdem’aider.C’estdéjàça.

—Mets-ledevantlesfourneaux,iln’estpasmauvais.

—Visiblement, il n’y a quepour toi qu’il cuisine. Il a tenu à te faire cette quichehier avant departir,maisenarrivantchezmoi,onacommandédespizzas.Jenedoispasavoirlesbonsattributs.

—Nedispasn’importequoi.

—Bon,qu’est-cequ’ilsepassedesicompliquépourquejerécupèreMonsieursourired’avril?

—Tonyestsorti.

—Ilaétélibéré?!s’écrieMax.

—Non,iladécidéqu’ilétaittempspourluidefaussercompagnieàsesgeôliers.

—Putain…

—Attends,cen’estpaslameilleure.Thomasetl’équipeétaientpartispourlesupprimer.

—Succès?

—Non,ilsl’ontloupéetcettesalopedeClaireaprisuneballe.

—Merde,c’estgrave?

—Ons’enfout!m’indigné-je.

—T’espascroyable,sérieusement!

—J’aisurprisuneconversationentreGeorgesetThomashiermatin.Jenesuismêmepascenséeêtreaucourantdetoutça.Et,j’aiaumoinscinqvoituresquimefilentletrain.

—Ouais,hierilyavaitungarsdevantl’immeublevoisin.Jel’aitrouvésuspectdonconestsortisparlesous-soldel’autrecôtéetj’aimismissAmericadanslecoffrejusquechezmoi.

—T’espassympaaveclui,Max.

—Jel’aimebien,maisiltirelatronche.C’estchiantàvoir.

—Propose-luiunebière,jenesaispas.Untrucquilefassesourire.

—J’aiuneidée.Attends…Matt!!!hurle-t-ildanslecombiné.

—Non,Max,pasça.Jen’aipasletemps.

—Matt,j’aiMayaautéléphone.

—Trouducul!

Maisilnem’écoutedéjàplus.Lesalopard.

Jelesentendsmurmurerunpeu,puislavoixdeMattrésonneàmonoreille.

—Salut,comments’estpasséetanuit?

—Tuneperdspasdetemps,râlé-je.Bien.

—Tuasprisuncomprimé?

—Oui.

—Tusaisquecen’estpasbon…

—Jenepeuxpasmepermettredeperdretropd’heuresdesommeilencemoment.Tropdechosessepassent,ilfautquejepuisseêtreréactive.

Ilsouffle,maisneditrienavantd’ajouter:

—TumemetsenpensionchezMaxparceque…

—Je suis sous surveillanceà l’Agence, le coupé-jeavantqu’ilnedisequoique se soitdeplus.GeorgesetThomastrafiquentquelquechoseetmetiennentàl’écart...Tuavancessur…

—Tuneveuxpasenparlernonplus?Cen’estpasparcequetun’enparlespasqueçanes’estpaspassé.Onétaitdeux,Maya.Etjepeuxtejurerqueças’estproduit.

—Écoute,situveuxdiscuter,voisavecMax,parcequejen’aipasvraimentletemps,débité-jeàtoutevitesseavantderaccrocher.

Jereçoisuntextodanslafoulée

*Tuestotalementimmature.

Jerisintérieurement;s’ilsavaitcombiendefoisTonymel’arépété.

Jerangeletéléphoneetmemetsauboulot.

Cesoir,jedevraisavoirfini.

3

Laperte

J’ai terminé bien plus tôt que prévu alors j’aimis le temps qu’ilme restait à contribution pourranger la remise.Ça serabienplus évident lorsquenousdevrons fairenos sacs avantdepartir enmission.Jesaisdequoijeparleétantdonnéquecettetâchem’esttoujoursattribuéeparThomas.

Alorsquejemecroyaissortied’affaire,lelendemain,Georgesm’acolléeàmonbureaudevantlelogicielleplusvieuxaumonde.

Ilfautquejerentretoutesmesdonnéeslà-dedansetaucuneréférencen’aétéactualiséedepuismilleans.D’habitude, leservicecomptas’enchargeet ilsont l’habitudedefairelelienentrelesancienscodesetlesnouveaux.Pasmoi.

J’aidemandéàGeorgespourquoiilsnes’enoccupaientpasetilabienentendutrouvéuneraisonstupide.

Jem’arrache littéralement lescheveuxetunmaldecrânecommenceàpoindrealorsque jen’aientréqu’unedizainedechiffres.

Pourquoia-t-onautantderéférences?!Etpuisc’estquoicecharabia?!Jevaisenavoirpourdixanssiçacontinue!

J’aitentéd’allerdragueruntypelà-haut,àlacompta,maisGeorgesadûlesmenacercariln’apasdaignéleverlesyeuxdesonordinateur.

À18heures,jedécidequejemesuisasseztorturél’espritcommeçaetrentre.

Jem’installe devant la télévision après avoir enfilémon pyjama et somnole un peu. Jusqu’à cequ’unsonmeréveillebrusquementetmeglacelesang.Monquartierestbientropcalmepourqueçasoitnormal.

Moncorpsfrissonne.Monespritestenalerte.

Une idéemevienten tête.Ellecourt-circuite instantanémentmes facultésde réflexions. Jecoursdehors,piedsnus.

Faitesqueçanesoitpaslui…

Arrivéesurletrottoir,larueestsilencieuse,commemorte.

Pitié,faitesqueçanesoitpaslui!

Jebalayeplusieursfoislarueduregard,maisriennebouge.Etpuisunéclatdevoixretentitàmadroite,suivid’unenouvellesalvedecoupsdefeu.Moncœurs’arrêtedebattrelorsquej’aperçoislasilhouettequicourtversmoi.

Non,pitié,paslui,pasmaintenant.

Tonymeremarqueetaccélère.

Qu’est-cequ’ilfaitlà?Àpied?!

Thomasetcinqautrespersonnessontderrièrelui.Celuiquejeconsidéraiscommemonfrèremevoitetstoppesapoursuite.Jesaiscequ’ils’apprêteàfaire.

Monsangnefaitqu’untour.

Jenepeuxpaslelaisserfaire.

JememetsàfoncersurTony,maisavantqu’unsonpuissesortirdemeslèvres,Thomaslèvesonarme,ajustesontir,etlecouppart.

Laballel’atteintdansledos.

L’impactprojettesoncorpsausol,facecontreterre.

Jemejetteàgenouxprèsdelui,mefoutantdubitumequiarracheletissudemonpantalonetquigriffemapeau.

Laballeestentréeauniveaudesonpoumondroit.Dusangcouleengrandequantitéde laplaie.Tonysetournetantbienquemal.Jenevoispasdepointdesortie.Laballeadûrencontrerunosetéclater. Ce qui signifie que son poumon n’est probablement pas le seul organe à être touché. Jeréprimeunsanglotet les tremblementsdemesdoigts.Cequ’ilvasepasserneserapas long,maiscelaluisembleradureruneéternité.

Samains’approchedemonvisageeteffleuremajoue,puismeslèvres.

—Salut,chaton,balbutie-t-ildifficilement.

— Qu’est-ce que tu fais là ? Tu savais que c’était dangereux, lui réponds-je, d’une voix peuassurée,chargéedechagrinetdereproche.

—Ilfallaitquejetevoie.

—Jesuislà.

J’essayedesourire,sansgrandsuccès.

Sarespirationsiffle.Ilcherchedel’air,maisn’enabsorbepasassezetjenepeuxrienfairepourl’aider.

—Jesuisdésolée,soufflé-jeencaressanttendrementsescheveux.

—Cen’étaitqu’unequestiondetemps,articule-t-ilavecdifficulté.

—Nedispasn’importequoi,Tony.Onenavaitencorebeaucoupdevantnous,dutemps.

Sesyeuxs’embuentpeuàpeuetdeslarmescoulentlelongdesesjoues.Samaintombedemonvisagecommesiçaluidemandaittropd’efforts,etjesaisquec’estlecas.

—Tun’auraisjamaisdûvenirici,luimurmuré-jeencaressantsamâchoire.

Sesdoigtsagrippentmataillependantqu’ilchercheàprendredel’air.Ilnemequittepasdesyeux.Sonvisagereflètesadétresse,sadouleur.

—Regarde-moi,essaye-t-ildemedire.

Dusangemplitsabouche,signed’uneimportantehémorragieinterne.

Je ne peux pas contenir mes larmes plus longtemps. Son hémoglobine coule sur le trottoir etimprègnemonpantalonencoton.Jemepencheversluipourqu’ilmevoiemieux,toutencontinuantmescaresses.Jetentedel’apaiser,deleguiderversunmondeoùlasouffrancen’existeplus.

—Maya…

Sonpoingseserresurmontee-shirt.

—Je…Je…t’aime.

Deslarmess’échappentdesesbeauxyeuxbrunsàcausedeladouleur.Jepleuremoiaussi.Pourlui,pourmoi,pournous.

Iln’arriveplusàprendred’air.

—Moiaussi,jet’aimeTony.

Sespupilless’illuminentuninstantquandcesmotstombentdemeslèvres.Unsoupçondesouriresedessinesurlessiennes.Jen’attendspaspluspourmepencheretl’embrasserdoucement.

J’ailegoûtdesonsangdanslabouche,maispeum’importe.Jecollemonfrontcontrelesienetplongemonregarddanslesienjusqu’àcequ’ilrendesonderniersouffle.

Sesmainslâchentl’emprisesurmontee-shirtetmonsanglotéclateenuncriaigu.

Celuidudésespoir.

Deuxpaumespassentsoudainsousmesaissellesetmeportentplusloin.Maismesyeuxnepeuventsedétacherducorpsdeceluiquiapartagémaviedurantdeuxans.

Je ne me rends pas compte l’agitation des équipes de l’Agence autour de moi, je ne vois pasThomasquis’accroupitenfacedemoietquimedemandesiçava.Jenesenspasquandilmesecouepourme faire réagir.Non.Mais j’aperçoisces types soulever lecorps inertedeTonyet le fermerdanscestupidesacnoiravantdel’emmenerau-delàdemonchampdevision.

Ilneresteplusqu’uneimmensetachedesang.

Est-ceàcelaqu’ilseréduitmaintenant?Àuneflaquerougeâtre?Jerefusequecesoitlecas.

Pourquoi est-il venu ?Pourquoi ce soir ? Il était au courant que j’étais sous surveillance et quel’Agenceétaitàsestrousses.Ilsavaitquec’étaitdusuicide.Etsic’enétaitun?Non.Pourquoiaurait-ilvouluça?Ildésiraitplusquetoutvivreavecmoi.Jenecomprendspas.

Jenecomprendsrien.

Ilyacevideenmoi,justecevide…

**

Quelquechoseclaquesoudainsousmonnez.Quandjelèveleregard,jevoisquejesuisdanslebureau deGeorges. Ce dernier vient de frapper la paume de samain durement contre le bois dumeuble.Thomasm’observe,inquiet,dansuncoindelasalle.

—Quefaisais-tudehorsàcetteheure-làenpyjama?s’écritmonpatron.

Il a l’air furieux. Moi, je suis perdue. Mes paupières papillonnent, j’essaye de comprendrecommentjesuisarrivéelà.Maisc’estlefloutotal.

—Maya!

Ilclaquedesdoigtsdevantmesyeuxverts.

—Maya,concentre-toi.

—Çanesertàriendelabrusquer,intervientThomas.

Jeleregardeetl’imagedeTonyagonisantdansunemarredesangmerevientàl’esprit.Jemelèvebrusquementdemachaiseetmedirigedangereusementverslui.

Toutestdesafaute!

Ilseredresse,comprenantqu’ilvayavoirunaffrontement.

—Tul’asfaitexprès,sifflé-jefroidement.Tul’astouchéàcetendroitexprès!

Thomasestbontireur.Ilauraitmillefoispul’atteindreenpleinetêteoudroitdanslecœur.Maislaballeapercélepoumon!

—Ilneméritaitpasunemortpropreetnette.Etcelle-ciétaitencorebientropdoucepourlui!

—Ils’estétouffé!

—Çan’apasprisplusdedeuxminutes!

—Espècedeconnard,éructé-je.

Jelepoussecontrelemur.Satêteheurteleplaco.

—Tuterendscomptecequec’estquedeuxminutesquandtuagonises!

Ilsecontentederire.

—Tuledéfends!Aprèscequ’ilt’afait?s’indigne-t-il.

Ilmebousculeàsontourpouragrandirl’espacequ’ilyaentrenous.

—Aprèscequ’ilafaitaumondeentier,s’écritThomas.Ilneméritaitpasderespirercetairunesecondedeplus!

Il attrape violemmentmon poignet etme plaque contre la porte en bois du bureau.Georges nebougepasdesonsiège.Ilparaîtamuséparlasituation.

—Dis-moiquetunel’aimespas,Maya,medemandeThomasensecollantcontremoi,levisageàquelquescentimètresdumien.

Jemecontentedeleregarderavechaine.

—Tuluiasdit!Jet’aientendue!

Ilhurleetmesecoue.Mondoscogneplusieursfoiscontrelaporte.

—Il estmort, c’estbienceque tuvoulais, crié-jeàmon tourenmedégageantde sonemprise.C’estcequevousvouliez!

J’insistesurle«vous»etlesregardetouràtour.

—Cequ’onveutMaya,c’estquetunousdisess’ilt’afaitpartd’informations.

J’éclate de rire. Mais ce n’est pas une démonstration de joie. J’ai ce goût acide au fond de labouche,celuidelabile.

Ilsmedégoûtent.

—Jenevoispaspourquoiilm’auraitditquoiquecesoitetjevoisencoremoinscequ’ilauraitpumedireaprèsquenousayonsdéterrétoussessecrets!

Jedonneuncoupd’épauleàThomasensortantdelapièce.Pasquestionderesteraveccesdeuxmenteurspluslongtemps.Ilsmerépugnent.Jejettemonportableàl’autreboutducouloir.Ils’éclatecontrelecarrelage.Pluspersonnenepourramejoindreetc’esttantmieux.

Je descends au sous-sol, trouve une voiture de fonction que je démarre et rentre à mon

appartement.Jeneveuxvoirpersonne.

4

Del’aide

Çafaitunesemainequejen’aipasmislenezdehors.

Unesemainequejetraînedansmonlit.

UnesemainequeMax,Thomasetd’autresfrappentàmaporteetcherchentàmejoindre.

Unesemainequejenerépondsàpersonne.Jefaislamorte.

Jesuismorteàl’intérieur.Vide,complètementvide.Jen’aienviederien.Lebilandemavies’estimposé de lui-même lorsque je suis rentrée de l’Agence et que j’ai claqué la porte de monappartement.Jenesuispersonne.Jen’aipasdefamille,pasdeproches,pasdemaris,pasd’enfants.

J’approchelatrentaineetjecumulelescadavres.Chaquepersonnequia,untantsoitpeu,tentédemeconnaîtreafinipartrépasser.Combiend’amisai-jeperdus?Combiend’amants?Lesmeilleurssont les premiers à partir, paraît-il, alorsmon tour est loin d’être arrivé. J’ai l’impression d’êtreengluéedanstoutescespertes.

Lecielestchargé, totalementnoir, l’atmosphèreestétouffante. Jene reverrai jamais lemoindrerayondesoleil.Jesuisenroutepourlesabysses,totalementseule.

La télévision est alluméedansma chambre que je ne quitte que pour aller aux toilettes,mais jen’entendspas, nevoispas cequ’ellememontre. Je fixe l’écranavec le regard leplusvideque lemondeaitconnuetattends.

Jecompte.

Compterm’aide.

Çam’atoujoursaidée.

J’ai à peine conscience des cris et des coups frappés sans relâche àmaporte. Je ne veux aucuncontact. Ne comprennent-ils pas ? Dès qu’onm’approche, on fait un pas de plus vers lamort. Jerefusequeçaseproduise.Jenelesupporteraisplus.Jesuislà,immobile,repliéesurmoi-même,etjecompte.Jenepleurepas,jen’yarrivemêmepas.Ilfautdirequelesommeilmefuit.Jesuistellementépuisée,maisquandquejefermelesyeux,jevoisTony,allongésurlebitume,puismoncauchemar

s’enmêleet tout semélange.Alors jehurle, trembleetcomptepournepasmerendormir. Je luttecontremespaupièreslourdesetuncyclesansfins’actionne.

Jen’aipasfaim,passoif,paschaud,pasfroid,pasmalnonplus.Jeneressensrien,absolumentrien.

Souslacouverture, j’entendslaportedemachambres’ouvrir,maisjesaisquemoncerveaumejoue des tours. Personne ne peut être là, j’ai tout verrouillé et il n’y a personne avecmoi. Je suisseule,totalementseule.Puismonmatelass’affaisseetunpoidssefaitsentirjusteàcôtédemoncorps.Impossible que j’imagine ceci. Paresseusement, surtout parce que je suis à bout de force, j’ôte lacouettedemonvisagepourêtrecertainedenepasdivaguer.Mattestassislàetmeregardeavecunairindéchiffrable.

—Depuisquandtun’aspasaérécettepièce?medemande-t-ilenplissantlenez.Çasentlamort,ici!

—Dégage, luibalancé-jeenremettant lacouverturesurmoi,maiscedernierme l’arrached’uncoupsec.

—Ilfautquetusortesdelà.

—Dégage!

—ÇafaitdesjoursqueMaxessayedetevoir.Ilesttrèsinquiet.

— C’est tout ce que tu trouves pour justifier d’avoir une fois de plus forcé ma serrure ?!m’exclamé-je.

Jesorsunpeudemonnidetm’assieds.

Mattreculeenfronçantlessourcilsquandilm’aperçoitdansmonensemble.Ilfautdirequejeneressembleàrien.Jen’aipasquittémonlitdepuisunesemaine,cequiimpliquequejen’aipasprisdedouchedepuislesoiroùTonyestmort,nimêmebrossémesdentsetjetraînedanslemêmepyjamadepuiscinqjours.Mescheveuxsontgras,monvisagedoitêtresemblableàceluid’unpandaaveclestracesnoiresqu’adû laissermonKhôl,mescernesdoiventdescendresurmespommettes, j’aiunevraiehaleinedechacaletjepuelatranspirationàpleinnez.

Jememontrevraimentsousmonmeilleurjour!

Mais,jem’enfous.

—Enfait,jecroisquecen’estpaslachambrequiaunproblèmed’odeur,déclare-t-ilenbouchantsonnez.

— Si ça ne te convient pas, la porte est par là, rétorqué-je en désignant celle-ci d’un geste dumenton.

Ilselève,maisnepartpaspourautant.Ilouvreunefenêtreets’appuiesurlereborddecelle-ci.

—Ilyadesgensquit’aiment,Maya,etquis’inquiètentpourtoi.

J’éclatederire.Unriredénuédejoieetdesens;unrirefou.

Desgensm’aiment?Quipeutbienencorem’aimer?Ceuxquis’ysontrisquésysonttousrestés.Jeportemalheur.Unemalédictiondoitavoirétéjetéesurmoiafinquejeresteseule.SeuleavecmafoliecarjemedemandemêmesiMattestréellementlà, toutàcoup.Qu’est-cequ’ilferaitdansmachambre?Pourquoimedirait-ilquedespersonnesm’aiment?IldoitsavoirpourTony.EtpuisMaxest aussi au courant pour Lucas et l’internat. Il sait déjà que je suis un cas désespéré. Pourquoivoudrait-il prendre de mes nouvelles ? Même Thomas, mon tout, mon frère de cœur, m’aabandonnée.Non,Matt ne peut pas être là. Je suis seule, condamnée à errer dans l’abysse demestourmentspourtoujoursjusqu’àladémence.Jusqu’àcequejerejoigneTony,Lucasettouslesautres.

Ma poitrine se serre et une douleur fulgurante éclate. J’ai l’impression qu’on m’arrache lesmembresetqu’onmebroielesos.Monrirefouprendfinetuncris’échappedemabouche,suivideprèsparunsanglotincontrôlable.

Ladiguevientdeserompre.

Moncorpsestsecouéparmespleurs,j’enaidumalàrespirer,àmoinsquecesoitàcausedeladouleur?Jenesaisplus.Jesouffretellementdanstouslessensdutermequejepriepourquecelacesse.Matts’affoleenmevoyantainsi,ilmeprendrapidementdanssesbrasetattends,mesoutient,sansrienajouterdeplus,commes’ilcomprenaitmapeine.Meslarmessetarissentbienviteàcausedemonétatdefatigue,mais ladouleur,elle,nemequittepas.Mattmeditquelquechoseque jenesaisispas.Moncorpssesoulèvesoudainetvolejusqu’àlasalledebain.Çayest,jesuistotalementaliénée.J’atterrissur lacuvettedes toilettesetdansunéquilibreprécaire, je regardeMattouvrir lerobinetdelabaignoirepuisvidermonbainmoussanthorsdeprixdansl’eauquicommenceàmonterdoucement.L’odeurdepêchevientchatouillermesnarinesetmonventrefaitunbruitàréveillerlesmorts.

—Biensûrquetun’aspasmangé,souffle-t-ilavecpitié.

D’ordinaire,jel’auraisrenvoyéchezsamère,maisjen’aimêmepaslaforcededireunmot.

Quandlabaignoireestremplie,ilcoupel’eauets’accroupitdevantmoi.Sesmainsseposentsurlebasdemontee-shirtetsonregarddouxs’accrocheàmesprunellesvertes.Jehocheàpeine la têtepourluidonnerl’autorisationqu’ilattendait.Délicatement,ilpassemonhautpar-dessusmatêteetlebalancedanslacorbeilledelingesale.Ilcrochètemonshortetlefaitglissersurmescuissesavantdel’envoyer dans le panier. Je me retrouve donc en sous-vêtements devant lui. Une certaineappréhensions’emparedemoi.MaisMattmerassureenmesoulevantetmeplongedoucementdansl’eau.Lamousserecouvremoncorpsjusqu’àmesclaviculesetlatempératuremeréchauffesoudain.Jen’avaispasl’impressiond’avoirfroidpourtant.D’unmouvementhabile,ildégrafemonsoutien-gorgeetmeleretiresansmetoucheravantdeglisserundoigtsurmahanchepourattraperlecôtédema culotte. Je lève à peine le bassin qu’il réussit à l’ôter. Je suis entièrement cachée par le bainmoussantetj’ensuisravie.Jenesouhaiteenaucuncasm’exposerdansleplussimpleappareildevantl’Américain. Ce dernier s’empare d’un gant de toilette, y dépose une noisette de savon et frottegentimentmesépaules,mesbras,monvisage,manuque.Ilsoulèvemajambe,nettoiemespieds,puismesmollets.Jelelaissefaire.J’aiconfiance.Jamaisiln’esquisseungesteéquivoque.Ilresteloindeszones sensibles et j’ai le plus grand respect pour lui à ce moment. Quand il termine de medébarbouiller,ilattrapelepommeaudedouchepourmemouillerlescheveuxavantdeleslaverdeuxfois de suite. Ses doigts glissent contre mon cuir chevelu d’une manière délicieuse. J’en oubliepresquemesmaux.

Ilmetendfinalementlegantdetoilette:

—Tiens,occupe-toidureste,jereviensaprès.

Jesuisunpeuabasourdieparsadouceuretsagentillesse.Maisjefinisparfrottermonépidermecachéparlamousse,sansgrandevigueur.

J’entendsdesbruitsdecasserolesplus loinetmedemandecequ’il trafique,maismonespritesttellementfatiguéquejenepeuxpasréfléchir.MatêtetombesurlereborddelabaignoireenattendantqueMattrevienne.

Lorsqu’ilestderetour,ilposedesvêtementspourmoisurlavasqueavantdesortiruneimmenseserviettedebain.

—Ilvafalloirquetutelèvesseule,medit-il.Tupeuxyarriver?

J’agrippelesrebordsetpoussesurmesjambessansgrandsuccès.LamaindeMattsesaisitdemonbras.Jelèvelesyeuxverslui,aveccrainte,maisilnemeregardepas.Sonvisageesttournédesortequ’iln’aperçoivepasmanuditéet je lui en suisencoreplus reconnaissante.À tâtons, il enroule ledrapdebainautourdemoncorps,mesoulèveetme repose sur lacuvettedes toilettes. Il sortuneautre serviette, frictionnemes épaules,mes bras et le haut demondos avant de sécher un peumacrinière.Mesyeuxsefermentquandilattrapelesèche-cheveuxetqu’ilcommenceàmepeigner.

Unefoissec,ilmefaitrapidementunetressepuiss’accroupitànouveaudevantmoi.Labrosseàdentspasselabarrièredemeslèvres.Jeprendslemancheafindefaireçatouteseule,frottantcommejepeux.

Ensuite,Mattm’aideàmepenchervers le lavabopourcracher ledentifrice. Ilme tendunverrepourquejemerincelaboucheavantdemedire:

—Habille-toi,OK?Jereviensdanscinqminutes.

Ilpoussemesaffairesprèsdemoietsort.

Leverlebrasjusqu’àmaculottemedemandeuneénergiefolle.Jemebaisse,lesyeuxfermésetlatêtelourde,maisparviensquandmêmeàl’enfiler.Jereproduislamêmechoseavecmonpantalonetunvertigemesaisit.

Bordel!Jevaisvomir,jecrois.Çanevapas,touttourne.

Du bout des doigts, je réussis à attraper mon tee-shirt et à le passer sans que ma nausée mesubmerge,maisçanevapasmieux.J’appelleMattd’unevoixfaibleetchevrotanteetcelui-ciarriveencourant.

—Qu’est-cequetuas?medemande-t-il,inquiet.

—Çavapas...,murmuré-jeduboutdeslèvres.

—Ilfautquetumanges.

Monestomacsecontracte.Horsdequestionquej’avalequelquechose,jevaislerendre.MaisMattm’a déjà prise dans ses bras et me transporte vers la cuisine. Il m’assied sur ses genoux tout enveillantàmemaintenirafinquejenetombepas.Puis,ilporteunecuillèredesoupeépaisseversmabouche.L’odeurfaitgrondermonventre.

—Ouvre.Ilfautquetut’alimentessituveuxallermieux.

Latêtecaléesursonépaule,lespaupièrescloses,j’obéis.Leliquidechaudcouledansmagorgeetmeréchauffelesentrailles.

Putain,cequec’estbon!

J’avale le bol entièrement.Mattme demande de boire un verre d’eau, puisme ramène dansmachambrequinesentplusleratcrevé.Ill’aaéréeetamêmechangélesdraps.

Bordel,maisquandest-cequ’ilaeuletempsdefaireça?!

Il soulève les couvertures propres pour que je m’installe, mais j’hésite une seconde. Enfin, jepanique plutôt. Au cours de cette semaine, mes cauchemars n’ont cessé de m’assaillir, tous plusviolentslesunsquelesautres.Moncorpssefigeetmesmusclessecontractent.Unpetitgémissementdepeur s’échappedemabouchequandmoncœur s’accélèrebrutalement.Matt sentmadétresse etresserrelaprisequ’ilasurmoi.

—Jevaisresteravectoi,d’accord?

Jemeglissesouslesdrapsalorssansquel’appréhensionnemequitte,maisl’Américains’installeàcôtédemoi,surlacouverture,etallumelatélévision.Jenouemesdoigtsauxsiensafind’établiruncontact,cequilesurprendlégèrement,maisilnerelèvepasetsecontentedecaressermapeauavecson pouce. Et seulement à cet instant, mes paupières se ferment et mon esprit laisse le sommeilm’emporter.

5

Savoirsedévoilerunpeu

Quelqu’unmesecouedoucementetmetiredemasomnolence.Unparfumassezsubtilmeparvientetmonrythmecardiaqueralentitalors.Rassurée,j’ouvrepéniblementlespaupières.Ilfaitnoirdansma chambre, seule la lumière du couloir s’infiltre par la porte entrouverte. J’aperçois Matt,agenouilléprèsdemoi,penchésurmoncorps,unemainsurmonépauleetunlégersouriresursesfineslèvres.Jefrottemonnezcontrel’oreilleretgrognefaiblement.

—Ilest20heures30,onvamanger,chuchote-t-il.Lève-toi.

Ses doigts repoussent quelques cheveux sur mon visage et caressent ma joue avant qu’il ne serelèveetquittelapièce.Jem’assiedsetfrotteunpeumafigurepoureffacerunpeumafatigue,bienquecegesteneserveréellementàrien.Quandjememetsavecprécautionsurmesdeuxjambes,jeremarquequejetiensunpeumieuxdeboutquetoutàl’heure.

Jezigzaguetoujours,maisgrâceauciel, lacloisonducouloirnecontientaucunmeubledoncjepeuxm’appuyerdessusjusqu’àlacuisine.L’Américainestdéjàinstallé.Jeprendsplaceenfacedelui,devantunnouveauboldesoupe.J’ailedroitàunetranchedejambon,unecuillèrederizensuiteetpourfinir,unyaourt.Lerepassepassedansleplusgrandsilence.Mattsecontentedemeserviretdemanger.Ilnecessedemejeterdesregardsinquiets,maisneprononcepasunmot.Jel’enremercie,carjen’aipasenviedediscuterpourlemoment.

Lorsqu’onterminedemanger,ilmedemandederesterunpeuavecluidanslesalon.Jelesuissansriendireetons’installedevantlatélé,chacund’uncôtéducanapé.Jeplacemesjambessousmoienmecalantcontrel’accoudoir.Mattchercheunprogrammeàregarderettrouveunfilmd’actionassezrécent.Ilposelatélécommandeentrenousetcroisesesjambes.

Depuisunebonneheure, alorsquepasunmotn’est sortidenos lèvres,Mattdécroche sesyeuxbleusdel’écranpourmefixer.Ilouvrelaboucheavecunpetitbruitdesuccionavantdelarefermer.Jepeuxvoirducoindel’œilqu’ilhésiteàparler.Jepriepourqu’ilcontinuedesetaire.Maisc’estpeineperdue.

—Tul’aimais?finit-ilparlâcheràvoixbasse.

Jemeretourneversluinesachantpass’ilparlebiendecequejepense.

—Quiça?

—Tony.

Quandceprénomfranchitseslèvresroses,jebaisseleregardetbougeinconfortablement.

—Pourquoitumedemandesça?l’interrogé-je.

—Jesaisquetuluiasdit,lesoiroù…

Ils’interromptetmescruteprudemment.

—Etcommenttuesaucourant?

—Maxétaitinquietcommetunerépondaispas.AlorsilestallévoirThomas.Illuiatoutraconté.

—Etiltel’arapporté,n’est-cepas?

Jerouledesyeuxetsoupire.Maxestpirequ’unefoutuegonzesse.

—Tucomptesmerépondre?medemande-t-ilaprèsuneminutedesilence.

—Non.

—Non,tunecomptespas…

—Non,jenel’aimaispas,lecoupé-jebrusquement.Enfin,pascommeilfaut.

—Jenepensepasqu’ilyaitunebonnefaçond’aimer.

—Iln’enexisteprobablementpasdebonne,maisilyadesdizainesdemauvaises.Et,ons’aimaitd’unemauvaisemanière. Jemedoutais que ça finirait commeça.Tout aurait pu être différent s’ilavaitarrêtésestrafics.Jecroisquej’auraispul’aimerentièrement.Maiscen’étaitpaslecas.

—Tulepensaisquandtuluiasdit?

—Il cherchaitde l’airdésespérément. Il savaitqu’il était en traindepartir. Jenepouvaispas lelaissers’enallersansluirendreson«jet’aime».Pasaprèstoutcequ’ilafaitpourmoi.Pasaprèscequ’il cherchait encore à fairepourmoimêmemalgrénotrepassémerdique. Je lui devaisbien ça,non?

—Çanerépondpasvraimentàmaquestion.

Unelarmecoulesurmajoue.

—Jenesaispas,Matt.J’ensaisrien.

Ilserapprochedemoisurlecanapé.Songenoufrôlemacuissequandilattrapemamain.

—C’étaitindiscret.Je…Jen’auraispasdû,medit-ilavectendresse.C’étaitcomplètementcondetedemanderça.

Ilserredoucementmesdoigtsavantdesereconcentrersurlefilm.

Jeleregarde,perplexe.DepuisquandMattlaissetomber?Depuisquandilnemepoussepasàboutpoursavoircequiestarrivé?C’estbizarre.

Jemeretournepourfairedenouveaufaceautéléviseurquejefixed’unairabsent.

Est-cequejel’aimetoujours?Aprèscequ’ils’estpassé?Aprèscequ’ilm’afaitsubir?Ilatentédeseracheterdernièrement,maisçan’effaceenaucuncassesactes.

Soudainl’enviedeparlermeprend,jesaisquejenedevraispas,maisressenslebesoinirrationneldemelivreràMatt.

—Onaunpassécommun.Onavécuensemblependantdeuxans,lâché-je.

Quandjemerendscomptequej’aiditçaàvoixhaute,j’écarquillelesyeux.Mattmeregarde,l’airimpassible. Je reste concentrée sur la télévision. Je ne veux pas avoir de contact visuel avec luipendantquejeluiraconteça.Jenesaispaspourquoi,maisj’aibesoinqueçasorte.

—C’étaitunemissiond’infiltration.Nouvelleidentité,nouveaujob,nouveauxamisetj’enpasse.Je devais approcher Tony et devenir sa copine en quelque sorte pour que je puisse accéder à sonbureau et trouver des preuves sur ses différentes activités clandestines.Le séduire n’a pas été tropcompliqué.Ilestvitedevenudinguedemoi.Jemesuisbattuebecetonglespournepasmelaissersubmergerparlessentimentsqu’ilfaisaitnaîtreenmoiaufuretàmesure.Rapidement,j’aifiniparemménagerchezlui.C’étaitlapremièrefoisquejem’impliquaisautantdansunerelation.Cen’étaitqu’unemission,maiscesdeuxansontétévraimentlesmeilleursdemonexistence.

Jesourisfaiblementquandjemeremémorequelquesdétails.

—Ilm’ademandéeenmariage.

Mavoixs’effriteunpeuàlafindecettephrase,maisjepoursuis:

—J’aieubeauchercher,jen’aijamaisrientrouvé.Aucunepreuve.Tonyétaitmalin.Ildissociaitsesdifférentesvies.Mais,ilyavaituncoffredanssonbureauquejenepouvaispasouvrir,jen’enavaispaslescapacités.Alors,j’aidemandéàl’Agencedemedégoterquelqu’unpours’encharger.

J’avaledifficilement.

—J’allaispartircourircematin-là,quandj’aientenduuncoupdefeu.Ilprovenaitdel’intérieurdelamaison.J’aivuTony,l’armeàlamain,etuntypeétendusurleparquet.Je…Tonyn’apastoujoursétécethommefroidetduravecmoi.Celuiquetuaspuvoirlejouroùnousétionsauloftn’étaitpasl’homme avec qui j’ai passé deux ans. Le Tony qui partageait ma vie était doux, attentionné etprévenant.Ilm’adorait,mechouchoutait.Personnen’ajamaisaussibienprissoindemoiquelui.Tupouvaisvoirdanssesyeuxàquelpointilm’aimait,combienilm’estimait.Maisquandjesuisrentréedanslapièceetquej’aicroiséceregardfroid,j’aitoutdesuitesuquel’hommequimefaisaitfacen’étaitpaslemien.Àpartirdelà,lasituationm’aéchappé.Letypequ’ilvenaitdetuerétaitenvoyéparl’Agencesousmademande.Cesabrutisontjugéques’ilnes’ensortaitpasvivant,ilvalaitdoncmieux arrêter les frais.Mon croquis etmes notes sur le coffre se sont retrouvés dans sa caisse àoutils.Tonyamislamaindessus.Ilssavaientpertinemmentquel’Italienseferaitunejoiederéglerleproblème.Quoidemieuxqu’unegoblesséettrahipouraccomplirlatâchegratuitement?

Jeprendsunelongueboufféed’air.

—Tonyestdevenucomplètementdingue.Je…

JefermelesyeuxuninstantenpensantàLucas.

—Jem’ensuissortie.J’aivécudesheurescompliquées.Maischaquefoisqu’ilaeul’occasiondemefairesuccomber,ils’estarrêté.Lamortn’apasvouludemoinonpluslorsqu’ilm’arelâchée.Cequej’aisubilà-basestgravéenmoi.Tonydésiraitquejem’ensouvienne,quejemerappelledelui,quejesoisconscientequesijerespiraisencore,c’étaituniquementparcequ’ill’avaitdécidé.J’étaisamochéeet luicontinuaitses traficssansaucuneentraveréelle.Jesuis tombéeamoureuseduTonyquipartageaitmesnuits,celuiquisepréoccupaitdemoiàlongueurdetempsetquisepliaitenquatrepourmerendreheureuse.Jen’auraispasdû.J’aiessayédenepasl’être.Jedétestaisaussil’hommequiarrachaitdesmilliersdegaminesàleurfamillepourlesmettresurletrottoirouquivendaitdesarmesquiservaientàdécimerdesvillagesentiers.Alors,pourrépondreàtaquestion,j’aiaiméunepartiedeTony.Sameilleurepartie.

Cettedernièrephrasen’estqu’unmurmure.

— Ilm’a contactée il y a quelque temps,me disant qu’ilme pardonnait tout.Qu’il avait trouvéquelque chose pourmoi.Qu’il savait que si jemettais lamain sur ces infos, je lui reviendrais. Ilrépétaitqu’ilm’aimait,qu’ilvoulaits’enfuiravecmoi,qu’onviveensemblejusqu’ànotremort.

—Jesaisqu’ilestceluiquiatrouvéledossierquetuveuxquejevole,intervientMatt.

Jeneleregardepasmalgrétout.Maxluiadit.

—GeorgesafaitdespiedsetdesmainsafinqueTonynemecontactepas.Ilestaucourantdecequisetrouvedanscefichieretalatrouillequejeledécouvre.CesecretdoitêtrevraimentterriblepourquetoutlemondepensequejepuissepartiravecTony.Lapreuve.Thomasn’apashésitéuneseuleseconde.Quandilm’aaperçueaumilieudelarue,j’aivul’expressiondepaniquesursafigure.Georgesnevoulaitpasquejesachepourl’évasiondel’Italien.Maisenquelquesmicrosecondes,sonvisages’esttransformé.Ilalevésonarmeetavantquej’aiepuprévenirTony,ilatiré.Thomasestunexcellent tireur. La balle a touché sa cible au poumon. Ce n’est pas un accident. Il désirait qu’ilsouffre.

—Ilafaitdestasdechosesmoches,Maya,meditdoucementMatt.

—Jenecomprendspaspourquoiilétaitlà.IlétaitaucourantqueThomasétaitaprèslui.

—Ilpensaitsûrementqu’ilsnetelâcheraientpas…

—Toutn’étaitqu’unequestiondetemps.Jusqu’àprésent,personnenesavaitqu’onétaitencontact.Alorspourquoin’a-t-ilpastrouvéquelqu’unouquelquechosepourmefairepasserunmessage?

—Ilapeut-êtrecomprisquetunel’auraispassuivimalgrétout.

Jeleregardepourlapremièrefoisdepuisquej’aicommencémonrécit.

—Jenesaismêmepasmoi-mêmesije…

—Tunel’auraispasfait,mecoupeMatt.Tuestropconscientedesviesqu’iladétruites,decequ’ilabriséentoi.Tut’espeut-êtreaccrochéeàluicesderniersmois,maisc’estparcequetuétaisseule.Cen’étaitpluslecasquandils’estévadé.Onétaitlà,avecMax.Onessayaitdet’aider.

—Aveclui,j’avaislacertitudequejamaisilnemelaisseraittomber.Vous,vous…

—Tunousrepoussaisconstamment,maisl’idéefaisaitsonchemin.

—Lesseulscompagnonsderoutequim’ontétéfidèlessontmesdémonsetmonmal-être.Tonyatoujoursréussiàm’apaiserdetoutça.Ilauraitpum’offrirunebellevie.

Mavoixtremble,jetented’empêchermeslarmesdecouler.

—Tun’aurais pas pu vivre comme ça. Peut-être qu’avant qu’il sache qui tu étais réellement, tuauraispuavoirunejoliehistoireaveclui,maisplusmaintenant.Ilt’ablessée,Maya.Physiquementetmentalement.Quelquechoseen tois’estbrisé.Mêmeenymettant tout toncœur, tun’auraispaspul’aimer entièrement.Pas après cequ’il t’a fait, pas après cequ’il a fait aumondeentier. Il t’auraittoujoursmanquéquelquechosemalgrélefaitqueTonyseseraitpliéenquatrepourtoi.

—J’auraispu,peut-être…

J’enfouismonvisagedansmesmainsetremontemesgenouxcontremapoitrine.

—Sij’avaisessayé,j’auraissûrementpu…

—Onnepeutpasforcerlessentiments.Maya,tut’estoujourssentieseuleetlorsqu’ilst’ontexilé,ça t’abouffé.Tuétais fragile et le faitden’avoir aucuncontact avecquelqu’un t’a foutueenvrac.Tony est arrivé aumeilleurmoment pour être ton appui. Il s’est servi du contexte pour reprendrecontact avec toi. Bien sûr qu’il s’en voulait et qu’il t’aimait encore.Mais il savait aussi que tu lelaisseraisreprendreuneplaceconsidérabledanstonquotidienparcequetuétaisdansunmomentdefaiblesseetquetuavaisbesoindesoutien.Tut’esaccrochéeàluipouréviterdetropsombreretjetecomprends.Aujourd’huiqu’ilestmort,tuasl’impressionquepersonnenepourrat’épaulercommeill’a fait,mais tu n’es plus seule.Nous sommes là.Alors, oui tu culpabilises à propos deTony.Tuaurais sans doute voulu l’aimer comme lui le faisait,mais tu n’y serais pas arrivée. Et il a dû lecomprendre.Ilfautquetupassesau-dessusdetoutça,deluietdevotrerelation.Regardeautourdetoi.Derrièrecequit’empêched’avancer,ilyadesgensquit’attendentetquisontlàpourt’aider.Maxestamiavectoidepuisdixans.Ilatoujoursétéprésentpourtoi.Aujourd’hui,c’estencorelecas.Ilsefaitunsangd’encreàtonsujet.Entretenirdesrelationsavecd’autrespersonnesneterendpasfaible,bienaucontraire.Arrêtederejeterceuxquiteveulentdubien,decachertesémotionspourquelesgenssesententmieux.Letoutaccumuléterendfaible!Ilfautquetulaissessortir tesdémonsettuapprennes à les affronter. En discuter t’apportera la paix. Les partager te rendra la sérénité.Ne tesens-tu pasmieux après avoir parlé de tout ça avecmoi ?N’as-tu pas l’impressionque ta peine adiminué?Situt’ouvresauxgensMaya,toutseraplusfacile.

—Qu’est-cequiseraplusfacile?Riennel’estchezmoi.Aussiloinquejemesouvienne,toutaétéuneputaind’épreuve.Ladouleuretlamortsonttoutcequirégitmavie.Lepeudemondequiasumeregardervraiment,voirderrièretousmesfauxsemblants,ceuxquisesontapprochésd’unpeutropprès,ilsysonttousrestés.Lesseulsquiontvouluprendresoindemoi,lesseulsquim’aimaient,sontmorts!Ilssonttousmorts!

Jehurle,jepleure,jemelèveetfaisdegrandsgestesaveclesbras.

—Alors,pourquoivousobstiner?!Pourquoivouloirm’aider?!Jesuisunecauseperdue.C’esttroptardpourmoi.Regarde!Jesuisjusteunecoquillevide.L’uniquechosequimeremplitencorec’est la douleur.Mon alliée de toujours. Je sais que je suis encorevivante parceque j’aimal. J’aitoujourseutellementmal,putain.Maisaprèsça,qu’est-cequejesuis?Unepersonnequinesaitpasvoir les autres sauf s’ils peuvent lui apporter quelque chose. Je me sers des gens. Je ne suis pasquelqu’un de bien, je ne l’ai jamais été et ne le serai jamais. Je suis juste une égoïste cinglée quirefusetoutcontacthumain.Jenesuisrien.

Mattselèved’unbond,attrapemespoignetsd’unemainetmetirecontrelui.

—Turacontesn’importequoi.Lavien’apasététendreavectoi.Çaamêmeétéunesacréegarce.Maistoutneserésumepasqu’àcesépisodessombres.Turepoussestout lemondeparcequetuneveux plus souffrir. Tu n’es pas égoïste, bien au contraire, tu te préoccupes du sort de chacun enagissant de la sorte. Pour lemoment, tu t’es créé une personnalité dure et je-m’en-foutiste afin desurvivreici,etpersonnenepeuttelereprocher,Maya.Maisaufonddetoi,ilyadubon.Jesaisquetuvaux lapeinequ’onsebattepour toi.Que tuméritesqu’on t’aide. Jenegaspillepasmon tempsavectoi.Quandtuarriverasà lâcherpriseetà t’ouvrirunpeuauxautres, tu teverrascommeje tevois,commeMaxtevoit.Tuprendrasalorsconsciencequenousavonseuraisondenousaccrocheretdenepasbaisserlesbras.

Sesyeuxbleussontplongésdanslesmiens.Ilsemblesisincère.

—Alorsc’estquetunemevoiespasdelabonnemanière.Toutçan’estqu’uneillusion.Laseulevérité, c’est que je suis complètement foutue et irrémédiablement folle. Je ne suis qu’une causeperdue.

Jemeretiredesesbrasetpasseàcôtédeluipourrejoindremonlit.Épuiséedemaconfidence,decettedispute,desonacharnementcontremoipourm’aider,jemejettesouslescouvertures.

—Tu es loin d’être folle,Maya,me répond-il en entrant dans la chambre. Tu ne veux pas être

sensibleetaimante.Tubloquestoutçaparcequetupensesteprotégerdesautres.Tuaspeurqu’onteblessealors tunelaissespersonnet’atteindre.Mais tout lemondeneveutpas tefairedumal.AvecMax,onneveutquetonbien.Onveutt’aider.

Lematelass’affaisseàcôtédemoi.J’agrippelacouettequandilessayedelaretirerpourvoirmonvisage.

—Mayas’ilteplaît,nefaispasl’enfant,mesupplie-t-il.

Jenecèdepas.Ilsoupireetfinitparquitterlapièceaprèsavoiréteintlalumière.Jesuissoulagéependant uneminute que ce combat soit enfin terminé. Il faut qu’il comprenne qu’il ne reste aucunespoirdemesauver.Jesuisbientropamochéepourm’ensortir.

Quand j’émergede lacouvertureetque jeme rendscompteque je suis seuledans lenoir,dansmonlit.Jesuis terrifiée.Lapeurs’enrouleautourdemoi,glaçantmonsang,nouantmes tripes.Jetentedemeconvaincrequetoutvabiensepasser,maismoncorpstremble.Jenepeuxpasresterici.Alors,jemelèveetcourspresquerejoindreMattausalon.C’estunéchecquederevenirdanscettepièce,maisjem’enfous.Jepréfèreencoresubircettehonte,plutôtquederesteruneseulesecondedeplussousmesdrapsfroids.

Cependant,l’Américainnerelèvepas.Ilfixeletéléviseursanspipermot,sansmêmeunregard.Ilachangédechaîne,maisçan’apasd’importance.J’ai justebesoinqu’onmedistraieuntemps.Maisc’estbientropcourt,caràpeineunquartd’heureplustard,Mattéteintl’écranetselève.Jesensuneboufféedepaniquem’envahir.Jeneveuxpasallermecouchermaintenant,jenepeuxpas.Ildisparaîtdanslecouloir,alorsquemoncorpsestcommesoudéaucanapé.

—Tuviensouquoi?

Jevoissa tête réapparaîtredans lecoin. Ilme lanceunregard interrogateur.Je rassemble toutesmesforcespourallerlerejoindresanstroptrembler.

Quandilnes’arrêtepasàlaportedelachambred’ami,unpoidsseretiredemonestomac.Ilentredanslamienne,ouvrelelitdesoncôtéetenlèvesonpantalon.Jefaisabstractiondecedétail,bientropheureusequ’ilpasselanuitavecmoi.Ilpeutlapasseràmoitiénu,dumomentqu’ilmeréveillelorsquemescauchemarsarriveront.Enboxeretentee-shirt,ilseglissesouslacouettepuiséteintlalumière.Jel’entendssetournerlégèrementversmoietsoupirerd’aise.Jemeplacedecôté,levisageverslui.Mesyeuxsontincapablesdesefermermalgrélanoirceurdelapièce.Uneidéetrottedans

matête.Maréflexionm’empêchededormir.Auboutdequelquesminutes,jenepeuxpasmeretenir.

—Ettoi?luidemandé-je.

—Quoietmoi?

—Tusaisbeaucoupdechosessurmoi,maisjeneconnaispresqueriendetoi.

Ilrallumelalampedechevetets’appuiesursoncoude.Sonvisageplaneau-dessusdumien.

—T’essérieuse?medit-ill’airconfus.

—Jesaisquetuesunvoleurhorspair,quetuescarrémentindiscret,quetuastendanceàvraimentmetapersurlesystèmelaplupartdutempsetquetonhobbyfavoriestdeforcermaserrure.

—Tuesaussiaucourantquejecuisinedivinementbien,plaisante-t-il.

Jerouledesyeuxetilrigoledemongeste.

—Jesuisraviquetutrouvesquej’excelledansmonboulot.C’estunjolicompliment.Enfait,jesuisl’hommeparfait,riennememanque!

—Lamodestiepeut-être,non?luilancé-jeenplissantlespaupières,luiarrachantunnouveaurire.

C’estagréablecemomentsimple,pleindelégèreté.J’ail’impressiondesouffrirmoinsquandjelevoisrireainsi.C’esttotalementstupide.

—Jesuisaméricain,medit-ilgoguenard.

—Non,sansblague!

Ilsefoutdemoi.

—Monpèreestaméricainetmamèrefrançaise.

—D’oùcetaccentbienmoinsprononcéquetescompatriotesetunfrançaispeuécorché,constaté-je.

—Certainement.Tuvois,encoreunequalitépourmoi,plaisante-t-il.JesuisnéàNewYork.Monpère était ouvrier dans une usine d’aéronautique.Mamère faisait desménages. On n’a jamais eubeaucoupd’argentetlepeuqu’onavait,monpaternelleliquidaitdanslaboisson.Mamèreafinipar

lequitterunsoir.Ellem’aemmenéavecelle.J’avaisdixans.Elleadonnécequ’elleavaitpourqu’onarriveàvivre tous lesdeuxsursonpetitsalaire.Etpuis,quatreansplus tard,elleestdécédée.Elleétaitmaladedepuisunmoment.Sonétats’estdégradéd’uncoupettroismoisaprès,jeregardaissoncorpsblêmeetrigidereposerdansuneboîteenbois.L’assistantesocialem’aalorsplacéchezmonpère. Il n’a pas attendu vingt-quatre heures avant de me reprocher d’avoir tué ma mère. Il étaittotalementivreetalevélamainsurmoiplusieursfoispourfinirparmefoutreàlaporte.J’aitraînédans la rue pendant trois jours et j’ai rencontré celui qui a fait de moi l’homme que je suisaujourd’hui.Ilm’aprissoussonaileetm’aapprispasmaldetrucspourquejem’ensorte.

—C’estluiquit’aapprisàvoler?

—Oui,c’estça.Ilsetrouvaitquej’avaisunesortededonpourça.

—Pourquoil’art?Pourquoipaslesbanques?

—Parce que le gain n’est pas forcément le but.Avoir uneœuvre dans lesmains c’est quelquechose d’indescriptible. J’ai toujours adoré aller au musée. Ça me fascine le pouvoir qu’ont cespersonnesàretranscrireleurémotiondansuncoupdepinceauoudeburin.

—Tutefaispayermalgrétout.

—C’estunjob.Biensûrquec’estrémunéré!

—C’estcequetuauraisvoulufairequandtuétaisplusjeune?luidemandé-je.

Cettequestionm’obsède.

Qu’imaginais-jedevenirplusjeune?

Jen’aiaucunsouvenirdecetteépoque.

—Certainementpas.Maisjen’aipasàmeplaindre.J’aidel’argent,jevoyagesanscesse,jepeuxtoucher du bout des doigts des œuvres que je n’aurais certainement jamais vues d’aussi prèsautrement.Quepourrais-jeavoirdeplussij’étaisalléàl’université?

—Unefemme,desenfants…

—Quiteditquejen’enaipas?

—Situenavais,tulesauraisénoncésenpremierettuneperdraispastontempsavecmoi.

—Jeneperdspasmontempsavectoi.

Ilserallongesurledosettournesatêteversmoi.

—Voilàlerésumégrossierdemavie.

—Ettonpère?Tul’asrevudepuis?

—Pourquoij’enauraisenvie?medemande-t-ilenfronçantlessourcils.

—Parcequec’esttonpère.

—Non.Ilnel’estplus.Etjeneveuxpassavoircequ’ildevient.

Sontonestferme.Jehochelatêtenevoulantpasdirequelquechosequilemetteencolèreetqu’ils’enaille.

—Tuasd’autresquestions?

Savoixseradoucit,toutcommesestraits.

—Non,jecroisqueçairapourcesoir,luiréponds-jeavecunfaiblesourire.

Lavien’apasété tendreavec luinonplus.Samèreestmortealorsqu’ilétaitencore jeune.Sonpèrel’arejeté.Ilavaittouteslesraisonsdumondedemaltourner.D’envouloiràlaterreentière.Etpourtant, ilestdevenucethommesageetréfléchit.Laviolencenefaitpaspartieduschémadesonexistence.Ilasudépassersacolèreetsapeineenpartageantsonfardeau.Peut-êtrequ’iln’apastortsurlefaitquenerienrévélerdemonpassémerendfaible.Jesuisdanscetétataujourd’hui,peut-êtreparce que je ne parle jamais demes démons intérieurs. Il éteint la lampe et jeme tourne, tout enréfléchissantàcetteoptionjusqu’àcequejem’endorme.

6

RassurerMax

Je suis trop terrifiée pour bouger. Recroquevillée sur moi même dans un coin, j’observe cemassacre.Uneodeurâcreemplitmesnarines,cellesdusang,desviscèresetdel’urine.Jeneveuxpasvoirça.Pasencore.Jerefusedelesentendre,delessentir.Ilfautqueças’arrête.JechercheMatt.Ilvavenirme sortir de là.Mais il n’est nulle part.Quelqu’unm’attrape par les épaules, je tente demedébattre,jehurleàpleinspoumons,maislapoignedel’hommeesttropforte.Unevoixrésonnedansma tête. Quelqu’un m’appelle. Ce timbre et cet accent peu prononcé me disent quelque chose. Jeconnaiscettepersonne.Matt!

J’ouvrebrusquementlesyeux.Ilestpenchésurmoi,mespoignetsdanssamaindroite,lagaucheagrippantmonépaule,l’airinquiet.Mesjouessonthumidesetmonsoufflerapide.Monesprit,lui,estencoretorturéalorsjemerelève.Mattmelâche,surpris,etjepassemesbrasautourdesoncoupuisenfouismonvisagedans lecreuxdesoncou.Jemeserrecontre luide toutesmesforcespourmeprouverquejesuisbiendansmachambreetnondanslescouloirsdel’internat.Ilplaqueunedesespaumesderrièremanuqueetl’autredansmondos:

—Jesuislà,toutvabien,chuchote-t-il.

Bordel,j’aitellementbesoindeluiàcetinstant.

Jevoudraisjustequesoncorpsm’aspireetqu’onnesedétacheplus.J’ail’impressionquesijelelâche,jevaisretournerlà-bas.Moncorpssemetàtrembleràcetteidée.Jenesaispasquoifairepourarriver à revenir réellement à l’instant présent, car j’ai beaum’agripper à lui, jeme sens encoreprisonnièredemoncauchemar.Etunepensée totalementstupidemevientà l’esprit.Monespritesttropembrouilléetjesuistroppaniquéepourmerendrecomptedemonerreur.JerelèvemonvisagehumideversceluideMatt.Seulementunpetitcentimètrenoussépare.Alorsjemejettesursabouchecommeunemortede faim. J’aibesoindececontact. Jeveuxsentir sa languecontremes lèvresetjouer avec lamienne. Je désire sentir ce feu indescriptible embrasermon être. J’ai besoin demesentirvivante,ensécurité,loindecedramesanglant.

Matt est dans un équilibre précaire durant de notre étreinte et lorsque mes lèvres se collentrageusementauxsiennes,iltombeassissurlematelas.Jen’attendspaspluslongtempspourmontersursesgenouxetplaquermoncorpscontrelesienavantdereveniràl’assautdesabouchechaude.Mon baiser est complètement paniqué, brutal, désespéré. Dans un premier temps, l’Américain ne

bougepas,maisperçoitmonurgence.Aulieudeseretirer,ilouvrelaboucheetsuitlemouvementen tentantdemeralentir,defairedescendre l’affolementquis’estemparédemonâme.Unedesesmainss’enfouitdansmescheveux,l’autrecaressemondoslentement.Ilessayedemerassurer,dememontrerqu’ilestbienlà,maiscen’estpassuffisant.Jemerapprocheauplusprèsdeluipourondulermonbassincontre le sien. J’aibesoindemesentirvivante.Uncrépitement remonte le longdemacolonnevertébrale.Monbasventresecontracte.C’estlà,pasloin,enfouiquelquepart.Ilfautqueçasorte. Il faut que je sois consumée par le désir, maintenant. Ma main glisse sur le tee-shirt del’Américain.Jedevineuntorsemuscléetdesabdosbiendessinés.Jecompteallerplusausud,maisilm’enempêche.Ilstoppemonavancéeetnotrebaiser.Nousnousobservons,lesoufflecourt,durantuneseconde.

—Pascommeça,memurmure-t-il.Pasdanscetétat.

Nevoit-ilpasàquelpointjesouffre?Àquelpointj’enaibesoin?

—Jesuislà,avectoi,Maya.Regarde-moi,medemande-t-ilenempaumantmonvisage.Jesuis,ici,danstachambreetdanstonlit.Tun’asplusrienàcraindre.Cen’étaitqu’uncauchemar.

Lapeurmenouedenouveaulesentraillesetjemerattacheàlui,frontcontrefront.

— Embrasse-moi, s’il te plaît, geins-je. Embrasse-moi. Il faut que tu m’embrasses, répété-jecomplètementdésespérée.

—Jesuislà.Jesuisavectoi.

Seslèvreseffleurentlesmiennespuissonnezcaressemajoue.

—Calme-toi.Ilnet’arriverarien.

Deslarmescoulentlelongdemonvisage.Jeretiensunsanglot.

—J’aibesoindetoi,luisoufflé-je.

—Jeneleslaisseraipastefairedemal.D’accord?Toutvabien.Tuesensécurité,ici,avecmoi.Jetelepromets.

Ilfaitremontermamainjusqu’àsoncœurquibatdemanièreirrégulièreàcausedenotrebaiser,probablement.

—Jetejurequejenelaisserairient’arriver.Tumefaisconfiance,n’est-cepas?

Sesdeuxpépitescouleurazurmefixentavectantdesincéritéqu’ilm’estimpossibledenepaslecroire.

—Jetefaisconfiance,acquiescé-je.

Il essuie à l’aide de ses pouces les quelques larmes qui coulent encore demes yeux puis posebrièvement ses lèvres sur les miennes. Son bras s’enroule autour de mes hanches et son corpss’appuiesur lemien jusqu’àcequemondos touche lematelas.D’unmouvementampleetdoux, ilinversenospositionspourquejereposesurlui,latêtesursontorseetm’enlacetoutencaressantmescheveux.

—Jeneparspas.Jerestelà.Rendors-toi,toutsepasserabien.

Ilmerépètecesmotssansrelâchejusqu’àcequejem’assoupisse.

**

Matt est réveillé, je le sens. Sa respiration n’est plus aussi profonde et son cœur a quelquesirrégularités.Pourtant,ilnebougepas.Moinonplus,d’ailleurs,certainementparpeurdel’autre.Jesuis toujours àmoitié sur lui, l’oreille collée contre son torse.Ce qu’il s’est passé cette nuit étaitcomplètementidiot.S’ilnem’avaitpasarrêtée,ceseraitd’autantplusembarrassant.

Uneheures’estécouléedepuisquej’aiouvertlesyeux.Onnevapasresteraulittoutelajournée,ilvafalloirqu’onsortedelà.Alorspourunefois,jeprendslesdevants.Jenerelèvepaslatête,carjenemesenspasencored’attaqueàcroisersonregard,maisj’entameledialogue.

—J’aiétéstupidecettenuit.Jesuisdésolée.

Lecorpsdel’Américainsecrispesousmoi.Illâcheunsoupir.

—Tuétaismal…

—Cen’estpasuneexcuse.

—Sic’enestune.Uneexcellentemême.N’enparlonsplus.

Quoi?

Jemeredresseetlescrute,necomprenantpaspourquoi,luiquiaimetantdiscuterdechosesquimemettentmalàl’aise,préfère,cematin,laissertomber.

—Jevaisallerfairelepetitdéjeuner.AppelleMax.Ils’inquiète.

Jeleregardequitterlelitpuisenfilerunjogging.Ilmetendsontéléphoneetsort.JeresteencorequelquessecondesàcontemplerlecouloirvideavantdechercherlenumérodeMax.Etjenesuispasdéçuequandildécroche.

—Bordel,mec!Tuparslavoirhiermatinetdepuisjen’aipasdenouvelles!hurle-t-il.Tupeuximaginerdansl’étatquejesuis!Jet’aiappelémillefois…

—Jevaisbien,lecoupé-jeavecunfaiblesourire.

—Maya?

—Ouais, c’estmoi.Relax,Max. Tu vas choper un ulcère dans peu de temps si tu continues det’inquiétercommeça.

—Putaindebordeldemerde,jure-t-il.Est-cequetusaisàquelpointj’étaismortd’inquiétudepourtoi?

—Jecroisquej’aideviné,oui.

—Oh,merde.Commenttuvas?

—Onfaitaller.

—Sérieusement,Maya.

—Çava.Je…J’aidumalavec…J’aimal,Max.Jesouffredel’avoirperduluiaussi.J’aipeurqueçat’arrive,laissé-jeéchapper.

—Çan’estpasdetafaute,machérie.

—Biensûrquesi.Toutlemonde…Ilssonttousmortsàcausedemoi.

—Nedis pas n’importe quoi.Tun’es responsable de rien, ni aujourd’hui ni hier. Il faut que tul’intègres.Etjesuisungrandgarçon.Jesaismedébrouiller.Toutsepasserabien.

—Tun’ensaisrien,Max.

—Toinonplus.

Non,maismonintuitionmeconfortedansl’idéequelamortrôdetoujoursprèsdemoi.

—Sinon,commentvamissAmérica?Derrièrelesfourneaux?

—Ilpréparelepetitdéjeuner.

—T’enasdelachance.Ilnem’amêmepasserviunboldecéréalesdepuisqu’ilcrèchechezmoi.Tucroisquejenesuispassongenre?

Jeris,pasbeaucoup,maisilaleméritedem’avoirarrachéunpeudejoie.

—Jepensequec’estquelqu’undebien,m’avoueMax.

—Ilenal’air.

—Onessayedesevoirdemain?

—Jen’aipastrèsenviedesortir.

—Tunevaspaspouvoirvivredanstagrottedurantdesmillénaires.Ilvafalloirquetumetteslenezdehorsetquetutefondesdenouveaudanslamasse.Onferaçaparétape.OK?

—OK.

— Je te laisse. Dis à Matt que je le déteste de ne pas m’avoir tenu au courant plus tôt et quej’inonderailenetdecommentairesdésagréablesàsonsujet.

—Jeluidirai.

—Àplus.

—Bye.

Jeraccroche,remerciantlecieldem’avoirdonnélachancederencontrerMax.Jenesaispascequejeferaissanslui,aujourd’hui.

Quandjerentredanslacuisine,Mattgrilleunpeudebacon.Depuisquandj’aidubacon?J’ouvrelefrigo.Ilestpleinàcraquer.

— Tu croyais que j’étais venu les mains vides ? me demande-t-il sans prendre la peine de se

tournerfaceàmoi.Jesavaispertinemmentquetun’auraisrienlà-dedans.

Jelèvelesyeuxauciel,toutsimplementparcequ’ilm’agaceetm’installeàtabledevantunetassedecaféchaud.

—CommentvanotreDramaQueen?

—Vousavezdechouettessurnomsjetrouve,marmonné-je.Maisilfautavouerqueçaluivaplutôtbien.

—Jesais.Ilétaitpaniqué?

— Il a dit qu’il inondera le net de commentaires désagréables à ton sujet parce que tu n’as pasréponduàsesmilleetunappels.

—Onn’estpasloinducompte,tusais.

—Maxatoujourstendanceàêtredansl’exagérationquandilstresse,l’informé-je.

—Iladûperdredixbonskilosparcequ’ils’inquiétaitpourtoi.

—Ilparaîtquetuneluifaispasnonplusàmanger,lepauvre.

—Jeréservemestalentspourlesbrunesauxyeuxverts.

—Danscecas,j’aidelachanced’entrerdanscettecatégorie.

—Tun’asmêmepasidée,merétorque-t-ilenposantunplatd’œufsbrouillés.

Ilnousserttouslesdeuxavantdes’installeràcôtédemoi.

— C’est bizarre cette habitude que vous avez de manger du salé au petit déjeuner, lui fais-jeremarquer.

—C’estlerepasleplusimportant,ilfautqu’ilsoitriche.

—Lescroissantssontriches.

—Enmatièregrasse,sansaucundoute.

—Parcequelebacon,cen’estpasgras?

—Tuesvraimentpénible.

—Ilparaîtqueçafaitpartiedemoncharme.

—Indéniablement,maisc’estaussiépuisant.Contente-toidediremercietd’avalerça.

Jeprendsunebouchéedecesœufs.Ilssontbons,maisçanevautpasuncroissantaubeurrenonplus.

—Jevaisdevoirm’absenterquelquesheurescetaprès-midi,çavaaller?medemandeMatt,aprèsquel’onaitdébarrassélatable.

—Jecroisquejesurvivraiàça.

—Parfait.

7

Affrontersesdémons

LanuitesttombéeetMattn’esttoujourspasrevenu.J’aifaillimefoutredesagueuletoutàl’heurequandilm’ademandés’ilpouvaits’absenterquelquesheures.Commesij’avaisbesoind’unebaby-sitteràvingt-huitanspassés.Maismaintenantquelalunebrilledanscecielobscuretquemafatiguecommence à se faire sentir, je prends conscience que je ne peux pas passer une nuit sans lui. J’aibesoind’unenounounocturne.Jejetteànouveauunœilàl’horloge.

Bordel,maisqu’est-cequ’ilfout?

Jenepeuxmêmepasl’appelerpuisquej’aiéclatéleseultéléphonequej’avaisdanslescouloirsdel’Agence.J’aitroppeurd’allermecoucherdansmonlit,alorsjeramènelacouettedanslesalonetm’yroule,allongéesurlecanapé,priantpourqueMattarrivebientôt.Latélévisionestallumée,maisjelaregardesansvraimentlavoir,jusqu’àcequemespaupièresseferment.

Je me réveille, en sursaut, en hurlant à la mort, encore une fois. Je suis allée au bout demoncauchemarparcequepersonnen’étaitlàpourm’enextirper.L’actiondanssaglobalitém’aterrifiée.Jepleureànepluspouvoirrespirer.Lanauséememonte.

Jeme jette presque sur les toilettes pour rendre lemaigredîner que jem’étais préparéplus tôt.Moncorpsentiertremble,mesdentss’entrechoquent,messanglotsemplissentlapièce.Jemelaisseallercontrelemurfroidetcarrelédelasalledebain.Jesuisàlalimitedel’hystérie.L’aircommenceà memanquer et le moindre bruit me replonge dans mes noirs souvenirs. Si bien qu’au bout dequelquesminutes,jenesaisplusoùjesuis.

J’entendsdespas,descris,despleurs. Jepanique. Je lesvoispasserdevantmoidanscecouloirsombre.Ilyacescorpsgisantsurlelinovertpommequiestmaintenanttachépartoutcesang.

Uneportes’ouvreetMattentre.

Est-ilvraimentlàouest-ceseulementmonespritquidivagueetquimélangepasséetprésent?Est-cequeTonyetLucasvontapparaîtreaussi?J’auraistantdechosesàleurdire.

Deuxmainsseplacentencoupesurmonvisage.JecroiselesyeuxbleusdeMatt.

—Maya,tum’entends?

Savoixmesemblelointaine.Mavisionsetroublelégèrement.Jecherchedésespérémentdel’air,maisjepleuretroppourpouvoirenavalersuffisamment.

—Calme-toi.Jesuislàmaintenant.C’estfini.Toutça,c’estterminé.

Quelque chose claque àmadroite. Je tourne brusquement la tête pour apercevoir unhommeaucrânetatouéentrerrapidementdansunesalle.Thomasyestcaché!Ilfautquej’aillel’aider,maisjen’arrivepasàbouger.Jenepeuxpasmelever.J’étouffeuncridedésespoiretfaiscognermatêtecontrelecarrelageenespérantqueladouleurarrêtetoutça.J’essayedelacérermesavant-brasavecmesongles,maismesmainssontcommeemprisonnées.Jenepeuxpaslesjoindre.Alorsjerelancematêteenarrièrepourplusdedouleur.

—Maya!

Mattcrie.

J’ouvrelesyeuxetvoissonvisageinquietau-dessusdemoi.

Ilmetientlespoignets.

—Arrêteça!Jesuislà,toutestfini.Regarde-moi.

Jecroisquemalgrémesefforts,jeneparvienspasàlevoirvraiment.Certainementparcequejesaisqu’iln’estpasréellementprésent.Jen’arrivepasàmeconcentrersurlui.J’entendstellementdechoses. Tellement de personnes m’appellent à l’aide. Je sens qu’on me soulève, je me débatsviolemment.Non,horsdequestionqueçasoitmontour!Jeneveuxpasvivreça!Ilfautquejemesauve. Je tentede crier,mais riennevient.Ma respirationestbloquée. Jem’étouffe etmapaniquemonteencored’uncran.Etpuis,j’aiunélectrochoc.Del’eauglacéefrappemoncorpsetmeramèneà la réalité. Je tousse en essayant de reprendre de l’air, mais peu à peu mon souffle se fait plusrégulier.Lesbruitscessentetmasalledebainréapparaîtdevantmoi.Jesuisdanslabaignoire,chezmoi,totalementtrempée.Mattest là, lepommeaudedoucheàlamain,larespirationcourteetl’airinquiet.Quandjemurmuresonprénom,ilcoupel’eauetdégagelesmèchesdevantmesyeuxavantdeposersesdoigtssurmesjoues.

—Tum’entends?medemande-t-ild’unevoixdouce.

—Tuesvraimentlà?

—Oùveux-tuquejesois?

Incertaine,jelèvelesmainsversluieteffleuresonvisage.Sabarbedetroisjoursrâpelapulpedemesdoigtsalorsjem’enhardisetempoignesescheveux.

—Tuesvraimentlà,affirmé-jecettefois-ci.

—C’estfini,oui,jesuislà.

Peuimportequejesoistotalementmouillée,jemejetteàsoncou.Jesenssoncorpschaudsouslemien,glacéettremblant.Ilnemerepoussepasetenroulesesbrasautourdemoi.Jesanglotecontresapoitrine,agenouilléedans labaignoire, trempée,usée,mais tellement rassuréequ’ilsoitprèsdemoi.Alorsquejedesserrepetitàpetitmonétreinte,ilenprofitepourmesortiretmefaireasseoirentresesjambes,mondoscolléàsontorse.Sesbrassonttoujoursautourdematailleetilmeberce,labouchecontremoncuirchevelu.

—JesuislàMaya,toutvabien.C’estfini,merépète-t-ilinlassablementd’untoncalmeetposé.

Sesmainscaressentmesbrasnusdetempsàautre,seslèvresembrassentparmomentmestempes.

Son cœur cogne contremon dos et il me chuchote des paroles réconfortantes. J’ai agrippé lesjambesdesonjogginggrisdepeurqu’ils’éloignedemoi.Messanglotshystériquessetransformentpeuàpeuenpleursquifinissentpars’assécher.Monsouffleirrégulieretbruyantdevientdeplusenplusposé.Mestremblementsetmesspasmessecalmenteuxaussi.Matt,lui,n’arrêtepassesgestesnisesparoles.Ilnedesserrepassonétreintealorsquemesmains,elles,lâchentletissudesonpantalon.Jelaissecependantmespaumesbienàplatsursescuissespourgarderlecontactavecsoncorpsetprouveràmonesprittorturéqu’ilestbienlà.

—Dis-moiquetuesbienréel,chuchoté-jelesyeuxsemi-clos.

—Pourquoijeneleseraispas?merépond-ilcalmement.

—Parcequ’ilsétaienttouslàaussieteuxnel’étaientpas.

—Hébien,moi,jesuisvraimentàcôtédetoi.

Jemecontented’acquiesceretdesoupirer.

—Jen’aipasvraimentvuletempspassercesoir,memurmure-t-ilcontremoncou.Jesuisnavréd’êtrerentrésitard.

—Non,lecoupé-je.Tun’asaucuneobligationenversmoi.Tun’aspasàêtredésolépourça.Rien

n’estdetafaute.

—Tuassauvémaviecettenuit-làdanscetteboîte,Maya.

—JenevoulaisquelacléUSB…

—Etlelendemain,auloft,ons’enestsortisgrâceàtoi.

—J’avaisprévulecoup.Enfin,jenepensaispasquetuseraislà,mais…

—Tum’assauvédeuxfois.Jet’ensuisplusquereconnaissant.Jetedoistout.

—N’importequoi.Jeneveuxpasquetuperdestontempsavecmoi.Ilyatellementdemondequiagâché…

—Jenegâcherien,merétorque-t-ildurement.Tumériteschaquesecondedemontempspourça.Ilfautquequelqu’untemontrecommentêtreheureuseetenpaix.

—Jen’yarriveraijamais,soufflé-je.

—Biensûrquesi.

—Comment?Commentjepourraisquandmonpremiersouvenirestsimorbide?Mamémoireestvide avant ça. Je ne me rappelle pas si j’avais des parents, des frères, des sœurs. Est-ce qu’onm’aimait?Est-cequemamèremetressaitlescheveuxenfredonnantl’airdelaradiolematinavantdepartiràl’école?Est-cequemonpèrem’aapprisàfaireduvélo?Est-cequej’avaisunchatouunchien,peut-êtrelesdeux?Jen’aiaucunsouvenirdeça.Jemesuisréveilléedanscettechambre,cedortoiraveccinqautresfillesdemonâge.J’avaistreizeans,etlepeudetempsquej’avaisvécuavaitété effacé de ma mémoire. Je savais que je m’appelais Maya, c’est tout. J’ignorais où j’étais etpourquoijemetrouvais là.Jenesavaispasnonpluscequ’étaient touscesbruits,cespleursetcescris. C’est comme si j’avais commencé ma vie à cet instant. Alors comment veux-tu que je soisheureuseetenpaixaprèsavoirtraversémonpremierjourainsi,aumilieudusang,delaviolence,delapaniqueetdelamort.Jen’aijamaisconnuqueça.

—Jet’aideraiàconnaîtrelereste.Jetemontrerai.Ilfautjustequetuarrivesàpasserau-dessusdecettenuit-là.

—Jenepeuxpas.Ilsreviennentsanscesse,commepourmepunirdenepasavoirputouslessortirdelà.Jen’avaisquetreizeans,jenepouvaispas…

Mavoixsebriseetdenouvelleslarmesglissentlelongdemesjoues.

—J’auraistellementvouluqu’ons’ensortetousindemnes.

—Tun’asrienàtereprocher.Tuasfaitcequetuaspu.

—Non,jen’aipassuffisammentessayé.

—Tun’étaisqu’unepetitefilledéboussolée.

Ses bras entourent de nouveau ma taille et il rapproche nos corps encore un peu afin de merassurer.

—Elle aurait dûm’aider. Si elle l’avait fait, je suis sûre qu’on aurait été plus nombreux à s’ensortir!

—Quiça?

Savoixestbasse.Jesaisqu’iln’attendqueça,quejeluiracontepourquelepoidsquipèsesurmesépaulessedissipeunpeu.Quejepartageenfinmonfardeau.Etcesoir,jemelaissetenterparcequejesuisfatiguéedetoutça.J’aibesoinqueçacesseavantdedevenirtotalementfolle.J’espèrejustequececi me soulagera. Me replonger là-dedans ne va pas être une partie de plaisir, alors il me fautvraimentunerécompenseaubout.

—Lasurveillante.Elleestvenuenouschercherdansledortoir.Ellenousaditdenousdépêcher,deprendreunevesteetdeschaussures,qu’ondevaitsortirdel’internat.Jenesavaispasbiencequejefaisaislà,maisellesemblaitpaniquée,tellementquej’aiobéisansunmot.Lesautresontfaitpareiletnousl’avonsrejointedanslecouloir.Ilyavaitdesbruitsquiprovenaientdesétagesinférieurs.Descris,despleurs,descoupsdefeu.Jepensequ’onétaitunevingtainedefillesenpyjama.Toutesaveclemêmevisageapeuré.Onnecomprenaitpasvraimentcequ’ilsepassait,maisonsavaitquec’étaitgraveetsérieux.Lasurveillantenousaditqu’ilfallaitqu’onprennel’ascenseurpourallersurletoit.Quelàhaut, ilnenousarriverait rien.Ellessesont toutesempresséesd’ygrimper,maismoi jenepouvaispasmeconcentrersurautrechosequesurlescrisd’agonieetd’angoissedesenfantsenbas.Ilfallaitqu’onlesaideàsortiraussi.Alorsjeluiaidemandéquilessecourait,eux,enbas,ettusaiscequ’ellem’arépondu?Qu’iln’yavaitplusqueDieuquipouvaitfairequelquechosepoureux.Quec’étaittroptard.Quejedevaismonterdanscetascenseuraveclesautrespourqu’onseréfugiesurletoitletempsquelesforcesdel’ordremaîtrisentlasituation.Ellem’apresquearrachélebrasenmetirantàl’intérieur.Maisjenepouvaispasresterlà,àattendrepatiemment,del’aidequin’arriveraitpeut-être jamais. Alors, juste avant que les portes ne se referment, je me suis glissée hors de

l’ascenseur et j’ai couru jusqu’aux escaliers. Je l’ai entendu me hurler de revenir avant que jem’engagedanslacaged’escalieretpuisd’autrescrissontpasséspar-dessuslesien.Çam’aglacélesang.J’aiarrêtédecourird’uncoup.J’aidescendulesmarchesuneàunependantcequim’aparuuneéternité.L’étagedudessousétaitferméalorsj’aicontinué.Deuxpaliersplusbas,j’aienfinpupoussercetteporte.Iln’yavaitplusquetroiséclairagesquifonctionnaientencore.Lecouloirétaitsombreducoup.Jevoyaisdesmassesnoiresrecouvrirlesol,maisjenesavaispasvraimentcequec’était.J’aitendu l’oreille,mais jen’ai rienentenduvenantd’ici.Alors, j’aidécidéd’aller jeterunœilunpeuplusbas.Lorsquej’aipoussélaporte,ilyavaitlescadavresdemescamaradesquijonchaientlesoletdesmaresdeliquiderouge.J’aifaillivomirquandj’aisentil’odeur.Celledusang,del’urineetdesviscères. Jemesuisaccroupievers lepremiercorps.C’étaitungarçon, il était facecontre terreetpresque décapité. Ses vêtements étaient en lambeaux. Je tremblais de partout. C’était horrible. J’aipréférénepasvoirlesautresd’aussiprès.Certainsétaientcarrémentéventrés.Ilyavaitdesboyauxquisortaientdeleursventresensanglantés.J’aicontinuéd’avancer.Lesétagesdudessousétaientdanslemêmeétat.Jen’aicroisépersonnedevivantjusqu’àcequej’arriveauniveaudessallesdeclasse.Jemesuiscachéedansunrecoinquanddeuxhommessontsortisd’unepièce.Ilsavaientdesarmesàfeuetdestalkies-walkies.Quelqu’unleurdisaitdemonterausixième,qu’ilyavaitdessurvivantsquisepromenaient.Ilssontpassésdevantmoi,sansmevoir,aupasdecourse,avecunrirequim’afilélachairdepoule.Quipeutapprécier toutça?Jesuis rentréedans lecouloiraprèsavoirbienvérifiéqu’ilsétaientpartis.J’aientendudescrisetdespleursvenantd’unesalleaufond.J’aicouruet j’aipassélatêtelentementparlaporte.Etj’aivu…

Je ferme les yeux un instant et avale ma salive. Matt fait pression sur mon bras gauche pourm’encourager.

— J’ai vu Thomas, penché sur une table. Je me souviens de son pyjama rouge, de son visageapeuré et baigné de larmes. Un homme le maintenait dans cette position. Thomas essayait de sedébattre,maisiln’avaitpaslaforcenécessairepourça.Et…Ilarelevélatêteversmoi.Ilm’avueetm’aimploréeduregard.Ilfallaitquejel’aide.Surlebureau,ilyavaitunepairedeciseaux.Tusais,un grand avec un bout pointu.Alors, je l’ai pris et jeme suis avancée dans la salle. Le type s’estaperçudemaprésence.Ilariquandilaaperçumapetitemainquiserraitcettearmeimprovisée.Ilm’adit«qu’est-cequetucomptesfaireavecça?Tuveuxqu’onsebatte?Tusaisquetun’auraspasle dessus, chérie ». Je n’ai rien répondu, j’étais terrorisée. Je me demandais même pourquoi jen’avaispassuivilesautressurletoit.IlalâchéThomas,enfin,ill’ajetéunpeuplusloin,etils’estrapidementapprochédemoi.J’aireculémaladroitementetquandilaessayédem’attraper,j’aitentédeluiplanterlalamedanslebras.J’aiéchouéetilm’agifléetellementfortquejesuistombéeausol.J’aivoulureculer,maisilneluiapasfallubeaucoupdeforcepourmemaîtriseretmemettresous

lui. Il a baladé ses mains dégueulasses sur mon corps en éructant des paroles horribles. Je metortillaisdanstouslessens,j’aifinipardonneruncoupdepieddansunetableetelles’estrenversée.J’ai pris une autre gifle. Ça m’a un peu sonnée et lui a permis de descendre mon pantalon sansproblème.Etpuis,j’aivulecrayonparterre,àquelquescentimètresdemoi.Ilavaitdûtomberdelatable que j’avais renversée. Alors, j’ai tendu le bras pendant qu’il se redressait pour pouvoirdéboutonnersonjeans.Thomasahurléàcemoment-là,cequiaattirél’attentiondugars.J’aiattrapélestyloetluiaienfoncédetoutesmesforcesdansl’œil.Ils’estrelevéenbraillantdedouleuretjemesuis éloignée le plus rapidement possible de lui. Il a fini par tomber à terre. Il n’arrêtait pas dem’insulter.Ilallaitalerterlesautres.Ilfallaitqu’ilsetaise.Alorsj’airamasséleciseauet…

Jeprendsunegranderespiration.

Vas-y,Maya,ilfautqueçasorte.

—J’aiplantélalamedanssoncou.Quandjel’airetirée,dusangagiclépartout.Ilafaitdesbruitsbizarres,maisafiniparneplusremueretnepluscrier.Thomasétaitdeboutàdeuxpasdemoi,maisilnebougeaitpas.Ilétaitterrorisé.Jecroisquej’aiprissamain,quejel’aiserréedoucementetilm’a souri. Je lui ai dit qu’il fallait qu’ondescende rapidement avant quequelqu’un se pointe pourvérifierl’étageàcausedesbeuglementsdel’autre.Avantdesortirdelasalle,j’aivuqu’ilyavaitunearmeposéesurundesbureaux.Jel’aipriseetaidonnélesciseauxàThomas.

Jefaisunepause, justeuninstant,poursouffler.Pourempêchertoutescesémotionsdevenirmesubmergerànouveau.

—On n’a pas été suffisamment discrets quand on est arrivés un étage plus bas. Thomas a faitclaquerunedesportesdupalier.Untypeestsortid’unesallepourvoircequ’ilsepassait.Sontee-shirtétaitpleindesang,sesmainsaussietiltenaituncouteaudeboucher.Tuauraisvusonvisage.Ilétaitcinglé.Alors,j’ailevél’armeetj’aitiré.Nemedemandepascomment,maisj’aienlevélecrandesécuritéetj’aipresséladétente.Laballeluiaeffleurélecrâne.Jenem’attendaispasàautantderecul.Enfait,jenem’attendaispasàavoirdurecul.J’aitirédenouveau,maisenvisantleventre.Laballeestentréedanssapoitrine.Ellen’apastouchésoncœur,maisçaaétésuffisantpourlestopper.Quandilaétéausol,onl’adésarméetpuisj’aipressélecanonsursatempeavantdefairefeu.Undeuxième homme est sorti de la même salle, le pantalon sur les genoux. Il a juré que j’étais laprochaineetalevésonarmeendirectiondeThomas.J’aiappuyésurlagâchetteenmêmetempsquelui.Thomass’estjetésurlecôtépouréviterlaballe.Lamienneatraversésonl’épaule,jecrois.Ilalâchélepistoletetaglissélelongdumur.J’airépétél’opérationencoreunefoisetsatêteaexplosé.J’aireçudestrucssurmoi,maisjenem’ensuispasvraimentinquiétéequandj’aivucestroisfilles

danslasalle.C’étaittroptardpourl’uned’entreelles.Dusangcoulaitàflotsdesonventre,decetteplaiebéante.Sesyeuxétaientvitreuxet sansvie.Lesdeuxautresavaientdesecchymoses,quelqueségratignures, lesfringuesdéchirées,maissinonellesétaientenvie.Je leuraiditderesterderrièremoietdedescendreencore.Onnepouvaitpasremonter.Ilfallaitqu’onsorteparlerez-de-chaussée.J’airamasséleflinguedugarssanstêteetj’aientendusescollèguesparlerdansletalkie-walkie.Ilss’inquiétaientdescoupsdefeuetdufaitdenepasavoirderéponse.Onn’avaitpastropletempsdetraînerici.J’aitrouvéquatregarçonsplusbasetdeuxfilles.Iln’yavaitqu’untype.Thomasatiréladernièreballedemapremièrearmeetj’aifiniletravail.Onadûfaireungarrotàundesgarçonscarilavaituneentailleprofondeà la jambe.Çasaignait trop.Onnoussuivaità la traceàcausedeça.Maisonn’avaitpasletempsdes’inquiéter.Lerez-de-chausséeétaitjusteendessousdenous.Ilfallaitjustequ’onfranchisselepalier.Jelesaipresséslorsquej’aientendudespasdanslesescaliers,unpeuplushaut, ainsiquedescris.Ona faitdumieuxqu’onapu.Ondevait traîner leblessé.LesautresétaientdevantnousetavecThomas,onsoulevaitnotrecamarade.Quandonestarrivédanslehall,ilsnousont rattrapés.Onnepouvaitpas semettre à couvert.Alors, je leur aiditdecourir enzigzagjusqu’àlaporte.Thomasetungarçonontportélemutilé,maisjevoyaisbienqu’ilsmettaienttropdetempspouratteindrelasortie.Alorsj’aicommencéàtirerlesdernièresballesquej’avaispourqu’ilspuissentquittercetenfer.Maisçan’apassuffi.Enfin,paspour tout lemonde.Unedesfillesqu’onavait trouvée en premier a été touchée. Elle avait fait demi-tour pour aider Thomas, pour qu’ilsavancentplusrapidementetlessoulagerunpeudupoidsdugarçon.Elleavaitpresqueatteintlaporte,maissoncorpss’estsoudaineffondrésurlecarrelageetunemarredesangs’estétaléeautourd’elle.Lesautresétaienttoussortis.Elleétait ladernière.J’aivoulul’atteindreet l’emmenerdehors,maisuneballeasiffléprèsdemesoreillesetjemesuisjetéeàterre.C’estàcemoment-làquedestypesennoiresavecdescasquessontentrésdanslebâtimentetontlâchédesrafales.Quelqu’unm’arelevéeetm’aemmenéeàl’extérieur.Ilyavaitunefouledevéhiculesetdepersonnesdanslacour.J’aipuvoirmescamaradesunpeuplusloin,assisdansuneambulance,entouréspardupersonnelmédical.J’aivoulu aller leur demander comment ils allaient, mais les médecins se sont jetés sur moi. Je necomprenaispaspourquoi.Jen’avaispasétéblessée.Dumoinspasvraimentgravement.Etpuis,j’aivumon reflet dans lavitrede l’ambulance. J’étais recouvertede sang. J’enavaispartout.Dans lescheveux, surmonvisage, surmes vêtements, surmesmains. Partout.Mais, ce n’était pas lemien.Riendetoutçanem’appartenait.C’estlàquej’airéalisécequej’avaisréellementfait.Jenousavaistoussauvéscertes,maisj’avaistuésanspitiéquatrehommes.J’avaisprislaviedequatrepersonnes.

—Tul’asfaitparcequetuledevaispourvivre,mechuchoteMatt.

—Quelenfantauraitl’idéedefaireça?N’importequiauraitcourudansladirectionopposéeetseseraitcaché.

—Etilseraitmort.Tuasaffrontéça.C’estgrâceàtois’ilssontenvie.

— Ils ne le sont plus, lui avoué-je. Je n’ai que sauvé Thomas. Tous les autres avaient déjà ététouchés ou avaient assisté à ça. Ils ont tous fini par se suicider. On les a perdus au fil du temps.Personned’autrequenousn’asurvécu.Desannéesaprès,ilyaencoreeudesmorts.

—Rienn’estdetafaute,tente-t-ildemerassurer.

—Alorspourquoijemesensresponsabledelamortdechacund’entreeux?

—Tueslaseuleàavoiragi.Tudevraisêtrefière.

—J’aituédesgens.

—Tun’avaispaslechoix.

Jefermelesyeuxuninstantetprendsunelongueinspiration.

—Jen’aijamaisparlédecettenuitàpersonneparceque,sijelefaisais,çarendraittoutçaréel.Etaujourd’hui,riennemeparaîtplusirréalistequeça.Unepréadoprenantfroidementlaviedequatreadultesetsauvantunedizainedesescamaradesd’unemortcertaine.C’estjusteabsurde.Etpourtantc’estcequiestarrivé.Plusieursmédecinsm’ontdemandédeleurdirecequ’ils’étaitpassélorsqu’ilsm’auscultaient,maisjen’aijamaisriendit.Quandl’escouadeestrevenuesanssurvivantetqu’ilsontcommencéàracontercequ’ilsonttrouvé,toutlemondeétaitchoqué.Maisiln’yavaitpersonnepourrépondredecesactes.Ilsavaienttousréussiàs’enfuir.Toussaufceuxquej’avaiscroisés.Alors,biensûr, ils ont voulu savoir comment c’était arrivé. Mais aucun son n’a pu sortir de ma bouche aumomentoùj’aivulesregardshorrifiésqu’ilsmelançaientlorsquelesautresleurontdit.Jemesuisenferméedansmabulle.J’aiignorétoutlemonde.Jen’airéponduàaucunequestionquecesoitdesofficiers,desmédecinsoudespsychologues.Maisjelesvoisencoretousquiseretournentversmoi,laboucheentrouvertepar lasurprise, levisage tordupar ledégoûtet lesyeuxbrillantsdepeur.Jesouffredepuis ce jour.Mais après tout, j’avaispeut-êtredéjàmal avant ça.Et si c’est le cas, je nem’ensouvienspas. Jemesenscoupableden’avoirpu sauverque sipeudemonde,denepasêtrearrivée à temps pour eux, de ne pas avoir pu les aider à s’en sortir réellement. Mais commentpouvais-jebienlesaideralorsquemoimêmejenepeuxpasmedéfairedetoutça?J’airecommencéàvivreunpeuquandl’Agenceestvenuemerecruteretqu’ellem’adonnél’opportunitédemevenger.J’avais quelque chose pour continuer d’avancer. Un but. Sinon, j’aurais sûrement fini comme lesautres.Ilnemerestequedeuxdecessalopardsàtrouver.J’aiseulementunnom.Georgesneveutpasm’endireplus.Ilsaitdeschosesetmelescachesciemment.Ilfautquejesachepourquoiilsontfait

çaetqu’ilspayentpourtoutlemalqu’ilsontfait.Jelefaispourmoi,maisaussipourtouslesautres.Thomasnecomprendpas.Luiest arrivéàvivreavec, àpasserau-dessus. Ilne ressentplusdepuislongtempscesentimentdevengeance.Ilapardonné,moipas,commentlepourrais-je?Lepardonnefaitpaspartiedemonschéma.

Matt pose ses lèvres sur ma tempe et m’embrasse doucement. Ma colère redescendautomatiquement.

—Tuvoisquandjetedisaisquej’étaistotalementcinglée,jenementaispas,glissé-jeenfermantmesyeux.

—Cequetuasvécuesttraumatisant.Tun’espascinglée,affirme-t-ilencaressantmonbras.Etjevaist’aider.Jeteprometsquetuirasmieuxbientôt.

—Commenttupourraissavoirça?

—Parcequejeferaicequ’ilfautpourquecesoitlecas.

—Beaucoupdegensontessayéavanttoi…

Ilmeprendparleshanchesetmeretournepourqu’onsoitfaceàface.Sesmainsseposentsurmonvisagedefaçonàcequejenedétournepasleregard.Nosprunellessontancréesl’uneàl’autre.

— Je ferai ce qu’il faut pour que tu ailles mieux et que tu puisses enfin vivre ta vie sans êtreenchaînéeàcepassé.

—Jenesuispassûrequecesoitpossible.

—Tumefaisconfiance?

Jelescruteuninstant.Sesyeuxvoyagentsurmonvisage,seslèvressontpincées.Noussommessiprochesquejen’auraispasgrand-choseàfairepourcomblerl’espaceentrenosbouches.

—Jecrois,chuchoté-je.

Ilreplacequelquesmèchesdemescheveux,quienséchantunpeufrisent,ettombentsurmafigure.Jeleregardeenlesuppliantsilencieusementdenepasmefaireregrettermadécision.Ildéposeunbaisersurmonfrontetmeserredenouveaudanssesbras.

—Jetejurequejeneteferaijamaisdemal,Maya.Jevaist’aider.

J’espèrejustequ’ilditvrai.

8

Entreamis?

Je suis couchée sur le flanc, le visage tourné vers la fenêtre par laquelle les rayons du soleils’infiltrent dansma chambre.Nous n’avons pas fermé les volets hier soir. Dumoins, nous avonsoubliédelefaire.Ilest15heuresetj’émergetoutjusted’unsommeilpaisible.Mattestcolléàmondos, unbras passé autour demonventre, sa tête surmonoreiller et sa bouche à proximité demanuque.Jesenssonsoufflebalayermapeauàintervallerégulier,signed’unreposprofond.

C’estassezbizarre,parcequ’aujourd’hui,j’ail’impressiond’avoirunpoidsquis’estretirédemesépaules.

Comme si la main invisible qui serrait mon cœur de toutes ses forces depuis des années avaitdécidé de lâcher du lest. J’aimoinsmal. Est-ce le fait d’avoir partagé pour la première foismonfardeauouest-ceMattquiaspiremesmauxpetitàpetit?Jenesaispastrop,peutêtrequec’estjustelacombinaisondesdeux.Jesuisloind’avoirtoutréglé,maiscepoidsenmoinsestdéjàunebénédictionpourmoi.

Jeresteencorequelquesminutescontrelecorpschauddel’Américainànepenseràrien,justeàprofiterdel’instantprésent,decepetitmomentdepaix,avantdetenterdemeleverdoucement.J’aiàpeinesortiunejambedulitetdétachémondosdutorsedeMattquecelui-ciresserresonemprisesurmoi. Un grognement s’échappe de sa bouche et il enfouit son nez dans ma chevelure. Sa mains’infiltresousmontee-shirtetglissecontrelapeaunuedemonventrepourenfinpassersousmoncorps,m’encerclantainsitotalementdesonbras.Iln’yaclairementaucunepartiedenoscorpsquinesoientpascolléslesunesauxautres.Avoirmonculplaquécontresonbassinnemeditrienquivailleàenjugerparsarigiditématinale.Jenedoispasbougersijeneveuxpasrendrelasituationencoreplusinconfortableetgênante.

—Matt?l’appellé-jedansunmurmure.

Ilglisseunedesesjambesentrelesmiennesetgrognelégèrement.

Oh,merde!

—Matt,s’ilteplaît,ilfautquejemelève.

Ilfrotteunefoisdeplussonnezcontremoietsonsoufflevientchatouillermoncou.Unenuéede

frissons s’empare demon corps et un tremblementm’agite.Mes fesses se contractent sans que jem’enrendecompteetlebassindeMattbasculecontremoipourtouteréponse.

Ilfautquejesortedelà!

Jepressesonbrasautourdemonventreetl’appelleencoreunefois.

—Matt?

J’obtiensunnouveaugrognementdesapart.

—Lâche-moi,s’ilteplaît.Ilfautquejemelève,répété-je.

— Pour quoi faire ? murmure-t-il paresseusement dans un souffle, encore endormi, sans pourautantdesserrersonétreinte.

—Parcequ’ilest15heures!

—Jenet’aipasdemandél’heure.Pourquoituveuxtelever?

Pourquoifaut-ilqu’ilsoitaussichiantparmoment?!Maisc’estloind’êtreterminé.Commejesuisappuyéedetoutmonpoidscontrelui,quandilsedécollebrusquementdemoncorps,jemeretrouvesurledos.Ilenprofitepourselaissertombersurmoi,m’écrasantdesonpoids.Unedemesmainsest coincée entre nos abdomens, j’essaye de la récupérer. C’est peine perdue. Alors je tente de lepousserdecellevalide,maisMattsembletrèsbienréveilléàprésentcarill’attrapeauvoletlacloueau-dessusdematête.

—Nebougepas,chuchote-t-ilcontrelachairfinedemagorge.

—Laisse-moimelever.Tupourrasterendormircommeça.

—Cequetupeuxêtrepénible.

Sonvisagequittelecreuxdemoncouetseplacejusteau-dessusdumien.Ilmefixedesesyeuxencorepleinsdesommeiletesquisseunsourireparesseux.Samainquinetientpaslamienneglissecontremon flanc, ses doigts se pressent contremes côtes etm’arrachent un gloussement stupide.J’essaye deme débarrasser de son corps sur lemien,mais bouger ainsi contre lui est carrémentindécent.Chaquepartierigidedesonanatomieépousechacunedesmiennesplusmolle.Lorsquejesoulèvelebassinpourtenterdelerenverser,nosregardssecroisentets’allumentinstantanément.UnlégergémissementtombedemabouchetandisquecelledeMatts’ouvreenunOparfait.Cen’était

absolument pas prémédité.On est soudain figés, le souffle court et le corps brûlant.Les doigts del’Américain se nouent aux miens et son visage se rapproche dangereusement jusqu’à ce que seslèvres effleurent les miennes. Ma poitrine se soulève irrégulièrement à cause de mon manqued’oxygèneévidentetmestétonsdéjàdressésfrottentdélicieusementcontresontorse.Jefaisuneffortphénoménalpournepasgémirunefoisdeplusetpournepasbalancermonbassincontrelesien.J’aitellementenviequ’ilm’embrassequej’enaimal.Sonregarddanslemien,ilfaitglissersamainsousmon tee-shirt et ses doigts remontent lentement le long de mes côtes, jusqu’à ce que son pouceeffleure le renflement bas demes seins et en trace le contour.Malgrémes efforts, je ne peux pasm’empêcher de coller nos bassins ensemble et nous arrache de nouveau une plainte sourde.Mattfermelesyeux,uneseconde.Jecroisqu’iltentedesecalmeretjen’enaipasvraimentenvie.Alorsj’avancemonvisageauplusprèsdusienpourprendresalèvreinférieureentrelesmiennes.Jetirefaiblementdessus.Mattinspireprofondément.Puissontéléphonesonneetd’unbond,ils’extirpedulit pour se jeter sur l’appareil avant de sortir de la pièce. Jeme sens soudain seule et totalementstupide.

QuandMattréapparaît,iln’aplusriendeceluiquisetrouvaitau-dessusdemoiilyauneminute.J’aidevantmoi,leMattdetouslesjours.

—Vatedoucherethabille-toi,jet’emmènedéjeuner,medit-ilenenfilantunjogging.

—Jen’aipasfranchementenviedesortir…

—Prendrel’airteferaleplusgrandbien.Etvoirdumondeaussi.

—Ilestpresque16heures,jecroisquepourdéjeuner,c’estraté.

—Etbiendanscecas,allonsgoûterquelquepart.Dommagequ’onnesoitpasmercredi, j’auraiadoré te regarder jouer dans la piscine à balles avec les autres enfants, raille-t-il avant de jeter lacouettequimecouvrait.

—Connard,sifflé-je.

Ilritensecouantlatête.

—Vatedoucher.Dépêche-toi,tontonMaxnousattend.

—C’étaitMaxautéléphone?demandé-jeenmeredressant.

—Ils’inquiètepourtoi.

Jerouledesyeux,maisneditrien.Jeprendsmesaffairesetparsmepréparer.

**

Max est déjà là, assis à une table devant la vitrine, les yeux rivés sur son écran de portable.Lorsqu’ilnousaperçoit,ilseredresseetrangesontéléphonedanssapoche.Jeprendsplaceenfacede luietMattà sescôtés. Il lui tape sur l’épauleavecun regardcomplice. Jecommenceàdevenirméfiante.Cesdeux-là,fontbientropsouventami/amiquandils’agitdememettrelespointssurlesi.J’espèrevraimentqu’onn’estpaslàpourçaaujourd’hui.

—Commentvas-tu?medemandeMax,l’airinquiet.

—Bien,merci.Ettoi?

—Tuespâle.T’essûrequeçava?

Jedoisbienavouerquesansmaquillage,j’aiunetêtehorrible,maisjen’avaispasvraimentenviedemecouvrirdefonddeteintetd’anticerne.

—J’aidesnuitsdifficiles,maissinontoutroule.

—Difficilesàquelpoint?

JecroiseleregarddeMatt.

—Riendetropterrible,justemescauchemars.

L’Américainbaisselesyeux,maisn’intervientpas.Unechancepourmoi.

—Tescauchemarssontterribles!rétorqueMax.

—Çanuitsimplementàmonsommeil.

—Qu’est-cequejevoussers?

Unegrandebruneauxlèvresorangenousinterrompt.Ellesortsonpetitcarnetdelapochedesontablierainsiqu’unstylo.

—Troiscafésettroiscrêpes,luirépondMattennousinterrogeantduregard.

—Unmilkshakepourmoiplutôtqu’uncafé,àlabanane,demandé-je.

—Natureslescrêpes?

—Sucrepourmoi,intervientMax.

—Etdeuxmyrtillespournous.

Jejetteuncoupd’œildetraversàMatt.

Pourquoiilfaitça?Jen’aibesoindepersonnepourdécideràmaplace.

Laserveusehochelatêteetluisouritàpleinesdentsavantderepartir.

—Mercidem’avoirlaisséechoisirmagarniture,craché-je,vexée.

— Ce sont les meilleures. Et puis, tu aurais pu lui dire que tu n’en voulais pas, rien ne t’enempêchait.

Ilmefaitsonplusbeausourired’hypocriteauqueljerépondsparmonmajeur.J’allaiscommenceràm’engueuleravecl’AméricainquandMaxprendlaparole.

—J’aivuThomas.Jesaiscequ’ils’estpassé,annonce-t-il faiblement,presquecommes’ilavaithonte.

—Jesuisaucourant.Jenet’enveuxpas.Tuastoujoursétéunfouineur,c’estpourçaquejet’aiembauché.

—Jesuisnavréqueçasesoitterminécommeçapourlui.

Mon cœur se serre brusquement quand quelques images me reviennent en tête. Je lui sourisfaiblement.Moiaussi,jesuistellementdésoléepourlui.

—Aufait,çanes’estpastrèsbienpasséavecThomas,m’informeMax.

—Commentça?

—Çasepourraitque jemesoisunpeuemportéquand ilm’aditqu’il t’avait,enquelquesorte,pousséeàbout…

Jeluijetteunregarddebiais.

—C’est-à-dire?

—Illuiacollésonpoingdanslagueule,m’avoueMatt.

—Quoi?!m’écrié-je.

—Ilamerdé,m’expliqueMax.

—Cen’estpasàtoideréglermesaffaires.Jesuisassezgrandepourmedéfendretouteseule.

—Ohoui,onavuça.Tut’esbarricadéechez toipendantdes jours.C’estvraiqueçaaarrangébeaucoupdechoses.

Mattluidonneuncoupdecoudeetluijetteunregardnoirpourl’arrêter.Jesoupireetprendsmatêteentremesmains.

—OK,j’avouequeçan’apeut-êtrepasétélameilleurefaçondefaire,mais…j’avaistout…toutcebordeldansmonesprit…Jenesavaispascommentjepouvais…J’aiperdutropdechoses,tropdepersonnesimportantesdansmaviedepuismamissionRossi.

—Maya,jesuislàdepuisledébut,d’accord.Jesaistoutça.Jecomprends,jesuistropcon.Excuse-moid’avoirdit ça.C’est justeque… tum’énerves à faire comme si tugères absolument toutbienalorsquecen’estpaslecas.Tuasbesoindenotreaideetdenotresoutienpourt’ensortir.Onestlà,tupeuxcomptersurnous.

—PourcasserlagueuleàThomas?luidemandé-jeavecunsourireencoin.

—Oui.Non.Enfin,oui,maispasquepourça.Pourtoutlereste.Ilfautquetunousparlesquandçanevapas.

—Ilnet’apastropamochéaufait?

Jeprendssonvisageentremesmainsetletournesousdifférentsanglespourvérifierqu’iln’apasd’ecchymoses.

—Iln’apasrépliqué,merépondMaxenlevantlesyeuxaucielquandilseretiredemapoigne.

—Pourquoiça?

Je trouve ça étonnant.Thomasn’hésite jamais à rendre les coups et vu l’état d’énervement danslequelilétait,jepensaisvraimentqu’ilauraitmassacrémonami.

—Ilareconnul’avoirmérité,m’avoueMax.

— Il l’a aussi prévenu que s’il lui enmettait un deuxième, il lui referait le portait sans hésiter,préciseMattensemoquantdelui.Iln’apastropprisderisquesnonplus,notrevengeurmasqué.

—Tagueule,luisoufflel’autre.

—Tuasbienfait,Thomasn’estpasunadversaireàtataille,luidis-jesérieusement.Tunepourraispasgagnergrand-chosemis àpart unbonpour l’hôpital.Mais je te remercied’avoir fait çapourmoi.

Ilsparaissentsurprisquecesparolesquittentmabouche.J’auraidûpartirdansunecolèrenoireenluidisantdesemêlerdesesaffaires,maisenréalité,jesuiscontentequ’ill’aitfait.Vraiment.

Noscrêpesarriventàpointnommé.Jeplongemonregardsurmonassietteetjenerelèvepaslatêtetoutenrestantsilencieusejusqu’àcequejelatermine.

Les deux hommes parlent de football, je crois, ou de basket. Je tourne la tête vers la vitrine etcontempleleciel.Celui-cisechargedenuagesetlaluminositébaisse.Ilnevapastarderàpleuvoir.

J’observelespassantsseprécipiteràl’intérieurducafé,deleursvoituresouencoredesabrisdebuspouréchapperauxgrossesgouttesquis’écrasentsurlestrottoirs.Jemesouviensd’unaprès-midiavecLucasoùl’ons’étaitfaitsurprendreparl’oragedansunparc.Onétaitrentréschezlui,trempésjusqu’auxos.Onriaitauxéclatsenessayantdesedébarrasserdenosfringuesquinouscollaientàlapeau.Jemerappelledecettedoucheaussi.Jesensunsouriresedessinersurmeslèvres.Onavaitfinilasoiréesursoncanapé,nuscommedesvers,enroulésdansunecouette,nosvêtementsétendusdanslasalledebain.Jen’avaispasarrêtéderâlerparcequ’onavaitlaissélepanieràpique-niquelà-basetqu’onavaitdûpasserlasoiréeàl’intérieuràregarderlatélévision.Qu’est-cequej’aipuêtrebête!Qu’est-cequ’ons’enfoutaitdupique-nique!Onétaittouslesdeux,l’uncontrel’autre,c’esttoutcequiauraitdûcompter.J’aimeraistantremonterletempsetfairecertaineschosesdifféremment.

—Maya.

Maxm’appelleetmesortdemespensées.Quandjetournelatêteverslui,jevoislesdeuxgarçonsmefixeravecunairanxieux.

—Est-cequeçava?

—Tuvasmedemanderçatouteslesdeuxminutes?luiréponds-jeagacée.

—Onauraitditquetuétaispartieàdesannées-lumièredenous.

—Çava.Jesuisjustefatiguée,jevoudraisrentrer,medéfends-je.

Matt,lui,nesemblepasadhéreràmonmensonge,maisilselèveetsortunbilletdecinquantequ’ildonneàMax.

—Payelanote,jelaramène.

—Jepensaisquec’étaitpourmabonnecompagnie,luidit-il.

—Jenepayejamaispourdelabonnecompagnie.Jen’enaipasbesoin.Ellescraquenttoutespourmoi.

Mattluiadresseunclind’œil.

—Ohpitié,soufflé-jeenvoyantsonsourirededragueurs’affichersursonvisage.Tutevanterasplustard.Ramène-moi,s’ilteplaît.

—T’espresséequ’onnesoitplusquetouslesdeux,hein,Bee?

—Bee?m’exclamé-jeenmêmetempsqueMax.

—Benquoi,Maya,c’estbienlapetiteabeille,non?

—Tutrouvesquejeressembleàcetteminusculeabeillequiparledunez?!

—Ellescraquenttoutespourtoi,heinmonpote?semoqueMax.Jecroisquecelle-làvatedonnerdufilàretordre.

—Siseulementtusavais,murmureMatttellementbasquej’entendsàpeine.

Ilpassesonbraspar-dessusmonépauleetfaitunsignedetêteàMax.

—JeramènemademoiselleBee,ons’appelle?

—Tuvasmourir,monfrère,ritMaxquandonsortducafé.

J’assèneuncoupde coudeà l’Américaindroit dans ses côtes. Il retientunpetit gémissementdedouleur,maisnemelâchepas.

—Nem’appellepasBee.Jenesuispasunefoutueabeille.

—Jen’endoutepas.Maisçatevabien.

Au vu de son sourire, le message n’est pas passé comme il faut. Bordel, pourquoi est-il aussipénible?

9

Regretetlâcher-prise

Aucundenousneprononceunseulmotdetoutletrajet.Quandonrentredansl’appartement,jefiledanslachambrepourenfilerunjoggingetunsweat-shirt.

Mattestdevantlatéléetzappe.

Je vais dans la cuisine et commence la vaisselle que je n’ai pas faite hier. Ça neme prend pasbeaucoupdetempsetnem’occupepassuffisammentl’esprit.Alors,j’attrapelalavettepourastiquerleplandetravail.Maisj’aidumalàsortirl’imagedeLucasdematête.Sonsourireperverslorsqu’ilm’avueenserviettelesoirdugala,sesyeuxrieurslelendemainmatinquandilm’aentraînéesousladouche, son désespoir alors que je refusais de l’entendre me dire ces trois mots, sa douleur aumomentoùj’aidécidédecontinuerlamissionetpuissoncorpsinertesurlesolpoussiéreuxdecettecave.Deslarmesroulentsurmesjoues.Jem’enveuxtellementdenepasluiavoirdonnésachance,denepasavoirpulesauver.Toutseraitdifférentsijem’étaisouverteàluientièrement.Lesregretsm’assaillentquecesoitpourLucas,oupourTony,mêmepourmescamaradesde l’internat. Jemelaissetomberausoletplongematêteentremesmains.J’essayedefairelemoinsdebruitpossible.Jene veux pas queMatt apparaissemaintenant. J’entends qu’il change de chaîne et baisse le son. Jerenifleunpeu.Ilfautquejemereprenne.

—Maya,qu’est-cequetufais?medemande-t-ilducanapé.

Jemerelèved’unbondetessuiebrièvementmesyeuxd’unreversdemain.

—Jefaisunpeudeménage.

Mavoixn’estpassuffisammentconvaincante.D’ailleurs,ilselèveetsecalecontrelechambranledelaporte.Jeluitourneledos,frottantlaplaquedecuisson.

—Lacuisineestpropre,tul’asdéjàfaitehier,medit-ildoucement.

—Hébien,unpetitcoupdeplusneferapasdemal,luiréponds-jeenhaussantlesépaules.

Jesaisque j’ai lesyeuxrouges, jenepeuxpasmeretournersinon ilmeverraitainsi.Jereniflebruyamment pendant que j’essaye deme contenir. Il s’approche demoi, jeme cache derrièremescheveuxenm’inclinantlégèrement.

—Est-cequetoutvabien?

Jenepeuxpasparler,mavoixrisquededéraillerànouveau,alorsjehochelatête.Iltendlamainetrepoussequelquesmèchespourvoirmonvisage.Jemedétourneenluirépondant:

—Çava.

—Nemedispasqueçava.Jesensbienquecen’estpaslecas.

Jelèvelatêteetleregardpourqued’autreslarmesnes’écrasentpassurmesjoues.Jeprendsunenouvelleboufféed’airetannonce:

—Jen’aipasenvied’enparler.

Malgré tout, il se place derrièremoi et pose unemain surmon épaule alors que je lui tournetoujoursledos.

—Jerespecteça.Maisjesuislà,inutiledetecacher…

—Jen’aipasenviedepartagerçamaintenant.Ilmefautdel’espace,Matt.

Ilpressemachairetlaissetombersonbraslelongdesoncorps.

—Jeseraidanslesalonsituasbesoindequelquechose…

—Jevaisallerprendreunbain.Çairamieuxensuite,lecoupé-je.

J’essuieunenouvellefoismesjouesetpatientejusqu’àcequ’ilquittelapiècepourmedirigerverslasalledebain.

Quandjesorsdeuxheuresplustard,apaisée,Mattapréparéledîneretm’attendàtable.Lerepassepassedanslesilencelepluscomplet.

Jelelaissechoisirunprogrammetéléetattrapeunvieuxbouquindelabibliothèquedanslequeljemeplonge,surtoutpouréviteruneénièmediscussionpourexorcisermesdémons.

Matts’endortdevantlefilm.Satêtepenchelégèrementversladroite.Unemainestplacéesursonventre tandis que l’autre tient encore la télécommande. Sa bouche s’entrouvre et un soupçon deronflement s’enéchappe. Je contemple ses longscils, sonnez fin, sabarbede trois jours toujoursbien taillée, ses épaulesmusclées, son torsebiendessiné.Matt est vraimentbeauet à cet instant, ilsemblesijeune.Jerefermemonbouquinetm’approcheunpeupourmecalerdoucementcontrelui.

Àcertainsmoments,ilpeutmemettrehorsdemoi,maisàd’autres,jemesensenconfianceaveclui,ensécurité.

Ilestgrandetfortphysiquement,maismentalement,ilal’airtellementplussainetstablequemoi.C’estassezétrange,maisilsaitparfaitementcomments’yprendreavecmoi.

Parfois,j’ail’impressionquejevisavecluidepuisdesannées.Toutestsisimple.

Ilremueunpeuetsesyeuxs’ouvrent.Ilsouritquandilaperçoitquejesuisappuyéecontrelui.Ilentouremeshanchesd’unbrasetjeposematêtesursonépaule.

—Qu’est-cequetufaislà?Tuneboudespasdanstoncoincommetoutàl’heure?

Ilyaunepointed’humourdanssavoix.

—Jeneboudaispas!

—Biensûrquesi.

Jesecouelatêted’unairdésapprobateur.

—Tusais,jepeuxcomprendrequetun’aspasenviedetoutdéballer.Qu’ilyadeschosesquetuneveuxpasmeraconter.Maisjen’aimepassavoirquetuesentraindepleurer,alorsquejesuisassis,ici,del’autrecôtédelacloison.Jen’aipasvraimentbesoinquetumedisespourquoi,jevoulaisjusteteconsoler.

—Jecroisquetum’asconsoléuncertainnombredefois,n’es-tupasfatigué?

—Pourquoileserais-je?Jet’aiditquejeseraislàpourt’aideràallermieux.Jesuisconscientqueçaneseferapasendeuxsemaines,encoremoinsentroisjours.

—Tunevaspasresteràmonchevetpendantdesannées.

—Jevis avecune femme superbe et ellepartagemême son lit avecmoi, alorsquedemande lepeuple?raille-t-il.Jepeuxpassermavieici,situcontinuesàdormirdanscesmini-shorts.

—T’espascroyable,soufflé-jeenriant.

—Onvasecoucher?

J’acquiesced’unhochementdetête.Jetombedefatigue.

J’enfilerapidementuntee-shirtetunpantalondeyogapuismeglissesouslacouetteàcôtédeMattquiestencaleçon.

—Tusaisquetupourraist’habillerunpeuquandmême,luidis-je.

—Parcequelesboutsdetissuquiteserventdepyjamatecouvrentsuffisamment,toi,peut-être?

—Jenesuispastorsenu.

—C’estbiendommage.

— Tu veux que j’aille mettre une combinaison de ski ? lui demandé-je en faisant mine de merelever.

—Certainementpas.

Sonbrass’enrouleautourdemeshanchesetmerapprochedesoncorps.Surleflanc,faceàface,onseregardequelquesinstantssansriendire.Mesmainssontpresséescontresontorseoùsoncœurbat de façon irrégulière. Deux petits centimètres doivent nous séparer, mais déjà sa chaleurm’enveloppe.

—Jemedemandesicequ’onfaitestbien,soufflé-jeenplongeantmesyeuxdanslessiens.

—Lavieesttropcourtepourseposercegenredequestion.

—J’aipeurdeprendregoûtàtoutecetteattention,cetteaffectionquetumeportes.

—N’aipaspeur.Toutlemondeaimeça.C’estnormal.

—Paspourmoi.

—Çaviendra.Avecletemps.Etpuis,ilfautquetut’yhabituesparcequejesuisquelqu’undetrèstactile.

—Jevoisça.C’estpourçaquetacohabitationavecMaxnes’estpastrèsbienpassée?letaquiné-je.

—Jen’aipastentéd’approchesavecnotreDramaQueen.Jenepensepasqu’ilauraitapprécié.

—Ilauntrèsboncrochetdudroitaussi,enchéris-je.

—Etilnesentpaslebonbonàlafraise.

—Cen’estqu’unequestiondegeldoucheoudeshampoing.

Jememetsàrire.

—Jenecroispasnon,sourit-il.Etpuis,jepensequec’estmieuxquejedormeavectoi,ilronflecommeunebatteuse.

—Etmoi,jehurlecommeunedingue.

Sonsouriredisparaîtetsonvisagedevientsérieux.

—J’aihorreurdetevoiraussivulnérableetbouleverséequandçaarrive.Maisjenelaisseraismaplacepourrienaumonde,Bee.

Ce surnomstupidedont jenevoulaispasme réchauffe soudain le cœur. J’aime la façondont iltombedesaboucheetdontilsonnequandillemurmureainsi.Çamerendimportante.Jesouris,unpeugênéederessentirça,etmecalecontreluienétouffantunbâillement.

—Bonnenuit,Matt.

Cedernierembrassemonfront,meserreencoreunpeucontreluiavantdemerépondre.

**

Jemeréveilleunefoisdeplusensursaut,ensueuretenpleurs.Jepousseviolemmentlacouetteetme lève brusquement. Mes jambes ne me portent pas alors je m’effondre sur le parquet. Matt seprécipiteversmoietj’agrippesesépaulesnues.

—Tum’avaisditqueçacesseraitsijeteparlaisdeça,arrivé-jeàdireentredeuxsanglots.

— Il n’y a pas demiracle,Maya.Çane vapas partir commeçad’un coup.Mais petit à petit tuverras,ças’atténuera,mechuchote-t-il.

Ilcaressedoucementmescheveuxpourm’apaiser.

—J’enaitellementmarre.Jesuisàbout.

—Çavaaller.

Iln’arrêtepasdemerépéterça,mais lesaméliorationsnesontpasflagrantes.Jesuissiépuisée.Depuiscombiendetempsn’ai-jepaseuunenuitcomplète?Jen’arrivemêmepasàmesouvenir.

—Onvaseremettreaulit,memurmureMattenm’aidantàmerelever.

Il me tient la couette pendant que je m’allonge, fait le tour du lit et se place à mes côtés. Jerapprochemoncorpsdusien,posematêtesursonépauleetilpasseunbrasréconfortantautourdemataille.Jepleuretoujours,maisjesaisqueçanedurerapas.Mattalepouvoirdemecalmer,demerassurer. Ilm’apaise. Jeme rends compte qu’il pourraitmemanipuler sans problèmes tant je suisréceptive.Jeprendspeurquandjepenseàça.Monrythmecardiaqueaugmente,jemeraidisetcommepourrépondreàmescraintes,ildéclare:

— Je ferai tout pour que tout s’arrange. Je recollerai tous les morceaux même si ça doit meprendredesannées,mêmesijedoismebattrecontretoioucontrelemondeentier.

Jemedétendslégèrementetfrottemonnezcontresoncoupourluinotifierquej’aibienentenducettefolledéclaration.Jem’endorsdoucementausondesoncœurbattantrégulièrementdanssacagethoracique.

10

Quisuis-je?

Troissemainesplustard

Mesyeuxs’ouvrentdoucementetjeressenstoutedesuitelevideàcôtédemoi.Jepasselamainsurlematelasfroid.Mattadûseleverdepuisunbonmoment.Jem’étiretranquillementetbâillesansménagement.Jeprêteuneoreilleattentiveauxsonstraversantmaportedechambre.J’entendsalorsdesvoix.Jem’enapprocheàpasdeloupetl’entrouvredélicatement,leplussilencieusementpossible.MattdiscuteavecMax.

—…C’esttroptôt,ditMattfermement.

—Troptôt?Troptôtpourquoi?Tunepourraspaslalaisserpourtoujoursenferméeici!Çafaittroissemainesquevousêtescloîtrésdanscetappartement.

—Ellen’estpasencoresuffisammentbienpoursortir.

—Oh,laisse-moirire.Àt’entendre,ellen’estprêteàrien.Ellenepeutpasmettreunpieddehors,nirencontrerdumonde,nireprendreletravail,nilireceputaindedossier…

Monrythmecardiaqueaccélère.

Ledossier?

Queldossier?

Est-cequ’ilsparlentdeceluiqueTonym’ademandédetrouver?

Celui-làmêmequeMattétaitcensévoler?

—Tusaistrèsbienqueçaladétruirasielleledécouvre.

—Tul’asdepuisplusd’unmoiscetruc.Tuattendsquoipourlemettresurlatable?Cen’estpasquandelleseserarelevéequ’ilfaudralâcherlabombe.

Mesjambesflageolentetmonestomacseserre.

CommentMatta-t-ilpumecacherqu’ilavaitrécupéréledossier?Pourquoinemel’a-t-ilpasdit?

Ilavaittoutletempspourmel’annoncer.Dequoiveut-ilmeprotéger?Çasignifiequ’ill’alus’ilsaitque je pourrais en souffrir si je tombedessus ?La nauséeme reprend. Pourquoi l’a-t-il ouvert ?!C’estmonpassé.Ladécisiondelepartageravecluim’appartient!Jemesenstrahie.Parl’hommequiestaujourd’huimonplusgrandsoutienmoral!Pourquoiluiai-jefaitconfiance?!

—Cen’estpaslebonmoment.

—Cen’estjamaislebonmoment.Tuveuxlaprotéger,jesais.Maisça,ellevateleréclamerunjouroul’autre.Etquandçaarrivera,ellenelâcherapaslemorceau.

—ÇavaMax,jesais.Jetedisjustequ’ilfautattendreunpeupourça.

Attendre,maisattendrequoi,bordel?!

—Tuveuxque jedise, s’écrieMax, tuasunputaindeproblème.Tuneprendspas ton tempsàcaused’elle,maisbienàcausedetoi.

—Jenevoispasdequoituparles,luirépondMattentresesdents.

Jenepeuxvoiraucundesdeuxde làoù jesuis,mais jesensque laconversationdevient tendueentreeux.J’appréciequeMaxnesoitpasdel’avisdel’Américain,mais jenecomprendspasoùilveutenvenir.

—Nemedispasquetun’enespasconscient.Àvousvoirtouslesdeux,c’estjusteuneévidence.Iln’yaqu’ellequinevoitrien,commed’habitude.

—Commentçacommed’habitude?

—Maya a été entraînée à lire en chacun de nous, à anticiper nos désirs et à les combler pourensuitesesaisirdecequ’ellesouhaite.Ellesaitamenern’importequilàoùelleleveut.L’Agencel’aforméepourça,pourêtrelafemmequ’elleestaujourd’hui.Alors,ellepourralireenchacunl’envie,larage,lahaine,lajalousie,lacolère,larancœur.Maisellenesaitpasvoircequ’ilyaaufonddetesbeauxyeuxbleus,Matt.Parcequ’elleneconnaîtpascetteémotion.Cen’estpasdesafaute.Pourtant,combienontétédanstoncas?Tun’espaslepremier.JeconnaisMayadepuisbientôtplusdedixans.J’enaivudéfilerunpaquet,crois-moi.Cependant,ilyenavaitunquisortaitdulot.Ilatoutfaitpourse rapprocher d’elle. Fallait voir ça. Même lorsqu’ils se tenaient à dix mètres l’un de l’autre, tupouvaissentiràquelpointilétaitentotaleadmirationdevantelle.Illaregardaitcommesielleétaitlahuitièmemerveilledumonde,plusrienn’existaitpourluiquandelleentraitdanslamêmepièce.Ilscouchaientrégulièrementensemble,maisellen’apasdécelécetruc.Etluis’estcontentédesmiettes

qu’ellevoulaitbienluidonner.Ellenes’estjamaisrenducomptederien.Parcequepersonneneluiaapprisàlevoir.

Jem’adossecontrelemur.

Sijel’aivu.Maisjem’ensuisaperçuebientroptard.MamissionavecTonyavaitcommencéetLucasnepouvaitpasfairelepoidsfaceàcequemerapporteraitmonengagement.Àcetteépoque,jen’étaisdictéequeparlavengeance.Jevoulaiscenomplusquetout.MaisjenesavaispasqueLucasm’aimait depuis aussi longtemps. Je pensais que ce que nous avions vécu avait fait ressortir cessentiments. Jenemedoutaispasqu’il lescachaitdepuisdesannées.Onsevoyaitauminimumunefoispar semainependantprèsde troisans. Il étaitmon favori. J’avaispasmaldeplanscul àcetteépoque, car le sexe était la seule chose quime permettait d’échapper àma douleur l’espace d’uninstant.Jepouvaisêtrepresquemoi-mêmeavecLucas.Ilsavaitmefairerire.Jenemelassaisjamaisdesesjeux,desesmains,desabouche.Moncœurseserre.

—Commentças’estterminé?l’interrogeMatt.

—Mal.

C’est commeun électrochoc.Lucasm’appartient.Hors de question de le partager avecMatt quim’amenti!Lucasestàmoi.Personnenemel’enlèvera.

Jesorsentrombedelachambre,chambouléeparcequej’aiapprisetencolèreaussi.Jedébouledanslacuisine.Lesgarçonssontassis l’unenfacedel’autredevantuncafé.Ilsmeregardentavecétonnement,nes’attendantpasàcequejesoisréveillée.

—PourunefoisdanstaputaindevieMax,fermetagueule.Tunepeuxpasdéballertoutdemoicommeça!

Mon index frappe contre son torse etmonvisage s’approchedangereusement du sien alors quemesyeuxlemitraillent.

—Jen’avaispasl’intentionde…

—Arrêtezdecomploterdansmondos.Arrêtezdem’infantiliser,m’exclamé-jeen les regardanttouràtour.

Mattselèvedesachaiseetvientplusprèsdemoi.Iltentedeposersamainsurmonbras,maisjelarejettebrusquementetmeredresse.

—Nemetouchepas,sifflé-je.

—Maya,qu’est-ceque…

Jelestopped’ungeste.Ilestconfusparmonrefus.

—Allezvousfairefoutretouslesdeux.

Jeme dirige dans l’entrée, passe unmanteau, enfile une paire de baskets et attrapemes clés devoiture.JesensleregarddeMatttoujoursposésurmoi.

—Jepeuxsavoiroùtuvas?medemande-t-ilinquiet,nesachantpastrops’ildoits’approcherounon.

—Jemetiredelà,decettemagnifiqueprisondoréequetuascrééetoutspécialementpourmoi,rétorqué-jeavecunsourireacide.

Ilouvrelabouche,maisjeclaquelaporteavantqu’ilaiteuletempsdesortirlemoindreson.

Jedescendsauparking,montedansmavoitureetquitteentrombel’immeuble.

Comment est-ce que j’ai pu laisserMatt m’atteindre comme ça ? Comment a-t-il pu me trahirainsi?Commentest-cequej’aipulaisserçaarriver?J’aiététropconne.

Pourtantjelesais:s’attachern’amènejamaisriendebon.Ontombetoujoursdeplushaut.Onatoujours plusmal.Voilà pourquoi je ne voulais pasme révéler à quelqu’un, que je ne voulais pasavoird’amisouautre.Seule,personnene risquaitdemeblesser. Jemesuisouverteà luiet ilm’apoignardée dans le dos. Pourquoi nem’a-t-il pas donné ce foutu dossier ? Et puis quelque chosetraversemonesprit.S’ilamislamainsurledossier,alorsilnel’apaslaisséchezmoidepeurquejefinisseparletrouver.Iln’habitepasparlàetn’adoncpasvraimentd’endroitsuffisammentsûrpourlecacher.IlestchezMax.Ilnepeutpasêtreailleurs.Jedoislerécupéreretlelire.

Jefaisaussitôtdemi-touretprendsladirectiondel’appartementdemonami,enpriantpourquecelui-cisoittoujourschezmoiavecl’Américain.

**

Laported’entréeestfermée,maisilnemefautpaslongtempspourforcerlaserrure.Jetrifouilledanstoussespapierspendantunmomentavantdetrouvercequejecherchesoussonmatelas.

Superinventif,Max!

Lachemiseestjaune,maisunjaunevieillit.Ilyauntampon«secretdéfense»surlacouverturequiestusée, sansdouteà forced’ouvrir lapochette.«Expérience11280.6 » est écrit à lamain. Jeprendslecontenuetglisseunpaquetdefeuillesviergesàlaplacepuisremetsledossier.Jevérifiequeriennedénoncemonpassageéclairavantdequitterl’endroitetderefermerlaporteàclé.

Unefoisdanslecouloir,jenesaispastropquoifaire.Jetiensmonpasséentremesdoigts.Maisoùallerpourpouvoirenfindécouvrir lavérité?Moncœurcognetellementdansmapoitrinequej’ail’impressionqu’ilvaensortir.

«Tusaistrèsbienqueçaladétruirasielleledécouvre».

LesparolesdeMattrésonnentdansmatête.Jedécidedem’arrêtersurunparkingdesupermarché,loindetoutlemonde.Etjecommenceàmeperdredansleslignes,horrifiéeàchaquenouveaumot.

Quandjefinismalecture,jedémarrelavoitureetmedirigeversl’Agenceavecrage.

Jesuisfurieuse,attristée,atterrée.

Jemesenssale.

Jecomprendsalorsquejenepeuxcompterquesurmoi-même.

Commentont-ilspufaireça?

Véritablement hors de moi, je vois rouge. Toute cette histoire me rend malade. La nauséem’assailleetunmaldetêtecomprimemoncerveauensurchauffe.

Commentont-ilspu?Deslarmesm’embrouillentrapidementlavue,unhurlementdefrustrations’échappedemaboucheetmonpoingcognelevolantàplusieursreprises.Jegarelavoitureenvracsurletrottoirmefoutantbienquelafourrièremelaprenne.

Jepénètreàlahâtedanslehall,sautelabarrièredesécuritéetentendsbrièvementlegardienquimecrieque jene suispasà lamaison. Ilm’a reconnueetpeste contremoi lorsque je rentredans

l’ascenseur,lesfeuillesàlamain.

Aumomentoùlesdeuxbattantss’ouvrent,jecourspresquejusqu’aubureaudeGeorgesetpousseviolemmentlaporte.Ilsursautelorsqu’elleclaquecontrelacloison.Jem’avancerageusementversluietluilancelespapiersauvisage.

—Commentas-tumeregardermemorfondreduranttoutescesannéessansjamaisrienfairealorsquetudétenaislavérité?Tuastoujourssuquelefaitquejenesachepasquiétaientmesparentsmeblessaitprofondément.J’avaisl’impressiond’avoirétéabandonnéecommeunemerde.Ettoi,tumerabâchaissanscessequ’ilsnedevaientpasavoireulechoix.Qu’unefillecommemoi,iln’yenavaitpasdeux.Que tuétais fierdem’élevercomme tapropre fille. Jen’ai jamaisvoulu tecroire.Maisc’était la stricte vérité. Il n’y en a pas deux commemoi, parce que ceuxqui faisaient partit de tonstupideprojetsonttousmortsmiseàpartmoi!Moi,l’expériencegénétique!

—Calme-toi,toutdesuite,m’ordonneGeorgesenhaussantunpeuleton.

—NON!!

J’exploseetfrappedupoinglebureau.

—J’enaiassezqu’onmedisequoifaire.Assezd’allervoirvospsyridicules.Assezquevousmepreniezpouruneconne.Tuasvolémavie,Georges!

Il jette un œil au dossier étalé par terre. Son visage perd de sa couleur, mais il se ressaisitrapidementetmeregardefroidement.

—Jet’aivolétavie?Vraiment?

Illaisseéchapperunricanementcynique.

—Sansmoi,tun’auraisjamaisvulejour,ilmesemble.J’aisélectionnélesmeilleursagentsquel’onavait.Unhommeetunefemme.Deuxcandidatsexemplairesauxrésultatsphénoménaux.Chacunexcellantdansdesdomainesdistincts.J’airécoltéleursgamètes.J’aitrouvéunefemmequiétaitprêteà porter cet embryon que tu étais à l’époque. J’ai donné de l’argent à cette personne pour qu’ellet’élève…

—Qu’ellem’élèvecommeunporcdestinéà l’abattoir. Jen’ai jamais eu le choix.Vousm’avezconditionnéepourdevenircellequejesuis.

— Non ! Pas pour devenir cette femme instable et prétentieuse. Tu devais être notre meilleur

élément.Tudevaissavoirtoutfaire.Tudevaisêtreexceptionnelleettunel’espas…

—Vousm’avezentraînéeàdevenirunsupersoldatdèsl’âgeque4ans.Dujudo,dutiràl’arc,deladanse,dukaraté,dudessin,toutesmesactivitésextrascolairesn’étaientdestinéesqu’àça.Ilyadespagesetdespagesdenotessurtousmesfaitsetgestesdepuisquej’aivulejour.Toutaétéfaitdansunseulbut:mefairedevenirunagentd’élite.Etquandlespremiersexamensquevousm’avezfaitpassersesontrévélésconcluants,vousavezeffacémamémoireetvousm’avezplacéedansceputaind’internat!J’avaistreizeans.Nousn’étionstousquedesenfants!Combiensontmortscettenuitdanslesdouleurslesplusatroces?Tous!ToussaufThomas!Toutçapourquoi?Pourvoirsijepouvaisgéreruncertainniveaudestress,sijepouvaisprendrelesbonnesdécisions?!Jecoursderrièrelesfautifsdepuisbientôtquinzeansalorsquelecoupablesetrouvaitdevantmoi!TuasembauchéceshommesGeorges!Tuesresponsabledetouscescadavres!Toutça,c’estàcausedetoi!

—C’étaitnécessaire.

—Nécessaire?!C’étaitnécessairedetuerdesdizainesdemômes?

—Oùas-tueucesdocuments?Tusaiscequeturisquespourl’avoirvolé?

—Jemefousdetoutça.

—Quiestallélechercher?C’estRossiquitel’adonné?

Ilafaitletourdesonbureau,sonregardestnoiretsonvisagemenaçant.Ilattrapemonsweat-shirtetm’approchedelui.Jelerepousseviolemment.

—Ilnefallaitpasquejeletrouven’est-cepas?C’étaitlesecretqu’ilfallaitgarderàtoutprix.Tuavais trop peur que je découvre qui vous êtes réellement. Vous, les héros, les grands patrons del’Agencequimettaienttoutenœuvrepourréussirlàoùtoutlemondeéchoue?

—Est-cequec’estTonyquit’adonnéceputaindedossier?hurle-t-ilprèsdemonvisage.

—Tucroyaisquel’abattresuffiraitàteprotéger?Tonyatoujoursétaitbientropintelligentpourtoi.Ilm’adonnécedontj’avaisbesoinbienavantquetudemandesàThomasdeluimettreuneballe.

—Temettreaveccesalaudaétélapireidéequej’aieuedetoutemavie.

—Aucontraire,çaasûrementétélameilleuredécisiondetoutetaputaindevie!

—Jet’aiélevéecommemaproprefilleettuosesveniricimedéfierunefoisdeplus.

Ilm’attrapelebrasetmesecouelégèrement.

—Jet’aitoutdonné…

—Ahoui?Dis-moi,qu’as-tufaitpourmoi?Dansmonintérêt?Tum’asplacéedansunefamillequinem’apasdonnél’affectiondontunenfantabesoin.Tum’asfaitfrapperdansdessacsdesablejusqu’à en avoir les poings bleus. Tu m’as envoyée affronter la mort et la désolation. Ça m’acomplètementachevéeetlàtuesrevenu,commeunprinceettum’asoffertlavengeance.«Regarde,Maya,commejesuisbon.Jesuisvenuetesauver»!C’estcequetuascruGeorges?TucroyaismefaireunefleurenvenantmesortirdecetasileavecThomas?Tune l’asfaitquepour toi.Paspargénérositéouparculpabilitéàmonégard,maisparcequetunevoulaispaslâcherl’expériencequetuavaismiseenplace!Çat’avaitdéjàcoûtébientropd’argentetdetempspourquetuyrenonces.Toutce que tu dis avoir fait pour moi n’était que pour toi en réalité ! Tu es un connard égoïstecomplètement illuminé ! Tu dis que je suis comme ta fille. Et bien, regarde-moi, papa, éructé-je,dégoûtée.Tun’as réussiqu’à fairedemoi riendeplusqu’unchiendecirquequimarchesur troispattes.

Jemejettesurlui,follefurieusequ’ilm’aitutiliséedelasorte.Iltombeàlarenverse,surpris,enpropulsant une chaise au sol dans un grand fracas. Je roule sur lui, ouvre rapidement le tiroir dedroiteetensorsunflingue.Sonflingue.Despassefontentendredanslecouloir.Jerespiremal.Mavisionestbrouilléeàcausedemeslarmes.Georgesserelèvedoucement,lesmainsenl’airquandilvoit que je le braque avecun air farouche. Je l’attrapepar le col de sa chemisebleue et le plaquecontrelemur,lecanonpressécontresatempe,làoùlachairesttendre.

—Maya,qu’est-cequetufous?

Thomas est dans l’encadrement de la porte. Ilme regarde avec stupeur. Il n’est pas le seul.Desdizainesdepersonnessepressentderrièrelui.Certainsontleursarmesbraquéessurmoi.

—Baisseça,Maya.

—Non,luiréponds-jefermement.C’estluileresponsabledetoutça.

— Thomas entrez, fermez la porte et les stores. Vous autres, allez-vous-en. Ça ne concernepersonned’autre,ditcalmementGeorges.

Quelques-uns se lancent des regards en biais, mais quand Georges répète une fois de plus lesordres,ilsobéissent.Thomasentreetfaitcequ’illuiadit.

—Écoute,Maya, s’il te plaît, je crois que tu vas vraiment trop loin. On ne va pas pouvoir teprotégercettefois-ci,tentedemeraisonnerThomas.

—Jemefoustotalementdecequ’ilsepasseraensuite.Toutcequejesais,c’estquejevaisentirerdesbénéfices.

—Regarde-moi.Ilfautquetuteressaisisses.Jesaisquetupassesparunepériodedifficile…

—TunecomprendspasThomas!C’estdesafautetoutça!L’internat,c’estlui.Ilestresponsable,m’écrié-jeenjetantunregardpleind’animositéàl’hommequejepointedemonrevolver.

Ducoindel’œil,jevoisThomasmeregardersanscomprendremaréplique.

—Qu’est-cequeturacontes?

— Je ne suis que le fruit d’une expérience veillant à faire naître et à élever des super soldats.L’internat était un test. Un putain de test validé par l’Agence. C’est Georges qui s’occupait desopérations.C’estdesafaute,répété-jeenhaussantleton.

Thomasserapprochedenousetsesyeuxnousdétaillentuninstant.

—Non,c’estimpossible,murmure-t-il.

—Jen’aijamaisvouluqueçadégénèreainsi,répondl’autre.

Thomassedécompose lentementcommesi lesmotsdeGeorges se répandaientdoucementdanssonesprit.

—Comment avez-vouspu faire ça ? l’interroge-t-il d’unevoixblanche.Desdizainesdegossessontmortscettenuit-là.

—Situcroisquejenelesaispas,siffleGeorges.

MonindexsepresseunpeuplussurladétenteetThomasposesamainsurmonbras.

—Nefaispasça,medemande-t-il.

—Pourquoi ?Tu sais très bien que je ne vis que pour ça. Pour punir celui qui a causé tant desouffrance,tantdemorts.

—Etaprès?Tufinirasenprisonpourlerestantdetesjours,Maya.Cen’estpasçaquit’aidera.

—Et qu’est-ce qui m’aidera ?! lui hurlé-je au visage en laissant tomber mon bras armé. Vouscroyeztoussavoircequejeressens,cedontj’aibesoin,maisvousnesavezrien!Absolumentrien!Je suismorte cette nuit-là ! Je souffre à un point inimaginable. Et quand je pense voir le bout dutunnel,quelquechosemeretombesurlagueuleetjereplongeaufonddugouffre.Toujoursplusbas,toujoursplusmal.Etvouspenseztoujoursqueparleràquelqu’unm’aidera.Maisenquoi?!

—Onavéculamêmechose,Maya.Jetecomprends…

—Non,tun’aspasvéculamêmechosequemoi!C’estmoiquiaiappuyésurladétenteàchaquefois!C’estmoiquiaiprislesinitiativesàchaquefois!Tun’asfaitquemesuivre.

— J’ai vu la même horreur que toi. On s’en est sortis ensemble. Jusqu’à aujourd’hui, j’aiconstammentveillésurtoi.J’aitoujoursétélàpourtoi.

—Tum’astrahiThomas,hurlé-jeenlepointantdudoigt.Tum’astenueàl’écartpourTony!

—Neremetspascesujetsurlatable.

Ilfaitquelquespasversmoietmelanceunregardmauvais.Ilglisseunemainderrièremanuquepourrapprochersonvisageblêmedumien.

—Jemedemandecequ’ilt’afaitpourquetusoissiéperduedelui,memurmure-t-ilfroidement.

—Ilmevoyait,moi!Ilmeregardaitvraiment.Aveclui,jen’étaispasunestupideexpérienceouunepauvrefillepaumée.

—C’estcequetucrois?Quejeteconsidèrecommeunefillepaumée?Jesuislàdepuisledébut,Maya!C’estmoiquim’épuiseàtemaintenirlatêtehorsdel’eau!Jen’aipascessédemebattrebecetonglescontretoietlemondeentierafinquetut’ensortes!Maisl’as-tuseulementremarqué!As-tuseulementcomprisàquelpointjetiensàtoi?As-tuconsciencedetoutcequej’aifaitpourtoi?!Non,bien sûr que non.Tu as toujours été beaucoup trop occupée à préparer ta vengeance ou à te fairebaiser par le premier venu, me dit-il avec hargne en resserrant son emprise. Tu ne t’es jamaispréoccupéedemoi.Tuascontinuellementcruquej’étaisacquis.J’étaisseulementletypequetuallaisvoirquandçan’allaitpas.Celuiquiteconsolaitlorsquetufaisaistescauchemarsétantado.Celuiquitechaperonnaitpendantnossorties.Tunem’asjamaisvuautrement.

—C’estfaux.Jet’aitoujoursconsidérécommemonfrère.J’auraisdonnén’importequoipourtoi.Tuétaismonseulpointfaible.Etpuis tum’astournéledospourunposteplusimportant.Tum’astraitéecommeunemoinsquerien.EttuastuéTonysousmesyeux.

—J’enaieuraslebolquetunemeconsidèrespasàmajustevaleur.J’aiconstammentétélà.Jet’ai suppliée d’abandonner cette stupide mission.Mais ta vengeance est passée devant tout.Mêmeavantmoi.

—Ettuvoulaisquoi,Thomas?

—Quetupartesavecmoi.Quetulaissestoutderrière.Pouroubliertoutça,ilauraitfalluquetut’éloignesdeceboulot.C’estluiquiterelieàtonpassé.Etc’estencoreplusvraiaujourd’hui.Est-ceque tu t’en rends compte de ça ? Quand ils sont venus te chercher, je t’ai dit que ça ne feraitqu’augmenter la haine et le mal-être que tu ressentais.Mais déjà, tu ne voulais pasm’écouter. Etregardeoùtuenesàl’heureactuelle.

—C’estàcausedevoustous!Georgesestresponsabledel’épisodetraumatisantdel’internat,demamissionchezTony,decequeTonym’a faitquand ila suque j’étais làenmission. Ilestaussiresponsable demes nuitsmouvementées.C’est lui quim’a éloignée pour temettre en poste, pourdétruirelepeudestabilitéquej’avais.Ilvoulaittellementcachersonpetitsecretqu’ilt’ademandédetuerTony.Ilnemerestaitquelui.Ildésiraitm’aideràm’ensortir.Ill’auraitfait.Peut-êtrequejamaisjen’auraisétéheureuse,maisilauraitsuenlevercepoids.Ettoi,tul’asabattu.Jesombreetquandjemerelèveuntantsoitpeu,lavéritémetombedessus.J’aiprisuncoupdemassuequim’estfatalcettefois. Je neme relèverai pas, Thomas. Tout çame tue à petit feu et ça, c’est le coup de grâce quej’attendais.

—Tun’esqu’uneputaind’égoïste,Maya.Est-cequetut’esdéjàdemandécequejeressentaismoi?Toutlemondesepréoccupaitdetoiparcequetuneparlaispas,quetufaisaiscesterreursnocturnes,quetun’enfaisaisqu’àtatête.Etmoi,danstoutça?Toutlemondeestfocalisésurtoiettun’acceptespasl’aidequ’ontepropose.Moi,j’aiétémisàl’écartd’entréedejeu.Maisjemesuisoccupédetoi.Maistunem’asjamaisretournélafaveur.Moiaussij’aisouffert.Moiaussij’entraînelesséquelles.Maistunelesaispasvuquetunet’yintéressespas.Etencoreaujourd’hui,c’estcommeça.J’aitoutfaitpourtoiettoiqu’est-cequetuasfaitpourmoi?

Jelefixesansdireunmot.Sarespirationclaquecontremonvisagetellementilestprèsdemoi.Ilmeregardefroidement.Sapoigneseresserreunpeuplussurmanuqueetjeposemamainsursontorsepourmettreunpeudedistanceentrenous.

—Tun’asjamaisrienfait.Tunem’asjamaisvraimentregardé.Tunesaisriendespécialsurmoi.

Il commenceàme fairemal àvouloirmemaintenir commeça. Je tentedemedégager,mais iln’estpasd’accord.Ilmepoussepresqueviolemment.Jemanquedetomberàlarenverseenheurtant

lesiègedebureaudeGeorges.Enparlantdecelui-ci,iln’apasbougé.Ilesttoujoursadossécontrelemuretilnousscrute,incrédule,entraindenousdéchireralorsqu’ondevraitselierpouraffronterçaensemble.

—TunesavaisriendeLucasnonplus,mecrache-t-ilenavançantversmoi.

—Neparlepasdelui,m’écrié-jeavecrage.Tunesaisrien!

— Il t’aimait. Et tu n’as rien vu. Lorsqu’il te voyait, la lueur qui s’allumait dans ses yeux netrompaitpersonne.Maistoi,tun’asrienvu.Tucontinuaisàjoueraveclui.Etill’acceptait,carilétaitprêt à prendre tout ce que tu voulais bien lui donner. Tu n’as jamais su voir quand un homme teportaitvraimentintérêt.Tunesavaislirequeledésir.L’amour,tunesaispasledéceler.TuneterendsmêmepascomptedunombredepersonnesquiétaientprêtesàfairecommeLucas.Etlorsqu’ils’estrévélé,tul’asenvoyéchier.

Sonindexappuiesurmontorsetandisquesesyeuxassombrisparlacolèremedardent.

—Tagueule,Thomas!

—Etmaintenant,tupleuresparcequ’ilestmort.Lesregretstebouffent.Maismoi,jesuisvivant,ettunecherchespasàapprendreàréellementmeconnaître.

Jejetteleflingueausolaprèsavoirremislasécurité.

—JesaisquituesThomas.Jen’aipasbesoinquetuteconfiesàmoipourteconnaîtreparcœur.Tu as abattu Tony, non pas parce qu’on te l’avait ordonné, mais parce que tu avais peur que jem’enfuieaveclui.Tuasunepeurdémesuréequejeparteloindetoi.Quejetequitteenquelquesorte.Maisjesuisdéjàloindepuisquelquetemps.Tum’asperduTommy.Tuhaistousceshommesavecquij’aicouchécartunevoulaispasquejefinissepartomberamoureusedel’und’entreeuxetquejem’installeaveclui.Ettoilà-dedans,tuauraisfaitquoi?Tuseraisdevenuquoi?Parcequetuvispourmoi.Jesuislaseulechoseimportantedanstavie.N’ai-jepasraison?

Ilmeregardesanscomprendrecommentj’aipusavoir.Ilouvreplusieursfoislabouchepourlarefermerautomatiquement.

—Tut’esaccrochéàmoicommeàunebouéedesauvetage.Tuassurvécucommeçatoutescesannées.Tuasbesoindemoicommej’aieubesoindetoi.

—Mayas’ilteplaît,mesupplie-t-ild’unevoixfaible.

— Je n’ai jamais voulu toute cettemerde. Je n’ai jamais voulu cette vie. Finalement, le peu debonheurque j’aieu,c’étaitpendantcettemission.Travaillantà la librairieetmefaisantdoucementconvaincrequel’onm’aimepourcequejesuis.Riendecompliqué,riendesanglant,riendeviolent.

—Etonvoitcommentçaafini,intervientpourlapremièrefoisGeorges.

—Dansunautrecontexte,toutauraitétédifférent,rétorqué-je.

JepousselégèrementThomasetbousculeGeorges.

—Jenetelepardonneraijamais,luicraché-jeauvisageavantdeluimettreunedroite.

Jelefoudroieduregarduninstantpendantqu’ilsefrottesapommettepuismedirigeverslaporte.Quand je pose ma main sur la poignée, j’entends que quelqu’un a récupéré l’arme que j’avaisabandonnéeplustôtetqu’ilenlèvelasécurité.

—Quit’adonnécedossierMaya?meredemandeGeorgesd’unevoixmenaçante.

Jemetournelentement,sansgestesbrusques,etplongemonregarddanslesien.

—Toutçan’estpasimportant.Cequiestfaitestfait,luidis-je,lasse.

—Cedossier était sous bonnegarde au sous-sol. Il est classé secret défense.C’est un crimedel’avoirsortidelà-bas.

—Tunepuniraspaslecoupableparcequ’ilestdéjàmort.Tonym’aseulementdonnél’endroitoùjepouvaislerécupéreravantdes’étoufferavecsonpropresang.

Il vautmieux que je luimette ça sur le dos. Il ne faut pas queMatt etMax soientmêlés à cettehistoire.

—Jet’aidemandédemerépétercequ’ilt’avaitditcesoir-là.

—Etjenetefaispasconfiance.Ilfallaitquejevérifiesicequ’ildisaitétaitjuste.Etçal’était.

—NefranchispascetteporteMayaoutuvasleregretter,m’intimeGeorges.

—Jenecroispaspouvoirtomberplusbasqueça,rétorqué-jeenactionnantlapoignée.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et m’engouffre vers la sortie. Personne ne m’arrête.Georges a dûdonner l’ordre deme laisser partir vivante. Jemonte dansmavoiture et rentre à la

maison.

11

Lafin?

Le trajet jusqu’àmonappartement se fait dans lebrouillard.Sans trop savoir comment, j’arriveentière,muniededeuxpaquetsdecigarettesflambantneufquejemesuisdégotéesurlaroute.Jen’aipas touché à la nicotine depuis plus de trois ans,mais aujourd’hui, lemanqueme frappe de pleinfouet.Jetentedemeconvaincrequeçaserasuffisantpoursubveniràmonbesoin.

Mesdoigtstremblantsouvrentlerobinetdelabaignoireetmesyeuxfixentl’eauquimontesansréellementlavoir.Unefoisnue,jemetsenroutelaradiodanslasalledebainetaugmentelevolumepourneplusentendremespenséesmorbides.Jemeglisseau traversde lamousseauxsenteursdefraiseetallumemonGraal.Lebonheurm’envahittandisquelanicotinemebrûlelagorgealorsquej’inspirelafuméetoxique.Jel’expirelentementenrenversantmatêteenarrière.Àcemoment,jeneressens que cette brûlure. Plus rien ne m’atteint. Je ne suis que cette femme qui détruitdoucereusementsespoumons.Àpeinearrivéeaufiltre,j’écraselapremièredanslecendrierquej’aiplacéàcôtédelabaignoireetenrallumeuneautre.Jesavourechaqueboufféecommesic’était ladernière.Etjustement,sic’étaitvraimentladernière?Aprèstout,pourquoipas?Quedois-jeencoreattendredemaviemaintenantqu’ilsl’ontpiétinée?Moncœuretmonâmeonttellementétémisenlambeauxqueplusriennepeutlesrafistoler.

Jesuisfoutue,pourdeboncettefois.Maisalorsquejesuisperduedansmesidéesnoires,laported’entréeclaque.Biensûr, il fallaitqu’Andersons’enmêle.Jecompte lessecondesenaspirantcettefuméenocive,attendantqu’ilapparaisse.J’ensuisàtrente-cinqquandlapoignéesebaisseetlaportes’ouvre.Ilportesurmoiunregardavecunbrind’inquiétude.Jefermelesyeuxentirantunefoisdeplussurmacigarette.

—J’avaisferméàcléetlaissécelle-cidanslaserrureilmesemble,luidis-jeeninspirant.

—Tudevraissavoirquecen’estpasçaquim’arrêterait.

—C’estlatroisièmefoisquetuentrespareffraction.

—Jamaisdeuxsanstrois,c’estbiencequevousdites,non?merétorque-t-ilenfermantderrièrelui.

Il s’assiedàmême le sol, contre lemur, en facedemoi. Ilpose sesmainscontre sesgenouxet

penchelégèrementlatêteenmeregardantprofondément.

—C’estaussiladeuxièmefoisquetuassistesàmonbain,soufflé-jeàmi-voix.

—Alors,vivementlatroisième,merépond-ilavecundemi-sourire.

—Jenepensepasqu’ilyenaura.

Ilmescruteencorependantuneminuteavantdelancerlesujetsensible.

—J’allaisteledonner,sedécide-t-ilàbriserlesilence.

—Jen’endoutepas.

—Jepensaisjustequecen’étaitpaslemeilleurmomentpourquetulisesça.

—Jenecroispasqu’iln’yauraitjamaiseudemomentadéquat.

—Jem’enrendscompte.Aprèstout,j’auraisdûtelerendredèsquejel’aivolé.

—Quandas-tufaitça?

Ilpassenerveusementsamaindevantsonvisageensoupirant.

—LesoiroùTonyestmort.

Jeme redresseenentendantça toutenveillantàgarder suffisammentdemousseautourdemoncorps.

—J’aisurveillélebâtimentjouretnuitpendantcinqjours.Etcesoir-là,l’effectifs’estréduitd’uncoup. Ils sont touspartis rapidement. J’enaiprofité. Je…J’ignoraisqu’ils s’étaient tousprécipitéspour…

Ilbaisseleregardetsoupireunenouvellefois.

—Mêmesitul’avaissu,tuauraisfaitquoi?

—Lamêmechoseprobablement,m’avoue-t-ildansunmurmure.

Sesyeuxseperdentquelquesinstantsdanslevide.

—J’aivoulutel’apporterdesuite,maislorsquejesuisarrivédanslequartieretquej’aivutoutce

remue-ménage,j’aifaitdemi-tour.Etpuis,quandjemesuisrenducomptedansquelétattuétais,j’aipréférénepastelemontrer.J’aipenséquetuavaissupportésuffisammentdechosescommeça,quetu souffrais déjà assez sans avoir à en rajouter. J’ai bien conscience qu’aujourd’hui ou demain nechangerienàcequ’ilsontfait.Çanechangerienaufaitqueçavatedétruireencoreunpeu,unefoisdeplus.

Ilexpirefortementpendantquejeledévisageensoufflantunevolutedefumée.

—J’aivouluteprotégerdeceputaindesecret.

—Jesais,réponds-jesansémotion.

Jenesuismêmeplusencolèrecontrelui.Jecomprendsqu’ilaitvoulumemainteniràl’écart.

—Tuasététotalementstupided’allerlesconfronteràl’Agence.

—Commenttusaisça?

—LesnouvellesvontviteavecMax.Tudevraistedouterqu’ilt’atraquéeunefoissortiedecheztoi.Dansl’étatquetuétais,ils’estfaitunsangd’encre.Ilavaitpeurquetufassesuneconnerie.Ettuesalléedroitverslesemmerdes,Bee!

—Jevoulaisqu’ilpayepourtoussescrimes.IlfallaitqueGeorgesassumesesactes.

—Qu’est-cequetupensaisfaire?

—Letuer,murmuré-jesansaucuneémotion.

—Ettuneseraispasressortievivantedelà-bas.

—C’estcequejevoulais,luiavoué-jedurement.

Aufond,jecherchaisunesolutionàmonmal-êtregrandissant.ConfronterGeorgeset lefrappersuffisammentfortpourqu’ilmeregardevraiment.Qu’illisemapeine.Maisaussienfiniraveccettehistoire.Uneballedanslatêtepourluietleséquipesauraientdébarquées.Mondossierauraitainsiétéclôturé. Je seraispartie rejoindre tous lesautreset enfinmadouleuraurait cessé. Inconsciemment,c’étaitmonplan.MaisThomasachamboulétoutça.Jesuismaintenantdansmonbain,àmeshooteràlanicotine,lesyeuxnoyésdanslebleudeceuxdeMattquimeregarde,horrifiéparmesparoles.

—Tudisn’importequoi,s’énerve-t-il.

—Non.C’estlavérité.Jeveuxenfiniravectouscessecretsmalsainsetcettedouleurlancinantequimecomprimelecœuretlesentrailles.Tusaiscequec’est,Matt,detuerquelqu’un?Tusaisquelbruitfaitunhommequandtul’égorges?Lasensationquetuaslorsquelalameentredanslagorge?Connais-tu l’odeur du sang ? As-tu déjà vu des boyaux répandus sur un sol crasseux ? Serais-tucapablededécrirelecrid’unenfantàl’agonie,pleurantetsuppliantqu’onlelaissetranquille?Mespremierssouvenirssontceux-là.Jem’accrochaisàl’idéequ’unpeuavantça,j’avaiseuedesparentsquim’avaientmalgrétoutchoyée.Quequelqu’un,unjour,avaitsumedonnerdel’affection.Qu’onme bordait le soir, qu’on me tressait les cheveux avant d’aller à l’école. Ce qui m’a toujoursintriguée,c’étaitdesavoir,commentpetite,jemevoyais?Est-cequejevoulaisdevenirinfirmière?Maîtresse?Mannequin?Actrice?Quelsétaientmesrêves?Maisaujourd’hui,jesaisquetoutçan’ajamais existé. Je suis un pur produit de laboratoire expérimental, conditionné pour être un supersoldat.Jamaispersonnenem’aaiméeétantenfant.Ons’estservidemoi.Etmêmelorsquej’aitouchélefonddanscet internataprèsledrame,ilssontrevenusàlacharge.Commesiçaneleursuffisaitpas, ilsontrecommencéencoreetencore.Onm’apiétinée tellementdefoisquejenepourraismereleveraujourd’hui.Quiest-cequejesuisvraiment,Matt?Jen’aipasd’identité.Jenesuispersonne.Lafilledepersonne.Alors,jenepeuxallernullepart.Est-cequetucomprends?

Mavoixdéraille,moncorpssetend,meslarmess’accumulentdansmesyeuxetjem’efforcedelescontenir.Jeremontemesgenouxcontremapoitrine,mesentantdenouveaufaible.J’enfouismatêtedansmesbrasenprenantsoindemaintenirmacigaretteloindemescheveux.Mattselèvedoucementets’agenouilleprèsdemoiens’accoudantàlabaignoire.Samainseposesurmanuque.

—J’entendsceque tumedis,Bee.Mais, tun’espaspersonne.Tuasdesparentscomme tout lemonde.DesenfantsnéessousX, ilyenadesmillierssurTerre.Cen’estpaspourautantque leurexistence est condamnée. Chacun grandit comme il peut. Je comprends ton désarroi et ta douleur.Mais,Maya,tarevanchec’estaujourd’huiqu’ilfautlaprendre.Toutetavie,ilsontdécidéàtaplace.Àtoidelefaire,maintenant.Relève-toi.Montre-leurlafemmefortequetuesdevenue.Regarde-toi.Tues toujoursdeboutmêmeaprès toutceque tuasvécu.Peuseraientencoreenvie,mais toi tu tebats.Ettun’esplusseulepourça.Onestlà,avecMax.Tun’aspasledroitdedécréterquec’estlafinalorsquetunefaisqu’entamertavraievie.Ilfautquetudistinguesl’innédel’acquis.Ilst’ontapprisbeaucouppour fairede toi l’agentparfait.Mais ilsn’ontpaspu jouer sur tapersonnalité,pasàcepoint.Cettefemmefranche,spontanée,intelligente,àlarépartiepiquante,c’esttoi!Cettecombattanteacharnée au grand cœur, c’est ton identité ! Tu es loin de n’être personne ! Tu as été privée debeaucoup de choses durant ton enfance et ton adolescence,mais on peut encore rattraper le tempsperdu.Cen’estpastroptard.Saisiscettechance!

Jerelèvejusteunpeulatêtedefaçonàpouvoirmeplongerdanssesyeuxazur.

—Jenesaispascommentm’ensortir,murmuré-jed’unevoixétranglée.

—On est là pour t’aider.Quand vas-tu enfin comprendre que tu n’es plus seule ?Que tu peuxcomptersurnous?Onnetelaisserapastomber,Bee.

La sincérité se lit sur son visage et pourtant, je ne peux m’empêcher d’émettre une réserve.S’attacherauxgensmerendfaiblecarilarriveraunmomentoùl’unoul’autremeblessera.Parcequenoussommestouscommeça.Nousblessonssansarrêtautrui.

Il dépose ses lèvres sur ma tempe comme il le fait pour me calmer lorsque je me réveille ensursaut.Jefermelesyeuxetsavourel’effetapaisantqu’àcepetitgestesurmoi.Ilmetiredoucementcontreluietjemelaisseallertoutenresserrantmesgenouxcontremoipournerienrévélerdemoncorps. Mes larmes s’échappent enfin. Je passe un bras autour du cou de Matt et l’étreinsdésespérément.

—Alors,aide-mois’ilteplaît,dis-jeenpleurant.

—Jeteprometsquetoutirabientôtmieux.

J’aidéjàentenduçaquelquepart.J’espèrejustequecettefois,toutiravraimentmieux.

12

Selaisseralleroupas?

Lesdébutsontétécompliqués.Laisserlesgarçonsm’aidern’apasétéchoseaisée.Mais,ilafallulâcherpriseàunmoment.Etmaintenant,jeprendsconscienceàquelpointc’estreposantdepouvoircompter sur quelqu’un.Ne pas avoir à faire comme si tout allait bien alors qu’un bordelmonstrerégnaitdansmatête.Jepeuxenfinêtremoi.

Troismoispourarriveràcelâcher-prise.

C’estlong.

Maiscela signifieque j’ai accordémaconfianceàMaxetMatt. Je saisque si l’unmedit saute,l’autremerattraperaauvol.Parcequemaintenant,c’estcommeçaquel’onfonctionne.Entrio.Nousprenonssoindesunsetdesautres.Commeunefamille.

Durantcetrimestre,Matts’estentêtéàmegarderactiveafinquejenebroiepastropdenoir.C’estassezefficaceenfait.Nousavonsdoncrattrapéletempsperdu.Baladesàvélo,laserGame,coursesde Kart, batailles d’eau, escalade, pédalo, parcs d’attractions… Pas une seule journée n’a étéépargnée, et tantmieux. Il a su ainsime rendreune certainepart d’innocence.Sebattre avecde lamousseàraserdans l’appartementaété lachose laplusdrôleque jen’ai jamaisfaite.Pourtant,cen’estpasgrand-chosequandonypense,maiscourirderrièreMattquiriaitauxéclatsetmemenaçaitdemedoucherhabilléem’arenduetellementeuphorique.Nousavonsfinidanslabaignoire,habillésetrecouvertsdecettemousse,mortsderireetessoufflésdenousêtrepoursuivisdanscessoixante-dixmètrescarrés.Devraisgosses.

Finalement,lebonheurnetientpasàgrand-chose.Cesinstantsnedurentpasl’éternité,maisilssontsuffisantspourquejem’accrocheàlavie.Mêmelorsquemescauchemarsrefontsurface.Entrelesbras de Matt, ses paroles réconfortantes et nos moments de rigolades, j’ai toutes les armesnécessaires pour vaincre la noirceur enmoi. Et quand je flanche,mes deux amis sont là pourmesoutenirencoreettoujours.

Etpuis,jesuissuivieparunpsy.Unmédecindutravail.Pourl’instant,ilmejugeinapteàlarepriseduboulot.Apparemment,mesboufféesdehainesenversGeorgessontunfreinpourmaréembaucheàl’Agence.

Sansrire?!

Mêmesijeréapprendsàmarcherseule,jenepeuxlefairequ’unpasaprèsl’autre.Etcepas-là,jenesuistoujourspasprêteàlefaire.Beaucoupdechosessontencoreàrégler.Madouleurestencorelà, mais entourée demes deux amis, j’ai l’impression que par moment elle sait se faire discrète.Pourtant,durantcesaccalmies, lapeurmenouel’estomac.Jemedemandequandquelquechosevavenirsemettreentrenousetdétruirececoconconfortablequenousavonsconstruit.Jesuisterrifiéeàl’idéedeperdrel’und’eux.

Noël est arrivé bien plus rapidement que l’on pensait. Il faut dire que nous avons été vraimentoccupés.Mattaeul’idéederéserverunchaletenmontagneafinquel’onaitdelaneigepourlesfêtes.Le ski est alors devenu un rendez-vous incontournable de nos après-midis.Max est vraiment bon.Mattaboudéparcequ’iln’arrivaitjamaispremieretaregrettéd’avoiremmenél’informaticienavecnous.Moi,jesuisdevenuechampionneenbatailledeboulesdeneigeetl’Américains’estvudécernerunemédaillepourleconcoursdebonhommedeneige.Legrandairnousaurafaitbeaucoupdebien.Etc’estaussipourçaquecesoir,danscetteboîtedenuitparisienne,noussommesàpeuprèslesseulsà avoir ce sublime bronzage typique des skieurs. Mais ce n’est certainement pas ce qui nous aempêchésd’enterrercetteannéeetdefêterlanouvelledignement.

Accoudéeaucomptoir,j’observeMaxenpleinedragueavecunepetitebruneenrobebustiernoire.Ildansecolléserréavecelledepuisunbonmoment.Sesmainsparcourentlecorpsdelajeunefilletoutenveillantàresterdansdeszonesautorisées.Elleluilancedesregardsincendiairesdetempsàautre. Je pourrais parier que mon ami commencera très bien cette nouvelle année. Celle-ci estentamée de quatre heures et la plupart des personnes de cette boîte sont plus que légèrementalcoolisées. Ilyacinqminutes,unmecunpeu trop insistants’est faitescorterpar lesvideurs. Ilaapprochéunefilledetropprèsetlecopaindecelle-ciétaitdanslesparages.Jecroisqu’illuiacassélenez.C’esttoutdemêmeassezdommagedecommencerleNouvelAndecettemanière.

JenesaispasoùestpasséMatt.J’aibeauscruterlasalledepuisunbonquartd’heure,jenevoispassatêtedépasser.Iln’étaitpourtantpasloindeMax.

—Jepeuxt’offrirunverre?

Je tournedoucement la tête,presqueennuyée,pourvoirquim’interromptdansmespensées.Unmecestappuyéàcôtédemoi.Detaillemoyenne,yeuxbruns,cheveuxchâtains.Ilporteunechemisecintréedemarque,unjeansdroitetdesbottinesencuir.Ilsentlacigarettefroide.Celamerappelle

quejen’yaipasretouchédepuislesoiroùMattm’aconsoléedanslasalledebain.

—J’aivuquetuesicidepuisunpetitmomentetqu’aucunhommen’aeul’idéedet’offriràboire.

—Quiteditquej’aisoif?luirétorqué-jeavecunsourirefauxplaquésurlevisage.

—Lefaitquetutetiennesaubar.

Ilmedévoiledebellesdentsblanchesetmetendsamain.

—Louis

—Maya.

—Alorsjet’offrequoi?Laisse-moideviner.

Il plisse les yeux et fronce le nez.Matt fronce le nezquand il n’aimepasquelque chose. Je l’airemarquélemoisdernier.Jecroisqu’ilnes’enrendpascompte.

— Un Sex on the Beach{1} pour la demoiselle et une vodka tonic pour moi, demande moncompagnondebeuverieaubarman.

Sérieusement?UnSexontheBeach?

Il se retourneversmoi avecune expression satisfaite et commenceun longmonologue sur sonboulot.

Jen’écoutequed’uneoreilletoutenjetantdescoupsd’œilfurtifsàMaxquiàl’aird’avoirdisparudelapiste.

Nosboissonssontarrivéesdepuisdixminutesdéjàetilnem’apaslaisséeenplacerune.Cegarsestunvraimoulinàparoles.Etils’estrapprochésensiblementdemoi.Sacuissemefrôlesanscesse.Illefaitexprès.

Je tripotemapailled’unair absentquandsoudain, je sensuneprésencederrièremoi.Unemaindégagemescheveuxpourlibérerl’accèsàmoncouetunbrass’enrouleautourdemeshanchesmerapprochantd’uncorpsmasculinque jene connaisque tropbien.Avantmêmequ’il n’esquisseungeste,jesaisquec’estlui.J’aisenticetteodeurquiluiestpropre.Sonparfumcorporelmélangéàsondéodorant.Jevoismonvoisinsefigeretécarquillerlesyeux.Mattdépose,sansquejem’yattendevraiment,ses lèvresendessousdemonlobe,maispascommeil lefaitdetempsàautre.Cebaiser

n’estpasunesimpledémonstrationd’affection.Celui-ciestsensuel.Illaissetraînersabouchecontrema chair plus de temps que nécessaire et quelque chose se réveille enmoi comme une traînée depoudre.Unedoucechaleursedéplacedemagorgeàmonventrepourirradiermespartieslesplusintimes.Jefermelesyeuxsouslasensation,unpeusouslechocdecedésirviolentqu’asuscitécegeste. Jen’aiqu’uneenviece soir,qu’il continue sesbaisershumidesetqu’ilm’embrasse toute lanuit.Quandseslèvresmequittent,jereprendspeuàpeumesespritsmêmesimonenvienedisparaîtpascomplètementàcausedesamainquiaglissésousmontee-shirt.Jesaisqu’ilnefaitpasçasansraison.Cebaiseretcerapprochementsoudainapouruniquebutd’affirmersonautoritésurmoi.Ilsignalesimplementàl’autremâlequitrôneàmescôtésquejenesuispasdisponible.Pourtant,ilestclairquejeneluiappartienspas.Jetourneunpeulatêteversluidefaçonàapercevoirsonvisage.Ilaouvertsachemisedequelquesboutons,laissantainsientrevoirsontorseparfaitementdessiné.Maisiln’yapasbesoinde lui faire tomber lehautpourserendrecomptedesoncorpsparfait.Le tissubleunuitépouseparfaitementchaquemuscle.Ilpasseunemaindanssabarbedetroisjourstailléeaumillimètre etme lanceun sourire à sedamner.Le regardqu’il pose surmoim’allumecarrément.Jamaisilnem’areluquéecommeçaavantcesoir.

J’aichaudd’uncoup.

Meslèvress’étirentavantquejemeconcentredenouveausurmonverre.Ilfautquejeboive,pourfaireredescendrematempérature.MaisMattn’estclairementpasdecetavis.

—Sérieusement?UnSexonthebeach?medemande-t-ilenmeprenantleverredesmainsetenlereposantsurlecomptoir.

—C’estLoïcquimel’aoffert,luidis-jeavecunsouriremoqueurtoutendésignantlemecàmescôtésquisembleavoirbuggé.

Ilseressaisitquandjelemontredumenton.

—C’estLouis,mecorrige-t-il,vexé.

IltendsamainendirectiondeMattquiluiserreetseprésenteàsontour.Cependant,ilrefermeunpeuplusl’emprisequ’ilasurmoietcalesonmentonsurmonépaule.Unfrissonremontelelongdemacolonnelorsquesonsoufflecaresselapeausensibledemagorge.

— Je suis fatigué, on devrait peut-être partir, qu’est-ce que tu en dis ? m’interroge MattsuffisammentfortpourqueLoïcl’entende.

Celui-cinous regarde tour à tour, l’air confus. J’acquiesce rapidement. Je suis crevéeaussi. J’ai

passél’âgederentrerauxauroresetmesescarpinsmetuentlittéralementlespieds.C’estpourcetteraisonquejerestaisprèsdubar.

—JevaisprévenirMaxqu’ons’envaalors,réponds-jeàMatt.

Celui-cimeditqu’ilm’attendlàetprendunegorgéedansmoncocktailgentimentpayéparLouisquisembleénervéquel’Américaininterviennedurantsapitoyabletentativededrague.

—Jeteremerciepourleverre,maisonvarentrer,onestépuisé.Passeunebonnesoiréeetbonneannée,luidis-jeensouriantnaïvement.

—Pasdequoi,lance-t-ilfroidement.Bonnenuit.

Iln’attendriendeplusavantde tourner les talonset repartirenchasse.J’enlève lesbrasdeMatttoujoursautourdemoietparsàlarecherchedeMaxquejefinispartrouver,revenantdestoilettesetaccompagné.Unairniaistrônesursonvisagetandisquelabrunemetdel’ordredanssescheveux.Ilsont touslesdeuxl’airfroissésetont lesjouesrouges.Jel’agrippeparl’épauleet lanceunsouriregênéàsaconquête.

—OnrentreavecMatt,luiannoncé-je.

—Restez,ons’éclate…

—Tut’éclates!rétorqué-jeenjetantuncoupd’œilquelquepeuappuyésurlajeunefemme.

—Etbien,çaneteferaitpasdemal.Depuiscombiendetempstun’aspas…

—STOP!!!crié-je.Jen’entameraipascetteconversationavectoimaintenant.

Ilritquandilvoitmatêteaprèsavoirabordélesujet.

—Jen’auraisjamaispariésurautantd’abstinencedetapart!

—Bonnenuit,Max.

Je lève les yeux au ciel, lui colle un baiser sur la joue et pars retrouverMatt au bar.Celui-ci aterminémonverreetestenpriseavecunesublimepoupéeBarbie.Blonde,taille36,bonnetD.Elleagitesesmagnifiquescheveuxdanstouslessensenluiparlantetpapillonnedescilschaqueseconde.Ilestclairqu’elleaussichercheuncompagnondenuitetqu’elleajetésondévolusurMatt.Quandilm’aperçoit,ilmefaitunsignedemain.

—Tul’astrouvé?medemande-t-il.

—Ilaconcludanslestoilettes.C’estjustedégoûtant.

Lablondemedévisagesansprendrelapeinedemesourire.Jecroisqu’ellemevoitcommeunepotentielleconcurrente.Lesuis-je?Est-cequeçamedérangeraitqueMattparteavecelle?Oui,biensûrqueoui.Personnenedormiraitavecmoi.Maispourêtrehonnête,j’affectionneparticulièrementlorsqu’ilpassesesbrasautourdemoi,quandilcollesoncorpsaumien.Jemesensimportantepourlui,jemesensaiméeetprotégée.Jesaisqu’ilveillesurmoi.

—Jevaischerchermonmanteau,luidis-je.

Avantqu’iln’aitpurépondre,lablondeposeunemainparfaitementmanucuréesursonavant-brasappuyécontre lecomptoir.Matt se raidit etobserve lesdoigtsde l’étrangère,puismoi.L’autre luilance un sourire Colgate sublime et aguicheur. Elle se penche un peu en avant en sachantpertinemment qu’elle dévoilerait ainsi la partie supérieure de son soutien-gorge en dentelle rougepompier.Lesyeuxdel’Américainmigrentsurlehautdesesseinspuisreviennentsurmoi.

—Vas-y,jetesuis,medit-il,impassible.

J’avanceetlablondel’attrapealorsparlebraspourluiglisserdesmotsàl’oreille.J’aiunlégerpincementquandMattsepencheàsontourverselle.Alorsquejesuiscertainequ’ilrentredanssonjeu,levisagedelapoupéeBarbies’affaisseetellemejetteunregardnoir.Ellepart,furieuse,dansladirectionopposéedelamienne.Mattneperdpasunesecondepourmerejoindre.

—Alors, qu’est-ce qu’il s’est passé avecMax ?me demande-t-il comme si personne ne s’étaitinterposéentrenous.

Il est hilare quand je lui révèle ce que j’ai pu voir. Nous récupérons nosmanteaux et couronspresqueàlavoitureàcausedufroidquinoussaisitàlasortiedelaboîte.Mattprendlevolantétantdonnéqu’ilabudujusdefruittoutelasoiréeexceptélafindemoncocktail.Jesuisrecroquevilléesurmoi-mêmeàcausedececlimatdigneduPôleNord.Ilaugmentelechauffageàsonmaximumetfrotte sa paume surma cuisse pourmedonner un peude chaleur.Le problème est que celle-ci seconcentreparticulièrementaucreuxdemonventre.

Jesuistellementenmanquedesexe!

Quandlatempératuremonteprogressivement,jemedétendsetlamaindel’Américainquittemongenou.Quelquechosemefrappesoudainementlorsqu’ilmeregardepourvoirsijemeréchauffeun

peu.

—Quand tamère t’aemmenéavecelle lorsqu’elleaquitté tonpère, elleétaitdéjàmalade? luidemandé-je.

Ilfroncelessourcils.

—Oui,pourquoi?

—Tut’estoujoursoccupéd’elle,n’est-cepas?Jusqu’aubout?

—Biensûr,merépond-ilnesachantpasvraimentoùjeveuxenvenir.

Voilàpourquoiilsesoucietantdesautres.Toutsimplementparcequ’ilenal’habitude.C’estancréenluidepuisl’enfance.

— Tu sais que tu n’es pas obligé de prendre constamment soin de tout le monde, dis-je enregardantlaroute.Desfois,c’estaussibiendeprendreunmomentpoursoi.

—JenesuispasmèreTeresa.Biensûrquejepenseàmoi.

—Tunel’aspasfaitdepuisdesmois.Tunevisquepourmeremettresurpieds.Tut’épuisespourmemaintenirsanscesseenactivité.Quandest-cequetuaseudutempspourtoi,rienquepourtoi,pourfairequelquechosequetuaimes?

—Toutcequ’onfaitensemblemeplaît.

—Jeteparled’untrucsolitaire.

Iltournelatêteversmoietsouritd’unefaçonvicieuse.

—J’aieuunmomentàmoicematinsousladouche,merépond-il.

—T’esignoble,rétorqué-jeengrimaçant.Jeteparlesérieusement.

— Je préfère les activités à plusieurs. D’ailleurs, tu aurais dû me rejoindre. Ça aurait rendul’exerciceplusintéressant,ajoute-t-illascivement.

Jeluijetteunregardnoirquandilposesamainsurmacuisseetlapresse.Iléclatederireavantdelaremettresurlevolant.

—JemesensbienMaya,sic’esttaquestion.Jenemesenspaspiégéiciavecvousàcausedemapromesse.J’aimemavie,mêmesiellen’estpluscequ’elleétait.Çafaitdubiendefaireunbreakdetempsentemps.

Le mot break provoque une vague de panique chez moi. Je pivote la tête avant qu’il ne s’enaperçoive.Ce termeveutdirequ’un jour, ilpartira,et jen’aipasenvied’êtreséparéede lui.Nousavonsnotreroutineetilestdevenumonpiliercentral.Mavietourneautourdeluiàprésent.Jemerends compte à quel point je suis pathétique. Jeme suis attachée à lui et on pourrait me détruirefacilementsionluifaisaitdumal.Jefermelesyeuxenpriantpourquepersonnenes’enprenneàluiouàMaxetquetoutresteindéfinimentainsi.

Lemoteursecoupedixminutesplustard.

Nous affrontons une dernière fois le froid de janvier avant de rentrer à l’appartement. Je rangemonmanteaudansleplacardetmevautresurlecanapésansprendreletempsd’allumerlalumière.Jen’attendspasunesecondedepluspourretirermesescarpins.Jemassemespiedsendolorisparceschaussuresdiaboliquesengrimaçant.Mattentredanslapiècesombreets’assiedenfacedemoi,surlatablebasse.Ilsaisitdélicatementmacheville,tiremonpiedsursesjambesetmemassedoucement.Je suis un peu tendue par ce geste et par la proximité soudaine de nos visages. Je décide alors dem’enfoncerdanslecanapépourrétablirunecertainedistanceentrenous.Maisc’est troptard,moncorpss’estdéjàenflammé.

Jerestesilencieusependantqu’ilfaitdepetitscerclessurlaplantedemonpieddroit.

—Pourquoi tuasmisceschaussuressielles temeurtrissent?mechuchote-t-ilenmeregardantavecunairsérieux.

—Parcequ’ellesmefontdesuperbesjambesetqu’ellessontàtomberparterre.

—Cenesontquedeschaussures.

—Tunepeuxpascomprendre,t'esunhomme.

Ilpresseunpointunpeufortcequim’arracheunpetitcridedouleur.Jemeredresseaussitôtettentedeluireprendremonpied.Maisilm’enempêche.

—Nemesous-estimepas,medit-ilavecunsourireespiègle.

—Trèsbien.Combiendepairesdechaussurespossèdes-tu?Trois,ilmesemble.

—Exact.

—J’enaitrente-quatre.

—Etdanscestrente-quatre,iln’yenavaitpasunequipouvaitfairel’affairecesoir?

—Si,celles-ci,réponds-jeendésignantcellesquiontmassacrémespieds.

—Etpasuneautre?

—Non.

—Çamedépasse.

—Tuvois,jenetesous-estimaispas,dis-jeenriantdoucement.

Ilfaitunenouvellepressionpourmefairetaireetprendmonpiedgauche.

—Aufait,tuluiasditquoiàBarbietoutàl’heure?demandé-je,curieusedesavoirpourquoiellem’aassassinéeduregard.

Sesdoigtss’arrêtentbrusquement.Sesyeuxremontentlentementlelongdemonanatomiejusqu’àtrouverlesmiens.

J’ail’impressionquel’airdevientlourdd’uncoup.

Moncorpss’embraseàmesurequ’ilmescruteetuneexplosiondesensationssefaitsentirquandjeme rendscomptede lamanièredont ilm’observe. Il semblehésiter àme révéler cequ’il lui aditpendantuninstantpuisselancefinalement,peusûrdelui.

—Jeluiaiditquepasserunenuitavecuneinconnuenem’intéressaitpas.Quej’avaisquelqu’und’autre en tête depuis un moment, ce qui me rendait totalement indisponible. Je rêve de cheveuxbruns,depeaudoréeetd’yeuxverts-émeraudedepuisbientroplongtempspourmeperdredansuneblondepâlotte.

Je tente de dire quelque chose, mais impossible. Je remercie le ciel de nous avoir empêchésd’allumerlalumièrecarjesuispersuadéequejesuiscramoisiesuiteàsesparolesetàsesdoigtsquiremontentdoucementsurmesjambes.

Nossouffless’accélèrentquandilsepencheunpeuversmoi,sesyeuxfixantmabouche.Sesmainss’arrêtentsurmescuisses.Illesagrippepourmerapprocherunpeudelui.Jen’aiqu’àleverunpeu

latêtepourquenoslèvress’effleurent.

Pour lapremière foisdemavie, jenesaispasquoi fairedanscettesituation.Est-ceque jedoiscomblerl’espaceentrenousetmejetersurluicommej’enmeured’envie?Ouest-cequejedevraislerepousserdoucementpourrestaurerunedistanceconvenableentrenosdeuxcorps?Jel’ignore.

Mes yeux naviguent entre les siens et sa bouche alors que lui ne fixe que mes lèvres avecgourmandise. Il passe ses mains sous mes fesses pour me porter sur ses genoux, mes jambesentourant naturellement son bassin. J’étale mes doigts sur son torse dur où je peux sentir lesbattementsaffolésdesoncœur.J’enroulelesautresautourdesanuque.Sespaumessontsurmoi,unedans lebasdemondospourmetenircontre luiet l’autrecaressantdoucementmescheveuxetmagorge. Il plaque son front aumien et ferme les yeux quelques secondes.Quand il les rouvre, sonregarddebraisem’allume.

—Maya,chuchote-t-ilàuncentimètredemabouche.

C’est presque une plainte. Comme s’il me demandait de mettre fin à ses souffrances. Qu’ilsouhaitaitqu’onarrêteça.Jecroisqu’ilbataillepournepasmetoucher,pournepasmemontreràquelpointilmedésireàcetinstant.Illuttetellementqu’ilenamal.Ilattendquejelerepoussepourfaciliterleschoses,maisjeleveuxautantqueluimeveut.Moncorpsentiertrembled’appréhensionetd’envie. Jene respirepluscalmement, jenepenseplusclairement. Je l’observesousmescilsetlèvedoucementlatêtedanslebutderéduireladistanceentrenous.J’humidifiemeslèvresavantdeles poser timidement sur les siennes. Matt réagit soudainement en me pressant contre lui. Je medétache lentement et le scrute. Il se penche pour attraperma lèvre supérieure entre les siennes.Cebaiserest tendreet langoureux.Samainglissesurmoipourvenirse logerderrièremanuqueafinqu’ilaitplusd’emprise.

MonDieu!

Quelquechosemontedélicieusementenmoi.

Quand il presse ma fesse pour me tenir plus proche de lui que je ne le suis déjà, je perds lecontrôle.

Ondéversetoutenotrepassionetnousnousdévoronslittéralement.Nosdentss’entrechoquentdetemps à autre, nos langues dansent ensemble sensuellement, nos mains parcourent nos corpsenflammés laissant une traînée de frissons à chacun de leur passage.Matt se détache demoi pourenlevermon top et reprend furieusement possessiondemes lèvres après avoir regardémonbuste

avecenvie.Jem’occupededéboutonnersachemiseetdelafaireglisserdesesépaules.J’enprofitepourtâterchacundesesmusclesbandéssousnotreétreinte.Sesmainsseplacentsousmesfessesetjeréalise que l’on est en train de se déplacer à tâtons dans l’appartement. Il ouvre la porte de machambreàl’aidedesonpiedetnousfaittombersurlelitenveillantànepaspesertropsurmoi.

Moncorpsestenfeu.

JebrûlededésirpourMattetjepeuxsentircontremahanchequec’estréciproque.

J’agrippe ses cheveux de mon poing. Il tressaille contre moi quand je lui griffe légèrementl’épaule.Ses lèvres s’attaquent àmoncou sanspitié etm’arrachentmespremiersgémissements. Ildéposedesbaisershumidesetinsisteauxbonsendroits.Sesmainscaressentmoncorpsavecenvie.J’aichaud,tropchaud.

Alorsquesabouchedégringolesurmapoitrine,sesdoigtsdéboutonnentrapidementmonpantalonenlin.Sesmainsagrippentletissufinetledescendentsurmeshanches.

C’estàcemomentquejeréagis.

Ilyaunesorted’alarmequirésonnedansmonesprit.

Jeme redresse brusquement sur un coude et arrêteMatt d’un geste. Celui-ci sentmon corps setendreet lève la têtepourancrer son regarddans lemien,necomprenantpasvraimentcequ’il sepasse.

—Quelquechosenevapas?s’étonne-t-il,inquiet.

—Je…jenepeuxpasfaireça,luiréponds-jeenplaçantlapaumedemamaincontresontorse,luidemandantainsidemelaisserdel’espace.

Je remontemonpantalon, le reboutonne rapidementet sorsdu litd’unbond.Un tee-shirt àMatttraînesurlacommode,jel’enfileavantdeluifairefacedenouveau.Ilestassisentailleuraucentredumatelas,seulementhabillédesonpantalonnoiràpinces.Sescheveuxsontébouriffésàcausedemoi.Ilal’airperturbéetnesaitpasvraimentquoifaire.Ilsecontentedesuivrelemoindredemesgestesetattendpatiemmentquejeprennelaparole.

—Jesuisdésolée…

Jemets rapidement de l’ordre dans mes cheveux et croise les bras en dessous de ma poitrine.Cependant,j’aidumalàgardermonregardaccrochéausien.

—Maya,situcroisquejemesersdetoid’unequelconquemanière…

—Jesaisquecen’estpaslecas,lecoupé-jebrusquement.

—Alorsquoi?Qu’est-cequ’ilya?

—Jenepeuxpasfaireça,c’esttout.Iln’yariendespécial.

Mattfroncelessourcils,necroyantpasunseuldesmotsquisortentdemabouche.

—Jevaisallermechanger,dis-jerapidementavantqu’ilnepuisserétorquer.

Quandj’ouvrelaportedelachambre,celle-ciserefermed’uncoupsec.Lebrasdel’Américainestposécontre. Jesens lachaleurquiémanedesoncorpsderrièremoi. Ilprendappuiàcôtédemonvisage,luipermettantainsidem’encerclertotalement.

—Tuesen traindemefuir,Bee,mechuchote-t-ilaucreuxdemonoreille.Et jen’aimepasça.Qu’est-cequinevapas?

Je baisse la tête et lâche un soupir silencieux avant de me retourner tant bien que mal. Cerapprochementnemeplaîtpas.Soncorpsàdeminuestbeaucouptropprochedumien.Sachaleuretson odeur m’enveloppent, m’envoûtent. C’est suffisant pour que mon ventre se serre. J’ai envied’allertellementplusloin,maisjenepeuxpas.

CommentMattréagiraquandildécouvriracesdeuxboursoufluresentremescuisses?Parcequ’illeremarqueraforcément.Jeneveuxpasqu’ilsoitdégoûtédemoietqu’ilmeregardeavecpitié.

—Jepensejustequ’onfaituneerreur.

—Non,sic’étaitlecas,tum’auraisarrêtéavant,merépond-il.Tuenavaisenvieautantquemoi.Jel’aivuetjel’aisenti.

—Etcen’estpasunebonneidée.OnestH24l’unsurl’autre,ons’estjustelaissétenter,maisonnedoitpasMatt…

—Conneries.Çan’arienàvoir.Qu’est-cequetumecaches?

—Rien.Pourquoiveux-tuqu’ilyaitquelquechoseàchaquefois?!

— Parce qu’il y a quelque chose à chaque fois, Maya. Est-ce que j’ai eu un geste déplacé ?s’inquiète-t-il.

—Non,biensûrquenon,lerassuré-jerapidement.

—Alorsquoi?

Il pose délicatement samain surma joue etme transperce du regard comme pour trouver uneréponseauplusprofonddemonâme.

Perçoit-ill’accélérationdemarespirationetdemonpouls?

—J’aijustemisfinàquelquechosequel’onauraitpuregretterplustard.

—Jeneregretteabsolumentrienetneregretterairien.

—Je…

Lesmotsmeurentdansmagorge,soulagéedecetterévélation.

—Parle-moi,memurmure-t-ilenposantsonfrontcontrelemien.

Mesyeuxsefermentsousladouceurdesavoixetdesesgestes.Ilmetientcommesij’étaissurlepointdecasser.J’aimequ’ilsoitaussitendreavecmoi.

—Jen’aipasenvied’enparler,luiréponds-jeentremblantunpeu.

Matt colle brusquement son corps aumien,me faisant perdre toutmon air.Mon dos est plaquécontre la porte. Ses mains empaument mon visage et son regard me sonde. Ses traits se tendent,reflétantunecertainecolère.

—Qu’est-cequ’ilt’afait?s’enquiert-ilrudement.

Jenelesuispas.Pourquoicesoudainrevirement?

—Quim’afaitquoi,Matt?

—Tony.

Lesols’ouvresousmespieds.

Moncorpstombe.

Monsoufflesecoupeetmesyeuxs’écarquillent.

Jebougeafindemesoustraireàsonemprise,maisilnemelaissepasfaire.

—J’étaislàMaya.J’étaislàquandilt’acouchéesurcetteputaindetable.

Des frissons remontent le longdemacolonnevertébrale. J’ai chaud,maispluspour lesmêmesraisonsqu’ilyadixminutes.C’estplusproched’unefièvrehonteuse.

—Çan’arienàvoiravecça,m’écrié-jedurementengigotantpourcourirloindelui.

—Jel’aientendutedemandersitupensaisàluitouslesjourspendantqu’iltetouchait.J’étaislàMaya.J’aivutonvisagesedécomposer.

Monsangseglace.

Est-cequ’ilacompris?

Jecessedegesticulerdanstouslessensetancremesprunellesdanslessiennes,unrictusmauvaisétirantmeslèvres.

—Alorsquoi?Tuviensvérifier?!

—Nedispasn’importequoi!Çavientdemerevenir.Tucroissérieusementquejepourraisfaireunechosepareille?!

—Jen’ensaisrien.Tuestellementavided’informationsmeconcernant.

—Tutefousdemoi,n’est-cepas?

Ilsedécolledemoi,blessé.

—Jem’inquiètepourtoi.Jenefaispaslachasseauxinfos!JeprendscequetumedonnesMaya.Jamaisjenet’aiforcéeàmedirequoiquecesoit.

Jemesensminabledeluiavoirbalancéça.Jemelaisseglissercontrelaporteetprendsmatêteentremesmains.Matts’agenouilledevantmoi.Sesdoigtspressentmonépauled’unemanièredouce.

—Jevaisbien,luilancé-jepourlerassurer.Jesuisdésoléedet’avoirditça.C’estjusteque…Jeneveuxpasparlerdeça.

Uninstant,sessuperbesyeuxbleussemblentsenoyerdanslevertdesmiens.

—Trèsbien,finit-ilparmedire,résigné.

Leregardqu’ilposesurmoin’estpasemplidepitiéoudecompassioncommejelepensais.Sonvisageexprimel’adorationqu’ilmeporteetçamefendlecœur.Jeneméritepascethomme,nisapatienceni sa détermination. J’ai commisbeaucoup tropd’actes horribles pour avoir droit àMatt.Alorsquefait-ilencorelà,àtenterderecollerlesmorceauxdemonâme?Ilposeunbaisersurmatempepuispasseunbrassousmescuissesetl’autrederrièremondos.J’enroulemesbrasautourdesanuquepourmestabiliser.Ilnousconduitjusqu’aulitsurlequelilm’allongeavecdélicatesseavantdeprendreplacetoutcontremoisurleflanc,satêtesurélevéeparsamainflotteainsiuncentimètreau-dessusdelamienne.Sesdoigts,eux,courentsousmontee-shirtetcaressentmonventre.

—Excuse-moi,chuchote-t-ilcontremabouche.

Sonnezfrottemajouecommepourmedemanderl’autorisationàmeslèvres.

—Jenevoulaispasréveillerdemauvaissouvenirs.

—Jesais,réponds-jeavecunlégersourire.

Mesdoigtss’emmêlentdanscescheveux.J’aibesoindeletoucher.Demefaireàl’idéequ’ilestlà,prèsdemoi.

—Jetiensàtoi,Maya.Tuesentréedansmaviesansprévenir,ettuyasfoutuunsacrémerdier.Àtelpointquetunequittesplusmonesprit.Tuesdevenueuneobsession.Jet’aidanslapeauputain!Jen’aijamaisvouluunefillecommejeteveux,toi.

J’écrasemabouchesurlasienne.Letonqu’ilprendn’estaucunementemplidedésir.Ildégoulined’untoutautresentiment.J’aivécuunepassiontorrideavecTony,maisc’estbienau-delàdeça.Mattnemeveutpasseulementnuesouslui,ilexigequejemedonneentièrementàlui.Moncorpsneluisuffit pas, pas pour ce qu’il ressent. Il veut mon cœur, mon âme, l’entièreté de mon être. Et jevoudraistantluidonnerafindeprendrecequ’ilaàm’offrirenretour.Danscebaiser,jeluiexprimemesdoutesetmescraintes.Pourrais-jemelaissertenter?Jesuisdéjàalléebienplusloindansnotrerelationquejem’enpensaiscapable.Maisn’est-cepasau-dessusdemesmoyens?

Lesbrasdel’Américainserefermentsurmoi, tentantdemerassurer,medémontrantqu’ilest làpourmoi,commetoujours.Jem’accrocheàsanuqueetmatêtepartenarrièreafindeluilaisserlecontrôle. Son corps recouvre alors le mien qui s’arque contre lui, cherchant désespérément uncontact.Sonbassins’écrasecontrelemienetsamainempoignemafesse.Ungémissementtombedemabouche.Mattenprofitepourmordillerlapeaufinedemagorgeexposéetandisquelapulpede

sesdoigtscourtsurmonflancgauche.Salanguetraceunelignetorridedemaclaviculejusqu’àmonlobed’oreille que ses dents croquent tendrement.Mon corpsondule sous le sien.Nos respirationss’entrechoquentdanslesilencequ’ilrègnedansmachambre.Jetiresursescheveuxquandilsefrotteencorecontremoncentrenerveux.Seslèvresreviennentàl’assautdesmiennes,délicatement,alorsque samainvoyagevers le sud.Sesyeuxnemequittentpas lorsque sesphalangeseffleurentmonventre.Puis sonpouceet son indexattrapent leboutondemonpantalon.Aucundenousnebouge.Mattattendmonautorisation.Mapoitrineselèvedemanièreirrégulièrecontresontorse.Sabouchecâlinelamienne,patiemment.Ilsecontientetçamebouleverse.

—Jenepeuxpas,luimurmuré-je,essoufflée,peinéeetdésolée.

Ses paupières se ferment une fraction de seconde. Sa poitrine se gonfle sous l’inspiration qu’ilprend.

— Alors on va s’en tenir là pour ce soir, me répond-il avec un sourire en coin avant dem’embrassergentiment.

Soncorpssedessoudedumien,melaissantfroideetdésemparée.Lapaniquemeprend.

Ets’ilpartaitpourtoujours?!

Maissesyeuxnemedisentpasça.Ilsrestentancrésauxmiensjusqu’àcequ’ilsemettedebout.

—J’aibesoind’unedouchefroide,jereviens.

Jelecrois.

Mesmembres tremblent et son parfum imprègnema peau. Je sens toujours ses mains sur moiquandjeretiremonpantalonpourenfilerunlegging.Horsdequestiondeposerletee-shirtquej’aipiquéàMatt.Jemefaufilesouslescouverturesalorsquel’eaucessedecoulerdanslapièced’àcôté.

L’Américaindébarquequelquessecondesplustard,lescheveuxencorehumides,enboxer.Ilpasserapidementuntee-shirtàmanchescourtespuissecoucheàmescôtés.

Naturellement, je cale ma tête dans le creux de son cou et fais glisser ma main sur son torsependantqu’ilm’enlaceetdéposeunbaisersurmatempe.

—J’espèrequecetteannéeserameilleurequelaprécédente,murmuré-je,unpeuperduedansmespensées.

—Entoutcas,elleatrèsbiencommencé.

Jepeuxvoirqu’ilsouritcommeunimbécileetjeluidonneunelégèretapesurl’épaulecequiluiarracheunpetitrire.Ilresserresonétreinte,bougedoucementetcalesonmentonsurlehautdematête.Peudetempsaprès,noustombonsdanslesbrasdeMorphée.

13

Fairetomberlesbarrières

Petitàpetit,jemeréveille.

Je prends conscience que les bras de Matt sont fermement enroulés autour de mon buste,maintenantainsimondoscolléàsontorse.Sesmainssontsurlapeaulissedemonventredénudé,satêtecontrelamienne,etunejambepasséepar-dessusmoi.Soncorpss’adapteparfaitementaumien.Jeprofiteducalmequis’emparedemoiavantquelaculpabiliténemefoudroie.

Jen’aipasledroitd’approcherMattdesiprès.

Jenedoispas.

Poursasécurité.

J’attirelamort,chacunlesait.Etpuis,iln’apasprévuderester.Ilaparlédesonquotidienavantmoicommed’unbreak.Çaveutdirequ’ilvapartir.Qu’ilvamequitter.Etmoncœurnes’enremettracertainementpas.C’estmonpilier,ma force. Il fautquenousprenionsnosdistancesdèsàprésent.Quej’apprenneàmarcherseule.Quejemeprépareàsondépart.

À regret, je sors du lit en veillant à ne pas réveiller l’Américain. J’enfile rapidement un vieuxjoggingetunsweat-shirt largeaprèsm’êtredébarbouillée,metsmesbasketsetfileenvitesseàmavoiture.

**

Lorsquejecoupelemoteur,mesyeuxinspectentcemurimmonde.Malgrélesgraffitiscolorésquile recouvrent, il n’en reste pasmoins sinistre. Et ce qu’il cache l’est encore plus. La grille en ferforgégrincequandjelapousse.Unebourrasquemegèlejusqu’àl’osaumomentoùjeparviensenfinàlabonnetombe.Jeprendsplacesurlegranitglacéetresserremonmanteauautourdemoi.

Chaquepremierjanvier,jeviensleurrendrevisite.Jelisencoreetencoreleurnomgravédanslaplaqueenbronzeafindenejamaisenoublierun.Pasdegrandsdiscours,pasdelarmes,pasdefleurs.

Jemecontentedem’asseoir prèsd’euxet de chercherunmoyend’atteindre lapaix sans jamaisyarriver.

Uneheures’écoule.

Jenesensplusmesdoigts,nimêmemesorteils.C’est lesignal. Il fautque jerentre.Monindextraceleslettresdoréesdumotparadisavantquejenemelèvepourdebonetrejoignemonvéhicule.

**

Àpeineai-jeletempsd’ouvrirmaported’entréequedescrismeparviennentdusalon.

MattetThomassetiennentl’unetl’autreparlecol.Latensionestpalpabledanslapièce.Touslesdeuxseregardentenchiensdefaïence.

C’estquoicebordel?!

—Tun’esqu’unedistractiondeplus.Tune t’imaginesmêmepas combiend’autres sont passésavanttoi.J’enaivudéfilerplusd’unettusaisquoi?Jesuistoujoursceluiquireste!cracheThomasàquelquescentimètresduvisagedeMatt.

Une lueur destructrice scintille dans les yeux de l’Américain tandis que Thomas souritnarquoisement.

—Jepeuxsavoircequevousfaites?!m’écrié-jeenessayantdelesséparer.

Ilsse reculentdequelquespas, surprisdemevoirdébarquer.Sansperdrede temps, jemeplaceentreeux,posantunregardsévèresurThomas.

—Qu’est-cequetufaisici?luidemandé-jepresqueagressivement.

—Etlui,depuisquandilvitcheztoi?merétorque-t-ilendésignantMattdumenton.

—Commetuviensdeledire,c’estchezmoi.Doncj’invitequijeveux.Répondsàmaquestion.

—J’avaisbesoindetevoir.ImaginemasurprisequandmissAmericam’aouvert.

LamâchoiredeMattsecrispeetsespoingsseserrent.

—Qu’est-cequ’ilfoutlà?s’énerveThomasenjetantunregardnoiràMatt.

—Çaneteregardepas.

—Nemedispasquetubaisesaveclui,Maya!

—Çaneteregardepas!répété-jeplusfortement.

—Est-cequ’ilaunpermisdeséjour?

—Tutemoquesdemoi,Thomas?m’indigné-je.

—Ettoi?J’essayederenouerlecontactavectoidepuisdeuxmoisettum’ignores,tropoccupéeàouvrirlescuisses.

C’enesttrop.Jesuisàfleurdepeauàcauseducimetière,àcausedetoutcequ’ilyabienpusepasseravant.C’estlagoutted’eauquifaitdéborderlevase.

Sansréfléchir,monbraspartrapidementetmamainlegifle.Mattm’attrapealorsquejem’élanceversceluiquejeconsidéraiscommemonfrèreetmeramènecontrelui,tentantdelimiterlesdégâts.

—Pourquituteprendspourmeparlercommeça?!sifflé-jeentremesdents.

Thomasm’observe,pleindehaine.

—Quandtut’enseraslassée,parcequenetefaispasd’illusionsl’Américain,çaarriverabientôt,appelle-moi.J’aidesinfosquipourrontt’intéresser.

Ilnoustourneledos,nonsansunénièmeregardnoir,ets’enva.

Jemedétends légèrementquand j’entends laporteclaqueret lesbrasdeMattmelibèrent.Jemeretournelentementverslui.Ilmefixel’airinterdit,nesachantpasvraimentquoifaireouquoidire.

—Est-cequeçava?tente-t-il.

—J’ail’habitudedecespetitescrises,net’enfaispaspourmoi.Ettoi?

Ilhausselesépaulesetfaitunpasversmoi.

—Oùétais-tu?medemande-t-ildoucement.

—J’avaisbesoindeprendrel’air.Heureusementquejesuisrentrée,soufflé-jeenpassantmamaindansmescheveuxchâtains.

—Prendrel’air?Qu’est-cequ’ilsepasseMaya?

Ilmeregarde,inquiet,ettendseslongsdoigtsversmonvisage,maisjemerecule.

—Toutvabien.Jevaisprendreunbain,jesuisgelée,lancé-jeenfaisantvolte-face.

J’entredanslasalledebainetilmesuit,bienentendu.

—Nemefuispas, tusaisquej’aihorreurdeça,medit-ilenattrapantmonbraspourquejemetournefaceàlui.

Jegrimacequandjemerendscomptedenotreproximité.

J’essaye de me reculer, mais il m’en empêche en resserrant sa prise. Sa main gauche caressedoucementmajoueavantderelevermonmentonpourpouvoirplongersesyeuxdanslesmiens.

—Qu’est-cequisepassedanstatête,Bee?J’aibesoinquetumeparles.

Jefuissonregardettiremonvisagedesonemprise.

—Jesuisjustefatiguée,congelée,eténervée.Meprélasserdansuneeaubouillantem’aidera.

—Tuesénervéeàcausedemoi?

—Entreautres,oui.

Ilsemblesurpris.

—Qu’est-cequej’aifait?medemande-t-ilenhaussantlessourcils.

—Votrestupidecombatdecoqsaumilieudemonsalon.Jenesuispasunvulgairemorceaudeviandequel’onsedispute,craché-je.

Jetiresurmonbraspourqu’ilmelâche,cequ’ilfait.

—Jen’aijamaisrienditdetel,sedéfend-il.J’aibeaucouptropderespectpourtoipourtetraiterde lasorte.Écoute, iladéboulédans l’appart’et lorsqu’ilm’avu, ilestdevenudingue,d’accord?Quandjeluiaiditquetuétaissortie,ilnem’apascruetacommencéàm’insulter…

—Jen’aipasenviedesavoircequ’ilt’adit.J’enaidéjàsuffisammententenducommeçaavantdevousséparer.

—Commetuvoudras...,cède-t-ilenessayantdemeprendredanssesbras.

Jestoppesesmouvementsd’ungeste.

—Maya?

—Ilfautqu’onarrêtetoutçaavantdesefairedumal,luiglissé-je,enévitantsoigneusementsonregard.

—Dequoituparles?

—Jenepeuxpasmepermettrecegenredechose.Jedeviensbeaucouptropdépendantedetoietcen’estpascorrect.Ilfautquejeviveparmoi-même.Ettoutça,nem’aidepas.

—Tumedemandesquoiexactement?m’interroge-t-ild’unevoixblanche.

—Deredéfinirleslimites.

Ilsouffleetsepasseunemainsurlevisage.

—Dequoias-tupeur,Maya?Det’investir?Detedonnertouteentièreàquelqu’un?

Jesoupire,nesachantpastropquoirépondre.

—Dequoituaspeur?répète-t-ilplusfortement.

Ilfaitunpasversmoi,j’enfaisunenarrière.

—Jeveuxjustequel’onrétablissequelquesbarrières.

—C’estmoi,quiteterrifie?demande-t-illevisageferméetenfaisantuneenjambéedeplustandisquejereculedenouveau.

—Biensûrquenon,lecontré-je.

—C’estlechangemententrenousquit’inquiète?

Ilavanceencoreunpeuetj’instauredeladistanceentrenoscorps.

—Iln’yapaseudechangement.

—Alors,pourquoiétablirdesbarrières?merétorque-t-il.

Ilmanœuvreencoreunefoisetmondosrencontrelemeubledelasalledebain.

—Quecrains-tu?mequestionne-t-il.

Ilposesesmainsdepartetd’autredemoisurlemarbredelavasqueafinquejeneluiéchappepas.Sontorsetouchepresquemapoitrine.

Noussommesbientropproches.

—Absolumentrien,mens-je.Jeneveuxjustepasdépendredequiquecesoit.

—Qu’est-cequetucachesdesiterriblepournepasvouloirmelaisserapprocher?mesouffle-t-ilàdeuxcentimètresdemeslèvres.

Marespirationsecoupe.Moncœurbatplusvite.Ilfautquejemesortedecettepromiscuité.

Jetentedemedéfendre:

—Qu’est-ce que tu vas encore t’imaginer ?Arrête deme voir comme une pauvre petite choseperdue.

—Jenetevoispascommeça.Absolumentpas.

Jenepeuxpasdécrochermesyeuxdessiens.Jesenssabouchefrôlerlamienneetmondésirseréveille. J’inspire brusquement. Cependant, je ne peux pas le laisser faire ça,même si j’enmeursd’envie.Parcequ’ilyal’empreintedeTonysurmapeauetquetoutçan’estqu’éphémère.Unmatin,ilprendrasescliquesetsesclaquesetjen’auraiplusquemesyeuxpourpleurercarmêmesijeneveuxpasmel’avouer,jemesuisbeaucouptropattachéeàlui.Çaseraitdéjàdurdelelaisserpartirmaintenant, alors sinousapprofondissonscette relation, je saisque sondépartprovoqueraenmoid’irréparablesdégâts.

—Pourquoitumerepousses,Bee?

Cestupidesurnommetordlestripes.

J’aimetellementqu’ilm’appelleainsi.J’ail’impressiond’êtreimportantepourlui.Maisilnefautpasquejemelaisseamadouer.

Soudain,seslèvress’appliquenttendrementsurlesmiennes.Salangueenlèchelecontouretjefaismonmaximumpourresterstoïque.Ilpassesesmainssurmonbassinetm’attirecontrelui.

—Embrasse-moi,mesupplie-t-il.Toutirabien,jetelepromets.

Ilreposesabouchesurlamienne,maisjelerepoussedoucement.

—Tunepeuxpasmepromettrecegenredechosealorsquetunesaismêmepascequ’ilpeutsepasserdemain,Matt.

—Jetejurequejeferaimonpossiblepourqu’iln’yaitpasdeproblèmes.

Jelecrois,maiscen’estpassuffisant.

—Jesuistropbriséepourjoueràça.Jenepeuxpasêtrecetteparenthèsedanstavie.

Ilmeregarde,confus.

—Écoute, tum’as juréedeme remettre surpiedsetonyestpresqueparvenu, cequi estquandmêmeunexploit.Tun’asriengarantid’autreetjen’endemandepasplus.Jecroisqu’ons’égareunpeuencemomentetc’estparcequejet’ailaisséêtrehypertactileavecmoi.

—Jesaiscequejefais…

—Biensûrquenon.Tunepeuxpaspenserclairementparcequetuesintoxiquéparmoi.Onestsanscessel’unsurl’autre.Çadevaitarriveret…jeneveuxpasquecesoitlecas.

J’airéussiàdéblatérertoutçaenleregardantdanslesyeuxetsansciller,oupresque.

—Tuaspeurquejem’enaille?

Ilnesemblepascertaindecequ’ilavance.Pourtant,ilamisledoigtsurcequejecrainsleplus:leperdre.

—Tuvast’enaller,Matt.C’estunfait.

—Tuaspeurdet’attacheràmoietquejeparte?

—Tuperdstontempsavecmoi.Jenepourraijamaisterendreundixièmedecequetum’apportes.Jenesaispasaimer,soufflé-jeenbaissantleregard.

—Tu essayes encore de t’en persuader, marmonne-t-il, mécontent. Je resterai à tes côtés aussilongtempsquetulevoudras.Necomprends-tupasàquelpointj’aienvied’êtreavectoi?

Pendantcombiendetemps…

J’aimerais luidemander,mais jepréfèrepassercettequestionsoussilencecarellerévéleraitmafaiblesse.

—Jeveuxjustemarchertouteseule,chuchoté-je,latêtetoujoursbaissée.

—Êtredépendantedemoiteterroriseàcepoint?

—Tum’apprendsàêtreplusforte,n’est-cepas?Alorspourquoicherches-tuàmerendrefaible,répliqué-jequandilhochelatêtepourrépondreàmapremièrequestion.

—Cen’estpascequejefais.

—Biensûrquesi.

—Éprouverdessentimentspourautruinet’affaiblitpas.

—Biensûrquesi,répété-jeavecfougue.Regardeautourdetoibonsang!Etregardelemalqueçafait aux gens. La déception que ça apporte. Les contes de fées n’existent pas et il y a toujoursquelqu’unquiestblesséetquisouffreauboutducompte.

—Tuassimplementpeurdenepasavoirunhappyend{2}?

—Jeneveuxpassouffrir.

—Alorsquoi?Tuvasreconstruiretamuraille?

Ilprendmatêteentresesgrandesmainsetplongesonregarddanslemien.Jesaisquejen’aiplusqu’uneseuleoptionpourm’ensortir.Ilfautquejeleblesse.

—Tuasconfianceenmoi,n’est-cepas?chuchote-t-il.Jesaisqueoui.Jenepartiraipas,Maya.Tutesouviens,jeprendscequetumedonnes…

Jenepeuxmerésoudreàlepeiner.Deslarmesmontentrapidementetinondentmonvisage.

—Laisse-moi,s’ilteplaît,soufflé-je.Jeneveuxpasfaireça.

Il essuie de ses pouces les perles salées qui dégringolent sur mes joues puis s’approchedangereusement.

—Jenet’abandonneraipas,déclare-t-il.

—Tun’ensaisrien.

—Biensûrquesi.Jelesais.

—Jenepeuxpasfaireça.S’ilteplaît…

—Pourquoi?

—J’aipeur,Matt.

—Dequoi?

—Touteslespersonnesquisesontéprisesdemoisonttoutesmortes…

—Çan’arriverapas.

—Jeneveuxpasqu’ilt’arrivequelquechose,geins-je.

—Toutsepasserabien,tente-t-ildemerassurerenfrôlantmeslèvres.

—Jefiniraibriséesijefaisça.

—Bienaucontraire.Nousseronsplusfortsquejamaistouslesdeux.Ensemble…

Jefermelesyeuxl’espaced’uneseconde.

Quandmonregardaccrochelesien,cequej’yvoismefoutlatrouille.Pourtant,sonsoufflequis’écrase contre ma bouche m’apporte du courage. J’ai l’impression qu’il me donne de la forcemalgrécetteinquiétudequimeronge.

—Situmefaisdumal,Matt,j’encrèverai,melamenté-je.

—Jeteprometsqueçan’arriverapas.Jet’aimetroppourça.

Seslèvresseposentimmédiatementsurlesmiennes,salangueplongeetexploremabouche.Jelelaissememontreràquelpointiltientàmoi.Sesbrasmusclésentourentmeshanchesetmeplaquentcontrelui.Mesmainssenouentàsanuqueetlorsqu’ilsentquejem’abandonnecomplètementàlui,

unsoupirdebonheurluiéchappe.Ilembrassemesjoueshumidesavectendresseavantd’empaumermonvisageetd’arrimersesyeuxbleusauxmiens.

—Jedétestetevoirpleurer,m’avoue-t-iltristement.Jetepromets,Bee,quejeterendraiheureuse.J’iraitedécrochertonhappyendsurlalunes’illefaut.

14

Confiance

Nousavonsvécuensembledurantdesmoisetpourtant, j’ai l’impressionquecen’estquedepuishier queMatt vit chezmoi. Notre relation a évolué et cette semaine a été un peu particulière. Onapprendàseconnaîtremieuxl’unl’autre,dumoinssurunplanphysique.

Matt a toujours été tactile avecmoi.Maismaintenant que nous avons décidé d’être plus que desimplesamis,sesmainsnequittentplusmoncorpsetçanemedérangepas.J’aimesoncontact.

Maisilm’arrivedepaniquerlorsquel’onsortàl’extérieur.Quandilm’embrasseàpleineboucheaumilieu d’une rue bondée, j’ai peur que quelqu’un nous repère et finisse par se servir de monAméricainafindem’atteindre.

J’aiaccumulébeaucouptropd’ennemisàcausedel’Agenceetlesderniersscandalesquejeleuraifaitsnesontpaspourm’aidernonplus.

Avant-hier,jemesuisréveilléeaumilieudelanuitdansmonlit,seule.Laterreurs’estemparéedemoi,monesprits’imaginantlepirealorsqu’iln’étaitalléquesechercherunverred’eau.Dansmonétat,jenepourraipasfairegrand-chose.J’aiperdubeaucoupdepoidsàcausedemescauchemarsetcesontmesmusclesquisesontrapetissés.Jen’aiplusaucuneconditionphysique,pasd’endurance.

Alors, j’ai décidé de reprendre le sport. Le psy est ravi, il dit que ça canalisema rage. ÇamepréparesurtoutàêtreopérationnellesijamaislepirearrivaitàMattouàMax.

Lovésl’uncontrel’autresurlecanapé,nousregardonsunfilm.

Ilyacertainsmomentsoùlesimplefaitd’êtrecontreluimeréconforte.Etpuis,lapeurpointelebout de sonnez etme flanqueunedroite.La réalitéme secoue etmoncorps se crispe.Et commechaquefois,illeremarque.

—Est-cequeçava?medemande-t-il,inquiet.

Jeluienvoieunsourirerassurant,embrasselecoindesaboucheenmecollantunpeuplusàlui.

—Toutvabien,luiréponds-je.

—Àquoitupenses?

Ilnepeutpaseffacermesdoutesetmescraintesàcoupsdepromesse.Ilignoretouslesnomsdeceuxquiontjurémamortetcelavautmieuxpourlui.Jenesouhaitepasqu’ilprenneconnaissancedeshorreursquej’aipufairelorsdecertainesmissions.

—Àriendebienprécis,luidis-jevaguement.

—Pourtant,çan’avaitpasl’aird’êtredespenséesagréablesvulafaçondonttoncorpsaréagi.

Il ne lâchera pas l’affaire comme ça.Alors, je choisis la distraction.D’un geste, jeme place àcalifourchonsurlui.Aussitôt,sesmainssecalentsurmeshanches.

—Jeneparieraipaslà-dessus,murmuré-jeavantdeprendrelangoureusementseslèvresentrelesmiennes.

Jecaressedoucementsonvisage,pendantquesesmainsfontdelentsva-et-vientdansmondos.Nosrespirationss’accélèrentaufuretàmesurequel’onintensifielebaiser.Jem’éloignepourpouvoirreprendremonsouffle tandisqueMattme lanceun sourire taquin.Avantmêmeque jem’en rendecompte,ilm’allongeetmeclouedesonpoidssurlecanapé.D’unemain,ilcapturemespoignetsetlesimmobiliseau-dessusdematête.L’autrenaviguelelongdemoncorps,laissantmapeaubrûlanteaprès chaque passage. Il se penche lentement vers mon cou pour y déposer une pluie de baisersmouillés.Mesyeuxsefermentpourquejepuissesavoureraumieuxcettesensation.

Jemesenstellementbien,tellementaimée,tellementdésirée.

Je fonds complètement sous ses caresses, sous ses baisers. Il resserre la prise qu’il a surmoi,commes’ilavaitpeurqu’enuninstantjedisparaisse.Ilsoupiremonprénomplusieursfoiscommes’ilrépétaitsanscesseuneprière.J’ondulesouslui,cherchantplusdeproximitésicelaestpossible.Quelquesgémissementssortentdenosbouchesavantquenouslesliionsànouveau.Ilémanedesonêtre,unechaleurréconfortantequimefaitquasimentperdrelatête.Mattfinitparmelâcherlesmainspour pouvoir caressermon corps et je ne peux que faire demême. Je sens sous la pulpe demesdoigts,sesmusclesquiroulentdanssondos,lesfrissonsquicourentlelongdesanuque;quelquesgouttesdesueurapparaissentsursonfront.Jeleserrecontremoidansl’espoirdelefairerentrerenmoipourqu’ilnemequittejamais.

J’aitantbesoindelui,desesbrasforts,desonamour.Jel’aimebienplusquejeneveuxl’avouer,je m’en rends bien compte. Tout ça est tellement dangereux, si douloureux, mais copieusementaddictif.

Matt agrippemes fesses de ses deuxmains et lesmasse tout en collant nos bassins l’un contrel’autre.Jesensàquelpointilaenviedemoietlasonnettedansmatêteretentit,maisquelquechosedebizarre sepasse.Au lieuquemondésir s’atténue,celui-cigrimpeen flèche.Matt tâtonne lebasdemon tee-shirt pourme le retirer et je l’aide volontiers. Je n’ai rien dessous, ce qui le ravit. Ilmeregardeavecgourmandiseetsepenchesurmesseinspourlesembrasser.

Ilmetorturelentementetjenecessedelâcherdesplainteslascives.Samaindescendverslesuddemoncorps,s’infiltresousletissudemonpantalonetceluidemaculotte.Sonpoucevienteffleurermoncentre.

Jemetends.Parcequecelameprocureduplaisir,maisaussiparcequ’ilestbeaucouptropprochedemesbrûlures.Maisilnedescendpasplusloin,ilsecontentedefairedepetitscerclesàcetendroitprécisetledésirgranditenmoi.Monsangdevientdelalaveenfusionetmonêtreentiers’embrase,endemandanttoujoursplus.Sonongleéraflemonclitorisérigéetjetrépasseviolemment.MoncorpssetendàsonmaximumavantderamollirsouslesbaisersdeMatt.Saboucheglissesurmonventre,sa langue tournoie dans mon nombril. Ses mains crochètent mon jogging que je m’empressed’attraper.J’aimeraisqu’illisemescraintesaufonddemesprunelles,maismespaupièresrefusentdes’ouvrir.Moncorpsestencoretroplasdecetorgasme.Seslèvrescajolentalorsmesphalanges.

—Toutvabiensepasser,murmure-t-il.

Ilcaresseensuitetendrementmonventre.

J’ouvreparesseusementlesyeuxetplantemesirisvertsdanslessiens.Jeluilanceunavertissementsilencieux.Cequi se cacheendessousest tout saufmagnifique.Est-il certaindevouloir allerplusloin?Ilsemblesûrdelui,sûrdevouloiraffronterçaavecmoi,sûrdevouloirmefairetoutoublier.Moi,jepriepournepasleregretter.Mattprendconsciencedemavulnérabilité.Sesyeuxsevoilentlégèrementetsaboucheessayedemerassurer.

Iladoremoncorps, tentantdememettreà l’aiseetmesuppliantd’avoirconfianceen lui.Peuàpeu, jemedétendsetmonpantalondisparaît.Jeneportequ’uneculotteendentellenoireàprésent.Matt dévoremon corps presque nu du regard, sesmains explorent tendrementmes courbes. Ellescaressentmeschevilles,remontentlelongdemesmollets.

Au moment où elles passent à l’intérieur de mes cuisses, mes brûlures se révèlent. Je le voisfroncer les sourcils, se demandant sûrement ce que ce doit être.Alors, il se penche doucement etembrassechaquecentimètredemapeauenpartantdemongenoujusqu’àelles.Quandilyarrive,jesenssoncorpssetendre.Sesmainsserrentplusfortementmescuisses,sonvisageseferme.Jepasse

alorsmesdoigtsdanssescheveuxpourleramenersurTerre,parcraintequ’ilsoitaussidégoûtédecesinitialesboursoufléesàl’entréedemonintimité.

—Quelhommecensépeutfaireçaàlafemmequ’ilditaimer,memurmure-t-il,écœuré.

Jeprendspeuràcausedutonqu’ilemploieetlafaçondontilregardemablessure.

Jepaniquecomplètement.

Jeregrettesoudaindeluiavoirfaitconfianceaupointdeluiavoirrévéléça.

J’essayedemerelever,maisilm’enempêche.Ilraffermitsaprisesurmescuissesetmetireplusprèsdelui.Sesyeux,quandilsaccrochentdenouveaulesmiens,sontdouxetremplisdecompassion.Ilbaissealorssabouchesurmesblessuresetlesembrasse.Salanguetracelentementlescontoursdesinitiales,seslèvresappuientsurchaquecentimètrecarrédecedésastre.

Ileffacemesdoutesetmesdouleurs.

Illavel’horreurinscriteenmoi.

Ilm’aimetoutsimplement.

Etjenepeuxretenirunelarme.

Jenepeuxriencompareràcettenuit-là.J’aieuénormémentdepartenaires,maisrien,absolumentrien,nepeutconcurrencercemoment.Jen’aijamaisautantdonné,jen’aijamaisprêtéautantattentionaubesoindel’autre.Jen’aijamaisautantadorélecorps,l’expressionduvisage,chaquecentimètrecarré de sa personne. Je n’ai jamais pris autantmon pied à enregistrer chaque détail reflétant sonplaisir.

J’aidonnétoutcequej’avaisenmoi,cettenuit-là,justepourvoirsesyeuxsefermer,sessourcilssefroncer,samâchoireseserrer,pourentendresonsoufflesesaccader,monprénomsortirdeseslèvresgonflées,poursentirsesmainsrefermerleuremprisesurmeshanches,sesmusclessebander,ses abdos se contracter sous mes doigts. J’ai atteint plus d’une fois mon apogée rien qu’en leregardant.Etriennem’ajamaisautantterrasséequelesorgasmesquej’aieuscettenuit-là.Rienn’ajamaisétéaussipuissant,aussiviolent,aussibon.Jepensequenossentimentsrespectifsontrenduçaplusfort,plusdévastateur.

Etvousvoulezquejevousdise?J’aicompris.

Oui,j’aicomprispourquoitantdemondes’aime.

Pourquoitantdemondeprendlerisquedesouffrir.

Parce que c’est si jouissif de savoir qu’il suffit d’un regard pour comprendre l’autre, d’un seulgestepour l’apaiser.Onsesent tellementbien.Onseperd l’undans l’autre jusqu’àneformerplusqu’un.Jemettraitoutcequej’aipourqueçamarcheéternellement.Parcequec’estluiquejeveuxetpersonned’autre,jusqu’àmamort.

15

Avenir

Aupetitjour,lachaleurducorpsdeMatt,entrelacéaumien,meréveilledoucement.Jebougeunpeucontreluiafindepouvoirposerlesyeuxsursonvisage.Sespaupièressontouvertesetmefixentintensément.

—Tuesréveillédepuiscombiendetemps?luidemandé-jedansunmurmure.

—Unbonquartd’heure,jepense.

—Lavueteplaît?

—Jenecroispasenavoireudemeilleure.

J’esquisseunsouriredevantsonairsérieux.

—Turegrettes?medemande-t-ilavecunvisageinquiet.

—Jedevrais?

—Non,maisavectoi,jenesaisjamaisàquoim’attendre.

Je ne peuxpas lui donner tort.C’est vrai que j’ai tendance à faire trois pas en avant et deux enarrière. Son inquiétudeme touche et j’ai soudain besoin de le rassurer, de luimontrer que je n’aiaucunregret.Jem’allongesurluietl’embrassedoucement.Sesdoigtscourentdemesépaulesàmonbassin.

—C’estofficiellementlemeilleurréveildemavie,souffle-t-ilquandjelâchesabouche.

—Ettun’asencorerienvu.

Jedescendslelongdesagorgequejecajolesensuellement,puisvientletourdesesclavicules.Jecompte voyager un peu plus au sud, maisMatt m’en empêche. Il inverse nos positions. Son brasgauchesupporteunepartiedesonpoidsafindenepastroppesersurmoietsamaindroitedégagelescheveuxtombésdevantmonvisage.Sesyeuxmescrutentavectantdedouceurquemoncœurrateunbattement.

—Jen’aipasenviede…

—Ohpitié,Bee,nemefaitpasçamaintenant,râleMatt.Nemereprendspasça.

—Jen’aipasenviequetutecontentesdecequejetedonne,luidis-jeplusfort.Ilestnécessaireque je sache ce que tu veux, ce que tu attends demoi. Les relations avec les autresme dépassentlégèrement.Jesuisunpeuunehandicapéedessentimentsalors,jevaisavoirbesoinquetumeguidesetquetusoispatient.

—Tuasjustelatrouille.C’estnormal.Toutsepasserabien.Onpeutlefaire.Onpeutconstruirequelquechosedebienensemble.

Onse fixeencorequelques instantsavantque jem’emparedesabouche.Samainglissedemescheveux à mon cou puis le long de mes côtes jusqu’à ma hanche où ses doigts s’accrochent.Totalementnus,l’uncontrel’autre,jelesensdurcir.Ilappuiesonbassincontrelemienetsarigiditéfrottecontremoncentrehypersensible,m’arrachantainsiungémissementaigu.Jenouemesjambesdanssondosafind’êtreunmaximumencontactaveclui.LabouchedeMattquittelamienneetsucegentiment mon téton droit. Sa langue me rend folle et je m’active contre lui jusqu’à obtenir unepremièredélivrance.Jeplaneunpeu,maisjesuistoutàfaitconscientequeMatts’alignefaceàmonentrée déjà glissante et me pénètre centimètre par centimètre jusqu’à la garde. Nos souffless’entrechoquentdurantquelquessecondes, letempsquejem’adapteàsongabarit.Lefaitdenepasavoireuderelationssexuellesdepuisplusieursannéesm’arendueextrêmementétroiteetsensible.Jesuis déjà au bord de la jouissance.Mon corps tremble,mes orteils se recroquevillent,mes paroisl’agrippent furieusement et ma respiration se bloque. Il me laisse me détendre un peu avant deressortirdemoitiépourreplongerentièrement.

—Matt,geins-jeavecdésespoirenregardantlevidesousmespieds.

J’ai peur. Peur de mon orgasme. Tout est tellement tendu en moi, à m’en faire mal. Mes brass’enroulentautourdeluicommepourm’empêcherdetombermêmesic’estinutile.

—Jesuislà,souffle-t-ilprèsdemonoreille.Net’inquiètepas.

Sonbassinsedécolleànouveautotalementdumienetsapousséesefaitplusforte.C’est toutcequ’ilmefaut.Quandsonglandtouchelefonddemonvagin,j’explosedansuncrisurréaliste.Moncorps devient aussi dur que du béton avant de devenir aussimou que de la gelée. Je pleure et desspasmes m’agitent. Matt ne s’arrête pas. Sa main attrape ma cuisse pour avoir plus de prise etaccélérer.Ses lèvrespicorentmonvisagependantque je flotteendessousde lui. Je le regarde, les

yeuxdanslesyeux,etylittoutcedontj’aibesoinpoursavoirquejenecrainsrien.Sessourcilssefroncent, sa bouche s’entrouvre et son visage se tord de plaisir. J’accompagne chacun de sesmouvements,commesinousnefaisionsqu’un.Saprisesurmacuisseseraffermitquandilémetunrâlerauque.Cesonsuffitàmefairedécoller.J’aibesoindejouirenmêmetempsquelui,departagerçaaveclui.Jemejettesursaboucheetladévorevoracementalorsquemesdoigtsseglissententrenous et trouvent mon clitoris gonflé. Sentir le dos de ma main contre son ventre l’excite. Il mepilonne sans retenue. Mon corps se crispe à nouveau tandis qu’un râle lui échappe. On éclateensemble.

Unmomentdepaixnousenglobeetnousbercedoucementversunlégersommeil.

Onsomnoledurantquelqueslonguesminutes,toujoursimbriquésl’undansl’autreavantqueMattneroulesurlecôtéetnem’entraînecontrelui.Ilembrassematempeetrespireleparfumfleuridemescheveuxavantdes’endormirpourdebon.

Deuxheuresplustard,lasonneriedesontéléphonenoustiredenotrerepos.Mattgrogneunpeupuisbougepourrécupérersonportable.Illanceun«allô»fatiguésuivid’un«j’arrive»sec.Jemetourneparesseusementsurleventreetluijetteuncoupd’œil,latêtedansl’oreiller.

—C’estMax.Jedoisyaller.Ilm’aembauchéedanssaboutiqued’informatiqueetjesuisenretard,medit-ilensortantdulit.

Quoi?

—Commentça,ilt’aembauché?m’écrié-jed’unevoixéraillée.

—Qu’est-cequit’étonne?

— Je ne sais pas. Je n’avais pas franchement l’impression que tu t’y connaissais en matérielinformatique.

—Mesdoigtssaventfairemilleetunemerveilles,plaisante-t-il.

—Êtremanuelnesuffitpas.

—Écoute, tuavaispeurque jem’enaillepour reprendremesactivités illégales.Tudevraisêtrerassuréequej’aiunjobhonnête.

Honnête,sionveut,quandonsaitcequeMaxfaitàcôté.

—Jeneveuxpasquetulefassesuniquementpourmoi.

—Cen’estpaslecas.Ilfautquejereprenneuneactivitéprofessionnellesionveutsestabiliserunpeu.Maxabeaucoupdeboulotencemoment,doncilm’aproposéuncontrat.Nepaniquepaspourça.Jelefaisparcequej’enaienvie,OK?Ilfautquejemedépêche,jesuisgraveenretard.

—Laboutiquen’ouvrequedansuneheure,rétorqué-jeenlorgnantleréveil.

—Oui,maisMaxm’ademandéd’êtrelàenavance.

—Pourquoitunemel’aspasditplutôt?

— J’allais le faire hier,mais tum’as sauté dessus et puis on s’est emballé et j’ai complètementoubliécommentjem’appelaisquandjet’aivuenue,alors…

—T’espénible,soufflé-jeenriant.

—Ettoi?Qu’est-cequetuvasfaireaujourd’hui?medemande-t-ilenenfilantuntee-shirt.

—J’airendez-vousaveclapsyà15heures.Doncjepensequ’ilvafalloirquej’ailleàlasalledesportensuitepourévacuertoutcequ’elleaurafaitremonter.

Mattsestoppeetvients’asseoirprèsdemoi.

—Pourquoitucontinuesàallerlavoirsic’estpournerienluidire?Pourquoitun’envoiespastoutbalader?

—Sijefaisça,jepeuxdireadieuàmontravail,Matt.

—Jenecomprendspaspourquoitusouhaitestantyretourner...

—Etqueveux-tuquejefassed’autre?Jenesaisfairequeça!

—C’estdesconneries!Tonjobnetedéfinitpas.Tupeuxfairecedonttuasenvie.

—Jeneraccrocheraipas,OK?!J’aibesoindemonboulot,j’aibesoinquelapsymedéclareapte!

—Maispourquoifaire?!

Ilm’estimpossibledeluidonnerlavraieraisondetoutça.Jeveuxreprendremaplaceauseindel’Agencepourfinircequej’aicommencé.Ilfautquelescoupablespaientpourleurscrimes.Jene

veuxpasquecesmonstress’ensortentsansdommage.MaisMattnecomprendraitpaspourquoi jecoursencoreaprèsça.Mêmes’ilm’apporteénormémentdebonheur,jeneseraijamaisenpaixsijesaisqu’ilssontenviequelquepartetqu’ilspeuventrecommencer.J’enroulemesbrasautourdesanuqueetcalemonfrontcontrelesien.

— Je n’ai pas envie de me disputer avec toi, aujourd’hui, craché-je. J’aime mon job. Je ne lelâcheraipas.

—Commetuvoudras.

Ilestdéçu,jelesens.Seslèvresglissentfurtivementsurmatempeavantqu’iln’aillerapidementprendreunedouche.Jel’aime,maiscen’estpassuffisantpourmefairerenonceràmesplans.Alorstantpiss’ilnecomprendpaspourquoijeveuxtantréintégrerl’Agence.Ilvafalloirqu’ilfasseavec.

16

Aptitudes

—Commentvoussentez-vous,Maya?medemandelapsy.

—Bien.

Cen’estpasunmensonge.Enmêmetemps,ils’estpassétellementdetemps.Plusd’unandepuisquej’aibraquéGeorges.D’ailleurs,hiersoir,avecMattnousavonsfêté,nosdouzemoisensemble.C’estfou.Etjemesenstellementbien,tellementsereine.

—Votreréintégrations’est-ellebiendéroulée?

—Çaallait.

J’aienfinreprisletravailà100%.Cettesemaineétaituntestenquelquesorte.Lecheminauraétélong,maisj’ysuis.Jesuisrevenuedanslacourse.Dumoins,presque.Unefoisqu’ellem’aurasignémoncertificatd’aptitude.

—VousavezcroiséThomas?

—Biensûr,ilestlechefdemonunité.

—Qu’avez-vousressentienlevoyant?

J’aieumalaucœurdelevoirsidistant.Ilnem’apasadressélaparoledurantcescinqjours.J’aieudeuxmailspourmedemanderdefairequelquesbricoles,maisriendeplus.

—Riende spécial.Onévite le contactpour lemoment.Mais je suis certaineque tout reviendradansl’ordred’icipeudetemps.

Lapsysourit.Situsavaisàquelpointjesuisconscientedecequetusouhaitesentendre!

—C’estunetrèsbonneremarque.Etavez-vouseul’opportunitédevoirGeorges?

—Nonetjepensequec’estmieuxcommeça.

—Vousaveztoujoursautantdecolèreenverslui?

—Non,pasautant,maisjeluienveuxdenousavoirfaitsubirautantdechoseshorribles.

Elleacquiesce.

—Ilvafalloirqu’ontravaillesurcetterage,Maya…

—Uneautrefois.

—Écoutez,onvad’abordvérifierquetoutsepassebienpourvoussurvotrelieudetravail.Quevousvousréadaptiezbien.Unefoisqueceserafait,ilfaudraquel’oncreuse.Vousêtesd’accord?

Non.

—Pasdeproblème,luiréponds-jeavecunsourire.

Elleestsceptique,maisjenepeuxpasluireprocheraprèstout.

—Bon,onvas’arrêter làpouraujourd’hui.L’heureestécoulée.Vouspasserezpar lebureaudumédecinenfacedumienpourqu’ilvousexamine.Ilvoussigneralecertificatd’aptitudesi toutestOK.Nousnousrevoyonsvendrediprochainpourvoirsivotresemaines’estbienpassée.Sijamaisvous ressentezde lacolèreoude la rage,n’oubliezpasnospetitsexercicesde respirations.Etmaporteresteouvertesibesoin.

Jehoche la tête enpinçant les lèvres. Jen’iraipaspleurerdans songironpour ça.Matt saitmecanaliser. Jen’aibesoindepersonned’autre. Je luidonnecequ’elleveutpourobtenircequ’ilmefaut.Pointbarre.

Jeluiserrelamainetquittecettesalledetorturepourrejoindrelebureaudutoubibdel’autrecôtéducouloir.

Jemedéshabilledanslepetitvestiaireetentredanslapièceensous-vêtements.Ilmesalue,puismepèse,memesure,prendmatension,vérifiemoncœuretmespoumons,mepalpe.Bref,unexamencompletavantquejeretournem’habiller.Jem’assiedsetattendslabatteriedequestionshabituelles.

—Ilnemanqueplusqueladatedevosdernièresrèglesetvouspourrezpartir.

Mabouchedit:

—Le12.

Etmoncerveau,lui,commenceàréfléchiràcettedernièredate.

Combiendecyclesj’aimanqués?Aumoinsdeux.Merde,c’estpasvrai!Commentj’aipuoublierça ! J’ai eu pasmal de soucis de poids ces dernières années et il est vrai quemon cycle en a étéaffecté, mais dernièrement, tout était rentré dans l’ordre. Je me suis tellement focalisée sur marelationavecMattetmonretouràl’Agencequej’enaioubliél’essentiel.Putain,ilfautquejefasseuntest.

—Trèsbien,vousdonnerezçaàvotresupérieur.Ilvafalloirquevousfassiezuncheck-upcompletlemoisprochain.Celuidudossierestobsolète.

J’acquiesce,attrapelespapiersqu’ilmetend,etsors.

Lapremièrepharmaciequejecroisemepermetd’acheterleprécieuxtest.

Mattn’estpaslàquandjerentreetc’esttantmieux.

Trois minutes plus tard, deux barres bleues s’affichent sur le bâtonnet blanc. Positif. Je suisenceinte.Enfinprobablement.Ilfautquejefasseuneprisedesangpourenêtresûreetcertaine.

Putain !Unbébé !Qu’est-ce que je vais dire àMatt ?On en a parlé il y a quelquesmois, on aenvisagé la possibilité de créer unpetit être,mais en aucun cas nous n’avonsdésiré que ça arriveréellementni aussi vite.Est-ceque je suis capabled’affronter ça ?Devenirmère alorsque je suisorpheline?Quej’aibeaucoupdemalaveclesrapportshumains?Certes,jemesuisaméliorée.MattetMaxpeuvententémoigner,maisest-cesuffisant?Ai-jecetinstinctmaternel?Moi,quidétestaiscesgaminsquicouraientpartoutàlalibrairie.EtsiMattn’enveutpas?Partira-t-il?

Jecommenceàpaniquerdanslasalledebain,cebâtonenplastiqueentrelesmains.Çapeutêtreunfauxpositif.Après tout, jeprends lapilule.Pourquoiserais-jeenceinte?!Oui,çadoitêtreun fauxpositif.Ilnemeresteplusqu’àvérifier.Jenepeuxpasallerdansuncentre,l’Agencesurveilletout.Ilfautque j’emprunteunevoiemoins légale.Jeconnaisquelqu’unquipourramefairecetteprisedesangetl’analyse.Jeluipasseuncoupdefileetfixeunrendez-vousdemainmatin.J’aurailaréponsedanslajournéeetjeseraidébarrasséedecestupidedoute.

**

J’ailaréponsedanslesmains.Jesuisrentréeavantdel’ouvrir,ressentantlebesoind’êtrechezmoi

pourdécouvrirlavérité.Majournéen’apasététerriblealorsj’espèrequeceboutdepapiersauramerendrelesourire.Mattestencoreauboulot.Jem’installedanslecanapéetdécachettel’enveloppe.

« Taux HCG supérieur à 80 000 mlU/ml. Test positif. Âge de la grossesse approximative : cinqsemaines.»

Jesuisenceinte.

Unrireétrangem’échappe,unelarmeroulesurmajoueetunejoieindescriptibleserépanddanstoutmonêtre.

Jesuisenceinte.

J’attendsunbébé.

LebébédeMatt!

Jepleureenriantcommeuneimbécileaumilieudusalon.

Pourquoi jenem’inquiètepas?Pourquoi jen’angoissepas?Jen’ensais rien,mais jemesenstellement bien. Et je prends les deux décisions les plus importantes dema vie. La première est degardercebébéetdel’éleveravecMattcarjesaisqu’ilnepourrapasmelaissertomberpourça,bienaucontraire.Quandjevoistoutl’amourqu’ilmeporte,ilnepourraqu’êtreheureuxd’êtrepapa.Etpuis, je décide de quitter l’Agence. Je ne peuxpas continuer à partir enmission et risquermaviealorsquejecommenceàconstruirequelquechosedetellementmieux.

Dèsdemainmatin, j’iraivoirGeorgeset luiannonceraiquejedémissionne.Ensuite, jerévéleraitoutàMatt.J’aitellementhâtedevoirl’expressiondesonvisage…

**

Georgesaacceptéquejeparte,àlaseuleconditionquejefassecettedernièremissionavecmonunité.Après,jeserailibredetoutmouvement.Jesuisrentréealorsàlava-viteafindefairemonsac.

—Salut,chéri,lancé-jeàtraversletéléphone.Jedoispartircesoir.Missionspéciale.Jeseraideretourd’icideuxjours,jepense.

—Bee,j’aimepasça…

—Tu savais que ça arriveraitMatt, lâché-je doucement.Ce n’est pas grand-chose.Ça ne risquerien.

—Tumemens,Honey,jelesens.

—Jeseraiprudente,d’accord? luipromets-jeenouvrant leplacarddenotrechambred’ami.Jecherchelapetitevalisemarron,tusaisoùelleest?

—Sûrementdans ledressingde l’entrée. Ildoityavoir tonpasseportdans le tiroirdedroitedubureau.

—Oui,jel’aitrouvé.Ilnememanquequecettefoutuevaliseenfait.

Quelquechoseattiremonattentionjusteavantderefermerlaportecoulissante.Unsacàdosnoirquin’estabsolumentpasàmoi.

—Quandest-cequetuparsexactement?medemandeMatt.

—Dansdeuxheures.Ilfautquejesoisàl’aéroportdansmoinsdetroisquartsd’heuredoncjedoism’activer.

Jetiresurlesacenveillantànerienfairetomberetm’assiedssurlelitavantdel’ouvrir.

—Promets-moidefaireattention.

—Jetepromets.

—Jet’aime,Bee.

—Jet’aimeaussi.Jeseraivitederetouretonfêteraçad’accord.Jetelaisse.

—Soisprudente.

—Promis.

Je coupe la communication en regrettant de ne pas avoir le temps d’aller l’embrasser avant departiretposeletéléphoneàcôtédemoi.

Quand je vois ceque contient le sac, je deviensblanche. Il y a prêt de cinquantemille euros en

petitecoupure.J’ouvrelestroispasseportsquicomportentchacununephotodeMax,unedeMattetunedemoi,maisaucunn’estànosnoms.Cesontdesfaux.Etpuis,ilyauntitredepropriété.UnevillabaséeauxMaldives.Jetournelespagesdudocumentàmonnometlasignatureenbasmedonnelanausée.C’estcelledeTony.Qu’est-cequec’estquecettemerde?

«Jeveuxque,sijamaisilm’arrivequelquechose,tuailleslà-bas.Ilyauncoffre.Lecodeestlemêmequeceluidel’alarmedelamaison.Tul’ouvresettuprendscequ’ilyadedans.Tuprendstout.Tum’entends?»

LavoixdeTonyrésonnesoudainenmoi.Est-cequecesacsetrouvaitdanscecoffre?Sic’estlecas,comments’est-ilretrouvéchezmoi?Iln’yaqueMattquiaitpufaireça.Maiscommentl’a-t-ilsu?Depuiscombiendetempsest-illà?Ungoûtameremplitmabouche.Mattn’apufaireçaderrièremondos,impossible.Impossiblequ’ilpuisseêtreaucourant.

Je remets tout en place et vais fairema valise en quatrième vitesse sans cesser de penser àmatrouvaille.Ildoityavoiruneexplicationlogique.JedemanderaiàMattquandjereviendrai.Oui,toutvas’arrangeretonvivraheureuxtouslestrois.

17

Missionfinale

Quatrejourssesontécoulés.

Nous avons fait beaucoup de repérage, glané des infos…C’est plus compliqué que ce que l’onavaitprévu.Mais,nousavonsfinipardénicherunmoyend’intervenirsanstropdedanger.

Cesoirestlegrandsoir.

Thomasapréparénossacsdanslajournée,Medhiapasséenrevuenosarmesetl’hélicoptèreestparéàdécoller.Noussommesprêts.

Leplanestsimple.Onnouslargueàdixbornesdelademeureparavion,onypénètresanssefaireremarquer,ontrouvelecolis,onlesortdelà,ons’extraitparlaserreetl’héliconousrécupèresurletoit.Onaexactementdeuxheuresettrente-quatreminutes.Pasplus,pasmoins.Autantdirequ’iln’yapasdeplacepourunimprévu.

Jusqu’àprésent,toutsedérouleàmerveille.Leparachutages’estbienpassé.Lafloreetlanuitnousont permis d’avancer sans problème jusqu’à la ville. Nous avons neutralisé silencieusement lesquelquesgardes qui se trouvaient sur notre passage et nous avons enfin libéré le journaliste de sacellule.Ilnenousresteplusqu’àrallierlaserre.

Letimingestparfaitpourl’hélicolorsquel’onpénètredansl’immenseverrièreoùlavégétationestsublime.

Nous sommes tous équipés d’un grappin électrique. Je sors celui pour notre colis et Thomasm’aide à lui attacher les harnais.Medhi et Claire passent les premiers. Ils trouvent une lucarne etmontentsanssoucissurletoit.Onleurenvoielejournaliste,qu’ilsréceptionnentsansencombreetlesécuriseàl’extérieur.L’hélicosefaitentendre.Ilnefautpasqu’ontraîne.Nousnousarrimonsàlamêmepoutre.Thomass’élèveavantmoi.Jelaissequelquesmètresnoussépareravantdesuivresonascension.Maisquelquechosesepasse.Unechosequidépassemonentendement.

JevoisclairementThomasdégainersonseptmillimètresettirerdanslevidesanssilencieux.Lesballes touchent les vitres aux alentours qui explosent aussitôt. Je regarde mon collègue avec

incompréhension.

C’estquoicette…Putain!

Moncordageestendommagé!

Ilsedélite,maisilesttroptardpourmoi.Leliencèdeetc’estlachutelibrepourmoi.Àpeuprèscinqmètresplusbas, j’atterris surmonépaulegauchequi craque sinistrement.Toutmon flancmelance.Monsouffles’expulsedemespoumonsbrutalementetj’aidumalàreprendredel’air.

Bordel,çafaitunmaldechien!

Thomasnemeregardemêmepas.Ilrejointlesautressanssesoucierdemoi.

Maisqu’est-cequec’estquecebordel?!

L’hélicoarrive,maisiln’estpasleseul.J’entendsdespaslourdss’approcher.

Faischier!

L’armadavientvoircequ’ilsepasse.Ilfautquejebougedelà.J’aibiencomprisqueL’Agencemelaissetomber.Aprèstout,qu’est-cequej’attendais?Jesavaistrèsbienqu’ilétaitdifficiledequitterl’unité,dumoinsvivantetenbonnesanté.

ConnarddeGeorges!

EnculédeThomas!

Qu’ilsaillentpourrirenEnfer!

Jememetsdifficilementàgenouxavantdemepencherpourvomir.Mauvaissigne.

Je fais un bilan des dégâts, à quatre pattes, le nez dans le reste de patte de cemidi.Mon épaulegauche doit être démise parce que mon bras pend. Ma hanche du même côté doit avoir subi demultipleslésionsauvudeslancementsquejeressens.Matêteadûprendreunsacrécoup.Dusangcouledansmanuque.Jen’aipaslechoix.Ilfautquejemelèveetquejemetired’iciparmespropresmoyens. Si le propriétaire des lieuxme trouve, je suismorte.On se connaît bien. J’ai participé àl’éliminationdesonfilsquandjefaisaismesclasses.

Seshommesvontd’abordsuivrel’hélico.Personnenem’avuepourlemomentausol,cequiestungrandavantage.Jem’enfoncealorsenboitantdanslavégétationhaute.Ilfautquejesorteparune

des vitres que Thomas a brisées. C’est ma seule issue possible. Mais quand je m’approche del’ouverture, mon cœur me remonte dans la gorge. Je n’y arriverai jamais. La pelouse grouilled’hommes.Despick-upquittentlapropriétépoursuivrel’hélico.Destirsdemitraillettesdéchirentlecieldansl’espoird’abattrel’engin,maisilestdéjàhorsdeportée.Entrelescoupsdefeuetlesordrescriésdepartout,jemesensperdue.Matêtetourneetunnouveauhaut-le-cœurmeprend.

Commentvais-jefairepoursortirdelà?

Jen’aipasledroitd’abandonner.Jenepeuxpasbaisserlesbras.IlfautquejeréfléchisseetquejetrouveunesolutionparcequeMattm’attendetquejeportenotreenfant.Aprèsmachute,jepriepournepasl’avoirperdu.J’aitellementmalpartoutqu’ilm’estimpossibledesavoirsimoncorpsabriteencoreuneviesupplémentaireounon.

Faitesjustequ’ils’accroche.

Jetiremonsacàdosavecmonépauleenvracetfaisl’inventairedemesaffaires.

VachierThomas!

Unebouteilled’eau,unecouverturedesurvie,uncouteaudechasseetunchargeur!Cefilsdeputea préparé les sacs ! Je mettrais ma main à couper qu’il a entaillé mon cordage juste avant ledécollage.Ilsavait ! Ilsavaitet il lesa laissésfaire!Ilm’aabandonnéeenterritoireennemi!Lui,monfrèredecœur!

Jen’aipasletempsdem’apitoyersurmonsort.Ilfautquej’agisserapidement.Cespick-upsontmaseulechancedesortie.Jevérifiemonflingue,glissemondeuxièmechargeurdansmapocheetaccrochelecouteauàmaceinture.Lereste, jel’abandonne.Çanemeserapasutileet ilmefautlemoinsdechargespossibleétantdonnémonpiteuxétat.

Jeveilleàresterdansl’ombreetm’approchedesvéhicules.Aveccetteeffervescence,personnenemeremarque.Untypeestdosàmoisurleplateau.

Trèsbien,cetenginestpourmoi!

Lourdement,jeparviensàmehisseràbordalorsqu’ildémarre.Legarsm’entend.Heureusementpourmoi, j’arrive à lemettre au sol d’unebalayette et à lui trancher lagorge aussi sec.Lesdeuxautresdansl’habitaclenesesontrenducomptederien.Detoutefaçon,aveccebruit,ilsnel’auraientpasentenducrier.Jemetapiscontrelacloisonquimeséparedesoccupantsrestantsdelavoitureafinqu’ils ne puissent pasme voir avec les rétroviseurs.On passe le portail. Il va falloir que je saute

bientôt.Dansunfausséprofonddepréférence,avantquenousparvenonsenvilleparcequ’aveclesréverbères,ma position risque de devenir délicate.Mais bien entendu, avecma chance, rien ne sepassecommeprévu.Leconducteurcrieun trucetsonacolytese retournepourvérifiercequefaitleurtroisièmecollègueetiltombesurlamarredesangqu’ilalaissé.

Faischier!

Jelèvemonarmeetfaisfeuavantqu’iln’arriveàsaisirlasienne.Maballetraversesoncrâneetéclatelepare-brise.Levéhiculezigzagueunpeuàcausedesdébrisdeverrequereçoitleconducteur.Jeballotteletempsqu’ilretrouveunecertainestabilitésurlaroute.Ilfautquejerentredanslacabine.Jetiredanslavitredelaportièrecôtépassageretypénètrerapidement,lespiedsenavant.Uneballesiffleprèsdemesoreilles.Jeréagisauquartdetour.Monpiedcoincelepoignetdemonadversairecontreletableaudebord.Uncouppartdanslapénombredelanuit.Del’autre,jemartèlesesdoigtspourqu’illâcheprisesursonGlock{3}.Iltournebrusquementlevolantàgauchecequimeprojettecontrelui.Monépaulecognecontrelasienneetm’arracheuncridedouleur.Dansl’action,maprisesursonbrass’estdesserrée.Ceconnardlèvel’armesurmoi.Sansréfléchir,jemejettesurlapoignéede la portière côté conducteur contre laquelle il est pressé et l’ouvre brutalement. Je lui donne ungrandcoupdereins,m’accrochedemonbrasvalideauvolantetlepousseàl’extérieurenredressantla trajectoire.Uneballes’écrasecontremongiletenkevlarsurmescôtesgauches.Monsouffleseretrouvecoupé,maisjenedécélèrepaspourautant.Misàpartquelquesosbrisés,iln’yapasplusdemal.Pourlemoment,jenem’ensorspassimal,mêmes’ilestexactquemoncorpsestbienesquinté.

Iln’yaqu’unseulgroupedepersonnesquipourram’extrairedupaysetmedonnerquelquessoinsparlamêmeoccasion.JedoisrentrerenFrance.Jen’aiaucunpapierd’identitésurmoietjesaisquemêmesijetrouvel’ambassadedeFrance,aucunfichiernemereconnaîtra.Georgesadûs’occuperd’effacerlamoindretracedemonexistence.

Lesrebellesm’aideront.Enfin, j’espèrequ’ilsonttoujourslesmêmesalliancesqu’ilyadixans.Deschangementsontpus’effectuersurunepériodeaussilongue,maisilfautquejetentemachance.Ilest impératifquejerentreauprèsdeMatt.Jedoisessayerparcequejen’aiaucuneautresolutionpourlemoment.

**

Assisesousquelquestôlesformantunsemblantdemaison,jetentedereprendremonsouffle.J’aiabandonnélavoitureunpeuplusloinquecebidonville.Lescinqkilomètresquej’aiparcourusontétécompliqués.Jemetraîne,plusquejenemarche.Quelqueshabitantsm’ontrepérée.Iln’yaplusqu’àattendrealorsquel’onviennemecueillir,enpriantpourcettepartiedelavillesoittoujourssouslajuridictiondesrebelles.Sinon,jesuisfoutue.

Lafaim,lasoifetladouleurm’assaillent.Ilfautquejeluttepoursurvivre.Jesaistrèsbienquejenepeuxpasfuirdanscetétat-làpluslongtemps.

Au loin, les vrombissements demoteurs se font entendre.Quelques gosses qui traînaient par làdéguerpissent rapidement. Un homme cri et des portières s’ouvrent. Lorsque les individus entrentdansmonchampdevision, lesoulagementm’étreint.Rienqu’àleurdégaine, jesaisqu’ilssont lesrebelles.Troistypesmemettentenjoueimmédiatement.Jemeredresseavecquelquesdifficultésetlèvelesmainsenl’air.

—JesuisMayaCarleson,dis-jefortementpendantquedeuxautresgarsdébarquent.

L’un d’eux sort un téléphone et passe un coup de fil. Je ne comprends pas tout, mais ils meramènentàceluiqu’ilaauboutdelaligne.Ilsm’attachentlesmainsdansledosetmefontmonterdanslevéhicule.

Personneneditunmot.

Onseregardetousenchiensdefaïenceletempsdutrajet,quimesembledureruneéternité.

On finit enfin par arriver à un vieil immeuble en ruines et ils coupent lemoteur. Sans tropmeménager,onmesortdelavoitureetjelâcheungémissementdedouleur.

Cetabrutiaattrapémonbrasgauche,putain!

On descend dans un sous-sol qui sent le moisi. Il me jette presque dans une pièce sombre necontenant qu’un lit rouillé et un matelas humide. J’attends environ une demi-heure avant de voirapparaîtredumonde.Troishommesetunefemme.Celle-cim’inspected’aborddeloinpuis touchedoucementmonbras.

—C’estdéboîté,medit-ilavecunhorribleaccent.

—Jesais,grimacé-jequandsesdoigtseffleurentmonépaule.

— Il va falloir enlever vos vêtements que je puisse vous examiner complètement. Ensuite, on

remettraçaenplace.

Jehoche la têtepositivement.Leshommes sortent,maisun revient avecdumatérielmédical. Jepeineàmedéshabiller,alorsellem’aideunpeu.Quandjesuisensous-vêtements,jelouchesurleshématomesquicouvrentmoncorps.

Merde,jesuisvraimentmal!

Ilvamefalloirdessemainesavantdepouvoirretrouver100%demescapacités.Ellem’examineaucompletetjeluiexpliquesommairementcequ’ils’estpassé.

—Épauledéboîtée,côtesfêlées,hancheluxée.Suturecrâne.

Sa prononciation est vraiment à chier,mais je ne vais pasm’enplaindre nonplus, j’ai comprisl’essentiel.

—Remettreenplace,medit-elleenpointantdudoigtmonbrasquipendouille.

Jeserrelesdents,sachantqueçaneserapasunepartiedeplaisir.Letypearrivederrièremoietmeceinturepourm’immobiliser.Latoubibmeprendlepoignetetmefaitfairetroismouvementssecs.

PUTAIN!!!

J’étouffeuncridedouleurquandl’osretrouvesaplace.Ellefabriqueuneécharpedefortuneavecunboutduvieuxdrapquitraîne,puismedemandedem’allongerafindesuturerlaplaiequientaillelehautdematempe.L’aiguillemordmachairàchaquepassageetlefillabrûle,maisjerestestoïque.J’ai l’habitudede ce genre de soin.Elleme tendundébardeur en fin de vie et unpantalon souplemiteux.Paslapeinedefairemamijaurée,jen’aurairiendemieux.Ensuitevientcequej’attendais.

Antidouleurs!

Dieumerci.

Jeplanelaminutesuivanteetplongedansunsommeilcomateux.

J’entends au loin du bruit, des cris, des salves de coups de feu. Je suis dans un état second, j’ail’impressiondeflotter.Maboucheestpâteuseetmesmembressontpluslourdsqueduplomb.Mespaupièresselèventàpeine.Toutestflou.

Laportedemacellulegrinceetquelqu’unentre.Onmeparleenarabe.Jenesaisispastout.Deuxbraspassentsousmoncorpsetunpicdedouleurm’envahit,aupointdemefairesombrerdenouveaudanslesténèbres.

Lorsquejereviensàmoi,jesuisdansunevoiture.Unecamionnetteplutôt.Jesuisallongéesurunbrancardetuntypeestpenchésurmoi.Ilm’injectequelquechose.Jecroisesonregardsombre.

—Toutirabien,medit-il.

Jepanique,maisn’arrivepasàbouger,moncorpsétantencoretropengourdi.

—Neluttepas.Onteramèneàlamaison.

Lamaison?Quellemaison??Mavisionsebrouilledenouveaumalgrémesréticences.

18

Invitésurprise

C’est une odeur que je perçois en premier.De la fleur d’oranger, ilme semble. Puis, j’entendsdistinctementlesbipsincessants,maisréguliers,d’unmonitoring.Mespaupièrespapillonnentunpeu,mes prunelles étant agressées par cette luminosité vive. La première chose que je vois, c’est maperfusion à la main gauche. Je lève un peu la tête et visiblement, ce n’est que du sucre qu’onm’injecte.Jesuisdansunechambreauxcouleursclaires,sousdesdrapsblancsd’unlitkingsize.Laporte-fenêtreestouverteetleventfaitdanserlesfinsrideauxgrisperle.Dehors,ilfaitbeauetdoux.J’ail’impressiond’entendrelamers’écrasersurdesrochersplusbas,maisjen’ensuispascertaine.D’ici,jenevoisrien.Jetentedebougermesdoigtsdepieds,puismeschevilles,enfinmesjambes,puis mes bras. Mon épaule est toujours en écharpe et me tire une grimace lorsque j’amorce unmouvement.Jemerelèvetoutdoucement.Mescôtesmefontunmaldechien.

Bordel!

Pourtant, il faut que je me lève et que j’observe un peu ce qu’il y a aux alentours. Je ne saisabsolument pas où je ne suis ni chez qui, ce qui me pose un gros problème. D’autant plus quephysiquement,jesuismalenpoint.Maisjedoismesortirdelà,pourlebébé,pourMatt,pourmoi,pour nous. J’enlève donc en premier la perfusion. Puis les patches sous ma blouse blanche. Lemonitoringémetalorsunsignalcontinuetréveilleunmaldecrânequasiinsoutenable.J’arriveàledébrancherrapidementenmesoutenantcontrelemur.

Jesuisfaible.Jeleremarquemaintenantquejesuisdebout.Matêtetourne,mesjambesflageolent.

Allez,Maya,reprends-toi!

Mais je n’en ai pas le temps.Laporte s’ouvre avec fracas et deux types entrent. Je reconnais lepremier.Jejetteunœilauxalentourspourrepérerquelquechosequipourraitressemblerdeprèsoudeloinàunearme,maisnevoisrien.

Legarsdelavoiturelèvelesmainscalmementavantdeprendrelaparole:

—Personneneteveutdemal,Maya.

—Oùest-cequejesuis?

Mavoixsortrauqueetéraillée.

—Cheztoi.

—Çam’étonnerait,tuvois,raillé-jeenmecollantunpeupluscontrelemurquandjesensquemesjambesnevontplusmeporterlongtemps.

—Écoute,recouche-toi.Tahancheaétéfragiliséeparlachute,ellen’estpasbrisée,maisilfautsurveillerlaconsolidation.Situtombesmaintenant,jenegarantisrien.

—Letoubibm’aditqu’elleétaitluxée.

—Heureusementpourtoiquenon.

—Quies-tu?

—Jem’appelleMalik.Jesuismédecin.

—Àlabonneheure!

Ilfaitunpasdeplusversmoi.

—Resteoùtues,toubib,craché-je.

—OK.Alors,assieds-toi.

—Vatefairefoutre,putain,soufflé-je.

Moncorpstrembleetunegouttedesueurnaîtsurmonfront.

—Tuestropfaiblepourjoueràça.Recouche-toimaintenant.

Jerisunpeujauneetledéfieduregard.

—Trèsbien,onpasseundeal.Tuterassieds,tumangesetaprèsjet’autoriseàtebaladerdanslamaison.Çateva?

—Tumeprendspourqui?Jenesuispasunedébutante!Qu’est-cequeçacache?

—Rien.Tuescheztoiici.C’estdoncnormalquetuycirculescommetulesouhaites,non?

—Àquiestcettemaison?

—Àtoi,merépète-t-il.

—Oùest-cequ’onest?

—AuxMaldives.

Mon sang se réfugiedansmesorteils.Tonym’aachetéunemaisonauxMaldives. J’aivu l’actenotariéavantdepartir.

—Quiêtes-vousetcommentvousm’aveztrouvée?

—Quelqu’unrépondraàtesquestionsplustard.Ilfautd’abordquetureprennesdesforces.Sacheseulementquetun’asrienàcraindredenous.Alors,inutiledechercheruneissue.Tuesensécurité.

Pourlemoment,jen’aipasd’autreschoixquedelecroire.Etpuis, jesuistropsonnéeparcetteannoncequejem’assiedssurlematelasetleregardequitterlapièceavecsonacolyte.Commentest-ce que j’ai bien pu atterrir ici ?Qui avait connaissance de l’existence de cettemaison ?Est-ce unleurre?

Je ne sais pas pendant combien de temps je me perds dans toutes ces questions. Peut-être dixminutes,unedemi-heure.Guèreplus.Laportedemachambres’ouvredenouveauetcequ’ellemedévoilemelaissebouchebée.

—Myriam?murmuré-je,àdemiconsternée.

— Hé bien, ma jolie, on a encore fait des siennes, paraît-il, rétorque-t-elle dans un splendidesourire.

—Je…Maisqu’est-cequevousfaiteslà?

—Cequej’aitoujoursfait.Jeprendssoindevous.

Elleposeunplateau-repassurlacoiffeuseavantdevenirm’enlacer.J’acceptesonétreintedouceavecjoie.Jemesensrassuréedeconnaîtrequelqu’un,ici.

—Ilvafalloiravalerunpetitquelquechose.Aprèsquoi,jevousemmèneraivoircettesplendidevuequel’onadepuislaterrasse.Prendrel’airvousferaleplusgrandbien.Vousêtesunpeupâlotte,ajoute-t-elletoujoursaveclesourire.

Moncœurseserreunpeuquandjerepenseàlapersonnequinouslie.Enfin...nousliait.

—Myriam,maisqu’est-cequevousfaiteslà?Réellement,jeveuxdire.Commentvousêtes-vousretrouvéeici,danscettemaison?

Lavieillefemmelisseunpeusontablierbleuavantdereprendrelaparole.

—Tonym’ademandédeveillersurvous,alorsc’estcequejefais.

—Commentavez-voussuoùjemetrouvaisetcommentavez-vouspupayercestypesafinqu’ilsmeramènentjusqu’ici?

—Tony avaitmis beaucoup demonde en place pour qu’il ne vous arrive rien. Je n’ai pas faitgrand-chosemisàpartpréparervotrechambreetvérifierqueriennemanque.L’équipes’estchargéedureste.

—Jenecomprendspas.

—Çaviendra.Bientôt.

—Vousétiezaucourantqu’ilm’avaitachetécettemaison?

—Je…Depuisquandsavez-vouspourlamaison?m’interroge-t-elle,unpeusurlaréserve.

—Justeavantquejeneparteenmission.J’aitrouvélespapiersencherchantunsac.Quelledatesommes-nous?

—Le15.Vousn’êtesiciquedepuistroisjours.

—Matt…

—NevousinquiétezpaspourMatthewetMax.Uneéquipeestpartieleschercherhier.Ilsserontbientôtparminous.

—Jenesaispastropquoipenser,soufflé-jeenpassantmamainvalidesurmonvisage.

—Danscecas,vousdevriezmangerunpeu.Onréfléchittoujoursmieuxavecl’estomacplein,ellemeditenallantchercherleplateau.

Elleledéposesurmesgenouxets’assiedprèsdemoi.

Je picore plus que je ne mange. J’ai beau me forcer, mais rien ne passe. Myriam a, commetoujours,cuisinédélicieusement,maisjen’arrivepasarrêterleflotdequestionsquitourneenboucle

dansmatête.

—Vousdevriezmangerplusqueça,surtoutdansvotreétat.

Sontonestàlafoisautoritaireetdoux.Jecroisesonregardetquelquechoseaufonddemoimeditqu’ellesaitpourmagrossesse.

—Ilsm’ontfaitdestestssanguins?luidemandé-je.

Elleacquiesceetd’instinct,jemetsunemainsurmonventre.

—Vousêtesaucourant,alors?

—C’estunetrèsbonnenouvelle,Maya.

—Jecrois,oui.Ilestenbonnesanté?

—Vousavezeubeaucoupdechance.Ilvatrèsbien.

Jesuisvraimentrassurée.Pourtantjen’arrivepasàafficherunsourireresplendissantetlavieilledameleremarquetoutdesuite.

—Qu’est-cequivoustracasse?

— J’ai trouvé ce sac avec ce que Tonym’a légué dansmon placard. Je ne suis jamais allée lechercher.Et…jepensequeMatt…quec’estluiquil’arécupéré.Maisjenesaispascommentilapuêtreaucourantpourçaetjenecomprendspaspourquoiilnem’ariendit.

—Qu’est-cequevouscraigniezréellement?

—Qu’ilnesoitpasceluiquejepensequ’ilest.

—Luiavez-vousdemandéuneexplication?

—Jen’aipaseuletemps.Jeneluiaipasditnonpluspourlebébé.Ets’iln’estpasl’hommequejecroyais?Jenepensepaspouvoiréleverseuleunenfant.

—Jesuiscertainequ’ilavaitunebonneraisonpourvousavoircachécesac.

—Etsijenepeuxpasluipardonner?

—Vousverrezçad’iciquelquesjours.Mais,jesuispersuadéequeçaneserapaslecas.

—Commentpouvez-vousêtreaussisûre?

— Tout ce qu’il a fait jusqu’ici, c’était uniquement pour vous. Ce ne doit pas être unmauvaishomme.

J’espèretantqu’ellearaison.J’aimetellementMattquejenepeuxpasconcevoirqu’ilm’aittrahie.

—Reprenezunepartdetarte,pourlebébé.Ilfautfaireattentionausucré,maisonverraçademain.

Elleserremamainavantdepoussermonassiettedevantmonnezetjemelaissetenter.

Aprèsavoiravaléladernièrebouchée,Myriamrécupèreleplateauetsortquelquesinstantspourreveniravecunfauteuilroulant.

—Qu’est-cequec’estqueça?luidemandé-jeavecunairfarouche.

—Nevousbraquezpasmaintenant.Vousêtesencoretropfaiblepourmarcherjusqu’àlaterrasse.

—Jenemontepaslà-dedans.Jepeuxmarcher.

—Lemédecinvousledéconseille.Votrehancheestfragilisée,ilfautlasoulagerunmaximum.

—Pendantcombiendetempsvais-jedevoirmebaladeraveccefichuengin?

—Quandvousaurezreprisdesforces,onpourraenvisagerdevouslaissergambadertouteseule.Maisvousenêtesencoreloin.

Je soupire bruyamment, mais elle a raison. Sans compter que si je me fracture la hanche entombant parce que j’aurai fait ma forte tête, l’opération pourrait avoir un gros impact sur ledéveloppementdubébé.Ilvautmieuxquejeresteprudente.Meschoixnem’affectentplusseulementmoi,maintenant.Myriamvoitquejecapituleetvientalorsm’aideràmelever.Elleposeunplaidsurmesjambespuismepousseendehorsdelachambre.Nouslongeonsuncouloird’unblancmaculéquidébouchedansunegrandepiècedevie.Unedesbaiesvitréesestouverteet la légèrebrisequisecouelefeuillagedescitronniers,dehors,s’engouffredansmescheveux.L’airmarinm’emplitlespoumons. Pas de doute, l’océan n’est pas loin. Je le vois, presque àmes pieds, quandMyriammepoussesurlaterrasseenboisexotique.Laplages’étenddevantmoietl’eauturquoisevientgrignoterlesableblancparintervallesréguliers.C’estunpaysageidylliquequis’offreàmoi.Unsourireniaiss’affichesurmonvisage.Myriamsecontentedeserrermonépauleavantd’ouvrirungrandparasolau-dessus demoi. Elle s’installe sur le transat, àmes côtés, et attend patiemment que je prenne laparole.Maisjen’enaipasenvie.Jemedélectedecettevuesplendide.

J’airegardélesoleilsecouchersurcetteeaupresquetransparentepuisMyriamnousafaitrentrer,leventdevenantunpeufrais.Ellem’apréparéunpetitplatdelasagnesausaumonquej’aiengloutirapidement.

Je l’observe s’affairer dans la cuisine ouverte, tandis que je bois mon thé, assise sur un destabouretsdel’îlotcentral.Ellemeparledutempsdedemain.Qu’onpourraitpeut-êtresortirunpeudelavillaetmefairevisiterlaville,Malé.

Etpuis,jesenslaprésencedequelqu’und’autredanslapièce.

Mespetitscheveux,surmanuque,sehérissent,l’airsembles’alourdir.

Sanscomprendrepourquoimesmainstremblentetmagorgesenoue.Puis,unmotestprononcé,unsurnomquejenepensaisplusjamaisentendre.C’estunmurmureincertain,presqueinaudibleetpourtant,jelecapteàlaperfection.Moncœurcessedebattreetmonsoufflesecoupe.MoncorpssetendetjerelèveleregardpourplongermesyeuxdansceuxdeMyriam.Celle-cim’esquisseunpetitsouriretristeavantdehocherlatête.Jemelaisseglisserdemontabouretetmeretournedoucement,lentement,pascertainedevouloirvoirquiestcetintrus.Mesyeuxembuésaccrochentunesilhouettequ’ils connaissent par cœur et un sanglot m’échappe. Je pose mon mug et porte ma main à mabouche.Jenepeuxpascroirequecesoitréel.Yavait-ilquelquechosedansmonthé?Pourtant, jevois sa poitrine se soulever, j’entends son souffle rapide. Ses pupilles noisette me scrutent avecinquiétude.

—Tuesmort,articulé-jed’unevoixblancheetmeurtrie.

Ilprendunpasversmoi.J’aisoudainenviedefuir,necomprenantpascequ’ilsepasse.

—Chaton,répète-t-ilavecdouleur.

Cette voix, je ne pensais plus jamais l’entendre. Et ça remue quelque chose en moi. Commeaimantée, je m’approche de lui en prenant appui sur l’îlot, afin de vérifier qu’il est bien réel. Àcinquantecentimètres,jem’arrête.Sachaleurm’enveloppecommeelleal’habitudedelefaire.

—Jet’aivumourir,là,dansmesbras.Tonsangs’estrépandusurletrottoir,tonpoulsacessédebattre.Uneballet’atouché.Jet’aivumanquerd’airett’étouffer.

Mesparolesnesontpastrèscohérentes,maisc‘estparcequemespenséesnelesontpasnonplus.

Commentpourrait-ilêtreicialorsquelavieaquittésoncorpsdevantmoi?

—Tuesmort,jet’aivumourir,répété-jedansunsouffle.

Jedeviensfolle,iln’yapasd’autreexplication.Jelèvealorslamainverssonvisage.Ilfautquejesachesijepeuxencoresentirsachairsouslamienne.Ilal’airtellementréel.Sabarbenaissanterâpelapulpedemesdoigts.

—Maya,soupire-t-ilenfermantlesyeux.

Sonhaleinementholées’écrasecontremapeau.Ilalemêmeparfumqu’àl’accoutumée.

Ilestlà.

Tonyestbiendevantmoi.

Vivant!

Mon sangbouillonne alors etmes oreilles bourdonnent.Unevaguede colère s’empare demoi.J’abatsmamainviolemmentsursajoueettapedupoingsursontorse.

—Maispourquoiest-cequetuasfaitça?!luihurlé-jeauvisage.Pourquoiest-cequetum’asfaitça!Est-cequetusaisàquelpointj’aieumaldeteperdre?Àquelpointj’aisombré?Àquelpointjemesuissentieabandonnéeetfautive?!

Jemartèlesespectorauxaveclepeudeforcequ’ilmereste.J’aitellementlarage.Commenta-t-ilpumefaireça!Jeledétested’avoirprovoquétantdedouleuretdedétresseàmonâme.Ilavaitjuréd’êtretoujourslàpourmoi.Iln’apastenusaparole.J’aidûfairefaceseuleàmesdémonsalorsqu’ilavaitpromisdemeprotégeràjamais.Tonym’atrahie!

Ilaccusechaquecoupsansbroncher.Maisjesuistellementfaiblequejen’arrivemêmepasàluifairemal.Jepleureetm’épuiserapidement.Àboutdeforce,jem’appuiesurluietsesbrasseglissentsurmeshanchesparréflexe.Ilmeserrecontreluialorsquej’enfouismonvisagedanslecreuxdesagorge.Sajoueseposesurlehautdemoncrâneetrespireleparfumdemescheveux.

—Tum’astellementmanqué,geins-je.

—Jesuisnavré,chaton.Tellementdésoléd’avoirdûfaireça.

Sesdoigtscaressentdoucementmatêtedans lebutdem’apaiser. Ilme tientcontre luicommesi

j’étaisunepetitechose fragile.Ses lèvres s’appliquentde tempsàautrecontrema tempe,attendantpatiemmentquejemecalme.

—Pourquoias-tu faitça?Pourquoias-tudécidéde fairecroireà tamort? soufflé-jecontre lapeaufinedesagorge.

Je lui en veux vraiment,mais je suis tellement heureuse qu’il soit là, avecmoi.Mes sentimentss’embrouillent,nesachantpassijedoislerepousserouluidemanderdeneplusjamaismequitter.Ilse redresse un temps, suffisant pour pouvoir me fixer dans les yeux. Il empaume mon visage etembrasseavecdouceurmonfront.

—Ilfallaitquejeteprotège,medit-il.Sijesortaisdel’équation,jesavaisqu’ilstelâcheraientunpeu.Etquejepourraisainsiréparertoutlemalquejet’aifait.

Jeleregardesanscomprendre.

—Quelmal?

—Jet’expliqueraiplustard…

—Tony,non…

—Pasmaintenant,s’ilteplaît,chaton.Fairesemblantdemourirdevanttesyeux,voirtonchagrin,et sentir tondésarroim’acrevé lecœur. Je suisvraimentdésolé. Jeveux juste te tenircontremoi,encorequelquesinstants.

Sespupillesnoisettemesupplientpresque.Unelarmecoulelelongdesajouequejem’empressed’effaceràl’aidedemonpouce.Maisd’autresdégringolentaussitôt.Sonétreinteseresserreetsonvisages’enfouitcontremagorge.Jepassemamaindanssescheveuxetleconsoledumieuxquejepeux.

—Toiaussi,tum’astellementmanqué,chaton,merévèle-t-il.

Est-celavulnérabilitédeTony,laforcedesesparolesousimplementmonétatdefatiguequimefaitm’écrouler?Jen’ensaistroprien,maistoujoursest-ilquemesjambescèdentjusteàlafindesaphrasebourréed’émotion.Ilmerattrapedejustesseetmerelèvecontrelui.Myriamaccourt.

—Jevousavaisbienditquelapositiondeboutn’étaitpasbonnepourvous,meréprimande-t-elle.

—Tut’esfaitmalquelquepart?s’inquièteTonyenmevoyantgrimacer.

—Monépaule,sifflé-jeenserrantlesdents.

Quandilm’aétreintepourquejenem’écrasepasausol,monmembreblesséacognécontresontorse,m’envoyantunedéchargededouleur.

—Merde!jure-t-il.

Rapidement,sonbrasdroitpassesousmesjambesetillesoulèveenfaisantbienattentionàcequemonépaulegaucheneletouchepas.

—Qu’est-cequetufais?

—Jet’emmèneaulit.

—Jen’aipassommeil.

—Tantmieux,murmure-t-il.

Avecdouceur,ilmedéposesurlematelasaprèsavoirouvertlescouvertures.J’entredanslelitetmetassedel’autrecôté.Tonymeregardesanstropcomprendrejusqu’àcequejetapotelaplacequej’ai laissée libre. Il semblehésiterunmomentavantdeseglisserprèsdemoi.Dececôtédu lit, jepeux lui faire face sans être appuyée surmon brasmeurtri. Je tends lamain vers sa joue pour lacaresserunefoisdeplus,n’arrivantpasàcroirequ’ilestbienlà,avecmoi.

—Jet’aivuprendrecetteballe,chuchoté-jetristement.Tonsangs’estrépandusurletrottoir,monpyjamaenétaittellementimprégné.

—C’étaituneballeàblanc,m’explique-t-ilenembrassantmesdoigts.

—Dusangsortaitdetaboucheettonpoulsacessédebattre,énoncé-je.

—J’aicroquéunecapsuledesangpourquelerendusoitplusréalisteetThomasm’ainjectéunproduitquiadiminuémonrythmecardiaque.

—Thomasétaitdanslecoup?m’étonné-je.

—Çan’apasétéfaciledeleconvaincre,maislorsqu’ilacomprisquec’étaitpourteprotéger,ilaacceptédemedonneruncoupdemain.

Moncœurmefaitsoudainmal.

—Ilatellementétéinfectavecmoi.

—Ilt’aime.Sinon,ilnem’auraitjamaisaidé.

—Jel’aimaltraitécesdernièresannées.Je…Jepensaisqu’ilétaitpassédel’autrecôté.

Ils’estéloignédemoi,pourmeprotéger.Commentai-jepuêtreaussistupide?

—Ilfallaitquetoutlemondecroiequ’ilnet’aimaitplus,chaton.Ilajouésonrôleàlaperfection.

Àtelpointqu’ilm’aabandonnéeenterritoirehostile,dansunepositionpeuengageante.

—Ils’estarrangépourentamersuffisammentmoncordagepourqu’illâchelà-bas…

—Telaissersurplaceétaitunemeilleureidéequedetetireruneballeentrelesdeuxyeux.

—Tuétaisaucourant?

—Biensûr.Ilm’atéléphonélasemainedernièrepourmedirequeGeorgesvoulaitsedébarrasserdetoipuisquetusouhaitaisquitterl’Agence.Onatoutorganiségrâceàlui.

Jeregrettechacundesmotsquejeluiaibalancésenpleinefigure.Malgrémahaine,ilacontinuéàfairecequ’ilfallaitpourquejesoishorsdedanger.Jemesenssistupideetmauvaise.

—Net’enveuxpas,Maya.

—Ilaétéseulduranttoutcetemps.

—C’étaitleprixàpayer.

—Jel’aitellementdétesté.

—Onaréussiàteprotégergrâceàça,c’esttoutcequiimporte.

—Meprotégerdequoi?

—L’Agenceétaitsur tondos.Georgesne te laisserapaspartir,Maya.Tuesbien tropprécieusepourlui,mêmesitun’espasaussiparfaitequ’ill’auraitsouhaité.Jesavaistrèsbienquesijevenaistechercher,ilauraitpréférétevoirmorteplutôtqu’avecmoi.Ilsnousauraienttraquéssansrelâche.Nousn’aurionspaseuunseulmomentderépit.

—Alorstuaspréférésimulertamort?!m’exclamé-jeavecferveur.

—Oui.C’étaitlameilleuresolutionpourquetupuissesvivreunevietranquille.

—Mais quelle vie tranquille ? À l’instant où tu es mort, ma vie n’a pas cessé d’être un vraimerdier,Tony.Tapertem’acrevé lecœur, j’étaisdansunétatpitoyable. Jen’attendaisplusque ladélivrance.Etpuis,quandj’airéussiàrefairesurface,j’aitrouvéledossier.Jenesavaismêmepasquij’étais.Jen’avaispasd’identitépropre.Jen’étaisqueleproduitd’uneexpériencemilitaire.

—J’auraisvouluêtrelà…

—Mais tune l’étaispas. J’aidébarquédans lebureaudeGeorgesavec la ferme intentionde lebuteretdeprendreuneballeenretour.Jevoulaisquetouts’arrête.Queladouleursetaiseenfin.MaisThomasnem’apaslaisséefaire.J’étaistellementenmiettes.

Mavoixs’effriteetTonyfermesubitementlesyeuxpuisserapprochedemoipourm’enlacer.

—SansMattetMax,jemeseraislaisséemourir.

—Jesuisdésolé.

—Oùest-cequetuétais?Qu’est-cequetufaisaisquandmaviesedisloquait?

Je luienveuxdenepasavoirétéprésentdanscesmomentsdifficiles, luiquim’avaitpromisdetoutfairepourmeprotéger,pouraméliorermonexistence.

—Jeréparaislemalquej’aicausé,chaton.

— Quel mal ? Est-ce que tu peux encore réparer des choses après toutes ces années durantlesquellestuasfaittantdemauvaischoix?J’avaisbesoindetoi.

—Jenepeuxpasrevenirenarrière.Jen’aijamaisétéquelqu’undebien…

—C’estfaux.Tul’asétépourmoi,lecoupé-je,lesyeuxpleinsdelarmes.

—Parcequetoncontactasumerendremeilleur.

—Alors pourquoi as-tu fui ? Pourquoi tu ne t’es pas battu pour qu’on puisse avoir un avenirensemble?

—Parcequec’étaitfini,chaton.Bienavantqueçacommence,d’ailleurs.

—Tudisn’importequoi.

Pourtant, je suisbienconsciented’avoirprononcédesphrasesdumêmegenreàdenombreusesoccasions.

—M’aurais-tusuiviàl’aveugle,dansmacavale?

Jemesuisposécettequestiondesmilliersdefoissansjamaistrouverderéponse.

—Cen’estpasgrave, tusais.J’enétaisconscient.Jesavaisquenousn’aurionspasdedeuxièmechancetouslesdeux.Jenelaméritepas.

—Arrêtededébitertoutescesconneries,m’agacé-je.

—Jesuisenpartieresponsabledecequ’ils’estpasséàl’internat.

Monsoufflesebloque,moncœursestoppe.Quoi?

—JedevaisavoirprislaplacedemonpèredepuisàpeinedeuxmoisquandGeorgesestvenumetrouver.

—PourquoiGeorgesseraitvenutevoir?luidemandé-je,n’encroyantpasunmot.

Çan’aaucunsens.

—L’Agenceestsubventionnéeparl’État,maisçanesuffitpasàcouvrirsesdépenses.Alors,illeurafallutrouverd’autressourcesderevenus.Monpèreleurasignéungroschèquechaqueannéeetencompensation,l’Agenceluigarantissaitsonpetitbusiness.

—Impossible.Onsebatcontredesgenscommetonpère.Onestlàpourfairerégnerl’ordreetlaloi.

—Malheureusement, c’est ainsique le système fonctionne. Je l’avais croiséàplusieurs reprisesavant quemon pèremeure. Je savais comment çamarchait. Georges exige et nous exécutons. Cecontrat nous entrave.Mon père a voulu lui tenir tête une seule fois et deux jours plus tard, je leretrouvaisfroidetsansviesursonbureau.

—Ilm’aditquetul’avaisassassiné,murmuré-je.

—C’estcequeditlarumeur.Rumeurqu’ilafaitcourir.Ilfallaitunsuccesseurmalléable.Etj’étaisjeune. La petite vingtaine. Le candidat idéal. Cette rumeur a tenu en respect un bon nombre depersonnessouhaitantmaplace.Jen’aipaseubesoindetuerdesdizainesdefamillespourfairemon

trou.

Jeleregarde,incertaine.Georgesm’amentisurbeaucoupdechoses.Alorspourquoim’est-ilaussidifficiledecroireTony?

—Commejeteledisais,çadevaitfairedeuxmoisquej’avaiscettenouvelleresponsabilitéquejen’avais en aucune façon souhaitée. Mais c’était trop tard pour moi. Soit je m’appliquais, soit jerejoignais mes parents. Je n’ai jamais aimé ça, Maya.Mais une fois que tu as mis le doigt dansl’engrenage,c’esttroptard.Etj’aiététroplâchepourtoutarrêter.

Ilreplacequelquesunedesmèchesquitombentdevantmesyeuxetcaresseduboutdel’indexmagorge.

—Georgesestvenuunsoiretm’ademandédeluifaireuneliste.Vingtpersonnesavecdescasiers.Destypesviolentsquineverraientpasd’objectionsàsecouerquelquesgosses.

Monestomacseserre.

—J’aidemandéàmonbrasdroitde l’époquedes’enoccuperparceque jen’avaispas le tempspourça.

Savoixsebrisesoudain.

—Sij’avaissu,chaton,jetejurequejen’auraispasfaitça.

J’accuselechoc.Non,cen’estpaspossible.

—J’aifaitlelienimmédiatementquandj’aivulesgrostitres.Desdizainesd’enfants…

—Qu’est-cequetuasfaitensuite?

—JesuisallévoirGeorgespourluidemanderdesexplications.Onavaitditlessecouer,paslesassassiner.Maisluinonplusnesavaitpascequ’ils’étaitpassé.Ilétaitsouslechoc.

—Ilétaitsurplacequandças’estarrivé.

—Jesais.Jeluiaidemandépourquoiiln’avaitpasenvoyéseséquipesarrêterlemassacre.Ilm’aréponduquel’opérationn’avaitpasétévalidéeparleconseil.Qu’ilnepouvaitrienfaire.Ilalaissécesenfantsmourir.

Laragemesaisitauxtripes.

—Quiavaitfaitcetteliste?l’interrogé-jeavechargne.

—Monbrasdroit.Ils’estditques’ilsalopaitleboulot,Georgesmebuteraitetilpourraitprendremaplace.

—Oùest-ilmaintenant?

MonregardestduretTonysaittrèsbienpourquoi.

—Jel’aitué.Çaaétél’undespremiersd’unelonguesérie.J’aifaitleménagepourêtrecertainqueplusjamaisunetellechosen’arriverait.

Est-cesesparolesousescaressesquifontretomberlapressionenmoi?Jenesaispastrop.

—Etcetteliste?Tut’ensouviens?

J’aibesoindeterminermaquête.Pourmapaixpersonnelle.Pourcebébé,monbébé.

—Jemesuisoccupédechacund’eux,chaton.C’estcequej’aifaitdurantcesderniersmois.J’airéparélemalquejet’avaisfait.Ilssonttousmorts.J’aiveilléàcequ’ilssouffrentlepluspossible.Qu’ilspayenttous.Pourtoi.

Moncœurtombedansmonestomac.Tonyafinalementtenusapromesse.

—Tun’avaispasàfaireça,luidis-je.

—Jesuisresponsable.

—C’estfaux.Rienn’estdetafaute.

—Toutl’est.

—Non,biensûrquenon.

Etjelepense.

—Jesuisconscientqueçan’effacerapastoustesmaux,maisçavapermettredet’apaiserunpeu.Tuvaspouvoirvivreenfinenlaissanttesdémonsderrièretoi.

—Pourquoias-tufaitça?

Cettequestionnemequittepas.

—Parce que je t’aime, comme jamais je n’ai aimé. J’ai besoin de savoir que tu pourras vivreheureusemalgrétout.

—Je…

Ma voix déraille et des larmes coulent le long demes joues. J’aimerais lui répondre lamêmechose, j’aimerais être capabledeposermes lèvres sur les siennesetdeglissermesmains sur soncorps qui m’amalgré tout manqué.Mais, j’ai évolué depuis cette époque et ne ressens plus cettenécessitévitaledem’uniràlui.Aujourd’hui,j’aibesoindeluid’unetoutautrefaçon.Ilperçoitmontroubleetmarésistance,commeàsonhabitude.

— Je sais, chaton. Je sais pourMatt et pour le bébé. Je suis heureux pour toi. Je ne vais pas tementir et te dire que je ne voudrais pas être à la place d’Anderson, mais j’ai vu à quel point tusemblais en paix. À quel point tu as changé, tu es devenue tellement plus calme, tellementmoinstourmentée,plusréfléchie,plusposée,plussage.Regarde-toi.Tuferasuneformidablemère.

Je ne sais pas quoi répondre, ni quoi fairemis à partme lover contre lui. Ilm’entoure de sesgrandsbrasmusclésetnousrestonsainsijusqu’àcequenousnousendormions.

19

Qu’est-cequetucaches,Matt?

Quelqu’uncaressema joueavec tendresse.Des lèvres s’appliquent surmon front.Uneodeurdecafé emplit la pièce. J’entends qu’on m’appelle doucement. Je fronce le nez et lâche un petitgémissementavantdefrottermonvisagecontremonoreiller.

—Réveille-toi,chaton.

Jegrogneunpeupour luimontrerque j’émergepetitàpetit.Samainglissedansmondoset lecajolegentiment.J’ouvreunepaupièreetlesoleilm’agresse.Jeclignedesyeuxplusieursfoisavantquemavues’ajusteàcetteluminosité.Tonyestassissurunefesseprèsdemoi.Sesdoigtscontinuentdetracerdeslignessurmapeau.

—Salut,mesouffle-t-il.

—Salut.

—Jet’aiapportélepetitdéjeuner.

Jeluisourisavantd’étoufferunbâillementdemamain.Jem’étiresansaucunegêneetilm’aideàmeredresser.Ilcaleplusieursoreillersderrièremondosavantdeposerunplateausurmescuisses.J’inspectesoncontenuavecunpetitriremoqueur.

—Quoi?m’interroge-t-il.Ilyenamoinsqued’habitude.

—Oui,iln’yapasdethéière,rétorqué-jeavecamusement.

Un sublime sourire illumine son visage. Il a changé, je le remarque maintenant qu’il est à lalumièredujour.Desridesbienplusprofondescreusentlecoindesespaupières.Quelquescheveuxblancsparsèmentsamassenoire.Maisleplusflagrant,cesontsesyeux.Sesbeauxyeuxnoisetteontperdudeleursplendeur.Unvoilesombrelesrecouvre.Mêmesiàcetinstantsonsourireleurdonneunpeud’éclat,cen’estpluscommeavant.

—Prendstesmédocsaulieudetemoquerdemoi,rit-ilenmetendantunpetitbouchoncontenantquatrecachets.

Monsouriretristel’arrêtesoudain.

—Qu’est-cequ’ilsepasse?s’inquiète-t-il.

—Tuesquelqu’undebien,Tony.

—Grâceàtoi.

—Tu l’as toujours été. Certains événements t’ont obligé à être quelqu’un d’autre,mais dans lefond,tuastoujoursétécethommeattentionné.

—Jenelesuisqu’avectoi.

—C’estfaux.Tut’estoujourssouciédeMyriam.

—J’aibesoinqu’elleprennesoindemoi.Jenesaispaslefaireseul.C’estunedémarchepurementégoïste.

—Voile-toilafacesituveux,maisjevoisclairentoi.

—Avaledonccescachetsaulieudediren’importequoi.

Iln’apasenviedevoirlebonqu’ilaenluietjenepeuxpasleforcer.C’esttellementstupidequ’ilsesenteresponsabledemonpassé.Iln’yestpourrien.C’estuniquementledestin,riendeplus,riende moins. Ça devait se passer comme ça. Je porte le bouchon à mes lèvres et fais descendre lescomprimésdansmagorge enpenchant la tête en arrière.Tonyme tendunverre d’eaupour faireglisserletout.Jelereposesurleplateauetattrapeuncroissant.

—Ilyaunboulangerfrançaissurl’île?luidemandé-je,curieusedesentircettebonneodeurdebeurre.

—Myriamlesafaitsspécialementpourtoi,cematin.

—Cettefemmeestunevraiesainte,soupiré-jeencroquantdanslaviennoiserie.

Tonyinspectechacundemesgestes,prendsoinderemplirmonverredejusd’orangefraîchementpressé, tartine de confiture une tranche de pain complet tout chaud et sucremon café. Ilm’obligemêmeàmangerunpamplemousse.

Myriamarriveunedemi-heureplustardpourm’aideràprendreunedoucheparcequej’enaiplusquebesoin.Ellem’assiedsurlepetitsiègeenplastiquequecontientlacabineetmetendlepommeau.Ellemesècheetm’habillecommeunepoupée.Jesuiscependantbiencontentequ’ellenemeremette

pascettehorriblechemisedenuitblanche.Cetterobebleuturquoiseestsublime.Cequiestloind’êtrelecasdemonvisage.Unpansementrecouvrelapartiegauchedemonfrontcachantmablessure.Mesyeuxsontgonflésetcernés,monteintblafard.Jepourraissortir toutdroitdel’asileaveccettetête.Myriammecolledanscefoutufauteuiletmepoussejusqu’àlaterrasseoùTonym’attend,assissurune chaise longue, les yeux perdus dans l’horizon bleu. Il me remarque rapidement et m’aide àm’installerprèsdelui.

—Cettevueestsuperbe,luiglissé-jeavecundemi-sourire.

—C’estcequim’adécidéàt’achetercettemaison.

—Pourquoias-tufaitça?luidemandé-jed’unevoixdouce.

—Jevoulaisquetusoisàl’abri,loindel’Agence.

—MavieestàParis.

—Ellel’était.AndersonetMaxvontbientôtdébarquerici.Vousn’aurezplusqu’àavancer,choisirvotrechemin.

Jeleregardequelquesinstants,letempsdetrouverlecouragedeposerlaquestionquimebrûleleslèvresdepuisunmoment.

—C’esttoi,lespasseports?

—Jenevoulaispasque tu sois seule. Je savaisqu’ils te soutiendraientquoiqu’il sepasse.Et jepeuxvoirquejenemesuispastrompé.

—Est-cequec’esttoiquiasmiscesacchezmoi?

—Quelsac?

Il fronce lessourcils. Jesaisdéjàque la réponseque j’attendaisneviendrapas.Etcela renforcemesdoutes.

—Celuiquicontenaittoutescesaffaires.Lespasseports,l’argent,letitredepropriété.

— Je t’ai tout laissé au coffre, chaton, me ditil en fronçant les sourcils. Tu n’es pas allé leschercher?

—Jen’aipaseulaforce.

—Alors,commentes-tuaucourant?

—Avantdepartirenmission,jesuistombéesurcesac.Ilcontenaittoutcequetum’aslaissé.J’aifaitleliengrâceàtasignaturesurlespapiersdunotaire.Jecrois…Jecroisquec’estMattquiestalléleprendre.Maisjenecomprendspascommentilapuêtreaucourant.

JelèvelesyeuxversTonyetsonregardsevoileunedemi-seconde.Ilsait.Iladesinformations,maisjeleconnaissuffisammentpoursavoirqu’ilnemelesdonnerapas.

—Tumecachesencorebeaucoupdechoses?lequestionné-jedurement.

—Ilsnedevraientpastarder,tun’aurasqu’àluiposerlaquestion.

—Luidemanderquoi?

—Cequ’iltecache.

J’ail’impressionderecevoiruncoupdecouteauenpleincœur.

Qu’est-cequetuasfait,Matt?

—Bonsang,Tony.Tunepeuxpasmedirequelquechosecommeça.

—Maya,toutcequ’ilafait,ill’afaitpourtoi.C’estaussisimplequeça.

—Qu’est-cequ’ilafait?

—Onendiscuteraplustard,merépond-ilenselevant.

—Alorsquoi?Tufuis?!

—J’aiquelquechoseàfaire.Jeseraideretourdanslasoirée,medit-ilsansseretourner.

Unsentimentd’abandons’emparedemoietlapaniquegrimpe.J’ail’impressionques’ils’enva,jenelereverraipas.Jeneveuxpasleperdreencoreunefois.

—Resteici,s’ilteplaît,lesupplié-je.Resteavecmoi.

—Àplustard.

Ilbaisselatêteetsesépauless’affaissent.

—Tony,jet’enprie,nemelaissepas.

Ilentredanslavillasansunregardpourmoi.Meslarmesdévalentlelongdemesjoues.Jesensseuleetabandonnée,enproieàdesdoutes.

Qu’est-cequeMattafait?

**

Myriamvientmechercherdansmachambrealorsquelesoleilsecouche.Lerepasestprêt.Jen’aipasfranchementfaim,maisilfautquejemeforceàmangerpourlebébé.Unpeuàcontrecœur,jegrimpedanslefauteuiletellemepoussejusquedanslasalleàmanger.

Jen’aipasvuTonydetoutelajournée.

Mais il se tient là, dans un jeans clair et un polo foncé, dos à moi. Il semble s’adresser à despersonnes, assises sur le canapé, face à lui,mais je ne peux pas voir leur visage d’où je suis.Untimbre de voix avec un léger accent américainme file des frissons. L’adrénaline coule dansmesveinesetjeneréfléchispas.Jememetsdeboutd’unbondetfaisrapidementlesdixdernierspasquimeséparentdufauteuil.

—Matt,l’appellé-jed’unevoixchevrotante.

Jelevoisenfin.Ilselèvelorsqu’ilm’aperçoitetjemejettedanscesbrasenpleurant.

—Bee.Jesuislà,maintenant.C’estfini.

Savoixm’apaise.Sesbrasautourdemoncorpsquimemaintiennentcontreluimeréconfortent.

—J’aicruquejenetereverraisplusjamais,geins-jecontresontorse.

—Jesuislà,Honey.

Àl’aveugle,jechercheseslèvresetlestrouvebienplusrapidementquejepensais.Onéchangeunbaiserdouxetlent,emplid’amour.Jel’aimetellementquej’enaimal,putain.

—Laisse-m’enunpeu,monpote.Vousferezçacesoir,plaisanteMax.

IlbousculeMattetmeserrecontrelui.

—Bordel,chérie.Tunousasfoutuunedecestrouilles,jetejure,medéclare-t-ilentremblantunpeu.

J’exerceunepetitepressionàl’arrièredesanuquepourleréconforteretposemeslèvressursajoue.

—M’embrassepasdetrop,sinon,MissAmericavamedécapiter.

Ilaleméritedem’arracherunrire.MattluidonnegentimentuncoupdansledosetMaxmelâche.Thomasestlà,assissurlecanapéetsemblesubjuguéparsonverre.Monregarddoitpesersurluicarilfinitparleverlesyeuxversmoi.

—Jesuisdésolé,murmure-t-il,peiné.

Pourlapremièrefoisdemavie,jem’excusesincèrement.

—Non, c’estmoi qui le suis. J’aurais dû savoir que tu ne pourrais pasm’abandonner pour unsimple grade. Je suis stupide d’avoir cru que tu pouvais me tourner le dos pour plus deresponsabilités.

—J’aifaitcequ’ilfautpour,Maya.Tun’aspasàt’envouloir.Ilfallaitqueçasoitainsi.

—Tuasétéseultoutcetemps,Tommy,jesuisvraimentnavréepourtoi.

—Jel’aifaitpourtoi.Jerecommenceraissanshésiter.

Jeluiattrapelamainettireunpeudessuspourluidemanderdeselever.Ilm’entouredesesbras.J’entendssoncœurbattredanssapoitrineàl’unissonaveclemien.Monfrère.

—Maya, tu devrais peut-être te rasseoir, intervient doucementTony. Je ne sais pas combien detempstahanchevasupportertonpoids.

Thomasmelâcheetm’aideàprendreplacesurlecanapé,auxcôtésdeMattquim’enveloppedesesbras.Personnen’oseriendirependantunmoment.

—Qu’est-cequ’onfaitmaintenant?finis-jepardirepourbriserlesilence.

—Onendiscuterademain,merépondTony.Onvaprofiterdecettesoirée.Lerestepeutattendreunpeu.

J’allaisrétorquerquelquechose,maisMattm’enempêche.

—Ilaraison,Bee.Cesoir,onvacélébrernosretrouvailles.Nousenavonstousbesoin.

Seslèvresseposentsurmatempeetmesyeuxseferment.Jehochelatêtebienquejenesoispastoutàfaitd’accord.Mais,jepeuxpatienterjusqu’àdemain.

—Qu’est-cequetuveuxboire?medemandeTony.

Jelorgnelesverresdesautres,maisjesaisquejenepeuxlesimiter.L’alcooln’estplusbonpourmoi.

—Unjusd’orange,s’ilteplaît.

Maxexploselittéralementderire.

—Benvoyons,dujusd’orange.Tunepréfèrespasundiabolononplus?

—Max!lepréviens-je.

—Lablague,Maya.Tachutet’asecouéeouquoi?

Bien sûr qu’ils sont au courant pourmon saut dans le vide. Thomas a dû leur expliquer en lesamenant iciparcequepersonnen’aposédequestionspourmonbrasenécharpe.D’ailleurs, jemetourneverscedernieret ilnesemblepasavoirdequelconqueshématomes.ConnaissantsarivalitéavecMatt, je trouve çabizarrequ’il ne lui ait pasmis sonpoingdans la figure.Tonycroisemonregardetcomprendsoudainquepersonnen’estaucourantpourmagrossesse.IljetteunœilàMattquidonneuncoupdecoudedanslescôtesdeMaxpourtenterdelecalmer,avantderevenirplongersesprunellesnoisettedanslesmiennes.Jeluifaisuntoutpetitnondelatêteàpeinevisible.

—Mayaapasmaldemédocsàprendreà causede sachuteet ilsne sontpascompatibles avecl’alcool.Lejusd’orange,c’esttrèsbien.

Myriamacquiesceetpartencuisinemechercherunverre. Je remerciesilencieusementTonydem’avoiraccordéunpeudetempspourdiscuteravecMatt.Ilauraittrèsbienpumemettredansunesituationinconfortable,maiscommed’habitude,ilmecomprendcommesinousnefaisionsencorequ’un.C’estterrifiantetpourtantsiagréable.Maisjesaisqu’ilfautquejeprennemesdistancespournepasblesserMatt.

**

Lerepass’éternise.Chacunparledetoutetderien,maispersonnen’abordelessujetsessentiels.Jefaisdemonmieuxpourmecontenir.J’aibiencomprisquecesoirn’estpaslebonmomentpourtoutmettreàplat.Mattestàcôtédemoi,ilmaintientuncontactconstantavecmoi,semblantredouterquejenesoisqu’uneillusion.J’aiposématêtesursonépauleetmespaupièresnetiennentplusouvertesdepuisquelquesminutes.

—Tuveuxallertecoucher,Bee?chuchote-t-ilcontremonoreille.

—Non,jesuisbiencommeça,luiréponds-jedoucementsansouvrirlesyeux.

—Tuseraissansdoutemieuxaulit.Allez,viens,onvas’allonger.

Ilreculesachaiseetmespaupièress’ouvrentàmoitié.

—Vousnousexcuserez,mais jecroisqueMayaseramieuxau litqu’à tablepourreprendredesforces,s’expliqueMatt.

Tonymeregardeavectendresseavantdehocherlatête.QuandMattmesoulèvedanssesbras,jevoisl’Italienbaisserlesyeuxetlesregretss’affichentsursonvisageainsiqu’unecertainedouleur.

Hier,ilétaitàlaplacedel’Américain.

Ilmetenaitcontreluietilm’emmenaitmecoucher.

J’aimalaucœurpourlui,pournous.

J’auraivouluqueçamarcheentrenous,maiscommeTonymel’adit,c’étaitfoutud’avance.Ilsesent responsable de ce qu’ilm’est arrivé à l’internat et chaque fois qu’il croisemes yeuxverts, ilsouffre,sedéteste,seflagelleintérieurement.Notrerelationn’ajamaisétésaineetc’estencorepireaujourd’hui.Nousnesommesbonsqu’ànousfairedumal.

JeguideMattjusqu’àmachambreetilmedéposeaupieddulit.Ilfermelafenêtreainsiquelesrideauxpuisrevientlentementversmoi.Avecdouceur,ilselaissetomberàgenouxdevantmoi,entremes cuisses. Sesmains caressentmes jambes tendrement et sa bouche se pose sur lamienne avecamour.Jefaiscourirmapaumesursonvisagepuism’agrippeàsanuque.

—Jet’aime,soufflé-jecontreseslèvres.

—Jet’aime,Bee.J’aicrudevenirdinguequandj’aivuquetunesortaispasdecetavion.

—Etmoi,j’aibiencruquejenetereverraisjamais.Jemesuisbattue,Matt.Jusqu’aubout,pourrevenirverstoi.

—J’auraisretournélemondeentierpourteretrouver.

Ses lèvres trouvent les miennes avec empressement. Son bras passe dans mon dos pour merapprocherdeluietsamaincourtsousletissudemarobe,surmacuissenue.Jemedétacheàregret,voulantentendreenfincettevérité.

—J’aibesoinquetum’expliquesquelquechose,chuchoté-je.

Sesbeauxyeuxbleusmescrutentavecintensité.

—Toutcequetuvoudras.

—J’aibesoindesavoircommenttuassupourlespapiersqueTonym’alaissée.

Ilretientsonsouffleunquartdesecondeetbaisselatêteensoupirant.Ilselève,metourneledosuntempsavantdemerefaireface.

—Ilsavaitquetun’iraisprobablementpas.Alors,ilm’ademandéd’yallersitun’entrouvaispaslaforce.

—Quandça?

—Le jourde samort.Le jouroù ilm’ademandéd’attendre lanuit tombéeavantdepénétrer àl’Agence.

Ilatoutorchestrédepuisledébut.Putain.

—Commentest-ilentréencontactavectoi?

—Bee,je…

Ilfermelesyeuxetpasseunemaintremblantedanssescheveux.

—ÀCancún,cen’étaitpasunhasard,n’est-cepas?lequestionné-jeavecunevoixhautperchée.

—Non,çan’enétaitpasun.

Deslarmesruissellentsurmesjoues.Pleurercesderniersjoursdevientunehabitude.

—Laisse-moit’expliquer,s’ilteplaît,souffle-t-ilenseremettantàgenouxdevantmoi.

—Dis-moiquecequel’onvitn’estpasunmensonge.

—Jetelejure,Bee.

—Alors,explique-moicequeTonyt’ademandédefaire.

—Unedemi-douzainedetypesmesonttombésdessusàL.A..Quandjemesuisréveillé,j’étaisàbord d’un avion à destination deRome.Onm’a expliqué que Tony voulait s’entretenir avecmoi.Autanttedirequej’aicruquemonespérancedevieseréduisaitauxquelquesheuresdevolqu’ilmerestait.Maisilm’aproposéunmarché.Jedevaist’approcheretdevenirunesortedesoutienpourtoiet je pouvais rester en vie. Je ne l’ai pas fait pour sauver mes fesses, Maya. Il t’avait mis soussurveillanceetj’aivudesphotosetdesvidéosdetoi.Tuétaistellementmaigre,tellementpâle.Tonvisagereflétaittonmanqueévidentdesommeil.J’aiacceptépourt’aider.Tum’avaissauvélavie.Jet’étaisredevable.

—Jenet’aijamaisriendemandé.

—Tun’avaispasbesoindelefaire.Jesuisquelqu’und’honnête.

—Tonysavaitquejetecontacteraispourledossier.

Pas besoin de poser la question. L’Italien a tout orchestré depuis le début. La seule chose qu’iln’avaitsansdoutepasprévucesontlessentimentsquenouspartageonsavecMatt.

—Oui. Ilm’enavaitparlé. Ilm’appelaitde tempsen tempspoursavoiroùnousenétionsetmefilaitdestuyaux.Lesoiroùils’estfaitpasserpourmort,ilm’acontacté.Ilm’aditquejedevaisallerchercher le dossier ce soir, qu’une occasion allait se présenter et que s’il lui arrivait malheur, jedevaisallerchercherlespapiersdanssoncoffreett’emmenerloin.

—Tunel’aspasfait.

—Tun’étaispasprêteàquitterlaFrance.

—Qu’est-cequejesuispourtoi,Matt?J’aibesoinquetumerépondesfranchement.Jenesuisque

celle qui t’a sauvé la vie ? Je ne suis qu’une dette à payer ? Je ne suis qu’une consigne à suivre,donnéeparunhommeayantétémonamantdurantdeuxannées?

—Jesuistombéamoureuxdetoi,Bee.BienavantqueTonynesimulesamort.Lapremièrefoisqueje t’aiaperçue,c’étaitàcebar, laveilledenotrerencontreàmacaravane.Quandtuesrentréedans lasalle,dans ton tailleurnoiret tonchemisieràmanchescourtes, j’aimanquéd’air.Tuavaisl’airtellementconfiante,tellementsûredetoi.Tuétaistellementbelle.Tuascroisémonregardetlevertdetesyeuxm’atransportédansunautremonde.J’étaissubjugué.Ilm’afalluquelquesminutespourm’enremettreetquandj’aivouluallert’aborder,lecolossedeRossiétaitassisprèsdetoiett’aglisséuneenveloppe.J’aivutonairpaniqué.J’aisentitonappréhensionquandtul’asdécachetée.Unelarmeacoulélelongdetajoueettut’esempresséedel’effaceravantdesortirlatêtehaute.Tusaiscequejemesuispromiscesoir-là?

Jeluifaisnondelatête.

—Jemesuisditquesij’avaisunjourlachancedet’avoirrienquepourmoi,jeferaistoutcequiestenmonpossiblepourneplusjamaisvoiruneseulelarmevenirembuercessplendidespupillesémeraude.J’étaisdéjàdinguedetoisansmêmeconnaîtretonprénom,Bee.Quandtum’asréveillélepremiermatin,jemesuiscomportécommeleplusgrandimbécilequelaTerren’ajamaisporté.Jemesuismontréarrogantparcequejenesavaispascommentréagircorrectementenfacedetoietdetonregardperçant.Jen’aicompristoutçaquebientard.Maxl’avaitvubienavant.Jesuisunidiot,Maya.Pardonne-moiparceque jene saispasquoi fairepourpouvoir tenirmapromesse. J’essayeconstammentdefaireaumieuxettufinistoujoursparpleureretsouffriràcausedemoi.

Savoixsecasseetilposesajouesurmacuisse,m’enlaçanttendrement.Doucement,jeluirelèvelevisageetapprochemeslèvresdessiennes.

—Jet’aime,soufflé-je.

—Tunem’enveuxpas?

Aussiétrangequecelapuisseparaître,non.Aucontraire,jel’aimeencoreplus.

—JemefousquetuasbossépourTony.Toutcequicompte,c’estcequeturessenspourmoi.Jeneveuxpasdemensongessurça.J’aibesoindesavoirquec’estréel.

—Plusqueçanel’ajamaisété.Jedonneraismaviepourtoi,Maya,sansaucunehésitation.Ettulesaistrèsbien.

—Etpourlui?luidemandé-jeenposantsamainsurmonventre.

Ilmeregardesanstropcomprendre.Sessourcilssefroncentdansunequestionmuette.

—Jevoulaistedireenrentrantdemissionquej’avaisquittél’Agenceetquej’étaisenceinte.

Jevoisàsafigurequ’ilaccuselecoup.Est-cemauvais?Jelevoisobservermonventreànouveaupuismoi.

—Jevaisêtrepapa?m’interroge-t-ilavecunevoixrauque.

—Çal’impliqueforcément,oui.

Uneombredesourirepassesursaboucheavantqu’ilnelacachedesamainlibre.

—Jevaisêtrepapa.Onva…,onvaavoirunenfant.

—Oui,Matt.

C’est tout ce que j’ai le temps de dire avant qu’il ne se jette sur mes lèvres et les dévore. Ilm’allongeavecdouceursurlematelasetmerecouvredesoncorps.Ilpèsedélicieusementsurmoitoutensemaintenantsursonbrasdroitafindenepasmefaireàmalàmonépaule.Jetireàpeinesurlecoldesontee-shirtqu’ils’endébarrasse.Ilfaitremontersamainlelongdemacuisseetcaresselecontourdemonsous-vêtementensatin.

—C’estTonyquiaachetéça,gronde-t-ilenempoignantletissu.

—Jepense,oui.

Lecraquementdel’étoffemefaitsursauter.Iljetteleslambeauxdemaculotteplusloin.

—Ilasûrementdûachetercetterobeaussi,luimurmuré-jedansuneviletentative.

Sesyeuxs’assombrissent,comprenantoùjevoulaisenvenir.

—Tuesentraind’attisermajalousie,clairement,pourquejetemettenue,n’est-cepas?

—C’esttrèspossible.

—C’estdangereuxcommejeu,Bee.Surtoutquejecomptaistel’enleverquandmême.

—Jen’endoutepas.

Ilm’aideàmedébarrasserdemarobeaveclaplusgrandepatienceavantdemerallonger.Ilretireson jeansetsonboxeretgrimpesurmoidans leplussimpleappareil.Sabouchecajolemagorgepuismesclaviculesavantde s’emparerdemesseins. J’essayede rester laplus immobilepossible,pourmahancheetmonépaule,mais ilestdifficilededemeurerstoïquefaceauxbaisersfougueuxqueMattlaissesurmoncorpsenfeu.Quandilseredresseets’ajuste,nosregardssecroisent.Lesienestaniméparledésir,maisaussipartantd’amourqueleslarmesmemontentauxyeux.Ilembrassechaqueperlesaléequitombeparinadvertancedemespaupièressemi-ouvertes.

—Nepleurepas,s’ilteplaît,murmure-t-ilcontremabouche.

—Cesontdeslarmesdejoie.Jet’aimetellement,Matt.Jenepensaispasqu’unjourçameseraitpermisd’aimeràcepoint.

Unsourireétire ses lèvresavantqu’il s’enfonce lentementenmoi. Ilécartemachair ruisselantejusqu’auplusprofonddemonêtre. Jemecabreet lâcheun râle rauque.Soncorps frottecontre lemien lorsqu’il se retire. C’est ça que j’aime plus que tout quand je fais l’amour avec lui. Cetteproximité,cecontact.Ilarriveàfairepassertellementdesentimentsdanssesgestes.Ilempoignemacuisse afin d’avoir un point d’ancrage et commence une série de longs coups de reins qui nousmènentjusqu’ànotreapogée,ensemble,lesyeuxdanslesyeux,leslèvresscellées.

20

Assurernotreavenir

LeslueursdupetitmatinnousarrachentauxbrasdeMorphée.LesdoigtsdeMattpianotentsurmapeau nue, m’apportant quelques frissons pendant que j’écoute attentivement les battements de soncœur.

—Tuaslatrouille?medemande-t-ilsanscessersescaresses.

—Pour?

—Pourlebébé.

—Ensemble,jepensequ’ondevraityarriver.Tuaspeurtoi?

—Monpèren’ajamaisététrèsprésentalorsjesuisloindesavoircequ’estunpapamodèle.

—Mesparentsn’existentpas,alorstutedoutesquejeneconnaispaslamarcheàsuivre.Maisjecroisqu’onsauraquoifaire.C’estinstinctif.Tuferasuntrèsbonpère,j’ensuiscertaine.Tuasundonpourt’occuperdesgens.

—Maxneditpasça,raille-t-il.

—Maxestjalouxparcequetuneluifaisjamaisdebonspetitsplats.

—Tucomptesluidire?

—Biensûr,maispastoutdesuite.Ilvasauterauplafondetjenesuispasencoreassezremisepoursubirsacrisedejoie.

—Ilseraparfaitdanslerôledutontoncomplètementgaga.

Onrittouslesdeuxenl’imaginant.

—Tumedonnesuncoupdemainpourprendremadouche?luidemandé-je,sansbougerdemaplace.

—Biensûr.

Onresteencoredixpetitesminutesàsecajoleravantdequitterlelit.

Matt entre avecmoi sous ladouche etm’aide àme laverpuis àme sécher. Il ouvre ensuiteunevalisequejen’avaispasremarquéehieretensortunecombishortenjean.Jelareconnais.Ilmel’aachetéel’étédernierenborddeplage.

—Thomasm’aditdeprendrel’essentiel,m’explique-t-ilenmontrantlegrandsac.

Desphotos,despapiersd’identité,unpeudevêtements,monvieuxplaid,nosdeux tassesàcafé,quelquesbouquins.Voilà cequecontient cebagage.C’est sommaire.Maisnousn’avonsbesoinderiend’autre.

—DepuisquandtuécoutescequeThomastedit?raillé-jeenleregardantenfilerunjeansclair.

—Maxestalléletrouverquandonnet’apasvusortirdel’aéroport.Ilétaitchezlui.Onacomprisquequelque chose clochait. Il nous a dit de faire nos bagages, qu’il savait où tu étais et que tu nerisquaisplus rien.Maisnous, il fallaitqu’on sortedupaysavantqueGeorgesne lâche seschiens.Alors,onamislagommeetonapréparérapidementnossacs.Cen’estquedansl’avionqu’ilnousaditpourTonyetsafaussemort.Tesavoirseuleavecluim’afaitpéteruncâble,Bee.J’aieupeurqu’iltemontecontremoi,quetumequittespourlui.Jesaisquevousavezvécuquelquechosedefortet…

—J’aivécubeaucoupdechosesavecTony,c’estvrai,interviens-je.Detrèsbonnes,commedetrèsmauvaises.J’auraitoujourscertainssentimentsàsonégard,maisc’esttoiquejeveux,Matt.Personned’autre.Tum’asouvertlesyeuxsurunevienouvelle.Jesouhaiteça,avectoi.

Ilesquisseunsourirefrancavantdevenirm’embrasser.

—Tantmieuxpourmoi,alors,parcequec’estaussicequejedésire.Toietseulementtoi.

Jel’étreinsavecfougueavantdeposerchastementmeslèvressurlessiennes.

—Etsionallaitdéjeuner?luidis-je.

—J’auraisbiend’autresprojets,maisçaneseraitpasvraimentraisonnable,vutonétat.

Danscesyeuxbrilleunelueurdeconvoitise,maisaussidemalice.C’estcequej’aimechezlui,cecôtélégeretenfantinémanantdesoncorpsd’homme.

JeprendsplacedansmoncarrosseetMattnousconduitàlaterrasseoùMax,ThomasetTonysontdéjàinstallés.

—Jemedemandaissivousalliezsortirunjour,semoqueMaxenseresservantducafé.

—Désolée,maisjesuisunpeuhandicapéedonctoutmeprenduntempsfou.

Maxritgrassementetjeluijetteauvisageunboutdepainquisetrouvaitlà.

—Tun’esqu’unsalepervers,luiditMatts’asseyant.

—Onneserefaitpas,queveux-tu.

—Jevaiscasserl’ambiance,maisj’aibesoindesavoiroùnousensommesmaintenant,attaqué-jeavantmêmedemeservirunjusd’orange.

TonyetThomascessenttoutmouvementetMaxsouffleun«oh,putain»quiétaitsansdoutevouludiscret.

—Tuneveuxpasdéjeuneravant,meproposel’Italienenmetendantlecafé.

—J’aibesoindesavoircequ’ilvasepasserensuite.

—Georgesnes’arrêterapastantqu’iln’aurapaseutatête,intervientThomas.

—Cequisignifie?

—QuetunepeuxpasretourneràParis.

—Jenecomptepasfuirtoutemavie.

—Çan’arriverapas,meditTony.

—Qu’est-cequetuensais?

—Jeferaicequ’ilfautpour.

—Tadettequetucroisavoircontractéeàmonégardestlargementpayée.Arrêteavecça.

—Jenelelaisseraipast’atteindre,chaton.

Matttressailleàcôtédemoi.Cesurnomestbientropintimepourqu’illuiplaise.Maisjenepeuxpasm’excuserpourça.

—Alorsquoi ?Onpassenos journées àbronzerou à sebaigner jusqu’à cequeGeorgesnous

retrouve?

—Jerentredemain,pourmapart,annonceThomas.

—Turigoles!m’exclamé-je.

—Enrentrantdemission,j’aiprisdesjoursdecongé.Jemesuisassuréquepersonnenesacheceque j’allais faire.Personnenepeutme relier àvosdisparitions subites. Je continuerai d’espionnerGeorgesetsijamaisçachauffepourvosfesses,jevouspréviendrai.

—C’esthorsdequestion,m’écrié-je.C’estbientroprisqué.

—J’aimeClaire,d’accord?Jenepeuxpaslaquitterpourteregarderévoluersouslescocotiers.MavieestàParis,auprèsd’elle.

—Lamienneestlà-basaussi.

—Toutcequiteretenaitestici,prèsdetoi.Plusriennet’attendenFrance,intervientTony.

—Etqu’est-cequ’onfaittouslestroisdanscetendroit?

—J’aiacquisunpetitlocalenville.TuvaspouvoiryouvrirunelibrairieetilyaunepartiequeMatt etMax peuvent aménager pour leurmagasin informatique. J’ai étudié lemarché et il y a del’avenirpouruneboutiquedecettesorte,nousdéclaretrèssolennellementl’Italien.

—Commed’habitude,tuastoutprévuàcequejevois,m’énervé-je.

—Jelefaispourtoi.Tuadoraistravailleràlalibrairie.EtKarinet’aappriscequ’ilfautpourquetupuissesengérerune.Certes,elleneserapasaussigrande,maistudevraisytrouvertoncompte.

—C’estbeaucouptrop,Tony.

—Moi, çameva.Sérieux, bosserunpeu, puis allermater lesnanas en string suruneplagedesableblanc,qu’est-cequ’onpeutattendredemieux?s’amuseMax.Oùest-cequ’onsigne?

—Ta gueule,Max, lui lancé-je.On parle entre grandes personnes.Va donc faire un château desableplusloin.

— De toute façon, tu as quitté l’Agence, rétorque-t-il non sans un doigt d’honneur. Rien net’empêchedereconstruiretanouvellevieici.Aucontraire,c’estuneexcellenteidée.Tuserasloindetesdémons,detonpassé.Cen’estquemieux.

—Ilaraison,tusais,intervientpourlapremièrefoisMatt.Autantrepartirdezéro,ici.C’estunebonne idée la librairie.Sion la combineàuncyber café, je suis certainqu’onattirerapasmaldemonde.Çameplaîtbien.

—Jeneserspasdecafé,s’exclameMax,scandalisé.

— Imagine toutes ces filles en maillot qui auront tellement chaud et qui te supplieront de leurdonnerdequoilesdésaltérer,luirenvoieMatt.

—Vucommeça…

Maisquelgrospervers!

—Mêmesisurcepoint,onpeuts’accorder,n’enrestepasmoinsquel’onn’estpasensécurité.JeconnaisGeorges.Ilnelâcherarien,soufflé-je.

—Ons’enoccupe,meditThomasenregardantTonyquiacquiesce.

J’aiunnœudàl’estomac.Jevaisavoirunbébéetnousneseronspasensûreté.Commentvais-jepouvoirl’éleverdanscesentimentdepeurdulendemain?

—Allez,chérie,mangeunpeu.Détends-toi.Profitedececadreparadisiaque.Avale-moicecafé,mangeuncroissantetensuite,Vamosalaplaya{4}!s’écrieMax.

J’éclatederire.

—Tuesaucourantquelalanguelocalen’estpasl’espagnol?luidemandé-je.

—Ilsl’apprendront,net’inquiètepaspourça.

Ah,monDieu,qu’est-cequ’onferaitsansMax?

**

UnesemainequeThomasestparti,queMaxbavechaquefoisquenousrendonsàlaplageetqueTonynepasse à la villa qu’en coupdevent.On commence à prendre un certain rythme, quelqueshabitudes. Nous avons démarré notre réflexion sur notre librairie cyber café. Je crois qu’on se

dispute autant qu’on rigole tous les trois. AvecMatt, nous avons annoncé à Max qu’il allait êtretonton.Deuxjoursplustard,ilavaitdévalisétouslesmagasinsdebébédel’île.Unechambreregorgedepeluchesentoutgenre,debavoirs,d’habitsmixtes,debiberonsetj’enpasse.J’aidûlesecouerunpeupourqu’ilstoppesesachatscompulsifs.

Lesoleilnevapastarderàselever.Quelquesrayonspourpresstrientdéjàl’océan.Labriselégèreestunpeufraîche,mefaisantresserrermonplaidautourdemoi.

Jemesuis réveillée ilyaunepetiteheureet le sommeilmefuyait,comme toujours.Alors, j’aidécidéd’allerprofiterdecepaysageextraordinaireplutôtquede réveillerMattà forcede tournersanscessedansnotrelit.

Lechantdesoiseaux,mêléauxremousdel’océan,mecalme.Monespritsetaitetjeprofiteenfindel’instantprésent.

—Jenepensaispasquetuseraisdeboutsitôt.

Jesursauteàcesmots.

—Tum’asfaitpeur,soufflé-je.

Pasbesoindemeretourner.Jesaistrèsbienàquiestcetaccentchantant.

—Ettoi,qu’est-cequetufaisdebout?

Ils’assiedsurmachaiselongue,afind’êtrefaceàmoi.

—J’aidumalàtrouverlesommeilcestemps-ci,merépond-il.

—Tun’asjamaisétéungranddormeurdetoutefaçon.

—Non,c’estcertain.

Unsuperbesouriresedessinesurseslèvres.

—Tuasdéjàadmirécesleversdesoleil?

—Pasavectoi.

Ilprendmeschevillesdanssamainettiredessus.

—Turejoueslesvieuxclassiques?l’interrogé-je,amusée.

Ilsecontented’unpetitrireavantdesemettrederrièremoi.Sesbrasserefermentsurmeshanchesetmatêtetrouvenaturellementsaplacesoussonmenton.Nouslaissonslesoleilsedévoilerpeuàpeuet inonder le ciel et l’océan de reflets ocre. Nous ne parlons pas jusqu’à ce que Tony décide deromprecesilencereposant.Jelesensdepuisledébut.Ilaquelquechoseàm’annoncer.Jel’aivudanssesyeux.Quelquechosequinevacertainementpasmeplaire.

—Jevaispartir,chaton.

Monestomacsecontracteetlegoûtdelabileimprègnemabouche.Jemedécolledesontorseetpivoteafindepouvoirleregarderenface.

—Non.

C’esttoutcequejeparviensàdire.

—Écoute,tuneseraspassereinetantqueGeorgesrespireencore…

—Nemeditpasquetucomptesallerletuer!

—Maya,s’ilteplaît,n’enfaispastouteunehistoire.

—C’estnon,Tony.Tun’auraspaspasséunorteilàl’Agencequetuserasdéjàmort.Pourquoituneprofitespasdetanouvelleviepourfairetoutcedonttun’aspaseuletempsdefaireavant?

—Tuvasavoirunbébéetjeteconnaisparcœur.Tunepourrasjamaisprofiterpleinementsitudoist’inquiéterdecequ’ilpourraitvousarriveràtouslestrois.

—Cen’estpastonproblème,rétorqué-jesansméchanceté.

—Siçal’est.Jesuislacausedetescauchemars.

—Arrêteça,bonsang.

—Maya,sansmoi,tuauraisprobablementeuuneautrevie,bienpluséquilibréequecellequetuaseue. Aujourd’hui, tu as trouvé le bonheur avecMatt et je compte bien que tu en profites le pluslongtempspossibleetdelameilleuredesfaçons.

—Sijesuisaussiheureuseaujourd’hui,c’estgrâceàtoi.Tuasveilléàcequejesoisentouréedanslespiresmomentsdemonexistence.Tuasbeaucoupfaitetjenesaisdéjàpascommentteremercier.

Jeneveuxpasquetuyailles.

—Jesavaisquetudiraisça,soupire-t-ilavecundemi-sourire.

—Alorspourquoituendiscutes?Ladiscussionestclause.Cequefemmeveut,femmeobtient.

Ses prunelles s’incrustent dans les miennes. Ses doigts caressent le contour de mon visage etremettentenplacequelquesmèchesqueleventadérangées.Jesenssonsoufflesurmabouche.Unedesesmainsdescendlelongdemondosetmerapprochedeluiconsidérablement.

—Tony,s’ilteplaît,murmuré-jedanslebutqu’ilmelibèredesonemprise.

—Jenedemanderiend’autre,mesupplie-t-il.

J’ai tout juste le temps de prendre une inspiration que ses lèvres s’emparent des miennes avecdouceur. Il m’embrasse comme si j’étais la chose la plus précieuse au monde. Ça ne dure paslongtemps.Àpeineunedemi-minute.Ilposesonfrontcontrelemienetfermeunbrefinstantlesyeuxavantdemurmurerun:

—Jesuisdésolé.

L’aciermordlachairtendredemonpoignetdroit.Jeregarde,hébétée,lesmenottesquimelientautransat.

—Qu’est-cequetufais?luidemandé-jed’unevoixblanche.

—Tunemelaisseraspaspartir,merépondit-ilenselevant.

—Tony,s’ilteplaît,nefaispasn’importequoi!m’écrié-jeentirantsurmesentraves.

—Ceque tuveux,chaton,c’est la liberté.Êtreaffranchiede tonpassépouraffronter tonavenirsereinementetaccueilliràbrasouvertslebonheur.Jepeuxexaucertonvœu.

—Jet’ensupplie,n’yvapas!Jenepourraipasvivreavectamortsurlaconscience!geins-je.

Lapaniquemeprendauxtripes.J’aibeaumemettredeboutettirerdetoutesmesforces,jenepeuxpastraînerletransat.Ilesttroplourd.

—Jet’enprie,resteavecmoi,pleuré-je.

Tonys’approchedemoi,renversematêteetécraseunedernièrefoissabouchecontrelamienne.

—Jet’aime,nel’oubliejamais.

Etils’échappe.J’entendslaported’entréeclaqueretmalgrémescris,ilnerevientpas.

**

Troisjoursplustard,aujournaltélévisé,lesgrostitresmerendentmalade.

«Uneexplosionauxbureauxdel’Agencefaitsixmorts,dontdeuxdirecteursdesectionsprimaires,Monsieur Georges Lemasson et Monsieur Albert Durand. Le président a annoncé, ce soir, qu’unesoirée commémorative leur sera dédiée pour les remercier des services rendus à l’État durant cesvingt dernières années. De nombreux criminels notoires croupissent derrière les barreaux grâce àleursunitésd’interventions.

L’origine de cette explosion n’est pas encore connue, mais les premiers éléments d’enquêtesconduiraientversl’hypothèsed’undéfautd’uneconduitedegaz.»

EtTonydanstoutça,vousmedemanderez.

Jen’ensaisrien.

Est-ildanslesmorts?Était-ildanslebâtiment?

J’aivouluappelerThomas,maislesgarçonsm’ontdissuadéedelefaire.Personnen’aencoreétéofficiellementnommépour remplacerGeorgesetmesennemisauseinde l’Agencesontbien tropnombreuxpourprendrelerisquededévoilernotrelocalisation.Tonyn’aprobablementpasréfléchiàça.

Ou peut-être que si. Car une semaine plus tard, Thomas a posé ses cartons dans le bureau deGeorges.Leplusjeuneresponsablequel’Agencen’aitjamaisconnu.Ilm’atéléphonépeudetempsaprèspourmedirequejenecraignaisplusrien,qu’ilavaitprislesdispositionsnécessairesetquejepouvais enfin vivre en paix. Je lui ai bien évidemment demandé s’ils avaient retrouvé le corps del’Italien, mais il n’a pas su me répondre. La déflagration a été forte, à tel point que seuls troiscadavressursixontpuêtreidentifiés.

Ledouteestcequ’ilyadepire.Nepassavoirs’ilestencoreenvieounon,seulementquelques

semainesaprèsl’avoirrevumeflingue.MaisMatt,MaxetMyriamsontlàpourmepousser.Etpuis,jenepeuxplusm’apitoyersurmoi-même.Jen’enaiplusledroit.

ÉPILOGUE

Troismoisplustard

Monventres’estarrondiaufildesmois.J’aiunjolipetitabdomenrond,toutmignon.MattetMaxm’ont acheté un paquet de tee-shirts avec plusieurs inscriptions adorables. Ils sont aux petits soinspourmoi etMyriamme prépare sans cesse des plats équilibrés pour comblerma faim insatiable.L’avoirprèsdemoimerassure.Elles’yconnaîtenbébé.Jesaisqu’ellem’aiderapourchaqueétape.

Notre projet avancevraiment bien.Certains travaux sont d’ailleurs engagés.Laboutiquedevraitouvrird’iciquelquesmois.MattetMaxs’enoccuperontletempsquejemetteaumondenotrepetitemerveilleetquejeprenneletempsdelaconnaître.

Onest heureux ici. Je suis heureuse.Plus riennenousmenacegrâce àTony.Nepas savoir s’ilfaisaitpartiedesvictimesdel’explosiondesbureauxdel’Agenceestlepire,jecrois.C’estlaseuleombreautableau.J’aitoujourscedoute,cettelégèredouleurensurfacequitraîne,maislerestes’estévaporé.Jemesensmieuxquejenel’aiété.

Commechaquematin,jeprendsmoncafésurlaterrasse,faceàl’océan.MattetMaxsechamaillentdans la cuisine à propos de céréales, je crois. Ces deux-là sont de vrais gamins ensemble. Je lesregardepar-dessusmeslunettesdesoleilavecamusement.

—Sivousn’arrêtezpasdevousdisputer,lesenfants,jevousjurequej’enprendsunpourtapersurl’autre!crié-jeenriant.

Ilssetournentversmoietroulentdesyeux.

—Ducalme,maman,c’estpasbonpourtoidet’énerver,merépliqueMaxenvolantlepaquetdecéréalesdemainsdeMatt.

Cedernier le retientpar lecoldeson tee-shirt. Ilscommencentparse jaugerduregardavecunrictus en coin. La dernière fois, ils m’ont cassé de la vaisselle avec leur connerie de bagarre degamins.MaisMyriamarrivejusteaubonmoment.

—Ilyaunautrepaquetdansleplacarddedroite,leurlance-t-elleensoupirant.

Çasemblesuffisantpourdésamorcerlachose.

—Parfois,jemedemandes’ilsn’ontpasquatorzeans,souffle-t-elleenselaissanttombersurune

chaiseprésdemoi.

—Ensemble,ilssontintenables.

Onéchangeunsourirecompliceavantquelesgarçonsneviennentnousinterpeller.

—Maya,ilyauncolispourtoi,mecrieMattdepuisl’entrée.

Je n’ai même pas entendu sonner. J’interroge Myriam du regard et cette dernière fronce lessourcils.On les rejointet sur lepasde laporte se trouveunpetit cartonpercé.Monprénomyestinscritaumarqueur.Nousavons tous leregardrivésurcetteboîteétrangeet lorsqu’elles’agiteunpeu,noussursautons.

Qu’est-cequec’est?

Jem’agenouilleet soulèveavecprudence lecouvercle.Deuxbillescouleurambreme regardentaveccuriosité.

—Saluttoi,luimurmuré-jeavantdeluiprésentermamain.

Automatiquement,unronronnementsefaitentendreetlapetitebouledepoilspoussesaminusculefrimoussecontremesdoigts.Jeluigrattelatêteavecentrainetilsembleadorer.

— Qu’est-ce que c’est ? m’interroge Matt en s’accroupissant à côté de moi. Un chat ? Quit’offriraitunchat?

Etunpoidss’envole.Unrirem’échappe.

—Cen’estpasunchat,m’écrié-je.

—Bentient,c’estquoi?Undauphin?railleMax.

Maisilnepeuttuermonenthousiasmeetmonsoulagement.

—C’estunchaton.

Jemerelèveetserrelabouledepoilcontremoi.Lesgarçonsmeregardent,l’airsceptique,maisMyriamacompris.Elleétouffeunriredejoieavantd’embrasserlatêtedelapetitebouledepoils.

—Tonyestvivant,s’exclameMatt.

Commentaurait-ilpuêtremort?OnparledeTonyRossi.Commenta-t-onpucroireunseulinstantqu’ils’étaitfaitpiégerparcettefichueexplosion?

Jeparcoursduregardlesalentours,carjesaisqu’ilesttoutprès,maisjenel’aperçoisnullepart.

L’animalcherchedel’affectionetsefrottesousmonmenton.Jeledécolledemoietl’observeavecplusd’attention.Sonventreetl’intérieurdesespattesontunebellecouleurblanche.Sondosesttigré.Ses yeux ronds sont surlignés d’un trait noir semblable à celui d’un eye-liner. Et une petite tachetigréecôtoielecôtégauchedesonmuseaurose.Unmiaulements’échappedesafrimousseadorable.Jeremarqueàcetinstantlemédaillonquipendàsoncou.Unjolicollierroseencuirlemaintient.Surlapièceenorblancestinscritsonnomavecunesuperbecalligraphie:HOPE.

Unsourirenaîtsurmeslèvres.

Le chemin a été long,mais l’espoir je le vois aujourd’hui. L’espoir d’une viemeilleure et plusagréable.

J’aitoutcequ’ilfautpour.

Je sais que de là où il se tient, l’Italien veillera à ce que personne ne vienne détruire ça. Et jeremercieledestind’avoirfaitensortequenoscheminssecroisent.

Fin

Remerciements

Commençonsparledébut.

MerciàPimousequiaétélapremièreàlireetàcommenterDestins.

MerciàFlobis,Elo,Verro(mamarrainelabonneféequiafaitdécollerlafiction),Anna,Chantal,Layramooos, Tina, Lindsey, Charlène, Flora, Vallou, Angy, Minimel, Babychukiez, loubna,PrescilliaVeron, Wassou, Rimene, MxlleDayznna, Fatou, Sweet-debooraah, Chacha2780,Melaniebrailly,etjedoissûrementenoublierplein,maismerciàvoustoutesquiavezfaitvivreTonyetMayajusque-là.

Merciàmesnouvelleslectrices.

Merci à Cathy (mam's,ma jumelle) avec qui j’ai grandi tout au long de cette aventure et qui atoujourssumeredonnerlesourireeteffacermesdoutes.

MerciàSonia(maSosod’amour),àsonénergieetsabonnehumeurdébordante.Tum’aspousséejusqu’ici.Mercipourtonsoutienettonaideàchaquefoisqueçan’allaitpas,d’êtreàmescôtéssansjamaisfaillir.

MerciàDominique,lapremièreàavoirluDestinsenentier.

Merciàmescollèguesdenepasm’avoirtuéeàforcedeleurrebattrelesoreillesavecDestins.

MerciàDavidaussidenepasm’avoirenferméedanslacavepourneplusm’entendreàcesujet.Merci d’avoir sum’écouter,me consoler etme pousser à chaque fois qu’il l’aura été nécessaire.Sachequejet’aime.

Et enfin, merci à Passion Editions de m’avoir fait confiance. Cette unique expérience futenrichissante.

{1}Cocktailalcooliséetfruitéàbasedevodka.

{2}Unefinheureuse.

{3}Armedepoing.

{4}Direction,laplage!

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