Chris Marker, dernière éclipse

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Chris Marker, dernière éclipseLE MONDE | 31.07.2012 à 10h52 • Mis à jour le 25.09.2012 à 15h38 |

Par Jacques Mandelbaum

L'homme qui s'est éteint, discrètement, le 29 juillet 2012 à son domicile

parisien du 20 arrondissement, pile à la date de son 91 anniversaire,était un géant. Son nom, Christian-François Bouche-Villeneuve, ne dira

probablement rien à personne. Son pseudonyme, Chris Marker, évoquera

des souvenirs de cinéma plus précis, encore que l'artiste qui le portait

répugnait à toute forme de médiatisation, cultivant un art total du retrait,

une forme joueuse mais inexpugnable de mystère.

Peu de photos, peu d'entretiens resteront de lui. Une hérésie pour notre

époque d'extrême visibilité à la compréhension de laquelle il aura pourtant

tant œuvré. L'œuvre demeure néanmoins, et son importance, en dépit desa marginalité, suffit à endeuiller la communauté cinéphile.

En elle se rencontrent à un degré inédit la recherche formelle et

l'engagement politique, la vibration intime et la lucidité analytique, leur

synthèse formant un art documenté et poétique de l'Histoire convulsive du

XX siècle.

Peu de cinéastes auront cultivé, autant que lui, la confrontation aux

images, la défiance à l'égard de leur supposée transparence, la nécessitéd'en faire un lieu de réflexion, y compris contre soi-même. Si Marker

devait être réduit à l'étiquette, toujours un peu infamante, de cinéaste

militant, il faudrait alors préciser qu'il confère au genre ses lettres de

 Affiche du film de Chris Marker, "La Jetée". | D.R.

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noblesse en cherchant à révolutionner d'abord les méfaits de l'illusion

cinématographique. Le terme l'aurait sans doute choqué, lui qui n'évoquait

son travail que sous les auspices du "bricolage" .

La cinquantaine de films qu'il a réalisés oscille entre documentaire, essai

et fiction, certains appartenant clairement à l'un ou l'autre de ces genres,

d'autres, les plus nombreux, les mêlant de manière organique. Grand

 voyageur, grand compagnon des causes révolutionnaires, grandexplorateur des technologies de l'image, il rapporte de ces divers fronts

une œuvre en mouvement, ouverte au doute, à l'humour et à la

mélancolie, et à travers laquelle se dessine l'autoportrait d'un homme qui

fait de la liberté une question d'élégance morale.

Tout commence au mitan des années 1950, lorsque se fomente, des deux

côtés de la Seine, le coup de Trafalgar du cinéma moderne. Rive droite

pour les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague. Rive gauche pour Marker,

entouré de quelques amis nommés Alain Resnais et Agnès Varda.

Idéologiquement, on est quand même un peu plus sérieux de ce côté-ci.

Plus riche d'expériences aussi, à l'instar de Marker, qui est déjà critique

(dans la revue Esprit  dès 1946), sympathisant communiste (il collabore à

l'organisation Peuple et culture), romancier ( Le Cœur net , 1949), essayiste

(Giraudoux par lui-même, 1952) et directeur de la célèbre collection

"Petite planète", au Seuil, qui renouvelle la conception du guide

touristique, notamment par la place accordée aux photographies.

 Avec La Jetée, il entre dans la "shortlist" des auteurs de chefs-

d'œuvre

La maîtrise de la dialectique, donc du montage, est également l'un des

apanages du groupe de la rive gauche. En témoigne, dès 1953, le

documentaire coréalisé par Marker et Resnais, Les statues meurent aussi.

Ce magnifique essai sur l'art nègre, dont la facture austère masque l'ironie,

contient une charge anticolonialiste si perçante qu'elle inaugure, pour

Marker, un rapport intime avec la censure d'Etat.

L'auteur prend alors ses valises pour accompagner aux quatre coins du

monde les réalisations socialistes : la Chine, avec Un dimanche à Pékin

(1956), l'Union soviétique, avec Lettre de Sibérie (1957), Israël, avec

 Description d'un combat  (1960), Cuba, avec Cuba si  (1961). Il en

reviendra, au point de déconseiller plus tard la vision de certains de ces

films. L'entrée de Marker dans la "short list" des auteurs de chefs-d'œuvre

a lieu en vertu d'un autre film, unique dans les annales du cinéma, sans

réel équivalent non plus dans sa propre cinématographie :  La Jetée.

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Réalisé en 1962, ce joyau de vingt-neuf minutes est un récit de science-

fiction, en noir et blanc, intégralement composé d'images fixes, à

l'exception d'un plan fugace du battement de paupières d'une femme

aimée, qui fait l'effet d'une épiphanie. Ce roman-photo d'anticipation est

"l'histoire d'un homme marqué par un souvenir d'enfance"  qui, depuis un

monde anéanti par la guerre mondiale, voyage dans le temps pour

atteindre ce souvenir, avant d'éprouver qu'il n'est autre que

l'accomplissement de sa propre mort.

La vertigineuse séduction du film ne se réduit pas à l'influence souterraine

qui détermine aussi bien son remake tardif par Terry Gilliam ( L'Armée des

douze singes, 1995) que le baptême d'un bar à son nom dans le quartier de

Shinjuku à Tokyo, où les cinéphiles du monde entier boivent un whisky 

nippon a sa santé. Elle offre, par surcroît, une clé de l'œuvre de Chris

Marker, déterminée par l'idée qu'il n'y a pas de rapport au réel sans imagedu réel et partant méditation sur le temps et la mémoire qui traversent ces

images. Mais l'œuvre en question est si profuse, si résolument inventive

qu'elle semble se moquer par avance du protocole nécrologique.

"Le fond de l'air est rouge", film documentaire de Chris Marker. | D.R.

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