Chronique d'une défaite annoncée: Les élections législatives des 25 mai et 1 ...

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This article was downloaded by: [University of North Texas]On: 13 November 2014, At: 03:21Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registeredoffice: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK

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Chronique d'une défaite annoncée:Les élections législatives des 25 maiet 1er juin 1997Patrice Buffotot a & David Hanley ba Université Paris Ib Cardiff University of WalesPublished online: 25 Apr 2008.

To cite this article: Patrice Buffotot & David Hanley (1998) Chronique d'une défaite annoncée:Les élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997, Modern & Contemporary France, 6:1, 5-19,DOI: 10.1080/09639489808456408

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Modern & Contemporary France (1998), 6(1), 5-19

Chronique d'une défaite annoncée: lesélections législatives des 25 mai et 1er

juin 1997

PATRICE BUFFOTOTUniversité Paris I

DAVID HANLEYCardiff University of Wales

AbstractThe political world was surprised when, on 21 April 1997, PresidentJacques Chirac announced the dissolution of the Assemblée nationaleand called a general election, whose two rounds were fixed for 25 May and1 June. This decision was all the more striking, in light of the size of theright-wing majority in the Assemblée, a majority which would have allowedthe government comfortably to stay in power until March 1998. This articleexamines the issues arising from this decision, and analyses the results,taking into account sociological and geographical as well as politicalfactors. The role of the Front national in a high number of 'triangular'contests is also scrutinised.

La surprise de la dissolution

Lorsque Jacques Chirac est élu président le 7 mai 1995 face au candidatsocialiste Lionel Jospin1, il peut s'appuyer sur une majorité de droite qui n'ajamais été aussi forte depuis 1968 avec ses 447 députés élus aux élections demars 1993 (257 députés RPR, 215 UDF et 13 divers droite), face à uneopposition laminée ne pouvant aligner que 94 députés (57 socialistes, 23communistes, 4 du Mouvement des Citoyens (MDC) et 10 divers gauche).2

Jacques Chirac peut donc gouverner avec cette majorité jusqu'en mars 1998. Ilchoisit le premier ministre au sein du RPR, en nommant le 17 mai 1995 AlainJuppé qui présente son gouvernement le 18 mai (remanié après le départ des«juppettes» le 7 novembre 1995).3

Pourquoi Jacques Chirac a-t-il décidé le 21 avril 1997 de dissoudrel'Assemblée nationale? La raison est essentiellement économique. Au début del'année, le 19 janvier le président réunit le premier ministre, le ministre des

0963-9489/98/010005-15 © 1998 Association for the Study of Modem & Contemporary France

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Finances, Jean Arthuis, et du Budget Alain Lamassoure, pour faire le point surles comptes de la nation. Si la France veut respecter les critères de Maastrichtpour la monnaie unique, elle devra faire de nouvelles économies. Le ministre desFinances les chiffre à 18 milliards de francs, mais Alain Juppé les fixe à 10milliards le 6 mars. Le déficit public de 1996 atteint 4,2 au lieu de 4 pour centprévus. Une nouvelle politique économique devient nécessaire. A cela s'ajouteune forte impopularité du premier ministre. La première solution aurait consistépour Jacques Chirac à changer de gouvernement. Mais face à l'importance desefforts que l'on va demander aux Français, «il faut que le gouvernement soitrelégitimé par les urnes, faute de quoi c'est la rue qu'il risquerait d'avoir àaffronter».4 Le président Chirac commence à consulter les personnalités de lamajorité, du 8 au 16 avril. On comprend que la rumeur d'une dissolutioncommence à être prise au sérieux malgré le démenti du 16 avril de l'Elyséedéclarant que «ces rumeurs sont sans fondement». Le lundi 21 avril, le présidentconsulte selon l'article 12 de la Constitution le premier ministre, le président duSénat et le président de l'Assemblée nationale. Il informe ensuite l'ancienprésident Valéry Giscard d'Estaing, ainsi que Raymond Barre et EdouardBalladur. Le soir même, il annonce au pays la dissolution et fixe les élections au25 mai et 1er juin.5

Les explications sont plurielles. Il y a d'abord la situation économique avecun déficit du budget, le chômage, l'échéance de l'Euro qui nécessitera denouvelles mesures d'économies mais aussi les divisions de la majorité face auxsolutions à apporter à l'ensemble de ces questions. La popularité du premierministre est au plus bas dans les sondages. La situation risquait par conséquentde s'aggraver pour la majorité en 1998. Des conseillers ont expliqué au présidentqu'il valait mieux dissoudre tout de suite, car cela donnait encore une chance del'emporter; les sondages réalisés en février-mars donnaient encore la victoire àla majorité.

Une campagne virtuelle

On assiste à une campagne électorale «virtuelle» où chaque candidat a évitésoigneusement d'exposer son projet politique sur les sujets importants commel'Europe, l'économie, le chômage. Le débat s'est joué à la marge et sur descoups tactiques. Autant dire que cette campagne n'a pas passionné les électeursqui sont restés perplexes face à cette non-campagne.

Au sein de la majorité, Juppé présente, dès le lendemain de l'annonce de ladissolution, le programme de la majorité devant les parlementaires rassemblés auPalais des Congrès à Paris et prend la direction de la campagne de la majorité.Lors du Conseil national du RPR, François Léotard propose un «contrat» entrele RPR et l'UDF. Un comité politique de la majorité est constitué. Il se composede 29 membres (15 RPR et 14 UDF) avec deux directeurs, Patrick Stefanini duRPR et Renaud Donnedieu de Vabres de l'UDF-PR.6 Ce comité se réunit ausiège de la campagne, avenue Georges V à Paris. Le jeudi 24 avril, Alain Juppéouvre la campagne de la majorité par une réunion publique à Marseille. Le

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dimanche 26, lors de l'émission «7 sur 7» sur TF1, il promet de constituer uneéquipe ministérielle réduite (une quinzaine de ministres au plus), de remplacerl'Ecole nationale d'administration par autre chose et de baisser les chargessociales.

Le comité politique de la majorité adopte, le 29 avril, le programme de laprochaine législature Un nouvel élan? Il propose de créer un Etat plus efficace,recentré sur ses missions essentielles, de libérer l'initiative au service del'emploi, de rénover le pacte social pour mieux privilégier ceux qui ont besoinde la solidarité nationale et enfin de faire de la France le moteur d'une Europeproche du citoyen. Il y a aussi la volonté de moderniser la vie politiquenotamment en limitant les cumuls des mandats, et dans le domaine économiquede stabiliser les dépenses publiques. Mais le non-dit sur la situation économiqueet la nécessité de sérieuses économies a laissé planer un doute auprès del'électorat, mis à profit par les socialistes.

Le président de la République intervient lors de la campagne en diffusant unetribune intitulée Un élan partagé dans 14 quotidiens régionaux le 7 mai, ce quiprovoque une polémique de ceux qui n'ont pas été destinataires de cettechronique. Cette intervention tombe à plat et produit un contre effet.8 L'ancienprésident Giscard d'Estaing déclare sur France 2 que les Français veulent êtregouvernés autrement et en profite pour dire qu'il avait donné un avis négatif surla dissolution.

Jacques Chirac, sans doute à la vue des sondages peu favorables à la majorité,met en garde contre les dangers d'une nouvelle cohabitation. La campagne de lamajorité pour le premier tour a été essentiellement animée par le premierministre qui paraît un homme isolé. L'appareil gaulliste fonctionne bien mais lesgrands ténors traînent des pieds ou sont absents. Quant à l'UDF, elle estevanescente. Juppé choisit de porter ses attaques contre le programme socialiste,ce qui le place au centre des débats et permet à son rival Lionel Jospin de luirétorquer qu'il n'a rien de neuf à proposer que sa politique menée depuis mai1995. Il est contesté au sein même de la majorité qui s'inquiète de la baisse dutaux de confiance à l'égard de Juppé (il était de 40 pour cent en février 1997pour tomber à 34 en avril) et même de son propre parti, le RPR. L'Elysée laissealors entendre que le futur premier ministre ne serait pas forcément un «JuppéIII». La conséquence a été l'affaiblissement du leader de la majorité qui est restésouvent seul dans cette campagne.

A cela s'ajoutent sur le terrain de nombreuses contestations des investiturespar les instances parisiennes de la campagne. Si la majorité a reconnu quatreprimaires officiellement, elle n'a pu empêcher une quarantaine d'autres,sauvages celles-là. Le RPR et l'UDF ont décidé de sanctionner les candidats deleurs formations respectives qui se présenteraient contre un candidat investi parla majorité. Ces dissidences ont lieu essentiellement à Paris, dans les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne, les Yvelines, et en province, dans les Alpes-Maritimes,le Rhône, le Var, le Morbihan et l'Indre-et-Loire.9

A gauche, Jospin, après un score honorable aux élections présidentielles, areconstruit patiemment le Parti socialiste. Il avait présenté le 16 mars le

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programme économique du parti. Il est indéniable que les socialistes ont été prisde court par la dissolution. Jospin prend immédiatement la direction de lacampagne électorale. La première réunion électorale a lieu symboliquement àSarcelles le 24 avril en réponse à celle de Juppé à Marseille. Mais ce n'est quele 2 mai que le Parti socialiste présente son programme Changeons d'avenir,changeons de majorité: nos engagements pour la France.10 Dans le domaineéconomique et social la promesse la plus importante est sans conteste la volontéde créer 700.000 vrais emplois pour les jeunes, moitié dans le secteur public,moitié dans le privé et de ramener la durée légale du travail de 39 à 35 heurespar semaine sans diminution de salaire. Dans le domaine de la vie quotidienne,il est prévu de réhabiliter 300.000 logements et d'en construire 150.000, desupprimer les lois Pasqua-Debré sur l'immigration. Quant à l'Europe, le pro-gramme est favorable à l'Euro mais pas à n'importe quelles conditions. Lessocialistes ne veulent pas une dilution de la France dans l'Europe mais unesouveraineté partagée. Enfin le dernier volet est celui de la modernisation, de ladémocratisation, avec une justice plus moderne, plus rapide, une limitation descumuls des mandats politiques, une durée de cinq ans pour tous les mandatsélectifs.

Jospin répond à la tribune libre de Chirac en adressant un texte le 9 mai àtous les quotidiens nationaux et régionaux.11 La victoire éclatante des travail-listes britanniques renforce Jospin qui peut s'appuyer sur l'exemple anglais:«Pour changer d'avenir, les Britanniques ont changé de majorité. Il nous fautfaire de même».12 C'est pour cette raison que la droite cherche aussi às'approprier la victoire de Tony Blair. Les attaques de Jospin portent essentielle-ment sur la gestion de Juppé et l'Etat-RPR. Son handicap est d'arriver àconvaincre une partie de l'électorat de la capacité des socialistes de relancerl'économie.

Le Parti communiste met encore plus de temps que le Parti socialiste à réagirpuisqu'il réunit le 25 avril son comité national, élargi aux parlementairescommunistes et aux responsables des fédérations, pour décider de la stratégie duparti. Le 6 mai Robert Hue lance la campagne du Parti communiste à Marseille.Le PCF signe, après cinq mois de discussions, avec le PS, le 29 avril unedéclaration commune, qui n'est pas un programme de gouvernement, à laMutualité à Paris.13 Jospin précise le 12 mai qu'il est exclu de négocier avec lescommunistes un accord de gouvernement. Le Parti socialiste conclut d'autrepart un pacte de non-agression électoral avec le MDC de Jean-Pierre Chevène-ment. Des accords sont conclus aussi avec les Verts de Dominique Voynet. Lesécologistes restent encore une fois divisés. C'est le cas de Génération Ecologie(Brice Lalonde) qui présentera ses candidats. La gauche est concurrencée aussipar les listes trotskistes de Lutte ouvrière et du PTT.

Le Front national (FN) réagit rapidement à la dissolution puisque le 24 avrilil communique la liste de ses candidats. Si Jean-Marie Le Pen ne se présente paslui-même (il se met en réserve), il lance la campagne du FN devant l'Opéra deParis le 1er mai après le traditionnel défilé devant la statue de Jeanne d'Arc. Il

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Tableau 1. Résultats du premier tour

InscritsVotantsExprimésAbstentionsBlancs et nuls

Total droitedont RPR

UDFLDIDiv. Droite

Total gauchedont PS + PRS

PCFVertsMDCDiv. Gauche

Extrême gauche

Extrême droitedont FN

Divers écologistes

Divers

39 200 46126 639 23625 324 53632,04%4,94%

9 155 7324 255 6713 723 616

709 764466 682

10 664 4896 469 7662 509 357

912 921265 921506 524

552 024

3 822 5193 783 623

675 338

454 434

% voixexprimées

36,1516,8014,702,801,84

42,1125,559,913,601,052,00

2,18

15,0914,94

2,67

1,79

% inscrits

23,3610,869,501,811,19

27,2116,506,402,330,681,29

1,41

9,759,65

1,72

1,16

Source: Le Président désavoué: élections législatives, 25 mai-1 juin 1997,Le Monde.

entend mener une campagne de rupture et sait que les voix du FN vont peser lorsdu second tour.

Les sondages et le désintérêt pour la campagne

Un face à face entre les deux leaders de la campagne, Juppé et Jospin, aurait pusortir la campagne de sa torpeur, mais elle n'a pas été possible. Un débat debonne tenue entre Edouard Balladur et Jacques Delors sur TFl a eu lieu le 29avril, où les deux hommes ont bien des difficultés à montrer leurs différences.Les sondages montrent le désintérêt des électeurs pour la campagne, leurindécision et leur perplexité qui se traduit par un non-choix ou la volonté des'abstenir. Quinze jours avant le premier tour on constate un effritementprogressif de la droite et un frémissement de la gauche. Ce n'est que quelquesjours avant le premier tour que l'on assiste à une remontée de la gauche.

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Le premier tour

11 faut noter d'abord l'importance de l'abstention. Si celle-ci n'atteint pas lahauteur de 1988 (année qui marqua après tout une élection de «confirmation»après que les présidentielles eurent donné la victoire à la gauche) elle représentetout de même 31.65 pour cent des inscrits. Comme toujours les abstentionnistesles plus convaincus se trouvent en Corse et en banlieue parisiennne, avectoutefois d'importantes concentrations dans l'Est, la vallée du Rhône et l'Ouest.Plus on descend l'échelle sociale et les classes d'âge, plus le tauxd'abstentionnisme s'accroît, trouvant son point fort chez les chômeurs et jeunes.Le vieux sud-ouest républicain semble en revanche avoir voté davantage.14 Acela on peut ajouter les nombreux citoyens qui pour une raison ou une autre nese sont pas inscrits sur les listes électorales; ce manque à gagner, qui seremarque particulièrement chez les jeunes et dans les zones urbaines, provoqueraaprès les élections une inquiétude croissante auprès de la classe politique,aboutissant à la proposition d'inscrire les jeunes de 18 ans automatiquement surles listes électorales, dans l'espoir de les mobiliser davantage.15

Parmi ceux qui se sont rendus aux urnes, 4,94 pour cent ont exprimé un votenul ou blanc. Les votants se sont exprimés à raison de 54 pour cent seulementen faveur d'un des trois partis dits de gouvernement (UDF, RPR, PS); autrementdit, le vote protestataire en faveur des formations périphériques s'est encoreaugmenté, comme il a tendance à le faire depuis plusieurs élections. Seuls 12députés sont élus au premier tour, alors qu'il y en a une bonne cinquantained'habitude (80 lors du triomphe de la droite en 1993).

La droite accuse une perte sèche par rapport à 1993, confirmant les pirescraintes de ceux qui avaient déconseillé à Chirac d'avancer le scrutin. Ses 36,2pour cent représente un recul de 7,9 pour cent, même en comptant les quelques4 pour cent que se partagent les indépendants et les partisans de Philippe deVilliers groupés sous le sigle de la Droite indépendante (LDI). Bien sûr au seinde l'alliance RPR/UDF qui avait un candidat unique dans 557 des 577 circon-scriptions, c'est la formation chiraquienne qui garde l'avance sur son partenaire/rival libéral. La gauche se hausse à 42,1 pour cent, progressant de quelques 7,1points par rapport à 1993. Si le PCF n'atteint pas tout à fait le seuil des 10 pourcent il peut se réjouir d'une solide plateforme qui, grâce à la disciplinerépublicaine, lui donnera un bon nombre de députés. Le PS et ses alliés radicauxremontent au-dessus du seuil de 20 pour cent, pour dépasser les 26 pour cent,si l'on ajoute le poids des chevènementistes. Si le vote global des écologistes esten baisse par rapport a 1993 quand il dépassa les 10 pour cent, le noyau de cevote est fermement ancré à gauche avec les 3,6 pour cent des amis de Voynet.Dernièrement, personne n'aurait pu être surpris par les 14,9 pour cent du FN, quien font l'arbitre pour le second tour, entre une droite qui a pris du plomb dansl'aile et une gauche qui remonte, mais de façon pas entièrement convaincante.

L'analyse sociologique de ce premier tour révèle quelques tendances de fond(Tableau 2). Nous avons composé ce tableau afin d'illustrer le mouvement desvoix entre 1993 et 1997. On voit que l'alliance de gauche progresse à travers

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Tableau 2. Premier tour: sociologie du vote*

HommesFemmes

Age18-2425-3435-1950-6465 +

Classe socialeCadres supérieursProfessions intermédiairesEmployésOuvriersInactifs

Gauche +Ecolos.

45 (43)47 (42)

51 (45)48 (49)50 (41)47 (38)38 (36)

52 (40)56 (52)54 (39)49 (42)42 (40)

Ecart1993-7

+ 2+ 5

+ 6- 1+ 9+ 9+ 2

+ 12+ 4

+ 15+ 7+ 2

Droitemodérée

35 (45)38 (44)

33 (36)32 (38)32 (41)38 (50)50 (51)

39 (53)32 (31)29 (35)24 (37)44 (48)

Ecart1993-7

- 1 0- 6

- 3- 6- 9

- 1 2- 1

- 1 41

- 6- 1 3

- 4

FN

18 (14)13 (13)

14 (18)18 (10)16 (13)15 (13)12 (13)

7 (6)11 (8)16 (8)25 (18)13 (12)

Ecart1993-7

+ 4—

- 4+ 8+ 3+ 3- 1

+ 1+ 3+ 8+ 7+ 1

•Chiffres de 1993 entre parenthèses.NB. Les indépendants continuent de voter majoritairement à droite (49 pour cent RPR/UDF, 17 pourcent FN), même si les 33 pour cent qui votent à gauche représentent un gain de quelques 10 pourcent sur 1993.Source: basé sur les données de YSMAL, C. et PERRINEAU, P. (eds), Le Vote sanction: les électionslégislatives des 21 et 28 mars 1993 (Figaro/FNSP, 1993) et Le Monde (5 juin 1997).

toutes les catégories d'âge et les classes sociales, en particulier chez les électeursd'âge mûr (de 35 à 65 ans) et chez les femmes. Encore une fois les jeunesélecteurs font la preuve de leur disponibilité en revenant nombreux vers lagauche; les chefs de la gauche sentiront mieux que quiconque la natureprovisoire de ce ralliement. On notera aussi l'avancée de la gauche chez lesemployés et les ouvriers, en même temps que chez les cadres supérieurs. Toutse passe comme si elle était en train de ressoudre cette alliance des classes aiséesattirés par le «libéralisme culturel» et des classes populaires, attirées de nouveauvers une gauche qui de tout temps eut pour vocation de défendre les «petits»contre les «gros». En 1993 Gérard Grunberg craignit que cette alliance, base detous les succès de la gauche depuis Epinay, ne se défasse;16 aujourd'hui il sembleque la gauche soit en train de colmater la brèche, du moins dans l'immédiat. Ausein de ces classes populaires on notera également le fort appui pour la gauchedes travailleurs du secteur public (63 pour cent en 1997 contre 59 pour cent en1993); tendance qui se vérifie de plus en plus partout ailleurs en Europe. S'il ya un mouvement certain à l'intérieur de chaque grand camp, peu de gens (10pour cent) traversent la ligne entre droite et gauche; 90 pour cent continuentd'ailleurs, quand ils sont interrogés par les sondeurs, à se placer sur une ligneallant de l'extrême droite à l'extrême gauche. La «solidité du moule gauche-droite», pour emprunter l'expression de Jean Chariot, continue donc à peserlourdement sur le comportement électoral des Francais.17

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Les gains de la gauche provenant évidemment des pertes de la droite modérée,celle-ci sera préoccupée de l'érosion d'une partie de son capital. Elle notera avecinquiétude qu'elle est victime d'un double grignotage, car elle perd aussi à sadroite. Aussi le FN fait-il des progrès chez les ouvriers, les employés et les 25-34ans, catégories dynamiques qui confortent sa base populaire.

Une campagne de second tour décousue et sans conviction pour la majorité

On assiste au sein de la majorité a un changement de cap. En effet à l'issued'une journée de consultation, Juppé annonce le 26 mai qu'il renoncera à lafonction de premier ministre après le second tour si la majorité l'emporte. Il n'yaura donc pas de Juppé III.18 Il est évident que cela l'affaiblit pour mener samajorité à la victoire. Des voix se font entendre pour parler de Philippe Séguincomme possible successeur. Le président Chirac intervient le 27 mai afin demobiliser l'électorat de la majorité.19 On assiste ensuite au rapprochement entrePhilippe Séguin et Alain Madelin, ce qui permet à Jospin de dénoncer cet«attelage baroque».20 On constate que les résultats du premier tour ont cassé ladynamique de la majorité. De plus, elle est mise en position dangereuse par lescandidats du Front national. Le Pen annonce le 26 mai que les candidats du FNse maintiendront partout où ils le pourront, c'est-à-dire dans 133 circonscriptions(contre 101 en 1993); ce qui provoquera 76 triangulaires. Il est en positiond'arbitre face à une droite affaiblie et peut lui faire perdre de nombreux sièges.Le chef frontiste accorde une «indulgence» à une poignée de candidats de ladroite en lice contre la gauche, en retirant son champion; sans doute estime-t-ilque ceux-ci sont suffisamment proches des thèmes véhiculés par le FN. Cecadeau empoisonné risque de rouvrir des plaies au sein de la droite, car il posede nouveau la question d'éventuels accords FN/droite républicaine. En fait, ladroite réplique en retirant son candidat dans la 7e circonscription de l'Hérault,quitte à laisser le communiste seul contre le FN. Le PS pour sa part retire soncandidat dans la ville-symbole de Dreux, où c'est le sortant RPR qui affronteraMarie-France Stirbois. Jusqu'ici donc le pacte républicain contre l'extrémismesubsiste tant bien que mal.

A gauche, au contraire, Jospin profite de la dynamique du premier tour. Mêmes'il explique que «rien n'est fait», la tendance du premier tour ne peut s'inverser;et il en profite pour montrer que la campagne de la droite est «marquée par laconfusion, voire le désarroi» et pour préciser le contenu de son «pacte dechangement».21

Les sondages sont interdits pendant cette semaine de campagne mais il estpossible de les consulter sur internet où dans des journaux étrangers. Le Parisienet France-Soir ont décidé d'en publier en violation de la loi. La difficulté deprévoir les résultats à partir des sondages réside dans la difficulté de conversionentre les voix et le nombre de sièges.

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Tableau 3. Résultats du second tour

InscritsVotantsExprimésAbstentionsBlancs et nuls

Total droitedont RPR

UDFDiv. Droite

Total gauchedont PS + PRS

PCFVertsDiv. Gauche

FN

38 440 71427 343 90225 614 72028,9%

6,3%

11792 4336 057 6235 374 563

360 247

12 387 4039 950 180

963 915437 735

1 035 573

1 434 884

% voixexprimées

46,0423,6520,98

1,41

48,3638,853,761,714,04

5,60

% inscrits

30,6815,7613,980,94

32,2225,882,511,142,69

3,73

Source: Le Président désavoué: élections législatives, 25 mai-1 juin, 1997,Le Monde.

Le second tour

Si le taux d'abstention baisse jusqu'à 29,2 pour cent, le nombre de votes blancset nuls (6 pour cent) suggère que la mobilisation des citoyens n'est toujours pasentièrement réussie. Les grands bénéficiaires en termes de sièges restent lespartis de gouvernement, bien que le PCF améliore son score. Pour leur part, lesVerts et le MDC font leur entrée au parlement grâce à l'alliance pratiquée avecle PS. Le FN ne fait élire qu'un seul député; J.-M. Chevallier, maire de Toulon,bat la socialiste dans un duel, confirmant le poids des notables dans les combatslégislatifs. A droite le RPR devance l'UDF de quelques 27 députés, confirmantdes rapports de force établis il y a 20 ans. Ces chiffres semblent confirmer l'effetamplificateur du scrutin à deux tours (Tableau 4). Avec 42 pour cent des voixau premier tour, la gauche (Verts compris) prend 55 pour cent des sièges, celaen dépit du fait que la droite semble avoir mobilisé quelques réserves entre lesdeux tours (dans 43 départements, son score s'accroît de plus de 10 pour cent).La clé de ce progrès de la gauche se trouve évidemment en partie dans laprésence du FN dans les 75 triangulaires. Sans disposer de scrutins de sortie desurnes très sophistiqués, il est difficile d'affirmer catégoriquement que la présencedu FN a donné tant de sièges à la gauche. Cela dit, dans les 69 triangulaires oùle FN se maintenait face à un sortant de droite, 39 sont tombés à gauche.22

Colette Ysmal estime pour sa part que le FN a donné entre 20 et 35 sièges à lagauche (selon la proportion de votants FN du premier tour dans les 46 siègestombés à gauche qui auraient pu voter pour la droite au second).23 Pour sa part

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Tableau 4. Sièges gagnés par les partis

PCFMDCPS, PRS, DVGVertsDiversUDFRPRDVDFNTotal

397**

26381

110137

111

577

(23)*

(70)

(213)(247)

(24)

(577)

*Chiffres de l'Assemblée sortante entreparenthèses.**4 MDC élus avec l'étiquette PS en 1993.Source: La Croix (3 juin 1997).

Soulet n'hésite pas à écrire que le FN «a pour la première fois infléchidirectement la dévolution du pouvoir et fait basculer la majorité de droite àgauche».24 Pour La Croix, la situation est moins certaine. Sur les 46 siègesgagnés par la gauche, 7 lui appartenaient déjà.25 Un certain nombre des autresseraient sans doute tombés aussi, même sans la présence du candidat frontiste;le difficile est de dire combien exactement, dans l'hypothèse où Le Pen auraitretiré son candidat. Mais l'éditorialiste précise quand même qu'à la différence de1988, la droite modérée n'a fait aucun accord, même tacite, avec le FN; ce quilui permet de dire qu'elle a payé le prix de sa rigueur. Si ce prix semble difficileà chiffrer, on peut penser que l'écart qui sépare la droite et la gauche est demoins de 60 sièges; autrement dit, le «transfert» d'une trentaine de sièges auraitété déterminant. Il nous paraît donc difficile de sous-estimer l'importance de cemaintien du FN.

La victoire socialiste emporte bon nombre des ténors de la droite; huitministres mordent la poussière, y compris le Garde des Sceaux Jacques Toubonà Paris. L'équipe de jeunes turcs juppéistes, tels J.-F. Mancel et P. Stefanini, quidirigeaient le RPR, essuie aussi la défaite. A Bordeaux, Juppé lui-même esttalonné de près dans la circonscription historique de Chaban-Delmas.

La répartition géographique des sièges confirme des tendances séculaires, avectoutefois quelques nuances. C'est ainsi que la gauche retrouve ses bastions dusud-ouest et du nord, réalisant sa meilleure performance (65 pour cent) danscette Ariège emblématique qui déjà donna son meilleur résultat à Mitterrand en1965. La droite résiste dans ses places fortes comme l'Alsace, l'ouest intérieur,la Vendée ou la Savoie. Dans certaines zones de l'Ouest (Finistère, Calvados) onnote pourtant un effritement au profit de la gauche, ce qui confirme uneévolution amorcée aux années 1970.26

Les nouveaux députés reflètent aussi un certain changement culturel. Les 63élues représentent 10,9 pour cent de l'Assemblée (en 1993 elles étaient 32, soit6,4 pour cent). Les 43 élues socialistes (15,8 pour cent du groupe) font la preuvedu volontarisme socialiste; en essayant d'utiliser un quota (27,6 pour cent des

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candidats étaient des femmes), le PS a imposé un changement certain. Les Vertsen ont fait plus, avec trois femmes sur huit élus. A droite, où l'on a refusé lesquotas et investi en règle générale les sortants, le RPR finit avec cinq députées(3,7 pour cent du total) et l'UDF 7 (6,5 pour cent).

Chirac accepte sans hésiter le verdict populaire en invitant Jospin à former ungouvernement. Ayant réalisé sa cinquième alternance depuis 1981, la Frances'embarque donc pour la troisième fois sur une cohabitation qui semble devenirde plus en plus la norme. Avec ses 27 membres (14 ministres, deux ministres-délégués, dix secrétaires d'état), le gouvernement Jospin est l'équipe la pluscompacte depuis 1958.27 Dans un geste qui reflète la logique de ses alliances,Jospin invite à rejoindre cette équipe «plurielle» le MDC, les Verts et le PCF;ce qui pourrait avoir des conséquences considérables sur le système partisan(voir plus loin). Ainsi Chevènement, républicain et jacobin indéfectible, prendl'Intérieur et Voynet l'Environnement. Les communistes reçoivent trois postes,notamment le ministère des Transports et celui de la Jeunesse et des Loisirs, oùMarie-Georges Buffet symbolise la féminisation et le renouvellement de ladirection communiste menés sous la houlette de Robert Hue. Les femmesreprésentent 30 per cent d'un gouvernement dont seule la moitié des membresont une expérience ministérielle préalable. Du côté socialiste, il faut noterl'absence des «éléphants» (Lang, Fabius, Quilès) et la domination des jospinis-tes, même si on jette quelques os aux rocardiens (trois ministères) et auxfabiusiens (deux secrétaires d'état). Bref, la composition du gouvernement reflètel'autorité indiscutable de Jospin, à la fois sur son propre parti et sur le pays.

Les conséquences

Les conséquences de ces élections peuvent être analysées sur deux plans: celuides partis politiques d'abord, ensuite celui de la politique générale.

En ce qui concerne l'expression des électeurs, il serait abusif d'y voir lapreuve d'une volatilité croissante, porteuse d'instabilité. L'index conçu parPetersen définit la volatilité de l'électorat entre deux scrutins comme le montantde tous les gains réalisés par le ou les partis victorieux (ou, si l'on préfère, lasomme des pertes des perdants). Avant la Ve République, la volatilité desFrançais était de 22,3 pour cent en moyenne, par rapport à une moyenne enEurope Occidentale de 8,7 pour cent seulement entre 1945 et 1989.28 Or, lesélections de 1997 révèlent une volatilité de 8,8 pour cent (pratiquement la normeeuropéenne, donc); en 1993, lors du raz de marée de la droite, la volatilité étaitde ... 3,6 pour cent! Ce qui suggère que les électeurs ne sont pas très volatiles,mais que le système des deux tours est très finement équilibré quand il s'agit deconvertir voix en sièges; il suffit d'un déplacement relativement modeste pourfaire basculer la majorité d'un bloc à l'autre. Evidemment quand la cohésiond'un de ces blocs est disloquée par la présence d'un trouble-fête, le déséquilibrene peut qu'aller croissant. Cette faiblesse systémique pose d'évidents problèmesaux partis, surtout à droite.

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En ce qui concerne les partis stricto sensu, le système des partis aura faitencore la preuve de sa remarquable souplesse, rappelant les beaux jours de la IIPou IVe République. Ainsi, si les partis «de gouvernement» ont moins de voix quejamais au premier tour, ils s'en sortent néanmoins avec la quasi-totalité desdéputés. Le système aura produit aussi une alternance sans problèmes; undéplacement de 8 pour cent des voix de droite à gauche permet facilement laconstitution d'une majorité de gauche. En décidant d'inclure le PCF dans songouvernement à côté des Verts et du MDC, Jospin élargit considérablement lenombre des partis de gouvernement et absorbe du même coup une bonne partiedes voix dites protestataires. Voici une des conséquences sans doute les plusimportantes de ce scrutin; nous assistons en effet à un renouvellement del'intérieur du système partisan. Beaucoup dépend bien sûr de la réussite del'équipe jospinienne; mais désormais les hérauts de la «crise de la représenta-tion» auront peut-être à mettre de l'eau dans leur vin.29

Au niveau des partis individuels, si le PS confirme sereinement sa vocation departi de gouvernement (et pôle essentiel de toute combinaison anti-droite), ladéfaite pose de cruels problèmes pour la droite parlementaire. Sans douteestimera-t-on que la défaite était inévitable, vu l'impopularité des mesures prisespour satisfaire aux critères de Maastricht. Mais cela évacue le problème desrapports au sein du RPR. Si Juppé a été le protagoniste loyal d'une politiqueapprouvée voire conçue à l'Elysée, il a dû imposer cette politique à un appareilde plus en plus recalcitrant, craignant la réaction des électeurs. Autrement dit, leRPR a affronté le dilemme de tout parti au pouvoir: comment exister à côté d'unprésident dont on doit être l'appui loyal et qu'on n'ose donc contrecarrer? Larapide évacuation de Juppé et la mainmise de Philippe Séguin sur le RPRsignifie une réponse volontariste à ce problème; ce parti va assumer le rôleprincipal dans l'opposition. Opposition dirigée non seulement contre Jospin,faut-il remarquer. Chirac aura évidemment à se faire moins visible pendant uncertain temps; c'est donc un début de campagne présidentielle séguiniste pour2002 qui se prépare. Le RPR risque fort d'être le siège d'une lutte entrechiraquiens et séguinistes.30

L'UDF révèle encore son statut d'éternel second. Incapable de se distinguerpar rapport au RPR, elle partage le rejet de celui-ci par les électeurs. Plus quepar le passé, la recherche d'un présidentiable sérieux s'impose, qui devra unifierenfin ce parti qui n'en est pas un, ressemblant davantage à une clique de notablesqu'à une machine politique unitaire.

Le RPR et l'UDF se sentent talonnés de plus en plus par un FN qui attend sonmoment. Si le système électoral l'a privé de sa juste récompense en termes desièges, il sait qu'il a contribué de façon décisive à la défaite de la droite. Celle-cis'interroge de plus en plus sur le comportement qu'il faut avoir face à ce rivalbrutal. Pour les législatives, la ligne du rejet total a prévalu. Depuis, on entenddes chefs de la droite s'interroger sur la similitude de leur électorat à celui duFN; si un Alain Peyrefitte a toujours eu ces sentiments, C. Goasguen, secrétairegénéral de FD, réputé le plus libéral sur ces questions, ne tient pas un langagedifférent.31 Seulement, quelle est la meilleure façon de récupérer les votants

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perdus de la droite? Dénoncer simplement ceux pour qui ils ont voté, ou serapprocher de façon subtile de ceux-ci, à commencer par les institutionsnon-parlementaires où le FN a des élus? Bref, l'incorporation du FN commeparti du système pourrait être à l'ordre du jour.

Sans doute est-ce la conscience des problèmes qui guettent la droite parlemen-taire qui provoque, peu après les élections, de nouvelles propositions pour lafusion des deux grandes formations dans un parti unique de la droite. Cettenostalgie d'un toryisme à la française, exprimée par les «rénovateurs» après lesdéboires de 1988 et par Balladur, est reprise cette fois-ci par des députés deprovince, agissant selon certains pour le compte d'un Chirac soucieux des'assurer le contrôle d'une opposition qui risque de lui échapper. Les leadersprincipaux, de Séguin à Léotard, y proclament leur opposition.32

Une dernière interrogation concerne le PS. Il a gagné ces élections avec unpourcentage assez bas du vote sur un programme qui a beaucoup dénoncé ladroite et qui contenait des promesses peu crédibles. Et avec l'aide du FN. Surle plan doctrinal, il est loin d'avoir fait la mutation de parti de la vieille gaucheen parti moderne, telle que le Labour l'a réalisée sous la houlette de Tony Blairet de Peter Mandelson. Il est vrai que Jospin semble désormais le maîtreindiscuté de l'appareil et que les fabiusiens sont pour l'instant écartés. Mais uneimpression de fragilité persiste, et beaucoup dépendra de la façon dont Jospin varedéfinir l'identité de sa formation tout en gérant son alliance de gouvernement.Bref cette menace d'instabilité qui guette toujours le système partisan en Francepersiste, même si les partis s'ingénient à la conjurer.

Reste à établir les conséquences pour les institutions de la Ve République. Ilest évident que cette troisième cohabitation qu'entame Chirac voit le présidentdans une position très faible, peut-être plus faible même que celle de Mitterrandaprès 1993; celui-ci du moins n'avait pas sollicité exprès le désaveu aux urnes.Il est vrai que le président garde la possibilité de dissoudre l'Assemblée si legouvernement Jospin déçoit sérieusement dans les deux années à venir. Mais onpeut imaginer que le pouvoir de dissoudre sera un peu comme la force de frappe,destinée à inspirer le respect mais jamais à être utilisée. Chirac pourradifficilement jouer les chefs d'opposition, fût-ce par personnes interposées. Ilaura donc a fonctionner comme collaborateur loyal d'une équipe gouvernante.Les premières démarches du gouvernement Jospin (où, sous une rhétorique duchangement, la ligne française sur l'Europe est maintenue avec les conséquencesque l'on sait pour le chômage) doivent lui faire penser que cette tâche ne serapas aussi difficile qu'il aurait pu craindre.

Conclusion

Tel Michel Rocard en 1993, Chirac se trouve au milieu d'un «champ de ruines».Il a raté son pari. Cherchant à garder sa majorité et à affaiblir le FN, il se trouvedépourvu de majorité et devant un FN qui attend sa chance, lorgnant déjà lesélections régionales de 1998. Non que les élections de 1997 représentent nonplus un ralliement sans réserve à la gauche; il s'agit surtout d'un rejet de la

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droite parlementaire. Jospin dispose de deux ans pour convaincre les Françaisque la politique menée depuis dix ans reste la seule valable, même si elle doitsubir quelques modifications. Comme le remarque Hugues Portelli, il s'agit detrouver un moyen de persuader les Français que la politique peut changerquelque chose dans un monde où prime le marché global et où partis etgouvernements voient leurs options politiques se rétrécir.33 Sinon, les exaspéra-tions risquent de fuser et selon l'expression d'un des invités de la soiréeélectorale de France Inter «d'ouvrir un boulevard au FN». Il faut se méfierdes avertissements apocalyptiques, mais il existe désormais la possibilité desérieuses perturbations. Le système politique français aborde une phase délicate.

Notes et références1. Il est élu avec 52,63 pour cent des suffrages exprimées (15 766 658 voix) contre 47,37 pour cent

(14 191 019 voix). Voir BUFFOTOT, P. et HANLEY, D., «Chronique d'une victoire annoncée: leséléctions présidentielles de 1995», Modern and Contemporary France, 4 (1996), pp. 15-30.

2. Les deux éléctions de la Ve République qui ont donné de fortes majorités sont celles de 1968 où la droiteobtient 387 députés sur 491 (293 UDR, 61 RI et 33 centristes du PDM) et celles de 1981 où la gaucheobtient 329 élus (285 PS, 44 PCF).

3. Journal Officiel du 19 mai et du 7 novembre 1995. Le nouveau premier ministre entend faire preuved'innovation en nommant de nombreuses femmes au gouvernement. Il en élimine la plupart lors de ceremaniement.

4. MAUDUIT, L., «L'épilogue baroque d'une dissolution qui n'a pas atteint son but», Le Monde (22juillet 1997), p. 7. Voir aussi BACQUE, R. et SAVEROT, D., Seul comme Chirac (Grasset, 1997);LIBERATION, Histoire secrète de la dissolution (Plon, 1997); et le dossier de Modern & ContemporaryFrance, 5(4) (1997).

5. Le Monde (22 avril 1997). La dissolution a été utilisée deux fois en 1962 et 1968 par le Général de Gaulle.Sur le discours de Chirac voir Le Monde (23 avril 1997).

6. Le Monde (26 avril 1997).7. Le Monde (3 mai 1997).8. Le Monde (9 mai 1997).9. Voir la liste dans Le Monde (6 mai 1997, p. 7 et 7 mai 1997, p. 7).

10. Le Monde (3 mai 1997).11. Le Monde (10 mai 1997).12. Le Monde (4-5 mai 1997).13. Le Monde (2 mai 1997, p. 9). Elle prévoit une relance du pouvoir d'achat, de la consommation et de

l'emploi; la création de 700.000 emplois pour les jeunes; une loi-cadre sur les 35 heures par semaine; uneréforme fiscale; l'arrêt des privatisations en cours et une loi sur l'immigration à la place des loisPasqua-Debré.

14. La Croix (27 mai 1997).15. Selon une étude du CEVIPOF, les 18-24 ans se sont abstenus à raison de 40 pour cent et les 25-34 à

raison de 43. A côté des 40 millions d'élécteurs inscrits en 1995, les non-inscrits représentent 10 pour centencore d'électeurs potentiels, contre 3 pour cent en 1978. Voir La Croix (28 août 1997).

16. GRUNBERG, G., «Que reste-t-il du parti d'Epinay?» in C. YSMAL et P. PERRINEAU (eds), Le Votesanction: les éléctions législatives de 1993 (Figaro/FNSP, 1993), pp. 208-9.

17. CHARLOT, J., «Recomposition du système de partis français ou rééquilibrage limité?» in ibid., p. 270.18. Le Monde (28 mai 1997) p. 6.19. Le Monde (29 mai 1997).20. Le Monde (30 mai 1997) p. 5.21. Ibid.22. TABARD, G., «La gauche reconquiert ses bastions», La Croix (3 juin 1997).23. Nous sommes très reconnaissants à Mme Colette Ysmal de nous avoir permis de citer ses calculs.24. SOULET, J., «Triangulaires: le FN à l'ère de la glaciation», Politique Opinion, 24 (2 juillet 1997), p. 4.25. «Des Triangulaires décisives», La Croix (4 juin 1997), p. 13.26. Ibid., p. 12.27. La Croix (6 juin 1997).

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28. MAIR, P., 'Myths of electoral change and the survival of the 'old' parties', de son Party System Change:Approaches and Interpretations (Clarendon Press, 1997), pp. 76-90.

29. Voir par exemple MOSSUZ-LAVAU, J., Les Français et la politique (Odile Jacob, 1994); MAYER, N.et PERRINEAU, P., Le Comportement politique (Colin, 1992).

30. Le Monde (12 juin et 8 juillet 1997); La Croix (5 et 6 juillet 1997). Voir aussi SAUX, J.-L., «PhilippeSéguin: repreneur du RPR», Le Monde (6-7 juillet 1997), p. 8.

31. PEYREFITTE, A., «L'Avalanche», Le Monde (17 juin 1997), p. 17.32. «Les dirigeants du RPR et de l'UDF récusent toute fusion de leurs mouvements», Le Monde (28 août

1997), p. 6.33. PORTELLI, H., «La droite française en quête de répères», La Croix (20 septembre 1997).

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