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Développement des cultures irriguées : Rôle des organisations paysannes et modalités d’appui à la petite irrigation familiale
Auteur :
Alizée Ehrnrooth, Réseau Echanges et Développement Durable (REDD, Lausanne)
Relecteurs : Ronald Jaubert, Université de Lausanne et Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID, Genève)
Lawali Dambo, Université Abdou Moumouni (UAM, Niamey)
Mahamadou Issoufou, Secrétaire Exécutif de la FUGPN-Mooriben
Hassane Mounkaila, Secrétaire Exécutif de la FCMN-Niya
Résumé :
Sur la base des expériences acquises par les organisations paysannes partenaires du
PADIP, cet article présente les différents instruments et/ou stratégies d’intervention mises en
œuvre en matière d’appui au développement de la petite irrigation familiale au Niger. Il vise
ainsi à établir un état des lieux des actions réalisées en mettant en évidence les contraintes
qui continuent à peser fortement sur les petits producteurs et qui limitent considérablement
leurs capacités à mettre en valeur les ressources en eau existantes et à tirer pleinement
avantage des cultures de contre-saison.
Document de travail PADIP Février 2012
CEIPI Centre d’Etudes et d’Information sur la Petite Irrigation
1
Introduction
Le développement des cultures pluviales a montré ses limites à assurer la sécurité
alimentaire, en atteste la fréquence de plus en plus rapprochée des crises qui frappent le
Niger. La vulnérabilité de l’agriculture nigérienne aux aléas climatiques (sécheresses et
inondations), liée à une pluviométrie insuffisante et inégalement répartie dans le temps et
dans l’espace, est source d’importants déficits céréaliers qui tendent au fil des années à
devenir structurels. Pour inverser la tendance observée, une alternative réside dans le
développement des cultures irriguées. En permettant aux producteurs de cultiver sur
l’ensemble de l’année, au lieu des trois à quatre mois en saison des pluies, le
développement de l’irrigation contribue fortement à l’amélioration de la sécurité alimentaire et
à la création d’emplois, limitant ainsi l’exode rural et les conséquences qui lui sont associées
(pauvreté, propagation du VIH, délinquance, etc.). Le développement des cultures irriguées,
plus particulièrement le maraîchage, a également démontré son potentiel à améliorer
significativement les revenus des petits producteurs et leur situation nutritionnelle, ainsi qu’à
favoriser l’autonomisation des femmes très nombreuses dans les cultures de contre-saison.
Malgré les nombreux projets et programmes d’irrigation réalisés depuis l’indépendance, le
potentiel irrigable au Niger, estimé à 270'000 ha, reste faiblement exploité avec environ 30%
des terres mises en valeur1 . Conscient de l’importance que revêt le sous-secteur de
l’irrigation pour le développement du pays, la Stratégie de Développement Rural (SDR) ainsi
que le programme du Président intitulé : Initiative 3N « les Nigériens Nourrissent les
Nigériens » accordent une importance de premier ordre à l’extension des surfaces irriguées.
Un des moyens d’intervention retenu consiste dans la promotion et l’appui à la petite
irrigation familiale (qualifiée aussi de petite irrigation privée ou individuelle).
Hormis quelques projets phares comme le PPIP2, le PIP23 et ASAPI4, la petite irrigation
familiale s’est développée essentiellement sur la base d’initiatives individuelles hors projets,
c’est-à-dire d’initiatives n’ayant pas bénéficié d’appui financier ou technique5. Elle est encore
très largement méconnue par les autorités nigériennes en témoigne sa non prise en compte
dans les statistiques nationales (Ehrnrooth et al. 2011). Son potentiel, ses dynamiques
locales et ses contraintes représentent ainsi autant d’inconnues qui limitent non seulement
l’intérêt qui lui est porté mais aussi l’efficacité des appuis qui pourraient être apportés.
1 Les données relatives aux superficies irriguées sont sensiblement variables selon les sources : 73'660 ha (FAO, 2005), 100'000 ha (SNDI, 2005), 85'000 ha (République du Niger, 2011). 2 Projet Pilote de Promotion de l’irrigation Privée (financé par la Banque Mondiale). 3 Projet de Promotion de l’Irrigation Privée - phase 2 (financé par la Banque Mondiale). 4 Projet d’Appui à la Sécurité Alimentaire par le Développement de l’Irrigation (financé par l’Union Européenne). 5 Selon les résultats de la première série d’enquêtes réalisées dans le cadre du PADIP, environ 80% des irrigants interrogés se seraient lancés dans l’irrigation sans avoir préalablement bénéficié d’un appui financier ou technique.
2
Rôle des Organisations Paysannes
Le désengagement de l’Etat, associé aux réformes de libéralisation du secteur agricole
impulsées par les institutions internationales au milieu des années 1980, a eu pour
conséquence de laisser un vide immense en matière d’appui au développement rural.
Facilité par l’avènement de la démocratie et l’adoption d’un cadre législatif favorable à la
structuration du milieu coopératif, on assiste au milieu des années 1990, à l’émergence
d’Organisations Paysannes (OP) faîtières dont l’objectif central consiste à fournir à leurs
membres un ensemble de services économiques (intrants, équipements agricoles, appui-
conseil, formation, etc.) indispensables à la bonne conduite des activités agro-sylvo-
pastorales. Fort de nombreuses années d’expériences comme acteurs de terrain, plusieurs
OP ont acquis des compétences et des qualités d’expertises non-négligeables notamment
en matière d’appui à la petite irrigation. En tant que représentants du monde paysan, ces
organisations disposent d’une assise sociale importante et se présentent ainsi comme un
acteur légitime et incontournable du développement rural.
Bien que les discours officiels et les documents de politique plaident en faveur d’une
participation plus importante des OP à la mise en œuvre de la SDR, la connaissance très
limitée de leurs capacités et stratégies d’intervention qu’ont les acteurs publics et nombreux
de leurs partenaires techniques et financiers (PTF) constitue un des obstacles majeurs à un
accroissement des relations partenariales entre ces différents acteurs du développement
rural (Ehrnrooth 2009).
Les OP nigériennes partagent en commun la difficulté de capitaliser, valoriser et diffuser les
expériences et compétences qu’elles ont acquises. Le Programme d’Appui au
Développement de l’Irrigation Privée (PADIP)6 a pris le parti de travailler en collaboration
avec trois OP faîtières reconnues, à savoir la FCMN-Niya7, la FUGPN-Mooriben8, et la
PFPN9 (annexe 1) afin d’une part, de démontrer et faire reconnaître le potentiel de la petite
irrigation familiale comme stratégie d’extension des surfaces irriguées, et d’autre part, de
spécifier les appuis nécessaires à son développement. Sur la base d’un travail important de
récolte d’informations (plans stratégiques et opérationnels des OP, rapports de projets, etc.)
et de discussions avec les coordinateurs et chargés de programme de ces trois
organisations, plusieurs éléments ou pistes de réponses peuvent être avancées quant aux
formes d’appui qui contribuent favorablement et significativement au développement de la
petite irrigation familiale.
6 Le PADIP est financé par la Direction du Développement et de la Coopération suisse (DDC) sur une période de deux ans (2010-2012). 7 Fédération des Coopératives Maraîchères du Niger 8 Fédération des Unions de Groupements Paysans du Niger 9 Plateforme Paysanne du Niger
3
Modalités d’appui à la petite irrigation familiale
En dépit d’un fort potentiel irrigable (fleuve et ses affluents, mares permanentes ou semi-
permanentes, nappes phréatiques peu profondes) présent dans nombreuses zones
d’intervention des OP, les petites exploitations familiales peinent à développer les cultures
irriguées. Ce constat s’explique par des raisons variées et multiples : difficulté d’accès à la
terre surtout pour les classes les plus vulnérables (femmes et jeunes), accès limité aux
intrants et matériels agricoles, non-maîtrise des technologies d’irrigation, compétences
limitées des itinéraires techniques, difficulté à conserver, transformer et écouler la production
sur les marchés, etc. Pour lever les nombreuses contraintes qui limitent la mise en valeur
des terres potentiellement irrigables, et pour que les producteurs tirent pleinement avantage
des cultures irriguées, les OP estiment qu’un appui approprié doit prendre en compte
l’intégralité de la chaîne de production, c’est-à-dire l’ensemble des activités aussi bien en
amont qu’en aval de la production : accès à la terre, accès aux équipement d’irrigation
(moyens de captage, d’exhaure et de distribution de l’eau) et aux intrants agricoles
(semences sélectionnées, engrais et produits phytosanitaires), appui-conseil, activités de
conservation, stockage, transformation et commercialisation de la production. Chaque
maillon de la filière est important. Ils influent directement sur le volume de production et sur
la rentabilité économique de l’activité, condition sine qua non de sa durabilité.
La figure ci-dessous illustre l’ensemble des activités à réaliser en vue d’un appui optimal au
développement de la petite irrigation familiale.
FIGURE 1. Activités d'appui à l’irrigation familiale
Développement irrigation familiale
Accès à la terre
Accès aux équipements
Accès aux intrants
Appui-conseil
Conservation/Transformation
Commercialisation
4
Pour chacune des activités à réaliser, il est possible de recourir à plusieurs instruments et/ou
stratégies d’intervention. Les informations suivantes sont tirées des expériences acquises
par les OP partenaires du PADIP dans le cadre de projets réalisés pour l’essentiel avec
l’appui de leurs différents partenaires au développement (annexe 2).
Accès à la terre
Dans la majorité des projets de petite irrigation privée, la possession d’un titre foncier est un
prérequis indispensable à l’obtention d’un appui financier (crédit ou subvention).
L’expérience montre que cette conditionnalité constitue un facteur important d’exclusion des
classes les plus vulnérables (femmes et jeunes) en raison de leur accès très limité au
foncier. Dans la société nigérienne, la terre est traditionnellement transmise aux aînés de
sexe masculin, et les parcelles les plus favorables aux activités de contre-saison (notamment
celles des bas-fonds) sont quasi systématiquement attribuées aux hommes. Cette
conditionnalité d’un accès sécurisé à la terre, qui peut s’expliquer par un double objectif, à
savoir éviter des conflits fonciers et favoriser la durabilité des investissements réalisés, pose
question dans un contexte marqué par une raréfaction des terres disponibles du fait de la
forte croissance démographique et de la dégradation croissante des ressources naturelles.
N’existe-t-il pas un moyen de contourner ce facteur de blocage qui actuellement limite
considérablement l’accès des petits producteurs (surtout femmes et jeunes) aux appuis des
projets de développement ?
Selon les OP, ce n’est pas tant l’accès à la terre qui fait défaut mais sa sécurisation. Dans
nombreuses régions du pays, il existe des « arrangements sociaux » ou des « clauses
locales » qui permettent aux petits producteurs sans terre (essentiellement les femmes) de
cultiver en contre-saison sur des terres en prêt ou en location. Ces arrangements, qui
prennent souvent la forme d’un contrat écrit 10, stipulent clairement les spéculations et
technologies d’irrigation autorisées. En raison de la nature temporaire de ces pratiques
agricoles, l’arboriculture et la construction d’ouvrages hydrauliques tels que les puits sont
généralement proscrits. Ces modalités d’accès à la terre, variables d’une localité à une
autre, fonctionnent relativement bien aux dires des paysans. Quelques cas de conflits sont à
relever comme l’illustre la situation dans l’encadré ci-dessous.
10 « Le certificat de prêt de terre », qui tire son origine des dispositions de l’Ordonnance N093-015 du 2 mars 1993, constitue un acte administratif délivré par une structure du code rural (commission foncière départementale, communale ou de base) qui permet de sécuriser les termes du prêt et de sécuriser aussi bien le propriétaire terrien que l’emprunteur. La délivrance du certificat de prêt de terres a été très largement adoptée par les intervenants en milieu rural.
5
Dans le cadre d’un projet d’appui au développement de la filière maraîchère dans les unions de Mooriben, un conflit est survenu entre un groupement de femmes bénéficiaires du projet et un groupe d’hommes appartenant au même village. Ces derniers, désireux de s’accaparer le projet au détriment du groupement féminin, ont orchestré un sabotage consistant à comploter avec le propriétaire terrien qui avait accordé l’utilisation de son site maraîcher gratuitement et pour une durée de dix ans. Face aux pressions exercées par ses pairs, le propriétaire a décidé de revenir sur sa décision. Pour la bonne conduite des actions futures du projet, il a été obligé de changer de groupement féminin.
ENCADRE 1. Exemple d’un conflit foncier
Des conflits de ce type peuvent être limités par la mise en place de séances d’information et
de sensibilisation portant sur les modalités du projet et les retombées importantes tant pour
les bénéficiaires que pour la population du village dans son ensemble.
Concernant les groupes cibles des projets, les OP insistent sur la nécessité d’inclure les
producteurs aux droits fonciers les plus précaires en raison de la prévalence de ces acteurs
dans les cultures de contre-saison (notamment les femmes qui sont quantitativement
importantes dans les cultures maraîchères) et donc par là, de l’impact élevé que peut induire
un projet sur l’amélioration de leur sécurité alimentaire et de leurs revenus. Tout en appuyant
ces petits producteurs, les OP estiment que les projets devraient travailler à sécuriser
davantage les droits fonciers afin que les couches sociales les plus défavorisées se
retrouvent moins lésées dans les conflits fonciers qui obéissent encore très souvent à des
règles traditionnelles imprégnées d’arbitraire. Un des moyens proposé pour améliorer la
sécurisation foncière consiste à appuyer les commissions foncières existantes et accroître
leur nombre sur l’ensemble du territoire. Ces mesures, conformes aux dispositions du code
rural qui stipule que tout projet de développement en lien avec la gestion des ressources
naturelles (GRN) est tenu d’inclure un volet « création et appui aux commissions
foncières », rencontrent encore nombreux problèmes de mise en œuvre (lenteur des
procédures administratives pour délivrer les actes de propriété, réticence des agriculteurs
vis-à-vis de ces procédures très éloignées des pratiques traditionnelles, etc.).
Accès aux équipements d’irrigation
Une des contraintes majeures qui limite le développement des cultures irriguées est la
difficulté pour les producteurs de financer les équipements d’irrigation. Dans les zones
rurales, l’accès formel à des sources de financement est difficile (faible présence des IMF) et
les méthodes de financement informelles sont très coûteuses (taux d’intérêts usuriers). Pour
améliorer l’accès des producteurs aux matériels d’irrigation, deux questions centrales se
6
posent : Quelles sont les technologies d’irrigation à promouvoir ? Et quels sont les modes de
financement les plus appropriés ?
Ces dernières années, plusieurs études abordant les technologies de petite irrigation au
Niger et en Afrique de l’Ouest plus largement ont été réalisées (IPTRID 2000 ; Gadelle
2001 ; ANPIP 2001; République du Niger 2008). Un élément commun ressort de ces
différentes études : il n’y a pas une technologie « type » à promouvoir en matière de petite
irrigation. Le choix du matériel doit, pour être optimal, se faire en prenant en compte
plusieurs critères : taille des parcelles à irriguer, profondeur de la nappe phréatique, qualité
des sols, disponibilité et coût des technologies sur le marché (y compris le carburant pour les
moyens d’exhaure motorisés), niveau d’expérience de l’irrigant, ressources financières et
statut foncier de l’exploitant.
En raison des capacités financières limitées des producteurs, des difficultés de maîtrise de
l’eau et d’entretien des équipements, les OP plaident pour la promotion de technologies
simples à faible coût avec pour gage de durabilité, l’adoption progressive vers des
technologies plus performantes. Le modèle ci-dessous illustre cette situation.
1. Puisard traditionnel + corde et puisette
2. Forage + pompe à motricité humaine + petit réseau
3. Forage + motopompe + augmentation du réseau californien
4. Système de goutte à goutte (basse, moyenne et haute pression)
ENCADRE 2. Modèle d’adoption des technologies d’irrigation
L’idée est la suivante : le changement technologique permettant d’irriguer des superficies
plus importantes implique pour être rentable et durable l’acquisition de nouvelles
compétences en matière de maîtrise de l’eau, de stratégies de commercialisation et plus
largement de gestion de l’exploitation dans son ensemble (approvisionnement en intrants,
embauche de salariés, entretien et renouvellement des équipements, etc.). L’acquisition de
ces nouvelles compétences est un processus qui, comme tout apprentissage, nécessite du
temps et doit se faire progressivement.
La question relative au financement des équipements d’irrigation se pose essentiellement en
terme d’opposition : crédit versus subvention. En raison des logiques propres à chacun des
partenaires au développement et des résultats mitigés des différentes interventions
réalisées, les OP ont été amenées à expérimenter plusieurs stratégies de financement :
7
crédit autogéré 11 , ligne de crédit 12 , création d’Institutions de Microfinance (IMF) et
subvention.
A ce jour, aucune des expériences réalisées n’a été totalement convaincante, bien au
contraire. Les lignes de crédits gérées directement par les OP ont connu des problèmes
importants de déperdition des fonds liés d’une part, à des capacités humaines et techniques
très limitées de ces organisations13 , et d’autre part, aux pratiques courantes de non-
remboursement des crédits par les producteurs, pratiques grandement facilitées par
l’absence de mesures juridiques à disposition des structures paysannes14. Le recours à des
institutions spécialisées ainsi que la création d’IMF n’ont pas permis de résoudre les
problèmes liés aux détournements de fonds et aux retards ou non-remboursement des prêts.
Par ailleurs, la réticences des IMF à financer les activités agricoles en raison des risques
inhérents à ces activités ainsi que les capacités souvent limitées des gérants de ces
institutions et des comités de crédit des unions et des coopératives (chargés de
l’intermédiation avec les IMF) permettent difficilement d’avoir des crédits adaptés au
financement des activités des bénéficiaires (en termes de montants et de délais de
remboursement essentiellement). La stratégie consistant à subventionner intégralement ou
en partie les équipements d’irrigation n’a également pas apporté une réponse convaincante
à cet épineux problème du financement. Ce système basé sur la subvention permet
difficilement de responsabiliser le producteur. L’absence d’obligation financière liée au
remboursement du prêt favorise l’utilisation des fonds à des fins toutes autres que celles
initialement prévues (les nombreux cas de détournements de l’objet de crédit dans le cadre
du PIP2 en sont un bon exemple). En outre, cette stratégie peut difficilement être envisagée
comme un système de financement durable puisque totalement dépendant des appuis
financiers extérieurs.
Dans un objectif affiché de créer un système qui puisse fonctionner sur ressources propres,
les OP estiment que le crédit constitue la seule alternative de financement à la fois efficace
et durable15. Toute une réflexion se pose alors sur les structures les plus à même de
répondre efficacement et durablement aux besoins de financement des petits producteurs
11 Les crédits autogérés sont des crédits dont la gestion est confiée à une OP. La sélection des bénéficiaires, l’octroi des crédits, le suivi et la collecte des remboursements sont donc à la charge de l’OP. 12 Les Lignes de crédit sont des fonds confiés à une institution spécialisée (souvent des IMF) pour le financement d’activités spécifiques. 13 Très souvent, l’OP octroie la gestion de sa ligne de crédit à un personnel généraliste. L’embauche de cadres spécialisés en microfinance est difficile compte tenu de la faible rentabilité des activités de crédits et des ressources financières très limitées de ces organisations. 14 Bien que légalement, toute organisation pratiquant des activités de crédit et d’épargne doive disposer d’un statut spécifique d’institution de microfinance, dans la pratique, nombreuses sont les organisations qui exercent ces activités dans l’informalité. Tout recours juridique (notamment en cas de non-remboursement) est de fait strictement impossible. 15 Sur la base des résultats obtenus dans le cadre du PADIP, les investissements réalisés par les irrigants, souvent limités au strict minimum, sont remboursables en 1 à 2 campagnes. Le crédit semble donc être une stratégie tout à fait envisageable pour le financement de la petite irrigation.
8
ainsi que sur les modalités des prêts à octroyer. C’est dans cette perspective que Mooriben
a entrepris, en partenariat avec SupAgro de Montpellier, un diagnostic approfondi des
différentes stratégies de financement qu’elle a été amenée à expérimenter ces dernières
années. Cette démarche qui a commencé en 2009 devrait aboutir prochainement à un
certain nombre de recommandations. Parallèlement, une réflexion commence à émerger au
sein de ces organisations sur le rôle que devrait jouer la Banque agricole du Niger dans le
financement de l’agriculture familiale16. Ces dernières semaines, un rapprochement s’est
opéré entre les OP et la BAGRI en vue d’un partenariat dont les modalités, en termes
notamment de garantie financière et de taux d’intérêt, restent encore à être négociées.
Accès aux intrants
La majorité des producteurs éprouvent de grandes difficultés à s’approvisionner en intrants
(semences sélectionnées, engrais et produits phytosanitaires) en qualité et quantité
suffisante, en temps voulu et à des prix abordables. Afin de résoudre au mieux les
problèmes d’accessibilité et de disponibilité en intrants, des centres de proximité, dénommés
« boutiques d’intrants » (BI), ont été mis en place dans nombreux villages du pays sous
l’impulsion du projet Intrants/FAO. Les BI ont la particularité d’être des entités autonomes,
propriétés des organisations de producteurs (coopérative, union ou fédération) et gérées par
les producteurs pour les producteurs (vente aux membres et non-membres).
Dans le cadre du projet Intrants/FAO, les OP partenaires du programme ont bénéficié d’un
appui financier et technique de la Coopération française pour implanter des BI dans leurs
diverses zones d’intervention. Au-delà de la fonction de base des BI (vente au détail
d’intrants et petits matériels agricoles), ces OP ont accordé une importance particulière à la
mise en place de « champs écoles paysans » (CEP) dont le but est de renforcer les
capacités des producteurs à prendre les bonnes décisions en matière de pratiques agricoles.
Plus spécifiquement, des essais et démonstrations sont réalisés sur des parcelles à
proximité des BI avec pour objectif d’améliorer les connaissances des producteurs sur des
thématiques variées : utilisation appropriée des engrais et produits phytosanitaires (choix
des produits, dosage et méthodes d’application) ; sensibilisation et promotion d’actions de
régénération de la fertilité des sols (production et application de compost et bios pesticides
par exemple) ; itinéraires techniques de production de semences ; techniques qui combinent
sécurisation des parcelles et protection de l’environnement (construction de haies-vives17) ;
etc. Cette méthode de vulgarisation participative, qui associe étroitement théorie et pratique,
répond bien à la demande des paysans et rencontre un fort succès dans les zones étudiées.
Les CEP ont ainsi largement contribué à faire évoluer certaines pratiques paysannes jugées
16 La Banque agricole du Niger, dénommée BAGRI-Niger, a été inaugurée officiellement en février 2011. 17 Il existe plusieurs arbres considérés comme adaptés aux haies-vives : bauhinia rufescens, euphorbia balsamifera, acacia senegal, acacia nilotica, lawsonia inermis, prosopis juliflora.
9
« archaïques » en raison de leur faible productivité agricole et des dégâts qu’elles
engendrent sur les ressources naturelles (terre, eau et végétation).
Depuis leur introduction au Niger à la fin des années 1990, les BI ont joué un rôle important
dans l’amélioration de l’accès des producteurs en intrants de qualité et à des prix modérés.
Cet outil semble faire l’unanimité parmi les acteurs au développement, en témoigne la
diversité des opérateurs qui ont eu recours à cet instrument dans le cadre de leur projet :
Banque Mondiale (PIP2), Union Européenne (ASAPI), Coopération française (PROPAN)18,
Banque Africaine de Développement (PMET)19, FAO (PSSA)20, etc.
Malgré les progrès importants accomplis en terme d’approvisionnement en intrants, le
système actuel des BI reste fragile. Plusieurs études diagnostiques, réalisées notamment
dans les unions de Mooriben, ont mis en évidence un certain nombre de faiblesses qui
entravent l’efficacité et menacent la durabilité du système. Parmi les plus importantes, on
relève : les capacités limitées des gérants des boutiques en matière d’appui-conseil mais
aussi d’approvisionnement, de gestion des stocks et de commercialisation des intrants ce qui
a notamment pour conséquence des ruptures de stocks et le gaspillage des produits lié au
dépassement des dates de péremption ou des mauvaises conditions de stockage ;
l’insuffisance du capital dont dispose les BI due en grande partie à la pratique, pourtant
interdite mais très répandue, de la vente à crédit21; l’offre encore limitée de certains produits
comme les semences maraîchères qui constitue la composante centrale pour assurer la
bonne productivité des cultures irriguées.
Sur la base de ces observations, l’amélioration du système existant passe donc par une
série d’actions telles que la réalisation de formations à l’intention des gérants des BI visant à
renforcer leurs capacités de gestion et leur qualité d’appui-conseil aux producteurs, la mise
en place ou le renforcement du système de suivi et de contrôle interne, la suppression totale
des pratiques de vente à crédit, l’augmentation des fonds de roulement des BI existantes,
l’élargissement de l’offre (notamment en semences maraîchères). Les OP insistent aussi sur
l’importance d’élaborer une stratégie d’approvisionnement en intrants qui soit commune et
concertée. L’instauration de commandes groupées entre les structures faîtières permettrait
notamment des économies d’échelles importantes.
En vue d’accroître l’efficacité et la durabilité des BI, les OP faîtières se présentent comme un
acteur très intéressant. Pour garantir à leurs membres des services de qualité tout au long
de l’année, certaines OP ont développé un système généralement qualifié d’autogéré ou
d’intégré, c’est-à-dire un système qui doit pouvoir fonctionner sans appui extérieur. A titre 18 Projet de Renforcement des Organisations Professionnelles Agricoles au Niger 19 Banque Africaine de Développement (Projet de Mobilisation des Eaux de Tahoua) 20 Programme Spécial de Sécurité Alimentaire 21 En 2006, selon une étude entreprise par la FAO environ un tiers des BI ont des crédits à récupérer.
10
illustratif, la Fédération Mooriben a installé dans chacune de ses unions 1 ou plusieurs BI22.
La construction du bâtiment et l’achat des intrants (fond de roulement) ont été financés
conjointement par la Fédération, les membres à travers leur cotisation et les différents
partenaires au développement dans le cadre de leur projet respectif. Pour doter ses BI en
intrants, Mooriben procède à des commandes groupées au niveau de la centrale
d’approvisionnement de l’Etat et redistribue les stocks d’intrants en fonction des demandes
préalablement formulées par les différentes unions. Pour assurer le fonctionnement optimal
et transparent des BI, chaque union est dotée d’un comité de gestion (composé de 3 à 5
personnes) chargé de l’approvisionnement, du stockage et de la commercialisation des
intrants. Des formations sont dispensées aux membres des comités de gestion afin
d’assurer, parallèlement à la fonction de vente, un service gratuit d’appui-conseil aux
producteurs qui en feraient la demande. Pour améliorer les connaissances des producteurs
sur l’utilisation appropriée des intrants, le recours à la radio locale est fréquemment utilisé.
La mise en place d’un système « endogène » comme celui-ci nécessite du temps pour
fonctionner sans appui extérieur. En tant que structure institutionnelle « établie », les OP
faîtières se présentent comme un acteur disposant des capacités d’apporter un appui de
longue durée, condition qui semble indispensable à l’autonomisation des BI et donc par là, à
l’efficacité et à la durabilité de ce système d’approvisionnement en intrants.
Appui-conseil
L’agriculture de contre-saison se fait encore majoritairement selon des pratiques
traditionnelles. Plusieurs études diagnostiques montrent que les producteurs ont des
capacités limitées en matière d’utilisation des intrants (choix des produits, dosage et
méthodes d’application), de pilotage de l’irrigation, de gestion et d’entretien des
équipements, d’itinéraires techniques (modes de labour, calendriers culturales, techniques
de récolte, etc.), de conservation, transformation et commercialisation de la production.
L’amélioration de la productivité et des revenus agricoles ainsi que l’accroissement des
superficies irriguées passent inéluctablement par un renforcement des capacités des
exploitations familiales, et donc par un encadrement de proximité et un appui-conseil de
qualité.
Théoriquement, la fonction d’encadrement et d’appui-conseil aux producteurs est une
mission à la charge de l’Etat. Depuis la libéralisation du secteur agricole, les services
techniques déconcentrés de l’agriculture ne parviennent plus à répondre efficacement à la
demande des producteurs en raison d’un manque important de moyens financiers, humains
et matériels appropriés. C’est en réponse notamment à cette situation que dans plusieurs
22 En février 2012, Mooriben compte 38 BI. Certaines unions sont dotées d’une BI centrale et de plusieurs BI décentralisées. Les unions ayant intégré la Fédération tout dernièrement n’ont pas encore de BI. La FCMN compte quant à elle 39 BI situées au niveau des 8 régions.
11
régions du pays, on assiste à des dynamiques de structuration paysannes. Afin de répondre
au mieux aux besoins de leurs membres, plusieurs OP (dont Mooriben et FCMN-Niya) ont
élaboré un dispositif endogène (ou interne) d’encadrement technique de proximité. Le
schéma ci-dessous présente le dispositif mis en place par Mooriben.
FIGURE 2. Dispositif d’appui-conseil de Mooriben
Le dispositif d’appui-conseil de Mooriben est structuré à trois niveaux (la fédération, les
unions et les coopératives) et comprend cinq composantes majeures (le secrétariat exécutif,
les animateurs endogènes, les gérants des BI, la cellule de communication et les paysans
relais). Concrètement le système fonctionne de la manière suivante :
Au niveau de la Fédération, l’équipe opérationnelle du Secrétariat exécutif a pour rôle
d’assurer les formations au profit des animateurs endogènes et des paysans relais, de
renforcer la collaboration avec les services techniques déconcentrés de l’Etat et autres
partenaires d’appui afin de garantir un accompagnement de qualité, cela tout en poursuivant
l’extension du dispositif d’appui aux nouvelles unions qui désirent intégrer la Fédération.
Au niveau de chaque union, Mooriben a opté dès sa création en 1993 pour la mise en place
d’une Equipe d’Appui Technique (EAT). L’équipe d’animateurs/animatrices (entre 2 et 4 par
union) a pour rôle d’appuyer le CA et les comités de gestion dans l’accomplissement
quotidienne des activités de l’union, de collecter mensuellement les données sur la situation
des BI (données ensuite transmises à la Fédération pour analyse et diffusion) ainsi que
sensibiliser les membres sur les grands défis paysans. Les animateurs sont des membres
des groupements. De fait, ils sont connus, acceptés par les responsables des unions et plus
concernés par la réussite des activités. En 2010, ils étaient au nombre de 65 dont 25
femmes.
Etat
et/ou Opérateurs
privés
12
Au niveau des coopératives, Mooriben a mis en place à partir de 2007 un réseau de paysans
relais dans l’objectif d’assurer un encadrement de proximité aux membres des groupements
dans le domaine de la mise en œuvre des activités agricoles. Les paysans relais sont des
membres des groupements choisis par leurs collègues sur la base de critères tels que
l’ouverture d’esprit à recevoir des formations, la disponibilité à partager les connaissances
acquises, la volonté d’assumer et jouer le rôle de leader, etc. Les paysans relais travaillent
en étroite relation avec les animateurs et animatrices des unions et les gérants des BI dans
le domaine de la vulgarisation des pratiques agricoles durables. Actuellement, 27 unions
disposent d’un réseau de paysans relais (659 au total dont 23% de femmes).
Le dispositif d’encadrement et d’appui-conseil mis en place par Mooriben, tout comme celui
de la FCMN-Niya très similaire, fait face à deux contraintes importantes qui limitent
considérablement son efficacité et sa durabilité. D’une part, le taux d’analphabétisme
relativement élevé parmi les paysans, voire même chez certains animateurs et dirigeants
des groupements, permet difficilement d’avoir une vulgarisation agricole de qualité. D’autre
part, le dispositif d’encadrement fonctionne actuellement que grâce à l’apport technique et
surtout financier de la Fédération. Les capacités souvent limitées des dirigeants et les
logiques attentistes des unions et de leurs membres ne créées par les conditions favorables
à une mobilisation importante de ressources financières tant internes (épargne des
membres, activités de crédits, etc.) que externes (à travers le financement de projets). En
conséquence, les coûts des formations des animateurs, des comités de gestion des BI et
des paysans relais doivent être supportés quasi intégralement par la Fédération. Le
renforcement des capacités de l’ensemble des acteurs (dirigeants, comité de gestion,
animateurs, paysans relais, membres des coopératives, etc.) ainsi que l’accroissement des
ressources financières mobilisées directement par les structures de base (coopératives et
unions) semblent être une priorité en vue de d’améliorer l’efficacité et la durabilité du
dispositif d’encadrement et d’appui-conseil élaboré par leur structure faîtière.
Conservation et transformation
Dans les zones d’intervention des OP, l’essentiel des cultures irriguées produites, tout
particulièrement celles tirées des activités du maraîchage, sont destinées à la vente. Faute
de moyens appropriés de conservation, des savoir-faire souvent limités des irrigants en
matière de transformation de la production mais aussi de la nécessité de rembourser
rapidement les crédits de campagne, la majorité des producteurs n’ont pas d’autres
alternatives que vendre leur production à la récolte. Les marchés se retrouvent ainsi
abondamment inondés et le prix de vente des denrées agricoles baisse drastiquement au
point que certains producteurs se retrouvent contraints de vendre à un prix inférieur au coût
de production. Cette situation, difficilement soutenable pour les producteurs, constitue un
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frein important à l’accroissement des activités de contre-saison. La difficulté d’obtenir un prix
rémunérateur en dissuadent nombreux à poursuivre dans les cultures de contre-saison et
par « effet d’imitation », l’abandon des uns décourage les petits producteurs « potentiels » à
se lancer dans ces activités, qui par nature, possèdent déjà un caractère quelque peu
dissuasif du fait des charges de travail importantes qu’elles impliquent.
Les activités de conservation et transformation de la production, en permettant de différer la
vente à un moment où les prix du marché sont plus attractifs et d’accroître la valeur ajoutée
des denrées agricoles, sont d’une importance capitale pour permettre aux producteurs de
tirer pleinement avantage des cultures irriguées. Malgré le rôle reconnu de ces activités, on
constate que dans la pratique peu d’actions ont été entreprises dans ce sens. Dans la
plupart des projets et programmes d’irrigation, les activités en aval de la production ont été
laissées de côté alors mêmes qu’elles figuraient dans les différents cadres logiques
(Ehrnrooth et al. 2011). A l’image des projets d’irrigation réalisés, les OP sont très peu
intervenues au niveau de ces différentes activités. En ce qui concerne le stockage et la
conservation de la production, l’essentiel des activités consistent dans la construction et
l’organisation de magasins de warrantage23. Cet instrument, qui a largement fait ses preuves
pour les cultures céréalières, se prête moins bien aux cultures maraîchères en raison
essentiellement de leur nature très périssable, et donc des méthodes de conservation à
mettre en place plus complexes et onéreuses. A ce jour, seuls l’oignon, et en moindre
proportion la pomme de terre et la tomate séchée, ont fait l’objet d’activités de stockage et
conservation de la production (exemple PIP2 et PAIM24).
Bien que le rôle du warrantage soit actuellement limité pour le stockage des productions
maraîchères, son intérêt peut se situer à un tout autre niveau. Introduit au Niger en 1999
dans le cadre du Projet Intrant/FAO, le warrantage a rapidement suscité un engouement
important parmi les OP et nombreux partenaires au développement comme technique de
crédit pour le financement des intrants agricoles25. Au-delà de sa capacité à procurer des
revenus plus élevés aux producteurs grâce à une commercialisation différée en période de
soudure (où généralement les prix sont au plus haut26), le crédit obtenu par la mise en
warrantage d’une partie de la production céréalière d’hivernage permet aux paysans
d’entreprendre des Activités Génératrices de Revenus (AGR) ainsi que faire face aux
dépenses post-récolte, notamment celles liées à l’approvisionnement en intrants pour les
23 Le warrantage est une opération de crédit de quelques mois dont la garantie est un stock de vivres liquidables par la banque ou l’IMF en cas de défaillance. Les règles et normes d’application du warrantage sont consignées dans un « Guide de bonnes pratiques du warrantage au Niger ». 24 Programme d’Accompagnement aux Initiatives paysannes de la Fédération Mooriben du Niger. 25 Le warrantage est reconnu explicitement par la SIAD (Stratégie nationale décentralisée et partenariale d’approvisionnement en intrants pour une agriculture durable) comme forme de crédit rural à promouvoir. 26 Malgré une demande en denrées alimentaires qui excède fortement l’offre en période de soudure, l’aide alimentaire (relativement fréquente au Niger) tend à baisser « artificiellement » les prix du marché rendant de fait moins attractifs les revenus tirés des activités de warrantage.
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campagnes de contre-saison à venir. Cette stratégie permet ainsi aux producteurs de
s’approvisionner en intrants sans devoir recourir à des sources de financement informelles
(souvent très onéreuses) qui les maintiennent dans une situation de grande précarité comme
en témoigne les nombreux cas d’endettement observés dans les différentes régions du pays.
Dans le domaine de la transformation des productions irriguées, aucune action n’est à
relever. Une des contraintes qui pèsent actuellement très fortement sur le développement de
petites initiatives de création « d’unités de transformation » provient du coût élevé de
l’énergie27. Le coût élevé du carburant associé à la situation d’enclavement géographique du
Niger limitent grandement la compétitivité des produits nigériens tant sur le marché national
que sous-régional28. Pour pallier au pétrole, certaines alternatives comme l’énergie solaire ou
éolienne pourraient être envisagées, des études d’évaluation de leur potentiel gagneraient à
être entreprises29.
Commercialisation
Contrairement aux cultures pluviales destinées en priorité à l’auto-consommation des
ménages agricoles, les cultures de contre-saison sont produites avec pour objectif principal
de les écouler sur les marchés. L’obtention d’un prix rémunérateur constitue ainsi une
nécessité tant pour l’amélioration des revenus des producteurs que pour la durabilité au sens
large des activités de contre-saison et des appuis apportés par les projets de
développement. Actuellement, la majorité des petits producteurs ne parviennent pas, ou très
difficilement, à vendre leur production à un prix attractif. Ce constat s’explique en partie par
les capacités limitées des producteurs à conserver et transformer leur production (comme
mentionné précédemment) mais également par plusieurs difficultés auxquelles ils sont
confrontés dans le processus même de commercialisation : enclavement de certaines zones
de production ; dispersion géographique des producteurs (limite le développement
d’initiatives collectives d’organisation) ; accès limité à l’information sur les marchés (en
termes de prix, de demande et d’exigence de la qualité des produits essentiellement) ;
position de négociation défavorable face aux commerçants ; etc.
A l’image des activités de conservation et transformation de la production, la plupart des
projets d’irrigation ne sont pas parvenus à répondre efficacement à la question de la
commercialisation. Peu d’activités ont été réalisées, et celles-ci concernent essentiellement
la construction et la réhabilitation de pistes rurales afin de désenclaver les zones de
27 En novembre 2011, le prix d’un litre de carburant oscillait autour de 650 Fcfa soit environ deux fois le prix du pétrole au Nigeria. 28 Fin 2011, la thématique du prix du pétrole a fait l’objet d’un débat national, quelque peu agité selon les régions, tant les enjeux revêtent une importance capitale pour le développement socio-économiques du pays. 29 Dans le cadre du projet PQDI financé par Oxfam-Québec, Mooriben a mis à disposition de plusieurs unions féminines des panneaux solaires (Icaro) pour le séchage des produits maraîchers. A ce jour, les résultats semblent probants.
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production (exemples projets UE et BAD 30 ). Du côté des OP, les interventions sont
également limitées, et s’orientent majoritairement autour de la collecte et la diffusion des
données sur les marchés des produits agricoles, essentiellement par l’intermédiaire des
antennes des radios communautaires. Dans les plans opérationnels et stratégiques des OP
partenaires (en cours d’exécution), l’amélioration des capacités de commercialisation des
membres est clairement affichée comme une priorité. L’axe central d’intervention retenu est
le suivant : l’organisation des producteurs en vue d’une vente collective (ou groupée) de la
production maraîchère. A ce jour, on relève une seule initiative réalisée, à savoir la mise en
place en 2007 d’un système collectif de mise en marché de l’oignon par la FCMN-Niya. Le
système proposé est intéressant de par son mode de fonctionnement avec un paiement aux
producteurs qui s’effectue en trois étapes : une première tranche en début de campagne, un
deuxième versement après livraison de la production à la coopérative, et après la mise en
vente auprès des principaux grossistes du pays, les bénéfices obtenus sont reversés aux
producteurs sous forme de ristourne. Malheureusement, aucune information n’est disponible
en ce qui concerne les quantités écoulées, les prix de vente, ou encore les problèmes
rencontrés tout au long du processus de commercialisation.
30 On peut citer notamment les projets suivants : ASAPI et PPISZ (Projet Petite Irrigation Sud Zinder) de l’Union Européenne ; PMET (Projet de Mobilisation des Eaux de Tahoua) et PADAZ (Projet d’Appui au Développement Agricole de Zinder) de la Banque Africaine de Développement.
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Conclusion
En dépit d’un fort potentiel irrigable présent dans nombreuses zones du pays, les petites
exploitations familiales peinent à développer les cultures irriguées pour des raisons variées
et multiples : difficulté d’accès à la terre, accès limité aux intrants et matériels agricoles, non-
maîtrise de l’eau, compétences limitées des itinéraires techniques, difficulté à conserver,
transformer et écouler la production sur les marchés, etc. Les appuis dispensés par les OP
faîtières (création de BI, mise en place de CEP, formations/appui-conseil, activités de
warrantage, etc.), dès le milieu des années 1990, ont permis d’améliorer significativement
l’accès des producteurs à des intrants de qualité à des prix abordables ainsi que modifier
certaines pratiques culturales jugées « archaïques » en raison de leur faible productivité et
des dégâts qu’elles engendrent sur les ressources naturelles (eau, terre et végétation). Peu
d’actions en revanche ont été entreprises en aval de la production, c’est-à-dire en matière de
conservation, transformation et commercialisation. Pour lever les nombreuses contraintes
qui pèsent actuellement sur les petits producteurs, il semble donc indispensable de
redoubler d’efforts pour accroître les appuis dispensés à tous les niveaux de la filière, avec
un accent sur les activités post-production31. Dans la perspective d’une intensification des
cultures irriguées, le suivi des marchés et des ressources hydriques mériterait de faire l’objet
d’une attention particulière afin de garantir des revenus rémunérateurs aux producteurs et un
développement durable de la production agricole. Dans la même logique, davantage
d’actions mériteraient d’être entreprises en vue d’atténuer les conflits croissants entre
agriculteurs et éleveurs pour l’accès aux ressources naturelles.
En raison des capacités encore souvent limitées des OP et des problèmes de gouvernance
fréquents au sein des ces organisations, nombreux opérateurs du développement rural
éprouvent des réticences à déléguer aux structures paysannes la mise en œuvre de projets
d’appui à la petite irrigation. Bien que cette situation puisse aisément se justifier, le recours à
ces organisations semble toutefois indispensable pour deux raisons essentielles. D’une part,
les OP disposent d’une connaissance fine du terrain, notamment en ce qui concerne les
zones propices au développement de l’irrigation, les besoins des producteurs et les
difficultés auxquelles ils sont confrontés. Mettre davantage à contribution la qualité
d’expertise dont disposent certaines OP permettrait non seulement d’avoir des appuis plus
appropriés et adaptés aux cibles bénéficiaires mais aussi de réduire fortement les coûts
souvent très élevés des études réalisées par les consultants nationaux et internationaux.
D’autre part, les OP faîtières, en tant que structures « établies », disposent de la capacité
d’apporter un appui qui s’inscrit dans la durée. Dans un souci de pérenniser les résultats
31 Les besoins des producteurs pouvant varier sensiblement selon les régions voire même au sein d’une même communauté, des enquêtes de terrain s’imposent, nous semble-t-il, comme un préalable à toute intervention afin d’évaluer les priorités des actions à mettre en œuvre.
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obtenus et de corriger les insuffisances observées, certaines OP (dont Mooriben et FCMN-
Niya) ont élaboré des plans stratégiques et opérationnels visant à définir les activités à
entreprendre sur la base des succès et difficultés rencontrées dans la réalisation de leurs
activités passées. Cette démarche créée les conditions favorables à la cohérence et à la
durabilité des actions d’appui à la petite irrigation paysanne. En outre, en tant que structure
représentative des producteurs, ces organisations disposent d’une légitimité locale
importante qui facilite l’appropriation des actions mises en œuvre, et par voie de
conséquence favorise leur durabilité. Dans un contexte marqué par une diminution de l’aide
au développement combiné à des ressources budgétaires étatiques très limitées, la
pérennité des actions mises en œuvre, donc la durabilité des investissements réalisés,
constitue une priorité centrale. La faible légitimité locale dont souffrent les organismes au
développement, la durée relativement courte de leurs projets ou programmes ainsi que
l’insuffisance d’encadrement après leur clôture (peu nombreux sont les PTF qui mettent en
place une structure ou un dispositif visant à prendre leur relais) n’offrent pas les conditions
optimales à l’autonomisation des producteurs ainsi qu’à une gestion efficace et durable des
ouvrages hydrauliques et des institutions financières appuyées ou nouvellement créées
(Ehrnrooth et al. 2011). Dans l’objectif d’avoir un appui qui soit à la fois adapté aux
producteurs et durable au-delà de la phase projet, travailler en collaboration avec les
structures paysannes, ayant démontré par le passé leurs capacités à dispenser à leurs
membres des appuis de qualité, semble être une démarche incontournable. C’est à travers
l’accroissement des relations partenariales entre les différents opérateurs concernés (OP,
acteurs publics, PTF, ONG, institutions de recherche) qu’il sera possible d’insuffler un
développement dynamique et durable de l’irrigation qui remplisse les objectifs
d’augmentation des revenus des ménages agricoles et d’amélioration de la sécurité
alimentaire de la population dans son ensemble. Afin d’atteindre au mieux les objectifs fixés
dans la SDR ou le plan 3N32, l’Etat nigérien doit faire preuve d’une volonté politique forte,
volonté qui par le passé à trop souvent fait défaut. La route vers un développement qui soit
davantage participatif et inclusif est probablement encore longue et sinueuse mais nombreux
signes, comme l’accroissement régulier des partenaires et des fonds alloués aux OP ou
encore le renforcement des relations et des collaborations entre ces organisations
(notamment à des fins de plaidoyer pour la reconnaissance et la promotion de la petite
irrigation familiale), laissent présager des perspectives d’avenir pour le moins prometteuses.
32 En matière de développement de l’irrigation, les objectifs fixés diffèrent quelque peu entre le document de la SDR et celui du programme 3N de l’actuel président.
Références bibliographiques
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Annexe 1 : OP partenaires du PADIP
OP Date de création Objectifs principaux Zones
d’intervention Membres
FUGPN-Mooriben 1993
Améliorer les conditions de production agro-sylvo-pastoral, diversifier les sources de revenu et renforcer les capacités des membres afin d’assurer la sécurité alimentaire, l’augmentation des revenus et la paix sociale.
Niamey, Dosso et Tillabéri
30 unions totalisant un peu plus de 60'000 membres
FCMN-Niya 1996
Défendre et représenter les intérêts des maraîchers, apporter des solutions aux problèmes de production, d’approvisionnement en intrants et de commercialisation ainsi que promouvoir l’organisation et la structuration des membres.
8 régions
30'000 producteurs regroupés en 136 coopératives et unions de coopératives
PFPN 1998
Défendre les intérêts matériels et moraux de ses membres au niveau national, sous-régional et international par des actions de développement, la concertation, le plaidoyer et l’échange d’expériences.
8 régions
27 OP composées d’associations, de fédérations, d’unions, de coopératives et de groupements paysans
Annexe 2 : Liste projets OP
Bailleurs de fonds Nom du Projet Année OP Partenaire
UE Oxfam Novib
Programme d’accompagnement aux initiatives paysannes de la Fédération Mooriben du Niger (PAIM)
2007-2009 Mooriben
CCFD et DDC Programme d’appui à la sécurité alimentaire dans les régions de Tillabéri et Dosso 2007-2010 Mooriben
Oxfam-Québec La maîtrise de l’eau pour l’amélioration de la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement
2008 Mooriben
Oxfam-Québec Projet d’appui au développement de la filière maraîchère dans les unions de Mooriben 2009-2010 Mooriben
Oxfam-Québec Projet d’appui à l'autonomisation des productrices et producteurs maraîchers des groupements membres de Mooriben
2010-2013 Mooriben
Agriterra Elaboration des plans stratégiques (2010-2013) 2010-2013 Mooriben
SOS Faim Luxembourg
Projet d’appui au dispositif d’information et communication de Mooriben
2006 à aujourd’hui Mooriben
CRS/USDA Projet d’appui à la filière sésame 2002-2005 FCMN-Niya
CRS/USDA Projet d’appui à la filière sésame, oignon, gombo (PADEFSOG) 2005-2008 FCMN-Niya
CRS/USDA Projet d’appui à la filière sésame, oignon, gombo (PADEFSOG) 2009-2012 FCMN-Niya
Coopération française
Projet de Sécurisation de l’Elevage et de l’Agriculture péri-urbaine de Niamey (PSEAU) 2003-2007 FCMN-Niya
Agriterra Projet de développement de l’horticulture au Niger 2006-2015 FCMN-Niya UPADI Projet de mise en marché collectif 2006-2008 FCMN-Niya
Oxfam Novib
Projet d’appui à la sécurité alimentaire par le développement des coopératives maraîchères du Niger
2009-2012 FCMN-Niya
Coopération française Projets Intrants/FAO 2003-2006 FCMN-Niya
Mooriben
Coopération belge Programme de Développement de l’irrigation dans la région de Tillabéry (PDIT) 2009-2011 FCMN-Niya
Mooriben
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