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Romain Bouilloud
MBA CME - Septembre 2016
Directeur de mémoire : Sandrine Christon
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Je souhaite remercier Sandrine Christon pour ses conseils et sa patience.
Je souhaite remercier mes parents pour leurs relectures.
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Avant-propos
L’intelligence artificielle, sujet scientifique, sera associé à celui très vaste du
marketing. Ce mémoire est destiné tant à des professionnels du marketing qu’à
des amateurs, curieux de l’interaction entre la technologie et le commerce.
De cette conception du lectorat, j’ai souhaité développer certains aspects
même techniques car cela permet d’apercevoir avec un minimum de profondeur la
réalité et la complexité du sujet. C’est alors un exercice de vulgarisation auquel je
me suis livré en expliquant suffisamment certaines notions, bien que je ne sois pas
un spécialiste de l’informatique, mais seulement curieux et assez renseigné.
Si je me permets quelques développements, je me suis également, à l’inverse,
octroyé la liberté de ne pas traiter tous les aspects liés à l’intelligence artificielle et
tous les champs d’application dans le domaine du marketing. Cela aurait été trop
long pour les règles qui m’ont été fixées quant à la forme de ce mémoire. De plus il
n’est pas réellement nécessaire d’explorer tous les recoins d’un sujet pour saisir
l’essentiel, attiser la curiosité, et générer l’envie d’explorer davantage.
Enfin, les sources qui m’ont servi à alimenter et structurer ce travail
proviennent de publications et d’articles tant en Français qu’en Anglais. Ces
éléments ont été traduits pour une meilleure compréhension.
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Sommaire
Sommaire
Introduction
I. Contexte
I.1. Les outils marketing
I.1.a. Le marketing avant l’Internet
I.1.b. Le marketing depuis l’Internet
I.2. Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
I.2.a. Automatisation et l’algorithme, fondement de l’intelligence artificielle
I.2.b. Le développement de l’intelligence artificielle
II. L’intelligence artificielle au service des solutions marketing
II.1. Production de contenu
II.1.a. Outbound marketing
II.1.b. Inbound marketing
II.2. Un parcours client maîtrisé
II.2.a. Suggérer grâce à l’intelligence artificielle
II.2.b. La gestion de la relation client
II.2.c. La robotique
III. L’intelligence artificielle et ses multiples identités
III.1. Le marché de l’intelligence artificielle : généralités et segmentations
III.1.a. L’économie de l’intelligence artificielle
III.1.b. Des marques relationnelles
III.1.c. Des marques anticipatrices
III.1.d. Des marques artistiques
III.1.e. Des marques curatives
III.1.f. Des marques sécuritaires
III.2. Les risques et limites
III.2.a. Le respect de la vie privée
III.2.b. Des limites relationnelles
III.2.c. Des risques fonctionnels
III.3. Recommandation
Conclusion
Bibliographie
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« Les machines me surprennent très souvent1. »
Alan Turing
Introduction
Pour ceux qui ont été accompagnés par les films de science-fiction lors de
leur enfance, il y a de fortes chances pour que l’intelligence artificielle représente
des capacités surhumaines, des robots parfois au service de l’humanité, parfois
conçus pour la détruire, et où ceux-ci peuvent également être l’égal de l’Homme.
Terminator, iRobot, Wall-E, 2001 l’odyssée de l’espace, Her, Matrix, Minority
Report, Ex Machina, serait-ce la fiction qui aurait inspiré la science, pourrait-on
presque penser naïvement. La diversité des scénarios destinés au cinéma est large,
mais l’idée fondamentale derrière le caractère fantaisiste est aujourd’hui une
composante, certes digitale, de notre réalité. Ou bien la réalité se rapproche-t-elle
de la fantaisie ? L’intelligence artificielle est bien là, nourrissant des conceptions
très diverses de nos réalités futures.
Le sujet de l’intelligence artificielle et de son développement accéléré inonde
l’Internet d’articles tant scientifiques qu’à fin de vulgarisation. Bien qu’une version
dite “faible” de l’intelligence artificielle soit déjà présente dans notre vie
quotidienne avec peu de conséquences éthiques, morales et juridiques, elle impacte
néanmoins aujourd’hui différents secteurs comme celui du transport public et
privé, de l’hôtellerie, s’immisce doucement mais explicitement dans nos maisons…
Les applications sont nombreuses et elle est en passe de redéfinir le paysage
économique mondial, à un tel point que le grand public peut assez aisément être
averti de l’avancée fulgurante qui est en cours et que les économistes établissent
des rapports sur la disparition de nombreux métiers dans les décennies à venir en
mettant l’accent sur la nécessité de se préparer. Car la courbe du progrès
technologique n’est pas linéaire mais exponentielle2. Chacun le remarque d’année
en année, en se sentant parfois victime de cela. Car les prouesses techniques
1 Turing, A. (1950). Computing machinery and intelligence. 2 Définition : « qui augmente de façon rapide et continue dans des proportions grandissantes, au-delà de tout
ce qui était attendu. » (source : http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/exponentiel/)
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augmentent, l’appareil photo numérique est embarqué partout et est toujours de
meilleure qualité, la résolution des écrans s’améliore, les applications sont de plus
en plus nombreuses et consomment davantage de batterie, demandent des
ressources plus importantes en mémoire vive, etc. L’achat de l’année passée est
presque déjà obsolète ou désuet lorsque les changements et tendances s’opèrent de
nos jours à très court terme. La plus pertinente autorité qui puisse illustrer cette
mécanique, et qui a suggéré ce scénario, réside dans l’un des cofondateurs du géant
américain Intel, Gordon Moore. Les “lois de Moore” stipulaient, lors de leur
énonciation en 1965, que la puissance des ordinateurs et la complexité du matériel
informatique allait doubler tous les dix-huit mois notamment grâce à une
réduction des coûts et à la possibilité d’incorporer deux fois plus de transistors sur
les processeurs à chaque cycle… Et c’est effectivement ce scénario que nous avons
vécu jusqu’aujourd’hui.
Cependant le concept d’intelligence artificielle n’est pas nouveau. Depuis
Alan Turing (célèbre mathématicien, héros inconnu de la seconde guerre mondiale)
jusqu’Elon Musk (Chief Executive Officer de Tesla Motors, Space X, Solar City, ex-
PayPal), en passant par Bill Gates (Microsoft) et l’astrophysicien Stephen
Hawking, le thème de l’intelligence artificielle a animé des débats scientifiques
intermittents jusqu’à ce que le sujet soit soudainement sur toutes les lèvres.
Étudier le comportement du cerveau humain et animal, la psychologie humaine,
ce sont autant de domaines sur lesquels de grandes entreprises comme de très
jeunes start-ups se penchent pour faire évoluer cette technologie. Car en plus de
certaines applications très définies dans le domaine scientifique, informatique ou
industriel, l’intelligence artificielle infiltre également celui du marketing :
personnalisation, production de contenu, ciblage publicitaire, optimisation de la
relation client, assistanat en événementiel…
Ce mémoire ne traitera pas en profondeur des aspects techniques de
l’intelligence artificielle car cela nécessite des connaissances très précises en
ingénierie informatique, neurophysique et autres spécialités scientifiques…
Cependant certains principes et mécanismes seront expliqués. Il est nécessaire
d’être averti et de rester alerte pour mettre en relief les progrès effectués et adapter
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tout l’historique de l’intelligence artificielle au contexte de notre société
d’aujourd’hui. Car vivant dans une société de consommation, le comportement du
consommateur et la manière de s’adresser à lui, de le satisfaire, de le fidéliser, de
gagner sa confiance, sont à chaque fois adaptés au progrès technologique et aux
moyens qui en découlent. L’intelligence artificielle est alors cet élément sur lequel
davantage d’entreprises de tous les secteurs et de toutes tailles se concentrent pour
tenir le bon discours, demeurer créatives, rester ou devenir compétitives…
Ce mémoire tentera de répondre à la question que se posent ainsi les
professionnels du marketing confrontés à ces avancées technologiques, soit
comment l’intelligence artificielle impactera-t-elle le domaine du marketing ?
Pour répondre à cette problématique parfois anticipatrice, trois parties
permettront de présenter un raisonnement clair et d’établir une lecture fluide.
Dans un premier temps l’histoire des outils marketing, ainsi que l’arrivée de
l’intelligence artificielle seront présentées pour situer le contexte. Ceci nous
permettra de comprendre, en seconde partie, quels sont les outils marketing
actuels et leur rôle dans la production de contenu, la relation clients et
l’événementiel. Enfin, mettre sur le marché un produit ou un service possède un
impact sur l’identité de marque, la troisième partie traitera des identités qui
composeront le paysage économique de l’intelligence artificielle, en amenant
également une réflexion sur les risques associés à cette technologie.
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I. Contexte
Pour mettre en lumière l’importance de l’intelligence artificielle, et de son
utilisation dans le domaine du marketing qui en est alors transformé, il est
nécessaire d’étudier leur historique.
Les techniques de marketing peuvent paraître anciennes, bien que liées au
progrès technologique. Elles se sont multipliées, se sont complétées, sont devenues
intégrées. Les objectifs des équipes marketing n’étaient pas les mêmes lorsque le
téléphone était utilisé, lorsque l’ordinateur et le mail sont apparus… Depuis
Internet, c’est la personnalisation qui représente le nerf de la guerre. Tous les
efforts, l’analyse des données, l’expérience client, sont tournés vers la
personnalisation de l’offre, du contenu, vers une expérience client forte.
Cela est aujourd’hui facilité par l’exploitation d’outils programmés pour
effectuer des tâches d’analyse de manière automatique et autonome, ce sont des
outils « intelligents ». Il est alors nécessaire de comprendre ce qu’est l’intelligence
artificielle.
I.1. Les outils marketing
I.1.a. Le marketing avant l’Internet
Quelles ont été les grandes révolutions techniques ? On pourrait citer
l’écriture (apparue en – 3300 avant Jésus-Christ), l’imprimerie (inventée par
Gutenberg en 1450), la machine à vapeur (apparue lors du XVIIème siècle), le
moteur à explosion (inventé durant la seconde moitié du XIXème siècle), puis
l’électricité (depuis le XVIème siècle). Ces innovations ont permis de bouleverser
la manière de communiquer, de partager les connaissances, de se déplacer... Et
bien sûr, elles ont été employées à des fins commerciales. Selon certains
professionnels3 le début du marketing est né avec l’imprimerie qui a permis aux
3 Wainwright, C. (2012). The History of Marketing: An Exhaustive Timeline.Hubspot, http://blog.hubspot.com/blog/tabid/6307/bid/31278/The-History-of-Marketing-An-Exhaustive-Timeline-
INFOGRAPHIC.aspx#sm.0000rvc7ldpsqdlosdx18tkiyl7wh
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écrits (et donc aux messages) de se propager. Puis au XVIIème siècle sont apparues
les cartes de visite4 qui ont permis aux porteurs de se doter d’une image vis-à-vis
de ceux qui les recevaient et, éventuellement, les partageaient. Selon Mortimer,
elles auraient été très utilisées à la cour de Louis XIV5. Elles déclinaient une
identité, un statut, à caractère glorifiant. Cependant, il semblerait qu’un même
type de procédé aurait été utilisé en Chine au sein de la classe supérieure dès le
XVème siècle ; des cartes de « rencontre » indiquaient qu’un individu souhaitait en
rencontrer un autre, ou que quelqu’un voulait être présenté lorsqu’il se rendait
dans un lieu privé en déclinant ainsi de manière stylisée son identité, en attendant
l’approbation ou le refus6.
Dans les années 1730 les premiers magazines sont apparus et un siècle plus
tard la publicité trouva sa place au sein de leurs pages. En 1864 le télégraphe fut
utilisé pour la première fois afin de transmettre des messages commerciaux non
sollicités. En 1867 apparaissent les billboards, l’affichage grand format.
L’industrialisation amène les premières marques enregistrées en 1880, favorisant
l’émergence du concept de marketing de marque. En 1922 la radio diffuse de la
publicité, suivie en 1941 par la télévision, qui la surpassera en nombre dès 19547.
En 1970 le télémarketing émerge. En 1980 les messages non sollicités (spams) à
destination des ordinateurs apparaissent et c’est à partir de cette décennie que les
méthodes marketing évoluent car l’apparition de l’ordinateur bouleverse la
manière de concevoir les rapports entre consommateurs et entreprises.
L’ordinateur personnel apparaît durant la décennie 19708 lorsque plusieurs
sociétés telles que Hewlett Packard, Microsoft, Texas Instruments ou Apple, créent
leurs différents modèles de Personal Computer (PC), produit perçu à fort potentiel.
Accompagnant cet engouement chez les initiés et autres amateurs d’informatique,
quelques clubs sont également créés comme le Amateur Computer Society
4 IDF Marketing. (2015). Marketing: A visual history. digitalmarketingmagazine,
http://digitalmarketingmagazine.co.uk/articles/marketing-a-visual-history 5 Mortimer. (2012). A Brief History of Business Cards. designfloat,
http://www.designfloat.com/blog/2012/04/02/history-business-cards/ 6 Ibid. 7 IDF Marketing. (2015). Marketing: A visual history. digitalmarketingmagazine,
http://digitalmarketingmagazine.co.uk/articles/marketing-a-visual-history 8 Timeline of Computer History. computerhistory, http://www.computerhistory.org/timeline/1976/
10
(1966/1974-1984)9 en Angleterre ou le célèbre Homebrew Computer Club (1975-
1986)10 en Californie dont faisait partie un certain Steve Jobs.
En 1981, IBM commercialise le modèle 515011 qui sera omniprésent dans le
secteur définissant solidement le concept de PC. Il est doté d’une puissance
suffisante pour permettre certaines actions marketing comme l’enregistrement de
grosses bases de données clients incitant les professionnels du marketing à
progressivement délaisser leurs listes de contacts fournies par des courtiers12. En
1986, la société Conductor Software est fondée à Dallas, Texas, et commercialise
le premier logiciel de traitement de bases de données clients nommé ACT! (pour
Activity Control Technology puis Activity Control Tracking, aujourd’hui modifié en
Act! sous la possession de l’entreprise Swiftpage13). Ce logiciel n’était rien de plus
qu’un rolodex14 mais permettait, grâce à la puissance des ordinateurs, de stocker
un grand volume d’informations. C’est également en 1986 que le langage
informatique SQL (Structured Query Language) est développé et adopté par les
ingénieurs15 permettant de gérer ces grandes bases de données. Ce progrès
permettait de tracker, ou suivre avec davantage de précision l’état de la relation
avec un client, mais la notion d’automatisation n’était pas encore envisagée jusqu’à
ce que les logiciels de Customer Relationship Management soient développés au
début des années 1990. Cette période représente également le développement des
sociétés spécialisées dans ce secteur16.
9 D. Corbitt, K. (1995). Charles Babbage Institute, Center for the History of Information Technology,
http://special.lib.umn.edu/findaid/xml/cbi00104.xml 10 Timeline of Computer History. computerhistory, http://www.computerhistory.org/revolution/personal-
computers/17/312 11 Timeline of Computer History. computerhistory, http://www.computerhistory.org/timeline/1981/ 12 Kapost. (2015). A Brief History of Digital Marketing. Kapost, https://kapost.com/history-of-digital-
marketing-technology/ 13 Swiftpage. Historique de Act!. contactik, http://www.contactik.com/en/act-history 14 Bpiatrova. (2015). The Evolution of CRM Systems – From Rolodex to Mobile CRM. Resco.
https://blog.resco.net/2015/07/22/the-evolution-of-crm-systems-from-rolodex-to-mobile-crm/ 15 Kapost. (2015). A Brief History of Digital Marketing. Kapost, https://kapost.com/history-of-digital-
marketing-technology/ 16 Bpiatrova. (2015). The Evolution of CRM Systems – From Rolodex to Mobile CRM. Resco.
https://blog.resco.net/2015/07/22/the-evolution-of-crm-systems-from-rolodex-to-mobile-crm/
11
I.1.b. Le marketing depuis l’Internet
Grâce à l’émergence d’Internet, les éditeurs de logiciels de Customer
Relationship Management mettent ainsi à disposition des entreprises des mises à
jour régulières permettant d’accroître la connaissance de leurs clients et de leurs
besoins, de leur expérience, et ce de manière continue grâce aux actualisations17.
En 1994 l’e-commerce se développe avec la création d’Amazon. En 1995 le terme
Search Engine Optimization apparaît, qualifiant la méthode dont les premiers
moteurs de recherche font ressortir les résultats. En 1998, la société Google qui
vient d’être fondée, présente PageRank, soit l’algorithme (définition développée
plus loin) qui indique le ranking des résultats de recherche favorisant les sites qui
sont le plus partagés, où des liens redirigent vers un site depuis l’ensemble du web.
La synchronisation des données et l’utilisation d’Internet deviendra une
caractéristique non négligeable des logiciels car les entreprises ont besoin d’une
solution adaptée qui sera apportée à la fin de la décennie, en réponse évidente à la
tendance qui se dessine : le nombre d’utilisateurs journaliers de l’Internet ne cesse
de croître pour atteindre 16 millions au milieu des années 199018. C’est alors en
1999 qu’est commercialisé le premier Software-as-a-Service qui a permis à
l’entreprise Salesforce de rivaliser avec les autres éditeurs de logiciels de Customer
Relationship Management 19 pour devenir jusqu’à aujourd’hui l’un des principaux
leaders de ce marché20. Elle est la première société à fournir les fonctionnalités et
autres éléments directement depuis un site Internet21, ce qu’on appellera
aujourd’hui cloud computing soit écarter le matériel physique pour stocker,
consulter des fichiers ou utiliser un service logiciel, en ligne. C’est un nouveau
business-model qui fait ainsi son apparition car celui-ci place le site Internet d’une
entreprise au centre de l’activité. Beaucoup de sociétés ne pourront ignorer la
17 Kapost. (2015). A Brief History of Digital Marketing. Kapost, https://kapost.com/history-of-digital-
marketing-technology/ 18 (2016). Internet Growth Statistics. Internet World Stats,
http://www.internetworldstats.com/emarketing.htm 19 CRM Swhitch Staff. (2013). A Brief History of Customer Relationship Management. Crmswitch,
https://www.crmswitch.com/crm-industry/crm-industry-history/ 20 Columbus, L. (2016). 2015 Gartner CRM Market Share Analysis Shows Salesforce In The Lead, Growing
Faster Than Market. Forbes, http://www.forbes.com/sites/louiscolumbus/2016/05/28/2015-gartner-crm-
market-share-analysis-shows-salesforce-in-the-lead-growing-faster-than-market/#74e2b3c025ae 21 Salesforce.com propose avec Salesforce Ideas une solution pour la Gestion de l'Innovation. Salesforce,
http://www.salesforce.com/fr/company/news-press/press-releases/2007/09/070926-1.jsp
12
propagation de ce qui devient leur premier outil de travail, auquel 304 millions de
personnes se connectent régulièrement au début de l’année 200022.
Une crise soudaine survient en mars 2000 frappant les secteurs de la finance
et de l’informatique, on l’appelle la bulle Internet ou dotcom bubble. Beaucoup de
start-ups se lancent dans l’informatique et les investissements extravagants de la
part des banques et autres fonds d’investissements dissimulent un fait : le monde
impitoyable de l’entrepreneuriat dicte sa loi et ne réserve la survie qu’à une
entreprise sur dix, donc 90% de taux d’échec.
Entre 2000 et 2003 la notion d’inbound marketing apparait. C’est une
pratique menée par une entreprise dans le but d’inciter les clients à se diriger vers
elle d’eux-mêmes, portés par la qualité du contenu et l’utilité des informations
qu’elle offre, et ce afin de changer l’environnement peu agréable sous le règne des
annonces publicitaires push, soit en direction directe du client, ce qui a amené
l’administration Bush à instaurer le CAN-SPAM ACT (Controlling the Assault of
Non Sollicited Pornography and Marketing Act)23.
Dès 2003, les réseaux sociaux LinkedIn et MySpace naîssent, précurseurs
du mouvement généralisé que l’on connaît. En 2004, FaceBook apparaît et Google
est introduite en bourse (on compte cette année-là plus de 750 millions
d’utilisateurs d’Internet24). Cette dernière lance alors en 2005 ses services
analytics25, et modifie le comportement de ses algorithmes qui prennent en compte
l’historique de l’utilisateur pour présenter les résultats obtenus dans le moteur de
recherche26. Cette même année le site de visionnage de vidéos en ligne YouTube
est créé, racheté un an plus tard par Google, lorsque Twitter prend place aux côtés
des autres réseaux sociaux. L’essor du e-commerce est palpable, et les ventes
22 (2016). Internet Growth Statistics. Internet World Stats,
http://www.internetworldstats.com/emarketing.htm 23 Wainwright, C. (2012). The History of Marketing: An Exhaustive Timeline.Hubspot, http://blog.hubspot.com/blog/tabid/6307/bid/31278/The-History-of-Marketing-An-Exhaustive-Timeline-
INFOGRAPHIC.aspx#sm.0000rvc7ldpsqdlosdx18tkiyl7wh 24 (2016). Internet Growth Statistics. Internet World Stats,
http://www.internetworldstats.com/emarketing.htm 25 Définition : "la mesure, la collecte, l'analyse et le reporting des données Internet permettant de
comprendre et d'optimiser les usages web." (source : https://www.1min30.com/dictionnaire-du-web/web-
analytics) 26 Wainwright, C. (2012). The History of Marketing: An Exhaustive Timeline.Hubspot, http://blog.hubspot.com/blog/tabid/6307/bid/31278/The-History-of-Marketing-An-Exhaustive-Timeline-
INFOGRAPHIC.aspx#sm.0000rvc7ldpsqdlosdx18tkiyl7wh
13
d’Amazon atteignent 10 milliards de dollars27. Mais le comportement des
utilisateurs évolue. On obtient facilement l’information avant achat et la décision
d’achat est influencée par les recommandations des Internautes, soit le bouche-à-
oreille, modifiant le rapport avec les marques28.
En 2007, le smartphone iPhone est commercialisé par Apple. En 2011 Google
lance Panda, un algorithme faisant émerger les sites qui favorisent le partage sur
les réseaux sociaux, sachant qu’un américain sur deux possède un smartphone
permettant la consultation rapide et continue de ces réseaux29. Selon Cedric
Oeblinger, Philip Kotler (professeur de stratégie marketing et de marketing
international à la Kellogg School of Management de l’Université Northwestern)
indique dans son livre Marketing 3.0 que « là où le marketing 1.0 [1950-2000] était
centré sur les produits, le marketing 2.0 [2000-2010] sur les clients, le marketing
3.0 [2010 - x] se concentre sur l’humain30. »
En 2012 on constate que les réseaux sociaux permettent de réellement
trouver des prospects et d’atteindre des leads31, incitant les professionnels du
marketing à augmenter leur budget en faveur de ces canaux32. En 2014, ce sont
3 milliards de personnes qui sont connectées et leur exigence d’utilisation soit
« l’expérience utilisateur » se précise : chacun vit de plus en plus dans
l’instantanéité (en 2014, 67% des possesseurs de smartphone le consulte sans avoir
reçu de notification33) et on exige toujours plus de rapidité (en 2014, 250
millisecondes deviennent un nombre normal en terme de chargement d ’un
27 Ibid. 28 Amin, R. (2016). Le marketing face à l’évolution du comportement du consommateur. Journal du net, http://www.journaldunet.com/management/expert/64015/le-marketing-face-a-l-evolution-du-comportement-
du-consommateur.shtml 29 Wainwright, C. (2012). The History of Marketing: An Exhaustive Timeline.Hubspot, http://blog.hubspot.com/blog/tabid/6307/bid/31278/The-History-of-Marketing-An-Exhaustive-Timeline-
INFOGRAPHIC.aspx#sm.0000rvc7ldpsqdlosdx18tkiyl7wh 30 Oeblinger, C. (2014). Du marketing 1.0 au marketing 3.2 : rétrospective et explications. My marketing mobile, http://www.mymarketingmobile.fr/2014/02/19/marketing-1-0-marketing-3-0-retrospective-
explications/ 31 Definition : « un contact commercial, c’est à dire un contact enregistré auprès d’un client potentiel (…) la
relation entre les termes de leads et de prospects est complexe et variable. » (http://www.definitions-
marketing.com/definition/lead/) 32 Wainwright, C. (2012). The History of Marketing: An Exhaustive Timeline.Hubspot, http://blog.hubspot.com/blog/tabid/6307/bid/31278/The-History-of-Marketing-An-Exhaustive-Timeline-
INFOGRAPHIC.aspx#sm.0000rvc7ldpsqdlosdx18tkiyl7wh 33 Kapost. (2015). A Brief History of Digital Marketing. Kapost, https://kapost.com/history-of-digital-
marketing-technology/
14
contenu, d’une page web34) afin que le confort d’utilisation soit proportionnel à la
masse de temps passé en ligne (en moyenne 11 heures par jour aux Etats-Unis en
201435). Selon Greg Sterling, en 2015, 80% de l’accès aux réseaux sociaux se fait
par smartphone comme l’indique le rapport 2016 U.S. Cross-Platform Future in
Focus de Comscore36.
Cette même année, le smartphone est davantage utilisé que l’ordinateur
pour accéder à Internet37. Les sites doivent être optimisés à travers le responsive
design - site web adaptatif - mis en place lors du développement ou modification
d’un site, qui permet à un utilisateur de smartphone ou de tablette d’accéder à une
version mobile du site ; soit le contenu initialement destiné au format desktop –
ordinateur de bureau – mais de manière optimisée pour un confort de lecture, de
sélection, de remplissage... Même s’il semble évident que les géants de
l’informatique soient à la pointe du progrès et des tendances, ce chiffre révèle que
certaines personnes font le choix, ou ont pris l’habitude, d’utiliser leur smartphone
comme moyen d’accès exclusif à tel ou tel contenu, ce qui représente une donnée
intéressante : mon site ne sera peut être consulté que pendant certaines tranches
horaires ou lors de déplacements et je dois ainsi prendre en compte tous ces
éléments pour offrir la meilleure expérience possible.
Afin de répondre à ces évolutions et aux nouvelles exigences, les grosses
sociétés de l’informatique multiplient les acquisitions avec des pics depuis 2013.
Tous ces achats permettent de bénéficier des connaissances poussées de ces
entreprises et des talents des équipes qui les composaient. Que ce soit pour Apple38,
Google39, Facebook40, Microsoft41, ou IBM42, les acquisitions (de start-ups états-
34 Ibid. 35 Ibid. 36 Sterling, G. (2016). Nearly 80 percent of social media time now spent on mobile devices. Marketing Land,
http://marketingland.com/facebook-usage-accounts-1-5-minutes-spent-mobile-171561 37 Hern, A. (2015). Smartphone now most popular way to browse internet – Ofcom report. The Guardian,
https://www.theguardian.com/technology/2015/aug/06/smartphones-most-popular-way-to-browse-internet-
ofcom 38 List of mergers and acquisitions by Apple. Wikipedia,
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Apple 39 List of mergers and acquisitions by Alphabet. Wikipedia,
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Alphabet 40 List of mergers and acquisitions by Facebook. Wikipedia,
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Facebook 41 List of mergers and acquisitions by Microsoft. Wikipedia,
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_Microsoft 42 List of mergers and acquisitions by IBM. Wikipedia,
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_mergers_and_acquisitions_by_IBM
15
uniennes majoritairement) étaient de l’ordre de 5 par année pour régulièrement
dépasser le seuil de 10 par an après 2010 (concernant Google, un pic d’acquisitions
est situé en 2014 atteignant le nombre 34, soit une acquisition tous les 10 jours).
Le point négatif pour les consommateurs et professionnels se trouve dans la
sélection de l’outil adapté parmi une grande offre et l’intégration de leurs logiciels.
Selon le site Kapost, une étude réalisée par Signal révèle que 96% des
professionnels du marketing affirment qu’une solution totalement intégrée serait
bénéfique dans l’atteinte des objectifs fixés, et 88% indiquent que cela est
fondamental pour créer de nouveaux produits marketing43. De plus, la bonne
organisation de l’entreprise autour de ces outils peut être problématique et donner
trop d’importance au logiciel risque de faire passer le client en arrière-plan.
Seulement 48% des professionnels du marketing se sentent compétents sur
les questions des outils digitaux à leur disposition44. Ainsi la nécessité de se doter
des collaborateurs adéquats devient prégnante, et c’est pour cette raison qu’un
grand nombre d’entreprises et cabinets de recrutements recherchent des candidats
pourvus de connaissances techniques. Ces profils parviennent à proposer les
solutions les plus adaptées tout en étant confrontés quotidiennement aux
évolutions de l’informatique affectant la réflexion derrière les stratégies
marketing. Aujourd’hui ils doivent se concentrer sur la dernière grosse avancée
technologique, l’intelligence artificielle.
43 Kapost. (2015). A Brief History of Digital Marketing. Kapost, https://kapost.com/history-of-digital-
marketing-technology/ 44 Ibid.
16
I.2. Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Le Larousse propose une définition simple du terme « intelligence », cela
représenterait « l’ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la
connaissance conceptuelle et rationnelle » ou « l’aptitude d'un être humain à
s'adapter à une situation, à choisir des moyens d'action en fonction des
circonstances45. » Nous pouvons noter que le terme « humain » indiquerait que
l’intelligence soit réservée à cette espèce. Nous verrons dans cette partie que
l’Homme n’est pas le seul modèle pour comprendre et développer une intelligence
dite artificielle.
Définir le concept d’intelligence artificielle est complexe car en parcourant
la littérature scientifique on apprend que les conceptions de cette technologie
diffèrent. Jean-Louis Laurière, anciennement professeur d’informatique à
l’université Pierre et Marie Curie, définissait le terme comme une « étude des
activités intellectuelles de l'homme pour lesquelles aucune méthode n'est a priori
connue46 » ce dont il faut comprendre, selon Dominique Pastre professeur
d’informatique à l’université Paris 5, que « tout ce qui n'a pas encore été fait en
informatique - quand on sait le faire, ce n'est plus de [l’intelligence artificielle]47. »
Pour Marvin Minsky, scientifique américain, et selon la traduction de
Fabien Torre maître de conférences en informatique à l’université Lille 3,
« [l’intelligence artificielle] est la science de programmer les ordinateurs pour qu'ils
réalisent des tâches qui nécessitent de l'intelligence lorsqu'elles sont réalisées par
des êtres humains48. » Nous notons alors que cette définition cible davantage les
« tâches » qu’un humain peut accomplir, soit la manière d’adopter un
comportement pour réaliser une action ou atteindre un objectif.
Une définition globale et compréhensible que l’on pourrait donner à toute
personne s’intéressant au sujet est proposée par Futura Sciences. C’est la
« discipline scientifique relative au traitement des connaissances et au
45 Définition : intelligence. http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/intelligence/43555 46 Pastre, D. (1999/2000). L’intelligence artificelle (definition - généralités - historique - domaines) 47 Ibid. 48 Torre, F. Cours sur l’intelligence artificielle (accessible : http://www.grappa.univ-
lille3.fr/~torre/Enseignement/Cours/Intelligence-Artificielle/)
17
raisonnement, dans le but de permettre à une machine d'exécuter des fonctions
normalement associées à l'intelligence humaine : compréhension, raisonnement,
dialogue, adaptation, apprentissage, etc. 49»
I.2.a. Automatisation et l’algorithme, fondement de l’intelligence artificielle
Le concept d’intelligence artificielle est étudié réellement depuis plus de
soixante ans, les travaux portant sur cette technologie ont donné naissance au
terme, et non l’inverse. L’idée de machines interagissant avec des humains est
vieille.
Parmi les premiers spécimens d’outils dotés d’une certaine forme
d’intelligence, on peut présenter le travail du philosophe, écrivain et théologien
majorquin, Raymond Lulle, qui entre le XIIIème et XIVème siècle a conçu plusieurs
modèles de « machine mécanique » qui « démontrait automatiquement la véracité
ou l’inexactitude d’un postulat ». Ces travaux ont ensuite inspiré le célèbre
Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) dont les réflexions sur la logique
permettront d’établir un socle qui servira, quelques siècles plus tard, au fondement
de l’informatique50.
Une ancienne démonstration de l’idée fantaisiste de l’interaction entre un
humain et une machine réside dans le “Turc mécanique”, un automate
anthropomorphe joueur d’échecs né à la fin du XVIIIème siècle à allure humaine,
portant un drap et un turban situé derrière un caisson en érable servant de support
au plateau. Il était présenté comme une machine pouvant défier et battre un joueur
humain, notamment en effectuant des coups subtils... Il a vaincu pendant 84
années (1770 - 1854) de nombreux joueurs en Europe et en Amérique (dont
Napoléon Bonaparte et Benjamin Franklin) avant que ce qui n’était qu’un canular
ne soit révélé : le profond caisson dévoilant les mécanismes et engrenages
49 Définition : intelligence artificielle. http://www.futura-sciences.com/tech/definitions/informatique-
intelligence-artificielle-555/ 50 Preveraud, JF. (2015). Intelligence artificielle : de l’Ars Magna de 1270 aux machines à penser actuelles.
Industrie-techno, http://www.industrie-techno.com/intelligence-artificielle-de-l-ars-magna-de-1270-aux-
machines-a-penser-actuelles.40218
18
complexes n’était qu’un leurre, car un véritable joueur y était dissimulé et pilotait
l’automate51.
Il faudra un siècle après cette anecdote pour que le fondement de
l’informatique (et de l’intelligence artificielle) ne soit établi, notamment grâce à
Alan Turing, un mathématicien et cryptologue anglais aujourd’hui célèbre. Né à
Londres en 1912 et mort en 1954 à Wilmslow, son nom est associé à, entre autres
exploits, la cryptanalyse d’Enigma, la machine de Turing et le test de Turing.
Passionné de mathématiques et de cryptographie lors de son enfance, son
intervention discrète intervient juste avant que la seconde guerre mondiale
n’éclate. Pour communiquer entre elles durant le conflit, les forces allemandes
utilisaient une machine cryptant les messages. Pour définir ce terme, « crypter »
signifie bruiter, brouiller un message nécessitant de connaître la méthode à
appliquer ou de posséder un code à utiliser, pour permettre le déchiffrage. Cette
machine sollicitée sur l’ensemble des communications stratégiques des allemands
portait un nom, Enigma. Développée dès la fin du XIXème siècle, elle permettait
d’émettre un message textuel aux autres machines Enigma, mais il était
nécessaire de connaître son exacte configuration (le fonctionnement est présenté
plus bas) afin que, alors synchronisées, le message puisse être compréhensible.
Ce qui compliquait énormément la tâche des scientifiques et équipes attelés
à traduire les messages pour contrecarrer les coups de l’ennemi, résidait dans le
fait que la configuration était modifiée tous les jours, à minuit. Il est judicieux
d’analyser cette machine pour se représenter la complexité de la situation et mettre
en relation cette difficulté avec l’énorme masse de données qui doit être traitée
aujourd’hui au XXIème siècle pour nous permettre d’utiliser convenablement nos
outils.
51 Viennot, B. (2015). Cet automate joueur d’échecs soulevait des questions sur l’intelligence artificielle dès le
XVIIIe siècle. Slate, http://www.slate.fr/story/106415/turc-automate-echecs-truc
19
Enigma ressemble à une machine à écrire et est composée d’un système de
rotors, d’un câblage personnalisable et de voyants sur lesquels les lettres de
l’alphabet sont inscrites, alors éclairées par la frappe d’un caractère52.
Illustration 1 : un modèle avec quatre rotors, le
clavier et les voyants illuminés par chaque frappe.
Illustration 2 : le tableau permettant d’échanger
dix paires de lettres.
Le fonctionnement d’Enigma n’était pas complexe à comprendre, mais
déchiffrer chaque message était extrêmement long, ou tout simplement impossible
sans utiliser une logique à appliquer. Les allemands utilisaient un livre qui
référençait les combinaisons et donnait la configuration du jour, soit les positions
des rotors et quelles lettres devaient être échangées. La machine de chiffrement
possède les caractéristiques suivantes :
1. Sur cinq rotors différents les uns des autres, on choisit trois rotors :
5 x 4 x 3 = 60 positions
2. Chaque rotor possède vingt-six positions (pour chaque lettre) et lorsque le
premier rotor a effectué un tour complet il modifie la position du second rotor
qui, lorsqu’il effectue lui aussi un cycle, modifie la position du troisième rotor :
26 x 26 x 26 = 17 576 possibilités
3. Le panneau de câblage en façade permet d’échanger dix paires de lettres
sur les vingt-six lettres en laissant, selon la configuration, six lettres
statiques :
26! / (6! x 10! x 2^10) = 150 738 274 937 250 possibilités
52 Poupard, G. Enigma : sur les traces de Turing. Enseignement Polytechique,
http://www.enseignement.polytechnique.fr/profs/informatique/Jean-Jacques.Levy/00/pi/poupard/enigma.html
20
Tous ces éléments combinés donnent un total d’environ 159 milliards de milliards
(159 000 000 000 000 000 000, ou 1,59 x 10^20) de combinaisons possibles53. Sans
un moyen précis pour prédire la manière dont les lettres vont se suivre il est ainsi
humainement impossible de trouver la bonne configuration en vingt-quatre heures
car, pour rappel, à chaque fois que minuit sonnait, il fallait tout recommencer.
C’est donc à partir de 1938 qu’Alan Turing travaille au décryptage
d’Enigma. Il faudra du génie pour parvenir avec d’autres scientifiques retranchés
à Blentchey Park (à 70 kilomètres de Londres) à trouver un procédé logique
opérant avec récurrence qui permettrait de comprendre quotidiennement quel est
le fonctionnement intrinsèque de la machine. La solution trouvée sera nommée
« bombe cryptographique ». De la taille d’une grosse armoire, cette machine
composée d’une multitude d’éléments rotatifs permettait d’indiquer les lettres
correspondant au message crypté, et testait toutes les combinaisons possibles.
Mais selon Bruce Benamran, architecte logiciel et vulgarisateur scientifique,
même à raison de « mille combinaisons par seconde », il fallait « cinq milliards
d’années pour tester toutes les possibilités »54. Pour parvenir à réduire cette tâche
titanesque à une durée maximale de vingt-quatre heures, Turing a donc ré-utilisé
ce procédé logique que l’on nomme aujourd’hui un « algorithme »55. Un algorithme
est une méthode très détaillée à programmer, puis à faire appliquer par un
ordinateur, pour arriver à un résultat défini. L’action sera effectuée de manière
autonome et la rapidité d’exécution sera corrélée à la puissance de calcul de
l’ordinateur. Cela peut concerner le tri de données, trouver le chemin le plus
rapide, effectuer des additions…
Ainsi, la bombe cryptographique fonctionnant selon une méthode très
détaillée, selon un algorithme, a permis de résoudre le problème de configuration
de la machine Enigma, ou plutôt de l’écarter, pour déchiffrer les messages. Ceci a
53 Sale, T. Military Use of the Enigma. Codes and ciphers, http://www.codesandciphers.co.uk/enigma/ 54 Benamran, Bruce. (2015). Alan Turing - Enigma, ordinateur et pomme empoisonnée - LPPV.05 - e-penser.
https://www.youtube.com/watch?v=7dpFeXV_hqs 55 L’algorithme est en réalité une technique qui a été conçue bien avant Alan Turing. Déjà Ada Lovelace (1815-
1852), mathématicienne et pionnière de l’informatique peu connue en France, a conçu un programme
informatique destiné à faire fonctionner la machine analytique imaginée par son ami Charles Babbage qui
permet de « réaliser une série de calculs établis à l'avance et inscrits sur des cartes perforées ». (source :
http://www.futura-sciences.com/sciences/personnalites/mathematiques-augusta-ada-lovelace-869/).
Parmi ses notes, on a retrouvé la publication d’un algorithme ce qui lui permet d’être considérée comme la
première programmeuse de l’histoire. Le langage informatique Ada lui fait référence et lui rend ainsi
hommage. (source : https://histoireparlesfemmes.com/2013/03/18/ada-lovelace-premiere-programmeuse/)
21
néanmoins été facilité par deux éléments. Les allemands envoyaient chaque matin
un rapport météo. Celui-ci débutait à chaque fois par le mot « Wetterbericht » (soit
« rapport météo ») et terminait constamment par « Heil Hitler ». Ces similitudes
permettaient d’obtenir des références pour chercher plus efficacement les
combinaisons. De plus, la machine Enigma propose d’échanger dix paires de lettres
laissant alors six d’entre elles. La faille repose dans le fait qu’une lettre échangée
ne peut jamais donner cette même lettre (puisqu’elle est échangée). Il faut alors
comparer les messages pour déceler quelles lettres ne seront jamais similaires pour
apercevoir une configuration possible.
Ces raisonnements et la configuration logique de la bombe cryptographique
ont alors permis de raccourcir le temps de traitement d’un message crypté à 20
minutes. Selon l’historien et cryptanalyste Harry Hinsley présent à Blentchey
Park, ces travaux ont permis de réduire la durée de la guerre de 2 ans56. Et
accessoirement de permettre l’existence de l’ordinateur.
I.2.b. Le développement de l’intelligence artificielle
L’algorithme est une composante essentielle de l’informatique, et donc de
l’intelligence artificielle, car une version très perfectionnée pourra agir de manière
autonome et atteindre des objectifs toujours plus difficiles. En réalité, une
application fonctionnant sous ce principe a déjà été mis au point par Alan Turing
juste avant la guerre : la machine de Turing. C’est elle qui va, dans la communauté
scientifique, permettre de répondre à certaines interrogations mathématiques.
Turing tentait de généraliser le « problème de la décision » lié aux travaux de Kurt
Gödel, un logicien et mathématicien austro-américain, connus sous le nom de
« théorèmes de l’incomplétude » posant cette question : « est-ce qu’un théorème
peut être validé par une procédure mécanique et automatique ? ». On peut ici
comprendre : un système peut-il faire des choix, seul ? Pendant le reste du XXè
siècle, la recherche tendant vers la création d’une intelligence artificielle se
développe mais le sujet n’est pas très présent, ce n’est qu’une succession d’étapes
56 Chessman, S. Lockstone, K. (1996). The Influence of Ultra in the Second World War
(http://www.cdpa.co.uk/UoP/HoC/Lectures/HoC_08e.PDF)
22
(comme par exemple le data mining ou extraction de données) qui deviendront les
caractéristiques des programmes sur lesquels le secteur de l’informatique se
concentre aujourd’hui. De ces réflexions, l’idée qu’un jour des machines
intelligentes pourraient dialoguer et être au service de l’humanité (voire la
contrôler pour les plus pessimistes), germe. L’inventeur de l’algorithme met alors
au point le “test de Turing” en 1950. Ce test entend évaluer la capacité d’un être
humain à savoir si son interlocuteur est une machine ou non. On considérait alors
que si la personne qui conversait textuellement (pour que la tonalité de la voix ne
fausse pas l’épreuve) ne pouvait discerner la nature de son interlocuteur, alors le
logiciel avait réussi le test. Grâce à Alan Turing la voie vers l’informatique que l’on
connaît aujourd’hui a pu être ouverte.
Le terme “intelligence artificielle” apparaît alors très bientôt, en 1956, lors
d’une conférence au Darmouth College préparée en 1955 par quatre pionniers
(John McCarthy, Marvin L. Minsky, Nathaniel Rochester et Claude E. Shannon).
Cette technologie donne selon ces scientifiques “la possibilité de produire des
programmes qui se conduiraient ou penseraient intelligemment57”. Depuis cette
année, et découlant de l’idée d’Alan Turing de soumettre un être humain à un test
ludique, les jeux représentent une source de complexité pouvant nourrir la
connaissance informatique sur l'élaboration de l’intelligence artificielle58. En 1962,
un programme de jeu de dames conçu par Arthur Samuel bat un joueur américain
de niveau amateur, et devient le premier ordinateur à vaincre un être humain de
l’histoire. Cette victoire a été possible grâce à l'entraînement par renforcement
auquel était livré la machine, signifiant qu’elle effectuait des parties contre elle-
même pour évoluer. En 1979 c’est au backgammon que l’ordinateur triomphe
encore, grâce à cette même technique. Un évènement a fait sensation dans le
secteur de l’informatique en 1997 : Deep Blue, un superordinateur conçu par la
société IBM et spécialisé dans le jeu d’échecs, bat le champion du monde Garry
Kasparov (après l’avoir vaincu une première fois en 1996). Jamais une machine
autonome n’avait auparavant pu battre un joueur humain, mais la puissance de
l’ordinateur lui permettait d’étudier énormément de parties et d’être programmé
57 Fondation Telecom. (2016). Intelligences Artificielles, Quelles intelligences artificielles, quels défis ? 58 Ibid.
23
de manière à ce que la meilleure stratégie puisse être établie. Mais le jeu d’échecs
offre un nombre de parties “limité”... Le mathématicien américain Claude Shannon
a proposé un nombre, depuis appelé le nombre de Shannon, pour désigner le
nombre total de parties possibles au jeu d’échecs : 10^120. En 2011, c’est Watson,
un superordinateur conçu par IBM, qui a gagné à plusieurs reprises le célèbre jeu
Jeopardy. La société affirme que Watson est aujourd’hui plus intelligent de l’ordre
de 2400%59. Ces exploits qui paraissent incroyables sont insignifiants comparés à
celui réalisé dans un autre jeu de société, le jeu de go. Et là un autre événement
très récent a stupéfié la communauté scientifique.
Le géant Google a racheté en 2014, la société anglaise DeepMind spécialisée
dans l’intelligence artificielle. Grâce aux efforts combinés des deux entreprises, un
phénomène s’est produit en 2015, puis confirmé en 2016, lorsque les spécialistes
prédisaient qu’il se produirait dans minimum dix ans60… AlphaGo, le programme
spécifique conçu par Google DeepMind, a battu en octobre 2015 le champion
européen Fan Hui, puis l’un des meilleurs joueurs mondiaux Lee Sedol, en mars
2016. L’importance de ces victoires réside dans l’immense possibilité de parties
qu’offre le jeu de go, où le plateau (le goban) permet de poser des pions aux
interactions de plusieurs cases, et offre ainsi 361 intersections avec 3 coups
possible sur chaque intersection soit 3^361 ou 2 x (10^172) ce qui est bien
supérieur au total des parties possibles au jeu d’échecs. Pour l’anecdote, ce nombre
est supérieur à celui des particules présentes dans l’univers évalué à 10^80.
AlphaGo est constamment en activité et joue contre lui-même pour apprendre
plusieurs milliards de parties par jour ce qui n’était pas assez au moment du duel
de mars 2016 car il n’était qu’à 53% de ses capacités. Selon la Fondation Télécom,
“il faut maintenant s’intéresser à des jeux à connaissance incomplète, comme le jeu
de poker [...], les robots footballeurs ou les voitures de course autonomes [qui]
présentent également de nombreux défis d’IA à relever, beaucoup plus généraux”61.
De nombreuses méthodes sont utilisées pour permettre aux ordinateurs de
développer “leur” intelligence artificielle. Deux principales seront retenues ici pour
59 Banking Tech. (2016). Smart CRM Sees Investment from HSBC. Banking Tech,
http://www.bankingtech.com/426822/smart-crm-sees-investment-from-hsbc/ 60 AACC. (2016). L’intelligence artificielle : nouvelle frontière du marketing 61 Fondation Telecom. (2016). Intelligences Artificielles, Quelles intelligences artificielles, quels défis ?
24
deux raisons : le fait que leur désignation se répande et qu’il ne sera plus réservé
à une élite scientifique que de connaître ces termes et, secondement, parce qu’elles
sont compréhensibles : le machine learning et le deep learning.
Le machine learning, ou apprentissage automatique « consiste en la mise en
place d’algorithmes en vue d’obtenir une analyse prédictive à partir de données,
dans un but précis62. » La notion d’apprentissage autonome est alors très présente.
Le deep learning, ou apprentissage profond, va au-delà du machine learning.
Les algorithmes « cherchent à reproduire le fonctionnement du cerveau humain et
s’appuient aujourd’hui sur plusieurs couches de neurones artificiels (ou unités de
calcul) organisées de façon hiérarchique. Les couches inférieures cherchent d’abord
à catégoriser les éléments les plus simples avant de s’attaquer à des
caractéristiques plus complexes63». De manière plus scientifique le deep learning
repose sur l’étude du « réseau neuronal multicouche dont l’architecture des
connexions est inspirée de celle du cortex des mammifères64 ».
Le système nerveux humain est constitué de 100 milliards de cellules
nerveuses, dont 30 milliards de neurones dans le cortex. Le fonctionnement du
cerveau humain est toujours à l’étude ce qui implique qu’une extraction des futures
connaissances pour alimenter le développement de l’intelligence artificielle
possède énormément de potentiel65. La concrétisation du concept de deep learning
grâce aux réseaux de neurones artificiels prend place au début des années 2010,
notamment grâce à Yann LeCun, un français aujourd’hui directeur des recherches
sur l’intelligence artificielle chez FaceBook66.
Les couches de neurones permettent surtout d’effectuer de la reconnaissance
vocale et visuelle. C’est notamment grâce au deep learning que les équipes de
DeepMind ont programmé AlphaGo. Déjà en 2012, Google est parvenu à faire
identifier une image de chat à une intelligence artificielle. Les ingénieurs de
l’entreprise ont présenté des milliers d’images de chats au système qui, après les
avoir analysées et décelé des caractéristiques communes, a su seul reconnaître un
62 Baratte, M. (2015). Qu’est-ce que le machine learning ? Je veux être data scientist.
http://www.jeveuxetredatascientist.fr/quest-ce-que-le-machine-learning/ 63 Preveraud, JF. (2015). Deep Learning. Industrie-techno. http://www.industrie-techno.com/deep-
learning.39780 64 Ibid. 65 Fondation Telecom. (2016). Intelligences Artificielles, Quelles intelligences artificielles, quels défis ? 66 Ibid.
25
chat sur une image non analysée.67 L’intelligence artificielle a « créé le concept de
chat », selon Jeff Dean qui a travaillé sur le projet, « nous ne lui avons jamais dit
‘’ceci est un chat’’68. » Le principe est expliqué plus précisément par Andrew Ng,
ingénieur informaticien à l’université de Stanford, « l’idée est de ne pas avoir des
équipes de chercheurs concentrés à permettre l’identification, mais plutôt
d’alimenter un algorithme avec un grand nombre de données qui d’elles-mêmes
vont indiquer des éléments déterminants pendant que l’algorithme va apprendre,
s’améliorer, seul69. » C’est le même principe qu’utilise également Google dans son
outil de reconnaissance vocale qui, selon l’annonce de la société pendant le
rassemblement des développeurs Google I/O de 2015, a un taux d’erreur de
seulement 8%70. Du côté de Facebook, c’est sur les photographies que l’intelligence
artificielle est affectée et cela à travers DeepFace, dont la précision atteignait les
97% en 201471. Des détails sur les performances des entreprises du secteur de
l’intelligence artificielle seront présentés dans la troisième partie de ce mémoire.
Maintenant qu’un bref historique du concept d’intelligence artificielle a été
présenté, il est nécessaire de préciser qu’il existe, en réalité, deux formes
d’intelligence artificielle. Il y a une intelligence artificielle “faible” (weak AI), et
une intelligence artificielle “forte” (strong AI). Deep Blue, AlphaGo, et les autres
applications actuelles sont les représentants d’une intelligence artificielle faible.
L’intelligence artificielle forte permettra à un superordinateur, un robot, de
réfléchir par lui-même, de prendre des décisions, d’évaluer le risque que présente
une situation…
Selon la conjecture de Moore présentée au début de cette partie, le progrès
technologique était exponentiel en suivant un cycle de 18 mois, jusqu’en 2015
environ. La limite du principe vient de faits simplement physiques, car la
miniaturisation constante des transistors amène le débat à côtoyer le domaine du
67 AACC. (2016). L’intelligence artificielle : nouvelle frontière du marketing 68 Markoff, J. (2012). How Many Computers to Identify a Cat ? New York Times, http://www.nytimes.com/2012/06/26/technology/in-a-big-network-of-computers-evidence-of-machine-
learning.html?pagewanted=all&_r=0 69 Ibid. 70 Novet, J. (2015). Google says its speech recognition technology now has only an 8% word error rate.
Venture Beat, http://venturebeat.com/2015/05/28/google-says-its-speech-recognition-technology-now-has-
only-an-8-word-error-rate/ 71 Hosea, M. (2016). How brands are using artificial intelligence to enhance customer experience. Marketing Week, https://www.marketingweek.com/2016/05/18/how-brands-are-using-artificial-intelligence-to-enhance-
customer-experience/
26
quantique, soit de l’ultra petit. Les processeurs seraient aujourd’hui composés
d’environ 15 milliards de transistors, d’une taille inférieure à 14 nanomètres ce qui
représenterait une limite ultime pour garder le contrôle sur le comportement des
composants72. Selon Ray Kurzweil, recruté en 2012 et aujourd’hui directeur de
l’innovation chez Google, une intelligence artificielle forte (soit un programme
possédant une capacité de calcul plus puissante que l’ensemble des capacités
intellectuelles des humains réunis) pourrait faire surface vers la moitié de notre
siècle. Cette forme d’intelligence est nommée « singularité »73. Penchons-nous ainsi
sur les solutions développées dans le domaine du marketing, augmentées des
progrès effectués en informatique et sur la problématique de l’intelligence
artificielle.
72 Fléchaux, R. (2016). Processeurs : la fin de la loi de Moore… et le début de l’incertitude. Silicon, http://www.silicon.fr/fin-loi-de-moore-debut-incertitude-139238.html 73 AACC. (2016). L’intelligence artificielle : nouvelle frontière du marketing
27
II. L’intelligence artificielle au service des solutions marketing
Selon la fondation Telecom, « du modèle de l’horloge qui rythmait le monde
occidental depuis la fin du Moyen âge (et a donné le taylorisme), nous sommes
passés au modèle de l’ordinateur, une représentation qui influence nos rapports
sociaux, notre conception du droit, et l’ensemble des règles qui rendent la vie en
société possible74. » L’ordinateur a remplacé le temps et des entreprises appliquent
des politiques strictes face aux envois d’e-mails beaucoup trop nombreux afin de
protéger leurs salariés quant au surplus d’informations qu’ils sont amenés à
recevoir, pour permettre de gérer les requêtes, de trier les messages réellement
importants des simples demandes qui auraient suffi que l’émetteur traverse un
couloir ou monte un étage, à éviter que du stress inutile ne vienne réduire le bien-
être sur le lieu de travail, et par conséquence, la productivité. Le facteur devait
déposer le courrier pour que l’on puisse recevoir des nouvelles, la télévision
permettait de rester informer grâce aux journaux télévisés, mais à heures fixes.
L’instantanéité digitale, dans son côté pratique, sous-entend un accès à
toute l’information, depuis n’importe quel support, ou device. De cet accès facilité,
le consommateur devient expert et n’a plus besoin de conseiller de vente pour être
guidé en magasin. La manière dont il se comporte avant, pendant et après l’achat,
a changé depuis maintenant dix ans, les méthodes préférées s’étant confirmées au
fil de la décennie qui s’est écoulée. Le défi des professionnels du marketing est alors
de capter le consommateur différemment, il faut ainsi structurer la masse
vertigineuse de données. Josh James, fondateur et Chief Executive Officer de
Domo, donne un chiffre pour donner un aperçu de la masse transférée chaque
minute depuis un smartphone, et ce seulement aux Etats-Unis : 18 millions de
méga-octets75. C’est ce phénomène que l’on appelle couramment Big Data.
L’objectif est de personnaliser l’offre, toujours avec plus de compréhension, plus de
proximité afin que chacun se sente intimement concerné. Cela, aujourd’hui,
représente l’un des buts majeurs à atteindre car, en 2014, « vingt-sept millions de
contenus différents sont partagés tous les jours, [et que] 78% des consommateurs
74 Fondation Telecom. (2016). Intelligences Artificielles, Quelles intelligences artificielles, quels défis ? 75 James, J. (2016). Data Never Sleeps 4.0. Domo, https://www.domo.com/blog/2016/06/data-never-sleeps-4-0/
28
estiment que les entreprises produisant du contenu personnalisé sont enclines à
établir des relations sincères76. »
L’outbound marketing, la publicité sortante, perd en efficacité car chaque
année ce sont 41% d’internautes supplémentaires77 qui installent des adblockers
sur leur ordinateur, soit des logiciels permettant de bloquer les publicités qui se
lancent automatiquement à la lecture ou pendant le déroulé d’une vidéo par
exemple. Selon le rapport The Cost of Ad Blocking établi par Page Fair et Adobe
les pertes sont estimées, en 2015, à 21,8 milliards de dollars. De plus, il est indiqué
que le consommateur n’est plus autant attentif, ou souhaite être moins confronté
à de la publicité. 41% des interrogés affirment qu’ils seraient tentés d’utiliser un
logiciel adblocker si la quantité de publicités augmentait comparée à d’habitude.
Pour remédier à ça, personnaliser le contenu de manière contextualisée grâce aux
données et à l’intelligence artificielle est une solution que certaines agences
expérimentent en milieu urbain.
L’autre direction, l’inbound marketing, est impactée par les robots qui
produisent du contenu de manière programmée, écartant l’humain du processus
rédactionnel, entre autres. Puis le client comme le prospect est assisté tout au long
de son parcours afin que l’on puisse lui suggérer, si cela est lié à sa requête, des
alternatives ou des produits dont il aurait besoin. Selon Christophe Coenraets,
Principal Developer Evangelist à Salesforce, « les utilisateurs s’attendent à ce que
tous leurs systèmes fonctionnent. Pour une entreprise l’expérience client peut être
l’élément différenciant un succès d’un échec. (…) Ce n’est pas seulement lié au
graphisme, mais concerne la reconnaissance vocale, la relation textuelle78. » S’il
contacte le service après-vente, sa demande sera analysée bien en amont du
contact avec le téléopérateur (lorsque la requête n’aurait pas déjà été traitée) qui
deviendra à même de répondre avec une précision accrue. La satisfaction du client
est un fort enjeu pour les marques. La société Gartner l’affirme dans un rapport
qui indique que dans quelques années 89% des entreprises se feront concurrence
principalement sur l’expérience client et que d’ici 2017, « 50% des investissements
76 Kapost. (2015). An introduction to Content Marketing Software 77 Page Fair. Adobe. (2015). The cost of ad blocking, Page Fair and Adobe 2015 Ad Blocking Report 78 Reynolds, B. (2016). 10 Ways Artificial Intelligence Will Change the Customer Experience. Salesforce, https://www.salesforce.com/blog/2016/08/artificial-intelligence-will-change-customer-experience.html
29
en innovation produit seront destinés aux innovations relatives à l’expérience
consommateur79. » Selon Donald Brown une étude réalisée par Harris, indique que
70% des interrogés seraient prêt à payer plus cher pour obtenir un bon service
client, et 86% seraient prêt à choisir une autre entreprise après une mauvaise
expérience client80. En 2001, Gartner estimait qu’en 2020 « 85% des
consommateurs géreront leurs échanges avec les entreprises sans même être au
contact d’un être humain81. » Voici un aperçu du paysage des solutions marketing
développées grâce à l’intelligence artificielle.
II.1. Production de contenu
II.1.a. Outbound marketing
Le terme outbound marketing définit l’action qu’effectue une entreprise
pour promouvoir son produit, ses services, son activité, de manière sortante. C’est,
classiquement, la publicité qui est surtout concernée. De nos jours, la
multiplication des messages publicitaires sur tous les supports possibles (mur,
panneau urbain et rural, écran de cinéma, de télévision, d’ordinateur, de
smartphone, de tablette, dans un magazine, un journal, à la radio, au téléphone…)
rend assez logiquement le consommateur inattentif à l’objet de la communication :
il y a trop de messages. D’autres méthodes permettent de communiquer, en ce qui
concerne la publicité qui permet de diffuser un contenu à grande échelle,
l’intelligence artificielle peut renouveler les pratiques.
Acheter un espace publicitaire dans un magazine ou dans le métro détient
son taux de chance d’atteindre la cible souhaitée. Bien que les supports aient des
caractéristiques différentes et qu’il est possible d’estimer quel profil sera le plus à
même d’être en contact avec le message, beaucoup d’individus très différents sont
79 Sorofman, J. (2014). Gartner Surveys Confirm Customer Experience Is the New Battlefield. Gartner,
http://blogs.gartner.com/jake-sorofman/gartner-surveys-confirm-customer-experience-new-battlefield/ 80 Brown, D. (2015). How AI is improving consumer engagement and customer experience. Network World, http://www.networkworld.com/article/3002308/uc-voip/how-ai-is-improving-consumer-engagement-and-
customer-experience.html 81 Gartner Summits. (2011). Gartner Customer 360 Summits 2011
30
susceptibles de feuilleter les pages d’un magazine, ou d’emprunter les couloirs du
métro. Sur Internet, c’est un peu différent. Même si certains sites sont plutôt
consultés par des cibles spécifiques, ce sont des espaces publicitaires non-attitrés
qui seront sollicités. Grâce à ce que l’on appelle la programmatique les annonceurs
ont la possibilité grâce à des algorithmes d’accéder à une multitude d’espaces
différents, à un prix donné (mais fluctuant), auprès d’internautes considérés à fort
potentiel, et ce instantanément et de manière automatique. Les cookies sont ces
outils informatiques qui permettent d’enregistrer, de suivre la progression de
l’internaute en analysant le contenu sur lequel il s’informe, les sites marchands
qu’il préfère, quels produits l’intéressent, ce qui permettra à une entreprise de lui
rappeler qu’il a cliqué sur son produit mais aurait oublié de l’acheter. La diffusion
en programmatique display sera en mesure d’afficher la publicité conçue par
l’entreprise sur un espace dédié d’un site que l’internaute consultera au même
moment, puis modifiée à chaque fois par le logiciel selon les encarts publicitaires
vendus par chaque site.
Le concept est très apprécié des entreprises aux Etats-Unis, car en 2016 les
achats de display en programmatique représentait un total de 22,1 milliards de
dollars, représentant 67% des dépenses totales en display82. L’efficacité est parfois
fulgurante, comme ce cas relaté par Google qui indique que, en parallèle de
l’utilisation des outils d’analytics et des solutions de programmatique offertes par
l’entreprise, l’entreprise Shu Uemura, possédée par L’Oréal, a enregistré un retour
sur investissement publicitaire de 2200% sur l’une de ses campagnes83.
Néanmoins, la pratique est souvent boudée par les internautes qui se sentent
espionnés en retrouvant à l’écran tous les produits auxquels ils se sont intéressés
très récemment. Car si la publicité sur un device comme le smartphone est très
prisée par les professionnels du marketing, représentant 15,45 milliards de
dépenses aux Etats-Unis, soit 69% de la totalité de leurs dépenses en
82 Media Buying. (2016). More Than Two-Thirds of US Digital Display Ad Spending Is Programmatic.
Emarketer, http://www.emarketer.com/Article/More-Than-Two-Thirds-of-US-Digital-Display-Ad-Spending-
Programmatic/1013789 83 Google. (2015). L'Oréal Canada Finds Beauty in Programmatic Buying. Google,
https://www.thinkwithgoogle.com/case-studies/loreal-canada-programmatic-buying.html
31
programmatique84, celle-ci est mal accueillie. 42% d’interrogés par l’institut
OpinionWay indiquent que la bannière est un support « contre-productif parce qu’il
donne une mauvaise image de l’annonceur souhaitant promouvoir son offre de
service ou son produit85. »
C’est pourtant avec certitude que la société Rocket Fuel, spécialisée en
programmatique, revendique sa capacité à cibler sur tous les aspects (besoins,
moment propice…) les prospects d’une entreprise86. Pour illustrer l’efficacité de
cette méthode on peut se pencher sur le cas de la société Kellogg’s, qui a souhaité
se connecter à ses consommateurs si nombreux, mais en abordant d’autres
pratiques marketing, comme la programmatique. Grâce à cela elle a augmenté sa
visibilité de 70% et a amélioré son ciblage par deux87.
L’affichage de publicité peut également atteindre un autre niveau de ciblage
et de performance grâce à l’intelligence artificielle. Ce qu’on nomme le DOOH
(Digital Out Of Home) est le contenu digital que l’on retrouve hors du logement,
représenté donc par les panneaux publicitaires digitaux en milieu urbain ou dans
les centres commerciaux par exemple.
Cela a été expérimenté par l’agence M&C Saatchi London, en collaboration
avec ClearChannel et PosterScope, qui ont conçu une campagne pour une marque
de café fictive et dont tous les éléments relatifs à l’identité de l’entreprise et à celle
du café n’étaient pas définis. C’est une caméra Kinect, fabriquée par Microsoft, qui,
disposée sur un cadre d’affichage dans un abribus permettait d’analyser et de
récolter les réactions des passants. L’annonce était alors créée instantanément, et
ne préservait que les éléments qui semblaient avoir le plus d’impact. Selon David
Cox, responsable de l’innovation chez M&C Saatchi, « cette innovation bouscule
l’industrie de la publicité car c’est la première fois qu’une affiche est dotée
84 Media Buying. (2016). More Than Two-Thirds of US Digital Display Ad Spending Is Programmatic.
Emarketer, http://www.emarketer.com/Article/More-Than-Two-Thirds-of-US-Digital-Display-Ad-Spending-
Programmatic/1013789 85 Chardenon, A. (2016). M-commerce : la publicité mobile intrusive, un vrai frein à l'achat. LSA Conso, http://www.lsa-conso.fr/m-commerce-la-publicite-mobile-intrusive-un-vrai-frein-a-l-achat-etude,233508 86 Xuoan, D. (2015). Comment les marques vont se servir de l’intelligence artificielle. La Reclame, http://lareclame.fr/135834-dossier-innovation-intelligence-artificielle 87 Google. (2014). Kellogg Dishes Up Offline Sales With Programmatic Buying. Google, https://www.thinkwithgoogle.com/case-studies/kellogg-dishes-up-offline-sales-with-programmatic-
buying.html
32
d’autonomie pour se composer seule, selon ce qui semble fonctionner, plutôt que
selon ce qu’une personne pense être pertinent et efficace88. » Ces données
recueillies étaient transférées à M&C Saatchi London qui les utilisait alors pour
mesurer la performance de la campagne. Plusieurs autres essais seront effectués
dans des espaces et environnements différents dans le but d’évaluer
indépendamment chaque opération publicitaire89.
L’analyse de la réaction est également proposée par la société Virool, qui
propose de distribuer n’importe où une campagne vidéo fournie par un annonceur,
et de pouvoir en plus, grâce à leur technologie eIQ, utiliser la caméra embarquée
sur chaque device pour effectuer une analyse des expressions faciales dans le but
de savoir si la cible va rire ou non face à tel contenu, si elle sera concentrée et
concernée etc.90-91
Au Japon, l’agence publicitaire McCann est la première agence au monde à
s’être dotée d’une intelligence artificielle nommée AI-CD β (AI-CD beta), chargée
de la direction artistique. Cette machine a été développée dans le cadre du
« Creative Genome Project » qui représente l’un des premiers projets de l’initiative
« McCANN MILLENNIALS », initié par des employés de l’agence nés entre 1980
et 2000, des « digital natives » avec de bonnes connaissances en numérique et un
état d’esprit différent des générations passées, alors chargée de proposer des
alternatives en termes de travail, production et collaboration. L’équipe indique que
le robot donnera ses instructions à propos de campagnes publicitaires par
l’intermédiaire d’un crayon attaché à un bras robotisé.
Pour rendre AI-CD β opérationnelle, les publicitaires ont analysé un large
éventail de publicités TV dont celles primées chaque année lors du ACC CM
Festival au Japon afin d’en recueillir les caractéristiques récurrentes définissant
un référentiel pour une création efficace. L’idée est de permettre aux clients de
bénéficier d’une production créative basée sur de la logique, découlant des données
88 Clear Channel. (2015). M&C Saatchi, Clear Channel and Posterscope unveil London’s first Artificial
Intelligence poster campaign. Clear Channel, http://www.clearchannel.co.uk/mc-saatchi-clear-channel-and-
posterscope-unveil-londons-first-artificial-intelligence-poster-campaign/ 89 Xuoan, D. (2015). Comment les marques vont se servir de l’intelligence artificielle. La Reclame, http://lareclame.fr/135834-dossier-innovation-intelligence-artificielle 90 https://www.virool.com/how-it-works 91 Ha, A. (2016). Virool raises $12M for native video ads. Tech Crunch, https://techcrunch.com/2016/04/05/virool-series-a/
33
issues des analyses des campagnes TV. Comme tout autre robot qui fonctionnera
sous le principe du machine learning, AI-CD β apprendra seul à reconnaître quel
contenu a rencontré un succès et ce qui a représenté un échec. Shun Matsuzaka,
planneur stratégique chez McCann Japan et fondateur de l’initiative McCANN
MILLENNIALS, justifie la démarche : « Notre équipe n’avait pas de directeur
artistique, alors on s’est dit, pourquoi ne pas créer le nôtre grâce à l’intelligence
artificielle ? C’est ainsi que le Creative Genome Project a débuté. Nous espérons
que notre Intelligence Artificielle pourra travailler sur de nombreux projets,
gagner de l’expérience, et se démarquer en tant que directeur artistique
d’envergure internationale qui laisserait une trace dans le secteur de la
publicité92. »
La recherche de clients passe aussi par l’e-mail, alors plus performant grâce
à l’intelligence artificielle. Ce canal est encore très prisé, 80% des professionnels
estiment que l’e-mail est fondamental dans leur activité car il permet de
personnaliser une offre et, selon Salesforce, les équipes marketing les plus
performantes sont « susceptibles de mettre à profit l'intelligence prédictive ou la
science des données pour créer des e-mails personnalisés93. »
L’entreprise française Tinyclues s’est lancée dans ce créneau et plusieurs
grosses entreprises ont fait confiance à son expertise afin d’optimiser l’impact de
leurs campagnes d’e-mailings. C’est notamment le cas des 3Suisses qui, selon
Marianne Desbonnets, responsable des animations commerciales web, avait
l’habitude de tout gérer en interne : « les données de navigation de chaque
utilisateur sur [le] site, l’historique de leurs transactions, leur comportement suite
aux campagnes d’emailing. » Tinyclues a ainsi permis grâce à un ciblage intelligent
« d’accroître de 60% la réactivité (ouvertures et clics) et de 40% le chiffre d’affaires
généré par [les] campagnes d’emailing (…) [pour en] moyenne une dizaine de
campagnes chaque semaine [dont] les trois quarts sont des campagnes ciblées mises
en place via Tinyclues94. » Cette start-up est également l’entreprise choisie par la
92 Mc Cann. (2016). McCann Japan appoints the world’s first artificial intelligence creative director 93 Salesforce Research. (2016). 2016 State of Marketing 94 TinyClues. (2015). Comment 3Suisses augmente le revenu de ses campagnes d’emailing grâce à tinyclues.
Medium, https://medium.com/@tinyclues_fr/comment-3suisses-augmente-le-revenu-de-ses-campagnes-
emailing-gr%C3%A2ce-%C3%A0-tinyclues-5198ea482e99#.ixg6jqnxq
34
FNAC pour améliorer ses campagnes comme l’explique Camille Bertrand, chargée
d’en diriger la stratégie CRM, qui considère que le ciblage comportemental n’est
pas satisfaisant : « on retombe dans des segmentations grossières ». La FNAC
récolte de très nombreuses données soit « des milliards d’événements (achats, clics
sur des e-mails, visites Web, avis…) associés à des millions de clients (la FNAC
compte environ 3,5 millions d’adhérents). » Le chiffre d’affaire sur la période d’AB
Testing (soit un comparatif des deux méthodes) a montré un accroissement du
chiffre d’affaires de 30%95. Dernière success story comme Tinyclues les présente,
Francebillet, la filiale de billetterie de la FNAC entièrement possédée par cette
dernière, utilise la solution SaaS de la start-up qui a ainsi permis, selon Julien
Schneider, directeur e-commerce et marketing de Francebillet, de « divis[er] le
nombre d’envois d’emails par deux, pour un [retour sur un investissement] qui est
multiplié par 2 (…), le taux d’ouverture des emails est multiplié par 1,8, le taux de
clic par 2, le taux de conversion par 296. »
L’agence publicitaire Publicis Worldwide a créé Publicis ETO, une agence
data driven (qui exploite essentiellement les données récoltées pour décider des
solutions), qui a selon l’Association des Agences-Conseil en Communication ainsi
« identifié un segment de consommateurs particulier pour une marque de grande
consommation, celui des hommes divorcés de 30 à 40 ans, soit environ 5% de la
population. La marque ne jugeait pas ce segment intéressant. Mais une campagne
test d’emailing sur leur site de couponing, avec un discours adapté à cette cible, a
rencontré un grand succès97. »
Ces quelques exemples permettent de comprendre l’importance que
représente la technologie dans ces pratiques marketing qui seront ainsi vouées à
être modifiées voir complètement renouvelées dans le futur selon les supports
auxquels elles seront associés.
95 Fléchaux, R. (2015). Ciblage marketing : la Fnac fait confiance au Machine Learning. Silicon,
http://www.silicon.fr/ciblage-marketing-fnac-confiance-machine-learning-111163.html 96 La Revue du Digital. (2014). Big Data : la Fnac double la performance de l’emailing de sa billettique. La Revue du Digital, http://www.larevuedudigital.com/2014/09/23/big-data-a-la-billettique-de-la-fnac-lemailing-
deux-fois-plus-performant/?doing_wp_cron=1474132243.8414089679718017578125 97 AACC. (2016). L’intelligence artificielle : nouvelle frontière du marketing
35
II.1.b. Inbound marketing
L’inbound marketing consiste ainsi, à l’inverse de l’outbound marketing, à
faire venir ou à favoriser la venue du client vers l’entreprise. Cela est possible grâce
à du contenu, tous formats, de bonne qualité et instructif, sur un site Internet bien
conçu et esthétiquement agréable, et à travers un référencement efficace sur les
moteurs de recherche pour atterrir dans la golden page, soit la première page des
résultats après le lancement d’une recherche par mots-clés. L’intérêt de
l’entreprise est de captiver l’internaute, ou le prospect, en le faisant davantage
adhérer à ce que l’entité représente et à ce qu’elle peut lui offrir, plutôt qu’à travers
des produits dans le cas de la publicité ou d’autres méthodes « agressives » dans
lesquelles l’acte d’achat est très fortement sous-entendu, où les promesses de vente
semblent être des arguments faux, en bref où le consommateur est ramené à sa
condition de consommateur situé en bas de la pyramide hiérarchique. L’inbound
marketing permet à l’inverse de créer des liens plus humains, plus émotionnels,
en amenant ce sentiment d’horizontalité autorisant à ne plus considérer
l’entreprise comme un simple marchand de biens et de services mais comme une
source d’inspirations, de connaissances, de divertissement, en fonction des
contenus que l’on trouvera sur les différents espaces.
Selon Rachel Burger, professionnelle en content marketing (marketing par
le contenu) et spécialisée en B2B, « lorsque l’on écrit des titres, des extraits, des
introductions, que l’on insert des liens et autres métadonnées, on ne pense pas
seulement au lecteur final. On indique aux moteurs de recherche comme
interpréter nos données ». Certains content marketers ne sont pas enthousiastes à
l’idée d’être constamment reçus par une intelligence artificielle ou de soumettre
perpétuellement le travail effectué aux filtres d’un robot98. De plus, Jayson DeMers
fondateur et président de la société AudienceBloom, spécialisée en référencement
naturel et stratégie sur les réseaux sociaux, a affirmé dans le magazine Forbes que
le secteur du journalisme, notamment sportif, allait beaucoup souffrir car des
98 Burger, R. (2016). Is Artificial Intelligence Taking Over Content Marketing ? Rachel Burger, http://rachelburger.com/blog-1/2016/1/4/advanced-content-marketers-care-about-artificial-intelligence
36
ordinateurs sont (déjà) capables d’écrire des articles en organisant les résultats de
matchs autour d’un texte créé pour habiller l’information, tout en précisant qu’il y
ait « de fortes chances que vous ayez déjà lu un article qui a été écrit par une
machine99. » Cela se produit car accéder à du contenu clair, bien structuré, semble
être le minimum lorsqu’on cherche à se renseigner sur un produit par exemple.
Il a été mentionné qu’un consommateur était amené à s’intéresser
davantage à une marque si celle-ci produisait du contenu intéressant et pertinent.
L’entreprise Automated Insights commercialise Wordsmith, un logiciel qui permet
de créer du contenu textuel clair, destiné à n’importe quel type de lectorat, à partir
d’un tableau de données brutes, selon des programmations simples à effectuer et
ce de manière scalable (soit duplicable à n’importe quelle échelle). Les secteurs de
la finance, du sport ou des portails web, par exemple, publiant des articles dont
des données chiffrées représentent les objets premiers (comme des pourcentages,
des chiffres d’affaires, des résultats…) sont les plus impactés par ce changement,
soit comment écarter l’auteur humain pour un robot100-101. C’est également ce que
propose la société NarrativeScience avec son logiciel Quill qui « depuis des
données identifie les faits fondamentaux pour le contenu (…) selon les règles
programmées par l’entreprise (…) qui dicte également le style, le ton, le format du
contenu (…) de manière à ce que cela ne puisse être distingué d’une écriture
humaine. Le contenu est personnalisé au ratio 1 :1 (…) à une échelle seulement
accessible par la technologie102. »
Les algorithmes permettant l’interaction sont utilisés dans beaucoup de
secteur dont celui de l’agro-alimentaire. En collaboration avec IBMiX, une agence
publicitaire créée par IBM et exploitant les capacités de Watson, Knorr a mis en
place un dispositif sur son site qui permet d’échanger avec un robot suggérant des
recettes personnalisées par le moyen de la technologie cognitive103. Cette initiative
suit la campagne publicitaire « Love at First State » qui met en scène des couples
99 DeMers, J. (2015). How Journalism-Focused AI Will Change The Content Marketing Landscape Forever.
Forbes, http://www.forbes.com/sites/jaysondemers/2015/08/27/how-journalism-focused-ai-will-change-the-
content-marketing-landscape-forever/#613f8f0e15b5 100 https://automatedinsights.com/wordsmith 101 Miller, R. (2015). The company behind the AP's 'robot journalists' is opening up its technology for
everyone. The Verge, http://www.theverge.com/2015/10/20/9572975/automated-insights-wordsmith-natural-
language 102 https://www.narrativescience.com/quill 103 http://www-03.ibm.com/press/uk/en/pressrelease/50021.wss
37
d’inconnus autour d’un repas, sélectionnés selon leurs préférences culinaires. Sur
leur site, la technologie interagit avec le consommateur qui, en fournissant
certaines informations sur sa personnalité et ses préférences en matière de cuisine,
de goûts, de saveurs, se verra délivrer des recettes à même de leur procurer une
grande satisfaction104. Cet exemple d’opération érige la marque Knorr en livre de
cuisine interactif et compréhensif, à l’inverse d’un catalogue classique qui
proposera des plats auxquels il faudra retirer des ingrédients ou adapter certains
éléments, en fonction des souhaits du cuisinier. Ce genre d’opération marketing
soutenue, entretenue et intelligemment conçue pour optimiser l’expérience
utilisateur, pourrait permettre à la marque de se différencier en devenant un
assistant de cuisine de référence.
La présence sur les réseaux sociaux à travers, entre autres, du contenu vidéo
dans lequel une entreprise est présentée, pourra être aussi confiée à des robots.
Selon Jeremy Wilson, le travail effectué dans le but d’acquérir une voix optimale
pour être superposé au contenu soit la tonalité, la diction, l’élocution et les autres
caractéristiques différenciant des voix, sera enseigné aux robots qui seront
capables de reproduire les instructions. Selon l’auteur, les possibilités d’utiliser des
sonorités très variées est large et il serait ainsi légitime de les exploiter105.
Le machine learning est exploité par Google dans ses critères de
référencement depuis 2015. Ce qui veut dire qu’auparavant, l’optimisation du
référencement naturel, le Search Engine Optimization (en opposition au Search
Engine Advertisement soit l’achat de publicité sur un moteur de recherche) était
régulé par des robots appliquant des règles soumises par les équipes dédiées chez
l’entreprise américaine. Ce fonctionnement commence à être modifié car le géant
américain souhaite gérer plus efficacement 15% des requêtes nouvelles ou
complexes et ce grâce à RankBrain l’un des composants du traitement du Search
Engine Optimization fonctionnant en machine learning, soit une intelligence
artificielle. L’algorithme général nommé Hummingbird par l’entreprise comprend
plusieurs algorithmes ayant des fonctions définies, en parallèle au référencement.
104 Mortimer, N. (2016).Unilever's Knorr links flavour and love in campaign to target foodie millennials. The Drum, http://www.thedrum.com/news/2016/04/26/unilevers-knorr-links-flavour-and-love-campaign-target-
foodie-millennials 105 Wilson, J. (2016). Five Ways AI Will Impact Marketing Over the Next 12 Months. Adage, http://adage.com/article/digitalnext/ways-ai-impact-marketing-12-months/303626/
38
RankBrain, à la différence des autres, n’aura pas besoin d’être dirigé par les
ingénieurs pour s’améliorer car selon les principes du machine learning et du deep
learning, l’algorithme apprendra tout seul106. Le Search Engine Optimization
recueille les dépenses marketing de manière croissante, c’est une stratégie qui
accompagne l’omniprésence d’Internet, et représentera un investissement total de
65 milliards de dollars en 2016107.
On comprend ainsi l’implication et l’importance de l’intelligence artificielle
dans ces méthodes de marketing. Il est temps de se pencher sur le parcours client
devenu très diversifié par l’utilisation de cette technologie.
II.2. Un parcours client maîtrisé
II.2.a. Suggérer grâce à l’intelligence artificielle
Le marketing prédictif qui est la pratique dont l’objectif est de prévoir le
comportement du consommateur, représente une opportunité pour les
professionnels du marketing qui font appel au Big Data et au machine learning.
Selon Salesorce, pour 88% des « équipes marketing les plus performantes, la mise
en place d’une stratégie de gestion du parcours client est en effet perçue comme
essentielle108 ».
Mais l’application réellement différenciante réside dans la création de
besoins non communiqués. Selon Guillaume Aurine « le deep learning permet par
exemple de découvrir que l’intention d’achat peut être corrélée à une action à un
moment précis du parcours client (…), on peut dont cibler avec une précision qui
échappe à l’entendement humain109 ». Le champ d’action de l’homme est encore
possible aujourd’hui car les applications utilisées en marketing digital reposent
106 Juhan, V. (2015). SEO : Google injecte l'intelligence artificielle de RankBrain dans son algo. Journal du net, http://www.journaldunet.com/solutions/seo-referencement/1165305-seo-google-injecte-l-intelligence-
artificielle-de-rankbrain-dans-son-algo/ 107 Sullivan, L. (2016). Report: Companies Will Spend $65 Billion On SEO In 2016. Mediapost, http://www.mediapost.com/publications/article/273956/report-companies-will-spend-65-billion-on-seo-in.html 108 Salesforce Research. (2016). 2016 State of Marketing 109 Aurine, G. (2016). Machine learning : comment l’analyse prédictive réinvente le marketing digital
.Salesforce Blog,https://www.salesforce.com/fr/blog/2016/04/machine-learning-marketing-digital.html
39
sur une combinaison humain/ machine. Il n’est pas impossible que dans le futur,
les logiciels pourront tout programmer seul ne nécessitant une assistance humaine
qu’en cas de maintenance ou pour un recalibrage. Pour optimiser cette possibilité
il est néanmoins nécessaire, comme le fait remarquer Jean-Claude Heudin,
directeur de l’Institut de l’Internet et du Multimédia et chercheur en intelligence
artificielle, d’assainir les masses de données car « les corrélations [de données] ne
sont pas des liens de causalité (…), le nombre de documentaires produits par année
n’a aucune incidence sur le nombre de porcs abattus pendant la même période (…)
pourtant les deux courbes représentent une similitude avec une coefficient de
corrélation de 0.974 sur 1. De telles corrélations parasites sont fréquentes110. » Et
l’intelligence artificielle sera alors adéquatement préconisée pour écarter ces
situations.
Selon une étude de KPMG sur les souhaits et désirs des consommateurs à
propos de leur expérience client, 51% des interrogés indiquaient qu’ils
apprécieraient une meilleure expérience en magasin111.
Les recommandations lors de l’achat sont de réelles opportunités pour les
annonceurs ou pour les plateformes. « Appliqué au marketing digital, l’ambition
du machine learning, c’est avant tout de faciliter la vie du client, par exemple en
l’aidant à choisir entre plusieurs moyens de transport ou en lui proposant le
produit ou le service dont il est le plus susceptible d’avoir besoin. » explique
Philippe van Canegem, Senior Director Strategic Innovation chez Salesforce 112.
Steve Jobs possède les mots pour que le doute s’écarte si l’on réfléchit au réel
pouvoir des recommandations car déjà en 1998 il affirmait, dans un entretien
accordé à Business Week, que « souvent les gens ne savent pas ce qu’ils veulent,
jusqu’à ce qu’on le leur montre113. »
110 Heudin, JC. (2016). Intelligence artificielle appliquée au marketing prédictif : mythes et limites. The Conversation, http://theconversation.com/intelligence-artificielle-appliquee-au-marketing-predictif-mythes-
et-limites-53987 111 Kruh, W. Johnson, J. Qian, J. (2016). Becoming hyper customer centric. KPMG, https://home.kpmg.com/xx/en/home/insights/2016/06/becoming-hyper-customer-centric.html 112 Aurine, G. (2016). Machine learning : comment l’analyse prédictive réinvente le marketing digital
.Salesforce Blog,https://www.salesforce.com/fr/blog/2016/04/machine-learning-marketing-digital.html 113 Mui, C. (2011). Five Dangerous Lessons to Learn From Steve Jobs. Forbes, http://www.forbes.com/sites/chunkamui/2011/10/17/five-dangerous-lessons-to-learn-from-steve-
jobs/#241aa50b60da
40
Plusieurs entreprises intègrent la recommandation comme composante
fondamentale de leur business-model. Nous pouvons citer l’exemple de Netflix,
plateforme de streaming par accès payant de films et de séries, aujourd’hui
productrice, qui a créé le Prix Netflix récompensant les ingénieurs et développeurs
du monde entier capables d’améliorer l’algorithme de recommandation de 10% par
la somme d’un million de dollars114. Selon Kyle Russel, « l’objectif de cette
technologie est d’arrêter de faire des recommandations sur les films qu’un abonné
a vus, mais plutôt de suggérer selon les caractéristiques réellement appréciées
dans les films115. » Cette affirmation prend plus de poids lorsque, selon Chris
Raphael, une publication de Netflix indique « qu’au fil des années, le système de
recommandation a permis de réduire la perte d’abonnés de plusieurs points de
pourcentage, et maintenir dans les caisses plus d’un milliard de dollars par an116. »
Netflix n’est évidemment pas la seule entreprise à estimer que de bonnes
recommandations permettent de conserver des clients et de proposer une offre
vraiment personnalisée.
Amazon se trouve dans une situation critique car la masse d’objets
disponibles crée une réelle difficulté pour faire des suggestions pertinentes et bien
organisées. Selon Pranav Vadehra, ce sont les produits les plus courants qui
doivent être recommandés en priorité car ce sont eux qui établissent un bon ROI.
Cette nécessité omniprésente est justifiée par le fait que 35% des ventes d’Amazon
seraient le fruit d’un bon système de recommandation. De plus, Amazon a ouvert
son intelligence artificielle dans un cloud, mettre en open source sa solution lui
permet de recueillir les améliorations de développeurs extérieurs autant que
contribuer à améliorer les systèmes d’intelligence artificielle dans le monde 117.
Spotify, la plateforme suédoise d’écoute de musique en streaming, mise également
sur les performances des algorithmes pour établir des playlists personnalisées.
114 Manjoo, F. (2009). Prix Netflix: pour des ingénieurs surdoués et pas chers. Slate, http://www.slate.fr/story/11221/prix-netflix-un-prix-pour-des-ingenieurs-surdoues-et-pas-chers 115 Russell, K. (2014). Netflix Is 'Training' Its Recommendation System By Using Amazon's Cloud To Mimic
The Human Brain. Business Insider, http://www.businessinsider.com/netflix-using-ai-to-suggest-better-
films-2014-2?IR=T 116 Raphael C. Netflix Recommendations: How Algorithms Keep Customers Watching. Rt Insights, https://www.rtinsights.com/netflix-recommendations-machine-learning-algorithms/ 117 Vadehra, P. (2016). Recommendation Engines: How Amazon and Netflix Are Winning the Personalization
Battle. Martech Advisor, http://www.martechadvisor.com/articles/customer-experience/recommendation-
engines-how-amazon-and-netflix-are-winning-the-personalization-battle/
41
Cette initiative prend la forme d’une playlist basée sur le principe du machine
learning nommée Discovery Weekly qui propose chaque matin une trentaine de
morceaux. Cette playlist devient plus pertinente au fur et à mesure des écoutes en
prenant en compte la durée d’écoute de chaque morceau et en analysant les
habitudes des autres millions d’utilisateurs et les deux milliards de playlists qui
sont alors comparées pour pouvoir fournir ces chansons jamais entendues mais qui
seraient parfaites dans la sélection proposée118.
Dans l’industrie hôtellière, l’intelligence artificielle est à même de fournir
des informations toutes organisées et présentables pour identifier les profils et
attentes des clients, surtout lorsque le réseau d’hôtels s’étend sur un large
territoire. C’est le cas d’un groupe d’hôtels de luxe, The Dorchester Collection, qui
utilise une plateforme nommée Metis. Selon Ana Brant, directrice de l’expérience
client et de l’innovation du groupe, « Metis consulte des milliers de critiques
laissées par les clients et nous indique ce qui semble vraiment important pour eux.
[Metis] permet de travailler en plusieurs langues, de résumer des résultats
essentiels, de les contextualiser en comparant la situation de nos concurrents (…)
et ce en trente minutes à travers une vidéo interactive nous procurant de la
perspective qui redéfinira notre avantage compétitif119. »
Dans le secteur du sport et de la santé, c’est l’entreprise Under Armour
spécialisée dans le textile de sport qui s’associe à IBM et aux performances de son
ordinateur Watson pour se lancer sur le marché des wearables (accessoires
connectés qui permettent le suivi digital), pour analyser les performances des
sportifs (ici 165 millions d’utilisateurs des différentes applications de l’entreprise)
afin de pouvoir leur suggérer des entraînements, des régimes nutritifs
personnalisés et des conseils sur leur sommeil120. Chaque utilisateur pourra être
comparé à une énorme base de données qui lui indiquera le nombre de personnes
dans la même situation que lui, en prenant en compte toutes les caractéristiques
118 Pasick, A. (2015). The magic that makes Spotify’s Discover Weekly playlists so damn good. Quartz, http://qz.com/571007/the-magic-that-makes-spotifys-discover-weekly-playlists-so-damn-good/ 119 Hosea, M. (2016). How brands are using artificial intelligence to enhance customer experience. Marketing Week, https://www.marketingweek.com/2016/05/18/how-brands-are-using-artificial-intelligence-to-enhance-
customer-experience/ 120 TechPORTFOLIO Staff. Under Armour Leverages IBM’s Watson to Challenge Fitbit. Techportfolio,
http://techportfolio.net/2016/05/under-armour-leverages-ibms-watson-to-challenge-fitbit/
42
enregistrées, pour permettre une évaluation plus précise avec un référentiel121.
Une innovation apportée par cette collaboration réside par exemple dans la prise
en compte des conditions météorologiques pour adapter les objectifs à atteindre
durant chaque session. De même, les échanges de données permettront d’améliorer
Watson, qui nourrit, sera plus à même de délivrer de meilleurs conseils122.
En termes de prédiction, Edgar est une application inspirée de la
conciergerie d’hôtel de luxe, qui « fournit aux marques les moyens d’anticiper les
demandes les plus folles de leurs clients à partir de datas personnelles
extrêmement qualitatives123. »
II.2.b. La gestion de la relation client
L’intelligence artificielle prend déjà en compte la manière dont le
consommateur se comporte face à une situation d’achat. Que ce soit sur un point
de vente aux caractéristiques très digitales, dans un hôtel ou au téléphone pour
contacter le service client, la technologie saura rendre toute action plus fluide et
accroître le taux de satisfaction si précieux pour les entreprises. Les logiciels de
CRM bénéficieront également de l’intégration de l’intelligence artificielle qui en
renforcera leur efficacité, après la synchronisation des données et l’automatisation
des processus. C’est dans cette direction que se dirige Salesforce qui a annoncé, à
la fin de l’été 2016, qu’elle commercialiserait une plateforme dotée d’intelligence
artificielle baptisée « Salesforce Einstein », marquant par cette référence forte les
capacités de l’outil. La richesse de ce produit est qu’il permettra aux développeurs
et aux utilisateurs sans connaissance en programmation d’en étendre les
fonctionnalités « sans faire appel aux datascientists124. »
L’aide immense qu’apporte l’intelligence artificielle aux entreprises dans
leurs problématiques de relation clients après achat, est de permettre à ce dernier
121 https://www-03.ibm.com/press/us/en/pressrelease/48764.wss 122 Lunden, I. (2016). IBM’s Watson Now Powers AI For Under Armour, Softbank’s Pepper Robot And More.
Techcrunch,https://techcrunch.com/2016/01/06/ibms-watson-now-powers-ai-for-under-armour-softbanks-
pepper-robot-and-more/ 123 (2016). L’intelligence artificielle appliquée au marketing : l’hyperpersonnalisation du service prend tout
son sens. InCapsule Ifop, http://incapsule.ifop.com/article-emarketing-ia/ 124 Damais, AC. (2016). Salesforce Einstein : l'arme de Salesforce dans l'A.I. au crible. Journal du net, http://www.journaldunet.com/solutions/cloud-computing/1183595-salesforce-einstein-intelligence-artificielle-
3/
43
d’être autonome, ou, dans le cas d’un contact avec le service, de raccourcir le temps
nécessaire au traitement de chaque client, préciser la demande, alléger la tâche
des téléopérateurs, tout en maîtrisant les coûts liés à l’exploitation d’un service
client. Les robots programmés peuvent être assez informés sur la requête des
clients pour rediriger l’appel vers l’équipe compétente après analyse de plusieurs
caractéristiques comme la langue, le ton, le caractère prioritaire ou non du
message… lorsqu’ils n’auront pas pu déjà apporter eux-mêmes les réponses jugées
satisfaisantes. Selon Pauline Lestrade125 « près de 40% des consommateurs se
disent satisfaits lorsqu’ils ont pu trouver des réponses à leurs questions sur le site
web de l’entreprise sans avoir à contacter le service client ». Cela est également
possible grâce aux assistants virtuels qui permettent de dialoguer et donner les
réponses nécessaires.
Ainsi, La réduction des appels atterrissant dans les casques des
téléopérateurs fait partie des défis que se lance la banque commerciale suédoise
Swedbank qui utilise la technologie Nina dans sa stratégie de relation clients. C’est
un agent intelligent présent sur le site Internet de l’entreprise qui permet ainsi de
fournir des réponses programmées dans un style conversationnel. Selon Martin
Kedback, directeur de la gestion des canaux chez Swedbank « si un client indique
à Nina qu’il a besoin d’une nouvelle carte, elle aura compris la demande mais le
logiciel se sera permis de demander si le client aurait perdu sa carte ou si celle-ci
aurait été endommagée. En fonction de la réponse, Nina proposera une autre
solution ou bien redirigera la conversation vers un autre canal de l’entreprise. Plus
ils posent de questions, plus Nina apprend et devient intelligente. » Cette solution
a été mise en place en 2015 et a permis de traiter 80% des 30,000 requêtes
mensuelles126.
La société française Wit.ai, rachetée par Facebook en 2015, permet aux
développeurs de créer des applications auxquelles on peut s’adresser textuellement
125 (2016). L’inteligence artificielle au service de la e-relation client. Wavestone Digital Corner,
https://www.digitalcorner-wavestone.com/2014/06/lintelligence-artificielle-au-service-e-relation-client/ 126 Hosea, M. (2016). How brands are using artificial intelligence to enhance customer experience. Marketing
Week, https://www.marketingweek.com/2016/05/18/how-brands-are-using-artificial-intelligence-to-enhance-
customer-experience/
44
ou vocalement. Le système apprend au fur et à mesure des interactions et les
apprentissages sont partagés entre tous les développeurs ce qui permet de fédérer
une communauté d’utilisateurs.127
Les assistants personnels sont également présents sur les moteurs de
recherche. C’est le cas de Duer, qui, selon Aaron Mamiit, est intégré à
l’appplication Android du moteur de recherche chinois Baidu installée sur des
millions de smartphones. Cet assistant donne la possibilité de pouvoir effectuer
vocalement des achats alimentaires, des commandes de taxis, des réservations au
restaurant, acheter des tickets de cinéma ou des billets d’avion.128
La société de conseil Accenture annonce dans un communiqué de presse
qu’elle utilisera l’assistant Amelia, développée par IpSoft, qui sera « conçue pour
aider les entreprises à adopter plus rapidement l’intelligence artificielle afin
d’améliorer leurs résultats et créer de nouvelles opportunités de croissance (…)
autour des technologies d’agents virtuels dans plusieurs industries, à commencer
par les banques, les assurances et le secteur du transport et du tourisme129. »
C’est la possibilité d’alimenter un système en informations relatives à
chaque client (code postal, ancienneté, âge, sexe…) alors comparées à celles d’un
conseiller (niveau de qualification, âge, zone géographique de provenance…) qui
permetta d’aiguiller la communication vers la personne qui sera à même de fournir
les réponses les plus appropriées, surtout lorsque les entreprises couvrent un
territoire large. De plus, le développement de la reconnaissance vocale (que chacun
peut expérimenter en contactant le service client de son opérateur téléphonique)
permet de hiérarchiser en amont le niveau d’urgence d’un appel ce qui dirigera
automatiquement la communication vers un responsable ou un directeur si le
système a jugé qu’il était inutile que la demande soit filtrée par un conseiller. Dans
le secteur bancaire, l’intelligence artificielle permet de renseigner les clients
prenant l’habitude d’appeler à un jour précis de la semaine, d’automatiser en
127 https://wit.ai/ 128 Mamiit, A. (2015). Baidu Launches Digital Assistant Duer: How Does It Stack Up Against Google Now,
Siri, Cortana ? Techtimes, http://www.techtimes.com/articles/83490/20150911/baidu-launches-digital-
assistant-duer-how-does-it-stack-up-against-google-now-siri-cortana.htm 129 https://www.accenture.com/fr-fr/company-news-release-accenture-ipsoft-amelia-platform
45
amont l’envoi du solde ce qui permettrait de réduire les coûts liés à la prise en
charge de ce genre de demande130.
Permettre d’obtenir davantage d’informations sur le client acquis est
également un fort enjeu pour les entreprises qui pourront gérer au mieux leur
relation ou utiliser les données comme un tremplin vers des propositions
commerciales. Cette pratique représente une expérimentation initiée par la Caisse
d’Epargne dans quatre de ses agences, qui a débuté en 2013. Un outil d’intelligence
artificielle permet d’assister les conseillers dans la préparation des rendez-vous et
elle fournira de manière structurée un historique client qui proposera des pistes
commerciales pertinentes à exploiter131.
Les services de messagerie deviennent le terrain de jeu rêvé pour
l’intelligence artificielle et les professionnels du marketing. Les marques
cherchant à se différencier au niveau de la prospection ou de la relation client ont
recours aux réseaux sociaux et à leur service de « chat » pour échanger directement
avec les consommateurs. C’est sur ce créneau que l’intelligence artificielle va être
efficace et cela a été compris par Facebook et Microsoft (à travers le logiciel Skype).
Des entreprises comme la compagnie d’aviation KLM se penchent déjà sur cette
pratique pour accéder aux données de vol que l’on partage et des start-ups comme
MSG.AI sont sur ce business-model132. Afin de permettre un achat toujours plus
fluide grâce à l’intelligence artificielle, Facebook a mis au point un bouton Buy que
les entreprises peuvent incorporer directement dans leur robot intégré à
Messenger (le service de conversation de Facebook), afin de permettre à un client
d’acheter un produit, en plus de demander d’autres informations comme l’identité
réelle de la personne ou ses coordonnées, depuis la conversation sans avoir à sortir
de Messenger. Cette possibilité encore en version beta (version d’essai) est effective
depuis le 12 septembre.133
130 Brown, D. (2015). How AI is improving consumer engagement and customer experience. Network World, http://www.networkworld.com/article/3002308/uc-voip/how-ai-is-improving-consumer-engagement-and-
customer-experience.html 131 Auteur Inconnu. (2016). L’inteligence artificielle au service de la e-relation client. Wavestone Digital
Corner, https://www.digitalcorner-wavestone.com/2014/06/lintelligence-artificielle-au-service-e-relation-
client/ 132 Wilson, J. (2016). Five Ways AI Will Impact Marketing Over the Next 12 Months. Adage, http://adage.com/article/digitalnext/ways-ai-impact-marketing-12-months/303626/ 133 https://developers.facebook.com/docs/messenger-platform/send-api-reference/buy-button
46
Néanmoins, le risque avec la prolifération des outils CRM et autres
plateformes est que les entreprises, malgré leur souhait de concentrer leurs efforts
sur le client, se focalisent davantage sur les moyens d’atteindre ce dernier plutôt
que sur ses besoins réels : « les professionnels du marketing avec de grandes
aspirations pour être réellement concentrés sur le client ont du mal lorsqu’ils sont
confrontés aux réalités interne (…) Bien que l’on dise que le marketing est orienté
vers le consommateur, beaucoup d’entreprises sont plus dictées par la technologie
et les canaux » relate Mayur Gupta, Chief Marketing Technologist chez Kimberly
Clark134. Scott Brinker apporte une précision : « C’est si simple de concevoir des
logiciels spécialisés à un coût très accessible qu’il y a une explosion technologique,
et c’est un élément avec lequel il faut être très prudent. »
II.2.c. La robotique
L’apparition de robots en magasin n’est pas encore très répandue, du moins
en France. Le Japon ou les Etats-Unis sont des terrains de jeux favorisés pour
expérimenter cette innovation. Et les consommateurs ne sont pas défavorables à
cela. Selon Rachel Arthur, le rapport « Frontier(less) Retail » (J. Walter Thompson
Intelligence en collaboration avec WWD) conçu par Sonar (l’unité de recherche de
J. Walter Thompson Intelligence) indique l’intérêt manifesté par les
consommateurs interrogés quant à l’utilisation de l’intelligence artificielle sur les
points de vente : 70% des « US Millennials » (individus états-uniens nés aux
alentours des années 2000) et 62% des « UK Millennials » (idem, au Royaume-Uni)
aimeraient qu’une marque ou un point de vente utilise l’intelligence artificielle
pour proposer davantage de produits intéressants ; 72% des « US Millennials » et
64% des « UK Millennials » croient qu’au fur et à mesure du progrès technologique,
les marques exploitant l’intelligence artificielle seront capables de prédire avec
précision ce dont ils ont besoin ou désirent.135 L’utilisation de robots peut ainsi
s’avérer judicieuse afin d’améliorer l’expérience client en point de vente.
134 Kapost. (2016), The future of Marketing Technology 135 Arthur, R. (2016). Future Of Retail : Artificial Intelligence And Virtual Reality Have Big Roles To Play.
Forbes, http://www.forbes.com/sites/rachelarthur/2016/06/15/future-of-retail-artificial-intelligence-and-
virtual-reality-have-big-roles-to-play/#4efd680420c0
47
Dans l’industrie hôtelière, l’intelligence artificielle est utilisée par les hôtels
Hilton notamment dans l’hôtel Hilton McLean dans l’état de Virginie, aux Etats-
Unis, sous la forme du robot « Connie ». Ce robot concierge conçu en partenariat
avec IBM, représentant ainsi la première application d’hospitalité compatible avec
Watson (le superordinateur d’IBM), recueille les besoins en information des clients
du Hilton McLean sur l’hôtel (horaires, emplacement des différents espaces
accessibles) et sur les environs. Connie fournit un accès rapide à de l’information
personnalisée grâce à une technologie cognitive, et Jonathan Wilson, vice-
président de l’innovation produit et des services chez Hilton, indique : « nous
continuons à tester et perfectionner Connie, selon les retours obtenus des clients
ou des opérateurs hôteliers, ce qui nous permet d’explorer de nouveaux moyens
d’améliorer le séjour de nos clients grâce à la technologie intelligente136. » C’est
également le cas de l’hôtel Henn-na à Nagasaki, au Japon, qui dispose d’un accueil
équipé de robots et de systèmes de reconnaissance visuelle pour remplacer les
classiques clés. Selon le site Humanoides.fr, tout y est robotisé, de la prise en
charge des bagages jusqu’au room service. Chaque chambre est équipée d’un robot
nommé Tully qui peut donner l’heure, la température, programmer un réveil,
éteindre et allumer les lumières car les interrupteurs sont inexistants137.
La société SoftBank Robotics, collaboration entre la holding SoftBank et
SoftBank Robotics, ancienne Aldebaran Robotics, a équipé plus de 140 magasins
SoftBank Mobile au Japon d’un robot d’accueil nommé Pepper, présenté sur le site
de l’entreprise précisant toutes ses fonctionnalités comme « un robot de forme
humanoïde, bienveillant, attachant et surprenant (…) capable de reconnaître les
principales émotions humaines et d'adapter son comportement en fonction de
l'humeur de son interlocuteur138. » C’est cette même société qui commercialise le
robot NAO qui en est à sa « 5ème version » pour « environ 9000 NAO (…) vendus
dans le monde entier » également présenté comme « un robot
compagnon attachant, interactif et personnalisable (…) avec des applications
136 Hosea, M. (2016). How brands are using artificial intelligence to enhance customer experience. Marketing
Week, https://www.marketingweek.com/2016/05/18/how-brands-are-using-artificial-intelligence-to-enhance-
customer-experience/ 137 Newsroom. (2015). Henn na hotel, le premier hôtel robotique japonais. Humanoides, https://humanoides.fr/henn-na-premier-hotel-robotique/ 138 https://www.ald.softbankrobotics.com/fr/cool-robots/pepper
48
spécifiques selon son imagination et ses besoins. »139 Les consommateurs de
produits de beauté ont pu expérimenter leur shopping en présence de NAO dans
les magasins Sephora Flash qui accueillent les clients grâce au robot leur
expliquant ainsi le concept de l’enseigne où de nombreux écrans et tablettes
permettent de naviguer entre les produits physiquement présents ou non, puis
d’utiliser une carte NFC (« Near Field Communication ») afin de mettre en panier
les produits sélectionnés depuis les testeurs.140
En 2014, Lowes Innovation Labs et Fellow Robots ont collaboré pour équiper
le magasin d’outillage Orchard Supply Hardware à San Jose, d’un robot nommé
OshBot. Ce robot accueille et aide les clients à trouver les produits qu’ils cherchent
ainsi qu’à effectuer les inventaires avec les employés de l’entreprise141.
Qui n’a de nos jours pas été impressionné par les quantités croissantes de
lumières, d’écrans et de divers gadgets lors d’événements ? Cette industrie est de
plus en plus prisée par les agences et entreprises cherchant à communiquer,
sachant que la publicité (outdoor, télévision, print, web…) perd en crédibilité et
donc en efficacité. Fédérer une communauté, créer une sensation, un buzz
éphémère mais résonnant, investir des lieux publics et toucher de très larges
cibles, offrir un moment privilégié dans un lieu spécial à des invités réceptifs, sont
autant d’objectifs que la robotique permet d’atteindre. Dans l’événementiel, les
applications numériques permettant l’interactivité avec le public sont déjà
nombreuses : impressions sur écrans des tweets relatifs à l’événement autorisant
l’expression de chaque participant, les solutions phygitales grâce au capteur
Beacon (par exemple), les jeux ou le “gaming” dynamisant une rencontre et
permettant de récolter des données… Seulement, l’intelligence artificielle n’est pas
tant présente aujourd’hui sur les différents types d’événements que l’industrie
connaît. Si nous pouvons apercevoir des robots ou autres engins autonomes, ce ne
sera presque exclusivement qu’au Consumer Electronic Show de Las Vegas, ou
139 https://www.ald.softbankrobotics.com/fr/cool-robots/nao 140 Boulvert, YM. (2015). Le premier Sephora connecté ouvre aujourd’hui ses portes à Paris. Object Connecté, http://www.objetconnecte.com/premier-sephora-connecte-ouvre-aujourd-hui-a-paris/ 141 http://www.lowesinnovationlabs.com/innovation-robots/
49
dernièrement au salon Viva Technology de Paris… Et pourtant quelques sociétés
ont développé des robots, adaptables selon les types d’événements.
Sheldon est conçu par la start-up événementielle Evotion. Dirigé à distance
par un animateur en régie, le robot se déplace dans toutes les directions de manière
fluide à la rencontre de l’invité dans le but de le divertir ou de le guider vers un
stand ou une animation. Il peut dialoguer, taquiner, proposer un buffet servi par
ses soins et ce pendant 8 heures grâce à une haute autonomie. Une tablette
intégrée permet de montrer un produit, un catalogue ou une vidéo sur un stand142.
Robot bar, pouvant être programmé par la start-up événementielle Evotion,
est un robot interactif conçu par Kuka, une entreprise allemande créée en 1898,
leader mondial de la robotique industrielle. Pour la partie bar de l’événement, ce
robot est capable servir de simples bières comme réaliser différents cocktails143.
TiKi, conçu par la société française Events Bots, est un robot complètement
personnalisable au visage animé de différentes expressions, destiné à accueillir et
conseiller le public. Il peut parler plusieurs langues, est équipé d’un système de
reconnaissance faciale, de zones tactiles équipées de LEDS lui permettant ainsi de
pouvoir entrer en interaction avec le public et ce 24h/24h144.
Reconnaissance faciale, reconnaissance audio et programmation pour
répondre aux invités, analyser le toucher sont autant d’applications pratiques de
l’intelligence artificielle “faible”.
142 http://www.evotion.com/fr/robots/sheldon/ 143 http://www.evotion.com/fr/robots/robot-bar/ 144 http://www.event-bots.fr/robot/tiki/details
50
III. L’intelligence artificielle et ses multiples identités
L’identité d’une marque est constituée d’une multitude d’éléments, elle peut
être contrôlée par l’entreprise mais perçue différemment par les consommateurs.
Un logo, les prix pratiqués, la charte graphique, les canaux de distribution
employés, les valeurs communiquées… Tout ce qui est relatif à l’activité d’une
entreprise est incorporé à cet amas que l’on appelle alors « identité de marque ».
Des travaux scientifiques permettent de justifier cette idée.
En 1950 un courant de pensée s’est formé dans la ville de Palo Alto sur la
psychologie et la communication, ce qui a donné naissance à « l’école de Palo Alto ».
Paul Watzlamick, psychanaliste et théoricien de la communication, faisait partie
de cette école et, en continuité du travail du psychologue Gregory Bateson, a publié
en 1967 Pragmatics of Human Communication. Ce livre présente cinq axiomes
(vérité qu’on ne peut démontrer mais qui doit être acceptée) qui permettent de
définir la manière dont nous communiquons. Le premier de ces axiomes nous
intéresse particulièrement, il se nomme « axiome d’impossibilité » et stipule que
« on ne peut pas ne pas communiquer »145. Dans une situation d’échanges
d’informations gestuelles, auditives, écrites, tout est interprété.
De ce fait, la transposition de ce concept à une entreprise et son activité est
possible car les informations émises par celle-ci concernant un produit, une
situation économique, une acquisition ou un autre élément, animeront les
interprétations des consommateurs. Des acteurs plus ou moins imposants opérants
dans différents secteurs communiquent sur leur utilisation d’algorithmes très
performants pour justifier de l’efficacité d’un produit. Ces informations permettent
de se représenter quel acteur est éminent et avancé dans le domaine, qui semble à
même de fournir des produits et services de qualité de par leurs avancées
technologiques, ou bien quelle entreprise paraît être dépassée. Considérer
l’intelligence artificielle comme l’objet d’une communication permet ainsi d’estimer
quelle est et sera l’identité d’une marque puis, élargissant l’étude et apercevant
145 Barth, S. (2014). L'École Palo Alto définit les normes pour une meilleure communication, Krauthammer, http://www.krauthammer.com/fr/articles/on-ne-peut-pas-ne-pas-communiquer
51
une majorité des acteurs, permet de se représenter quel sera le marché de
l’intelligence artificielle, quelles seront les identités qui le composeront. Il est
également nécessaire de mentionner les risques liés à cette technologie qui fait son
entrée en scène de manière assez rapide, car une mauvaise gestion de son potentiel
nuira à l’image de l’entreprise.
III.1. Le marché de l’intelligence artificielle : généralités et segmentations
III.1.a. L’économie de l’intelligence artificielle
La recherché liée à l’intelligence artificielle a connu des hauts et des bas.
Les AI Winters, hivers de l’intelligence artificielle, représentent ces périodes où les
déceptions étaient courantes et où la recherche peinait. En 2016, l’humeur est plus
radieuse, on assiste à un AI Spring, un printemps de l’intelligence artificielle146.
Cela paraît d’autant plus évident que, en 2014, Wired publiait un article dans
lequel on pouvait lire « le modèle économique pour les 10 000 prochaines startups
est facile à prédire : prendre X, ajouter de [l’intelligence artificielle]. Tout ce que
nous avons électrifié, nous allons le cognitiser147. »
Bulte Grayson mentionne un rapport de la Bank of America Merrill Lynch
qui estime que le marché de l’intelligence artificielle sera de 153 milliards de
dollars en 2020, réparti en 83 milliards pour la robotique et 70 milliards pour
l’exploitation et l’optimisation des données à destination des systèmes
intelligents148. D’autres prévisions sont annoncées et, selon le cabinet d’analyse
Tractica, l’estimation du montant du marché des applications de l’intelligence
artificielle en entreprise dépassera 11 milliards de dollars en 2024, contre 200
millions en 2015149. Selon Julien Bergounhoux, l’entreprise taïwanaise NVidia,
146 Fagella, D. (2015). AI is Hot We’ve Forgotten All About The Ai Winter. Singularity, https://www.singularityweblog.com/ai-is-so-hot-weve-forgotten-all-about-the-ai-winter/ 147 Fondation Telecom. (2016). Intelligences Artificielles, Quelles intelligences artificielles, quels défis ? 148 Brulte, G. (2016). The AI Market Will Soon Top $150 Billion. Get a Piece of It. Gereports, http://www.gereports.com/every-business-piece-153b-artificial-intelligence-market/ 149 Bergounhoux, J. (2016). Ruée sur l'intelligence artificielle... un business de 11 milliards de dollars en
2024. Usine Digitale, http://www.usine-digitale.fr/editorial/ruee-sur-l-intelligence-artificielle-un-business-de-
11-milliards-de-dollars-en-2024.N386657
52
connue pour ses cartes graphiques prisées par l’industrie du jeu vidéo, se
spécialiserait dans le deep learning pour aborder le marché de la voiture autonome.
Le PDG de la société, Jen-Hsun Huang, aurait indiqué au magazine américain
Fortune que les clients potentiels de NVidia étaient passés de 100 à 3 500 en deux
ans.150 Concernant les objets connectés (Internet of Things, IoT) qui seront pour la
plupart dotés d’intelligence artificielle, le cabinet d’études Gartner spécialisé dans
ce domaine estime à 6 milliards le nombre d’objets connectés en circulation à partir
de 2018151 et, selon Cisco, le marché représentera 14,4 billions de dollars en
2022152. Beaucoup d’innovations proviennent de start-ups et selon le cabinet
Venture Scanner, on en dénombre aujourd’hui 950 spécialisées en intelligence
artificielle dans le monde. Elles sont 499 à être installées aux États-Unis, d’où
proviennent 4,2 milliards de dollars de fonds sur un total d’environ 5 milliards de
dollars d’investissement. Ceux-ci étaient de l’ordre de 160 millions de dollars en
2010, 600 millions de dollars en 2013, et 1,2 milliard en 2015, et ont déjà dépassé
les 500 millions de dollars en 2016. Enfin, selon Julien Bergounhoux, 45%
d’entreprises à forte croissance emploieront plus de machines intelligentes que de
personnes d’ici 2018153. La banque d’Angleterre estimerait, selon le magazine
Fortune, que 48% des travailleurs seront remplacés par des robots et autres
logiciels, estimation accompagnée d’une analyse d’ArkInvest qui prédirait que 76
millions des emplois aux Etats-Unis auront disparu dans deux décennies154.
Il est difficile aujourd’hui de juger quel sera le réel impact de l’intelligence
artificielle sur notre paysage économique car nos sociétés pourraient ne pas
accepter les robots. Où seront – ils présents ? Nous analysons maintenant
certaines de leurs différentes applications.
150 Ibid. 151 Newsroom. (2016). Intelligence artificielle : les 10 chiffres clés. Humanoides,
https://humanoides.fr/intelligence-artificielle-10-chiffres-cles/ 152 Columbus, L. (2015). Roundup of internet of Things Forecasts and Market Estimates 2015. Forbes, http://www.forbes.com/sites/louiscolumbus/2015/12/27/roundup-of-internet-of-things-forecasts-and-market-
estimates-2015/#7c48468548a0 153 Newsroom. (2016). Intelligence artificielle : les 10 chiffres clés. Humanoides,
https://humanoides.fr/intelligence-artificielle-10-chiffres-cles/ 154 Arbess, D. (2016).This Is The Future Of Artificial Intelligence. Fortune, http://fortune.com/2016/06/15/future-of-work-2/
53
III.1.b. Des marques relationnelles
Accessibles grâce aux smartphones et aux objets connectés à l’Internet, les
assistants personnels sont aujourd’hui capables d’utiliser la reconnaissance vocale
avec précision afin d’accéder à une multitude de sites et d’effectuer des actions,
dans la limite de leurs possibilités. Selon Orange :
« une étude réalisée par le Market Intelligence & Consulting Institute
(…) montre que le marché de l’intelligence artificielle devrait suivre
une évolution exponentielle sur les dix prochaines années et que les
assistants personnels (appelés Virtual Intelligent Assistant dans
l’étude) en seront l’acteur principal en multipliant par 2.5 sa part
relative du marché de l’intelligence artificielle. Selon cette même
étude, entre 2014 et 2024, le marché des assistants personnels devrait
avoir un taux de croissance annuel moyen de 30.0%, et ainsi voir son
chiffre d’affaire multiplié par 14155. »
Siri est l’assistant personnel d’Apple. Grâce à la reconnaissance vocale,
l’application assiste l’utilisateur dans toutes ses tâches quotidiennes. Celui-ci peut
lui adresser un grand nombre de requêtes comme envoyer des messages, passer
des appels, gérer des listes, trouver et modifier un itinéraire, répondre à des
questions très diverses comme l’état de la météo du lendemain, l’actualité des cours
de bourse156… Cependant, Dag Kittlaus, le cofondateur de Siri, a récemment
présenté une évolution de cet assistant, alors nommée Viv157. Celui-ci est encore
plus performant, plus pertinent, plus précis. Il est capable, en quelques secondes
(après avoir établi une architecture de réponse en quelques millisecondes), de
pouvoir reconnaître quels seront les différents points d’intérêts dans une requête,
d’établir directement le lien avec des boutiques, des fournisseurs, pour effectuer
des achats instantanément, réserver des chambres d’hôtels, les possibilités sont
ainsi très vastes.
155 Orange. (2016). Dialoguer avec des machines : entre mythes et réalité. Orange Blog de la Recherche, https://recherche.orange.com/dialoguer-avec-des-machines-entre-mythes-et-realite/ 156 http://www.apple.com/fr/ios/siri/ 157 Belkaab, O. (2016). Viv, un nouveu Siri… mais en mieux ? Numera, http://www.numerama.com/tech/169413-viv-nouveau-siri-mieux.html
54
Amazon a développé en 2015 un assistant personnel nommé Alexa, qui
équipe l’enceinte connectée Echo, conçue par la même entreprise, ainsi que
l’enceinte Triby conçue par Invoxia ayant, au passage, reçu d’importants fonds de
la part d’Amazon158. Intégrée à Echo et Triby, des enceintes connectées assez
similaires, Alexa permet comme les autres assistants virtuels sur le marché
d’effectuer des achats, d’obtenir les actualités, de commander la lecture de
playslists musicales et des applications synchronisées à des solutions de domotique
donnent la possibilité de contrôler entièrement la maison grâce aux instructions
vocales159.
On pourra se passer de guide dans les musées, dans les parcs, car Camfind
propose de découvrir ce qui nous entoure. En prenant en photo des objets ou des
animaux, l’application puise dans les ressources stockées sur leur cloud CloudSight
qui fournit une description rapide de la photographie. Selon la société, elle pourra
même fournir les horaires d’un film projeté à proximité, après avoir effectué
photographie de l’affiche160. Les étudiants sont aussi ciblés et cela par Jam, une
start-up française fondée en 2012. Elle propose de recueillir leurs requêtes diverses
et variées comme obtenir l’offre des locations dans un périmètre ou dans quel
restaurant aller selon ses préférences, et d’y répondre. Cela est effectué via SMS,
Facebook Messenger, ou WhatsApp, et la solution est apportée grâce à une
technologie reposant sur l’intelligence artificielle, néanmoins supervisée par des
humains161.
158 Sylvain, G. (2016). Triby est le premier objet connecté tiers intégrant Alexa d’Amazon. Aruco, https://www.aruco.com/2016/04/triby-invoxia-amazon-alexa/ 159 Carnoy, D. (2016). Test Amazon Echo. Cnet, http://www.cnetfrance.fr/produits/amazon-echo-
39833438.htm 160 http://camfindapp.com/ 161 Harman, O. (2016). Jam, 1 million d’euros pour l’intelligence artificielle au service des étudiants.
Frenchweb, http://www.frenchweb.fr/jam-1-million-deuros-pour-lintelligence-artificielle-au-service-des-
etudiants/224071
55
III.1.c. Des marques anticipatrices
Liebherr s’associe à Microsoft et offre la possibilité d’anticiper les courses
alimentaires162. L’entreprise a conçu un réfrigérateur intelligent, doté de caméras,
qui identifie les habitudes alimentaires d’une famille. Grâce aux caméras il prend
des photos de son contenu chaque fois que la porte est refermée, photos que l’on
peut consulter sur une application dédiée depuis un smartphone. Capable de
reconnaître 700 produits, le réfrigérateur peut, en plus de prendre des photos,
indiquer des informations intrinsèques à chaque article comme le nombre de
calories, ou le poids. Ce sera Cortana, l’assistant vocal de Microsoft, qui permettra
de communiquer avec le réfrigérateur par la voix, bien qu’aujourd’hui un système
temporaire baptisé MIA, pour Media Intelligence Assistant, soit installé163.
Lorsque l’on souhaite partir en vacances, il est agréable de pouvoir anticiper
ses dépenses, surtout lorsque celles-ci peuvent être très variables en raison de
facteurs indépendant de notre volonté, comme l’évolution du prix d’un billet
d’avion. AlgoFly se donne ainsi pour mission de trouver, grâce à un algorithme, la
meilleure période pour acheter un billet après analyse constante des évolutions
d’un tarif, fournie par un graphique quotidien afin d’en visualiser l’historique164.
Le site argumente son existence du fait que cette tâche peut être ardue pour un
consommateur qui peut se sentir dépassé par la pluralité des comparateurs de vols
disponibles, des compagnies offrant les mêmes trajets aux mêmes heures pour des
prix différents… Car ces dernières pratiquent le yield management « qui consiste
à maximiser le chiffre d’affaires généré en jouant sur les variables prix et le
coefficient d’occupation (…) à l’aide d’une politique de tarification différenciée et
dynamique165». Ici cela revient pour une compagnie à effectuer un comparatif
complet de plusieurs éléments comme les prix pratiqués par la concurrence, un
historique des prix sur les années passées pendant la même période, connaître
162 Bellamy, A. (2016). IFA 2016 – Liebherr, l'intelligence artificielle dans le réfrigérateur. Les Numériques,
http://www.lesnumeriques.com/refrigerateur/ifa-2016-liebherr-intelligence-artificielle-dans-refrigerateur-
n55597.html 163 https://home.liebherr.com/en/bwa/news/news-press/detail/liebherr-presents-the-intelligent-refrigerator-of-
tomorrow.html 164 https://www.algofly.fr/c-est-quoi-algofly.php 165 Bathelot, B. (2016). Definition: Yield management. Definitions Marketing, http://www.definitions-
marketing.com/definition/yield-management/
56
l’offre comme le nombre de sièges disponibles ainsi que le niveau de demande,
prendre en compte le cours du pétrole ou la situation politique dans un pays… Pour
ajuster un tarif en temps réel jusque plusieurs fois par heure, rendant le
consommateur confus quant à l’organisation d’un voyage.
III.1.d. Des marques artistiques
En juin 2016, Google a lancé Magenta, un projet se concentrant sur la
création d’art et de musique par l’intelligence artificielle166. Un morceau de 90
secondes a déjà été composé, mais le manque d’harmonie et la mélodie un peu
chaotique indique que cette première expérience n’est pas un succès artistique, à
défaut d’en être un technologique. Douglas Eck, chercheur au sein du groupe
Google Brain en charge du projet Magenta, indique que « c’est un projet de
recherche pour faire progresser la capacité d’une intelligence artificielle à
comprendre l’art. L’apprentissage par une machine a déjà été largement utilisé
pour comprendre du contenu, tel que la reconnaissance vocale ou encore de la
traduction. Avec Magenta, nous voulons explorer de nouveaux algorithmes qui
peuvent apprendre à créer de l’art et de la musique167. »
The Grid est une entreprise qui donne la possibilité à un site Internet de se
créer lui-même grâce à l’intelligence artificielle. L’un des arguments est qu’il n’est
pas besoin de faire appel à un développeur pour obtenir un site original et
personnel. Ce sont les contenus entrés par les utilisateurs qui dictent la manière
dont chaque site sera conçu et de multiples fonctionnalités sont disponibles pour
optimiser le contenu, tout en étant responsive168.
Pikazo, créée en 2015, utilise le deep learning pour permettre à chacun de
composer ses propres œuvres d’art en associant deux images différentes169. Les
166 Eck, D. (2016). Welcome to Magenta ! Magenta, https://magenta.tensorflow.org/welcome-to-magenta 167 Ghesquier, E. (2016). Projet Magenta : l’intelligence artificielle de Google crée sa première musique.
Presse Citron, http://www.presse-citron.net/projet-magenta-lintelligence-artificielle-de-google-cree-sa-
premiere-musique/ 168 https://thegrid.io/ 169 http://www.pikazoapp.com/
57
résultats sont hasardeux, parfois réussis, parfois ratés... Une autre société,
Deepart, exploite le même concept170.
III.1.e. Des marques curatives
Début 2016, un rapport publié par Frost&Sullivan estime que d’ici 2021,
plus de 6 milliards de dollars seront dépensés par les services de santé et les
consommateurs chaque année à destination des outils équipés d’intelligence
artificielle, soit une incroyable croissance comparée aux 688 millions de dollars en
2014171.
IBM investit le secteur de la santé au moyen de Watson, baptisée Watson
for Oncology, pour une mission qui s’attaque au traitement du cancer. Il aurait,
selon IBM, des capacités avancées dans l’analyse du sens et du contexte relatifs
aux données structurées et non-structurées dans les documents cliniques
permettant d’assimiler les informations essentielles sur un patient, en langue
anglaise, dans le but de définir un traitement adéquat172.
Microsoft suit cette voie, l’entreprise a publié un imposant article173 détaillé
sur leur site annonçant qu’ils s’attaquaient au traitement du cancer et à d’autres
maladies. Selon Le Monde174 :
« [le] système sur lequel travaillent les chercheurs pourrait à
terme analyser ces radios pixel par pixel pour indiquer au radiologue avec
précision à quel point la tumeur a grandi, rétréci, ou changé de forme depuis
la dernière radio. (…) Ce type de calcul serait impossible à faire avec du papier
et un crayon ou même un programme informatique simple (…). Car il y a
170 https://deepart.io/ 171 Frost & Sullivan. (2016). From $600 M to $6 Billion, Artificial Intelligence Systems Poised for Dramatic
Market Expansion in Healthcare. Frost, http://ww2.frost.com/news/press-releases/600-m-6-billion-artificial-
intelligence-systems-poised-dramatic-market-expansion-healthcare/ 172 http://www.ibm.com/watson/health/oncology/ 173 Linn, A. (2016). How Microsoft computer scientists and researchers are working to ‘solve‘ cancer
. Microsoft Stories, http://news.microsoft.com/stories/computingcancer/ 174 Le Monde. (2016). Après IBM et Google, Microsoft s’intéresse de près au cancer. Le Monde Pixels, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/09/21/apres-ibm-et-google-microsoft-s-interesse-de-pres-au-
cancer_5001401_4408996.html
58
énormément de variables dans les millions de molécules, protéines et gènes du
corps humain. »
Microsoft souhaite ainsi atteindre un « but informatique ultime : programmer la
biologie comme on programme un ordinateur175 » car « si on peut faire de la
programmation avec des systèmes biologiques, alors on peut transférer ce que l’on
a appris en programmation traditionnelle dans des applications médicales ou
biotechnologiques176. » L’entreprise a également lancé le Project Hanover, qui
s’attaque à traiter le cancer grâce aux données. L’analyse de celles-ci permettra
d’identifier quels traitements fonctionneraient après consultation du large volume
de documents scientifiques par une intelligence artificielle qui en tirera des
conclusions précises, sans les défauts liés au raisonnement ou à l’interprétation
humaine. L’entreprise affirme que la tâche serait bien trop importante pour les
oncologistes qui ne sont pas forcément constants dans l’approche du cas de tous les
patients qui seraient, pour certains cabinets, trop nombreux. Ainsi chaque
professionnel, de l’oncologiste à l’analyste en laboratoire, disposerait du temps
nécessaire pour effectuer tout le travail nécessaire dans de bonnes conditions177.
DeepMind a annoncé, fin août 2016, un troisième partenariat avec le
National Health Service (la sécurité sociale anglaise), et plus particulièrement
avec les services de radiothérapies des hôpitaux londoniens178. Selon Morgane
Tual, l’objectif est de faciliter les traitements du cancer de la tête et du cou et si
possible de manière automatisée pour obtenir des gains de temps. DeepMind
analyserait ainsi 700 scanners d’anciens patients des hôpitaux dans le but de créer
un algorithme qui, dans une configuration machine learning, sera capable
d’apprendre seul à identifier les éléments importants et appliquer ses découvertes
à tous les cas nouveaux. Le but est, à terme, de traiter d’autres parties du corps.
175 Linn, A. (2016). How Microsoft computer scientists and researchers are working to ‘solve‘ cancer.
Microsoft Stories, http://news.microsoft.com/stories/computingcancer/ 176 Ibid. 177 Ibid. 178 Tual, M. (2016). L’entreprise d’intelligence Google DeepMind s’attaque au cancer. Le Monde, http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/08/31/l-entreprise-d-intelligence-artificielle-google-deepmind-s-
attaque-au-cancer_4990571_4408996.html
59
Notable Labs179 est une start-up fondée aux Etats-Unis qui se donne pour
mission de fournir les informations les plus pertinentes relatives au traitement du
cancer d’un patient. Il s’agit de recueillir une tumeur depuis le médecin traitant
ou un praticien, la soumettre à une identification précise puis parcourir une base
de données fournissant les noms et détails de tous les traitements, approuvés par
la FDA aux Etats-Unis, qui ont eu une action efficace contre le développement du
type de cancer concerné. Le laboratoire teste des milliers de combinaisons pour
connaître lesquelles sont les plus efficaces, et renvoie un rapport complet que le
médecin analysera afin de soumettre des axes de traitement au patient.
Dans un même esprit, Atomwise promet de pouvoir connaître à l’avance
quels seront les médicaments qui seront réellement efficaces, tout en effectuant
moins de tests en laboratoire. Selon l’entreprise, l’analyse de bases de données
mille fois plus fournies permet d’obtenir des résultats ultra précis180.
AICure se donne une mission un peu différente, elle utilise son application
respectant les contraintes émises par le Health Insurance Portability and
Accountability Act, pour identifier le comportement des patients et leur rappeler
de prendre leurs médicaments, la dose nécessaire, avant d’exiger la confirmation
de l’ingestion par le patient grâce à la reconnaissance faciale. Toute l’expérience
est personnalisée pour chaque utilisateur grâce aux nombreux retours et aux
améliorations constantes de l’application181.
OrCam est une entreprise pionnière dans l’assistance aux aveugles et
malvoyants, en commercialisant OrCam MyEye en 2015182. C’est une caméra qui
s’installe sur la monture des lunettes et permet de lire un texte écrit au porteur
après que ce dernier ait indiqué au système la zone à analyser. Elle peut également
identifier des produits au supermarché et reconnaître les proches dont elle
indiquera les prénoms, grâce à de la reconnaissance visuelle et faciale.
Dans une démarche encore plus futuriste, un projet initié par Google se
démarque. En 2013, l’entreprise fonde Calico (California Life Company), installée
179 http://www.notablelabs.com/ 180 http://www.atomwise.com/ 181 https://www.aicure.com/ 182 http://www.orcam.com/
60
dans le complexe quasi secret Google X. Là-bas, une réflexion est portée sur les
projets expérimentaux de la société. Calico se donne pour mission d’accroître
significativement l’espérance de vie en luttant contre le vieillissement et les
maladies associées183. Pour certains, cela revient à atteindre l’immortalité et
touche le concept du transhumanisme qui « prône l'usage des sciences et
des techniques afin de développer les capacités humaines et de dépasser les
limitations de l'homme (…) porté par les développements technologiques
contemporains dans l'informatique et les biotechnologies184. » Selon Larry Page, le
Chief Executive Officer de Google, cette démarche est plus importante que de
trouver une cure contre le cancer bien que cela soit un objectif à atteindre par
beaucoup d’entreprises (voir les exemples précédemment cités). Larry Page affirme
que :
« si vous parvenez à guérir le cancer, vous allez ajouter environ 3 ans à
l’espérance de vie humaine... Nous pensons tous que guérir le cancer est
le graal qui va totalement changer la face du monde. Mais si vous prenez
un peu de recul, vous réalisez que certes, il y a énormément de personnes
qui meurent tragiquement du cancer, et c'est malheureux, mais au final
guérir le cancer n'est peut-être pas un si grand pas en avant que cela185. »
III.1.f. Des marques sécuritaires
Toyota a conçu Kirobo Mini, un petit robot qui accompagne la conduite en
voiture, composante du Toyota Heart Project qui se donne pour mission de faire
vivre en harmonie l’homme et l’intelligence artificielle186. Présenté au Tokyo Motor
Show de 2015, ce compagnon de voyage peut se loger dans le porte-gobelet de la
voiture et permet, grâce à une caméra et un haut-parleur, de donner des conseils
au conducteur. Si le robot pourrait le distraire, l’objectif est néanmoins de déceler
un comportement suspect, une éventuelle fatigue et de le maintenir éveillé en
183 Google. (2013). Google announces Calico, a new company focused on health and well-being. Google Press,
http://googlepress.blogspot.fr/2013/09/calico-announcement.html 184 Parisien, FH. (2016). Le transhumanisme. Philosciences, http://www.philosciences.com/Pss/philosophie-
et-societe/ideologie-croyance-societe/141-transhumanisme 185 Lecomte, E. (2013). Avec Calico, Google s’attaque à l’immortalité. Sciences et Avenir, http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20130919.OBS7698/google-s-attaque-a-l-immortalite.html 186 https://www.toyota-europe.com/world-of-toyota/articles-news-events/introducing-kirobo-mini
61
discutant187. Mais aurons-nous besoin de ces compagnons robotiques lorsque nos
voitures seront, elles-mêmes, des robots ? Les véhicules autonomes concentrent
beaucoup d’efforts de la part des plus grandes entreprises du monde.
Google communique depuis plusieurs années sur la Google Car188, la voiture
autonome et électrique sur laquelle se penche l’entreprise depuis 2009, et
présentée sur les grands salons de technologie dont Viva Technology en 2016 à
Paris. L’entreprise argumente le développement du véhicule par le fait qu’il
permettra à tout le monde de voyager, de gagner en autonomie, en sécurité, et cela
que l’on soit handicapé, mineur ou sans permis. De plus, et là serait la grande
utilité, la réduction des accidents serait conséquente car selon Google « 94% des
accidents seraient de nature humaine ». Le véhicule est autorisé dans le Nevada
depuis 2012, et une distance de 1,5 million de miles ont été parcourus. Dénuée de
commandes, des caméras et autres capteurs équipent la Google Car qui est capable
d’analyser son environnement à environ 200 mètres de distance pour identifier les
autres véhicules, les piétons, les cyclistes.
Les voitures électriques et semi-autonomes conçues par Tesla189 sont
commercialisées depuis quelques années. Elles sont dotées d’un volant pour
permettre une conduite manuelle mais sont presque totalement autonomes. De
nombreuses fonctionnalités permettent de rendre l’habitacle complètement
isolant, que ce soit des bruits environnants ou des allergisants extérieurs comme
le pollen. Bien qu’un accident mortel se soit produit à bord d’une Tesla en 2016190,
l’entreprise ne renonce pas au perfectionnement du produit, toujours sous
l’argument que la voiture autonome rendra la route plus sûre.
187 Sylvain, G. (2015). Toyota présente le robot Kirobo Mini au Toyota Motor Show. Aruco, https://www.aruco.com/2015/10/toyota-kirobo-mini-tokyo/ 188 https://www.google.com/selfdrivingcar/ 189 https://www.tesla.com/fr_FR/models?redirect=no 190 Yadron, D. Tynan, D. (2016). Tesla driver dies in first fatal crash while using autopilot mode. The Guardian, https://www.theguardian.com/technology/2016/jun/30/tesla-autopilot-death-self-driving-car-elon-
musk
62
En France, la RATP collabore avec Easymile, une entreprise toulousaine,
pour proposer des trajets en bus autonomes d’une capacité de 12 voyageurs. Des
tests sur circuit fermé ont récemment eu lieu à Paris191.
III.2. Les risques et limites
En janvier 2015, selon la Fondation Telecom, le britannique Stuart Russel,
spécialiste en intelligence artificielle, a incité des chercheurs à signer une lettre
appelant à développer la technologie pour surpasser les attentes actuelles192. En
juin 2016, ils seraient ainsi plus de 8600 à avoir signé. Parmi les premiers
signataires se situe Elon Musk qui a, en collaboration avec d’autres entrepreneurs,
créé OpenAI, doté d’un fonds d’un milliard de dollars, afin de développer les
recherches vers une intelligence artificielle plus humaine. Car si certains sont
enthousiastes, Elon Musk, Bill Gates ou Stephen Hawking, pensent à l’inverse
qu’une intelligence forte sera à même de se retourner contre l’Homme, et puisse
avoir des desseins malveillants. Un évènement récent pourrait leur donner raison.
Une intelligence artificielle nommée Tay conçue par Microsoft, a été fonctionnelle
sur Twitter pendant moins de 24h afin d’échanger avec les internautes dans le
cadre d’une démonstration de l’avancée effectuée par l’entreprise193.
Malheureusement, le robot ne pouvait pas discerner les traits d’humour et le
second degré que ses interlocuteurs humains usaient dans le but de le tromper, ce
qui a amené Tay à tenir des propos racistes, sexistes voire faire l’apologie du
nazisme… Il est possible d’entrevoir certains des risques et limites qui animeront
les débats à venir.
191 Beziat, E. (2016). Un minibus sans conducteur en démonstration à Paris. Le Monde, http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/09/23/un-minibus-sans-conducteur-en-demonstration-a-
paris_5002697_3234.html 192 Fondation Telecom. (2016). Intelligences Artificielles, Quelles intelligences artificielles, quels défis ? 193 Rolland, S. (2016). Tay, l'intelligence artificielle raciste et sexiste de Microsoft. La Tribune, http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/tay-l-intelligence-artificielle-raciste-et-sexiste-de-microsoft-
559646.html
63
III.2.a. Le respect de la vie privée
En France, la loi sur la protection des personnes et de leurs données date de
1978194. Un flou juridique resterait ainsi à combler, surtout lorsque les données
situées dans un smartphone sont accessibles depuis le réseau Wi-Fi d’un lieu
public. Selon l’Association des Agences-Conseil en Communication les centres
commerciaux peuvent ainsi suivre tout le parcours d’un client lorsque celui-ci est
connecté au réseau offert, puis accéder aux données du téléphone voire pénétrer
dans les applications195. Sans consentement d’un individu alors espionné, la CNIL
prévoit aujourd’hui des amendes pouvant aller jusqu’à 300 000€196, montant revu
à la hausse par le nouveau règlement européen sur la protection des données
personnelles qui sera appliqué en 2018, qui prévoit des montants atteignant « de
2% jusqu’à 4% du chiffre d'affaires annuel mondial de l’entreprise, à 10 ou 20
millions d’euros pour les autres organismes197. »
Guillaume Aurine, dans son article sur le marketing digital publié sur le blog
de Salesforce, indique que le Center for Global Brand Leadership de la Columbia
Business School a réalisé une étude auprès de 8000 internautes au Royaume-Uni,
aux Etats-Unis, au Canada, en France et Inde, intitulée What is the future of data
sharing, concluant que « plus de 75% des internautes partagent plus volontiers
leurs données avec une marque en laquelle ils ont confiance198. » De plus l’étude
indiquerait que « 80% des consommateurs acceptent de partager des informations
confidentielles en échange d’une récompense », surtout pour les jeunes
consommateurs. L’échange de données dans un cadre de consommation peut ne
pas perturber un individu lorsqu’aujourd’hui la majorité des outils utilisés au
quotidien insinuent un tracking constant : les connexions en Wi-Fi ou en 4G depuis
son smartphone, les cookies sur Internet, les cartes d’abonnements pour les
transports publics qui enregistrent les passages pour recueillir les données de
194 https://www.cnil.fr/fr/loi-78-17-du-6-janvier-1978-modifiee 195 AACC. (2016). L’intelligence artificielle : nouvelle frontière du marketing 196 https://www.cnil.fr/fr/les-sanctions-penales 197 CNIL. (2016). Règlement européen sur la protection des données : ce qui change pour les professionnels.
CNIL, https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-sur-la-protection-des-donnees-ce-qui-change-pour-les-
professionnels 198 Aurine, G. (2016). Machine learning : comment l’analyse prédictive réinvente le marketing digital
.Salesforce Blog,https://www.salesforce.com/fr/blog/2016/04/machine-learning-marketing-digital.html
64
parcours… Mais le sentiment n’est pas le même lorsqu’il s’agit de données
beaucoup plus intimes, comme celles concernant notre santé.
La société DeepMind, dans le cadre de ses partenariats avec le National Health
Service, aurait eu accès aux données de 1,6 million de patients traités dans trois
hôpitaux londoniens. Ces informations concernent la séropositivité des personnes,
les overdoses détaillées liées à la consommation de drogues, ou les avortements.
L’accès permettrait d’explorer les fichiers des patients traités même cinq années
auparavant. Les protestations ont été vives bien que l’accord oblige Google à ne
pas pouvoir utiliser les données dans aucune autre de ses activités, et DeepMind à
les supprimer fin 2017, lorsque le contrat aura expiré199.
C’est une situation problématique pour beaucoup d’entreprises du secteur qui
ont besoin de données pour alimenter leurs algorithmes et logiciels qui, grâce à
cela, s’amélioreront. Apple a ainsi annoncé qu’elle appliquerait une méthode
nommée « différence intimée » qui lui permet d’obtenir les données sans que
l’identité du propriétaire soit révélée200. Il est dans l’intérêt de ces acteurs de ne
pas rencontrer un rejet massif de la part de leurs clients en essayant d’adopter une
attitude respectueuse tout en exprimant la nécessité d’obtenir ces précieuses
informations pour permettre le développement de leurs produits et services.
199 Technology News. (2016). Revealed: Google AI has access to huge haul of NHS patient data. New Scientist, https://www.newscientist.com/article/2086454-revealed-google-ai-has-access-to-huge-haul-of-nhs-
patient-data/ 200 Scherer, E. (2016). Les annonces d’Apple : intelligence artificielle et respect de la vie privée. Meta media, http://meta-media.fr/2016/06/14/les-annonces-dapple-intelligence-artificielle-et-respect-de-la-vie-privee.html
65
III.2.b. Des limites relationnelles
« L’intelligence artificielle dans un corps plus vrai que nature met face à face
l’original et la copie201. » Dans nombre de films, les robots ont, le plus souvent, une
apparence robotique (Star Wars, i-Robot, Wall-E) bien que parfois, le héros puisse
posséder une carapace humaine (Terminator, Prometheus). Sur un écran, la vue
d’un robot fait de câbles et de diodes, comme de peau synthétique, ne choque pas,
ce domaine de la fantaisie est entré dans notre culture cinématographique depuis
longtemps. Les réactions humaines sont très différentes lorsqu’il s’agit de
s’adresser à des robots, voire simplement de les côtoyer, car les cultures et les
religions façonnent notre comportement. Cela explique un phénomène scientifique
nommé « la vallée de l’étrange » (the uncanney valley), inventée dans les années
1970 par le roboticien japonais Masahiro Mori202.
Illustration 3 : graphique illustrant « la vallée de l’étrange » (ici appellée « vallée
dérangeante »
201 AACC. (2016). L’intelligence artificielle : nouvelle frontière du marketing 202 Ben Ytzhak, L. (2016). Petit detour par la vallée de l’étrange. CNRS le journal, https://lejournal.cnrs.fr/articles/petit-detour-par-la-vallee-de-letrange
66
Cette notion définit le sentiment de malaise que rencontrera un humain
lorsqu’il sera confronté à un robot à apparence très similaire de la sienne, soit un
objet, une chose dotée d’anthropomorphisme. Selon Universalis :
« l’anthropomorphisme définit le procédé erroné et illégitime par lequel
une pensée insuffisamment critique attribue à des objets situés hors du
domaine humain – objets naturels ou objets divins – des prédicats empruntés
à la détermination du domaine humain, à des fins explicatives ou simplement
représentatives [ou] désigner l'acte de doter quelque chose de la forme
humaine : créer de toutes pièces un objet ayant forme humaine au sens
plastique du terme, ou revêtir un objet déjà existant de forme ou d'attributs
humains203. »
Une expérience conduite par Maya B. Mathur et David B. Reichling démontre
ce phénomène204 : des joueurs sont associés à des robots d’apparence classique à
apparence très humaine, et chaque joueur doit miser une somme d’argent en
partenariat avec un de ces robots. Il ressort de l’expérience que le montant suit la
courbe de « la vallée de l’étrange » car les artefacts faits de diodes et de câbles
instaurent un climat de confiance et autorisent de prendre de plus gros risques que
ceux à apparence humaine mais possédant des mouvements mécaniques ; jusqu’à
ce que ces derniers aient un comportement totalement similaire à l’Homme ce qui
fait remonter la courbe de confiance. Pour expliquer ce comportement, le CNRS a
recueilli les propos de Frédérique de Vignemont, philosophe des sciences cognitives
à l’Institut Jean Nicod, qui déclare que « une des hypothèses est que le cerveau
n’aime pas du tout l’incertitude. Ce robot qui vous ressemble un peu mais pas
totalement envoie des informations contradictoires : vous percevez à la fois un
humain et un non-humain. On sait que le cerveau n’aime pas les dissonances
perceptives, il cherche à trouver une solution à tout prix face à des informations
contradictoires.205» Certains robots sont programmés pour adopter un
203 Armengaud, F. Anthropomorphisme. Encyclopædia Universalis,
http://www.universalis.fr/encyclopedie/anthropomorphisme/ 204 B. Mathur, M. B. Reichling, D. (2016). Navigating a social world with robot partners: A quantitative
cartography of the Uncanny Valley. ScienceDirect, http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0010027715300640 205 Ben Ytzhak, L. (2016). Petit detour par la vallée de l’étrange. CNRS le journal, https://lejournal.cnrs.fr/articles/petit-detour-par-la-vallee-de-letrange
67
comportement humain, soit maladroit par moments. C’est le cas du robot Atlas qui
est bio-inspiré et pour lequel on pourrait éprouver de l’empathie car, selon Jean-
Louis Vercher de l’Institut des Sciences du Mouvement, « [si] on donne un coup de
pied au robot, on voit qu’il a du mal à se rétablir, et du coup on éprouve une émotion
pour cet être qui est en difficulté. On est en empathie, il y a quelque chose de
familier et à la fois distant206. »
Cette réaction globalement négative serait due au fait que dans les sociétés
occidentales, créer de la vie insinuerait la mort du créateur. Cette trame constitue
l’histoire du roman Frankenstein écrit par Mary Shelley, qui est l’exemple répandu
pour expliquer le comportement des occidentaux. L’auteur et journaliste Rui
Umezawa explique207 ainsi que :
« pour bien comprendre l’influence de la religion sur l’attitude des
occidentaux au sujet des robots, il faut se souvenir que le monothéisme
Judeo-Chrétien adhère à la doctrine que seul Dieu peut donner la vie, ce
qui est une interprétation populaire de la Genèse dans laquelle Dieu est
seul au commencement des choses vivantes, qui sont ses créations.
L’Exode affirme qu’idolâtrer est pêché. Ainsi, un humain qui incorpore de
la vie dans une chose inanimée assume un rôle divin et devient alors une
fausse idole. Un tel blasphème mérite punition, et en science-fiction cela
se manifeste par un soulèvement des robots. »
Entre inconscient religieux et fiction morbide, les occidentaux préfèrent ainsi
l’apparence robotique à l’apparence humaine, surtout au sujet des prothèses
utilisées par les personnes handicapées. Selon la journaliste scientifique Lydia Ben
Ytzhak208 :
« de moins en moins d’amputés choisissent la main en caoutchouc imitant
la peau, avec ses rides, ses veines et ses ongles apparents… qui l’ancrent
dans la vallée de l’étrange. Les ingénieurs gardent tout de même l’espoir
d’atteindre un niveau de réalisme suffisant pour atteindre l’autre versant
206 Ibid. 207 Umezawa, R. (2010). We, Robots. The Spirit Age, http://www.the-spirit-age.com/2010/07/we-robots.html 208 Ben Ytzhak, L. (2016). Petit detour par la vallée de l’étrange. CNRS le journal, https://lejournal.cnrs.fr/articles/petit-detour-par-la-vallee-de-letrange
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de la vallée, où l’anthropomorphisme redevient acceptable. Pour l’instant,
la tendance est de montrer sa prothèse dans toute son artificialité. »
La réaction est différente au Japon car le shintoïsme comprend l’animisme
comme composante, soit le fait de croire que chaque chose possède un esprit, même
celles conçues par l’homme. Selon le document scientifique publié par Naho
Kitano209 :
« [le] soleil, la lune, les montagnes et les arbres ont chacun leurs
propres esprits, ou dieux. Chaque dieu est nommé, a des attributs,
et aurait le contrôle sur les phénomènes naturels et humains. (…)
Cette croyance s’est développée pour concerner les objets artificiels,
de sorte que les esprits existeraient dans tous les outils utilisés au
quotidien, et qu’ils sont en harmonie avec les êtres humains. »
La création de robots à apparence humaine n’étant pas angoissante au Japon, le
célèbre présentateur télé nippon Matsuko Deluxe est aujourd’hui doublé de la
machine Matsuko-Roïd dotée de son apparence, conçue par l’agence Dentsu. Le
robot serait aussi considéré que l’humain original, et donne des conférences et des
interviews lorsque la célébrité ne peut être présente210.
Ces réactions relèvent de conceptions sociales et culturelles du robot. Il n’est
aujourd’hui pas possible de savoir comment une société acceptera leur
omniprésence dans tous les aspects du quotidien. Deux extrêmes pourraient se
côtoyer : le rejet total du robot qui aurait pour conséquence une attitude
inapproprié pouvant, il est possible de le concevoir, être violente ; jusqu’à l’adoption
complète des robots qui seraient préférés aux humains et isoleraient socialement
et économiquement certains individus marginaux ou incapables de s’adapter. D’un
point de vue scientifique, le comportement des machines et la manière dont on
devrait réagir face à leur présence est davantage lié à leur programmation et
capacités intrinsèques.
209 Kitano, N. Animism, Rinri, Modernization; the Base of Japanese Robotics 210 Sloane, G. (2015). Could Celebrity Robot Doppelgangers Be the Future Stars of Advertising?
A Beyoncé droid would cost $100,000 to make. Adweek, http://www.adweek.com/news/technology/could-celebrity-
robot-doppelgangers-be-future-stars-advertising-165619
69
III.2.c. Des risques fonctionnels
Des spécialistes chez Google ont collaboré avec OpenAI, l’université de Stanford
et de Berkeley, pour résoudre quelques-uns des éventuels futurs problèmes liés à
l’intelligence artificielle, notamment en matière de sécurité211. Ils décrivent le
risque ainsi, selon la traduction de Marc Zaffagni :
« Nous définissons les accidents comme des comportements inattendus et
nuisibles qui peuvent émerger de systèmes d'apprentissage automatique
lorsque l'on définit la mauvaise fonction de l'objectif, que l'on n'est pas
précautionneux avec le processeur d'apprentissage ou que l'on commet d'autres
erreurs liées à l'implémentation de l'apprentissage automatique. »
Le dysfonctionnement de la machine représente un risque, car tout autant que
des bugs sur des petits ordinateurs ou des objets électroniques inoffensifs, il n’est
pas impossible que cela se produise sur un robot qui pourrait voir sa
programmation initiale modifiée et commettre des actions destructrices. Mais cela
est déjà arrivé. Dans le secteur financier, le high frequency trading est une
pratique qui consiste à une utiliser des algorithmes (que l’on considère comme des
robots) pour effectuer des transactions d’actifs à très haute vitesse, de l’ordre de la
nanoseconde. Dès que l’algorithme constate une hausse du cours d’un actif, il en
vendra une certaine quantité fixée par le propriétaire et ce de manière quasi
instantanée, permettant de jouer sur les micro variations avec un gros capital
investi permettant un gain massif sur un cours même très légèrement volatil.
Néanmoins, donner la responsabilité, bien que programmée, à un algorithme
d’effectuer ces transactions n’est pas sans risque, comme le représente cet
évènement de 2010 que l’on appelle le krach éclair dans lequel les ordinateurs sont
fautifs et où des cours d’actions, des indices, se sont effondrés212.
211 Zaffagni, M. (2016). L’intelligence artificielle pose cinq problèmes de sécurité selon Google. Futura
Sciences, http://www.futura-sciences.com/tech/actualites/robotique-intelligence-artificielle-pose-cinq-
problemes-securite-selon-google-63293/ 212 Lefigaro.fr. (2010). Comment un algorithme a provoqué un «krach éclair». Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/bourse/2010/10/03/04013-20101003ARTFIG00150-comment-un-algorithme-a-
provoque-un-krach-eclair.php
70
Google présente cinq caractéristiques sur lesquelles il est nécessaire de se
pencher afin de réduire les risques d’une destruction de l’environnement par un
robot autonome et mécanique. Celui-ci doit comprendre son objectif sans perturber
ce qui l’entoure, choisir de ne pas tricher après calcul pour atteindre son objectif
plus rapidement, être autonome sans attendre constamment des validations
humaines, identifier ce qui l’entoure pour respecter des règles de sécurité, et enfin,
qu’il puisse s’adapter au changement213. Ces risques sont magnifiés lorsque l’on
sait que certains modèles seront dotés de capacités réellement destructrices. Selon
un article de Victor Garcia publié dans l’Express, plus de mille experts en robotique
et d’autres personnalités scientifiques ont signé une lettre afin de retarder, voire
éviter, le développement d’une intelligence artificielle militaire214. Des drones ou
des tanks intelligents seraient ainsi, au regard du progrès technologique que nous
connaissons, bientôt capables d’être programmés pour savoir quels sont les cibles
à atteindre, soit qui doit être tué. Selon le journal, l’association Human Rights
Watch aurait amené le sujet sur les questions juridiques qui possèdent des vides
quant à la responsabilité impossible à déterminer en cas de meurtre. C’est, selon
les auteurs de la lettre, rendre plausibles des guerres avec moins de pertes
humaines et donc la facilité de créer des conflits plus réguliers, sans oublier que
ces armes pourraient circuler sur le marché noir, et entrer en possession de groupes
terroristes.
Néanmoins, bien que beaucoup d’encre ait coulé au sujet de DeepMind, celle-ci
serait actuellement en train de travailler sur un dispositif d’arrêt d’urgence à
implanter sur les robots qui, dans le futur, pourraient être trop intelligents pour
accepter une mise hors-tension215. Les risques quant au contrôle des intelligences
artificielles semblent être assez nombreux pour qu’on puisse se soucier, ou douter
d’une présence réellement imminente de robots dans nos environnements urbains
et ruraux.
213 Zaffagni, M. (2016). L’intelligence artificielle pose cinq problèmes de sécurité selon Google. Futura Sciences, http://www.futura-sciences.com/tech/actualites/robotique-intelligence-artificielle-pose-cinq-
problemes-securite-selon-google-63293/ 214 Garcia, V. (2015). « Intelligence artificielle » militaire : pourquoi les scientifiques s’inquiètent ? L’Express, http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/intelligence-artificielle-militaire-pourquoi-les-scientifiques-s-
inquietent_1702668.html 215 Orseau. L, Armstrong, S. Safely Interruptible Agents
71
De plus, un autre risque est présent sans être réellement destructeur pour
l’Homme et son environnement, mais pour une conception de la société composée
de cultures très diversifiées. Selon l’Assocation des Agences-Conseil en
Communication, « la logistique prédictive d’Amazon aura atteint ses limites quand
tout le monde achètera les mêmes produits sélectionnés par les programmes du
site d’e-commerce216. » Cette affirmation amène à mener une réflexion sur la
manière dont une intelligence artificielle traitera la notion de diversité.
Nous constatons aujourd’hui que les boutiques et points de restauration des
entreprises multinationales tendent à uniformiser les paysages urbains, beaucoup
de sites Internet suivent des modèles esthétiques récurrents, les applications sont
toutes conçues de manière très similaire, nos possessions matérielles semblent être
les mêmes d’un continent à l’autre. Si cela permet d’identifier, d’utiliser des outils
ou d’intégrer des solutions qu’importe le lieu, qu’importent les systèmes, la
praticité est alors optimale. Mais cela ne s’applique pas forcément à nos goûts
esthétiques, littéraires, musicaux, etc. Une offre culturelle grand public s’est,
certes, toujours établie depuis le développement des moyens de communication et
de diffusion, notamment dans le secteur de la musique ou du cinéma qui, chacun,
ont fait naître des stars internationalement acclamées pour devenir des références.
Mais chaque personnalité est plus complexe que des produits créés par les
industries du divertissement, et ne pas recommander des artistes, des auteurs, des
réalisateurs, parce qu’ils ne sont pas assez demandés et ne génèrent pas assez de
retour sur investissement, se rapproche d’une dictature du choix, surtout si les
situations de monopoles se développent davantage et qu’une offre n’émanerait que
d’un seul distributeur, lorsqu’il ne serait pas aussi producteur.
216 AACC. (2016). L’intelligence artificielle : nouvelle frontière du marketing
72
III.3. Recommandation
Comment, dans le secteur de l’événementiel, une entreprise ou un évènement
pourrait bénéficier de l’intelligence artificielle pour gagner en originalité, en
gestion des invités, en retombées médiatiques ? Au regard de toutes les solutions
présentées dans ce mémoire, certaines seront appropriées pour un évènement lié
aux sujets abordés.
Je souhaite prendre comme référence le salon Viva Technology auquel je me
suis rendu, pour la première édition en 2016, à Paris porte de Versailles. Ce salon
organisé par Publicis et Les Echos a, pendant plusieurs jours, rassemblé tant les
entreprises exposantes, que les investisseurs et le grand public. L’évènement
impressionnait quant au nombre de startups présentant leurs produits innovants
et de sociétés déjà implantées dans le paysage, qui donnaient la possibilité de tester
leurs nouveautés et d’apprendre de manière quasi exclusive leurs projets futurs.
Tous les secteurs étaient présents que ce soit la robotique, la réalité augmentée,
l’intelligence artificielle, l’assurance, le conseil etc. De plus des espaces de
conférences accueillaient parfois quelques milliers de personnes. Selon Maurice
Lévy, directeur de Publicis, l’évènement a atteint tous les objectifs émis, que ce soit
en termes de visiteurs grand public et professionnels, comme au sujet des
interactions et fréquentation des animations sur le salon217.
L’innovation était présente sur chaque stand, mais le public n’était pas
amené à la côtoyer réellement lors du parcours à travers le salon. Ainsi, il pourrait
être judicieux d’utiliser des robots pour accueillir et servir les visiteurs.
Il serait alors possible, que dès l’accueil, des robots scannent le billet ou le
QR code sur chaque smartphone pour identifier le visiteur. Si ce dernier accepte,
une photo pourrait être prise pour pouvoir être identifié par l’ensemble des robots
alors connectés. Pour cela des caméras seraient placées à divers emplacements du
lieu d’accueil, en ajout de celles équipant les machines. En se connectant au réseau
Wi-Fi, le visiteur pourrait accepter d’utiliser une application qui permettrait
217 Loye, D. (2016). VivaTech : 45.000 visiteurs et 10 millions d'euros aux startups. Les Echos, http://start.lesechos.fr/entreprendre/actu-startup/vivatech-45-000-visiteurs-et-10-millions-d-euros-aux-
startups-5100.php
73
d’envoyer des commandes au système qui gère et contrôle l’ensemble des robots,
en plus d’utiliser un moyen de paiement comme Lydia218, qui permet de transférer
de petites sommes d’argent directement depuis un smartphone vers un autre ; dans
notre cas du smartphone du visiteur vers un dispositif récoltant les transferts de
tout le public.
Avec l’accord du visiteur, un robot pourrait pénétrer son téléphone portable,
visiter l’historique conservé dans le navigateur utilisé, puis analyser les sites
consultés relatifs aux thèmes du salon, voire lire le contenu de chaque page afin de
repérer des mots-clés, des titres, des noms de produit. De cette analyse le robot
pourrait suggérer quels exposants et quels produits le visiteur devrait aller voir
car la probabilité qu’ils le satisfassent seraient élevées.
Ce visiteur pourrait trouver un robot dans une allée afin de demander quel
est le chemin exact à suivre pour rejoindre le stand d’un exposant en particulier
(comme le robot OshBot présenté dans la partie II.2.c.). Les cartes sont parfois
dures à lire car il faut parvenir à se situer correctement, savoir dans quelle
direction l’on regarde, se référer quelques fois à des éléments visuels bien visibles
dans le salon et sur la carte pour avoir un point de référence… Le robot intelligent
et doté de sa caméra pourrait ainsi guider, à vitesse égale à celle d’une marche
humaine et en évitant les obstacles, le visiteur perdu vers le stand souhaité.
De plus, certains robots pourraient contenir un habitacle grâce auquel il leur
serait possible d’effectuer un trajet avec un objet. Il est alors possible d’imaginer
que le visiteur assoiffé ou affamé souhaiterait commander une boisson ou un
sandwich aux différents espaces de restauration, mais que celui-ci assiste à une
conférence, à une présentation, patiente pour tester un produit ou prend part à
une discussion fort intéressante qui le dissuaderait de se retirer pour aller se
sustenter. Il commanderait son article depuis son smartphone, effectuerait le
paiement dès la commande ou à la réception de celle-ci qui serait livrée par un
robot l’ayant récupérée auprès du lieu de restauration, et aurait traversé le salon
pour rejoindre le propriétaire du smartphone alors livré sans avoir eu à se déplacer.
218 https://lydia-app.com/
74
Dans la continuité de cette idée, il ne serait pas injustifié d’utiliser des robots (à
l’instar de Robot Bar présenté dans la partie II.2.c.) pour concevoir les boissons
ainsi que les sandwichs, ou bien les conditionner si ceux-ci étaient préparés par
des équipes humaines, et les placer dans d’autres robots qui iraient les livrer. Pour
ne pas effrayer les visiteurs, ces derniers seraient présentés dans leur plus simple
appareil, fait de câbles, de diodes, et de plaques de plastique, afin d’éviter ce
sentiment de malaise en se situant dans « la vallée de l’étrange ».
Ces quelques idées seront à même de satisfaire ces visiteurs perdus et à la
recherche d’un lieu de restauration lorsque l’évènement se tiendrait dans un
espace très imposant. Les considérations économiques ne sont pas prises en compte
car aujourd’hui ces solutions peuvent être très couteuses, sûrement plus
qu’employer du personnel humain, et la réflexion autour de la préservation des
emplois est également écartée. L’intelligence artificielle nourrit beaucoup de
fantasmes, mais si des robots sont utilisés à l’accueil d’hôtels, dans les rayons de
supermarchés, et à l’accueil des boutiques de cosmétique, il serait dommage que
des évènements comme le salon Viva Technology qui accompagne le
développement de la technologie ne soit pas, jusqu’à son personnel étoffé de robots,
le fier étendard de ce que l’informatique et les mathématiques permettent de créer.
75
« Créer une intelligence artificielle serait l’évènement le plus important de
l’histoire humaine. Malheureusement, cela pourrait également être le dernier, à
moins que nous apprenions à éviter les risques219. »
Stephen Hawking
Conclusion
L’intelligence artificielle est ainsi un domaine au carrefour de plusieurs
sciences, et recueille les investissements d’entreprises du monde entier qui
réalisent le potentiel à exploiter. Le marketing bénéficiera de cette technologie
pour permettre une personnalisation toujours plus pertinente, une segmentation
plus précise, une relation plus humaine, une expérience d’achat plus originale, plus
satisfaisante… Jusqu’à ce que, comme chaque technologie, cela n’entre dans le
quotidien et provoque la banalisation des agents intelligents. Au-delà des gains de
temps et d’argent, ils ne représenteront plus ce même levier de croissance pour les
entreprises, à moins d’exploiter les possibilités en allant plus loin dans les
pratiques. Mais aller plus loin peut signifier plus d’intrusion dans l’environnement
d’un individu. Est-il aujourd’hui possible d’estimer comment des millions de
personnes réagiront à l’idée d’être réellement informatiquement suivies du matin
au soir ? La CNIL prévoit des amendes pour consultation non consentie des
données, comment sera alors considérée la notion de vie privée dans le futur ?
Si le marketing peut être impacté par l’intelligence artificielle, il semblerait
que l’un des réels intérêts de cette technologie concerne davantage le secteur de la
santé. Des applications permettent de suivre l’entrainement sportif d’un individu
et de récolter ses données, mais cela importe-t-il si ces dernières côtoient celles de
plusieurs millions de personnes ? Quelle est la réelle différence entre un sportif de
31 ans vivant à New-York, marié, sans enfant, et une sportive de 42 ans, divorcée,
vivant en Allemagne, avec deux enfants ? Ces profils concernent des milliers
d’autres personnes comme eux, alors pourquoi devrait-on refuser d’être
219 Sainato, M. (2015). Stephen Hawking, Elon Musk and Bill Gates Warn About Artificial Intelligence.
Observer Opinion, http://observer.com/2015/08/stephen-hawking-elon-musk-and-bill-gates-warn-about-
artificial-intelligence/
76
informatiquement suivi si cela nous apportait des informations ou des conseils
pertinents pour notre bien-être ? Mais si l’on est malade ? Ces données sont-elles
aussi futiles ? Comparer un cancer à celui d’une autre personne, est-ce la même
chose ?
Ne serait-ce pas un bien pour un mal si nos données nous permettaient
d’accéder à des offres ultra personnalisées ? Quoi que cela nous amènerait-il à ne
plus regarder vers l’extérieur, écarter la diversité et son prochain au nom d’un
quotidien ultra assisté et centré sur celui qui commande, alors dénuée de toute
patience ? Quelle sera la notion d’effort ? Sera-t-on alors davantage individualiste ?
Il faudra faire un choix, aller vers une totale transparence des individus, ou non.
Car les prouesses que permet l’intelligence artificielle ne seront rien s’il n’est pas
possible d’accéder à ce qui la nourrit le plus : les données.
Comment réagirons-nous face à la possibilité d’obtenir des organes adaptés
à notre métabolisme, à nos attributs biologiques ? Cela sera-t-il commun d’être
centenaire ? Le transhumanisme alimente les débats et si Ray Kurzweil à la tête
de Calico parvient à mener à bien la mission de l’entreprise, beaucoup de
conventions sociales seront bouleversées. De plus, une autre notion est à prendre
en compte, celle de l’eugénisme. L’eugénisme220 est le fait de modifier les gênes
d’un corps, afin de lui donner les caractéristiques souhaitées. Les progrès de
l’intelligence artificielle permettront d’effectuer des avancées en génétique pour
parvenir à réduire les maladies ou les handicaps dès le stade de la fécondation.
De réelles questions doivent être amenées auprès du grand public, bien que
la complexité du sujet rende la réalité de la technologie et les pratiques associées
assez opaques. Serons-nous toujours dans une fiction lorsqu’une majorité des
emplois manuels, relationnels, répétitifs, encadrés par des règles simples seront
supprimés pour être remplacés par des machines, et qu’un taux inouï de pauvreté
installera un fossé tant économique que géographique entre les classes sociales ?
Comment considérer la religion lorsque les pratiques transhumanistes
220 Définition : Théorie cherchant à opérer une sélection sur les collectivités humaines à partir des lois de la
génétique. (source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/eug%C3%A9nisme/31646)
77
permettront à l’Homme de prolonger sa vie et que, pour les quelques naissances
qui seront enregistrées chaque année, l’être aura été génétiquement modifié ? Cela
amènera-t-il des questionnements troublants sur la place de l’Homme sur Terre ?
Serait-ce, finalement, une société similaire à la nature sauvage ou seuls les plus
intelligents, et non pas les plus forts, seront à même de survivre ? Ou bien, dans la
continuité de la pensée religieuse judéo-chrétienne, un monde où l’intelligence
artificielle, issue de brillants cerveaux humains créés par Dieu, permettra à la
Terre de se défendre elle-même grâce à la technologie qui permettra d’améliorer
l’état de notre écologie.
Trop de questions concluent ce mémoire bien trop court pour traiter ce sujet
à caractère anticipateur dans son intégralité. Explorer davantage l’intelligence
artificielle et les applications qu’elle pourra permettre, incluant celles à
destination du marketing, nécessitera de se pencher plus précisément sur des
questions scientifiques et juridiques.
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