Jours de destruction, jours de révolte, de Hedges et Sacco, Futuropolis

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Preview Zoo 44 : Jours de destruction, jours de révolte, de Hedges et Sacco, Futuropolis

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Sa grand-mère descend tout de suite, nous dit-il. Les stores blancs de la fenêtre dedevant sont baissés. Le salon est plongé dans l’obscurité. On aperçoit deux canapésbeiges, un fauteuil assorti, ainsi qu’une grande télévision à écran plat. Au fond de lapièce trône une cheminée de pierre dont le manteau est surmonté de photos de familleencadrées. La pluie fouette les vitres. Boomer nous explique qu’il vient de terminerune formation. Le jeune homme, en surpoids, se prépare un sandwich au beurre decacahuète et à la confiture.

C H A P I T R E I I JOURS DE SIÈGE

MON PÈRE ET MA MÈRE CRAIGNAIENT

DIEU.

ON ALLAIT À L’ÉGLISE TOUS LESDIMANCHES, ET AUSSI

LE MERCREDI SOIR.

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Lolly grandit à Philadelphie, avec neuf frères et sœurs. C’est l’une des dernières nées.

« Le plus dur,quand j’étaispetite, c’étaitl’hiver.

« Mon pèreétait charpen-tier, mais on n’était jamais sanslumière…

« Il économisait

assez d’argent

pour payer le loyer et lesfactures.

« La nourri-ture, c’étaitune autre histoire. » Pour nourrir convenablement sa famille, son père va chasser dans lesmontagnes Ponoco. Il rapporte des faisans, des lapins, des marmottes,et même des ours.

« On mangeaitsouvent de la marmotte.

« On se débrouillaitcomme ça, en hiver. »

Lorsqu’elle commence à travailler, Lolly rencontreun prénommé James. Ils s’installent à Camden, où il trouve un emploi chez Campbell’s Soup.

Ils ont trois filles ensemble. Elle est enceinte de la quatrième quand il est tué par balles dans un bar. Juste avant leur mariage.

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Quelques années plus tard,leur fille de sept ans, Tammy, succombe à une allergie.

Lolly raconte qu’à ce moment-là,elle a entendu la voix de son pèredécédé. Il lui a dit :

« Je n’aijamais de-mandé àDieu pour-quoi. Je nelui ai jamaisdemandépourquoima filledevaitmourir. »

NE T’INQUIÈTE

PAS POUR ELLE.

ELLE VA BIEN…

ELLE EST AVEC

MOI.

«Je pensequ’ilest auparadis.

« Alors, je mesuis levée,comme si unjour nouveauvenait decommencer.Un jour ensoleillé. Toutallait bien.

«Mes angoissess’étaientcalmées. »

En plus de sesenfants (elle aura

aussi un fils),Lolly s’occupe de parents et de connaissances.

Notamment deson frère adoptif,

depuis la mort de sa mère(quand elle avait

19 ans). C’EST

CALME ICI, COMPARÉ À L’EN-

DROIT OÙ JE VIVAIS AVANT.

LE MATIN, QUAND JE ME

RÉVEILLE, JE DESCENDS…

JE NE SAIS JAMAIS QUI EST CHEZ MOI.

J’AI TOUJOURS DES PARENTS

QUI S’INSTALLENT.ILS NE PAIENT PAS DE LOYER,

RIEN.

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Lolly a perdu le fil ; elle necompte plus les gens qui ont vécu sous son toit.

CINQ, SIX, SEPT, HUIT…

NEUF GOSSES. J’AI TOUJOURS EU

DES ENFANTS CHEZ MOI. MÊME LES ENFANTS DES VOISINS.

QUAND ILS AVAIENT

DES PROBLÈMES AVEC LEURS

PARENTS, ILS VENAIENT CHEZ MOI.

« Il fallait que j’arrangetout. »

Un temps, Lolly garde aussi deux enfants blancs.

« Les parentsvivaient dansnotre rue. Lamère a com-mencé à traî-ner avec untype noir, puiselle est partie.[Le père] travaillait.Il n’avait personne pours’occuper des enfants.

« Je lui ai dit de les amener.Que j’allaism’en occuper. « Ils ont

commencéà vivrechez moi. »

Parlant de Boomer, qu’elle finira par adopter, elle dit :

« Ma voisinevoulait se faireavorter.Je lui ai dit :

TU TE VOISTE PRÉSENTER

DEVANT DIEU ETLUI DIRE POURQUOITU T’ES DÉBAR-RASSÉE DE CE

BÉBÉ ? NON.

DONNE-MOI CET ENFANT.

Lolly s’occupe de Boomer quasiment depuissa naissance ; elle garde aussi son frère.

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Lorsque leur tutrice légale se meurt d’un cancer. « J’allais chercher ses enfants, je lui préparais à dîner.

« Ellen’avaitpersonnepour l’aider. Jelavais sonlinge, savaisselle,tout ça.

J’emmenaisles garçons à la maison,je les aidais à faire leursdevoirs, je lavais et séchaisleurs vêtements.»

ON N’A PAS BESOIN D’ÊTRE DU MÊME SANG POUR SE SENTIR

DE LA MÊME FAMILLE.

C’EST CE QUE JE DIS À MES

ENFANTS.

Lolly n’a plus qu’une sœur et deux frères. Les garçons se sont tousengagés dans l’armée ; la plupart en sont revenus aigris.

L’un d’eux,qui a faitplusieursséjours au Vietnam,« s’estsaouléà mort ».

Un autre a succombéà des problèmesde foie.

« Presquetous mesfrèresétaient al-cooliques »,dit-elle.

Elle se rappelle sonfrère, venantl’avertir qu’on brûlaitles maisonsdes Blancs.

Lolly a assisté au déclin de Camden, elle aussi. Pour elle, il date des émeutes de la fin des années 60-début des années 70.

Il lui a conseillé de mettre un linge rouge à safenêtre, pour que samaison soitépargnée.

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Elle s’est empressée d’aller prévenir une voisineblanche, de l’autre côté de la rue.

METTEZTOUS DU

ROUGE À VOSFENÊTRES.

NE DIS À PERSONNE

QUI T’A PRÉVENUE.

ILS ME TUERAIENT.

« Ils ont misune chaus-sette de Noëlrouge.

« J’ai accro-ché le caleçonrouge de mon frère…

« Je suis allée le scotcher àla fenêtre. »

Lolly sait que tout est parti d’une révolte contre la police, mais ellecondamne ceuxqui « pillent les magasins,prennent les meubles, et tout ».

Selon elle, après lesémeutes, « Camden a dévalé la pente ». Pourtant, comme Joe Balzano, ellereste très attachée à sa ville.

J’AIME CAMDEN.

IL Y A DES GENS BIEN,

ICI.

JE PENSE TOUJOURS QUE DEMAIN

SERA MEILLEURQU’AU-

JOURD’HUI.

ON A PARFOISDES ÉPREUVESDANS LA VIE.

JE NE CHERCHEPAS À SAVOIRPOURQUOI…

POURVU QUE LE SEI-GNEUR MEDONNE LA

FORCE DE LES SURMONTER.

Et elle ne manque pas d’opti-misme.

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