View
216
Download
0
Category
Preview:
Citation preview
C A N A D A
PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL
C O U R M U N I C I P A L E VILLE DE POINTE-CWRE
JUGEMENT RENDU LE 14 juin 1993 par PIERRE MONDOR Juge munici~al
VILLE DE KIRKLAND
Poursuivante
C.
MICHEL PHARES
Défendeur
J U G E M E N T
Le défendeur est accusé en la présente cause, étant propriétaire d'un immeuble
situé au 67 tue Héritage a Kirkland, d'y avoir gardé ou permis que soit gardé le ou vers le
30 mai 1991, tout animal, a savoir des pigeons en contravention aux articles 12-1 et 23 du
règlement municipal 2 19.
Le règlement municipal 219 de la Ville de Kirkland est un règlement concernant
les nuisances. Il a été adopté le 16 février 1976. Il a été modifié le 23 août 1976 pour y
ajouter l'article 12- 1 à la base de la présente cause:
a) Pour les fins du présent article l'expression "animal domestique" signifie un chien, un chat, un oiseau domestique.
b) II est défendu au propriétaire ou à l'occupant d'un immeuble ou partie d'immeuble d'y garder ou de permettre qu'il soit gardé tout animal sauf un maximum de deux (2) animaux domestiques de chacune des espèces mentionnées au paragraphe a) du présent article; sans restreindre la généralité de ce qui précède, la prohibition prévue au présent paragraphe s'applique particulièrement aux abeilles, pigeons, aux animaux de basse- cour et aux animaux sauvages. La présente prohibition ne s'applique pas aux fermiers, aux hôpitaux ou cliniques vétérinaires, aux établissements destinés à la vente d'animaux (pet shop) ou au chenils.
Dans ce dossier, un avis au procureur général du Québec en vertu des articles
34 du Code de procédure pénale et 95 du Code de procédure civile fut envoyé par le
procureur du défendeur, dénonçant l'intention du défendeur d'attaquer la constitutionnalité
et la validité du règlement.
Le procureur général du Québec n'est pas intervenu en la présente instance.
L'inspecteur municipal Robert Chicoine, lors d'une visite en date du 30 mai 1991, a constaté la présence d'une remise et de plusieurs pigeons. Il produit une
photographie (Pièce P-1) qui illustre bien la situation. Le fait pour le défendeur d'avoir
gardé des pigeons ne sera d'ailleurs pas contesté.
En défense, le procureur du défendeur a fait entendre un expert, Camille
Menier, ainsi que le défendeur et a pu produire des lettres de voisins. Il résume bien la
preuve offerte comme suit:
M. Camille Menier, ingénieur de formation et président de la Fédération
Colombophile du Québec depuis plusieurs années, fut déclaré expert après voir-dire. Il
présenta un vidéo intitulé "Marathon in the Sky". Il fut mis en preuve par cet expert qu'il y a deux catégories de pigeons: le pigeon sauvage, tel que les pigeons de rue et le pigeon
domestique, tel que les pigeons voyageurs.
Il nous relata l'historique du pigeon voyageur ainsi que son utilité à travers les
temps. Il a expliqué ce que sait un colombophile et toutes les facettes de la colombophilie.
Il a témoigné à l'effet que le défendeur dans cette cause est un colombophile, respectant les
règles de l'art dans cette discipline et qu'il est membre de la Fédération Colombophile du
Québec, de même que de son club local, le Club Le Nord situé à Montréal-Nord. II a
mentionné que les pigeons voyageurs ont fait l'objet d'un arrêté en conseil du
gouvernement fédéral lors de la 2e guerre mondiale et que cet arrêté en conseil n'a pas
encore été abrogé.
Le défendeur dans cette cause, a témoigné pour sa propre défense et a confirmé
son adhésion à la Fédération Colombophile du Québec de même qu'au Club Le Nord.
Effectivement il garde des pigeons voyageurs à but de sport et non de commerce, de vente
ou d'élevage. Il les garde selon les règles de l'art dans ce domaine tel que décrit par
l'expert et par le vidéo.
Avec le consentement de la poursuite, la défense a produit plusieurs lettres de
voisins immédiats disant que les pigeons du défendeur ne sont en aucune façon source de
nuisance ni de désagréments pour aucun d'eux.
Le procureur du défendeur fait valoir six arguments que nous traiterons dans
l'ordre suivant: Le premier a trait à une rédaction défectueuse de la dénonciation. Le
deuxième soulève l'inconstitutionnalité du règlement. Le troisième invoque l'invalidité du
règlement sur la base de son imprécision. Le quatrième invoque i'invalidité du règlement
en ce qu'il serait ultra vires des pouvoirs de la municipalité. Le cinquième argument
invoque de nouveau l'invalidité du règlement sur la base de son caractère déraisonnable. Et
enfin, le sixième argument invoque encore l'invalidité du règlement pour cause de
discrimination abusive.
Le ~remier arnument relatif à une rédaction défectueuse de la dénonciation
Le procureur de la défense indique que la dénonciation reproche au défendeur
simplement la garde de pigeons et ne fait pas de distinction entre le pigeon commun et le
pigeon voyageur. Or, cette distinction existe selon la preuve et la jurisprudence dans les
arrêts qu'il soumet:
- DE ANGELIS C. RICHARD PAYETTE (1)
- VILLE DE LAVAL C. ERWIN MAHRING (2)
- VILLE DE ST-CONSTANT C. CAMILLE MENER (3)
- VILLE DE LONGUEUIL C. RAYMOND DESJARDINS (4)
Le pigeon voyageur est un animal (oiseau) domestique, d'où sa prétention que
le mot pigeon employé dans le règlement ne traite que des pigeons communs et non pas
ceux du défendeur.
Mais ce même règlement permet un maximum de deux (2) oiseaux domestiques
seulement, ce qui est même de l'aveu du défendeur, une infraction de sa part car il en
possède plus que deux.
Cependant, selon le procureur de la défense, lorsqu'on examine ce règlement,
on voit qu'il crée deux infractions distinctes, soit qu'on puisse accuser quelqu'un d'avoir
plus de deux animaux domestiques ou bien accuser quelqu'un d'avoir des animaux ou
même un seul animal qui n'est pas selon la définition domestique. Sa prétention est à
l'effet que ces deux possibilités d'infraction ne sont pas incluses l'une dans I'autre car on
parle dans rune d'animaux domestiques et dans I'autre d'animaux considérés comme non
domestiques. Alors si on accuse le défendeur d'avoir des animaux non domestiques et que
la preuve révèle qu'il sont domestiques, il devrait être acquitté et on ne peut le trouver
coupable d'une infraction autre soit celle d'avoir plus de deux animaux (oiseaux)
domestiques la poursuite doit alors porter une nouvelle accusation reprochant au défendeur
d'avoir plus de deux animaux domestiques.
Aucun amendement à la dénonciation n'a été proposé par la poursuite et nous
sommes contraints d'étudier la dénonciation telle que rédigée en rapport avec la preuve
faite.
Nous sommes d'accord avec le procureur de la défense que les pigeons du
défendeur sont des animaux domestiques et en plus des oiseaux domestiques, mais nous ne
reconnaissons pas que le paragraphe b) de l'article 12 du règlement 219 puisse générer
deux infractions distinctes, soit celle de garder des animaux sauvages ou même un seul
animal sauvage, ou bien celle de garder plus de deux animaux domestiques.
En effet, l'infraction d'avoir gardé "tout animal" renfenne le principe recherché
par le législateur municipal et une fois cette preuve faite par la poursuite, il appartient à la
défense de faire valoir qu'elle bénéficie des exceptions prévues au règlement.
Et même s'il s'agissait d'infractions distinctes, dès que la preuve de la poursuite
fait état de la présence de plusieurs (plus que deux) animaux au sens de la première
infraction qui est celle d'avoir gardé "tout animal", l'infraction incluse suivra d'avoir gardé
plus de deux animaux domestiques si la preuve révèle cette caractéristique chez les
animaux.
La dénonciation telle que rédigée d'avoir gardé tout animal ne signifie pas
nécessairement qu'il s'agisse d'un seul animal et couvrirait donc la situation du défendeur
si la preuve démontre la présence de plusieurs animaux, mème s'il s'agit d'oiseaux
domestiques bénéficiant de l'exception prévue au règlement. Si la dénonciation se limitait à
I'expression "tout animal", elle mériterait certainement des détails mais ne serait pas
informe.
D'ailleurs, les détails apparaissent ensuite à savoir "des pigeons". Encore une
fois, la défense aurait pu demander des précisions: pigeons sauvages ou pigeons
domestiques? deux ou plus que deux pigeons? La preuve a révélé la présence de plus de
deux pigeons.
Une bonne rédaction aurait dû préciser "plus de deux pigeons". Cela aurait été
plus évident dans le cas de chiens mais dans le contexte d'un pigeonnier, nous considérons
que les mots "des pigeons"signifiaient un nombre de pigeons bien supérieur à 2.
L'argument indiqué par le procureur de la défense relatif au texte de la
dénonciation n'est pas retenu.
Le deuxième areument relatif à I'inconstitutionnalité du règlement municival sous l'asvect des vigeons voyageurs
Selon le procureur du défendeur, ledit règlement 219 en son article 12-1 est
inconciliable avec certaines lois provinciales dont l'application est confiée au Ministère de
l'agriculture et qui ne prévoit aucune délégation de pouvoirs à la municipalité de Kirkland.
Effectivement, en veltu de l'article 4 10 de la Loi des cités et villes, le conseil municipal peut
adopter des règlements pour assurer le bien-être général des citoyens de la municipalité.
Cependant, ces règlements ne doivent pas ètre contraires aux lois du Canada et du Québec.
Dans le cas qui nous concerne, il soutient que le règlement 2 19 en son article 12- 1 prohibe
les abeilles alors que la Cour supérieure dans l'affaire VILLE DE BEAUPORT c. CAYER
(5) a décidé: "qu'un règlement municipal qui prohibe les abeilles sur tout le territoire de la
municipalité est inconciliable avec la Loi sur les abeilles dont l'application est confiée au
Ministère de I'agriculture et qui ne prévoit aucune délégation de pouvoirs aux municipalités.
Ce règlement selon lui, est donc ultra-vires en ce qui concerne la mention abeilles".
Concernant ce premier aspect de l'argument du procureur de la défense, nous
n'avons pas à nous prononcer car les animaux en cause ne sont pas des abeilles et si cette
partie du règlement devait être inconstitutionnelle cela n'affecterait pas le reste du règlement
en ce qu'on ne peut penser que le législateur municipal a considéré comme un tout
indivisible la notion d'abeilles par rapport aux autres animaux visés.
Incidemment, toute réglementation sur les animaux devrait tenir compte du
Règlement sur les animaux en captivité adopté le 8 juillet 1992 aux termes du Décret 1029-
92 en vertu de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune (L.R.Q., c. C-61-
l), lequel est entré en vigueur le 6 août 1992. Ce règlement a remplacé le Règlement sur la
garde d'animaux en captivité (R.R.Q., 1981, c. C-61, r. 16).
Le règlement provincial actuel maintient le principe de l'ancien règlement des
catégories de permis de garde d'animaux en captivité. Cependant, aucun permis n'est
nécessaire pour la garde de certains animaux.
L'ancien règlement comme le nouveau n'empêchait pas l'adoption de normes
par réglementation municipale et nous ne voyons pas de problème constitutionnel ou
d'excès de compétence en conséquence. D'ailleurs, le procureur n'a pas invoqué cette
réglementation dans son argument d'inconstitutionnalité.
L'argument du procureur de la défense sur l'inconstitutionnalité est donc rejeté.
Le troisième armment soulevé Dar le Drocureur de la défense a trait à l'im~récision du règlement
II s'exprime comme suit: "La doctrine nous apprend qu'il est de l'essence d'un
règlement d'énoncer des normes ou des règles de conduite que les intéressés devront
respecter dans la conduite de leurs activités, encore faut-il que les citoyens puissent
raisonnablement être fixés à la lecture d'un règlement sur l'étendue de leurs droits et de
leurs obligations. II faut que l'imprécision atteigne un degré de gravité telle que le juge en
vienne à la conclusion qu'un homme raisonnablement intelligent suffisamment informé,
compte tenu le cas échéant du caractère technique du règlement, est dans l'impossibilité de
déterminer le sens du règlement et de régler en conséquence sa conduite. Est-ce qu'un
colombophile à la lecture de l'article 12-1 qui prohibe les pigeons mais permet les oiseaux
domestiques peut régler sa conduite selon les critères énoncés par la doctrine? Selon nous,
on doit répondre: non, d'où le caractère imprécis du règlement, d'où son illégalité ultra-
vires et inopérant."
Nous n'avons discerné aucune imprécision dans cet article 12- 1 du règlement.
Il nous apparaît au contraire simple et précis. Tout animal est visé et si dans le cas des
pigeons on veut établir une distinction pour bénéficier de l'exception permettant deux
animaux domestiques, les règles d'interprétation s'appliquent et la défense a réussi dans sa démonstration que le pigeon voyageur est un animal domestique.
Le auatrième armment à l'effet aue le règlement serait ultra vires
Le règlement 219 de la Ville de Kirkland est un règlement concernant les
nuisances. Ce qui constitue une nuisance à son article 12-1 est le simple fait de garder des
pigeons ou d'avoir plus de deux (2) oiseaux domestiques.
Le procureur de la défense mppelle que les tribunaux ont par le passé statué sur
le pouvoir des municipalités de définir ce qui constitue une nuisance. Il invoque que ce
pouvoir n'est pas absolu et cite des jugements de la Cour supérieure dans les affaires
ANCTIL c. VILLE DE LA POCATIERE (6) et SAMBAULT c. VILLE MERCIER (7) à
l'effet que les municipalités n'ont pas le pouvoir de créer une nuisance de toute pièce.
Il conclut que si la garde de pigeons voyageurs n'est pas considérée comme une
nuisance selon la jurispnidence et que la jurisprudence a décidé que les municipalités ne
peuvent créer en soi des nuisances, la Ville de Kirkland ne pouvait dans un règlement de
nuisance décréter que la garde de pigeons voyageurs était en soi une nuisance. Il est alors
d'avis que le règlement 2 19 en son article 12- 1 est inopérant quant au défendeur.
Nous nous appuierons sur l'arrêt de la Cour d'appel dans l'affaire FISETïE c.
VILLE DE BELOEIL ET AUTRES (8) où M. le juge Turgeon s'exprimait ainsi:
"Avant d'entreprendre l'étude du mérite de la première question que soulève rappel, il est utile de rappeler que c'est sur celui qui attaque la validité d'une Iégislation que repose le fardeau d'établir sa prétention, car il existe une présomption de validité de toute Iégislation et les Tribunaux ne peuvent présumer qu'une autorité législative a excédé les cadres de sa juridiction. Dans le cas de doute relativement à la validité d'une Iégislation attaquée, lorsqu'elle est susceptible de deux interprétations, il faut décider en faveur de la validité"
"Il faut d'abord et surtout considérer le but, la portée et l'essence du règlement, son "pith and substance" comme dit la jurisprudence".
La notion de nuisance est assez large pour couvrir non seulement des situations
qui objectivement et en soi constituent des nuisances comme celles de jeter des déchets dans
la rue, mais aussi des centaines de situations qui peuvent être considérées normales mais
qui peuvent devenir des nuisances par exemple par l'usage qu'on fait de certains objets, par
la quantité d'objets, l'intensité du son, l'endroit ou le moment où un acte est posé ou non.
Il existe donc à notre avis deux catégories de nuisances encore que la distinction
ne soit pas toujours marquée. La première renferme les nuisances facilement identifiables
en soi, tel le fait de jeter des déchets dans la rue. La deuxième s'attache à l'usage d'un
objet, la quantité d'objets, ïintensité du son, l'endroit ou le moment où un acte est posé ou
lorsqu'une omission est constatée.
Par exemple, dans une affaire récente, nous avions à vérifier la validité d'un
règlement définissant comme une nuisance le fait de stationner un camion d'une capacité de
plus d'une tonne en zone résidentielle dans l'affaire VILLE DE PIERREFONDS C.
LISETTE GRÉGOIRE-GAGNON (9).
Quoiqu'il puisse paraître parfaitement normal de stationner un camion sur sa
propriété, car en soi posséder une propriété avec des espaces de stationnement et posséder
un camion sont des situations tout à fait légitimes pour un citoyen, nous sommes contraints
de raisonner un peu par l'absurde. Que dirait-on de notre voisin qui stationnerait un
gigantesque camion de tmnsport avec tracteur et fardier sur sa propriété? Imaginons un peu
le spectacle qui s'offrirait alors le long d'une rue résidentielle où l'harmonie des cours avant
paysagées se trouverait ainsi rompue par cette masse? Dira-t-on que la beauté des
matériaux et des ensembles ne peut être réglementée? Cela est vrai en théorie mais la
pratique est qu'une grande partie de la raison d'être des règlements de zonage, de
constniction et de beaucoup d'autres règlements dans une municipalité a rapport avec la
beauté et l'harmonie des lieux. II est évidemment impossible de refuser une construction
dont l'architecture sera franchement laide si elle respecte tous les règlements applicables,
mais on ne peut ignorer que les règlements, dans la mesure de normes objectives, tentent
quand même de préserver la beauté et l'harmonie selon les tendances, idées et critères que
les autorités municipales ont jugé bon de retenir. Peut-être voudra-t-on aussi considérer les
manoeuvres de stationnement d'un tel camion dans un contexte de sécurité et le bruit de son
moteur quant à la tranquilité des voisins.
Il en sera de même en matière d'animaux où le conseil municipal voudra éviter
des situations de danger, de bniits ou de saleté.
Dans ce contexte, il ne nous est pas permis de considérer que l'esprit des
normes établies par les autorités municipales dans l'article 12- 1 du règlement 2 19 est ultra
vires et il n'est pas du ressort des tribunaux de s'immiscer dans l'appréciation de la justesse
et de la portée de ces normes si elles ne tombent pas dans l'excès du déraisonnable, de la
mauvaise foi et de l'abusivement discriminatoire. C'est le conseil municipal qui exerce sa
discrétion en la matière.
De plus, toute réglementation comme toute loi, ne couvre pas toutes les
situations parfaitement et il se trouvera toujours des cas où des nuisances survivront alors
que le règlement prohibera incidemment des activités ou des objets absolument non
nuisibles en soi. C'est là que nous retrouvons l'aspect de justice relative et imparfaite de la
loi: la justice de la loi n'est pas absolue et entraîne nécessairement des injustices dans
certains cas qu'elle n'aura pu ou mieux prévoir.
Dans l'affaire de CARDIN v. DRUMMONDVILLE (CITE DE) (IO), une
activité bien ordinaire comme celle de vendre des pommes de terre frites dans les nies ou
même sur les terrains privés dans des voitures, cuisines ou pavillons mobiles, a été admise
comme une nuisance.
Le jugement de Monsieur le juge Flynn dans l'affaire SAMBAULT c.
MERCIER (CORP. MUN. DE VILLE) (1 1) contient bien le passage suivant:
"Dans la présente affaire, le Tribunal ne croit pas que l'on puisse dire que le stationnement de véhicules-automobiles sur un terrain privé est en soi une nuisance. Ce qui pourrait peut-être l'être serait la présence de véhicules dont se dégageraient des odeurs tellement fortes qu'elle constituerait pour les citoyens des environs, plus qu'un agacement passager."
Mais il faut se souvenir des exigences déraisonnables que cherchait à imposer la
municipalité dans cette cause, à l'égard du nettoyage de camions et que ces camions
faisaient partie d'une exploitation commerciale permise et ne sauraient tomber sous le coup
d'une prohibition de les stationner à l'extérieur. Les mots "dans la présente affaire" utilisés
par le juge ne permettent pas de transposer la phrase dans le contexte des circonstances de
la cause qui nous occupe. Qui plus est, il laisse la porte ouverte dans le cas d'odeurs qui
s'en dégageraient. Dans notre cas, ce n'est pas l'intensité d'odeurs mais le nombre
d'animaux qui Iégitimise la prohibition.
Nous avons également tenu compte de la décision de la Cour d'appel dans
l'affaires SABLIERES LAURENTIENNES LTÉE c. STE-ADELE (VILLE DE) (12) où a
été reconnue la validité d'un règlement de nuisance qui réglementait les heures d'ouverture
des carrières pour en limiter le bruit à certaines périodes du jour.
Dans l'affaire ANCTIL v. COUR MUNICIPALE DE VILLE DE LA
POCATIERE (13), il s'agissait de l'installation d'un réservoir à i'huile qui était considéré
comme une nuisance au sens d'un règlement à cet effet. Le règlement a été mis à l'écart
sous cet aspect en ce qu'il touchait indirectement au zonage et constituait selon le juge
Gendreau une prohibition totale
"...sans distinction de lieu, de dimension, de capacité et de destination, c'est-à-dire, sans spécifier s'il s'agit des immenses réservoirs servant à emmagasiner l'huile destinée au commerce, ou de petites réserves à domicile pour fins de consommation domestique, ou des deux à la fois."
Encore une fois, l'article 12- 1 du règlement entrepris précise les situations
considérées nuisances et nous ne saurions faire reproche au règlement à première vue quant
au nombre sous réserve de notre étude de cet article qui suivra en fonction de son caractère
déraisonnable ou abusivement discriminatoire.
D'ailleurs, le Règlement sur les animaux en captivité que nous citions plus haut
règlemente lui aussi par le nombre en son article 6:
"Aucun permis n'est requis pour la garde en captivité, pour la capture dans le but de la garde en captivité et, le cas échéant, pour la disposition d'oeufs ou de têtards des amphibiens mentionnés à l'annexe 1 ou d'au plus dix animaux des espèces indigènes mentionnées à l'annexe 1 dont au plus deux nectures tachetées, deux ouaouarons, deux tritons verts, deux couleuvres rayées, un écureuil gris, un écureuil roux ou un tamia rayé."
Enfin, il faut également distinguer les faits de l'affaire BEACH c .
MUNICIPALITÉ DE PERKINS et autres (14) où M. le juge Chevalier a considéré ultra
vires la prohibition d'usage d'embarcations, entre autres sous l'aspect nuisance, et
s'exprimait comme suit:
"Or, une "nuisance" peut être l'existence même d'un objet, cela est évident: par exemple, des détritus nauséabonds ou des substances inflammables. D'autre part, ce caractère peut ne s'attacher qu'à l'usage que l'on fait d'une chose. Dans ce dernier cas, ce n'est pas l'existence même de l'objet qui constitue la nuisance, c'est l'abus que l'on en pratique et qui cause la nuisance.
Dans ce contexte, il n'y a personne qui puisse raisonnablement prétendre qu'un moteur hors-bord de 80 ou de 150 chevaux-vapeur est per se une nuisance. Ce qui le rend indésirable, c'est l'utilisation imprudente ou délictuelle que son possesseur en fait."
et encore
"Il apparaît donc que, dans la présente instance, la défenderesse a confondu les termes et a pris pour une nuisance l'objet au lieu de se rendre compte que, ce qui le rend nuisible, ce n'est pas son existence ni sa nature intrinsèque, mais bien l'abus que ses possesseurs en font, soit par la vitesse, soit par le bmit ou autrement."
Or, justement, dans la cause qui nous occupe, la situation que les autorités
municipales veulent prévenir, n'est pas tant la présence d'animaux domestiques mais bien
leur nombre. Sous cet aspect du nombre, on peut croire que la quantité d'animaux sera une
nuisance. Il suffit de penser à une meute de chiens ou à une multitude de chats ou
d'oiseaux chez notre voisin pour comprendre cette notion de nuisance. Il ne sera pas
suffisant de plaider que les chiens sont dressés à ne pas aboyer, que les chats sont gardés à
l'intérieur de la maison pour qu'ils ne traînent pas dans les environs ou que la volière est
recouverte jusqu'a une heure raisonnable du matin pour que les oiseaux ne chantent pas dès
l'aurore. II nous semble bien que le règlement dans son ensemble, contrairement à celui de
la cause précitée, vise bien ce qu'il veut réglementer et on ne saurait faire le reproche qu'il
agit indirectement. Incidemment, nous ne sommes pas certains que l'approche indirecte
d'une réglementation municipale soit un vice qui en affecte nécessairement la validité.
Le procureur de la défense a cité certaines décisions dont le jugement de la Cour
d'appel dans l'affaire DE ANGELIS c. RICHARD PAYETTE (1) mais il faut savoir qu'il
s'agissait d'une affaire civile où un citoyen recherchait une injonction contre son voisin
l'empêchant de continuer à garder des pigeons voyageurs. Les juges de la Cour d'appel
n'étaient pas saisis de i'application d'un règlement municipal et ont confirmé la
condamnation du voisin à des dommages mais ont refusé d'accorder une injonction. M. le
juge Bernier s'exprime ainsi à la page 4 de son opinion:
" Par ailleurs, je suis d'avis que les actes fautifs de De Angelis ne sont pas suffisamment graves, n'ont pas le caractère anormal exhorbitant requis pour justifier le remède draconien que comporterait une injonction mandatoire portant sur la façon d'entretenir les pigeonniers et le terrain et sur la surveillance à apporter aux pigeons à l'entraînement, ou pour prohiber qu'ils soient autrement laissés en liberté".
L'affaire de VILLE DE LAVAL c. ERWIN MAHiUNG (2) également citée par
la défense a donné lieu à l'acquittement d'un citoyen qui gardait des pigeons comme le
défendeur en la présente cause. Cependant, M. le juge Boilard s'est appuyé sur la
rédaction même du règlement qui donnait ouverture au droit de garder des pigeons
voyageurs dans la mesure où ils pouvaient être considérés à la fois comme des animaux
domestiques et des oiseaux en cage au sens du règlement qui permettait ces catégories
d'animaux.
M. le juge Delorme, dans l'affaire VILLE DE ST-CONSTANT c. CAMILLE
MENIER (3) citée par la défense, a considéré que la municipalité était compétente pour
édicter que la garde d'animaux non domestiques ou de volailles de basse-cour sont des
nuisances et si le défendeur a été acquitté dans cette cause, ce fut uniquement en raison du
fait que ses pigeons étant des animaux domestiques n'entraient pas dans la définition de la
nuisance au sens du règlement.
Dans l'affaire, VILLE DE LONGUEUIL c. RAYMOND DESJARDINS (4) également citée par la défense, M. le juge Simard a exclu par interprétation les pigeons
voyageurs du mot "pigeon" utilisé dans le règlement qui en faisait une nuisance parce que le
mot "pigeon" était accouplé au mot "goéland" et qu'ainsi, il ne devait s'agir que de pigeons
non domestiques. On ne peut inférer que le jugement aurait été le même si la définition du
mot "pigeon" avait couvert le cas des pigeons voyageurs considérés comme des animaux
domestiques.
Nous maintenons donc le principe que la municipalité dans certaines conditions
peut considérer qu'un certain nombre d'animaux puissent en soi être considérés comme une
nuisance. Nous verrons à la suite si les conditions édictées dans le règlement pourront être
considérées comme déraisonnables ou abusivement discriminatoire.
L m règlement
Nous les traiterons ensemble.
L'article 12- 1 du règlement 219 en cause prohibe absolument tous les animaux
dits sauvages et de ferme dans la mesure où ils ne seront pas considérés comme des
animaux domestiques au sens du texte, sauf quant aux exceptions indiquées à la fin de
l'article.
Sans doute qu'à propos des animaux sauvages, on dira que dans une ville située
dans un grand milieu urbain comme la Communauté urbaine de Montréal, un animal
sauvage constituera en soi un danger en raison de maladies qu'il peut véhiculer et des
agressions auxquelles il peut se livrer. Nous serions donc en présence d'une nuisance en
soi qui devrait être prohibée dans toute la municipalité, avec la réserve que le règlement n'a
pas prévu le cas des habitats zoologiques ou des cirques où l'on fait montre d'animaux
sauvages. Il n'a pas prévu les cas de petits animaux qui peuvent être gardés en captivité au
sens du Règlement sur la garde des animaux en captivité déjà cité ni évidemment le nouveau
Règlement sur les animaux en captivité également précité qui a été adopté après les faits de
la présente cause.
Quant aux animaux de ferme et plus particulièrement de basse-cour et en y
joignant les abeilles, le législateur municipal a été prudent en créant une exception pour les
fermiers. Cela nous amène à penser qu'un animal de ferme tel une vache ou une poule
pourra peut-être encore considéré comme une nuisance en soi partout ailleurs que sur une
ferme. Mais déjà, nous pouvons imaginer des cas où la notion de nuisance est moins
directement attachée à la chose ou à l'acte ou omission. Que penserons-nous d'une activité
sportive reliée au cheval tel un parc équestre ou l'entraînement des chevaux de parade qui
requiert ou ou ne se justifie que par un grand nombre de chevaux?
Enfin, à propos des animaux domestiques, la notion de nuisance en soi
s'atténue encore plus.
Qui sera justifié de décider ou de nier que plus de deux chiens, deux chats ou
deux oiseaux constitueront une nuisance. Nous avons déjà dit que le législateur municipal
jouissait d'une certaine discrétion en la matière et qu'il n'appartenait pas aux tribunaux de
s'immiscer dans l'appréciation de cette discrétion.
A propos des chiens, des chats et des oiseaux, nous avons déjà fait voir que le
nombre avait un lien suffisant avec la notion de nuisance pour que le conseil municipal soit
en droit de créer une nuisance par le nombre.
Mais se pourrait-il qu'incidemment, par injustice incidente dirions-nous, que la
prohibition par le nombre rejoigne des cas où manifestement nous serons en présence d'une
grande injustice à tel point qu'elle devienne un motif d'invalidité d'un règlement? Cette
grande injustice peut revêtir la forme d'une discrimination abusive. En effet, même si on
doit supporter que tout règlement emporte nécessairement une certaine discrimination, les
tribunaux ont dans le passé sanctionné la discrimination abusive. On se souvient de l'arrêt
classique en la matière où la Cour d'appel dans l'affaire PHANEUF c. CORPORATION D U VILLAGE DE ST-HUGUES (15) avait déclaré invalide un règlement municipal qui
obligeait à museler les chiens d'un certain poids et qui visait finalement les chiens du
demandeur.
Il est rappelé dans ce jugement qu'une distinction doit reposer sur des critères
raisonnables.
Dans le cas qui nous occupe, il est manifeste que le défendeur ne subit pas une
discrimination particulière par rapport à l'ensemble des citoyens de la municipalité. Le
conseil municipal s'est penché sur le problème des nuisances et a édicté une règle qui
s'applique à tous les citoyens sans distinction. Le maximum de deux animaux domestiques
pourra paraître manquer de libéralité dans certains cas particuliers mais on doit présumer
que les autorités municipales ont justement considéré ce maximum comme à la limite de ce
qui devait être toléré dans la municipalité.
De plus, il n'y a en la présente cause, aucune preuve de vengeance, de mauvaise
foi ou de harcèlement à l'égard du défendeur.
Là où il se produit une discrimination manifeste, c'est le fait qu'il est
impratiquable de ne garder que deux pigeons voyageurs. Le règlement revient donc à
prohiber totalement des pigeons voyageurs. La discrimination consiste dans l'interdiction
totale d'une activité légitime par rapport à d'autres activités légitimes permises.
Est-ce là une nonne déraisonnable au sens du sixième argument de la défense?
Elle est certainement très exigeante même si nous sommes en matière de nuisance où le
législateur municipal jouit d'une certaine discrétion.
Nous référons les parties à un jugement de M. le juge Jules Beauregard de la
Cour supérieure dans l'affaire BISTRO A RACLETTE INC. c. ST-SAUVEUR DES MONTS (CORP. MUN. DU VILLAGE DE) (16), dont le résumé se lit comme suit:
"Les conseillers municipaux ont un large pouvoir de déclarer ce qu'est une nuisance et les témoignages lors de l'audition ainsi qu'une pétition déposée en preuve justifient, dans l'intérêt public, la décision du conseil municipal d'interdire l'utilisation extérieure de haut-parleurs ou d'amplificateurs de son. En l'absence de preuve de vengeance, de mauvaise foi ou de pression, le Tribunal conclut que la défenderesse a agi dans le cadre de sa juridiction et, dans ces circonstances, les tribunaux ne sauraient intervenir dans l'exercice de la discrétion des conseils municipaux".
Nous nous demandons si la notion de prohibition totale vaudra toujours dans le
futur. En effet, le territoire des municipalités a été polyvalent jusqu'à nos jours en étant
apte à toutes les activités "légitimes". Mais dans le contexte d'une saturation de
développement, il se pourra fort bien que certaines activités deviennent inopportunes. Par
exemple, que penser des activités agricoles dans un territoire complètement urbanisé? On
pourra donc s'attendre à ce que de plus en plus, le législateur permette aux municipalités de
prohiber et non seulement de réglementer certaines activités. Cela est d'ailleurs déjà le cas
pour plusieurs activités.
II reste donc un aspect du règlement qu'il faut reconsidérer, soit le caractère de
l'article 12-1 à l'égard des pigeons voyageurs. Cette prohibition totale a été amplement
prouvée lors du procès.
Il est certain qu'en matière de zonage, une telle prohibition emporterait la nullité
du règlement à tout le moins à l'égard des pigeons voyageurs. Il en serait de même dans le
cas des exemples que nous donnions à propos d'un parc équestre ou l'entraînement de
chevaux de parade et même des exemples d'habitats zoologiques ou de cirques où on fait
montre d'animaux sauvages. Une réflexion plus poussée nous fournirait certainement
encore d'autres exemples. Que penser encore du cas bien hypothétique de nos jours, du
propriétaire qui désirerait élever des chiens pour la chasse à courre sur son temin?
D'autre part, il nous apparaît qu'un citoyen voulant exercer l'une ou l'autre des
activités données en exemple dont celle de pratiquer le "sport" des pigeons voyageurs, en
érigeant une bâtisse où des installations se trouveraient en position de force pour réclamer
un permis en prétendant que si l'activité est prohibée partout dans la municipalité, telle
prohibition sous l'aspect zonage ne saurait tenir. Le w qui nous occupe ne donne pas
ouverture non plus à une situation ou les autorités municipales auraient confiné l'activité
dans un territoire infime de la municipallité comme ce fut le cas dans l'affaire MONTRÉAL
(VILLE DE) c. ARCADE AMUSEMENTS INC. (1 7). En effet, la Cour suprême dans
cette affaire avait reconnu la validité d'un règlement de zonage qui prohibait les appareils
d'amusement en édictant que la restriction à une portion infime du territoire de la ville
n'équivaut pas à une prohibition.
Pourtant, nous ne sommes pas dans une affaire de zonage. Personne ne
contestera non plus qu'il puisse exister des nuisances justifiant une prohibition totale dans
tout le temtoire de la municipalité.
Mais force nous est de constater que la prohibition d'une activité légitime en soi
est prohibée sur tout le territoire de la municipalité sans .distinction. Les autorités
municipales aurajent pu édicter certaines conditions, certaines normes, certaines modalités.
Par exemple, le règlement pouvait permettre les pigeonniers dans une partie du territoire de
la municipalité et ce faisant, les autorités municipales pourraient d'une part faire en sorte
qu'elle demeure interdite en zone résidentielle et qu'elle ne vaille que dans une zone où
l'agriculture est permise ou à tout le moins, lorsque la grandeur du terrain le justifie. On se
souviendra que dans notre jugement précité (9) où le stationnement de camions de plus
d'une tonne était pmhibé, le règlement visait uniquement les zones résidentielles.
L'article 12-1 du règlement réfere d'ailleurs implicitement au zonage dans la
municipalité en créant des exceptions pour les fermiers, les hôpitaux, les cliniques
vétérinaires, les établissements destinés à la vente d'animaux et les chenils. A ce titre, nous
pourrions nous demander si un fermier aurait le droit d'avoir des pigeons-voyageurs dans le contexte du règlement en litige. Nous en doutons car le sport des piegeons-voyageum
n'a rien à voir avec les travaux de la ferme ni le statut de fermier. L'expression "fermiers"
utilisée dans le règlement est plus restreinte que celle d'une zone agricole au sens de la Loi
sur la protection du zonage agricole (L.R.Q. c. P-41.1) qui, en son article 98, stipule
incidemment une préséance sur toute réglementation incompatible. Cest pourquoi nous
distinguons le cas où un hangar à chevaux a été permis en zone résidentielle selon le
règlement municipal mais également comprise dans une zone agricole au sens de la Loi sur
la protection du territoire agricole, dans l'affaire STE-JEANNE-DE-PONT-ROUGE (MUNICIPALITÉ DE) c. MARTEL (18).
Cependant, nous référons les parties à I'affaire STONEHAN e t
JEWKESBURY (CORP. MUNICIPALE DES CANTONS UNIS DE) c. BUREAU (19)
où un règlement municipal de zonage édictait que les sablières sont considérées comme une
nuisance et sont prohibées sur tout le territoire de la municipalité. La Cour d'appel a
confirmé que l'article 113 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme n'a pas eu pour effet
de modifier l'état du droit qui ne permet pas à une municipalité de prohiber une exploitation
sur l'ensemble de son temtoire et qu'en conséquence, le règlement était nul.
Tenant compte de cette décision de la Cour d'appel, le jugement de la Cour
supérieure rendu le 19 juillet 1990 dans l'affaire VAL-DAVID (CORP. MUNICIPALE DE)
c. MALKA (20) ne devrait avoir autant de portée. Dans cette dernière affaire, l'exploitation
d'un centre d'équitation était interdit dans toutes les zones de la municipalité par le
règlement de zonage et cette prohibition totale avait été reconnue valable en invoquant
justement l'article 113 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme.
En effet, dans notre cas, malgré l'exception pour les "fermiers", la prohibition
demeure totale. Nous aurions pu opiner différemment si par exemple, le mot "fermiers"
avait été remplacé par un terme plus large.
Le règlement ne couvre pas cependant les exemples que nous donnions plus
haut. Une rédaction plus ouverte sur les activités permises dans les diverses zones de la
municipalité aurait empêché que l'article 12-1 du règlement ne devienne entièrement
prohibitif concemant le "sport" des pigeons voyageurs.
Même si la notion de prohibition totale n'attaque en principe que les règlements
de zonage et qu'elle n'a rien à voir avec la notion de nuisance, il reste que dans certains cas,
la prohibition totale deviendra un élément d'appréciation de son caractère de non
raisonnabilité ou de discrimination abusive.
En effet, il existe des nuisances en soi tellement évidentes qu'on ne saurait les
permettre dans quelqu'endroit de la municipalité. C'est dans ce contexte que les chiens "pit
buli" ont pu être considérés comme une nuisance en soi par M. le juge Hannan de la Cour
supérieure dans l'affaire MADRONERO c. LACHINE (VILLE DE) (2 1).
Cependant, le "sport" des pigeons voyageurs tombe dans la deuxième catégorie
de nuisances que nous décrivions, soit celles qui dépendent de l'usage qu'on fait de
certains objets, par la quantité d'objets, l'intensité du son, l'endroit ou le moment où l'acte
est posé ou non.
Le même traitement vaudrait pour toute autre activité légitime en soi mais qu'on
ne pourrait exercer n'importe quand ou n'importe comment.
Pour demeurer dans le domaine du sport, on pourra fort bien interdire le ski de
fonds dans les rues de la municipalité mais on ne saurait l'interdire partout, tel sur les
terrains privés; viennent ensuite les particularités des traverses sur les chemins publia et de
l'utilisation des parcs. Le tir au pigeon d'argile peut fort bien être interdit dans les zones
résidentielles, commerciales et industrielles mais ne devrait-il pas être permis en zone
agricole?
Les exemples ne manquent pas pour illustrer ce genre de situation.
Donc, moins la nuisance es sera une (perse), plus le règlement devra discerner,
distinguer, catégoriser. Nous sommes donc contraints de revenir au passage précité du
jugement de M. le juge Gendreau dans l'affaire ANCTIL v. COUR MUNICIPALE DE
VILLE DE LA POCATIERE (6 ) , en appliquant le reproche qu'il faisait au règlement en
cause de prohiber "sans distinction de lieu".
Une prohibition totale dans le contexte des pigeonniers sans distinction de lieu
devient une prohibition totale et donc déraisonnable et abusivement discriminatoire d'une
activité qu'on ne saurait qualifier de nuisance en soi indépendemment de la notion de lieu.
L'article 12-1 du règlement 219 en la présente cause mériterait des distinctions
additionnelles pour qu'il puisse s'appliquer aux pigeons voyageurs.
En attendant, nous le considérons nul en ce qui concerne les pigeons voyageurs
et nous refusons avec déférence d'appliquer le règlement au défendeur en la présente cause.
En conséquence, le défendeur est acquitté.
Rendu et signé à Pointe-Claire, le 14 juin 1993.
PIERRE MONDOR Juge municipal
- De Angelis c. Richard Payette, Cour Appel du Québec, jugement non publié du 18 février 1980,09-000406-781;
- Ville de Laval c. Erwin Mahring, Cour supérieure, jugement non publié du 5 décembre 1983;
- Ville de St-Constant c. Camille Menier, Cour municipale, jugement non publié du 21 octobre 1980, (444) 80-1965;
- Ville de Longueuil c. Raymond Desjardins, Cour municipale, jugement non publié du 28 août 1991,90-12231.
- Ville de Beauport c. Cayer, Cour supérieure, 1988-08-09, J.E. 88- 1262;
- Anctil v. Ville de la Pocatière (1973) C.S. 238
- Sarnbault c. Ville Mercier (1983) C.S. 147
- Fisette c. Ville de Beloeil et autres (1976) C.A. 628
- Ville de Pierrefonds c. Lisette Grégoire-Gagnon, C.M. Pierrefonds, 23 février 1993, no. Il-92A
- Cardin v. Dmmmondville (Cité de) (1974) C.S. 498
- décision déjà citée, page 15 1
- Sablières Laurentiennes Ltée. c. Ste-Adèle (Ville de), Cour d'appel, 1989- 10- 23, J.E. 89-1513;
- décision déjà citée, page 244;
- Beach c. Municipalité de Perkins (1975) C.S. 85
- Phaneuf c. Corporation du Village de St-Hugues (1936) 61 C.B.R. p. 83
(16) - Bistro à Raclette Inc. c. St-Sauveur-des-Monts (Corp. mun. de), Cour supérieure, (23 août 1983), J.E. 84-822
(17) - Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc., Cour supérieure, ( 24 avril 1985), J.E. 85-414
(18) - Ste-Jeanne-de-Pont-Rouge (Municipalité de) c. Martel, C.Q. Québec (1993-02- 04) J.E. 93-757;
(19) Stonehan et Jewkesbury (Corp. municipale des Cantons Unis de) c. Bureau, Cour d'appel, 1990-10-24, J.E. 90-1592;
(20) Val David (Corp. municipale de) c. Malka, Cour supérieure, 1990-07- 19, J.E. 90-1354;
(21) - Madronero c. Lachiie (Ville de), Cour supérieure, 1990-02-28, J.E. 90-771
JURISPRUDENCE CONSULTÉE
- Montreal West (Town of) c. Steinberg Inc., C.M. Montreal-West, (1992-01- 14), J.E. 92-514
- R.C. Sharma, C.S. Canada, (1993-02-05), J,E. 93-462
- R. c. Greenbaum, C.S. Canada, (1993-02-25) J.E. 93-463.
Recommended