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L’AFRIQUE, TERRE DES MISSIONS AUJOURD’HUI? POUR UNE ÉVANGÉLISATION CONTEXTUELLE
0. Introduction
La question de l’évangélisation du continent noir ne date pas seulement de nos jours, car
plusieurs protagonistes depuis l’histoire se sont engagés pour transmettre la Parole de Dieu aux
différents peuples africains et sortir pour ainsi dire ces derniers de la damnation éternelle.
Seulement, chaque équipe de protagonistes s’est engagée à trouver la façon d’imposer cette œuvre
d’évangélisation. Pour certains, l’Évangile devait être accompagné de la culture qui l’a accueilli en
premier lieu et sa transmission exigeait en même temps la transmission de la soi-disant culture1.
D’autres ont pensé que l’œuvre d’évangélisation voulait tout simplement dire œuvre de civilisation,
en appliquant le fameux binôme historique : « évangéliser et civiliser »2. Enfin, un troisième groupe
pensait que l’évangélisation devait être accompagnée d’une rencontre culturelle du peuple, lançant
ainsi le processus d’inculturation3. Toutefois, l’on ne saurait détourner notre attention actuelle sur la
façon nouvelle d’évangéliser l’Afrique, tenant compte des enjeux actuels qui sont, comme on peut
le voir, des vrais défis auxquels les peuples africains sont confrontés4 ; car bien qu’elle ne
s’identifie pas à la promotion humaine, l’évangélisation va de paire avec la libération de l’homme
dans tous les aspects de sa vie, elle suscite donc la promotion humaine5.
L’autre question concerne la mission dans l’Afrique actuelle. L’on doit donc se demander
si le continent africain reste encore à l’époque actuelle une terre des missions, c’est-à-dire un
continent qui n’a pas encore suffisamment reçu la première annonce selon la vision de l’ad gentes et
qui a encore besoin d’une implantation avec tous les organismes6. Ceci justifierait la présence
permanente des instituts missionnaires qui continuent à maintenir un rôle central dans la mission en
Afrique.
L’Évangile est le même parce que Jésus Christ reste le même hier, aujourd’hui et demain.
Seulement, la mission en soi ainsi que ses objectifs doivent connaître des changements par rapport
au temps, aux milieux et aux peuples. Ceci réclame une nouvelle évangélisation, c’est-à-dire
transmettre le même message mais dans des termes adaptés aux circonstances et selon une
perception contextuelle7.
1 Nous nous référons à la théorie de la plantatio ecclesiae avec comme protagonistes le jésuite belge Pierre Charles et
ses disciples. Cfr A.J. MAMBUENE YABU, La méthodologie missionnaire en Afrique. Etude des méthodes
missionnaires au Bas-Congo et Orientations, Mediaspaul, Kinshasa 2008, p. 67. 2 Nous pensons à la méthode catholique au Bas-Congo “Evangéliser et Civiliser”. Cfr. A.J. Mambuene Yabu, ibid.,
pp.37-40 3 Cette position embrasse pratiquement tout l’effort théologique actuel en Afrique avec différents auteurs et différentes
sensibilités. 4 On peut jeter un coup d’oeil dans l’oeuvre de L. SANTEDI KUNKUPU, Les défis de l’Évangélisation dans l’Afrique
contemporaine, Karthala, Paris 2005; J. PARÉ, Défis à la Mission du troisième millénaire, Bibliothèque nationale du
Québec, Québec 2002; A. PEELMAN, Les nouveaux défis de l’inculturation, Novalis, Ottawa 2007, etc... 5 A.J. MAMBUENE YABU, ibid., pp. 192-193
6 Nous nous référons à l’objet de la mission ainsi conçu par Pierre Charles comme “l’insertion de l’Église visible dans
ces pays dans lesquels il n’est pas encore existante avec tous les organismes nécessaires : hiérarchie et clergé local,
sacrements accessibles dans l’entière région, conditions économiques et matériels pour célébrer les sacrements, etc…
(cfr P. CHARLES, Missiologie, Vol. 1, Louvain 1939) 7 La terminologie “Nouvelle évangélisation” est de Jean-Paul II qui en utilise pour la première fois en Pologne et la
définit ainsi: “Il ne s’agit pas de refaire quelque chose qui a été mal fait ou qui n’a pas fonctionné...la nouvelle
évangélisation n’est pas un dédoublement de la première, n’est pas une simple répétition, mais c’est le courage d’oser
des sentiers nouveaux, devant les changements des conditions dans lesquels l’Église est appelée à vivre aujourd’hui
l’annonce de l’Évangile » ( Cfr SINODO DEI VESCOVI. XIIIa Assemblea Generale Ordinaria, La nuova
evangelizzazione per la trasmissione della fede cristiana. Lineamenta, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano
2011, n° 5
2
I. Mission et Évangélisation
I. 1. Du concept de la mission
« Mission » vient du verbe latin « mittere », c’est-à-dire envoyer : dans le sens direct,
l’acte d’envoyer une personne ou un groupe pour accomplir une fonction préétablie ; dans le sens
dérivé, il peut signifier soit la personne physique ou morale envoyée, soit l’objet de l’envoi, soit le
lieu où on est envoyé, soit le caractère ou le résultat de l’envoi. Le latin classique mittere
correspond au grec pémpein, désignant l’envoi en insistant sur la fonction à remplir, se distinguant
du grec apostéllein qui, tout en signifiant envoyer, met l’accent sur l’ordre de changement de lieu,
donc sur l’autorité de celui qui décide ou autorise le départ, qui donne l’ordre pour le voyage, plutôt
que sur la destination ou la fonction éventuelle à accomplir comme motif de changement de lieu.
Ainsi, dans le sens profane partant de l’étymologie et du sens classique avec le correspondant latin,
le terme Mission est de large application et se réfère à l’objet, à la destination de n’importe quel
envoi de personne physique ou morale pour réaliser une fonction préétablie, fonction qui revêt d’un
caractère important (exemple mission militaire, mission diplomatique)8.
Le langage chrétien au contraire utilise le terme Mission spécialement dans la théologie à
propos des missions divines du Fils et de l’Esprit, et aussi de la mission de l’Église en tant que
envoyée de façon solennelle par le Christ pour poursuivre son œuvre du salut rédempteur du monde.
En ce sens, l’Église est en tout missionnaire parce que chargée par Christ dans l’accomplissement
d’un tel mandat9. On parlera donc de «mission au singulier » et « des missions au pluriel ». La
« Mission au singulier » fait penser à la Missio Dei (mission de Dieu), c’est-à-dire l’intervention de
Dieu en faveur de toute l’humanité de tous les temps et du monde entier (AG 2) ; c’est l’auto
révélation de Dieu comme celui qui aime le monde ; c’est l’implication de Dieu dans le monde et
avec le monde, à laquelle l’Église a le privilège de pouvoir participer – comme sacrement et
instrument qui porte à la réalisation du plan du salut de Dieu entre tous les hommes. La Missio Dei
annonce la Bonne Nouvelle que Dieu est un Dieu -pour- les - hommes10
. Par contre, les « Missions
au pluriel » font penser aux entreprises spécifiques à travers lesquelles les hérauts de l’Évangile ont
été envoyés par l’Église dans le monde prêcher (évangéliser) et implanter l’Église au milieu des
peuples ou groupes qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ (AG 6) ; ce sont les missions
ecclésiales. C’est donc une référence à des formes particulières de participation à la Missio Dei, se
rapportant aux temps, aux lieux et aux nécessités spécifiques11
.
Dans le langage technique actuel, le terme Missions est d’usage ecclésiastique pour
désigner un travail précis de ministère et il a l’avantage de se donner à des dérivés intéressants :
missionnaire (adjectif), missionnaires (substantif), missions (stations ou régions). Toutefois, dans le
passé, l’on a évité toute ambiguïté distinguant les « missions extérieures » des « missions
paroissiales » pendant que Vatican II n’a repris que le terme de missions et activités
missionnaires12
.
I. 2. Du concept de l’évangélisation
Évangélisation est un terme récent né à l’intérieur de la littérature missionnaire protestante
parce que dans les temps anciens, tant à la période apostolique qu’à l’époque médiévale, pour
indiquer le devoir apostolique de l’Église on utilisait des termes comme: “enseigner les nations”,
“prêcher la Parole”, “annoncer l’Évangile”, “proclamer la Bonne Nouvelle”, “propager la Foi”,
8 André SEUMOIS, Corso di teologia sistematica. Teologia missionaria(12), EDB, Bologna 1993, p. 20.
9 Idem.
10 F.-A. OBORJI, Teologia della missione, p. 8.
11 Ibid., pp 8-9.
12 André SEUMOIS, ibid.,p. 22.
3
“procurer le salut”, etc...13
. Quant à son utilisation pour la première fois, d’aucuns pensent à A. Duff
qui avait lié profondément l’annonce de l’Évangile au devoir éducatif. Ce dernier au cours de son
voyage en 1854 en Amérique du Nord, soulignant l’urgence de la question missionnaire,
prononcera un discours dans lequel il soutiendra que « le point fondamental du commandement
divin pour l’évangélisation du monde est un enseignement fidèle et une annonce de l’authentique
Évangile du salut »14
. A partir de cette conférence, est né le terme évangélisation et sera utilisé dans
le langage de l’Église protestante dans le cadre missionnaire.
Le résultat de l’usage de la terminologie ainsi née était l’urgence du salut des païens,
l’urgence de l’annonce de l’Évangile à tous ; ainsi, l’évangélisation avait comme objectif : faire
connaître Jésus Christ dans le monde entier. A la conversion suivait donc le baptême et
l’organisation des Église indigènes autosuffisantes. « La valeur de ces premiers pas, dit Colzani,
consiste dans l’affirmation de la centralité du Christ et de son Évangile, mais on ne peut pas ne pas
cueillir aussitôt leurs limites : cette évangélisation manque de sens eschatologique, concentrée
comme elle est sur une histoire concrète qui, malheureusement analyse sans trop de réalisme une
donnée qui ne prend pas en compte la valeur des cultures et des religions indigènes »15
.
Pour Colzani donc, cette façon de voir favorise l’apport d’une civilisation occidentale et
ne peut réussir à dialoguer avec le nationalisme qui s’est présenté comme le vrai interlocuteur de
l’Occident, après la première guerre mondiale16
. Pour résoudre cette difficulté, A. Mc Leish passera
du terme évangélisation au terme « Évangélisme » en démontrant que l’évangélisation n’est ni
civilisation ni christianisation, et ne doit en aucun cas être lié tant au monde occidental qu’à
l’institution ecclésiale, mais elle consiste fondamentalement dans l’annonce de l’Évangile,
confirmée par le témoignage de vie de l’annonciateur. Cet intérêt au témoignage de l’évangélisateur
met l’attention sur les diverses configurations de leadership ecclésial et aide à redécouvrir la
multiplicité des ministères ecclésiaux dans les premières communautés chrétiennes, surtout le
ministère des évangélistes ; et on récupère ainsi la dimension charismatique de l’Église17
.
Quant au monde catholique, Colzani présente P.A. Liégé comme le premier à affronter ce
thème dans son article du 1956 publié dans la revue Catholicisme IV, Paris 1956, coll. 756-764,
intitulé Évangélisation. Le même Liégé parlera de l’évangélisation comme un thème récent qui
serait venu du monde protestant, et un thème dont la préoccupation naîtrait de la reconnaissance de
la diminution de la Foi dans la société d’ancienne chrétienté18
. Tandis que plus tard, D. Grasso en
1961, dans son article publié dans la revue « Gregorianum » proposera de réserver ce terme
évangélisation à la prédication missionnaire, c’est-à-dire à la première annonce du Christ à ceux qui
ne le connaissent pas encore, et qui dans les Écritures serait en fait le Kérygme. C’est en réalité,
conclut Colzani, le Concile Vatican II à imposer définitivement le terme évangélisation19
.
Ainsi, le terme évangélisation revêt plusieurs connotations, selon l’accent que l’un ou
l’autre auteur lui donne. Toutefois, l’on n’oubliera pas que Mission et Évangélisation sont liées
entre elles dans les objectifs à atteindre, de même que dans l’objet de leurs procédures, à savoir
« Annoncer Jésus-Christ et son Évangile aux peuples ».
III. La mission à ses origines et certains problèmes de contexte
III. 1. Les débuts de la Mission
13
G. COLZANI, “Evangelizzazione”, in G. CALABRES – P. GOYRET – O.F. PIAZZA (edd), Dizionario di
Ecclesiologia, Città Nuova, Roma 2010, p. 659. 14
A. DUFF, Proceedings of the Union Missionary Convention Held in New York. May 4th and 5th 1854, New York
1854, cité par G. COLZANI, ibid., p. 660. 15
G. COLZANI, ibid., p. 660. 16
Idem. 17
Cfr Ibid., p. 660. Il commente A. McLeish, Jesus Christ and the World Evangelization. Missionary Princiles :
Christ’s or ours, London 1934). 18
P.A. LIEGE, art.cit, cité par G.COLZANI, ibid., p. 661. 19
G. COLZANI, Ibid.
4
Les trois premiers siècles d’histoire ont été marqués par la présence des martyres et des
saints ; ces derniers rappelaient à l’Église que son rôle n’est pas de s’enfermer dans les richesses et
le pouvoir. Plus tard, au Moyen-âge, à travers la Mission dont les protagonistes furent les Moines,
l’Église a construit la civilisation de l’Europe moderne, apportant au peuple européen l’Amour du
Christ et l’attention à l’humanité. Avec la découverte de l’Afrique Noire et celle de l’Amérique,
vers 1500, l’activité missionnaire connut une grande diffusion dans l’Église catholique même si l’on
doit souligner la tragique histoire du colonialisme avec lequel l’Europe s’est imposée sur les autres
peuples. En 1622, la fondation de la congrégation de Propagande Fide a servi à la libération de
l’activité missionnaire de la tutelle politique. Il s’est formé la conviction de la mission en soi avec
sa forme juridico institutionnelle. Le monde était vu comme divisé en deux : d’une part le monde de
la chrétienté établie (le grand Corpus Christianorum) et d’autre part le territoire missionnaire (le
monde non chrétien)20
.
Avant le Concile, la pratique missionnaire était destinée pour les pays outre-mer et elle se
limitait à l’élévation matérielle des infidèles moyennant des institutions sociales, médicales,
scolaires sur des modèles européens. Mais avec la sortie du livre de deux prêtres français assistants
de la JOC (H. Daniel et Y. Odin), sous la sollicitation du Cardinal Emmanuel Suhard (Archevêque
de Paris), en 1943, la conception de la mission changeait de vision. Ce corpuscule sous le titre
« France, pays de mission ?» démontrait une faible pratique religieuse dans les quartiers de Paris et
affirmait par le fait même que la mission était également présente en Europe. L’avantage de cette
révolution était de libérer la mission des entraves coloniales pour l’introduire dans les réflexions
théologiques tenant compte des autres défis modernes21
. Cette révolution inspira trois théologiens
français : Henri de Lubac qui dans son livre traçait le chemin d’une théologie des religions,
soutenant que la destination naturelle de l’homme est la félicité22
; Yves Congar qui soutenait que
dans sa mission, l’Église doit toujours tenir compte du Règne qu’elle doit réaliser23
; Placide
Tempels qui traçait le chemin vers le grand défi de l’inculturation, soulignant la relation entre
l’Évangile et les éléments de la culture locale bantu24
. A côté de ces théologiens, l’on notera les
interventions des papes dans quatre encycliques missionnaires jusqu’au concile Vat. II25
, durant le
Concile avec le décret Ad Gentes, et après le Concile avec l’exhortation apostolique post synodale
Evangelii Nuntiandi de PAUL VI et l’encyclique Redemptoris Missio de JEAN-PAUL II26
.
Aujourd’hui plus que jamais, la mission dans sa pratique doit continuer à affronter les
grands défis du monde contemporain comme l’inculturation, le dialogue interreligieux, la libération
de la femme, l’esclavage, la promotion humaine, la globalisation, etc. Aujourd’hui, la mission doit
être conçue à partir de sa dimension théologique, partant de la relation de Dieu avec le monde. A ce
point, la mission part de la vocation théologique de chaque chrétien et personne n’y échappe27
.
Bon nombre de phénomènes religieux surgis surtout en Afrique, ont influencé la mission.
Tous ces phénomènes n’ont pas eu seulement un effet négatif mais aussi positif sur le
développement de l’activité missionnaire. L’abondance des missions religieuses et la floraison des
mouvements prophétiques depuis le 18è siècle, en Afrique en général et au Congo en particulier
sont la preuve tangible d’un sentiment religieux qui a enveloppé la mission ancienne. On notera que
l’objectif principal pour la plupart des mouvements prophétiques surgis au Congo par exemple était
la libération du peuple africain de l’emprise politique - religieuse étrangère, soit de revenir aux
valeurs africaines de foi vécue dans la liberté authentique. Malgré la forte pénétration du
Christianisme en Afrique au 15è-18è siècles et au 19è-20è siècles, on remarque également une
20
Cfr G. BUONO, Missiologia. Teologia e prassi, Paoline, Milano 2000, pp. 17-18. 21
Cfr Ibid., p. 18. 22
Cfr H. de LUBAC, Cattolicismo, Jaca Book, Milano 1979. 23
Cfr Y.M. CONGAR, Jalons pour une Théologie du laïcat, Cerf, Paris 1953. 24
Cfr P. TEMPELS, La philosophie bantoue, Présence africaine, Paris 1965. 25
BENOÎT XV, Maximum Illud, ; PIE XI, Rerum Ecclesiae,; PIE XII, Summi Pontificatus, et Evangelii praecones,;
JEAN XXIII, Princeps pastorum. 26
Cfr PAUl VI, Evangelii Nuntiandi ; JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio. 27
Cfr J.A. BARREDA, Missionologia. Studio introduttivo, Edizioni San Paolo, Milano 2003, p. 11.
5
naissance et une croissance des Églises indépendantes. Les raisons de cette naissance sont entre
autres le fait que l’Afrique en cette période était dotée des infrastructures modernes facilitant
grandement l’œuvre de l’évangélisation, malgré la domination du Noir par le Blanc. Ce
comportement de la part des colonisateurs provoqua une réaction de la part du peuple africain qui,
non seulement voulait se débarrasser politiquement du colonisateur, mais aussi religieusement,
c’est-à-dire développait le sentiment d’une incarnation plus profonde de la foi chrétienne dans la
personnalité africaine28
.
III. 2. Certains problèmes dans le contexte de la Mission
Selon Karl Mǖller, le plus grand problème à noter est celui de l’herméneutique. Ce dernier
se pose à trois dimensions, à savoir le rapport entre les Écritures et la mission, le rapport entre la
situation (géographie) et la mission, et enfin le rapport entre le témoin et le témoignage29
:
En ce qui concerne le rapport entre les Écritures et la mission, Karl Mǖller, citant Gerhard
Rosenkranz, trouve que la norme du jugement reste seulement « l’exégèse du témoignage biblique »
avec sa tension dialectique entre la connaissance scientifique et la connaissance de la clarté de Dieu
sur le visage de Jésus-Christ30
. Ainsi, on pense en un premier moment, selon la position bibliste,
que les affirmations scripturaires sont à mettre sur le même plan tant ceux de l’Ancien que ceux du
Nouveau Testament ; on partira donc du prophète Jonas à travers le rôle d’Israël comme « lumière
des païens » jusqu’à la mission des Apôtres31
. En un deuxième moment, on pense que la mission
chrétienne trouve son fondement seulement dans l’agir même de Dieu dans le Kérygme ; la mission
est donc seulement l’annonce du Kérygme et précisément l’annonce dans la forme paulinienne de la
justification du pêché qui constitue le nœud de l’Écriture. Ici, pour fonder la pratique missionnaire
on ne demande ni le renvoi à passages bibliques déterminés ni la référence à une évolution
salvifique - apocalyptique, ni même une particulière structure de la mission capable de s’occuper
continuellement de sa fondation spécifique. On pense donc que la mission doit être fondée partant
des deux positions précédentes mises ensemble : celle historique (celle de l’exégèse du témoignage
biblique) et celle actuelle (celle du kérygme paulinien), c'est-à-dire l’appel à l’histoire et la réponse
de la Foi. Ainsi, le témoignage de l’Écriture résulte l’élément constitutif de la mission autant pour la
manière que pour le contenu. On n’ira plus à chercher des simples passages bibliques pour fonder la
mission parce que ce sont les écrits du Nouveau testament qui constituent désormais le témoignage
missionnaire. L’écriture non seulement informe ou enseigne sur les possibles conceptions de la
mission, mais elle montre la proclamation missionnaire en application comme un événement qui
peut être séparé de l’Évangile. Aussi pour le contenu, la mission chrétienne trouve son fondement
dans l’annonce salvifique du Christ comme Sauveur des pécheurs du moment que cette annonce
implique l’appel de tous les hommes de tous les temps et de tous les continents, à prendre part à ce
salut ; non pas dans le sens que toutes ces possibles organisations de la mission seraient légitimées,
mais dans le sens que la mission chrétienne de tous les temps trouve son règlement critique dans le
témoignage de Foi de l’Écriture32
.
Quant au rapport entre la situation et la mission, l’accent est mis sur le contexte, sur
l’annonce et sur la théologie contextuelle. L’Évangile doit être annoncé tenant compte de la
situation historique, dans l’espace et dans le temps. Le monde et l’histoire deviennent donc
éléments constitutifs de l’annonce en tant que ouverture au futur eschatologique. L’annonce
chrétienne est ouverte sur le monde et sur l’histoire dans toute sa grandeur et variété, et ne peut être
emprisonné dans des normes et des valeurs d’un contexte déterminé33
. Dans la communication
28
Cfr J. BAUR, Storia del cristianesimo in Africa, EMI, Bologna 1997, pp. 9-11. 29
Cfr. K. MǕLLER, Teologia della missione. Una introduzione, EMI, Bologna 1991, pp. 32-40. 30
Cfr G. ROSENKRANZ, “Missionswisseschaft, Erbe und Auftrag”, in EMZ 25, 1968, p. 190, cité par K. MULLER,
ibid., p. 33. 31
Cfr Idem. 32
Cfr Idem., pp. 35-36. 33
Cfr K. MǕLLER, op. cit. pp, 36-37.
6
missionnaire qui est plus qu’une remise d’une annonce, il y a une double responsabilité
herméneutique : en un premier moment, expliquer autant l’identité de l’objet missionnaire que les
modalités caractéristiques du monde qui doivent tous les deux entrer en jeu avec la nouvelle
réponse que l’on attend de la nouvelle situation de communication. Tandis qu’en un deuxième
moment, la mission doit continuellement tenir sous contrôle critique son rayon d’action afin de
s’assurer qu’il est suffisamment ample pour rejoindre les diverses réalités culturelles, sociales ou
religieuses qu’elle a en face et pouvoir ainsi stimuler une réponse authentiquement nouvelle34
.
Dans le rapport entre le témoin et le témoignage, il s’agit de la parole objective du témoin.
Pour que cette parole arrive à destination, il faut l’intervention du témoin qui doit répondre de son
témoignage avec tout ce qu’il est et il a, y compris le contexte de la tradition d’où il vient. Le
problème de la crédibilité du témoin est un problème structurel de n’importe quelle annonce de
l’Évangile, un problème qui freine toute la chrétienté occidentale dans ses contacts avec les
hommes du Tiers Monde. Les exemples sont nombreux : demande d’un « monitorage » de la
mission occidentale de la part des Églises africaines aux années 70, problème de la solidarité avec
les pauvres et les marginalisés comme critère de la crédibilité du témoin35
.
Toutefois, à côté du problème herméneutique soulevé par Karl MǕLLER, il y a
également, à notre avis, le problème de la méthodologie et des stratégies missionnaires pour
l’annonce de la Bonne Nouvelle. Ce problème se présente sous une forme théologique, pratique et
pastorale. Toutefois, il recourt aux sciences parallèles qui étudient l’homme et son comportement
(psychologie, anthropologie, philosophie…), sans oublier la communication36
. On n’oubliera pas
également toutes les situations économiques, culturelles, politiques, légales qui règlent la vie de
l’homme à qui la Parole de Dieu est annoncée.
IV. La mission dans l’Ad Gentes, dans Evangelii Nuntiandi et dans la Redemptoris Missio
IV. 1. Ad Gentes
Les circonstances et le contexte de l’après guerre, avec toutes les transformations dans le
monde et dans l’Église, avec la récupération des cultures indigènes, obligeaient à repenser la
mission de l’Église et les missions à travers le monde37
. La mission devait être réorganisée sans plus
la lier à l’hégémonie occidentale mais en tenant compte des circonstances des peuples à qui
l’Évangile devait être annoncé. Ainsi donc, tout en tenant à l’unité et l’unicité de la mission, Ad
gentes souligne sa diversité d’opération selon les changements des lieux, des hommes et des
circonstances38
.
Dans l’histoire de la formation du décret39
, on note plusieurs interventions des Pères qui
peuvent se résumer dans un souci unique : proposer une nouvelle théologie missionnaire non plus
basée sur la distinction entre terres de mission et terres chrétiennes mais basée sur un sens universel
de la mission40
. Ainsi, l’idée de l’universalité de la mission vient prendre la place de l’idée de la
34
Cfr Ibid, pp, 37-38. 35
Cfr Ibid., pp. 38-40. 36
Cfr A.J MAMBUENE YABU, op. cit. 37
Cfr Y. CONGAR, “La Mission dans la théologie de l’Église”, in Repenser la Mission, Desclée de Brouwer, Bruges
1965, pp. 53-78 ; A. LAURENTIN – M.J. LE GUILLOU, « La mission comme thème ecclésiologique », in Concilium
2 (1966), pp. 75-116 et autres. 38
Cfr Ad Gentes n° 6 39
L’on peut voir l’histoire de la formation du décret Ad Gentes dans les suivants écrits : J. SCHÜTTE (éd.), Il destino
delle missioni. Il successo o il fallimento delle missioni dipende dal loro radicale ripensamento, Herder-Morcelliana,
Roma-Brescia 1969; G. COLZANI, “Storia e contenuti del Decreto “Ad Gentes””, in Convegno per il 40è Anniversario
del decreto “Ad Gentes”, Conférence à L’Università Urbaniana à Rome, s.d., Manuscrit.; “Disceptatio. 1-Schema
Propositionum de Activitate Missionari Ecclesiae”, in Acta synodalia Sacrosanti concilii oecumenici vaticani II, Vol.
III: periodus Termia, Pars VI: Congragationes Generales CXII-CXVIII, Typis Polyglottis Vaticanis, Città del Vaticano
1975, etc. 40
Cfr S. PAVENTI, “Iter dello schema ‘De activitate missionali Ecclesiae’”, in J. SCHUTTE (éd.), Il destino delle
missioni, p. 74.
7
conversion individuelle, c’est-à-dire tous sont appelés à être héritiers et participants à la promesse
en Jésus-Christ, à travers l’Évangile ; c’est pourquoi, le service apostolique de l’Église doit
continuer jusqu’à la fin du monde, jusqu’à la réalisation du dessein divin41
. Considérant donc
l’histoire humaine, on peut réunir tous les peuples au Christ, dans son Corps Mystique et entre
eux42
.
En effet, le décret conciliaire “de Missionibus” devenu après “Schema decreti de activitate
Missionali Ecclesiae”, approuvé le 7 décembre 1965 avec 2394 voix en faveur sur 5 seulement
contraires43
, avec le nom actuel de Ad Gentes, entraîne avec soi une longue histoire de son
élaboration présentée par Monseigneur Saverio Paventi qui était alors le secrétaire44
. On notera en
passant que le premier plan “de Missionibus”, qui devint “Schema Propositionum de Activitate
Missionali ecclesiae”, fut refusé par les Pères parce que ses propositiones mettaient l’accent sur
l’aspect pratique et juridique de la mission au lieu de faire une vraie théologie de la mission45
;
travail abattu dans le débat du 6 au 9 Novembre 1964 jusqu’à arriver au schéma final “Schema
decreti de Activitate Missionali ecclesiae”. Après tous ces interventions, on a conclu par les
modalités de “fonder la mission sur la volonté salvifique de Dieu et sur la seigneurie universelle du
Ressuscité, c’est-à-dire le Règne de Dieu et le salut du Christ (partant du préjugé selon lequel
qu’ils) sont déjà présents dans le monde, de façon cachée, avant le travail missionnaire. On a donc
donné une grande importance aux cultures des peuples dans un vraie et propre rencontre entre
l’Église et les cultures46
.
Au delà de ces interventions, des théologiens en la personne de Josef Ratzinger et Yves
Congar ont cherché à traiter de la mission en rapport avec la constitution “De Ecclesia”, c’est-à-dire
Lumen Gentium47
et ont démontré que la mission est l’essence de l’Église, sa croissance vitale non
seulement dans le sens numérique mais aussi dans le sens de la dilatation du Corps Mystique du
Christ48
. Cette vision renvoie à considérer la mission pour tout le peuple de Dieu et non pas
seulement pour les missionnaires, c’est-à-dire que la mission prend une vision universelle et ne
s’arrête pas à un principe particulier. Dans son intervention, J. Ratzinger concrétise le désir d’un
traité théologique de la mission, capable de répondre aux nouveaux problèmes de notre époque,
renvoyant tous les problèmes de la mission à la constitution dogmatique Lumen Gentium (n. 13 et
17)49
. Pour ce théologien donc, l’approche à l’Ad Gentes doit se référer aux numéros 13 et 17 de la
Lumen Gentium, parce que ces numéros lient d’une part la Catholicité à la Révélation personnelle
de Dieu dans l’envoie de son Fils, héritier de toutes les choses et de l’Esprit Saint, principe de
communion et d’unité50
, d’autre part ils lient la Création à l’Eschatologie à travers l’action
rédemptrice et réconciliatrice du Christ. Voilà pourquoi l’être de l’humanité sous l’autorité
41
Cfr Intervention du Cardinal BEA in Acta synodalia Sacrosanti concilii oecumenici Vaticani II, Vol III, cit., 367 42
Cfr Acta synodalia Sacrosanti concilii oecumenici Vaticani II, cit., 363 43
Cfr S. PAVENTI, “Iter dello schema ‘De activitate missionali Ecclesiae’”, in J.SCHUTTE (éd), Il destino delle
missioni. Il successo o il fallimento delle missioni dal loro radicale ripensamento, Herder-Morcelliana, Roma-Brescia
1969, p. 85. 44
Cfr S. PAVENTI, ibid., pp. 56-90. 45
On peut lire les interventions des Pères dans le volume “Patrum Orationes”, in Acta synodalia Sacrosanti concilii
oecumenici Vaticani II, vol. III, pp. 357-369. 374-421. 428-445. 471-655. 46
Cfr Intervention de Mgr. P. MOORS ( Vescovo olandese), in Acta synodalia Sacrosanti concilii oecumenici Vaticani
II, Vol. III, cit., p. 400. 47
Les Pères avaient pensé présenter un schéma avec fondement théologique suffisant, c’est-à-dire lié à la constitution
dogmatique sur l’Église et pensaient la mission de l’Église en rapport avec le désir de Dieu le Père, avec la mission du
Fils et de l’esprit Saint, comme le pensait la Lumen Gentium. Cfr S. PAVENTI (pag. 73) et S. MAZZOLINI, La chiesa
è essenzialmente missionaria. Il rapporto “natura della chiesa” – “misione della chiesa” nell’Iter della costituzione de
ecclesia (1959-1964), Editrice Pontificia Università Gregoriana, Roma 1999. 48
Cfr Acta synodalia sacrosanti concili oecumenici Vaticani II, Vol. IV; periodus Quarta: Pars III: Congregationes
Generales CXXXVIII – CXLV, Typis Polyglottis Vaticanis, Città del Vaticano 1977, 700 49
Cfr J. RATZINGER, “Le Dichiarazioni sulla missione negli altri testi conciliari”, in J. SCHUTTE (ed), Il destino
delle missioni, pp. 24-37. 50
Cfr Lumen Gentium, n° 13.
8
salvatrice du Christ Seigneur51
est fondement de la Catholicité de l’Église et c’est ce qui met tous les
peuples en communion les uns aux autres. Du principe eschatologique de l’Église selon lequel,
bien que vivant dans ce monde n’est pas de ce monde parce qu’elle tend à sa réalisation définitive à
la fin des temps, ressort la mission comme réalisation de la Catholicité de l’Église52
. Par contre, le
mandat missionnaire trouve son fondement dans le Christ, envoyé du Père. La mission devient donc
actualisation dans le monde et dans l’histoire de la volonté salvifique de Dieu ; tandis que le rôle de
l’Église devient seulement instrument de l’Esprit Saint qui la sollicite de l’intérieur pour la rendre
disponible à l’accomplissement de cette œuvre53
.
Bien que fondé sur la Lumen Gentium, comme démontré ci haut, Ad Gentes s’exprime
dans des principes doctrinaux propres développés dans ses six chapitres54
. Ad Gentes utilise plus
l’expression activité missionnaire, comme synonyme de missions en tant que l’ensemble des
devoirs de l’Église55
, que mission. Cette mission continue par contre même après la fondation de
l’Église dans les milieux d’incrédulité et d’ignorance du mystère du christ et dans les Églises
d’ancienne tradition, où “l’Église est en phase de régression et de faiblesse”56
. Nous trouvons donc
dans le décret une terminologie qui indique toute la mission que l’Église a reçue du Christ (Missio
Ecclesiae), en même temps que toute l’activité missionnaire de l’Église tournée vers les genti, c’est-
à-dire les groupes non chrétiens qui n’ont pas encore été rejoints par l’annonce de l’Évangile et où
l’Église ne s’exprime pas encore en plénitude (activitas missionalis)57
.
Pour les Pères conciliaires, l’activité missionnaire de l’Église doit être posée dans un
contexte théologique et soit orientée à la mission de l’Église en général. Ceci fut fait dans les 5
premiers chapitres de Ad Gentes. L’Église, envoyée de Dieu aux peuples comme « sacrement
universel du salut » (AG 1 ; LG 48), en raison de sa catholicité interne et obéissant à l’ordre de son
fondateur, a le devoir de prêcher l’Évangile à tous les hommes. Elle est pour cela « missionnaire »,
c'est-à-dire « en marche comme envoyée », en tant que son origine dérive de la mission du fils et de
la mission de l’Esprit saint. A l’origine, il y a la « source de l’Amour » du Père dans lequel se
fondent autant les « processions inter trinitaires » (processiones) que les « missions » (missiones).
Dans la volonté d’Amour du Père se fondent la création, l’appel à la participation à la vie divine, la
réunification des fils de Dieu dispersés dans un peuple. Dieu a toujours été présent dans le monde,
mais il est entré de façon nouvelle et définitive dans l’histoire des hommes à travers l’incarnation du
Verbe, Jésus-Christ, qui a été envoyé dans le monde, comme héritier de l’univers et vrai médiateur
entre Dieu et les hommes. Ce fut lui le Christ Seigneur à envoyer de la part du Père l’Esprit Saint,
afin qu’il opère, de l’intérieur, l’œuvre du salut et contraigne l’Église à se répandre. L’Église fondée
par Christ est sacrement du salut et a reçu le devoir de faire des tous les peuples des disciples58
.
Le décret parle explicitement de « mission » et des « missions » à partir du numéro 6. Pour
Ad Gentes, « mission » signifie l’activité missionnaire de l’Église. Les « missions » sont définies
comme « les initiatives spéciales avec lesquelles les annonciateurs de l’Évangile envoyés par
l’Église, allant dans le monde entier, accomplissent le devoir de prêcher l’Évangile et d’implanter
l’Église au milieu des peuples et des groupes qui ne croient pas encore en Christ »59
.
La finalité ou objectif final de l’activité missionnaire est l’ « évangélisation et
l’implantation de l’Église chez les peuples et groupes dans lesquels elle n’a pas encore mis ses
racines ». De cette façon, le Concile évite de prendre position pour l’école de Münster ou pour
l’école de Louvain. Pour Y. Congar, expliquant la définition du Concile, « l’implantation de
l’Église n’est pas à interpréter dans le sens purement juridique. Il s’agit de l’implantation du peuple
51
Cfr Idem. 52
Cfr Idem. 53
Cfr J. RATZINGER, Ibid., p. 36. 54
Cfr Y. CONGAR, “Principi dottrinali”, in J. SCHUTTE ( ed), pp. 151-192. 55
Cfr Ad Gentes, n° 9. 56
Cfr Ibid, n° 19. 57
Cfr G. BUONO, Missiologia. Teologia e prassi, Paoline, Milano 2000, pp. 56-57. 58
Cfr Ad Gentes, n° 1-5. 59
Ad Gentes, n° 6.
9
de Dieu qui se constitue initialement à partir de la Foi et pour cela à travers la prédication »60
. Ici
l’Église ne peut être entendue comme institution dans ses délimitations géographiques, de façon
exclusivement juridico hiérarchique ou comme fin ultime. Elle doit être entendue dans le sens à
partir duquel en parle le n° 6 du décret où on dit que l’Église « répand la Foi qui sauve, perfectionne
l’unité catholique en l’élargissant ». Le même n° 6 de l’Ad Gentes parle aussi des diverses situations
que rencontre la Missio Ecclesiae et spécifie les champs de l’activité missionnaire. Ad gentes
assume comme guide une conception trinitaire et eschatologique de la mission et voit l’histoire de
Jésus comme critère intérieur de la mission.
Ad gentes utilise plus l’expression activité missionnaire, comme synonyme des missions et
de l’ensemble des devoirs de l’Église, au lieu de « mission »61
. Toujours dans l’Ad Gentes, on
précise que la mission continue même après la fondation de l’Église dans les milieux incrédules et
d’ignorance du mystère du Christ et dans les Églises d’ancienne tradition où « l’Église est en phase
de régression et de faiblesse »62
. Donc, pour le concile, mission indique « toute la mission que
l’Église a reçu du Christ », Missio Ecclesiae et « toute l’activité missionnaire de l’Église tournée
vers les païens (groupes des non chrétiens qui n’ont pas encore été rejoints par l’annonce de
l’Évangile et où l’Église ne s’exprime pas encore en plénitude), Activitas missionalis63
.
IV. 2. Evangelii Nuntiandi
Vu que l’Ad Gentes a été préparé trop rapidement et qu’il n’a fait que trouver un
compromis entre les deux écoles existantes64
, n’ayant pas abordé de manière concrète le problème
du rapport avec le monde, l’Exhortation vient donner une image diverse et précise de la mission.
Elle introduit des nouvelles et des précieuses précisions.
Du Concile, Evangelii Nuntiandi renonce au concept géographique de la mission ;
souligne que même les jeunes Églises doivent être considérées comme partenaire; indique
clairement que le développement, la paix, la liberté, la libération sont des valeurs authentiques de la
Bible et en tant que telles elles concernent aussi la mission ; répète avec le Concile que même dans
les religions non chrétiennes il y a des éléments qui préparent au salut ; clarifie que la mission
concerne certainement l’individu, mais que ce dernier doit toujours être rencontré dans son
environnement, dans sa culture et dans sa communauté concrète ; attire l’attention sur le fait que la
mission n’existe pas seulement en Asie et en Afrique, mais que également en Europe et dans les
deux Amériques se sont créés des situations qui méritent d’être considérées comme situations de
mission ; recommande le pluralisme en théologie et le dialogue avec les religions65
.
Dans Evangelii Nuntiandi, le terme mission se réfère souvent à Jésus et à l’Église. Ici, la
mission est entendue comme synonyme de l’évangélisation ou bien comme mission de
l’évangélisation et mission évangélisatrice, exprimant la dimension essentielle de la mission dans
ses différents devoirs et services, mais toujours dans l’unité de sa réalité66
. La mission est exprimée
comme fonction essentielle de l’Église, comme expression de sa nature missionnaire. La mission
précède la fondation de l’Église et l’Église est fondée par Jésus pour être signe eschatologique du
Règne de Dieu, « parce que seul le Règne de Dieu est absolu et rend relatif chaque chose »67
.
IV. 3. Redemptoris Missio
Au cours du 25è anniversaire du décret conciliaire Ad Gentes et le quinzième anniversaire
de l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, Jean-Paul II publiait l’encyclique Redemptoris
Missio, le 7 décembre 1990, sur la valeur permanente du précepte missionnaire, mais présentée au
60
Y. CONGAR, « Theologische Grundlegung », in SCHUTTE J, (ed), Mission nach dem Konzil, Mainz 1967, p. 156. 61
Cfr Ad Gentes, n° 9. 62
Cfr Idem. 63
Cfr G. BUONO, Missiologia, p. 57. 64
Celle de MǕNSTER et celle de Louvain. 65
Cfr K. MǕLLER, Teologia della missione, pp. 65-66 66
Cfr PAUL VI, Evangelii Nuntiandi, n° 6, 14, 15, 19, 66, 75. 67
Cfr PAUL VI, Evangelii Nuntiandi, n° 8.
10
public seulement le 22 janvier 199168
. Selon Jean-Paul II « la mission du Christ Rédempteur,
confiée à l’Église, est encore bien loin de son achèvement »69
. L’encyclique veut revendiquer,
devant les doutes des années 1980, la validité du mandat missionnaire au peuple70
dont le précepte
missionnaire trouve également un appui chez Saint Paul71
.
L’intention de l’encyclique est d’ « inviter l’Église à renouveler son engagement
missionnaire »72
. Ainsi, le premier interlocuteur de l’encyclique devient le monde chrétien, le
monde ecclésial d’abord73
. Jean-Paul II entend ainsi poursuivre l’enseignement de ses prédécesseurs
à ce sujet74
.
Les questions traitées dans la Redemptoris Missio peuvent être classées sous trois groupes:
un premier groupe traite des questions concernant la compréhension de la mission Ad gentes dans
l’Église, sa signification et ses implications ; un deuxième groupe traite des questions concernant
les matières doctrinales, c’est à dire les contenus christologiques de la centralité de l’œuvre
rédemptrice du Christ dans la mission et l’indissoluble unité de Jésus de Nazareth et du Verbe,
unique sauveur du genre humain ; les contenus ecclésiologiques comme la relation entre l’Église et
le Règne de Dieu et la nécessité de l’Église sur le plan du salut ; les contenus missiologiques
comme le sens de l’annonce, du dialogue, de l’inculturation et des autres dimensions de
l’activité missionnaire ; et un troisième groupe étudie des questions relatives à des attitudes
contraires à la mission75
.
Redemptoris Missio consacre trois chapitres entiers aux fondements dogmatiques de
l’activité missionnaire, à savoir Jésus-Christ unique sauveur, le Royaume de Dieu et l’Esprit Saint
comme protagoniste de la mission76
. Pendant que l’Ad Gentes par de la Trinité, la Redemptoris
Missio part du Christ sauveur ; présente la centralité du Christ en tant que sauveur, médiateur qui
unit Dieu à l’homme ; ainsi, la mission du Rédempteur fonde et légitime la mission de l’Église, liant
l’œuvre de la rédemption au Règne, montrant comment la mission accueille et accomplit de façon
singulière les instances humaines, pendant que l’Esprit Saint indique la force que rend possible le
caractère universel et la puissance transformatrice de la mission77
. La Redemptoris Missio, tout en
affirmant avec force, l’Unicité de la Médiation du Christ, souligne qu’il y a des médiations
participées dont les religions. Le salut vient toujours du Christ « per Ecclesiam » mais il passe aussi
dans les autres religions. Il affirme donc que le dialogue interreligieux fait partie de l’évangélisation
et ne contredit pas la mission ad Gentes78
.
Dans la Redemptoris Missio le terme mission dépasse les schémas traditionnels liés aux
frontières géographiques et juridiques pour atteindre des nouvelles réalités de caractère religieux,
social, culturel. Le Pape parlera de Missio ad gentes et d’activité missionnaire79
. La mission se
réfère au rôle que l’Église joue non seulement dans les territoires de mission, mais aussi dans les
68
Cfr J. TOMKO, « A dieci anni dalla Redemptoris Missio. Discorso di apertura del simposio”, in
CONGREGAZIONE PER L’EVANGELIZZAZIONE DEI POPOLI, A dieci anni dall’encicica Redemptoris Missino,
Urbaniana University Press, Roma 2001, p. 9. 69
Cfr JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio, n° 1. 70
Cfr M. FINI, « L’Evangelii Nuntiandi e la redemptoris Missio », p. 255. 71
Cfr I Co 9, 16. 72
Cfr JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio, n° 2. 73
Cfr G. COLZANI, « L’encyclique « Redemptoris Missio » al cuore del ministero della Chiesa”, in Rivista del clero
italiano 72 (Milano 1991), pp. 418-419. L’auteur interprète le n. 86 de la Redemptoris Missio. 74
Ses prédécesseurs et leurs documents: BENOIT XV, Maximum illud ; PIE XI, Rerum Ecclesiae ; PIE XII,
Evangeliipraecones ; Fidei donum ; JEAN XXIII, Princeps Pastorum. 75
Cfr R.J. SCHREITER, “Redemptoris Missio nello sviluppo del pensiero missiologico”, in CONGREGAZIONE PER
L’EVANGELIZZAZIONE DIE POPOLI, A dieci anni dall’enciclica Redemptoris Missio, Urbaniana University Press,
Roma 2001, pp. 34-35. 76
Cfr P. TIHON, “Retour aux missions?”, in NRT 114/1 (1992) 73. L’on peut également lire l’unicité du salut en Jésus-
Christ chez J. LEVESQUE, « Jésus-Christ, l’unique sauveur », in Mission de l’Église 91 (1991) et aussi in DC n° 2022
(1991), pp. 152-191. 77
Cfr G. COLZANI, loc. cit., p. 421. 78
Cfr M. FINI, loc. cit. Se réfère aux n° 55-57 de l’Encyclique et au n° 53 de l’Evangelii Nuntiandi. 79
Cfr Rm 2, 3, 7, 21, 31, 34, 37.
11
cités modernes qui deviennent lieux privilégiés de la mission ad gentes à cause des modes de vie en
contradiction avec l’Évangile.
V. La mission dans le continent africain aujourd’hui.
Peut-on penser l’évangélisation de l’Afrique aujourd’hui dans l’application des mêmes
méthodes missionnaires d’alors ou faut-il chercher à présenter la question différemment? Beaucoup
d’ouvrages suggèrent à nos jours « une nouvelle Évangélisation »80
; c’est même le thème de la
treizième assemblée générale ordinaire du Synode des Évêques de Novembre 201281
. Il s’agit en
fait de proposer une évangélisation contextuelle qui part des critères adéquats.
En effet, l’Afrique ne peut nier son statut de terre de mission aussi longtemps que les
connotations du terme « mission » engagent encore l’Afrique d’aujourd’hui. La conception de la
mission ad gentes est renforcée par les arguments de l’Evangelii Nuntiandi et de la Redemptoris
Missio. Ainsi, la mission en Afrique est encore actuelle car plusieurs défis sont d’actualité à tel
point que le terrain est encore assez fructueux pour faire la mission dans ce continent. La question
fondamentale ne consiste plus à lier la mission aux œuvres missionnaires dont les protagonistes
malheureusement risquent de concevoir la mission aujourd’hui toujours avec des schémas anciens
de domination ; la mission en Afrique dépasse la simple question de la présence des missionnaires
étrangers ou autochtones de quelques instituts religieux, qui au détriment des agents pastoraux
locaux semblent vivre dans la nostalgie des temps anciens avec le sentiment d’occuper les postes
hiérarchiques de commandement, etc…
A notre avis, la mission africaine entre dans l’œuvre évangélisatrice de cette Afrique
assoiffée de compréhension du vrai Dieu en Jésus-Christ, assoiffée de vivre dans une Église
participative, assoiffée de célébrer Dieu dans une liturgie adaptée et vécue au plus profond de la
culture, assoiffée de libération devant toute forme d’injustices, assoiffée de dignité, etc…
Nous pensons donc à deux pistes intéressantes, au-delà de toutes les réflexions valides
actuellement autour de l’évangélisation en Afrique: la première est celle christologique et la
deuxième est celle ecclésiologique.
V. 1. La christologie du Christ – Ancêtre
A ce propos, les écrits de certains théologiens africains nous montrent qu’il est possible
d’utiliser le modèle ancestral pour une lecture africaine du mystère du Christ, de l’Église, de la
morale chrétienne, de la spiritualité et de la liturgie82
. Pour ces théologiens africains donc, le rôle
médiateur des ancêtres africains peut servir comme base pour l’incarnation de certains aspects de la
Foi chrétienne dans le continent. Ce rôle est indispensable pour l’annonce de Jésus-Christ comme
Rédempteur des hommes, Unique sauveur de l’humanité entière, centre de l’univers et de l’histoire,
80
On peut lire les travaux de: Kă MANA, La nouvelle évangélisation en Afrique, Karthala-Clé, Paris-Yaoundé 2000 ;
D.J. BOSCH, La transformazione della missione. Mutamenti di paradigma in missiologia, Queriniana, Brescia 2000 ;
K. BLASER (ed), Repères pour la mission chrétienne. Cinq siècles de tradition missionnaire. Perspectives
œcuméniques, Cerf – Labor et Fides, Paris-Genève 2000 ; J. PIROTTE (dir.), Résistances à l’évangélisation.
Interprétations historiques et enjeux théologiques, Karthala, Paris 2004 ; L. SANTEDI KINKUPU, Les défis de
l’évangélisation dans l’Afrique contemporaine, Karthala, Paris 2005 ; F. ANEKW OBORJI, La teologia africana e
l’evangelizzazione, Leberit, Roma 1999 ; M. SAINT-PIERRE, Chiesa in crescita. I fondamenti della nuova
evangelizzazione, Paoline, Milano 2011 (titre original : Les fondements bibliques de la croissance. Au service de la
nouvelle évangélisation) ; etc…. 81
La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne, Lineamenta, Libreria Editrice Vaticane 2011 82
Voir les écrits de deux théologiens africains: - C. NYAMITI, Christ As Our Ancestor : Christology from an African
Perspective, Mambo Press, Gweru, Harare 1984 ; - IDEM, « African Christologies Today », in R. J. SCHREITER ( ed),
Faces of Jesus in Africa, SCM Press, London 1992, pp. 3-23 ; - IDEM, « Contemporary African Christologies :
Assessment and Practical Suggestions », in R. GIBELLINI (ed), Paths of African Theology, SCM Press, London 1994,
62-77; B. BUJO, African Theology in Its Social Context, Orbis Books, Maryknoll, New York 1992; - IDEM, “A
christocentric ethic for black Africa”, in Theology Digest 2 (1982) 30; etc.
12
Unique révélateur et Unique médiateur entre Dieu et les hommes83
. Ainsi, l’espérance dans
l’événement pascal, événement de libération spirituelle et physique de l’homme sous l’emprise du
péché et de la colonisation de tout genre doit devenir le Credo africain. La question sera donc celle
de savoir « qui est Jésus-Christ » pour l’africain84
; une figure donc non étrangère aux recherches
religieuses traditionnelles et à la croyance aux ancêtres85
. Jésus-Christ prend donc des titres
ancestraux de la culture africaine, Celui sur qui la vie entière du chrétien africain trouve sens86
. Ce
Christ est le libérateur de son peuple, en rapport aux faits accomplis jadis en Israël ; Il est en
continuité avec les différentes libérations dans les Religions Traditionnelles Africaines87
et par
rapport aux problématiques de la pauvreté, de l’injustice, de la maladie.
La christologie du Christ - ancêtre propose de compter Jésus parmi les figures africaines
sans pourtant le confondre à elles. Il ne faudrait pas oublier que cette christologie trouve un certain
antécédent dans la christologie paulinienne de Jésus selon Adam et dans le mémorial rédempteur et
narratif qui fait partie de la théologie de l’Exode. Malgré cette précision, l’on doit savoir que la
qualité théologique de l’ancêtre n’est pas très claire ; encore moins clair si on accepte l’observation
de NYAMITI qui dit que « il n’existe aucun système uniforme de croyances aux ancêtres dans
l’Afrique noire »88
. En effet, au-delà de la terminologie utilisée – certains parlent des esprits,
d’autres parlent des ancêtres, MBITI parle des « morts vivants » - la qualité théologique de ces
figures a été l’objet des divers débats89
. On retiendra toutefois l’actuelle convergence sur le fait
que ces ancêtres sont témoins de la faveur de Dieu, gardiens de la tradition, garants et
exemples de la vie communautaire, participants réels bien qu’invisibles de la vie de la
communauté90
. NYAMITI, parlant de la condition d’ancêtre, présente plusieurs choses : lien naturel
entre l’ancêtre et ses descendants, nouvelle et plus haute condition de vie dans laquelle le vieux entre
à partir de sa mort, capacité de favoriser la communication avec le mystère du sacré qui apparaît liée
à un culte ancestral qui est ainsi revitalisé, exemplarité qui fait de l’ancêtre un modèle de
comportement91
.
Le soubassement de la christologie du Christ - ancêtre est la conviction africaine selon
laquelle « l’homme ne doit pas, ou ne peut pas, s’adresser personnellement ou directement à Dieu
mais il doit le faire en passant à travers des personnes particulières ou d’autres êtres »92
. S’il y a des
intermédiaires humains, il y a surtout des intermédiaires « spirituels » qui trouvent leur place dans
une conception de l’univers dans lequel « le monde invisible est de quelque manière au-dessus de
celui de l’homme mais Dieu se trouve encore plus au-dessus »93
. Le thème du Christ-ancêtre est
probablement la plus importante catégorie de la christologie africaine. En effet, comme les
catégories utilisées dans l’Église primitive dépendaient du judaïsme, c’est-à-dire de la culture dans
83
Cfr A. AMATO, “Missione cristiana e centralità di Gesù Cristo…”, 13. L’auteur se réfère aux documents suivants:
RMi 44-45; RMi 4, 11; Redemptor Hominis 1; At 4, 12; 1 Cor 8,5-6 ; 1 Tm 2, 5-6 ; Gv 3, 16-17 ; RMi 5 ; Gv 1, 9 ; Gv
7, 12 ; Eb 1, 1-2 ; etc. 84
Cfr R. LUNEAU, « Et vous que dites-vous de Jésus-Christ ? », in F.K. LUMBALA et al. (ed.), Chemins de la
christologie africaine, Desclée, Paris 1986, p. 21. 85
Cfr P. KALILOMBE, « The Salvific Value of African Religions », in G.H. ANDERSON - T.F. STRANSKY (ed.),
Mission Trends No. 5, Paulist Press, New York 1981, p. 67. 86
Cfr F. A. OBORJI, La teologia africana e l’evangelizzazione, Leberit, Roma 1999, p. 109. 87
Cfr J. KIBICHO, « The Continuity of the African Concept of God into and through Christianity : Kikuyu Case-
Study », in E. FASHOLÉ-LUKE et al. (ed), Christianity in Independent Africa, Ibadan University Press, Nigeria 1978,
370ss. 88
Cfr CH. NYAMITI, Christ as Our Ancestor: Christology from an African Perspective, Mambo Press, Harare 1984,
15 89
Ces débats étaient autour du fait de savoir s’il y existe un vrai et propre culte des ancêtres ou seulement d’une simple
vénération; le rapport entre cet éventuel culte avec l’idolâtrie ; l’utilisation de cette notion dans une théologie qui adhère
à la révélation néotestamentaire. 90
Cfr G. COLZANI, Missiologia contemporanea, p. 181. 91
CH. NYAMITI, Ibid. 92
J.S. MBITI, African religions and Philosophy, Heinemann Books, Nairobi 1969; London2 1975; London3 1991, p.
68. On verra aussi la même position chez B. BUJO, J. POBEE, K. BEDIAKO. 93
J.S. MBITI, Introduction to African Religion, Heinemann, London 1975, pp. 63-64.
13
laquelle l’Église était insérée, ainsi la foi des Églises africaines – puisqu’elle vise à rendre Christ
compréhensible aux africains – ne peut pas ne pas s’exprimer dans des catégories africaines si elle
veut atteindre son objectif.
C’est donc dans cette perspective que Charles NYAMITI parlera du Christ comme brother
– ancestor au niveau biologique et non pas transcendantal comme Bujo, car pour lui l’ancêtre est le
parent proche de l’individu spécifique94
. Pour lui, Jésus-Christ est « l’ancêtre – frère » parce que son
travail était de restaurer la béatitude primordiale qui comprend notre état de fils adoptifs de Dieu, un
état que nous avions perdu à cause de nos péchés, vide que Jésus-Christ est venu combler95
. Jésus-
Christ demeure notre Ancêtre Frère parce que par Lui et par l’Esprit Saint, nous sommes réconciliés
avec Dieu et nous sommes participants à la vie Trinitaire96
. Tandis que BUJO attribuera à Jésus-
Christ le titre de Proto – ancestor (ancêtre par excellence), c’est-à-dire prototype ancestral dans
lequel la vie entière de l’africain peut s’enraciner97
. Proto – ancestor dans le sens que « non
seulement il réalise à la perfection le justifié idéal de la vie des ancêtres négro-africains mais encore
de façon plus contemporaine, Il transcende cet idéal et le porte à sa perfection »98
. Jésus-Christ
comme ancêtre ne suit pas la lignée biologique ou consanguine, mais il est à un niveau
transcendantal99
; Il est l’ancêtre par excellence, le prototype ancestral, l’unique ancêtre, source de
vie ; Il a le niveau le plus haut et Il est le modèle le plus haut des ancêtres100
.
Le rapport de Jésus avec le règne représente à ce point la spécificité de la personne et de la
pratique de Jésus et leur plus profond sens. Cette conception de l’ancestorship de Jésus met au
centre son humanité mais, puisque cela nous rend participants de sa vie filiale, l’humanité de Jésus
est inatteignable de sa dignité filiale. Toutefois, on évitera de confondre la relation du Christ
ancestor avec ses disciples, qui remédie le don de la filiation, avec la relation du Christ Fils avec le
Père : la grâce du brother – ancestor est la grâce par laquelle Christ est « premier né entre beaucoup
de frères » (Rm 8,29). C’est donc la gratia capitis, la grâce qui illumine son action rédemptrice et
eschatologique, spirituelle et éthique envers l’humanité en général et envers l’Église son corps en
particulier101
. Cette catégorie ne trace donc pas une simple analogie entre Christ et les ancêtres
humains, mais aborde les questions décisives de la Foi chrétienne, c’est-à-dire la christologie et la
vision économique de la Trinité. Une présentation pleine de cette catégorie comprend une
christologie trinitaire. Cette perspective n’entend pas soutenir que la notion d’ancêtre équivaut à un
titre d’honneur en plus parmi les nombreux titres qui sont déjà attribués à Christ ; mais elle équivaut
à l’économie qui voit l’amour du Père atteindre l’humanité à travers le Fils et qui voit le Fils jouer
cette action qui nous rend possible participer à la vie divine du Père. L’essence personnelle du Fils se
trouve dans son ancestorship. Après étude, E. Uchenna conclura que cette théologie est pleinement
compatible avec le dogme chrétien102
. Pour Colzani, la théologie du Christ ancestor est
particulièrement adaptée pour exprimer le caractère sotériologique de la christologie. On peut
facilement penser qu’une telle formulation christologique à laquelle s’attache une cohérente
conception ecclésiologique et anthropologique soit un avantage non seulement pour l’Église
africaine mais pour l’Église entière103
.
94
Cfr C. NYAMITI, African Tradition and the Christian God, Gaba Publications, Eldoret, Kenya 1978, p. 45. 95
Cfr Ibid., Christ As Our Ancestor: Christology from an African Perspective, Mambo Press, Harare 1984, p. 61. 96
Cfr Ibid., p. 89. 97
Cfr B. BUJO, African Theology in Its Social Context, p. 77. 98
Cfr Ibid., Teologia Africana nel suo contesto sociale, Queriniana, Brescia 1988, p. 121. 99
Cfr Ibid., African Theology in Its Social Context, p. 79. 100
Cfr Ibid., « A christocentric ethic for black Africa », in Theology Digest 2 /30 (1982), pp. 143-144. 101
Cfr G. COLZANI, op. cit., p. 182 ( Il cite Rm 8,29). 102
Cfr E. UCHENNA, Jesus Christ The Ancestor : an African Contextual Christology in the Light of the
MajorDogmatic Christological Definitions of the Church from the Council of Nicea (325) to Chalcedon (451), P. Lang,
Bern-Frankfurt-Wien 2003; cite par G. COLZANI, Missiologia contemporanea, p. 182. 103
G. COLZANI, op. cit., pp. 182-183.
14
V. 2. L’ecclésiologie de l’Église famille de Dieu
Le premier synode pour l’Afrique a pris, pour l’évangélisation de l’Afrique, l’idée-force
de l’Église Famille de Dieu. Cette idée-force est une expression particulière appropriée de la nature
de l’Église pour l’Afrique. En effet, écrit Maurice CHEZA, « l’image met l’accent sur l’attention à
l’autre, la solidarité, la chaleur des relations, l’accueil, le dialogue et la confiance : la nouvelle
évangélisation visera donc à édifier l’Église Famille, en excluant tout ethnocentrisme et tout
particularisme excessif, en prônant la réconciliation et une vraie communion entre les différentes
ethnies, en favorisant la solidarité et le partage en ce qui concerne le personnel et les ressources
entre Églises particulières, sans considérations indues d’ordre ethnique »104
.
Cette vision adaptée de l’Église dans le continent africain doit se concrétiser en vivant
dans l’Église comme dans un « domicile qui donne sens à l’appartenance, puisqu’elle est une
communauté « dont absolument personne n’est exclu », et où l’accès est bienvenu au repas familial,
la Sainte Eucharistie. De plus, cette Église africaine est une famille étendue avec une diversité de
tâches et de ministères, gouvernée selon des principes de solidarité et de subsidiarité et maintenue
au travail dans le dialogue : dialogue avec ses propres membres et avec les autres Églises et
religions »105
.
Telle que présentée, la vision d’une telle Église demande une vie concrète que pour le cas
présent s’exprime en Afrique par la pastorale des petites communautés ecclésiales vivantes, une
question qui a été le quatrième thème du premier synode africain. Ces communautés sont « comme
cellules de l’Église famille »106
, afin qu’elle « atteigne sa pleine mesure »107
. En effet, Mgr Dénis
Kiwanuka voyait ces communautés comme un « lieu privilégié pour permettre à l’Église d’entrer
profondément dans la société et les cultures traditionnelles africaines »108
. L’on comprendra
combien importantes sont les communautés ecclésiales dans la mission et l’évangélisation actuelles
de l’Afrique. En effet, pour le cas de la R.D.Congo, l’histoire de la création de ces communautés109
104
Proposition 8, cité par Maurice CHEZA, Le Synode africain. Histoires et textes, Karthala, Paris 1996, p. 311. 105
McGARRY, c., What Happened at the African Synod. Documents, Reflections, Perspectives, Orbis 1996, cité par
John BAUR, 2000 Ans de Christianisme en Afrique. Une histoire de l’Église Africaine, Paulines, Kinshasa 2001, p.
567. 106
Voir Message 28. 107
Voir Exhortation 89. 108
Voir McGARRY, op. cit., pp. 139-143, cité par J. BAUR, Idem, p. 569. 109
Voir B. UGEUX, La pastorale des petites communautés chrétiennes dans quelques diocèses du Zaïre, Thèse de
doctorat de IIIème
Cycle en Sciences théologiques (Institut Catholique de Paris) et en Science des religions (Sorbonne),
Paris 1987 ; B. UGEUX, Les petites communautés chrétiennes, une alternative aux paroisses ? L’expérience du Zaïre,
Cerf, Paris 1988 ; voir aussi Actes de la Viè Assemblée Plénière de l’Episcopat du Congo, Edition du Secrétariat
Général de l’Épiscopat, Léopoldville 1961, pp. 112-113, 161-167 ; Voir aussi Maurice CHEZA, « Communautés
Ecclésiales de Base. Analyse des documents de l’Église particulière du Congo (RDC). Enjeux et options », in Cahiers
de Réflexion : les communautés Ecclésiales Vivantes et l’Inculturation, Centre d’études Redemptor Hominis, Cameroun
5 (2003), pp. 23-34. L’auteur trace l’histoire de la naissance de ces communautés, en soulignant les éléments avant-
coureurs : La sortie le 21 avril 1957 de l’encyclique « Fidei Donum » de Pie XII avec ses objectifs a aidé l’Église
africaine à passer de la pastorale de masse (sacra mentalisation excessive) à la pastorale qui promeut
l’approfondissement de la Foi ; La sixième assemblée de l’épiscopat du Congo Kinshasa, du 20 novembre au 2
décembre 1961 s’est demandée si le christianisme apporté par les européens en terre africaine demeurera après
l’indépendance. Les Évêques concluent sur la nécessité d’une Foi profonde et enracinée, sur le lien entre Foi et Vie, sur
l’accent à poser sur la dimension communautaire de la vie ecclésiale. Concrètement, l’Assemblée parle d’initier des
communautés ecclésiales vivantes qu’ils définissent partant de la communauté primitive de Jérusalem et des actes des
apôtres (Act 2 et 4) comme « communautés de Foi, de prière et de mission ». Elles devront naître de la situation
concrète, de la vie réelle afin de rendre les chrétiens authentiquement chrétiens et authentiquement congolais ; La VII
ème assemblée de l’épiscopat congolais en 1967 parlera du laïcat et de l’église particulière, suggérant de créer une
communauté plutôt qu’une organisation, de construire l’Église plutôt qu’une institution, de former un peuple adulte et
engagé ; Durant le synode sur l’évangélisation en 1974 à Rome, les Évêques africains touchent le problème des petites
communautés vivantes et ont demandé le changement des structures et des attitudes de l’Église. À partir de ce
changement doivent naître les communautés ecclésiales vivantes avec les objectifs suivants : approfondir l’Évangile,
fixer les objectifs prioritaires de l’action pastorale, prendre les initiatives pour la mission, discerner dans la Foi les
15
date de 1961, dans la volonté d’africaniser l’Église tant dans ses cadres que dans ses pratiques ;
c’est ce que les Évêques appelèrent passage d’une « pastorale d’institutions » à une « pastorale de
mission »110
. Ainsi, pour les Évêques africains, la mission africaine nouvelle ne peut pas se passer
de ces formes ecclésiales ; il faut donc davantage enraciner et incarner l’Évangile au lieu
simplement de l’adapter. Car, « c’est à ces communautés incarnées et enracinées dans la vie de
leurs peuples qu’il incombe au premier chef d’approfondir l’Évangile, de fixer les objectifs
prioritaires de l’action pastorale, de prendre des initiatives qui s’imposent en vue de la mission, de
discerner, dans la foi, les éléments traditionnels pouvant être conservés et les ruptures rendues
nécessaires pour une véritable pénétration de l’Évangile dans tous les secteurs de la vie. Chaque
action pour construire nos Églises doit toujours être faite en tenant compte de la vie de nos
communautés (...) »111
.
Avec le concept d’Église-communion lancé par Vatican II, concept d’où vient celui de
l’Église famille de Dieu utilisé au premier synode pour l’Afrique, l’on a compris la dimension
communautaire de la conversion. Nous sommes donc à la période durant laquelle on doit
redécouvrir le sens communautaire parce que être chrétien devient également un impératif
communautaire112
. La réalité des communautés ecclésiales vivantes est une expérience d’Église
vécue en petits groupes, dans les villages ou quartiers des Églises africaines, avec pour objectif le
partage de la Parole de Dieu et la prière, la gratuité de la charité, la formation, l’action pour le
éléments traditionnels à conserver et les éléments à laisser pour une vraie pénétration de l’Évangile dans les secteurs de
la vie ; On n’oubliera pas l’œuvre grandiose du Cardinal Malula pour l’africanisation de l’Église. Deux éléments très
importants à souligner : le synode diocésain de 1986 en 1988 et son discours le 26 novembre 1973 à 150 prêtres de
l’archidiocèse de Kinshasa. Le cardinal parle des CEV pour l’inculturation et de l’enracinement de l’Église locale. Dans
son discours « L’Église à l’heure de l’africanité », Malula invite les africains à africaniser le christianisme.
Concrètement, il pose le problème des ministères laïcs, de la subdivision des paroisses en petites communautés, de
l’habit de la vie religieuse et de la présence des petites communautés religieuses dans les cités proches des chrétiens,
installe des laïcs (Bakambi) comme responsables de quelques paroisses. L’objectif de Malula est d’africaniser le
christianisme, c’est-à-dire de faire participer les laïcs au processus d’évangélisation et changer aussi le structures de
l’Église. Certainement à ce point Malula présente déjà la problématique des ministères des laïcs et de tout le peuple de
Dieu dans l’Église ; En 1973, les Évêques de l’Afrique orientale anglophone soutiennent les communautés chrétiennes
pour construire la vie ecclésiale qui doit soutenir tous les jours la vie sociale et le travail des membres qui font
l’expérience des relations interpersonnelles ; En 1978, les Évêques des îles au sud-ouest de l’océan indien soutiennent
également les petites communautés chrétiennes responsables et vivantes; ils soulignent les ministères des laïcs non
seulement temporels mais aussi spirituels pour changer les méthodes, les attitudes et les institutions de la pastorale
traditionnelle ; En 1988, les conférences épiscopales de l’Afrique australe soulignent que les petites communautés sont
une méthode efficace pour nous éduquer dans la vie de la Foi chrétienne. Ceux-ci sont des groupes des personnes
fidèles à l’enseignement de l’Église, se réunissent régulièrement pour les activités précises : lecture de la Parole de Dieu
à travers l’Évangile, partage des expériences de vie partant de la méditation de la Parole de Dieu lue, action décisive de
la vie partant de la Parole de Dieu méditée; ils font un genre d’analyse sociale sur la situation du peuple et cherchent des
solutions à la lumière de l’Évangile ; La voix du Magistère dans les documents, Christifideles laic,i n° 26, Redemptoris
Missio, n° 51, soutient l’installation des CEV comme lieux de formation et d’éducation de la Foi, instruments efficaces
de la pastorale ; En 1994, le synode africain tenu à Rome met un point sur le phénomène CEV précisant son objet. Avec
les CEV, c’est tout le peuple de Dieu qui évangélise et qui devient Église, parce que les CEV deviennent modèles de
l’Église Famille de Dieu. Concrètement, Mgr Silota de Mozambique précise que les CEV sont l’unique voie pour une
évangélisation authentique et pour l’inculturation de l’Église africaine ; la condition indispensable pour l’incarnation
authentique de l’Évangile est son entrée dans la mentalité africaine109
. Les CEV sont l’Église domestique vécue à partir
de la base pour intérioriser et vérifier les valeurs évangéliques comme la Foi, source de comportement humain
individuel et collectif. Les CEV sont des lieux de la lecture et de la méditation de la Parole de Dieu pour favoriser
l’engagement socio – politique des chrétiens. Les CEV sont des communautés d’Amour. 110
B. UGEUX, “Théologie et Méthodes missionnaires actuelles: les petites communautés chrétiennes (ou communautés
de base)”, in Quelle Église pour l’Afrique du Troisième millénaire ? Contribution au Synode spécial des évêques pour
l’Afrique (Actes de la Dix-huitième Semaine Théologique de Kinshasa du 21 au 27 avril 1991), Semaines Théologiques
de Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, Kinshasa 1991, 93 111
Déclaration des Évêques d’Afrique et de Madagascar, « Promouvoir l’évangélisation dans la coresponsabilité »,in
Documentation Catholique, n. 1664 ( 17/11/ 1974), p. 995. 112
L. RAISON,” Vers des communautés de base en Afrique de l’Est », in Spiritus 20/76 (1979), p. 297.
16
développement et la transformation de la société. L’appellation de “communautés ecclésiales
vivantes” souligne le caractère ecclésial de ces communautés113
.
Partant de la volonté de la base, après une étude approfondie de l’ecclésiologie de
communion, les communautés ecclésiales vivantes ont un rôle ecclésial à jouer dans
l’évangélisation : « Il importe de les aider à donner ce témoignage de groupes humains où règne la
justice, où l’on prend la défense des opprimés et où chacun est capable d’un effort et d’un
changement pour une vie plus juste et plus fraternelle »114
; « c’est à partir de ces communautés (…)
que nous apporterons au rendez-vous de la catholicité non seulement nos expériences culturelles et
artistiques spécifiques – africanisation réelle et cependant encore modeste – mais une pensée
théologique propre qui s’efforce de répondre aux questions posées par nos divers contextes
historiques et par l’évolution actuelle de nos sociétés ; une pensée théologique à la fois fidèle à la
tradition authentique de l’Église, attentive à la vie de nos communautés chrétiennes et respectueuse
de nos traditions, de nos langues, c’est-à-dire de nos philosophies »115
.
Ces communautés doivent être préparées de façon à ce qu’elles répondent aux attentes de
l’ensemble des chrétiens dans une entité locale déterminée (lutte pour la survie et quête de sécurité,
etc…); qu’elles soient originales et concrètes, et non pas une copie des communautés existantes sur
tous les plans. Ainsi, l’on provoquera le dialogue et la participation de tous les chrétiens, les
préparant à la prise de conscience des problématiques actuelles de spiritualité, d’économie, de
politique, de culture, d’un idéal communautaire privilégiant un mode particulier d’appartenance à
l’Église, etc… Pour Ugeux, « les communautés continuent à représenter une option missionnaire
privilégiée dans la réalisation d’une Église-communion plus fraternelle et plus inculturée (…). Dans
la mesure où les structures de ces communautés sont plus « charismatiques » que
« bureaucratiques », et dans la mesure où celles-ci sont réellement accompagnées par un clergé qui
s’engage à vivre lui-même les valeurs qu’il veut promouvoir à travers elles, celles-ci renouvellent
profondément la vie interne des Églises locales. Elles favorisent aussi le rayonnement de l’Église au
niveau le plus simple, celui de la vie quotidienne où se jouent les grands enjeux de la vie chrétienne
et (…) de la lutte pour la vie»116
; elles sont également une chance pour l’Église Famille de Dieu en
Afrique, un moyen pour la transformation et l’amélioration de la vie chrétienne: lieux pour
évangéliser les communautés elles-mêmes117
et une base pour la construction de la Famille
réconciliée en Afrique dont rêve la deuxième assemblée du Synode africain tenue à Rome du 5 au
25 Octobre 2009.
Les Communautés ecclésiales vivantes doivent être missionnaires, c’est-à-dire annoncer
l’Évangile et soutenir la charité118
; elles doivent aider à « vivre l’Église comme une communion
des hommes avec Dieu et communion de tous les hommes pour l’Évangile d’une façon personnelle,
cohérente, dans tous les champs personnels, familiaux et sociaux »119
.
113
Cfr R.A. CIPOLLINI, « Le peuple est Notre Grande Richesse. Communautés Ecclésiales Vivantes en Afrique :
Acquisitions et questionnements. Introduction à la réflexion », in Cahiers de Réflexion. Les communautés Ecclésiales
Vivantes et l’Inculturation, Centre d’études Redemptor Hominis, Cameroun 5 (2003), p. 5. 114
SCEAM, Justice et évangélisation en Afrique,VIème
Assemblée plénière, Yaoundé, 1981, n°23 115
SCEAM, « Promouvoir l’évangélisation dans la coresponsabilité. Déclaration, Rome 20 Octobre 1974 », 995 116
B. UGEUX, “Théologie et Méthodes missionnaires actuelles: les petites communautés chrétiennes (ou communautés
de base)”, p. 97. 117
Cfr M. CHEZA, ibid., 35 118
Cfr L. RAISON, loc. cit., p. 299. Cite l’Assemblée des Conférences Episcopales de l’Africa Orientale 1976. 119
R. DE HAES, loc. cit., p. 40 ; A. LEPOUTRE, « Comment j’ai vu naître les communautés de base », in Spiritus
24/76(1979), p. 127.
17
Conclusion
L’Afrique est-elle encore aujourd’hui un terre de mission est une question qui trouve sa
réponse dans les diverses présentations développées dans ces pages. La mission n’est plus à prendre
aujourd’hui dans son sens strict que lui donne l’Ad Gentes, mais elle s’ouvre aux enjeux de taille
pour l’enracinement de la Foi des peuples africains et pour leur développement. Tout en gardant sa
spécificité propre, c’est-à-dire « annonce de l’Évangile à tous ceux qui ne connaissent pas encore
Jésus-Christ », les champs de la mission gagnent des espaces assez complexes, considérant tous les
défis auxquels l’homme est confronté tant pour son développement spirituel que celui économique
et matériel.
Toutefois, dans le concret, deux chemins sont d’actualité et font la priorité pour l’annonce
missionnaire aux peuples africains. D’une part, la question de la connaissance du vrai Dieu à travers
le chemin de la révélation en Jésus-Christ, soit la christologie ; et d’autre part, le chemin
ecclésiologique qui ouvre l’espace à la vie communautaire, faisant de la conversion non seulement
un acte individuel mais aussi communautaire. De cette deuxième piste que la vie des sociétés
africaines trouve son sens car la fraternité et la communion créent les cadres de vie en Dieu pour un
monde meilleur.
Au cœur de la culture africaine et de son ouverture au christianisme, il y a lieu de noter
que les dates basilaires de cette culture africaine sont à deux niveaux. D’une part, on trouve un
passage de la phénoménologie à l’ontologie qui a revendiqué cette profondeur même à la vision du
monde africain, bien qu’on ne soit pas arrivé à la déterminer dans toute sa précision, et d’autre part
il y a l’indication d’un point de cohésion et de compréhension des divers thèmes que beaucoup ont
indiqué dans la problématique de la vie120
. L’indication a des conséquences théologiques relevantes
parce que, considérant Christ comme la source de la vie dans laquelle la vie se réalise dans une
extraordinaire interaction avec la mort, la Christologie de l’ancêtre apparaît une offrande et un don
de vie dans une forme de particulière densité. Non seulement il y a une conception holistique de la
vie mais tout le monde humain est associé au Dieu de la vie, à son énergie vitale de diverses façons
et pour diverses raisons. De ce qui précède, nous pouvons affirmer que la conception de la vie
comprend une vision de la « relation » qui est une des cadres de la conception africaine. Certains
auteurs121
ont abordé ce thème sans l’approfondir, et pourtant c’est cette démarche qui s’imposerait
au monde africain dans le domaine de la Foi chrétienne, comme l’effort unitaire d’une Église et de
sa théologie tournées à penser le « pour nous » du salut. Le « pour nous » de l’événement Christ a
besoin d’être compris adéquatement à travers une conception relationnelle de la vie et de la
réalité122
. L’originalité de la conception chrétienne est dans le fait que, même dans la Trinité divine,
l’unité est complétée avec la relation, comme le démontre le grand texte du De Trinitate V, 5,6 de
saint Augustin123
. La relation, en fait, n’entre pas dans un second moment à compléter ce que, en un
120
Cfr M. NKAFU NKEMNKIA, Il pensare africano come “vitalogia”, Città Nuova, Roma 1997 121
Cfr J. ILUNGA MUYA, « Della relazione. Saggio sull’antropologia africana”, in Filosfia e Teologia 2 (2001), pp.
341-364. 122
Cfr G. COLZANI, Missiologia contemporanea, p. 183. 123
« En Dieu rien ne se prêche dans le sens accidentel, parce que en lui rien n’est mutable, et toutefois non pas tout ce
qui se prêche se prêche dans le sens substantiel. En effet, on parle de fois de Dieu selon la relation ; ainsi le Père dit
relation au Fils et le Fils au Père, et cette relation n’est pas accident parce que l’un est toujours le Père et l’autre toujours
le Fils. (…) Ceux-ci (l’être du Père et du Fils) sont dénominations qui concernent la relation et non pas d’ordre
accidentel, parce que ce qui s’appelle Père et ce qui s’appelle Fils est éternel et immutable. Voilà pourquoi, bien que
n’étant pas la même chose Etre Père et Etre Fils, toutefois la substance n’est pas diverse, parce que ces appellations
n’appartiennent pas à l’ordre de la substance mais de la relation, relation qui n’est pas un accident parce que n’est pas
mutable » (De Trinitate V,5,6). Commentant cet aspect de la Foi trinitaire, J. RATZINGER écrira que « à côté de la
substance se trouve aussi le dialogue, la relatio, entendue comme forme également originale de l’être » et conclura que
« il y a ici une authentique révolution du cadre du monde : la suprématie absolue de la pensée concentrée sur la
substance est désincarnée, en tant que la relation est découverte comme modalité primitive et équipollente du réel. (…)
Il faudra dire que le devoir dérivant de la pensée philosophique vu ces circonstances des faits est encore bien loin
d’avoir été exécuté » (J. RATZINGER, Introduzione al cristianesimo. Lezioni sul simbolo apostolico, Queriniana,
Brescia 1969, pp. 139-141
18
premier moment, est uniquement « être » mais est « modalité primitive et équipollente du réel » ;
dans son existence, l’entière réalité est illuminée non seulement par son « être » mais aussi par sa
« relation » au mystère saint d’où elle provient et à la relation avec le Fils que le Père a envoyé. Le
rôle que la christologie africaine peut et doit jouer doit être élevé jusqu’à ce niveau ; il ne s’agit pas
seulement d’utiliser des catégories africaines pour expliquer la Foi chrétienne aux africains mais de
développer une compréhension relationnelle de la réalité ; il s’agit donc de s’engager dans la Foi
trinitaire et christologique pour y découvrir une vision relationnelle à laquelle l’africain non
seulement soit sensible mais à laquelle il peut recourir pour enrichir sa vision de la vie. Pensée de
façon trinitaire et christologique, la relation a la forme du don de soi et de la kénosis, de l’abandon
de soi par amour pour l’autre. Une telle vision représente un enrichissement pour la culture africaine
qui est appelée à reconnaître et à montrer comment, effectivement dans le don de soi et dans la
kénosis, la vie se dirige vers son sens ultime. Maintenir à l’Etre sa dignité en l’ouvrant à une vitalité
et une relation qui soit, en dernière analyse, manifestation du mystère de l’agapè et de la kénosis de
Dieu de Jésus est le devoir auquel l’entière théologie est appelée et auquel le monde africain doit
être particulièrement sensible124
.
En orientant la mission en Afrique vers la conception d’une Église-communion et une
Église Famille, l’on aboutira à la question des ministères que le rapport final du synode africain de
1994 a oubliée tout en mettant l’accent sur les communautés ecclésiales vivantes comme priorité du
processus de l’inculturation. Les communautés ecclésiales vivantes doivent être à l’origine de
nouveaux ministères, en tant que des lieux nourris de la Parole de Dieu lue et méditée, des lieux
des sacrements de l’Église et de la prière. Les ministères capables d’être assurés par les laïcs dans
ces communautés sont par exemple: le ministère de la réconciliation communautaire, le ministère de
la promotion de la vie et de la famille, le ministère de l’animation des communautés125
. Peut-on
encore vivre la mission dans un contexte colonial désormais caduc ou bien dans un contexte
néocolonialiste actuel ? Certainement, l’on voit l’effort de l’affirmation de la dignité de la personne
humaine et de ses droits, mais faut-il encore créer plutôt les conditions qui favorisent l’expression
de la dignité humaine en donnant la vie à une démocratie non seulement formelle mais substantielle.
Sur ce, nos communautés ont un grand rôle à jouer dans la promotion humaine. L’on peut donc
affirmer que « les champs de la mission (en Afrique) coïncident avec l’histoire de l’Église et avec la
vie des personnes »126
, vie transformée dans l’esprit de la communion et de la fraternité.
Ce 15 Mars 2012.
Mambuene Yabu André-Jacques,
UCC/Kinshasa
124
Cfr G. COLZANI, op. Cit., pp. 184 -185. 125
Cfr J-M. ELA, Repenser la théologie africaine, pp. 314 – 316. 126
G. COLZANI, “La Missione: Mandatum e Ministerium Amoris nell’Enciclica Deus Critas Est di Benedetto XVI”, in
Euntes Docete 1 (2007), Anno LX, 241-269
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Contribution au Synode spécial des évêques pour l’Afrique (Actes de la Dix-huitième
Semaine Théologique de Kinshasa du 21 au 27 avril 1991), Semaines Théologiques de
Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, Kinshasa, 1991.
Référence électronique pour citer cet article
André-Jaques MAMBUENE YABU, « L’Afrique, terre des missions aujourd’hui? Pour une
évangélisation contextuelle », » [En ligne], mis en ligne le 11 juin 2013, consulté le ….. /
……/ ……, URL : http://www.nenzinga.info/Monographies/Afrique terre des missions.pdf,
p. …..
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