L’assimilation par la connaissance dans le De Principiis de Damascius

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    Daniel CohenLaval thologique et philosophique, vol. 66, n 1, 2010, p. 61-83.

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    Lassimilation par la connaissance dans le DePrincipiis de Damascius

  • Laval thologique et philosophique, 66, 1 (fvrier 2010) : 61-83

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    LASSIMILATION PAR LA CONNAISSANCE DANS LE DE PRINCIPIIS DE DAMASCIUS

    Daniel Cohen Charg de recherches du F.N.R.S.

    Universit Libre de Bruxelles

    RSUM : Dans son De Principiis, Damascius propose une dfinition originale de la connais-sance (gnsis). Les dveloppements doctrinaux qui y sont exposs semblent rompre avec la conception plotinienne, principalement issue de lexgse du De Anima dAristote, lequel envi-sageait la connaissance, du moins dans sa modalit suprieure quest lintellection (nosis), comme une identit du connaissant et du connu. Cette tude se propose de clarifier la gno-sologie de Damascius et de montrer que la connaissance y est envisage comme une altrit surmonte sans pour autant tre abolie.

    ABSTRACT : In his De Principiis, Damascius gives an original definition of knowledge (gnsis). The doctrinal developments which are exposed in this treatise seem to break with Aristotles and Plotinus conception of knowledge as identity between knower and the object of knowl-edge. This article is aimed to show how Damascius gnoseology challenges the identity thesis and defines knowledge as a surmounted alterity.

    ______________________

    I. INTRODUCTION : LA THORIE NOPLATONICIENNE DE LA CONNAISSANCE

    es diffrentes formes de la thorie noplatonicienne de la connaissance, dont nous voudrions ici analyser lune des dernires expressions, sont, dans une trs

    large mesure, le fruit dun dveloppement exgtique de diffrents lments doctri-naux issus des uvres de Platon et dAristote. Les deux principales thmatiques de cette thorie sont, dune part, celle de la distinction hirarchise des facults cogni-tives de lme, et, dautre part, celle de la correspondance entre chacune de ces facults et les diffrents degrs du rel, en sorte que la hirarchie des facults cor-respond terme terme au statut ontologique des objets () 1 de la connaissance. Cette conception sappuie principalement sur la hirarchie platoni-

    1. Sur cette notion, voir A.-J. FESTUGIRE, Modes de composition des Commentaires de Proclus , Museum Helveticum, 20 (1963), p. 94-100 ; W. ONEILL, Proclus. Alcibiades I. A Translation and Commentary [1965], The Hague, Martinus Nijhoff, 1971, Appendice, p. 237-247 ; P. HADOT, Sur les divers sens du terme pragma dans la tradition philosophique grecque , dans P. AUBENQUE, d., Concepts et catgories dans la pense antique, Paris, Vrin, 1980, p. 309-319.

    L

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    cienne des modalits de la connaissance (, , )2, ainsi que sur les dis-cussions aristotliciennes du De Anima relatives la perception sensible (), limagination () et lintellection (). Son principal corollaire pis-tmologique est le principe de l adquation du connaissant au connu, en vertu du-quel la connaissance se ralise par la ressemblance () et la conna-turalit () des facults cognitives et de leurs objets propres :

    Cest en effet par le semblable que le semblable est connu, parce que toute connaissance () est ressemblance lobjet connu3. tous les degrs, nous disons que le semblable est connu par le semblable ; autrement dit la sensation connat le sensible ( ), lopinion lobjet dopinion ( -), le raisonnement le rationnel ( ), lintellect lintelligible ( )4.

    Nous trouvons dans ce dernier texte proclien lbauche de la hirarchie noplato-nicienne classique des quatre facults cognitives, auxquelles dautres passages paral-lles ajoutent limagination5. Selon cette conception, fondement de la psychologie et de la gnosologie noplatoniciennes, chaque facult cognitive connat lobjet qui lui est connaturel et auquel elle se rapporte spcifiquement, en sorte que la nature mme de la connaissance effective son degr de vrit est tout entire d-termine par le statut ontologique de son objet et la modalit cognitive par laquelle cet objet est saisi6. Ce processus de dtermination qualitative de la connaissance par son objet a t traditionnellement envisag dans le noplatonisme comme une moda-lit particulire dassimilation () de ltre mme du connaissant celui de lobjet connu, ou, selon le mme rapport considr en sens inverse, dassimilation de lobjet par le connaissant.

    2. Cf. PLATON, Rp. V, 477c-478b, o est indiqu que les facults () cognitives de lme se distin-guent, de par leur nature, en fonction de lobjet sur lequel elles portent ; voir galement VI, 509d-511e et VII, 533e sq., o est tablie la correspondance () entre les modes de la connaissance et les degrs de ltre. Sur ces passages, voir les commentaires de PROCLUS, In Remp. I, p. 287.20-292.21 ; In Eucl., 3.14 sq. ; 10.16 sq. et In Alc., 21.10 sq.

    3. PORPHYRE, Sent., 25, trad. L. Brisson et al. 4. PROCLUS, Thol. Plat. I, p. 15.17-20, trad. H.-D. Saffrey. Sur la correspondance entre les modes de la con-

    naissance et les degrs du rel, voir galement In Tim. I, p. 243.26-252.10 ; De Decem Dub. 3.1-4.12 ; De Prov. 17.27-32 ; In Parm. IV, 955.3-7. La clbre thse de la connaissance du semblable par le semblable , attribue Empdocle par ARISTOTE (De Anima I, 2, 404b8-15), et aux Pythagoriciens par SEXTUS EMPIRICUS (Adv. Math. VII, 92) et ALCINOOS (Didask. XIV, 29-30), fut reprise et adapte par PLATON (Tim., 45b sq. ; Rp. VI, 490b et 508a sq.), ARISTOTE (De Anima II, 5, 416b32 sq.), PLOTIN (Enn. I, 8 [51], 1.7-9 ; II, 4 [12], 10.3 ; VI, 9 [9], 11.32) et les Noplatoniciens ultrieurs.

    5. Sur la hirarchie noplatonicienne des cinq facults de la connaissance, voir PROCLUS, In Tim. I, p. 254.25 sq. ; p. 343.3 sq. ; In Remp. II, p. 277.18 sq. ; In Eucl., 3.14 sq. ; In Parm. V, 1025.1 sq. et VII, 1081.7 sq., avec les analyses de H.J. BLUMENTHAL, Plutarchs Exposition of the De Anima and the Psychology of Proclus , dans De Jamblique Proclus, Entretiens de la Fondation Hardt, t. XXI, 1975, p. 123-147.

    6. Cf. PROCLUS, In Tim. I, p. 352.15-19.

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    II. RAPPEL DES SOURCES DOCTRINALES ARISTOTLICIENNES ET DE LEUR EXGSE PAR PLOTIN :

    LIDENTIT DU CONNATRE ET DE LTRE

    Le dveloppement technique de ce thme, qui na t abord quincidemment par Platon7 par lintermdiaire de lexamen de la parent de lme et des intelligibles8 et travers lvocation de lidal philosophique de l assimilation au divin ( )9, fut principalement luvre dAristote, o lassimilation par la connaissance quil sagisse de la connaissance sensible ou de la connaissance notique10 se pr-sente sous la forme radicale dune identification actuelle ( ) de lme connaissante lobjet connu11. Bien que sappliquant galement la connaissance sensible, cette thse de lidentit trouve son plein accomplissement dans la notique aristotlicienne. Comme laffirme en effet Aristote dans une formule clbre, pour les choses sans matire, il y a identit du pensant et du pens ( )12, tant entendu que dune manire gnrale, lintellect en acte, est identique ses objets ( , , )13. Lorsquelle se pense elle-mme en saisissant les intel-ligibles () assimils par elle, lme intellective devient elle-mme intelligible, sidentifiant ainsi ses objets en les pensant. Toutefois, comme le prcise Aristote, il ne sagit l, pour lme humaine, que dun idal qui nest atteint que pendant quel-ques moments fugitifs14 . Dans la perspective aristotlicienne, la pure identit dans la connaissance ne peut ds lors tre invoque sans restrictions que dans le cas de lintellect pur quest Dieu, en qui seul intellect et intelligible ne font rigoureusement quun ( ), Dieu tant intellection de lintellection , qui, se connaissant de toute ternit comme principe de toutes choses, ne connat rien dautre que lui-mme15.

    7. Sur le thme de lassimilation par la connaissance chez PLATON, cf. Tim., 90d : Que celui qui contemple ( ) se rende semblable () lobjet de sa contemplation ( ) en conformit avec la nature originelle ( ) et que, stant assimil elle (-), il atteigne [] lachvement parfait de la vie que les dieux ont propos aux hommes (trad. A. Rivaud, lgrement modifie).

    8. Cf. les analyses de J. PPIN, lments pour une histoire de la relation entre lintelligence et lintelligible chez Platon et dans le Noplatonisme , Revue philosophique de la France et de ltranger, 146 (1956), p. 40-41.

    9. Cf. PLATON, Rp. X, 611d et Thtte, 176b, o est prcis que cette assimilation doit tre ralise dans la mesure du possible ( ) ; voir galement J.-F. PRADEAU, Lassimilation au dieu , dans J. LAURENT, d., Les dieux de Platon, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2003, p. 41-52 ; et D. SEDLEY, The Ideal of Godlikeness , repris dans G. FINE, d., Plato 2 : Ethics, Politics, Religion and the Soul, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. 309-328.

    10. On sait que la conception aristotlicienne de lintellection se dploie en analogie rigoureuse avec le modle de la perception sensible (cf. ARISTOTE, De Anima III, 4, 429a13-18).

    11. Cf. ARISTOTE, De Anima III, 8, 431b20-432a1. Pour une brve prsentation des principaux lments de cette doctrine, voir R. SORABJI, Time, Creation and the Continuum, London, Duckworth, 1983, p. 144-145.

    12. ARISTOTE, De Anima III, 4, 430a3-4, trad. J. Tricot. 13. ARISTOTE, De Anima III, 7, 431b16-17, trad. J. Tricot. 14. Cf. ARISTOTE, Mtaph. , 9, 1075a7-8. 15. Cf. ARISTOTE, Mtaph. , 7, 1072b20-22 ; , 9, 1075a2-5.

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    Moyennant quelques adaptations et un rapprochement exgtique avec la doctrine parmnidienne de ltre, la thse aristotlicienne de lidentit par la connaissance dans lacte notique a t adopte par Plotin, dans le cadre dun examen critique de la nature du rapport entre lintellect hypostatique et ltre intelligible16. Dans lunivers plotinien, on sait que lintellect pur quest le Dieu aristotlicien est assimil lin-tellect hypostatique, lequel est envisag comme tant en acte lensemble des intel-ligibles17, cest--dire la totalit unifie quest ltre, intellect et tre tant ainsi les deux aspects insparables sous lesquels il est possible de considrer la seconde hypostase. La thse de lidentit de lintellect hypostatique et de lintelligible ainsi articule sous une forme radicale devient, chez le penseur noplatonicien, une exi-gence de lactivit cognitive et la condition mme de lexistence de la vrit :

    Lacte de la contemplation doit tre identique () lobjet contempl, et lintellect lintelligible. Sinon, il ny aurait pas de vrit ; au lieu de possder les tres, on ne pos-sderait quune empreinte (), qui est diffrente des tres, et qui nest pas la vrit. [] Intellect, intelligible et tre ne font quun ; cest l le premier tre ; et cest aussi le premier intellect qui possde les tres ou plutt qui est identique aux tres18.

    Dans ce passage, Plotin, en dfinissant la vrit comme lidentit de lactivit notique et de ltre intelligible, indique que la vrit, du moins lorsquelle est envi-sage au niveau de lintellect hypostatique, nest pas transcendante ou extrieure au connaissant, de sorte que la notion de vrit ne se rduit pas, comme chez Platon, une simple correspondance entre la connaissance et son objet19, mais consiste bien en une pleine concidence du connaissant et du connu20. Lidal plotinien de la connais-sance contemplative ici exprim est bien celui dune connaissance immdiate, o toute dualit est abolie, et non dune connaissance par reflet. En outre, il importe de souligner que, mme au niveau de lme humaine, la doctrine plotinienne, sinspirant des exgses dAlexandre dAphrodise, envisage la possibilit dune identification effective du sommet intellectif de lme connaissante lintellect hypostatique21, au point que lme individuelle, en son activit notique, ne peut plus rellement se dis-tinguer de celui-ci : Quand lactivit de lme se dirige vers le haut, elle est

    16. Sur la doctrine de lidentit de lintellect et de ltre chez Plotin, voir E. EMILSSON, Plotinus on the Objects of Thought , Archiv fr Geschichte der Philosophie, 77 (1995), p. 21-41 ; J. LACROSSE, Y a-t-il une intentionnalit plotinienne ? , dans L. COULOUBARITSIS, A. MAZZ, d., Questions sur lintention-nalit, Bruxelles, Paris, Ousia, 2007, p. 50-55.

    17. Sur lactualit pure de lintellect hypostatique et son identit avec son objet dintellection, cf. PLOTIN, Enn. V, 9 [5], 5.1 sq. ; V, 8 [31], 4.39 sq. Sur lusage plotinien des textes aristotliciens relatifs lintellect, voir P. HADOT, La conception plotinienne de lidentit entre lintellect et son objet. Plotin et le De Anima dAristote , dans G.R. ROMEYER, d., Corps et me. Sur le De Anima dAristote, Paris, Vrin, 1996, p. 367-376.

    18. PLOTIN, Enn. V, 3 [49], 5.21-28, trad. . Brhier, lgrement modifie ; cf. galement V, 9 [5], 6.1-3. 19. Cf. PLATON, Rp. V, 476d5-477b11 ; 477e8-480a13 ; VI, 509d1-511e5 ; Crat., 439b10-440c1 ; Phdon,

    79a6-e7. Voir galement Lettre VII, o est voque la corrlation entre le savoir de lme ( ) et le quelque chose ( ) quelle aspire connatre (343 c1-2), cette corrlation tant qualifie de parent () et de similitude () entre lintellect ( ) et ltre ( ) (342 d1 ; 342 e4).

    20. Cf. PLOTIN, Enn. III, 8 [30], 6.11 sq. ; V, 5 [32], 2.18-19 ; J. PPIN, lments , p. 44-55. 21. Voir sur ce point P. MERLAN, Monopsychism Mysticism Metaconsciousness. Problems of the Soul in

    Neoaristotelian and Neoplatonic Tradition, The Hague, Martinus Nijhoff, 1963, p. 16 et 30-34.

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    intellect ( ) 22 ; cest pourquoi, il faut devenir () soi-mme intellect et se prendre soi-mme pour objet de contempla-tion23 . On voit ainsi que, pour Plotin, me et intellect ne sont que deux modalits dexistence dune mme ralit se distribuant en plusieurs niveaux ; ce que lme doit raliser nest rien dautre que sa propre nature, de sorte qutant enracine la fois dans le temps et lternit, elle doit devenir ce quelle est.

    Quelles que soient les subtilits de la doctrine plotinienne, dont nous ne pouvons rendre compte ici, il apparat que Plotin envisage la modalit suprieure de lactivit cognitive avant tout sous le signe de lidentit et de lunit. Nous verrons quil en va tout autrement chez Damascius, et montrerons que sa doctrine de la connaissance se dploie selon un point de vue et partir de prmisses totalement diffrents de ceux de Plotin.

    III. INTRODUCTION LA GNOSOLOGIE DE DAMASCIUS : CONNAISSANCE ET ALTRIT

    Malgr son indniable originalit, la fois philosophique et terminologique, la thorie de la connaissance esquisse par Damascius dans le De Principiis intgre les principaux lments doctrinaux tablis par ses prdcesseurs noplatoniciens. Comme eux, Damascius fait de lme le foyer de la connaissance humaine, admet la hirar-chie des modalits cognitives, et ne manque pas de souligner lminence de la facult intellective, comme en tmoignent les deux textes suivants, tirs de son Commentaire sur le Phdon :

    La connaissance () est la beaut de lme du fait de sa brillance et de sa splendeur [= Phdre, 250d7-e1], lme qui est purifie de la laideur de la matire et de lignorance est encore plus belle, mais plus belle que tout est lme qui sest mle elle-mme avec la lumire de lintellect ( )24. Lignorance est le caractre naturel du corps car la connaissance rassemble ( ), alors que le corps est entirement divis ; lintellect (), dautre part, est connaissance parfaite (), parce quil est par essence indivisible ( ). Quant aux intermdiaires, la perception sen-sible ( ) est la connaissance la plus obscure ( ), car elle ne peut se passer du corps, qui est naturellement ignorant ; lme rationnelle ( ) est plus brillante et se connat elle-mme, tant davantage indivisible ; limagina-tion ( ) est en quelque faon intermdiaire, en sorte quelle est in-tellect passif et divisible ( )25.

    Ces considrations gnrales rsument lessentiel de la thorie noplatonicienne de la connaissance. Si lon se tourne vers le De Principiis, o sont exposs les prin-cipaux dveloppements relatifs la notion mme de , on constate que Da-mascius semble scarter nettement dune conception radicale de la thse de lidentit

    22. PLOTIN, Enn. VI, 2 [43], 22.29-30, trad. . Brhier, lgrement modifie. 23. PLOTIN, Enn. VI, 7 [38], 15.31-32, trad. . Brhier, lgrement modifie. 24. In Phaed. I, 91.1-3 (Westerink) ; cf. ibid., 391.1. 25. In Phaed. I, 78.1-5.

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    du connaissant et du connu, allant mme jusqu nuancer la conception plus modre de la simple correspondance entre la connaissance et son objet. Dans un texte capital, le philosophe noplatonicien sattache en effet, au prix dune innovation termino-logique expressment assume comme telle, montrer que les diffrentes modalits de la connaissance se dfinissent avant tout selon la corrlation de chaque facult cognitive, non pas avec leurs objets, mais avec leurs propres contenus cognitifs, cest--dire avec les produits immanents rsultant de leur activit :

    La sensation ( ) existe selon le contenu de la perception sensible ( ), limagination ( ) selon lempreinte ( ), lacte dopiner ( ) selon le contenu de lopinion ( ), lactivit discursive ( ) selon le produit de la pense discursive ( ). De manire gnrale donc, la connaissance ( ) existe selon le contenu cognitif ( ), sil est possible de parler ainsi26.

    Ce texte, qui rcapitule et rectifie la conception classique et modre de la thorie noplatonicienne de la connaissance correspondance entre la connaissance et son objet , prsuppose avant tout la relation intentionnelle qui associe chaque facult cognitive et son objet spcifique : la sensation se rapporte toujours lobjet sensible (), limagination lapparence (), lopinion lobjet dopinion (), la pense discursive lobjet rationnel (), et, peut-on ajouter, lintellection () lintelligible (). Toutefois, le texte de Damascius se distingue ici en ce quil dfinit la connaissance () non comme lidentit du connaissant et du connu, ni comme la simple correspondance de chaque facult avec lobjet sur lequel elle porte, mais uniquement comme le rapport de chaque facult co-gnitive avec le produit effectif de lacte de connaissance, savoir avec son contenu cognitif (). La relation ici considre porte ainsi non pas sur celle qui existe ncessairement entre la connaissance et son objet (), mais sur celle qui asso-cie lacte intentionnel de la connaissance et le produit cognitif rsultant de cet acte. En effet, les diffrents termes utiliss par Damascius, , et ne dsignent nullement les objets mmes sur lesquels portent la perception sensible, lopinion et la pense rationnelle, mais bien le contenu cognitif immanent de ces dif-frentes modalits de la connaissance, savoir le produit de lacte constitutif de cha-cune des facults cognitives, et donc, plus prcisment, lobjet de la connaissance tel quil est effectivement peru27. Les facults de connaissance sont ds lors envisages ici comme tant dtermines par le contenu effectif de la perception des objets de la connaissance et non par ces objets eux-mmes, qui jouent le rle, pourrait-on dire, du ple objectif de lactivit cognitive. Or, ce ple objectif nest pas pris en con-sidration dans ce passage, pas plus que la nature du rapport entre le et le , qui sera examine un peu plus loin. Cette dfinition originale de la con-naissance comme rapport intentionnel entre le connaissant et son seul contenu co-gnitif immanent, envisag ici indpendamment de lobjet cognitif lui-mme, pourrait

    26. De Princ. II, p. 149.13-17, trad. J. Combs, modifie. Sauf indication contraire, toutes les citations du De Principiis reproduisent les traductions de Combs.

    27. Pour la distinction terminologique entre et , voir dj ARISTOTE, Mtaph. , 5, 1010b31-33.

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    laisser croire que Damascius propose ici une forme idaliste de la thorie de la connaissance28. Nous verrons quil nen est rien. Pour le moment, contentons-nous de constater que la connotation effectivement idaliste de la formulation adopte par Damascius semble avoir quelque peu gn les traducteurs.

    En effet, les traductions de ce passage par J. Combs et M.-C. Galprine ne ren-dent pas compte de la nuance terminologique dlibrment adopte par Damascius, qui sexcuse presque ( ) dintroduire le terme technique de 29 contenu effectif ou produit psychique immanent rsultant de lacte constitutif de la connaissance afin de dsigner non pas lobjet mme de la connaissance en tant que connaissable ( ), mais cet objet tel quil se prsente effectivement en nous ( )30. Cette nouvelle notion apparat ainsi comme un terme gnrique dont , et , en tant que contenus cognitifs spcifiques de chaque facult cognitive, constituent les espces.

    La connaissance tant ainsi dfinie en fonction du seul contenu psychique imma-nent, se pose alors demble la question du rapport entre le et lobjet mme de la connaissance, ainsi que celle de la nature du processus qui aboutit la cons-titution du contenu effectif de la connaissance. Bien que, dans notre texte, Damascius dfinisse curieusement la connaissance partir du seul ple subjectif du processus cognitif, comme une conformit () avec le produit immanent rsultant de lacti-vit constituante du connaissant, le penseur noplatonicien ne prtend nullement rejeter le ralisme plus marqu de certaines thories antrieures. Si la connais-sance est bien une activit31, elle est galement en mme temps rceptivit32. Quelle que soit limportance quil accorde au moment subjectif du processus cognitif pour dfinir la connaissance, Damascius nentend certainement pas nier que le pro-duit de lactivit cognitive doive ncessairement tre dtermin par le connaissable lui-mme en tant quobjet pralablement extrieur lme connaissante, et plus prcisment par lacte du connaissable, qui linforme et le constitue comme tel : [] toute connaissance par le connaissable plutt quelle ne sp-cifie () le connaissable33 .

    La capacit cognitive de lme doit ncessairement tre actualise par lobjet ex-terne quelle reoit dune certaine manire en elle-mme en se lassimilant. Dans son acte cognitif, lme sidentifie alors effectivement cet objet ainsi assimil, mais uniquement sous la forme dun contenu perceptif immanent, par lequel se dfi-nit la connaissance en tant que rsultat. Faisant allusion la thse de lidentification

    28. Telle est linterprtation de L.P. GERSON, The Concept in Platonism , dans J.J. CLEARY, d., Traditions of Platonism. Essays in honour of J. Dillon, Aldershot, Ashgate, 1999, p. 80, selon qui, dans la gnosologie de Damascius, the mental and its cognitional objects are cut off from the extra-mental .

    29. Comme lindique L.P. GERSON, ibid., semble avoir t forg sur le modle de . 30. La formule intervient de nombreuses reprises ds le dbut du De Principiis pour dsigner le mode

    dexistence psychique des ralits assimiles par lacte de la connaissance. Voir galement PROCLUS, In Parm. IV, 930.24-30.

    31. Cf. In Phaed. I, 81.2-3 ; II, 6.1. 32. Cf. De Princ. II, p. 167.3 : . 33. De Princ. II, p. 106.17-18.

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    par la connaissance, Damascius sattache ensuite interroger le statut du relativement au pour prciser la signification relle dune telle identi-fication .

    la lumire de la distinction terminologique fondamentale que nous venons de mettre en vidence, la ponctuation adopte par Westerink et la traduction par Combs de la suite immdiate du texte que nous venons de lire, sous la forme dune affir-mation, et comme une simple prcision explicitant le contenu de lnonc prcdent, peuvent porter confusion (dautant plus que lassertion qui suit parat prcisment rfuter une telle affirmation). Bien que cette assertion en tant que telle ne soit nul-lement errone au point de vue doctrinal, elle nous semble nanmoins perturber le cheminement argumentatif du texte et en attnuer la dimension rhtorique ; nous pr-frons donc garder ici la forme interrogative indique par la ponctuation du texte de Ruelle et adopte par M.-C. Galprine :

    Or, le contenu cognitif, est-ce le connaissable lui-mme, mais inhrent dj lessence du connaissant ( , - ;)34 ?

    La question capitale pose ici revient se demander si le contenu effectif rsul-tant de lacte cognitif est purement et simplement identique lobjet de la con-naissance, en sorte que le contenu de la connaissance conciderait dune certaine manire avec son objet. cette question, Damascius rpond immdiatement par la ngative, scartant ainsi manifestement dune certaine interprtation de la dfinition de la connaissance comme identit parfaite du connaissant et du connu :

    On fera remarquer que la connaissance existe entirement selon le connaissable, mais nest pas le connaissable ( , )35.

    La thse de lidentification par la connaissance est ici expressment carte, du moins dans sa formulation radicale. Cependant, quelles que soient les apparences po-lmiques de ce passage, Damascius y formule nanmoins une dfinition de la connais-sance qui sinscrit parfaitement dans la ligne des thories ralistes classiques au sein du noplatonisme. Il admet en effet que la connaissance est entirement d-termine en conformit () avec le connaissable, et quelle constitue donc bien le produit dune dtermination externe . Toutefois, il refuse nettement de considrer que la connaissance, qui, en tant que produit, nest rien dautre que le contenu cogni-tif effectif, sidentifie lobjet connu. Par l, Damascius entend mettre en vidence la fois le ncessaire cart entre connaissance et connaissable, et leur corrlation dans la vise intentionnelle qui tend le connaissant vers son objet pour tre inform par lui. Lcart initial qui suscite lacte cognitif et le mouvement de convergence ( )36 du connaissant vers le connaissable dfinissent ainsi entirement la na-ture de cette relation quest la connaissance. Loin de dsigner lidentit du connais-

    34. De Princ. II, p. 149.17-19, trad. M.-C. Galprine, lgrement modifie. J. Combs traduit pour sa part : [] et lobjet de connaissance, cest le connaissable lui-mme, toutefois dj consubstantialis avec le connaissant. Pour une autre occurrence du terme technique , voir ibid., I, p. 119.6.

    35. De Princ. II, p. 149.19-20, trad. J. Combs, modifie. 36. Cf. De Princ. II, p. 165.5.

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    sant et du connu, nous avons vu que la connaissance est dite tre dabord dtermine selon le produit de lacte cognitif (), qui lui-mme rsulte de la modification informante du connaissant par le connaissable (). Toute connaissance effec-tive, en tant que telle, est ainsi prsente comme immdiatement dtermine selon le contenu cognitif immanent lme connaissante, qui demeure lui-mme distinct de lobjet de la connaissance. Dans lexpos de sa gnosologie, Damascius, contrai-rement Aristote et Plotin, entend ainsi dabord insister non pas sur lidentit de lacte cognitif et de son objet, mais sur leur ncessaire altrit. Toute connaissance se tient demble et demeure dans un rapport de distinction et de distance relativement au connu. Contrairement ce que laissent entendre certaines formulations aristot-liciennes et plotiniennes, Damascius propose de dfinir toute connaissance avant tout comme un simple rapport intentionnel, une tension qui suppose laltrit, condition de possibilit mme de lacte cognitif :

    [] sil ny a pas daltrit, il ny a pas non plus de connaissance ( )37. [] la connaissance se trouve dans les choses cartes les unes des autres ( ) [], et spares par une altrit ; sans altrit, en effet, il ne saurait y avoir ce qui est connaissant ( ), ce qui est connu ( ), et ce qui est intermdiaire ( ), savoir la connaissance38.

    Contrairement aux vues exprimes par Plotin, Damascius refuse fermement den-visager la connaissance sous le mode de lidentit vritable du connatre et de ltre. Toute connaissance suppose demble la dualit. Elle ne se ralise quen tant que relation et toujours dans la relation. Toutefois, en tant que mdiatrice, elle implique galement la conjonction, ou plus prcisment, limpossibilit de la disjonction totale du connatre et de ltre. Dans la mtaphysique de Damascius, la notion de connais-sance se prsente ainsi la fois comme un substitut la pure identit et comme la rparatrice de laltrit dont elle est elle-mme le fruit, et ce quel que soit le degr du rel considr : parce quil sest distingu en lui-mme, explique Damascius, ltre a dvelopp une certaine correction de lcart ( ) et comme une consolation ( ), qui est la connaissance39 . Le produit de la connais-sance doit ainsi tre entendu non comme une identit du connaissant et du connu, mais comme une altrit surmonte, cest--dire une forme de rconciliation, ainsi que le laisse entendre la belle formule suivante :

    [] une reconnaissance () qui est le fait de ceux qui se sont spars, et une affabilit rciproquement offerte, accompagne de la distance (- )40.

    En plaant ainsi la connaissance sous le double signe de laltrit et de la commu-nication, et en la caractrisant avant tout comme lavnement dune jonction (), comme un intermdiaire par lequel se ralise une certaine conversion

    37. De Princ. II, p. 146.3-4. 38. De Princ. II, p. 145.14-17. 39. De Princ. II, p. 145.10-14. Chez PLOTIN (cf. Enn. VI, 7 [38], 41.1), lintellection tait qualifie de

    secours () accord aux tres de rang infrieur . 40. De Princ. II, p. 162.22-23.

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    ( )41 supposant lexistence dun cart quil sagit de combler sans labo-lir, Damascius semble ici encore aller rebours des enseignements que laissent en-tendre certaines formulations anciennes. Comment ds lors concilier une telle con-ception de la connaissance avec les donnes aristotliciennes et plotiniennes, qui, nous lavons vu, semblent envisager la connaissance du moins sa modalit no-tique comme la pure identit du connaissant et du connu ? La position dfen-due par Damascius scarte-t-elle dlibrment des principaux fondements thoriques de la notique aristotlicienne et de son interprtation plotinienne ? Cest l ce que certains commentateurs ont pens pouvoir conclure, en sattachant peut-tre un peu trop la disparit relle qui distingue la littralit des formulations de Damascius et celles de certains de ses prdcesseurs42. Mais alors, comment comprendre que Da-mascius distingue nettement lactivit notique de la connaissance sensible, laquelle demeure disjointe de ses objets par laltrit et la sparation ( ), quil prsente lintellection comme la connaissance la plus vridique () prcisment parce quelle est indivisible des intelligi-bles ( )43, et quil nhsite pas faire sienne laffir-mation aristotlicienne selon laquelle lintellect est les ralits ( )44 ? On pourrait peut-tre objecter ici que la dfinition de la con-naissance propose dans les textes du De Principiis que nous venons de citer ne men-tionne pas expressment lintellection, et semble donc ne concerner que les seules modalits cognitives infrieures, la nosis tant une modalit spciale sachevant dans lidentification effective du connaissant au connu. Mais, outre que lactivit no-tique constitue bien videmment une forme de connaissance, et mme sa forme la plus minente, Damascius indique ailleurs que si la nosis consiste effectivement en la ralisation dune certaine unit indivisible du connaissant et du connu, cette unit ne doit pas sentendre comme une pure identit ; admettant que lintellection a souvent t caractrise la fois comme une vision () et comme un tou-cher (), il se contente de justifier la signification de telles dnominations mta-phoriques par le seul fait que le fruit cognitif de lacte notique est proche () des intelligibles45. Chez Damascius, quelle que soit la modalit de la connaissance considre, lidentit cognitive dsigne au mieux la ralisation dune certaine proxi-mit , jamais celle dune unit indistincte. De ce point de vue, la conception de Damascius demeure parfaitement fidle aux vues doctrinales de Proclus, qui, comme

    41. Cf. De Princ. II, p. 147.16-17 ; il sagit ici de la conversion cognitive ( ), qui se distingue de la conversion vitale ( ) et de la conversion substantielle ( ) ; sur cette distinction doctrinale, voir ibid., p. 102.16 sq. et 135.5 sq.

    42. Cf. S. RAPPE, Reading Neoplatonism. Non-discursive Thinking in the Texts of Plotinus, Proclus, and Damascius, Cambridge, 2000, p. 217 et 220 ; ID., Scepticism in the Sixth Century ? Damascius Doubts and Solutions Concerning First Principles , Journal of the History of Philosophy, XXXVI, 3 (1998), p. 349 ; C.I. ANDRON, Damascius on Knowledge and its Objects , Rhizai, 1 (2004), p. 117.

    43. Cf. In Phaed. I, 90.5-6 ; voir galement De Princ. II, p. 105.20-21. 44. Cf. De Princ. II, p. 149.1-2, cit infra. 45. Cf. In Phaed. I, 88.1-2 : ,

    , .

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    la bien montr J. Ppin, tend dissoudre et faire clater lunit de lintellect et des intelligibles46.

    Chez Proclus, en effet, lantriorit de ltre sur lintellect hypostatique, et leur distinction hirarchique plus nettement marque que chez Plotin, ont pour principale consquence doctrinale que, contrairement ce que laissent entendre certains textes plotiniens, lunit des intelligibles et de lintellect, pourtant clairement affirme par ailleurs47, ne signifie nullement leur pleine concidence ontologique. plus forte raison, si tre et intellect sont intimement unifis, mais ne concident pas intgra-lement, lme connaissante, qui ne participe lintellect pur que par son seul sommet intellectif, ne saurait tre considre comme purement et simplement identique ni lui, ni mme son propre intellect particulier ( ), ni encore lintelli-gible saisi par cet intellect48. Si lme peut tre qualifie dintellect car, comme laffirme Proclus, lme aussi est intellect ( ) lorsquelle se dploie selon lintellect qui lui est antrieur , elle ne saurait pourtant jamais tre pleinement intellect, mais seulement intellect droul ( ) ; en elle les connaissances ne sont pas de purs intelligibles, mais des produits concep-tuels () drivs, des images () dployes des saisies notiques : ce quest lintellect pur sur un mode exemplaire () et concen-tr (), lme lest sur le mode de lextension ()49. Pour Proclus, les intellects particuliers, sommets des mes individuelles, ne sont donc nul-lement identiques leurs objets intelligibles ni tels quils se tiennent dans ltre ni tels quils existent dans lintellect universel qui les intellige, mais ils les saisissent seulement par participation ( ), en tant que reflets particulariss, cest--dire tels quils se refltent dans le miroir de lme intellective, support de la pro-jection () modalise des intelligibles purs50. Il sensuit que, comme tout acte cognitif, lactivit notique de lme ne saurait jamais consister en une parfaite identit du connaissant et du connu, mais dsigne plus prcisment un processus continu de convergence et de perfectionnement, o lme devient intellect sans pour autant cesser dtre essentiellement me51. Ainsi, l o Plotin, au risque dune cer-taine quivoque, tendait identifier pleinement lme et son intellect, et dfinissait la vrit intelligible apprhende par la contemplation comme la ralisation de lidentit parfaite du connaissant intellectif et du connu intelligible, Proclus entend demeurer

    46. Cf. J. PPIN, lments , p. 40 et 64. 47. Cf. PROCLUS, l. de Thol., 169, p. 146.26-27. 48. Sur les rapports hirarchiques entre lintellect hypostatique, les intellects particuliers et les mes, voir

    PROCLUS, In Parm. II, 746.10 sq. 49. Cf. PROCLUS, In Parm. IV, 897.37-39 ; In Eucl., p. 16.10-16. Sur la prsence des intelligibles dans lme

    en tant que et sur la tendance proclienne dissoudre, au niveau de lme humaine, lunit de lin-tellection, de lintellect et des intelligibles, voir J. PPIN, lments , p. 55-63 et S. GERSH, From Iam-blichus to Eriugena. An Investigation of the Prehistory and Evolution of the Pseudo-Dionysian Tradition, Leiden, Brill, 1978, p. 108 sq.

    50. Sur ce point, voir D. COHEN, et dans le noplatonisme tardif et leurs rapports avec les notions aristotliciennes d, de et de , dans M. BROZE, B. DECHARNEUX, S. DEL-COMMINETTE, d., (Od., III, 97). Mlanges offerts Lambros Couloubaritsis, Bruxelles, Ousia ; Paris, Vrin, 2008, p. 554-556.

    51. Cf. PROCLUS, In Parm. IV, 930.24-30.

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    plus fidle Platon et prfre, pour dfinir la connaissance humaine, se limiter voquer lide dune simple vise, dune tension permanente qui consiste en un ajus-tement progressif du connaissant son objet :

    De fait, il semble bien que toute la connaissance ne soit rien dautre que la conversion vers le connaissable ( ), le fait de se familiariser avec lui et de sy ajuster ( ), que pour cette raison la vrit consiste aussi dans lajustement du connaissant au connu ( ) []52.

    Cette conception bien plus modeste de la connaissance humaine, dont hrite Da-mascius, rsulte pour une bonne part des diffrentes critiques formules par Proclus53, la suite de Jamblique54, contre la thse plotinienne55 selon laquelle une partie de lme individuelle ne sincarne jamais et demeure de faon permanente en commu-nion essentielle avec les ralits intelligibles, et donc avec lintellect hypostatique lui-mme auquel elle peut sidentifier pleinement aprs stre purifie. Aux yeux de Proclus, il est impossible lme individuelle en tant que telle de participer lintel-lect pur sans mdiation ()56. Lme humaine demeure ainsi ncessairement rellement distincte de lintellect et donc des intelligibles, quelle ne peut connatre autrement que par la mdiation des raisons () ou notions psychiques ( ) qui en sont les images projetes en elle57. En ce sens, et parce que le produit cognitif immanent lme individuelle nest au mieux que le fruit de la rfraction modalise du contenu de lintellect universel, la connaissance humaine ne saurait avoir quune valeur essentiellement reprsentative ou symbolique , cest--dire mdiate ; il sagit donc dune connaissance en quelque sorte par antici-pation , caractrise ncessairement par sa relative extriorit son objet mme, laissant toujours subsister une certaine distinction du connaissant et du connu. En tant que telle, cette connaissance ne saurait donc trouver en elle-mme la garantie de sa propre vrit, mais doit la recevoir dune norme qui la dpasse et avec laquelle elle doit sefforcer dtre en conformit.

    IV. CONNAISSANCE ET CONVERSION CHEZ DAMASCIUS

    Cette conception plus humble de lme, o ni lme nest pleinement identique lintellect, ni lintellection lintelligible, se tient implicitement en arrire-fond des

    52. PROCLUS, In Tim. II, p. 287.1-5, trad. A.J. Festugire, lgrement modifie. 53. Cf. PROCLUS, In Tim. III, p. 231.5 sq., 244.22 sq., 322.32 sq., 333.28-30 ; In Parm. IV, 948.18-23 ; l. de

    Thol., 211, p. 184.10-11, avec les commentaires de E.R. DODDS, Proclus. The Elements of Theology, A Revised Text with Translation, Introduction and Commentary [1932], Oxford, Clarendon Press, 1963, p. 309-310.

    54. Cf. les tmoignages rassembls par A.-J. FESTUGIRE, La Rvlation dHerms Trismgiste, t. III ( Les doctrines de lme ), Paris, Gabalda, 1953, p. 252-257 ; voir galement In Phaed. I, 492.1-2.

    55. Cf. PLOTIN, Enn. IV, 8 [6], 8.1-23. 56. Cf. PROCLUS, l. de Thol., 211, p. 184.14-15. 57. Sur les notions psychiques , voir PROCLUS, In Parm. IV, 902.39 sq., avec les commentaires de S. GERSH,

    From Iamblichus to Eriugena, p. 90 sq. ; voir galement L.P. GERSON, The Concept in Platonism , p. 76-79.

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    exposs gnosologiques de Damascius58, qui reprend par ailleurs son compte les critiques de Jamblique et de Proclus lencontre du principal prsuppos quils asso-cient la mtaphysique plotinienne59. Selon lui, lme, dans sa condition actuelle, est ncessairement spare des ralits quelle aspire connatre, quil sagisse des ra-lits sensibles ou intelligibles, et, plus forte raison, de ltre pur, dont lintellect lui-mme nest que limage ( ) engendre subsistant par rapport lui dans un rapport non dhypostase hypostase, mais de connaissant connu ( - )60 .

    Comme Proclus, Damascius inscrit en outre lensemble de sa rflexion sur la notion de connaissance dans le cadre gnral de la doctrine noplatonicienne de la procession et de la conversion. Lactivit cognitive y constitue le moment marquant lamorce du second mouvement du cycle complet, la connaissance tant envisage comme le dernier lien des choses qui ont procd ( -)61, et comme une activit consistant en une reconnaissance par le con-naissant de ltre dont il sest cart. Damascius se montre ici fidle au point de vue noplatonicien tardif, o la connaissance vritable ne saurait tre autre chose quune conversion62, une conversion qui engage dans une certaine mesure ltre mme du connaissant, en sorte que les diffrentes modalits cognitives constituent autant de modalisations ontologiques, cest--dire autant dtats dtre hirarchiquement ordon-ns et susceptibles dtre effectivement raliss par le connaissant : la connais-sance, affirme Damascius, procure au connaissant ltre lui-mme63 .

    Toutefois, chez Damascius, tous ces lments ne rsultent pas uniquement des seules considrations doctrinales scolaires. ses yeux, lide fondamentale de retour vers ltre , ainsi que celle de la nature essentiellement notique de la connaissance, procdent demble de significations originairement inscrites au cur mme de la langue grecque ; elles constituent donc, pour ainsi dire, des faits de langue , suscep-tibles dtres dvoils par un examen philologique et philosophique du terme grec consacr la notion de connaissance :

    Observons que la connaissance (), comme le mot le donne entendre ( ), est intellection en train de venir ltre ( ), cest--dire intellection () ; et lintellection, parce quelle revient () et retourne () vers ltre ( ) et vers le il y a ( ), aurait pu tre dite avec raison retour ()64.

    58. Cf., par ex., De Princ. I, p. 20.11 sq., o est tablie la distinction entre les formes intelligibles ( ) et leurs images qui se constituent en nous ( ).

    59. Cf. In Parm. IV, p. 15.1 sq., avec les n. 1 et 2 ad loc. de J. COMBS, Damascius. Commentaire du Par-mnide de Platon, t. IV, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 153-154, qui fournissent une synthse biblio-graphique de cette importante question.

    60. Cf. De Princ. II, p. 158.8 sq. ; 161.23 ; 161.5-6. 61. Cf. De Princ. II, p. 154.23. 62. Sur lquivalence entre intellection et conversion dans le noplatonisme tardif, voir S. GERSH,

    From Iamblichus to Eriugena, p. 82 sq. 63. De Princ. II, p. 159.5-6 : . 64. De Princ. II, p. 148.1-4.

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    Ainsi, lunique fonction assigne la connaissance, ainsi comprise daprs sa signification tymologique et pour ainsi dire pr-philosophique , est de rduire dans une certaine mesure une altrit initiale dsormais reconnue comme telle, sans toutefois la rsorber entirement, sous peine de faire perdre cette activit psychique son statut mme de connaissance , et ce mme lorsque celle-ci est envisage en son acception originaire dactivit notique :

    [] il est vident, partir du nom mme de la connaissance, que cest par son retour () vers ltre que lintellect subsiste () et que la connaissance est projete (), que tout retour est le fait de ce qui a procd () et sest dj cart () et, pour cette raison, a besoin dun retour qui nabolisse pas lcart ( ), mais ramne cela mme qui sest cart, vers ltre dont il sest cart et vis--vis duquel il est dans ltat de procession acheve65.

    On constate ici que le point de vue adopt par Damascius pour envisager la na-ture du rapport de lintellect et de ltre est exactement inverse celui de Plotin, lequel, en les situant au sein dune unique hypostase, entendait surtout en exprimer lunion et lindissociabilit. En effet, dans loptique de Damascius, cest justement parce que lintellect sest distingu des ralits intelligibles selon lcart le plus grand , quil les a connues (), cest--dire que, de loin (), il sest li elles par la connaissance66 . Pour Damascius, mme la modalit cognitive su-prieure quest lintellection demeure une activit purement relationnelle, un change, une tension qui ne saurait entirement rsorber lcart qui constitue sa propre con-dition dexistence, et le contact du connaissant et du connu effectivement ralis par la connaissance notique ne signifie en aucun cas pour lui l identit ou la con-fusion des deux termes67, pas mme dans le cas de lintellect pur, qui, comme chez Proclus, demeure suspendu ltre comme son principe gnrateur, sans tre con-fondu avec lui :

    Est-ce que lintellect ne regarde pas vers sa propre cause ? Rpondons que, stant loign delle, il sest converti vers elle, et quayant voulu la saisir (), au lieu de cela, il la connue () ; ou plutt il la saisie de faon telle quil ne lest pas devenue ( -), mais quil la embrasse () de faon cognitive (), cest--dire que son il a t tout illumin () par la lumire de cette cause. Voil, en effet, en quoi consiste le contact du connaissant avec le connu ( ) ; ce nest pas dans le fait dtre devenu le connu ( ), ni de faire partie de lui, ni davoir saisi de lui une ma-nation, ni davoir t ramen lui. Toutes les saisies de ce genre confondent (-) les choses qui ont t distingues, et elles nadmettent mme plus la forme de la con-naissance, forme qui existe dans la distinction ( ) tablie selon les dlimitations du connu et du connaissant68. Lintellect donc, dans toutes ses parties et dans sa totalit, est dans ltat de conversion vers sa cause, non pas en tant quil sappartient lui-mme, mais en tant quil appartient celle-l ; il aspire () donc tre uni () sa cause productrice, tre de

    65. De Princ. II, p. 149.4-11. 66. Cf. De Princ. II, p. 146.15-16 et 147.14-19. 67. De Princ. I, p. 73.6-8, prcise dailleurs nettement quun retour qui sachverait dans la pleine identit

    constitue une conversion par union, et non par connaissance ( , ). 68. De Princ. II, p. 162.9-21.

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    quelque faon ( ) celle-l autant quil le peut ( ), la contempler en tant quelle est place avant lui et quelle est spare de lui69.

    V. RALISME ET PHNOMNISME DANS LA GNOSOLOGIE DE DAMASCIUS

    Ayant soulign le rapport daltrit et de distinction o se tient toute activit cognitive relativement son objet, il nous faut prsent examiner brivement la nature de cet oprateur de mise en relation quest la connaissance. Par elle, comme nous lavons vu, le connaissable se prsente lme connaissante en y informant un contenu cognitif dsormais consubstantialis elle, et par lintermdiaire du-quel elle sunifie lui dans un processus de convergence et dassimilation qui ne sachve jamais dans la parfaite concidence identitaire. Prcisons ici que cette con-substantialisation de lobjet cognitif dsigne clairement chez Damascius une modi-fication ontologique effective chez le connaissant70, dont le produit psychique imma-nent, nous lavons vu, est dsign par le terme technique de gnsma. Dans ce moment du processus cognitif, une telle modification est prsente comme une simple affec-tion du connaissant par le connaissable, ce qui exclut toute connotation idaliste , sil faut entendre par l lide dune certaine prminence de la connaissance sur le connaissable, ou celle de la production de celui-ci par celle-l. La connaissance est donc envisage ici essentiellement dans sa fonction strictement passive. Comme Proclus, qui distinguait entre la nature causale et effectivement productrice de la con-naissance divine et celle essentiellement rceptive et participative de la connaissance humaine71, Damascius tient prserver la dimension fondamentalement raliste de sa doctrine, et prcise que la connaissance humaine en tant que telle, sur laquelle portent principalement ses propres investigations, demeure toujours strictement su-bordonne un objet indpendant delle, tant entirement dtermine par lopration informante de lacte de cet objet, sans jamais pouvoir lembrasser cognitivement dans sa totalit :

    Quoi donc ? La connaissance ne consiste-t-elle pas embrasser le connaissable et nest-elle pas une certaine circonscription ( - ) ? Non, toute connaissance par le connaissable plutt quelle ne spcifie () le connaissable []72. nexerce aucune action ni dun ct ni de lautre, en tant quelle con-nat ( ). Car, mme en supposant que la connaissance soit active, nan-moins, en tant quelle exerce quelque action et fait venir ltre quelque chose, elle nest plus connaissance en tant que connaissance dun connaissable, mais elle est une certaine cause efficiente de quelque uvre. En effet, ce nest pas le propre du connaissant, que de produire, mais seulement de connatre quelque chose qui est dj []73.

    69. De Princ. II, p. 139.3-8. 70. Cf. De Princ. II, p. 159.5-7 et 14-15. 71. Cf. PROCLUS, In Parm. III, 794.3-795.2. 72. De Princ. II, p. 106.16-18. 73. De Princ. II, p. 164.5-9.

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    Telle est la doctrine gnosologique de Damascius prsente selon son aspect raliste , voire navement dogmatique . Le processus dassimilation et de modi-fication ontologique ne concerne ici que le sujet connaissant, tant entendu que la ralit connue demeure quant elle dans sa permanente actualit, et prexiste toute connaissance effective que lon prend delle. La connaissance, en tant que telle, pr-cise Damascius, ne produit pas ltre ( ) de ce quelle connat ; relati-vement son objet, elle est bien plutt le fruit dune pure contemplation rceptive, dun assentiment () et dune reconnaissance () de ce que chaque chose est telle quelle est ( )74.

    Toutefois, chez Damascius, cette perspective est dpasser, sous peine de ne pas pouvoir rendre compte de leffectivit et de la nature complexe de ladquation entre la connaissance et le connu. Cest ainsi que Damascius entend peut-tre nuancer le caractre apparemment unilatral du ralisme de la doctrine proclienne o lobjet cognitif par excellence est ltre pur75 lorsquil sattache clarifier cette fois le statut du ple objectif de la connaissance. Damascius ne saurait en effet ad-mettre telle quelle la conception proclienne selon laquelle latteinte de la vrit ( ) consiste purement et simplement en la saisie de ltre ( ), quelles que soient dailleurs les modalits dune telle saisie76. Lobjet cognitif, indique-t-il, nest pas, en tant que tel, une ralit en soi, et il ne se donne jamais tel quil est en lui-mme dans sa nature intime, cest--dire dans son tre propre , mais uniquement en tant que connaissable , tant entendu que, comme le prcise Damascius, dans tout acte cognitif, lobjet de la connaissance doit se pr-senter ( )77, ce qui en fait non pas un objet en soi transcendant isol en lui-mme et sur lequel porterait lactivit co-gnitive, mais prcisment un connaissable, cest--dire un objet intentionnel toujours coordonn et donc ncessairement relatif la connaissance et au connaissant ( )78. Ds lors, la saisie de la vrit , qui doit tre lac-complissement de lactivit cognitive, ne saurait en aucun cas consister en celle de ltre pur comme tel. Chez Damascius, en effet, la connaissance, quelle que soit dail-leurs la nature de son objet, est plus modestement envisage comme la simple actua-lisation dune certaine disposition pralable chez le connaissant corrle celle de lobjet cognitif, actualisation qui ne saccomplit ainsi que dans la rencontre de deux actes79, celui dune vise intentionnelle particulire et celui dune donation partielle :

    Quprouve () donc celui qui est capable de connatre ( ), quand il ne connat pas encore ? On rpondra quil dsire le connaissable ( ). Ainsi donc, la connaissance est lacquisition du connaissable en tant que connaissable ( ) ; car, si cest lacquisition de ltre, cest du moins en

    74. Cf. De Princ. II, p. 164.19 et 165.15-16. 75. Cf. PROCLUS, In Parm. IV, 945.40-946.6 ; In Tim. I, p. 246.2 sq. 76. Cf. PROCLUS, In Tim. II, p. 287.9-11. 77. Cf. In Phaed. I, 88.3. 78. Cf. De Princ. I, p. 19.14-15. 79. Cf. De Princ. II, p. 157.1-2, o est prcis que, comme cest le cas dans la doctrine aristotlicienne, con-

    naissant et connu deviennent en acte ensemble .

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    tant que ltre est connaissable. Quest-ce, alors, que le connaissable, et en quoi diffre-t-il de ltre ? On rpondra que ltre, dans son rapport un autre ( ), est con-naissable, mais que, selon ce quil est en lui-mme ( ), il est tre. On rpliquera que cest bien l ce qui leur est propre, mais quil reste encore dfinir la nature de cha-cun des deux. Disons que ltre est lhypostase ( ), et que le connaissable est pour ainsi dire lclat ( ) de lhypostase80.

    Ce texte important tmoigne dun autre aspect original de la doctrine de la con-naissance esquisse par Damascius. Le dpassement du ralisme naf consiste ici dabord rcuser la conception chosiste de ltre, objet cognitif par excellence de lme intellective, en tant prcisment quelle le pose comme un objet dont se sai-sirait le connaissant. Une telle conception, qui sapplique dans une certaine mesure aux modes infrieurs de la connaissance, lesquelles ne saisissent que des ralits in-dividuelles, ne saurait convenir la connaissance notique, dont la vise est ltre mme. Ltre pur en effet est, en lui-mme, rigoureusement indistinct, et, ce titre, ne saurait tre ni connu ni mme dsign comme tel ; comme le souligne Damascius, tout cela, noms () et choses (), appartient la nature spcifie ( ), tandis que la nature de ltre est compltement indiffrencie ()81 . Impossible donc, pour Damascius, dadmettre lide dune saisie de ltre en tant que tel, ou celle dune vritable identification ltre par la connais-sance. Ltre demeure ncessairement extrieur lme connaissante. Toutefois, il nen reste pas moins que lextriorit spatiale de lobjet sensible relativement au connaissant ne saurait videmment tre du mme ordre que celle de ltre intelligible relativement lme intellective : si, dans la connaissance sensible, seules les ima-ges des objets sensibles sont effectivement perues, alors que ces objets eux-mmes demeurent distance , dans lintellection, ce sont bien les intelligibles eux-mmes qui sont prsents dans lme ; car, si lme intellective nassimile vritablement que les images des intelligibles, ces dernires, prcise Damascius, sont tellement lies leurs modles, que cest comme si elles leur taient identiques82. Ainsi, bien que le ncessaire dualisme inhrent la connaissance notique doit tre nuanc, Damascius se refuse pourtant labolir purement et simplement et envisager la possibilit dune saisie cognitive de ltre total et des intelligibles o connaissant et connu seraient pleinement identiques . Toute connaissance est en effet une activit toujours com-prise dans ltre et se rapporte ncessairement un connaissable diffrenci, qui toujours dborde le connaissant. Ltre enveloppe le connatre et lui fournit ses objets intelligibles non en demeurant un en soi, mais en tant prcisment quil se prte la connaissance et se donne elle : [] lacquisition de ltre par le connaissant a lieu selon le connu83 . Si ltre ne se rduit nullement un objet de la connaissance, il en est pourtant la norme et ne saurait tre saisi cognitivement autrement que comme une norme particulire qui se dtache, pour ainsi dire, dun fond total pour se prsenter

    80. De Princ. II, p. 149.20-150.4. 81. De Princ. II, p. 153.14-15. 82. Cf. In Phaed. I, 88.3-6 : [] ,

    , , , .

    83. De Princ. II, p. 150.23-24 : .

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    lme intellective. Sil est certain que lintellect vise toujours ltre, il ne latteint pas immdiatement comme tel, mais seulement revtu dun certain mode, celui sous lequel il se rend actuellement prsent lme connaissante, et qui est lorigine de la dtermination du gnsma, produit effectif de la connaissance. Comme nous lavons vu, pour Damascius, cest bien cette prsence immanente et consubstantialise lme qui constitue la forme gnrale de la connaissance : seul est connu par lme ce qui se prsente elle, savoir le connaissable tel quil se donne et tel quil est assimil. Ltre, en se donnant, nest ainsi nullement absorb et circonscrit par la connaissance, relativement laquelle il demeure ncessairement dans un rapport daltrit. On voit ainsi que, dans la gnosologie de Damascius, lidentit du con-natre et de ltre se rduit celle du connatre et du seul produit effectif de la con-naissance, cest--dire lidentit de lme connaissante et du gnsma qui lui est consubstantialis la suite du processus de lacquisition du connaissable . Or, nous lavons vu, le gnsma nest pas identique au connaissable lui-mme, de mme que ce dernier nest pas identique ltre mme de lobjet vis par la connais-sance, et encore moins ltre en tant que tel. Ds lors, si Damascius peut admettre la formule aristotlicienne posant lidentit de lme intellective et de ses objets intel-ligibles, cest uniquement en entendant par intelligibles non pas des tres purs saisis comme tels, mais des tres dj modaliss comme connaissables et assimils plus ou moins partiellement par lme sous la forme des gnsmata consubstantia-liss elle, et par lintermdiaire desquels seulement le connaissant peut atteindre ses objets.

    VI. CONNAISSANCE ET ASSIMILATION

    En outre, contrairement ce que laissent entendre certaines formulations aristot-liciennes, la connaissance, en tant que spcification du connaissant par le connu, est expressment envisage par Damascius comme dsignant non pas la ralisation acheve dun tat ontologique didentit, mais plus prcisment la dynamique struc-turante et informante, cest--dire le processus mme par lequel sopre lassimilation par lme de son objet et samorce le retour du connaissant ltre ; cest donc bien plutt lcart par rapport ltre qui constitue un tat initial dloignement et de distance, tat que lacte de la connaissance attnue mesure de son propre mouve-ment :

    Mais, peut-tre aussi, la connaissance veut-elle tre une gense dtre et de substance ( ) ; car par son retour vers ltre, le connaissant est substantia-lis () selon la connaissance ( ), non pas selon la premire [cest--dire la conversion substantielle ; cf. II, p. 160.21 sq.], mais selon celle qui est, pour ainsi dire, substantialisation en train de se raliser ( ), cest la raison pour laquelle lintellect est les intelligibles ( ), comme le dit aussi Aristote84.

    84. De Princ. II, p. 148.19-149.2.

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    Ce qui, dans la formulation aristotlicienne, dsignait la ralisation dun tat ontologique didentit en acte est prsent par Damascius comme une dynamique inacheve de substantialisation . La connaissance notique, telle que lenvisage Damascius, constitue en effet un processus dassimilation qui spcifie () le connaissant selon son objet dintellection ( ) sans pour autant sachever dans une parfaite identification. Mais parce que les gnsmata consubstan-tialiss lme intellective ne sont rien dautre que les objets cognitifs eux-mmes tels quils se donnent et tels quils se prsentent lme, lon peut effectivement poser, comme le fait Aristote, lidentification effective du connaissant et du connu tant entendu que, dans leurs actes respectifs, lun et lautre deviennent ensemble ( )85 , mais condition toutefois dcarter linterprtation qui prendrait pour une identit vritable et entitative ce qui, pour Damascius, est processus continu de convergence et dajustement coordonnant des ralits demeu-rant en elles-mmes essentiellement distinctes mais sunifiant dans la corrlation de leurs actes. Lidentit cognitive admise par le penseur noplatonicien nest donc vi-demment pas celle du connaissant et des tres mmes, mais celle de lme connais-sante avec ses seuls produits cognitifs consubstantialiss , de mme que lintellect pur, en saisissant les intelligibles, sunit seulement lui-mme ( ) par la connaissance, mais non ltre86. Nanmoins, prcise lauteur, mme dans son rap-port cognitif soi, lintellect ne sunit lui-mme que dans un certain cart par rapport lui-mme ( )87. Ceci permet de compren-dre pourquoi Damascius, bien quadmettant la formulation aristotlicienne de la thse de lidentification par la connaissance, choisit pourtant le plus souvent dutiliser pour sa part une terminologie qui prserve lcart entre lme intellective et les intelligi-bles. La connaissance, indique-t-il, ralise simplement la jonction () du con-naissant ( ) au connu ( ), parce qu elle tend () le connaissant vers () le connu par amour du vrai88 . Considrant encore la mme relation dynamique sous un point de vue inverse, Damascius propose alors de dfinir la connaissance comme lassimilation rceptive () du connaissable par le connaissant89, prcisant que la connaissance, en tant quactivit, met le connaissable dans le connaissant par lclair qui slance en celui-ci partir de celui-l ( -)90 .

    Ainsi, de faon gnrale, la connaissance consiste en une assimilation toujours partielle du connu par le connaissant, et le degr de cette assimilation correspond celui de la pntration plus ou moins profonde de la nature ontologique des objets

    85. Cf. De Princ. II, p. 157.2. 86. Cf. De Princ. II, p. 154.10-11. 87. Cf. De Princ. II, p. 146.16-18. 88. De Princ. II, p. 145.22-24. 89. Cf. De Princ. II, p. 147.20-21 : En quoi consiste [] la connaissance ? Disons quelle est rception de

    lobjet connaissable dans le connaissant ( ) (trad. J. Combs, lgrement modifie).

    90. De Princ. II, p. 145.24-146.1.

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    cognitifs. Le contenu du gnsma, tout en lui tant entirement conforme, npuise pas celui du connaissable, pas plus que le connaissable lui-mme ne manifeste lin-tgralit de la nature de ltre vis, mais uniquement ce qui, de lui, se donne et se distribue selon la nature et la capacit de telle ou telle facult cognitive. Ainsi, explique Damascius, pour la forme matrielle, par exemple, son hypostase est une chose, et le fait dtre sensible ( ) en est une autre ; son aspect sensible ( ) est ce qui delle se projette et brille vers lextrieur ( ), jusqu la sensation, en devenant ainsi proportionne () cette dernire91 . Par la rencontre avec lacte de son objet spcifique, la facult sensitive sactualise en une connaissance effective, pou-vant atteindre un degr de vrit gal celui dont est susceptible lordre sensible lui-mme ; mais une telle connaissance demeurera ncessairement partielle. Lobjet vis, lorsquil se prsente la facult sensitive sest ncessairement dj modalis pour pouvoir tre assimil par elle. Cest pourquoi, comme lindiquait Damascius, la connaissance sensible, comme toute autre modalit cognitive, est dite exister avant tout selon le contenu de la connaissance ( )92, et non selon le connaissable lui-mme ; le gnsma rsultant dun tel acte cognitif existe certes entirement selon le connaissable93 , par lequel il est dtermin, mais sans pour autant sidentifier pleinement ce dont ce connaissable nest que lclat , cest--dire un aspect particulier et diffrenci, en loccurrence laspect sensible.

    En ce qui concerne la connaissance sensible, la doctrine de Damascius ne pose nulle difficult particulire, puisquelle sappuie sur la thorie aristotlicienne de la perception, et quil est par ailleurs ais dadmettre que la perception sensible ne saisit jamais lintgralit de ltre de tel ou tel objet, mais uniquement ce qui de lui est assi-milable par telle ou telle facult cognitive infrieure ; ainsi, pour la vue, la couleur seule est visible et non le substrat ( , )94. Pourtant, contrairement Aristote, Damascius nhsite pas tendre cette caractri-sation de la perception sensible la connaissance notique elle-mme, dont lobjet intentionnel est ltre en tant que tel et donc la totalit unifie de ses dterminations in-telligibles. Tout en voquant limage dune vritable fusion avec ltre, Damascius tient relativiser doublement la plnitude de lidentit du connaissant et du connu ainsi suggre, en la faisant porter sur le seul aspect manifest de ltre, et, plus prcisment, sur ce qui, de cet aspect, se donne en tant que connaissable, susceptible de se consubstantialiser lme intellective. Cest l prcisment ce que Damascius entend par lclat de ltre ( ), savoir ce qui supporte dapparatre aux tres de second rang et ce qui se met soi-mme en pro-portion ( ) avec ceux qui veulent jouir de ltre et dsirent embrasser sa lumire avant-coureuse95 . Il suit alors que la pure identit dans la connaissance

    91. De Princ. II, p. 150.4-8. 92. De Princ. II, p. 149.16-17. 93. Cf. De Princ. II, p. 149.19-20. 94. Cf. ARISTOTE, De Anima II, 7, 418a26-31, texte auquel se rfre DAMASCIUS, De Princ. II, p. 151.4-5

    et 152.2-3. 95. De Princ. II, p. 150.25-151.2.

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    demeure ncessairement un horizon distant et lobjet dun dsir constant, qui, bien que partiellement combl et ralis dans le processus dassimilation, ne saccomplit pas autrement que comme la persistance dune vise :

    De la mme faon, lclat de ltre, comme une lumire qui court en avant de lui ( ), jusqu celui qui est capable de connatre, et, qui la premire vient sa rencontre (), alors quil slance sur le chemin qui monte vers ltre, lclat de ltre se fusionne avec lui () selon une certaine proportion (), accomplit et comble son dsir de ltre par la plnitude de sa propre lu-mire. Est-ce donc que lintellect ne connat pas ltre, mais connat lclat de ltre ? On rpond quil connat ltre selon son clat, et son clat selon le connais-sable ( , ) []. Et pourtant il dsire ltre. Disons quil le dsire comme tre, mais que le mme il latteint comme connaissable ( , -)96.

    Aucune exprience cognitive nassouvit donc pleinement le dsir de ltre, dsir qui est constitutif de la vise de lme intellective. Soulignons toutefois ici que Da-mascius tient lui-mme prvenir toute interprtation sceptique ou phnom-niste de sa thorie de la connaissance, du moins en ce qui concerne sa modalit notique, qui se tient dans le domaine de ltre97. Sil est vrai, dit-il, que diffrent est le corps et diffrent son clat travers son tout , on pourrait en dduire, par analogie, que mme l-haut lclat est autre que ltre98 . Bien que cette analogie soit lgitime dans une certaine mesure, Damascius se doit de souligner, dune part, quil importe de ne pas transposer purement et simplement les conditions dexistence qui sont celles de lordre corporel au domaine de ltre et des intelligibles, o tout est pure transparence et intriorit rciproque ; et, dautre part, que, contrairement ce que les mtaphores de l clat et de la lumire pourraient laisser entendre, la manifestation extrieure de ltre se ralise dune tout autre manire que celle dun objet corporel :

    [] on pourrait peut-tre se demander sil est vrai que lintellect connat la lumire avant-coureuse de ltre et sil ne connat pas plutt ltre lui-mme, encore que ce soit selon son clat. Observons que cette lumire avant-coureuse vient dtre dite lclat de ltre, et non pas une sorte dmanation de ltre ( ), la faon de la lumire terrestre qui mane du soleil, mais cest comme si lon voyait le soleil lui-mme par la luminosit en lui de sa nature ( ). Eh bien donc, lintellect connat-il seulement la sur-face ( ), sil est vrai quil connat lclat de ltre comme une couleur ? On rpondra quil faut concevoir lclat travers le tout et quil ny a rien de lui qui ne laisse transparatre sa lumire et ne sempresse de se manifester, comme propos

    96. De Princ. II, p. 150.8-20. 97. Pour un aperu de linfluence relle et profonde, la fois terminologique et philosophique, du scepticisme

    hellnistique dans le cadre des dveloppements de Damascius relatifs aux premiers principes et lInef-fable antrieurs ltre, voir les tudes de S. RAPPE, Reading Neoplatonism, p. 197 sq. et Scepticism in the Sixth Century ? , passim. Ce nest que relativement lIneffable que lon peut ventuellement qua-lifier la gnosologie de Damascius d agnosticisme ou de subjectivisme , comme le fait A. LIN-GUITTI, Giamblico, Proclo e Damascio sul principio anteriore alluno , Elenchos, 1 (1988), p. 106.

    98. De Princ. II, p. 151.23-24.

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    du cristal ou de quelque corps diaphane, tu dirais quil est visible dans sa totalit, parce que la nature du visible le pntre tout entier99.

    En voquant le cas limite dun cristal pur ou dun corps parfaitement diaphane, Damascius veut faire entendre ce que signifie, pour ltre, dtre tout entier prsent en chacune de ses manifestations particulires, mais aussi comment lintellect en sai-sissant ses clats diffrencis peut sassimiler lui sans pourtant tre confondu avec lui. Lclat du cristal est en effet indissociable de la lumire qui le rend lumi-neux, et la lumire est identique en elle-mme et dans le cristal o elle se manifeste, sans pour autant que le cristal ne soit en aucune faon confondu avec la lumire qui le traverse.

    Si, selon lexemple pdagogique choisi par Damascius, le cristal ou quelque corps parfaitement diaphane manifeste dune certaine faon demble pleinement la lumire la vue, il nen reste pas moins que tous les corps ne se donnent toujours que partiellement la perception, en projetant vers le connaissant seulement telle ou telle de leurs qualits ; ainsi, de ce qui est compltement diaphane, ce nest pas le corps qui est visible, mais la couleur seulement100 . Mais, contrairement aux ralits corporelles, ncessairement lies la matire et aux conditions spatiales, ltre, en se manifestant par une sorte dmission de lui-mme, na pas sortir de lui-mme et ne saurait devenir autre que lui-mme en se modalisant. Nanmoins, mme si cest bien ltre lui-mme que saisit la connaissance notique, on ne saurait pour au-tant parler ici dune identification rigoureuse du connaissant ltre en tant que tel, pas plus que lon ne peut parler dune identit du corps diaphane ou du cristal pur et de la lumire qui le traverse, dont ils ne sont que des supports particuliers possibles. Bien que ltre se donne toujours tout entier en chacune de ses manifestations, cest toujours ltre en tant quil sest dj diffrenci en tel ou tel de ses aspects possibles qui peut tre saisi par la connaissance intellective101. La connaissance, dont lexis-tence mme suppose lcart davec ltre, doit ainsi tre entendue comme une activit essentiellement distinctive ()102, un processus de diffrenciation (-) de lindiffrenci () dont le produit npuise jamais le contenu de ltre vis et ne sidentifie donc pas purement et simplement lui. Parce que ltre total est rigoureusement universel et informel , la connaissance, quelle que soit sa vise, ne saurait atteindre que telle ou telle de ses dterminations formelles particu-lires, cest--dire tel ou tel eidos103 : cest en effet uniquement avec toute forme ( ) que coexiste aussi une sorte de connaissance104 . La connaissance de lme intellective, support pour ainsi dire diaphane de la prsentation limite de ltre et de la rfraction modalise des intelligibles, nest ainsi, au mieux, que la saisie dun point de vue possible sur ltre. De mme, les intelligibles ne sauraient tre sai-

    99. De Princ. II, p. 151.11-22. 100. De Princ. II, p. 152.2-3. 101. Cf. De Princ. II, p. 152.6 sq. 102. Cf. In Phaed. I, 396.4. 103. Cf. In Phaed. I, 420.2-3. 104. De Princ. II, p. 153.20-21.

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    sis en eux-mmes, en tant que pures units, mais uniquement dans telle ou telle mani-festation dtermine, qui implique fragmentation, particularisation et articulation selon une pluralit ordonne.

    Ainsi, ltre total informel et les intelligibles purs qui en sont les aspects dif-frencis, demeurent, en eux-mmes, radicalement inaccessibles lme connaissante, qui ne les saisit que pour autant quils se donnent, et en tant quils se refltent plus ou moins parfaitement en elle. Cest pourquoi, dans la gnosologie de Damascius, mme la connaissance notique ne peut tre que mdiate et donc ncessairement imparfaite par elle-mme, en sorte quelle persiste dans linachvement de son propre dvelop-pement, lme connaissante tant incapable de sunir pleinement lobjet mme de son dsir, mais uniquement son substitut , savoir le gnsma produit par la rencontre de son propre acte avec celui du connaissable. Bien que le but ultime de la connaissance soit lassimilation lintellect et le retour aux ralits intelligibles mmes ( )105, lactivit cognitive, mme en son acception suprieure, demeure donc essentiellement une vi-se intentionnelle, et son produit une simple promesse ontologique ; de faon g-nrale, en effet, le dernier diadoque de lcole noplatonicienne dAthnes considre que lme connaissante, dans sa condition humaine, ne saurait jouir tout au plus que d une saisie qui espre entrevoir de loin quelque chose de la vrit, et qui anticipe simplement en esprance le but de son dsir106 .

    105. In Phaed. II, 9.1-2. 106. De Princ. II, p. 108.18-20 ; cf. ibid. III, p. 136.15-16.

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