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Amine Benabdallah
Note de lecture :
Michel Maffesoli – Le réenchantement du monde, Paris , Table ronde, 2007
1. Le désenchantement du monde
Les sciences de l’homme sont redevables à Nietzsche de leur avoir imposé une
tâche immense, l’appréhension d’un monde ruiné, sans fondements, endeuillé par la
disparition d’un être cause de soi, initiateur de mouvement, générateur de signification et
assurance d’immortalité. L’aphorisme 125 du Gai Savoir nous étreint à chaque lecture d’un
sentiment ambivalent de regret et de joie, de tristesse et d’exaltation. L’annonce de la mort de
Dieu par ce dément, ce Diogène mélancolique est un cri de désespoir, un reproche infini
s’adressant à des assassins qui n’acceptent pas les conséquences de leur crime.
Mais que signifie exactement l’affirmation de la mort de Dieu ?
Elle signifie que le Dieu chrétien est mort, c'est-à-dire pour Nietzsche un Dieu qui se
comprend selon la double modalité métaphysique et morale, celui qui représente comme chez
Platon la conjonction entre ce qui est le plus élevé, le théologique et ce qui est la totalité, le
plus commun, l’ontologique. Le métaphysique occidentale étant donc fondée selon le terme
de Heidegger sur une tradition onto-théologique.
Nietzsche affirme que cet événement est encore trop lointain pour être compris, la force
et le lieu du Dieu chrétien sont toujours présents bien que le monde soit peuplé de ceux qui
ont perdus Dieu. Heidegger remarque à ce propos « Si Dieu a quitté sa place dans le monde
supra-sensible, cette place, quoique vide, demeure. La région vacante du monde suprasensible
et du monde idéal peut être maintenue1 ».
En somme, la rupture n’affecte pas le croire mais le croire-à un Dieu chrétien ou moral,
législateur du royaume des fins. La morale en elle-même est l’objet d’une croyance, d’une
interprétation qui donne sens et valeur à un environnement. La modernité pensée comme
crise est justement le résultat de l’impossibilité pour le sujet de donner une signification et
une valeur à son histoire et à ses actes en l’absence d’un principe transcendant. Nietzsche écrit
1 Martin Heidegger, « Le mot de Nietzsche « Dieu est Mort »,in Chemins qui ne mènent nulle part,
Paris, Gallimard, 1962
2
« Que signifie le nihilisme ? Que les valeurs supérieures se dévaluent. Il manque le but, il
manque la réponse à la question pourquoi ? ».
Cependant l’homme préfère vouloir le néant que de ne rien vouloir et il va substituer le
Dieu chrétien, lui faire subir une transformation en doctrines politiques ou historicistes. Dans
l’interprétation de Nietzsche, le libéralisme, la démocratie et le socialisme sont les résultats du
christianisme et les conséquences de son dépérissement. Ce dernier ne diffère pas d’eux
ontologiquement car ils sont l’expression d’un même nihilisme. Le constat est sombre et se
solde par une critique radicale de la modernité culturelle et politique.
Chez Max Weber cette mort de Dieu se situe dans un concept d’ordre
sociologique qu’il qualifie de « désenchantement du monde ». Ce processus naîtrait d’une
rationalisation accrue propre à la modernité.
-Le processus de désenchantement du monde « rejette toute les moyens magiques de
recherche du salut comme relevant de la superstition et du sacrilège » .
-La rationalisation est « le fait que les valeurs et les relations sociales perdent la forme
primitive et communautaire qu’elles avaient dans la société traditionnelle pour prendre la
forme bureaucratique et impersonnelle qui les caractérise dans la société moderne ».
Cette idée d’une désagrégation du corps social habite l’œuvre de Durkheim qui repère
dans la société moderne le danger de l’anomie. L’ancien régime enserrait l’individu dans un
tissu de structures encore héritées du féodalisme. Cette multiplicité d’identités (corporatiste,
paroissiale) fut peu à peu détruite non par la Révolution mais en amont par la longue
absolutisation et centralisation du pouvoir royal. La Révolution française a réduit ces identités
au nombre de deux, l’individu et le citoyen. Il fut ainsi donné au pouvoir politique une
possibilité sans égal d’imposer son autorité directement sur l’individu. Selon Weber, la
rationalisation finit « par être la racine d’une tyrannie plus forte, plus pénétrante que toute
celle que l’homme a connu ». Le paradoxe souligné par la pensée contre-révolutionnaire et
par Tocqueville est que l’Etat contemporain empiète bien plus sur la sphère privée que ne le
faisait l’ancien régime. De plus ce pouvoir sans égal dans l’histoire prend pour légitimité la
raison et non plus la tradition. Il repose sur le parlementarisme et l’Etat de droit qui assure la
rationalisation des instances politiques et enfin sur des fonctionnaires qui incarnent par leur
fonction la capacité que possède l’Etat de transcender la multiplicité des intérêts particuliers.
Il s’agit de l’Idéal type de l’autorité légale-rationnelle chez Weber.
3
2. La science de l’hétérogène
Maffesoli diagnostique l’essoufflement de cette conception dans ce livre conçu
comme un essai de vulgarisation de ces œuvres précédentes plutôt destinées à un public
universitaire, notamment Le temps des tribus et Au creux des apparences. Il prend comme
départ la mort de Dieu et les réponses modernes qui lui furent apportés. Cette primauté de la
raison calculatrice, de la domination technique de la nature et de l’individu souverain ne
prendrait plus sens dans notre postmodernité habité par le tribalisme et par la disparition des
vertus modernes.
Ce livre est une interrogation sur le devenir de la morale et une critique virulente des
tenants d’une certaine forme de moralité absolutiste. Il défend une autre conception bien plus
relativiste de l’existence. Ce relativisme ne juge pas que toutes les morales se valent mais
qu’elles sont toutes relatives à une situation donnée. L’auteur nous pose face à la nécessité
d’être « capable de penser tout à la fois la décomposition du monde moderne et de sa morale
universelle, et l’émergence d’un autre, beaucoup plus fragmenté, fait d’éthiques juxtaposés2 ».
Il veut donc scruter les idoles, les mettre à l’épreuve pour accueillir un nouvel ordre qu’il
considère comme une chance. Cette destruction de ce qui est n’a pour seul but que la
reconstruction, la mise à nu d’un élan créateur qui « dégage l’institué afin que puisse émerger
l’instituant3 ». Contre la morale et les « éthiques particulières » qui sont des mythes
sécularisées, Maffesoli propose de cerner les contours de nouvelles déontologies qui
s’inscrivent dans l’espace du tribalisme et dans la temporalité de l’instant. Maffesoli propose
de prendre en compte et d’affirmer la valeur des déontologies, des moments qui en eux-
2 Michel Maffesoli, Le réenchantement du monde (une éthique pour notre temps), Paris, La table
ronde, 2007 p 19 3 Nous pouvons rapprocher cette conception de l’instituant du terme de pouvoir constituant qui « est
la volonté politique dont le pouvoir ou l’autorité sont en mesure de prendre la décision globale
concrète sur le genre et la forme de l’existence politique propre, autrement dit de déterminer
l’existence de l’unité politique dans son ensemble » Carl Schmitt, Théorie de la constitution, Paris,
Puf, 1993, p 211. Schmitt confond ici le pouvoir constituant et le pouvoir souverain qui donne
naissance au pouvoir constitué.
L’enjeu d’un auteur d’extrême-gauche comme Negri est de briser ce lien entre pouvoir constitué et
pouvoir constituant afin de revenir à cette sorte de mythe anarchisant d’un pouvoir qui ne pourrait se
cristalliser dans un ordre ou une institution, ce dernier se trouverait alors dans un devenir incessant au
sens héraclitéen, qui rejetterait tout principe d’identité ou de constitution pour affirmer une multitude
plurielle rétive à toute unification. Ainsi « le pouvoir constituant n’émane pas du pouvoir constitué(…)
il n’en est même pas l’institution : il est l’acte du choix, la détermination ponctuelle qui ouvre un
horizon (…) Quand le pouvoir constituant met en acte le processus de constitution, toute
détermination est et reste libre. La souveraineté, à l’inverse se présente comme une fixation du pouvoir
constituant, donc comme ce qui lui procure un terme, comme épuisement de la liberté dont il est
porteur » Antonio Negri, Le Pouvoir constituant, Paris, Puf, 1997, p31
4
mêmes contiennent des valeurs périssables de l’ordre de l’instantanéité. Cette prééminence de
l’instituant repose ainsi sur une « atmosphère quelque peu libertaire, voire anarchisante4 »
Cet instant, ce présent est capital dans sa démarche car il réfléchit sur nos nouvelles manières
d’appréhender la temporalité. Ces nouveaux groupes nous portent vers une prise en compte
souveraine du présent. Nous pourrions rapprocher cette vision de l’œuvre de Georges Bataille
qui rêvait d’une religion sans dieu, d’un retour vers le sacré et souhaitait redonner vie à
nombre de pratiques qui furent occultées par la modernité.
Le centre de sa pensée est la souveraineté qui se matérialise dans le luxe ou dans l’érotisme qui n’ont
d’autres fin qu’eux même, il écrit que se situe « dans l’au-delà de l’utilité, le domaine de la
souveraineté »5. Le moment souverain constitue une contraction du temps, sa résorption dans le seul
présent qui se justifie en lui-même. Il ressemble par de nombreux points à la pensée nietzschéenne de
l’éternel retour qui serait de l’ordre d’une maxime, d’un impératif anti-hypothétique qui nous
inciterait à faire en sorte que nous supportions le retour éternel de chaque instant, donc de dépasser
une raison instrumentale qui ordonnerait des moyens à des fins et de détruire ce dualisme : « ce qui est
souverain en effet, c’est de jouir du temps présent sans rien avoir en vue sinon ce temps présent » 6 .
Nous nous trouvons ici face à la question de l’éthique, de la valeur accordée aux
actions. L’action souveraine n’est-elle bonne que parce qu’elle recèle sa propre justification
dans le plaisir qu’elle nous procure ? Il semblerait que Maffesoli se rapproche encore de
Bataille dans la mesure où il construit une sorte d’éthique hédoniste et anomique, une anti-
éthique qui prônerait une dépense généralisée, une extase permanente qui renverserait l’idéal
monastique tout en le réalisant. Comme le souligne Richard Wolin, Bataille opérerait une
valorisation quasi-esthétique de la transgression au nom de la transgression elle-même, il
frôlerait alors un nihilisme qui dénote « l’absence marquée d’un souci pour l’éthique publique
ou la morale politique »7. Ce danger guetterait donc Maffesoli dans la mesure où l’immoralité,
la recherche du plaisir, de l’esthétique sont devenus la valeur suprême de ces tribus
postmodernes.
La position épistémologique de Maffesoli est d’étudier la réalité telle qu’elle est et de
l’accepter comme ce qui pouvait arriver de mieux à notre postmodernité. Il ne tente pas
4 Michel Maffesoli, op.cit. p 38 5 Georges Bataille, La Souveraineté, Œuvres Complètes, Vol VIII, Paris, Gallimard, 1976, p248 6 Ibid. 7 Richard Wolin , Left Fascism , Georges Bataille and the German Ideology , vol 2 n°3
,Constellations , Oxford , 1996 p 406
5
d’insérer la réalité dans une unité systématique mais la laisse se donner foisonnante et
multiple. Néanmoins le nombre de références à Hegel éclaire le versant quelque peu
providentiel que cette nouvelle configuration possède à ses yeux. Elle est véritablement ce qui
aurait pu arriver de meilleur à nos sociétés.
Il veut mettre en place une hétérologie, « un savoir du multiple, seul capable de
reconnaître la richesse du vivant8 » Il s’oppose donc à la morale qui se veut « universelle et
impérative » calculatrice des coûts et des peines afin étudier des nouvelles configurations de
la vie sociale, celle des tribus juvéniles toute entières tournées vers la dépense. Ces jeunes ont
repris contact avec un élément proprement dionysiaque, une figuration esthétique, jouissive et
tragique de l’existence. La morale paternelle institutionnelle, de l’église, de la famille et de
l’Etat ne prend plus aucune signification car les pouvoirs constitués ont perdu tout pouvoir
coercitif. Le modèle patriarcal a laissé place à une société de frères qui à travers les relations
sociales affirme des nouvelles formes de religiosité.
Cette attention portée à ce qui ne se laisse pas inclure dans un système, à l’hétérogène est encore une
fois une référence à Georges Bataille. C’est dans un texte de 1933, que se situe la distinction
fondamentale entre hétérogène et homogène. L’homogène est le domaine de l’équivalence, de la
société moderne des sciences, des techniques et du capitalisme, l’ « homogénéité signifie ici
commensurabilité des éléments. Elle signifie aussi la relation d’équivalence entre les individus et les
objets »9. On ne peut s’empêcher ici de penser à la Dialectique de la Raison où Horkheimer et Adorno
suggéraient que « la société bourgeoise est dominée par l’équivalence. Elle rend comparable ce qui est
hétérogène en le réduisant à des quantités abstraites »10 .
L’homogène est donc le domaine de la production capitaliste, du règne de l’argent et se voit
représenté par la classe bourgeoise et les classes moyennes. L’ouvrier est lui dans une relation d’ex-
ception avec l’homogène car il est inclus par son travail mais aussi exclu par celui-ci car il ne possède
aucun moyen de production, « hors de l’usine (…) un ouvrier est par rapport à une personne
homogène (patron, bureaucrate) un étranger, un homme d’une autre nature, d’une nature non réduite,
non asservie »11 . L’homogène est donc tout ce qui cimente la société, lui assure une cohésion.
L’hétérogène ne pouvant être pour le moment défini que négativement.
Les éléments hétérogènes sont difficilement appréhendables par le discours et par la conscience et
leur exclusion de la conscience « rappelle ainsi d’une façon formelle celle des éléments décrits par la
8 Michel Maffesoli, op.cit. p 27 9 Georges Bataille , La Structure Psychologique du Fascisme , Œuvres complètes , Vol I , Paris
Gallimard , 1970 p340 10 Adorno , Horkheimer, La Dialectique de la Raison , Gallimard , Paris , 1974, p 25 . L’influence
marxienne dans ces deux conceptions est évidente. 11 Georges Bataille , La Structure Psychologique du Fascisme ,op.cit.
6
psychanalyse comme inconscients, que la censure exclut du moi conscient ». Maffesoli précise
justement que ces déterminations tribales, cette force qui produit les sujets se situe dans l’antichambre
de l’inconscient. Il existerait de nombreux points communs entre ces deux domaines, néanmoins
l’inconscient ou le sacré ne pourrait épuiser le concept d’hétérogène.
Selon Elisabeth Roudinesco ce terme aurait eu une influence sur la conception du Réel par Lacan12. La
notion de réel faisant écho à la notion de réalité psychique chez Freud qui désigne « l’étoffe
psychique des formations, en particulier inconscientes : rêves, symptômes et fantasme » 13 . Pour
Freud la réalité psychique recouvrirait une réalité distincte de la réalité matérielle et qui répondrait à
une logique propre centrée autour de la réalisation du désir. Lacan y ajouterait une part maudite
assimilable à l’hétérogène bataillien ou maffesolien qui ne saurait être épuisé par la raison. Le réel
prendrait alors une forme bien plus mystérieuse et inaccessible « exclue de toute symbolisation et
inaccessible à toute pensée subjective ». Selon Paul-Laurent Assoun on ne peut donc accéder à ce réel
qui n’est pas de ce monde qui ferait donc figure « d’im-monde » et qui renvoie à la modalité logique
de l’impossible.14 L’immonde est justement du domaine de l’hétérogène qui recouvre la totalité de
ce qui est rejeté par l’homogène tels que les excréments, l’ordure, l’érotisme, les processus
inconscients mais aussi des personnes ou des groupes comme les foules ou les marginaux.
L’hétérogène est ambivalent sur le modèle du sacré et se résume à des forces, à des déploiements
d’énergies analysables selon la structure de l’inconscient.
Maffesoli s’attache donc à décrire ce qui n’est pas intégrable dans un système, ce qui
est rejeté par la société bourgeoise et capitaliste mais qui nous influence grandement. Il
rejoint Carl Schmitt dans sa critique du normativisme de Kelsen et dans l’idée que le devoir-
être est là pour nier la vie, les volontés débordantes et désordonnés. La sphère du devoir-être
limite la vie, la mortifie et l’enferme donc dans le nihilisme tant décrié par Nietzsche.
Maffesoli devrait cependant se méfier car cette volonté jaillissante que le droit limite prend la
forme chez Schmitt d’un pouvoir souverain qui ne connaît aucune limite juridique. La
sympathie de Schmitt pour le fascisme et la prépondérance du pouvoir exécutif qui donne vie
au droit et lui assure son existence dans une décision vide de toute visée normative possède un
arrière-goût amer et fascisant.
La critique assez classique du devoir-être est étrangement accolée à une volonté de
rendre compte de ce qui est. Néanmoins l’état des choses est une construction, la pensée de
Maffesoli ne saurait prétendre à une quelconque scientificité car elle s’appuie sur le seul
12 Elisabeth Roudinesco , Bataille entre Freud et Lacan : une expérience cachée, Georges Bataille
après tout , Paris, Belin ,1995 p208 13 Paul-Laurent Assoun , Le Vocabulaire de Freud , Paris, Ellipses, 2002 p56 14 Paul-Laurent Assoun , Lacan , Paris , Puf , 2003, p56
7
domaine de l’observation. Les considérations épistémologiques sont bien absentes sauf
lorsqu’il se situe dans la postérité de la phénoménologie et de l’herméneutique. Ainsi « ce qui
est »doit être considéré comme relevant de l’ordre de l’interprétation. Ce réenchantement du
monde est une option interprétative choisie par Maffesoli.
De plus ces références à Schmitt, Heidegger ou Bataille nous renvoient au problème des
affinités entre la pensée postmoderne et des éléments intellectuels quelque peu fascisants.
Pierre Klossowski présentait l’opinion de Walter Benjamin sur les activités du collège de
sociologie formé autour de Bataille et Caillois.
« Déconcerté par l’ambiguïté de l’a-théologie acéphalienne. Benjamin nous objectait les
conclusions qu’il tirait alors de son analyse de l’évolution intellectuelle bourgeoise allemande,
à savoir que « la surenchère politique de l’incommunicable » (…) aurait préparé le terrain
psychique favorable au nazisme. Pour lors, il tentait d’appliquer son analyse à notre propre
situation. Discrètement, il voulait nous retenir sur la « pente » ; malgré une apparence
d’incompatibilité irréductible, nous risquions de faire le jeu d’un pur et simple « esthétisme
préfascisant » 15 . Habermas a souligné dans un article intitulé Modernity vs Post-Modernity
que le poststructuralisme français était un type de jeune conservatisme qu’il faudrait rattacher
à son pendant allemand de la révolution conservatrice. Il se retrouverait dans une commune
critique de la raison, du monde bourgeois et un même appel à une émotivité qui oppose selon
Habermas « à la raison instrumentale un principe seulement accessible via l’évocation, la
volonté de puissance ou la souveraineté », Manfred Franck ajoute que le poststructuralisme et
la révolution conservatrice concevrait la raison « comme la source première et l’origine de
tous les maux de l’humanité » 16 .
La critique de Wolin porte avant tout sur une communauté extatique dont parle Bataille
qui serait une sorte d’utopie pré-fascisante hostile à l’individu et à la modernité. Sa pensée
serait alors contradictoire, réduirait l’éthique à l’esthétique et enfin valoriserait des
expériences archaïques et primitives au sein du quotidien. Il se rapprocherait sur ce dernier
point de ses influences comme Mauss qui trouve dans les sociétés primitives « ce qui
manque à nos sociétés fragmentées socialement et ternies par la raison instrumentale »17 .
Néanmoins la position de Bataille nierait le « réformisme » de Mauss par une radicalité qui
vouerait aux gémonies la totalité de la modernité et cela sur le mode de la Zivilisationskritik
15 Denis Hollier , Le Collège de Sociologie(1937-1939) , Paris,Folio, 1995 , p884 16 Richard Wolin , Left Fascism , Georges Bataille and the German Ideology , vol 2 n°3 , Oxford
Constellations , 1996 p 396 17 Ibid p 409
8
de la révolution conservatrice. Dans son essai sur l’hétérogène, Bataille précise que le
fascisme relève de ce dernier alors que la démocratie libérale est le centre de la société
homogène. Mussolini et Hitler en se situant au-dessus des lois font donc partie de ce domaine
et « le fait que la légalité est brisée n’est que le signe le plus évident de la nature
transcendante, hétérogène de l’action fasciste ». L’ambigüité de la pensée de Bataille réside
justement dans cette fascination pour le déploiement de forces à l’œuvre dans le fascisme.
Nous devons préciser que sur le modèle de Maffesoli cette hétérogénéité des foules est
acéphale, sans chef tenant le rôle d’idéal du moi. Cette fascination pour des communautés de
vie, lieu de déploiement de forces érotiques et destructrices est assez ambiguë. Freud écrivait
sur ce point que « quand des individus forment un groupe, toutes leurs inhibitions
individuelles disparaissent et tous les instincts brutaux, cruels et destructifs, qui reposent
comme relique d’une époque primitive, sont susceptibles d'une gratification ».
Nous sommes bien gênés de ne jamais voir Maffesoli considérer l’importance des droits
individuels, de l’autonomie et de la démocratie libérale. Il les nie au profit de l’étude de ses
nouvelles communautés holistiques qu’il ne trouve aucun moyen d’évaluer. La priorité
donnée à « ce qui est » nous ferme la voie à toute évaluation critique de ces nouvelles formes
de socialisation. Maffesoli oublie que l’affirmation de ce qui est doit aussi être sélective. Ces
nouvelles formes d’éthique bien qu’elles s’articulent autour de valeurs de solidarité et de
cohésion ne sauraient nous désengager d’un choix de valeurs politiques et sociales dépassant
les particularismes.
De plus toutes ces manifestations de l’hétérogène seraient un dépassement de la
logique productiviste du capitalisme mais nous pouvons nous étonner qu’il pense que
l’exhibition des hauts de fesses soient un acte de protestation contre la société de
consommation. Maffesoli a tendance à considérer sous l’angle de la révolte tous
manquements aux vertus et au conformisme bourgeois. Il semble tomber dans l’écueil que
dénoncent Heath et Potter dans leur livre la Révolte consommée. Ils écrivent « selon la théorie
contre-culturelle, « le système » ne fait régner l’ordre que par la répression individuelle. En
soi, le plaisir est anarchique, indiscipliné, délirant(…) le plaisir en soi doit être considéré
comme l’acte de subversion ultime. L’hédonisme est instauré comme doctrine
révolutionnaire18 ». Cette protestation connaît une destination étrange car elle ne correspond
18 Joseph Heath, Andrew Potter, La révolte consommée(le mythe de la contre-culture), Paris,Naive ,
2005,p 21
9
pas d’une manière univoque à une affirmation du sujet contre le groupe mais assure une
socialisation de la dissidence dans la forme de la tribu.
Ces valeurs de plaisir et de révolte furent récupérées par la publicité et le capitalisme à
travers l’insertion d’un contenu protestataire dans des objets de consommation. Par exemple
la coccinelle de Volkswagen dans les célèbres affiches de Bernbach ou bien Apple ou Nike.
L’hédonisme est bel bien une valeur de consommation comme a pu le signifier Holbrooke à
travers la dimension du jeu ou Floch dans son tableau des valeurs de consommation19.
Lorsque Michel Maffesoli nous entretient d’un réenchantement du monde, il narre un
processus qui va à l’encontre de la rationalisation et de ses corrélats la perte du lien social et
de la religiosité. Le capitalisme et le protestantisme sont considérés comme les ferments de
ce désenchantement. Maffesoli reconnaît cela en opposant la logique productiviste du
capitalisme et les nouvelles formes de vies qu’il décrit. Le paradoxe qui nous occupe en
premier lieu est la prise en compte par Maffesoli de logiques de consommations qui iraient
dans le sens d’un réenchantement du monde. Il rejoindrait alors Georges Ritzer qui étudie les
moyens de consommations(les nouvelles formes de distribution) comme une réponse au
processus de rationalisation20.
3. Métaphysique du tribalisme
Cette nouvelle « condition postmoderne » repose sur une conception existentielle de
la personne. Sa réflexion se trouve directement inspiré de la question de l’ek-sistence chez
Heidegger. Cette dernière est complexe car elle ne correspond pas au terme d’existence
assimilé à la réalité concrète d’un sujet. Il écrit que « dans son contenu, ek-sistence signifie
ex-tase en vue de la vérité de l’Etre. Existentia (existence) veut dire par contre actualitas,
réalité, par opposition à la pure possibilité conçue comme idée. L’ek-sistence est l’essence de
l’homme en tant qu’il est un Da-sein (être-là) qui désigne non pas le fait d’être jeté dans la
facticité brute mais de permettre « l’Etre d’être là ». En somme Heidegger reproche ici à ses
lecteurs français, tel que Sartre, de ne pas avoir appréhendé l’analytique existentiale du
Dasein comme une ouverture à la question de l’ontologie.
19 Jean-Marie Floch, Sémiotique, marketing et communication, Paris, Puf, 1990, p139 20George Ritzer, Enchanting a disenchanted world : revolutionizing the means of consumption,
London, Pine Forge press, 1999
10
Nous somme donc projetés en dehors de nous même, pris dans une angoisse liée à notre
finitude mais aussi en constante relation avec l’Etre. Maffesoli souligne cette importance du
tragique, de la prise en compte de notre mort pour justifier cette emphase sur l’instant, sur le
présent. Lorsqu’il analyse le mot cool, on ne peut s’empêcher de penser que cette sérénité
qu’il décrit ressemble au concept de Gelassenheit de Heidegger et à cette nouvelle ouverture
vers l’Etre qui ne doit plus être celle de la domination et de la logique rationaliste et
techniciste. L’éthique est donc une manière d’habiter la demeure de l’Etre et cette référence à
Heidegger nous semble sombrer dans la même indétermination qui a poussé cet auteur (dont
le génie philosophique ne saurait être démenti) à accomplir ce que Maffesoli a qualifié de
sottise (sic)21. Son refus d’une pensée de la valeur est un refus d’un mode particulier
d’appropriation de l’étant par le sujet : « Toute évaluation, là même où elle évalue
positivement, est une subjectivation. Elle ne laisse pas l’étant être, mais le fait uniquement,
comme objet de son faire-valoir22 ». Heidegger réfute alors toute axiologie afin de laisser
advenir ou de théoriser au sens étymologique une éthique à partir de la pensée de l’Etre.
Habiter l’Etre revenant à posséder un éthos qui ne rentre pas en collusion avec la
métaphysique (la domination de l’étant). Cette profonde indétermination fut notamment
critiqué par Levinas qui s’évertua à proposer une éthique véritable en-dehors d’une poétique
des concepts quelque peu dangereuse si l’on connaît les errements politiques de Heidegger.
La métaphysique dont le tribalisme constituerait le dépassement nous renvoie à
l’essence de la technique comme Ge-Stella ou Arraisonnement : André Préau écrit «La
technique arraisonne la nature, elle l’arrête et l’inspecte, et elle l’ar-raisonne, c'est-à-dire la
met à la raison, en la mettant au régime de la raison, qui exige de toute chose qu’elle rende
raison, qu’elle donne sa raison23 ». Le dépassement de la métaphysique à l’œuvre dans la
postmodernité implique donc d’abandonner la modalité du Ge-stell pour le fait d’être à la
cool, de laisser les choses êtres sans essayer de les dominer, de les maîtriser. La modernité est
ainsi conçue comme l’ère de la technique qui est la transformation du monde en produit de
21 Pourtant dans plusieurs de ses discours, Heidegger semble animé d’une véritable foi en Hitler : « Le
chancelier du Reich notre grand dirigeant, vient de parler. Aux autres nations et peuples, maintenant
de décider. Nous autres, nous sommes décidés. Nous sommes résolus à prendre le chemin difficile de
notre histoire, celui qui est exigé par l’honneur de la nation et la grandeur du peuple(…) Pour notre
grand dirigeant Adolf Hitler un Sieg Heil allemand Martin Heidegger, « Allocution prononcée le
mercredi 17 mai 1933 », Ecrits politiques 1933-1966, Paris, Gallimard, 1995, p 113 22 Martin Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », Question III et IV, Paris, Gallimard, 1990, p109 23 Martin Heidegger, « La question de la technique », Essais et conférences, Paris,
Gallimard,1958, p 27
11
l’homme. En revanche la postmodernité augure un monde que nous voulons plus dominer
mais dont nous voulons jouir.
Ce besoin d’être intégré dans un groupe, une communauté qui nous subsume est
profondément humain, ce qui est capital est de comprendre que ces communautés n’imposent
plus de moral univoque et que ces appartenances sont multiples et mouvantes. Ces tribus
peuvent être comparées aux phénomènes contemporains des flashes mobs qui constituent des
regroupements temporaires d’individus dans des foules qui se préviennent par le biais
d’internet et des téléphones portables.
De plus il existe en elle une fascination pour l’horreur et pour la violence qui est
ambivalente car elle ouvre à un pan de religiosité. Elle repose sur notre fascination et notre
nécessité d’être ouvert à la possibilité de notre impossibilité, la mort. Chez Heidegger comme
chez Maffesoli, la pensée du sujet /Dasein est centrée autour de la mort car nous ne pouvons
accéder à l’authenticité qu’à la faveur d’une résolution qui prend pour préalable la conscience
de notre propre finitude. Cette authenticité figure un mouvement d’arrachement du Dasein
au monde du On. Le On est notre existence quotidienne, qui se déroule sous l’emprise
d’autrui et qui permet une dépersonnalisation. « Je pense comme on pense », On est alors
« l’individu grégaire de la quotidienneté24 » car, dans ce cas, « le Dasein se tient, en tant
qu’être-en-compagnie des autres. Il n’est pas lui-même ; l’être, les autres le lui ont
confisqué25 » Le On est donc un principe de nivellement et de reproduction des désirs, des
plaisirs, des souffrances à l’identique et se trouve être le domaine du divertissement, employé
au sens pascalien pour détourner l’homme de la conscience de sa finitude. Face à cette
inauthenticité, se dresse la décision existentielle qui nous rappelle à notre condition, à cette
angoisse qui se caractérise par son caractère d’instant et non de permanence, à ce moment où
tout perd sa stabilité et où le sujet s’engage dans un processus d’individuation radicale.
Mais cette dimension existentielle, proprement individualiste s’éteint dans le tribalisme
car il insère directement l’être-là dans une dimension sociale. Maffesoli inverse le
cheminement heideggérien en pensant avant tout la relation à l’autre avant l’individuation par
l’angoisse. Dés lors derrière ces regroupements, Maffesoli distingue sur le modèle de
Bataille l’ambivalence de l’érotisme, son appartenance aux sphères de la jouissance et de la
mort. Cette jouissance possède une aura sacrée dont la mesure où elle entretient des liens
étroits avec la fête et la transgression. Elle nous rappelle à notre finitude et nous projette dans
une réalité orgiaque.
24 Jean-Marie Vaysse, Le vocabulaire de Heidegger, op.cit. p39 25 Martin Heidegger, Etre et temps, op.cit. p169
12
4. Le sacri-fice permanent
Ces nouvelles socialités sont habitées par de nouvelles formes de religiosité qui sont
celle de la transgression, de la fête et de l’union des corps. Il s’agit bien d’une force dotée des
attributs de l’érotisme qui s’exprime dans ces nouvelles socialités. Nous cherchons « le fun »
le fait de « s’éclater » de se « défoncer » et de « triper ». Il y a un élément proprement
extatique qui enraye ou qui participe de notre individuation. Nous voulons sortir de nous-
mêmes et appartenir à une communauté même si celle-ci prend ses racines dans une marque
ou un objet. Il s’agit du paradoxe que nous soulignons entre la logique d’appartenance à une
communauté de marque qui serait aussi une négation de la logique marchande et capitaliste.
Les éthiques en mouvements s’attachent alors à des lieux qui lui donnent sens, à une sorte de
voyage ininterrompu qui assure la mobilité et donc le caractère protéiforme des valeurs.
Cette emphase sur la fête nous renvoie à la proximité entre sacrifice et fête. Nous
pouvons considérer cette dernière comme une dépense des ressources accumulées dans le
temps profane, une sorte de déploiement de l’hétérogène dans le monde de l’homogène 26 .
Elle est souvent tenue pour le règne même du sacré et la période sacrée de la vie sociale est
précisément celle où les règles sont suspendues et la licence comme recommandée. Le
renversement de cette perspective anthropologique par Maffesoli tient dans la permanence de
la fête, dans la négation de son caractère exceptionnel. Le sacrifice est un temps d’exception
opposé au temps normal.
Ces paroles résonnent avec la théorie ultérieure de Freud qui soulignait le caractère régressif des foules
s’exprimant dans la violence et le meurtre, autrement dit dans l’anomie. Ainsi dans Totem et Tabou
l’origine du repas totémique se trouve dans une transgression originelle, le meurtre du père de la horde
primitive, qu’ils ingèrent pour s’approprier leur force. C’est «un acte mémorable et criminel qui a servi
de point de départ à tant de choses : organisations sociales, restrictions morales, religion »27.
L’ambivalence du sacré que Maffesoli s’approprie est projetée sur un père qui était détesté et admiré
à la fois. Selon Freud son meurtre laisse place au remord et à la mauvaise conscience. Cela a pour
résultat que les interdits du père (prohibition de l’inceste) sont alors reproduits à cause d’un processus
d’obéissance rétrospective qui assure ce que nous qualifierons de pérennité de l’idéal du moi. Nous
assistons à la construction du complexe d’Oedipe qui interdit l’inceste et le meurtre dans ce cas du
père. Cependant Totem et Tabou nous montre que le symbolique (la renonciation à la mère et au
26 Roger Caillois, L’Homme et le Sacré , Gallimard , Paris , 1963,p126 27 Sigmund Freud , Totem et Tabou , Payot , Paris , 2001 p200
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meurtre du père) n’a pu être édifié que sur la mise à mort prohibée du père. L’interdiction de l’inceste
va assurer les liens de la communauté mise en danger par la lutte pour le monopole des femmes et
nous montre que l’interdit rend possible la société qui est née du meurtre du père.
Dieu et le totem sont ici identifiés au père, la psychanalyse analysant d’abord la relation au divin à
travers la relation au père. Le père s’est donc trouvé peu à peu doté des droits du chef de la horde
primitive même si une distance importante permet le culte du Dieu et donc la séparation du sacré et du
profane. En somme la transgression crée le lieu du divin mais aussi du social, le chef politique, le père
et Dieu remplissant une fonction ordonnatrice qui structure le sujet et qui en se vidant de son
identification à une figure paternelle se transforme en Nom du Père au sens lacanien. En effet « c’est
dans le nom du père qu’il nous faut reconnaître le support de la fonction symbolique qui depuis l’orée
des temps historiques, identifie sa personne à celle de la loi »28.
Maffesoli fait de cette exception la norme et rejette le rôle normatif dévolu à
l’autorité patriarcale. Il décrit justement l’épuisement du modèle freudien en posant que le
sacrifice totémique de la figure paternel ne connaît pas d’achèvement et se répète
indéfiniment. Il se défausse alors des ses inspirateurs qui concevaient la transgression comme
ce qui donnait une consistance à la morale. Foucault met justement en lumière la relation
entre transgression et mort de Dieu dans un texte sur Bataille, la Préface à la Transgression.
La mort de Dieu est un espace où l‘illimité fait défaut et où nous sommes en permanence
rejetés sur notre intériorité. Dieu a été tué, une main homicide a frappé ce qui nous limitait
par son caractère illimité, pour nous laisser seuls dans la pénombre de notre expérience où
s’esquissent des limites sans cesse mobiles, fuyantes, jouets des excès de la transgression.
Ainsi pour Foucault le lien entre transgression et limite est positif. La limite n’est pas neutre
mais forte du geste transgressif et de la résistance qu’elle lui oppose, il écrit « La limite et la
transgression se doivent l’une à l’autre la densité de leur être »29
Elle est donc une affirmation de la limite mais aussi de l’illimité, elle est une affirmation vide,
une contestation qui ne nie pas mais dessine les contours de ce qu’elle conteste .C’est bien ce
cri désespéré dans la nuit de l’expérience intérieure, cette supplication sans réponse qui
appelle ce qui ne répond pas mais lui donne une consistance dans la puissance du désir
inassouvi. Ce que nous cherchons de toutes nos forces finit par exister par défaut, ce que nous
suspendons sans cesse ne peut disparaître ; en somme Dieu est mort mais sa place restée
vacante esquisse les lignes d’un lieu auquel nous ne pouvons accéder qu’à travers la
transgression de l’ordre. Bataille souscrirait alors sans peine à cette formule célèbre de
28 Paul-Laurent Assoun , Lacan , Puf , Paris , 2003 p 48 29 Michel Foucault, Philosophie, Gallimard , Paris , 2004, p195
14
Hamann « Le chemin de l’enfer ouvre la voie de l’apothéose ». La dissolution qui se trame
dans le projet (de sortir du projet) affirmatif de la transgression est un moyen d’éprouver la
limite, de voir se redessiner les contours du sujet et alors de permettre la répétition, le
rétablissement.
En-dehors de cette limite, Maffesoli nous place face à une réalité éthique totalement
indéterminée car la fête n’est plus là pour nous rappeler la règle et la normalité. Elle constitue
le lieu même d’une éthique de la dépense et du luxe. Mais le luxe prend justement une valeur
dans son caractère exceptionnel, dépassant l’ordinaire. Etrangement Maffesoli favorise des
habitudes de consommations qui insèrent le luxe dans la vie quotidienne « achats irraisonnés
de tel vêtement que la pression tribale impose d’avoir, dépenses inconsidérées pour l’achat
d’un billet pour tel concert musical ou pour celui d’un téléphone cellulaire dernier cri30 »
Quand le tribalisme sera généralisé avec ses corrélats extatiques et festifs, nous serons à une
époque où la règle ne prendra plus aucune signification en dehors des particularismes de sa
tribu. De plus son indétermination les rendront dominés par les circonstances et certainement
par des relations de pouvoirs intra-tribales que Maffesoli omet de mentionner.
.
Ainsi il valorise le luxe contre la logique économique en affirmant contre toutes attentes
que ces pratiques excédent le capitalisme. Ces dépenses excédent aussi l’ordre éthique et nous
rattachent à ce qu’il qualifie de figures « archétypales » de mythes qui contiennent
l’ambivalence morale de notre condition, sa mise en relation constante avec un fond barbare
et sauvage. Dans cette primitivité des instincts s’affirmerait une nouvelle manière de penser le
lien social, de lui donner une aura mystique. Nous communions de manière extatique et nous
nous identifions alors à un groupe ou à des individus, des marques, des objets dotés d’une
aura mythique.
Le film Matrix est un parfait exemple de cette idée, exception faite de son dualisme métaphysique qui
oppose un monde vrai et un monde apparent conçue comme une aliénation de la vérité. Maffesoli
considère ces unions tribales sous le signe de l’hyperréalité, ce concept de Baudrillard nous enseignant
que la réalité devient peu à peu simulacre, simulation ou reproduction de la réalité et que la limite
entre l’illusion et le réel perd à peu toute consistance. La distinction est devenu impossible il est donc
impossible de choisir entre deux pilules à la manière de Néo, car elles sont toutes deux des
hallucinogènes. Dans ce film les habitants de Zion qui se situent hors de la Matrix communient dans
une rave techno qui s’achève par une orgie rythmée par le morceau évocateur de Prodigy « smack my
30 Michel Maffesoli, op.cit. p 95
15
bitch up ». Le titre au-delà de la référence sexuelle assumée notamment dans le clip signifiait
réellement selon ses auteurs « doing anything intensely ».
Nous retrouvons dans ce déchainement l’idée d’une fête qui anéantit la structure sociale,
la tradition, une fête qui ne saurait seulement être considéré comme une rupture du lien social
mais comme une reconfiguration temporaire, fragmentée de la communauté et des valeurs qui
la régulent.
5. Le réenchantement de la consommation
L’individu ne peut donc plus être considéré comme isolé mais vit sur plusieurs niveaux,
le plus intéressant pour nous est celui d’une personnalité plurielle qui s’inscrit aux limites de
la conscience et qui s’affirme dans un instant vécu ensemble en dehors du joug de la morale,
de la productivité et de la catégorie d’individu elle-même.
« Il suffit, simplement, d’ouvrir les yeux pour observer que les divers affoulements
postmodernes reposent, essentiellement, sur la disparition du sujet dans l’effervescence ou la
banalité du groupe. Sport, musique, religion sont travaillés par « les lois de l’imitation ». Il en
est de même des diverses institutions sociales qui sont mitées par un tribalisme galopant 31»
Cette imitation inonde le corps social et l’information, la mode, le langage se répand sur le
modèle du virus. Le marketing viral s’inscrit dans ce mouvement car il permet de laisser la
société se charger de transmettre et de communiquer.
Selon lui l’apparition de la religiosité tient d’une « incarnation de la déité dans le
corps social ». Au contraire de Durkheim qui concevait la religion comme l’incarnation d’une
société unitaire, Maffesoli pense que la religion s’est transfigurée dans des formes sociales
disséminées. L’unité n’apparaît qu’avec le terme de déontologie qui signifie « un
comportement collectif qui est tributaire du moment vécu, et qui dépend des réactions
affectuelles de ceux-là même qui vivent ce moment.32 ». Le sujet est donc produit par son
environnement, par des instants de communions qui ont lieu dans les concerts ou les centres
commerciaux. Cette dépense excessive produite en commun est toujours particulière,
fragmentée ce qui l’ouvre à une pensée du polythéisme au sens métaphorique. L’autre et la
relation qui nous lie sont aussi divinisés dans la mesure où nous n’existons qu’à travers autrui
31 Michel Maffesoli, op.cit. p 135 32 Ibid. 143
16
et nos multiples groupes d’appartenance. C’est ce donné, cette historicité qui constitue les
limites essentielles qui ordonnent les déontologies. Il se rapproche alors du philosophe
américain Richard Rorty qui conçoit l’individu comme faisant partie d’un réseau, d’une
appartenance sociale dont il ne peut s’extraire. Rorty à la manière de Maffesoli est holiste et
pose la société comme constitutive des individus33.
Néanmoins il ne présente pas l’éthique sous une forme disséminée mais défend l’idée que la
communauté politique doit se fonder le plus petit dénominateur commun et se réaliser dans une
discussion ouverte, fondée sur les pratiques et les traditions communes du libéralisme puis sur des
expériences et des tâtonnements sans fin.
Il plaide pour la défense et l’extension des pratiques et des institutions libérales car elles permettent
justement la séparation entre société civile et Etat et entre individu et citoyen. Cette séparation et
autonomie du privé est la marque de la société libérale qui permet à chaque individu d’entreprendre
une poétisation de son existence et sa fondation sur des présupposés philosophiques ou théologiques.
En revanche Maffesoli semble sombrer dans le fantasme de l’unité en rejetant la
séparation libérale pour affirmer le concept de reliance. Ce dernier signifie le fait de joindre
ce qui était séparé. Cette volonté d’unifier, de dissoudre l’individu dans ces nouvelles formes
de tribalisme semble être une négation de notre liberté de construire nos existences en dehors
du joug des institutions et des groupements sociaux. On peut s’interroger sur le fait que ces
tribus soient des nouvelles formes de coercitions remplaçant les institutions ou la moralité
moderne. Il est évident que les appartenances aux tribus sont équivoques et en perpétuel
devenir mais nous ne pouvons échapper à l’idée que cette autonomie est illusoire, que les
tribus nous placent face à un nouveau conditionnement car elles nous obligent à vivre le
déploiement de notre vitalité à l’intérieur d’une structure qui l’évalue et lui donne une
signification.
33 Richard Rorty, Objectivisme,relativisme et vérité, Puf, Paris,1994
17
Concernant notre premier objet d’intérêt, en d’autres mots les implications marketing de
cet ouvrage. Maffesoli fait souvent mention de la consommation en soulignant son caractère
positif à l’intérieur de ce processus de réenchantement du monde. Nous ne voudrions pas
revenir sur les développements du marketing expérientiel qui prend un point de départ
similaire mais plutôt analyser la manière dont le tribalisme et la religiosité peuvent intervenir
dans une réflexion appartenant au marketing.
Il faudrait pour cela émettre l’hypothèse qu’une tendance lourde de nos sociétés est
représentée par ce que nous qualifierons de néo-romantisme. Nous faisons référence au
romantisme car Maffesoli se situe résolument dans cet environnement intellectuel qui lutte
contre les Lumières en revalorisant l’émotion, l’imagination contre la raison. Le romantisme
est défini par Lowy et Sayre comme « une critique de la modernité, c'est-à-dire de la
civilisation capitalisme moderne, au nom de valeurs et d’idéaux du passé (pré-capitaliste, pré-
moderne)34 ». Maffesoli nous semble rentrer dans cette définition dans la mesure où comme
Bataille, il se réfère à des expériences archaïques et primitives pour repenser des nouveaux
types de socialisation proche de « la création d’une communauté d’âmes fraternelles ». Selon
Simmel que Maffesoli cite régulièrement le romantisme est bien individualiste mais dans un
sens différent que celui prévalant dans la modernité, les individus ne sont pas atomisés mais
recouvrent leur unicité afin d’affirmer leur « complémentarité dans un tout organique ». De
plus le romantisme est profondément habité par la question du désenchantement du monde
dont on doit la première occurrence au poète romantique Schiller qui écrivait ces vers
magnifiques dans les Brigands, nous montrant le sens de l’individualisme qualitatif des
romantiques :
Karl : « on veut m’obliger à serrer mon corps dans un corset, et ma volonté dans des lois .La
loi a tout gâté en mettant au pas de la limace ce qui aurait volé comme l’aigle .La loi n’a pas
encore formé un grand homme, tandis que la liberté fait éclore des colosses et des êtres
extraordinaires » Les Brigands, I, 2
Le romantisme possède aussi la spécificité de valoriser l’expérience religieuse, du
christianisme aux cultes païens et aux arts ésotériques, ce qui le rapproche encore plus de
cette nouvelle forme de tribalisme qui sur son modèle fait un grand appel à la mythologie.
Schlegel écrit « La principale faiblesse de la poésie moderne, par rapport à l’ancienne, peut
34 Michael Lowy, Robert Sayre, Révolte et mélancolie (le romantisme à contre-courant de la
modernité), Paris, Payot, 1992, p 30
18
se résumer dans ces mots : nous n’avons pas de mythologie. Cependant j’ajouterai que nous
sommes prés d’en acquérir une ; ou plus exactement, il serait temps de conjuguer
sérieusement nos efforts pour en mettre une au jour35 ». Schlegel plaide donc pour une
recréation de ces mythes que Maffesoli repère sous des formes nouvelles. Des mythes qui
sont prégnants dans une société de consommation qui bien semble éloignée de l’anti-
capitalisme romantique. Le paradoxe que nous avions souligné, d’une pensée qui s’inscrit
dans la société de consommation tout en critiquant la rationalité capitaliste est aussi souligné
par Lowy et Sayre.
Ils écrivent « Cette présence du romantisme au sein même de la production culturelle de
masse distribuée par la société de consommation qu’il rejette révélerait plutôt à quel point la
thématique romantique correspond à des aspirations et à des besoins humains que la société
aliénée contemporaine ne peut détruire. En effet, les produits de l’industrie culturelle tirent
leur puissance d’attraction de ce qu’ils puisent dans le rêve, la fantaisie, le fantasme, pour
créer une charge émotive36 » .
Ils rejoignent alors Colin Campbell qui a écrit en 1990, The romantic ethic and the spirit
of modern consumerism37. Selon Ritzer, ce dernier décrit le devenir de l’éthique protestante
qui avait contribué à engendré ce désenchantement. Cette nouvelle éthique est centrée autour
de la recherche du bon goût et de la beauté. De la même manière que les premiers calvinistes
considéraient la richesse comme un signe d’élection divine, ces protestants considèrent
l’apparence, le fait d’être à la mode comme un signe extérieur de bonté. L’esprit du
consumérisme serait fondé sur l’ordre du rêve et du fantasme. Les consommateurs seraient en
permanence écartelés entre le fantasme d’une consommation, l’attractivité des objets et la
réalité, cette tension s’achèvant dans ce que certains qualifient de dissonance cognitive. Ce jeu
incessant entre le désir et se déception rendrait nécessaire de produire en permanence de
nouveaux besoins afin de peupler l’imaginaire de la consommation.
La première leçon est donc de capitaliser sur la charge émotionnelle de l’objet lors de
toute opération de communication. Jean-Marie Floch souligne cela dans son élaboration du
carré sémiotique des valeurs de consommation38. Nous dirions que les valeurs de bases sont
liées à la jouissance, à cette forme axiologique décrite par Maffesoli alors que les valeurs
d’usages liées à la praticité sont proches de la rationalisation économique. La meilleure
35 Ibid. p 51 36 Ibid. p 231
37 La recension se situe dans George Ritzer, Enchanting a disenchanted world : revolutionizing the
means of consumption, London, Pine Forge press, 1999, p 68-71 38 Jean-Marie Floch, Sémiotique, marketing et communication, Paris, Puf, 1990, p139
19
illustration des valeurs de base se trouve dans l’accroche pour la BMW 3201 « conduire sans
motif apparent » ce qui nous renvoie à cette recherche d’une temporalité souveraine. La
relation entre ces valeurs n’est pas nécessairement disjonctive comme le montre Floch dans
son analyse du film de la Citroën BX. Une relation conjonctive ou de complémentarité peut
exister entre ses valeurs quoiqu’elle ait plutôt trait à un changement progressif dans le récit au
cœur de la marque.
Il est évident que dans le cas du luxe, la spécificité du secteur exige de favoriser
l’hédonisme à travers la jouissance et l’utopisme à travers le fantasme mais dans le cas d’une
voiture ou de n’importe quel objet possédant la spécificité d’être utile et de posséder une forte
valeur symbolique, il semble important de ne pas négliger les valeurs d’usages plus utilitaires.
La lecture de Maffesoli ne doit donc pas nous faire croire que tout message doit constituer un
appel à la jouissance effrénée dans l’espoir d’atteindre ces tribus. L’hédonisme n’est qu’une
composante importante qui ne doit pas cependant occulter une rationalité économique qui est
loin d’avoir disparu. Tout le monde n’ayant pas les moyens de transformer son existence en
une orgie ininterrompue. La contrariété entre valeurs de base et valeurs d’usage est donc
conservée et nous devons au sein même du mix marketing, nous demander quelles valeurs
doivent être assimilées à notre produit. La production d’une communication « mythologique »
a justement pour but de réenchanter la consommation et de donner une valeur symbolique
extrêmement forte au produit ou à la marque. Le travail de Jacques Séguéla sur Citroën est en
cela exemplaire.
Ce travail de création de mythes, d’appel à des figures archétypales est aussi au cœur du
management de la marque. George Lewi souligne qu’une marque doit être considérée comme
un socle de valeurs mais aussi comme une narration et cela sur le modèle du mythe39.
Une marque mythique doit répondre à trois exigences qui sont l’universalité, l’intention qui
s’exprime dans la signature et la narration mythique qui s’exprime dans la publicité ou dans le
récit de la marque. La marque nous semble au cœur de ce réenchantement dans la mesure où
son rôle est de constituer une structure de significations, un socle sémiologique et axiologique
qui dépasse de loin le produit dans sa simple matérialité. Elle procède à la production d’un
surplus de significations qui est au cœur d’une création de valeur et de l’accumulation d’un
capital immatérielle. La marque rentre donc dans le domaine du religieux lorsqu’elle possède
une fonction sociale de liaison et porte en elle des valeurs et une forme de conception de
39 Georges Lewi, Les Marques mythologies du quotidien, Paris, Village mondial, 2003
20
monde. Il faut cependant faire attention de ne pas considérer la marque comme un objet
proprement métaphysique, dans la mesure où elle exprimerait une image du monde appropriée
par un sujet. La différence la plus significative se révèle dans l’impossibilité d’une relation
exclusive, « monothéiste » avec la marque. Benoit Heilbrunn nous semble avoir raison
lorsqu’il souligne que les marques sont plus proches du panthéon grec que du monothéisme
judéo-chrétien40. La référence au romantisme est ici primordiale dans la mesure où il contient
une forte attirance pour le polythéisme, pour la pluralité des dieux et des mythes. Maffesoli
nous aide en reprenant cette conception du polythéisme et du mythe car il nous incite à insérer
une charge proprement mythologique dans toute tentative de donner vie à une marque ou de
vendre un produit. Cette religiosité doit être contenue dans le caractère social du mythe qui
permet de participer à une communion et d’emprunter durant quelques instants une identité et
des valeurs spécifiques.
Ce caractère social est à l’œuvre dans un terme qu’utilise régulièrement Maffesoli, le
mimétisme. Il est intéressant de constater que cette prééminence de l’autre et la force de
contagion contenue dans la tribu peut être utilisé au sein d’un mix marketing. Il existe bien
entendu la question du marketing tribal mais aussi du marketing viral qui compte sur les
réseaux sociaux informels pour transporter l’information et valoriser un produit.
Dans le cadre du marketing tribal l’individu ne consomme pas uniquement des biens pour leur
valeur fonctionnelle mais aussi pour leur valeur symbolique. Cette dimension émotionnelle et
affective de la consommation se traduit notamment chez le consommateur par la recherche
d’une valeur de lien des produits. Ainsi un produit n’est dans ces cas-ci non pas valorisé pour
son utilité, sa valeur d’usage, mais en ce qu’il permet de resserrer les liens avec sa tribu.
Par conséquent, pour ce qui est des produits recherchés pour leur valeur de lien, le
marketer doit à la fois adapter sa segmentation et son positionnement. Les tribus
postmodernes étant souvent éphémères, la segmentation doit désormais intégrer des critères
instables. Il s’agit d’une segmentation sur la base de comportements41, et non pas de valeurs,
les tribus en étant dépourvues42. Une segmentation au sens strict du terme n’est en réalité pas
possible. Le positionnement doit quant à lui refléter la valeur de lien des marques, produits ou
services et non leur valeur fonctionnelle. Ceci implique également une rupture avec le
40 Ibid. p 277 41 Elles se définissent en effet essentiellement par rapport à une expérience commune, par des
comportements communs. Christian Michon dir. Le Marketeur, Paris, Pearson, 2006 p 409-429 42 Contrairement à Bernard Cova, Michel Maffesoli estime toutefois que les différentes tribus sont
aussi liées par des valeurs communes.
21
marketing one to one ou relationnel qui valorisent la relation entreprise-client au détriment de
la relation client-client. En matière de publicité, le bénéfice client se doit lui aussi d’être celui
d’un resserrement des liens entre un membre et le reste de sa tribu.
L’élargissement du tribalisme au mimétisme nous porte à utiliser le principal levier du
tribalisme sans pour autant lui emprunter son hyper-segmentation. Selon Marie-Claude
Sicard l’utilisation du mimétisme est donc un moyen particulièrement efficace de promouvoir
l’identité d’une marque43. Elle part de la théorie de René Girard sur le désir mimétique pour
asseoir l’idée que la reproduction du désir d’autrui est un ressort fondamental de l’activité
humaine. Les marques peuvent s’inspirer de cette théorie selon trois modalités :
-Le mimétisme conscient assimilé à une sorte de pouvoir magique d’une autorité, une star du
sport ou de la musique et qui suscite chez le « disciple »une adhésion. Ex : Nike et ses
publicités mythologiques, un match de football opposant le bien et le mal.
-Le mimétisme réflexe qui nous incite à faire comme les autres et qui repose sur notre goût du
conformisme. Ex : Gap et son accroche « Tous en cuir » et Danette « on se lève tous pour
danette »
-Le mimétisme inconscient qui part d’une volonté de se distinguer et d’affirmer son unicité et
qui nous donne l’illusion de notre liberté et de notre distinction. L’important est ici la
jouissance et la distinction. Ex : Apple ou cette phrase d’une rédactrice de Glamour « le sac
must-have de la saison, c’est le Gracie de Vuitton : avec lui, vous êtes sûre que vos meilleures
amies vont vous envier ».
Ce dernier mimétisme est le plus puissant et possède comme figure tutélaire Satan lui-
même. Rappelons-nous que derrière les forces dionysiaques, le déchainement païen des
instincts se dissimule une profonde fascination pour les ténèbres et la monstruosité. Ce
nouveau romantisme dans lequel s’inscrit nos habitudes de consommation possède une
fascination similaire pour le maître de l’immoralité pour celui qui selon le vers de John Milton
a fait du mal son bien.
Le livre de Michel Maffesoli est donc utile dans la mesure où il nous rappelle
l’importance de la valorisation ludique et utopique dans la construction d’une communication
ou de l’identité d’une marque. Il souligne aussi l’importance du mythe et la facture
proprement polythéiste que prend l’appréhension postmoderne de la religiosité. La marque
43 Marie-Claude Sicard, Les ressorts cachées du désirs(trois issues à la crise des marques), Paris,
Village Mondial, 2005
22
possède ici le rôle de se référer à ce fond archaïque en relevant le défi de Schlegel, créer de
nouveaux mythes. Enfin la force mimétique qui est à l’œuvre dans les nouveaux phénomènes
de tribalisme peut être utile à la communication dans la mesure où celle-ci prend en compte
que l’individu n’est pas seulement un Homo Economicus mais aussi un être qui est
primairement dans une relation à l’autre et dans un besoin permanent de réechantement. Ce
recentrement de l’économie du désir à l’intérieur des relations sociales doit permettre de
renouveler notre appréhension de la consommation comme une part importante de notre
processus de subjectivation.
Il faut encore rappeler que l’œuvre de Maffesoli ne saurait être interprété comme le
dernier mot sur notre époque mais comme la mise à nu de symptômes qui doivent nous
permettre de sans cesse nous souvenir du pouvoir d’évocation que le romantisme possède
encore dans les sociétés occidentales.
23
Bibliographie :
Assoun Paul-Laurent, Le Vocabulaire de Freud, Paris, Ellipses, 2002
Assoun Paul-Laurent, Lacan , Puf , Paris , 2003
Bataille Georges , La Structure Psychologique du Fascisme , Œuvres complètes , Vol I , Paris
Gallimard , 1970
Floch Jean-Marie, Sémiotique, marketing et communication, Paris, Puf, 1990
Foucault, Michel Philosophie, Gallimard , Paris , 2004
Freud Sigmund , Totem et Tabou , Payot , Paris , 2001
Heidegger Martin, « La question de la technique », Essais et conférences, Paris,
Gallimard,1958
Lewi Georges, Les Marques mythologies du quotidien, Paris, Village mondial, 2003
Lowy Michael, Sayre Robert, Révolte et mélancolie (le romantisme à contre-courant de la
modernité), Paris, Payot, 1992,
Maffesoli Michel, Le réenchantement du monde (une éthique pour notre temps), Paris, La
table ronde, 2007
Michon Christian dir. Le Marketeur, Paris, Pearson, 2006
Ritzer George, Enchanting a disenchanted world : revolutionizing the means of consumption,
London, Pine Forge press, 1999
Sicard Marie-Claude, Les ressorts cachées du désirs(trois issues à la crise des marques),
Paris, Village Mondial, 2005
Wolin Richard , Left Fascism , Georges Bataille and the German Ideology , vol 2 n°3
,Constellations , Oxford , 1996
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