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PANORAMA DE PRESSE
07/11/2016 08h11
CGT
Panorama réalisé avec Pressedd
SOMMAIRE
ACTUALITE SOCIALE(5 articles)
lundi 7 novembre 2016
Les 25 sans-papiers embauchés, les 25 régularisés ! (804 mots)
«C'est une très belle victoire ! C'est immense et même assez rapide à l'échelle desmouvements de travailleurs sans papiers…
Page 6
lundi 7 novembre 2016
Accalmie en trompe-l’œil aux urgences d’Avignon (629 mots)
Locaux en partie neufs, salle d’attente calme, personnel affairé : on cherche envain, dans les couloirs des urgences de l’…
Page 8
lundi 7 novembre 2016
« A la fin du XIXe siècle, le mouvement féministe a étécaricaturé »(587 mots)
Sylvie Chaperon, chercheuse et spécialiste du féminisme, est professeured’histoire contemporaine du genre à l’université d…
Page 9
lundi 7 novembre 2016
Tous féministes… ou presque (1063 mots)
C’est un mot qui désormais flotte dans l’air comme une bannière : féminisme. Il ya encore peu raillé, conspué, assimilé à …
Page 10
samedi 5 novembre2016
Pour les patrons, la fin des 35 heures n'est plus une priorité(807 mots)
C'est un « totem ». Un symbole qui marque tellement l'appartenance à un camppolitique, la droite, que tous ou presque sont…
Page 12
PROTECTION SOCIALE(2 articles)
lundi 7 novembre 2016
Vive la Sociale ! (1012 mots)
L’Histoire est bonne pour la santé. Sa piqûre de rappel soulage, revigore,retrempe, même si elle ne guérit pas toujours, ne prévie…
Page 15
dimanche 6 novembre2016
Pour une refondation politique de la Sécurité sociale (791 mots)
On pouvait espérer de -l'irruption du concept d'« ubérisation » – c'est-à-dire lebasculement de la création de valeur vers…
Page 18
MOUVEMENTS SOCIAUX(7 articles)
lundi 7 novembre 2016
Grève La ministre du Travail reçoit trois syndicats d'i-Télé(256 mots)
En grève depuis le 17 octobre, la centaine de salariés d'i-Télé a voté vendredi, à 83% des voix, la reconduction du mouvem…
Page 21
lundi 7 novembre 2016
Un an de prison avec sursis requis contre un militant CGT(509 mots)
Pendant que Philippe Christmann, administrateur de la fédération CGT dessalariés de la construction, du bois et de l'ameub…
Page 22
lundi 7 novembre 2016
A partir de ce lundi, elles travaillent gratis (724 mots)
Si, pour un même travail, la rémunération devait être équivalente, les salariéesfrançaises pourraient partir en congés auj…
Page 23
lundi 7 novembre 2016
Inégalités salariales femmes-hommes : grève ce lundi à 16h34(222 mots)
Travailleuses, arrêtez tout ce lundi à 16 h 34 et 27 secondes précisément. Posezles crayons. Eteignez les ordinateurs. Cla…
Page 24
lundi 7 novembre 2016
L’hôpital malade de sa logique financière (1867 mots)
C’est un vent lourd qui souffle sur l’hôpital. Et pour la première fois, on peut avoirle sentiment que l’on n’est pas loin…
Page 25
lundi 7 novembre 2016
Anne Gervais, infectiologue à l’hôpital Bichat (AP-HP) « Letravail devient » à la chaîne « , individuel » Pauline, 27 ans, ex-aide-soignante « On nous pousse à la faute » Laurent*, 37 ans,infirmier « L’hôpital est en train de se déshumaniser » Undirecteur de CHU de Province « Le temps du travail est devenuplus stressant »(1044 mots)
«Avant, en cardiologie au CHU de Strasbourg, on était trois infirmiers pour trentepatients, maintenant on n’est plus que d…
Page 28
lundi 7 novembre 2016
Grève à i-Télé : « Ils nous volent nos vies »(935 mots)
Ils nous volent nos vies. » Voilà le genre de phrases que l’on peut entendre lorsdes assemblées générales quotidiennes au cours de…
Page 30
EUROPE ET INTERNATIONAL(1 article)
samedi 5 novembre2016
Pourquoi le chômage stagne en zone euro (957 mots)
Repassera-t-il sous la barre symbolique des 10 % avant Noël ? Peut-être pas.Selon les chiffres publiés jeudi 3 novembre …
Page 34
ACTUALITE SOCIALE
5
COVEA IMMOBILIER
Les 25 sans-papiers embauchés, les 25 régularisés !La totalité des 25 travailleurs du chantier parisien de l'avenue de Breteuil reprendront leurposte ce matin, après deux mois de conflit, embauchés cette fois-ci directement par le donneurd'ordres.
lundi 7 novembre 2016Page 10
804 mots
SOCIAL-ECO
«C'est une très belle victoire ! C'est
immense et même assez rapide à
l'échelle des mouvements de tra-
vailleurs sans papiers ! » Marilyne
Poulain, de l'union départementale
CGT, savoure le dénouement de deux
mois de conflit sur un chantier du
très chic 7e arrondissement de Paris.
L'ensemble des 25 travailleurs mi-
grants y œuvrant jusqu'ici illégale-
ment vont pouvoir réinvestir le site
ce matin la tête haute, promesses de
contrat en poche. Avec une régulari-
sation administrative en cours. « Les
négociations ont été assez efficaces
dans la dernière ligne droite après
trois semaines de discussions
constructives par rapport au début du
mouvement », apprécie la syndica-
liste.
L'histoire avait effectivement plutôt
mal commencé. Après deux accidents
du travail non reconnus par
l'entreprise de construction sous-
traitante MT BAT Immeubles, les tra-
vailleurs s'étaient mis en grève le 7
septembre avec occupation des lieux.
Le deuxième accident était révéla-
teur des conditions de travail déplo-
rables imposées aux ouvriers : un sa-
larié portant une masse d'une dizaine
de kilos avait chuté d'un échafaudage
non sécurisé sur une hauteur de deux
mètres. L'employeur avait refusé
d'appeler les pompiers pour porter
secours au jeune blessé, victime
d'une fracture ouverte au poignet. Le
sous-traitant espérait s'en sortir en
négociant discrètement l'évacuation
de l'accidenté sans aucune déclara-
tion officielle. C'était compter sans
la réaction outragée des travailleurs
sans papiers et une arrivée des pom-
piers en fanfare suivis par la police et
l'inspection du travail. Le conflit ve-
nait de commencer.
Tout en niant toute responsabilité
dans l'affaire, reportant la faute sur le
donneur d'ordres, Capron, et le sous-
traitant, MT BAT Immeubles, le
pragmatique propriétaire Covéa Im-
mobilier s'était empressé de deman-
der l'expulsion des grévistes. Mais la
mobilisation continuait hors les
murs : manifestation devant le
maître d'ouvrage, sur les trottoirs du
donneur d'ordres Les travailleurs te-
naient à placer tous les acteurs au
pied du mur. Après deux mois de
chantier arrêté, une grosse perte fi-
nancière pour Covéa, la médiation
les rassemblant tous autour d'une
même table aura porté ses fruits. Exit
le sous-traitant. Jeudi, la société Ca-
pron s'est engagée à embaucher les
25 salariés, soit 10 en CDI en fonc-
tion de leur ancienneté et les autres
en CDD jusqu'à la fin du chantier. Ils
pourront ensuite accéder à une cel-
lule de reclassement, pour enchaîner
sur une formation ou un accompa-
gnement dans leur recherche
d'emploi. « On les traite comme des
travailleurs comme les autres », se
réjouit Marilyne Poulain. De leur cô-
té, la Direccte et la préfecture ont
donné leur feu vert pour leur régula-
risation. Quant au grand absent de la
médiation, le sous-traitant MT BAT
Immeubles, il n'a pas vraiment réussi
à se faire oublier. « Il est hors de
question qu'il remette directement
ou indirectement les pieds sur ce
chantier, précise maître Renaud Se-
merdjian, l'un des avocats de Covéa
Immobilier. L'entreprise Capron a
compris les enjeux et l'intérêt
d'embaucher ces 25 employés. Pour
nous, il était hors de question de dis-
cuter avec la société MT BAT Im-
meubles. » Covéa Immobilier n'a pas
encore de position arrêtée quant à
une suite à donner en justice à cette
affaire en raison des préjudices que
le groupe estime avoir subis. La CGT,
elle, a déjà entamé les démarches
pour un recours aux prud'hommes
contre MT BAT Immeubles, pour tra-
vail dissimulé, afin d'obtenir les ar-
riérés de salaires et de cotisations. Le
Défenseur des droits a été saisi pour
discrimination et a ouvert une en-
quête. L'union départementale CGT
va également se constituer partie ci-
vile au pénal pour dénoncer « les
conditions de travail indignes, la
mise en danger d'autrui, le droit à la
santé et à la sécurité piétinés ». En-
fin, le syndicat devrait aussi saisir le
Tass (tribunal des affaires de Sécurité
sociale) pour faire reconnaître la
faute inexcusable de l'employeur par
rapport aux accidents du travail. En
réussissant à impliquer tous les
maillons de la chaîne de la construc-
tion, les salariés ont aussi obtenu de
faire respecter la sécurité au travail.
« Tout le monde est content de re-
↑ 6
commencer le travail, conclut Dipa
Camara, tout nouveau salarié de Ca-
pron. On habite tous dans des foyers
différents mais on va s'organiser pour
fêter ça : on ne peut pas laisser filer
cette victoire ! »■
par Kareen Janselme
Tous droits réservés L'Humanité 2016
CA92630381D02305A54D1EB0140801408C145436B9A071EE43F21AB
Parution : Quotidienne
Diffusion : 36 931 ex. (Diff. payée Fr.) - © OJD PV 2015
Audience : 363 000 lect. (LNM) - © AudiPresse One 2015/2016
↑ 7
Accalmie en trompe-l’œil aux urgences d’Avignon
Si la direction de l’hôpital Henri-Duffaut a finalement réussi à enrayer la crise qui l’a agitédébut octobre, les problèmes de fond subsistent.
N° 11029lundi 7 novembre 2016Édition(s) : Principale
Pages 18-19629 mots
FRANCE
L ocaux en partie neufs, salle
d’attente calme, personnel af-
fairé : on cherche en vain, dans les
couloirs des urgences de l’hôpital
Henri-Duffaut d’Avignon, les stig-
mates de la crise qui a ébranlé les
lieux il y a un mois. Le 5 octobre, le
directeur reçoit un courrier signé
par 13 des 28 médecins des urgences
adultes, qui annoncent leur démis-
sion : « Le défaut de management de
notre équipe médicale, accentué par la
pénibilité de nos conditions de travail
[…] est responsable de cette situation
critique. »
Entonnoir
Publiquement, ils n’en diront guère
plus. Seul un communiqué non signé
reprenant leurs revendications sera
diffusé. Même au sein du service, le
personnel paramédical doit conti-
nuer le travail dans un climat très
flou. «C’était perturbant, raconte une
aide-soignante. On ne savait même
pas qui était démissionnaire… On a
tenté d’en parler, mais on n’a pas eu de
réponse.» Face au mutisme des méde-
cins, les syndicats sont appelés à la
rescousse pour l’explication de texte.
«Cela fait quelques mois que la colère
monte, analyse Patrick Bourdillon
(CGT). Les urgences d’Avignon ac-
cueillent entre 180 et 200 personnes
par jour et le nombre de patients aug-
mente de 8 % par an. La tension est de
plus en plus forte en termes de prise
en charge, de plages horaires et
d’effectivité des gardes.»
Confrontée à une crise majeure, la di-
rection met alors les bouchées
doubles. Un accord pour une nou-
velle gouvernance est trouvé en
quelques jours et les treize urgen-
tistes acceptent de lever leur démis-
sion. Mais en arrière-plan, les pro-
blèmes persistent car la situation
d’Avignon est tristement banale. «On
a hérité de plusieurs lois qui ont
conduit à réduire le budget des établis-
sements, relève la déléguée CGT Gra-
ziella Lovera. Sauf que là, on en est
à racler les fonds de tiroir.» En début
de chaîne, le service des urgences, cet
entonnoir, ne parvient plus à réguler
l’afflux de patients : «Même dans
notre région, plutôt attractive, la
désaffection des généralistes entraîne
de plus en plus de gens aux urgences.
Avec la précarisation de la population,
beaucoup viennent simplement pour se
soigner, prendre un médicament. Au-
tant de personnes qu’on refusait aupa-
ravant.»
« Saturés »
Lorsqu’ils arrivent, les patients
passent tous par un infirmier chargé
de déterminer le degré d’urgence.
Une étape majeure qui soumet les
soignants à une triple pression, sou-
ligne Rémi Haon, 31 ans, infirmier ici
depuis quatre ans : « Celle des pa-
tients, qui exigent une réponse rapide.
Celle des médecins, qui nous de-
mandent de ne pas passer à côté d’un
critère de gravité. Et celle de la direc-
tion, parce qu’on travaille sur douze
heures. Douze heures pour 200 pa-
tients ! »Il y a deux ans, le personnel
paramédical avait déjà alerté, enta-
mant une grève qui s’était soldée par
sept embauches. Deux postes de mé-
decins urgentistes sont également
dans les tuyaux, tandis que
l’agrandissement des locaux en jan-
vier a aussi fait du bien. «Sauf qu’il
a été décidé en 2007, en prévision du
passage à 50 000 personnes à l’année,
relève Rémi Haon. Or on en est à 60
000, on est déjà saturés.» La direction
de l’hôpital le concède. Mais comme
d’autres établissements endettés,
Henri-Duffaut subit depuis 2015 un
Contrat de retour à l’équilibre finan-
cier (Cref) imposé par l’Agence régio-
nale de santé (ARS) : économie sur
les achats, mutualisation des services
avec l’hôpital de Cavaillon, refonte
des plannings, diminution de la
masse salariale. A Avignon, le Cref
se traduit ainsi par un projet de sup-
pression de 130 postes. «On est comp-
table des deniers publics, plaide Jean-
Noël Jacques, directeur de l’hôpital.
On fait comme on peut, c’est plus de
l’optimisation de moyens.» Patrick
Bourdillon (CGT) veut bien
l’entendre, mais pas à n’importe quel
prix : « L’hiver arrive, avec un afflux de
personnes évident, et on n’a pas solu-
tionné les problèmes. » Les syndicats
espèrent mobiliser un maximum ce
mardi lors d’un rassemblement à
9 heures devant l’hôpital. Les méde-
cins des urgences ont, bien entendu,
été conviés. ■
par Stéphanie Harounyan
Tous droits réservés Libération 2016
bc9233918c20e60685d61bc0380601b58e04953e293d7b8feebe16f
Parution : Quotidienne
Diffusion : 88 395 ex. (Diff. payée Fr.) - © OJD PV 2015
Audience : 8 122 000 lect. - © AudiPresse One Global2016_v3
↑ 8
« A la fin du XIXe siècle, le mouvement féministe a été caricaturé »
Sylvie Chaperon, spécialiste du féminisme, revient sur l’histoire du mot, qui désignait àl’origine une anomalie chez des hommes efféminés.
N° 11029lundi 7 novembre 2016Édition(s) : Principale
Page 5587 mots
ÉVÉNEMENT
S ylvie Chaperon, chercheuse et
spécialiste du féminisme, est
professeure d’histoire contempo-
raine du genre à l’université de
Toulouse-II. Elle vient notamment
de participer à l’élaboration d’unDic-
tionnaire des féministes en France qui
sera publié début 2017 chez PUF.
Le terme féminisme s’est-il imposé
comme un marqueur de respectabili-
té dans le débat public ?
Je ne dirais pas cela, si tel était le
cas, ce serait une révolution ! Peut-
être que des artistes se l’approprient,
mais j’ai le sentiment que du côté des
politiques, c’est plutôt l’égalité
hommes-femmes qui est mise en
avant. D’ailleurs, dans le débat poli-
tique, elle est souvent instrumentali-
sée par rapport à l’islam, de manière
habile. Par exemple, quand la prési-
dente du FN, Marine Le Pen, s’en sai-
sit, ce n’est pas le féminisme qu’elle
met en avant mais l’égalité, comme
si c’était un marqueur de notre iden-
tité française… En fait, le mot fémi-
nisme a été un repoussoir pendant
longtemps.
D’où vient ce mot ?
Il est apparu en France dans les an-
nées 1860. C’était un terme médical
pour désigner une anomalie de dé-
veloppement physiologique chez cer-
tains hommes efféminés. Son pen-
dant chez les femmes était le « mas-
culinisme ». Puis, au début des an-
nées 1880, le mot revient sous la
plume d’Alexandre Dumas fils, sous
une forme ironique pour faire réfé-
rence à ceux qui veulent donner du
pouvoir aux femmes. Au cours de
cette même décennie, la militante
pour leurs droits Hubertine Auclert
le reprend dans son journal, la Ci-
toyenne. C’est à partir de là que, petit
à petit, le féminisme désigne ainsi les
partisans de l’égalité hommes-
femmes.
A-t-il été connoté négativement dès
le départ ?
A l’époque d’Hubertine Auclert, le
mot était très nouveau et restait in-
terne au mouvement, donc il n’était
pas encore chargé de connotations.
Mais à partir du moment où le terme
est entré dans le langage courant, à la
fin du XIXe siècle, le mouvement fé-
ministe a été caricaturé et associé à
l’excès, au radicalisme, à l’image de
la « vieille fille » qui n’aime pas les
hommes alors que c’est un mouve-
ment non violent qui ne s’est jamais
attaqué aux personnes. Même Si-
mone de Beauvoir, en 1949, avant
qu’elle ne s’en revendique, disait :
« Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis
féministe »… En fait, ce mot a tou-
jours fait peur, de manière assez irra-
tionnelle.
Pourquoi ?
Sans doute parce que le féminisme
bouscule la division sexuelle de la so-
ciété… Cette même crainte est désor-
mais associée au terme « genre », qui
est sorti de sa sphère d’origine et sus-
cite la peur chez ceux qui ne voient
pas de quoi il s’agit et pour qui
l’homme est devenu femme et
vice versa. Les antiféministes se sont
presque toujours employés à décrédi-
biliser le mouvement et ses revendi-
cations.
N’y a-t-il pas des périodes où le mot
a été associé à des choses positives ?
Si, quand le mouvement est très fort
et se diffuse largement. Dans ces
moments-là, il peut même être repris
par des collectifs concurrents. Par
exemple, au début du XXe siècle, on
parlait de « féminisme chrétien »
pour glorifier la mère ou pour évo-
quer une meilleure reconnaissance
du rôle de la femme dans l’Eglise…
Dans les années 70, il y a également
eu une mode autour du féminisme,
certains s’en autoproclamaient.
Certains estiment qu’il faudrait peut-
être plutôt parler d’humanisme,
d’antisexisme ou d’égalitarisme.
C’est une idée qui revient périodi-
quement. Dès le milieu du XXe,
l’activiste et écrivaine Edith Thomas
proposait ainsi dans un ouvrage ja-
mais publié, le Courage, de parler
d’« humanisme ». Mais le « fémi-
nisme » a un sens, une histoire. Pour-
quoi en changer ? Ne vaut-il pas
mieux travailler à mettre en avant
des connotations plus positives ? ■
par Virginie Ballet
Tous droits réservés Libération 2016
d39aa3dc83801a0cc5bb18c0560f41a28b647e38995177903be10ea
Parution : Quotidienne
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↑ 9
Tous féministes… ou presque
De Beyoncé à la Fashion Week en passant par la « Manif pour tous », le conceptest brandi, floqué, mais aussi galvaudé et détourné, notammentpar les personnalités politiques, au risque de le vider de son sens.
N° 11029lundi 7 novembre 2016Édition(s) : Principale
Pages 2-51063 mots
ÉVÉNEMENT
C ’est un mot qui désormais flotte
dans l’air comme une bannière :
féminisme. Il y a encore peu raillé,
conspué, assimilé à de l’hystérie, le
voici servi, repris, brandi. Limite à la
mode, il s’affiche sur des sweat-shirts
ou au dernier défilé Dior à la Fashion
Week. Il est dégainé sur des comptes
Instagram par des actrices, des man-
nequins, des chanteuses, des écri-
vaines, de Willow Smith à Beyoncé et
ses concerts féministes au Stade de
France, en passant par les actrices
Emma Watson à l’ONU ou Patricia
Arquette qui parle d’égalité salariale
aux oscars. So pop ? Voici encore
que dans le dernier numéro desInro-
ckuptibles, avec Natalie Portman
comme rédac cheffe, les interviews
« proféministes » s’enchaînent, et on
y lit même cette phrase de la créa-
trice de la série télévisée Transpa-
rent, Jill Soloway - décrite par Port-
man comme « la plus grande figure du
féminisme aujourd’hui » : « Je n’aurais
jamais cru que le féminisme allait rat-
traper les sociétés actuelles. » Mais
est-ce vraiment le cas ? Ou serait-on
pris dans une vague sournoise de fe-
minism washing qui, tel le green wa-
shing, offre un vernis féministe à peu
de frais ?
Strates
Même les politiques, autrefois plutôt
frileux sur la question, s’en sai-
sissent, d’autant qu’ils sont doréna-
vant questionnés sur le sujet. Et c’est
nouveau. Le président Hollande ? Un
« féministe » revendiqué - le co-
ming out a eu lieu en mars dans les
colonnes du magazine Elle. Tout
comme Justin Trudeau au Canada ou
Barack Obama. Le mot s’est aussi in-
vité dans la campagne électorale
américaine, où les outrances miso-
gynes de Trump ont suscité çà et là
des poussées de féminisme comme
on aurait la fièvre.
En France, le sujet inspire également
nos présidentiables. Alain Juppé par
exemple, qui explique lors d’un débat
sur l’égalité femmes-hommes à Bor-
deaux qu’elle est pour lui une évi-
dence, « par conviction et par tempé-
rament », avant d’ajouter : « Je res-
sens la présence des femmes comme un
apaisement. » Nicolas Sarkozy n’est
pas en reste, lui qui clame, en mee-
ting le 9 octobre, qu’« en France, la
femme est libre depuis toujours ».
Les droits des femmes s’invitent
jusque dans la bouche de Marine
Le Pen, bien que le sujet n’ait jamais
été une priorité pour le Front natio-
nal - sinon les eurodéputés
d’extrême droite ne voteraient pas,
par exemple, systématiquement
contre toute proposition visant à
promouvoir l’égalité femmes-
hommes. La présidente du FN, après
les agressions sexuelles et viols com-
mis dans la nuit du 31 décembre à
Cologne, de se présenter dans une
tribune publiée le 14 janvier sur le
site de l’Opinion comme une « femme
française libre, qui a pu jouir toute sa
vie durant des libertés très chères, ac-
quises de haute lutte par nos mères et
nos grands-mères ».
Signe ultime que le féminisme s’est
faufilé jusque dans des strates in-
soupçonnées de la société, les mili-
tants de la « Manif pour tous »
n’hésitent pas à invoquer le concept.
Enfin, principalement lorsqu’il s’agit
de s’opposer à la gestation pour au-
trui (GPA), « ce nouvel esclavage qui
asservit les femmes ». C’est ainsi
qu’on a pu entendre le mot « fémi-
niste » lors de leur dernier défilé en
octobre.
Mais que penser de ces nouveaux
« militants » ? Le féminisme serait-
il (enfin) devenu bankable ? Voilà
quelques années que le marketing l’a
compris (coucou Dove ou Always).
Restait à infuser chez les politiques.
Et de ce point de vue, on revient de
loin.
Souvenons-nous en effet des mots de
Jacques Chirac, dans un entretien au
Figaro Magazine, en 1978 : « Pour
moi, la femme idéale, c’est la femme
corrézienne, celle de l’ancien temps,
dure à la peine, qui sert les hommes à
table, ne s’assied jamais avec eux et ne
parle pas. »
« Pendant longtemps, quand j’ai inter-
rogé des politiques, hommes ou
femmes, cela commençait par » je ne
suis pas féministe, mais « ou » je le
suis, mais « », rappelle Mariette Si-
neau (1), directrice de recherches
CNRS au Centre de recherches poli-
↑ 10
tiques de Sciences-Po (Cevipof). Mit-
terrand ? Toujours selon Mariette Si-
neau, « il était hérissé par le féminisme
et les féministes. Il n’aimait pas les
femmes en pantalon et pas ma-
quillées ». Les politiques
d’aujourd’hui, nouvellement auréo-
lés de leur brevet de féminisme, sont-
ils crédibles pour autant ?
Prétexte
Prenons le cas de la droite française,
qui s’est historiquement peu intéres-
sée à cette question. « Elle s’y est mise
très tard », confirme Janine Mossuz-
Lavau, directrice de recherches CNRS
émérite au Cevipof. Aujourd’hui, elle
tourne autour, joue avec le concept,
sans pour autant assumer pleine-
ment le mot « féminisme ». Alain
Juppé comme Nicolas Sarkozy pré-
fèrent parler d’égalité. Chez Marine
Le Pen, il prend avant tout l’allure
d’un prétexte. «Je pense qu’elle est la
première en France à avoir ouverte-
ment détourné le féminisme, com-
mente Mariette Sineau. Elle s’en sert
pour mieux montrer du doigt le voile
et défendre la femme blanche française
de souche.» On pourra toujours ironi-
ser en disant que le féminisme ne
veut plus dire grand-chose à force
d’être récupéré. Reste que ces nou-
veaux engouements sont les signaux
d’un changement plus profond. Ma-
riette Sineau : « S’il est récupéré, pro-
noncé, c’est quand même une forme de
victoire, tant il a longtemps fait l’effet
d’un épouvantail. » D’autant que
le féminisme apparaît comme moins
monolithique que dans les an-
nées 70, où seul le Mouvement de li-
bération des femmes (MLF) surna-
geait.
« Léféministes »
En 2016, des Femen à Osez le fémi-
nisme en passant par le collectif afro-
féministe Mwasi, le spectre est très
large, les sujets d’intérêt se sont mul-
tipliés (songeons à l’action du collec-
tif Georgette Sand contre la « taxe
tampon »). Leurs dissensions aussi.
D’ailleurs, signe de cette propaga-
tion, on n’hésite plus à solliciter un
point de vue féministe sur divers faits
d’actualité. Mais, étrangement, on
attend des féministes un discours
univoque sur tous les sujets - comme
si elles appartenaient à un bloc com-
mun qui dit forcément la même
chose, un truc qui s’appellerait « lé-
féministes ». Au fait, que pense donc
« léféministes » des viols de Co-
logne ? Et que pense « léféministes »
du port du burkini ? Que pense « léfé-
ministes » de la parité ? Et au fait, que
pense « léféministes » du feminism
washing ? Les intéressées s’en in-
dignent, elles s’en amusent, mais
elles gardent les pieds sur terre. Et
alignent les chiffres. Les femmes
gagnent en moyenne 19 % de moins
que leurs homologues masculins, se-
lon une étude de l’Insee de 2013. Ce
lundi, un jeune collectif, les Glo-
rieuses, appelle les Françaises à faire
comme les Islandaises : cesser de tra-
vailler à 16 h 34 (lire page 3) afin de
protester contre les inégalités sala-
riales - puisque les femmes ne sont
techniquement plus payées à partir
de cette heure-là, pourquoi ne pas le-
ver le camp ? D’ailleurs, nous arrê-
tons ici cet article.
(1) Elle a publié en 2011 Femmes et
pouvoir sous la Ve République. De
l’exclusion à l’entrée dans la course
présidentielle. Coll. académique
(Presses de Sciences-Po). ■
par Catherine Mallaval et Johan-
na Luyssen
Tous droits réservés Libération 2016
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↑ 11
Pour les patrons, la fin des 35 heures n'est plus une priorité
Plutôt que d'avoir à lancer de nouvelles négociations sur la durée du travail, les chefsd'entreprise réclament de la flexibilité
samedi 5 novembre 2016Page 9
807 mots
FRANCE
C'est un « totem ». Un symbole qui
marque tellement l'appartenance à
un camp politique, la droite, que tous
ou presque sont d'accord : il faut en
finir avec les 35 heures. Les candi-
dats à la primaire de la droite le ré-
pètent à l'envi, chaque fois qu'ils pré-
sentent les volets économiques de
leurs programmes respectifs. « On est
dans un pays qui travaille 35 heures »,
a une fois de plus déploré François
Fillon, jeudi 3 novembre, lors du
deuxième débat télévisé de la pri-
maire. Las. Le sujet n'a été
qu'effleuré lors de cette soirée. Pour-
tant la sortie des 35 heures est pré-
sentée comme l'un des axes centraux
de leurs projets : 39 heures payées 39
pour Nicolas Sarkozy, une durée du
travail fixée au sein des entreprises
dans la limite européenne de 48
heures par semaine pour François
Fillon, ou encore des négociations
obligatoires pour relever cette durée,
pour Alain Juppé.
Sur le terrain, les entreprises, qui
avaient fortement critiqué la mesure,
semblent s'y être faites. Elles ne sont
pas nécessairement demandeuses
d'une augmentation de la durée lé-
gale du travail. « C'est vrai que revenir
dessus serait un symbole politique fort,
pour l'attractivité à l'international de
la France, ce serait une bonne chose »,
insiste-t-on au Medef. Pour autant,
explique le DRH d'une grande entre-
prise tricolore : " Nous n'avons pas
forcément besoin de ça aujourd'hui.
Revenir sur les 35 heures impliquerait
de négocier de nouveaux accords
d'entreprise, ce qui est long et contrai-
gnant. Ce que nous voulons, au-
jourd'hui, c'est surtout de la flexibilité.
"
Durée moyenne de 40,4 heures
D'autant, dit-on dans les organisa-
tions syndicales, que plusieurs dispo-
sitifs existent aujourd'hui pour
rendre plus souple la durée du travail
hebdomadaire des salariés français :
forfait jours qui lisse le temps de tra-
vail sur une période annuelle, pos-
sibilité de moduler le temps de tra-
vail sur plus d'une semaine pour ré-
pondre aux besoins d'une activité
fluctuante…
Des dispositifs que la loi travail pro-
mulguée en août prolonge, en per-
mettant aux entreprises de signer des
accords qui primeront sur les accords
de branche en matière de temps de
travail. Selon Eurostat, les salariés
français du privé travaillant à temps
plein sont d'ailleurs déjà nombreux
à être au-dessus de la durée légale
hebdomadaire : en 2015, ils ont tra-
vaillé en moyenne 40,4 heures. « On
n'a pas arrêté d'avoir des possibilités
de négocier et de moduler le temps de
travail », explique un bon connais-
seur des questions sociales.
Chez EDF, où l'on a signé, en février,
un accord d'aménagement du temps
de travail des cadres, on le reconnaît
volontiers : « Nous avons réussi, avec
le droit en vigueur, à trouver les es-
paces de respiration qui nous man-
quaient », explique Marianne Lai-
gneau, DRH du groupe.
A la CGPME, l'instance représenta-
tive des petites entreprises, c'est jus-
tement la perspective d'avoir à se re-
mettre autour de la table pour des
négociations longues et fastidieuses,
en cas d'abolition des 35 heures, qui
effraie : " Nous ne sommes pas deman-
deurs d'une telle mesure ! ,s'écrie Jean-
Michel Pottier, vice-président chargé
du pôle social. Ce n'est pas prioritaire
pour nous. Les 35 heures ont nécessité
une grosse réorganisation, beaucoup
d'entreprises se sont organisées pour
que le travail soit fait sur cette durée et
ne veulent pas renégocier ".
Selon M. Pottier, un passage aux 39
heures ferait perdre de l'argent aux
PME qui n'ont pas recours aux heures
supplémentaires. « C'est pensé pour
les grandes entreprises, comme
d'habitude », s'agace-t-il. " J'ai du mal
à comprendre les candidats - à la pri-
maire - , confie Christian Janson, pa-
tron de Sedepa, équipementier auto-
mobile des Yvelines. Ce que nous sou-
haitons, ce n'est pas le retour aux 39
heures ! C'est être libre de faire des
choix avec nos salariés. S'il s'agit
d'encourager l'emploi, il y a d'autres
réformes plus importantes, comme fa-
voriser l'apprentissage. "
Abdenour Ain Seba, à la tête d'IT
Partner, une PME informatique lyon-
naise, le dit sans détour : « Abroger
les 35 heures, je m'en fous ! Je ne vais
pas retirer leurs jours de RTT aux gens.
Ce débat est devenu idéologique, en
décalage total avec la réalité des
PME. »
↑ 12
Sarah Belouezzane, et Audrey
Tonnelier■
par Sarah Belouezzane, Et Au-
drey Tonnelier
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↑ 13
PROTECTION SOCIALE
↑ 14
Vive la Sociale !
lundi 7 novembre 20161012 mots
IDÉES
L’Histoire est bonne pour la santé. Sa piqûre de rappel soulage, revigore, re-
trempe, même si elle ne guérit pas toujours, ne prévient pas forcément les re-
chutes. Bien dosée, elle se fait recommandation et même thérapie collective.
Ne serait-ce que pour se remémorer que le passé n’est jamais certain et le fu-
tur jamais sûr. Que rien n’est écrit à l’avance. Que l’espoir fait vivre, pour dire
vite.
Prenons ce 27 mai 1943, tout nimbé de désespoir. Le 48, rue du Four, dans le
6e arrondissement de Paris. Tandis qu’à l’extérieur des guetteurs redoutaient
de voir débouler des voitures de la Gestapo ou de la Milice, les représentants
des mouvements de Résistance, des syndicats et des partis politiques, gauche
et droite confondues, se réunissaient.
Naissait ce jour-là le Conseil national de la Résistance (CNR), sous l’autorité de
Jean Moulin. Moins d’un an plus tard, le 15 mars 1944, tandis que la Libération
n’était encore qu’une espérance, alors que Jean Moulin et un autre membre de
cette première réunion, Roger Coquoin, étaient morts en héros, le CNR adop-
tait un programme de réformes pour l’après. Il était baptisé avec un bel, un
naïf, un forcené optimisme : « Les Jours heureux ».
« Trou », « charges », « gains d’efficience »
Le document appelait de ses vœux « un plan complet de sécurité sociale, visant
à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont
incapables de se le procurer par le travail ». Ce qui fut fait par des ordonnances
d’octobre 1945. Leur mise en œuvre s’étendit de 1946 à 1948. Un ministre
communiste, Ambroise Croizat, et un haut fonctionnaire gaulliste, Pierre La-
roque, en furent les grands artisans. La Sécu était née.
Qu’il semble éculé le souffle épique de la Libération, ramené à une rude
comptabilité
Pourquoi se rappelait-on cela, la semaine passée ? Pourquoi cette envie de re-
lire les magnifiques pages d’Alias Caracalla, où Daniel Cordier, le secrétaire de
Jean Moulin, faisait revivre ce 27 mai, 48, rue du Four ? Tout simplement parce
qu’est discuté ces jours au Parlement le PLFSS. Le PLFSS ? Oui, le PLFSS, le
projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Ah, le PLFSS, bien sûr, que
ne le disiez-vous plus clairement !
Lors de la première discussion du texte par les députés, il ne fut question
que de « trou », de « charges », de « hausse des cotisations », de « gains
d’efficience ». L’idée fut notamment caressée de matraquer l’économie dite
« collaborative » et les combines de petits malins pour arrondir leurs fins de
mois.
Il fut ainsi voté une dîme sur les locations d’appartements par Airbnb, mesure
qui a fait pleurer dans certaines chaumières. Mais aussi décidé de taxer le
↑ 15
louage des voitures, des tondeuses et même des poussettes (amendement
n° 591), puisque tout semble se pouvoir louer aujourd’hui, sauf le Bon Dieu.
Poujadisme, quand tu nous tiens
A lire le compte-rendu fatigué de ces débats, on se disait qu’il y avait loin de
la rue du Four au Palais-Bourbon, beaucoup plus loin que les trois stations de
métro répertoriées. Entre « Les Jours heureux » et le PLFSS s’étendait un fos-
sé plus large et profond que le trou de l’Assurance-maladie ou des caisses de
retraite. Qu’il semblait éculé le souffle épique de la Libération, ramené à une
rude comptabilité. Même si, comme le soldat Ryan, le but est bien de sauver la
Sécu.
La Sécu ? Une lubie caricaturée en vampire saignant à mort l’entrepreneur et
l’assuré
La Sécu et, derrière elle, la solidarité, ce pacte nécessaire à toute société hu-
maine. Une belle idée d’hommes pourchassés, de rêveurs debout, devenue
pour les Français à la fois aussi vitale et oubliée que la petite carte sans
cesse égarée. Une lubie d’êtres en sursis, aujourd’hui caricaturée en une mons-
trueuse administration et un matricule impossible à retenir. Un ogre dévorant
500 milliards d’euros par an, un vampire saignant à mort l’entrepreneur et
l’assuré social en prétendant le soigner.
Tant il en est pour penser ainsi. On se souvient d’avoir interrogé il y a quelques
années une femme qui militait pour la fin de cette avanie collectiviste. La
brave dame se voyait assez bien en résistante des temps modernes, luttant
contre l’oppression d’une institution totalitaire et bolchevique. Elle refusait
de verser ses cotisations à l’organisme public et avait souscrit une assurance
privée et individuelle en Angleterre. Chiffres à l’appui, elle détaillait les for-
midables économies qu’elle réalisait ainsi. Oubliant juste de préciser que ses
enfants étaient, eux, inscrits à la Sécurité sociale, sous le régime de son ex-
conjoint… Poujadisme, quand tu nous tiens.
Bain de jouvence
On se rappelle également ce cordonnier rencontré dans le Morvan. Il se lamen-
tait avec humour d’être tondu par le RSI, le régime social des indépendants.
« Moi, je leur ai dit : “Eh, faut m’en laisser un peu ! ” »Et, de fait, le RSI, la CSG
et ces autres sigles abscons cachent des bureaux d’octroi qui n’y vont pas tou-
jours de main morte.
Et que dire de ce sentiment partagé par tant de malades de n’être réduits qu’à
un lit qu’on occupe indûment, à une table d’opération qu’on usurpe, à un mé-
dicament qu’on vole, bref à un coût pour la société. La Sécurité sociale, c’est
aussi ça. Il serait imbécile de le nier, tout comme il serait imbécile de nier
les abus. La Sécu est malade, souffreteuse à l’orée de ses 70 ans, qui dira le
contraire ?
Pour se refaire une santé, rien ne vaut donc l’Histoire. Un documentaire invite
à nous y replonger, comme dans un bain de jouvence. Il sort en salles, ce mer-
credi 9 novembre, et s’appelle La Sociale, de Gilles Perret.
↑ 16
L’Assurance maladie.
Son auteur avait organisé une avant-première au printemps, quand les rues de
Paris résonnaient des manifestations contre la loi travail. Fait d’aller-retour
entre hier et aujourd’hui, cette ode à la Sécu réincarne les grandes figures qui
la fondèrent et moque à l’occasion des successeurs bien ignorants du précieux
héritage qu’ils gèrent.
De ce film, Jacques Mandelbaum fera dans les jours à venir une critique plus
inspirée que nous ne saurions le faire. Disons juste que La Sociale est d’un mi-
litantisme totalement assumé, d’un manichéisme parfois pesant. Mais Gilles
Perret a l’immense don de combattre la plus grave des maladies : l’oubli.
L’Assurance maladie.
BERTRAND GUAY / AFP
Par Benoît Hopquin
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↑ 17
Pour une refondation politique de la Sécurité sociale
L'« ubérisation » contraint à revoir les outils de la solidarité et de la protection sociale. Laréforme n'aura pas lieu sans débat idéologique
dimanche 6 novembre 2016Page 38
791 mots
LE MONDE ECO ET ENTREPRISE
On pouvait espérer de -l'irruption du
concept d'« ubérisation » – c'est-à-
dire le basculement de la création de
valeur vers les utilisateurs non sala-
riés d'une plate-forme – qu'il pro-
voque une prise de conscience de la
nécessité d'une véritable politique du
travail adaptée aux enjeux du XXIe
siècle. L'inadaptation des institu-
tions à ces nouveaux paradigmes a
été largement soulevée par maints
rapports, dont celui du député Pascal
Terrasse (PS) et de l'Inspection gé-
nérale des affaires sociales. Mais à
l'exception notable de la création du
compte professionnel d'activité
(CPA), le gouvernement a choisi de
mobiliser les vieilles recettes (« flexi-
sécurité ») et la réglementation ré-
pressive, comme en témoignent la loi
El Khomri et la récente proposition
de loi Grandguillaume concernant les
taxis et les VTC.
Les entreprises, elles, s'interrogent
plus volontiers sur la stratégie à
adopter face à l'ubérisation. Les
bonnes intentions donnent trop sou-
vent lieu à des recommandations si-
tôt annoncées sitôt enterrées, à
l'instar de l'open innovation,
l'aplatissement hiérarchique ou les
structures « horizontales ».
Arrêtons de colmater les fuites sur un
bateau qui sombre ! Construire une
politique du travail consiste à fuir la
gestion de la courbe du chômage et la
liste des courses des lobbys. Il s'agit
de se projeter dans un futur défini et
souhaitable, boussole et garant de la
cohérence de l'ensemble des mesures
et réformes. Fantasme d'un passé ré-
volu, le retour au plein-emploi peut
difficilement prétendre à une telle vi-
sion. Il convient plutôt de se doter
de corps intermédiaires solides et
d'institutions de régulation adaptées
à cette représentation, au nombre
desquelles les instances d'attribution
et de portabilité des droits, de redis-
tribution et de solidarité, de défini-
tion et de contrôle des conditions de
travail, de formation.
Enfin, et cette condition est essen-
tielle, une politique du travail viable
doit être à même de mettre en place
un système fiscal adapté aux modes
de création de valeur à l'ère numé-
rique, afin de financer un filet de sé-
curité pour les victimes de la transi-
tion que sont les chômeurs et les tra-
vailleurs pauvres.
Tout cela ne dit rien sur la couleur
idéologique d'un tel projet. Pourtant,
la polarisation est un attribut de sa
dimension politique. M. Juppé, M.
Mélenchon et M. Macron ne feront
pas les mêmes arbitrages lorsqu'il
s'agira de décider dans quelle mesure
on sacrifie la sécurité à la mobilité,
ou encore la solidarité à la libre en-
treprise et à l'innovation. Une chose
est sûre, le « ni gauche ni droite » est
un doux rêve.
Il y a bien une politique de droite :
instaurer un contrat unique, à tiroirs,
où les parties sont laissées -libres de
fixer les conditions qui leur
conviennent le mieux ; faciliter la
création d'entreprise par une baisse
drastique des cotisations et la créa-
tion d'un contrat spécial start-up. Le
travail indépendant est encouragé et,
pourquoi pas, on y adjoint une pro-
tection a minima financée par une
taxation des entreprises du numé-
rique. Un revenu de base à 500 € ser-
virait de -filet de sécurité pour les
laissés-pour-compte de la transition
technologique, justifiant un désen-
gagement de l'Etat des politiques de
protection diverses, à l'instar de la
famille. En somme, il s'agirait de
creuser le sillon de la flexibilité enta-
mé depuis plusieurs décennies, avec
le succès qu'on lui connaît.
A gauche, les choix sont moins aisés,
mais les perspectives plus riches. Il
s'agit d'entreprendre un travail de re-
fondation idéologique, tant la gauche
est déchirée entre la flexisécurité et
le retour au plein-emploi. Une pre-
mière étape consisterait à refonder
les institutions de sécurité sociale
comme le fit Pierre Laroque après la
guerre. La multiplicité des statuts
pourrait céder le pas à une solidarité
inclusive, qui lierait dans un même
bateau indépendants et salariés.
La portabilité des droits serait ac-
compagnée par une politique pu-
blique de formation et de sécurisa-
tion des parcours, ainsi que des ser-
vices publics universels (santé, loge-
ment). Le critère de subordination
pourrait, quant à lui, laisser place à
la notion de « dépendance », source
d'une conception renouvelée de la
sécurité et de l'autonomie.
↑ 18
par Diana Filipova ■
par Diana Filipova
Tous droits réservés Le Monde 2016
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↑ 19
MOUVEMENTS SOCIAUX
↑ 20
Grève La ministre du Travail reçoit trois syndicats d'i-Télé
lundi 7 novembre 2016Page 11
256 mots
SOCIAL-ECO
E n grève depuis le 17 octobre, la
centaine de salariés d'i-Télé a
voté vendredi, à 83 % des voix, la re-
conduction du mouvement, qui entre
ainsi dans sa quatrième semaine.
Face à ce conflit inédit dans
l'audiovisuel privé, la ministre du
Travail Myriam El Khomri a annoncé,
vendredi, qu'elle recevrait cet après-
midi trois syndicats de la chaîne
(CGT, CFDT et le syndicat autonome
Libres), qui lui ont écrit la semaine
dernière. Vendredi, alors que 300
personnes, grévistes et soutiens,
étaient rassemblées devant
l'immeuble de la chaîne à Boulogne
(Hauts-de-Seine), une nouvelle ren-
contre entre les syndicats et la direc-
tion n'a apporté « aucune avancée
concrète », ont déclaré les salariés à
l'AFP. Les grévistes réclament le dé-
part de l'animateur Jean-Marc Mo-
randini, la signature d'une charte
éthique et la définition d'un projet
« clair et précis » pour la chaîne, en
perte de vitesse. La direction du
groupe Canal Plus n'a proposé jus-
qu'ici que des départs négociés, déjà
acceptés par plusieurs journalistes et
rédacteurs en chef. Jeudi, le Conseil
supérieur de l'audiovisuel (CSA) a
pointé des manquements éthiques de
la part de l'animateur Morandini
dans son émission, mais aussi
l'absence de comité éthique au sein
de la chaîne, qu'elle menace de sanc-
tions.■
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↑ 21
RÉPRESSION
Un an de prison avec sursis requis contre un militant CGTLe responsable de la fédération CGT de la construction comparaissait, vendredi pour des jets depeinture en 2014.
lundi 7 novembre 2016Page 11
509 mots
SOCIAL-ECO
P endant que Philippe
Christmann, administrateur de
la fédération CGT des salariés de la
construction, du bois et de
l'ameublement (FNSCBA), compa-
raissait vendredi matin devant le tri-
bunal correctionnel de Paris sur l'île
de la Cité, des dizaines de Christ-
mann étaient rassemblés à proximi-
té, place du Châtelet. Venus de toute
la France, des délégués CGT de la
construction, portant des masques à
l'effigie du militant, avaient fait le
déplacement pour le soutenir et exi-
ger sa relaxe, devant une banderole
dénonçant les « patrons du BTP qui
veulent mettre en prison les défen-
seurs des salariés ».
Sur plainte de la Fédération française
du bâtiment (FFB), Philippe Christ-
mann est poursuivi, et lui seul, pour
« dégradations en réunion » à la suite
de l'occupation, le 24 avril 2014, du
siège de l'organisation patronale,
dans le 16e arrondissement, par
quelques dizaines de militants CGT
de la construction, dans le cadre
d'une campagne pour la reconnais-
sance de la pénibilité. Fin 2015, la
FFB a proposé à la CGT d'étouffer
l'affaire à condition que le syndicat
signe un chèque de 30 000 euros qui
n'aurait pas été débité, explique
Serge Pléchot, secrétaire général de
la fédération CGT : « On a aussitôt
refusé. » La FFB réclame désormais
au militant 80 000 euros de dom-
mages et intérêts pour les frais de
nettoyage et de gardiennage du site
après l'action de 2014. « Nous par-
lons de jets de peinture à l'eau et de
confettis alors que dans le métier il y
a un mort par jour travaillé et un ac-
cident du travail toutes les cinq mi-
nutes », dénonce à la tribune Jean-
Pascal François, secrétaire fédéral de
la FNSCBA, avant de laisser place à
une pièce de théâtre écrite par Ricar-
do Monserrat, et au groupe Paul Ex-
ploit.
En fin de matinée, le couperet tombe.
Sorti du tribunal après une heure
trente d'audience, Philippe Christ-
mann annonce les réquisitions du
procureur de la République : un an
de prison avec sursis, 4 000 euros
d'amende dont la moitié avec sursis,
et l'interdiction de se rendre aux
abords de la FFB pendant trois ans.
« Ce sont des réquisitions extrême-
ment sévères, dénonce son avocate,
Marion Ménage. Il faut raison garder.
Un an de prison avec sursis pour
quelques billes de peinture, c'est to-
talement disproportionné ; dans
l'affaire Air France le procureur n'a
pas été aussi sévère (entre deux et
quatre mois de prison avec sursis
NDLR) alors qu'il y avait atteinte à
l'intégrité physique. » Serge Pléchot
renchérit : « Si Philippe est interdit
d'aller devant la FFB, pas nous ! Ce
n'est pas une provocation, c'est une
réponse. » Le délibéré sera rendu le
16 décembre. ■
par Fanny Doumayrou
Tous droits réservés L'Humanité 2016
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↑ 22
ÉGALITÉ
A partir de ce lundi, elles travaillent gratisPour dénoncer les inégalités salariales entre hommes et femmes, le collectif féministe les Glo-rieuses appelle celles-ci, mais aussi leurs collègues masculins, à cesser le travail ce 7 novembre à16 h 34.
lundi 7 novembre 2016Page 14
724 mots
SOCIÉTÉ
S i, pour un même travail, la
rémunération devait être équi-
valente, les salariées françaises pour-
raient partir en congés aujourd'hui, à
16 h 34 et 7 secondes précisément, et
ne revenir qu'au début de l'année
prochaine. L'équipe de la newsletter
féministe les Glorieuses ont fait le
calcul et appellent donc les tra-
vailleuses à quitter leur poste, ce lun-
di, à l'heure dite, pour marquer sym-
boliquement la persistance insup-
portable de cette inégalité.
L'idée vient d'Islande et n'est pas ré-
cente. Le 24 octobre 1975, à 14 h 8,
90 % des travailleuses s'étaient mises
en grève et avaient manifesté dans
Reykjavik pour dénoncer les écarts de
rémunération entre les hommes et
les femmes. Un mouvement qu'il leur
a fallu recommencer en 2005, en
2008 et donc une nouvelle fois, cette
année.
En France, les Glorieuses ont fait le
calcul, en se basant sur les données
fournies par Eurostat. Selon cet orga-
nisme de la Commission européenne,
les salaires des Françaises sont de
15,1 % inférieurs à ceux de leurs col-
lègues masculins. Elles ont reporté ce
pourcentage au nombre de jours ou-
vrés en 2016 pour arriver à ce lundi
après-midi. Elle ont aussi fait un
autre calcul, dont le résultat a de quoi
inquiéter : au rythme actuel de ré-
sorption des inégalités de revenus,
l'égalité salariale sera obtenue en
2186.
Mais cet écart, basé sur les salaires
brut moyens pour des temps com-
plets, masque des réalités plus di-
verses. Il y a d'abord une inégalité
dans les trajectoires de carrière et les
hiérarchies : plus on y monte, plus
les hommes y sont surreprésentés.
En regardant dans le détail les caté-
gories socioprofessionnelles, on peut
noter, d'après les chiffres de l'Insee
pour 2015, que si les écarts de sa-
laires entre les hommes et les
femmes ne sont « que » de 7,7 % par-
mi les employés, ils atteignent 16,6 %
entre ouvrières et ouvriers et 19,8 %
chez les cadres.
Si on compare les rémunérations des
femmes et des hommes, tous temps
de travail confondus, l'inégalité est
encore plus marquée : les femmes
gagnent, selon les chiffres du minis-
tère, 25,7 % de moins que les
hommes. En cause : les temps par-
tiels, le plus souvent imposés, qui
concernent 30,4 % des femmes,
contre seulement 8 % des hommes.
Et ce n'est pas tout : « Cet écart de -
rémunération cache d'autres inégali-
tés. Les femmes font davantage de
tâches non payées, comme les tâches
domestiques. Le chiffre est éloquent
puisque les hommes consacrent en
moyenne deux heures par jour aux
tâches domestiques, contre trois
heures et demie pour les femmes »,
rappellent les Glorieuses.
« On ne gagne pas un combat avec
la moitié de l'équipe », affirme
l'organisation, qui appelle « les
femmes, les hommes, les syndicats et
les organisations féministes à re-
joindre le mouvement ». Les Glo-
rieuses ont déjà reçu des soutiens de
poids, notamment celui d'Anne Ze-
lensky, cofondatrice en 1974 de la
Ligue des droits des femmes, avec Si-
mone de Beauvoir. La ministre des
Familles et des Droits des femmes,
Laurence Rossignol, a aussi affirmé
sa « sympathie » pour le mouvement,
même si elle estime « difficile pour
une ministre de soutenir ce qui
s'apparente à un appel à la grève ».
« Une enquête, que nous avions ini-
tiée pour appuyer une campagne de
sensibilisation, révélait que le monde
du travail était celui qui créait le plus
d'inégalités et de comportements
sexistes vis-à-vis des femmes », rap-
pelle aussi Laurence Rossignol.
Même si l'opération ne mobilisera
sans doute pas, cet après-midi, 90 %
des salariées, comme en Islande,
l'initiative a déjà pris une ampleur à
laquelle ne s'attendaient pas les Glo-
rieuses. Et, au rythme où vont les
choses, il faudra sans doute la réité-
rer dans les années à venir.
D'ailleurs, une pétition est d'ores et
déjà en ligne pour faire du 7 no-
vembre la journée de l'égalité sala-
riale. Affaire à suivre, hélas. ■
par Adrien Rouchaleou
Tous droits réservés L'Humanité 2016
B09503BA80204D0B25181B80980C210D8854793A59EE72179AD46E5
Parution : Quotidienne
Diffusion : 36 931 ex. (Diff. payée Fr.) - © OJD PV 2015
Audience : 363 000 lect. (LNM) - © AudiPresse One 2015/2016
↑ 23
Inégalités salariales femmes-hommes : grève ce lundi à 16h34
N° 11029lundi 7 novembre 2016Édition(s) : Principale
Page 3222 mots
ÉVÉNEMENT
T ravailleuses, arrêtez tout
ce lundi à 16 h 34 et 27 se-
condes précisément. Posez les
crayons. Eteignez les ordinateurs.
Claquez la porte jusqu’à la fin de
l’année. Car à partir de cette heure,
les Françaises - qui ont un salaire
de 19 % inférieur à celui des hommes
environ - travaillent bénévolement.
Les 38,2 jours ouvrés restants
en 2016 représentent l’écart moyen
de rémunération entre femmes et
hommes. A l’origine de ce coup de
klaxon féministe, le collectif les Glo-
rieuses, depuis rejoint par celui
des Effronté-e-s. Il s’agit de lancer
un mouvement général pour mieux
mettre en lumière cette odieuse in-
égalité qui devrait être« une problé-
matique politique centrale ». La mi-
nistre des Familles, de l’Enfance et
des Droit des femmes, Laurence Ros-
signol, a montré sa sympathie envers
ce « mouvement du lundi 16 h 34 »,
en ajoutant : « Si dans mon ministère,
des femmes souhaitaient y prendre
part, je ne m’y opposerais pas. » Cet
appel sera-t-il largement suivi ? Des
féministes ont émis des réserves de-
vant l’initiative ou évoqué
l’impossibilité pour certaines
d’envoyer valser leur boulot à 16 h 34
(quid des travailleuses précaires ou
des salariées de la grande distribu-
tion ?). Reste qu’en Islande, le 24 oc-
tobre, elles ont été très nombreuses
à quitter leur travail (à 14 h 38) pour
aller manifester. La première fois, là-
bas, c’était le 24 octobre 1975. Lors
d’une impressionnante grève, elles
avaient été 90 % à quitter leur poste,
des caissières de supermarché
aux employées des conserveries de
poisson… ■
par Catherine Mallaval et Johan-
na Luyssen
Tous droits réservés Libération 2016
7e9c23ae8c00050185c514b09b0881fe8bd43133d9a87d5d0ff2c14
Parution : Quotidienne
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Audience : 8 122 000 lect. - © AudiPresse One Global2016_v3
↑ 24
ANALYSE
L’hôpital malade de sa logique financière
Les conditions de travail ne cessent de se dégrader dans les établissements publics.Un mouvement social est prévu mardi.
N° 11029lundi 7 novembre 2016Édition(s) : Principale
Pages 16-171867 mots
FRANCE
C ’est un vent lourd qui souffle
sur l’hôpital. Et pour la pre-
mière fois, on peut avoir le sentiment
que l’on n’est pas loin d’une cassure.
Ce mardi en tout cas, une journée de
mobilisation avec grève aura lieu
(à l’initiative de la Coordination na-
tionale infirmière, rejointe par les fé-
dérations FO, CGT et SUD des sec-
teurs de la santé). Elle ne devrait
certes pas bloquer les établisse-
ments, mais les autorités auraient
tort de n’y voir qu’une classique
poussée de fièvre, comme nous y a
habitué le monde hospitalier depuis
plus de quinze ans. De fait, le ton est
grave, inquiétant même.«La dégrada-
tion des conditions de travail et
d’études entraîne un mal-être et une
souffrance profonde de la profession
dans son ensemble, associée dans
les établissements à une gestion
des ressources humaines déplorable,
sans aucun respect des soi-
gnant(e)s,explique la Coordination
infirmière. Ces conditions ont, hélas,
poussé au suicide certain(e)s de nos
consœurs-confrères, et cela dans le
mépris et l’indifférence générale du
gouvernement tandis qu’en libéral, le
ministère restait silencieux sur les
agressions subies par les infirmières-
infirmiers.»
L’été dernier, cinq d’entre eux
s’étaient suicidés, certains sur leur
lieu de travail, d’autres à leur domi-
cile, tous évoquant des tensions dans
l’exercice de leur métier (Libération
du 14 septembre).« Bien sûr, les sui-
cides ont des causes multiples, mais on
ne peut nier qu’il se passe quelque
chose de nouveau », nous disait alors
un ancien directeur d’hôpital.
Tarification à l’activité
Depuis le début des années 2000, les
quelque 1 000 établissements de san-
té en France connaissent un change-
ment continu. Il y a eu la mise en
place délicate des 35 heures, puis la
rigueur budgétaire s’est peu à peu
installée. Et enfin, l’installation de la
T2A (la tarification à l’activité, axe
majeur du plan « hôpital 2007 ») qui,
au-delà de son aspect comptable, a
changé profondément la vie des hô-
pitaux, mais aussi les priorités de
santé, et parfois même le sens du tra-
vail. La T2A trace une limite entre
des activités de soin rentables, qui
rapportent à l’hôpital, et celles qui le
sont moins. «Le gros changement, en-
fin, ce fut le niveau[particulièrement
bas pour 2016] de l’objectif national
des dépenses d’assurance maladie
[Ondam] », détaille l’ancien député
PS Olivier Véran, neurologue et au-
teur d’un rapport sur la tarification à
l’activité. Aujourd’hui, la progression
des dépenses de l’hôpital est fixée
par l’Etat et ce taux est volontaire-
ment bas pour réduire les coûts. « Se
créent des situations très difficiles
à vivre, avec le sentiment que, quoi que
fassent les personnels de santé, cela ne
sera jamais suffisant », remarque Oli-
vier Veran. Et pour cet homme
proche aujourd’hui d’Emmanuel Ma-
cron, « l’autre élément de tension, c’est
le poids des tâches administratives ».
«C’est vraiment pénible, poursuit le
professeur André Grimaldi, figure
emblématique de la défense de
l’hôpital public. Un jour, un établisse-
ment va être en équilibre, un autre jour,
c’est le déficit. Le tout dépendant des
variations de la T2A, qui va privilégier
telle activité plutôt que telle autre. Les
acteurs n’ont jamais le sentiment que
cela marche.»
A cela s’ajoute une mauvaise gestion
des métiers dans le domaine médical,
aujourd’hui symbolisée par les cadres
de santé, que l’on appelait hier les
« surveillants ». Ils occupent une po-
sition centrale à l’hôpital, « mais en
devenant la courroie de transmission
de la direction, ils sont piégés. Soit ils
défendent la direction, soit ils sou-
tiennent leur équipe. Leur rôle est im-
possible », note Grimaldi.
Logique budgétaire
Symptôme de ce glissement généra-
lisé, la Fédération hospitalière de
France, qui regroupe tous les hôpi-
taux du pays, a rendu public le mois
dernier un baromètre des percep-
tions et des attentes des profession-
nels des relations humaines à
l’hôpital. Il en est ressorti des
constats troublants. Non seule-
ment 75 % des acteurs des ressources
humaines interrogés déclarent « ne
pas disposer des moyens adaptés »,
mais les préoccupations des DRH
sont embolisées par la maîtrise de la
« masse salariale » : il s’agit du pre-
mier sujet de mobilisation pour 80 %
↑ 25
des sondés, taux bien supérieur à ce-
lui constaté dans le secteur privé. « Il
y a un fort risque que l’impératif bud-
gétaire ne laisse que peu de temps au
déploiement des nécessaires dé-
marches d’accompagnement, collec-
tives ou individuelles », note la Fédé-
ration.
Ainsi va l’hôpital, même s’il n’y a pas
un, mais des hôpitaux. Pour autant,
alors qu’il reste souvent le lieu d’une
prise en charge remarquable, il est
désormais obnubilé dans son en-
semble par une logique budgétaire
qui a été un temps nécessaire, mais
qui parasite aujourd’hui tout
l’ensemble. Jusqu’au sens même du
métier. Au ministère de la Santé, on
se dit « vigilant », on insiste sur le fait
que pendant ce quinquennat, Marisol
Touraine s’est « battue »pour dé-
fendre l’hôpital public. Devant le
« malaise »actuel, elle devrait annon-
cer fin novembre une « stratégie na-
tionale pour améliorer la qualité de vie
au travail à l’hôpital ». Certes… Mais
est-ce une stratégie nationale
qu’attendent les acteurs de ces éta-
blissements ? « A quoi bon rester dans
le public si c’est pour faire comme dans
le privé ? »lâche André Grimaldi.
L’hôpital « cru 2016 » apparaît blessé
de l’intérieur comme de l’extérieur.
On l’a vu récemment à Tourcoing, où
une bagarre généralisée a éclaté aux
urgences. On l’a vu aussi avec les sui-
cides des infirmiers et infirmières.
Orphelin d’une hospitalité perdue, le
voilà, parfois, sans âme ni boussole.
Témoignages
Anne Gervais, infectiologue à
l’hôpital Bichat (AP-HP) : «Le
travail devient « à la chaîne », in-
dividuel»
«Le malaise des hôpitaux n’est pas, à
mon sens, lié à des problèmes de ré-
munération. Même en augmentant le
salaire, on va garder une insatisfac-
tion délétère si on ne s’attaque pas
aux problèmes de fond. Quels sont-
ils ? Ils sont liés à un rythme de tra-
vail croissant, avec une impression
ressentie de course à l’échalote dans
des conditions de plus en plus acro-
batiques et au final le sentiment d’un
travail imparfait.
«A nombre constant, on fait de plus
en plus de choses. La tension est per-
manente. Là où, hier, le travail
s’effectuait en équipe, il devient « à
la chaîne », individuel. Lorsque l’on
devient concrètement interchan-
geable, il est difficile d’avoir
l’impression d’agir sur son travail. Il
faut retrouver des moments
d’échanges entre nous et avec les pa-
ramédicaux et arrêter de croire qu’en
normant tout, on réglera les pro-
blèmes. Il faut qu’on apprenne à tra-
vailler ensemble en réseau, pas dans
une collaboration descendante dé-
passée.
« Alors que les rythmes de travail
s’intensifient, il importe aussi de se
préoccuper du bonheur au travail des
soignants. Sinon, on perd le sens du
travail, la motivation, les patients
deviennent des choses. La perfor-
mance n’est pas légitime si elle ne
s’accompagne pas d’une action sur la
qualité du travail. Evitons de soigner
les indicateurs plutôt que les pa-
tients. N’inventons pas une bureau-
cratie de la qualité de vie au travail,
avec ses indicateurs et ses proces-
sus. »
Pauline, 27 ans, ex-aide-soi-
gnante : « On nous pousse à la
faute »
«J’ai posé ma blouse il y a huit mois,
après un burn-out sévère. La nuit,
dans mon service, nous n’étions que
deux aides-soignantes pour plus de
110 résidents. Humainement, ce
n’était pas possible. Un jour, une pa-
tiente est morte de déshydratation.
Cela s’est fait sur trois jours et on ne
s’en est pas rendu compte. Ça a été
le fait de trop. J’ai craqué. On se sent
responsable. Mais on manque telle-
ment de temps…
«Quelque part, on nous pousse à la
faute. Aujourd’hui, à l’hôpital, il y a
un glissement des tâches. Des agents
chargés de l’entretien des locaux
sont recrutés pour faire le même tra-
vail que nous. Quant aux aides-soi-
gnantes, on nous demande parfois de
faire le boulot des infirmières. C’est
une véritable pression. Normale-
ment, nous ne devons pas faire de
gestes invasifs, comme retirer une
perfusion. Mais quand il manque des
infirmières, les cadres gèrent avec le
personnel disponible. Après, quand il
y a une erreur, on pointe du doigt les
soignants.
« On tire sur la corde et les soignants
finissent par se mettre en arrêt ma-
ladie. Bien souvent, ils ne sont pas
remplacés et ce sont alors leurs col-
lègues qui font deux fois plus
d’heures. Jusqu’à ce qu’ils s’épuisent
eux-mêmes. C’est un cercle vicieux.
Le corps n’est pas fait pour supporter
un tel rythme. A 27 ans, j’ai un
souffle au cœur, des problèmes de
tension et de circulation. En début de
carrière, j’allais travailler avec le sou-
rire, on était dans le système D, mais
on était plus nombreuses, on arrivait
à gérer. Aujourd’hui, après sept ans
d’exercice, je suis soulagée de ne plus
porter ma blouse. Partir, c’était une
question de survie. »
Laurent*, 37 ans, infirmier :
« L’hôpital est en train de se
déshumaniser »
«Avant, en cardiologie au CHU de
Strasbourg, on était trois infirmiers
pour trente patients, maintenant on
n’est plus que deux. Mais on n’a que
deux bras et deux jambes chacun… Il
y a quelques années, je pouvais en-
core prendre cinq minutes pour
m’asseoir sur le lit d’une mamie,
↑ 26
prendre sa main, l’écouter un mo-
ment. Là, je ne peux plus. Avant on
répondait aux sonnettes en deux ou
trois minutes, maintenant, l’attente
peut monter à dix-sept minutes pour
les patients. Cela crée des tensions.
Les infirmiers sont les premiers à en-
caisser les mécontentements, ou
pire, la violence des patients.
L’hôpital est en train de se déshu-
maniser. Je tiens le coup, mais beau-
coup de collègues rentrent chez eux
le soir en pleurant. Ils ont le senti-
ment de ne pas faire leur métier cor-
rectement. Certains sont sous anti-
dépresseurs, ils ne sont plus capables
de bien travailler. Comme on n’est
pas assez nombreux, il arrive que les
plannings changent du jour au len-
demain. On a l’impression d’être des
pions, de simples numéros. Parfois,
quand un infirmier est absent,
les cadres demandent aux collègues
en repos de revenir pour le rempla-
cer. On les fait culpabiliser, ils disent
oui. Mais pour la vie de famille, c’est
vraiment pénible.
« On est malléable, on passe notre
temps à courir dans les couloirs, à
soulever les patients, on est en stress
permanent, et tout cela sans aucune
reconnaissance, avec un salaire infé-
rieur à 2 000 euros par mois, tout en
bossant parfois de nuit et en tra-
vaillant deux week-ends sur trois ! Si
c’était à refaire, je choisirais un autre
métier. Les conditions de travail sont
trop dégradées à l’hôpital. »
*Le prénom a été modifié
Un directeur de CHU de province :
« Le temps du travail est devenu
plus stressant »
«Récemment, j’ai eu le sentiment
qu’il se passait quelque chose de
nouveau et que l’on n’était pas de-
vant la énième plainte du monde de
l’hôpital comme depuis des années.
Comment l’expliquer ? Il y a des élé-
ments extérieurs. L’hôpital ne pro-
tège plus. Ses murs ne protègent plus
des secousses de la vie du dehors. Je
le sens, quand on discute avec des
médecins, ce n’est pas tant sur leur
vie professionnelle qu’ils mani-
festent de l’anxiété - et pour cause,
ils sont fonctionnaires -, mais c’est
sur leur vie de famille, sur les inquié-
tudes pour leurs enfants, C’est nou-
veau. Même eux, médecins hospita-
liers avec un statut social fort, sont
inquiets pour l’avenir. De près ou de
loin, ce sont près d’un million de per-
sonnes qui travaillent dans la santé.
Beaucoup aident leurs proches, qui
ont des difficultés sociales. C’est
nouveau, et cela fragilise.
« Quant aux éléments internes à ce
malaise, ce n’est pas tant que les soi-
gnants consacrent plus de temps à
leur travail mais que le temps du tra-
vail est devenu plus stressant, plus
rempli, plus contraignant. Je ne crois
pas à ceux qui pointent une nouvelle
génération de médecins, pour les-
quels soigner serait un travail comme
un autre. L’investissement reste au-
jourd’hui très fort, aussi bien chez les
vieux que chez les jeunes. Ils aiment
leur travail. Mais leur travail les
épuise, et ils n’ont pas le sentiment
de bien faire - et c’est inédit. »■
par Eric Favereau
Tous droits réservés Libération 2016
3a9733a28440e401e5b117d08608a1708684d036891f7d92897da74
Parution : Quotidienne
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↑ 27
Anne Gervais, infectiologue à l’hôpital Bichat (AP-HP) « Le travail devient » à lachaîne « , individuel » Pauline, 27 ans, ex-aide-soignante « On nous pousse àla faute » Laurent*, 37 ans, infirmier « L’hôpital est en train de sedéshumaniser » Un directeur de CHU de Province « Le temps du travail estdevenu plus stressant »
N° 11029lundi 7 novembre 2016Édition(s) : Principale
Pages 18-191044 mots
FRANCE
«Avant, en cardiologie au CHU de
Strasbourg, on était trois infirmiers
pour trente patients, maintenant on
n’est plus que deux. Mais on n’a que
deux bras et deux jambes chacun… Il
y a quelques années, je pouvais en-
core prendre cinq minutes pour
m’asseoir sur le lit d’une mamie,
prendre sa main, l’écouter un mo-
ment. Là, je ne peux plus. Avant on
répondait aux sonnettes en deux ou
trois minutes, maintenant, l’attente
peut monter à dix-sept minutes pour
les patients. Cela crée des tensions.
Les infirmiers sont les premiers à en-
caisser les mécontentements, ou
pire, la violence des patients.
L’hôpital est en train de se déshu-
maniser. Je tiens le coup, mais beau-
coup de collègues rentrent chez eux
le soir en pleurant. Ils ont le senti-
ment de ne pas faire leur métier cor-
rectement. Certains sont sous anti-
dépresseurs, ils ne sont plus capables
de bien travailler. Comme on n’est
pas assez nombreux, il arrive que les
plannings changent du jour au len-
demain. On a l’impression d’être des
pions, de simples numéros. Parfois,
quand un infirmier est absent,
les cadres demandent aux collègues
en repos de revenir pour le rempla-
cer. On les fait culpabiliser, ils disent
oui. Mais pour la vie de famille, c’est
vraiment pénible.
« On est malléable, on passe notre
temps à courir dans les couloirs, à
soulever les patients, on est en stress
permanent, et tout cela sans aucune
reconnaissance, avec un salaire infé-
rieur à 2 000 euros par mois, tout en
bossant parfois de nuit et en tra-
vaillant deux week-ends sur trois ! Si
c’était à refaire, je choisirais un autre
métier. Les conditions de travail sont
trop dégradées à l’hôpital. »
* Le prénom a été modifié
«Récemment, j’ai eu le sentiment
qu’il se passait quelque chose de
nouveau et que l’on n’était pas de-
vant la énième plainte du monde de
l’hôpital comme depuis des années.
Comment l’expliquer ? Il y a des élé-
ments extérieurs. L’hôpital ne pro-
tège plus. Ses murs ne protègent plus
des secousses de la vie du dehors. Je
le sens, quand on discute avec des
médecins, ce n’est pas tant sur leur
vie professionnelle qu’ils mani-
festent de l’anxiété - et pour cause,
ils sont fonctionnaires -, mais c’est
sur leur vie de famille, sur les inquié-
tudes pour leurs enfants, C’est nou-
veau. Même eux, médecins hospita-
liers avec un statut social fort, sont
inquiets pour l’avenir. De près ou de
loin, ce sont près d’un million de per-
sonnes qui travaillent dans la santé.
Beaucoup aident leurs proches, qui
ont des difficultés sociales. C’est
nouveau, et cela fragilise.
« Quant aux éléments internes à ce
malaise, ce n’est pas tant que les soi-
gnants consacrent plus de temps à
leur travail mais que le temps du tra-
vail est devenu plus stressant, plus
rempli, plus contraignant. Je ne crois
pas à ceux qui pointent une nouvelle
génération de médecins, pour les-
quels soigner serait un travail comme
un autre. L’investissement reste au-
jourd’hui très fort, aussi bien chez les
vieux que chez les jeunes. Ils aiment
leur travail. Mais leur travail les
épuise, et ils n’ont pas le sentiment
de bien faire - et c’est inédit. »
«Le malaise des hôpitaux n’est pas, à
mon sens, lié à des problèmes de ré-
munération. Même en augmentant le
salaire, on va garder une insatisfac-
tion délétère si on ne s’attaque pas
aux problèmes de fond. Quels sont-
ils ? Ils sont liés à un rythme de tra-
vail croissant, avec une impression
ressentie de course à l’échalote dans
des conditions de plus en plus acro-
batiques et au final le sentiment d’un
travail imparfait.
« A nombre constant, on fait de plus
en plus de choses. La tension est per-
manente. Là où, hier, le travail
s’effectuait en équipe, il devient » à
la chaîne", individuel. Lorsque l’on
devient concrètement interchan-
geable, il est difficile d’avoir
l’impression d’agir sur son travail. Il
faut retrouver des moments
d’échanges entre nous et avec les pa-
ramédicaux et arrêter de croire qu’en
normant tout, on réglera les pro-
blèmes. Il faut qu’on apprenne à tra-
vailler ensemble en réseau, pas dans
une collaboration descendante dé-
passée.
↑ 28
« Alors que les rythmes de travail
s’intensifient, il importe aussi de se
préoccuper du bonheur au travail des
soignants. Sinon, on perd le sens du
travail, la motivation, les patients
deviennent des choses. La perfor-
mance n’est pas légitime si elle ne
s’accompagne pas d’une action sur la
qualité du travail. Evitons de soigner
les indicateurs plutôt que les pa-
tients. N’inventons pas une bureau-
cratie de la qualité de vie au travail,
avec ses indicateurs et ses proces-
sus. »
«J’ai posé ma blouse il y a huit mois,
après un burn-out sévère. La nuit,
dans mon service, nous n’étions que
deux aides-soignantes pour plus de
110 résidents. Humainement, ce
n’était pas possible. Un jour, une pa-
tiente est morte de déshydratation.
Cela s’est fait sur trois jours et on ne
s’en est pas rendu compte. Ça a été
le fait de trop. J’ai craqué. On se sent
responsable. Mais on manque telle-
ment de temps…
«Quelque part, on nous pousse à la
faute. Aujourd’hui, à l’hôpital, il y a
un glissement des tâches. Des agents
chargés de l’entretien des locaux
sont recrutés pour faire le même tra-
vail que nous. Quant aux aides-soi-
gnantes, on nous demande parfois de
faire le boulot des infirmières. C’est
une véritable pression. Normale-
ment, nous ne devons pas faire de
gestes invasifs, comme retirer une
perfusion. Mais quand il manque des
infirmières, les cadres gèrent avec le
personnel disponible. Après, quand il
y a une erreur, on pointe du doigt les
soignants.
« On tire sur la corde et les soignants
finissent par se mettre en arrêt ma-
ladie. Bien souvent, ils ne sont pas
remplacés et ce sont alors leurs col-
lègues qui font deux fois plus
d’heures. Jusqu’à ce qu’ils s’épuisent
eux-mêmes. C’est un cercle vicieux.
Le corps n’est pas fait pour supporter
un tel rythme. A 27 ans, j’ai un
souffle au cœur, des problèmes de
tension et de circulation. En début de
carrière, j’allais travailler avec le sou-
rire, on était dans le système D, mais
on était plus nombreuses, on arrivait
à gérer. Aujourd’hui, après sept ans
d’exercice, je suis soulagée de ne plus
porter ma blouse. Partir, c’était une
question de survie. »■
par Amandine Cailhol
Tous droits réservés Libération 2016
129ce3b28c30900ba5a719a0c80b11008da42f3659a07ac6660d8e1
Parution : Quotidienne
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↑ 29
Grève à i-Télé : « Ils nous volent nos vies »
lundi 7 novembre 2016935 mots
MÉDIAS
Ils nous volent nos vies. » Voilà le genre de phrases que l’on peut entendre lors
des assemblées générales quotidiennes au cours desquelles, depuis vingt-et-
un jours, les salariés d’i-Télé votent la grève, comme ils devraient le refaire ce
lundi 7 novembre.
Et ce cri a marqué plusieurs membres de l’équipe, dont cette journaliste qui,
jusqu’ici, n’avait pas voulu s’exprimer sur le conflit. Vendredi, elle avait envie
de faire savoir à l’extérieur la situation « épouvantable »qu’elle vit au sein de
la chaîne : « Nous sommes sidérés de la violence des méthodes de la direction…
Nous ne nous réveillons pas d’un mauvais cauchemar, dit-elle. Chaque jour, les
départs se succèdent. Il y a des crises de larmes. Des gens sont cassés. Il y a une
tristesse. Un deuil. »
Ce témoignage résume l’état d’esprit de l’équipe de la chaîne d’information du
groupe Canal+. C’est aussi le message qu’ont transmis les représentants des
salariés aux dirigeants, lors d’une réunion informelle organisée vendredi 4 no-
vembre, dans l’après-midi. Il y a des vrais risques psychosociaux, ont fait va-
loir les journalistes à la direction, qui a pris note.
Rassemblement de soutien
De leur côté, les représentants de la filiale de Vivendi, dirigé par Vincent Bol-
loré, ont le sentiment d’avoir proposé – et précisé – des avancées sur les re-
vendications des grévistes : promesse de nommer un numéro deux de la ré-
daction aux côtés de Serge Nedjar, qui cumule les fonctions de directeur et de
directeur de la rédaction, droit de ne pas travailler avec l’animateur Jean-Marc
Morandini, mis en examen pour corruption de mineur…
Des réponses jusqu’ici jugées insuffisantes par les salariés, la principale
concession obtenue concernant les conditions de départ, bonifiées à deux mois
par année d’ancienneté, avec un plancher et un plafond.
« Il suffirait d’un petit geste positif de la part des dirigeants pour qu’on arrête
cette grève, pense un journaliste. Mais on a l’impression de se prendre des doigts
d’honneur tous les jours. Comme s’ils voulaient surtout nous faire partir. Je suis de
nature optimiste, mais j’ai de plus en plus de mal… » Ce trentenaire a trouvé ven-
dredi du réconfort dans le rassemblement de soutien organisé devant le siège
d’i-Télé, à Boulogne-Billancourt. Il cite aussi la « cagnotte » de dons qui per-
met aux grévistes de compenser leurs pertes de salaire.
Un autre reporter se console avec les messages de soutien envoyés sur Twitter
via le hashtag #jesoutiensitele : « Ça change des critiques qu’on entend tout le
temps sur les journalistes… Mais on est épuisés, on ne va pas se le cacher. »
↑ 30
« Rupture »
« Depuis trois semaines, on vient tous les matins dans les locaux pour l’assemblée
générale à 10 h 30 », raconte une autre trentenaire qui, comme beaucoup à i-
Télé, ne s’était jamais engagée dans un conflit social, « sauf à la fac, contre le
contrat première embauche ».
« Tout le monde peut parler, même ceux qui ont des doutes sur la grève. On ne se
coupe jamais la parole. Il y a eu des AG moroses, d’autres plus joyeuses. Mais de-
puis quelques jours, les réunions sont ponctuées par les annonces de départs. A la
fin et au début, il y a des discours. C’est très émouvant », ajoute-t-elle.
« Dans le grand plateau open space, quand tu es dans un coin de la rédaction et
que tu entends des applaudissements à l’autre bout, tu sais que c’est l’annonce
d’un départ, raconte un autre. La question, c’est : « qui ? ” »
Pour ce journaliste, quelque chose s’est « cassé » dans les derniers jours : « Il
y a eu une rupture quand Serge Nedjar a décidé de ne pas nous laisser assurer les
émissions autour du débat de la primaire de la droite. Il a cassé quelque chose en
moi. Avant, je me disais qu’ils n’allaient pas m’embêter ni me pousser au départ
car je n’étais ni une grande gueule ni un cadre. » Il pensait pouvoir « continuer à
bosser en résistant aux pressions ». Plus maintenant : « Ils ont réussi à me dé-
goûter de ce groupe. Et c’est leur objectif… »
De plus en plus de salariés veulent activer leur clause de conscience pour quit-
ter l’entreprise. « Il y en a aussi qui voudraient partir mais ne peuvent pas, pré-
cise un journaliste, qui pense rester. Novembre, ce n’est pas du tout le bon mo-
ment pour chercher du travail en télévision… Ceux qui restent n’ont pas le choix. »
D’autres s’inquiètent de l’avenir de la chaîne, au vu des départs déjà offi-
cialisés : des rédacteurs en chef, une présentatrice, des reporters… « Imagi-
nons que je reste : comment je fais pour travailler ? A partir de la semaine pro-
chaine, j’ai peur que nous ne soyons plus en mesure de faire un JT avec un di-
rect. » « On réalise que plus rien ne sera comme avant », déplore une repor-
ter. Un journaliste-cameraman a aussi « peur pour l’après » : « On a vécu une
aventure collective humaine très puissante. Partir ou rester ? Le problème, ce sera
la reconstruction. »
Le gouvernement prend part à la médiation La ministre du travail et du
dialogue social, Myriam El Khomri, doit recevoir, lundi 7 novembre, trois syn-
dicats d’i–Télé. Il s’agit de la première rencontre entre un membre du gouver-
nement et des représentants des salariés de la chaîne privée, en grève depuis
le 17 octobre. Le gouvernement s’est jusqu’à présent montré prudent. Récem-
ment, le premier ministre, Manuel Valls, a fait valoir que ce conflit concernait
un « groupe privé », tout en appelant la direction à la « responsabilité ».
Mme El Khomri a « reçu un courrier daté du 2 novembre de trois syndicats, la
CGT, la CFDT et un syndicat libre, et elle a souhaité les entendre pour faire le
point », a expliqué le ministère, sans préciser le contenu de la lettre. Selon
l’entourage de Mme El Khomri, la même invitation sera lancée prochainement
à la direction de Canal+.
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Une caméra i-Télé.
Une caméra i-Télé.
KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Par Alexandre Piquard
Tous droits réservés http : //www.lemonde.fr 2016
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Parution : Quotidienne
Audience : 20 594 000 lect. - © AudiPresse One Global2016_v3
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EUROPE ET INTERNATIONAL
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Pourquoi le chômage stagne en zone euro
Selon Eurostat, le nombre de demandeurs d'emploi s'est établi à 10 % en septembre
samedi 5 novembre 2016Page 23
957 mots
LE MONDE ECO ET ENTREPRISE
Repassera-t-il sous la barre
symbolique des 10 % avant Noël ?
Peut-être pas. Selon les chiffres pu-
bliés jeudi 3 novembre par Eurostat,
le taux de chômage de la zone euro
s'est établi à 10 % de la population
active en septembre, identique à son
niveau d'août et de juillet.
Entre mars et juin, il était passé de
10,2 % à 10,1 % seulement. « Le taux
de chômage de l'union monétaire n'a
reflué que de 0,2 point sur ces six der-
niers mois, contre 0,4 point sur les six
précédents », note Jack Allen, chez
Capital Economics. « La baisse du
nombre de demandeurs d'emploi
marque le pas depuis le printemps »,
confirme Maxime Sbaihi, économiste
chez Bloomberg Intelligence.
Plutôt inquiétant – du moins, à pre-
mière vue. Car même s'il a reflué de-
puis son pic du printemps 2013, à
12,1 %, le chômage de la zone euro
est encore loin de son niveau
d'avant-crise, à 8,5 %.
Dans le détail, les chiffres d'Eurostat
offrent un tableau contrasté. Sans
surprise, et à l'exception de la Grèce,
les pays où le chômage avait le plus
explosé pendant la crise enregistrent
les plus fortes baisses. En Espagne,
il est ainsi tombé à 19,3 % en sep-
tembre, contre 21,4 % un an plus tôt,
tandis qu'il a reflué de 9,1 % à 7,1
% sur un an en Irlande, où il avait
culminé à 15,2 % début 2012. « Ces
deux pays poursuivent leur rattra-
page », commente Philippe Waech-
ter, chez Natixis AM. Si l'Allemagne
fait toujours figure de bonne élève
(4,1 %), la France (10,2 %), le Por-
tugal (10,8 %) et l'Italie (11,7 %)
peinent à réduire significativement
le nombre de demandeurs d'emploi.
Tout comme les pays baltes. En Au-
triche, il a même tendance à remon-
ter…
La raison ? « L'anémie de la croissance
du Vieux Continent, en partie », note
M. Waechter. Mais pas seulement :
selon la Commission européenne,
l'économie de la zone euro devrait
croître de 1,6 % en 2016, soit au
même rythme qu'en 2015. Le tasse-
ment de la baisse du chômage a donc
d'autres sources. Prudents, les éco-
nomistes avancent plusieurs hypo-
thèses. « Selon nous, c'est probable-
ment lié au retour sur le marché du tra-
vail de personnes qui s'en étaient éloi-
gnées pendant la crise », explique M.
Sbaihi. Bloomberg Intelligence es-
time ainsi que le taux de participa-
tion à la population active – c'est-à-
dire la part des individus cherchant
un emploi ou en occupant un par rap-
port à la population totale – est passé
de 63,8 % à 64,1 % entre le premier
et le deuxième trimestre dans la zone
euro. « A court terme, ces retours sur le
marché du travail ralentissent la baisse
du chômage », explique M. Sbaihi.
Mais à moyen terme, c'est une bonne
nouvelle : si ce scénario se confirme,
le nombre de personnes durablement
exclues de l'emploi sera peut-être
moins élevé que ne le redoutent les
économistes.
Après le choc de 2008 et les années
de récession qui ont suivi, le nombre
de chômeurs de longue durée, de
jeunes (diplômés ou non) laissés sur
le carreau et de demandeurs d'emploi
aux qualifications obsolètes a, en ef-
fet, explosé. Aujourd'hui, 42,7 % des
actifs grecs de moins de 25 ans sont
ainsi sans travail, 42,6 % des Espa-
gnols et 31,7 % des Italiens. Une pro-
portion qui aurait été bien plus forte
encore sans l'émigration de beau-
coup d'entre eux vers l'Allemagne et
le Royaume-Uni.
« La crise a bousculé les choses »
« Cette profonde séquelle laissée par la
crise sera difficile à résorber, d'autant
qu'elle a creusé les inégalités et le
risque d'exclusion sociale pour les
jeunes sortis prématurément du sys-
tème scolaire », pointe Stefano Scar-
petta, directeur du département em-
ploià l'Organisation de coopération
et de développement économiques
(OCDE).
Elle s'est en outre traduite par une
hausse du niveau du chômage dit
structurel, c'est-à-dire celui vers le-
quel l'économie tend lorsqu'elle
fonctionne normalement, en utili-
sant toutes ses capacités de produc-
tion, mais sans surchauffer. En 2007,
celui de la zone euro était de 8,5 %
environ, selon l'OCDE. Mais au-
jourd'hui, est-il de 9 % ? de 9,5 % ?
Plus ? « On ne sait plus très bien, tant
la crise a bousculé les choses en la ma-
tière », dit M. Scarpetta.
Le débat est moins théorique qu'il n'y
paraît. D'abord, parce que les salaires
ne recommencent à augmenter que
lorsque le taux de chômage structurel
est atteint et dépassé. « Dès lors, le
marché du travail recommence à se
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tendre, et les salariés sont mieux placés
pour négocier des augmentations »,
rappelle M. Sbaihi. Une situation que
l'Italie, l'Espagne ou même la France
ne connaîtront pas avant des années.
De plus, un taux de chômage struc-
turel élevé pèse durablement sur la
croissance. Or, celle-ci devrait juste-
ment ralentir ces prochains mois. Se-
lon Natixis, le produit intérieur brut
de l'union monétaire ne devrait
croître que de 1,2 % en 2017.
L'économie sera pénalisée par la re-
montée progressive des cours du pé-
trole, ainsi que par les incertitudes
politiques entourant les élections
françaises et allemandes. Voilà qui
n'est pas de très bon augure pour le
marché de l'emploi…
Marie Charrel■
par Marie Charrel
Tous droits réservés Le Monde 2016
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