Pushing The Limits, T1.1.Plus forts à deux -...

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Lincoln

Tutrouvesçabizarrequejemesenteprochedetoialorsquetuhabitesàdescentainesdekilomètresetqu’onnes’estvusqu’unefois?J’espèrequenon.Jesuisheureusedet’avoirdansmavie.Lila

***

Sur l’écran d’ordinateur, un seul mot me fixe, une accusation légitime : Pourquoi ? CetteconversationavecLilatransgressetoutesnosrèglesimplicites.Onneseparlejamaisenligne.Jamais.Mêmesiparfoisj’auraisbienaimépouvoircommuniqueravecelleplusrapidement,créerunlienquiailleau-delàdeslettres.Maislepapieravaitquelquechosederassurant.

Et voilà qu’on changeait les règles. La seule relation dont j’aie besoin, celle sur laquelle jecompte… Je l’ai fichue en l’air. Pas étonnant, vu ma tendance naturelle à détruire tout ce que jetouche.D’aprèsmasœur,c’estgénétique.Toutelafamilleestmaudite.

—Tuauraisdûm’enparleravantdel’acheter!J’avaisfaitunbudget!Dans la cuisine,monpèrehurle surmamère.Notremaisonest unvolcan,unbouillonnement

continudelavebrûlanteauborddel’explosion.J’essayed’ignorermesparents,maisc’estdifficile.Notreseulordinateurtrôneaubeaumilieudusalon.Ducoindel’œil, jevoistrèsbienlesmainsdemonpèretremblerdecolèreetlesjouesdemamères’empourprerdangereusementsousl’effetdelafrustration.

—Jen’aipasàtedemanderlapermission!J’entends une chaise s’écraser contre la table en bois et les talons de ma mère piétiner le

carrelage.—C’estautantmonargentquele tien!Etparlons-en,dubudget.Tunem’asjamaisdemandé

monavis!

Jet’aidemandépourquoi.

LesmotsdeLilaapparaissentdansnotrefenêtrededialogue.Jepasselamainsurmonfrontplissé.Tenduetparalyséparl’embarras,jesuisincapabledetaper

surleclavier.Jenesaispaspourquoij’aifaitça.C’estunmensonge,jelesaisbien,maisjenesaispascommentluidire.Jenesaispascommentrattrapermonerreur.

Jesuisdésolé.Jenet’aipasdemandédet’excuser,jette-t-elleimmédiatement.Jet’aidemandéPOURQUOI!

Parcequejet’aime.C’estcommesiquelqu’unempoignaitmoncœuretserrait,serrait,serrait.Jel’aime.Jesuis tombéamoureuxd’unefillequejen’aivuequ’unefois,unefilleavecqui j’échangedeslettresdepuisdeuxans.Impossiblequ’ellepartagemessentiments.Unedéclarationlaferaitfuir.

Jeneveuxpaslaperdre,maisqu’est-cequejedoisdire?Qu’est-cequejepeuxfaire?Telslestremblementsdeterrequiannoncentuneéruption,ladisputedemesparentss’enflamme.

Mamèreallumelemixeurpourneplusentendremonpère.Ilriposteencriantencoreplusfortetendonnant un coup sur la table. La vaisselle tinte contre les verres. Le bébé qui dormait quelquessecondesplustôt,monneveu,semetàpleurer.Non,ilnepleurepas,ilpousseunhurlementquimeglacelesang.

Lebruitmedonnemalàlatête,embrouillantmesidéesdéjàconfuses.

Jepeuxtoutt’expliquer.

Maisjenesuispassûrquecesoitvrai.

Alorsvas-y,EXPLIQUE!

Elle tape vite. Trop vite. Mon sang bat dans mes oreilles. J’ordonne mentalement au chaosenvironnantdedisparaîtreetjepriepourqueLila…quoi?Qu’est-cequej’attendsd’elle?

—OùestMeg?Merde!rugitmonpère.Elleestresponsabledecebébé!Jen’aijamaisacceptéd’êtrebaby-sitter!

Etiln’ajamaisacceptéd’êtregrand-pèreàquarante-cinqans.Jejetteuncoupd’œilàmonpère,enpoloetpantalonpourmaremisedediplôme,etaubébéen

pyjamableuquiserelèvedanssonparc,aumilieudusalon.Ilesttoutrouge,etdelabavecouledesapetiteboucheouverte.Ilpousseunnouveauhurlementdigned’unealarmeincendie.

—Megn’estpaslà,criemamanpar-dessuslevrombissementdumixeur.Megvientd’avoirdix-septansetellen’estpasàlamaison—à8heuresdumat,cequiveutdire

qu’ellen’estpasrentréelanuitdernière.EllenousalaisséJunior.Mel’alaissé.Moinonplus,jen’aijamaisacceptédejouerlebaby-sitter

Ma sœur choisit cet instant précis pour faire son apparition. Impressionnant : elle est rentréeavantmidi.Peut-êtrequ’aujourd’huielleprendrasonfilsdanssesbras.

Je ne lui dis rien. Je ne lui accordemême pas un regard. Jeme concentre sur le curseur quiclignote sur l’écran.Encore quelques secondes et j’aurai complètement perduLila. Je commence àtaper:

J’aifaituneerreur.Je…

L’écrans’éteintsoudain.—Merde!—J’enaibesoin,annonceMegenseredressantaprèsavoirarrêtél’ordinateur.Ellereplacederrièresonoreilleunemèchedesoncarréfraîchementteintenbleuetajoute:—Tire-toi.Sonnouveaumec,celuiquin’estpaslepèredubébé,celuiquidétestelesgosses,estrestéàla

porte,lesmainsenfoncéesdanslespochesdesonjeantropbas.—Meg!

Mamanseprécipiteverselle.Ellesaitqu’ellealaissélemixeurallumé?Est-cequejesuisleseulàentendreleshurlementsdubébé?

—Oùétais-tu?LaremisedediplômedeLincolnestdansuneheure…Lesdoigtssurlestempes,jemarmonne:—Qu’est-cequetuasfait?Lila.J’aiperduLila.Monseulrepèredanscemondedefous.—Pourquoijedevraisyaller?Megenvoiebalancersesbras,quipassentàquelquescentimètresdelatêtedesonproprefils.—Cen’estpasmaremisedediplôme.—Qu’est-cequetuasfait?jerépèteenhaussantleton.Tandis quemon cœur s’emballe sous l’effet de la fureur,mon père déboule dans le salon en

faisanttomberunechaise.—Prendstonbébé!Prends-le!C’esttonbébé.LavoixdeMamanestétoufféeparlescrisdeMeg,quirépèteenbouclequ’elleneviendrapasà

maremisedediplôme.—Qu’est-cequetuasfait?!jehurleplusfortqu’euxtousréunis.Jedonneungrandcoupdanslebureau.Ilssetaisent:maman,papa,Meg.Toutlemondesetait,

sauflebébé.—Maisprenez-le!Personneneleprend.Ilscontinuentàmeregarderenouvrantdegrandsyeux,parcequ’ilssavent

quej’aicraqué.Jenecriejamais.Endix-huitans,ilsnem’ontjamaisvuperdremoncalme.Danslafamille,onmetrouvebizarre,c’estvrai,maisaussistable.Impassible.Jesuisceluiquin’apaspleuréàl’enterrementdemonfrère.Celuiquin’exigeriendepersonne.Pasmêmedelui-même.

Les pleursmontent dans les aigus.D’un geste rapide, je sors le bébé de sa prison, et il poseimmédiatement la tête surmonépaule, lepoucedans labouche, en sécurité.Sonpetit corps chauddégage une douce odeur de biberon et de talc. On doit avoir une drôle d’allure : sept kilos denourrissonprématuréblottiscontreunmètrequatre-vingtsetquatre-vingtskilosdemusclessculptéspar l’escalade.D’uncôté,çam’exaspèrequ’il secalmequand je leprends,parcequeça faitde luimonfardeau.D’unautrecôté…aumoins,jepeuxaiderquelqu’unàsesentirmieux.

Jejetteuncoupd’œilàl’ordinateuréteint.Lila.Enquêtederéconfort,jeposelamainsurledosdubébé.J’aiperduLila.Iln’yapasmoyenqu’ellemeparleenligneaprèsça.Et jesuis incapabled’attendredevoirsiellerépondraàmalettre.Siellemedonneraunenouvellechance.

—Prendstonbébé,jelanceàmasœur.Sesyeuxs’écarquillent,etellefaitnondelatête,encoreetencore,frénétiquement.—Prends.Ton.Bébé.J’aieutort.Cen’estpasmamaisonquiestunvolcan,c’estmoi,etcesdeuxdernièresannéesont

crééunmonstreensommeilquinetoléreraplusqu’onl’ignore.J’enaiassez.Assezquenoussoyonstousdevenustellementobsédésparnospetitsproblèmesdumomentquenousavonscessédepenseràl’avenir.

Je suisaussicoupableque lesautres,etLila souffreàcausedecetéchec.Bientôt, cesmêmesdécisionsdésastreusesvontravagermafamille.Jesuistellementdébile.

Jefaisdegroseffortspourgarderunevoixposée,parcequecen’estpaslafautedubébésij’aiperducontactaveclaréalité,sisamèreesttellementtorduequ’ellenel’ajamaisprisdanssesbras,sises grands-parents sont trop absorbés par leurs disputes pour prendre conscience de l’avenir qui seprépare.

—Maman.D’un signe de tête, je lui demande de récupérer le bébé endormi. Pleine d’énergie comme

toujours,elleseprécipiteetleglissedanssesbras.Commentvais-jebienpouvoirréparertoutesleserreursquej’aifaitesdepuisdeuxans?

Mesparentsetmasœurmefixenttoujourscommedesbichesauxabois.Jedevraiscommencerparleurdirelavérité,maislesmotsmemanquent.Non,cen’estpasqu’ilsmemanquent…maisjenepensequ’àLila.

Siellepeutmepardonner,j’arriveraiàtoutarranger.

Lila

Non,jenetrouvepasçabizarrequetutesentesprochedemoi.Pourêtrehonnête,ilyadesfoisoùlaseulechosequimedonnelaforcedecontinuer,c’estdesavoirquejevaisrecevoirunelettredetoi.Lincoln

***

Dèsquej’aiouvertlaporte,jeregrettedenepasavoirtenucomptedupost-itjaunecolléàcôtédujudas:«Lila,vérifietoujourslejudasavantderépondre.Onnesaitjamaisquiçapeutêtre.»

Traduction : les tueursensériesonnentavantdepasserà l’attaque.JeregardeLesExperts.Çaarrive.

Cen’estpasuntueurensérie,maisuncauchemard’unautregenre.Stephen,lemecaveclequeljesuissortieplusieursfoisdepuislaseconde,meregardeenpenchantlatête.Ilafficheuneexpressioninquiète,maisilal’airbeaucouptropsatisfait.

—Tuvasbien?demande-t-il.Touten reniflant, j’attrapeunmouchoir froissépourm’essuyer lenez.Voyonsvoir :desyeux

rougesgonflésetbouffisavecd’énormescernes?Non,jenevaispasbien,etmaintenantjemesensencoreplusmalparcequ’ilcroitquejepleureàcausedelui.

—Çava.Qu’est-cequetufaislà?—Jeprendsdesnouvelles.Sesyeuxvertsparcourentlesalonvidederrièremoi.— Je sais que tes parents et tes frères sont partis en vacances hier. Je voulais vérifier que ta

premièrenuitseules’étaitbienpassée.C’étaitlapremièrefoisdemaviequejepassaisunenuitseule.Lerésultatétaitcatastrophique.Il

merestaitsixjoursdesolitudepuis,enautomne,toutlerestedemavie.—J’aisurvécu.Stephenmedévisageenhaussantlessourcils:ilvoitbienquejen’aipasfermél’œildelanuit.

J’étaistropterrifiéepourdormir.Monimaginationm’ajouédestours,aupointdemeconvaincrequequelqu’ungrattaitàlafenêtre.

Unechaudebrisedesoirdejuinsouffledanslamaison,charriantl’odeurdugeldouceâtrequ’ilutilisepourmettreundésordreétudiédanssescheveuxbruns.

—Jepeuxentrer?demande-t-ilquandildevientévidentquejenevaispasl’inviter.

Non.Jepousseunsoupir.—Jet’enprie.Enentrant,Stepheneffleurelepost-itvioletcollésurletéléphonepourmerappelerdevérifierle

numéroavantde répondre.Enme levanthiermatin, j’ai trouvé lemémosur laporte, ainsiqu’unebonne centaine d’autres post-it placés sur divers objets dans toute la maison. Ma mère essayedésespérémentdem’apprendreàvivreseuleafindemeprépareràl’universitédeFloride,àquatorzeheuresdelamaison.

—Siçatefaitpeurd’êtreseulelanuit,n’hésitepasàm’appeler,dit-il.Jeviendrai.—Jen’endoutepas,jerétorqued’untonnarquois.Stephenétaitmonpremier…etdernier.Quandj’aiperdumavirginitédanssesbras,jepensais

l’aimer,etc’étaitpeut-êtrevrai.Maisensuitetoutestdevenucompliqué.Non,pastout.Moi.Jesuisdevenue compliquée et je n’avais plus envie de faire l’amour. Stephen ne s’est pas montré trèscompréhensif.

Etpuis,ilyavaitLincoln…Meslèvressemettentàtrembler,etunenouvellevaguedelarmesvientembuermesyeux.Stephensetourneversmoi,laboucheouvertepourfaireunenouvelleremarqueintelligente.Elle

sefermed’uncoupquandilvoitmonexpression.—Ouhlàlà!Ducalme,Lila,toutvabien.Saufquec’estfaux.Mesospèsentsoudainbientroplourdpourmoncorps,etjem’écroulesurle

canapé.Jeserrelepoingautourdumouchoirquej’aigardéetquisembles’êtretransforméenpierre.—Çava.Jesuisjustefatiguée.J’aijustelecœurbrisé.Cematin,Lincolnm’amenti,puisilm’aignorée.Commesipourluiles

lettreséchangéespendantdeuxansn’avaientaucuneimportance.Deslettres—pasdesmails,pasdesSMS—deslettres.C’estcequenousnousétionspromisle

jourdenotrerencontre.Parcequeleslettresontunje-ne-sais-quoiquirendaitnotrerelationintime…unique…réelle.

Je fixe les motifs d’amibes rouges et noirs du tapis d’Orient qui recouvre le parquet. J’ai lanauséeenvoyantsouslatablebasseenboisdecerisierleprojetparlequeltoutacommencé,outouts’estterminé,questiondepointdevue.J’aimistoutmoncœurdanscetépaiscarnetdescrapbooking,j’yaiconsacrédesheuresdedécoupageetdecollage,afindecommémorer la findesesannéesdelycée. Pour dessiner la frise, j’ai utilisé les pétales séchés des rosesmauves qu’ilm’a envoyées lasemainedernièrepourmapropreremisedediplôme.

J’ai eu l’incroyable stupidité de tomber amoureuse d’un garçon que je n’ai vu qu’une fois.Surtoutque,lesmecsbien,çan’existequedanslescontesdefées.

LecanapétanguequandStephenseperchesurl’accoudoiropposé.Combiendefoismamèreluia-t-elleditdenepasfaireça?Stephens’humectelepouceetessuielabouequimaculesonnouveaubienlepluscher:lesbasketsàdeuxcentcinquantedollarspourlesquellesilafaitlaqueuetouteunenuit.

—Sérieusement,Lila.Nouveaucoupdelangue.Nouveaunettoyage.—Jevaisdormircheztoicettesemaine.Entoutbientouthonneur.Jepousseungrossoupirquifaitvolerunemèche.Jesuis injusteaveclui.Stephenestunmec

bien. Ce n’est pas sa faute si je suis amoureuse de quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui n’existe pasvraiment.

—Jesais,etmerci.Maisjedoisréglerçaparmoi-même.Commentest-cequejepeuxenvisagerdedéménagerenFlorideoùjeneconnaispersonnesijen’arrivepasàpasserunenuitseulechezmoi?

Stephensegrattelementon.Jesensquecequ’ils’apprêteàsortirvamehérisser.—Ecoute,jeteconnaismieuxquepersonne,etpourêtrehonnête…tun’espasaussifortequetu

aimeraislefairecroire.—J’hallucine.Unmélangedecolèreetdetristessemetordl’estomac,etjemerecule.—Qu’est-cequetuviensdemedire?—Ecoute,répond-ilprécipitamment.Tamèreaditàlamiennequetun’avaispasrefusélaplace

àl’universitédeLouisville.Tuteposessûrementdesquestions,doncjenefaisquedireàvoixhautecequetupensesdéjà.

Magorgeseserre,etjedétournelesyeux,gênéed’êtreàdeuxdoigtsdelaisserlapeurmefairerenonceràmonrêve.

—ResteàLouisville.Ilprenduntonplusdoux.—Ettun’aurasaucuneraisond’avoirpeur.Echoreste.GraceetNathalierestent.Ils’interromptetbaisselesyeux.—Jeserailà.Jememordslalèvre,furieusemaistrèsébranlée.J’aitoujoursvisél’universitédeFloride,mais

j’ai peur de quitter la maison. De laisser derrière moi tout ce que je connais. Mais j’en ai assezd’entendretoutlemondemerépéterlesmilleetuneraisonspourlesquellesjenedevraispasyaller.C’estusant.

Jenerépondspas,etStephencontinue:—Jesaisquec’estpourçaquetum’asquittélemoisdernier.Tunepensespasqu’onsoitassez

fortspourunerelationàdistance.Ehbien,neparspas.Non,cen’estpaspourçaquejel’aiquitté,maisc’estl’excusequejeluiaidonnée.Ilyadeux

mois,Lincolnm’aenvoyéunelettremagnifiquequim’abouleversée.Enfait,toutesseslettressontmagnifiques,maisj’aienfincomprispourquoiçanemarchaitpasentreStephenetmoi.C’estparcequej’aidonnémoncœuràLincoln.

Jen’avaispasenviedeblesserStephenetjen’enaitoujourspasenvie.Surtoutquejemerendscompte de ma bêtise. Mes yeux se ferment quand je comprends ce que j’ai peut-être gâché enrenonçantàStephen.

—Jenesaispas.Le sentiment d’échecme terrasse, au point que le canapé nemeparaît plus assez solide pour

soutenirmonpoids.Peut-êtrequetoutlemondearaison.Peut-êtrequemesrêvesdedépartnesontqu’unefolieabsurde.Peut-êtrequejemeberced’illusionsenm’imaginantquejepeuxdevenirplusquecequejesuisvraiment:faibleetcasanière.

Toutemaforceetmonénergieretombent,aspiréesparStephenqu’ellesgalvanisent.Ilserelèved’unbond.

—Vaà lafac ici,àLouisville,Lila.Ceseracommeaulycée.Chadreste.Lukeaussi.Onseratousensemble,danslemêmebahut,etonpourrarecommenceràzéro,toietmoi.

Jeredresselatête.Maisjenesuispasamoureusedetoi.Lesmotsmerestentdanslagorge.Sesyeuxvertsbrillent,etsonvisages’illumine.Franchement,qu’est-cequejesaisdel’amour?Vucequis’estpasséavecLincoln,rien,detouteévidence.

—Jenesaispas.Pourquoiest-celaseulephrasequejesuiscapabledeprononcer?Illèvelesmainsenécartantlesdoigts.—Çamesuffit.Pour l’instant.Ecoute, il fautquej’aillebosser,mais jesuissérieux:si tuas

peurderesterseule,appelle-moi.Çanedérangerapasmesparentsquejedormecheztoi.Jeprendsuneinspirationpouressayerdeluiexpliquerquej’aibesoindemedébrouillerseule,

mais,avantquej’aiepudireunmot,Stephenmedéposeunbécotsurlajoueets’éloigneàgrandspas.Jeclignedesyeuxplusieursfois,enessayantd’assimilerlatournuredesévénements.—Merde!Enquelquesminutes,Stephena réussi àme ramenerau lycée.Moiqui croyaisque toutes ces

histoiressetermineraientaprèsmaremisedediplôme…Onfrappetroiscoupsrapidesàlaporte.Unepousséed’adrénalinefurieusefaitbattremoncœur.

Trèsbien. Il est revenu.Maintenant, jepeux luidireceque jepensevraimentde sapropositiondepasserlanuitchezmoietdesesaccusationsdefaiblesse.Ilapeut-êtreraison,maisaucunmecnemetraitedelâche.

D’ungesteparticulièrementbrusque,j’ouvrelaported’entréeetjecrie:—T’esvraimentuneordure,tusaisça?Soudain,j’ailesoufflecoupé.Cen’estpasStephen.Non.Pasdutout.Lejeunehommeadescheveuxd’unnoirdejais.Ilestgrand,plusmuscléquetouslesgarçons

aveclesquelsjesuissortie(waouh),etsondouxregardbleumedonnedéjàenviedeleprendredansmesbras.Iltientunbouquetderoses.Violettesquiplusest.

Çamerappellequelquechose,maisjen’arrivepasàmettreledoigtdessus.Puisjemesouviensquejesuiscenséeparler.

—Oui?Ilsetrémousseetmetlamaindanslapochedesonjeandélavé.—C’estmoi,Lila.Moi?—Pardon?—Lincoln.J’auraisvraimentdûécoutermamèreetvérifierlejudas.

Lincoln

Je sais que je devrais arrêter d’admirer la carte que tu m’as envoyée pour monanniversaire,maisjen’yarrivepas.Letruc,c’estqueStephenaoubliémonanniversaire.Cen’estpasgrave.Honnêtement.Ilafinipars’ensouvenir,etilm’aachetédesroses,maisj’aibesoindemeplaindre.Tuvastrouverquejepleurnichepourrien,maisilm’aoffertdesrosesrouges.Rouges.Chaque fois que je vois des roses rouges, je penseà l’enterrement demagrand-mèreetj’aienviedepleurer.Jel’aidéjàditàStephen,deuxfoismême.Jeluiaiclairementrépétéquemesfleurspréférées,c’étaitlesrosesviolettes.Biensûr,jeluiaiditque j’adoraissoncadeauet jemesuisextasiée,maisqu’est-cequ’il fautque jefasse?Letatouersurmonfront?Violettes!!!Ou,aumoins,pasrouges.MaisvoilàpourquoijemefichequeStephenaitoublié:grâceàtoi,monanniversaireaétémémorable.Personnenem’avaitjamaisfabriquédecarte.Merci,Lincoln.Ilyadesfoisoùj’ail’impressionquetuesmonmeilleurami.Lila

***

Elleestmagnifique.Oui,elleétaitdéjààtomberilyadeuxans,maislà…Ilfautquej’arrêtedeladévisager,saufquequandjeposelesyeuxsurellemoncerveaucessede

fonctionner. Les filles ne le savent pas, mais leur beauté perturbe les mecs. En tout cas, ça meperturbe,moi.

Jeretirecequejeviensdedire.Lila.C’estLilaquimeperturbe.Lespointesdesescheveuxdorésbouclentau-dessusdesesépaules.Ellelesacoupés,etj’adore

sanouvellecoiffure.Quandj’airencontréLila,elleétaitentredeux:plustoutàfaitunejeunefille,pastoutàfaitunefemme.Aveccescourbes,iln’yaplusaucuneambiguïté.

Al’époque,jenefaisaisquequelquescentimètresdeplusqu’elle.J’aigrandi.Ellefaittoujourslamêmetaille,désormaisparfaitepourqu’elleseblottissesousmonbras,mouléecontremoncorps.Ellem’a laissé lui tenir lamain le soir de notre rencontre, et je n’oublierai jamais sa peau doucecommedusatin.J’espèrequ’ellemelaisseralatoucherànouveau.

Enfin,siellearriveàmepardonner.

Sesyeux azur écarquillés parcourentmonvisage,mesbras etmon torse.Elle s’empourpre enrésistantàlatentationdedescendreplusbas.Jetransformeunéclatderireenraclementdegorge.

Jelatrouvetropmignonne,maiselleneverraitpasleschosesdecettefaçon.Ellepenseraitquejememoqued’elle.Lilanesupportepaslesmecsquiconsidèrentlesfemmescommedesinférieures.J’aieudroitàcesermondansplusieurslettres.

La maison de Lila est au milieu de nulle part. D’après le code postal, elle fait partie de lacommune de Louisville,mais elle jouxte des champs sur trois côtés, et un parc naturel s’étend del’autrecôtédelaroute.Lesseulsquimevoientlasupplierdemepardonnersurlavérandadevantlamaison,cesontDieuetlescriquets.

Çavautmieux.Jepréfèrenepasavoirdepublic.Seslèvresrosesangéliquess’ouvrentpourformerunpavantdese refermer.Elle recommence

troisfoisavantdesedéciderpourunmotquicommenceparc.—Commentest-cequetum’astrouvée?—Google.Ellemeregardecommesij’étaiscinglé.—GoogleMaps.Pausegênée.—Jeconnaistonadresseparcœur.Lesplissoucieuxquicreusaientsonfrontdisparaissentquandellecomprend.—Maistuvis…—Adixheuresd’ici.Oui,jesais.—Douzeheures,pourêtreprécis,marmonne-t-elle.Toutàcoup, j’ai le tournis.Est-cequeçaveutdirequ’elleaussiacalculé ladistancequinous

sépare?—Jen’aipasprécisémentrespectélespanneaux.Elleréprimeunsourire.Ellesaittrèsbienquelesrèglesetmoi,çafaitdeux.—Tuasfaitdesexcèsdevitesse.—J’aiadaptéleslimitationssuggérées.Sesjouesrosesblêmissent.—C’estcommeçaquetuinterprètescequetum’asfait?Lamainquitientlesrosescommenceàtranspirer.—Jet’aiapportéça.Silence.—Cesontdesroses.Desrosesviolettes.Net’arrêtepas,mec.Tuesentraindelaperdre.—Tespréférées.Lilacroiselesbrassursapoitrineetavancelahanche.Crétin. Abruti. Imbécile. Elle a des yeux et un QI. D’ailleurs, elle a eu des super notes aux

examensd’entréeàl’université.Ellen’apasbesoinquejeluidisecequej’aidanslesmains.—Bref…Tuasraison.—Quoi?demande-t-elleenplissantlesyeux.—Quandtuasouvertlaporte,tum’astraitéd’ordure.—Pastoi.Stephen.Ellefermelesyeuxpuislesrouvre.—Jeretirecequejeviensdedire.T’esuneordure.

Matêtepartenarrière.Stephen?Sonex?IlestdugenreobstinéetavecLilailfinittoujourspargagner.C’estlatroisièmefoisqu’ilsontcassé.Ill’asuppliéedeuxfois,etàchaquefoisellel’arepris.Audébut,quandonacommencéàs’écrire,çanemedérangeaitpas.Onétaitamis.Maisensuite jesuistombéamoureuxd’elle,etStephenestdevenuunempêcheurdetournerenrond.

Je ravale toutesmesquestions surStephen et sa présence chez elle pourme concentrer sur leprincipal:Lila.

—Jesuisdésolé.—Tum’asmenti.—Jesais.Jepasselamaindansmescheveuxhumides.Lesoleilsecouche,maisilfaitencoretrente-cinq

degrés,mêmesic’estpeut-êtresonregardperçantquimefaittranspirer.—Jepeuxtoutt’expliquer.Elleserecule.—Ah,Lincoln…Si tuétaisvenulemoisdernieroulasemainedernièreoumêmeilyadeux

jours,j’auraisétéfolledejoie.Maismaintenant?Jecroyaisteconnaître.Jefaisunpasenavant,lecœurbattant.—Tumeconnais.C’estvrai.Mieuxquequiconque.—Oui,j’aimenti.Maistoutleresteestvrai.Alafaçondontellesemordlalèvreenfaisantnondelatête,jecomprendsquec’estmalparti.—Jenetecroispas,dit-elle.Pourcequej’ensais,tuesletueurensériecontrelequellepost-it

m’amiseengarde.—Quoi?Bref.Peuimporte.—Lila,tueslaseuleàmeconnaîtrevraiment.Jetelejure.Jenet’aimentiquesurunpoint.Un

détail.—Undétail!Sonregardredéfinitletermeglacial.Jereculed’unpas.J’aimalchoisimesmots.—Enfin,détail,c’estpeut-êtreuneuphémisme.—Uneuphémisme!hurle-t-elle.Tun’aspasfinilelycée,Lincoln,ettuaseuleculotdemedire

lecontraire.Lila fonce versmoi et darde son ongle rose et long surmon torse. Chaque coupme rappelle

douloureusementmonerreur.—Je…comptais…sur…toi!—Tupeuxencorecomptersurmoi.Jevaistoutarranger.—Vatefairevoir.Quandellemeclaquelaporteaunez,j’ail’impressionquelecourantd’airmegifle.Mesbras

retombent, et les feuilles bruissent quand les roses percutentma cuisse.Quelques pétales viennents’écraser sur leplancherenboisde lavéranda. Jepousseunprofond soupir et jem’assieds sur lesmarches.J’auraispréférénejamaislesavoir,maisc’estsûrementcequ’onressentquandonestbrûlévif:toutestdéforméparladouleur.

Sic’estcequejeressens,qu’est-cequeçadoitêtrepourLila?Jejetteuncoupd’œilàgauche,puisàdroite.Jesuisdésorienté.Perdu.Jenesaispasoùaller.

Maisc’estleproblèmedepuisledébut.Lasourcedetousmesmaux.

Lila

Leconseillerd’orientationm’ademandécequejevoulaisfairedemavie.J’airépondu:del’escalade.Ilm’aditquecen’étaitpasunmétieretqu’ilfallaitêtreunpeusérieux.Quesijevoulaisentrerdansunefaccorrecte,j’allaisdevoirm’appliquerdèsmaintenant.Jeluiairéponduquej’étaissérieux.Quej’adoraisl’escalade.Ilarépliquéquec’étaitunloisiretquejedevaisavoirdes«objectifs»plusréalistes.Je luiaiditquecen’étaitpasma faute s’ilavait foutu savie en l’airpourgagnerdeuxmille cinq cents dollars par mois et boire du mauvais café. Et puis je lui ai demandéd’arrêterdepiétinermesrêves,mercibien.Ilm’acollépendantdeuxjours.Jet’aiprévenuequec’estunconnard,hein?Tusaisquandc’était, ladernièrefoisquej’aiétécollé?Jamais.Jenesuispasunsaint,maisjefermemagueuleetjefaisprofilbas.Jememéfiedelasociétéetdesesrègles.Josharespectélesrèglesetmaintenantilestmort.Ilaimaitl’équitation.Peut-êtreques’ilavait regardédans lesyeuxce foutuconseiller etqu’il luiavaitdit :«Jeveuxpasser lerestedemaviesuruncheval»,monfrèreseraitencoreenvie.Lincoln

***

Assiseentailleursurmonlit,jeretournelalettredeLincoln.Mesdoigtsglissentsurlesbossesprofondesimpriméesparlesmots,qu’iladetouteévidencetracésfébrilement.Desmotsécritssivitequejen’auraispasréussiàendéchiffrerlaplupartsijeneconnaissaispasdéjàsonécriture.

Ilmel’aenvoyéeenautomne,unesemaineaprèsledébutdesaterminale.Lincolndétestaitsonconseiller d’orientation. C’est lui qui avait convaincu le frère de Lincoln de s’engager dans lesmarinesàlafindulycée.C’estàcausedecettedécisionfatidiquequej’airencontréLincoln.

—Lila,ditEcho,lavoixunpeudéforméeparlehaut-parleur.Tuestoujourslà?—Oui,jerépondsenjetantuncoupd’œilautéléphoneposésurlelitprèsdemoi.MameilleureamieestenIowaavecl’amourdesavie,enrouteversleColorado.Faitchier.Là,

toutdesuite,jedétestelesgensheureux.—C’estsympa,l’Iowa?—LeKansas,corrige-t-elle.—Pareil,c’estplatetyadestornades.

J’attrapeunedesnombreusespilesdelettresdeLincolnjetéesendésordresurmonlitetretrouvefacilementcellequejecherche.Celleoùilapromisdem’accompagnerenFloride.

Endésordre,cen’estpaslebonmot.Lebazaretmoi,çafaitdeux.Chaquepilecorrespondaumoisoù la lettreaétéenvoyée,et chaque lettreest archivéeen fonctionde ladatedu timbre.MeslettrespréféréesontunemarquedeStabilorosesurlecôté.

Toutemavieestorganiséedecettefaçon.Meslivressontclassésparordrealphabétiquesurmabibliothèqueencerisier.Surl’étagèreenverreassortie,mesfigurinesenporcelainesontrangéesdansl’ordreoùonmelesaoffertes.MonmatérieldescrapbookingestentreposédansdesTupperwareavecuncodedecouleurs.J’aimelesplansetl’organisation,ets’ilyabienunechosequejen’aimepas,cesontlesgarçonsquipromettentdem’accompagneràl’universitédeFlorideavantdetoutgâcherenneterminantpaslelycée.

—Lila?demandeEcho.Ellefaitunepausebeaucouptroplongue.—Tul’aslaissés’expliquer?L’enveloppecrissedansmamain.—Iln’apasfinilelycée,Echo,etilnemel’apasdit.Tuimaginescequej’airessentiquandj’ai

découvertqu’ilavaitmenti?Jem’ensuisrenducompteparhasard,quandj’aicherchésurlesiteInternetdujournallocalla

listedesdiplômésdu lycée. Jevoulais l’imprimerpourcompléter lecarnetdescrapbooking que jecomptaisoffrir àLincoln.Sonnomn’apparaissait pasparmi les cent cinquantediplômés. J’en suissûre.J’aivérifiétroisfois.

Jel’entendssoupirerdansletéléphone.—Tudevraispeut-êtreluiparler.—Tun’espasobjective,dis-jed’untonbrusque.TuesducôtédeLincolnàcaused’Aires.Le grand frère de Lincoln, Josh, et le grand frère d’Echo, Aires, faisaient partie du même

régiment. Personne ne connaît toute l’histoire, mais ils sont morts il y a deux ans et demi enAfghanistan,tuésparunebombeartisanale.J’airencontréLincolnàl’enterrementd’Aires.

— Si je me souviens bien, réplique Echo avec une mauvaise humeur qui n’a émergé querarementaucoursdesdeuxdernièresannées,c’estmoiquit’avaisdéconseilléd’écrireàuninconnuetquit’avaisditd’arrêterdeluiécrireparcequetuétaisentraindetomberamoureusedelui.

Jesuissubmergéeparl’enviedefrapperquelquechose,defrapperfort,parceque…—Jesais.Désolée.J’aiétéinjuste.—Ça,c’estsûr.Onneditrienpendantquelquessecondes.J’aidépassélesbornesenmentionnantAirespendant

unedispute.Jetripotel’ongledemonpouce.Onestmeilleuresamiesdepuistoujoursetonnerestejamaisfâchéeslongtemps,maisjen’aipasenviederaccrocheravantqu’onsesoitréconciliées.Pascesoir.

—Hôtel,moteloutente?J’articulelederniermotcommeuneinsulte.Silence,puisunbruissementdedraps.S’ilteplaît,

s’ilteplaît,s’ilteplaît,Echo,jouelejeu.J’aibesoindemameilleureamie.—Motel.Onadormisousunetentelesnuitsprécédentes,répond-elled’untonlégerquimefait

sourire.Oui,jedétestelesgensheureux,maisEchoméritedel’être.—Noahestsousladouche.—Alooors…Vousavezcouchéensemble?

—Non,s’étrangle-t-elle.Honnêtement,elles’étrangle!Jepouffeenl’entendanttousser.—Ehbien,sivousvousymettez,dis-jependantqu’elles’étouffe,évite lapremière foissous

unetente.Ceseraithorrible.—Çapourraitêtreromantique,unetente.—Traîtresse!Autrefois, Echo faisait partie du club seulement-s’il-y-a-un-room-service, comme moi, mais

c’étaitavantquelebeauetténébreuxNoahnelafassepasserducôtéobscur.—Boue,bébêtes,serpents,Echo.J’disça,j’disrien.Al’arrière-plan,j’entendslavoixgravedubeauténébreux.Echosebatavecletéléphoneenlui

répondant.J’inspecteleréveilsurmatabledenuit.Minuit.Labouchesèche,jemepasselamaindanslescheveux.Encoreunenuitdesolitude.

Comme c’est une nuit sans lune, le monde de l’autre côté de ma fenêtre est plongé dansl’obscurité.Jeneveuxpasqu’Echoraccrocheetmelaissedenouveauseuledanscettegrandemaisonvide.

D’uncôté,jedétesteNoah.Sanslui,elleneseraitpasdansl’Iowa,leKansasoujenesaisqueltrouperdu,elledormiraitchezmoi.Ellenepasseraitpastoutsontempsavecluietsesamis:letypeflippantavectouslestatouagesetBeth,alias«lamotoc’estlavie».LetatouéetladinguedemotoviventaussichezlesparentsadoptifsdeNoah,etilsavaientunanderetardsurEchoetmoiaulycée.Echoprétendqu’ilsnesontpasensemble,maisjeparieraislesnouveauxtalonsqu’onm’aoffertspourmaremisedediplômequec’estfaux.

SansNoah,elleauraitdavantagebesoindemoi…ellemanqueraittoujoursdeconfianceenelle,elleserait toujoursobsédéepar lescicatricessursesbras.Ellenesesouviendraitpeut-être toujourspasde lanuitoùelle se les est faites.Sans lui, ellen’auraitpas tourné lapage. Il estgénial. Je ledéteste.

—Bon,jedevraispeut-êtretelaisser.Amontonenthousiaste,onsentquec’estladernièrechosedontj’aienvie.—Onn’estpasobligées, répond-elle.Onpourrait resterautéléphonetoute lanuit.Commeau

collège.Saufqu’àl’époquec’étaitdesfixes.Maiselleleferait,parcequelesmeilleuresamies,c’estfait

pourça.Je jurerais que j’entends Noah gémir. J’imagine que, lameilleure copine qui empiète sur les

câlins,çalesoûle.—Non,çaira.C’est unmensonge. Je fixe la page du scrapbook que j’ai rapportée dansma chambre tout à

l’heure et jemedemande oùLincoln passe la nuit.Logiquement, je ne devrais pas avoir demal àdormir,mais l’épuisement ne fait qu’accroîtrema terreur… etma tristesse d’avoir perdu Lincoln.J’auraisdûlelaissers’expliquer.Pourquoiest-cequejenel’aipasécouté?

—TudevraisparleràLincoln,ditEcho,quilitdansmespenséescommetoujours.Attendspeut-êtred’êtresûrequ’ilestrentré,genredemainsoir,etreparle-luisurTwitter.

Mononglecrissependantquejeletripote.—Jecroyaisquetuvoulaisquejegardemesdistances.—Oui,enfin,tuesdéjàamoureuse.Maintenant,jeneveuxpasquetuaiesderegrets.Des regrets. A la seconde où je lui ai claqué la porte au nez, j’ai commencé àme poser des

questions, et je me suis vraiment mordu les doigts quand j’ai entendu son moteur s’éloigner en

vrombissant.Jedéteste l’idéedenepas levoir enFlorideenautomne.Deme retrouver seuledansune fac

inconnue,dansunEtatinconnu,sansaucunrepère.Jeseraivraimentl’étrangèrequidébarque.Maiscequejedétesteleplus,c’estquejenesauraijamaissinousaurionspudevenirplusquedesamis.

Et,malgrésonmensonge,jenedétestepasLincoln.Echoresteautéléphonependantquejefermetouteslesfenêtresettouteslesportes.Cen’estque

quandj’arriveàlaported’entréeetquejejetteuncoupd’œilàlavérandaquejelalaisseraccrocher.Moncœurfaitundrôledepetitsoubresaut.Lincolnalaissélesrosesetuneenveloppe.J’auraisdûresterenligneetjesuisàdeuxdoigtsderappelerEcho,maisjemesecoue.Sijene

suispascapabled’ouvriruneporteetderécupérerdesfleursetunelettre,byebyelaFloride.Je déverrouille la serrure avec un cliquètement audible.Tous les films d’horreur que j’ai vus,

toutesleslégendesurbainesdontj’aientenduparlermereviennententête.Mamainhésiteau-dessusdelapoignée,etl’adrénalinefaitbattremoncœur.Mince,jesuisvraimentunemauviette.

Dégoûtée, j’ouvre la porte d’un geste brusque et je sors dans la nuitmoite. Ce n’est pas uneenveloppe,maisunbout depapier où est écrit : « Je suis désolé. Jen’ai pas laissé tomberpour laFloride.Jetelejure.Lincoln.»Ilalaissésonnumérodeportablesoussonnom.

Jem’effondreenhautdesmarcheset j’effleure lebouquet.Malgré lachaleur, lespétales sontsoyeuxetfrais.Lincolnestleseulmecquim’aitoffertdesrosesviolettes.Biensûr,onm’asouventachetédesrosesrouges,maisjamaisdesviolettes.Jamaismespréférées.

Est-ilpossiblequ’ilmeconnaissevraimentaussibien?Je relève la têteenentendantunbruissementdans lesbroussaillesprèsde l’allée.Lesangbat

dans tout mon corps. D’un côté, je panique et je n’ai qu’une envie, me réfugier à l’intérieur encourant,mais,del’autre,j’enaiassezetjeresteobstinémentplantéesurlesmarchesenbois.Jem’ysuisassise seuleaumilieude lanuitunnombre incalculablede fois.OK,mesparentsdormaientàl’intérieur,maisqu’est-cequeçachange?

Jedéglutisetjepuisedansmesréservesdecourage,enricanantd’êtreaussipathétique.Dansunsoupir,j’enregistrelenumérodeLincolndansmonportable.Oui,ilestminuit,maissoitilestsurlecheminduretour,soitildortquelquepart.Detoutefaçon,jelaisseraiunmessage.

Le téléphone sonne une fois, puis je n’entends plus qu’un bruit de pas : le crissement ducaoutchouc sur le bitume. Lamain qui tientmon portable retombe pendant que je tente de percerl’obscuritédelaroute.Lebruits’amplifie,çaserapproche.Jemerelève,lesmainstremblantes.Moncœurbatàtoutrompreets’affole.

C’estalorsquejelavois:unesilhouette,uneombre…lesténèbresincarnées.Jesensunsouffle.Etjehurle.

Lincoln

…etonseraàuneheuredelaplage,onpourrayallertouslesweek-ends!Lincoln!Toiaussituvasàl’universitédeFloride,touts’arrange!Je vais te confier quelque chose que je n’ai pas dit à beaucoup de gens. Juste à deuxpersonnes,pourêtreprécise.J’envisageaisdelaissertomberlaFloride.Çamefaisaitpeurd’être loin de lamaison et de ne connaître personne.Maintenant, plus de raison d’avoirpeur.Jet’ai,toi!!!!!!Lila

***

Chaque mot de la lettre qu’elle m’a envoyée l’automne dernier est gravé dans ma mémoire.Depuis laminuteoù j’ai laissé toutema famillebouchebéeet sous le chocdans le salon, j’essayed’élaborerunplanpourréparertoutesleserreursquim’ontconduitàl’échec.Sij’arriveàmettredel’ordredanstoutçaetàallerenFloride,peut-êtrequeLilamepardonnera.

J’étends les jambes sur le capot demavoiture, le pare-briseme sert de dossier etmesmainsd’oreiller.L’airimmobileetstagnantm’étranglecommeunecouvertureentortillée.Lasueurruissellesurmon dos tandis que, dans les bois, les cigales chantent une ode à la chaleur.Dans un campingvoisin,desenfantsgloussentprèsd’unfeudecampquicrépite.

Autrefois,Josh,Megetmoi,ons’amusaitaussiàfairegrillerdeschamallows.C’étaitavantquepapaetmamannecommencentàsedisputerpourdesquestionsd’argent,avantqueJoshneparteàl’armée,avantqueMegnetombeenceinte,avantquejememetteàsécherlescours.

Quellejournéepourrie.J’ailaissémafamilleenplanetj’aifaitdixheuresderoutepourqueLilameclaquelaporteaunez.Moralité:jedoisparlerplusvite.Outaperplusvite.

Demanièregénérale,ilfautêtreplusrapide.Mes parents ignorent toujours que je n’ai pas été diplômé aujourd’hui et ne savent pas

exactementoùjemetrouve.Maisjenesuispasunsimauvaisfils.Jelesaiappelés,alorsilssaventaumoinsquejesuistoujoursenvie.

Sur le capot, à côté demoi,monportable s’allume et vibre. J’y jette unœil et je suis à deuxdoigts de tomber en voyant l’indicatif de zone. Lila ! Le capot craque et grince quand j’essayed’attraperletéléphone,quim’échappeets’écrasesurlesoldansunbruitsourd.

—Merde!

Leportablecontinueàbourdonner.Jemeprécipiteettâtonnedanslapoussière,àquatrepattes.Jelerécupèrederrièrelepneuetjedécroche.

—Lila,jesuisdésolé.Je prends une inspiration pour lui expliquer ce qui s’est passé et comment je compte tout

arranger,quandj’entendsunhurlementperçant.Monsangnefaitqu’untour.—LILA!Ellesangloteetappelleausecours.Jefouillelapochedemonjeanpourenextrairemesclés.—Parle-moi!Mon moteur vrombit, et les gens du camping d’à côté se cachent les yeux, éblouis par mes

phares.Descaillouxvolentetviennentheurterlacarrosseriequandjefonce.—Lila!Al’autreboutdelaligne,unbruitdechocetdescraquementsmefontmeconcentrersurLila.

Ellecontinueàpleurer.Unevaguedepaniquemesubmerge.Elleest seule.Sa lettrede la semainedernièrem’aparlédudépartdesesparentsetdesaterreuràl’idéedelamaisonvide.

Etjel’aiabandonnée.Puisjen’entendsplusrien.Nicraquementsnisanglots.Silenceradio.Jeregardemonportable,et

l’angoissemetordleventre.Appelterminé.Lavoituretressauteensortantdelarouteforestièreenlacet.Jedonneuncoupdevolantbrutalversladroite.Mesyeuxpassentdugravieràl’écranpendantque j’essaye désespérément de la rappeler. Son téléphone continue à sonner. Sa voix joyeuse merépond.Maisc’estsonrépondeur.Sonfouturépondeur.

—Merde!Je donne un grand coup sur le volant. Quel crétin ! Je l’ai abandonnée. Je l’ai laissée sans

défense.Prèsde l’entréedesparkings,ungarde forestiermefait signedem’arrêter. Ilouvre labouche

pourm’expliquerleshorairesducamping,etjecrache:—Appelezlapolice!Iln’yapasunesecondeàperdre!

***

Les lumières bleues et rougesm’indiquent le chemin comme un phare. Je tapote le volant enrythme tout en déboulant dans son allée. Mon angoisse s’apaise quand je constate l’absenced’ambulance,maisjesuisàboutdenerfs,etsoudainlaterreurmesubmerge.Etsil’ambulancel’avaitdéjàemmenée?Etsielleétaitmorte?

La nauséeme gagne etme donne le tournis. Je ne peux pas perdre à nouveau quelqu’un quej’aime.Jenepeuxpas.Pitié,monDieu,faitesqu’ellen’aitrien.

Jesorsdelavoitureencourant.LesouvenirdujouroùmesparentsnousontannoncélamortdeJoshtourneenboucledansmatête,commeunfilmmonstrueux.Jen’avaispaseubesoindefranchirlaported’entrée.Ilsétaienteffondrésl’uncontrel’autresurlesoldusalon,levisageravagéparleslarmes.Monpèretenaitmamèredanssesbras.

J’aitoutdesuitecomprisquemonfrèreétaitmort.Unebouledanslagorge,foudeterreur,jesensmesmainstrembleretmespiedsaccélérer.Pas

Lila. Pas elle aussi.Un policierm’aperçoit et tourne la tête comme s’il s’apprêtait à dire quelquechose,maisjesuisplusrapide.Mespiedsmartèlentlesmarchesenbois,mamaintournelapoignéechaude,monépauleenfoncelaporte.

Lesjambesflageolantes,jelavoisaumilieudusalonet,s’iln’yavaitpasdeuxpoliciersdanslapièce,jetomberaisàgenoux.

Ellepasseunemainfébriledanssescheveuxdorésendésordreetposelebrassursonestomac.Malgréladouceurdel’aird’étéquisefaufiledanslesalonclimatisé,ellealachairdepoule.Elleneportequ’undébardeuretunshort.

—Lila,dis-jepourchasserl’idéequecen’estpeut-êtrequ’unrêve.Ellemejetteuncoupd’œil,etlapolicièrequiluiparleàvoixbasseetd’untonapaisantsuitson

regard.LefrontplissédeLilasedétend,etsesbrasretombentsurlecôté.—Lincoln,souffle-t-elle,l’airsoulagé.On dirait qu’elle est contente deme voir. Qu’elle veutme voir. Et ses beaux yeux bleusme

contemplentcommesij’étaissonmec.J’enailecœurserré.—Çava?Ellesemordlalèvreenhochantlatête.Sanssavoirquoidire,jemegrattelecrâne.—Je…Jen’aipasletempsdefinir.Lilaseprécipiteversmoienchancelant.Songestemebouleverse,

j’enperdsl’équilibre.Jemerétablisrapidementtandisquesesbrasenveloppentmataillecommedesbarresd’acier.

Je prends une inspiration. Je ne sais pas quoi faire. Elle a lamême odeur que ses lettres, unparfumdelavande.Jeposelajouesursescheveuxsoyeuxetlaisseglisserunemainaucreuxdesesreinsetl’autresursesépaules.

QuandLilametombedanslesbras,c’estaussipaisiblequ’unechutesurunlitdeplume.Elleestdouceetchaude,tendre,toutencourbes.Elleestvivanteetelleselovecontremoitoutnaturellement.Exactementcommejel’avaisimaginé.

—IlvaudraitmieuxquemissMcCormicknepassepaslanuitseule.Vouscomptezresteravecelle,monsieur?lancelapolicière.

A la façondontellepenche la têteet sourità sonpartenaired’unairmoqueur,elledevinemaréponse.

—Oui,affirmeLilaàmaplaceencollantlefrontcontremontorse.Sonétreinteseresserre.—Jeleconnais.Ilvarester.Jesuissouslechoc.Cesontlesmotslesplusdouxquej’aijamaisentendus.Ellemeconnaîtet

elleveutque je reste. Jenesuispasunétrangerpourelle.Pasun typeavecquiellen’aquasimentaucunlien.Ellemeconnaît.

—Monsieur?s’impatientelapolicière.—Oui.Jereste.JepasselamaindansledosdeLila.—Tuessûrequeçava?Jesenssonnezbougercontremontorsequandellehochelatête.—Oui.Justeunpeuflippée.Elles’interrompt.—Jesuisdésoléedet’avoirmisàlaporte.Ellemeregardeparendessous,etj’esquisseunpetitsourire.—Jeleméritais.Pendantunedemi-seconde,sesyeuxpétillent.

—Pasfaux.Lapolicièreseraclelagorge,etLilafaitunpasenarrière.Mesbrassemblentvidessanselle.

C’estdingue.Jesuissortiavecpasmaldefilles,sansjamaisressentirça.—Çavamieux,missMcCormick?demandelapolicière.—Oui,répond-elle.Mercid’êtrepassés.Lesflicssedirigentverslaporte,etjememetssurleurchemin.—Houlà.Attendez.Vouspartez?—Lincoln…Lilasefrottelebiceps.Ellefaitlamoue,cequiattiremonattentionsurseslèvres.—Je…euh…jet’appelais…etj’aicruvoirquelqu’un…etj’imaginequetuasdécrochéjuste

aumoment où j’ai crié…et, euh… j’ai fait tombermon téléphone…et il s’est éteint…et puis lapoliceestvenueetaditquetulesavaisappeléset…bref.

Et…bref.Jen’ycroispasuneseconde.—Uncri?Unhurlementàglacerlesang,tuveuxdire.Ellelanceunregardfurtifàlapoliceetdétournelesyeux.—Ehbien,j’aicruvoirquelqu’un,maisjemesuissûrementtrompée.Puisellemejetteunregardsuppliant,m’implorantdelaissertomber.Manuqueseraidit.—Nous avons fouillé le jardin, intervient la policière en adressant un sourire compatissant à

Lila. Et nous n’avons trouvé personne.MissMcCormick sait qu’elle peut nous appeler s’il y a unproblème.

Ilspensentqu’elleatoutimaginé,maisj’aientendusaterreur.Onnehurlepascommeçaàcaused’uneangoissefictive.C’estlaplaintequ’inspirelesourireédentédelaFaucheuse.

Lilaremercielespoliciersetlesraccompagne.Ellerefermelaported’entréeavecunbruitsec,etpour lapremièrefoisdemavie jesuiscomplètementseulaveclafilledont jesuisamoureux,dansunemaisonvide.Mince,qu’est-cequejesuiscenséfaire?

Jedevraisluidiretoutdesuitecequis’estpasséaveclelycée.Jedevraisluidirecommentjecomptetoutarranger,commentàmonretourjevaism’inscrireauxcoursd’été.Jedevraisluidirequel’idéedelaperdremeparalyse.Maisj’écoutemoninstinct.

—Tuasvuquelqu’un,non?Lilablêmitets’écroulecontrelaporte.—Oui.Non.Jenesaispas.Ellebaisselatête.—Jenepeuxrienprouver.Lapolicepensequejesuisdingue.Etjesuissûreàquatre-vingt-dix

pourcentque toutvabien,parceques’ilyavaiteuquelqu’unilm’aurait faitdumal.Mais lesdixpourcentrestantsmedisentquequelqu’unjoueavecmesnerfs.

Jecroiselesbras.Jen’aimepasl’idéequ’onembêteLila.—Qu’est-cequetuveuxdire?Ellehausselesépaulesensouriant,indiquantclairementqu’ellenecroitpasàcequ’elledit.—Peut-êtrequej’aiattirél’attentiond’undingue.Peut-être?Jesaiscommentl’apaiser.Jelèvelamain.—Tuferaismieuxdetoutmeraconter,parcequejenebougepasd’iciavantd’êtresûrquetues

ensécurité.

Lila

Audébut,lamortdeJosharapprochémesparents,maisàmesurequeletempspassaitilssesontéloignés.Lepire,c’estquandtoutemafamilleestdanslamêmepièce.C’estquandjesuisentouréparlesgensquejedevraisaimerplusquetoutquejemesensleplusseul.Lincoln

***

Toutenremuantlelaitsurlacuisinière,Lincolnexaminelepost-itorangecollésurlefourpourmerappelerdel’éteindre.Depuisl’instantoùilaglissésesdoigtsdanslesmiensetm’aconduitedanslacuisine,jen’aipasréussiàlequitterdesyeux.

Ilaincroyablementgrandi.Etilaprisdumuscle.Sesyeuxbleusontl’airplusvieuxquesonâge,maisquandilmesouritilredevientungarçoninsouciantdedix-huitans.

—C’esttout?demande-t-il.—Oui.J’ai toutbalancé,mais ilnem’humiliepasenme jetantdes regardscondescendantsouenme

faisant la leçonsurmonimaginationdélirante.Je luiairacontéleraclementsur lesfenêtres lanuitdernière,lebruitdepassurletrottoircesoir,lasilhouettequis’estdirigéeversmoi,lemurmuredesonsouffle.

Lapolicenem’apaspriseausérieux,maisàlafaçondontlesépaulesdeLincolnsecontractentjevoisqu’ilmecroit.

—Pourquoi?—Pourquoiquoi?Ilverseleliquidebrûlantdansunetasse.—Pourquoiest-cequetumecrois?Lincolnmemetlatassedanslamain,frôlantmesdoigtsaupassage.Jesensuncourantpasser

entrenous.Unfrissondélicieuxmeparcourtdelatêteauxpieds.—Tun’aimespaslesmenteurs,etl’hypocrisie,cen’estpastontruc,répond-il.C’estceque je luiaidit ilyaquelquesmoisquandmaplus-ou-moins-copine,Grace,s’enest

prise àEcho.On échangeun sourire complice, et je plongemon regarddans le sien.Rienn’existeplus,àpartlui,moi,etleseffluvesdelatassedechocolatchaudquej’aidanslamain.Lincolnbriselecharme en retirant ses doigts. Je donnerais n’importe quoi pour qu’il me touche à nouveau.Maisd’abord…

—Tumedoisdesexplications.Pourquoiest-cequetun’espasdiplômé?Ilsedétourneetlavelacasserole.—Onvacommencerparréglertonproblème.Ensuite,ons’occuperadumien.L’eauruissellesurlacasserole.—Tuestoujoursfâchéecontremoi?Jepasseledoigtsurleborddelatasse.Blessée,oui.Encolère…—Non.Commentest-cequejepeuxenvouloiràunmecquiafaitdixheuresderoutepourmevoiret

quiestrevenualorsquejel’avaisrepoussé?—Donctumecrois?Quandjedisqu’ilyavaitquelqu’undehors?—Jet’aientenduehurler.Personnen’auneimaginationaussidébordante.Ils’empared’untorchonetsèchelacasseroleavantdelaremettresursoncrochet.Lincolnest

tellementefficace,surtoutpourunmecqui«s’affranchitdesrègles».Enfaisantcrisserlecarrelage,iltirelachaiseprèsdelamienneetlaplacedefaçonàmefaireface.

—Soyons clairs : si un dingue rôdait autour de toi, il y aurait eu plusieurs incidents sur unepériodeétendue.Amonavis,c’estplutôtunemauvaiseblague.

Jefroncelessourcils.—Uneblague?Tucrois?Lincolns’installeplusconfortablementsursachaise,seslonguesjambestendues,unbrasposé

surlatable.J’ail’impressiond’êtreunenaineàcôté.Iltambourinesurlatable,attirantmonattentionsursesmains.Ilalapeaucalleuse,bienplusquelaplupartdesmecsavecquijesuissortie.Cen’estpasundéfaut,maisunrappeldesesaventuressurdesparoisrocheuses.

Jemedemandes’ilmelaisseraitleregardergrimper,s’ilm’apprendrait.Monestomacmetitilledélicieusement.Sijetombais,est-cequ’ilmerattraperaitentresesmainspuissantes?

—C’esttoi,laspécialistedesExperts,répond-il.Iln’yapaseuunépisodeoùilsracontaientquelesmaniaquessuiventdesschémasréguliersoujenesaisquoi?

—Tut’esmisàregarderLesExperts?Je fais un grand sourire, et il rougit. Le gros dur qui escalade les falaises croise les bras et

regardeparterre.C’estmasériepréférée,deloin,et jeluiaidécritendétailcertainsépisodesdansmeslettres.

Ilhausselesépaulesd’unairnonchalant.—J’aivuquelquesépisodespar-cipar-là.Jenesaispaspourquoi,maisjesuistoutémuedevoirqu’ils’est intéresséàcequej’aime.Je

joueavecmatassedechocolatchaudetjesouffledessuspourcachermajubilation.—Qu’est-cequitefaitpenserqu’ils’agitd’uneblague?—Tul’asdittoi-même.Siquelqu’unavaitvoulutefairedumal,ill’auraitfait.Tesparentssont

partis,etjetepariequequelqu’uns’amuseàtefairepeur.Jeplisselefrontàl’idéequ’onpuissevouloirm’effrayer.—Pourquoi?jerépète.—Parcequelesgenssontbêtes.Pasfaux.Jeneveuxplusypenser.Jechangelesujet.—Duchocolatchaud?—J’enaifaitàMegtouslessoirsquandelles’estrenducomptequ’elleétaitenceinte.Çaavait

l’airdel’aideràsecalmerquandellesemettaitàpaniquer.

Traduction ? Il pense que je vais craquer. Mon cœur s’accélère quand je revois l’ombres’approcherdemoi.Peut-êtrequ’iln’apastort.

—Elleaprissonbébédanssesbras,outoujourspas?Lincolnsecouedoucementlatête.—Jen’arrêtepasdemedirequelegaminvafinirtorduparcequesamèren’estpasfoutuede

prendresurelle.Envoyantsesyeuxbleuss’assombrir, j’aicommeuncoupaucœur.Jem’empared’unedeses

mainsposées sur sesbrascroisés, etonadmireensemble le spectacledenosdoigtsentrelacés.Sesmainssontchaudesetpuissantes…jedéglutisenl’imaginantmecaresserlevisage.

—CommentvaEcho?demande-t-il.—Bien.ElleestdansleKansas,l’Iowaoujenesaistropoù.Pasici,avecmoi,etça,c’estnul.Ellen’aplusbesoindemoimaintenantqu’ellea…qu’elleest

avecNoah.—Doncelleatournélapage,souffle-t-il.La page de notre amitié fusionnelle ?Oui.Mais pas celle que Lincoln imagine.Un océan de

tristesseme submerge. J’ai vuEchopleurer son frère.Mêmemoi, je pleure toujoursAires. Il étaitcommeunfrèrepourmoi.

—Ellesurvit.Ellen’oubliepas.Lincoln retire sa main pour se frotter le visage. Je laisse la mienne sur la table pendant un

instant,dansl’espoirqu’illareprenne.Quandilreposesamainsursesgenoux,jeramènemonbrascontremoncorps.Songestederejetmefaitmal,etsachaleurmemanque.Maisjeneluienveuxpas.Jevoisbienqu’ilestperdudanssessouvenirs.Echoaussiseréfugiaitparfoisdanssespensées.

Le silence s’installe pendant qu’on tente d’analyser chacun de notre côté les événements desdernièresheures.C’estunsilenceconfortable,commeunevieillecouverture,etjem’endélecte.Maisjeluilanceunregardfurtif.Ets’ilétaitgêné?Etsinotrerelationintimen’existaitpasendehorsdenoslettres?Ets’iln’yavaitaucuneétincelleentrenousdanslavraievie?

Quelleimportancepuisqu’ilm’amenti?Ilfautqu’onenparle,maispasmaintenant.Pasalorsque je n’ai quasiment pas dormi depuis deux jours et que j’ai le cerveau en bouillie. Il pourraitm’expliquercommentadditionnerdeuxetdeuxquej’enbaveraiscommeuneidiote.

Dormir…J’enrêve,maisest-cequej’yarriverai?Jerepenseàlamauvaiseblaguedontjesuispeut-êtrevictime.

—Quivoudraitmefairepeur?—C’estàtoidemeledire.Ilsefrottelesyeux,etpourlapremièrefoisjeremarquesescernesnoirs.Ilestfatiguéet,tandis

quejesirotemonchocolatchaud,jemerendscomptequemonépuisementestcontagieux.—Jen’ensaisvraimentrien.Etl’inconnumeterrifie.

Lincoln

C’estdinguequetuaiesparlédesolitude.Jemesensseuletoutletemps.Surtoutquandjesuis aumilieud’ungroupe, bizarrement.Tout lemonde est en trainde changer.Echo estdistante.Graceveutsefairedenouveauxamis.MêmeNathalieprendsonindépendance.Pourêtrehonnête,moiaussijechange.J’aiparfoisl’impressiond’êtreàl’étroitdansmoncorps.Jedoislutterenpermanencecontrel’enviedemecouperlescheveuxetd’acheterdenouvellesfringues.Jeveuxdire,enquoiest-cequejevaismetransformerexactement?Jesuistoujoursmoi-même,maisplusvraiment.Lila

***

L’ongle deLila pianote sur la table, encore et encore, commeunemitrailleuse qui crache desrafales.

—Jesuistropfatiguéepourparlerdeçamaintenant.Elleabatsamainsurlatable,coupantcourtàladiscussionsurl’hypothétiqueblagueur.Lilaselève,jelasuisenmedemandantsilegardeforestiermelaisserarentrerdanslecamping.

Sinon,jesuisfichu.—Jepeuxrevenirdemainmatin?Puisjemesouviensdel’heure.—Enfindematinée?L’après-midi?Lilasefige,commeMegchaquefoisqu’elleestàcôtédubébé.Merde,Lilamedéteste.—Tuneveuxpasrester?J’aiditàlapolicequetupassaislanuitici.Tuleleurasdittoi-même

!Situpars,c’estcommesi,genre,tuviolaislaloi,donctudoisrester.Je lève un sourcil devant sa logique (ou absence de logique),mais il n’y a pasmoyen que je

laissefilercetteoccasion.—Jereste.—Bien.Parcequet’esobligé.Lilameraccompagnedanslesalonetmemarmonnedel’attendrelà.Ellerepartdanslecouloir

d’unpasfeutré.Iln’yapasd’étage,maislamaisonfaitlatailled’unmanoiretal’airtoutdroitsortied’un des magazines de décoration de ma mère. Plein de jolis trucs fragiles. J’entends des bruitssuspects qui suggèrent queLila dispute unmatch de boxe contre un crocodile, puis elle réapparaîtavecdescouverturesetunoreiller.

—Çanetedérangepasdedormirsurlecanapé?Jedormiraissurdesclouspourêtreprèsd’elle.—Pasdutout.Ellemetendlenécessairepourunlitimprovisé.—Merci.—Derien.LesdoigtsdeLilaglissentverslebasdesondébardeur,etj’oubliederespirerquandj’aperçois

sonventreplatetdoréparlesoleil.Enuninstant,elleleremetenplace,etsonnombrildisparaît.—Bon,ben,bonnenuit,dit-elleenramenantunemècheambréederrièresonoreille.—Bonnenuit.Est-ceque jedevrais laprendredansmesbras?L’embrasser?Lui serrer lamain?Tomberà

genouxetlasupplierdemepardonner?Ellesetortillemaisnebougepas.—Lasalledebainsestauboutducouloir.—D’accord.—Tupeuxprendreunedouchesituveux,ajoute-t-elle.—Merci.—Derien.Nousavonsdéjàeucetteconversation.Lilareniflecommesisesallergieslagênaientetbaissela

tête.J’aienviedelaréconforter,maisjenesaispascommentm’aventurersurceterrain.—Çava?— Je n’ai pas envie d’être seule, chuchote-t-elle. Même si tu es dans la pièce d’à côté.

Pathétique,non?—Tunepourraisjamaisêtrepathétique.Pas la filledes lettresdont je suis tombéamoureux.La fillequi adéfendu sameilleureamie,

même si ça lui a coûté ses autres amis.La fille quime dit exactement ce qu’elle pense demoi, ycomprisquandlavéritéblesse.Lafillequiveutsedépasser.Lafillequirêved’allerenFloride.

Salèvretremble.—Sic’estcequetupenses,tunemeconnaispastrèsbien.Jelaconnaismieuxqu’ellenelecroit.Jesaisqueleslettresqu’ellem’écrittardlesoirsontplus

émotivesquecellesqu’ellecomposependantlajournée,commesilafatigueendormaitsarationalité.Jeposelescouverturesetl’oreillersurl’accoudoirducanapéetjem’écroulesurlescoussins.

—Vienslà.Sesyeuxseposentsurlecanapéàmoitiéoccupé,puisreviennentsurmoi.—Jenecomprendspas.Jem’emparedel’énormeoreilleretleplacesurmesgenoux.—Tun’asqu’àdormirici.Lilatiresondébardeursurseshanchesensedirigeantversmoi.Quandelles’assoit,sacuissese

colle à la mienne. Je sens sa chaleur contre ma peau à travers le jean. Chacune de mes celluless’enflamme.Faisleschosesbien,Lincoln.Ellemériteunhomme,pasungarçon.

Sans un mot, Lila pose la tête sur l’oreiller et étend les jambes sur le canapé. J’étale lacouverturesursoncorps.J’adorelafaçondontellesemetsurlecôté,lesgenouxrepliés,enpositionfœtale.

Sescilspapillonnentquandellemedit:—Jesuisdésoléedet’avoirclaquélaporteaunez.

Uneboucleglissesursa joue.Jenedevraispas,mais je le faisquandmême.Avec lesmêmesgestestendresquepourmonneveu,jeremetslamèchesoyeusederrièresonoreille.Jedonneraismonbrasgauchepourluicaresserlescheveuxjusqu’àcequ’elles’endorme.

—Jeleméritais.Sapoitrinesesoulève,etellebâille.—Pourquoiest-cequetun’aspasétédiplômé?—Parcequej’aiétéstupide.Monestomacsecontracte,et j’ai lanausée.Stupide.C’estcequeLiladoitpenserdemoi.Un

débile incapable d’écrire une phrase simple, de faire une addition, un abruti qui n’a pas eu sondiplôme.Maiscen’estpascommeçaqueças’estpassé.J’aiétérecaléparcequejen’enavaisplusrienàfaire.

Lilafermelesyeuxetmarmonneparesseusement:—Tun’espasstupide.J’ai lu toutes tes lettres—plusieurs fois.Tuécrisbien.Et tuaseude

bonnesnotesàl’examend’entréeàl’université.Elles’interrompt.—Amoinsquetuaiesaussimentilà-dessus.—Non,promis.Jen’aimentiquesurlediplôme.—Etl’universitédeFloride?Tum’asditqu’ilst’avaientadmisilyadesmois.—Oui,maisc’étaitàconditionquejesoisdiplômé.Jeluttepourtrouverlesmotsjustes.Commentluiprouverquejenemenspas?— Je t’enverrai mes résultats officiels à l’examen d’entrée à l’université. Et la réponse de

l’universitédeFloride.Toutcedonttuasbesoinpourmecroire.—Jetecrois.Elleresteimmobile.Jecommenceàmedemandersielles’estendormie.Maisellemetapotele

genouetchuchote:—Raconte-moitout.Lila retire samain,maisma peaume picote toujours à l’endroit où ellem’a touché.Elleme

croit.Peut-êtrequ’unjourellemeferaconfiance.Jeposelecoudesurl’accoudoiretj’appuiematêtecontremonpoing.Jedevraislaissermonautrebrassurledessusducanapé.Maisjecèdeàlatentationet je l’enroule autour de son corps. En réaction, elle se colle contremoi. Pour une fille qui n’estqu’uneamie,unecorrespondante,çasembleincroyablementnaturel.

—Lincoln?insiste-t-elle.—Ondevraitattendredemainmatin.—Onestdemainmatin.Etjesuisimpatiente.J’éclatederire.Effectivement.Lilam’afaitpartdesonmécontentementchaquefoisqu’unede

mes lettres mettait un jour de plus à arriver que ce qu’elle avait prévu. Je prends une grandeinspirationetjemelance.

—J’aicommencéàsécher lescoursenautomneet j’enaimanquéplusquejen’auraisdû.Letempsque jeme rendecompteque jen’avaispas assisté à assezdecourspourvalidermonannée,j’étaisdéjàfichu.

Elleouvrelesyeux.—TuasséchéparcequeJoshtemanquait?Enl’entendantprononcersonnom,j’aicommeunchocàlapoitrine.Ladouleurfamilièremais

indésirable se répand demon cœur à mon cerveau. Elle ne le connaîtra jamais. Ne le rencontrerajamais.

—Ouais,Josh.Ettoutlereste.Jeluiaiditdansplusieurslettresquejeséchais.Quequandjemeréveillaislematinensentantle

videlaisséparlamortdeJosh,lefardeaudubébéànourrir,laragedevantlesdisputesdemesparents,j’avaisl’impressionquesijenesortaispasdemaprisonj’allaisexploser.Cesjours-là,jemeréfugiaisauparcnatureletj’escaladaisjusqu’àcequemesdoigtssaignent.

Ellesecouelatêtesurmesgenoux.—J’auraisdûlevoirvenir.—Commentça?—Quandtutesensdépassé,tufuis.Ellem’afaitlemêmereprochedansseslettresquandjeluiaiditquej’avaisséchélescours.—Cen’estpasvrai.Pourtouteréponse,ellepousseunsoupiréloquent.—Cen’estpasvrai,jerépèteavecl’obstinationd’unchienquineveutpaslâcherlapantoufle

mâchonnée.Lilajoueaveclecoinélimédelacouverture.—Tuavaistaremisedediplômeaujourd’huiettuesvenumevoir.—Etdonc?—Jeconstate,c’esttout,répond-elleenhaussantlesépaules.—Jesuisvenupourtoi.Mes muscles contractés me supplient de bouger, mais ça donnerait à Lila une excuse pour

s’éloigner.—Tuétaisfâchéecontremoi.Unsentimentdeculpabilité tenaceme faitme redresser. Jen’aipasmenti : je suisvenupour

Lila.Maisjemesouvienssoudaindeladisputedemesparents,delapaniquedeMegquandjeluiaidemandédeprendrelebébé,demanauséequandj’aienvisagédeleuravouermonéchec.

Puisjerepenseauxcoursd’étéquicommencentlundi,dansquarante-huitheures.JesuisvenuicipourdireàLilaquej’allaistoutarranger,maistoutcequejevoulais,c’étaitqu’onseréconcilie.Jemefrottelatête.Est-cequeLilaaraison?Est-cequejefuismesvraisproblèmes?

—Jenefuispas,jerépète.Mais,mêmemoi,j’entendsl’hésitationdansmavoix.—Situledis,marmonne-t-elle,l’airépuisé.Pourquoiest-cequetunem’enaspasparlé?—Parceque…Parcequ’elleauraitétédéçue.Parcequejem’étaisdéçumoi-même.Parcequesesrêvesétaient

devenuslesmiensetquej’avaistoutgâché,pourellecommepourmoi.Parcequej’avaisétébête.Ilyadeuxans,Lilaacommencéàévoquerl’universitédeFloride.Elleenasuffisammentparlé

pourquejejetteunœilàlafac.BienavantdetomberamoureuxdeLila,jerêvaisdéjàd’allerfairemesétudesdansunautreEtat,depasserundiplômedeconservateurdesforêts,pourtravaillerautourderochersàescalader.

Commentest-cequej’aipuperdredevuemonavenir?Ma jambedroitecommenceàpicoter, et jen’aiqu’uneenvie,me lever,marcher, retournerau

camping,explorerlessentiers(mêmedanslenoir)ettrouveruneparoiàgrimper.Maisjeregardelabeautélovéecontremoi.

Sa respirationdevientmoins régulière, et elle tressaille dans son sommeil.Lebébé fait pareilquand il commence à rêver. Je replace la couverture sur elle et je m’autorise à lui effleurer lescheveux.

Non, jenefuispas.Pascette fois.Elleaurad’autresquestionsdifficilesàmeposer,et jesuisdécidéàyrépondreenlaregardantdanslesyeux.Ilesttempsd’affrontermesproblèmesplutôtquede les éviter. Il est temps d’élaborer un plan et dem’y tenir. Et, avec un peu de chance, Lilamepardonneraetseraàmescôtéstoutdulong.

—Jenevoulaispasquetumedétestes,jemurmureenréponseàsadernièrequestion.Parcequejet’aime.

Lila

Aujourd’hui,j’aipenséàtoipendantquejegrimpais.Tudevraisessayerl’escalade.Jesuissûrquetutrouveraisçaenivrant.Lincoln

***

Le bruit de coups me réveille en sursaut. Je fais un bond, j’agite les mains et je finis parm’effondrersurleparquet,hagardeetéchevelée.Lecraquement,çadevaitêtremoncoccyx.

—Aïe.Jeclignedespaupièresplusieursfoisenpassantlamainsurmesreins.Qu’est-cequejefabrique

danslesalon?—Çava?Lavoix rauque et endormie fait battremoncœurplusvite. Je lève les yeux sur le canapé au-

dessusdemoi.Lincolntendlesbrasets’étire.Cemecestgénial.Iladormiassis,enmeserrantcontreluitoutelanuit.

—B’jour,dit-il.Sesyeuxmagnifiquesseposentsurmoi,etjerougisquandilesquisseunsourire.SiEchovoyait

monairniais,elleseficheraitdemoi.Jemesenssoudaintimideetgênée,etjemepasselamaindanslescheveux.Merde,desnœuds.

Pourquoi,pourquoi,pourquoiest-cequej’aitoujoursl’aird’untrollàmonréveil?—Salut.La sonnette retentit plusieurs fois, et on recommence à tambouriner sur la porte. Le soleil se

faufilepar les storesvénitiens.La lumièreéclatante suggèrequecegenredematin, c’estplutôtunaprès-midi.

—C’estprobablementStephen.—Tonex?demandeLincolnendressantlatête.Je dois avouer que son regard de mâle dominant furax me plaît pas mal. Je me relève

laborieusementet,pourunefois, jesuis lesconseilsdupost-itmaternelet jeregardelejudas.Non,pas d’ex à l’horizon.Tantmieux, parce que vu son expression enragéeLincoln en aurait fait de lachairàpâtée.

—Lila!hurleGrace.T’eslà?—Oui!jecrieàmonex-meilleureamie.Uneseconde,Grace.

JemeretournepourexpliqueràLincolnquec’estGraceetjemeretrouvecolléecontresontorse.Ilm’attrapeparlesépaulespourm’empêcherdetomber.

—Jecroyaisquevousnevousparliezplusdepuisl’histoireavecEcho.— Effectivement. Et c’est pour ça que je dois répondre. Si elle est là, ça veut dire que les

zombiesontenvahilemonde.Sesmainsposéessurmesépaulescommencentàmemasser. Je ferme lesyeux. Jepourrais le

laissermecaressercommeçapendantlerestantdemesjourssansesquisserungeste.—Réponds,alors,dit-il.L’angoissemetordleventre.Lincolnaclairementl’airdesortirdulit, jesuisenpyjama,mes

parentssontpartis,etGraceadorecolporterdesragots.—Merde!—Jepeuxmecacher,propose-t-ilcommes’illisaitdansmespensées.Illâchemesépaules,etjedoisluttercontrel’enviedebouder.—Maisilfaudraquetuexpliquescequemavoiturefaitlà.Jejubilependantdeuxpetitessecondes,puismonenthousiasmeretombe.—Jen’aipasassezd’imagination.— Je vais te laisser seule avec elle quelquesminutes. Peut-être qu’elle ne remarquera pas la

voiture.Lincolns’éloignedanslecouloir,puiss’immobilise.Sonregardsuggèrequemesvêtementsont

glissé.—Tuestrèsmignonne,commeça.Toutendormieetdécoiffée.Je sensma nuque s’enflammer et je fixe ses biceps. Lincolnm’adresse un sourire séducteur,

prendunjeanpropredanssonsacàdosposédevantlaportedemachambreetdisparaîtdanslasalledebains.Unevraiebombe,cemec.

Des rêveriesconfusesoùnous figurons tous lesdeuxembrouillentmoncerveau fatigué. Ilmetoucheetmeparlecommesionseconnaissaitdepuistoujours.Etsi,moiaussi,jeluiplaisais?Plusqu’uneamie?

Grace recommenceà tambourinersur laporte. J’aplatismescheveuxendésordreet j’ouvre laported’entrée.

—Salut.Vêtue d’une jupe kaki qui lui arrive juste au-dessus du genou et d’un débardeur en dentelle

blanche,Gracemontrelavoituredupouce.—T’asuninvité?Elleexaminematenue.—Pourlanuit?Je n’ai plus envie de jouer à ses petits jeux, donc j’acquiesce.Elle a une expression à la fois

choquéeetravie.—Vraiment?Quiça?Auneépoque,jeluiauraisdit.Elleconnaissaittousmessecrets,ycomprismacorrespondance

avecLincoln.Maisc’était avantqu’ellepréfère sesnouveauxamisàEcho.Et, siEchon’estpas labienvenue,c’estsansmoi.Leproblème,c’estqueGracememanque.

—J’imaginequetuveuxentrer.Quandellevoit l’oreilleret lacouverturesur lecanapé,elleest tellementexcitéequ’elleestà

deuxdoigtsdefairepipidanssaculotte.—Tuasinvitéunmecpourlanuit!glousse-t-elle.

Jeluifaissignedebaisserd’unton,horriblementgênée.Lincolndoitêtremortderire.—Commenttusais?Çapourraitêtreunefille.—Tescopinesdormentdanstachambre.Alors,c’estqui?—C’est…Riendecrédiblenemeviententête,parcequelavéritéestincroyable.—Lincoln.Ett’asintérêtàlegarderpourtoi.C’estperso,Grace.Compris?Ellemeprendlamainsanssetroubler,commesinotreamitién’avaitpasétédésintégréeilya

desmois.—Lincoln?ToncorrespondantLincoln?Naaaan!C’esttellement…tellement…ilestmignon

?C’estpourçaqueGracememanque :elleestpassionnée,enthousiaste.Et,quandellevoulait,

c’étaituneamiegéniale.Jerefermemamainsurlasienne.—Uncanon.Et jedoismeretenird’appelerEchoetNathaliepournous forcerà redevenir toutes lesquatre

commeavant.Inséparables.—Ilrestecombiendetemps?demandeGrace.Monenthousiasmeretombe,etjelalâche.—Jenesaispas.Est-ce queLincoln va partir bientôt ? Est-ce que j’ai gâché les seules heures qu’on partagera

jamais?Jemesouviensdelaconversationdelanuitdernière.Fuir,c’estcequeLincolnfaittoujours.Le portable deGrace vibre pour lui signaler qu’elle a reçu un texto. Elle le lit et fourre son

téléphonedanssonsac.—Jedoisfiler,maisj’aiquelquechoseàtedire.C’estpourçaquejesuisvenue.Jeluifaissignedecontinuer.—J’ai entenduStephen,ChadetLuke raconterqu’ils sontvenus te rendrevisite lanuit,pour

essayerdetefairepeurpendantquetesparentssontenvacances.Mamâchoiresedécroche.Jesuissouslechoc.Jefrissonnequandunevaguedecolèrefaitbattre

moncœur.—Pardon?—Jesais,c’estdébile,hein?Stephenseditque,situaspeur,tul’appellerasetquevouspourrez

vousréconcilier.Gracejetteuncoupd’œilàlacouverturesurlecanapé.—C’étaitsanscomptersurl’étalonnoirquidébarqueenfindecourse.Désorientée,jem’appuiecontrel’accoudoirducanapé.Jenesuispasfolle.Quelqu’unmejouait

biendestours.Maismonsoulagementestdecourtedurée.J’aiperdumavirginitéavecStephen.C’estlepremieràquij’aiditjet’aime.Etilmetrahit?Il

essayedemefairepeur?Iln’aplusriendugarçondontj’étaistombéeamoureuse.Jesensmonregardvagabonderdanslapièce,mêmesienfaitjenevoisrien.Jetented’analyser

enhâtemacolère,maconfusion,cevideétrange.Jesuis furieusecontreStephen—bon,d’accord,c’estl’euphémismedusiècle.Laprochainefoisquejeleverrai,jel’épingleraicommelespoissons-chatsquemesfrèrespêchentdanslelac,maisilmanquequelquechose:latorturedelatrahison,ladouleurinsupportable,lesémotionsquej’aiéprouvéeshiersoirparcequeLincolnm’avaitmenti.Jeveuxdire,Stephenetmoi,onaétéensemblependantdeuxans.Çadevraitcompter,non?

—Lila?Gracem’accordetoutesonattention.

—Çava?—Jevaisréduirececonnardenbouillie,maisoui,çava.Bizarrement.Gracetripotelabaguequ’elleareçuepoursaremisedediplôme.—Neluidispasquec’estmoiquit’aimiseaucourant,OK?—Oui,d’accord.Pasdeproblème.Grace et Chad sont ensemble. Elle a fait beaucoup d’efforts toute l’année pour lui mettre le

grappindessus.—Pourquoiest-cequetumel’asdit,aufait?LaflammequianimetoujoursGraces’éteint.—Parcequej’aimeraisqu’onredevienneamies.J’aifaitdegrosseserreursetjesuisdésolée.Tu

parsenFloride,etsionneseréconciliepasmaintenantonneleferajamais.ToutcommeelleneseréconcilierajamaisavecEcho.Ellen’enparlepas,maisonypensetoutes

lesdeux,etçaempoisonnel’atmosphèrecommeuneodeurdepourriture.On s’est écharpées, mais peut-être que les gens peuvent changer. Cette idée me réjouit et

m’attristeenmêmetemps.Quoiqu’ilarrive,rienneseraplusjamaiscommeavant.JeneseraiplusjamaisaussiprochedeGrace.

—Mercidem’avoirprévenue.Graceresteplantéelà,avecunairdechiotenferméaufondd’uneanimalerie.Malheureusement,

j’aiunfaiblepourlesanimauxencage.—Peut-êtrequ’onpourraallerfairedushopping.Elleesquisseunsourire.—Carrément.Ceseraitgénial.Je referme la porte derrière Grace et je vais dans ma chambre. De l’autre côté du couloir,

j’entendsLincolnprendresadouche.UnT-shirtnoirdépassedusacàdostoujoursposécontrelaportedemachambre.Hiersoir,quandilmefaisaitunchocolatchaud,jeluiaiditderangerlesacdansmachambre,maisjen’avaispaspenséàcequ’ilverrait:lespilesdelettreséparpilléessurmonlitetlapageduscrapbookquej’avaisfaitpourfêtersondiplôme.

Jemelaissetombersurmonlitetjeregardelapiècecommesijenel’avaisjamaisvue.Toutesten train de changer.Mes relations avec les autres,mon avenir,mes sentiments.Ma vie évolue enpermanence. En grandissant, j’avais peur des araignées, des abeilles et des coins sombres dans lescavesmaléclairées.Maiscenouveladversaire…lechangement…meterrifieplusquetout.

Pourlapremièrefoisdemavie,jeregrettedegrandir.

Lincoln

Enivrant?L’altitudeetlesrochers,çaal’airsuperdangereux.Maisavectoijecroisquejeseraisprêteàtenterl’expérience.Lila

***

Quandjesorsdelasalledebains,jesuisaccueilliparlegrincementaigudetiroirsqu’onouvreetqu’onferme.Del’autrecôtéducouloir,Lilasortundossierkraftdesonbureau,leparcourtetlejettesurletasdeplusenplushautsurlesol.Lesdocumentsàl’intérieurs’éparpillentenformantunéventail.

—Lila?jedemandeenentrantdanssachambre.Qu’est-cequisepasse?—Jenelatrouvepas.D’ungestebrusque, elle referme le tiroir et ouvre celui dudessous avec tant devigueurqu’il

tombedubureau.—Merde,jenelatrouvepas!Meslettressonttoujourssurlelit,rangéesenpilesbiennettes.Moncœurseserre.Jen’ycrois

pas.Elleagardétoutesmeslettres—commej’aigardétouteslessiennes.LachambrereprésenteparfaitementLila,songoûtdel’ordreetdeladiscipline.Oui,toutcolle,

sauflelutinauxcheveuxd’ordécidéàfaireunmassacre.—Qu’est-cequetunetrouvespas?—Lalettred’admissionàl’universitédeLouisville.Avectouslespapiersquejedoisrenvoyer.

Je l’ai rangée dans un dossier que j’ai étiqueté. J’ai dû l’archiver par ordre alphabétique dans lacatégorie«universités»,maisiln’yestpas.

Ellefouillefrénétiquementdanslesdossiers.Unefois.Deuxfois.Troisfois.Lilaabatlespoingssurlesol.

—Oùest-cequ’ilestpassé?!Je m’approche lentement. Comme quand Meg a découvert qu’elle était enceinte. Je plie les

genouxpourm’accroupiràcôtéd’elle.—Pourquoiest-cequetuasbesoindecedossier?Lila penche la tête comme si elle venait de remarquer ma présence. Elle a les yeux trop

écarquilléspoursonvisagedélicat.—Jevaisaccepter.

—Accepter?Jeclignedesyeuxetjeprendsunegrandeinspirationpourmecalmer.C’estcommesiellevenait

demedonneruncoupdematraquedansleventre.—EtlaFloride?—C’estStephenquimejouedestours.Lesmotssebousculentpendantqu’ellecroiselesmainsdevantsapoitrine.—Ilvoulaitmefairepeur,etçaamarché.J’étaisterrifiée.Terrifiée!Jen’yarriveraijamais,dit-

elleenétouffantunsanglot.JenepeuxpasallerenFloride.Pastouteseule.Jesautesurmespieds.Jesuisfouderage.Cettefois,levolcanestbeletbienentréenéruption.

Jevaisluifairelapeau,àcetteordure.—Dis-moioùilest.Ellehausselessourcils.—Quiça?—Lesalaudquitefaitdouterdetoi.Lesalaudquit’afaitpeur.Stephen.Lilaserelèved’unbond.—Iln’afaitqueprouvercequ’ilsavaitdéjà:jesuisincapabledemedébrouillerseule.—N’importequoi.Contrairementàhiermatin, jenecriepas.L’émotionquimeconsumeestuncalmeétrangeet

meurtrier.DepuislamortdeJosh,j’ail’habitudedemesentiranesthésié,etleslettresdeLilasontlaseulearmeassezpuissantepourfranchircemur.Depuisquej’aicomprisquejerisquaisdelaperdre,j’airessentidelacolère,dudésespoir,delaculpabilité,del’espoir,del’amouret,àprésent,cetteragepureetabsolue.

—Avantcesmauvaisesblagues,tuétaisprêteàpartirdansleSud.TadernièrelettreneparlaitquedecequetuvoulaisfaireàlaminuteoùtuauraisquittécetEtat.

—Maisça,c’étaitavant!Ellefaitungrandgeste.—C’étaitquandjepensaisquejen’étaispasseule.Laragesedissiped’uncoup,laissantplaceauvide.—Jesuislàpourtoi.—Non.Ellebatdespaupières,lesyeuxhumides.—Tuétaiscenséêtreàmescôtés,etmaintenantc’estimpossible.Jepensaisquej’arriveraisà

convaincreEchodem’accompagner,maisellearencontréNoah.Aprésent,jesuisseule.Jen’yarrivepas.JenesuispascapabledepartirseuleenFloride.

Jegrattemonmentonmalrasépendantqu’elleessuieunelarmerebelleaucoindesonœil.Elledétourneleregard,etj’ailanausée.

Lilacomptaitsurmoi,etj’aitoutgâché.Pourelle.Pourmafamille.Pourmoi.Une envie irrépressible de rentrer à la maison me submerge, pour parler à ma famille, au

conseillerd’orientation,pourremplirlespapiersd’admissionaudeuxièmesemestreenFloride,queleconseillerm’adonnéspourm’encouragerà fairedemonmieuxauxcoursd’été.Depuis lamortdeJosh, je n’ai fait qu’ignorerma vie etmon avenir, commeMeg ignore son bébé.Oui, rentrer à lamaison, ce serait une fuite, mais une fuite en avant. Ce serait une progression, pas une dérobadecommecesdeuxdernièresannées.

Quand je suis parti retrouver Lila, j’ai pressenti pour la première fois que ça ne pouvait pluscontinuer comme ça, mais voir Lila douter d’elle-même, la voir faire marche arrière, me montre

clairementcequejedoisfairepourremettremavieenordre.Mon grand-pèrem’a dit un jour de ne jamais provoquer un ours blessé, surtout s’il lèche ses

plaies,maisparfoisl’oursabesoind’unepetitechiquenaude.—Etc’estqui,lefuyard,maintenant?Unfrissondepeurmeparcourtledosquandellemefusilledesonregardbleuglacial.—Pardon?J’espèrequejesaiscequejefais.—Jesuisvenuteretrouver,Lila.Retrouverlafillequinelaissepersonneluimarcherdessus.La

fillequines’apitoieraitpassurelle-mêmesousprétextequ’onluiajouéuntour.Peut-êtrequejenesuispasleseulàavoirmenti.Peut-êtrequetuasinventélafilledeslettres.

Samâchoiresedécroche,etsesjouess’empourprentcommesijel’avaisgiflée.—C’estvraimentdégueulasse!—T’esencolère,là?—Pasqu’unpeu!—Bien.Maintenant,arrêtedepenseràcequetunecontrôlespasetcommenceàteconcentrer

surcequetupeuxfaire.Commelescoursd’été,gagnerdel’argentpouralleràl’université,candidaterpourledeuxième

semestre,etnepassongeràmesparents,masœur,monneveu…lamortdemonfrère.Lilasecouelatêtecommesiellesortaitd’unrêve.Elles’appuiecontrelebureauetsepassela

maindanslescheveux.—T’asraison.C’estbienelle:toujoursàcentpourcent,dansunsensoudansl’autre.Sanshésitation.Lafille

quitraitelaviecommeunmissilequinedéviejamaisdesoncap.Ellem’examine,etjesuisdésorientéparsamoue.—Lincoln?—Oui?Sonsourireniaiss’élargit.—Tuestorsenu.Rouged’embarras,jemetoucheletorseetjesensmapeaudénudée.—Désolé.Sesyeuxbleuss’enflamment.—Moi,çameplaît.Maistudevraispeut-êtret’habillerpourlasuiteduprogramme…

Lila

…etpourl’escalade,jecroisquetutesous-estimes.Lincoln

***

Lincolntraverseàmescôtéslechampouvertauxquatreventsendirectiondesarbres.Ilmarcheàgrandspas,et jeluttepouravoir l’airdétachétoutenessayantdenepasmelaisserdistancer.IlaremissonT-shirt,dommage.Questionabdos,ilpourraitclairementfaireconcurrenceaumecd’Echo.

Alacabaneenbois,lecadenasgrincequandjefaisdéfilerleschiffresversladroite,puisverslagauche,etdenouveauversladroite.Lecadenass’ouvredansunclic,etj’ouvrelaporte.Lesoleilsedéverseàl’intérieur,etlesgrainsdepoussièrebrillentdanslalumière.

—Etsitumedisaiscequ’onfaitlà?demandeLincoln.—Onvaleurmontrerdequelboisjemechauffe.AbrutideStephen,abrutiedeLila.Lessixderniersmoisdenotrerelationdéfilentdansmatête

commeunmauvaismontagederemisedesprix:jeluiaiditquejepartaisenFloride,ilaprotestéetpuisacommencéàmedirequejeseraisterrifiéeaprèsmondéménagement.Ilm’amanipulée.Ilm’atellementmanipuléequej’aifaillirenonceràmesrêves.

Mais,pourêtrevraimenthonnête,lablaguedeStephenétaitsurtoutl’excuseparfaitepourlaissertomber la Floride. Etmon angoisse parce que Echo part et que Lincoln ne m’accompagne pas enautomne?Uneexcusepathétiquedeplus.Lavérité,c’estquej’aieudesdoutessurmondépartparcequej’aidoutédemoi-même.J’aipeurdelasolitude.

Jenesaispascommentarrêterd’avoirpeur,maisjesaiscommentarrêterStephen.Unefoisquemesyeuxs’habituentàl’obscuritédelacabane,j’entreetjeprendslespistoletsde

paintballdemonfrère.Lincolnavaitcomplètementraison.Ilestgrandtempsquej’arrêted’avoirpeuretquejecommenceàagir.Ilestgrandtempsquequelqu’unrendelamonnaiedesapièceàcepetitratsournois.

JelanceundespistoletsàLincoln.Illèvelessourcilsenvoyantcequ’iladanslamain.—Viselespieds.Leurschaussurescoûtentdeuxcentcinquantedollars,ilsserontfuraxsielles

sonttachées.Sonsourirecarnassierm’indiquequ’ilcomprendleplanetqu’ilestd’accord.—Tut’esdéjàserviedecestrucs?—Oui.

Maisjenem’ensuisjamaisvantée.—Ettoi?—Çacommenceàremonter.Parfait.—Onasixheuresjusqu’àlatombéedelanuit,etensuitec’estparti.Lincolnmedévoredesyeuxens’attardantsurmescourbes.—Jecroisquejesuisentraindetomberamoureux.Quand j’entends le mot amoureux, je sens mon estomac papillonner. Je ramène une mèche

derrièremonoreilletoutenessayantdecomprendrecommentilpeutmetrouversexyenshortenjeanéliméetT-shirt,avecunpistoletdepaintballàlamain.Etpuisjemedemandecommentceseraits’iltombaiteffectivementamoureuxdemoi,parcequedanslavraievieLincolnestmillefoisplusintensequedansleslettres…etjesuisentraindetomberamoureusepourdebon.

Lincoln

Tuveuxbiensortirle28pourvoirlapluied’étoilesfilantes?Jesais,c’està3heuresdumat.Maisçavaêtremagnifique.Etpuis, ce serait coolde savoirque tu regardes le cielexactementenmêmetempsquemoi.Lila

***

Appuyécontre l’embrasurede laporte, je regardeLilasesécher lescheveuxdanssachambre.Toutàl’heure,jel’aivuetirerballeaprèsballeenpleindanslemilleaveclepistoletàpaintball.Ellenerigolepas.SoncôtéRambom’avaguementinquiété.

Jefaisungrandsourire.Çam’aaussiexcité.Lesoleildefind’après-midiilluminelapièce.Ilnousrestequelquesheuresavantlatombéede

lanuit.Grimpeurdansl’âme,j’aichoisidemeplacerdanslesarbres.Lilacompterestersurlesol.Ellejettelaserviettedanslepanieràlingeetsepeignelescheveux.—Quandest-cequetudoispartir?—J’aiappelémesparentspendantquetuétaissousladouche.Jeleuraiditquejeseraisrentré

lundimatin.Je leur ai aussi dit de prévoir des changements majeurs quand je serais enfin de retour. Que

j’allais me concentrer sur l’avenir, pas sur le passé. Ils n’étaient pas ravis que je sois parti aussibrusquementetquejen’aiepaseumondiplôme,maispasfurieuxnonplus.

Ellesemordlalèvreetselaissetombersurlelit.—Donctuparsdemain.—Ouais.—Jesuiscontentequetusoisvenu.—Moiaussi.Nosregardssecroisent,etjen’aijamaisregardéquelqu’undanslesyeuxaussisereinement.—Çavaaller,touteseule?Elleacquiesce.—Jemeréveilleraiprobablementensursautaumoindrebruit,maisçaira.—Jesuisfierdetoi,maLila.Mesyeuxs’écarquillentquandjecomprendscequejeviensdedire.MaLila?J’aimeraisbien,

mais…

—Jeveuxdire…—Non,çameplaît,dit-elle.Liladétournelesyeux,etsescheveuxluicachentlevisage.Est-cequ’ellepartageraitmessentiments?Lilaetmoi,nousétionsdeux inconnusqui se sont

rencontrésàunenterrement.Noussommesdevenusamisparlettresinterposées,rapprochésparnotrerêvecommund’allerfairenosétudesdansunautreEtat,etpuisjesuistombéamoureuxd’elle.Etsiellem’aimaitaussi?

Dansquelquesheures,jevaisrentreràlamaison,etsij’airetenuuneleçondelamortdeJosh,c’estbienquelaviedoitêtrevécuesansattendre.L’avenirn’estjamaiscertain.J’aiuneoccasiondeconquérirLilaetjenevaispaslalaisserpasser.

—L’automnedernier, tum’asditque tu tesentaisprochedemoimêmesinousvivionsàdescentainesdekilomètresl’undel’autre.

LesyeuxdeLilaseplantentdanslesmiens.J’imaginequ’elleestétonnéequejem’ensouvienne.— Eh bien, c’est ce que je ressentais aussi. Je n’ai jamais confié mes pensées intimes à

quelqu’und’autrequetoi.Jenepourraispas.Jem’interromps,terrifiéàl’idéedecontinuer.Si jemetrompe,j’auraigâchémonamitiéavec

Lila.Elletripoteunemèchehumide,etsesbeauxyeuxinnocentsrestentposéssurmoi.Non,jesuisfoud’elleetjeregretteraisderenoncer.

—Tumeplais,Lila. Plus qu’une simple amie.Quand jeme réveille lematin, je pense à toi.Quandjevaismecoucherlesoir,c’estàtoiquejepenseavantdem’endormir.Tuhantesmesrêves.Mesjourspréférés,cesontceuxoùjereçoisunelettredetoi.

Ellebatdescils,l’airpétrifié.Moncœurseserre.—Maissitunepartagespasmessentiments,cen’estpasgrave.Jetejure…—Lincoln,mecoupe-t-elle.Je…jeressenslamêmechosepourtoi.J’inspire comme si c’était mon premier souffle. Je lui plais. J’entre dans sa chambre et je

m’immobiliseprèsd’elle.—Jepeuxm’asseoir?Parcequec’estson litet jenevaispaspartirduprincipeque jepeuxm’approprierunendroit

aussisacré.Elles’écartepourmefairedelaplace.Jem’assiedssurlelit,etmoncœurs’emballe.Jefrotte

mesmainscontremonjeanetjerespirelentement,profondément.—Jecommencelescoursd’étélundi.Lilasetourneversmoi.Ellem’accordetoutesonattention.—Monconseillerd’orientationm’aditquej’avaisdebonneschancesd’entreràl’universitéde

Florideauprintempsparcequej’aieudebonnesnotesàmesexamensd’entréeàl’universitéetparcequejusqu’àcetteannéej’avaisdebonsbulletins.Ilpenseque,sij’arriveàm’investirdanslescoursd’été et à écrire une lettre géniale expliquant que j’ai appris demes erreurs, ilsme donneront unedeuxièmechance.

«Jedoisavouerqu’avantdeveniricijen’acceptaistoujourspascequ’ilfallaitfaire.Jesavaisquejevoulaisqu’onseréconcilie,mais tevoiraffronter tapeurm’aaidéàcomprendrequejedoisaffronterlamienne.J’aifaitdeserreursetjevaismeracheter.»

Sesdoigtsfinsetdélicatsseposentsursongenou.Ilyadeuxansetdemi,onétaitassisdevantlefunérarium,etelleaeulecouragedem’approcherquandj’aidécritmarelationavecmongrandfrère.Non, je n’ai pas pleuré à l’enterrement de Josh,mais je n’ai jamais avoué à personne que j’avaispleurécommeunbébédevantunefillequejevenaisderencontrer…Lila.

M’efforçantdemanifesterlemêmecouragequeLilacesoir-là, jeposemamainsurlasienne.Elleentrelaceimmédiatementnosdoigts.

Jecontinue:—J’auraisdûtedireavantquejen’avaispasétédiplômé,maisjenevoulaispastedécevoir,je

ne voulais pas admettre que j’avais échoué. Je sais que j’aurai un semestre de retard,mais je vaisvenirenFloride,Lila,etcettefoisjetejurequejeseraiàlahauteur.

Elleesquisseunsouriretendre.—Etmoi,jeserailà.Jet’attendrai.Jemepencheverselle, etmoncœurchavire.Sonodeurde lavandem’enveloppe,et jeplonge

danssesyeuxbleuciel.—Tumeplais, jechuchoteenfrottantmonnezcontresa jouesoyeuse.C’estuneuphémisme,

maisjeneveuxrienprécipiter.Lilapenchelatêteetmurmurecontremeslèvres:—Toiaussi,tumeplais…Sonbaiserestdouxet tiède,une invitation.Nousexplorons tous lesdeux,entamantunedanse

hésitante,franchissantdesétapesquinousparaissaient inaccessibles.Je lâchesamainpourdégagerlescheveuxhumidesquiluitombentsurlevisage.Mesdoigtsluicaressentlajoueetdescendentsursanuque.

Mapeauvibre quand elle pousse un soupir sensuel, d’encouragement, de désir.Lila bouge, etj’enprofitepourl’enlacer.Ellepasselesdoigtsdansmescheveuxetmetireverselle.Jem’enflamme,etnotrebaiseraussi.

Je luimordille la lèvre,etnos languesse touchent.Nosquatremainsexplorent.Nosbras,nosdos,enregistrantlescourbes,s’attardantprèsduborddenosvêtements.

Nousnousembrassons,nousnoustouchons,nouscontinuonsànousembrasser.Lecœurbattant,lesoufflecourt,nosbouchesserencontrentunedernièrefoisavantdeseséparer.

Biensûr,nousavonsfranchidesétapesaujourd’hui,maisilyadesfrontièresqu’aucundenousdeuxn’est presséde traverser.Ses yeuxbrillants confirment qu’elle approuve la nouvelle voie quenous avons empruntée, qui nous donne le temps d’explorer, le temps de s’embrasser, le temps des’aimer.

Lila

Descentainesdetraînéeslumineusesontenflamméleciel.Jenemesuisjamaissentieaussivivante.J’auraisaimét’avoiràmescôtés,cheztoiouchezmoi.Maisjecroisquetuétaislà. Tu vas me prendre pour un dingue, mais c’était un moment magique, Lila, et je suisheureux de l’avoir vécu avec toi.Même si on était à des centaines de kilomètres l’un del’autre.Lincoln

***

— Il me faut un nom de code, dit Lincoln dans le talkie-walkie que j’ai confisqué dans lachambredemonpetitfrère.

Ilestminuitetnoussommesaccroupisànospostesdepuisneufheures.Sijeregardebien,enplissantlesyeux,jedevinel’ombredeLincolncinqmètresau-dessusdu

sol,danslegrandchênedevantlamaison.Ondiraitpresqueuneexcroissancecancéreusedel’arbre.Pendantlapremièreheure,jem’inquiétaisdelevoirsuspenduàsabranche,maisj’aivitecomprisqueLincolnsesentaitaussibienenhauteurquemoidansungrandmagasinpendantlessoldes.

—Qu’est-cequetuasentête?Colléecontreletroncd’unsaulepleureurderrièreunerangéedebuissons,jescrutel’horizon.Le

ciel nocturne est dégagé.De belles étoiles blanches scintillent,mais c’est une nuit sans lune. Tantmieux:Stephenetsabandedehyènesnenousverrontpas.Ettantpis:nousauronsplusdemalàlesvoir.

—Untrucdangereux,genreRasoirouLame.J’entendssontonmoqueuretj’entredanssonjeu.—JepensaisplutôtàSimplet.OuGrincheux.Çatevacommeungant.—Ah,ah.Lesseptnains?Tudevraisprendredelahauteur.Çafaittroisheuresquelaconversationvabontrain,détendueetininterrompue.Toutàl’heure,

Lincolnm’a embrassée…et je lui ai rendu sonbaiser.Avant de sortir, on a passé quelques heuresenlacéssurmonlit,àparleretàs’embrasser.

Moncœurseserrequandjemerappellequ’ilpartdemainmatin,maisonaunplanetonvas’ytenirtouslesdeux.

—Quandest-cequetuascompris?Quetuéprouvaisdessentimentspourmoi,jeveuxdire.Lalignegrésille.Mince,j’aipeut-êtreététroploin.

—Jenesaispas.Çaaétéprogressif.J’imaginequejem’ensuisdoutéquandj’aieuenviederayerlenomdeStephendeteslettres.

Jepouffe.Sajalousiemeplaît,jen’aipashontedelereconnaître.—Mais franchement…Tum’asécritune lettre avant la rentrée, et je l’ai emportéeavecmoi

pendantuneescalade.Ausommetdelaparoi,j’ailutalettreetjemesuisrenducomptequelaseulepersonneavecquij’auraisaimécontemplerlavue,c’étaittoi.

Jesouris.—Dequoiparlaitlalettre?—De rien, répond-il en riant. C’est ça qui est bizarre. Tum’as envoyé des lettres sur Echo,

Stephen,Grace, ta famille, laFloride,et j’aiadoréces lettres. Jesavaisque tum’ouvrais toncœur.Mais,danscettelettre-là,turacontaisquetut’étaisallongéedanstonjardinetquetuavaisregardélesfeuilles s’agiter dans la brise.Quand j’ai fini de la lire, j’ai trouvé un trèfle à quatre feuilles dansl’enveloppe.C’estlàquej’aisuquejevoulaisqu’onpartagelesmomentsimportants,maissurtoutlequotidien.Jevoulaisescaladerdesfalaisesavectoi,Lila,etcontemplerlavueàtescôtés.

Sesparolesmeréchauffentlecœur.C’estexactementcedontj’aienvie.—Jet’aienvoyéletrèflepourteporterchancedanstescandidatures.—Çaamarché.Etçamarcheraencore.—Doncilfautquejetetrouveunautretrèfle?jeletaquine.—Non.J’aigardélepremier,bienrangédansmonportefeuille.Çameplaîtd’avoirunsouvenir

detoitoutprèsdemoi.Toutémue, j’ai lagorgeserrée. Ilagardé lecadeauque je luiaioffert.Danssonportefeuille.

C’esttellementmignon!—Ettoi?demande-t-ild’untonhésitant.Quandest-cequetuascompris?—Lanuitdelapluied’étoilesfilantes,jerépondsaussitôt.Surtoutquandj’aireçulalettreoùtu

enparlais.Jepenseauxcentainesdelumièresdanslecielnocturne.—Jesavaisqueturegardais.Çavateparaîtrestupide,maisj’aisenti taprésence,etquandtu

m’asenvoyécettelettre…Jem’interromps,incapabledetrouverlesmotsjustespourexprimermonémotion.Lincolnvole

àmonsecours.—Jesais.Moiaussi.On reste assis en silence quelques secondes, à profiter de cet instant. Enfin, jem’éclaircis la

gorgeetjedemande:—Combiend’heuresest-cequeçaprendd’allerdel’universitédeFlorideàcheztoi,déjà?Onvaserendrevisiteleweek-endàtourderôle,etseparlerautéléphoneetsurSkype,etbien

sûrs’écriredeslettres.—Quatre,àpeuprès,sionrespecteleslimitationsdevitesse.—C’estlaloi.Legenredeloiquitevautuneamendesitunelarespectespas.—C’estunesimplesuggestion.Avantquejepuisserépliquer,Lincolnajoute:—Ilsarrivent.J’aisoudaindumalàrespirer.Ilssontlà.Jebalayeduregardlejardinetjesensmonsangpulser

dansmesoreilles.J’essuiemesmainsmoites surmon jean et jem’allonge sur le sol. Je retiensmon souffle en

détectantunmouvementducoinde l’œil.Trois silhouettes rôdentprèsducôtéde lamaison.L’une

d’elleslèvelamainetfaitsigneauxdeuxautresdesedirigerverslafaçade.L’ombrerestanteseglissesouslafenêtredemachambre.Pauvretype.C’estforcémentStephen.Jepositionne lepistolet depaintball, le réservoir calé contremonépaule. Jevise, décidantde

ciblerlecœurplutôtqueleschaussures.Onverras’ilfaitlemalinavecdeuxballessurletorse.J’ai transmis à Lincoln des instructions strictes : il attendra que j’aie attaqué pour tirer, et

Stephenm’appartient.Auboutdequelquessecondes,Stephenlèvelamainetgrattesurmafenêtre.Amontour,crétin.Lanuitdernière,j’étaisterrifiée.Maintenant,jemesensforte.J’appuiesurladétente.Paf,paf,paf,paf.Lasilhouetteglapitetseplieendeux,maismesballes

fonttoutesmouche.Descrisducôtédelafaçadem’indiquentqueLincolnaatteintsescibles.LavoixdeLincolngrésilledansletalkie-walkie:—Ilsbattentenretraite.Il saute de l’arbre avec une grâce nonchalante et court vers la façade de la maison. Je me

concentresurStephen.Ils’agitedanstouslessensetcherchesonagresseurdanslesbuissons.—Quiestlà?Je me relève. Toujours dissimulée par la cascade de branches du saule pleureur, je tire deux

autresballessurlesol,justeàcôtéàsespieds.—Hé!piaille-t-ilensautantenarrière.J’allumemalampedepocheet jedirigelefaisceausursonvisage.Ilmetunemainenvisière

pourtenterdem’identifier.SonjeanetsonT-shirtpréféréssontmaculésdepeinture.Parfait.Maisj’aivisétropbasetj’aiàpeinetachésesbasketshorsdeprix.

Jejettelalampedepochesurlesolàcôtédelui.Ilclignedesyeuxenmereconnaissant.—Lila?Abasourdi,ilécarquillelesyeux.—Jepeuxtoutt’expliquer.Cettefois,jevisedirectementseschaussures.Paf.Paf.Dubleuclairsouillesesbasketsblanches.—JevaisenFloride,Stephen.T’asuneobjection?Despharesilluminentl’allée.—Stephen!crieLuke,leconducteur.Onsetire.QuandStephenhésite,Lukeklaxonneettambourinesurlaportedesavoiture.Stephenmejette

undernierregard.—Lila…—Ilrestedublancsurtesbaskets.Jeviseànouveaul’objetdesonobsession.— J’appellerai quand ton quart d’heure de folie sera passé, lance-t-il, l’air vexé, tout en se

réfugiantauprèsdesesabrutisdecopains.—Ilestminuit,etjesuistraindetetirerdessusavecunpistoletdepaintball.Jecroisqueçafait

plusieursjoursqu’onnageenpleindélire.Quand les feuxde lavoituredeLukedisparaissent, je jette lepistoletpar terreet jeme laisse

tomberàcôté,lesbrasposéssurmesgenouxpliés.Devantlamaison,uneombresedétache.Hierencore,j’auraispaniquésij’avaisétédehorsdans

lenoiretquej’avaisvuunegrandesilhouettes’approcher.Enfait,c’estexactementcequej’aifait.C’estmarrantcequ’onpeutchangerenvingt-quatreheures.

—Çava?demandeLincoln.

Voyons voir, mameilleure amie a tourné la page, j’ai vaincuma peur du départ, j’ai tiré aupistoletdepaintballsurmonexquimejouaitdestoursetjesuisseuleaveclemecquifaitbattremoncœur.

—Mieuxquejamais.Etc’estvrai.Jeviensdecomprendreundétailcrucial:j’auraitoujourspeurdequelquechose,

desaraignées,del’obscurité,delasolitude,maisjenesuispasobligéedelaisserlapeurmecontrôler.

***

—Et,quandilm’avuarriver,ils’estjetésurlaportedesavoitureetils’esteffondrésurlesol.LesépaulesdeLincolntressautentpendantqu’ilracontelesévénementsdelanuit,etjerisavec

lui.Onestallongéssurmonlit:jeporteundébardeuretunshortenguisedepyjama,LincolnunjeanpropreetunT-shirt.

Nosriress’éteignent,etonfixetouslesdeuxl’obscurité.Lechantdescriquetsdel’autrecôtédela fenêtremeuble le silence.Mesmuscles sont flasques commeuneméduse,mais c’est unebonnefatigue. Il est 2 heures dumatin et,même si j’ai dumal à garder les yeuxouverts, je neveuxpasperdreuneseuleminuteavecLincoln.

Commes’illisaitdansmespensées,iltournelatêteversmoi.—Tuesfatiguée?—Pasdutout.Jemeretournepourluifaireface,maisjesuistrahieparunbâillement.Lincolnritetadoptelamêmeposition.Ilmecaresselebras,delabretelledemondébardeurau

creuxdemoncoude.Parcourueparundélicieuxfrisson,jefermelesyeux.Jemerapprochedeluietpousseunsoupirdebonheurquandilposelamainsurmataille.Sonpoidschaudetlourdmefaitmesentirprotégée.

—Tudevraisdormir,Lila.Ilavraimentunevoixmagnifique,richeetprofonde.Jesecouelatête.—Jedormiraidemainetaprès-demain.Ilnemerestequequelquesheuresavectoi.Moncœurseserre,etj’ouvrelesyeux.—Maistoi,tudevraisdormir.Tuasunlongvoyagedevanttoi.—C’estvrai.Lincoln bouge la tête, et sa bouche est soudain scandaleusement proche de lamienne. Jeme

lèche lesbabineset jeprendsunegrande inspirationpourmecalmer.Ons’est embrassés trois foisdepuishieraprès-midi.Ilm’ahypnotiséeàchaquefois,etj’aihâted’êtreànouveauconquise.

J’acquiesce.—Oui,tudevrais.Maisjen’enaivraimentpasenvie.Pastoutdesuite.—Dormir,jeveuxdire.Samain glisse au creux demes reins et appuie jusqu’à ce que nos corps se touchent. J’ai le

souffle coupé en sentant sesmuscles puissants. Je laisse unemain s’égarer sur sondos, etLincolnsourit.

—C’estcequejevaisfaire,dit-il.Jefrissonnequandsabouchemurmuretoutcontrelamienne.—Dormir.Maispasmaintenant.—Ahbon?jedemanded’unairinnocent.

—Non.Ilfrottelenezcontrelacourbedemoncou,etjedoismeretenirdegémirdefrustration.Jeveux

qu’ilm’embrasse,encoreetencore,maisjeveuxaussimeconsumerlentement.Lincolnestdoué,etmoncœurs’emballequandjepenseauxcentainesdefaçonsdontonpourraitpassernossoirées.

Ses lèvres dessinent lentement une ligne sur ma joue, et quand je suis à deux doigts de lesupplier,elless’arrêtentenfinjustedevantlesmiennes,assezprèspourquemonestomacpapillonne.C’estl’undemesmomentspréférés: lessecondesavantqu’ons’embrasse.J’ai l’impressiondemebalanceraubordduvide,tiréeparlagravité,pousséeparleventquimemetaudéfidelâcherpriseetdeprendremonenvol.

Lincoln expire, et j’inspire. Nos souffles synchronisés me vident la tête de toute penséeconsciente.Ils’avance,jepenchelatête,etonselaissetomber.

Sabouchechaudeseposesurlamienne,etmesmainssenichentdanssescheveux.Noslèvress’entrouvrent, et nos langues se rencontrent, unmouvement lent et exquis qui me donne envie deronronnercommeunchat.

Tout à l’heure, nos baisers sont restés simples, exprimant juste ce qu’il fallait : un signe deconfiance,unepromessed’avenir.Maisonadépassécestade.Aprèscequenousnoussommesditcesoir,j’aienviedeplus,maisjeveuxcontinueràmeconsumerlentement.

Lincolnemprisonnema lèvre inférieureentre lessiennes, la relâcheet lève la tête.Sonregardtendreetfrancm’indiquequeluiaussitientàcettelenteurdélicieuse.C’estpourçaquejesuisaveclui :Lincoln lit dansmespensées, ilmecomprend,peut-êtremieuxque jenemecomprendsmoi-même.

—Undernierbaiser?demande-t-il.—Unseul?Encorequelques-uns…—D’accord.Soncorpssefondcontrelemien,etnosbouchesseretrouvent,entamantunedanseprogressive

et chaude qui me fait me cambrer contre lui. Sous son corps massif, je me sens petite, fragile etprotégée.Jenemesuisjamaissentieaussiféminine,autantenharmonieavecquelqu’und’autre.

Avec des mouvements doux et précis, nos doigts explorent nos peaux, nos lèvres glissent encadence, nos pieds se frottent les uns contre les autres. Jusqu’à ce qu’il soit l’heure d’un dernierbaiser.Quiresteragravédansmamémoirecommeunepromessejusqu’àcequ’ilpuissemereprendredanssesbras.

Lincolnposesonfrontcontrelemienetmecaresselajoue.Mesdoigtssuiventlecreuxdesoncou,etjesenssoncœurbattrecontremapoitrine.

—Ondevraitdormir,dit-il.Incapable de parler, j’acquiesce. Lincoln semet sur le dos etm’attire pour que je sois lovée

contrelui.Ildéposeunbaisersurmoncrâneetpasselesdoigtsdansmescheveux.—Merci,Lila.J’aitoujoursdumalàparler,maisjerassemblel’énergiedeluidemander:—Pourquoi?—Dem’avoiraidéàmeretrouver.Jemecollecontreluietmedemandeàquoinotreavenirressemblera.Unjour,nousneserons

plusséparésetnousauronsmieuxquedes lettres :nousseronsensemble.Quisait…peut-êtrepourtoujours.

—Tuétaislàtoutdulong.Simplement,tunesavaispasoùchercher.Jem’interromps.Iln’estpasleseulàs’êtreredécouvertceweek-end.

—Etmoinonplus.—C’estvrai.Ilmeserrecontrelui.—Maisnousavonsréussi.Jefermelesyeuxetjemepelotonnecontrelui.Deuxansdelettres,deuxanspourredéfinirmon

identité,deuxanspourtomberamoureusedemonmeilleurami.BlottiecontreLincoln,jesaisquejeseraisprêteàrevivrecesdeuxanspoursavourerànouveaucetinstant.

Lincoln

Je crois que parfois il nous arrive des choses désagréables pour qu’on apprécie lesmomentsheureux.Genre,est-cequ’onpeutvraimentprofiterd’unleverdesoleilsionn’apasconnul’obscuritédelanuit?Sanssonpassé,Echon’auraitjamaisrencontréNoah,etsiellen’avaitpasperduAires jene t’aurais jamaisrencontré.Donc,oui, jepensecequej’aiditdansmadernièrelettre.Tueslesoleilquiselèvesurmavie.Lila

***

Allongéesurleventre,levisagetournéversmoi,Liladort.Sescheveuxemmêlésluitombentsurlajouepar-dessussesépaules.Çafaituneheurequejesuisréveilléetquejelaregarde.Ellesouritenrêvant.Deuxfois,depetitesridessesontforméesentresessourcils,etj’aidûmeretenirdeleslisser.Elleesttropbellepouravoirl’airinquiet.Jeferaisn’importequoipourlarendreheureuse.

DesoiseauxcommencentàpépierdevantlafenêtredeLila,m’avertissantquelemomentredoutéapproche.Bientôt,jedevrailuidireaurevoir.

J’aiunelongueroutedevantmoietbeaucoupdepainsur laplanchepourrattraperLila.Aprèsavoir passé du temps avec elle, ce sera dur de se contenter de lettres, mais on a aussi prévu des’appeler,deseparlersurSkypeetdesevoirleweek-end.

J’effleuresajouedouce,etellepenchelatêteversmesdoigts.Elleclignedesyeuxetesquisseunsourireenmevoyant.

—Salut.—Salut.Un jour, je luiapprendraiàescaladerune falaise, je luiprésenteraimesparents, je la laisserai

prendremonneveudanssesbrasetjeluiavoueraimonamour.Lilatendlamainetremetenplacelescheveuxprèsdemonoreille.—J’ail’impressiondet’avoirtoujoursconnu.—Moiaussi.—Tumeplaisbeaucoup,dit-elled’unevoixrauqueetsexy.Etjereconnaislalueurdanssesyeux.C’estplusquedel’attirance,plusquedudésir.—Toiaussi.Samainglisse surmon torse et s’arrête au-dessusdemoncœur.Quand je la regardedans les

yeux,jesaisqu’ellevoitaussil’étincellequim’anime.Jeluiprendslamainetlagardecolléecontre

montorsetoutenmepenchantpourl’embrasser.—Jeveuxtoujoursdeuxlettresparsemaine,murmure-t-elle.Noslèvresserencontrent,etquandnousreprenonsnotresoufflejechuchote:—Jet’enenverraitrois.

TITREORIGINAL:CROSSINGTHELINE

Traductionfrançaise:ALEXANDRAHERSCOVICISCHILLER

MOSAÏC,unemaisond’éditiondelasociétéHARLEQUIN

Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.

MOSAÏC®estunemarquedéposée

Levisueldecouvertureestreproduitavecl’autorisationde:

Couple:©ISTOCKPHOTO/XESAI/ROYALTYFREE

Réalisationgraphiquecouverture:A.DANGUYDESDESERTS

©2013,KatieMcGarry

©2016,HarlequinSA

ISBN978-2-2803-6180-4

83-85,boulevardVincentAuriol,75646PARISCEDEX13.

Tél.:0142166363

www.editions-mosaic.fr

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