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7/25/2019 Sur Les Dialogues Hume
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Compte rendu
Ouvrage recens :
HUME, David, Dialogues sur la religion naturelle
par Luc LangloisLaval thologique et philosophique, vol. 50, n 2, 1994, p. 433-436.
Pour citer ce compte rendu, utiliser l'adresse suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/400848ar
DOI: 10.7202/400848ar
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Document tlcharg le 9 juin 2016 07:47
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Laval thologiqueet philosophique, 50, 2 juin 1994)
recensions
David H U M E , Dialogues sur la religion naturelle. Traduction, introduction et notes par M ichel
M alherbe. Paris, Vrin, 1987, 158 pages.
C'est surtout grce
VE nqute sur l entendement humain
(1748) que David H ume nous est devenu
familier, beaucoup moins travers l'imposant
Traitde la nature humaine
(1739-1740), dont l 'cho,
au grand dsespoir de son auteur, fut presque imperceptible lors de sa parution. Le lecteur de Kant
aura bien rencontr David H ume sur son passage, mais travers la version quelque peu caricaturale
qu'en donnent lesProlgomnes et laCritique de la raisonpure. Pour la plupart, H ume reste d'abord
celui qui a dmontr l'assise strictement empirique et le fondement psychologique de la causalit, et
plus radicalement encore, l'impossibilit de la connaissance a priori.
On oublie souvent que si c'est dans le Trait que le principe de raison est le plus svrement battu
en brche, et que la drivation empirique de la loi de causalit est souligne avec le plus de vigueur,
c'est dans les
Dialogues sur la religion naturelle
que H ume livre sa critique la plus virulente du
recours la
inalit
et la
preuve de Dieu par
les
causesfinales
, celle qui a pourtant traditionnellement
emport l'adhsion la plus forte en mtaphysique et qui a longtemps constitu une sorte de noyau
du r
du discours thorique de la thologie naturelle. En fait, de faon encore plus radicale que dans
le
Trait,
les
Dialogues
se trouvent ouvrir
un double front.
Ce qui sera rvoqu en doute ici, c'est
non seulement la thologie qui entend se constituer sur la seule
voie a priori
de la raison, indpen
damment de toute rfrence l'exprience (qu'on pense la preuve ontologique),
mais aussi
celle
qui emprunte la voie a posteriori en comptant sur l vidence exprimentale pour chafauder une
connaissance des attributs divins, notamment sous les espces de l'argument tlologique. Les
Dialogues ne font donc pas que poursuivre le minage des prtentions rationalistes, ils interrogent
sous ce double front,
a priori
et
a posteriori,
la solidit et la consistance thorique de la religion
naturelle.
M ichel M alherbe, a qui on doit dj quelques ouvrages sur le philosophe cossais (dontK ant ou
Hum e, ou la raison et le sensible)
fut donc bien inspir d'offrir au public francophone cette traduction
des
Dialogues,
prcde d'une longue et riche prsentation de 45 pages. Il donne ainsi une troisime
version du texte (ce n'est pas trop ) aprs la traduction franaise, anonyme, de 1779, et celle de
M axime David datant de 1 912. Rien ne sera perdu , ou presque (puisque rien ne vaut videmm ent la
lecture anglaise de l'oeuvre), du style allgre de H ume et de la conduite limpide du dialogue.
L'appareil des notes infrapaginales offrira mme de prcieuses informations ceux qui ne seraient
pas rompus aux nuances des dbats philosophiques anglais de l'poque. Il ne manque peut-tre
qu'une bibliographie pour faire de cette dition un document complet.
Un mot d'abord sur les circonstances ayant entour la rdaction et la publication des
D ialogues.
L'ouvrage fut en fait plus d'une fois remis sur le mtier. Les pices du dossier, soigneusement
rassembles par M ichel M alherbe, montrent qu'un e premire mouture de texte existait dj en 1751.
H ume procde par la suite une double rvision, l'u ne en 176 1, l'autre en 1776 (additions la XII
e
partie entre autres), mais sans jamais publier le fruit de son travail. Cette retenue est essentiellement
inspire par la crainte des tracasseries et des reprsailles contre les passages les plus sulfureux de
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l'oeuvre, trs peu en accord avec le crdit dont jouit encore la religion naturelle l'poque. Jusqu'
1748, H ume avait d'ailleurs pratiqu l'anon yma t, redoutant l'effet de ses conclusions sceptiques sur
le public savant. Ayant dj got l'hostilit des autorits acadmiques d'alors, que son ami Adam
Smith s'tait trs timidement employ apaiser, H ume prfre donc la tranquillit de la retraite.
Aprs moult hsitations de la part des diteurs, les Dialogues sur la religion naturelle paratront
finalement en 1779, trois ans aprs la mort de leur auteur.
Trois personnages, Clanthe, Dma et Philon, vont se ctoyer dans cette discussion en douze
parties qui ne portera en fait jamais sur
l existence
de Dieu, admise par tous comme une vidence,
mais sur sa nature, ou sur la possibilit d'une connaissance de ses attributs, sujet d'une redoutable
obscu rit. E n som me, on s'interrogera sur les mrites et les faiblesses d'un e religion naturelle labore
sur le socle du raisonnement, et de son arsenal de preuves et de dmonstrations. Clanthe, celui qui
entretient le rapport le plus troit avec la religion naturelle, sera le reprsentant d'un thisme
exprimental
clair par l'enseignement des sciences nouvelles. Prtendre que la nature divine est
absolument inaccessible aux lumires du raisonnement c'est, soutient-il, s'abmer dans un fidisme
aveugle et prilleux. Car avoir foi en l'existence de Dieu sans rien savoir de sa nature ne peut que
paver la voie au mysticisme, voire mme l'athisme, l'vidence immdiate de la foi finissant tt
ou tard par tre branle devant l'impuissance de la raison. On doit donc disposer d'un argument
raisonn pour servir de rempart la religion rvle. Celui-ci nous sera donn en tenant compte des
rsultats des sciences empiriques. Partout, invoque Clanthe, on observe une rgularit et un ordre
constant dans l'agencement du monde. Dans le tout comme dans le menu dtail, le monde apparat
nos sens comme une formidable
machine,
parfaitement ajuste et cartant le hasard. Ce spectacle
offre une saisissante
ana logie avec l industrie huma ine,
qui procde toujours selon un plan inten
tionnel. Les effets sensibles de ce monde-machine plaident donc puissamment en faveur d'un dessein
dans l'oeuvre de la nature: comme l'architecte fait prcder l'excution de l'oeuvre d'un plan
dtaill, la nature doit ncessairement relever d'un dessein dont l'origine est divine. C'e st, schmatis
l 'extrme, l argument a posteriori (par les effets) de l existence de Dieu comme cause finale.
ce thisme exprimental s'opposera Dma, proche d'une certaine thologie dogmatique plus
encline faire appel au consensus immdiat de la foi qu' la voie orgueilleuse du raisonnement il
faut adorer en silence, se taire devant l'infinit de Dieu sur laquelle notre raison humaine n'a
qu'une trop faible emprise. Pour autant, la prcellence de la religion rvle sur la religion naturelle
et l'obligation de prendre davantage appui sur l'intimit des convictions que sur la dmonstration,
n'interdisent pas tout recours l'argumentation rationnelle. En ralit, Dma s'en prendra moins ici
la religion naturelle comme telle qu'au tour empirique que lui donne Clanthe en l'instituant sur la
voie a posteriori. En faisant de l'ouvrage sublime du monde une analogie avec l'industrie humaine
pour conclure une cause finale, un dessein divin, Clanthe succombe la tentation facile de
Y anthropom orphisme. U infinit
de Dieu interdit tout inference partir du monde empirique auquel
il demeure radicalement incomparable. Seule une voie a priori pourra servir de dfense la religion
naturelle. L'infinit mme des attributs divins, qui humilie perptuellement l'intelligence humaine,
nous suggre en effet l'ide d'une
existence ncessaire,
face la contingence des tre finis de la
Cration. D'une manire pour ainsi dire analytique, et en parfaite conformit avec l'ontothologie
rationaliste, Dma va donc faire de l'existence ncessaire un
prdicat
essentiel de Dieu, sans rien
emprunter la voie incertaine de l'exprience. Ainsi la raison ne sera pas totalement disqualifie,
mme si la connaissance de la nature des attributs divins reste inaccessible au lumen naturale.
Comm e nous l'indique M ichel M alherbe dans sa prsentation, la position de Dma va constituer en
fait une reprise de l'argument du thologien et philosophe Samuel Clarke, qui fera l'objet d'un
examen spcifique dans la IX
e
partie des
Dialogues.
Sans rien ter aux characters des deux autres protagonistes, c'est en fait Philon, le reprsentant
du scepticisme et partisan d'une suspension totale du jugement en matire de religion naturelle, qui
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imprimera sa dynamique au dialogue. C'est par lui en tout cas que seront provoqus les retournements
dramatiques de la discussion. Contractant une sorte d'alliance stratgique avec Dma, Philon
s'emploiera surtout dans les huit premires parties du dialogue tailler en pices la voie
a posteriori
de Clanthe. M ais cette alliance s'avrera funeste p our Dm a
une fois la position du thisme
exprimental cloue au pilori, le sceptique, subrepticement, va changer de camp, pour laisser
Clanthe, dans la IX
e
partie, saper les bases de la voie
a priori
Ce qui sera remis en cause, tout d'abord, c'est l'analogie, centrale dans l'argumentation de
Clanthe, entre le monde-machine et les rsultats de l'industrie humaine. Ici et l, on constate l'ordre,
l'intgration et la parfaite imbrication des parties au tout, bref un agencement des effets qui ne peut
que militer en faveur d'une cause intentionnelle, pareille la pense et au dessein qui prcdent les
ouvrages humains. L'enseignement sr de l'exprience tablira Dieu comme cause finale de l'univers
et la science viendra au secours de la religion naturelle. Or paradoxalement, c'est le recours mme
l'exprience qui va servir l'oeuvre de dmolition de Philon. Clanthe ne va-t-il pas un peu trop vite
en besogne ? Les ressorts de l'univers et de la matire sont-ils tous de la nature du dessein ? Philon
renverra habilement le thiste exprimental son propre point d'appui
ce que l'exprience nous
rvle, c'est bien plutt une htrognit des effets et des causes qu'une similitude d'ensemble.
L'instinct animal, la gnration vgtale, la soumission des corps
au
jeu aveugle des forces physiqu es,
n'offrent selon lui aucune ressemblance avec la planification intelligente de l'industrie humaine.
L'inference de Clanthe roule en fait sur une rduction inacceptable de la diversit de l'exprience :
la cause finale par dessein n'est qu'un principe,
parm i d autres galement possibles,
des effets
multiples du monde. Examinons par exemple l'organisation, prive de pense, du monde vgtal. Si
pour le thisme exprimental dsireux de s'instruire au contact du monde empirique, les effets sont
toujours similaires aux causes, le principe de l'univers ne ressemble-t-il pas davantage alors une
sorte
d me du monde
immanente l'univers ? Et pourquoi, demande Philon, exclure la possibilit
d'un ordre inhrent la matire, donc sans principe externe ? En quoi l'exprience, et les sciences
physiques, permettent-elles d'affirmer la primaut de la cause finale par dessein sur une cause
strictement matrielle ? L'analogie avec l'industrie humaine, si elle refltait fidlement la totalit de
l'exprience, pourrait elle-mme desservir les fins de Clanthe. Car comment infrer partir de
l'agencement du monde l'existence d'un Ouvrier
unique
comme sa cause intelligente ? H siode et
ses trente mille dieux sont-ils vraiment rcuss par le thisme exprimental, demande Philon ? Et
Dma va renchrir. Selon la lettre de l'empirisme, toutes nos ides ne sont que des copies affadies
des impressions sensibles originaires. Or comment ce faible matriau de la pense humaine peut-il
rendre compte, un tant soit peu, de l'esprit divin ? En quoi cette
petite agitation du cerveau qu'est
la pense (les termes sont de Philon) jouit-elle du moindre privilge pour pntrer les dcrets divins ?
Pouss jusqu' ses derniers retranchements, Clanthe est donc perdu : les effets finis du monde,
multiples, htrognes, irrductibles les uns aux autres, n'autorisent aucune inference sur le principe
infini de l'univers. Le recours l'exprience ne permettra jamais de justifier aucune cosmogonie
particulire
tous les cas de figure (polythisme, cause matrielle, monothisme, panthisme, etc.)
resteront possibles sur cette seule base. Premire crise de la religion naturelle
la fin de la VIII
e
partie, le triomphe de Philon parat
dfinitif.
M ais dj, la mfiance de Dm a l'endroit de son alli phm re est veille
le sceptique
n'est-il pas all trop loin dans sa dngation de la religion naturelle ? Pressentant que sa rfutation
risque de donner de dangereuses munitions tous les libres penseurs, Dma va se porter dsormais,
sur les cendres de l'argument
a posteriori,
la dfense de la voie
a priori.
L'alliance sera ainsi
rompue avec Philon, qui fera dsormais cause commune avec un Clanthe passablement affaibli mais
encore assez aguerri pour disposer en quelques rpliques de l'argumentation du thologien dogma
tique. Celle-ci, on l'a vu, tire de l'infinit et de la perfection des attributs divins l'ide de l'existence
ncessaire de Dieu. Or cette dmonstration est trop spcieuse aux yeux de Clanthe pour entraner
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l'adhsion. On ne peut rien prouver
a priori,
avance-t-il, moins que le contraire n'implique
contradiction absolue, Or
tout ce que nous
concevons
comme existant, nous pouvons aussi le
concevoir
comme non-existant. Il n'y a donc pas d'tre dont la non-existence implique contradiction.
En consquence, il n'y a pas d'tre dont l'existence soit
dmontrable.
Les mots existence
ncessaire n'ont tout simplement pas de sens et les mtaphysiciens, justement, ne font que jouer
sur les mots l'apriorisme de Dma ne dmontre rien : il n'est qu'une mauvaise querelle de mots.
Dboute la fois sous sa forme exprimentale et
a priori,
la religion naturelle semble au seuil
de la X
e
partie prive de tout fondement. Ses deux dfenseurs, quoique de manires opposes,
tenteront bien de la rescaper partir d'un argument moral (la misre de la condition humaine ne
rend-elle pas la foi ncessaire, suggre Dma ? Le mal n'est-il pas, en ce monde, la rare exception
plutt que la rgle, signe qu'une intention bonne en est la cause demande Clanthe ?), mais l'oeuvre
de pilonnage de Philon parat lui avoir port un coup mortel. On s est donc demand si le sceptique
reprsentait dans les
Dialogues
la position dfinitive de H ume. L'hy pothse est plausible mais non
sans difficults. Dans la XII
e
partie par exemple, aprs le dpart prcipit de Dma, Philon revient,
tonnamment, un accord avec Clanthe. Il ne conteste plus l'vidence finaliste et y voit mme une
allie sre de la foi. M ais il refuse, si on lit entre les lignes, de lui confrer une porte pistmologique,
pour la relier une sorte de sentiment esthtique qui s'empare de tous ceux qui contemplent
l'agencement du monde. Sans rien prouver, l'argument finaliste nourrit le
sentiment
du croyant Dans
une lettre de 1776 son diteur, William Strahan, H ume dclare par ailleurs que le sceptique est bel
et bien rfut dans ses Dialogues. Il est possible qu'il cherche par l s'entourer de prcautions, et
vaincre les vellits de l'diteur. M ais c'est un fait incontestable que Philon n'a pas le mon opole
des arguments humiens. L'empirisme de Clanthe, la rfutation par Dma de la valeur de 1 inference
causale applique Dieu, sont autant d'aspec ts qui refltent sa propre pense. H ume parle donc
travers les trois protagonistes, mais probablement sans jamais s'identifier compltement aucun
d'entre eux.
La
com munis opinio
tient les
Dialogues
pour le chef-d'oeuv re littraire de H ume, dont la beaut
du style contraste fortement avec la lourdeur du
Trait,
qui reste pourtant son ouvrage philosophique
majeur. Nulle part ailleurs dans l'oeuv re de H ume ne s est exprime avec autant d'clat et de manire
aussi incisive la conscience des limites du savoir hum ain, dfi lanc une m taphysique traditionnelle
dj vacillante, que dsormais elle ne pourra plus contourner.
L u c L N G L O I S
UniversitLaval
Sylvain
ZAC,
Salomon M am on, critique de K an t. Coll. La nuit surveille . Paris,Cerf, 1988,
274 pages.
Deux raisons surtout expliquent l'oubli relatif dans lequel est tombe la philosophie de Salomon
M amon (1754-1800). La premire tient l'clectisme, particulirement d routant, d 'une pense qui
a puis chez des auteurs aussi disparates que Leibniz, H ume, M arnonide, Spinoza et Kant, quand
ce n'est pas dans la Cabale (M amon est un Juif
de
Lituanie) certaines de ses intuitions fondamentales.
Cette multiplication des rfrences philosophiques n'a pas peu contribu entretenir le soupon d'un
certain dsordre dans son oeuvre, qui semble ne jamais vouloir se dcider entre le criticisme kantien
et la mtaphysique pr-critique, d'inspiration leibnizienne le plus souvent. La seconde vient de ce
que la contribution de M amon au dbat philosophique de son poque a rapidement t clipse par
celle, nettement plus dcisive, de Fichte, dont laWissenschaftslehre parat en 1794, et qui va relancer
sous de nouvelles auspices le mouvem ent de pense visant donner crance Y am bition systmatique
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