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NEWSLETTER - 5 JUIN 2014 1 - © Agnes Menso Dans la réalité d’un PSE A l'approche du printemps et des ponts du mois de mai, je cherchais un sujet d'article léger pour ma newsletter. C'est une de mes voisines qui m'en a donné l'idée. Et c'est ainsi que MJ (Juriste dans l'entreprise depuis 4 ans) et une de ses anciennes collègues, CT (RRH dans la société depuis plus de 10 ans) ont accepté de me faire part, le 15 mai dernier, de leur expérience dans la mise en place et la gestion d'un PSE. Mon objectif de légèreté printanière est loin d'être atteint. Mais MJ, au travers de l'émotion qu'elle contenait dans ce premier entretien, m'a profondément touchée. J’ai eu le déclic, quand elle m’a dit « j'ai vu mon boss pleurer ». C'est donc ce vécu, sans ornements ni fioritures, que j'ai choisi de vous faire partager. Prise dans un tourbillon WID, c'est ainsi que nous l’appellerons, a été créée dans les années 90. Filiale d'un groupe étranger, elle affiche jusqu'en 2008 une forte croissance. A cette époque, WID est prise dans le feu de l'action et dans l'excitation qui en résulte. Il y a peu de place pour l'analyse et la stratégie. CT me confiait à ce propos « on mettait en place très vite, sans laisser le temps nécessaire à la réflexion » Les difficultés commencent à apparaître en 2010 - 2011. L’arrivée d’un nouveau concurrent bouscule les règles d’un marché déjà soumis à de fortes pressions. WID perd des contrats et ses marges commencent à baisser. Des erreurs de gestion et de développement sont commises.

Interview : Dans la réalité d'un PSE

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NEWSLETTER - 5 JUIN 2014

1 - © Agnes Menso

Dans la réalité d’un PSE

A l'approche du printemps et des ponts du mois de mai, je cherchais un sujet d'article léger pour ma newsletter. C'est une de mes voisines qui m'en a donné l'idée. !Et c'est ainsi que MJ (Juriste dans l'entreprise depuis 4 ans) et une de ses anciennes collègues, CT (RRH dans la société depuis plus de 10 ans) ont accepté de me faire part, le 15 mai dernier, de leur expérience dans la mise en place et la gestion d'un PSE. !Mon objectif de légèreté printanière est loin d'être atteint. Mais MJ,

au travers de l'émotion qu'elle contenait dans ce premier entretien, m'a profondément touchée. J’ai eu le déclic, quand elle m’a dit « j'ai vu mon boss pleurer ».!C'est donc ce vécu, sans ornements ni fioritures, que j'ai choisi de vous faire partager. !Prise dans un tourbillon WID, c'est ainsi que nous l’appellerons, a été créée dans les années 90. Filiale d'un groupe étranger, elle affiche jusqu'en 2008 une forte croissance. A cette époque, WID est prise dans le feu de l'action et dans l'excitation qui en résulte.

Il y a peu de place pour l'analyse et la stratégie. !CT me confiait à ce propos « on mettait en place très vite, sans laisser le temps nécessaire à la réflexion » !Les difficultés commencent à apparaître en 2010 - 2011. !L’arrivée d’un nouveau concurrent bouscule les règles d’un marché déjà soumis à de fortes pressions. WID perd des contrats et ses marges commencent à baisser. Des erreurs de gestion et de développement sont commises. !

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Le business model sur lequel l’entreprise s’est appuyée pour construire sa réussite n’est plus adapté, et l’entreprise ne sait pas se réinventer. !Arrivent à cette époque de nouvelles têtes au sein du comité de direction. Il a pour mission de recadrer et structurer l’entreprise. A ce moment-là, on ne parle pas de plan social.

Un 1er PSE annoncé... Puis abandonné C'est en janvier 2012, lors de son premier CODIR, que CT apprend qu'un plan social va être lancé et qu'elle va devoir le coordonner. !Elle n'en n'a jamais mené. Il concerne la suppression d’un peu moins de 300 postes de travail. « Je n'étais pas surprise, on était tous convaincus qu'on allait s'en sortir. Je suis, à cet instant, d'ailleurs persuadée qu'il faut faire ce travail pour que l'entreprise reparte », raconte-t-elle.

CT signe une clause de confidentialité. Impossible donc pour elle de dire quoi que ce soit. Elle doit afficher la tête des bons jours et faire comme si tout va bien. « Il y avait une partie de moi qui était vraiment mal. Je devais identifier les personnes de mon équipe dont il allait falloir que je me sépare, mais également soutenir les managers dans leur démarche d’identification des postes à supprimer. J'ai eu des moments où j'ai vraiment pas bien dormi… », poursuit-elle. !WID se fait aider par des cabinets d'avocats. Au bout de 2 mois, la responsable des relations sociales est enfin mise dans la confidence. CT se sent moins seule, mais le travail reste le même : ingrat et difficile. !L’entreprise met en place toutes les actions de communication et d'information nécessaires. Un cabinet de reclassement est sélectionné. Tout est

bordé. Le PSE est prêt à être lancé. !CT se lâche : « J'avais à cœur de protéger les équipes, j'ai pris énormément sur moi. J'ai du gérer la colère des collaborateurs." Pourquoi moi ? », demandent certains salariés. « Que voulez-vous répondre ? Je n'ai pas eu d'aide pour faire face, je n'ai pas été préparée ni accompagnée. Ca a été dur à gérer. J'ai tout pris en pleine face ». !Mais ce premier PSE, pour différentes raisons, n'a pas lieu. !Chacun croit à un sursis.

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Les fuites dans la presse En janvier 2013, c'est une fuite dans un grand quotidien national qui informe les collaborateurs, qu'un de leurs principaux clients a dénoncé le contrat qui le lie à WID. !C'est donc par la presse que les salariés prennent conscience des fragilités de l’entreprise et de ses conséquences sur une éventuelle cessation d’activité. « Il n'est pas possible que cette entreprise s’arrête », martèle CT. !Mais la cessation d'activité est annoncée en avril 2013 et l'entreprise fait l'ouverture du journal de 20 heures. !Une équipe ultra-mobilisée WID fait de l’emploi de ses collaborateurs, sa priorité numéro 1. Son objectif est de retrouver des repreneurs. Elle est sur tous les fronts : la cessation d'activité et la reprise du plus grand nombre de ses salariés.

Dans la foulée, l’entreprise met en place une bourse à l’emploi pour reclasser le maximum de collaborateurs. !Les premières étapes du PSE débutent en septembre 2013. Le climat est difficile, les organisations syndicales échaudées. Il règne en CE un climat tendu et WID doit faire face à des mouvements de grève. !L'entreprise se vide peu à peu. Le message est clair : un retour en arrière n'est plus possible. !CT est en colère et ne comprend pas. « J’ai travaillé dans cette entreprise comme si c’était mon entreprise. Quel gâchis... Je reste convaincue qu'on n'a pas pris les bonnes décisions quand il l'aurait fallu. Si on avait fait le nécessaire plus tôt, on aurait pu survivre quelques années de plus ». !L'équipe RH occupe le terrain le mieux

possible et fait face, en mettant en place par exemple, un forum sur lequel les salariés peuvent s'exprimer et poser des questions. !CT se rend dans le centre logistique de WID pour en rencontrer les collaborateurs. Ce moment passé avec eux la bouleverse. « Beaucoup sont dans une situation personnelle difficile, fragile et dans la précarité la plus totale. Que vont-ils devenir ? C'était hyper dur à entendre. On est tous concernés, poursuit-elle, mais il faut prendre du recul ». !« La direction a été très impliquée, poursuit MJ. Elle s'est montrée respectueuse de ses collaborateurs. Elle avait la volonté de fermer proprement. Notre actionnaire à l’étranger avait aussi tout intérêt à bien faire les choses ».

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« J'ai vu mon Président fondre en larmes, enchaîne-t-elle. Il a été recruté pour que ça aille mieux, il a échoué. Il a toujours été proche des équipes ». !Où en est WID aujourd'hui ? L'entreprise n'existe plus. La moitié des effectifs a été reprise par trois acquéreurs. L’autre moitié a été licenciée, mais certains ont déjà retrouvé un emploi et d’autres sont en projet de reconversion ou en formation. !Plusieurs membres du CODIR sont sur de nouveaux projets. Ils ont déjà rebondi. !« Moi, j'ai du mal, avoue CT. Je reçois toujours des appels, j'aide certains anciens. Ils me disent "merci chef"... Ça n'aide pas, mais je n'arrive pas complètement à me détacher. Et puis je me sens utile comme ça… » !Pendant une semaine - 15 jours environ, CT panique. Elle ne reçoit

plus de mails. Son téléphone reste muet, elle le consulte d’ailleurs sans arrêt. !« Ça a été difficile à gérer, poursuit-elle. J'appréhendais cette phase d'arrêt, même si j'étais contente de partir. Je n'en pouvais plus, j'ai quand même un peu joué à la fortiche… » !Les membres de l'équipe RH sont, quant à eux, toujours en contact les uns avec les autres. Ils s'entraident dans leur recherche d'emploi, se transmettent des contacts, s'encouragent... !MJ a passé plusieurs entretiens. Certains lui laissent bon espoir et elle espère retrouver un emploi rapidement. En attendant, elle profite d’un break bien mérité. !Elle intervient de nouveau : « C'est une entreprise apprenante et très attachante. J'y ai passé 4 ans. Je compte sur les doigts d'une main, les jours où je n'avais pas envie d'aller

travailler, car je savais que ces journées allaient être pénibles. Mais pendant le plan social, on y est allé. Et avec le sourire. Il y avait une ambiance de folie dans notre équipe. C'était dur, mais on y est arrivé. On s’est serré les coudes. On a fait le job. On a même reçu des boîtes de chocolat et des petits mots de remerciement. On a tout donné. On peut tous être fiers du travail qui a été réalisé ». !Une coupure nécessaire CT, pour sa part, n'est pas prête à repartir en entreprise tout de suite. « Je n'ai pas fait mon deuil, il me faut encore un peu de temps pour digérer ce qui s'est passé ». !!!

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« J'ai eu énormément de travail pendant toutes ces années chez WID. Je n’ai pas pris suffisamment soin de moi. Il était hors de question que je bascule. Pour moi et pour les autres. 8-10 mois environ avant mon départ, j’ai souhaité être accompagnée. Le PSE m’a épuisée psychologiquement. Mais j’en ai mieux géré la fin que le début. !J’ai vécu à 100 à l’heure. Aujourd’hui, ça va mieux, je prends tout simplement le temps. J'ai retrouvé mes marques, je découvre de nouveaux sujets, de nouvelles passions. J'ai même de nouvelles lectures. Je retrouve une certaine sérénité intérieure ». !!!

Un moment fort en émotions CT a accepté cet entretien car elle aime les gens et les rencontres. « Le sujet est douloureux, mais il est intéressant. Ca m'a fait du bien d'en parler » !La presse ne raconte pas ce qui est vécu de l'intérieur. Elle relate plus souvent les aspects négatifs. Personne ne sait vraiment ce que vivent les équipes qui pilotent un plan social. !MJ conclut : « Cette période a été très éprouvante, mais en même temps, elle a été très riche. Elle a créé des liens, on a encore plus travaillé en équipe. Il y a eu beaucoup d’échanges et de concertation ». !

Cet échange a été éprouvant. Pour elles comme pour moi. !Je les remercie encore toutes deux de m'avoir fait partager, avec autant d'honnêteté et de pudeur, ce qu'elles ont traversé. !Je leur laisse, sous forme de clin d'œil, le mot de la fin. « La victoire est en nous, et seule la victoire est belle… »

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