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E t si nous levions la tête de notre situation française pour « pren- dre un peu d’air » comme me l’ont dit les organisateurs des rencon- tres « Café RH » et pour regarder à l’étran- ger ? C’est ce qu’ont commencé à faire les membres de l’ANDCP présents aux 10 èmes rencontres franco-britanniques (lire notre article p.12 — NDLR). Je vous propose d’aller plus loin et de visi- ter un autre pays. Un pays ayant un taux de chômage de 4,5% pour une croissan- ce de 5,1% en 2006, jusqu’à 12 jours fé- riés par an (les jours fériés tombant un di- manche sont reportés au lundi suivant), un taux d’absentéisme par jour de 2,7% de la population active (7% en France et 3,7% au Royaume-uni, pour comparaison), un temps de travail de 40 heures par semai- ne. « Mon » pays, puisque je suis naturali- sé australien depuis 2006. Ce pays, fort de 21 millions d’habitants pour une superficie de 14 fois la France, est l’Australie. Je ne vous propose pas de comparer la France avec l’Australie (l’Australie n’a pas encore demandé d’adhérer à l’UE) mais de vous présenter les pratiques RH pour éta- blir un parallèle et peut être dégager une vision de l’avenir. Si, en France, diversité, GPEC et chômage tiennent le haut du pavé, en Australie les challenges à relever en 2007 sont le mana- gement des talents (comprenant la GPEC qui n’est plus une spécialité française), le « cultural fit » ou mixité sociale (ou com- ment faire travailler ensemble les membres d’une équipe provenant du monde entier), l’engagement, la mise en place d’outils de mesure RH, le recrutement de talents et le respect de l’équilibre vie privée / vie profes- sionnelle. Diversité Euh… joker ! Lorsque j’ai quitté la France, on n’en parlait pas encore. Lorsque je suis arrivé en Australie on n’en parlait déjà plus. L’Australie s’est construite avec l’immigra- tion. Les premiers colons/convicts sont arrivés en janvier 1888. La diversité n’est pas l’objet d’un groupe de travail de l’AH- RI (Australian Human Resources Institu- te — l’ANDCP locale) mais une politique : « Diversity Works ! » Il s’agit d’une politi- que du gouvernement australien pour pro- mouvoir les bénéfices de l’utilisation des compétences linguistiques et culturelles 82 n°478 - avril 2007 < point de vue > Les ressources humaines à 20 000 km de la France Une journée ordinaire en Australie Benjamin Chaminade (notre photo), expert RH expatrié en Australie, co-fondateur et dirigeant de Inside RH, nous livre un regard critique sur les différences de pratiques RH en France et en Australie. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les problé- matiques ne sont pas exactement les mêmes ! De quoi alimenter les discussions et la réflexion ! Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages traitant de la gestion des talents et vient de lancer un blog sur la génération You 1 consacré aux jeunes nés entre 1978 et 1994. Article de Benjamin Chaminade Daniel Osso

Point de vue RH et Australie

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E t si nous levions la tête de notresituation française pour « pren-dre un peu d’air » comme me l’ontdit les organisateurs des rencon-

tres « Café RH » et pour regarder à l’étran-ger ? C’est ce qu’ont commencé à faire lesmembres de l’ANDCP présents aux 10èmes

rencontres franco-britanniques (lire notrearticle p.12 — NDLR). Je vous propose d’aller plus loin et de visi-ter un autre pays. Un pays ayant un tauxde chômage de 4,5% pour une croissan-ce de 5,1% en 2006, jusqu’à 12 jours fé-riés par an (les jours fériés tombant un di-manche sont reportés au lundi suivant), untaux d’absentéisme par jour de 2,7% de lapopulation active (7% en France et 3,7%au Royaume-uni, pour comparaison), untemps de travail de 40 heures par semai-ne. « Mon » pays, puisque je suis naturali-sé australien depuis 2006. Ce pays, fort de21 millions d’habitants pour une superficiede 14 fois la France, est l’Australie.Je ne vous propose pas de comparer laFrance avec l’Australie (l’Australie n’a pasencore demandé d’adhérer à l’UE) mais devous présenter les pratiques RH pour éta-blir un parallèle et peut être dégager unevision de l’avenir.Si, en France, diversité, GPEC et chômagetiennent le haut du pavé, en Australie leschallenges à relever en 2007 sont le mana-gement des talents (comprenant la GPECqui n’est plus une spécialité française), le« cultural fit » ou mixité sociale (ou com-ment faire travailler ensemble les membresd’une équipe provenant du monde entier),l’engagement, la mise en place d’outils demesure RH, le recrutement de talents et lerespect de l’équilibre vie privée / vie profes-sionnelle.

DiversitéEuh… joker ! Lorsque j’ai quitté la France,on n’en parlait pas encore. Lorsque je suisarrivé en Australie on n’en parlait déjà plus.L’Australie s’est construite avec l’immigra-tion. Les premiers colons/convicts sontarrivés en janvier 1888. La diversité n’estpas l’objet d’un groupe de travail de l’AH-RI (Australian Human Resources Institu-te — l’ANDCP locale) mais une politique :« Diversity Works ! » Il s’agit d’une politi-que du gouvernement australien pour pro-mouvoir les bénéfices de l’utilisation descompétences linguistiques et culturelles

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n°478 - avril 2007

< point de vue >

Les ressources humaines à 20 000 km de la France

Une journée ordinaire en Australie

Benjamin Chaminade (notre photo), expert RH

expatrié en Australie, co-fondateur et dirigeant

de Inside RH, nous livre un regard critique sur les

différences de pratiques RH en France et en Australie.

Et le moins que l’on puisse dire c’est que les problé-

matiques ne sont pas exactement les mêmes !

De quoi alimenter les discussions et la réflexion !

Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages

traitant de la gestion des talents et vient de lancer

un blog sur la génération You 1 consacré aux jeunes

nés entre 1978 et 1994.

Article de Benjamin Chaminade

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n°478 - avril 2007

de la main-d’œuvre australienne, connueauparavant comme « Diversité producti-ve. » Il ne s’agit plus réellement d’encoura-ger la diversité. Ce n’est pas un choix :c’est une nécessité ! Avec 60% des habi-tants de Sydney nés hors de l’Australie,nous en sommes à l’étape suivante : faireen sorte que cette mixité sociale fonction-ne à l’échelle de l’entreprise et du pays.Les événements de Cronulla, en avril 2005(version australienne des émeutes desbanlieues françaises de décembre 2005),prouvent que le modèle peut encore êtreamélioré.A cette question de culture s’ajoute un au-tre problème de diversité : la gestion desgénérations. Si ce sujet n’est pas propre àl’Australie, il a un écho particulier dans cepays qui n’a pas d’âge obli-gatoire de départ à la retraite(ce serait de la discrimina-tion !). La « génération Y »,déjà décriée en France com-me instable et individualiste,y fait l’objet d’études depuisplusieurs années.

RecrutementLe recrutement en Australieest incontournable. J’ai lu lechiffre de 6 500 cabinets aus-traliens (sachant qu’un cabi-net possède entre un et 350salariés), plus qu’en Francesemble-t-il. 90% des entre-prises ont externalisé leur re-crutement comme la paie etles « Comp & Ben ». Il fautsavoir qu’une fiche de paieaustralienne est si simplifiéequ’il suffit d’une demi-pageA4 et que les impôts sont retenus à lasource. Le recrutement est une affaire devente, pas de ressources humaines. Desrecruteurs commencent à proposer desservices RH mais ont du mal à s’imposer.Depuis deux ans, l’immigration est facilitéeaux personnes correspondant à la listedes métiers les plus demandés (« occupa-tion in demand » sur www.immi.gov. au).Cette immigration choisie de personnesqualifiées représente 70% de l’immigrationtotale. A noter que les candidats n’ont pasà y inscrire leur âge, leur sexe ou à joindreune photo sur leur CV.

Vie privée / vie professionnelleC’est « le » thème actuellement à la modeen Australie. Une enquête récente a mon-tré que les Australiens ne prenaient pas latotalité de leurs vacances. S’en sont suivisun débat et une campagne de publicitépour pousser les salariés à profiter de leurs

vacances. 36 jours de congés payés encomptant les jours fériés auxquels vien-nent s’ajouter 7 jours de « sickies », joursque l’on peut déclarer à son patron com-me étant « malade » sans justificatif médi-cal. Pas de surprise : ces jours sont surtoutpris le lundi ou les lendemain d’événe-ments sportifs nationaux !

GPECSi, en France, cette démarche est utiliséecomme méthode anti-chômage, elle estutilisée en Australie comme un moyen delutter plus efficacement dans « la guerredes talents ». Sur un marché de l’emploide plus en plus tendu, cette démarcheprévisionnelle permet de développer sonréservoir de talents internes avant de de-

voir recruter (et payer un recruteur interne).La GPEC est considérée comme la pre-mière étape du « talent management »dont l’objectif est de prévoir, acquérir, inté-grer, développer et fidéliser les salariés detalents. Effet de mode ou pas, de plus enplus de RHM (Human Resources Mana-gers) deviennent TM (Talent Managers).

EngagementLa performance seule ne suffit pas. Unautre mot à la mode depuis fin 2005 : en-gagement. Est-ce que vos salariés sontréellement à ce qu’il font, alignés avec vosobjectifs et intéressés par leur emploi oufont-ils du présentéisme ? De nombreuxoutils de mesure de l’engagement se sontdéveloppés et permettent aux entreprisesde nourrir leur démarche de GPEC enayant une approximation du nombre dedéparts auxquels elles doivent s’attendre.Cette réflexion sur l’engagement va plus

loin en cherchant à comprendre les diffé-rences d’engagement en fonction de laculture, de l’ethnie et des valeurs. L’enjeuest de gérer le changement des organisa-tions en maintenant le lien entre salariés etorganisation.

Outils de mesure RHComme en France, les DRH cherchent àrendre incontestable leur apport aux résul-tats de leur organisation. L’enjeu est doncde mettre en place des indicateurs de me-sure de résultats qui soient chiffrés et puis-sent être valorisés par les dirigeants.Il existe globalement trois sortes d’indica-teurs : les KPI’s historiques (donnant l’étatde santé de l’entreprise, tels que les ta-bleaux de bords sociaux, le taux de turn-

over et les raisons pour les-quelles les salariés sontpartis), le temps réel (photo àun temps T permettant d’évi-ter les dérives telles que lesoutils de suivi des recrute-ments ou les enquêtes de sa-tisfaction) et prévisionnel (in-dicateurs de besoins commeles outils de GPEC).En Australie, tout comme enFrance, les professionnelsRH ne savent pas toujoursquoi mesurer ni ce qui est leplus significatif pour leur hié-rarchie. Si l’offre d’outils deSIRH en anglais est incroya-blement large, leur mise enplace dans les entreprises(notamment les plus petites)se fait encore attendre.

« Talent attraction »Talent ! La première préoccupation desprofessionnels RH en 2006 se confirme en2007. Derrière les modes, les ressourceshumaines occupent une situation clé. Le« talent manager » endure la pression desdemandes de recrutement de son entre-prise et devient un partenaire stratégiqueincontournable, place que les DRH fran-çais atteignent difficilement avec la GPEC. Si l’on considère qu’une situation « à l’aus-tralienne » est un scénario possible pour laFrance, dans quelques années, l’Australieen est peut-être déjà à l’étape suivante :non plus celle de la diversité mais de lamixité, non plus celle de la GPEC réservéeau service RH mais de l’intégration de ladémarche à l’ensemble de l’organisation.Une chose demeure pourtant : « Faire plusavec moins ». Si tous les DRH du mondese donnaient la main… ■

1 www.generationy20.com

En Australie, les challenges que doivent franchir les RH sont essentiellement liés à la gestion des talents

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