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1 Histoire de l'état civil des Algériens Patronymie et Acculturation Dr/ Karim OULD-ENNEBIA Maître de Conférence-Institut d’Histoire- U.D.L- Sidi-Bel-Abbès Comment cité cet article - OULDENNEBIA (K) : « Histoire de L’état civil des Algériens Patronymie et Acculturation », In revue Maghrébine des études Historiques et Sociales /édité par le Labo Algérie moderne et cont ,UDL Sidi- Bel-Abbès, n°01/ Sept 200 9,pp 05 24. ----------------------------------- Chaque Algérien d’aujourd’hui a héritait à la naissance d’un nom, d’un prénom(s), d’une nationalité et presque toujours d’une filiation, qui constituent les éléments de notre identité personnelle, notre « état civil » national. Ils sont dans toutes nos archives ou même dans nos poches. Mais quelle est leur histoire ? L’un des fils rouges de cet article concerne l’évolution des noms patronymiques, dans le temps et dans l’espace social, les noms des ses « Algériens », noms inscrits sur autant de papiers, personnels ou familiaux, plus ou moins officiels qui, expriment les multiples facettes de notre Mémoire, notre Histoire « et surtout notre personnalité » 1 . Les auteurs des contributions, ethnologues pour la plupart sociologues et quelques rares Historiens, se sont attachés à analyser les évènements et situations particulières qui mettent en jeu des usages diversifiés de l’état civil en particulier le cas du changement d’état colonial en état national. En effet l’existence de l’administration coloniale appela et imposa une image de l’administré colonisé. Elle a suggéré par là que la «déficience de l’indigène fils historique du barbare » appelle «sa protection». Donc la fameuse notion de mission civilisatrice. C’est sans doute à cause de cette notion qu’on insista sur le face a face colonisé-colonisateur, un débat toujours d’actualité. Donner aux colonisés une identité officielle est une version de la mission et de la politique assimilatrice de l’Etat colonial. Face à une modernisation exogène, agressive et triomphante, la société algérienne s’est accrochée à la tradition. Problème bien connu de la socio anthropologie, l’irruption de la modernité coloniale pousse à la défensive la société dominée. Même si l'état civil était et demeurera un facteur de modernité qui consacre l'«emprise du national sur le nominal».Mais son application s’est faite par une véritable violence symbolique de la nomination patronymique. La carence la plus grave subie par l’Algérien dans une commune coloniale puisque c’est de la mairie qu’il s’agit ; est d’être placé hors de l’histoire et hors de la cité. Le colonialisme lui supprima toute part libre, toute décision qui contribue au destin de son pays et au sien, toute responsabilité historique et sociale. Le pouvoir colonial lui dénia le droit le plus précieux reconnu à la majorité des hommes : la liberté de choisir un nom. 1- Genèse de L'état-civil. Dans les mots « état civil », le mot « état » (avec une minuscule) est un synonyme de l'identité, que l'on appelle aussi en droit l'état des personnes. Le mot « civil » signifie « dans la société », tout comme le droit civil est le droit des relations entre individus vivant en société. Ce mot est ici imbriqué avec notre religion musulmane, de même qu'on distingue le mariage civil (à la mairie) du mariage religieux (Fetha). L'identité donc, est ce qui fait que chacun est unique, ce qui différencie les personnes les unes des autres. L'identité n'est pas seulement l'affaire de la personne, mais celle de la société. Dans de nombreux cas, on doit savoir avec certitude à qui l'on s'adresse : c'est pourquoi l'administration publique délivre des titres d’identité (carte, extraits et autres). Il s'agit essentiellement du Nom de famille (Nekwa), du ou des prénoms, de la date et du lieu de naissance. Pour que le titre d'identité puisse jouer son rôle de preuve, y figurent aussi une photographie, l'adresse et la mention de traits physiques (la taille, par exemple).Les titres d'identité reprennent seulement les composantes de l'identité qu'il est indispensable de connaître. Normalement les autres aspects de la personnalité de chacun font partie de sa vie privée. (Même si certains droits sont différents selon la nationalité). L'état civil est un service de l’administration locale, c’est la mairie qui fut chargée d'enregistrer les naissances et les décès, les mariages et les divorces. Les documents d'état civil servent ensuite de preuve principale qu'une personne existe et qu'elle a bien telle identité. Ils sont si importants que, pour les faire modifier, par exemple si une erreur y a été repérée, il faut un jugement d'un tribunal. L'Histoire de l'état civil dans la plupart des pays de l'Europe de l’Ouest, trouve ses racines dans les pratiques de l’Eglise Catholique. Bien quen France il n'a été véritablement institué que le 20 Septembre 1792.L'acte de naissance de l'état civil proprement dit viens de ses registres qui devenus ensuite les « NMD » (Naissances, Mariages et Décès) Avec une normalisation de leur rédaction, ses registres étaient tenus par

Histoire de l'état civil des Algériens Patronymie et Acculturation Par : Karim ouldennebia

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Page 1: Histoire de l'état civil des Algériens Patronymie et Acculturation Par : Karim ouldennebia

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Histoire de l'état civil des Algériens

Patronymie et Acculturation

Dr/ Karim OULD-ENNEBIA –Maître de Conférence-Institut d’Histoire- U.D.L- Sidi-Bel-Abbès

Comment cité cet article - OULDENNEBIA (K) : « Histoire de L’état civil des Algériens – Patronymie et

Acculturation », In revue Maghrébine des études Historiques et Sociales /édité par le Labo Algérie moderne et cont,UDL Sidi-

Bel-Abbès, n°01/ Sept 200 9 ,pp 05 – 24.

----------------------------------- Chaque Algérien d’aujourd’hui a héritait à la naissance d’un nom, d’un prénom(s), d’une

nationalité et presque toujours d’une filiation, qui constituent les éléments de notre identité personnelle,

notre « état civil » national. Ils sont dans toutes nos archives ou même dans nos poches. Mais quelle est leur

histoire ? L’un des fils rouges de cet article concerne l’évolution des noms patronymiques, dans le temps

et dans l’espace social, les noms des ses « Algériens », noms inscrits sur autant de papiers, personnels ou

familiaux, plus ou moins officiels qui, expriment les multiples facettes de notre Mémoire, notre Histoire « et

surtout notre personnalité »1.

Les auteurs des contributions, ethnologues pour la plupart sociologues et quelques rares

Historiens, se sont attachés à analyser les évènements et situations particulières qui mettent en jeu des

usages diversifiés de l’état civil en particulier le cas du changement d’état colonial en état national.

En effet l’existence de l’administration coloniale appela et imposa une image de l’administré

colonisé. Elle a suggéré par là que la «déficience de l’indigène fils historique du barbare » appelle «sa

protection». Donc la fameuse notion de mission civilisatrice. C’est sans doute à cause de cette notion qu’on

insista sur le face a face colonisé-colonisateur, un débat toujours d’actualité. Donner aux colonisés une

identité officielle est une version de la mission et de la politique assimilatrice de l’Etat colonial.

Face à une modernisation exogène, agressive et triomphante, la société algérienne s’est accrochée à

la tradition. Problème bien connu de la socio anthropologie, l’irruption de la modernité coloniale pousse à la

défensive la société dominée. Même si l'état civil était et demeurera un facteur de modernité qui consacre

l'«emprise du national sur le nominal».Mais son application s’est faite par une véritable violence

symbolique de la nomination patronymique.

La carence la plus grave subie par l’Algérien dans une commune coloniale puisque c’est de la

mairie qu’il s’agit ; est d’être placé hors de l’histoire et hors de la cité. Le colonialisme lui supprima toute

part libre, toute décision qui contribue au destin de son pays et au sien, toute responsabilité historique et

sociale. Le pouvoir colonial lui dénia le droit le plus précieux reconnu à la majorité des hommes : la liberté

de choisir un nom.

1- Genèse de L'état-civil.

Dans les mots « état civil », le mot « état » (avec une minuscule) est un synonyme de l'identité, que

l'on appelle aussi en droit l'état des personnes. Le mot « civil » signifie « dans la société », tout comme le

droit civil est le droit des relations entre individus vivant en société. Ce mot est ici imbriqué avec notre

religion musulmane, de même qu'on distingue le mariage civil (à la mairie) du mariage religieux (Fetha).

L'identité donc, est ce qui fait que chacun est unique, ce qui différencie les personnes les unes des

autres. L'identité n'est pas seulement l'affaire de la personne, mais celle de la société. Dans de nombreux

cas, on doit savoir avec certitude à qui l'on s'adresse : c'est pourquoi l'administration publique délivre des

titres d’identité (carte, extraits et autres). Il s'agit essentiellement du Nom de famille (Nekwa), du ou des

prénoms, de la date et du lieu de naissance. Pour que le titre d'identité puisse jouer son rôle de preuve, y

figurent aussi une photographie, l'adresse et la mention de traits physiques (la taille, par exemple).Les titres

d'identité reprennent seulement les composantes de l'identité qu'il est indispensable de connaître.

Normalement les autres aspects de la personnalité de chacun font partie de sa vie privée. (Même si certains

droits sont différents selon la nationalité).

L'état civil est un service de l’administration locale, c’est la mairie qui fut chargée d'enregistrer les

naissances et les décès, les mariages et les divorces. Les documents d'état civil servent ensuite de preuve

principale qu'une personne existe et qu'elle a bien telle identité. Ils sont si importants que, pour les faire

modifier, par exemple si une erreur y a été repérée, il faut un jugement d'un tribunal.

L'Histoire de l'état civil dans la plupart des pays de l'Europe de l’Ouest, trouve ses racines dans les pratiques

de l’Eglise Catholique. Bien qu’en France il n'a été véritablement institué que le 20 Septembre 1792.L'acte

de naissance de l'état civil proprement dit viens de ses registres qui devenus ensuite les « NMD »

(Naissances, Mariages et Décès) Avec une normalisation de leur rédaction, ses registres étaient tenus par

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commune et c'est la mairie (la municipalité) qui en était responsable en tant qu'« officier de l'état civil ».

L'état civil était alors lié à la « citoyenneté ». Il faut noter aussi que les débats en ce temps considéraient

qu'il fallait transférer cette responsabilité aux juges de paix, aux notaires, aux instituteurs ; Eh bien oui,

pourquoi pas ? Finalement, le législateur en France seulement, il faut le noter donne la responsabilité

d'établir l'acte d'état civil aux maires. L'état civil se perfectionna dans ce pays expansionniste et

colonisateur en 1897 ensuite pour les Européens d’Algérie avec le report en marge (mention marginale) de

l'acte de naissance des conditions du mariage ou divorce puis en 1922 avec l'introduction de la date et du

lieu de naissance des parents dans les actes de naissance des enfants en France et, depuis 1945, les dates et

lieux de décès et autres modifications de l'état civil sont retranscrits en tant que mention marginale de l'acte

de naissance. Le divorce quand a lui a était instauré le 30 Août 1792 en France. La France détient le record

mondial en matière de diversité patronymique, avec plus d'un 1,2 million de noms de famille différents

recensés selon les statistiques des archives nationales à Paris.

En Suisse, l’état civil fut créé en 1874 ; L’Angleterre bien avant en 1837, L’Italie en 1866,la

Belgique en 1796,La Allemagne en 1875, antérieurement la situation était variable en fonction des

principautés.

En Espagne l’état civil débute en 1870. Les personnes devaient déclarer les naissances et mariages

au "Registro civil" qui dépendait du Ministère de la Justice. A noter que sur les actes de naissance, le nom

des grands parents sont indiqués mais qu'il n'y a pratiquement pas de mentions marginales comme en

France. Les actes de décès indiquent tous les enfants du défunt.

Aux Etats Unis, on parle de «vital Statistics» (statistiques de l'état civil), l'enregistrement des

naissances et des décès était souvent confié aux autorités sanitaires qui enregistraient aussi les mariages. Au

Danemark, le clergé luthérien était chargé de la tenue des registres d'état civil de tous, luthériens ou pas.

Pendant longtemps, il en était de même dans toute la Scandinavie. En Suède, la tâche a était confié

dernièrement à l'administration fiscale, pour des raisons pratiques parait-il, cette administration disposant

depuis longtemps d'un fichier contenant des données essentielles pour tous les habitants.

En Afrique par contre, là ou il y’avait une administration, une grande partie des archives de l'état

civil ont été détruites par les exactions des guerres civiles émaillant l’histoire Africaine depuis la

décolonisation. De plus, en raison du manque d'information de la population, le phénomène des naissances

non déclarées va en s'aggravant. Cette situation constitue un réel frein au développement et favorise la

violation des droits de l’homme. Une personne spoliée de ses biens, ne peut pas porter plainte parce que,

faute de carte d’identité, elle n’a aucune existence officielle. L'absence de papiers empêche l'accès aux

droits sociaux, elle favorise par contre le travail forcé. Il est également important de noter que la majorité

des agents du service de l’état civil ne sont ni compétents, ni rémunérés.

C’est avec le livret de famille que l'orthographe du nom de famille prend sens et se fige .La

grande majorité des patronymes ont donc le même âge. Concernant le livret de famille qui est un document

officiel délivré dans plusieurs pays, et consistant en un recueil d'extraits d'actes d’état civil relatifs à une

famille. Il a été institué en 1877, du moins à Paris. En effet, à la suite de l'incendie de l'Hôtel de Ville et du

Palais de Justice de Paris lors de la Commune en 1871 de nombreux parisiens ont perdu tout moyen de

prouver leur Etat-civil. Pour éviter que ceci ne se reproduise, on décide d'instituer un "Etat-civil portatif", le

livret de famille. C’est donc la troisième république qui imposa officiellement le livret de famille par la

fameuse loi du 4 avril 1884 (mentionnant tout les événements majeurs intervenant dans la famille), il se

généralisa en France et puis en Algérie. En France il est appelé « livret unique » depuis le 1 juillet 2006.

C’est le nouveau livret de famille .La nouveauté c’est qu’il doit obligatoirement comporter les extraits

d'actes de naissance de tous les enfants d'un même père et d'une même mère ; en revanche les enfants issus

d'une autre union de l'homme ou de la femme n'ont pas à y figurer : par exemple, une femme qui a eu trois

enfants avec trois hommes différents aura trois livrets de famille.

En Belgique il est appelé «carnet de mariage », En Suisse le livret de famille a été remplacé, depuis

2005, par le « certificat de famille ». En Allemagne, le livret de famille est tout simplement un classeur.

Chose bizarre, le livret délivrés en Alsace (France), contient cependant une page blanche supplémentaire,

sur laquelle l’autorité du culte peut porter des mentions (notamment sur le mariage religieux).Il faut ajouter

que les formulaires utilisés pour le carnet de mariage en Belgique portent une formule latine

« Contraxerunt matrimonium in Parochia ... »!

Il faut noter qu’en France, une loi qui date de 1993 permet d'inscrire sur les registres d'état civil

même les « enfants sans vie », lorsque l'enfant est décédé avant la déclaration de naissance2.Un arrêté de

2005 a aussi inclut l'inscription au Fichier des personnes recherchées (FPR) des personnes découvertes sans

identité d'état civil : cadavre non identifié, amnésique, nouveau-né. Ainsi la mise en place progressive des

passeports3 biométriques depuis le 4 mai 2008,soulève des difficultés d'état civil, car, outre des

préoccupations liées aux libertés publiques, son obtention requiert une copie intégrale de l'acte de naissance,

ce qui pose un problème délicat pour les personnes adoptées sans le savoir ou les personnes nées sous X .

Le ministre de la Justice, garde des Sceaux en Algérie, lors de la séance plénière de l'APN

consacrée aux questions orales, cité par l'APS, a indiqué que plus de 3.700 noms patronymiques ont été

changés à ce jour, conformément aux dispositions juridiques en vigueur. En réponse à la question d'un

député, Mr le ministre a précisé que depuis 2006 seulement, onze décrets présidentiels comportant 1.243

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nouveaux noms de famille ont été signés et publiés dans des journaux. Il a ajouté que 17 décrets

présidentiels comportant 1.930 nouveaux noms de famille sont actuellement prêts et seront soumis au

président de la République pour signature.

Mr Le ministre a également affirmé qu'il n'y avait pas de lenteur au niveau du ministère de la

Justice concernant les demandes de changement de noms de famille, rappelant que la loi autorise cela à

ceux qui portent des noms «abjects et gênants». Il a ensuite insisté sur les procédures pour le changement de

nom patronymique, il a souligné le caractère obligatoire de l'enquête approfondie qui doit être faite avant

l'acceptation de la demande de changement de nom, car «l'expérience a démontré que certaines personnes,

après avoir changé leurs noms patronymiques, ont adhéré à des groupes terroristes et échappé aux services

de sécurité»4. «Beaucoup de gens échappent aux décisions de justice en raison du changement de leurs

noms de famille, d'autres veulent changer leurs noms par rapport au casier judiciaire», a ajouté le ministre.

Ce dernier a souligné le rejet du changement du nom de famille pour les familles qui «ont suivi une voie

non honorable lors de la révolution de Novembre». Il a enfin précisé que celui qui veut changer son nom

patronymique doit présenter une procuration attestant de l'accord de tous les membres de la famille, car le

cas contraire entraînerait de «graves problèmes».

Le nom pour nous est d'abord collectif, n'est pas le signe d'un Je mais d'un Nous. Ce n'est pas le

nom parental, c'est le nom conquis. « Peu importe que je m'appelle X ou Glissant : l'important est que je ne

subisse pas mon nom, que je l'assume avec et dans ma communauté »5disait un anti-esclavagiste averti dans

sa critique littéraire avertie.

2 – Nekwa carte mère de l'état Civil Algérien.

En effet, NEKWA est un mot amazigh qui signifie pièce d'identité. Il parait que « N » libyque,

atteste le vocabulaire de l'anneau, ou l’empreinte. Le mot nekwa se scinde donc avec le sceau en forme d'arc

ou très probablement en forme d'anneau. Il atteste l'identité de la personne, de sa famille, de son clan, de

son pays... C'est un signe d'authenticité, d'identification, signe particulier de distinction.

En Algérie, l’Administration coloniale causa des dégâts considérables, non seulement en

transformant les nomenclatures des régions et Toponymies des villes et des villages, mais surtout en

établissant avec une violence bureaucratique très rare un état-civil « étranger ». Il faut rappeler que

l’instauration de l’état-civil en Algérie est relativement ancienne en comparaison avec les pays voisins, la

Tunisie [ le décret beylical du 30 juin 1925] et le Maroc [le dahir du 8 mars 1950] puisqu’elle remonte à la

loi du 23 mars 1882.

L’état-civil, tel que voulu par l’Administration coloniale, reproduisait exactement l’état civil

français. Son objectif était clair ; individualiser les personnes pour pouvoir les dominer facilement et les

responsabiliser dans le domaine des impôts et la circonscription militaire et autres devoirs d’assujettis. Le

mépris des l’Autochtones se manifesta dès le premier contact colonisateur-colonisé.

L’état colonial en Algérie a décidé de l’établissement d’un état civil pour les Algérien avec la

promulgation de la loi du 23 mars 1882. Cette mesure s’inscrivait dans la logique de la politique

d’assimilation très chère aux législateurs français. Mais derrière cet acte officiel de nomination, il y avait un

véritable processus d’individualisation qui introduisait un nouvel ordre socioculturel dans lequel était mise

en avant la « personnalité » avant la communauté6.Les Historiens Kaddache,Ageron,Harbi,Addi,Stora …et

autres l’ont bien compris ,ce dernier écrivait évoquant la résistance : « Ces tribus ne constituent pas des

unités homogènes de parents, membres égaux descendant d'un ancêtre commun. Tout au contraire, elles se

composaient généralement de fractions d'origine et de statut social différents, regroupées en raison de leurs

siens avec le lignage principal de la faction dominante. [...] Les Français proposèrent d'abolir les droits à la

terre résultant de l'affiliation tribale non seulement comme un moyen d'instituer la propriété privée de la

terre, mais aussi comme un moyen de détruire le pouvoir indépendant des grands lignages »7.

Pourtant cette « ligne assimilationniste » avait été demandée bien avant cette date. Mais une rude et

imprévu résistance s’opposer à son application, ce qui explique plusieurs tentatives infructueuses de l’état

colonial dans notre pays, en 1838, 1848, 1854 et 1873 .Pour apprécier ces difficultés ; il faudrait rappeler

peut être quelques faits simples et quelques données antérieures.

Les premières tentatives d’installer un service de l’état civil ont vu le jour à Alger en 1838 et

1848, puisque déjà le premier Code pénal colonial en Algérie prévoyait les mêmes peines qu’en France

pour non déclaration des naissances – ceci pour les Autochtones directement administrés par l’autorité

française dans les quelques villes Algériennes. L’article 346 du code civil8 de 1848, punissait toute

personne refusant d’inscrire son nouveau né à l’état civil de sa commune. A l’instar de ce qui se passait en

France9. Ensuite il y’eut la loi du 20 juillet 1848 qui insista sur l’obligation de déclarer toute naissance en

temps opportun. L’Administration coloniale essaya le 8 août 1854 d’imposer en territoire civil par décrets la

constatation de l’état civil10. Les premières tentatives d’instaurer un service d’état civil, dans la ville

d’Alger, furent donc un échec. Il est sans doute important de rappeler que la législation coloniale en Algérie

concernant l'état-civil en plus de Loi du 23 mars 1882, la France a aussi promulguée les Lois du 2 avril I930

et loi 57-777 du 11 juillet I957.

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Ainsi le pouvoir colonial remit la première tâche aux Bureaux arabes départementaux et aux caïds

de Douars. Mais ces derniers assoiffés de pouvoir obliger les pères à des déclarations sur leur famille,

souvent par chantage et ingratitude et la mesure ne toucha guère que les rares citadins des environs d’Alger.

Il est vrai que pour les Algériens des douars cette mesure était douteuse, d’abord pour eux ; cette

pondération était comme une violation des secrets de famille, mais aussi une tentative d’enlèvement

d’enfants musulmans dont on prenait les noms pour les transporter plus tard en France. Ils avaient

représenté enfin cette mesure « d’inutile » concernant la déclaration du nombre des filles de chaque

famille ! D’ailleurs la stratégie des Bureaux arabes se reposer sur les Caïds choisis et nommés, mais qui

donnaient des déclarations de naissance tout à fait «inexactes ». Les rumeurs propagées dans les fractions de

tribus par les Meddahs et autres Berrahs, avaient rendu l’administration coloniale impuissante et donnèrent

lieu à de telles résistances11 qu’on n’insista pas.

Je pense qu’il est important de noter que la majorité des états signalétiques des Caïds que j’ai pus

relever du dépôt d’archives d’Aix en Provence étaient des « analphabètes ». On peut se demander pourquoi

donc le pouvoir colonial des bureaux arabes insista tant sur la tenu du ledit registre dans chaque douars ?

Pourtant le fait d’installer un khodja (secrétaire) à coté de chaque Caïd démontre que le plus important

n’était pas la rédaction du nombre des naissances sur un registre mais plutôt collecter les impôts avec

autorité et d’une façon impérative.

Cependant la nécessité de statuer sur le cas épineux de l’état civil des Algériens apparaissait de

plus en plus comme une nécessité très urgente et assez pressante. La pression venait surtout de la part des

colons très presser de conclure des actes de vente notariales avec les « naïfs » habitants de douars, puisque

la loi qui encouragée la colonisation « privé » cette fois, exigée un patronyme des deux signataires.

Etablir un état civil pour les Algériens était devenu abruptement un cheval de bataille de toutes les

chambres de commerces, d’agriculture et Conseils généraux. Le pouvoir colonial, selon l’Historien Agéron

voulait d’abord rendre obligatoire le mariage devant le cadi et astreindre celui-ci à envoyer au président de

la djemââ du Douar un extrait de tout acte de mariage, mais les colons pensaient différemment. Il faut aussi noter que le gouverneur général Chanzy redoutait la mesure de la circulaire de 1875

sur les mariages à déclarer obligatoirement devant le cadi, puisqu’elle avait causé une vive émotion dans la

province d’Oran12. Et ce n’est que vers la fin de règne du pouvoir du sabre dans le territoire civil, que

l’administration militaire des fameux bureaux arabes eut la main forcée : elle décida donc d’imposer aux

caïds dans le système caïdat la tenue de registres de naissances et de décès imprimés en arabe en 1867.13

Cependant, je pense qu’il est important de signaler dans cet article que l’arrêté qui institua les

communes mixtes du nord de l’Algérie datant du 20 mai 1868 : où les quelques Historiens on voulu à tort-le

voir comme le précurseur de la création du système de l’état civil des Algériens. Pourtant cet arrêté

chargeait seulement le secrétaire de la djemââ de la tenue des registres d’état civil, aux lieux et places du

caïd ; ils n’étaient toujours pas question alors de nom patronymique, ni d’enregistrement des mariages ou

divorces.

Les Algériens, on le sait, n’avaient pratiquement pas de noms patronymiques. On disait

généralement, Ahmed fils de Kaddour, puis Abbes, fils de Ahmed, puis Abdelkader fils de Abbes et ainsi à

la troisième génération le nom du grand-père (c'est-à-dire Kaddour) avait disparu sauf dans les familles où

le petit-fils reprenait le nom de son seul aïeul pour le perpétuer.

Le nom (El-Ism), il faut bien le noter : je veux dire le prénom en Arabe était donné à l’enfant le

septième jour (Essa-baâ), souvent celui d’un marabout local ou d’un quelconque événement. La grande

majorité des « Algériens » se désignait jusque-là par leur seul prénom. Prénom qui fonctionnait comme un

nom individuel, non transmissible, donc différent d’un nom de famille ou d’un patronyme. Les noms

complets des Algériens se composaient généralement de cinq éléments que voici :

1°-La désignation honorifique (Hadj,Sidi, Si…en abrégé,selon le nom Hadja et Lala pour les

femmes en Oranie en Kabylie et autres aussi).Il faut rappeler que le nom « arabe classique » étaient

composé en cinq parties, dont l'ordre n'est pas systématiquement conservé, et dont certaines peuvent être

omises. Le surnom (Kun’ya) C’est (père de) : l'expression Abû Ali,est le nom du fils aîné, mais cela peut

être un surnom. Pour une femme cela prend la forme Oumm- Ahmed. Le nom (El-Ism) simple ou composé,

le nom "proprement dit" qui est devenu le prénom dans l’état civil des Algériens qui le confonde assez

souvent avec El-laqab. Le nom honorifique (Laqab): en général c'est un adjectif ou une expression plutôt

flatteuse. Attribué durant la vie d’une personne pour ses actions, il vient compléter le nom proprement dit.

La filiation fils de (Naceb) : sous la forme « fils de felan, fils de foulen,etc.».L’origine en général le nom de

la ville ou du pays d’origine.

2°-Pour le prénom de l’individu ; la tradition exigée parfois le prénom de Mohamed, nom du

Prophète (Q.S.D.S.E) pour le fils aîné. Mais les variations de Mohamed pour un agent de l’administration

coloniale peu scrupuleux, étaient autant de complications inutiles.

Il est important de préciser que les variantes de prénom Mohammed sont multiples Ahmed, nom du

Prophète dans les cieux-Belkâcem ,nom du Prophète au Paradis-Mokhtar,Tahar,Mahmoud,H’mida,Hamou

(Oran),Hami (Tlemcen),Hamouda (L’Est Algérien),Mohand,Hamadi,Hamidouche (Kabylie),il est vrai que

le prénom a un lien avec la connotation locale de chaque région ,ce qui explique le prénom de Mamadou en

Afrique noire. Le prénom de l’individu peut aussi être celui des autres prophètes :

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Brahim,Moussa,Aissâ,Yahia,Yaâgoub,Youcef ,Zakaria. Il faut noter que la religion Musulmane conseille

aussi aux Algériens de donner à leurs enfants mâles des noms composés avec les attributs de Dieu, El Adill

= le Juste, El Qâdir = le puissant,Er Rah’mân = le clément…On place généralement devant ces qualificatifs

le nom de Abd, serviteur de .On trouve aussi des noms composés en l’honneur de la religion : Ed-Dîn ex.

Noor-ed-dîn, Shm’s-ed-din, Salah-ed-dîn ;Kheir-ed-dîn. Beaucoup d’Algériens choisissaient le nom du

mois courant ,Chaabane,Rabi(a) ,Ramdhân,l’Aid (a),Achour (ia). Les noms de personnes, chez les Berbères

eux–mêmes, étaient généralement arabes, ce qui n’a rien de surprenant.

Pour les filles, on prenais d’abord les noms des femmes de la famille du Prophète :

Aicha,Khadidja, Fâtima,Amina…ou des noms d’objets symboliques de beauté et vertu ; Zahra,Fatiha,

Malika,etc…On peu donc constater facilement que le nombre des prénoms Arabes possibles était assez

limité,si ce n’est l’apport des prénoms Perses,Turcs mais aussi Berbères. On a trouvé dans le archives de

l’administration locale en Algérie des listes de transcription en français14 de noms arabes qui sans doute

avaient été préparées dans les années 1860-1865 ,c'est-à-dire l’époque du projet colonial du royaume

Arabe; environ 1.280 noms et prénoms15. On pourrait penser qu’ils été préparer pour faire croire aux

auxiliaires de l’administration coloniale locale, Caïds et les khoudjas, qu’ils étaient surveillés de très prés !

Les « Algériens » furent donc personnellement tenus de choisir un nom, dans la lignée paternelle

(père, oncle...), le refus d’obtempérer ou le fait de s’abstenir entraînant la « collation » de Sans nom

patronymique (SNP) au prénom usuel de l’« indigène » (exemple : Abbés SNP). Fort heureusement,

l’ordonnance 75-58 du 26 septembre 1975 portant code civil considère le nom et les prénoms comme un

attribut de la personnalité identifiant la personne. Cette ordonnance a permis la nomination des personnes

qui étaient dépourvues de nom et identifiées sous « SNP » (sans nom patronymique). Depuis la publication

de cette loi, les dépositaires des registres d’état civil sont tenus de ne pas reproduire ce sigle « SNP », lors

de la délivrance des copies conformes des actes d’état civil16.

3°-Le prénom du père ; Ould Ali. L’emploi du nom du fils aîné Abou (typiquement arabe),

répandu dans le sud-est de l’Algérie, mais moins dans les autres régions.

4°-Quelquefois une désignation familiale dans la noblesse religieuse ou militaire;El-Hachemi ,El-

Alawi, El-Merini, El-Bouzidi, El-Mecherfi, El-Keurti.

5°-L’indication du lieu de naissance (exemple : El kaçentini, El ouahrani : l’oranais) et quelquefois

de la profession ; exemple : Brahim Ben Ali Haddad (forgeron),El-Maleh (le marin).

Pour l’Administration coloniale, ce système qui multipliait les homonymes n’était pas dans le sens

de la raison, enfin il n’était pas cartésiens et était encore aggravé par l’absence de toute pièce d’état-civil :

pas d’actes de naissance, pas d’actes de décès, pas d’actes de mariage ; la notoriété publique (Chouhouds)

suffisait à tout17.Ce qui explique l’obstination de l’occupant à vouloir coute que coute instaurer un état civil

sans le moindre respect pour les traditions et culture locale des Algériens.

3- Lois Foncières et « Nekwa » en Algérie.

Trois grandes lois célèbres marquèrent l’histoire foncière de l’Algérie. D’abord, celle qui a

procédée à la délimitation des tribus par le sénatus-consulte du 22 avril 1863, par lequel les tribus de

l’Algérie été déclarées propriétaires des territoires dont elles avaient la jouissance. C’est à dire les Douars

constitués juste après. La loi de 1873 et enfin la loi du 28 avril 1887. Se définissaient alors les statuts,

catégories de droit qui régissent aujourd’hui les biens fonciers, domaine de l’Etat, bien communaux, biens

collectifs, propriétés privées. Après 1870, les colons ont fait pression pour la privatisation des terres et

l’ouverture du marché foncier.

La loi de 1873 sur la propriété individuelle a causée un problème grave en stipulant dans son dix-

septième article que : chaque titre de propriété contiendra l’adjonction d’un nom de famille aux prénoms et

surnoms sous lesquels est antérieurement connu chaque « Indigène » déclaré propriétaire au cas où il

n’aurait pas de nom fixe. Même sur le plan juridique ceci ne résolvait rien : comment s’appellerait

l’acquéreur ou l’héritier de la terre s’il était dépourvu de nom patronymique ? Donc le nom choisi sera celui

de la parcelle de terre ! Il faut noter que même du point de vue de la religion Islamique, l’homme créer par

le Dieu tout puissant ne peut recevoir le nom d’une terre, c’est indigne à son statut de serviteur de Dieu.

Cette loi est considérée comme la mesure législative la plus grave. Elle à ouvert la voie aux opérations de

cession et de spéculation sur les terres algériennes au profit des Européens. Dans son article premier, la loi

Warnier stipule: « L'établissement et la conservation de la propriété foncière en Algérie ainsi que le

transfert contractuel des biens et droits immobiliers sont soumis à la législation française quels qu'en soient

les propriétaires. En conséquence, tous les droits réels, accords et fondements des décisions basés sur la

législation musulmane ou tribale qui seraient en contradiction avec le droit français sont annulés ».

Cette loi n’a pas trouvée mieux que de faire donner, par le service des Domaines, un nom emprunté

à la qualification d’une terre, c’est dire désignée par une particularité physique en trois catégories :

1 °- La couleur de la terre : El-Hamri,Lahmar,Lazreg ,Lasfar ,Lakhal,Lakhdar,Labiad …

2 °- La végétation :

Boukabouya,Batata, Slatta,Boufoule,Mechti,Zeytoune,Boukarma,Louza,romane …

Page 6: Histoire de l'état civil des Algériens Patronymie et Acculturation Par : Karim ouldennebia

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3°-La configuration du sol;El-Haçi, El-çam,Touil,Ouasti,H’doura,Talaâ,Yabes,Mesattah,Maleh…

En 1874 le Gouvernement général envisagea un « projet redoutable » contraignant tous les

Algériens propriétaires ou non à prendre un nom de famille. Ce projet, devenu projet de décret le 25 janvier

1875, il constitua des registres de l’état civil, afin d’attribuer des noms patronymiques sans attendre les

effets de la loi de 1873. Mais ce réticent projet fut vite oublié, puisqu’il infligeait des pénalités pécuniaires

pour toute infraction et n’indiquait pas le moyen de remédier aux homonymies et les surnoms ou sobriquets.

Plusieurs circulaires prescrivant de généraliser dans les diverses communes la tenue de registres d’état-civil

pour les naissances, les décès, les mariages successifs, et les divorces 18 ont cependant resté sans suite. Et

puis n’aucune n’à régler les problèmes poser aux seuls Algériens par la loi de 1873.

La circulaire de 1876 constatait elle-même « que les Indigènes ne se conformaient pas

complètement à ces décisions, et qu’il y avait des difficultés de résistance ». Des arrêtés instaurèrent alors

des sanctions pénales et l’omission ou le retard de plusieurs jours dans les déclarations de naissance ou de

décès furent considérées comme des infractions spéciales au code de l’indigénat .Mais, même après ces

mesures, l’application ne fut pas sérieuse ni réelle selon même le rapporteur le plus affirmé19.Même les

statistiques du Gouvernement général, ne veulent rien dire ! Le gonflement des chiffres est flagrant et

indiscutable. (Sur 1.100.438 habitants de1876 à 1879 en moyenne 41.131 naissances et 36.209 décès

avaient été déclarés .En 1879 : le chiffre et de 66.481 naissances, 58.671 décès…). Des projets par la suite

prévoyaient d’obliger les Algériens de prendre un nom patronymique en application de la loi de 1873 et de

l’étendre à toute la famille du propriétaire dont loi déposé le 18 mars 1880.Mais sans réussite, ce qui fit

dire à des députés français : « Il faudrait peut être mieux procéder par le régime des décrets ». Il était clair

donc, que la question de l’état civil en Algérie coloniale serait une application longue et difficile et

toujours à la merci du bon vouloir des intéressés.

Mais finalement, les législateurs français se sont mit d’accord pour que les noms déjà donnés en

vertu de la loi de 1873 doivent être maintenues de manière à ne pas frapper de caducité les titres de

propriété. Seulement, là est le problème ! Comment pouvaient ont effacé les lacunes graves déjà commises

en application de la loi de 1873 ?

4- Le processus d’individualisation des Algériens.

La mesure coloniale de l’état civil des Algériens fut déposée le 08 mars, certains esprits avisés

avaient demandé une application progressive de la loi, ils plaidèrent pour une expérience préalable

dans une seule région comme la Kabylie20, mais c’était perdu d’avance puisque leurs amendements

furent rejetés. La loi fut donc promulguée le 23 mars 1882, un signe distinctif d’une volonté toujours

assimilationniste. Les points controverses furent maintenus : carte d'identité obligatoire (article 6),

choix du nom patronymique par le chef de famille ou, à défaut, par le commissaire de 1'état-civil

(article 5) déclaration des mariages et des divorces (article 17)21.

L'application de la loi fut, comme l'avait annoncé les spécialistes de l’Algérie coloniale,

«longue et difficile». Un lourd service avec des commissaires locaux, départementaux et généraux fut

alors mis sur pied pour recenser et vérifier les travaux d'état -civil. En 1886, son application se porta

sur seize douars; à la fin de l'année 523.000 Indigènes seulement avaient été dotes d'un état -civil.

C’est vrai que dans les sociétés urbaines étendues, il n’y a pas d’existence possible sans

patronyme, l’identification devient quasiment une nécessité. Mais là, l’état civil était « national français »,

donc une technique d’identification et surtout une conception de la famille transposées en Algérie et

imposées par la religion catholique sous l’ancien régime et que le pouvoir républicain n’a fait

qu’officialiser. Autrement dit, les « Algériens » devront se trouver une identité officielle fixe conforme à

l’histoire française,

A la fin de la campagne projetée, on mit comme base de départ à l'état matrice de l'état-civil

algérien l'année 1892, devenue l'année de renvoi pour tous les actes antérieurs (les naissances

approximatives de tous les recensés vivants à l'époque des opérations de recensements et d'identifications

furent consignés sur des registres qui ressemblaient, si l'on peut dire, quelque peu à des arbres

généalogiques des concernés). A partir de là, l'administration fit obligation à ses « administrés indigènes »

de déclarer toute les naissances et décès.

Officiellement, les opérations de constitution de l’état-civil durèrent douze ans, de 1882 a

1894; en fait, l’essentiel du travail fut effectué en trois ans de 1890 à 1893 22. Dans les communes

du territoire civil, on avait inscrit au total 3.069.268 dits « Indigènes », pourtant dans le

dénombrement de 1896 bien que peu plausible on a recensait bien plus ! On institua l’état civil certes,

mais il restait à imposer l’usage des nouveaux noms familiaux et les déclarations nouvelles.

Dans la région de Sidi-Bel-Abbès l’Administration coloniale procéda du coté ouest en allant vers

le sud,ce qui explique le début de l’opération par le Douar Telmouni premier douar constitué par le Sénatus

Consult .Il faut dire que les Colons de la région étaient très pressés de conclure des actes notariales avec les

naïfs autochtones dans le contexte de la colonisation privé 23.

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En effet les habitants du douar Tiffilés de la commune mixte de la Mekerra 24 n’avaient plus une

seule parcelle de propriété privée. Ils avaient tout vendu au service des Domaines pour la création du centre

de Tassin à la fin des années quatre-vingt dix du 19 Siècle. Les habitants du douar voisin Tirenat avaient

cédé leurs terres pour l’agrandissement du centre de (Détrit) Sidi- Lahcen. Des opérations identiques furent

pratiqués sur les communaux des douars de Oued–Mebtouh,de Telmouni,Messer, Teliouin,Sidi –Yacoub et

Mehadid , faisant tous partie de la commune mixte de la Mekerra.

Le processus de la collation des noms patronymiques dans le douar Tirenat d’abord puis Messer

ou l’on a divisé la population du douar en plusieurs patronymes avec différentes transcriptions dont les :

Dassi,Daci,Téfiani,Tafiani Bendida,Bendaida…et autres.

La liste de la transcription patronymique est très longue si on associe la seule région de Boukanifis,

ont peut citer entre autres : Les Bouchentouf,Toumi,Benbakreti,Chakroune,Laâdjine, Bakhti…

Par ailleurs, dans la région de Mascara, la collation des noms patronymiques débuta le 23 Février

1890 pour la grande fraction des M’Charefs qui se dispersaient dans un vaste territoire allant de la localité

montagneuse de Fekkan aux plaines d’El-Kart. La grande famille Ouled-Sidi-Youcef El-Mecherfi fut

divisait en plusieurs patronymes dont : les Moulay, Ould- Ennebia,El-keurti,Benmimoune,Mecherfi,Benbia,

Lakhal,Benhalima,Benmansour,Senouci,Habibi,Chentouf,Boudjlal,Chlagham,Guednaoui…

L’administration à transcrit des listes équivalentes à l’arbre généalogique à chaque

Patronyme à partir du n°119. Finalement l'année de renvoi pour tous les actes antérieurs fut 1890 puisque

la collation du patronyme des Ould-Ennebia par exemple,fut transcrit sous l’arbre 119/1343.Il était

représenter avec le report en marge par Habib (recensé vivant) fils de Ahmed (recensé Mort si l'on peut

dire)fils de Adda (Mort aussi et sans pousser plus en arrière, c’est-à-dire Sidi-Youcef); Habib était âgé de

douze ans en 1890.Sa date de naissance approximative fut donc 1878.

En 1891, ce qui devait arriver arriva ! Après presque dix ans d'identification, l’administration

coloniale officialisa la connotation Française dites « simplifié » comme modèle de transcription uniforme.

Le plus grave encore, C’est fait éprouver lorsque l’Administration imposa l’usage des nouveaux noms

familiaux en caractères Arabe au verso de la carte d’identité (Nekwa).La traduction se faisais du

Français à l’Arabe à consonance Française ! Les concernés par les erreurs ne pouvaient s'opposer au

risque de se retrouver taxer de fouteur de troubles. De toute façon, pour les Algériens de cette époque ces

nouveaux noms ne servaient que pour 1'usage administratif.

Ainsi, un immense système anarchique à vue le jour, manifestement, les Concernés, c’est-à-dire les

Algériens ne savaient à quel saint se vouer ! Au début ce « délit d’orgueil de civilisation » n’était pas

flagrant puisque les algériens étaient des « sans papiers ».Seulement, ces opérations de transcriptions

officielles furent consignés sur des registres d’acte matrice encore conservés au service d’état civil

aujourd’hui. A partir de ce registre, l'administration fit obligation aux « administrés » de déclarer mais

surtout d’extraire toute nouvelle situation: naissances et décès un peu plus tard les mariages déclarés. Et

tout contrevenant s'exposait à des sanctions sévères du code de l’indigénat, le « Caïd » de la Commune était

bien sûr le gardien du temple !

En effet, beaucoup d’Algériens ne pouvaient se reconnaître dans cette transcription française

simplifiée de 1891 .Il est claire que dans cette transcription Française tous les caractères sont acceptés.

Voilà donc une ambigüité qui a fait tâche d’huile dans l’Histoire contemporaine de l’Algérie. Pour

comprendre les répercutions de cet événement en Algérie, il est peut être utile de le lié au contexte

Historique de notre pays.

La colonisation de l’Algérie en 1830, impliquait pour les français la constitution d’un savoir

pragmatique de gestion. La science coloniale était avant tout un savoir qui associe des connaissances

juridiques à l’élaboration d’une sociologie de terrain à vocation administrative. D’un côté, l’imaginaire

colonial tendait à identifier les structures rurales et tribales à un modèle proche de l’Europe féodale, de

l’autre, les administrateurs coloniaux inventorièrent et répertorièrent les différentes structures sociales. La

soit disant « science coloniale » s’appuyait évidemment sur l’orientalisme savant. En 1861, De Slane fixait

officiellement, en collaboration avec Ch. Gabeau, la transcription des noms propres utilisés chez la

population dite« indigènes » de l'Algérie. En 1861,Cherbonneau publia au journal asiatique de nouvelles

observations sur le dialecte arabe de l'Algérie . Il publia surtout des manuels spéciaux : des dialogues à

l'usage des fonctionnaires et des employés de l’administration de l'Algérie.

En 1887, paru un ouvrage capital pour la lexicographie des dialectes arabes de l'Afrique du Nord,

le Dictionnaire pratique Arabe-français, autographié, de Marcelin Beaussier. En 1869, le général Daumas,

le père des Bureaux Arabes et auteur de recherches originales publia « la vie arabe et la société

musulmane ». Enfin en 1898,M. Ed. Gasselin a publié, un dictionnaire français-arabe qui est le plus complet

des ouvrages de ce genre.

Dans sa célèbre Chrestomathie arabe, Luis Bresnier donna un exposé succinct des résultats

pratiques livrés à l’appréciation de l’opinion publique occidentale, un mode très simplifié de représentation

de la prononciation et de l’orthographe arabe pour les français. Il faut noter qu’il était membre de la

commission chargée, à paris, par le ministre de la guerre en 1841, d’établir pour l’Algérie un mode

uniforme de reproduction des mots Arabes en caractère français. Son étude a conclut que presque toutes les

lettres arabes ont dans l’alphabet français une représentation identique ou analogue, et dans le cas

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d’impossibilité absolue il accorda la préférence à la « prononciation ». On adopta alors pour la transcription

Française les caractères dont voici quelques exemples : cha,gha,ha,dha…Il faut noter, que ces caractères

n’exister pas dans la langue française.(Ce qui explique les caractères de police nommés « Algérien » dans le

système Office Windows).

Ce qui ma beaucoup intrigué en faisant des recherches ad-hoc sur un sujet qui me tenais à cœur

«Chrestomathie Arabe d’orientalistes Français en Algérie, le cas de Sylvestre De Sacy et Jacques

Bresnier »,en particulier sur la méthode de Bresnier et sa volonté à substituer les caractères de l’alphabet

Français à ceux des Arabes,(édition originale de 1871, même si son ouvrage manque fatalement de

pertinence). C’est le fait qu’il conclut son étude par un mea-culpa en écrivant : « Ce qui veulent apprendre

l’arabe pour le savoir, doivent l’étudier tel qu’il a toujours été, et par conséquent tel qu’il est encore, et

s’abstenir de tous ces moyens factices dont il est presque impossible d’effacer plus tard les mauvaises

influences ». On voit donc bien que le sujet des transcriptions patronymiques appartient toujours aux grands

débats intellectuels de notre temps.

Il faut noter que le but réel de la Chrestomathie arabe de Luis Bresnier était de concilier autant que

possible les faits de la prononciation en gardant les particularités de l’orthographe Arabe. En définitive, peu

importe que les méthodes employées de Bresnier ou même par Silvestre de Sacy soient efficaces ou non :

elles restent faites par l’école coloniale française en Algérie.

5 - Code de l’indigénat et état civil.

La non observation du nom patronymique et les retards dans les déclarations d'état -civil a

était ajouté par la loi du 27 juin 1888 comme infraction à l’indigénat. Le nombre des enfants non

déclarés, spécialement des filles, fut toujours considérable. Les mariages et les divorces après avoir

fait 1'objet de déclarations régulières dans les premières années ne furent bientôt plus portés à la

connaissance des officiers de 1'état-civil.

Une circulaire du 14 novembre 1896 révéla ainsi, à la suite d'une vérification opérée dans

quelques communes témoins, que les naissances échappaient aux déclarations dans des proportions

allant de 1/4 a 3/5. Les décès étaient encore moins régulièrement déclarés : 1 sur 3 ou même 1 sur 2

échappaient a tout contrôle. Quant aux mariages que les Musulmans s'obstinaient comme le

remarquait Burdeau dans son rapport à tenir pour « des actes plus familiaux que publics » les

officiers d'état-civil n’en avaient connaissance qu'a de rares intervalles.

Au cours des trois décennies qui suivirent le vote des lois sur l’état civil en Algérie, «beaucoup

d’« Algériens » furent réfractaires à toutes les formes de recensement et donc ignorèrent les injonctions du

pouvoir colonial quant au caractère obligatoire de la déclaration d’une identité officielle 25.

Ainsi, avec l’usage de prénoms, comme Mohamed,Hamida,Mohand,…On agissait d’une manière

méritoire qui incitait à montrer courageusement son opposition au colonialisme. On faisait voir aussi que

« l’autre » appartenait au monde « occidental» colonisateur.

6 – Le travail de sape des officiers français de l’état civil.

Les officiers de l’état civil connus jusque là par « commissaires », la plupart étaient des ex-

sous-officiers écartés de l’armée. Ils étaient très médiocres, aux jugements de plusieurs hauts

fonctionnaires de l’époque, la plupart des «des missionnaires» dépêchés par l’administration pour cette

tache bien spéciale et urgente. La majorité d’entres eux des individus à peine instruits .Des amateurs

diraient les professionnelles ! Leur travail fut conforme à ce qu'on pouvait attendre de pareils hommes

« un travail bâclé », puisque on pouvait constater que: ces commissaires détenaient la pierre angulaire

du système de l’état civil, c’est-à-dire la transcription sur le registre officiel.

1°- Dans le contenu de la mesure coloniale, les algériens avaient le choix de porter le patronyme

qu'ils désiraient. Cependant, ceci n'était qu'encre sur papier. Les instructions recommandaient aux

premiers commissaires d’état civil de laisser le libre choix de leurs noms patronymiques aux intéressés

et en cas d'abstention ou d’absence, de les prendre toujours parmi les noms de leurs ascendants, ce qui

n’était pas toujours le cas. C’est donc vrai ce que disait les français à nos parents : « L’absent a

toujours tord » ! 2°- Certaines règles d'application se révélèrent vite inapplicables : la suppression de l'indice

de filiation (Ben..., Ould..Ibn...Abou), on ajouta d’autres comme (Bou...,Bel...) .

3°- Le titre de pèlerin (El Hajj) titre que prend tout musulman après le voyage à La Mecque, fut

maintenu on y renonçons dans certaines régions, tandis qu'ailleurs on le maintenait parce qu'il avait été

déjà homologué26.(Hadj-Aϊssa, Hadj-Kaddour, Hadj-Ahmed, Hadj-Brahim...)

4°- Leur méthode de travail procéda douar par douâr, ce qui obligeait à laisser de côte les

membres des familles se rattachant à celles que 1'on recensait. L’aboutissement final était

donc beaucoup d’absents avec plusieurs noms. Des frères de même père et mère se virent attribuer des

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noms totalement différents. Et puis des régions réputées arabophones eurent des patronymes berbérophones

et le contraire pour ceux, qui se virent attribuer des noms d'essence arabe ou turc.

5°- Le choix était pour un prénom et un patronyme dans la lignée paternelle, transmissible à la

seule descendance. Or le prénom était en Algérie souvent le premier élément d’un « nom composé » du type

« Mohamed-Tahar »,ou « Mohamed-Amin »,mais l’officier de l’état civil ne s’embarrassa pas en

enregistrant un seul élément du prénom, selon sa fantaisie, surtout pas Mohamed, pour lui il y’avait trop de

Mohamed.

6°- La collation des noms patronymiques, elle aboutissait entre les mains de commissaires

facétieux, ou peu au courant des choses Musulmanes (Berbères et Arabes), on est arrivé à des résultats

inattendus. L'un d'eux se rendit célèbre avec son inspiration favorisant la dérision, le bizarre et l’ironique

en donnant aux « indigènes » qu'il recensait des noms français d'animaux! (Souri,Chatt,Kannar,

Lamouche…).Beaucoup d'autres, meilleurs arabisants, mais tout aussi racistes multiplièrent les noms

arabes d'animaux (Sebaâ.,Dib,H’mar,Zaouche,Far,Felous,Âtrousse,Fakroune,Chadi.).

Les noms grotesques (Aggoune,Bahloul,)ou injurieux et insultants(Khâmadj Zânî,...)27.Mais

aussi chose bizarre des noms français : ( Gentille,Alfrid,Marcel,Guécier…) !

7°- Certains commissaires d’état-civil prenaient les surnoms (Kounya)qui n’est souvent que

sobriquet,surnom ridicule :Lakjaâ (boiteux),Lagraâ (teigneux),Lahoual (bigle),Laouadj...Aucun

Algérien n'apprécia de se voir imposer ce nom, ni surtout de devoir le transmettre à ses fils. Des noms

ont été donc attribués à la tête du client. Suivant la tête qu'il présentait, l'humeur du recenseur, et même le

milieu où l'action se déroulait !

8°- Choisir son nom patronymique relevait d'une insubordination pour ceux qui se sentaient visés,

donc éviter toute réclamation qui pourrait s'avérer inutile, si elle ne déclenche pas le mécontentement de

l'administration. Bien sûr, il y eut ceux qui firent réclamation, mais ils étaient en nombre très inférieurs et

leur requête se fit en des procès quasi expéditifs. Les frais étaient coûteux, on ne pouvait en assumer les

sommes à payer en contrepartie du dédommagement du service administratif.

L’Administration, écrit Agéron « a noter environ 288 demandes de rectifications entre 1885 a

1894, les délais passes, il fallait s'adresser aux tribunaux et supporter tous les frais ». Dés le début de

l’opération on constatait des écarts d'abord par rapport à la volonté des individus mais qui ne pouvaient

s'opposer au risque de se retrouver taxer de fouteur de troubles, donc passible de poursuites et de sanctions.

Il est à noter, par ailleurs, que dans quelques villes au nord de l’Algérie, les surnoms, noms de

tribus ou toponymes étaient déjà fixés en nom de famille, parfois de longue date, probablement à la suite

d’une perte de réseaux immédiats d’interconnaissance. C’était le cas notamment de Ould-El-Kadi,

Benouada,Ben-Smain,Mokrani,Bendaoud,Bengana et autres.

En bref, avec la création de l’état civil en Algérie, l’usage des noms, prénoms, surnoms et

sobriquets, qui découlaient auparavant de la commodité et de la souplesse de l’oralité, procède maintenant

d’un acte officiel doté de la stabilité de l’écrit et de la fixité prévue par la loi28. L’administration coloniale a

fait donc table rase sur le passé historique et symbolique des modes traditionnels de nomination,

provoquant ainsi une perte de la continuité généalogique, la destruction des repères identitaires

onomastiques des liens généalogiques.

9°-Les noms authentiques continuèrent à exister puisqu’ils restèrent inscrits au verso de la

carte d'identité, en caractères arabes. Ce qui explique que beaucoup d’Algériens ont conservé jusqu'a

nos jours le souvenir de leur véritable dénomination familiale. Les nouveaux noms ne servaient donc

que pour 1'usage administratif. Cela nous rappelle bien évidemment la question de la double identité.

Ces mêmes commissaires enquêteurs avaient distribué à toute une population d’un certain Douar

des patronymes distincts commençant tous par la lettre A et la lettre B pour le douar voisin et le C pour le

troisième ainsi de suite...Sans doute la même méthode employée en groupes taxinomiques dans une

expérience en laboratoire de sciences naturelles pour distingué facilement les « individus » et non les

« personnes » comme dirait Malek Bennabi.

10°- La conséquence la plus inattendue et de loin la plus importante pour beaucoup d’Algériens

était le fait qu’ils ne pouvaient se reconnaître dans la transcription française29 simplifiée de 1891 . Les

transcriptions des noms en langue française sans modèle de transcription uniforme, devaient aboutir à un

système anarchique, où tous les caractères sont acceptés. Un général, le général Parmentier, engagé lui-

même dans l’Etat civil indigène, était indigné par les méthodes employées. Ainsi, il relève au moins trois

orthographes de Cheikh : « Cheϊk, Chaϊk, Chikh », la même constatation est faite consternant un prénom

comme Smain,Ismael,Smail ; Ou encore Yougourta, Youghourta, Yougharta,Jugurta, Jugurtha, Yougorta,

Youghorta ! Il faut noter que la loi dans notre pays enjoint de le faire selon la « consonance arabe »,

surement pour éviter l’anarchie.

L’indépendance n’a pas réglé cette séquelle du colonialisme. Aujourd’hui, il n’est plus question de

se passer de l’Etat-civil, mais les noms algériens, maltraités par les agents de la colonisation et leurs

suppôts, mérite un autre traitement.

Donc, Chiya Ali devint Chiali ou El-Chiali ; Abiad, devint Labiod ;Oueld el-Ennbiya devint

Ouldennebia (en 1892) [ enn ] ne peuvent remplacer [ el-elif wa lem ] ;Bou-el-Abbâs,Belabbas ; El-

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fakounn,(Fakoun) ;El-Arabi (Larabi)...Et la fantaisie des secrétaires de mairie devait transformer bien plus

considérablement encore ces transcriptions 1égales.

La première conséquence de ces lois fut de franciser et de fixer par écrit des noms, des prénoms,

des surnoms ou sobriquets. Beaucoup d’appellations à consonances berbère, arabe ont été en quelque sorte

francisées par traduction, retranscription, suppression ou substitution d’un élément du surnom. 1'ex-

administrateur Sabatier indiqua que, selon lui, « la constitution de 1' état-civil (était) et (devait) être

une œuvre de dénationalisation, 1'intérêt de celle-ci étant de « préparer la fusion ». Son idée était de

franciser plus résolument encore les patronymes indigènes pour favoriser les mariages mixtes , à la

mode à cette époque et qui restaient tolérés par 1'opinion française. Pourtant officiellement il n'y eut que

48 mariages mixtes bénis par 1'église de 1830 à 187230, malgré le mariage mythique et mystique du chef

religieux Algérien Cheikh Muhammad Ibn Mukhtar al Tidjani qui épousa Aurélie Picard en 1870.

Ainsi la fusion de Meriem ben Ali ben Mohammed Moussa serait devenue non plus Meriem

Moussa, mais « Mademoiselle Marie Moussat ».Et youcef ben Mohammed Zakaria serait devenue

« Monsieur Joseph Zakari ».

Le Professeur Yermeche31, a posé avec courage la problématique de la patronymie et de l'état civil

Algérien, Elle a rappelé que, traditionnellement, le système de nomination en Algérie était de mode

essentiellement oral. La chercheuse, a précisée que : « la véritable grande fracture anthroponymique en

Algérie été marquée par la loi du 23 mars 1882, qui a engendré l'institution de «la fonction d'identification

individuelle au détriment de l'identification sociale».Cette loi été marquée par la logique coloniale qui ne

prend pas en compte des paradigmes fondateurs de l'anthroponymie autochtone avec pour conséquence la

redéfinition de l'organisation sociale et l'identité nationale des Algériens.

Ouerdia Yermeche a également mis en exergue le fait que l'état civil Algérien post-indépendance

continue la représentation symbolique de la non-filiation, de la non-généalogie installées par l’état colonial.

Ainsi, c'est «le résultat d'une filiation falsifiée, tronquée de l'héritage culturel et des racines

onomastiques, vecteurs indispensables et nécessaires de l'identité nominative. Il est également marqué du

sceau de l'acculturation par le nom» précisa la chercheuse de l’ENS.

Elle conclut enfin, en soulignant que l'état civil «confère à l'individu le statut de citoyen en lui

reconnaissant une identité officielle. Instaurant ainsi le lien entre l'individu et le pouvoir central qu'est l'État,

en le définissant comme personne civique». Il faut préciser que cette opinion est partagée par de

nombreux chercheurs.

7- Les milles et un problème de l’état civil. Le problème de l’état civil dans notre pays est réel non seulement dans le passé de l’Algérie

comme nous venons de le démontrer jusque là, et dire que pas mal d’anomalies du passé colonial restent

encore non résolus se qui est compréhensible, mais aussi dans le présent ce qui est une coïncidence

troublante. Comment ce service est géré au niveau de nos 1590 communes ?

Ce qui légitime cette interrogation c’est la dangerosité de la situation présente du fait du nombre

extravagant d’erreurs d’orthographes, patronymes et prénoms déformés, registres détériorés et déclarés usés

à force d’utilisation, déprédation en matière de documents pré imprimés, des registres ou livrets de famille

sont retouchés illégalement. Problème de transcription des prénoms aussi. Problèmes de confidentialité des

registres, dans certaines communes n’importe qui peut entrer n’importe quand ! On parle souvent de

problème d’effectif non efficient. Et heureusement que dans notre pays, on organise régulièrement des

élections, ainsi avant chaque élection ou référendum on procède à supprimer les noms de personnes

décédées sur les listes électorales sinon on aurait constatés le pire !

La manipulation abusive des registres, dans certains cas il est peut être trop tard à cause de leur

détérioration très avancée soit pages déchirées ou disparues, soit écritures illisibles et non déchiffrables ,des

fautes graves liées directement à l’utilisation abusive du gommage pourtant gommer une écriture dans un

registre n’est elle pas un délit ? Pourquoi n’y a il pas un manuel orthographique pour la bonne transcription

des noms et prénoms en Algérie ?

Quand on dit « registre » il faut méditer leurs nombre considérable et inouï : Pour les seuls

registres d’actes de naissance ; un total de 1667 registres à Bejaïa en 2005 et de 1611 en 2006 à Sidi bel

abbés sans parler des registres de mariage et de décès, pratiquement tous plus que jamais menacés par la

déperdition.

La rectification nécessite souvent, même pour une voyelle ou un point disparus et au-delà d’un

délai précis, un ordre ou un jugement de justice. A ce titre, en 2005 a Constantine l’on a recensé 1000

erreurs notées dans des documents officiels rien que pour les quatre premiers mois32,le problème persiste en

2007 puisque pas moins de 1200 erreurs sur les documents officiels ont été enregistrées dans la même ville

pour la rectification des erreurs administratives33 (EL-WATAN 2 FEV 2008). Elle Concerne les noms et

prénoms, sur registre ou livret de famille, et leur aggravation au moment des rectifications erronées en

utilisant la gomme ce qui a fait dire à certain, que le métier de « correcteur » d’état civil si le problème

persiste a vraisemblablement encore de beaux jours devant lui ! Entre autre, il a été constaté que même dans

certains exemplaires parfois d’un même registre destiné aux structures judiciaires on ne transmet pas les

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mentions marginales ou autres indications en cas de mariage, divorce et décès sur ces documents officiels.

En plus des erreurs d’écriture de noms et prénoms, engendrant ainsi des problèmes relatifs, notamment, à la

délivrance du certificat de nationalité. Le renouvellement d’anciens registres s’avère donc difficile.

Les instances juridiques de la wilaya d’Oran ont procédé à la modification de 1040 actes de l’état

civil, sur les 1061 établis 34, alors que 1687 demandes de modification d’actes ont été enregistrées depuis le

21 avril 2008. Le tribunal d’Oran a reçu, en trois mois (janvier-mars) ,5720 demandes de modification

concernant différents actes de l’état civil ,3620 de ces demandes pour la seule ville d’Oran. Il est clair que

par ce problème multidimensionnel, on est arrivé à un état de dangerosité aux effets incalculables.

En conclusion, si le système d’identification imposé par la colonisation a certes donné le statut de

« personne » aux indigènes colonisés, il a été, parallèlement, marqué par le souci de la différenciation

ethnique en faisant du colonisé, un « sujet » français d’abord, puis un « français musulman » porteur d’un

nom qui l’« assimile » et le désigne aussitôt comme minoritaire et séparé.

Le système dénominatif en Algérie a connu un processus lié aux événements historiques de

l’espace nord Africain par lequel la société algérienne est entrée en contact avec la culture de l’occupant,

ont peut dire finalement qu’elle la assimilée en partie. C’est donc une acculturation réussit au forceps .Le

patronyme est devenu un support de notre identité Algérienne. C’est un héritage familial inaliénable. Il a

donc aussi permis d'asseoir un Etat Algérien central, structuré et ouvert sur la modernité, plaçant

définitivement l'individu Algérien dans un cadre institutionnel et juridique stable. Par conséquent, cela a

obligé l'Algérien à acquérir de nouveaux réflexes fondés non plus sur la notion de tribu ou plutôt « Khayma

El-Kebira »mais sur celle d'individu et de famille restreinte.

De toute évidence, l’attachement des « Algériens » à leur(s) nom(s) et prénom(s) traduit une

volonté de démarquage poussé par la force des « traditions » et le rejet du système colonial. Cette Histoire

de l’état civil est aussi celle de l’Histoire de la résistance du peuple Algérien en situation de défense. C’est

aussi un symbole de fidélité aux ancêtres du « Bled ».

Il n’est point besoin de souligner ici l’importance de l’état civil. Son importance dans les domaines

de la bonne gouvernance et de la sécurité n’est plus à démontrer. Il constitue un des services les plus

fondamentaux dans un pays au double plan individuel et collectif. Puisqu’il donne également à l’individu la

possibilité d’exercer des droits variés. Il est aussi une source de données statistiques utilisables dans le cadre

de la planification du développement socio-économique dans divers secteurs tels que la santé, l’éducation,

les activités économiques, la recherche démographique, et autres. De fait, le bon fonctionnement de l’état

civil revêt une importance capitale pour les collectivités locales, pour les citoyens qui en sont les usagers,

ainsi que pour l’Etat qui en assure le contrôle.

L’importance et l’urgence de la modernisation de l’état civil a toujours été une préoccupation

majeure pour nos responsables et la réussite de celle-ci passe nécessairement par la mise à la disposition des

agents d’un outil de gestion approprié et performant, mais aussi par une capacitation de ces agents à la

maîtrise des nouvelles techniques de l’information et de la communication.

Je voudrais, pour conclure, insister sur l’écriture de l’Histoire de l’état civil en Algérie qui reste

une nécessité qui a aussi son importance dans l’émergence de solutions nationales globales. De toute

évidence cette mission ne sera possible sans l’implication des laboratoires de recherche des Universités

Algériennes.

______________________________

Notes et Références 1- FINE Agnès (sous la dir.) : Etats civils en questions. Papiers, identités, sentiment de soi, éditions du CTHS,Collection : Le regard

de l’ethnologue, Paris, 2008.

2- NOIRIEL (Gérard) : « L'identification des citoyens. Naissance de l'état civil républicain »,

In revue Genèses. Sciences sociales et histoire, 1993, n° 1, pp. 3-28. 3- CHEMIN (Anne) :« Le passeport qui en dit trop », In journal Le Monde, 27 septembre 2006.

4- Le Quotidien d’Oran, 24 janvier 2009.

5- GLISSANT (Édouard) , Le Discours antillais (Gallimard, Paris,1997), p.488 6- LAMRI (Sophia): « Un état civil tronqué », EL-WATAN, 1er décembre 2004

7- STORA (Benjamin), Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954) -La Découverte, Paris,1991, p.27.

8-C.A.O.M, Archives Aix, GGA,sous série 8 H/ 11, Instructions administratives. 9- MARQUANT (R.), L'état civil et l'état des personnes, Paris, Masson, 1977.

10-Centre d’Archives d’O.M-Aix GGA,rapport secrétariat du G.G.A, le 27/11/1919.

11-KEHL (L), L'état civil des indigènes de l'Algérie (1931). 12-CAOM, Fonts.G.G,A,Lettre 02 Déc 1876 .

13-Ibid., sous série 8 H/ 11, rapports état d’esprit de la population indigène.

14- Les recherches généalogiques au C.A.O.M-d’Aix en Provence concernant l’état civil, en l'Algérie : Seuls les documents d'état civil de plus de 100 ans sont conservés dans les services d'archives.

Microfilms de tables décennales pour les communes du département d'Alger (1832-1882),

ainsi que des recueils de tables pour les villes du : Département d'Oran ; on peut consulter les actes d'état civil pour les communes d'Aïn Temouchent, Arzew, Mascara, Mers

el Kébir, Mostaganem, Oran, Relizane, Relizane (commune mixte), Saint Cloud, Saint Denis du Sig, Saint Denis du Sig

(commune mixte), Saint Leu, La Sénia ,Sidi Bel Abbès, Tlemcen. (Années 1832-1901. Nombreuses lacunes) Pour les autres communes, ainsi que pour la période postérieure, il convient de s'adresser au ministère des Affaires

étrangères, service central de l'état civil, 44941 NANTES Cedex 9

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- Etat civil (les collections des colonies et de l'Algérie comportent des lacunes). 15-Centre d’Archives d’O.M-Aix en Provence, Série F 80 /Listes nominatives 1732-1735.

16- EL-WATAN, 29 mars 2005. 17-AGERON (Ch-Robert,), Les Algériens Musulmans et la France, 1871-1919,

tome 1 ,puf,paris,1968, ,p171-176 .

18-Circulaire du 29 mai 1875, 26 juillet 1875 et 22 juillet 1876. 19-Rapport du député Jacques in journal Officiel de la République Française (JORF).

Chambre des députés Documents parlementaires, séance du 12 février 1881,p 267.

20 - Agéron,les musulmans Algériens,Op-Cit,p 174. 21- Mobacher du 13 mai 1882.

22-BARRIERE (Louis-Augustin) : Le Statut personnel des musulmans d'Algérie de 1834 à 1962,

Dijon, Edition universitaire de Dijon, 1993. 23- Voir notre contribution : « Les déportés Oubliés de l’état civil »,

In Quotidien d’Oran, Mer 22 Avril 2009,Rubrique / débats - p 8 et 9.

24- Voir notre article: Ouldennebia (K) : « Le Village BEDRABINE, modèle colonial d’habitat Indigène ». In revue d’Histoire Maghrébine,N° 131,Mai 2008,Tunis 185-201.

25-EL-WATAN, 1er décembre 2004.

26- Exposé de la Situation Générale de l’Algérie, présenté G.G .A, Alger, Année 1907. p 117. 27- Les Exemples citées par Agéron étaient pires (d'après les protestations enregistrées et les traductions qui y sont jointes).

Châdi = singe- Raselkelb tête de chien-Talefraiou=celui qui a perdu l'esprit - Râchî = le corrupteur- fou = mahboul.

28- Voir les Bulletins Officiels du Gouvernement Général B.O.G.G (1861-1926). 29- L’arrêté G.G.A ,du 27 mars 1885, Alger, 1891.

30- Archives Aix,C.A.O.M ,série F 80 /1810.

31-YERMECHE (Ouardia) : maître de conférences à l'ENS de Bouzaréah et chercheur associé au CRASC, «Le système patronymique

: histoire d'une fracture généalogique».conférence in journée d'étude intitulées «Amazighité et histoire : Onomastique et identité»

organisées récemment par le Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA),Alger 20 et 21 Décembre 2008.

32- EL-WATAN, 2 MAI 2005. 33- EL-WATAN, 2 FEV 2008.

.34- EL-WATAN, 28 AVR 2008

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