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© 2005 – Presses de l’Université du Québec

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Page 1: © 2005 – Presses de l’Université du Québec

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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

La Loi sur le droit drsquoauteur interdit la reproduction des œuvres sans autorisation des titulaires de droits Or la photocopie non autoriseacutee ndash le laquo photocopillage raquo ndash srsquoest geacuteneacuteraliseacutee provoquant une baisse des ventes de livres et compromettant la reacutedaction et la production de nouveaux ouvrages par des professionnels Lrsquoobjet du logo apparaissant ci-contre est drsquoalerter le lecteur sur la menace que repreacutesente pour lrsquoavenir de lrsquoeacutecrit le deacuteveloppement massif du laquo photocopillage raquo

PRESSES DE LrsquoUNIVERSITEacute DU QUEacuteBECLe Delta I 2875 boulevard Laurier bureau 450Sainte-Foy (Queacutebec) G1V 2M2Teacuteleacutephone (418) 657-4399 bull Teacuteleacutecopieur (418) 657-2096Courriel puqpuqca bull Internet wwwpuqca

Distribution

CANADA et autres paysDistribution de livres Univers senc845 rue Marie-Victorin Saint-Nicolas (Queacutebec) G7A 3S8Teacuteleacutephone (418) 831-7474 1-800-859-7474 bull Teacuteleacutecopieur (418) 831-4021

FRANCEDistribution du Nouveau Monde30 rue Gay-Lussac 75005 Paris FranceTeacuteleacutephone 33 1 43 54 49 02Teacuteleacutecopieur 33 1 43 54 39 15

SUISSEServidis SA5 rue des Chaudronniers CH-1211 Genegraveve 3 SuisseTeacuteleacutephone 022 960 95 25Teacuteleacutecopieur 022 776 35 27

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2005

Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec

Le Delta I 2875 boul Laurier bur 450Sainte-Foy (Queacutebec) Canada G1V 2M2

Preacuteface de CLAUDE FAUGERON

Postface de CANDIDO DA AGRA

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Mise en pages Infoscan Collette Queacutebec

Couverture ndash Conception Richard Hodgson Illustration Jean-Michel Girard

Catalogage avant publication de Bibliothegraveque et Archives Canada

Vedette principale au titre

Trajectoires de deacuteviance juveacutenile les eacuteclairages de la recherche qualitative

(Collection Problegravemes sociaux amp interventions sociales 18) Comprend des reacutef bibliogr

ISBN 2-7605-1372-6

1 Deacutelinquance juveacutenile 2 Deacuteviance 3 Jeunes deacutelinquants 4 Jeunesse ndash Usage des drogues 5 Jeunes de la rue 6 Deacutelinquance juveacutenile ndash Cas Eacutetudes de I Brunelle Natacha 1971- II Cousineau Marie-Marthe III Collection

HV9071T72 2005 36436 C2005-940919-3

1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2005 9 8 7 6 5 4 3 2 1

Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes copy 2005 Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec

Deacutepocirct leacutegal ndash 3e trimestre 2005Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du CanadaImprimeacute au Canada

Nous reconnaissons lrsquoaide fi nanciegravere du gouvernement du Canada par lrsquoentremise du Programme drsquoaide au deacuteveloppement de lrsquoindustrie de lrsquoeacutedition (PADIEacute) pour nos activiteacutes drsquoeacutedition

La publication de cet ouvrage a eacuteteacute rendue possibleavec lrsquoaide fi nanciegravere de la Socieacuteteacute de deacuteveloppementdes entreprises culturelles (SODEC)

PR

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Il me fait plaisir de faire la preacuteface de cet ouvrage Crsquoest qursquoen effet

une partie de ma carriegravere a eacuteteacute consacreacutee agrave la promotion des approchesqualitatives Il srsquoagissait au deacutebut de montrer comment ces meacutethodesse seacuteparaient drsquoun journalisme intelligent donc de labourer le champdes pratiques de recherches en deacuteveloppant les aspects eacutepisteacutemolo-giques et la rigueur meacutethodologique Mais il fallait aussi montrerque ces approches permettaient de disposer drsquooutils pertinents pour larecherche sociologique donc de leur donner une leacutegitimiteacute theacuteoriqueque les tenants de la sociologie quantitative leur deacuteniaient

Crsquoeacutetait un beau chantier que jrsquoai partageacute avec des chercheursde lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal puis plustard avec des collegravegues de lrsquoUniversiteacute catholique de Louvain Ilme semble que ce qui a rendu ces expeacuteriences collectives possiblesest le partage drsquoune posture theacuteorique dite de la criminologie de lareacuteaction sociale ensuite moduleacutee par la reacutefeacuterence agrave lrsquoacteur social

Je retrouve plus ou moins expliciteacutee cette posture dans les chapitres

qui suivent Mais peut-ecirctre est-il devenu moins neacutecessaire de lrsquoexpliciterce qui voudrait dire qursquoelle fait maintenant partie de la culturecriminologique

Il nrsquoempecircche que demeure une difficulteacute technique difficile agravesurmonter en particulier dans les eacutetudes de carriegraveres ou les biogra-phies En lrsquoabsence de groupes teacutemoins et surtout lorsque lrsquoonchoisit les personnes agrave interroger agrave partir drsquoun critegravere fort commeun marquage institutionnel lrsquoimage que lrsquoon donne de leur par-cours peut apparaicirctre comme celle drsquoun

destin

Cette tendance estrenforceacutee par les rationalisations

a posteriori

que donnent souvent

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VIII

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

les diffeacuterents acteurs agrave leurs conduites Une observation quasi ethnologique descontextes de vie ainsi qursquoune bonne connaissance des histoires familiales peuventpermettre de relativiser les reconstructions opeacutereacutees par les acteurs Crsquoest bien ce agravequoi plusieurs des auteurs preacutesents dans cet ouvrage se sont attacheacutes

Une autre difficulteacute consiste agrave ne pas rester enfermeacute dans un interactionnismetrop eacutetroit Certes lrsquointeractionnisme a beaucoup apporteacute ndash et continue drsquoapporter ndashagrave la recherche sur les deacuteviances et les deacutelinquances et cet ouvrage en est la preuveIl nrsquoempecircche que si lrsquoon veut pouvoir interpreacuteter sociologiquement les reacutesultats destravaux qualitatifs on ne doive croiser ce que lrsquoon peut apprendre de la faccedilon dontles structures sociales agissent au niveau des trajectoires individuelles Ceci ne peutse faire sans une bonne connaissance de ce que certains on appeleacute des

micro

pouvoirs

Connaissance qui peut provenir de la recherche elle-mecircme mais aussi ducroisement de recherches portant sur des objets diffeacuterents Ougrave mecircme utilisant desmeacutethodes diffeacuterentes Agrave cet eacutegard on ne peut renvoyer dos agrave dos recherches qualita-tives et recherches quantitatives sous le preacutetexte que leurs meacutethodes seraient incon-ciliables Agrave mon avis seuls doivent ecirctre eacuteviteacutes des deacuteveloppements theacuteoriques qui nesrsquoappuieraient pas sur une bonne connaissance du terrain et des recherches empi-riques Autrement dit si la recherche empirique ne peut se passer de theacuteorie la theacuteoriene peut se passer de recherches empiriques On pourrait appeleacute cette position delrsquoeacuteclectisme sociologique je lrsquoai deacutefendue agrave plusieurs reprises Et je continue de penserqursquoune recherche empirique bien meneacutee apporte toujours quelque chose

Mais une preacuteface ne peut se contenter seulement de mises en garde Il fautici se feacuteliciter des efforts que les chercheurs preacutesents dans cet ouvrage ont soutenusagrave plusieurs niveaux Le premier est celui de lrsquoimmersion dans leurs terrains et lrsquoonsait que crsquoest chose difficile il est plus aiseacute de travailler dans son bureau que dansdes quartiers laquo chaudsraquo Un deuxiegraveme niveau est celui de la rigueur meacutethodologiquele choix des meacutethodes de recueil des donneacutees et drsquoanalyse du mateacuteriel Enfin lecroisement des points de vue celui des acteurs institutionnels et celui des acteursaupregraves desquels srsquoeffectue lrsquointervention apporte des eacuteclairages neacutecessaires agrave la compreacute-hension des positions des jeunes confronteacutes aux institutions Crsquoest pourquoi jesouhaite que de tels travaux continuent de se deacutevelopper

Claude Faugeron

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PREacuteFACE

VII

Claude Faugeron

INTRODUCTION

1

Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau

C

HAPITRE

1

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLESPoints de convergence et de divergence

9

Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu

11

LrsquoADOLESCENT

VS

LrsquoADOLESCENTE 10

111 Deacutelinquance 11

112 Consommation de substances

psychoactives 11

12 CONTEXTE THEacuteORIQUE 12

13 MEacuteTHODOLOGIE 12

14 REacuteSULTATS 15

141 Les filles et les garccedilons plus de

ressemblances que de diffeacuterences 15

1411 Motifs de consommation

de drogues 15

1412 Motifs de deacutelinquance 18

1413 Motifs de diminution

ou drsquoarrecirct de consommation 19

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X

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

142 Les garccedilons en particulier 21

1421 Motifs de deacutelinquance 22

1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct

de la consommation 23

143 Les filles en particulier 24

1431 Motif de consommation 24

1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct

de la consommation et la deacutelinquance 25

CONCLUSION 25

BIBLIOGRAPHIE 27

C

HAPITRE

2

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUESDiversiteacute des cheminements et effets de geacuteneacuteration au sein des milieux populaires en France

31

Michel Kokoreff

21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES

SELON LES GEacuteNEacuteRATIONS 32

211 Au-delagrave du feacutetichisme conceptuel

lrsquoanalyse des processus 33

212 Les effets de geacuteneacuteration 35

22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES

DES ANNEacuteES 1980 38

221 Le contexte social et urbain 38

222 Cheminements vers lrsquoheacuteroiumlne 40

223 De lrsquousage agrave la revente 44

224 Une vulneacuterabiliteacute structurelle 48

23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC

AU COURS DES ANNEacuteES 1990 52

231 Scegravenes de revente 53

232 Le rapport au produit 55

233 Le trafic comme travail 57

234 Avoir lrsquoesprit entrepreneur 59

24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS

DANS LE TRAFIC 62

241 Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre 62

242 Les hieacuterarchies informelles 64

BIBLIOGRAPHIE 68

TABLE DES MATIEgraveRES

XI

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C

HAPITRE

3

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

71

Ceacuteline Bellot

31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE

DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE 72

311 La trajectoire objective 73

312 La trajectoire subjective 74

313 La trajectoire de rue dans une analyse

de la structuration 75

32 MEacuteTHODOLOGIE 76

33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES 78

331 La rue un eacutepisode 78

332 La rue une transition 85

3321 La rue comme tremplin

vers une insertion sociale 85

3322 La rue comme tremplin

vers une deacutesinsertion sociale 86

333 La rue un enfermement 91

CONCLUSION 93

BIBLIOGRAPHIE 93

C

HAPITRE

4

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNESLeur signification dans une trajectoire de vie

97

Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele Fournier

41 LA PAROLE AUX JEUNES 99

42 MEacuteTHODOLOGIE 100

421 Eacutechantillons 100

422 Instruments de collecte et analyse des donneacutees 101

43 LA PAROLE DES JEUNES 103

431 Les jeunes parlent de la faccedilon

dont ils en sont venus agrave se joindre aux gangs 104

432 Les jeunes expliquent les motifs

qui les ont ameneacutes agrave se joindre au gang 105

433 Les jeunes parlent de lrsquoexpeacuterience qursquoils

ont veacutecue dans le ganghellip en termes drsquoeacutemotions 111

434 Les jeunes parlent des motifs

qui les ont ameneacutes agrave quitter le gang 113

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XII

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE

APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS 116

CONCLUSION 117

BIBLIOGRAPHIE 119

C

HAPITRE

5

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

121

Maryse Esterle-Hedibel

51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU 124

52 LA DEacuteSCOLARISATION 126

521 Les marqueurs de la deacutescolarisation 127

5211 Le niveau de diplocircme des parents 127

5212 La composition de la famille 128

5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage 128

5214 Le passage du primaire au collegravege

indiscipline et identiteacute 129

53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION

ET DEacuteLINQUANCE 130

531 Lrsquoimpact des groupes de pairs

et les activiteacutes deacutelinquantes 130

532 Deacutecrochage scolaire et deacutelinquance 131

54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE

DES PERSONNES-RESSOURCES 132

55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS 133

551 Les personnels peacutedagogiques 133

5511 Des donneacutees non utiliseacutees 133

5512 Des deacutecisions drsquoorientation

non suivie drsquoeffets 134

5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure 134

5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants 136

5515 Haro sur les eacutelegraveves 138

5516 Lrsquoexternalisation des solutions 138

552 Les eacutelegraveves 140

553 Les familles 141

554 Les travailleurs sociaux

(agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des collegraveges) 145

56 LE CAS DE PATRICK 146

CONCLUSION 151

BIBLIOGRAPHIE 151

TABLE DES MATIEgraveRES

XIII

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C

HAPITRE

6

LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUEIDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALESLrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche biographique

153

Ceacutecile Carra

61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE

LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES 155

62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute

DE DEacuteLINQUANT Agrave TRAVERS LA PRISE

EN CHARGE INSTITUTIONNELLE 158

63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT 158

631 De la construction drsquoun parcours de deacutelinquanthellip 158

632 hellip agrave celle drsquoune personnaliteacute deacutelinquante 162

633 Lrsquointeacuteriorisation drsquoun destin de deacutelinquant

et son actualisation 163

64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE

DE LA DEacuteLINQUANCE 165

641 De la deacuteconstruction de lrsquoidentiteacute familialehellip 166

642 hellip agrave la reconstruction drsquoidentiteacutes

individuelles neacutegatives 168

65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT

Agrave UNE PLACE DOMINEacuteE DANS LES

RAPPORTS SOCIAUX 170

651 Des parcours preacutedeacutetermineacutes par les instances

de reacutegulations sociales geacuteneacuterales 172

652 La deacutelinquance comme strateacutegie identitaire 173

CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT

DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES 175

BIBLIOGRAPHIE 176

C

HAPITRE

7

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteEParoles et strateacutegies de jeunes deacutelinquants

179

Isabelle Delens-Ravier

71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE

QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE 180

72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE 182

73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE 183

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XIV

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION 186

741 Veacutecu de la deacutelinquance 187

742 La deacutecision du magistrat 189

743 Le magistrat de la jeunesse 190

744 Les acteurs institutionnels 191

7441 Les eacuteducateurs 191

7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale 192

745 Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction 193

7451 Une strateacutegie drsquoadaptation

et de rationalisation 193

7452 Une strateacutegie de repli-refus 196

7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence 197

CONCLUSION 198

BIBLIOGRAPHIE 201

CONCLUSION

203

Marie-Marthe Cousineau et Natacha Brunelle

POSTFACE

209

Candido da Agra

NOTICES BIOGRAPHIQUES

213

IN

TR

OD

UC

TI

ON

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N

ATACHA

B

RUNELLE

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresChercheure au CICC au RISQ et au GRIAPS

M

ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealChercheure associeacutee au CICC et agrave lrsquoIRDS

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2

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Plusieurs ouvrages scientifiques sur la deacuteviance juveacutenile qui utilisent le mot

trajectoire

ou ses traductions anglaises laquo

pathway

raquo ou laquo

trajectory

raquo reposent

sur des eacutetudes quantitatives (Nagin Farrington et Moffitt 1995 Brunswick

et Titus 1998) et sont reacutealiseacutes dans une perspective psychosociale ou de

psychologie deacuteveloppementale Toutefois de plus en plus de chercheurs

qui conduisent des eacutetudes qualitatives parlent aussi de

trajectoire

Non seu-

lement le terme est commode mais il permet en outre de rendre compte

des eacuteveacutenements veacutecus et de leur eacutevolution chronologique Agrave ceux qui

travaillent dans cette optique il paraicirct aussi le mieux agrave mecircme de refleacuteter

les aspects plus pheacutenomeacutenologiques lieacutes agrave la signification que la personne

concerneacutee accorde aux eacuteveacutenements qursquoelle vit ainsi qursquoaux sentiments que

ceux-ci provoquent Lrsquoemploi du mot trajectoire permet eacutegalement de

rendre compte de la sinuositeacute du parcours de vie des individus

Srsquoagissant des trajectoires de deacuteviance juveacutenile lrsquoun des aspects les

plus documenteacutes est sans aucun doute la progression de la deacutelinquance

des jeunes en ce qui a trait agrave la nature agrave la diversiteacute et agrave la graviteacute des

deacutelits commis tout au long de la trajectoire (Freacutechette et Le Blanc 1987

Le Blanc 1994 Kelley Loeber Keenan et DeLamatre 1997) Dans la

documentation scientifique cette progression deacutelictueuse a souvent eacuteteacute

associeacutee agrave la structure de la personnaliteacute et plus reacutecemment on lrsquoa mise

en rapport avec le contexte psychosocial dans lequel srsquoopegravere cette progres-

sion Certaines eacutetudes longitudinales eacutetablissent de tels liens avec le contexte

psychosocial mais de faccedilon quantitative en consideacuterant un nombre limiteacute

de dimensions (relations avec la famille association agrave des pairs deacuteviants

promiscuiteacute sexuellehellip) partant moins des perceptions des jeunes ndash pro-

cessus inductif ndash que drsquohypothegraveses de recherche agrave veacuterifier ndash processus

deacuteductif (Simons Wu Conger et Lorenz 1994 Nagin Farrington et Moffitt

1995 Le Blanc et Kaspy 1998)

De nombreux auteurs traitant des trajectoires deacuteviantes deacutefinissent

une typologie de trajectoires qui srsquoapparente agrave une typologie de deacutelin-

quants ou de toxicomanes baseacutee sur leurs comportements ou sur lrsquoeacutevolution

de ceux-ci (Le Blanc Cocircteacute et Loeber 1991 Hammersley et Ditton 1994

Loeber Farrington Southamer-Loeber Moffitt et Caspi 1998 Nagin et

Tremblay 1999) Cette faccedilon de deacutefinir des trajectoires agrave partir de lrsquoeacutevo-

lution des comportements possegravede sans contredit son utiliteacute descriptive

mais elle tend agrave omettre le pouvoir des cognitions et des sentiments en

amont sur les comportements en aval

Or plusieurs auteurs ont montreacute lrsquoimportance de tenir compte des

processus cognitifs et eacutemotifs pour bien saisir et comprendre les compor-

tements humains (Lewin 1967 Blumer 1969 Mischel 1973 Endler et

Magnusson 1976 Bandura 1977 Brown et Harris 1989 Debuyst 1989

Beck Freeman Pretzer Davis Fleming Ottaviani Beck Simon Padesky

INTRODUCTION

3

copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13

Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13

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Meyer Trexler 1990 de Gaulejac 1997) Ils ont eacutegalement constateacute qursquoen

se centrant sur lrsquoeacutevolution et la description des actes deacutelinquants ou toxi-

comaniaques en tant que tels au fil de la trajectoire bon nombre drsquoeacutetudes

omettaient de relier agrave cette eacutevolution le contexte dans lequel celle-ci

srsquoopegravere et surtout lrsquointeraction entre lrsquoindividu et ce contexte Or la prise

en compte de lrsquointeraction entre les dimensions individuelles et contex-

tuelles est jugeacutee non seulement importante mais eacutegalement cruciale

par diffeacuterents auteurs (Blumer 1969 Debuyst 1989 Digneffe 1989

Castel Benard-Pellen Bonnemain Boullenger Coppel Leclerc Ogien et

Weinberger 1992 Cormier 1993) particuliegraverement lorsqursquoil srsquoagit de

comprendre les comportements humains

Certaines eacutetudes sur les trajectoires deacuteviantes paraissent avoir quelque

peu deacuteplaceacute lrsquoattention du comportement en srsquointeacuteressant aux motivations

qui y sont associeacutees et aux eacuteleacutements autres qui permettent de discriminer

les trajectoires entre elles (Sampson et Laub 1993 Erickson et Weber

1994 Le Blanc 1996 Le Blanc et Kaspy 1998)

Par exemple Sampson et Laub (1993) notent qursquoon trouve souvent

agrave la fois continuiteacute et changements dans lrsquoimplication deacuteviante au fil du

temps La deacuteviance demeure preacutesente agrave lrsquoacircge adulte mais elle change de

forme Par exemple la consommation de drogues illeacutegales agrave lrsquoadolescence

peut se transformer en un veacuteritable problegraveme la toxicomanie agrave lrsquoacircge

adulte Agrave lrsquoinverse des eacuteveacutenements de vie comme le mariage ou lrsquoobten-

tion drsquoun emploi peuvent entraicircner un changement drsquoorientation dans

la trajectoire vers un conformisme accru Dans cette eacutetude de Sampson et

Laub (1993) les reacutesultats quantitatifs sont appuyeacutes par des donneacutees

qualitatives recueillies a posteriori

Les auteurs du preacutesent livre ont voulu donner une voix encore plus

forte aux jeunes au cœur de leurs eacutetudes en deacutecrivant lrsquoensemble de leurs

reacutesultats par un processus inductif qui reflegravete lrsquoapproche qualitative qursquoils

ont adopteacutee

Srsquoapparentant aux travaux preacutesenteacutes dans ce livre ceux de Faupel

(1991) Castel (1994) Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) adoptent

une position eacutepisteacutemologique dont la particulariteacute est de consideacuterer les

participants comme des acteurs sociaux capables de laquo geacuterer raquo leur vie

(Debuyst 1989) Ces travaux srsquoattardent agrave comprendre la vie des personnes

en contexte en ne se limitant pas agrave cerner leurs comportements et en

adoptant une perspective plus laquo interactionniste raquo (Blumer 1969)

Une approche qualitative a eacuteteacute privileacutegieacutee dans ces travaux Cette

approche favorise une meilleure compreacutehension de la speacutecificiteacute et de la

complexiteacute des processus en jeu en fournissant un point de vue de lrsquointeacute-

rieur des pheacutenomegravenes (Groulx 1997 Pires 1997) Elle permet drsquoacceacuteder

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4

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par les acteurs sociaux aux significations qursquoils

accordent agrave celle-ci de mecircme qursquoau sens de leurs actions (Deslauriers et

Keacuterisit 1997) En particulier lrsquoentretien de type qualitatif reacutevegravele le point

de vue des acteurs sociaux et permet drsquoen tenir compte pour comprendre

et interpreacuteter leurs reacutealiteacutes (Poupart 1997)

Il reste que drsquoun cocircteacute la plupart des eacutetudes sur les trajectoires

deacuteviantes srsquointeacuteressent tregraves peu aux perceptions des acteurs et visent ordi-

nairement agrave veacuterifier des postulats de recherche (processus deacuteductif) et

que drsquoun autre cocircteacute ces eacutetudes ne sont pas propres agrave la peacuteriode de

lrsquoadolescence Pourtant les auteurs qui ont conduit des eacutetudes qualita-

tives inductives aupregraves drsquoadolescents ont obtenu du mateacuteriel pertinent et

inteacuteressant agrave plusieurs eacutegards (Billson 1996 Piron 1996 Way 1998)

Malheureusement ces eacutetudes ne srsquointeacuteressent pas speacutecifiquement agrave la

deacuteviance juveacutenile ou encore elles ne sont pas des eacutetudes de trajectoires

Dans les recherches qui ont donneacute lieu au preacutesent collectif drsquoauteurs le

point de vue des jeunes constitue le centre de reacutefeacuterence initial dont sont

tireacutees les conclusions menant agrave une approche diffeacuterente et compleacutemen-

taire aux travaux preacuteceacutedents Cette approche nous est-il apparu permet

drsquoobtenir une compreacutehension plus diversifieacutee des trajectoires deacuteviantes

agrave lrsquoadolescence

1

Lrsquoensemble des textes des auteurs que nous avons reacuteunis dans ce

collectif met en lumiegravere les apports drsquoeacutetudes qualitatives sur les trajectoires

de deacuteviance juveacutenile reacutealiseacutees au Queacutebec en France et en Belgique depuis

une dizaine drsquoanneacutees Ces eacutetudes font appel agrave diffeacuterentes meacutethodes qua-

litatives Plusieurs utilisent des formes drsquoentretien de type qualitatif

drsquoautres ont recours agrave lrsquoethnographie ou encore agrave lrsquoanalyse documentaire

Les premiers chapitres portent davantage sur les pheacutenomegravenes deacuteviants

que constituent la deacutelinquance ou lrsquousage de drogues chez les jeunes alors

que les derniers traitent eacutegalement ou uniquement de la prise en charge

sociale ou judiciaire de ces jeunes

Lrsquooriginaliteacute des productions rassembleacutees tient au fait que le point

de vue des jeunes eux-mecircmes est refleacuteteacute dans les reacutesultats des eacutetudes

traiteacutees dans la majoriteacute des chapitres tandis que drsquoautres fournissent

aussi le point de vue des intervenants sociaux et judiciaires quant agrave la

deacuteviance juveacutenile et agrave sa prise en charge

1 Voir Stahler et Cohen (2000) pour une discussion sur lrsquoapport compleacutementaire deseacutetudes qualitatives dans le domaine de la toxicomanie

INTRODUCTION

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Le premier chapitre traite des diffeacuterences entre jeunes Queacutebeacutecois

filles et garccedilons quant aux motivations qursquoils associent agrave leurs trajectoires

deacuteviantes Les significations qursquoils rattachent agrave leurs comportements deacutelin-

quants ou drsquousage de drogues sont plus speacutecifiquement traiteacutees par les

auteurs Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu

Il est plutocirct question au chapitre 2 de toxicomanie et de trafic de

drogues dans des quartiers deacutefavoriseacutes de la France Le point de vue de

toxicomanes et de trafiquants est analyseacute par lrsquoauteur Michel Kokoreff

Agrave la suite drsquoune expeacuterience de terrain ethnobiographique combi-

nant observations et entrevues reacutealiseacutees au centre-ville de Montreacuteal Ceacuteline

Bellot propose au chapitre 3 trois diffeacuterentes configurations de parcours

des jeunes dans le monde social de la rue

Au chapitre 4 Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele

Fournier traitent des motivations des jeunes agrave joindre les gangs des expeacute-

riences qursquoils y vivent et de la signification qursquoils y attachent

Au chapitre 5 Maryse Esterle-Hedibel relie lrsquoabandon de scolariteacute

avant lrsquoacircge de 16 ans agrave la trajectoire deacutelinquante de certains jeunes Franccedilais

agrave partir du point de vue des jeunes eux-mecircmes de leur famille des agents

scolaires et de partenaires exteacuterieurs

Une double approche monographique et biographique a permis

drsquoobtenir les reacutesultats preacutesenteacutes par Ceacutecile Carra au chapitre 6 Lrsquoauteure

y traite des parcours judiciaires des jeunes enquecircteacutes ainsi que des meacuteca-

nismes de production et de reproduction de la deacutelinquance juveacutenile

Enfin au chapitre 7 Isabelle Delens-Ravier approfondit le sens sub-

jectif que des jeunes deacutelinquants belges donnent agrave leurs expeacuteriences de

judiciarisation en lien avec une trajectoire sociofamiliale marqueacutee par un

suivi social individuel ou familial

Lrsquoapport de ces auteurs reacutevegravele lrsquounivers de la deacuteviance des jeunes

tel que ceux-ci le vivent le perccediloivent et y reacuteagissent Du mecircme coup

une connaissance nouvelle srsquoouvre aux chercheurs et aux praticiens qui

tentent de mieux comprendre ces jeunes et de mieux les aider lorsque

cela paraicirct srsquoimposer

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6

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

B

IBLIOGRAPHIE

B

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B

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B F

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JS B

ECK

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C P

ADESKY

J M

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et L T

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(1990)

CognitiveTherapy of Personality Disorders

New York The Guilford Press

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B

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Symbolic Interactionism Perspective and Method

Englewood Cliffs Prentice-Hall

B

OUHNIK

P (1996) laquo Systegraveme de vie et trajectoires des consommateursdrsquoheacuteroiumlne en milieu urbain deacutefavoriseacute raquo

Communications

vol 62p 241-256

B

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New York TheGuilford Press

B

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Thousand OaksCal Sage

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R (1994) laquo La dynamique des processus de marginalisation dela vulneacuterabiliteacute agrave la deacutesaffiliation raquo

Cahiers de recherche sociologique

vol 22 p 11-27

C

ASTEL

R M B

ENARD

-P

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C B

ONNEMAIN

N B

OULLENGER

A C

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G L

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(1992)

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Paris Groupe de rechercheet drsquoanalyse du social et de la sociabiliteacute

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Montreacuteal Meacuteridien

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Acteur social et deacutelinquance

Bruxelles Pierre Mardaga

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La recherche qualitative enjeux eacutepisteacutemologiques et meacutetho-dologiques

Boucherville Gaeumltan Morin Eacutediteur p 85-111

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Eacutethique et deacutelinquance

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D

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Psychological Bulletin

vol 83 n

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REacuteCHETTE

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Deacutelinquances et deacutelinquants

Boucherville Gaeumltan Morin Eacutediteur

INTRODUCTION

7

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La recherche qualitative enjeuxeacutepisteacutemologiques et meacutethodologiques

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vol 2 n

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L

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deacutecembre

L

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L

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Traiteacute decriminologie empirique

Montreacuteal Les Presses de lrsquoUniversiteacute de Montreacutealp 44-89

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MISCHEL W (1973) laquo Toward a Cognitive Social Learning Reconceptua-lization of Personality raquo Psychological Review vol 80 no 4 p 252-283

NAGIN DS DP FARRINGTON et TE MOFFITT (1995) laquo Life-CourseTrajectories of Different Types of Offenders raquo Criminology vol 33 no 1p 111-139

NAGIN D et R TREMBLAY (1999) laquo Trajectories of Boysrsquo Physical Aggres-sion Opposition and Hyperactivity on the Path to Physically Violentand Nonviolent Juvenile Delinquency raquo Child Development vol 70 no 5p 1181-1196

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8 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

PIRES AP (1997) laquo De quelques enjeux eacutepisteacutemologiques drsquoune meacutetho-dologie geacuteneacuterale pour les sciences sociales raquo dans J Poupart J-PDeslauriers L-H Groulx A Laperriegravere R Mayer et AP Pires (dir)La recherche qualitative enjeux eacutepisteacutemologiques et meacutethodologiques BouchervilleGaeumltan Morin Eacutediteur p 1-54

PIRON F (1996) laquo Reacutepondre de soi reacuteflexiviteacute et individuation dans lereacutecit de soi drsquoune jeune queacutebeacutecoise raquo Sociologie et socieacuteteacutes vol 28 no 1p 119-134

POUPART J (1997) laquo Lrsquoentretien de type qualitatif consideacuterations eacutepisteacute-mologiques et meacutethodologiques raquo dans J Poupart J-P DeslauriersL-H Groulx A Laperriegravere R Mayer et AP Pires (dir) La recherchequalitative enjeux eacutepisteacutemologiques et meacutethodologiques Boucherville GaeumltanMorin Eacutediteur p 173-209

SAMPSON RJ et JH LAUB (1993) Crime in the Making Pathways andTurning Points through Life Cambridge Mass Harvard University Press

SIMONS RL CI WU RD CONGER et FO LORENZ (1994) laquo Two Routesto Delinquency Differences Between Early and Late Starters in theImpact of Parenting and Deviant Peers raquo Criminology vol 32 no 2p 247-275

STAHLER GJ et E COHEN (2000) laquo Using Ethnographic Methodology inSubstance Abuse Treatment Outcome Research raquo Journal of SubstanceAbuse Treatment vol 18 no 1 p 1-8

WAY N (1998) Everyday Courage The Lives and Stories of Urban TeenagersNew York New York University Press

CH

AP

IT

RE

1

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TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES

Points de convergence

et de divergence

N

ATACHA

B

RUNELLE

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresCICC RISQ et GRIAPS

M

ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et IRDS

S

ERGE

B

ROCHU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et RISQ

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10

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

La transition de lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte constitue une deacutefinition commune

de lrsquoadolescence Celle-ci se caracteacuterise par des modifications importantes

dans lrsquounivers social et relationnel des jeunes (Cloutier 1996 Claes

2003) Les filles et les garccedilons passent par cette transition mais ils le font

de maniegravere parfois diffeacuterente

11

LrsquoADOLESCENT

VS

LrsquoADOLESCENTE

De toute eacutevidence les filles et les garccedilons diffegraverent physiquement et

sexuellement Les filles sont notamment plus preacutecoces sur le plan puber-

taire (Cloutier 1996)

Le processus identitaire des filles passe par un eacutequilibre entre leurs

rapports aux autres et leur recherche drsquoautonomie Celui des garccedilons

passe davantage par une recherche drsquoindeacutependance et drsquoautonomie

(Cloutier 1996)

Sur le plan familial les filles perccediloivent un plus grand controcircle

parental que les garccedilons Crsquoest ainsi qursquoelles revendiquent souvent plus

drsquoautonomie (Cloutier 1996 Claes 2003) Eacutegalement les filles ressentent

plus de proximiteacute et drsquointimiteacute que les garccedilons dans leurs relations avec

leurs fregraveres et sœurs (Claes 2003)

Par ailleurs les filles valorisent davantage lrsquoamitieacute et font preuve

drsquoune plus grande maturiteacute eacutemotionnelle agrave lrsquoeacutegard de ce sentiment Elles

utilisent beaucoup la parole dans leurs relations amicales tandis que les

garccedilons sont davantage porteacutes agrave faire des activiteacutes avec leurs amis Les filles

montrent plus drsquohabileteacutes relationnelles et eacutemotionnelles alors que les

habileteacutes instrumentales et lrsquoaffirmation de soi sont davantage le lot des

garccedilons (Cloutier 1996 Claes 2003)

Les relations amoureuses sont souvent veacutecues diffeacuteremment par les

garccedilons et par les filles Ces derniegraveres recherchent plus de proximiteacute et

drsquointimiteacute dans leurs amours tandis que les garccedilons ont des attentes

sexuelles plus preacutecoces et persistantes et cherchent agrave maintenir avant tout

un lien fort avec leur groupe drsquoamis au deacutetriment de la relation avec leur

petite amie (Cloutier 1996 Claes 2003)

Les prochaines sections srsquoattarderont aux diffeacuterences selon le sexe

au regard de certaines formes de deacuteviance particuliegraverement la deacutelin-

quance et la consommation de drogues

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES

11

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

111 D

EacuteLINQUANCE

Lrsquoimage que nous donnent les statistiques montre que les filles commettent

geacuteneacuteralement moins de deacutelits graves et persistent moins dans la deacutelin-

quance que les garccedilons (Lanctocirct et Le Blanc 2000) Elles seraient davan-

tage impliqueacutees dans des deacutelits mineurs comme le vol agrave lrsquoeacutetalage et seraient

plus nombreuses que les garccedilons agrave faire de la prostitution Elles commet-

traient tout de mecircme des deacutelits violents Leur violence atteindrait drsquoailleurs

un sommet plus tocirct que celle manifesteacutee par les adolescents (agrave 15 ans pour

les filles et agrave 17 ans pour les garccedilons en 1998 Savoie 1999) Malgreacute une

augmentation des deacutelits de violence noteacutee chez les filles ces derniegraveres

anneacutees une plus grande proportion de garccedilons que de filles commet-

traient des voies de fait par exemple (Savoie 1999)

Lrsquoagressiviteacute des filles prendrait geacuteneacuteralement une forme plus indi-

recte ou psychologique ridiculiser deacutenigrer isoler les autres (Owens et

MacMullin 1995) La deacutelinquance des filles et des garccedilons diffeacutererait donc

par sa nature sa freacutequence et sa persistance

112 C

ONSOMMATION

DE

SUBSTANCES

PSYCHOACTIVES

Les proportions de filles et de garccedilons queacutebeacutecois consommant de lrsquoalcool

et drsquoautres drogues sont tregraves semblables (Guyon et Desjardins 2005) Les

drogues de preacutedilection de chacun diffegraverent toutefois un peu Filles et

garccedilons se distingueraient aussi sur le plan de la freacutequence et de lrsquointensiteacute

de leur usage drsquoalcool et drsquoautres drogues Les garccedilons rapportent boire

plus souvent (Guyon et Desjardins 2005) et se saouler eacutegalement plus

souvent (Comiteacute permanent de lutte agrave la toxicomanie CPLT 2002) Les

garccedilons sont aussi proportionnellement plus nombreux agrave reacuteveacuteler une

consommation de cannabis quotidienne (Guyon et Desjardins 2005)

Lrsquoenquecircte meneacutee en 2000 par lrsquoInstitut de la statistique du Queacutebec

(2002) reacutevegravele que les adolescents sont plus nombreux que les adolescentes

agrave deacutevelopper des problegravemes de toxicomanie Parmi les facteurs associeacutes

aux problegravemes de consommation chez les jeunes une faible estime de

soi ressort plus speacutecifiquement chez les filles Par ailleurs outre les pro-

blegravemes drsquoargent que les jeunes rattachent agrave leur consommation les filles

nomment des problegravemes familiaux et de santeacute tandis que les garccedilons

parlent de gestes deacutelinquants et de difficulteacutes scolaires qursquoils associent agrave

leur consommation (Institut de la statistique du Queacutebec 2002)

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12

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

12 CONTEXTE THEacuteORIQUE

Srsquoinspirant en grande partie des travaux de Faupel (1991) Castel (1994)

Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) notre eacutetude a ceci de

particulier qursquoelle se centre sur les motivations significations perceptions

et sentiments que des jeunes deacutelinquants et toxicomanes relient agrave leur

itineacuteraire et plus particuliegraverement agrave leurs comportements deacuteviants de

mecircme qursquoau contexte dans lequel ils adoptent ces comportements Nous

nous inscrivons donc dans une perspective pheacutenomeacutenologique (Schutz

1987) qui accorde une place de premier plan agrave lrsquointerpreacutetation que lrsquoacteur

social (ici le jeune) fait des situations qui le touchent (Debuyst 1989)

Notre projet de recherche porte sur les trajectoires de consomma-

tion de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Trois objectifs speacuteci-

fiques consistent agrave documenter davantage 1) la nature et lrsquoeacutevolution des

relations drogue-crime agrave lrsquoadolescence 2) les eacuteleacutements lieacutes aux phases

drsquoaugmentation et de diminution de lrsquoimplication deacuteviante et 3) les tra-

jectoires deacuteviantes types agrave lrsquoadolescence Les points de convergence et de

divergence entre les trajectoires deacuteviantes des garccedilons et des filles sont

alors appreacutehendeacutes en fonction de ce que chacun a veacutecu et surtout de la

faccedilon dont il lrsquoa veacutecu

13 MEacuteTHODOLOGIE

Pour atteindre nos objectifs nous avons opteacute pour une meacutethodologie

qualitative (Poupart Deslauriers Groulx Laperriegravere Mayer Pires 1997)

qui paraissait drsquoailleurs srsquoimposer Plus preacuteciseacutement nous avons eu recours

agrave la meacutethode du reacutecit de vie (Desmarais et Grell 1986) laquelle fait parler

lrsquointervieweacute sur sa vie en privileacutegiant une structure du discours chronolo-

gique et permet de mettre en lumiegravere la trajectoire de lrsquoindividu selon la

vision personnelle qursquoil en a

Les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent sur deux eacutetudes diffeacuterentes qui

partagent plusieurs similitudes La premiegravere base du doctorat de Natacha

Brunelle qui est lrsquoauteure principale du preacutesent texte srsquoest termineacutee en 2001

La collecte de donneacutees de cette eacutetude srsquoest deacuterouleacutee de 1996 agrave 1998 La

deuxiegraveme toujours en cours se situe dans le prolongement de la premiegravere

Dans lrsquoensemble ces deux eacutetudes visaient des jeunes ndash garccedilons et

filles ndash qui se livrent plus ou moins agrave des comportements de consomma-

tion de drogues et de deacutelinquance Cherchant agrave comprendre les processus

qui conduisent certains jeunes agrave srsquoengager dans un style de vie deacuteviant et

plus particuliegraverement dans la deacutelinquance ou la consommation de drogues

nous avons dans un premier temps eacutetabli que les jeunes rencontreacutes

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devraient ecirctre des adolescents pris en charge dans une institution judi-

ciaire ou de traitement de la toxicomanie cela en raison de leur plus

grande accessibiliteacute Des adolescents placeacutes sous garde en vertu de la Loi

sur les jeunes contrevenants (LJC)

1

dans les centres jeunesse ou suivant

un traitement dans un centre pour jeunes toxicomanes forment ainsi une

partie de lrsquoeacutechantillon Ces jeunes ont drsquoabord eacuteteacute solliciteacutes dans le cadre

drsquoune preacuteenquecircte reacutealiseacutee en lien avec la premiegravere eacutetude

Agrave la suite de la preacuteenquecircte et des interactions avec diffeacuterents colla-

borateurs il est apparu neacutecessaire de rencontrer aussi des jeunes qui ne

srsquoadonnent ni agrave la deacutelinquance ni agrave la consommation de drogues ou qui

du moins nrsquoont jamais eacuteteacute pris en charge par une quelconque institution

pour des comportements de deacutelinquance ou de consommation de drogues

afin de voir si leurs trajectoires diffeacuteraient autrement que sur ces aspects

de la vie des jeunes Des jeunes freacutequentant des maisons des jeunes de

lrsquoicircle de Montreacuteal allaient constituer cette deuxiegraveme partie de lrsquoeacutechantillon

de la premiegravere eacutetude

Aux jeunes participants srsquoajoutent dans lrsquoeacutetude en cours des jeunes

qui se trouvent en milieu scolaire secondaire et des jeunes de la rue Pour

cette nouvelle collecte de donneacutees srsquoajoutent agrave la grande ville de Montreacuteal

deux lieux de recrutement Queacutebec et Trois-Riviegraveres Lrsquoajout de nouveaux

milieux et sites de recrutement avait pour but drsquoobtenir une meilleure

repreacutesentation de la reacutealiteacute associeacutee agrave la saturation empirique des donneacutees

(Mayer et Ouellet 1991 Bertaux 1997 Pires 1997) Une limite reconnue

de la premiegravere eacutetude eacutetait drsquoavoir eacuteteacute conduite aupregraves drsquoun eacutechantillon

insuffisamment diversifieacute sur ces deux critegraveres des lieux et des sites de

recrutement (Brunelle 2001)

Trois critegraveres drsquoeacutechantillonnage sont communs agrave tous les jeunes

recruteacutes garccedilons et filles ecirctre volontaire srsquoexprimer couramment en

franccedilais et ecirctre acircgeacute de 14 agrave 20 ans

Pour fixer la taille de lrsquoeacutechantillon le principe adopteacute a eacuteteacute celui de

la saturation empirique laquo La saturation empirique deacutesigne alors le pheacuteno-

megravene par lequel le chercheur juge que les derniers documents entrevues

ou observations nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles

ou diffeacuterentes pour justifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo

(Pires 1997 p 156-157)

Ainsi afin drsquoatteindre une certaine repreacutesentation de la reacutealiteacute la

collecte des donneacutees prend fin au moment ougrave les informations qui srsquoajoutent

deviennent essentiellement reacutepeacutetitives ou anecdotiques (Mayer et Ouellet

1 Aujourdrsquohui Loi sur le systegraveme de justice peacutenale des adolescents (LSJPA)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

1991) Nous avons proceacutedeacute de cette maniegravere lors de la premiegravere eacutetude et

crsquoest ainsi que nous comptons mettre fin au recrutement de nouveaux

reacutepondants pour la deuxiegraveme eacutetude

Une fois les deux eacutetudes combineacutees les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent

sur un eacutechantillon de 62 jeunes

2

Un total de 31 jeunes pris en charge en

centre jeunesse et 12 en centre de traitement de la toxicomanie ont eacuteteacute

rencontreacutes de mecircme qursquoune douzaine drsquoadolescents freacutequentant des mai-

sons de jeunes six jeunes en milieu scolaire secondaire et un jeune de la

rue Parmi lrsquoensemble de ces jeunes participants on trouve 36 garccedilons et

26 filles dont lrsquoacircge moyen est de 165 ans

3

Au moment des entrevues drsquoune dureacutee moyenne drsquoune heure la

consigne de deacutepart de lrsquointervieweuse eacutetait formuleacutee ainsi

Jrsquoaimerais que tu considegraveres que je repreacutesente ton journal intime Alorsdans tes propres termes et selon ce que tu penses raconte-moi ta vie jusqursquoagrave

aujourdrsquohui comme si tu traccedilais ton itineacuteraire en incluant toutes lesdimensions de ta vie famille amis amours eacutecole deacutelinquance drogue leseacuteveacutenements que tu as veacutecus et surtout comment tu les as veacutecushellip

Une grille constitueacutee de mots cleacutes repreacutesentant autant de thegravemes agrave

aborder eacutetait utiliseacutee par lrsquointervieweuse agrave titre de guide drsquoentrevue Ainsi

que le suggegraverent Mayer et Ouellet (1991) ces entrevues prenaient la

forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes (Ghiglione et Matalon 1978)

Lrsquoanalyse du contenu des entretiens (Bardin 1977 LrsquoEacutecuyer 1990)

srsquoest faite selon deux approches utiliseacutees de maniegravere compleacutementaire

Drsquoune part une analyse theacutematique (Ghiglione et Matalon 1978) a eacuteteacute

privileacutegieacutee comme mode principal de reacuteduction du mateacuteriel Drsquoabord de

maniegravere verticale une analyse intrinsegraveque de chacune des entrevues a eacuteteacute

effectueacutee Ensuite de maniegravere transversale nous avons chercheacute agrave repeacuterer

les points de convergence et de divergence entre les reacutecits recueillis

Drsquoautre part une analyse seacutequentielle traitant de la suite des eacuteveacutenements

et de leurs reacutepercussions sur le jeune selon sa lecture a eacuteteacute reacutealiseacutee Pour

cette analyse seacutequentielle trois lignes biographiques traitant respective-

ment de lrsquohistoire de vie geacuteneacuterale (trajectoire sociale) de la consomma-

tion de drogues et de la deacutelinquance aux diffeacuterents acircges ont eacuteteacute traceacutees

et repreacutesenteacutees graphiquement pour chaque reacutepondant pour ensuite ecirctre

mises en relation Il sera ici question des ressemblances et des diffeacuterences

entre les reacutecits de vie obtenus des filles et des garccedilons

2 Les 38 premiers jeunes ont eacuteteacute rencontreacutes en cours de reacutealisation du doctorat et24 entrevues ont eacuteteacute ajouteacutees depuis le deacutebut de la deuxiegraveme eacutetude en cours

3 Voir Brunelle (2001) pour une description plus deacutetailleacutee des reacutepondants de la premiegravereeacutetude

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14 REacuteSULTATS

En plus drsquoavoir veacutecu plusieurs situations similaires les garccedilons et les filles

de lrsquoeacutechantillon tiennent un reacutecit relativement semblable agrave plusieurs

eacutegards Lrsquoexemple le plus eacutevident dans nos reacutesultats concerne les motiva-

tions principales qui ont pousseacute les participants agrave commettre des deacutelits ou

agrave consommer La curiositeacute et le fait de vouloir faire comme les autres pour

que ceux-ci les acceptent plus facilement sont mentionneacutes tant par les

filles que par les garccedilons de lrsquoeacutechantillon pour expliquer leurs premiegraveres

expeacuterimentations avec la drogue ou la deacutelinquance

141 L

ES

FILLES

ET

LES

GARCcedilONS

PLUS

DE

RESSEMBLANCES

QUE DE

DIFFEacuteRENCES

Plusieurs raisons motivant lrsquoadoption de comportements dits deacuteviants

limiteacutes ici agrave la consommation de substances psychoactives et agrave diverses

formes de deacutelinquance apparaissent comme eacutetant communes aux filles et

aux garccedilons de notre eacutechantillon Cela est vrai pour les motifs lieacutes agrave la

consommation drsquoalcool et drsquoautres drogues et pour ceux qui sont lieacutes agrave

des peacuteriodes de diminution ou drsquoarrecirct de cette consommation Crsquoest aussi

le cas pour les motivations que les jeunes filles et garccedilons eacutevoquent pour

expliquer des peacuteriodes ougrave ils commettent un nombre important de deacutelits

et des peacuteriodes ougrave ils en commettent peu ou pas du tout

1411 Motifs de consommation de drogues

Curiositeacute

ndash Plusieurs auteurs se sont inteacuteresseacutes au rocircle que joue la curiositeacute

dans les processus drsquoexpeacuterimentation des drogues (Fagan et Chin 1990

Erickson et Weber 1994 Brochu et Parent 2005) Nos reacutesultats montrent

que la curiositeacute influence le parcours tant des filles que des garccedilons

Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot en secondaire 3hellip ccedila me tentait drsquoessayerccedilahellip tous mes amis avaient deacutejagrave fumeacute Jrsquoai dit laquo bon je vais essayer ccedila raquo

(Minou fille 16 ans milieu scolaire)

Eh bien au deacutebut il y a quelqursquoun qui mrsquoa inviteacute et je me suis dit laquo crsquoestquoi ccedila Je vais essayer ccedila raquo

(Jean 18 ans centre jeunesse)

Du plaisir agrave lrsquooubli ndash

Comme dans plusieurs autres recherches

(Collison 1996 Glauser 1995) le plaisir apparaicirct dans notre eacutetude au

centre des motivations agrave consommer des drogues Les filles comme les

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

garccedilons lrsquoeacutevoquent pour expliquer leur usage de drogues Ils parlent drsquoun

plaisir ludique pour la majeure partie de leur trajectoire deacuteviante parti-

culiegraverement pour le deacutebut de celle-ci

Jrsquoai toujours aimeacute ce feeling-lagrave tu nrsquoes jamais choqueacute tu ris tout le temps

puis tu veux tout le temps niaiserhellip tu nrsquoes jamais down puis le fameux

trip de bouffe aussi quand on fumehellip

(Franck 15 ans milieu scolaire)

Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot avec mon voisin crsquoeacutetait pas pire crsquoeacutetait lefun [rire] je mrsquoennuie de ccedila

(Julienne 15 ans centre jeunesse)

Toutefois ceux et celles qui se rendent agrave un stade de deacutependance

expliquent que ce plaisir srsquoest transformeacute peu agrave peu en un plaisir amneacute-

sique Ainsi certains et certaines en sont venus agrave consommer pour oublier

leurs problegravemes On observe ainsi une discontinuiteacute dans leurs motiva-

tions agrave consommer (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)

Mais tseacute en premier crsquoeacutetait juste pour le fun lagrave Mais agrave un moment donneacuteje me suis rendu compte que jrsquoen avais plus de besoin que drsquoautre chosehellipLagrave je me suis vraiment mis agrave laquo rusher raquo pis la seule issue pas mal que

la seule issue que je me suis trouveacute crsquoest de prendre de la dope prendrede la dope parce que quand jrsquoeacutetais geleacute ben lagrave je ne pensais plus agrave rien

(Antoine 17 ans centre jeunesse)

Au deacutebut crsquoeacutetait plus comme pour le fun apregraves ccedila eacuteteacute pour me faire une

carapace des attaques qursquoil pouvait me faire ou quelque chose

[

son ex-chum

]

Apregraves ccedila crsquoeacutetait pour oublier Crsquoeacutetait beaucoup beaucoup pour oublier cequi pouvait arriver

(Rachel 16 ans centre de toxicomanie)

Appartenance agrave un groupe de pairs ndash

Plusieurs filles et garccedilons de

lrsquoeacutechantillon ont reacuteveacuteleacute que le fait de consommer ou de commettre des

deacutelits leur procurait une valorisation agrave travers leur appartenance agrave un

groupe de pairs

Je me sentais bien avec mon groupe drsquoamis je me sentais mieux je sentaisque je faisais les mecircmes affaires qursquoeux autres pis tu sais jrsquoeacutetais laquo tough raquopis christ moi jrsquoen prends je me sentais dans la gang ccedila fait que jrsquoai bienaimeacute mon expeacuterience

(Charlie fille de 17 ans centre de toxicomanie)

Crsquoeacutetait

[ses deacutelits]

pour me montrer laquo tough raquo pis ecirctre respecteacute aupregraves desautres

[ses copains] (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)

Influence parentale ndash

Des garccedilons et des filles de notre eacutechantillon

ont raconteacute avoir eacuteteacute inciteacutes agrave consommer par leurs parents Ces derniers

les ont initieacutes agrave la consommation de cannabis en particulier Dans certains

cas ils en ont fait une activiteacute familiale plus ou moins reacuteguliegravere

Moi jrsquoai commenceacute agrave fumer des joints avec mon pegravere

(Moh 19 ans jeunede la rue)

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On eacutetait dans un petit chalet dans le bois ma megravere son chum et moiCrsquoeacutetait quand mecircme laquo cool raquo Puis lagrave ils mrsquoont fait fumer un joint tu saisCcedila a eacuteteacute mon deuxiegraveme joint et celui-lagrave mrsquoa geleacutee jrsquoeacutetais perdue

(Mireille17 ans maison de jeunes)

Problegravemes familiaux ndash

Les problegravemes familiaux de diffeacuterents ordres

sont souvent au cœur des reacutecits de vie des jeunes et se rattachent selon

eux agrave leur consommation de drogues Des problegravemes de relations inter-

personnelles entre parents et enfants ou agrave lrsquointeacuterieur de la fratrie ou

encore des difficulteacutes veacutecues par un ou plusieurs membres de la famille

sont eacutevoqueacutes notamment pour expliquer des peacuteriodes de recrudescence

de leur deacuteviance marqueacutees par le deacutesir drsquooublier leurs problegravemes (Brunelle

Brochu et Cousineau 2002b)

Problegraveme crsquoest comme mon pegravere lui il eacutetait plus seacutevegravere tu comprends

[rires]

les Africains crsquoest plus seacutevegravere lagrave Puis moi vu que crsquoeacutetait plus seacutevegravere etpuis que jrsquoai grandi avec deux mentaliteacutes diffeacuterentes crsquoest comme un peuavec la mentaliteacute africaine puis je suis venu ici je te le jure que jrsquoai grandiavec la mentaliteacute ici tu comprends Jrsquoallais agrave lrsquoeacutecole mais je faisais drsquoautresaffaires puis lui

[son pegravere]

il nrsquoaimait pas ccedila fait que lagrave on se chicanaitje mrsquoen allais de chez moi je faisais des fugues lagrave je suis devenu plusdeacutelinquant mes amis ce sont des deacutelinquants jrsquoai commenceacute agrave consommerpuis crsquoest ccedila jusqursquoagrave temps qursquoon mrsquoarrecircte

(Outwall 17 ans centrejeunesse)

Jrsquoavais tellement peur qursquoelle se tue

[sa megravere]

Jrsquoai tout le temps peurComme tseacute elle me parlait qursquoelle avait voulu mourir ou elle disait ben grosqursquoelle prenait une coupe de pilules pis qursquoelle partait elle faisait laplanche Faque jrsquoai toujours peur encore

(Lilianne 16 ans centre detoxicomanie)

Faciliter les deacutelits ndash

Plusieurs jeunes filles et garccedilons ont mentionneacute

que la drogue leur permettait de commettre les deacutelits voulus en leur

fournissant courage et deacutesinhibition (Brunelle Brochu et Cousineau

2000) Certains reacutevegravelent mecircme qursquoelle leur permet drsquooublier du moins

momentaneacutement les conseacutequences de leurs gestes

La drogue crsquoest pour te donner un peu plus de courage Lagrave apregraves si lapersonne veut le faire sans drogue il va le faire sans fumerhellip crsquoest commequand quelqursquoun qui boit pis il va voir une fille apregraves

(William 17 anscentre jeunesse)

Il faut que je donne mon corps pour rembourser Je suis toujours geleacutee quandje fais ccedila Parce que je lrsquoai fait longtemps sans ecirctre geleacutee pis tu te sens pasagrave lrsquoaise Crsquoest une personne inconnue avec qui tu couches tu sais pascrsquoest qui

(Isabelle 16 ans centre jeunesse)

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1412 Motifs de deacutelinquance

Vengeance des abus subis ndash

Afin drsquoexpliquer leurs gestes deacutelinquants en

particulier certaines filles et certains garccedilons de lrsquoeacutechantillon mentionnent

leur deacutesir de venger les abus qursquoils ont subis Comme plusieurs auteurs

lrsquoont deacutejagrave mentionneacute les victimes de violence deviennent parfois eux-mecircmes

auteurs de violence (Hammersley Forsyth et Lavelle 1990 Agnew 1991

Dembo Williams Schmeidler Berry Wothke Getreu Wish et Christensen

1992 Miller et Downs 1995 Alexander 1996) Les jeunes dont il est ici

question ont geacuteneacuteralement adopteacute une trajectoire vraiment deacuteviante que

nous avons nommeacutee trajectoire discontinue marqueacutee par la recherche

drsquoun plaisir amneacutesique (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)

Parce que je suis rentreacutee en centre drsquoaccueil pis je pensais tout de suite laquo Ils vont faire comme ma megravere raquo Crsquoest lrsquoimpression que jrsquoai eue Pis il y aune fois ougrave je me suis faite retirer en retrait pis lagrave je lrsquoai pas pris Jrsquoai dit laquo Ils ont fait comme ma megravere ils vont mrsquoenfermer je ne mangerai pas raquohellipCrsquoest lagrave que ccedila a commenceacute les voies de fait Crsquoest comme jrsquoai eu lrsquoimpressionque ma megravere eacutetait lagrave encore

(Isabelle 16 ans centre jeunesse)

Jrsquoeacutetais frustreacute pour les coups que jrsquoavais pris faque je lrsquoai battu puis crsquoestccedila

(Phency 17 ans centre jeunesse)

Placement en protection de la jeunesse ndash

Quelques jeunes filles et

garccedilons eacutevoquent un sentiment drsquoinjustice subie et de reacutevolte associeacute agrave

leur placement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse Ce sont

des jeunes fortement impliqueacutes dans la deacutelinquance et geacuteneacuteralement ren-

contreacutes en centre jeunesse

La premiegravere fois que jrsquoai eacuteteacute arrecircteacute crsquoest vrai ccedila a eacuteteacute pour tentative demeurtre jrsquoai essayeacute de poigner deux personnes puis dehors agrave lrsquoexteacuterieurpuis toute ccedila Puis le gars il me cherchait puis lagrave moi jrsquoeacutetais comme reacutevolteacuteaussi dans le sens que je me disais que mes parents mrsquoavaient placeacute puisque crsquoest agrave cause drsquoeux autres que jrsquoeacutetais placeacute puis lagrave ils se sont seacutepareacutesccedila fait que le monde est illeacutegal le monde leacutegal genre je les ai mis ensembleen dernierhellip

(Baby Joker 18 ans centre jeunesse)

Moi je me suis reacutevolteacutee parce que je me suis dit coudon je me suis faitbattre par mes parents je nrsquoavais pas drsquoaffaire en centre drsquoaccueil tseacute Jeme suis dit laquo Non ccedila nrsquoa pas drsquoallure raquo Alors je me suis dit que je neserais pas en centre drsquoaccueil pour rien Pis lagrave je me suis reacutevolteacutee pis ccedilatout ensemble fait que jrsquoai embarqueacute dans les motards

(Isabelle 16 anscentre jeunesse)

Payer sa drogue ndash

La deacutelinquance lucrative en particulier occupe vite

une fonction utilitaire pour les consommateurs et consommatrices de

drogues de notre eacutechantillon Les vols la vente de drogues et la prostitution

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sont au nombre des deacutelits que commettent ces jeunes pour pouvoir consom-

mer de la drogue La vente de drogues apparaicirct rapidement dans leur

trajectoire plus rapidement que chez les adultes consommateurs Nous

faisons lrsquohypothegravese que le faible pouvoir eacuteconomique des adolescents

explique du moins en partie cette reacutealiteacute (Brunelle Brochu et Cousineau

2000) Quoi qursquoil en soit plus la consommation de drogues des jeunes

augmente plus ils sont impliqueacutes dans les deacutelits lucratifs citeacutes Crsquoest

ainsi que certains et certaines atteignent un stade eacuteconomico-compulsif

(Brunelle Brochu et Cousineau 2005)

Au deacutebut de mon secondaire crsquoest lagrave que jrsquoai commenceacute agrave consommer Jemrsquoeacutetais fait des amis de consommation tout ccedila et vu que je nrsquoavais pasgros de revenus et bien jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutelits et des deacutelits Je volaisde lrsquoargent ou des choses comme ccedila des choses qui allaient ecirctre le laquo fun raquopour pouvoir acheter ma consommation

(Jean 18 ans centre jeunesse)

Jrsquoai commenceacute agrave faire beaucoup de coke beaucoup je buvais tous les soirsje nrsquoallais plus agrave lrsquoeacutecolehellip Jrsquoai commenceacute agrave consommer tout le temps tousles jours je consommais je pouvais boire pis je volais tout le temps Ccedilacoucirctait cher agrave un moment donneacute ce nrsquoest pas donneacute pareil lagrave Je vendaisde la drogue pis je volais pour me faire de lrsquoargent pis je travaillais aussitu saishellip Jrsquoai commenceacute agrave faire de la coke pis crsquoest lagrave que jrsquoai deacutecideacute defaire mon vol qualifieacute pour mrsquoen ramasser

(Julienne 15 ans centrejeunesse)

1413 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de consommation

Coucircts trop eacuteleveacutes ndash Agrave la fois des filles et des garccedilons eacutevoquent le fait que

leur consommation est devenue trop coucircteuse pour expliquer qursquoils aient

ralenti ou cesseacute leur usage de drogues agrave un certain moment

La coke jrsquoen ai fait gros mais maintenant je me suis calmeacute parce que agrave unmoment donneacute ccedila coucircte cher (Moh 19 ans jeune de la rue)

Lrsquoalcool bien jrsquoai bu toutes sortes drsquoalcool Mais lagrave je nrsquoen bois plus parceque ccedila coucircte cher (Amitieacutes 18 ans jeune de la rue)

Plaisir disparu ndash Certains jeunes mentionnent que lrsquoeffet ludique

que leur procurait leur usage de drogues a disparu et de ce fait ils ont

arrecircteacute drsquoen prendre ou diminueacute leur consommation

Je nrsquoaime plus ccedila le laquo buzz raquo que ccedila fait (Cerise 16 ans milieu scolaire)

Ben je trouvais ccedila lrsquolaquo fun raquo le hasch Mais agrave la longue agrave lrsquointeacuterieur de soicrsquoest plate parce que tu ne peux pas vraiment te controcircler (Eacutelavien 15 ansmilieu scolaire)

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20 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Trop agrave perdre ou limite atteinte ndash Plusieurs confient que les conseacute-

quences de leur consommation les ont pousseacutes agrave vouloir la diminuer ou

lrsquoarrecircter Ils en sont venus agrave consideacuterer ces conseacutequences comme eacutetant

excessives trop deacutesavantageuses Ces conseacutequences relateacutees par les jeunes

sont drsquoordre physique psychologique et social ainsi que le montrent

chacun des trois extraits drsquoentrevue suivants

Fumer lagrave ccedila me fait vomir puis tu sais tout me rend malade (Julie 17 ansmilieu scolaire)

Je pense que jrsquoai trop fumeacute du pot puis agrave un moment donneacute je suis devenuparanoiumlaque apregraves jrsquoai arrecircteacute tout ccedila pendant deux ans de temps (Jack20 ans jeune de la rue)

Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Faque ccedila mrsquoa deacutecourageacutedrsquoen refumer (Bac 17 ans milieu scolaire)

Inteacutegriteacute morale atteinte ndash Quelques filles et garccedilons associent des

repreacutesentations sociales neacutegatives agrave la consommation de cocaiumlne agrave lrsquoitineacute-

rance et agrave la prostitution et ils les relient aux peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur

trajectoire drsquousage de drogues Ces repreacutesentations sociales les conduisent

agrave croire que leur inteacutegriteacute morale sera trop atteinte srsquoils continuent de

consommer notamment de la cocaiumlne

On commence agrave fumer du crack puis lagrave je baisse mes culottes tu sais il mesuce Le lendemain lagrave [soupir] jrsquoavais tellement honte de moihellip je merespectais avant tu sais je nrsquoaurais jamais fait ccedila je me tapais sur la tecirctepuis lagrave jrsquoavais vraiment honte Jrsquoai lacirccheacute le crack ccedila a eacuteteacute la derniegravere foisque jrsquoen ai fait (Raon 17 ans centre de toxicomanie)

Pis agrave la fin je me suis rendue au point ougrave jrsquoai commenceacute agrave faire de lapoudre et pis je me suis dit laquo Non je ne veux pas commencer agrave vendremon cul sur Sainte-Catherine raquo Je ne me sentais plus bien jrsquoeacutetais vraimentmalheureusehellip (Pamela 16 ans centre de toxicomanie)

Pairs conformistes ndash Ainsi que Esbensen et Elliot (1994) lrsquoavaient

deacutejagrave souligneacute certains reacutepondants et reacutepondantes reacutevegravelent que des peacuteriodes

de diminution de leur usage de drogues sont marqueacutees par des sentiments

positifs associeacutes agrave une identiteacute plus conformiste deacutecoulant de freacutequenta-

tions amicales elles-mecircmes plus conformistes

Jrsquoai quelques bons amis qui mrsquoont aideacutee agrave arrecircter de consommer il y a deuxans Jrsquoai arrecircteacute de battre les gens de faire des conneries Jrsquoai arrecircteacute de metenir avec ma gang Jrsquoai changeacute drsquoamis Crsquoeacutetait du monde normal dumonde comme toi et moi du monde comme ccedila (Isabelle 16 ans centrejeunesse)

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Un de mes amis commenccedilait agrave me talonner pour que jrsquoarrecircte de consommerCes gars-lagrave mes vieux amis drsquoenfance ils ne mrsquoont pas lacirccheacute Ils avaientarrecircteacute de consommer et ils ont commenceacute agrave srsquoentraicircner agrave avoir une job agraveavoir une vie normale Ils voulaient que je fasse la mecircme chose Crsquoest lagraveque jrsquoai reacutealiseacute plein drsquoaffaires que jrsquoeacutetais eacutecœureacute de cette vie-lagrave que je mesentais bien quand je ne consommais pas que jrsquoeacutetais quelqursquoun que jrsquoeacutetaisun homme (Nathan 18 ans centre jeunesse)

Amoureux conformiste ndash Dans la mecircme veine des filles et des gar-

ccedilons mentionnent avoir diminueacute leur consommation de drogues agrave des

peacuteriodes dans leur vie ougrave ils avaient un amoureux ou une amoureuse qui

ne consommait pas

Depuis que je sors avec elle je savais qursquoelle nrsquoaimait pas ccedila puis apregraveselle capotait alors jrsquoai reculeacute puis jrsquoai arrecircteacute (Quincy 16 ans maisonde jeunes)

Il ne voulait pas que je fume au deacutebut tu sais il me lrsquoa dit que lui il nefumait pas puis qursquoil nrsquoaimait pas ccedila des filles qui fument puis crsquoest unpeu agrave cause de lui aussi que jrsquoai arrecircteacute de fumer lagrave Depuis que je sors avecon dirait que je trouve ccedila moins dur drsquoarrecircter de fumer lagrave Lui il ne fumepas pantoute il nrsquoa jamais toucheacute agrave ccedila cela fait que moi jrsquoai arrecircteacute defumer lagrave (Cerise 16 ans milieu scolaire)

Autres avenues sports et arts ndash Plusieurs jeunes ont mentionneacute

qursquoils avaient cesseacute ou diminueacute leur consommation de drogues dans des

peacuteriodes ougrave ils srsquoadonnaient agrave des activiteacutes de nature sportive ou artistique

Ils parlent des fonctions occupantes et valorisantes de ces activiteacutes

Je suis devenu un peu moins illeacutegal pendant cet eacuteteacute-lagrave agrave cause du soccerTu sais ccedila mrsquoa bien aideacute ccedila mrsquoa bien gros accrocheacute puis ccedila mrsquoa permisde continuer ma vie et de faire ce que jrsquoavais agrave faire (Philippe 15 anscentre jeunesse)

Mais je pense que ce qui mrsquoa le plus aideacutee crsquoest que jrsquoai fait partie drsquounepiegravece drsquoune troupe de theacuteacirctre pendant deux ans Ccedila me donnait un butdans la vie et quand jrsquoai un but dans la vie le reste ne compte pas (Julie17 ans milieu scolaire)

142 LES GARCcedilONS EN PARTICULIER

Les reacutecits de vie recueillis aupregraves des garccedilons et des filles de lrsquoeacutechantillon

srsquoils se reacutevegravelent semblables agrave bien des eacutegards nrsquoen montrent pas moins

des distinctions dans les types de situations que ces jeunes relient le plus

clairement agrave lrsquoamplification de leur trajectoire deacuteviante Ainsi les garccedilons

parlent davantage de la recherche de plaisir et aussi de situations qui ont

entraicircneacute une reacuteaction agressive de leur part pour expliquer leur trajectoire

de deacutelinquance en particulier Par ailleurs ils font part de raisonnements

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22 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rationnels du type calcul du rapport coucirct-beacuteneacutefice lorsqursquoils racontent

pourquoi ils ont ralenti leur trajectoire de consommation agrave certaines

peacuteriodes de leur vie

1421 Motifs de deacutelinquance

Plaisir ndash Quelques garccedilons mentionnent le plaisir ressenti au moment de

commettre des deacutelits pour expliquer leur deacutelinquance Les filles nrsquoen font

pas mention

Les intros ces affaires-lagrave crsquoeacutetait juste pour le trip parce que je nrsquoen avaispas besoin drsquoargent jrsquoen faisais beaucoup en vendant de la dopehellip Ccedila merapportait rien ccedila me rapportait du fun (Oscar 18 ans centre jeunesse)

Pis lagrave jrsquoai commenceacute agrave me battre avec pis je ne sais pas jrsquoavais aimeacute ccedilaPis il eacutetait agrave terre plein de sang pis jrsquoavais comme un sentiment de pouvoirenvers lui Pis depuis ce temps-lagrave jrsquoy ai pris plaisir (Sacha 17 ans centrejeunesse)

Vengeance des abus subis par drsquoautres ndash Quelques garccedilons ont expli-

queacute certains de leurs deacutelits de violence en reacuteveacutelant qursquoils voulaient venger

des proches qui ont eacuteteacute abuseacutes comme pour deacutefendre leurs inteacuterecircts

[hellip] lagrave jrsquoai ressauteacute dessus [sur son beau-pegravere] Crsquoest comme tseacute crsquoeacutetaitplus de lrsquoaccumulation tseacute le temps lagrave Tseacute jrsquoeacutetais petit pis je le voyaistaper sur ma megravere pis tout Pis crsquoeacutetait comme agrave peu pregraves tout ce que jrsquoavaislagrave ma megraverehellip Tseacute je veux dire crsquoest comme srsquoil mrsquoavait arracheacute tout ce quime restaithellip Pis il fallait que je le fasse sentir au moins un petit peu commeil mrsquoavait fait sentir tseacutehellip Pis une grande gueule comme qursquoil est il acontinueacute pis lagrave jrsquoai comme laquo pitcheacute raquo le rouleau agrave pacircte pis je lrsquoai atteintau-dessus de lrsquoœil Pis lagrave ccedila srsquoest mis agrave saigner pis tout tseacutehellip (Louis17 ans centre jeunesse)

Lagrave il y avait plein de sang partout lagrave je capotais Lagrave je vois ma petitesœurhellip Mon fregravere me saute dessus il me dit laquo Elle srsquoest faite violer piscrsquoest un estie de negravegre qui lui a fait ccedilahellip raquo Lagrave depuis ce temps-lagrave les noirsccedila eacuteteacute fini fini fini Depuis ce temps-lagrave je suis devenu agressif tabarnachellipCrsquoest depuis ce temps-lagrave que je suis devenu violent pas mal sur les bords(Christian 17 ans centre jeunesse)

Un instinct de survie ndash Certains jeunes reacutepondants affilieacutes agrave des

gangs de rue ont eacutevoqueacute une forme de leacutegitime deacutefense pour expliquer

qursquoils aient commis des deacutelits violents

Crsquoest lagrave que jrsquoai lacirccheacute tous les noirs pis lagrave apregraves ccedila quand tu deacutebarquesdrsquoune gang lagrave-bas trsquoes un estie tu te fais traiter de conhellip Faque je me suisbattu en masse pis je suis devenu violent en tabarnac il fallait que je medeacutefende je nrsquoavais pas le choix (Christian 17 ans centre jeunesse)

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Ccedila ne me deacuterange pas de tuer srsquoil y en a un en avant de moi qui veut mefaire chier et que je vois dans ses yeux qursquoil veut me tuer eh bien je vaisle tuer avant qursquoil le fasse crsquoest simple (Moh 19 ans jeune de la rue)

Une laquo susceptibiliteacute raquo agressive ndash Certains garccedilons ont raconteacute avoir

eacuteteacute violents envers drsquoautres jeunes en reacuteponse agrave un comportement de leur

part qursquoils jugeaient offensant

Une autre fois il y en avait un qui mrsquoeacutenervait puis le lendemain jrsquoaiapporteacute un couteau agrave lrsquoeacutecole Puis je me battais apregraves lrsquoeacutecolehellip (William17 ans centre jeunesse)

Chaque fois que quelqursquoun disait quelque chose de pas correct sur moijrsquoallais le chercher et je le battaishellip (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)

1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation

Meilleure harmonie familiale ndash Mecircme si certains garccedilons disent avoir eacuteteacute

initieacutes aux drogues par leurs parents drsquoautres expliquent qursquoils ont cesseacute

ou diminueacute leur consommation afin de preacuteserver la paix avec leurs parents

ou par attachement parental

Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Ccedila fait que ccedila mrsquoaencourageacute agrave ne pas en refumer Mettons que ccedila mrsquoencourage agrave pas fumerde la drogue aussi souvent devenir un leacutegume agrave cause de ccedila ccedila mrsquointeacuteressepas fumer Ccedila fait que ccedila ma megravere celle-lagrave elle lrsquoa jamais su je trouveque crsquoest peut-ecirctre bien agrave quelque part peut-ecirctre qursquoelle mrsquoaurait sucircrementre-peacuteteacute une coche comme la derniegravere fois Je trouve ccedila mieux de mecircme ellesait que je nrsquoen prends pas pis je nrsquoai pas inteacuterecirct agrave en prendre de un etde deux je nrsquoaime pas ccedila (Bac 17 ans milieu scolaire)

Agrave un moment donneacute jrsquoai consommeacute pendant deux semaines tregraves intensi-vement puis je me suis eacutecœureacute Je me suis dit laquo Pourquoi Qursquoest-ce queccedila change raquo Crsquoest surtout que mes parents ne le savaient pas Agrave chaquefois que jrsquoarrivais agrave la maison je ne savais jamais si mes parents srsquoenrendraient compte toutes les fois tu comprends Et puis je me suis tanneacutedrsquoavoir peur et jrsquoai reacutealiseacute que ccedila ne me donnait rienhellip (Samuel 16 ansmaison de jeunes)

Trop agrave perdre ou rien agrave gagner une reacuteflexion laquo rationnelle raquo ndash De

maniegravere particuliegraverement rationnelle certains garccedilons calculent qursquoils ont

trop agrave perdre ou rien agrave gagner agrave consommer des drogues

Ccedila fait 4 mois que jrsquoai arrecircteacute pour la peacuteriode drsquoexamen parce que je savaisque ccedila me rendait genre un petit peu cellule dans ma tecircte (Arnold 15 ansmilieu scolaire)

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24 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Aujourdrsquohui la cour me lrsquoa encore obligeacute de travailler ma consommationsauf que je suis conscient du besoin que jrsquoai de geacuterer ma consommation eten plus on a vendu notre maison agrave Trois-Riviegraveres ma megravere srsquoen va habiteragrave Longueuil et moi je poursuis mes eacutetudes au professionnel agrave Trois-Riviegraveresalors je vais me retrouver en appartement Pour ccedila il faut de lrsquoargent et sije fume trop comme je fumais avant eh bien je nrsquoaurai plus drsquoargent pourpayer mon loyer et tout ccedila Cela fait que je vais avoir un problegraveme Crsquoestpour ccedila que je mrsquoimplique reacuteellement dans mon atelier de toxicomanie(Jean 18 ans centre jeunesse)

Pour reacuteussir une carriegravere deacutelinquante ndash Certains garccedilons de lrsquoeacutetude

mentionnent qursquoils ont cesseacute ou diminueacute leur usage de drogue ou de

certaines drogues pour srsquoassurer de faire beaucoup de profits illeacutegaux ou

pour eacuteviter de se faire arrecircter par les policiers

Quelqursquoun qui vend un vendeur lagrave ccedila ne touche pas comme un gars quivend du crack il ne touche pas au crack Sinon crsquoest lui qui fume sonstock Ben moi je ne fume pas de crack alors je peux vendre (William17 ans centre jeunesse)

Un bon voleur ok il ne va jamais faire ses affaires quand il est chaud ougeleacute tu as pas mal plus de risque de te faire prendre (Outwall 17 anscentre jeunesse)

143 LES FILLES EN PARTICULIER

Peu de chose distinguent speacutecifiquement les filles sinon le fait deacutejagrave men-

tionneacute qursquoune grande partie de leur reacutecit srsquoarticule autour du besoin de

plaire aux pairs deacuteviants pour expliquer leur consommation de drogues

ou leur implication dans la deacutelinquance et le fait que parmi les motifs de

sortie se trouve la reacuteponse agrave un ultimatum parental

1431 Motif de consommation

Un vide affectif ndash Certaines filles reacutevegravelent consommer des drogues pour

combler un sentiment de vide drsquoamour

Mais tseacute je voulais prouver que jrsquoeacutetais vieille de caractegravere que jrsquoeacutetaisquelqursquoun Pour qursquoils mrsquoaiment parce que je me sentais ben gros pas aimeacute(Pamela 16 ans centre de toxicomanie)

Parce que je ne voulais pas ressentir le vide que jrsquoai en dedans un videinteacuterieur de ne pas recevoir de lrsquoamour autant que je voudrais tout le tempsce vide agrave combler tu sais (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)

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1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation

et de la deacutelinquance

Ultimatum parental ndash Afin de preacuteserver une relation relativement satisfai-

sante avec leur pegravere ou leur megravere ou afin de lrsquoameacuteliorer certaines filles

disent avoir diminueacute ou cesseacute leur consommation drsquoune ou de plusieurs

drogues agrave leur demande ou parce qursquoelles ont compris qursquoautrement elles

se feraient rejeter

Apregraves cet eacuteveacutenement-lagrave jrsquoai reconsommeacute jrsquoai recontinueacute agrave vendre tu saisccedila nrsquoavait pas cliqueacute dans ma tecircte pis euh quand que ma megravere a trouveacutemon sac de ziploc dans ma sacoche elle a dit laquo je suis eacutecœureacutee raquo elle adit laquo jrsquoabandonne raquo elle a dit laquo je trsquoabandonne raquo elle a dit laquo je ne peuxplus rien faire pour toi raquo elle a dit laquo fais donc ce que tu veux je mrsquoencalice raquo Ccedila fait que crsquoest lagrave que ccedila a cliqueacute laquo jrsquoai un problegraveme raquo pis lagravejrsquoai peacuteteacute les plombs je braillais pis laquo qursquoest-ce que je vais faire raquo Crsquoest lagraveque je suis alleacutee voir Juliette lrsquointervenante en toxico jrsquoai dit lagrave lagrave fais dequoi (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)

Je ne vole plus maintenant Je me suis calmeacutee parce que je me suis dit quesi je me faisais prendre encorehellip ce nrsquoest pas que jrsquoai peur ou que je mesens mal crsquoest juste qursquoils vont appeler ma megravere Je ne veux pas que mamegravere soit choqueacutee apregraves moi Crsquoest trop je lui ai causeacute assez de maux detecircte comme ccedila Apregraves tout je veux continuer de rester avec elle sinon ougravejrsquoirais Je ne veux pas aller habiter avec mon pegravere il est beaucoup tropseacutevegravere (Anouk 16 ans maison de jeunes)

CONCLUSION

Dans son bilan des recherches sur lrsquousage de drogues des jeunes Queacutebeacutecois

depuis les anneacutees 1960 Le Blanc (2005) conclut que les eacutetudes relatives

aux eacuteleacutements qui preacutecipitent la consommation et surtout agrave ceux qui en

facilitent lrsquoarrecirct sont encore trop peu nombreuses Nous avons voulu

apporter une compreacutehension compleacutementaire et diffeacuterente au corpus de

recherches deacutejagrave existant en nous centrant sur la lecture que font les

adolescents de leur trajectoire drsquousage de drogues et de deacutelinquance Non

seulement les motifs eacutevoqueacutes par les jeunes pour expliquer qursquoils consom-

maient ou qursquoils commettaient des deacutelits agrave certaines peacuteriodes de leur vie

eacutetaient rechercheacutes mais aussi ceux qursquoils ont eacutevoqueacutes relativement aux

peacuteriodes ougrave ils diminuaient ou cessaient leur implication deacuteviante De

plus il est apparu important de faire cet exercice en distinguant les filles

et les garccedilons Trop souvent en effet on a conclu agrave lrsquoinsignifiance de la

deacutelinquance des filles en srsquoappuyant sur des donneacutees statistiques issues de

sources policiegraveres ou judiciaires donneacutees qui indiquent une tregraves faible

preacutesence des filles au sein de la population de jeunes deacutelinquants eacutetudieacutee

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26 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Devant ce constat plusieurs chercheurs ont convenu de faire porter leurs

eacutetudes sur le seul groupe des deacutelinquants de sexe masculin repoussant

dans lrsquoombre la speacutecificiteacute possible de la deacutelinquance des filles et de son

traitement judiciaire et peacutenal

Essentiellement on constate que les motifs eacutevoqueacutes par les filles et les

garccedilons pour consommer des drogues et commettre des deacutelits sont dans

la plupart des cas les mecircmes curiositeacute plaisir oubli appartenance agrave un

groupe de pairs problegravemes familiaux vengeance des abus subis person-

nellement Les raisons que filles et garccedilons associent agrave des peacuteriodes de

diminution ou drsquoarrecirct de ces comportements deacuteviants sont aussi geacuteneacutera-

lement les mecircmes conseacutequences physiques psychologiques et sociales

devenues intoleacuterables pairs ou amoureux conformistes activiteacutes alterna-

tives agrave la consommation Ainsi contrairement agrave ce qursquoon avait pu croire

en se fiant aux statistiques portant sur la deacutelinquance juveacutenile une cer-

taine forme drsquoandrogynie (Cloutier 1996) apparaicirct au moment de consi-

deacuterer les motivations que les filles et les garccedilons associent au deacutebut et au

maintien de leur implication dans une trajectoire deacuteviante

Sur le plan de lrsquointervention il paraicirct inteacuteressant de srsquoattarder au rocircle

particulier que jouent lrsquoassociation agrave des pairs conformistes et les alterna-

tives agrave la consommation entraicircnant des peacuteriodes drsquoaccalmie et mecircme drsquoabs-

tinence dans les comportements deacuteviants des jeunes des deux sexes Il y a

lagrave certainement des pistes drsquointervention qui se dessinent se concreacutetisant

notamment par la mise en œuvre de projets positifs susceptibles de susciter

lrsquointeacuterecirct et lrsquoinvestissement des jeunes deacuteviants qui pourraient y participer

de concert avec des jeunes plus conformistes

Des caracteacuteristiques propres aux garccedilons sont toutefois deacutecelables

dans le mateacuteriel recueilli aupregraves des jeunes reacutepondants La recherche du

plaisir ainsi que des reacuteactions agressives se deacutegagent de leurs motivations

agrave commettre des deacutelits et pas de celles deacutevoileacutees par les filles Ici il y a

lieu de srsquoattarder au caractegravere souvent impulsif des garccedilons et agrave leur

recherche constante de gratification immeacutediate et drsquoen tenir compte dans

la planification de lrsquointervention

Pour expliquer une accalmie dans leur trajectoire de consommation

certains jeunes garccedilons estiment avoir eu trop agrave perdre sur les plans fami-

lial scolaire ou des conditions drsquohabitation Ils eacutevoquent aussi le fait que

leur usage de drogues pouvait nuire agrave leur laquo carriegravere deacutelinquante raquo Le

raisonnement arithmeacutetique associeacute aux garccedilons peut ecirctre eacutevoqueacute ici

(Cloutier 1996) Lrsquoexercice de prise de deacutecision soupesant les avantages

et les deacutesavantages drsquoune situation de consommation paraicirct approprieacute

pour les garccedilons dans la mesure ougrave on les laisse aborder eux-mecircmes les

aspects neacutegatifs de leur usage de drogues Il srsquoagit drsquoailleurs lagrave drsquoune

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strateacutegie qui srsquoest reacuteveacuteleacutee utile dans le cadre de lrsquoapproche motivationnelle

de plus en plus conseilleacutee pour lrsquointervention preacuteventive et de reacuteadaptation

meneacutee aupregraves des jeunes consommateurs de drogues (Prochaska Norcross

et DiClemente 1994)

Quant aux filles elles se distinguent des garccedilons lorsqursquoelles invoquent

un manque drsquoamour pour expliquer leur consommation Elles sont aussi

les seules agrave faire reacutefeacuterence agrave une forme drsquoultimatum parental lorsqursquoelles

mentionnent les peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur trajectoire deacuteviante Cloutier

(1996) dirait probablement que ces reacutesultats sont lieacutes au processus iden-

titaire feacuteminin lequel se caracteacuterise par une constante reacutefeacuterence au rap-

port aux autres Une intervention faisant appel agrave la famille et visant agrave

deacutevelopper des relations saines entre ses membres se preacutesente degraves lors

comme une avenue inteacuteressante pour les filles en venant notamment

combler le vide affectif que celles-ci deacutenoncent

Lrsquoexercice qui consiste agrave demander agrave des jeunes de se raconter dans

le cadre drsquoune entrevue semi-directive srsquoest aveacutereacute tregraves profitable pour

approfondir nuancer et qualifier les connaissances sur leurs trajectoires

drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Il apparaicirct indis-

pensable pour bien comprendre les jeunes et intervenir aupregraves drsquoeux

BIBLIOGRAPHIE

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TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

Diversiteacute des cheminements

et effets de geacuteneacuteration au sein

des milieux populaires en France

M

ICHEL

K

OKOREFF

Universiteacute Paris VCESAMES (CNRSndashINSERMndashParis V)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce chapitre part de la notion de laquo carriegraveres raquo telle qursquoelle est deacutefinie par

Howard Becker (1963) et en propose une lecture renouveleacutee dans un

contexte social et urbain et agrave propos de pratiques speacutecifiques Il srsquoapplique

agrave deacutecrire et agrave analyser les carriegraveres des usagers et des revendeurs de

drogues consideacutereacutees dans leurs dimensions territoriales dans les quartiers

pauvres Il srsquoappuie essentiellement sur des entretiens de type qualitatif

aupregraves drsquoindividus rencontreacutes pour la plupart en deacutetention

1

Une enquecircte

par observation meneacutee durant plusieurs anneacutees dans plusieurs communes

de la reacutegion parisienne et une analyse de la construction des affaires por-

tant sur des infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants dans la juridiction

de reacutefeacuterence constituent lrsquoarriegravere-plan de cette recherche qualitative elles

rendent possible une mise en situation de ce que nous avons appeleacute des

laquo reacutecits de carriegraveres raquo (Duprez et Kokoreff 2000) Agrave partir de ces donneacutees

il srsquoagit de mettre en relief les facteurs structurant les carriegraveres crsquoest-agrave-dire

des processus qui conduisent au deacuteveloppement de ces conduites illicites

dans un monde social donneacute Plus preacuteciseacutement on se propose drsquointerroger

lrsquoinfluence de lrsquoappartenance agrave une geacuteneacuteration sur les modaliteacutes drsquoenga-

gement dans le trafic consideacutereacute essentiellement agrave lrsquoeacutechelle locale

Nous commencerons par expliciter cette probleacutematique puis nous

distinguerons deux types de cheminements au sein de ce monde social

lrsquoun centreacute sur la consommation drsquoheacuteroiumlne agrave lrsquointeacuterieur drsquoune cohorte

neacutee au deacutebut des anneacutees 1960 lrsquoautre marqueacute par une entreacutee dans le

trafic de divers produits au cours des anneacutees 1990 avant de souligner la

diffeacuterenciation des positions dans le trafic

21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES SELON

LES GEacuteNEacuteRATIONS

Tout se passe aujourdrsquohui en France tout au moins comme si lrsquoengage-

ment dans le trafic de drogues illicites eacutetait le destin des pauvres inheacuterent

aux conditions de vie et de socialisation Or une telle repreacutesentation

largement inteacuterioriseacutee tant par les habitants des quartiers et les acteurs

locaux que par lrsquoopinion publique est doublement reacuteductrice Elle parti-

cipe tout drsquoabord drsquoun effet de meacuteconnaissance de la reacutealiteacute sociale de

1 Ce mode de seacutelection agrave partir du processus peacutenal constitue bien eacutevidemment unlaquo biais raquo Il conduit agrave la surrepreacutesentation drsquoune cateacutegorie de personnes selon unelogique ougrave lrsquoorigine sociale la nationaliteacute et les preacuteceacutedents jouent un rocircle consideacuterableCela eacutetant les caracteacuteristiques de cette population sont tregraves proches de celle que lechercheur est ameneacute agrave rencontrer dans les quartiers et qui srsquoavegravere la plus visible

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

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ces pratiques qui deacutepasse largement lrsquohorizon borneacute des quartiers HLM

Elle occulte ensuite la diversiteacute interne des carriegraveres dans la drogue au

sein des mondes populaires Autrement dit contrairement aux ideacutees

reccedilues les jeunes des citeacutes ne sont pas tous des

dealers

ndash comme ils ne

sont pas tous impliqueacutes durablement dans un systegraveme de vie structureacute

autour de la deacutelinquance

2

Par ailleurs cette mise en repreacutesentation

sociale des figures urbaines des deacuteviances juveacuteniles preacutesente un inconveacute-

nient majeur elle ne permet pas ensuite de comprendre les diffeacuterentes

phases des carriegraveres dans le monde de la drogue aussi bien que la varieacuteteacute

des cheminements crsquoest-agrave-dire de reacutepondre agrave la question laquo Comment

devient-on

dealer

raquo

211 A

U

-

DELAgrave

DU

FEacuteTICHISME

CONCEPTUEL

L

rsquo

ANALYSE DES PROCESSUS

Lrsquointeacuterecirct de la notion de laquo carriegravere raquo telle qursquoelle a eacuteteacute appliqueacutee au

domaine des conduites deacuteviantes par Becker (1963) dans le prolongement

de Hughes (1958) vise agrave reacutepondre agrave ce type drsquointerrogation Cette notion

consiste agrave prendre en compte les dimensions agrave la fois objectives et subjec-

tives drsquoune succession drsquoactions En ce sens elle est un moyen terme entre

les approches des trajectoires de vie de type deacuteterministe et celles qui sont

plus attentives aux singulariteacutes biographiques Il srsquoagit drsquoun laquo pont raquo entre

trajectoires objectives et trajectoires subjectives (Dubar 1998) qui peut

donner lieu agrave des approches tant qualitatives que quantitatives (Peretti-

Watel 2001) Lrsquoun des apports de ces travaux est de resituer des pratiques

dans des parcours et des contextes sociaux ougrave jouent aussi bien les rela-

tions avec les familles et les groupes de pairs que celles avec les institutions

reacutepressives sanitaires ou sociales Loin de constituer un chemin traceacute

drsquoavance un effet de destin les carriegraveres sont le produit de

lrsquointeraction

entre ces diffeacuterents eacuteleacutements Ce qui conduit agrave mettre en relief les tem-

poraliteacutes dans lesquelles srsquoinscrivent ces pratiques crsquoest-agrave-dire les seacutequences

ou les phases les moments et les seuils les points de rupture ou de

bifurcation constitutifs des carriegraveres dans un monde social donneacute toujours

en interaction avec drsquoautres mondes sociaux (les policiers les magistrats

les travailleurs sociaux et intervenants speacutecialiseacutes etc)

2 Pour une tentative de classification des jeunes habitant les quartiers HLM voir notam-ment Begag et Delorme 1994 Jazouli 1995 Oberti 1999

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cela eacutetant la notion de carriegravere preacutesente aussi des limites

3

Lrsquoaccent

mis sur ce laquo qui fait de la deacuteviance un genre de vie raquo (Becker 1963) sur

la consommation plus que sur le trafic conduit agrave deacutelaisser les facteurs lieacutes

aux conditions de vie et au cadre urbain Or dans les contextes eacutetudieacutes

les effets de milieu ndash au sens eacutecologique du terme ndash lrsquoaccumulation des

difficulteacutes sociales et personnelles les ruptures biographiques qursquoelles

impliquent sont des facteurs tregraves preacutegnants dans le deacuteveloppement des

pratiques illicites pouvant entraicircner deux conseacutequences Drsquoune part on

peut estimer que les logiques sont autant de contraintes qui interviennent

en amont des pratiques Lrsquoanalyse des trajectoires sociales srsquoinscrit dans

cette perspective avec le risque drsquoun glissement vers un modegravele balistique

(Chamboredon 1971) de celles-ci Ce qui serait occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

des trajectoires des laquo jeunes toxicomanes des banlieues raquo (Bouhnik 1994)

Drsquoautre part la notion drsquoengagement utiliseacutee par les interactionnistes

srsquoavegravere difficile agrave manier Elle amegravene agrave consideacuterer les usagers de drogues

comme des acteurs de leur histoire (et non comme de simples agents ou

malades) agrave repeacuterer les dilemmes auxquels ils ont agrave faire face et les reacuteponses

qui y sont apporteacutees Comment consideacuterer comme un laquo engagement raquo ce

qui paraicirct ecirctre une suite de petites coupures Sur le plan meacutethodologique

on bute ici sur un problegraveme que Passeron (1989) a bien mis en relief

comment faire la part de lrsquoaspect indissociablement contraignant non voulu

(objectiveacute) et veacutecu comme personnel (subjectiveacute) drsquoune biographie

4

Agrave

cette difficulteacute srsquoajoutent les effets de sens associeacutes agrave cette notion qui

rendent son usage parfois ambigu au-delagrave du cercle des speacutecialistes Enfin

en deacutepit des preacutecautions drsquousage le terme de carriegravere a une reacutesonance

particuliegravere associeacute qursquoil est au modegravele de la reacuteussite en particulier

lorsqursquoil est accoleacute aux activiteacutes de revente et de distribution dans des

quartiers de misegravere

Jrsquoai donc preacutefeacutereacute adopter dans ce texte la notion de laquo cheminements raquo

Situeacutee dans le mecircme registre seacutemantique que les notions de trajectoire

parcours itineacuteraire ligne biographique ou ligne de vie cette notion me

semblait aussi plus neutre Lrsquoideacutee forte eacutetait de suggeacuterer le caractegravere non

lineacuteaire reacuteversible accidenteacute bref la complexiteacute des processus lieacutes agrave

lrsquousage de drogues sans bien entendu dissiper totalement les problegravemes

3 La litteacuterature speacutecialiseacutee anglo-saxonne visant agrave discuter les travaux de Becker et agraverevisiter les donneacutees utiliseacutees est vaste Voir les contributions reacutecentes de Hathaway(1997)

4 Voir agrave ce propos les travaux des chercheurs canadiens sur les laquo biogrammes raquo Il srsquoagitdrsquoarticuler des donneacutees quantitatives et qualitatives sur la base de calendriers reacutealiseacutes agravepartir de la consultation de dossiers officiels qui sont compleacuteteacutes et approfondis aumoyen drsquoentrevues semi-dirigeacutees De la sorte la chronologie des eacuteveacutenements est eacutetablieen parallegravele avec ce qui a fait sens dans les trajectoires des deacutelinquants au cours destrois derniegraveres anneacutees Voir Brochu da Agra et Cousineau (2002)

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eacutevoqueacutes Sans ceacuteder au feacutetichisme conceptuel souvent de mise au sein des

sciences sociales crsquoest bien cet aspect qursquoil faut retenir au regard des

donneacutees recueillies

Afin de restituer cette complexiteacute on se propose de probleacutematiser

les liens entre carriegraveres et geacuteneacuterations En quoi les appartenances de

geacuteneacuteration ou de cohorte

5

influent-elles sur le deacuteveloppement des carriegraveres

en particulier dans le trafic de drogues Dans quelle mesure permettent-

ils de rendre compte de la varieacuteteacute des parcours ou des configurations

biographiques en relation avec drsquoautres facteurs (sociaux familiaux ter-

ritoriaux institutionnels)

6

212 L

ES

EFFETS

DE

GEacuteNEacuteRATION

Il est banal de consideacuterer la drogue comme un pheacutenomegravene de geacuteneacuteration

En ce qui concerne les usagers drsquoheacuteroiumlne on distingue geacuteneacuteralement

deux geacuteneacuterations Celle des anneacutees 1970 eacutetait composeacutee pour une grande

part de jeunes de couches moyennes et supeacuterieures dont le rapport agrave la

drogue eacutetait deacutefini par la contre-culture plutocirct que par le cumul des

handicaps sociaux Celle des anneacutees 1980 appartenait en revanche agrave la

jeunesse des classes populaires particuliegraverement toucheacutees par le chocircmage

de masse et la preacutecariteacute Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre on a assisteacute agrave une

diffusion verticale de lrsquousage de drogues et agrave une extension des produits

consommeacutes qui ont modifieacute leur repreacutesentation sociale drsquoun attribut

contre-culturel la drogue est (re)devenue un laquo fleacuteau social raquo (Mauger

1984) Crsquoest aussi le traitement institutionnel qui distingue ces deux geacuteneacute-

rations Si en effet la premiegravere a constitueacute la clientegravele de base du dispo-

sitif de soins speacutecialiseacutes qui srsquoest progressivement mis en place apregraves la loi

de 1970 la seconde a eu difficilement accegraves agrave des structures peu adapteacutees

5 On nrsquoignore pas les difficulteacutes que posent les notions souvent confondues de geacuteneacuterationet de cohorte Selon la deacutefinition geacuteneacuterale que peut en donner la deacutemographie unecohorte est constitueacutee drsquoun ensemble drsquoindividus qui ont veacutecu un eacuteveacutenement semblablependant la mecircme peacuteriode de temps Dans ce sens la geacuteneacuteration pourra ecirctre deacutefiniecomme une laquo cohorte de naissance raquo Afin de dissiper cette ambiguiumlteacute certains socio-logues reacuteservent le terme de geacuteneacuteration au domaine de la parenteacute drsquoautres en fontlrsquoeacutequivalent drsquoune position de classe drsquoautres encore insistent sur le fait drsquoavoir veacutecules mecircmes expeacuteriences collectives Ces questions de deacutefinition sont indissociables decelles plus techniques qui consistent agrave diffeacuterencier les effets de geacuteneacuteration (lrsquoapparte-nance agrave une cohorte de naissance particuliegravere) les effets drsquoacircge (qui relegravevent du vieillis-sement) et les effets de peacuteriode (srsquoexerccedilant sur tous les membres drsquoune socieacuteteacute quelque soit lrsquoacircge) Elles seront peu abordeacutees en tant que telles ici lrsquoarticle eacutetant centreacutesur les aspects empiriques de la dynamique des carriegraveres selon les geacuteneacuterations

6 Voir dans un autre domaine (les personnes heacutemophiles) mais agrave partir drsquoune approchecomparable les analyses stimulantes consacreacutees par Carricaburu (2000) aux laquotrajectoiresde maladie raquo

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de surcroicirct agrave ses caracteacuteristiques sociologiques et sanitaires (Bergeron

1999) La proleacutetarisation de la consommation a eacuteteacute synonyme drsquoun rabat-

tement de la toxicomanie sur la deacutelinquance urbaine

Sans doute cette opposition traduite en termes de classes sociales

(moyennespopulaires) devrait-elle ecirctre affineacutee Non parce que ce voca-

bulaire serait devenu deacutesuet mais pour deux raisons essentielles distin-

guer plusieurs phases pour comprendre lrsquoapparition et la diffusion des

drogues dans les quartiers de releacutegation drsquoune part prendre en compte

agrave cocircteacute des pratiques de consommation les pratiques de revente qui consti-

tuent le fait majeur des anneacutees 1990 drsquoautre part Dans ce sens on pourrait

distinguer non pas deux geacuteneacuterations mais quatre cohortes

Pour en rester aux milieux populaires force est de constater que les

enfants des familles ouvriegraveres drsquoorigine franccedilaise ou eacutetrangegravere qui ont

eu 20 ans au deacutebut des anneacutees 1970 nrsquoont pas connu les drogues ndash en

tout cas pas lrsquoheacuteroiumlne et accessoirement le cannabis dans le cas restant

limiteacute des eacutetudiants Si certains quartiers sont des foyers de deacutelinquance

notoire ougrave lrsquoexistence de bandes se traduit par divers meacutefaits (vols bra-

quages homicides etc) la drogue est apparenteacutee agrave la bourgeoisie et est

signe de faiblesse La persistance des codes sociaux des anciens voyous

peut expliquer que lrsquoarriveacutee massive de lrsquoheacuteroiumlne dans drsquoanciennes citeacutes

ouvriegraveres ait pu ecirctre retardeacutee au cours des anneacutees 1980 alors que dans drsquoautres

citeacutes moins structureacutees elle soit survenue degraves le deacutebut des anneacutees 1970

7

Dans son reacutecit de lrsquoitineacuteraire collectif des jeunes Algeacuteriens (ou drsquoorigine

algeacuterienne) neacutes agrave Nanterre Colombes ou Gennevilliers qui ont grandi

dans les bidonvilles puis les citeacutes de transit Lefort (1980) nrsquoaborde pas

cette question Deux raisons peuvent ecirctre invoqueacutees Drsquoune part lrsquoorga-

nisation sociale des bidonvilles consideacutereacutes comme un veacuteritable quartier

suburbain (Peacutetonnet 1982) conduit agrave un rejet de tout ce qui nrsquoest

pas le groupe eacutetroit La situation politique apregraves la fin de la guerre drsquoAlgeacuterie

et le vide laisseacute par le deacutepart des cadres du Front national de libeacuteration

(FNL) renforcent cette meacutefiance Celle-ci se porte sur les journalistes

autant que sur les gauchistes dont les comportements sont deacutecrits comme

ceux de missionnaires La peacutedophilie

8

tregraves preacutesente dans les anneacutees 1960

renforce cette deacutefense du territoire Il ne pouvait donc y avoir de revente

7 Sur les processus drsquoimmunisation et drsquoacceacuteleacuteration de la deacuteviance voir les remarquesde Becker (1963 p 59-61) sur le rocircle des facteurs structurels voir Fagan (1995)

8 Traditionnellement la laquo zone raquo est un lieu ougrave les bourgeois viennent srsquoencanailler Defait dans les anneacutees 1960 les membres de milieux aiseacutes ont des relations sexuelles avecdes jeunes garccedilons arabes tout particuliegraverement Lefort (1980) mentionne bien ceproblegraveme et comment il a eacuteteacute geacutereacute par la police agrave partir drsquoune logique de cantonnementque lrsquoon retrouvera plus tard agrave propos du trafic de drogues

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de drogues agrave ce moment-lagrave Si certains teacutemoignages signalent une con-

sommation de cannabis elle est le fait des laquo vieux raquo qui se maintiennent

agrave bonne distance des laquo jeunes raquo Et lorsque des jeunes commencent agrave

prendre du cannabis et de lrsquoheacuteroiumlne ils le font de faccedilon cacheacutee dans un

cas et agrave lrsquoexteacuterieur de leur espace de vie agrave Paris dans lrsquoautre comme on

le verra plus loin

En fait crsquoest parmi les fregraveres cadets que lrsquoheacuteroiumlne se diffuse Neacutes

dans la premiegravere partie des anneacutees 1960 ces jeunes commencent agrave consom-

mer dans la seconde partie des anneacutees 1970 parfois de faccedilon preacutecoce (agrave

16 ans et moins) Selon les teacutemoignages recueillis crsquoest vers 1982-1983 que

lrsquoon assiste agrave lrsquoeacutemergence de la toxicomanie chez les jeunes filles qui

restera malgreacute tout discregravete dans le contexte eacutetudieacute Quels sont les facteurs

qui ont rendu possible

la diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers popu-

laires peacuteripheacuteriques Quelle forme speacutecifique les carriegraveres ont-elles prise

On verra comment la carriegravere des jeunes des quartiers a eacuteteacute ponctueacutee par

le passage de la laquo petite deacutelinquance raquo agrave lrsquousage puis de la deacutependance au

trafic avant drsquoentrer dans un cycle de vie marqueacute par drsquoinnombrables

seacutejours en prison

Une seconde coupure peut ecirctre repeacutereacutee avec la geacuteneacuteration neacutee agrave la

fin des anneacutees 1970 La grande caracteacuteristique en est la dissociation entre

usage et trafic Souvent usagers de cannabis les acteurs du trafic drsquoheacuteroiumlne

ne sont pas usagers ndash du moins agrave un moment de leur carriegravere Agrave une

logique drsquoautofinancement de la consommation se substitue une logique

que lrsquoon pourrait dire de laquo revalidation sociale raquo au sens ougrave elle vient

conjurer les effets de lrsquoinvalidation sociale dont une part des habitants des

citeacutes sont lrsquoobjet il srsquoagit de faire de lrsquoargent tout en eacutetant quelqursquoun Les

carriegraveres de cette nouvelle geacuteneacuteration renvoient agrave une professionnalisa-

tion du commerce local de drogues et agrave un durcissement des rapports

sociaux de trafic

Pour grossir le trait on peut donc distinguer deux types de chemi-

nements Dans le cas de la geacuteneacuteration des usagers drsquoheacuteroiumlne devenus pour

une part revendeurs crsquoest une logique de marginalisation sociale qui sous-

tend les trajectoires Dans celui des

dealers

non usagers crsquoest une logique

drsquointeacutegration sociale par des voies illicites qui les sous-tend afin drsquoacceacuteder

agrave lrsquoargent ndash signe majeur de la reacuteussite sociale aujourdrsquohui Mais une

diffeacuterence essentielle est agrave prendre en compte pour appreacutecier ces itineacute-

raires et les ressources mobiliseacutees par les uns et les autres Agrave un certain

moment les toxicomanes empruntent un chemin bien diffeacuterent des

laquo petits voyous raquo de banlieue qui ont acquis leur reacuteputation en faisant des

braquages dans le monde des jeux ou de la prostitution ils vont contri-

buer agrave construire une culture de la drogue dans les quartiers avec ses

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

normes et ses valeurs ses savoir-faire et ses techniques ses mythes et ses

leacutegendes Les

dealers

de citeacutes ont eux largement heacuteriteacute de cette culture

ils ont grandi avec

Avant de revenir de faccedilon deacutetailleacutee sur ces dynamiques disons un

mot sur les liens intergeacuteneacuterationnels La geacuteneacuteration des laquo grands fregraveres raquo

a ndash au moins durant un temps ndash tenteacute drsquoempecirccher la revente de la laquopoudreraquo

sur leur territoire et exerceacute une pression morale La geacuteneacuteration suivante

en partie deacutemolie par les surdoses le sida les suicides a servi de modegravele

repoussoir agrave une troisiegraveme geacuteneacuteration dont lrsquoinvestissement eacuteconomique

est primordial ndash ce qui nrsquoempecircche pas certains drsquoentre eux de laquo tomber

dedans raquo agrave un moment donneacute Quant aux adolescents drsquoaujourdrsquohui le

plus souvent ils connaissent peu cette histoire Il apparaicirct que la force de

lrsquoexemple nrsquoa pas joueacute pour eux comme on aurait pu srsquoy attendre

9

22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES

DES ANNEacuteES 1980

221 L

E

CONTEXTE

SOCIAL

ET

URBAIN

La diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les banlieues srsquoest deacuteveloppeacutee dans un

contexte social et eacuteconomique bien particulier qui permet de rendre

compte de lrsquoinscription territoriale des carriegraveres Trois caracteacuteristiques

essentielles de ce processus peuvent ecirctre rappeleacutees

La premiegravere est que ces territoires ont eacuteteacute particuliegraverement affecteacutes

par les effets sociaux de la deacutesindustrialisation ainsi que par le mouve-

ment de deacutelocalisation des grandes uniteacutes au cours des anneacutees 1970 On

assiste aux premiers signes de lrsquoeffondrement du marcheacute du travail agrave cette

peacuteriode Les eacutetablissements industriels implanteacutes dans les sites eacutetudieacutes

perdent pregraves du quart de leurs effectifs salarieacutes Il en reacutesulte un chocircmage

massif et une grande difficulteacute des jeunes agrave trouver un emploi Parallegravele-

ment on assiste agrave une deacutecomposition du monde ouvrier qui perd ses

capaciteacutes de socialisation drsquoencadrement des deacuteviances juveacuteniles (Dubet

et Lapeyronnie 1992) processus se traduisant par un rejet de la condition

ouvriegravere (Beaud et Pialoux 1999)

9 Crsquoest aussi le constat que fait Esterle-Heacutedibel (1997) sur deux terrains diffeacuterents de lareacutegion parisienne Les peacuteriodisations observeacutees du deacuteveloppement des toxicomanies etdes trafics sont aussi tregraves semblables dans ces diffeacuterents quartiers agrave celles que nous avonsobserveacutees

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

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La deuxiegraveme caracteacuteristique reacutesulte des effets conjugueacutes des processus

drsquoimmigration et drsquourbanisation de masse Bien avant 1974 date de lrsquoarrecirct

officiel de lrsquoimmigration de main-drsquoœuvre les ouvriers que les grandes

entreprises sont alleacutees chercher dans les zones rurales du Maroc et de

lrsquoAlgeacuterie vivent avec leur famille dans des conditions de misegravere Neacutean-

moins une vie communautaire existe (Peacutetonnet 1982) Le relogement

contraint dans les citeacutes de transit marque cependant une rupture (Zehraoui

1994) Srsquoamorce une peacuteriode de cohabitation interethnique synonyme de

tensions nouvelles Avec la laquo crise raquo la cohabitation devient plus probleacute-

matique les plus pauvres (et parmi eux les immigreacutes) restent les plus

aiseacutes (et parmi eux beaucoup de Franccedilais) partent ailleurs alors que les

familles repreacutesentant les laquo cas lourds raquo de lrsquoaide sociale alimentent une

spirale de la deacutegradation La seacutegreacutegation sociale se double drsquoune seacutegreacutegation

ethnique dont lrsquoeacutecole est un agent primordial (Barthon et Oberti 2000)

La troisiegraveme caracteacuteristique ndash moins connue ndash est lrsquoexistence de

foyers de deacutelinquance bien anteacuterieure agrave lrsquoarriveacutee de la drogue dans ces

quartiers et les effets de reacuteputation symbolique qui les caracteacuterisent depuis

bien longtemps La micro-histoire de ces quartiers est souvent une cleacute

neacutegligeacutee par les sociologues

10

On peut remonter dans certains cas jusqursquoaux

anneacutees 1920 Une analyse de contenu de la presse de lrsquoeacutepoque (Marliegravere

1998) agrave propos de certains quartiers atteste agrave travers un certain nombre

de faits (regraveglements de compte homicides vols braquages) lrsquoexistence

de bandes lieacutees au banditisme comme le rapporte ce chercheur habitant

lui-mecircme dans un de ces quartiers

Je me souviens drsquoecirctre tombeacute sur un article de

Banlieue Ouest

en1932 ougrave la Poste du quartier qui a eacuteteacute construite en 1931 avait deacutejagraveeacuteteacute drsquoapregraves lrsquoarticle visiteacutee trois fois [hellip] Je crois que je suistombeacute sur deux ou trois homicides pour le quartier Donc crsquoeacutetaitun quartier deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque tregraves malfameacute [hellip] Et avec la construc-tion de la citeacute de transit dans les anneacutees 1960 yrsquoa eu un retourun peu des bandes plus dures crsquoest-agrave-dire avec des jeunes quifiniront mal [hellip] Et donc je pense que le retour du grand bandi-tisme avec vraiment une peacuteriode de violence crsquoest entre 1975et 1990

11

Tout cela pour dire que la deacutelinquance dans ces quartiers nrsquoest pas

un fait nouveau les meacutecanismes de reacuteputation opeacuterant sur une longue

dureacutee Ce qui nrsquoempecircche pas de relever les processus qui ont rendu pos-

sibles plutocirct que produit les cheminements dans lrsquounivers de la drogue

10 Voir notamment en France Bachmann et Basier (1989) et aux Eacutetats-Unis Bourgois (2001)

11 Pour une histoire sociale de la deacutelinquance voir notamment Mucchielli (2001)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

222 C

HEMINEMENTS

VERS

L

rsquo

HEacuteROIumlNE

Ce qui distingue nos deux cohortes dans ce contexte crsquoest la laquo position

chronologique raquo (Cagliero Lagrange et Moyses 1999) des conduites

deacuteviantes notamment en ce qui concerne lrsquoemploi En scheacutematisant on

peut dire que pour les plus anciens la deacutelinquance puis lrsquoemploi ont

plutocirct preacuteceacutedeacute la consommation ou la revente drsquoheacuteroiumlne alors que pour

les plus jeunes on le verra crsquoest plutocirct la participation au trafic local qui

a eacuteteacute anteacuterieure agrave un emploi leacutegal

12

Une scolariteacute plus ou moins chaotique dans lrsquoenseignement tech-

nique conduit les membres de la premiegravere cohorte agrave un CAP (certificat

drsquoaptitude professionnelle) ndash obtenu ou pas Cette formation les destine

agrave ecirctre ouvriers qualifieacutes crsquoest-agrave-dire agrave occuper bien souvent une position

plus eacuteleveacutee que celle de leur pegravere travaillant dans des emplois agrave faible

qualification comme manœuvre en usine Dans la plupart des entretiens

reacutealiseacutes on constate un rejet du travail en usine et de la condition qui y

est associeacutee Mais la mobiliteacute sociale est limiteacutee On le voit par exemple

avec Bruno dont le pegravere est carrossier dans un petit garage de Levallois-

Perret et qui fait vivre sa femme en invaliditeacute agrave 50 et ses deux enfants

avec un salaire modeste Apregraves une peacuteriode difficile ougrave il est interpelleacute et

condamneacute pour vol comme mineur agrave trois mois de prison ferme

13

Bruno

obtient son CAP de carrossier agrave 17 ans Ouvrier qualifieacute il trouve un travail

et megravene la belle vie pendant deux ans Jusqursquoau moment ougrave il goucircte agrave la

laquo drogue raquo non pas le cannabis qursquoil consomme quotidiennement

comme il boit de lrsquoalcool (laquo

On est des bons vivants alors je buvais mon petitapeacuteritif et tout et puis mon petit shit le soir

raquo) mais lrsquoheacuteroiumlne dont la

consommation va devenir incompatible avec drsquoautres rocircles sociaux

Crsquoeacutetait en 1982 Jrsquoai eu mon CAP en 1982 agrave 17 ans Et puis apregraves moije rentrais dans la vie jrsquoavais mon CAP mon permis de conduire jetravaillais jrsquoavais tout Je manquais de rien yrsquoavait qursquoun seul truc queje connaissais pas crsquoeacutetait ccedila Je freacutequentais que des mecs qui eacutetaient commemoi On bossait tous hein On avait tous un patron et tout et puis je lesvoyais ccedila faisait deux ou trois semaines qursquoils prenaient devant moi ccedila

12 Dans le contexte des anneacutees 1990 de chocircmage de masse on peut se demander si laparticipation au trafic nrsquoa pas joueacute quasiment un rocircle de filiegravere preacuteprofessionnelle Surle trafic comme travail voir Bouhnik et Joubert (1992) Ruggiero et South (1996)Duprez et Kokoreff (1999)

13 Ce point ne sera abordeacute qursquoau deuxiegraveme des quatre entretiens reacutealiseacutes entre 1997 et2000 en deacutetention Il indique que le fait de rencontrer sur une peacuteriode eacutetendue unemecircme personne peut diminuer lrsquoeffet de censure Par ailleurs lorsque lrsquoon sait quedurant cette peacuteriode Bruno est sorti trois fois de prison il reacutevegravele aussi la vulneacuterabiliteacutestructurelle dans laquelle celui-ci se trouve

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changeait rien dans leur vie Je me suis dit laquo Je vais rentrer dans leur trippour ecirctre dans la mecircme soireacutee dans la mecircme ambiance qursquoeux raquo Et puisvoilagrave et puis voilagrave

Quoi voilagrave Qursquoest-ce qui srsquoest passeacute apregraves

Bah apregraves crsquoest con agrave dire ccedila maishellip faut pas le dire mais je vais le direon arrive agrave aimer cette deacutefonce Le premier petit joint on fume un jointon rigole on est heureux on se sent bien Donc le lendemain on srsquoen refaitun petit Crsquoest pareil la drogue Lrsquoalcool crsquoest pareil On se fait un bonrepas on lrsquoarrose de deux bons verres de vin on se sent bien on est heureuxDegraves qursquoon peut recommencer un bon repas on va recommencer et ainsi desuite Et puis voilagrave

(26 mars 1997)

Cet extrait drsquoentretien dit bien la dimension collective drsquoune initia-

tion veacutecue comme un plaisir tout en eacutetant appeleacutee ndash reacutetrospectivement ndash

agrave devenir un destin pour ces jeunes ouvriers qui habitent des quartiers agrave

mauvaise reacuteputation Pourtant les parcours ne sont pas aussi lineacuteaires que

le disent ces derniers Tout drsquoabord parce que bien souvent les contacts

avec la justice et la prison sont preacutecoces mecircme srsquoils nrsquoont pas pour laquo cause raquo

la drogue Ensuite parce que si la rencontre avec lrsquoheacuteroiumlne constitue un

point de rupture ou de bifurcation elle ne doit pas masquer drsquoautres

moments facilement discernables dans les reacutecits de carriegravere le passage du

sniff

au

shoot

et le changement de milieu drsquousage qui lrsquoaccompagne (laquo

etpuis un jour jrsquoai eacuteteacute dans une autre soireacutee crsquoeacutetaient pas des sniffeurs crsquoeacutetaient desseringueurs

raquo) la perte de lrsquoemploi qui reacutesulte du processus de deacutependance

(laquo

on est trop en manque pour se lever et mecircme si on peut le boulot y suit pas lepatron il le voithellip

raquo) mais qui reste une deacutecision propre (laquo

crsquoest toujours moiqui ai pris mon compte

raquo) la deacutelinquance qui srsquoimpose (laquo

il fallait que je medeacutebrouille de lrsquoargent

raquo) et la situation de reacutecidive leacutegale qui alourdit la sanc-

tion peacutenale Enfin en deacutepit de ce processus de deacutegradation le capital

eacuteconomique et culturel acquis reste une ressource (laquo

jrsquoai un meacutetier dans lesmains

raquo) et un ethos (laquo

jrsquoai une mentaliteacute de travailleur

raquo) y compris en prison

lorsque le travail exerceacute redonne sens et fierteacute

Crsquoest aussi le registre drsquoexpression du plaisir agrave travers lrsquohomologie

alcooldrogues illicites (petit jointpetit apeacuteritif deacutefoncebon repas etc)

qui constitue un motif socialement appris et significatif

14

On pourrait

y voir lrsquoexpression drsquoun

habitus de classe

se traduisant tout particuliegravere-

ment dans le rapport au corps agrave travers la prise de laquo drogues dures raquo qui

laquo deacutefoncent raquo et permettent drsquooublier la pratique mecircme de lrsquoinjection la

seringue Ce lien est aussi un aspect des cheminements eacutetudieacutes En effet

lrsquoalcool plus ou moins associeacute agrave la violence occupe une place importante

14 Sur ce point voir les analyses de Mauger et Fosseacute-Poliak (1983)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

dans lrsquohistoire des toxicomanes des citeacutes Comme bien drsquoautres Bruno a

grandi dans un milieu familial tregraves marqueacute par lrsquoalcoolisme son pegravere est

mort drsquoun cancer du foie en 1991 sa megravere faisait de lrsquohypertension elle

srsquoest mise agrave boire apregraves le deacutecegraves de son mari et est deacuteceacutedeacutee en 1998 quant

agrave sa sœur sans emploi marieacutee avec deux enfants laquo

elle boit elle picole ellearrecircte elle picole

raquo avec son mari qui est employeacute dans une papeterie laquo

ilssrsquoengueulent agrave cause de lrsquoalcool

raquo Cet exemple nrsquoest pas isoleacute On pourrait

prendre celui drsquoAbensour dont le pegravere a fui la guerre drsquoAlgeacuterie en mecircme

temps que la misegravere drsquoabord en Tunisie puis en France agrave Nanterre Ayant

grandi dans ce qursquoon appelait alors la laquo zone raquo la trajectoire drsquoAbensour

prend une tournure nouvelle agrave la suite drsquoune orientation scolaire malheu-

reuse Il commence agrave prendre de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans Crsquoest ainsi qursquoil

eacutevoque son pegravere et lrsquoambiance reacutegnant au domicile familial

Il buvait beaucoup de ce temps-lagrave il buvait Toujours il avait sa bouteillede rouge Alors je peux pas te dire si crsquoest son boulot ou la bouteille qui lefatiguait Il eacutetait bourreacute tous les soirs Quand il arrivait deacutefonceacute on avaitpeur il eacutetait tregraves meacutechant il frappait ma megravere il nous sortait des grosmots on eacutetait petits Il traitait mes petites sœurs de putes il nous disait laquo Allez vous faire voir par les peacutedeacutes et tout raquo Moi jrsquoaimais pas trop resteragrave la maison les filles elles pouvaient pas sortir mais nous on se cassaitdans la rue

(15 mars 1997)

Lrsquoalcoolisme et les violences familiales sont souvent eacutevoqueacutes par les

intervenants speacutecialiseacutes afin de rendre compte des parcours vers lrsquoheacuteroiumlne

la consommation de produits injecteacutes symbolisant une forme de violence

contre soi Bouhnik (1994) rejoint en partie cette perspective dans la

classification qursquoelle propose en distinguant un type de configuration

biographique baseacute sur la continuiteacute de lrsquoalcoolisme du pegravere agrave la toxico-

manie du fils Mais ce type nrsquoeacutepuise pas la varieacuteteacute des cheminements et

la citation ci-dessus amegravene aussi agrave prendre en compte les conditions de

socialisation des adolescents et leur diffeacuterenciation selon les sexes dans ce

contexte social

La preacutesence des filles dans la rue est en effet peu importante Il

semble que rares sont celles qui consomment ou revendent de lrsquoheacuteroiumlne

dans les quartiers eacutetudieacutes

15

Lrsquoune des explications donneacutees par les enquecircteacutes

quand on leur pose la question reacuteside dans la surveillance effectueacutee par

les fregraveres les fratries nombreuses et lrsquointerconnaissance favorisent cette

15 Contrairement agrave la situation observeacutee aux Eacutetats-Unis ougrave la combinaison de divers fac-teurs structurels a contribueacute agrave la monteacutee en puissance des femmes dans lrsquoorganisationde revente de la cocaiumlne (Fagan 1995) on nrsquoobserve pas de pheacutenomegravene comparabledans les quartiers que nous avons eacutetudieacutes en reacutegion parisienne

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forme de controcircle communautaire Cela ne signifie pas que ce pheacuteno-

megravene nrsquoexiste pas dans les quartiers eacutetudieacutes il est simplement plus diffus

et cacheacute Certaines femmes envoient leurs proches srsquoapprovisionner

drsquoautres neacutegocient avec les

dealers

pour obtenir le produit contre des

relations sexuelles La prostitution si elle semble limiteacutee existe mais

davantage en direction de Paris que dans les quartiers En ce qui concerne

le

deal

certaines femmes apparaissent comme de veacuteritables figures connues

dans tout le deacutepartement Lrsquoune drsquoelles est issue drsquoune famille dont

lrsquoimplication dans le trafic est notoire un de ses fregraveres qui revendait de

lrsquoheacuteroiumlne est mort dans des circonstances eacutetranges apregraves son interpella-

tion par la police un autre a eacuteteacute condamneacute agrave sept ans de prison pour

trafic lrsquoaicircneacute a eacuteteacute condamneacute agrave cinq ans pour une affaire mixte Si cette

femme est bien connue dans le quartier et les communes voisines cela

teacutemoigne de lrsquoeacutetroitesse de ce petit monde de la drogue

Par contre bon nombre drsquoobservations nous indiquent que ces

conduites illicites srsquoinscrivent dans la continuiteacute du mode de vie des jeunes

garccedilons des citeacutes Prenons lrsquoexemple paradigmatique de ceux que nous

appellerons pour reprendre leur propre deacutesignation les laquo Nanterriens

16

raquo

Ces jeunes garccedilons issus de familles immigreacutees en particulier algeacuteriennes

ont grandi dans la commune de Nanterre au milieu des bidonvilles puis

dans les citeacutes de transit au cours des anneacutees 1960 et 1970 Ils suivent agrave

peu pregraves normalement leur scolariteacute dans lrsquoenseignement technique

jusqursquoagrave 16 ou 17 ans passent leur CAP et commencent agrave faire des petits

boulots Crsquoest alors qursquoils freacutequentent les quartiers parisiens de Pigalle et

de Barbegraves la rue Montmartre lrsquoOpeacutera pour peu agrave peu srsquoinscrire dans un

style de vie marginal

Jrsquoai connu un homosexuel qui eacutetait un peu voyou un peu deacutelinquant tuvois Crsquoeacutetait un cambrioleur Jrsquoai commenceacute agrave faire ccedila avec luihellip Et puispar la suite on a continueacute entre copains On allait voler on avait delrsquoargent on trouvait que crsquoeacutetait trop facile Au deacutebut on srsquoachetait desfringues on allait en boicircte de nuit On faisait beaucoup drsquoargent avec lesmachines de la RATP les machines dans le RER On trouvait que crsquoeacutetaitvraiment un jeu drsquoenfant il suffisait de casser une machine et on trouvait10 000 20 000 F

[en anciens francs] juste en piegraveces Crsquoeacutetait vraimentfacile et ccedila a dureacute un moment [hellip] Et puis agrave cette eacutepoque-lagrave on acommenceacute on eacutetait une bande de copains on vagabondait on dormaitpas des fois on passait des nuits en boicircte de nuit Pendant des jours on

16 laquo Nous on sait qursquoon a veacutecu agrave Nanterre on a grandi ici mecircme si on a deacutemeacutenageacute mecircme si on ahabiteacute Vanves Anthony ou dans les alentours on est toujours des Nanterriens trop de nous-mecircmes raquo Sur la constitution de lrsquoidentiteacute locale dans ce cas preacutecis voir Seacutegalen (1990)

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44 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rentrait pas agrave la maison Quand je rentrais agrave la maison crsquoeacutetait monpegravere il mrsquoengueulait il me frappait alors bon jrsquoeacutevitais de rentrer jrsquoessayaisde me deacutemerder je pensais qursquoon allait pouvoir srsquoen sortir tout seul(14 avril 1999)

Crsquoest dans les boicirctes de nuit parisiennes que ce groupe de copains

commence agrave consommer de lrsquoheacuteroiumlne laquo par hasard raquo pour reprendre leur

terme

Apregraves on a commenceacute agrave toucher agrave la came Crsquoeacutetait en boicircte de nuit je mesouviens on buvait pas drsquoalcool on eacutetait vraiment pas attireacute par lrsquoalcoolon fumait que du hasch agrave cette eacutepoque-lagrave Et puis un jour on eacutetait enboicircte on nrsquoa pas trouveacute de haschich et il y a un type qui nous a proposeacutede la laquo blanche raquo On eacutetait encore naiumlf on ne savait pas trop ce que crsquoeacutetaitOn srsquoest un peu concerteacute entre copains Y en a un qui disait laquo oui on vaen prendre raquo il y en avait un autre qui disait laquo non raquo Et puis toutcompte fait on en a pris Ccedila a commenceacute comme ccedila

Crsquoeacutetait de lrsquoheacutero

Ouais crsquoeacutetait de lrsquoheacutero Ccedila a commenceacute comme ccedila On a sniffeacute ccedila Il y ena qui se sont sentis mal Moi non plus je ne mrsquoeacutetais pas senti tregraves bien lapremiegravere fois Peut-ecirctre un mois ou quinze jourshellip je ne sais pas tropcombien de temps apregraves on a commenceacute agrave renouveler lrsquoopeacuteration Petit agravepetit on a aimeacute ccedila Au deacutebut crsquoeacutetait que les fois ougrave on allait en boicircte endehors quand on eacutetait dans la citeacute les jours de la semaine on nrsquoy pensaitpas Il y en avait pas dans notre quartier crsquoeacutetait pas comme maintenantAvant fallait vraiment ecirctre brancheacute il fallait aller en boicirctes de nuit agraveParis dans les cafeacutes fallait vraiment connaicirctre Nous on connaissait quece plan-lagrave crsquoeacutetait en boicircte de nuit Un Tunisien qui vendait la came(14 avril 1999)

Que srsquoest-il passeacute pour que brusquement entre 16 et 19 ans Abdellah

Nordin Mohamed mais aussi Pascal et Laurent et bien drsquoautres parfois

plus jeunes encore deviennent toxicomanes au tournant des anneacutees 1980

Faut-il incriminer lrsquoeacutecole dans la genegravese de la toxicomanie Est-ce plus

largement la logique sociale de lrsquoimmigration qui a conduit agrave la margina-

lisation de ces laquo enfants illeacutegitimes raquo (Sayad 1991) Quelle place accorder

agrave des facteurs contextuels tels que les logiques de lrsquooffre et le redeacuteploie-

ment de lrsquoeacuteconomie de la drogue

223 DE LrsquoUSAGE Agrave LA REVENTE

Au deacutebut des anneacutees 1980 les laquo banlieues raquo font parler drsquoelles mais la

drogue et lrsquoheacuteroiumlne en particulier nrsquoy ont pas la place qursquoelles occuperont

quelques anneacutees plus tard Durant cette peacuteriode le quartier de la rue

Montmartre situeacute dans le IXe arrondissement est un des hauts lieux de

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 45

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la nuit parisienne avec ses boicirctes de nuit ceacutelegravebres dans les milieux bran-

cheacutes Dans la rue se cocirctoient touristes et pickpockets laquo gays raquo des beaux

quartiers et jeunes laquo beurs raquo des citeacutes deacutefavoriseacutees Ces derniers sont

encore des usagers occasionnels qui font la fecircte et ne connaissent pas

drsquoautres laquo plans raquo Crsquoest toute la diffeacuterence avec leurs laquo petits fregraveres raquo qui

eux nrsquoauront pas besoin drsquoaller agrave Paris pour acheter leur paquet dispo-

nible sur le marcheacute du laquo coin de la rue raquo

Le passage du trafic des quartiers parisiens vers les citeacutes de banlieue

va se faire progressivement (Fatela 1992) Une note sur la toxicomanie

reacutedigeacutee en 1983 par un chargeacute de mission aupregraves du secreacutetaire drsquoEacutetat

aux affaires sociales souligne que si lrsquoheacuteroiumlne est preacutesente parmi les

jeunes depuis plus de dix ans laquo on assiste depuis trois ans agrave une veacuteritable

flambeacutee de cette forme de toxicomanie raquo Et de preacuteciser les transforma-

tions du marcheacute

Les lieux de vente sont situeacutes principalement au coin de la rueMontmartre et du boulevard Montmartre agrave Belleville aux laquoQuatreTempsraquo de La Deacutefense au-dessus de la patinoire mais depuis quelquetemps les revendeurs ne cegravedent leur marchandise que par quantiteacutede 5 grammes On assiste donc agrave la naissance de petits revendeurs(dealers) qui vendent dose par dose aux laquo Quatre Temps raquo de LaDeacutefense et dans toutes les citeacutes concerneacutees Dans une citeacute de Nanterrele trafic serait beaucoup plus important17

Un usager-revendeur aujourdrsquohui acircgeacute de 42 ans qui a commenceacute agrave

consommer agrave lrsquoacircge de 16 ans deacutecrit ce processus Un rien nostalgique il

souligne la modification des pratiques et des valeurs qui les sous-tendent

Avant tu trouvais pas de came en banlieue Crsquoeacutetait Belleville ou rueMontmartre ou lrsquoIcirclocirct-Chalonshellip Crsquoest depuis les anneacutees 1980 que laschnouf elle arrive en banlieue Apregraves ccedila a commenceacute agrave arriver agrave LaFourche Brochant18 tout ccedila lagravehellip [hellip] Ah moi je lrsquoai vu arriver parce queje vais te dire un truc bon avant tu allais tu faisais ton cambriolage outon petit braquo de merde lagrave tu montais agrave Paris tu achetais ta dose Maismaintenant crsquoest plus ccedila Tu descends de chez toi euh vider la poubelleben voilagrave Devant ton vide-ordures trsquoas un type en train de se piquer parceqursquoagrave cocircteacute agrave cocircteacute lrsquoautre il lui vend de la schnouf Tu vois y a eu situ veux une autre forme de deacutelinquance crsquoest pour ccedila que je dis nous agravenotre eacutepoque crsquoeacutetait pas pareil On allait chercher notre argent (30 sep-tembre 1996)

17 Note sur la toxicomanie dans les Hauts-de-Seine ministegravere des Affaires sociales 1983

18 Crsquoest-agrave-dire sur la ligne de meacutetro desservant la proche banlieue Nord-Ouest de Paris

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46 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Crsquoest dans ce contexte de bouleversement de lrsquooffre que srsquoinscrivent

les parcours des personnes rencontreacutees Srsquoinstallant dans un processus de

deacutependance (Ingold 1985) elles sont interpelleacutees et condamneacutees agrave des

peines de prison ferme apregraves avoir eacuteteacute incarceacutereacutees comme mineures Crsquoest

le cas drsquoAbdellah qui est condamneacute agrave quinze mois de prison pour vol agrave

lrsquoacircge de 20 ans

Je suis sorti en 1982 en pleine forme et je pensais vraiment dans ma tecircteque jrsquoallais pas retoucher agrave la came Et quand je suis sorti je voyais qursquoily avait tellement de fric agrave faire lagrave-dedans [ la revente ] je me suis dit aulieu de voler et de prendre de lrsquoargent pour aller en acheter je vais acheterde la came par cinq grammes par dix grammes et puis je vais essayer devoir les types qui en veulent Jrsquoai commenceacute agrave vendre

Sur ton quartier

Ouais sur mon quartier sur ma ville crsquoeacutetait en 1982 En sortant deprison jrsquoai commenceacute agrave vendre Au deacutebut ccedila marchait bien crsquoest malheu-reux agrave dire mais ccedila marchait bien Crsquoest fou lrsquoargent que ccedila ramegravene Ccedilaramenait beaucoup drsquoargent (14 avril 1999)

Il nrsquoest plus question de faire un ou deux cambriolages par mois

avec la consommation drsquoheacuteroiumlne les besoins financiers augmentent La

revente apparaicirct comme une ressource pour ceux qui ont eacuteteacute incarceacutereacutes

agrave plusieurs reprises Drsquoautres ne revendent pas dans leur quartier ougrave agrave

cette eacutepoque la pression des grands fregraveres est encore forte pour eacuteviter

le deal de rue et lrsquoafflux de toxicomanes de la rue Montmartre ougrave ils

srsquoapprovisionnent ils se rendent aux laquo Quatre-Temps raquo agrave La Deacutefense lieu

de rencontre de nombreux usagers drsquoheacuteroiumlne accessoirement laquo tireurs raquo

(pickpockets) faisant les poches ou les sacs des passants dans les escaliers

meacutecaniques Jusqursquoau moment ougrave ces activiteacutes illicites sont jugeacutees intoleacute-

rables au sein de ce nouveau quartier drsquoaffaires et ougrave les opeacuterations de

police se multiplient alors qursquoagrave la mecircme peacuteriode le squat de lrsquoIcirclot-Chalons

est fermeacute Reacutesultat indirect et bien connu le marcheacute se deacuteplace et se

restructure dans les citeacutes de la proche banlieue

Cela dit tout le monde ne revend pas Certains mecircme lrsquoaffirment

avec force lors des entretiens Crsquoest le cas de Bruno qui tire ses ressources

de vols simples laquo Je nrsquoai pas la mentaliteacute pour dealer raquo dit-il pour trouver sa

came il va laquo fouiller raquo au petit matin les cages drsquoescalier des immeubles

de son quartier en quecircte des paquets cacheacutes par les laquo petits jeunes raquo Autre

exemple celui drsquoAbdelmaleck qui commence agrave fumer du cannabis agrave 15 ans

et agrave sniffer de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans en boicircte avec les autres rue Montmartre

Non je ne voulais pas parce que jrsquoavais peur [hellip] Drsquoabord alors questionmoi les grands fregraveres et tout ils mrsquoont fait ils mrsquoont preacutevenuhellip laquo On nrsquoapas inteacuterecirct agrave entendre dire que trsquoes en train de revendre de la came ou untruc comme ccedila raquo Moi vendre agrave quelqursquoun que je connais jrsquoavais peur de

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de si je me mettais agrave ccedila que le mec il fait une OD [overdose] Trsquoimagi-nais le mec que je connais depuis lrsquoenfance agrave cause de moi il me deman-dait un paquet il tapait une ODhellip Je pouvais pas vendre agrave quelqursquounque je connais mecircme vendre agrave nrsquoimporte qui mecircme que ce soit quelqursquounque je ne connais pas Jrsquoai jamais vendu de la drogue jrsquoai jamais dealeacutemecircme que ce soit lrsquoheacutero ou le shit (19 mars 1997)

La pression des grands fregraveres mais aussi celle des familles (laquo lesparents on se connaicirct ccedila va faire des problegravemes de famille graves raquo) opegravere

comme un mode de controcircle socieacutetal pour reprendre le terme de Castel

et Coppel (1991) On peut y voir la morale du deacuteviant (Ogien 1996)

Celle-ci peut valoir pour lrsquoheacuteroiumlne qui est perccedilue comme la drogue par

excellence et non pour le cannabis Mais il y a des arrangements avec la

morale selon les situations

Jrsquoai jamais vendu de drogue Enfin tout petit agrave la citeacute jrsquoai vendu desbarrettes pour la fin de la semaine aller en boicircte de nuit payer agrave notrenana faire rentrer quand mecircme un peu de tunes comme la plupart desjeunes En ce moment ils fonthellip mais ils font pas ccedila avec du shit ils fontccedila avec de la drogue dure Moi je me rappelle un moment quand on eacutetaitpetit on vendait du shit mais les grands qui venaient ils nous disaient laquo Voilagrave par rapport agrave votre shit moi je vous donne quelque chose vous mela vendez je vous rabats les clients raquo Et agrave la fin agrave la fin de la semainemecircme pas agrave la fin de la soireacutee je reacutecupeacuterais les sous mais agrave la fin de lasemaine je faisais dans les 400 000 [4000 F] Alors 400 000 agrave lrsquoeacutepoquecrsquoeacutetaient trois millions [30 000 F] aujourdrsquohui On eacutetait heureux Onprenait les 400 000 on allait chez nous on donnait 1 000 balles agrave nosparents ils les acceptaient ils nous disaient laquo Ougrave vous les avez eus raquoOn disait laquo Ah on les a voleacutes raquo Mais en sachant ccedila mecircme srsquoils eacutetaientdans la religion mecircme srsquoils avaienthellip ils faisaient leurs priegraveres et tout ilsavaient un pardon parce que crsquoeacutetaient pas eux qui venaient drsquoaller volerMais par rapport agrave ccedila on arrivait agrave vivre agrave payer notre loyer Mais euhhellipde fil en aiguille on est arriveacute agravehellip agrave ccedila Agrave se retrouver toujours dans lesmecircmes milieux en sachant que crsquoeacutetait mal mais on nrsquoavait pas le choixhellip(26 mars 1997)

On touche lagrave un point sensible des carriegraveres dans le trafic la redis-

tribution des gains dans le milieu familial Beaucoup de rumeurs circulent

sur lrsquoargent de la drogue qui ferait vivre les citeacutes en tout cas des familles

entiegraveres Dans tous les entretiens reacutealiseacutes ici ou lagrave la plupart de nos inter-

locuteurs nuancent cette vision des choses laquo nos parents nrsquoauraient jamaisaccepteacute de lrsquoargent sale raquo Ce qui nrsquoempecircche pas toutes sortes de subterfuges

ou de ruses ni des arrangements au sein de la fratrie afin de satisfaire aux

deacutesirs des petits fregraveres ou des petites sœurs

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48 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

224 UNE VULNEacuteRABILITEacute STRUCTURELLE

Agrave un moment donneacute les usagers ou revendeurs drsquoheacuteroiumlne qui ont grandi

dans ces quartiers pauvres sont pris dans ce qursquoils appellent un laquoengrenageraquo

ou un laquo systegraveme raquo Un premier dilemme se preacutesente agrave eux pour financer

leur consommation voler ou revendre Pour les filles la prostitution peut

constituer un autre choix possible bien que rarissime dans les quartiers

observeacutes Quoi qursquoil en soit le risque drsquoecirctre interpelleacute pour usage vol ou

revente nrsquoest pas neacutegligeable dans ce contexte urbain de mecircme que ce

faisant celui drsquoecirctre incarceacutereacute agrave mesure que cette seacutequence se reacutepegravete Il

en reacutesulte un style de vie rythmeacute par la reacutepeacutetition drsquoune mecircme seacutequence

interpellationprisonsortie preacutecairereprise de la consommation etc

Dans certains cas cette seacutequence peut se reacutepeacuteter six ou sept fois durant

des anneacutees Crsquoest dire que lrsquoexpeacuterience de vie est ponctueacutee par les alleacutees

et retours en prison la prison faisant partie inteacutegrante drsquoune trajectoire

plutocirct qursquoelle ne constitue une rupture (Bouhnik et Touzeacute 1996) Mais

cela nrsquoest pas suffisant pour rendre compte des meacutecanismes qui concourent

au bout du compte agrave la vulneacuterabiliteacute structurelle (Bourgois 2001) des

toxicomanes des citeacutes Lrsquoanalyse des effets conjugueacutes des logiques institu-

tionnelles et des logiques territoriales permet drsquoen rendre compte

Dans ce processus la logique peacutenale est centrale Entreacutes dans cette

phase de leur carriegravere ces individus ne sont plus seulement deacutesigneacutes

socialement comme laquo toxicomanes raquo dans leur face-agrave-face avec les policiers

magistrats et intervenants speacutecialiseacutes ils sont deacutefinis comme laquo multireacuteci-

divistes raquo ndash jusqursquoagrave reprendre agrave leur propre compte pour certains drsquoentre

eux ce marquage institutionnel comme ils ont inteacuterioriseacute leur identiteacute

de laquo toxicomanes raquo La plupart des entretiens meneacutes en prison tant agrave

Nanterre qursquoagrave Lille ont eacuteteacute effectueacutes avec cette cateacutegorie de deacutetenus Si

lrsquoon reprend les cas drsquoAbdellah et de Bruno le premier neacute en 1961 a eacuteteacute

condamneacute 17 fois entre 1977 et 1998 le second neacute en 1963 a eacuteteacute condamneacute

pregraves de 20 fois entre 1981 et 1999 On sait que la logique des laquo preacuteceacutedents raquo

pegravese lourd dans le traitement peacutenal (Faugeron 1991) en particulier pour

ce qui concerne les infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants (Guillain

et Scohier 2002) Elle se traduit par une expeacuterience de la justice peacutenale bien

particuliegravere engendreacutee par la preacutegnance des critegraveres socio-individuels

(origine sociale nationaliteacute) et lrsquolaquo effet casier raquo

Le temps passeacute en prison est bien eacutevidemment un facteur puissant

de reacutecidive La plupart des toxicomanes des anneacutees 1980 intervieweacutes

lorsqursquoils nrsquoont pas connu la prison comme mineurs ont eu une expeacute-

rience preacutecoce des institutions disciplinaires (depuis les centres de lrsquoAssistance

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publique jusqursquoaux maisons de correction) Certains racontent le choc

que leur a fait la prison non pas tant dans sa mateacuterialiteacute mais paradoxa-

lement comme prolongement de la citeacute

Ccedila mrsquoa fait un choc sur le coup [hellip] Yrsquoavait tout le monde yrsquoavait tousles copains [hellip] deacutejagrave on eacutetait tous unis alors on se retrouve en prisoncomme si on eacutetait dans la citeacute mais tous enfermeacutes Et la plupart du tempson eacutetait jeunes on savait qursquoon nrsquoallait pas rester longtemps (19 mars1997)

Plus geacuteneacuteralement on sait depuis Foucault (1975) que la prison est

une machine agrave produire de la deacutelinquance et par lagrave un lieu de socialisa-

tion laquo deacuteviante raquo Ce qui se transmet et srsquoapprend ce sont des faccedilons de

faire les codeacutetenus parlent beaucoup des coups qursquoils ont faits et de

ceux qursquoils recircvent de faire comment faire son argent voler eacutechanger

revendre ougrave aupregraves de qui etc Par lrsquointermeacutediaire des personnes ren-

contreacutees en deacutetention lors des promenades en particulier un savoir pra-

tique se constitue et se diffuse En matiegravere de trafics si lrsquoon procegravede par

recoupement avec le contenu des dossiers judiciaires ou drsquoautres entre-

tiens les reacutecits sur les passages agrave la frontiegravere franco-belge les marcheacutes de

la meacutetropole lilloise le fonctionnement des reacuteseaux de trafic depuis le

Maroc via lrsquoEspagne sont drsquoun grand reacutealisme Or dans la mesure ougrave ces

faits deacutepassent le cadre territorial des quartiers eacutetudieacutes ils peuvent nrsquoavoir

eacuteteacute connus qursquoen prison ndash en tout cas on peut en faire lrsquohypothegravese

Un autre meacutecanisme institutionnel qui contribue agrave la construction

sociale du multireacutecidivisme est lrsquoemprise des dettes Au deacutebut du premier

des quatre entretiens reacutealiseacutes avec Bruno entre 1997 et 2000 srsquointerro-

geant sur les attentes du chercheur il adopte une posture proche du

sociologue en proposant une lecture tout agrave fait vraisemblable de sa carriegravere

Crsquoest sur le deacutemarrage comment on entre dans le systegraveme de la drogue quevous voulez savoir au fait ou pourquoi on y rentre Parce que moi je suismultireacutecidiviste et je ne sais pas pourquoi Agrave chaque fois que je sorshellipQuand je suis en prison jrsquoai toutes les dettes qui srsquoaccumulent quand ona un appartement le loyer il court et tout et quand on sort de prison enfait on est assommeacute par les dettes On nrsquoa pas une tune deacutejagrave quand onsort de prison et en plus tout le monde vous demande lrsquoargent que vous devez

Tout le monde crsquoest-agrave-dire

Crsquoest-agrave-dire le treacutesor public les HLM les creacutedits qursquoon avait pris avant derentrer en prison depuis six ans maintenant je sors jrsquoai envie de recom-mencer ma vie jrsquoavais un meacutetier dans les mains Mais [hellip] jrsquoai vraimentbesoin drsquoargent drsquoargent drsquoargent et je recommence agrave voler Et puis volercomme ccedila spontaneacutement non Faut prendre un petit truc une petite forcequi nous pousse agrave vouloir voler Et la force nous ma geacuteneacuteration agrave moion la trouve dans la came (26 mars 1997)

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50 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Lrsquoaccumulation des dettes fait donc partie de ces meacutecanismes produc-teurs drsquoemprise auxquels il faut ajouter les amendes douaniegraveres (Duprez et

Kokoreff 2000) Les effets sociaux de ces meacutecanismes engendrent une

double fragiliteacute Fragiliteacute drsquoune part des positions de ceux qui ont eacuteteacute

condamneacutes agrave de multiples reprises fragiliteacute professionnelle faute drsquoemploi

ou du fait drsquoune activiteacute preacutecaire (CDD [contrat agrave dureacutee deacutetermineacutee]

inteacuterim stages travail au noirhellip) peu reacutemuneacuteratrice et peu valorisante

fragiliteacute administrative pour les ressortissants de nationaliteacute eacutetrangegravere qui

rencontrent des difficulteacutes agrave renouveler leur carte de seacutejour sans parler

de ceux qui sont menaceacutes drsquoune expulsion du territoire national en tombant

sous le coup de la laquo double peine raquo Fragiliteacute drsquoautre part engendreacutee par

la capaciteacute drsquoattraction du systegraveme de vie structureacute autour des conduites

illicites dans les quartiers Cette capaciteacute drsquoattraction nrsquoest peut-ecirctre jamais

aussi manifeste que lors des sorties de prison En effet les laquo sortants raquo

apregraves une peacuteriode drsquoabstinence et de remise en forme se trouvent confron-

teacutes agrave toutes les sollicitations du quartier (produits trafics combines) Ils

ne peuvent pas ne pas retrouver leurs copains toujours dans la laquo came raquo

Ils finissent ainsi par en reprendre et par reacutepeacuteter les seacutequences analyseacutees

plus haut

Crsquoest la conjugaison de ces deux types de facteurs ndash la fragiliteacute sta-

tutaire induite par les contraintes de lrsquoadministration et du marcheacute du

travail drsquoune part et lrsquoattraction drsquoun style de vie fondeacute sur des pratiques

illicites drsquoautre part ndash qui permet aussi de rendre compte des rechutes et

rateacutes qui ponctuent les trajectoires de la toxicomanie Une illustration

concregravete de ce processus nous est fournie par Abdellah qui a gardeacute sa

nationaliteacute algeacuterienne agrave la diffeacuterence de ses fregraveres et sœurs Sorti de

prison en mars 1997 il ne trouve pas de travail

Jrsquoavais des problegravemes de papier pour qursquoils me donnent la carte de seacutejouret tout et puis bon de lagrave jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutemarches et tout etccedila mrsquoa vraiment bloqueacute parce qursquoils mrsquoenvoyaient de la Preacutefecture auConsulat et du Consulat ils mrsquoenvoyaient agrave la Preacutefecture Ccedila fait quejrsquoeacutetais en permanence avec un titre de seacutejour provisoire et puis bon pourfaire certaines deacutemarches administratives crsquoesthellip on galegravere quoi Trsquoas ledroit agrave rien Tu vas faire ta demande de RMI on te la refuse tu trsquoinscrisau chocircmage sans trsquoavertir bon on te radie Je commenccedilais agrave en avoirmarre et puis bon voilagrave crsquoest la galegravere tellement jrsquoeacutetais deacutegoucircteacute jrsquoaicommenceacute agrave freacutequenter des copains qui eacutetaient un peu dans la came crsquoesttoujours le mecircme systegraveme Crsquoest lagrave que jrsquoai recommenceacute agrave les freacutequenter petitagrave petit et puis de temps en temps ccedila a commenceacute jrsquoai commenceacute agrave toucheragrave la came et puis ccedila faithellip jrsquoen avais marre quoi La drogue crsquoest desvols crsquoest lrsquoargent crsquoest le bizness quoi En fin de compte jrsquoai rien faitquoi quand je regarde bien jrsquoai rien fait (15 deacutecembre 1998)

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Un an plus tard il sera agrave nouveau interpelleacute pour vol et condamneacute

agrave 18 mois de prison On ne peut donc pas se cantonner agrave invoquer les

proprieacuteteacutes pharmacologiques des substances consommeacutees pour rendre

compte des trajectoires des usagers drsquoheacuteroiumlne Intervient aussi la dimen-

sion sociale des pratiques en jeu crsquoest-agrave-dire laquo lrsquointeacutegration de lrsquoindividu

dans un milieu de toxicomanes [qui] le lie agrave un systegraveme drsquoobligations raquo

(Castel 1998 p 228) Cette dimension nrsquoeacutechappe pas agrave cette cateacutegorie

drsquousagers de drogues lorsqursquoils deacuteploient des strateacutegies drsquoeacutevitement agrave

lrsquoeacutegard de leurs anciens amis laquo qui ne parlent pratiquement que de ccedila raquo et

freacutequentent plutocirct ceux qui ne consommaient pas ou qui ont reacuteussi agrave

srsquoarrecircter encourageant les autres agrave sortir de ce systegraveme Autrement dit si

la toxicomanie dans les quartiers pauvres peut se comprendre comme une

forme de reacuteaffiliation puisque y eacutechapper crsquoest srsquoextraire des liens forts

qursquoelle noue les toxicomanes apparaissent comme des deacutesaffilieacutes par excel-

lence agrave un moment donneacute Tous ceux qui ont dix ans et plus drsquoancienneteacute

dans ce monde disent la difficulteacute de recommencer tout agrave zeacutero la tren-

taine passeacutee sans rien agrave eux agrave ecirctre sur un fil Bruno est un cas limite

laquo Jrsquoai plus rien qui mrsquoaccroche agrave la vie jrsquoai pas de femme jrsquoai pas drsquoenfants jrsquoaiplus de famille et je dois eacutenormeacutement drsquoargent alors crsquoest dur drsquoecirctre motiveacute raquo Il a

fait sa premiegravere postcure il y a deux ans agrave 35 ans avant de repartir apregraves

un eacutechec et une nouvelle arrestation-condamnation-incarceacuteration dans

une autre structure Il a choisi de preacuteparer sa sortie en participant agrave un

programme de substitution au Subutex en deacutetention alors que trois ans

auparavant il rejetait avec force cette solution

Crsquoest une autre particulariteacute de cette geacuteneacuteration drsquousagers son accegraves

aux structures de soins ndash speacutecialiseacutees ou pas ndash a eacuteteacute sacrifieacute agrave drsquoautres

enjeux alors mecircme qursquoelle a eacuteteacute particuliegraverement exposeacutee aux risques de

contamination du VIH (virus du sida) et du VHC (virus de lrsquoheacutepatite C)

Entre les logiques lourdes de lrsquoordre public et du peacutenal drsquoun cocircteacute et celles

du quartier de lrsquoautre peu de place a eacuteteacute laisseacutee agrave la prise en compte des

enjeux de santeacute publique et de preacutevention On ne srsquoeacutetonnera pas que

de leur cocircteacute les toxicomanes rencontreacutes aient longtemps cru qursquoils

pourraient srsquoen sortir tout seuls

Bon jrsquoai coupeacute avec la prison Tu me diras crsquoest pas la mecircme chose maisbon je ne sais pas Jrsquoai toujours cru que jrsquoarriverais agrave mrsquoen sortir toutseul en fait Michel Jrsquoai jamais eacuteteacute frapper agrave une porte drsquoune associationquelconque ou aller dans une postcure Jrsquoai toujours cru que jrsquoallais mrsquoensortir que le seul type qui pouvait mrsquoaider crsquoeacutetait moi-mecircme Le seul typequi pouvait me sortir de cette merde crsquoeacutetait moi avec du courage et de lavolonteacute surtout de la volonteacute Jrsquoai toujours cru ccedila Et puis maintenantjusqursquoagrave preacutesent je me rends compte que non il aurait fallu peut-ecirctre unsuivi theacuterapeutique voir des psychologues de temps en temps Je dis pas que

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52 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

ccedila aurait reacuteussi mais ccedila mrsquoaurait fait du bien et ccedila mrsquoaurait aideacute beau-coup Puisque jrsquoai jamais eacuteteacutehellip en fin de compte faire une postcure Laseule fois ougrave jrsquoai fait une sorte de cure crsquoest quand ma famille mrsquoa emmeneacuteen 85 ils sont partis en vacances en Espagnehellip Ma megravere leur a dit laquo Vouspouvez lrsquoemmener avec vous le laissez pas ici il va crever sinon raquo Jrsquoai eacuteteacuteavec eux et je suis resteacute pendant un mois lagrave-bas Le premier jour ccedila a eacuteteacutedur jrsquoeacutetais alleacute voir un meacutedecin Bon jrsquoai deacutecrocheacute et ccedila allait par lasuite Crsquoest la seule fois ougrave jrsquoai deacutecrocheacute en vacances Jrsquoavais eacuteteacute aussi uneautre fois en 83 Mais crsquoeacutetait avec des amis on se faisait envoyer de lacame par lettre pour te dire par la poste (28 mars 1997)

23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC AU COURS

DES ANNEacuteES 1990

Que sont devenus les membres de cette geacuteneacuteration ayant commenceacute agrave

consommer et agrave revendre de lrsquoheacuteroiumlne au deacutebut des anneacutees 1990 La

diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers on ne le reacutepeacutetera jamais assez a

eu des effets dramatiques laquo Jrsquoai eu des deacutecegraves qui mrsquoont suivi agrave longueur detemps raquo reacutepeacutetera lrsquoun laquo tous ceux de notre eacutepoque la plupart ils sont partis raquo

souligne un autre qui a perdu son fregravere et son cousin laquo mes amis ils onttous fini au cimetiegravere raquo dira encore un autre Bien que ce pheacutenomegravene soit

quasi impossible agrave quantifier de nombreuses familles ont eacuteteacute toucheacutees par

les effets conjugueacutes de lrsquoheacuteroiumlne et du sida laquo Survivants raquo laquo rescapeacutes raquo

laquo dinosaures raquo telles sont les expressions utiliseacutees dans les citeacutes pour deacutesi-

gner ceux qui ont eacutechappeacute aux surdoses au sida au suicide (reacuteel ou

deacuteguiseacute) Les laquo tox raquo qui approchent la quarantaine alternent des peacuteriodes

drsquoabstinence et des peacuteriodes ougrave ils sont laquo agrave fond dedans raquo vont et viennent

entre prison et quartier Malades le corps marqueacute habilleacutes pauvrement

on les nomme ici ou lagrave les laquo schlagues raquo ou les laquo gueux raquo ndash expressions

renouant eacutetrangement avec lrsquoancienne imagerie des vagabonds Degraves lors

on comprend qursquoils aient pu jouer la fonction drsquoimage repoussoir aupregraves

des nouvelles geacuteneacuterations Au moins un temps leur histoire a pu dissuader

ces derniegraveres de prendre massivement de lrsquoheacuteroiumlne

Le paradoxe crsquoest que ce processus nrsquoa pas empecirccheacute lrsquoessor du trafic

drsquoheacuteroiumlne puis de cocaiumlne entre le milieu des anneacutees 1980 et le milieu

des anneacutees 1990 On peut y voir lrsquoeffet drsquoune strateacutegie drsquoordre public visant

agrave laquo nettoyer raquo la ville-centre et ses espaces publics et agrave cantonner les mar-

cheacutes de la drogue dans les quartiers peacuteripheacuteriques Mais crsquoest aussi le biznessqui a changeacute dans cette peacuteriode Si drsquoapregraves nos informateurs de terrain

ceux qui controcirclent les marcheacutes sont agrave peu pregraves les mecircmes qursquoil y a dix

ans les modes drsquoorganisation sont devenus plus complexes Une triple

transformation est survenue un redeacuteploiement drsquoeacutechelle du trafic qui de

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micro-locale est devenue deacutepartementale voire interdeacutepartementale avec

la constitution de reacuteseaux de trafics beacuteneacuteficiant de supports logistiques et

sociaux varieacutes le deacuteveloppement des polytrafics (heacuteroiumlne cocaiumlne ou

crack speed Subutex) visant agrave srsquoadapter agrave la concurrence et agrave la tendance

persistante agrave la polyconsommation de produits drsquousage illicite et licite

lrsquoeacutemergence agrave cocircteacute des logiques de quartier de logiques baseacutees sur le

caiumldat avec des modes drsquoaction et de repreacutesentation eacutevoquant fortement

les mafias Par ailleurs ceux qui participent au deal (rabatteurs guetteurs

revendeurs transporteurs etc) semblent plus souvent des non-usagers atti-

reacutes agrave la fois par un motif eacuteconomique et par la mythologie entourant le

laquo dealer des citeacutes raquo Demeurant bien plus lucratifs que le marcheacute du can-

nabis souvent plus artisanal et atomiseacute les marcheacutes de lrsquoheacuteroiumlne et de la

cocaiumlne ont ainsi tireacute parti des ressources offertes par cette armeacutee de

reacuteserve de jeunes sans avenir deacutescolariseacutes sous influence chocircmeurs ou

travailleurs preacutecaires avides de prendre place dans la socieacuteteacute de consom-

mation et de srsquoen approprier les signes les plus valoriseacutes Bref on est passeacute

drsquoune logique drsquoautofinancement de la consommation agrave une logique

marqueacutee par une professionnalisation du trafic Du coup de nouveaux

cheminements et strateacutegies se dessinent qursquoil nous faut maintenant deacutecrire

231 SCEgraveNES DE REVENTE

Ce qui est remarquable crsquoest la tension qui regravegne sur les lieux de deal et

plus encore le durcissement des eacutechanges entre usagers et dealers On

pourrait multiplier les citations faisant eacutetat de lrsquoinsolence du manque de

respect de la violence verbale ou physique agrave lrsquoeacutegard des usagers (laquo un tox

il faut lrsquoinsulter raquo) Et les observations sur le terrain confirment largement

cette tension palpable et le climat de suspicion que renforcent les inter-

ventions policiegraveres On peut interpreacuteter ces situations comme lrsquoun des

effets des transformations du trafic Ainsi il y a drsquoun cocircteacute les toxicomanes

qui sont affaiblis par le manque les pressions policiegraveres les maladies des

conditions de vie preacutecaires reacuteduits agrave des rocircles subalternes dans la deacutelin-

quance (intermeacutediaires rabatteurs voleurs receleurs occasionnels) por-

tant les stigmates de la deacutegradation et perccedilus comme indeacutesirables dans les

citeacutes de lrsquoautre il y a les revendeurs animeacutes par lrsquoappacirct du gain agressifs

voire meacuteprisants agrave lrsquoeacutegard de leurs clients peu sociables ou compreacutehensifs

refusant de neacutegocier les prix ou les quantiteacutes ce qui les rend aussi plus

vulneacuterables les usagers ayant moins de scrupules agrave les balancer La concur-

rence srsquoest accrue la preacutesence policiegravere aussi laquelle peut ecirctre instru-

mentaliseacutee de diverses maniegraveres19

19 Pour une analyse plus deacuteveloppeacutee de cet aspect des rapports sociaux du trafic voirnotre article (Kokoreff 2000)

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54 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Afin de rendre plus sensibles les changements qui se sont opeacutereacutes

arrecirctons-nous sur ces deux scegravenes de transaction dans la mecircme citeacute telles

qursquoelles sont deacutecrites par Bruno La premiegravere se passe au milieu des

anneacutees 1980

Ben trsquoavais les mecs qui avaient 20 ans qursquoavaient leur came et puistrsquoavais leurs petits fregraveres qui avaient 10 11 ans [hellip] Degraves qursquoils voyaientune voiture arriver comme ccedila tous les petits ils se battaient crsquoest agrave celuiqui courrait le plus vite Ils disaient laquo Crsquoest mon client crsquoest mon client raquoLe petit jeune il courait voir son fregravere et son fregravere entre-temps il preacuteparaitdeux paquets et quand toi tu arrivais il te disait laquo Tiens ccedila y est tiensmais va-t-en va-t-en raquo Il fallait vite que tu trsquoen ailles (26 mars 1997)

La deuxiegraveme scegravene a lieu dix ans plus tard Du deal agrave ciel ouvert on

est passeacute agrave un dispositif ougrave les revendeurs agissent masqueacutes (dans les caves

les escaliers) et armeacutes ce qui rend plus difficile leur identification par les

usagers et lrsquoaction de la police On les appelle les laquo Ninjas raquo

Tu fais la queue dans hellip tu sais le grand bacirctiment qui est en face le mienalors ils attendaient qursquoil y ait au moins trente toxicos qui attendent dansles escaliers puis drsquoun seul coup tu voyais deux dealers arriver alorslrsquoextincteur la lacrymogegravene la batte de baseball le couteau tout ce qursquoilfaut et cagouleacutes

ndash Toi combien tu veux toi

ndash Moi je veux deux

ndash Tu preacutepares tes cinquante sacs

Tu lui donnais et il te donnait tes deux demis

ndash Casse-toi par lrsquoautre cocircteacute

ndash Il y avait la queue et trsquoavais trente toxicos qui passaient et voilagrave (15 deacutecembre 1998)

En est-on toujours lagrave Il conviendrait de prendre en compte plus

qursquoon peut ne le faire ici les changements intervenus dans lrsquoorganisation

du deal avec la banalisation des teacuteleacutephones portables Un simple coup de

fil suffit pour contacter un revendeur et se mettre drsquoaccord sur un lieu de

rendez-vous De la sorte les livraisons agrave domicile peuvent ecirctre favoriseacutees

Crsquoest une situation intermeacutediaire deacutecrite par Mourad dont on abordera

plus loin lrsquoitineacuteraire

Vous faisiez tout vous-mecircme

Oui je faisais tout moi-mecircme Jrsquoaimais bien preacuteparer

Y compris au deacutetail dans la rue

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Oui [hellip] je connaissais mecircmehellip sur le bip Jrsquoeacutetais fou jrsquoeacutetais un incons-cient Je vendais je leur disais je suis sur la came Il y en a qui me bipaientagrave 3 heures du matin Je leur donnais rendez-vous en face de chez moi dansle hall Je descendais en claquette en peignoir pour leur donner Jrsquoeacutetaisbarreacute je lacircchais rien

Vous faisiez tout

Tu veux 200 F je te donne 200 F tu veux 400 F je te donne 400 F Jeme deacuteplace jrsquoallais chez eux Ce nrsquoest pas eux qui se deacuteplaccedilaient Je suisun des premiers agrave avoir fait ccedila Maintenant tout le monde le fait

Ccedila majore les prix

Non mais ce qursquoil y a crsquoest que moi je pense qursquoil y a moins de risquesCrsquoest grilleacute dans la rue

Bien qursquoelles puissent ecirctre encore observables aujourdrsquohui ces scegravenes

de deal font entrevoir les modifications enregistreacutees depuis vingt ans dans

la revente au deacutetail Dans un premier temps crsquoest lrsquoinvisibiliteacute (de la rue

aux bacirctiments des halls et escaliers aux caves du face-agrave-face agrave lrsquoanonymat)

qui est rechercheacutee Dans un second temps crsquoest la mobiliteacute (des laquo plans raquo

des personnes) Sans ecirctre lineacuteaires ces modifications manifestent les capa-

citeacutes drsquoadaptation des acteurs du trafic et la labiliteacute de leurs rapports

drsquoeacutechange

232 LE RAPPORT AU PRODUIT

Un bon indice de ce processus de professionnalisation du trafic est le

rapport au produit Si dans le cas du cannabis usage et revente vont de

pair en matiegravere drsquoheacuteroiumlne de cocaiumlne ou de crack il nrsquoen va pas de

mecircme Participer au trafic drsquoune maniegravere ou drsquoune autre crsquoest drsquoabord

acceacuteder agrave des ressources financiegraveres dans un contexte de chocircmage de

masse et de preacutecariteacute cela devient un travail un job un bizness et parallegrave-

lement sur un plan symbolique une faccedilon drsquoacqueacuterir une bonne reacuteputa-

tion et drsquoecirctre quelqursquoun Mais ces deux exigences ne sont pas faciles agrave

associer agrave la consommation Selon une opinion freacutequemment entendue

il est incompatible de revendre et de consommer de lrsquoheacuteroiumlne

Prenons lrsquoexemple de Mounir que nous connaissions de vue dans

une citeacute avant de le revoir en deacutetention Il avait 24 ans au moment du

premier entretien reacutealiseacute avec lui Lorsqursquoon lui demande quels sont les

eacuteveacutenements qui ont fait qursquoil a rencontreacute le monde de la drogue il deacutecrit

lrsquoengrenage

Ccedila crsquoest au deacutebut trsquoes bien trsquoes agrave lrsquoeacutecole tout va pour le mieux si on peutdire Apregraves le jour ougrave tu te retrouves agrave la rue le fait drsquoavoir des amis laquo oh ccedilrsquouirsquolagrave il est bien habilleacute ccedilrsquouirsquolagrave il a plus drsquoinfluence raquo les gens qui

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56 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

fument le shit bon tu commences agrave fumer un petit peu agrave goucircter apregravescrsquoest un engrenage tu rentres dedans tu commences agrave fumer de plus enplus apregraves tu mets de lrsquoargent pour trsquoacheter des affaires donc tu commencesagrave dealer apregraves la vie plus on approche de lrsquoan 2000 plus les temps sontdurs tu trsquoaperccedilois que le shit ccedila ne rapporte plus Crsquoest pas que ccedila nerapporte plus crsquoest que pour rapporter ccedila met trop longtemps et tu voistes amis agrave cocircteacute toi trsquoes en galegravere et eux en un rien de temps ils fontrentrer en deux journeacutees trois quatre briques Ccedila commence agrave travaillerdans la tecircte et apregraves agrave force tu te dis laquo Bon le shit mets-le de cocircteacute amegravenela came raquo Tu commences agrave dealer un petit peu juste de quoi te faire 500ou 1000 F 2000 F mecircme 4000 F et apregraves crsquoest un engrenage (11 avril 1997)

Cette entreacutee progressive dans la revente srsquoinscrit dans un processus

beaucoup plus geacuteneacuteral de diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers pauvres

qui attire un certain nombre drsquoindividus deacutejagrave impliqueacutes dans drsquoautres

trafics Lrsquoheacuteroiumlne est une marchandise plus que rentable crsquoest dans ce

sens que son arriveacutee a bouleverseacute les autres trafics (laquo elle a niqueacute le biznessde shit raquo) elle donne du mecircme coup un statut qui sort du commun des

petits revendeurs de cannabis Au cours de lrsquoentretien Mounir se preacutesen-

tera comme un dealer pas comme un consommateur20 Telle est la condi-

tion pour ne pas se deacutetruire la santeacute (ecirctre une laquo loque raquo) faire des affaires

(ne pas laquo couler raquo ni laquo aller faire nrsquoimporte quoi pour aller peacute-cho [ldquochoperrdquo] sacame raquo) et ecirctre respecteacute (laquo les tox les petits des dealers drsquoagrave cocircteacute je les mettais tousagrave lrsquoamende raquo)

Selon que lrsquoon ait affaire agrave des revendeurs de rue ou agrave leurs pour-

voyeurs le rapport au produit est diffeacuterent Pour reprendre les cateacutegories

indigegravenes les toxicomanes qui vendent ce sont des rabatteurs des laquo petits

dealers raquo sur une pile de dix ils revendent six ou sept laquo keacutepas raquo et en

gardent trois ou quatre pour leur consommation Les dealers eux ne

consomment pas sont joignables sur leur portable et vendent au gramme

peseacute Crsquoest un pheacutenomegravene encore plus remarquable agrave mesure que lrsquoon

srsquoeacutelegraveve dans la hieacuterarchie des trafiquants Par exemple ce Marocain de 47 ans

neacute dans la valleacutee du Riff poursuivi pour avoir joueacute un rocircle drsquointermeacutediaire

dans un important reacuteseau de trafic international de cannabis a commenceacute

agrave fumer le kif agrave 17 ans Mais au Maroc sa consommation srsquoinscrit dans un

tout autre contexte drsquousage En France Omar ne fume ni tabac ni cannabis

20 Lors de lrsquoinstruction de son affaire il adoptera la position inverse En deacutetention preacute-ventive pour une affaire drsquoheacuteroiumlne (dix doses trouveacutees agrave ses pieds cinq chez lui) ilminimisera son rocircle de dealer et se deacuteclarera consommateur aux policiers cela en vuedrsquoalleacuteger la sanction peacutenale Cette strateacutegie si elle teacutemoigne de la labiliteacute des statutsselon les situations vise bien eacutevidemment agrave eacutechapper agrave des sanctions lourdes

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il ne boit pas non plus drsquoalcool Il interdit agrave ses enfants de le faire parce

qursquoils sont trop jeunes pour se controcircler Crsquoest pour la mecircme raison qursquoagrave

un certain niveau de trafic la regravegle veut qursquoon ne consomme pas

Il y en a qui sont consommateurs Mais il y en a qui savent pas controcirclerMais crsquoest vrai que la plupart des vrais trafiquants ils ne fument pas[hellip] Ils ne doivent pas fumer Ils doivent travailler Ils doivent avoir latecircte fraicircche pour travailler Srsquoil fume il perd la tecircte Srsquoil sniffe ccedila y est ila plus de parole Moi si je vois quelqursquoun sniffer de la cocaiumlne je nrsquoaiplus confiance Il peut faire nrsquoimporte quoi Il propose des trucs qui sontnrsquoimporte quoi Il fait nrsquoimporte quoi Il peut aller tuer (3 juillet 1999)

La consommation notamment de cocaiumlne altegravere ce que Tarrius

(1997) appelle lrsquolaquo eacutethique des reacuteseaux raquo celle qui repose sur la confiance

en la parole donneacutee aux antipodes du modegravele contractuel Mais il en va

aussi de ce que lrsquoon pourrait appeler une eacutethique du travail bien fait

Normalement quelqursquoun qui vend qui trafique il ne doit pas faire celaIl ne doit pas fumer fumer pour consommer srsquoil veut Mais il ne doit pasfumer ou boire beaucoup Il faut ecirctre quelqursquoun de seacuterieux Il faut restersur son travail Crsquoest comme si vous alliez agrave lrsquousine vous travaillez aubureau Crsquoest pareil il faut avoir la tecircte Parce que les flics sont forts Doncil faut faire des plans pour srsquoen sortir Il faut avoir la tecircte si vous nrsquoavezpas de tecircte vous nrsquoallez pas travailler avec les pieds (9 juillet 1999)

233 LE TRAFIC COMME TRAVAIL

Lrsquoengagement dans le trafic local peut se comprendre comme un proces-

sus et reacutepondre agrave des motivations diverses selon les moments Les lyceacuteens

qui revendent des barrettes de shit dans leur eacutetablissement scolaire ou leur

quartier ne peuvent ecirctre assimileacutes aux chocircmeurs qui laquo font la survie raquo en

vendant quelques paquets drsquoheacuteroiumlne pour un laquo grand raquo de leur citeacute Ceux

qui revendent pour srsquoacheter des habits et sortir les filles ne sont pas dans

le mecircme laquo film raquo que ceux ou celles qui revendent pour faire un laquo coup raquo

(partir en vacances srsquoacheter une voiture subvenir agrave une dette aider le

retour clandestin drsquoun proche apregraves une expulsion du territoire) pas plus

que les uns et les autres ne peuvent ecirctre assimileacutes agrave ceux pour qui la

revente est lrsquoeacutequivalent drsquoun travail leur prenant la majeure partie de

leur temps

Revenons au parcours de Mounir abordeacute plus haut Issu drsquoune

famille algeacuterienne de cinq enfants Mounir avait 24 ans lorsque nous

lrsquoavons rencontreacute Son pegravere arriveacute agrave lrsquoacircge de 16 ans en France a termineacute

sa vie professionnelle comme chef de chantier Lorsque jrsquoai connu le fregravere

cadet de Mounir il eacutetait en terminale S puis il srsquoest inscrit en classes

preacuteparatoires (section scientifique) Sa sœur a eu un brevet de technicien

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58 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

supeacuterieur (BTS) en comptabiliteacute et travaille dans une grande entreprise

Un autre de ses fregraveres a eu un BTS en comptabiliteacute Seul son plus petit

fregravere acircgeacute de 13 ans est agrave la rue comme lui preacutecisera-t-il Drsquoougrave la question

deacutejagrave poseacutee agrave drsquoautres comment expliquer son parcours dans la deacutelin-

quance et la drogue alors que les autres srsquoen sont plutocirct bien sortis

Ben il faut dire franchement ce qui est moi je vois qursquoune reacuteponse crsquoestque quand jrsquoai commenceacute agrave deacutemarrer tout ccedila crsquoest que agrave mon avis crsquoestla tentation du diable et en plus crsquoest que je devais ecirctre trop influenccedilableEt peut-ecirctre tu sais quand trsquoes jeune histoire de jouer eacuteleacutegant aussi Ona peut-ecirctre de ccedila aussi Mais apregraves crsquoest mecircme plus ccedila Apregraves crsquoest ton jobApregraves crsquoest mecircme plus question de flamber ou un truc comme ccedila tu voistoi crsquoest ton job Crsquoest histoire de sauver ta peau de remplir ta pocheFranchement qursquoest-ce que tu veux que je foute Jrsquoai aucun diplocircme

Trsquoas arrecircteacute lrsquoeacutecolehellip

hellip en troisiegraveme technologie Jrsquoai aucun diplocircme Jrsquoai travailleacute un petit peuagrave droite agrave gauche des deux mois en inteacuterim des trucs comme ccedila Apregravesavec le placard quinze mois pour homicide je sors pendant cinq mois jetrouve rien Je retombe six mois je sors en provisoire je reste quatre moiset demi dehors je retourne trois mois je sors je reste un an je retombe(11 avril 1997)

En quelques phrases est reacutesumeacutee cette expeacuterience fragmenteacutee du

temps qui laisse peu de place agrave une position stabiliseacutee et rend illusoires

les projets drsquoinsertion Si les laquo raisons raquo invoqueacutees peuvent passer pour des

justifications leur inteacuterecirct est drsquoecirctre situeacutees dans le temps aux croyances

(la tentation du diable) et traits de caractegravere (ecirctre influenccedilable) succegravede

la neacutecessiteacute celle faisant de la revente un moyen de survie faute de for-

mation Comment trouver un travail leacutegal face au racisme des employeurs

et aux effets du stigmate judiciaire Tel est le dilemme de bien des jeunes

des quartiers pauvres

Au-delagrave de la mythologie du trafiquant professionnel on connaicirct

assez mal les strateacutegies deacuteployeacutees par les petits revendeurs non pas seule-

ment pour survivre mais pour rendre coheacuterentes aspirations et ressources

Aujourdrsquohui plus que jamais le trafic est geacuteneacutereacute par une ambition de ne

pas travailler agrave lrsquousine Il y a cette volonteacute drsquoeacutechapper aux conditions de

vie qui furent celles des parents laquo Nous nos parents se sont fait exploiterNous crsquoest finihellip raquo Mais en mecircme temps on retrouve le travail dans le

trafic Un acteur local remarque laquo La strateacutegie des jeunes qui ont 20 ans crsquoest

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ldquoon met de cocircteacute Comme ccedila dans dix ans on prend un boulot pourri mais au moinson aura ce qursquoil fautrdquo raquo Ce que dit drsquoune autre maniegravere Mourad petit

revendeur devenu fournisseur

On ne vend pas de la drogue pour le plaisir Agrave la rigueur celui qui vendde la drogue il a raison drsquoessayer de faire sa vie drsquoessayer de mettre de cocircteacutele plus rapidement possible pour deacutemarrer la vie Se lancer dans quelquechose de concret de droit Bon il y en a qui ne peuvent faire que ccedila21

(26 juillet 1999)

234 AVOIR LrsquoESPRIT ENTREPRENEUR

Mourad offre une variante assez inteacuteressante de ces cheminements dans

le trafic moins caracteacuteriseacutes par une logique de marginalisation que par

une logique entrepreneuriale Acircgeacute de 23 ans lors de nos premiegraveres ren-

contres il est issu drsquoune famille drsquoenseignants Drsquoorigine algeacuterienne il a

grandi agrave Issy-les-Moulineaux avec ses deux sœurs ses parents sa grand-

megravere et sa tante loin de lrsquounivers des citeacutes Agrave lrsquoadolescence il deacutemeacutenage

dans une commune proche qui a mauvaise reacuteputation Il poursuit sa sco-

lariteacute au lyceacutee jusqursquoau bac et lui-mecircme se qualifie de laquo bon eacutelegraveve raquo Peu

inteacutegreacute dans un quartier qursquoil ne connaicirct pas il se met agrave freacutequenter par

lrsquointermeacutediaire de la sœur de sa meilleure amie les jeunes des halls de sa

citeacute qui revendent du cannabis Agrave ce moment une rupture profonde

survient dans son existence avec le meurtre de sa megravere par son pegravere qui

lui-mecircme se suicidera quelques mois apregraves en deacutetention On est en 1995

Mourad a tout juste 18 ans Crsquoest peu apregraves qursquoil commence agrave revendre

du cannabis dans son eacutetablissement scolaire Pour autant il reacutefute toute

interpreacutetation psychologique attribuant au drame familial la cause de son

entreacutee dans la deacutelinquance laquo Crsquoest par palier que crsquoest arriveacute En deux ansjrsquoai vraiment tout fait Jrsquoen parlais agrave un copain il mrsquoa dit ldquoTrsquoas fait en un ande temps ce que jrsquoai fait en dix ansrdquo raquo

Il commence par acheter 25 grammes puis des laquo savonnettes raquo

(250 grammes) avant de passer rapidement agrave des achats par kilos qursquoil

partage avec deux de ses amis Fait remarquable alors que ses copains de

classe et les gens autour de lui fument lui-mecircme nrsquoest pas consommateur

Son contact le met en rapport avec un fournisseur drsquoheacuteroiumlne drsquoune autre

citeacute il lui propose de faire de laquo lrsquoargent vite fait raquo Mourad relegraveve le deacutefi

En 1996 il obtient son bac et arrecircte lrsquoeacutecole Il prend de lrsquoenvergure

comme dealer srsquoassocie avec un autre revendeur drsquoheacuteroiumlne et de cocaiumlne

qui revend dans la rue derriegravere chez lui Il noue des relations qui lrsquoamegravenent

21 Voir dans un tout autre milieu social les strateacutegies des laquo enfants de bonne famille raquoanalyseacutees par Missaoui et Tarrius (1999)

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60 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave rencontrer des laquo grosses tecirctes raquo dans une autre commune Ces relations

lui permettent de srsquoeacutemanciper dans une certaine mesure des reacuteseaux

locaux La situation srsquoinverse crsquoest lui qui procure une marchandise de

qualiteacute et obtenue agrave bas prix agrave ceux qui le fournissaient agrave ses deacutebuts

Nrsquoeacutetant pas connu des services de police il megravene la belle vie Pourtant les

ennuis commencent Il est interpelleacute mis en examen et eacutecroueacute une pre-

miegravere fois pour trafic agrave peine deux ans apregraves ses deacutebuts Trois mois apregraves

sa libeacuteration il est agrave nouveau placeacute en deacutetention preacuteventive pour une

affaire connexe au deacutebut de 1999 Beacuteneacuteficiant drsquoune confusion de peine

il est finalement condamneacute agrave quatre ans de prison

Dans son reacutecit plusieurs modes drsquoexplication plus ou moins clas-

siques sont mobiliseacutes pour rendre compte de son cheminement les effets

de lrsquoenvironnement (laquo Si jrsquoavais connu des voleurs je crois que je serais devenuvoleur si jrsquoavais connu des braqueurs jrsquoaurais fait des braquages forts je me suisreacutefugieacute dans la drogue chez moi yrsquoa plus de gens qui font ccedila que de gens qui fontpas ccedilahellip raquo) mais surtout le deacutesir de reacuteussite sociale (laquo avec lrsquoeacuteducation quejrsquoai eue je ne pouvais pas ne pas reacuteussir raquo) et de reconnaissance par ses pairs

(ecirctre un laquo bonhomme raquo crsquoest-agrave-dire quelqursquoun) Dans le contexte ougrave il vit

trouver de lrsquoargent est une obsession laquo Il faut de lrsquoargent pour srsquoen sortir delrsquoargent pour sortir il faut de lrsquoargent pour les copines raquo Paradoxalement de

lrsquoargent Mourad en a puisqursquoil a toucheacute une indemniteacute drsquoassurance deacutecegraves

Il part en vacances en Corse aux sports drsquohiver srsquoachegravete des vecirctements

de marque les premiers teacuteleacutephones portables une Golf VR-6 bref il

deacutepense sans compter pour lui et ses proches

On retrouve dans lrsquoitineacuteraire de Mourad un lien eacutetroit avec lrsquoeacutevolu-

tion du marcheacute des drogues dans les citeacutes En effet on a assisteacute lors de la

seconde partie des anneacutees 1990 agrave une recomposition du marcheacute de can-

nabis La concurrence est devenue de plus en plus forte conduisant agrave la

baisse des prix et des marges beacuteneacuteficiaires Drsquoougrave des ventes qui portent

sur des quantiteacutes de plus en plus importantes et une augmentation des

risques en cas de coups durs pour les revendeurs Mourad lui passe aux

drogues dures Il limite les risques au minimum en vendant agrave domicile

comme on lrsquoa vu prend ses rendez-vous sur portable ou se fait laquo biper raquo agrave

toute heure du jour et de la nuit Il compare le deal agrave une entreprise

Oh crsquoest une entreprise Franchement quand je vendais jrsquoai toujoursraisonneacute comme si crsquoeacutetait une entreprise Crsquoest maintenant avec le recul Jeme revoyais pas Maintenant avec le recul crsquoeacutetait ccedila Je me reacuteveillais lematin il faut payer le grossiste Il y a [hellip] le beacuteneacutefice Il faut payer lesgens avec qui vous ecirctes Il faut srsquoacheter ccedila Des fois il faut srsquoacheter destrucs par exemple la bouffe Crsquoest marrant parce que mecircme la bouffe eacutetait

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comprise dans le prix Il y avait 1000 F par jour qui partaient pour labouffe les journaux Moihellip mecircme si jrsquoai pas fait trop drsquoargent je me suisfait plus manipuler qursquoautre chose (21 septembre 1999)

Pourtant dans ses deacutebuts Mourad deacuteclare laquo tourner agrave 25 000 mini-mum par jour raquo parfois plus Dans sa commune en 1998 100 grammes de

cocaiumlne reviennent agrave 45 000 F lui il les touche agrave 35 000 F Tout est affaire

de relations comme il lrsquoexplique

Donc jrsquoai connu des gens drsquoune citeacute [hellip] qui sont venus me voir pour medemander combien je touchais Ils mrsquoont dit que si je prenais un peuplushellip Crsquoest parti comme ccedila Lagrave jrsquoai commenceacute agrave connaicirctre les gens deB Agrave cette eacutepoque-lagrave ils nous donnaient mais ils nous disaient qursquoilscouraient des risques Il y en a drsquoautres qui disaient laquo oui si tu luidonnes il va te balancer raquo Je me rappelle que crsquoeacutetaient des bruits quicouraient souvent et crsquoest vrai que je ne les connaissais pas

Sorti de prison dans la mesure ougrave il nrsquoavait pas balanceacute Mourad

raconte que laquo tous les grands raquo sont venus le voir pour lui demander de

srsquooccuper du terrain Il faut dire que lrsquoaction des services de police et des

juges drsquoinstruction est intense agrave cette eacutepoque surtout sur les petits reven-

deurs (laquo Crsquoest lrsquousine il y en a un qui tombe on en prend un autre raquo) Les

laquo grosses tecirctes raquo recrutent des hommes de confiance

Lrsquoenvers du deacutecor ce sont les emprises et pressions qursquoimplique

lrsquoinscription dans ces reacuteseaux en particulier lorsque les liens dans le

monde de la citeacute sont faibles Mourad nrsquoa pas de famille cela se sait il a

deux sœurs de 21 et 16 ans sur lesquelles les pressions sont faciles per-

sonne ne peut bouger pour lui laquo Ils me tiennent raquo dit-il Ainsi lorsqursquoil sort

de prison il est mis agrave lrsquoamende par ses partenaires de deal afin de payer

la cavale de lrsquoun drsquoeux Refusant de retourner vendre dans la citeacute de

Chacirctillon il est contraint par un caiumld local drsquoeacutecouler 40 kilos de cannabis

Ces emprises justifient son silence et sa reacutecidive

Au cours du troisiegraveme entretien reacutealiseacute agrave la maison drsquoarrecirct de la

Santeacute Mourad multipliera les mentions aux deacutemarches entreprises pour

srsquoen sortir et agrave ses projets laquo Jrsquoai envie de monter une entreprise raquo laquo jrsquoaurais aimeacutetravailleacute dans lrsquoimmobilier mais maintenant avec mon casierhellip raquo laquo je fais desrecherches par lrsquoANPE je prends les journaux raquo laquo je suis des cours je poursuis deseacutetudes jrsquoai des super bonnes notes raquo Il avait eacuteteacute transfeacutereacute quelques semaines

auparavant de la maison drsquoarrecirct de Nanterre manifestement exceacutedeacute par

lrsquoambiance qui y reacutegnait

Je grandissais plus Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoecirctre dans un moule Les discus-sions crsquoeacutetait laquo Ouais tu fais combien Ouais je gagnais tant par jouron faisait comme ccedila on faisait comme ccedila Quand je sors je vais faire ccedila raquoComme on dit dans le jargon de la prison laquo on va tout niquer raquo

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62 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce qui veut dire

Ce qui veut dire quand je sors je fais encore pire qursquoavant mais je faisccedila mieux [hellip] Alors on est entre hommeshellip Crsquoest une image crsquoest pasnous-mecircmes Ccedila parle de came on parle de came Ccedila se dit pas laquo Ouaisles gars faut arrecircter raquo On dit pas laquo Ouais quand je sors je travaille raquo(7 avril 2000)

Mourad a eacuteteacute libeacutereacute en conditionnelle agrave la fin de lrsquoanneacutee 2000 et

jrsquoai perdu sa trace Est-il un cas exceptionnel Sans doute sa trajectoire

sociale comporte-t-elle des traits atypiques par rapport agrave des dealers qui

sont neacutes et ont toujours veacutecu dans lrsquounivers des citeacutes Elle est remarquable

aussi par la rapiditeacute avec laquelle il est arriveacute agrave traiter avec des semi-

grossistes drsquoenvergure Mais on peut estimer que de tels cheminements

dans le bizness ne sont plus rares aujourdrsquohui Cette logique entrepreneu-

riale est agrave lrsquoœuvre en matiegravere de stupeacutefiants comme pour les biens de

consommation courante (automobiles deux-roues piegraveces deacutetacheacutees por-

tables habits) faisant lrsquoobjet de toutes sortes de bizness dans certaines citeacutes

Elle fonctionne drsquoautant plus que quelques personnes peuvent agrave un

moment donneacute faire beaucoup drsquoargent et attirer les autres bref servir

de modegraveles Cela eacutetant on retrouve cette logique bien eacutevidemment dans

drsquoautres milieux sociaux Lrsquoitineacuteraire de certains revendeurs drsquoabord

revendeurs drsquoecstasy puis de cocaiumlne dans le monde de la nuit parisienne

en est une illustration parmi drsquoautres22

24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS

DANS LE TRAFIC

Le rapport au produit lrsquoengagement dans le trafic lrsquoesprit dans lequel il

srsquoexerce distinguent les carriegraveres des usagers-revendeurs des anneacutees 1980

et celles des dealers des anneacutees 1990 Crsquoest sur cette question qursquoil nous

faut revenir Nous soulignerons les hieacuterarchies informelles (Becker 1963

p 128) qui structurent lrsquoeacuteconomie de la drogue et au final la mobiliteacute

des positions qui en deacutecoule

241 DrsquoUNE GEacuteNEacuteRATION Agrave LrsquoAUTRE

Entre la geacuteneacuteration de la rue Montmartre et celle qui a grandi dans les

quartiers ougrave la came eacutetait deacutejagrave preacutesente ougrave se situent les diffeacuterences en

termes de carriegraveres Pour Bruno par exemple il nrsquoy a pas drsquoambiguiumlteacute les

22 Voir sur ce point Duprez Kokoreff et Weinberger (2001 p 308-313)

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laquo petits jeunes raquo reproduisent le mecircme parcours que leurs grands fregraveres

cinq ou dix ans plus tard Les produits consommeacutes indiquent certes des

speacutecificiteacutes le Subutex plutocirct que lrsquoheacuteroiumlne consommeacute dans la rue ou en

prison la cocaiumlne plus proche des galettes de crack que de la poudre Et

quand on suggegravere que finalement le parcours des grands fregraveres aurait

pu servir drsquoimage repoussoir et dissuader les plus jeunes Bruno preacutecise

Ouais mais justement yrsquoen a plein ici leurs fregraveres leurs fregraveres et mes copainseuhhellip ils les ont conseilleacutes jrsquoeacutetais en prison et tout leurs fregraveres et tout etmoi je les ai vus grandir Ils sont tous agrave lrsquoinfirmerie en train de se battrepour avoir leur Subutex Ils ont 20 ans

Des gens drsquoAsniegraveres

En plus des gens yrsquoen a un paquet drsquoAsniegraveres de Gennevilliers NanterreToute la banane du 92 jusqursquoagrave Chacirctillon Montrouge lagrave Toute la bananeelle est concerneacutee

Ils rentrent comment ces gens-lagrave

Ils rentrent comment en prison

Non ils commencent comment

Non eux ils ont voulu deacutepasser leurs fregraveres Leur fregravere a eacuteteacute consommateurEux ils se sont dit laquo On va pas faire la mecircme connerie que notre fregravereNous on va faire de lrsquoargent avec raquo Sauf que une fois qursquoils avaient leproduit et qursquoils ont commenceacute agrave vendre ils ont voulu goucircter et tac [tapedans les mains] (9 avril 2000)

Drsquoautres reacutecits drsquousagers font un constat similaire Les laquo petits jeunes raquo

sont loin drsquoavoir eacuteteacute dissuadeacutes par les laquo anciens raquo qui font figure aujourdrsquohui

de rescapeacutes des anneacutees sida Le message nrsquoest pas passeacute Lrsquoentreacutee se ferait

beaucoup plus souvent par le deal avant de laquo tomber dedans raquo agrave un moment

donneacute ndash ou pas

Lorsqursquoon lui demande si agrave son avis les laquo petits jeunes raquo ont suivi le

mecircme parcours que les membres de sa geacuteneacuteration Abdellah reacutepond

Crsquoest un peu diffeacuterent on peut pas dire je trouve que crsquoest diffeacuterent parceqursquoils ont lrsquoexemple devant eux Je les comprends pas ils ont lrsquoexempledevant eux ils ont des copains mecircme des fregraveres ils ont vu les ravages queccedila fait Moi jrsquoai connu des types de 22 23 24 ans ils venaient me fairela morale [hellip] Je les revoyais pas pendant un moment je rentrais en prisonet jrsquoapprenais un peu plus tard que ce type eacutetait lui-mecircme tombeacute dans lacame Parce qursquoil a commenceacute agrave en avoir dans les mains il a commenceacuteagrave vendre avec des rentreacutees drsquoargent mortelles Et puis un jour peut-ecirctre parcuriositeacute ou quoi que ce soit il en a sniffeacute et voilagrave Et apregraves crsquoest lrsquoengrenage(15 deacutecembre 1998)

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64 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce type de reacutecit nrsquoaccreacutedite-t-il pas le scheacutema fataliste de la

toxicomanie Mais les dimensions territoriales des trafics sont aussi agrave

prendre en compte afin de saisir la singulariteacute des carriegraveres En effet avoir

grandi dans un quartier connu pour ecirctre un lieu de deal drsquoheacuteroiumlne nrsquoest

pas sans conseacutequences par rapport agrave une socialisation au sein de quartiers

speacutecialiseacutes dans les laquo petits bizness de shit raquo Bruno deacutecrit tregraves bien lagrave aussi

cette opposition entre deux types de quartiers drsquoambiances et de bizness

Moi je jouais encore au bac agrave sable hein quand yrsquoen a qui venaient acheterde la came Apregraves jrsquoai habiteacute dix ans agrave cocircteacute de lrsquoeacuteglise Et apregraves les grandsils sont partis aux Oiseaux Aux Oiseaux il nrsquoy avait pas de came Alorscrsquoest une citeacute yrsquoen a partout autour mais il nrsquoy a jamais eu de came Yrsquoaque du shit

Et depuis tregraves longtemps

Et depuis tregraves longtemps Yrsquoa jamais eu de problegravemes Bon deux ou troispetits serrages comme ccedila Mais crsquoest du cannabis crsquoest tout Alors queAsniegraveres au L crsquoest rempli rempli que de came hein

Et les Oiseaux crsquoest plutocirct une famille qui controcirclait un peu lemarcheacute ou crsquoeacutetaient plusieurshellip

Oh non Lagrave crsquoeacutetait un peu tout un peu tout le monde Crsquoeacutetait du petitbizness quoi Bon yrsquoavait deux ou trois familles qui avaient un peu lemonopole ils avaient un peu plus drsquoargent ou ils achetaient un peu plusMais ce qui est bien crsquoest qursquoil nrsquoy avait que du cannabis Yrsquoa pas eude morts yrsquoa pas eu dehellip alors que bon au L yrsquoen a eu des morts(9 avril 2000)

Il nrsquoest pas question drsquoen conclure que grandir dans tel ou tel type

de quartier preacutedeacutetermine les carriegraveres dans la consommation et le trafic

On pourrait neacuteanmoins avancer la notion de laquo carriegraveres de quartier raquo qui

interagissent avec la trajectoire des personnes impliqueacutees

242 LES HIEacuteRARCHIES INFORMELLES

Si lrsquoon voit donc agrave partir des entretiens reacutealiseacutes que les cheminements dans

le monde populaire des drogues ne sont pas identiques selon les cohortes

ou les geacuteneacuterations consideacutereacutees il apparaicirct aussi que les positions occupeacutees

dans le trafic ne sont pas homogegravenes En effet la cateacutegorie de laquo trafic raquo et

plus encore celle de laquo trafiquants raquo sont peu opeacuteratoires pour rendre

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compte de la diversiteacute des formes de trafic agrave lrsquoeacutechelon local Il convient

aussi de consideacuterer la diffeacuterenciation des engagements et des positions

acquises les hieacuterarchies internes et les itineacuteraires qursquoelles dessinent23

Nous avons souvent eu lrsquooccasion de le constater lors de nos enquecirctes

les toxicomanes et les grossistes nrsquoappartiennent pas au mecircme monde

social Ils ne se connaissent pas directement puisque les usagers ont prin-

cipalement affaire aux revendeurs de rue De leur cocircteacute les grossistes

eacutevitent de se faire repeacuterer dans la rue et souvent nrsquohabitent plus sur

place Crsquoest aussi la nature des relations entre usagers revendeurs et gros-

sistes qui explique cette diffeacuterenciation Par exemple Bruno eacutevoquant les

formes drsquoentraide preacutecise

Tu vois quand le gros a donneacute plusieurs petits paquets aux jeunes de20 ans si yrsquoa un jeune qui tombe normalement le gros il envoie un petitmandat tous les mois mais ce nrsquoest pas mon monde agrave moi ccedila moi je suisde lrsquoautre cocircteacute moi je suis client donc moi personne ne mrsquoaide du fait quejrsquoai plus drsquoamis plus de famillehellip (15 deacutecembre 1998)

Sans doute la position occupeacutee par Bruno deacutesaffilieacute par excellence

renforce-t-elle cette distance entre ces deux mondes lrsquoun ougrave la regravegle est

de venir en aide en cas de coup dur lrsquoautre ougrave lrsquoabsence de solidariteacute est

deacutecrite comme la regravegle Cela eacutetant lrsquoabsence de liens directs nrsquoempecircche

pas de savoir comment les choses se passent comment la marchandise est

acheteacutee partageacutee distribueacutee agrave lrsquoeacutechelle drsquoun deacutepartement quelles rela-

tions les grossistes entretiennent entre eux

De toute faccedilon yrsquoa des gens qui leur apportent qui sont en haut quoi Jrsquoenconnais pas personnellement mais je sais comment que ccedila se passe quoiIls se teacuteleacutephonent ils en prennent 100 grammes 200 grammes ccedila deacutependquoi et puis des fois ils se mettent mecircme agrave plusieurs pour voir si bonhellipils se mettent agrave plusieurs puisque y a des grossistes qui vendent ils disent laquo Moi je ne vends pas en dessous de 100 grammes ou en dessous de500 grammes raquo Le minimum que tu peux prendre crsquoest 500 grammes situ viens pour 100 300 grammes il va te dire laquo Non moi je vends pasccedila 100 100 grammes si tu veux un demi-kilo ou un kilo raquo Alors ils semettent agrave plusieurs et puis apregraves ils se partagent ils se partagent lamarchandise et chacun va avoirhellip Lrsquoautre il est agrave Asniegraveres il vend agraveAsniegraveres lrsquoautre agrave Nanterre il vend agrave Nanterre celui drsquoArgenteuil il vendagrave Argenteuil crsquoest comme ccedila [hellip]

23 On srsquoinspire ici de lrsquoarticle de Hughes sur les carriegraveres reacutedigeacute en 1958 qui soulignenotamment que laquo Certains meacutetiers se trouvent dans des systegravemes qui offrent de nom-breuses ouvertures sur drsquoautres systegravemes connexes et sur le public lorsque quelqursquounarrive au terme drsquoune eacutetape de sa carriegravere il peut ecirctre transfeacutereacute vers une position danslrsquoun de ces systegravemes connexes raquo (Hughes 1958 p 182)

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66 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Et ces gens-lagrave qui vendent en semi-gros disons ils habitent dansle quartier

Voilagrave des fois ils habitent dans le quartier bon crsquoest des gens trsquoas mecircmepas tu soupccedilonnerais mecircme pas Des gens des pegraveres de famille avec desenfants jrsquoen ai vus jrsquoen ai connus deux ou trois je suis resteacute eacutebahi sur lecoup Jrsquoai dit laquo Non crsquoest pas possible raquo Et puis jrsquoai remarqueacute qursquoen finde compte jrsquoai vu qursquoils avaient raison parce que jrsquoai remarqueacute un peuson manegravege une fois que jrsquoentends parler de plus [drsquoune] personne onsurveille du coin de lrsquoœil plus ou moins et puis jrsquoai remarqueacute qursquoils avaientraison crsquoest des gens insoupccedilonnables qui font ccedila une paire de fois pen-dant une certaine peacuteriode pendant deux trois mois Ils font ccedila avec leurpetit paquet drsquoargent Apregraves tu nrsquoentends plus parler drsquoeux Trsquoen asdrsquoautres ccedila se prolonge et ils font ccedila longtemps jusqursquoau jour ougrave il leurarrive une galegravere [hellip]

Et au-dessus drsquoeux

Au-dessus drsquoeux [il siffle]

Ccedila vient drsquoougrave

Ben ccedila vient de Lille ccedila pratiquement de Lille Lagrave-bas les gens ils vontagrave Lille hein Trsquoas des tas de gens qui vont lagrave-bas agrave Amsterdam ils vontlagrave-bas ils ils vont ils vont faire des ils vont prendre simplement descontacts et puis apregraves ils cherchent des passeurs ils cherchent carreacutement despasseurs et puis qui font passer la came pour eux et voilagrave Et le type ilreste il reste lagrave il est derriegravere il est pas loin il suit la cargaison euh agravevue drsquoœil quoi il va chercher de la blanche euh crsquoest ce qui marche lemieux ccedila crsquoest la blanche hein parce que agrave Paris y a de la brune et euhmais euh les gens ils sont pas attireacutes hein la plupart ils veulent tous dela blanche Asniegraveres Nanterre euh Argenteuil voilagrave Et bon de toutefaccedilon geacuteneacuteralement elle est tregraves organiseacutee puisqursquoils sont tregraves discrets desfois ils font ccedila pas longtemps et quand ils font des transactions crsquoest unefois tous les trois mois tous les six mois (15 deacutecembre 1998)

Cette longue citation souligne les diverses positions occupeacutees dans

lrsquoorganisation des trafics Il nrsquoest pas dans notre intention drsquoalimenter les

repreacutesentations communes ou institutionnelles de trafics organiseacutes dans

les citeacutes selon un modegravele pyramidal avec ses laquo petits soldats raquo faisant

tampon et ses laquo grosses tecirctes raquo Bien souvent ce que lrsquoon peut observer agrave

lrsquoeacutechelle locale ce sont des microreacuteseaux peu ou pas ramifieacutes entre eux

qui cohabitent dans lrsquoespace Agrave un niveau supeacuterieur plutocirct qursquoagrave de veacuteri-

tables filiegraveres organiseacutees on a affaire agrave des trafics de fourmis agrave lrsquoimage

de ceux entre la Hollande et le Nord de la France ou de ceux entre le

Maroc et la France Cela eacutetant la professionnalisation du trafic deacutecrite

plus haut a aussi conduit agrave un renforcement de la division du travail avec

une multipliciteacute des rocircles qui rendent possibles tant la distribution (pas-

seurs convoyeurs intermeacutediaires responsables et gardiens des stocks) la

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 67

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revente au deacutetail (guetteurs rabatteurs revendeurs) que la solvabilisation

des acheteurs (receleurs attitreacutes ou occasionnels banquiers de citeacute) sans

parler des rocircles lieacutes au blanchiment En outre on ne peut nier lrsquoexistence

de places fortes de la drogue qui possegravedent un rayon drsquoaction large ni

celle drsquoeacutequipes exerccedilant non seulement un controcircle de ces places mais

agrave travers elles un pouvoir reacuteel bien que mal connu Au sein des quartiers

ougrave nous avons enquecircteacute des rumeurs persistantes mentionnent des trafi-

quants notoires consideacutereacutes comme laquo intouchables raquo Ils beacuteneacuteficieraient de

protections au plus haut niveau et seraient precircts agrave srsquoengager dans le jeu

politique local Est-ce un mythe Faut-il consideacuterer qursquoau fond tous les

chemins megravenent en prison Le mythe nrsquoen perd pas moins son efficaciteacute

symbolique aupregraves des jeunes comme des moins jeunes agrave lrsquointeacuterieur et agrave

lrsquoexteacuterieur des quartiers

Il faudrait sans doute retracer les trajectoires des trafiquants qui

participent agrave ces marcheacutes illicites agrave cocircteacute de celles qui sont domineacutees par

la toxicomanie et lrsquoengagement dans le deal Ce qui permettrait drsquoaffiner

notre connaissance des mondes de lrsquoillicite et la classification des chemi-

nements sociobiographiques Mais la diversiteacute des parcours ne doit pas

nous deacutetourner des facteurs structurels qui leur sont sous-jacents On a

essayeacute de le montrer ces cheminements srsquoinscrivent dans un processus de

marginalisation sociale que ce soit sous la forme drsquoun destin collectif ou

drsquoune tentative de revalidation sociale Au sein de ce processus les logiques

sociales de lrsquoimmigration semblent avoir joueacute un rocircle non neacutegligeable

elles se sont traduites par un engagement massif de la seconde geacuteneacuteration

de lrsquoimmigration maghreacutebine dans ces carriegraveres Tout se passe comme si

les reacutepercussions du processus migratoire et des conditions de vie des

familles celles de la violence sociale subie tant agrave lrsquousine que dans les

habitats de fortune et agrave lrsquoeacutecole srsquoeacutetaient manifesteacutees agrave retardement au

tournant des anneacutees 1980 au moment ougrave la crise eacuteconomique commenccedilait

agrave faire ressentir ses effets

Cela eacutetant dit on ne peut oublier que les jeunes laquo beurs raquo ont eacuteteacute

socialiseacutes dans le mecircme contexte que les jeunes Franccedilais dits de laquo souche raquo

et qursquoeux-mecircmes ont eacuteteacute aussi particuliegraverement toucheacutes par la diffusion

de lrsquoheacuteroiumlne et le sida Le mecircme constat peut ecirctre fait en ce qui concerne

les reacuteseaux de trafic on constate au niveau des semi-grossistes comme des

chefs de clan une mixiteacute sur le plan ethnique Historiquement dans le

secteur eacutetudieacute les premiegraveres familles connues pour leur implication dans

le trafic eacutetaient franccedilaises Reste agrave savoir si les transformations urbaines et

sociologiques de ces anciens quartiers ouvriers tantocirct vers une plus

grande mixiteacute sociale tantocirct vers la constitution de niches ethniques

ajouteacutees aux effets pervers de lrsquoaction des services de police et de justice

ne contribuent pas agrave renforcer la stigmatisation des populations qui y vivent

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LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

C

EacuteLINE

B

ELLOT

Eacutecole de service social Universiteacute de MontreacutealCICC

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72

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Lrsquoassociation entre la jeunesse et les pratiques deacuteviantes et deacutelinquantes

nrsquoest pas reacutecente La mise en place des institutions peacutenales pour jeunes

accompagne au

XIX

e

siegravecle la construction de la jeunesse comme une

cateacutegorie sociale speacutecifique (Gillis 1974 Laberge 1997 Fecteau 1998)

Cette coiumlncidence srsquoexplique par le fait que les transformations socieacutetales

(industrialisation immigration notamment) ont contribueacute agrave lrsquoeacutemergence

de groupes drsquoenfants qui posaient problegraveme notamment en raison de leur

preacutesence dans les rues des villes (Meacutenard et Strimelle 2000) Or les muta-

tions sociales reacutecentes coiumlncident aussi avec une transformation profonde

de lrsquoexpeacuterience de la jeunesse dans son ensemble Ainsi les eacutetudes meneacutees

depuis vingt ans montrent un allongement de cette peacuteriode de vie (Galland

1991 Gauthier 2000) De la mecircme faccedilon les difficulteacutes drsquoinsertion sociale

et professionnelle des jeunes ont contribueacute agrave lrsquoapparition de nouvelles

preacuteoccupations agrave lrsquoeacutegard de la preacutesence de groupes de jeunes dans les

rues des centres-villes (Laberge et Roy 1994)

Dans ce contexte la compreacutehension des jeunes qui vivent dans la

rue permet drsquoune part de faire eacutetat de certaines transformations de la

jeunesse notamment au regard des difficulteacutes drsquoinsertion dont elle fait

lrsquoexpeacuterience et drsquoautre part de consideacuterer les pratiques de reacutegulations

sociales mises en place pour faire face agrave ce pheacutenomegravene Donnant suite agrave

une recherche ethnographique sur les jeunes en situation de rue

1

une

analyse des trajectoires de rue des jeunes a permis de rendre compte de

la diversiteacute des situations tant sur le plan des expeacuteriences que reacutealisent

les jeunes que sur le plan des interventions dont ils font lrsquoobjet

Lrsquoobjectif de ce chapitre consiste drsquoabord agrave examiner le concept de

trajectoire et son utilisation dans les eacutecrits criminologiques pour ensuite

preacutesenter les reacutesultats drsquoune eacutetude portant sur les jeunes en situation de rue

en faisant eacutetat des diffeacuterents types de trajectoires de rue qursquoils peuvent vivre

31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE

DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE

Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans les analyses de la jeunesse et

de la deacutelinquance juveacutenile est courante La trajectoire se deacutefinit alors

comme une finaliteacute de recherche qui permet de caracteacuteriser lrsquoidentiteacute de

1 Nous utiliserons le terme de jeune en situation de rue au lieu de celui de jeune de larue parce que nous souhaitons eacuteviter drsquoune part le rapport stigmatisant et stigmatiseacutedes jeunes agrave cet espace et drsquoautre part la reacuteduction de leur expeacuterience agrave un liendrsquoappartenance agrave la rue Pour plus de preacutecisions voir Bellot (2001)

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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lrsquoindividu et son eacutevolution au regard de son statut de ses conduites de

sa position sociale de ses relations Ce concept a cependant autant servi

pour les theacuteories drsquoinspiration structuraliste voire culturaliste que pour

les theacuteories drsquoinspiration interactionniste (Dubar 1998) Ici la trajectoire

sera utiliseacutee comme un outil analytique pour faire le pont entre lrsquoacteur

et la structure dans le cadre drsquoune perspective de la structuration (Bellot

2000) Cependant avant de preacutesenter cette nouvelle deacutefinition concep-

tuelle il importe de revenir sur les autres utilisations du concept de tra-

jectoire dans la mesure ougrave celles-ci demeurent des sources drsquoinspiration

311 L

A

TRAJECTOIRE

OBJECTIVE

Comme les analyses structuralistes ont pour objectif de faire eacutetat des

conditions de production et de reproduction sociale le concept de trajec-

toire rend ici compte des eacuteleacutements deacuteterminant la destineacutee des individus

Cette lecture qualifieacutee drsquoobjective par Dubar (1998) retranscrit donc

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un statut particulier ou agrave une classe sociale

et agrave son eacutevolution Si elle srsquointeacuteresse au changement cette conception de

la trajectoire lit la diffeacuterence entre le point de deacutepart et celui drsquoarriveacutee

observeacute chez lrsquoindividu en termes de rocircles de statuts drsquoactiviteacutes Il srsquoagit

dans cette optique non pas drsquoignorer totalement la place de lrsquoacteur dans

la construction de sa trajectoire de vie mais de consideacuterer plutocirct que celle-ci

est largement encadreacutee par des structures qui la profilent

Le programme analytique consiste donc agrave deacutefinir diffeacuterentes formes

de trajectoires types theacuteoriques susceptibles par la suite de retracer le

cheminement singulier des individus Cette maniegravere de conceptualiser la

trajectoire contribue selon Bourdieu (1986) agrave marquer lrsquoillusion biogra-

phique puisque le modelage par lrsquoindividu de son identiteacute singuliegravere ne

peut se faire que dans le cadre deacutetermineacute par les institutions que celui-ci

freacutequente

En criminologie la lecture deacuteveloppementale utilise la trajectoire

pour expliquer comment et dans quelle mesure se deacuteveloppent les conduites

deacuteviantes et deacutelinquantes (Le Blanc et Loeber 1998) Elle montre par

exemple comment les conditions deacutefavorables de lrsquoenfance viennent anti-

ciper les difficulteacutes de lrsquoadolescence et de la vie adulte Agrave ce titre la lecture

des trajectoires des individus srsquoinscrit dans un cadre drsquoanalyse ougrave il srsquoagit

drsquoidentifier les facteurs de risque qui contribueront agrave preacutedire lrsquoadoption

par les personnes de comportements qualifieacutes de deacuteviants ou de deacutelin-

quants en deacuteterminant notamment la propension de ces personnes agrave

adopter de tels comportements (Gottfredson et Hirschi 1990) La lecture

de la deacutesorganisation sociale familiale ou individuelle constitue ici une

assise pour consideacuterer la faiblesse drsquoun capital social et culturel heacuteriteacute

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

comme un handicap de la trajectoire de vie du jeune dans la mesure ougrave

il construit une inadaptation sociale du jeune Pour les jeunes de la rue

les analyses de Whitbeck et Hoyt (1999) mentionnent les enjeux des cycles

de vie intergeacuteneacuterationnels reproduisant les conditions de pauvreteacute agrave lrsquoori-

gine des diffeacuterentes formes de fragilisation que connaicirctront les jeunes et

qui porteront atteinte agrave la reacutealisation drsquoune socialisation adeacutequate

Sampson et Laub (1993) viendront renforcer la pertinence de lrsquouti-

lisation du concept de trajectoire de maniegravere objective en deacutemontrant

lrsquoexistence drsquoeffets drsquointeraction entre les diverses expeacuteriences que doivent

vivre les jeunes Cette lecture dynamique introduite dans la perspective

deacuteveloppementale aura pour conseacutequence de lire dans une dimension

temporelle les jeux de continuiteacute et de changement qui tracent la trajec-

toire Ainsi srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la trajectoire il faut rete-

nir quelles sont les expeacuteriences qui renforcent ou au contraire freinent la

propension agrave la deacutelinquance observeacutee (Lanctocirct 1999) Cette maniegravere de

consideacuterer lrsquoeacutevolution des trajectoires sort de la perspective strictement

structuraliste pour faire une place agrave lrsquoacteur dans la consideacuteration de sa

trajectoire Cependant elle precircte peu drsquoattention au sens que lrsquoindividu

donne agrave ses gestes et agrave la deacutefinition sociale de ces gestes La perspective

interactionniste viendra combler ces limites en retenant lrsquoideacutee drsquoune tra-

jectoire en construction Dubar (1998) affirme ainsi que pour parvenir agrave

une lecture complexe des trajectoires de vie il faut eacutegalement srsquointeacuteresser

agrave la compreacutehension des trajectoires subjectives

312 L

A

TRAJECTOIRE

SUBJECTIVE

Contre toute conception substantielle du sujet ou de la socieacuteteacute les interac-

tionnistes srsquoefforcent de construire une conception relationnelle ougrave non

seulement lrsquoindividu et la socieacuteteacute sont interdeacutependants mais se constituent

lrsquoun par lrsquoautre (de Queiroz et Ziolkovski 1994 p 17)

Si dans la trajectoire objective la lecture du temps se fait autour du

cumul et de la reacutepeacutetition des situations en vue de caracteacuteriser les chan-

gements et les continuiteacutes la trajectoire subjective donne accegraves au travail

inteacuterieur fait par lrsquoindividu de construction de son identiteacute

Il srsquoagit donc de saisir la mise en mots du parcours biographique

mise en mots qui donne accegraves agrave la logique des neacutegociations identitaires

de lrsquoindividu Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindividu aux

rencontres qursquoil fait ou non et aux interactions qursquoil vit Ces reacuteactions que

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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la plupart des auteurs (Bergier 1992 Vexliard 1957) expriment en termes

drsquoeacutetapes de la reacutesistance agrave la reacutesignation en passant par lrsquoadaptation

relegravevent le plus souvent drsquoune vision lineacuteaire et seacutequentielle de la

trajectoire de vie

Ainsi la succession des places occupeacutees au cours drsquoune vie nrsquoestpas seulement une seacuterie de deacuteplacements objectifs de positionsdans lrsquoespace social mais simultaneacutement un replacement delrsquoimage de soi exigeant un travail biographique de mise en coheacute-rence des diffeacuterents aspects du moi (De Queiroz 1996 p 297)

Ce point de vue srsquoil rappelle que dans sa routine quotidienne

lrsquoindividu cherche autant agrave se creacuteer qursquoagrave assurer une continuiteacute avec ce

qursquoil eacutetait a contribueacute agrave associer le concept de trajectoire agrave celui de

carriegravere (Becker 1963) et drsquoidentiteacute (Strauss 1959)

Or il importe ici de consideacuterer que le concept de carriegravere postulant

une progressiviteacute dans la trajectoire de vie drsquoun individu emprisonne la

situation sociale agrave lrsquoeacutetude dans un univers particulier et singulier En effet

consideacuterer la carriegravere du deacuteviant crsquoest retenir qursquoil nrsquoa qursquoune identiteacute

celle de deacuteviant et que la trajectoire de vie ne srsquoinscrit que dans ce rapport

social (Duprez et Kokoreff 2000)

En retenant les deux utilisations du concept de trajectoire objective

et subjective pour les unir dans une perspective de la structuration telle

que Giddens (1987) la deacutefinit la recherche sur les jeunes en situation

de rue que nous avons meneacutee srsquointeacuteressait agrave faire ressortir la marge de

manœuvre de ces jeunes dans la construction de leur trajectoire Sortant

ainsi de lrsquoimage du jeune victime pour qui la situation est imposeacutee ou

de lrsquoimage du jeune deacutelinquant pour qui la situation est choisie lrsquoancrage

de la structuration permet de lire lrsquoaction des jeunes dans leur rapport

aux contraintes et aux opportuniteacutes qursquoils rencontrent

313 L

A

TRAJECTOIRE

DE

RUE

DANS

UNE

ANALYSE

DE LA STRUCTURATION

Inteacutegrer la lecture de la moderniteacute avanceacutee en ce qui a trait aux enjeux

lieacutes agrave lrsquoincertitude et aux risques dans la compreacutehension drsquoune trajectoire

de vie doit donner lrsquooccasion de srsquoeacuteloigner drsquoune vision lineacuteaire drsquoune

trajectoire de vie qui tend agrave deacutefinir la reacuteussite ou lrsquoeacutechec biographique

au plan des positions sociales pour parvenir au contraire agrave la compreacutehen-

sion de la nature parcellaire fragmenteacutee et construite de lrsquoexpeacuterience

reacuteveacuteleacutee par le quotidien et les rapports sociaux (Dubet 1994 Maffessoli

1994) Dans ce contexte lire une trajectoire de rue crsquoest srsquointeacuteresser au

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

chemin parcouru par ces jeunes dans lrsquoespace physique mais aussi social

qursquoest la rue en tant qursquoexpeacuterience biographique Crsquoest srsquointeacuteresser aussi

aux rapports identitaires construits entre deacuteviance et conformiteacute

La trajectoire permet alors de composer avec la dialectique entre

lrsquoacteur et la structure la contrainte et lrsquoaction la continuiteacute et le chan-

gement en appreacutehendant dans une perspective des cycles de vie

(life courseperspective)

les points tournants les eacuteveacutenements les mouvements enga-

geant les individus dans des lignes drsquoaction et biographique particuliegraveres

(Ogien 1995) Dans le cadre de la lecture de la trajectoire Jones (1997)

montre ainsi qursquoil est important de consideacuterer

[hellip]

That individual life-courses are led along a ldquoreflexive biographyrdquo(Giddens 1991 1994) in which there is a dynamic interaction betweenagency (self-determination and choice) and structure (affecting inequalityand constraint)

(Jones 1997 p 100)

Dans cette perspective la lecture des situations que les acteurs deacutefi-

nissent comme des eacuteveacutenements cleacutes devient cruciale (Leclerc-Olive 1998)

Les reacuteflexions de Ulmer (2000) sur le concept de

commitment

montrent en

outre comment ce concept vient appuyer dans une lecture de la trajec-

toire les logiques drsquoaction des individus dans leurs constances comme

dans leurs transformations La perspective inteacutegrative qursquoil adopte lui per-

met en outre drsquoenvisager lrsquoengagement dans une voie deacuteviante de la

mecircme faccedilon que dans une voie conventionnelle Il srsquoagit de saisir comment

laquo

opportunities structures do not determine action but set constraints within whichactors make choices on the basis of their definitions

raquo (Ulmer 2000 p 320)

Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans une analyse ancreacutee dans

la theacuteorie de la structuration permet ainsi de faire ressortir les logiques

drsquoaction qui preacutevalent dans le quotidien mais aussi de consideacuterer comment

les expeacuteriences de rue srsquoeacutetablissent dans un univers des possibles qui se

construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les eacuteveacutenements srsquoenchacircssent

et que les rencontres avec les autres se reacutealisent ou non que les rapports

sociaux structurent ou non la dialectique deacutevianceconformiteacute

32 MEacuteTHODOLOGIE

La deacutemarche meacutethodologique srsquoappuie sur une approche ethnographique

de la rue baseacutee sur deux principaux outils de collecte utiliseacutes de maniegravere

compleacutementaire lrsquoobservation participante et les reacutecits de vie (Jamoulle

2000)

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Lrsquoobservation participante srsquoinscrit dans une volonteacute de partir agrave la

rencontre drsquoun monde particulier celui des jeunes en situation de rue qui

freacutequentent le centre-ville de Montreacuteal Ce terrain de recherche srsquoest ainsi

construit autour drsquoune immersion le plus souvent nocturne dans le milieu

de ces jeunes au fur et agrave mesure que la confiance se gagnait et que la

reacuteciprociteacute des liens permettait des eacutechanges de qualiteacute Au-delagrave de

lrsquoimmersion et des liens bacirctis le temps passeacute sur le terrain constitue la cleacute

qui permet de consideacuterer la compreacutehension reacuteelle du chercheur des

valeurs des repreacutesentations des codes des pratiques du milieu observeacute

En passant trois ans (du printemps 1996 au printemps 1999) dans le

centre-ville agrave freacutequenter les espaces investis par les jeunes (parcs stations

de meacutetro couloirs souterrains

squats

appartements organismes) nous

avons pu veacuteritablement plonger dans le quotidien de ces jeunes mais aussi

suivre leur eacutevolution tant sur le plan individuel que sur le plan collectif

Les temps drsquoobservations ont eacuteteacute variables allant de un ou deux jours en

hiver agrave cinq jours en eacuteteacute ce qui nous a permis de partager le quotidien

de plus drsquoune centaine de jeunes

La reacutealisation de 22 entretiens biographiques a donneacute lrsquooccasion de

mettre la rue provisoirement agrave distance pour que les jeunes se racontent

En effet lrsquourgence la survie lrsquoaleacuteatoire lrsquoincertitude de la rue rendent

parfois difficile un reacutecit de soi un reacutecit sur soi Dans ce contexte ce

moment a eacuteteacute perccedilu comme un espace-temps ideacuteal pour se raconter dans

lrsquointimiteacute drsquoun espace priveacute sans les aleacuteas de la vie dans lrsquoespace public

qursquoest la rue Sur ces 22 entretiens 14 ont eacuteteacute conduits aupregraves de jeunes

avec qui nous avions preacutealablement eacutetabli des liens privileacutegieacutes sur le ter-

rain Le recrutement de ces jeunes a eacuteteacute organiseacute de faccedilon agrave obtenir la

plus grande diversiteacute possible drsquoexpeacuteriences de rue Ainsi certains tout

juste arriveacutes nous racontaient le passage agrave la rue alors que drsquoautres

complegravetement engageacutes dans le monde de la rue nous preacutecisaient leur

trajectoire dans ce milieu drsquoautres enfin eacutetaient deacutejagrave sur une trajectoire

de sortie de la rue et dressaient dans cet entretien une sorte de bilan de

leurs expeacuteriences passeacutees Lrsquoacircge moyen des jeunes rencontreacutes eacutetait autour

de 20 ans et la dureacutee dans la rue variait entre un mois et quatre ans Le

tiers des entrevues a eacuteteacute reacutealiseacute aupregraves de jeunes filles Toutes ces entre-

vues ont eacuteteacute enregistreacutees retranscrites inteacutegralement et ont fait lrsquoobjet

drsquoune analyse agrave partir des eacuteveacutenements cleacutes nommeacutes par les jeunes On

entendait ainsi deacutegager non seulement les lignes de continuiteacute et de chan-

gement dans leur biographie de mecircme que le sens qursquoils accordaient agrave

leurs gestes et expeacuteriences mais aussi les logiques drsquoaction et de leacutegitima-

tion que ces jeunes utilisaient

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

De ce volumineux mateacuteriel drsquoenquecircte il a eacuteteacute notamment possible

de retenir trois grandes formes de trajectoires de rue en fonction desquelles

on tente de rendre compte de lrsquoexpeacuterience biographique que vivent les

jeunes entre opportuniteacutes et contraintes entre deacuteviance et conformiteacute

entre passeacute et preacutesent entre preacutesent et futur mais aussi entre stigmatisa-

tion et conventionnaliteacute (Soulet 2002)

33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES

La preacutesentation de ces trois formes de trajectoires de rue ne constitue pas

une maniegravere de diviser le groupe des jeunes en situation de rue en trois

cateacutegories Elle indique simplement qursquoil existe trois types distincts de

rapports agrave la rue rapports qui peuvent se succeacuteder dans la trajectoire drsquoun

jeune et qui tissent diffeacuterentes expeacuteriences biographiques Ces diffeacuterents

rapports ont cependant en commun drsquoenvisager la rue comme un simple

passage Cette lecture dynamique de lrsquoinscription dans le monde social de

la rue met en lumiegravere les enjeux de continuiteacute de rupture et de progres-

sion que vit le jeune en utilisant la rue comme espace de vie Du jeune

venu passer lrsquoeacuteteacute au centre-ville au jeune qui est inteacutegreacute dans le monde

social de la rue depuis plusieurs anneacutees la reacutealiteacute est diverse et complexe

Il importe de la consideacuterer comme telle pour eacuteviter les simplifications

extrecircmes sur lesquelles se construisent parfois des logiques drsquointervention

inapproprieacutees

En preacutesentant les diffeacuterents types de trajectoires ndash eacutepisode transi-

tion enfermement ndash une attention particuliegravere sera donc porteacutee agrave lrsquohis-

toire de vie anteacuterieure agrave lrsquoorganisation quotidienne qui a cours dans cette

trajectoire aux neacutegociations identitaires que le jeune utilise agrave la maniegravere

dont il construit son expeacuterience biographique et aux rapports qursquoil tisse

avec les autres acteurs (pairs et adultes)

331 L

A

RUE

UN

EacutePISODE

Sonia est arriveacutee dans la rue en avril 1997 Elle a commenceacute par venir une

fin de semaine avec une amie au centre-ville Puis apregraves deux fins de

semaine elle est resteacutee dans la semaine Elle explique ce changement dans

sa vie par le fait qursquoayant abandonneacute son secondaire elle a tenteacute de cher-

cher du travail mais sans succegraves Comme elle srsquoennuie chez elle et que

ses parents lui disent sans cesse de faire quelque chose elle trouve que la

rue lui permet de rencontrer du monde et de srsquoeacuteloigner de la pression

que lui imposent ses parents Finalement elle va rester dans la rue agrave partir

du mois de juin teacuteleacutephonant de temps en temps agrave ses parents en reacutegion

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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Elle se tient principalement dans le parc Pasteur Apregraves lrsquoavoir rencontreacutee

au deacutebut de juin je ne la reconnaicirctrai pas une semaine plus tard telle-

ment la transformation est grande Elle a teint ses cheveux a un

piercing

au nez et dans la langue habilleacutee avec des vecirctements noirs laquo patcheacutes raquo

pour mrsquoexpliquera-t-elle laquo devenir

punk

raquo elle srsquoest inteacutegreacutee au groupe

qui freacutequente le parc Pasteur Elle me preacutesente une nouvelle amie qui

lrsquoheacuteberge La semaine suivante elle me raconte en deacutetail sa freacutequentation

des ressources centre de jour maison drsquoheacutebergementhellip Et puis elle a

ajouteacute un eacuteleacutement agrave sa tenue un

squeegee

dont elle nrsquoa pas lrsquoair de srsquoecirctre

servi souventhellip Je vais la suivre tout lrsquoeacuteteacute et nos rencontres seront toujours

lrsquooccasion pour elle de raconter ses nouvelles expeacuteriences drogues

musique politique attitudeshellip Pourtant degraves les premiers signes de la

rentreacutee scolaire elle commence agrave srsquointerroger Elle devrait retourner finir

son secondaire Elle aimerait ccedila aider les autres et devenir intervenante

Elle va disparaicirctre en septembrehellip et reacuteapparaicirctre en juin lrsquoanneacutee sui-

vante Elle raconte que son anneacutee a eacuteteacute difficile elle est eacutecœureacutee de

lrsquoeacutecole de ses parents nrsquoa pas trouveacute de travail pour lrsquoeacuteteacute Elle freacutequente

un groupe de jeunes vendeurs de drogues elle devient la blonde drsquoun

vendeur Il nrsquoest plus question drsquoecirctre

punk

ni mecircme de faire du

squeegee

elle dit ecirctre laquo tanneacutee drsquoecirctre pauvre raquo Elle va srsquoinitier agrave la cocaiumlne qursquoelle

inhale parce que son

chum

lui en donne Elle fait des commissions pour

lui et srsquoachegravete plein de nouveaux vecirctements Cette anneacutee lrsquoimportant

crsquoest la tenue la plus

fresh

possible Quinze jours plus tard elle sera ven-

deuse sur un quart de travail parce que de toute faccedilon elle est lagrave avec

son

chum

alors autant en profiter pour faire de lrsquoargent Elle consomme

de plus en plus pour rester le plus possible dans la rue la cocaiumlne lui

permettant de demeurer plus longtemps eacuteveilleacutee et en peacuteriode drsquoeupho-

rie Deux jours apregraves notre derniegravere rencontre elle a commenceacute agrave srsquoinjec-

ter Agrave la fin de septembre il nrsquoest pas question de sortir de la rue pour

revenir au monde conventionnel laquo il faut trouver un appartement et pour

le payer il faut vendre raquohellip

Ce reacutesumeacute de la trajectoire de Sonia que nous avons suivie durant

plus de trois ans srsquoarrecircte au moment ougrave sa trajectoire se transforme pour

sortir de lrsquoeacutepisode Pourtant elle est caracteacuteristique le premier eacuteteacute de la

trajectoire de rue de la plupart des jeunes rencontreacutes Agrave ce titre ces jeunes

vont avoir une trajectoire de rue qursquoils deacutefinissent par lrsquoexpeacuterience initia-

tique la rencontre avec la marginaliteacute et lrsquoeacutemancipation Il srsquoagit de sortir

du moule traditionnel des jeunes chez leurs parents ou drsquoun milieu subs-

titut La rue devient lrsquoespace de lrsquoeacutemancipation et de lrsquoexpeacuterimentation

Deacutecrire la trajectoire de rue de certains jeunes sous la forme drsquoun

eacutepisode consiste agrave rendre compte de la nature eacutepheacutemegravere de la vie de

rue telle qursquoils lrsquoenvisagent Cette trajectoire de rue demeure la plus

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

freacutequente dans la mesure ougrave la plupart des jeunes sans parler de ceux

qui restent moins de 72 heures passent au plus une saison dans la rue

Dans cette perspective la logique de lrsquoeacutepisode prend une couleur initia-

tique ougrave le jeune fait lrsquoexpeacuterience dans la rue de conduites attitudes et

rapports sociaux qursquoil ne connaissait pas toujours avant dans un espace

qui symbolise le plus souvent celui de la marginaliteacute Agrave cet eacutegard il importe

ici de lire lrsquoinsertion dans le monde social de la rue comme une pratique

urbaine juveacutenile au mecircme titre que le graffiti le

skate

hellip Il convient de

saisir le caractegravere momentaneacute de cette pratique associeacute agrave un espace deacutefini

socialement comme un espace transgresseur Drsquoailleurs les jeunes attri-

buent alors un sens heacutedoniste agrave la rue qui marque le plus souvent une

coupure avec leurs expeacuteriences anteacuterieures faites drsquoeacutechecs de souffrances

de difficulteacutes (Bellot 2001)

2

Cependant il importe de dire que malgreacute sa nature circonscrite

cette trajectoire est veacutecue de maniegravere tregraves intense par les jeunes qui

renonccedilant agrave tout rythme quotidien vivent au greacute de leurs envies et des

contraintes La plupart des jeunes revendiquent ici le droit de vivre lrsquoeacuteteacute

de leur jeunesse en paix sans autre consideacuteration

Cet eacutepisode srsquoil circonscrit la trajectoire de rue comme une expeacute-

rience biographique limiteacutee dans le temps srsquoaccompagne cependant de

transformations importantes de lrsquoidentiteacute individuelle et sociale du jeune

Le travail sur lrsquoimage de soi commence par le changement de lrsquoallure

geacuteneacuterale (transformation vestimentaire

piercing

coloration des cheveux)

Ces transformations peuvent ecirctre radicales ou venir renforcer un style deacutejagrave

preacutesent Elles indiquent le plus souvent agrave Montreacuteal la volonteacute drsquointeacutegrer

une culture

punk

culture qui paraicirct repreacutesenter la culture de rue pour

les jeunes au moment de la reacutealisation de ce terrain de recherche Le

passage drsquoune culture

punk

agrave drsquoautres laquo formes de cultures jeunes raquo marque

aussi lrsquoeacutevolution collective du groupe des jeunes en situation de rue rue

qui paraicirct beaucoup plus diversifieacutee et fragmenteacutee en 1999 qursquoelle ne

lrsquoeacutetait au moment de mon entreacutee sur le terrain en 1996 Cette preacutesenta-

tion identitaire fortement ancreacutee dans une image

punk

srsquoestompera en

effet au fil des anneacutees et sera remplaceacutee par des cultures dont les codes

tenues valeurs et strateacutegies de survie tentent de rendre les jeunes moins

visibles pour eacuteloigner les interventions reacutepressives dont ils font lrsquoobjet dans

la mesure ougrave ils peuvent davantage se mecircler aux passants

2 Un chapitre de la thegravese est consacreacute agrave lrsquoanalyse des expeacuteriences anteacuterieures agrave la rue etau moment du passage agrave la rue

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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Sylvie explique comment lrsquoanneacutee preacuteceacutedente au moment ougrave elle

freacutequentait les

punks

elle leur ressemblait mais cette anneacutee elle freacutequente

le groupe de vendeurs de drogues Voilagrave comment elle explique ce que

signifie ecirctre

punk

pour elle

Lrsquoanneacutee derniegravere jrsquome tenais avec les punks pis jrsquoeacutetais pas habilleacutee de mecircmeParce que les punks premiegraverement trsquosais crsquoest lrsquohabillement trsquosais lespatchs le linge tout croche des affaires de mecircme pis les cheveux de couleurPis un vrai punk la mentaliteacute elle est pas pareille Crsquoest la mentaliteacutedrsquolrsquoanarchie pas drsquoloi la liberteacute Ben moeacute je lrsquoai cette mentaliteacute-lagrave mecircmesi jrsquomrsquohabille pas de mecircme Pis crsquoest mieux pour la vente les cochons ilsfont moins attention agrave nous Deacutejagrave ils laissent plus tranquilles les fillesmais en mecircme temps moi je peux dire que jrsquosuis comme une eacutetudiante

Misant sur la liberteacute que repreacutesente cette culture

punk

les jeunes

lrsquoadoptent comme une sorte drsquoenveloppe identitaire qui correspond alors

au sens qursquoils donnent agrave leur expeacuterience de la rue

Durant les premiegraveres anneacutees de terrain le

squeegee

constituait aussi

lrsquoun des eacuteleacutements de la panoplie neacutecessaire agrave lrsquoidentiteacute de rue de ces

jeunes mecircme srsquoils ne lrsquoutilisaient pas Ainsi agrave cette eacutepoque (1995-1998)

ecirctre un jeune de la rue signifiait ecirctre un

squeegee

punk

si bien que cet

instrument comme la tenue vestimentaire constituaient les vecteurs les

plus parlant de lrsquoidentiteacute que souhaitaient preacutesenter ces jeunes Drsquoailleurs

cette identiteacute de circonstance eacutepisodique sera lrsquooccasion de logiques de

diffeacuterenciation entre jeunes Les jeunes les plus acircgeacutes se disent ainsi de

veacuteritables jeunes de la rue qui vivent en harmonie avec lrsquoensemble des

valeurs

punk

et font du

squeegee

une strateacutegie de survie alors que les jeunes

qursquoils nomment laquo les crevettes raquo ne seraient qursquoune pacircle imitation des

jeunes de la rue En effet on reproche agrave ces laquo crevettes raquo leur conversion

reacutecente et superficielle agrave la culture

punk

et le fait qursquoils fassent du

squeegee

pour gagner de lrsquoargent de poche dont ils nrsquoont pas besoin dans la

mesure ougrave ils ne vivraient pas une veacuteritable situation de survie

Vincent 21 ans trois ans de rue parlant de la diffeacuterence

entre les vrais et les crevettes

Lrsquoeacuteteacute on est plus nombreux parce qursquoy a beaucoup de crevettes lagrave commeon dit les jeunes qui viennent de la banlieue Pis eux crsquoest vraiment dutrouble Je trouve que ccedila fait bordel pour rien pis ccedila nous empecircche nousautres ceux qui sont tout le temps dans la rue tu sais parce que ccedila faittrop de monde qui quecircte pis qui demande de lrsquoargent alors qursquoeux autresleurs parents leur payent la majoriteacute de leurs affaires Je trouve que crsquoestcon ils devraient plus rester chez eux peut-ecirctre venir tripper au centre-villemais qursquoils demandent de lrsquoargent agrave leurs parents tu sais ils sont pas

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

obligeacutes de venir squeeger juste parce qursquoils se pensent laquo ah ouais je suisun squeegee raquo crsquoest juste pour le kick de se passer pour un squeegy dans lefond Apregraves ccedila tu sais les citoyens se plaignent qursquoil y a trop de mondequi squeege mais ccedila crsquoest agrave cause drsquoeux autres pas mal Lrsquohiver crsquoest lefun parce crsquoest rien que les laquo tough raquo qui sont lagrave

Cette logique de diffeacuterenciation renvoie en outre agrave une quotidien-

neteacute de la rue diffeacuterente En effet si les jeunes qui srsquoaffirment de laquo veacuteritables

jeunes de la rue raquo vivent la rue agrave deux ou trois les jeunes qualifieacutes de

laquo crevettes raquo construisent leur quotidienneteacute autour du groupe Cette deacutesi-

gnation peacutejorative constitue pour les jeunes plus acircgeacutes un outil de distinc-

tion entre une veacuteritable expeacuterience de survie et une expeacuterience de deacutefi

drsquoadolescent Ces diffeacuterenciations que font les jeunes entre eux sont aussi

utiliseacutees dans le cadre des interventions conduites par les adultes Par

exemple la roulotte de lrsquoorganisme Poprsquos ne se deacuteplace pas le samedi

arguant qursquoil y a trop de jeunes laquo crevettes raquo qui utiliseraient leurs services

Cette trajectoire de rue

eacutepisode

est donc le plus souvent lrsquoexpeacuterience

des jeunes qualifieacutes de laquo crevettes raquo placeacutes entre deux mondes le monde

de la rue et le monde conventionnel Sans reconnaissance de part et

drsquoautre ces jeunes vont chercher agrave se reconnaicirctre dans des groupes de

pairs qui vivent avec eux lrsquoexpeacuterience de la rue La rue repreacutesente alors

pour eux une vie de groupe qui leur permet de partager leurs expeacuteriences

et qui constitue aussi un cadre de protection par rapport au reste du

monde social de la rue laquo Groupe drsquoexpeacuterimentation raquo ces jeunes se dis-

tinguent de cet autre monde social de la rue par leur visibiliteacute mais aussi

par une sociabiliteacute juveacutenile marqueacutee par le besoin de vivre en groupe de

nouvelles expeacuteriences Agrave ce titre le quotidien est centreacute autour des pairs

qui composent le groupe drsquoappartenance et drsquoun parc qui forme le cadre

territorial de lrsquoidentiteacute On distinguera ainsi entre le groupe de jeunes

freacutequentant le parc Berri celui freacutequentant le parc Pasteur et enfin celui

freacutequentant le parc des Foufounes Il est toutefois important de mention-

ner que ce cadre territorial diffegravere de celui deacutecrit dans les eacutetudes sur les

gangs de rue dans la mesure ougrave il ne renvoie pas agrave un quartier ougrave les

jeunes habitent mais agrave un espace public dans lequel ils se tiennent De la

mecircme faccedilon lrsquoidentiteacute territoriale du groupe nrsquoempecircche pas la freacutequen-

tation des autres lieux et groupes elle marque simplement lrsquoexistence de

liens plus intenses avec tel groupe et tel lieu Agrave lrsquoinstar de Lucchini (1999)

nous dirions que la dynamique observeacutee relegraveve davantage de celle drsquoun

reacuteseau drsquoidentification et de soutien que drsquoune veacuteritable bande constitueacutee

et hieacuterarchiseacutee Cependant ce reacuteseau sera utiliseacute pour se construire au

plan identitaire ainsi que pour apprendre comment faire face agrave la vie de

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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rue La question du reacuteseau est drsquoautant plus importante que srsquoagissant

drsquoun cadre relationnel ouvert les liens vont pouvoir se tisser entre les

diffeacuterents groupes et les diffeacuterents types de jeunes en situation de rue

Il importe de consideacuterer ici que les jeunes qui connaissent une tra-

jectoire de rue qualifieacutee drsquoeacutepisode se trouvent globalement dans une logique

drsquoexpeacuterimentation si bien que leur quotidien se centre sur les liens avec

leurs pairs qui vont pouvoir leur apprendre de nouvelles pratiques de

nouvelles attitudeshellip Cette soif de nouvelles expeacuteriences correspond aussi

agrave un besoin drsquoaffranchissement de leur cadre de vie anteacuterieur La lecture

des contextes de fragilisation en amont de la rue devient pour ces jeunes

la lecture de lrsquoincompreacutehension entre les aspirations du jeune agrave un

moment donneacute et celles de ces cadres de vie (famille eacutecole institutions)

Agrave cet eacutegard lrsquoorganisation quotidienne que certains jeunes reacutealisent

autour drsquoun centre de jour renvoie effectivement agrave une logique drsquoappren-

tissage ancreacutee dans une quecircte de soi et une recherche drsquoautonomie

Lrsquoimportance de cet espace concerne bien moins la reacuteponse agrave des besoins

mateacuteriels que la reacuteponse agrave des besoins relationnels qui vont correspondre

aux aspirations du jeune dans son expeacuterience biographique de la rue La

dimension de la rencontre est ici primordiale dans la mesure ougrave elle

deacutetermine le cadre des diffeacuterentes possibiliteacutes drsquoacquisition de compeacutetences

ou tout au moins drsquoexpeacuterimentation

Dans cette perspective ces jeunes paraissent repreacutesenter une nou-

velle maniegravere de reacutealiser un rite initiatique en menant une expeacuterience

de soi et sur soi qui leur permet de quitter le monde de lrsquoenfance avant

drsquoentrer dans le monde des adultes Ainsi Sheriff (1999) deacutecrit le

fulgu-rant

qui vit intenseacutement son expeacuterience de rue sans eacutebranler aucunement

par la suite sa routine de vie En consideacuterant lrsquoexpeacuterience de la rue comme

un eacutepisode crsquoest-agrave-dire comme un espace-temps circonscrit dans la trajec-

toire de vie de la personne il est possible de sortir de la lecture fatalisante

de lrsquoinscription dans le monde social de la rue tout en reconnaissant que

lrsquointensiteacute de cette expeacuterience est reacuteelle

Il srsquoagit drsquoune expeacuterience de deacuteseacutequilibre par rapport agrave la routine

de vie de ces jeunes De ce fait lrsquoeacutepisode doit ecirctre vu comme la quecircte

drsquoune expeacuterience extrecircme diffeacuterente du reste du quotidien Pour ecirctre

laquo trippante raquo lrsquoexpeacuterience de la rue doit srsquoeacuteloigner des expeacuteriences de

jeunesse anteacuterieures elle doit correspondre agrave une mise en danger plus

ou moins controcircleacutee Jones (1997) montre agrave cet eacutegard comment la prise

de risque peut signifier une veacuteritable quecircte drsquoidentiteacute et de reprise en

main de son futur faute de pouvoir consideacuterer son preacutesent Or si la

trajectoire de rue eacutepisode rime avec la prise de risque il importe de

consideacuterer que le contexte de fragilisation lieacute aux expeacuteriences anteacuterieures

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave la rue va donner le ton et influencer la nature des prises de risque

rechercheacutees De la mecircme faccedilon le cadre des opportuniteacutes et des contraintes

dans la rue va deacutefinir en partie les pratiques de prise de risque

La question de la consommation de drogues est ici un enjeu veacuteri-

table notamment lorsque la quecircte de lrsquoaffranchissement srsquoexprime dans

une multiplication des produits consommeacutes et par une utilisation des

techniques de consommation les plus risqueacutees jusqursquoagrave lrsquoinjection Agrave cet

eacutegard il importe de mentionner lrsquoeacutevolution des pratiques de prise de

risque qui rendent lrsquoexpeacuterience de la rue toujours extrecircme Il paraicirct

important de lire lrsquoaugmentation des prises de risque non pas dans un

cadre pathologique de deacutesorganisation personnelle mais comme lrsquoexpres-

sion drsquoun rapport social speacutecifique qui contraint certains jeunes pour

exister agrave se deacutepasser dans de telles expeacuteriences (consommation de drogues

suicidehellip) puisqursquoon leur refuserait socialement une quecircte de deacutepasse-

ment dans le collectif (Sheriff 1999)

Pour autant au fur et agrave mesure de la reacutealisation du terrain mais

aussi avec lrsquoaugmentation de la preacutesence de lrsquoheacuteroiumlne dans la rue le cadre

drsquoopportuniteacute des expeacuterimentations se deacuteplace vers lrsquoinjection au point

que dans une certaine mesure agrave la fin du terrain le vecteur de lrsquoidentiteacute

des jeunes en situation de rue devenait non plus le

squeegee

et lrsquoimage du

punk

mais bien la seringue et lrsquoimage du junkie Ainsi la preacutesence de

plus en plus grande dans les discours des jeunes comme dans leurs

pratiques de la consommation par injection teacutemoigne drsquoune part drsquoun

deacutetachement de la philosophie punk laquo Punk no junk raquo qui dominait aupa-

ravant et drsquoautre part drsquoune escalade constante dans les prises de risque

Toutes ces expeacuteriences construites autour drsquoune ritualisation de la mort

doivent ecirctre consideacutereacutees sur le plan symbolique comme autant drsquoeacuteleacute-

ments marquant les difficulteacutes drsquoecirctre jeune de prendre sa place dans la

socieacuteteacute queacutebeacutecoise actuelle tout comme dans la rue

Concevoir la trajectoire de rue comme un eacutepisode signifie donc que

lrsquoon envisage un passage dans le monde social de la rue non exclusif et

dont le quotidien est centreacute sur les autres jeunes comme eacuteleacutement struc-

turant de lrsquoexpeacuterience de la rue Cette situation courante deacutefinie autour

de la notion drsquoeacutepisode renvoie souvent agrave lrsquoideacutee drsquoune peacuteriode circons-

crite dans la trajectoire de vie de la personne qui nrsquoapparaicirct pas ni pour

elle ni pour les autres comme une expeacuterience deacuteterminante pour le futur

Pour drsquoautres la trajectoire de rue loin drsquoecirctre un simple passage momen-

taneacute va devenir une transition deacuteterminante pour la trajectoire de vie

du jeune

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332 LA RUE UNE TRANSITION

Ici la trajectoire de rue conccedilue comme une transition signifie que la rue

devient le socle drsquoune vie diffeacuterente tantocirct pour construire un projet de

vie les jeunes srsquoinseacuterant dans la socieacuteteacute tantocirct pour faciliter le passage

vers une vie marginale ou une vie criminelle

3321 La rue comme tremplin vers une insertion sociale

Denis 23 ans vit dans la rue par intermittence depuis lrsquoacircge de 18 ans

Cette intermittence srsquoinscrit dans un rapport agrave la rue et agrave la drogue variable

Pendant quelques mois son quotidien se construit autour de la consom-

mation de drogues Puis il srsquoarrecircte reprend un appartement et trouve un

travail jusqursquoagrave la prochaine fois Fatigueacute de cette situation il va utiliser

son expeacuterience de la rue pour reacutealiser son recircve dessiner Apregraves un stage

drsquoemployabiliteacute proposeacute en raison de ses compeacutetences graphiques mais

aussi de sa situation de rue et de son expeacuterience il va parvenir agrave inteacutegrer

une entreprise multimeacutedia et agrave devenir un de leurs graphistes Il dit

laquo consommer maintenant de maniegravere brancheacutee raquo

Lrsquoutilisation de lrsquoexpeacuterience de la rue comme tremplin vers un cadre

drsquoinsertion se lit le plus souvent autour des interventions qui sont parve-

nues agrave rejoindre les jeunes directement dans cet espace En effet pour

que les jeunes aient la possibiliteacute drsquoutiliser la rue comme tremplin il

importe que la laquo perche tendue raquo considegravere leurs compeacutetences acquises

dans cet espace mais aussi leurs aspirations Le plus souvent il srsquoagit de

jeunes qui vivaient des difficulteacutes drsquointeacutegration avant la rue et qui ne

parvenaient pas agrave srsquoinscrire dans des interventions traditionnelles drsquoinser-

tion socioprofessionnelle pour les jeunes Ainsi les projets de type pairs

aidants comme les projets orienteacutes vers les arts (cirque journal videacuteo

multimeacutediahellip) constituent des formes drsquointervention qui en utilisant les

compeacutetences des jeunes leur permettent plus facilement de rebondir

notamment parce qursquoelles leur donnent une expeacuterience dans des domaines

qui leur plaisent mais aussi parce qursquoelles correspondent agrave des besoins

reacuteels du marcheacute du travail La rue constitue ainsi une opportuniteacute de

srsquoinseacuterer dans des interventions non traditionnelles qui reconnaissent

aussi lrsquoidentiteacute plus ou moins marginale des jeunes Par exemple lrsquointer-

vention par les pairs mecircme si elle ne vise pas directement agrave inscrire les

pairs aidants dans un parcours vers lrsquoemploi devient un espace de forma-

tion qui facilite la transition entre la rue et lrsquoemploi drsquointervenant En

effet les pairs sont le plus souvent des anciens jeunes de la rue qui ne

souhaitent pas ou ne peuvent pas srsquoinscrire dans des formations plus aca-

deacutemiques pour devenir intervenants Dans le projet des pairs aidants ils

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86 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

vont pouvoir srsquoancrer dans un parcours de formation qui utilisera aussi

leurs connaissances du milieu de la rue et qui leur permettra par la suite

de devenir intervenants srsquoils le souhaitent

Toutefois cette forme de transition demeure peu commune dans la

rue non pas en raison de lrsquoabsence de compeacutetences acquises par les

jeunes mais bien parce que lrsquointervention ne srsquoappuie que tregraves rare-

ment sur cette expeacuterience Les autres formes de transition correspondent

davantage agrave un cheminement vers des milieux de deacutesinsertion sociale

3322 La rue comme tremplin vers une deacutesinsertion sociale

Lire des trajectoires menant agrave des formes de deacutesinsertion sociale conduit

agrave srsquointeacuteresser agrave des expeacuteriences qui renvoient agrave des inscriptions sociales

deacuteviantes

La trajectoire de la rue peut ecirctre une transition vers une marginaliteacute

sociale qui certes ameacuteliorera un peu les conditions de vie des jeunes

mais cristallisera leur cadre de vie dans une pauvreteacute eacuteconomique sociale

culturelle et relationnelle Cette forme de trajectoire de rue entendue

comme une transition vers un statut et un rocircle lieacutes agrave une expeacuterience de

la pauvreteacute renvoie de maniegravere eacutevidente aux lectures sur la faiblesse du

capital social des jeunes en situation de rue (Hagan et McCarthy 1997)

Il importe ici de replacer lrsquoexpeacuterience de la rue dans une lecture de la

continuiteacute qui sans ecirctre deacuteterministe renvoie cependant agrave lrsquoabsence

drsquoopportuniteacutes et au poids des contraintes qui pegravesent sur la trajectoire de

vie de ces jeunes Cette lecture de la trajectoire conduit agrave envisager les

conditions de reproduction des ineacutegaliteacutes sociales

Dans cette perspective il importe de dire en outre que lrsquointerven-

tion qui vise agrave sortir les jeunes de la rue porte rarement sur autre chose

que la sortie de cet espace Sortir ces jeunes de la pauvreteacute srsquoinscrirait dans

une tout autre logique

Pourtant il apparaicirct que lrsquoexpeacuterience de la rue constitue pour ces

jeunes une maniegravere de faire appel agrave des strateacutegies de deacutebrouillardise pour

contrer la pauvreteacute dans laquelle ils vivent Utilisant le squeegee comme

strateacutegie de survie les jeunes dans cette trajectoire vont faire lrsquoapprentis-

sage dans la rue des maniegraveres alternatives drsquoobtenir des ressources mateacute-

rielles Agrave cet eacutegard leur quotidien demeure centreacute sur la deacutebrouillardise

Drsquoailleurs cette dynamique de trajectoire fera en sorte que la rue se preacute-

sente plus ou moins reacuteguliegraverement dans leur vie comme un espace leur

permettant de trouver les ressources neacutecessaires La rue nrsquoest alors qursquoune

des multiples facettes de leur expeacuterience biographique de la marginalisation

elle nrsquoen est pas le reacuteveacutelateur Ainsi sans freacutequenter la rue de maniegravere

permanente ces jeunes maintiendront leurs liens avec des organismes

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 87

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drsquointervention aupregraves des jeunes de la rue construisant le plus souvent

leur socialiteacute autour de ce reacuteseau drsquoaide La freacutequentation des bus les soirs

de distribution de sacs de nourriture constitue donc un moyen privileacutegieacute

de rencontrer des jeunes qui se sont eacuteloigneacutes de la rue mais qui conti-

nuent drsquoutiliser les ressources drsquoaide Drsquoailleurs comme le montrent les

analyses de Paugam (1991) il srsquoagit ici de jeunes qui se caracteacuterisent par

des biographies tourmenteacutees et dont lrsquoidentiteacute est davantage fondeacutee sur

la survie que sur la vie

La lecture de leur trajectoire de vie rime le plus souvent avec une

lecture drsquoun cumul de handicaps de difficulteacutes drsquoeacutechecs de stigmates qui

les contraint agrave vivre en eacutetat de survie perpeacutetuelle ne sachant ni ougrave ni

comment trouver une place dans la socieacuteteacute qui les exclut toujours davan-

tage Ces trajectoires teacutemoignent alors des conditions de misegravere dans les-

quelles tentent de survivre certains jeunes en situation de rue conditions

qui ne srsquoameacuteliorent pas neacutecessairement lorsqursquoils srsquoeacuteloignent de la rue Agrave

cet eacutegard la description de ces trajectoires correspond le plus souvent agrave

la compreacutehension drsquoune errance sociale bien plus que spatiale expeacute-

rience qui paraicirct se conclure simplement par une incorporation toleacutereacutee agrave

la marge de la socieacuteteacute leurs propres logiques drsquoaction tout comme celle

des dispositifs drsquoaction publique et communautaire qui les entourent ne

permettant pas de modifier cette structuration de la survie Cet ancrage

de la trajectoire de rue dans une routinisation de la survie conduit ces

jeunes dans une impasse ougrave les oscillations qursquoils vivent ne parviennent

pas agrave les engager dans drsquoautres voies Ils semblent alors perdre la qualiteacute

de sujets de leur propre vie se maintenant dans un ballottement perpeacutetuel

entre les diffeacuterents espaces de ressources et de survie qursquoils traversent au

quotidien sans avoir aucune prise reacuteelle sur lrsquoun drsquoentre eux

Cette errance laquo vulneacuterabilisante raquo ne signifie pas pour autant la perte

drsquoune qualiteacute drsquoacteur Vivre au quotidien une routine de survie crsquoest

srsquoinscrire dans une dynamique de deacutebrouillardise qui caracteacuterise cette

adaptation individuelle agrave des conditions de vie deacutefavorables Dans ce

contexte ecirctre soi crsquoest inscrire dans une routine cette lutte contre la

deacutegradation de leur statut et de leur identiteacute sociale espeacuterant toujours

pouvoir en finir avec cette condition de vie de misegravere Agrave cet eacutegard il

appert que mecircme dans le cadre de ces trajectoires ougrave les enjeux drsquoexclu-

sion sont importants les jeunes disent encore vouloir agir pour sortir de

ces conditions de vie qursquoils qualifient eux-mecircmes de misegravere Se reacutealiser

devient alors survivre aux pressions sociales stigmatisantes et deacutesaffiliantes

et obtenir les ressources minimales pour combler ses besoins vitaux

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88 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si ce type de trajectoire paraicirct reproduire une certaine logique

sociale fatalisante de la pauvreteacute il nrsquoen demeure pas moins qursquoil donne

aussi accegraves agrave des meacutecanismes drsquoadaptation agrave un environnement social

hostile meacutecanismes qui font cependant lrsquoobjet drsquoune deacutesapprobation sociale

Crsquoest en effet autour de ce type de trajectoire que les dynamiques

de controcircle sont les plus fortes dans la mesure ougrave la deacutebrouillardise des

uns srsquooppose agrave la coercition des autres Dans certaines circonstances la

coercition exerceacutee agrave lrsquoendroit de ces strateacutegies de deacutebrouillardise va diri-

ger les jeunes vers le milieu criminel consideacutereacute alors comme une reacuteponse

aux injustices veacutecues Ainsi certains jeunes qui ont fait lrsquoexpeacuterience de

lrsquoemprisonnement pour non-paiement drsquoune amende pour des contraven-

tions lieacutees au squeegee sont ressortis de cette expeacuterience avec de nombreux

contacts leur permettant de devenir au moins commissionnaires3 dans la

rue Certains par exemple savaient en recevant des montants dans leur

compte qursquoils devaient porter tel colis agrave tel endroit ou effectuer drsquoautres

deacutemarches Drsquoautres obtenaient les contacts leur permettant de devenir

vendeurs dans la rue Pourtant au-delagrave des contacts eacutetablis en prison qui

font basculer plus rapidement la trajectoire vers une insertion dans le

milieu criminel la rue constitue aussi un espace qui fournit des occasions

drsquoinsertion dans ce milieu Et agrave ce titre dans ces trajectoires de rue qui

symbolisent lrsquoaction reacutepressive conduisant agrave lrsquoincarceacuteration cette derniegravere

devient lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur drsquoune perte de routine Placeacutes dans drsquoautres

espaces les jeunes peuvent se mobiliser et voir agrave nouveau les possibiliteacutes

qui se preacutesentent agrave eux Lrsquoincarceacuteration devient alors lrsquooccasion dans leur

expeacuterience biographique drsquoun sursaut drsquoun changement Pour drsquoautres

lrsquoincarceacuteration sera veacutecue comme une forme diffeacuterente de deacutegradation de

statut qui les marginalisera davantage et les conduira de nouveau agrave la rue

renforccedilant une certaine mortification du sujet La prison est alors un

simple ballottement de plus dans leur vie

Mais lorsque la prison permet le sursaut les jeunes utiliseront leurs

contacts pour srsquoengager dans diffeacuterentes expeacuteriences qui leur permettront

drsquointeacutegrer les filiegraveres de lrsquoeacuteconomie souterraine Le plus souvent ils

commenceront par faire des commissions pour les vendeurs de drogues

avant de devenir eux-mecircmes vendeurs avec une progression dans les

heures de vente et les lieux de vente accumulant de plus en plus de profits

pour finalement devenir laquo un boss de la place raquo qui srsquooccupe des vendeurs

3 Un commissionnaire est une personne qui va assurer des livraisons pour un vendeurde rue soit aupregraves drsquoun client soit aupregraves drsquoun fournisseur Crsquoest geacuteneacuteralement lepremier niveau drsquoimplication dans la vente de drogues de rue pour les jeunes

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 89

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Durant cette progression dans la hieacuterarchie du milieu criminel de rue

lrsquoessentiel pour ces jeunes crsquoest de se deacutetacher le plus rapidement possible

du monde de la rue et de son image de pauvreteacute

Utilisant tous les signes exteacuterieurs de richesse ndash bijoux vecirctements agrave

la mode teacuteleacutephone cellulaire ndash ils estiment tregraves important de montrer

leur reacuteussite mais aussi leur pouvoir Certains auront des chiens de combat

pour faire valoir leur force nrsquoheacutesitant jamais agrave leur faire sortir les crocs

en cas de besoin Pour ces jeunes la rue repreacutesente lrsquoespace qui va leur

permettre de reacuteussir dans la mesure ougrave ils y gagnent lrsquoargent neacutecessaire agrave

leur inteacutegration dans la socieacuteteacute de consommation qui est la leur Les

aspirations se deacutefinissent alors de maniegravere strictement eacuteconomique crsquoest-agrave-

dire qursquoil srsquoagit de continuer agrave obtenir lrsquoargent dont ils ont besoin pour

conserver leur train de vie Le prestige et le pouvoir que symbolise leur

rocircle dans la rue paraissent conforter aussi les jeunes dans le fait que

lrsquoexpeacuterience criminelle doit ecirctre valoriseacutee puisqursquoelle est valorisante

Mathieu 21 ans cinq ans de rue

Rencontreacute durant lrsquoeacuteteacute 1996 Mathieu eacutetait lrsquoun des principaux vendeurs

drsquoun parc que je freacutequentais Travaillant constamment il a eacuteteacute durant cet

eacuteteacute une veacuteritable puce qui courait partout pour faire laquo runner sa business raquo

Voilagrave comment il deacutecrit ce premier eacuteteacute

Ben cet eacuteteacute jrsquofais ben de lrsquoargent jrsquofaisais cinq cent piasses par jour Crsquotaiteffrayant trsquosais jrsquoavais ma clientegravele faque crsquoeacutetait vraiment payant Jrsquopoi-gnais toujours les mecircmes clients et pis ils mrsquoachetaient de la poudre dupot du buvard Jrsquotais rendu capitaliste Crsquoeacutetait rendu vraiment lagravehellip jrsquoavaismon appart mon page mon cellulaire pis toute tout le monde capotaitsur mon cas Mais ccedila a arrecircteacute parce que jrsquoai commenceacute agrave me crinquer Pistu sais quand tu te crinques trsquoen veux trsquoen veux pis agrave un moment donneacutetu te mets dans lrsquotrou Faque jrsquoai eu des dettes jrsquotais rendu agrave 1000 piassesde dettes pis mon boss il mrsquoa dit drsquoarrecircter sinon jrsquoavais plus le droit devendre Sur le coup jrsquoai pas voulu mais apregraves jrsquoai tout perdu faque que jeme suis dit laquo Arrecircte tes conneries pis fais juste vendre raquo Alors je me suisremis agrave vendre pis lagrave tu sais depuis de temps en temps crsquoest le party maiscrsquoest rare Pis lagrave moeacute maintenant jrsquoorganise plus les affaires pis je faistravailler les jeunes mais crsquoest plus pareil comme avant maintenant ilssont sur le smack pis crsquoest ben difficile de les faire travailler comme y fauthellip

Pourtant malgreacute cette inteacutegration dans une eacuteconomie souterraine

largement organiseacutee autour de la drogue ces jeunes demeurent tregraves proches

de la rue Ils vivent au mecircme rythme que les autres jeunes concentrant

leurs activiteacutes la nuit La disparition de certains de ces jeunes peut laisser

supposer que la rue ne leur a servi que de tremplin vers drsquoautres activiteacutes

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90 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

davantage centreacutees sur la supervision Mathieu par exemple a disparu agrave

la fin de la deuxiegraveme anneacutee de notre terrain Rencontreacute par hasard agrave

quelques reprises depuis il mrsquoexplique qursquoil laquo gegravere ses affaires agrave distance raquo

La description de cette trajectoire de rue transition montre que les

projets associeacutes agrave la rue peuvent ecirctre varieacutes et conduire agrave des chemine-

ments diffeacuterents Certes plus la trajectoire de rue est longue plus le

deacutecrochage des autres espaces sociaux est reacuteel bien qursquoil ne signifie pas

toujours lrsquoengagement dans le milieu criminel au sens strict du terme Il

importe cependant de distinguer les jeunes qui srsquoengagent dans des acti-

viteacutes criminelles pour subvenir agrave leurs besoins essentiels la majoriteacute de

ceux qui le font pour se payer une appartenance agrave la socieacuteteacute de consom-

mation Drsquoailleurs dans leur analyse de la deacutelinquance des jeunes de la

rue agrave Toronto et agrave Vancouver Hagan et McCarthy (1997) expliquent

qursquoon est le plus souvent en preacutesence drsquoune deacutelinquance de survie et

acquisitive Lorsqursquoil srsquoagit de jeunes qui aspirent agrave preacutesenter une cer-

taine reacuteussite sociale la lecture de lrsquoengagement dans des activiteacutes quali-

fieacutees de criminelles renvoie parfois plus agrave la lecture mertonienne de la

reacuteussite sociale qursquoagrave la lecture drsquoune pathologie du controcircle social person-

nel proposeacutee par Gottfredson et Hirshi (1990) En deacutegageant une diversiteacute

de trajectoires notre analyse a permis de constater que lrsquoengagement

criminel comme mode de reacuteussite sociale nrsquoest qursquoune traduction possible

de la conjonction entre une expeacuterience biographique et des logiques

drsquoacteurs structurants comme le milieu criminel ou le milieu reacutepressif

La question des processus de stigmatisation et de criminalisation lieacutes

agrave lrsquoappartenance sociale semble en effet jouer davantage dans la compreacute-

hension des trajectoires de rue que ne le fait tout autre eacuteleacutement des

theacuteories criminologiques Les trajectoires de rue comme forme de tran-

sition vers une inscription sociale qualifieacutee de deacuteviante sont le fait des

jeunes qui connaissent les contextes de fragilisation les plus grands en

amont de la rue Cette pauvreteacute eacuteconomique relationnelle et culturelle

les oblige le plus souvent agrave eacutelaborer des strateacutegies de deacutebrouillardise qui

les opposent agrave une intervention reacutepressive marquant une deacutesapprobation

sociale agrave leur endroit4 Cette reacutepression contribue alors agrave structurer un

parcours de criminalisation qui renforce leur engagement dans des acti-

viteacutes criminelles Cette dynamique sociale ougrave srsquoaffrontent lrsquoindividu et les

institutions reacutepressives devient le terreau drsquoune trajectoire criminelle des

jeunes en situation de rue

4 Pour une analyse plus approfondie des enjeux de classe autour des trajectoires de ruedes jeunes voir Bellot (2003)

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 91

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Nous verrons ainsi dans la preacutesentation du troisiegraveme type de trajec-

toire comment lrsquoexpeacuterience de la rue est deacutefinie comme une forme de

captiviteacute voire drsquoalieacutenation du sujet dont le jeune deacutesespegravere de sortir

333 LA RUE UN ENFERMEMENT

Voir la trajectoire de rue sous la forme drsquoun enfermement contribue agrave

rendre compte du rapport captif qursquoentretiennent certains jeunes avec le

monde social de la rue Lrsquoideacutee de lrsquoenfermement renvoie au fait que ces

jeunes se sentent prisonniers de cet espace Ils souhaitent ainsi en sortir

font parfois des tentatives mais y reviennent toujours Lrsquoenfermement

vient donc de lrsquoabsence de possibiliteacutes de vivre ailleurs que dans la rue Il

srsquoaccompagne souvent drsquoune consommation de drogues injectables qui a

fait exploser le projet drsquoune expeacuterience de la rue en tant que quecircte drsquoindeacute-

pendance de liberteacute et drsquoautonomie Le passage drsquoune trajectoire eacutepisodeagrave une trajectoire enfermement exprime le plus souvent le manque drsquooppor-

tuniteacutes preacutesentes pour faire de la sortie de rue un projet Cette trajectoire

drsquoenfermement donne le plus souvent le sentiment drsquoun cercle vicieux

entre la logique de survie qui conduit agrave prendre de plus en plus de

risques et la logique de consommation qui conduit agrave devenir de plus en

plus deacutependant Il importe de consideacuterer que lrsquoensemble de lrsquounivers de

ces jeunes se reacutesume agrave la rue ou tout au moins agrave quelques rues ougrave

srsquoeacutetablit leur quotidien

Cet enfermement dans la rue accompagne ainsi une trajectoire de

consommation ougrave la drogue notamment par injection est devenue la

ligne biographique dominante de lrsquoindividu (Ogien 1995) Ainsi pour

ces jeunes la drogue prend toute la place dans leur quotidien et agrave ce

titre construit leur appartenance agrave la rue Ils se disent des laquo junkies de la

rue raquo bien plus que des jeunes de la rue Ils vivent alors une forme drsquoalieacute-

nation de leur expeacuterience biographique de la rue La routine nrsquoest pas

alors la survie mais la drogue elle-mecircme leur vie eacutetant rythmeacutee non plus

par le ballottement de ressource drsquoaide en ressource drsquoaide mais drsquoune

injection agrave une autre drsquoun dix dollars agrave un autre dix dollars

La vie sans reacutepit qursquoimpose la drogue conduit les jeunes vivant cette

trajectoire de rue dans une logique de prise de risque toujours grandis-

sante logique qui les enferme toujours un peu plus dans un cercle vicieux

Cependant mecircme si ces jeunes semblent entraicircneacutes dans une spirale sans

fin ils conservent aussi minime soit-elle une marge de manœuvre notam-

ment celle de garder autour drsquoeux des acteurs susceptibles de leur propo-

ser un changement Agrave cet eacutegard la preacutesence et lrsquointervention eacuteventuelle

des travailleurs de rue sont primordiales dans la mesure ougrave ces derniers

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92 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

apportent des propositions de changement de limitation des meacutefaits de

la drogue dans la routine mecircme de vie de ces jeunes Ils seront drsquoailleurs

les acteurs que les jeunes utiliseront le plus lorsqursquoils seront precircts agrave sortir

de lrsquoinjection

En attendant cette trajectoire de rue fortement associeacutee agrave la consom-

mation de drogues injectables inscrit la routine de ces jeunes dans une

quecircte incessante drsquoargent Les strateacutegies de survie qursquoils vont employer

seront plus diversifieacutees tous les moyens pour faire de lrsquoargent sont bons

Cette dynamique eacuteconomico-compulsive les conduit agrave preacutefeacuterer les strateacute-

gies les plus payantes mecircme si le plus souvent le quotidien se construit

de dix dollars en dix dollars le prix drsquoune dose agrave Montreacuteal Ils vivront

alors davantage la rue seuls ou en petits groupes Cette trajectoire de rue

devenue de plus en plus freacutequente chez les jeunes rencontreacutes au cours de

notre terrain paraicirct cependant ecirctre davantage une trajectoire de consom-

mation de drogues injectables dans la mesure ougrave les jeunes qui srsquoy trouvent

inscrits appartiennent plus au monde social de la drogue que de la rue

Cette trajectoire reacutevegravele une transformation nette du pheacutenomegravene

deacutefini comme celui des laquo jeunes de la rue raquo En effet le passage drsquoune

routine caracteacuteriseacutee par la culture punk et le squeegee agrave celle drsquoune rou-

tine axeacutee sur la consommation drsquoheacuteroiumlne ou de cocaiumlne a modifieacute la

plupart des rapports sociaux qursquoentretenaient les jeunes Crsquoest dans le

cadre de ces trajectoires que la difficulteacute des conditions de vie est la plus

preacutegnante En effet ces trajectoires expriment une lutte incessante contre

soi et contre les autres La logique du deacutesespoir est criante pour ces

jeunes Il est donc important de comprendre que le rapport de ces jeunes

agrave la rue nrsquoest plus identitaire mais strictement utilitaire Crsquoest dans la rue

que ceux-ci trouvent lrsquoargent neacutecessaire agrave leur consommation Drsquoailleurs

ils associent agrave cet espace tous leurs maux et leur situation de captiviteacute

Ainsi pour eux sortir de la rue ndash ou plus exactement du centre-ville ndash

leur permettra de se libeacuterer de cet enfermement qursquoimpose la drogue

Paradoxalement la rue devient pour eux une prison dont il leur est dif-

ficile de srsquoeacutevader Si la prison peut alors devenir un lieu de rupture avec

cet enfermement dans la drogue elle renforce drsquoun autre cocircteacute la margi-

nalisation des individus qui risquent de retourner agrave la rue degraves leur sortie

Pour drsquoautres la rupture sera moins brutale Elle se construira progres-

sivement dans une deacutecision de sortie qui sera accompagneacutee par des

interventions sociales et meacutedicales visant agrave freiner lrsquoalieacutenation et la

marginalisation de ces jeunes

Jonathan mentionnera ainsi apregraves deux anneacutees de consommation

de cocaiumlne et drsquoheacuteroiumlne veacutecue dans la rue que son arrestation et sa condam-

nation agrave une peine de prison de plus de deux ans ont eacuteteacute lrsquoarrecirct drsquoagir

dont il avait besoin pour se sortir de la drogue

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 93

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CONCLUSION

La description de ces diffeacuterentes formes de trajectoires de rue permet de

sortir drsquoune vision steacutereacuteotypique du pheacutenomegravene des jeunes de la rue

puisque la rue nrsquoest alors pas simplement perccedilue comme un espace dia-

bolique Elle peut toutefois le devenir lorsque la marge de manœuvre des

jeunes se reacuteduit agrave un laquo choix raquo entre deux expeacuteriences laquo deacutesinseacuterantes raquo

Dans ce contexte il importe de retenir que lrsquoexpeacuterience des jeunes en

situation de rue est drsquoabord et avant tout lrsquoexpression de difficulteacutes drsquoinser-

tion sociale notamment en raison drsquoun manque reacuteel de possibiliteacutes et de

la preacutesence de contraintes majeures qui limitent plus ou moins leur capa-

citeacute drsquoaction Dans ce contexte il faut penser lrsquointervention comme un

moyen de maintenir et de construire avec les jeunes des opportuniteacutes

qui leur permettront de surmonter leurs difficulteacutes Dans cette perspec-

tive lrsquoanalyse des trajectoires de rue des jeunes pourrait devenir un outil

majeur tant en intervention qursquoen recherche pour porter un regard sur

la complexiteacute de leur situation sur la nature de lrsquoexpeacuterience biographique

que reacutealise la rue mais aussi sur les forces de structuration que deacuteploient

les interventions notamment reacutepressives en renforccedilant les meacutecanismes de

stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent ces jeunes Certes le suivi de

certains jeunes au-delagrave de ce terrain permet drsquoespeacuterer Lrsquoexpeacuterience bio-

graphique de la rue comprend aussi la dimension sortie Dans la trajec-

toire de rue eacutepisode cette sortie ne semble pas poser de difficulteacutes majeures

lrsquoexpeacuterience de la rue nrsquoeacutetant qursquoun eacuteleacutement de structuration du parcours

biographique Par contre lorsque la rue a contribueacute agrave deacutestructurer lrsquoexpeacute-

rience biographique du jeune le travail drsquoaffranchissement est laborieux

les marges de manœuvre parfois tregraves eacutetroites pour lutter contre lrsquoexacer-

bation des ineacutegaliteacutes sociales et des rapports de stigmatisation structureacutes

par lrsquoaction des institutions reacutepressives auxquelles la vie dans la rue a

conduit Sortir de la rue signifie alors faire face et lutter contre des iden-

titeacutes multiples deacutegradeacutees socialement jeune de la rue itineacuterant toxico-

mane deacutetenu deacutelinquant et drsquoautres encore

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LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

Leur signification dans

une trajectoire de vie

M

ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et agrave lrsquoIRDS

S

YLVIE

H

AMEL

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresIRDS Universiteacute de Montreacuteal

M

ICHEgraveLE

F

OURNIER

Eacutecole de criminologie Universiteacute de Montreacuteal

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98

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce nrsquoest pas drsquohier que les chercheurs srsquointeacuteressent au pheacutenomegravene des

gangs de rue qursquoon tente de percer le secret de leur organisation de faire

le point sur leurs activiteacutes deacutelinquantes Les premiers travaux recenseacutes en

la matiegravere datent de 1927 alors que Trasher recensait 1 313 gangs aux

Eacutetats-Unis Depuis de nombreuses eacutetudes ont vu le jour visant toutes

jusqursquoagrave tregraves reacutecemment agrave preacuteciser agrave partir drsquoeacuteleacutements statistiques quan-

titatifs la structure des gangs leur composition (sexe acircge origine ethnique

rocircle des membres) la preacutesence de rites et de symboles de territoires

reacuteserveacutes

1

Si ces eacutetudes ont le meacuterite de lever le voile sur lrsquoorganisation

des gangs fournissant un portrait en quelque sorte meacutecaniste de leur

fonctionnement elles ne disent rien des membres qui les composent de

leurs motivations agrave joindre le gang des expeacuteriences qursquoils y vivent et de

la signification qursquoils y accordent ndash faisant en sorte qursquoils y restent lieacutes plus

ou moins longtemps ndash et des raisons qui les conduisent agrave vouloir un jour

en sortir En somme on ne sait rien de lrsquoapport des gangs dans la

trajectoire de vie des jeunes

Si tel est le cas crsquoest que les meacutethodes traditionnellement employeacutees

pour aborder la question des gangs ne permettaient pas la collecte du

mateacuteriel neacutecessaire agrave la documentation de cet aspect du laquo pheacutenomegravene des

gangs raquo Depuis maintenant quelques anneacutees notre eacutequipe Jeunesse et

gangs de rue srsquoemploie notamment agrave explorer cette face cacheacutee de la

reacutealiteacute des gangs Agrave cette fin il nous a sembleacute que la seule source de

donneacutees envisageable tenait aux jeunes eux-mecircmes ceux qui ont fait

lrsquoexpeacuterience des gangs Crsquoest donc par une approche essentiellement qua-

litative en donnant la parole aux jeunes dans le cadre drsquoentrevues semi-

dirigeacutees de type reacutecits drsquoexpeacuterience que nous avons conduit plusieurs de

nos recherches Et crsquoest le reacutesultat de ces travaux que nous voulons livrer

dans le cadre du preacutesent chapitre Ce faisant nous montrerons quelle

contribution suppleacutementaire les meacutethodes qualitatives apportent agrave la

connaissance drsquoun aspect neacutegligeacute du pheacutenomegravene des gangs de rue lrsquoexpeacute-

rience que vivent les jeunes en lien avec les gangs de rue Nous verrons

comment une telle approche vient influencer les propositions de solutions

formuleacutees pour faire face au pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutetude Cette version renou-

veleacutee de lrsquointervention survient au moment mecircme ougrave lrsquointervention tradi-

tionnellement preacuteconiseacutee essentiellement reacutepressive se heurte agrave des

reacutesultats fort peu probants

1 Parmi les incontournables mentionnons les travaux de Spergel (1965 1995) Klein(1967 1995) Yablonsky (1970) Thornberry (1987 1998) Jankowski (1991) Pour unerecension des eacutecrits sur la question voir Heacutebert Hamel et Savoie (1997)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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41 LA PAROLE AUX JEUNES

Crsquoest donc en recourant agrave une approche qualitative que nous avons entre-

pris de tenter de faire le point sur lrsquoexpeacuterience que vivent les jeunes en

lien avec les gangs de rue Les entrevues que nous avons meneacutees aupregraves

de jeunes membres et ex-membres de gangs selon leur propre aveu pre-

naient la forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes ayant pour but de laisser le plus

de latitude possible agrave lrsquointervieweacute dans la narration de son expeacuterience en

lien avec les gangs de rue tout en nous assurant qursquoun certain nombre

de theacutematiques eacutetaient systeacutematiquement couvertes les raisons ayant

conduit le jeune agrave se lier aux gangs les diverses expeacuteriences veacutecues du

fait de son lrsquoaffiliation au gang ndash expeacuteriences de deacutelinquance et de consom-

mation de substances psychotropes certes mais aussi expeacuteriences drsquointer-

actions sociales et sentiments srsquoy rattachant ndash ainsi que les raisons ayant

motiveacute son retrait des gangs et les difficulteacutes veacutecues en lien avec la sortie

le cas eacutecheacuteant Nous insisterons sur le premier et le dernier aspect car il

nous semble que crsquoest lagrave que les connaissances nouvelles issues de lrsquoapproche

qualitative sont les plus prometteuses au regard drsquoune intervention visant

la preacutevention de lrsquoadheacutesion ou de la poursuite de lrsquoadheacutesion des jeunes

aux gangs de rue

Les reacutesultats que nous preacutesentons ici sont issus de deux recherches

et srsquoinspirent de plusieurs autres eacutetudes que nous avons meneacutees sur le

sujet des jeunes et des gangs de rue ainsi que du rapport de lrsquoun agrave lrsquoautre

La premiegravere recherche (Hamel Fredette Blais et Bertot 1998) srsquoest

inteacuteresseacutee agrave un eacutechantillon de 31 jeunes garccedilons et filles membres ou

anciens membres de gangs La deuxiegraveme a plus speacutecifiquement porteacute sur

le cheminement et lrsquoexpeacuterience des jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue

agrave Montreacuteal

La formule emprunteacutee pour la reacutealisation des entrevues tente de

suivre la trajectoire des jeunes qui les megravene agrave se trouver dans le sillage

des gangs de rue agrave srsquoy associer agrave y vivre un certain nombre drsquoexpeacuteriences

et dans certains cas agrave srsquoen deacutetacher Il est alors question des processus

drsquoaffiliation drsquoinitiation drsquoassociation et de deacutesaffiliation le cas eacutecheacuteant

Du mecircme souffle lrsquoaccent est mis sur un certain nombre de thegravemes les

motifs conduisant les jeunes agrave laquo flirter raquo avec les gangs les besoins qursquoils

cherchent agrave combler en srsquoy associant les sentiments qui les animent et

les conduisent agrave poursuivre leur affiliation et eacuteventuellement agrave vouloir y

mettre fin

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100

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

42 MEacuteTHODOLOGIE

Les deux eacutetudes prises en compte dans le preacutesent chapitre se fondent sur

des eacutechantillons des modes de collecte et drsquoanalyse des donneacutees qui bien

que conduisant tous agrave une approche qualitative de la question agrave lrsquoeacutetude

se dessinent de maniegravere assez diffeacuterente

421 Eacute

CHANTILLONS

Lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(1998) meneacutee dans la reacutegion de Montreacuteal srsquoadresse

agrave un eacutechantillon de 31 jeunes (21 garccedilons et 10 filles) ayant fait lrsquoexpeacute-

rience des gangs Ces derniers sont acircgeacutes de 14

2

agrave 25 ans ayant 18 ans en

moyenne Vingt-trois drsquoentre eux sont drsquoex-membres de gangs de rue

alors que les huit autres se deacuteclarent membres actifs au moment de lrsquoentre-

tien Ils se sont joints aux gangs agrave lrsquoacircge de 13 ans en moyenne pour un

passage qui dure trois ans en moyenne toujours (la dureacutee variant entre

quelques mois et plusieurs anneacutees) Ils sont tous francophones mais drsquoori-

gines ethniques diverses Onze drsquoentre eux ont connu lrsquoimmigration et

huit autres ont au moins un parent qui a veacutecu une telle expeacuterience

lrsquoAmeacuterique latine et Haiumlti eacutetant les lieux de provenance les plus repreacutesen-

teacutes Vingt-quatre jeunes habitent ordinairement avec au moins un de leurs

parents tandis que les sept autres vivent de maniegravere indeacutependante Au

moment de lrsquoentrevue vingt-deux faisaient lrsquoobjet drsquoune prise en charge

par un centre jeunesse Pour ce qui est de la scolariteacute elle se situe pour

la plupart drsquoentre eux (2431) entre la premiegravere et la quatriegraveme anneacutee

du secondaire accusant un retard important

Lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude de Fournier (2003) eacutegalement meneacutee dans

la reacutegion de Montreacuteal est constitueacute uniquement de jeunes filles Ces filles

ont en moyenne 159 ans la plus jeune ayant 14 ans et la plus acircgeacutee 24

Elles se joignent agrave un gang de rue pour la premiegravere fois en moyenne agrave

lrsquoacircge de 125 ans et quittent en moyenne toujours agrave lrsquoacircge de 148 ans

Quatre drsquoentre elles sont drsquoorigine canadienne (leurs deux parents sont

Canadiens) trois sont drsquoorigine mixte (un parent canadien et lrsquoautre

drsquoorigine diffeacuterente) et six sont drsquoorigine autre que canadienne (aucun

des deux parents nrsquoest Canadien) Au moment ougrave nous les rencontrons

la dureacutee moyenne de leur affiliation aux gangs est de 17 mois Neuf

drsquoentre elles ont laisseacute le gang alors que les quatre autres affirment y ecirctre

2 La limite infeacuterieure de 14 ans est fixeacutee parce que avant cet acircge le consentement desparents est requis pour la participation du jeune agrave une eacutetude quelle qursquoelle soit Orles jeunes ne souhaitent pas neacutecessairement que leur participation aux gangs de ruesoit reacuteveacuteleacutee agrave leurs parents du fait de leur participation agrave une eacutetude portant sur le sujetsituation que nous avons voulu eacuteviter

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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encore affilieacutees Au moment de lrsquoentrevue neuf des treize jeunes filles

preacutesentaient un retard scolaire srsquoeacutetalant entre un et quatre ans variable

selon les matiegraveres Bien que la plupart des jeunes filles rencontreacutees

avouent ne pas veacuteritablement connaicirctre la situation eacuteconomique de leurs

parents leur reacutecit laisse entendre qursquoelles viennent majoritairement de

familles deacutemunies qui eacuteprouvent de surcroicirct diverses autres difficulteacutes

qursquoelles reacutevegravelent au fil de leur teacutemoignage violence psychologique phy-

sique ou sexuelle au sein de la famille toxicomanie problegravemes de santeacute

mentale ou physique des parents Drsquoailleurs dix drsquoentre elles ne vivent

plus qursquoavec un seul de leurs parents biologiques Toutes sauf une font

lrsquoobjet drsquoun placement en centre jeunesse en vertu de la Loi sur la pro-

tection de la jeunesse (LPJ) jamais sous le couvert de la Loi sur le systegraveme

de justice peacutenale des adolescents

(LSJPA anciennement Loi des jeunes

contrevenants LJC)

Pour les deux eacutetudes les eacutechantillons de jeunes sont constitueacutes agrave

lrsquoaide de la technique du tri expertiseacute (Angers 1996) laquelle consiste agrave

faire appel agrave un intervenant qualifieacute (qui dans ces cas travaille en centre

jeunesse) appeleacute agrave repeacuterer au sein de sa clientegravele ceux et celles qui

correspondent aux critegraveres drsquoeacutechantillonnage

3

Il les aborde leur fait part

de la tenue de lrsquoeacutetude de ses objectifs et des modaliteacutes de reacutealisation de

celle-ci et leur demande ensuite srsquoils seraient inteacuteresseacutes agrave y participer

auquel cas il les met en relation avec les chercheures

422 I

NSTRUMENTS

DE

COLLECTE

ET

ANALYSE

DES

DONNEacuteES

Dans le cas de lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(2003) un questionnaire contenant

agrave la fois des questions ouvertes et des questions fermeacutees a eacuteteacute adresseacute aux

jeunes Les questions ouvertes leur permettraient de srsquoexprimer drsquoabord

librement sur les thegravemes abordeacutes avant que ceux-ci ne soient approfondis

de faccedilon plus systeacutematique agrave lrsquoaide de questions fermeacutees Ainsi le question-

naire comprend 24 questions ouvertes et 109 questions fermeacutees destineacutees

ensemble agrave couvrir les thegravemes suivants 1) les donneacutees sociodeacutemogra-

phiques concernant le jeune et sa famille 2) lrsquoentreacutee du jeune dans les

gangs 3) lrsquoeacutecologie sociale du jeune ayant fait lrsquoexpeacuterience des gangs

4) lrsquoorganisation du gang et lrsquoexpeacuterience du jeune au sein de celui-ci 5) la

3 Les ex-membres devaient avoir entrepris un processus seacuterieux de deacutesaffiliation pourecirctre qualifieacutes comme tels Ceux-ci ne devaient plus se consideacuterer et ecirctre consideacutereacutes parleur intervenant comme membres actifs Les membres actifs devaient quant agrave eux ecirctrelieacutes agrave des groupes qui se livrent de maniegravere reacuteguliegravere agrave des actes de criminaliteacute et deviolence en lien avec les activiteacutes du gang Aucun jeune ne devait ecirctre reacutefeacutereacute unique-ment sur la base drsquoimpressions Il devait avoir eacuteteacute eacutetabli que les jeunes freacutequentaientdes groupes reconnus comme eacutetant des gangs de rue ceux-ci se livrant reacuteguliegraverementagrave des actes de deacutelinquance lucrative ou violente

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sortie du gang et 6) les solutions agrave apporter au pheacutenomegravene des gangs agrave

Montreacuteal Nous nous inteacuteressons ici plus particuliegraverement aux propos

tenus par les jeunes en reacuteponse aux questions ouvertes prenant la forme

drsquoune consigne large du genre laquo Jrsquoaimerais que tu me racontes comment

cela srsquoest passeacute lorsque tu es entreacute(e) dans un gang pour la premiegravere fois ndash

comment ccedila srsquoest fait raquo qui leur laissait une grande latitude pour mettre

lrsquoaccent sur les aspects les plus significatifs pour eux du thegraveme abordeacute

Dans son eacutetude Fournier (2003) srsquointeacuteresse strictement aux points

de vue des jeunes filles relativement agrave lrsquoexpeacuterience qursquoelles ont veacutecue dans

et avec les gangs Dans cette perspective lrsquoauteure adopte une approche

reacutesolument qualitative srsquoappuyant sur le reacutecit drsquoexpeacuterience lequel permet

de mettre lrsquoaccent sur une partie de la vie de la personne deacutelimiteacutee plus

speacutecifiquement autour drsquoune dimension de celle-ci en lrsquooccurrence

lrsquoadheacutesion aux gangs Ces reacutecits sont organiseacutes suivant une seacutequence tem-

porelle qui permet de suivre la chronologie des eacuteveacutenements Ils deacutebutent

agrave partir drsquoune consigne de deacutepart large laquo

Jrsquoaimerais que tu me parles de tonexpeacuterience avec les gangshellip

raquo et se poursuivent en visant drsquoabord agrave preacuteciser

la chronologie des eacuteveacutenements par des relances du type laquo

Avant cette peacuteriodeque srsquoest-il passeacute

raquo ou laquo

Apregraves cela qursquoest-il arriveacute

raquo tentant par lagrave de preacuteciser

la seacutequence ou la configuration des eacuteleacutements entourant un eacuteveacutenement en

particulier ou une seacuterie drsquoeacuteveacutenements Des relances theacutematiques sont eacutega-

lement preacutevues au canevas drsquoentretien Elles visent pour leur part agrave appro-

fondir certains aspects preacutedeacutefinis de la probleacutematique agrave lrsquoeacutetude

Le mateacuteriel drsquoentrevue fourni par les questions ouvertes dans le cas

de lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(1998) et la totaliteacute des entrevues pour celle de

Fournier (2003) retranscrit inteacutegralement est drsquoabord soumis agrave une ana-

lyse verticale concernant chaque entrevue prise pour elle-mecircme dans le

but de deacutegager les principales dimensions abordeacutees par chacun des inter-

vieweacutes Une analyse transversale est ensuite reacutealiseacutee visant cette fois agrave

reacuteveacuteler les convergences aussi bien que les divergences qui apparaissent

dans les propos tenus par chacun des intervieweacutes sur chacun des thegravemes

retenus dans le cours de la premiegravere analyse

Il srsquoagit lagrave somme toute drsquoun canevas de recherche qualitative assez

classique mais qui nrsquoavait pas eacuteteacute utiliseacute aupregraves des jeunes membres de

gangs Celui-ci srsquoenrichit du fait que nous avons tenteacute de respecter la

structure chronologique des eacuteveacutenements survenus dans la vie des jeunes

agrave partir du moment ougrave ils ont commenceacute agrave frayer avec les gangs de rue

Ainsi nous avons pu tracer la petite histoire de lrsquoexpeacuterience veacutecue par les

jeunes en lien avec les gangs en ayant pour point de deacutepart le processus

drsquoaffiliation et en allant jusqursquoau processus de deacutesaffiliation Nous avons

drsquoailleurs deacutecouvert agrave cette occasion qursquoil fallait nous attarder aux proces-

sus au lieu de parler en termes de moments ou mecircme drsquoeacutetapes

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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43 LA PAROLE DES JEUNES

Au fil des entrevues les jeunes nous apprennent qursquoils ont eacuteteacute attireacutes par

les gangs parce que ceux-ci leur permettaient de combler des besoins de

valorisation drsquoappartenance de reacutealisationhellip qursquoaucune autre institution

sociale ne leur permettait de satisfaire

Les jeunes nous apprennent aussi nous le soulignions que lrsquoadheacute-

sion aux gangs relegraveve le plus souvent drsquoun processus bien plus que drsquoun

coup de cœur ou drsquoune situation isoleacutee de coercition comme on avait pu

le laisser entendre Les jeunes les filles en particulier sont seacuteduits par les

membres de gangs agrave travers un proceacutedeacute complexe qui conduit agrave leur

recrutement

Les jeunes qui se laissent ainsi seacuteduire preacutesentent ordinaire-

ment diffeacuterents espaces de vulneacuterabiliteacute qui les disposent drsquoune certaine

maniegravere agrave se rapprocher des gangs ils viennent de familles qui vivent des

difficulteacutes (besoin de seacutecuriteacute) ou qui srsquointeacuteressent trop ou pas assez agrave eux

(besoins de reconnaissance de valorisation) ils vivent des difficulteacutes

drsquointeacutegration sociale (besoin drsquoappartenance) des difficulteacutes scolaires

(besoin de reconnaissance et de valorisation) ou des expeacuteriences de vic-

timisation agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de la famille (besoin de protec-

tion) Ils trouvent dans les gangs agrave combler ces besoins et srsquoen voient au

moins pour un temps reacuteconforteacutes Ainsi se trouve mis au jour un reacutesultat

ineacutedit traduisant le fait qursquoau-delagrave de la

violence et de la criminaliteacute qursquoil

geacutenegravere le pheacutenomegravene des gangs de rue est associeacute agrave un problegraveme encore

plus important et troublant agrave nos yeux les jeunes deacutecouvrent dans les

gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs de combler diffeacute-

rents besoins fondamentaux

Tout le temps que dure lrsquoaffiliation des jeunes au gang il apparaicirct

que ceux-ci sont litteacuteralement enivreacutes par lrsquointensiteacute des rapports qursquoils

deacuteveloppent dans ces groupes Cela ne veut pas dire qursquoils ne vivent pas

des sentiments contradictoires faits tout agrave la fois drsquoivresse et de peur mais

le sentiment qui transcende et qui surgit dans leur reacutecit comme un cri

du cœur est celui drsquoavoir trouveacute de

vrais amis

Les reacutecits que les jeunes nous font permettent de comprendre pour-

quoi les interventions traditionnellement favoriseacutees pour faire face au

pheacutenomegravene des gangs de nature essentiellement reacutepressive nrsquoont ordi-

nairement pas reacuteussi agrave atteindre leur objectif eacuteradiquer le pheacutenomegravene

des gangs Car agrave partir du moment ougrave les besoins que les jeunes cherchent

agrave y combler ne sont pas satisfaits il ne faut pas srsquoeacutetonner que le deacuteman-

tegravelement drsquoun gang se reacutevegravele temporaire le temps que lrsquoorganisation se

reacuteorganise

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si lrsquoensemble des reacutesultats de nos recherches teacutemoignent avec force

du mal-ecirctre de ces jeunes qui srsquoen remettent aux gangs pour satisfaire des

besoins qui ne semblent pas avoir eacuteteacute combleacutes ailleurs et pour nouer des

liens qursquoils ne semblent pas entretenir et pouvoir deacutevelopper ailleurs ils

teacutemoignent aussi de la meacuteconnaissance drsquoune telle reacutealiteacute

431 L

ES

JEUNES

PARLENT

DE

LA

FACcedilON

DONT

ILS

EN

SONT

VENUS

Agrave

SE

JOINDRE

AUX

GANGS

Lorsqursquoon demande aux jeunes les raisons qui les ont ameneacutes agrave se joindre

aux gangs les reacuteponses surprennent un peu Pour certains comme Davis

ou Simon lrsquoadheacutesion aux gangs paraicirct srsquoecirctre imposeacutee tout simplement

comme une eacutevidence un incontournable Elle srsquoest faite tout naturelle-

ment Un fregravere un ami en faisait deacutejagrave partie et il eacutetait en quelque sorte

convenu qursquoils en fassent aussi partie

Jrsquoai toujours eacuteteacute plongeacute dans cet univers-lagrave Jrsquoai toujours eacuteteacute conscient deccedila Les gangs ont toujours fait partie de mon environnement Ils eacutetaientdans mon quartier dans mon eacutecole Crsquoeacutetaient mes amis Je savais ce quecrsquoeacutetait une gang Mon fregravere en faisait aussi partie Pour moi crsquoeacutetait unedeuxiegraveme famille Jrsquoavais ccedila dans le sanghellip Quand je voyais mon fregravere jesavais qursquoun jour je serais avec eux autres

(Davis 17 ans dans Hamel

et al

1998)

Moi jrsquoai grandi avec les gangs de rue crsquoest plus pour ccedila que jrsquoai eacuteteacute inteacutegreacutelagrave-dedans parce que je voyais comment ccedila se passait et mes fregraveres eacutetaientlagrave-dedans et mes cousins

[hellip]

Un jour ou lrsquoautre il y en avait beaucoupqui savaient que jrsquoallais rentrer lagrave-dedans

[hellip]

Yrsquoa pas une fille qui peutme dire qursquoelle a grandi avec ces gars-lagrave et qui est pas comme eux Si cettefille-lagrave me dit ccedila cette fille-lagrave je la respecte parce que wow Vivre avec euxcrsquoest gravehellip ils sont en dedans de toi tout ce que tu fais et tu dis crsquoestquasiment eux Crsquoest quasiment eux autres qui trsquoont donneacute ton eacuteducationsans que tu le saches

(Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Drsquoautres au contraire expliquent qursquoils nrsquoavaient jamais vraiment

songeacute agrave se lier agrave un gang Ils nrsquoauraient drsquoailleurs mecircme pas saisi au

deacutepart en se joignant agrave un groupe drsquoautres jeunes qursquoils laquo srsquoembarquaient raquo

dans un gang

Dans ma tecircte agrave moi je rentrais dans un cercle drsquoamis pas dans une gangJe ne savais pas que jrsquoentrais dans une gang Je lrsquoai su apregraves

(Odile 24ans dans Hamel

et al

1998)

Je ne savais pas grand-chose sur les gangs En fait je ne savais pas quecrsquoeacutetait une gang Je ne savais pas ce que crsquoeacutetait encore moins comment ccedilafonctionnait Pour moi crsquoeacutetait uniquement un regroupement de gars qui

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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se tenaient ensemble en tant qursquoamis pour la fecirctehellip Je trouvais ccedila extra-ordinairehellip Ce nrsquoest que plus tard que jrsquoai compris qursquoils faisaient desmauvais coups des deals qursquoils participaient agrave des activiteacutes deacutelinquantes

(Noeacutemi 17 ans dans Hamel

et al

1998)

Drsquoautres encore racontent que crsquoest un peu sur lrsquoimpulsion du moment

que lrsquoideacutee leur est venue de former un gang et ce nrsquoest qursquoau fil des

eacuteveacutenements que les activiteacutes du gang ont pris une allure plus deacutelinquante

Il y avait plusieurs gangs dans le quartier Moi et mes chums du primaireque je connais depuis longtemps on eacutetait toujours ensemble Un momentdonneacute on a deacutecideacute de se donner un nom ce qui a provoqueacute des bagarresavec une autre gang du quartier qui existait deacutejagrave et qui a mal reacuteagi aufait qursquoon forme une espegravece de gang La preacutesence de ce gang ennemi estdevenue notre raison drsquoecirctre Crsquoest comme ccedila qursquoon est devenu officiellementun gang de ruehellip Tout eacutetait une question de gang de territoire Il fallaitecirctre supeacuterieur en srsquoaffirmant par des batailles

(Charles 17 ans dansHamel

et al

1998)

Crsquoest moi et mes amis que je connais depuis longtemps qursquoon a formeacute ungang Je ne suis pas entreacute dans un gang on a grandi ensemblehellip Un soirmoi et mes chums on eacutecoutait un film Crsquoeacutetait lrsquohistoire drsquoun gang de NewYork qui avait deacutejagrave existeacute On a deacutecideacute que le nom de cet ancien gang allaitdevenir le nocirctre Crsquoest lagrave que les vraies affaires ont commenceacutehellip On acommenceacute agrave trois ou quatre gars et il y en a drsquoautres qursquoon connaissaitdeacutejagrave qui se sont joint agrave nous tranquillementhellip Ccedila crsquoest fait normalement

(Feacutelix 19 ans dans Hamel

et al

1998)

432 L

ES

JEUNES

EXPLIQUENT

LES

MOTIFS

QUI

LES

ONT

AMENEacuteS

Agrave SE

JOINDRE AU GANG

En ce qui concerne les motifs qui les auraient ameneacutes agrave se joindre agrave un

gang certains disent ecirctre venus y chercher du plaisir de lrsquoaventurehellip par

curiositeacute par deacutefi

Pour moi les gangs de rue crsquoeacutetait le trip drsquoecirctre toujours entoureacute drsquoamis defaire des activiteacutes trippantes le party la drogue les filles Je trouvais ccedila lefun Les gars sont comiques Ils sont cool Jrsquoeacutetais le plus jeune au deacutebutJrsquoeacutetais comme leur petit fregravere Ils prenaient soin de moi Ils me proteacutegeaientIls me traicircnaient partout (Simon dans Hamel et al 1998)

Crsquoeacutetait pas mal drsquoaction ccedila mrsquointeacuteressait ccedila mrsquointriguait Jrsquoai commenceacuteagrave freacutequenter du monde surtout les gangs espagnolshellip Jrsquoeacutetais un peu fofolleje voulais de lrsquoaventure (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)

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106 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Crsquoeacutetait cool Ccedila faisait marginal Ccedila mrsquoattirait Les gens avaient lrsquoair desrsquoaimer Crsquoeacutetait comme un esprit de famille Je pensais que crsquoeacutetait le bonheurle paradishellip Mais crsquoest surtout la curiositeacute qui mrsquoa attireacutee agrave eux Jrsquoavaisenvie de vivre lrsquoexpeacuterience de vivre quelque chose de nouveau de vivre lavie de gang (Yella 16 ans dans Hamel et al 1998)

Moi jrsquoaime le danger jrsquoaime la peur Nrsquoimporte quand tu vas me direlaquo non va pas lagrave raquo je vais y aller Crsquoest le danger et tu viens de me dire dene pas y allerhellip Je vais y aller pour te prouver que je suis capable de lefaire (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Mais ils sont plus nombreux agrave confier que crsquoest leur situation fami-

liale et sociale largement deacuteteacuterioreacutee qui les a ameneacutes agrave srsquoaffilier aux

gangs Dans le premier cas les jeunes disent srsquoecirctre associeacutes aux gangs afin

drsquoy trouver une nouvelle famille en remplacement de la leur largement

deacuteficiente de leur point de vue agrave combler leurs besoins drsquoattention de

valorisation drsquoamour Les reacutecits de Collin de Marie-Pierre et de Cassandre

ne constituent que trois exemples de telles situations qui se retrouvent

couramment dans les deux eacutetudes

Chez nous crsquoeacutetait lrsquoenfer Jrsquoavais beaucoup de problegravemes familiaux Jrsquoavaisbesoin drsquoune famille Eux ils mrsquoont offert celle que je nrsquoavais jamais eueJe viens drsquoune famille deacutesorganiseacutee sans affection sans preacutesence et ougrave jrsquoaitoujours eacuteteacute diminueacute et traiteacute comme un bon agrave rienhellip Jrsquoavais besoin dugang (Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)

Quand je rechute crsquoest la seule place que je sais que je suis vraiment biendans ma peau Et crsquoest ce que jrsquoaurais aimeacute avoir de mon pegravere [lrsquoamour]mais je peux pas lrsquoavoir de lui Alors crsquoest ccedila qui mrsquoattire lagrave-dedans il ya de la souffrance il y a plein de choses mais il y a aussi beaucoupdrsquoamour et moi jrsquoaime ccedila en recevoir beaucoup parce que jrsquoen ai pas euassez (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Jrsquoai eu une crise drsquoadolescence ougrave je me sentais toute seule ma megravere eacutetaitmaladehellip Ma megravere avait pris un travailleur social jrsquoavais un eacuteducateuret jrsquoavais une personne-ressource agrave lrsquoeacutecolehellip Donc jrsquoavais tout le monde surmon cas parce que ma megravere eacutetait malade Alors jrsquoavais du monde quisrsquooccupait de moi vu que jrsquoeacutetais laisseacutee agrave moi-mecircme et ccedila marchait pas dutouthellip Jrsquoeacutetais deacutelaisseacutee avec qui tu voulais que je sois (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2002)

Crsquoest agrave ce moment que les gangs ont fait irruption dans la vie de

Marie-Pierre par un processus subtil de recrutement au moment ougrave elle

se trouvait en centre drsquoaccueil Le reacutecit de Marie-Pierre est inteacuteressant car

il permet de constater que malgreacute le fait qursquoelle ait eacuteteacute entoureacutee et prise

en charge de toutes parts elle se sentait deacutelaisseacutee On voit ici agrave quel point

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les impressions face agrave une situation peuvent parfois se reacuteveacuteler trompeuses

lorsqursquoelles sont confronteacutees aux perceptions des personnes qui vivent la

situation Il ne srsquoagit pas de dire que la laquo veacuteriteacute raquo de la situation se trouve

drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre Il srsquoagit simplement de signaler qursquoil peut exister ndash

et qursquoil existe mecircme normalement ndash une distorsion entre les impressions

drsquoune part et les perceptions drsquoautre part dont il faut tenir compte En

fait il faut tenir compte aussi bien des unes que des autres pour agir

adeacutequatement face agrave la situation

En ce qui a trait agrave leurs relations sociales plusieurs jeunes disent

avoir rencontreacute pour la premiegravere fois dans les gangs de vrais amis un

thegraveme qui revient sans cesse

Crsquoest venu combler un manque que jrsquoavais manque drsquoamour manquedrsquoattention Quand tu as pas drsquoattention et que tu es adolescente tu veuxparler tu veux faire ci tu veux faire ccedila et qursquoil y a personne qui a le tempsde trsquoeacutecouter et tout le monde te crie des becirctises [hellip] Tu vas les voir euxautres laquo Christ trsquoes cool trsquoes hot trsquoes super comique et ci et ccedila tabarnaneccedila fait changement ccedila lagrave Ccedila me valorisait dans un sens-lagrave (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2003)

Ces gens-lagrave tu le sais quand tu es dans un gang tu as des amies de fillestu as des amis de gars mais pas des fakes des reals Vraiment des vraisamis Tu te dis que cette personne-lagrave elle trsquoaime pour ce que tu es et nonpour ce que tu as (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Deux autres motifs sont encore invoqueacutes par les jeunes pour expli-

quer leur inteacuterecirct agrave se joindre aux gangs un besoin de seacutecuriteacutehellip

Jrsquoavais la protection offerte par la gang Jrsquoai embarqueacute dans un but preacutecis quand il y a une bataille mes amis vont ecirctre lagrave (Vanier 16 ans dansHamel et al 1998)

Moi je me sens proteacutegeacutee parce que je le sais qursquoavec eux autres il peut rienmrsquoarriver de mal Il peut mrsquoarriver quelque chose de mal genre prendre dela drogue ou nrsquoimporte quoi mais si jrsquoai un problegraveme avechellip genre un garsqui veut me casser les deux jambes bien jrsquoappelle mes amis et ils vont veniragrave mon secours (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Dans mon quartier il y avait plusieurs gangs donc plusieurs problegravemesLe gang veut dire pour moi ecirctre avec des amis avoir du funhellip Surtoutavoir une protection Tu vois les rivaux et tu ne sais jamais quand ils tesauteront dessus Le gang trsquoassure une seacutecuriteacute un back-up Il faut que tusois avec quelqursquoun Tu ne peux pas marcher tout seul et aller aux fecirctestout seul Ce nrsquoest pas bon de te promener seul Agrave plusieurs tu es toujoursplus fort (Davis 17 ans dans Hamel et al 1998)

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108 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

hellip et le deacutesir ndash ou le besoin ndash de faire de lrsquoargent rapidement

Lrsquoargent fourni par le gang peut ecirctre vu par le jeune comme une faccedilon

de se procurer des biens qui autrement ne seraient pas agrave sa porteacutee et

qui agrave ses yeux lui confegraverent un certain statut social

Ma megravere avait pas drsquoargent essaye de prendre des cours de ci essaye deprendre des cours de ccedila ccedila coucircte tout le temps de lrsquoargent faire ccedila Tu faisquoi dans ce temps-lagrave Tout le monde srsquohabille en Polo quand crsquoest la modedu Polo et tout le monde srsquohabille en ci et en ccedila et toi tu es habilleacutee enCroteau [magasin bas de gamme] Crsquoest chiant pareil lagrave Ou tout lemonde se promegravene avec cinq cents (dollars) dans les poches et toi tu as troispiastres Lrsquoargent ccedila a aideacute disons Tu vois tout le monde en gros char ettout le monde avec la palette et les bijouxhellip agrave un moment donneacute ccedila faitchier (Marie-Pierre 24 ans dans Hamel et al 1998)

Mais lrsquoargent peut aussi servir des fins de survie notamment pour

les jeunes en fugue Clara par exemple explique qursquoelle a accepteacute de se

joindre agrave un gang uniquement parce qursquoelle voyait lagrave une faccedilon de

pouvoir assurer la poursuite de sa fugue

Crsquoest juste pour avoir de lrsquoargent Moi je me disais dans ma tecircte laquo Je mecache jusqursquoagrave mes 18 ans il faut bien que je commence agrave avoir delrsquoargent raquo Jrsquoavais besoin drsquoargent parce que sinon je pouvais pas ecirctre enfugue (Clara 15 ans dans Fournier 2003)

De ces reacutecits de jeunes qui racontent comment ils en sont venus agrave

se joindre aux gangs ressort une image bien diffeacuterente de celle deacutesincar-

neacutee que donnent les diffeacuterentes typologies qui distinguent globalement

les membres du noyau dur des associeacutes des membres peacuteripheacuteriques des

recrues et des jeunes aspirants (Heacutebert et al 1997) qui tentent de calculer

la proportion de jeunes faisant partie de chacune de ces tranches qui

tentent ensuite de les caracteacuteriser par la part qursquoils prennent aux activiteacutes

deacutelinquantes du groupe oubliant que le gang ne se reacuteduit pas dans

lrsquoesprit des jeunes ordinairement agrave un regroupement de jeunes constitueacute

en vue de commettre une deacutelinquance organiseacutee mais repreacutesente plutocirct

un groupe drsquoamishellip une gang de chums Crsquoest lrsquoimage de jeunes qui expriment

des besoins drsquoappartenance de valorisation de protection ou simple-

ment qui cherchent des occasions de plaisir qui est deacutepeinte ici Des

jeunes qui finalement ressemblent agrave tous les autres jeunes car comme

Freacutechette et Le Blanc (1987) parmi drsquoautres le signalent tregraves pertinem-

ment le deacutesir de se regrouper est un deacutesir tout ce qursquoil y a de plus normal

agrave lrsquoadolescence

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Enfin on lrsquoaura deacutejagrave senti mais ces deux extraits des entrevues avec

Xavier et avec Lucie le montrent encore plus clairement lrsquoadheacutesion aux

gangs se fait rarement du jour au lendemain Il srsquoagit drsquoun processus

parfois assez long qui conduit agrave y adheacuterer peu agrave peu sans brusquerie

Ainsi Xavier raconte

Un jour je me promenais dans la rue avec un ami et deux filles Crsquoest lagraveque jrsquoai rencontreacute un gang Celui qui semblait le chef srsquoest approcheacute de nouspour nous dire qursquoon eacutetait sur leur territoirehellip On srsquoest mis agrave parler et legars mrsquoa carreacutement demandeacute si je voulais embarquer dans le gang Jrsquoaiaccepteacute de lui donner mon numeacutero de teacuteleacutephone Il mrsquoa appeleacute le lendemainpour me demander encore une fois si jrsquoeacutetais inteacuteresseacute agrave embarquer dans legang Je nrsquoai pas reacutepondu tout de suite mais par curiositeacute sans penseraux conseacutequences je me suis dit laquo pourquoi pas raquo Je ne pensais qursquoaupositif les filles les fecircteshellip Trois jours apregraves le gars me rappelait et jrsquoaccep-tais drsquoembarquer Il mrsquoa alors fixeacute un rendez-vous et ils mrsquoont initieacute(Xavier 21 ans dans Hamel et al 1998)

Et Lucie

Chez nous ccedila nrsquoallait pas bien Jrsquoai alors eacuteteacute placeacutee en centre drsquoaccueilIncapable de vivre lagrave Jrsquoai fait plusieurs fugues en peu de temps Maisquand tu fugues geacuteneacuteralement tu nrsquoas rien Tu es seule sans argent sansplace ougrave aller Alors ccedila te prend pas de temps qursquoon te retourne en centredrsquoaccueil Je ne voulais plus y retourner Une fille mrsquoa proposeacute de me pousseravec elle et elle me dit qursquoelle connaicirct du monde qui pourrait nous cacherAvec sa proposition jrsquoavais la chance de me pousser pour de bon La fillea planifieacute notre fugue et des garccedilons nous attendaient agrave une station demeacutetro Crsquoest lagrave que jrsquoai su que crsquoeacutetaient des gars de gangs Mais bon avecces gars-lagrave jrsquoavais tout argent bouffe vecirctements appartement amishellip Jenrsquoeacutetais plus seule La vie de luxe quoi Tu deacutebarques les meubles sont lagravetu es habilleacutee Ils te sortent 20 $ pour que tu te payes le restohellip Au deacutebutils sont bien finshellip (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)

La derniegravere partie de lrsquoextrait tireacute du reacutecit de Lucie raconte qursquoapregraves

avoir eacuteteacute laquo gacircteacutee raquo et laquo proteacutegeacutee raquo par le gang celle-ci a ducirc payer sa dette

en se prostituant pour le groupe Une situation qui nous a eacuteteacute maintes

fois rapporteacutee et que reacutesume bien Yanie qui a subi le mecircme sort mais

preacutefegravere parler plus globalement de cette situation peut-ecirctre parce qursquoelle

se sent trop eacutemotivement concerneacutee

Agrave chaque fille qui passait ils la seacuteduisaient drsquoune faccedilon la seacuteduction desgangs Ils la seacuteduisaient laquo Je te trouve belle veux-tu mon numeacutero je vaistrsquoappelerhellip raquo Lagrave la fille elle le trouve beau super beau laquo Il est tellementbeau il est tellement gentil je veux ecirctre avec raquo Lagrave elle lui donne son

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110 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

numeacutero Il lrsquoappelle ils sortent ensemble deux ou trois semaines Apregraves ccedilaelle est obligeacutee de le repayer Alors lagrave il dit laquo Tu as les moyens de me payerpar argent ou tu devras travailler pour moi raquo Alors lagrave elle est toute laquo travailler pour toi raquo [hellip] Alors lagrave soit qursquoelle fait de la prostitutionsoit qursquoelle va coucher avec tous ses amishellip (Yanie 14 ans dans Fournier2003)

Ce revirement de situation se vivrait quasi systeacutematiquement lorsque

les jeunes filles sont en fugue srsquoil faut en croire les reacutecits que nous font

celles-ci Sophie raconte cette histoire drsquoune amie qui srsquoest ainsi fait prendre

au jeuhellip une histoire semblable agrave bien drsquoautres que nous avons entendues

Elle eacutetait dans le bus et il y a un gars qui lui dit laquo Salut qursquoest-ce quetu fais raquo Lagrave elle dit laquo Rien je suis en fugue raquo et tout Elle capotait Lagravele gars il lui a dit laquo Viens chez nous viens prendre ta douche tu vas ecirctreagrave lrsquoaise raquo [hellip] Elle est alleacutee chez eux elle a pris sa douche et tout Lagrave elleavait faim alors elle a mangeacute il lui a commandeacute agrave manger Le gars estalleacute lui acheter un manteau il est alleacute lui acheter plein de maquillage [hellip]Et lagrave agrave un moment donneacute il a commenceacute agrave prendre de la drogue avec elleet lagrave il la droguait il la droguait jusqursquoagrave un moment donneacute qursquoil a dit laquo OK tu vas aller danser pour moi raquo [hellip] Crsquoest ccedila bref la fille eacutetait lagrave-dedans et tout et elle dansait pour lui Elle avait plein de cash et agrave lafin crsquoeacutetait rendu qursquoil la battait parce qursquoelle ccedila lui tentait plus de faireccedila ccedila lui tentait plus parce que dans le fond tout le cash qursquoelle faisaitelle lui donnait touthellip (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Enfin certains comme Charles Odile et Rose expriment clairement

que rien nrsquoaurait pu les empecirccher de se joindre au moins pour un temps

au gang qursquoils ont freacutequenteacute

Crsquoeacutetait ma deacutecision Rien ne pouvait empecirccher ccedila Dans ce temps-lagrave audeacutebut on ne faisait rien de mal On eacutetait juste des chums Crsquoeacutetait normalpour moi drsquoecirctre avec eux (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)

Personne nrsquoaurait pu mrsquoempecirccher de me tenir avec ces gars-lagrave Jrsquoai toujourseacuteteacute bien ouverte Je nrsquoai jamais rien cacheacute agrave personne mais je nrsquoeacutecoutaispas Jrsquoeacutetais reacutevolteacutee une rebelle une anti-autoriteacute une eacutegocentrique je nepensais qursquoagrave moi et au fun que je voulais avoir Il fallait que je vivelrsquoexpeacuterience je pense (Odile 24 ans dans Hamel et al 1998)

Tout le monde a essayeacute de me parler et de mrsquoaider mais ccedila nrsquoa rien donneacuteJe ne les eacutecoutais pas Il fallait que je vive lrsquoexpeacuterience Il faut vivre leschoses pour savoir sinon tu trsquoen foushellip Jusqursquoagrave temps que ce soit toi quipayes le prix (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 111

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433 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoEXPEacuteRIENCE QUrsquoILS ONT VEacuteCUE

DANS LE GANGhellip EN TERMES DrsquoEacuteMOTIONS

Les jeunes parlent peu de leur expeacuterience dans le gang les jeunes gar-

ccedilons surtout se font discrets sur cette tranche de leur affiliation aux

gangs Les filles se deacutevoilent un peu plus Nous avons eu lrsquooccasion de

traiter ailleurs plus speacutecifiquement du rocircle et des fonctions des filles dans

les gangs (Fournier Cousineau et Hamel agrave paraicirctre) et notamment des

expeacuteriences de victimisation qursquoelles y vivent (Fournier Cousineau et

Hamel 2004) Nous voulons mettre ici lrsquoaccent sur ce que les jeunes nous

ont dit trouver au sein des gangs plutocirct que sur les activiteacutes qursquoils y ont

meneacutees la deacutelinquance agrave laquelle ils ont pu srsquoadonner du fait de leur

affiliation au gang un aspect plus connu de la reacutealiteacute des gangs En srsquointeacute-

ressant aux eacutemotions ressenties par les jeunes en lien avec lrsquoexpeacuterience

qursquoils vivent dans les gangs on deacutecouvre drsquoabord que ceux-ci offrent aux

jeunes beaucoup drsquoaspects positifs ce qursquoon aurait trop facilement ten-

dance agrave neacutegliger En fait on constate qursquoils trouvent agrave y combler du moins

pour un temps les principaux besoins qursquoils exprimaient comme autant

de motifs les ayant conduits agrave srsquoaffilier agrave un gang de rue ou nous lrsquoaurons

compris plus preacuteciseacutement aux membres drsquoun gang de rue dans la plupart

des cas

Drsquoabord le gang suscite un fort sentiment drsquoappartenance comme

lrsquoexprime tregraves bien Collin

Je ressentais un fort besoin drsquoappartenance La gang me lrsquooffrait Crsquoeacutetaitcomme une famille Ils eacutetaient precircts agrave tout faire pour mrsquoaider On avaittous les mecircmes faiblesses tous les mecircmes problegravemes On eacutetait regroupeacutesunis Crsquoest ce qui faisait notre force Tu nrsquoes pas en gang tu appartiensagrave une famille tu appartiens agrave une gang Avec la gang jrsquoavais la protec-tion le pouvoir et le respecthellip On se sent important aux yeux de quelqursquounet surtout on se sent bon agrave quelque chose Crsquoest une faccedilon de se trouverun but commun avec des gens qui te ressemblent qui ont les mecircmes preacuteoc-cupations que toi Je cherchais une boueacutee de secours une famille quisrsquooccupe de moi qui mrsquoappreacutecie agrave ma juste valeur (Collin 25 ans dansHamel et al 1998)

Le gang viendrait donc jouer aux yeux des jeunes qui y adhegraverent

le rocircle drsquoune seconde famille ou mecircme prendre carreacutement la place que

la famille ne prend pas affirmeront certains jeunes intervieweacutes Certains

y trouveraient un lieu de confidenceshellip

On parlait on parlait beaucoup Et crsquoest comme ccedila que je suis devenueplus amie avec eux Ils me parlaient de leurs expeacuteriences et je leur parlaisde mes expeacuteriences Pas les mauvais coups et tout ccedila mais plus nos viesqursquoest-ce qui srsquoest passeacute depuis qursquoon est jeune et tout ccedila (Eva 16 ansdans Fournier 2003)

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112 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

hellip et drsquoeacutecoute souligne Cassandre

Les seules personnes agrave qui je savais que je pouvais faire confiance crsquoeacutetaientles gars de gang et les filles de gang Parce qursquoeux autres je leur ai dit ceque mon pegravere me faisait et ils mrsquoont crue [hellip] Et ils mrsquoont donneacute delrsquoamour et du temps et ils mrsquoont crue dans tout ce que je leur ai dit Crsquoestpas comme si je parlais dans le vide Crsquoest pas comme si je disais quequelque chose mrsquoest arriveacute et qursquoils vont prendre ccedila agrave la leacutegegravere Ils leprenaient directement comme si crsquoest agrave eux qursquoil lrsquoavait fait aussi (Cassandre17 ans dans Fournier 2003)

Le gang prendrait une telle place dans la vie de certains jeunes qursquoils

ressentiraient un veacuteritable sentiment de deacutependance agrave son endroit comme

lrsquoexprime Yella

Jrsquoeacutetais toujours avec eux Je nrsquoeacutetais plus capable de vivre sans eux drsquoecirctresans eux Crsquoeacutetait une autre famille Crsquoeacutetait plus que des amis crsquoeacutetait unpasse-temps tellement bon que je ne pouvais plus mrsquoen passer Crsquoeacutetaitdevenu un besoin lrsquoattention lrsquoamour ne plus ecirctre seule (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)

Et comme le dit eacutegalement Heacutelegravene

Jrsquoeacutetais juste concentreacutee laquo gang gang il faut que jrsquoaille au parc apregraveslrsquoeacutecole il faut que jrsquoaille direct lagrave raquo Quand jrsquoallais pas au parc unejourneacutee je disais laquo Mon Dieu je suis pas alleacutee il faut que jrsquoy aille si jrsquoyvais pas ils vont ecirctre facirccheacutes ils vont dire que je les ai oublieacutes raquo Je pensaisjuste agrave eux ma vie crsquoeacutetaient eux (Heacutelegravene 16 ans dans Fournier 2003)

Si Heacutelegravene dit avoir peur de facirccher les membres du gang ce nrsquoest

pas par crainte de repreacutesailles mais plutocirct parce qursquoelle pense qursquoelle

pourrait ecirctre rejeteacutee du groupe en ne se montrant pas parfaitement fidegravele

et totalement deacutevoueacutee envers ceux qui le composent

Le gang jouerait aussi parfois des rocircles plus inattendus qui ne cor-

respondent pas veacuteritablement agrave lrsquoun des besoins exprimeacutes plus haut

comme en teacutemoigne Quentin qui dit srsquoecirctre servi du gang pour reacutegler son

compte agrave son beau-pegravere qursquoil jugeait violent

Ma megravere et son chum buvaient beaucoup et ils se chicanaient tout le tempsMon beau-pegravere eacutetait violent Les policiers deacutebarquaient toujours chez nousJrsquoeacutetais tanneacute Je voulais reacutegler le compte de mon beau-pegravere Je voulais lefaire battre Jrsquoai demandeacute au gang de le faire et crsquoest ce qui est arriveacute Ilest alleacute agrave lrsquohocircpital et je nrsquoai plus jamais entendu parler de lui Le gangpouvait reacutegler mes problegravemes (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)

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Mais un jour la lune de miel prend finhellip

Tu te ramasses en centre drsquoaccueil pour des deacutelits que tu te dis apregraves quetu nrsquoaurais jamais ducirc faire ccedila Tu as du trouble avec les policiers Tu esconnu drsquoeux autres Ils savent ton nom Ils te collent tout le temps Ilstrsquoeacutecœurent mecircme quand tu nrsquoes pas impliqueacute mais que tes chums le sonthellipcrsquoest lrsquoenfer (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)

Collin reacutesume bien les sentiments que plusieurs expriment

Jamais je mrsquoeacutetais imagineacute que ccedila me megravenerait aussi loin Jamais jrsquoauraispenseacute voir mes chums avec de seacuterieux problegravemes de drogues des blessuresgraves se ramasser agrave lrsquohocircpital agrave moitieacute mort suite agrave une bataille tregravesviolente Quand tu es rendu agrave te tirer dessushellip la game a changeacute Lagrave tuas peur de deacutefendre les couleurs de ton gang agrave cause des gangs ennemisTu as la chienne Tu ne portes plus une arme pour avoir lrsquoair cool maispour sauver ta peauhellip Lagrave ce nrsquoest plus vraiment coolhellip crsquoest eacutepeuranthellip(Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)

Pour bien des filles la fin de la lune de miel prend une signification

toute particuliegravere qursquoon a deacutejagrave abordeacutee

Jrsquoai vite compris qursquoil fallait que je rembourse tout ce que les gars mrsquoavaientpayeacute quand ils mrsquoont accueillie pendant ma fuguehellip Ils srsquoeacutetaient arrangeacutesavec une autre fille du gang qui dansait deacutejagrave pour qursquoelle me traicircne avecelle au bar Elle mrsquoexpliquait ce qursquoelle faisait elle me disait que crsquoeacutetaitfacile qursquoelle faisait pas mal drsquoargenthellip Puis un jour ils mrsquoont dit queje devais moi aussi danserhellip Il fallait que je rembourse (Lucie 15 ansdans Hamel et al 1998)

434 LES JEUNES PARLENT DES MOTIFS QUI LES ONT AMENEacuteS

Agrave QUITTER LE GANG

Diffeacuterents motifs sont invoqueacutes par ceux qui ont choisi de quitter le

monde des gangs Celui qui revient le plus souvent est sans contredit la

survenance drsquoun eacuteveacutenement ou drsquoune seacuterie drsquoeacuteveacutenements qui vient

remettre en cause la perception que le gang est agrave mecircme drsquooffrir la seacutecuriteacute

agrave ses membres

Crsquoest devenu vite dangereux agrave cause des guerres de territoire La technologieavanccedilait tout le temps Au deacutebut crsquoeacutetaient les poings les bacirctons pis apregravesles couteaux Lagrave crsquoeacutetaient les laquo guns raquohellip Ccedila jouait de plus en plus dur Jene mrsquoattendais pas agrave ccedila (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)

Tu as beaucoup drsquoennemis [quand tu fais partie drsquoun gang] Lorsquetu sors si tu vas dans un autre quartier et que tu es seul tu risques de tefaire agresser de te faire attaquer (Davis 17 ans dans Hamel et al1998 p 157)

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114 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Jrsquoai perdu plusieurs de mes amis soit par overdose ou par meurtre Moi-mecircme je ne compte plus le nombre de fois ougrave je me suis fait pointer unlaquo gun raquo sur la tempe (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoeacutetait rendu lrsquoenferhellip Ma meilleure amie se retrouve en deacutesintox monchum se fait tuer dans un regraveglement de compteshellip Je me ramasse en centredrsquoaccueilhellip Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoavoir tout perdu (Patricia 17 ans dansHamel et al 1998)

Agrave un moment donneacute tu vis dans la violence tu as du sang sur les mainstout le temps crsquoest pas une viehellip Ccedila fait peur quand tu vois les autresrentrer en prison Trsquoes agrave lrsquohocircpital pendant trois mois trsquoas une balle ou trsquoesdans le coma pendant deux semaines ccedila me tentait pas que ccedila arrive agraveun moment donneacute (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)

Une arrestation policiegravere ou le placement dans un centre de reacuteha-

bilitation peut aussi se reacuteveacuteler lrsquooccasion drsquoun temps drsquoarrecirct propice agrave la

reacuteflexion Et cette reacuteflexion peut conduire agrave voir une certaine absurditeacute

dans lrsquoadheacutesion au gang et ouvrir tranquillement une porte de sortie

comme en teacutemoignent Eva et Laurie

En eacutetant ici [en centre de reacutehabilitation] ccedila mrsquoa calmeacutee et jrsquoai pureacutefleacutechir Tout ce qui est arrecirct drsquoagir et tout ccedilahellip Ils donnent des reacuteflexionset lagrave tu reacutefleacutechis tu reacutefleacutechis et tu te rends compte crsquoest quoi tes vraisbesoinshellip Est-ce que tu as vraiment besoin de personnes qui te protegravegent decette faccedilon-lagrave Tu te dis laquo non raquo Ccedila prend du temps mais tu finis partrsquoen rendre compte Crsquoest pour ccedila qursquoils [les intervenants du centre]mrsquoont aideacutee (Eva 16 ans dans Fournier 2003)

Crsquoest quand je suis rentreacutee dans le centre intensif dans lrsquouniteacute drsquoattenteLagrave je pensais agrave ccedila et je commenccedilais agrave revoir ma megravere Et ma megravere souventquand elle venait on se parlait et on pleurait toutes les deuxhellip Je me suisrendu compte que ccedila mrsquoa vraiment manqueacute crsquoeacutetait de ccedila dont jrsquoavaisbesoin de ma famillehellip Et crsquoest apregraves quand jrsquoai repenseacute agrave ccedila qui mrsquoarien apporteacutehellip jrsquoai dit laquo non je veux plus rien savoir raquo (Laurie 15 ansdans Fournier 2003)

La rencontre drsquoune personne susceptible drsquoexercer une influence

positive sur la vie du jeune (un copain ou une copine qui exige qursquoon se

tienne loin des gangs un intervenant de confiance un heacuteroshellip) peut aussi

venir influencer cette fois de maniegravere positive la sortie du gang rendant

celle-ci peut-ecirctre plus facile agrave vivre En effet comme on le verra quitter

le gang se fait rarement sans peine

Je sais que quand je vais sortir drsquoici je retournerai plus avec eux Je mesuis fait des nouveaux amis et je fais des activiteacutes saines Je veux pasretomber dans cette merde-lagravehellip (Eva 16 ans dans Hamel et al 1998)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 115

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Je suis bien comme ccedila avec mes amis mes petits amis straight qui prennentpas de drogues pas de biegravere et qui vont agrave lrsquoeacutecole Je suis bien bien mieuxcomme ccedila (Sarah 14 ans dans Fournier 2003)

Pour certains crsquoest simplement le sentiment qursquoil est temps de passer

agrave autre chose de prendre sa vie en main pour soi ou pour ne pas compro-

mettre davantage les relations avec son entourage qui sonnera le glas de

lrsquoadheacutesion aux gangs Feacutelix Martin et Yella disent chacun agrave leur faccedilon

en ecirctre arriveacutes agrave ce point dans leur vie au moment ougrave ils prennent la

deacutecision de quitter le gang

Je veux ecirctre quelqursquoun moi Je ne veux pas ecirctre quelqursquoun qui va ecirctre dansla rue ou en prison Je veux ecirctre quelqursquoun de reconnu positivement parles autres qursquoils disent de moi que jrsquoai fait quelque chose dans la vie (Feacutelix19 ans dans Hamel et al 1998)

Je voulais que ma famille soit fiegravere de moi Je ne veux pas que mon fregravereet ma sœur aient des problegravemes agrave cause de moi ou fassent comme moi(Martin 17 ans dans Hamel et al 1998)

Je pensais agrave ma famillehellip Je ne voulais pas la quitter agrave 18 ans parce quejrsquoavais trop de problegravemes Je ne voulais pas que mon pegravere et ma megravere monfregravere mrsquohaiumlssent parce que je faisais partie drsquoune gang (Yella 16 ans dansHamel et al 1998)

Enfin les cateacutegories de motifs de sortie ne sont eacutevidemment pas

mutuellement exclusives Loin de lagrave Souvent on constatera dans le reacutecit

des jeunes une combinaison de ressources qui creacutee une conjoncture favo-

rable agrave un changement de vie Certains comme Danick et Feacutelix lrsquoexpriment

drsquoailleurs clairement

Crsquoest un peu de tout qui mrsquoa aideacutehellip Lrsquoarrestation mes ideacutees agrave moi devouloir laisser tomber lrsquoaide de mon eacuteducateur-parrain les encouragementsde mes parentshellip (Danick 16 ans dans Hamel et al 1998)

Jrsquoai regardeacute ce que jrsquoavais dans la vie ce que je voulais ecirctre ce que jevoulais faire de ma viehellip Jrsquoai reacutegleacute mes problegravemes de consommation dedrogues et mes problegravemes drsquoagressiviteacute que jrsquoavais Jrsquoai appris agrave reacutegler mesproblegravemes en parlant sans utiliser la violence Ma deacutecision eacutetait faite maislrsquoaide de mes parents de mon eacuteducateur-parrain les rencontres de groupeau Centrehellip Tout ccedila mrsquoa aideacute agrave prendre ma deacutecisionhellip mais surtout agrave lagarder (Feacutelix 19 ans dans Hamel et al 1998)

On comprend des propos tenus par Feacutelix qursquoil ne suffit pas drsquoecirctre

appuyeacute par des personnes-ressources pour sortir du gang pour que la

sortie perdure Le soutien doit srsquoeacutetendre sur une longue peacuteriode le temps

que la convalescence se fasse Car on le verra dans les paragraphes qui

suivent crsquoest drsquoune veacuteritable convalescence que les jeunes nous parlent

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116 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Quoi qursquoil en soit plusieurs des jeunes que nous avons intervieweacutes

signalent que la sortie ne peut se reacutealiser veacuteritablement qursquoagrave partir du

moment ougrave le jeune lui-mecircme se sent precirct Il srsquoagirait lagrave drsquoun concept cleacute

en vue drsquoune intervention efficace arriver agrave reconnaicirctre quand le jeune

est disposeacute agrave agir et ecirctre soi-mecircme precirct agrave saisir lrsquooccasion pour lrsquoappuyer

dans sa deacutemarche et peut-ecirctre aussi trouver des moyens de lrsquoamener agrave se

preacuteparer

Personne ne peut rien faire Vous ne pouvez pas rien faire Vous essayezmais ccedila ne donne rien si le jeune ne veut pashellip Ccedila deacutepend surtout de lui Crsquoest la chose la plus importante crsquoest elle qui fait toute la diffeacuterence Crsquoesttoi qui deacutecides (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoest seulement moi qui peux faire en sorte de couper les lienshellip Crsquoest tonchoix de deacutebarquer ou pas (Zoeacute 15 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoest ma deacutecision Personne ne peut rien faire Il faut que jrsquoen prenneconscience moi-mecircme Ce nrsquoest pas quihellip crsquoest toi Crsquoest ta deacutecision Si toitu veux si tu veux si tu vois que ccedila ne te convient plus il faut que tusortes de lagrave le plus tocirct possible Mais il faut que tu trsquoen rendes compte partoi-mecircme Il faut que tu sois deacutecideacute parce que ce nrsquoest pas facile de sortirdu gang eacutemotivement parlant (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)

Un autre concept cleacute dans lrsquointervention aupregraves des jeunes membres

de gangs en processus de deacutesaffiliation est aussi deacutevoileacute par Eva Il faut du

temps et prendre le temps

[hellip] Le tempshellip il faut du temps prendre le temps laisser le temps aujeune ecirctre patient La deacutesaffiliation ne peut se faire du jour au lendemainparce que dans la plupart des cas la sortie du gang srsquoaccompagne deconseacutequences importantes dans la vie du jeune (Eva 16 ans dans Fournier2003)

44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE

APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS

Partir du gang ccedila eacuteteacute facile crsquoest de me reconstruire apregraves qui a eacuteteacute difficilePour moi quitter le gang comme tel a eacuteteacute facile compareacute agrave drsquoautres maisde me reconstruire agrave lrsquointeacuterieur de moi de combler le vide ccedila nrsquoa pas eacuteteacutefacile pantoute (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)

Ce qui est dur crsquoest le grand attachement crsquoest dur ensuite de deacutefaire leslienshellip Ce nrsquoeacutetait pas juste du neacutegatif Il y avait aussi beaucoup plus depositif drsquoamour drsquoattention que je ne lrsquoaurais imagineacute (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)

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On ne saurait nier ce que les jeunes nous apprennent avec tant de

force

Le gang a quand mecircme de beaux cocircteacutes Ccedila mrsquoa fait laquo maturer raquo Jrsquoai apprisagrave me connaicirctre Je suis alleacute plus loin que ce que jrsquoeacutetais capable de faireJrsquoai appris agrave connaicirctre mes limites et aussi agrave avoir confiance en moi Jesuis peut-ecirctre plus mature qursquoun gars qui nrsquoest jamais passeacute par lagrave Je suisdevenu quelqursquoun (Gilbert 20 ans dans Hamel et al 1998)

Je le sais qursquoau fond de moi dans mon cœur agrave moi tout ce qursquoils ont faitpour moi ccedila ne srsquooublie pas du jour au lendemain lagrave Ils mrsquoont fait dumal oui mais ils mrsquoont fait plus de bien que de mal (Cassandre 17 ansdans Fournier 2003)

CONCLUSION

Brisant avec la tradition de recherche nous avons entrepris des eacutetudes

qualitatives sur le pheacutenomegravene des gangs nous attardant surtout aux moti-

vations des jeunes agrave se joindre agrave ces groupes et eacuteventuellement agrave les

quitter aux expeacuteriences eacutemotives qursquoils vivent durant le temps que dure

leur affiliation et au moment de la sortie Il en ressort que lrsquoadheacutesion des

jeunes aux gangs est avant tout guideacutee par des besoins fondamentaux

drsquoappartenance de reconnaissance de valorisation et de protection Il

en ressort aussi que les jeunes trouvent dans les gangs au moins durant

les premiers temps de leur affiliation reacuteponse agrave ces besoins les jeunes

deacutecouvrent dans les gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs

de combler diffeacuterents besoins fondamentaux Il ressort de ces eacutetudes

enfin que les jeunes doivent faire face agrave un grand vide au moment ougrave ils

quittent le gang et que le retour en socieacuteteacute et agrave la laquo vie normale raquo nrsquoest

pas gagneacute drsquoavance pour eux Nous le soulignions ailleurs (Hamel Cousineau

et Fournier 2004) la sortie des gangs donne lieu agrave une veacuteritable rupture

qui vient srsquoajouter agrave drsquoautres que la plupart ont drsquoabord veacutecues avec la

famille puis avec lrsquoeacutecole et peut-ecirctre mecircme avec drsquoautres reacuteseaux celui

des amis par exemple que ces jeunes ont bien souvent ducirc quitter pour

joindre les rangs des gangshellip La sortie srsquoaccompagne donc drsquoune grande

vulneacuterabiliteacute drsquoune grande fragiliteacute drsquoun grand vide geacuteneacuteralement

insoupccedilonneacute et donc ignoreacute

Une approche purement quantitative du pheacutenomegravene des gangs

nrsquoaurait pu traduire aussi bien les reacutealiteacutes que nous venons de deacutepeindre

et qui nous permettent de faire des pas de geacuteant preacutetendons-nous dans

la conception de programmes de preacutevention et drsquointervention qui tiennent

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118 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

compte de la nature mecircme du pheacutenomegravene non seulement de ses mani-

festations visibles (nombre de gangs nombre et caracteacuteristiques sociodeacute-

mographiques des membres structure organisationnelle du groupe

principales activiteacutes deacutelinquantes) mais aussi ndash et mecircme surtout ndash de sa

face cacheacutee qui tient aux circonstances et aux motivations qui conduisent

les jeunes agrave srsquoy joindre aux expeacuteriences positives qursquoils y vivent et qui font

en sorte qursquoils y restent attacheacutes durant un temps plus ou moins long aux

circonstances et aux motivations encore une fois qui les amegravenent agrave quitter

le groupe et au grand vide qui srsquoinstalle alors dans leur vie Un vide qursquoil

srsquoagit de comblerhellip comme drsquoailleurs cela aurait ducirc ecirctre le cas avant mecircme

qursquoils soient tenteacutes drsquoaller trouver dans les gangs une reacuteponse aux besoins

qursquoils expriment en entrevue

Un tel regard nous incite agrave favoriser une approche drsquointervention

qui srsquoappuie sur le deacuteveloppement social communautaire (Cousineau

Fredette et Hamel 2004 Hamel Cousineau Leacuteveilleacute Veacutezina et Tichit

2004) comme mode de preacutevention voire drsquointervention face au pheacuteno-

megravene des gangs Comparativement aux approches traditionnelles dont

lrsquoobjectif consiste essentiellement agrave srsquoattaquer agrave la violence des gangs ndash

strateacutegies qui conduisent geacuteneacuteralement agrave des reacutesultats peu probants puis-

que le pheacutenomegravene serait en pleine expansion ndash le deacuteveloppement social

communautaire tel que nous lrsquoentendons vise plutocirct agrave creacuteer les condi-

tions neacutecessaires pour que les jeunes srsquoattachent et srsquointegravegrent agrave la socieacuteteacute

comme ils srsquoattachent et srsquointegravegrent aux gangs Dans une perspective preacute-

ventive cette approche englobe diverses strateacutegies visant agrave diminuer

lrsquoattrait des jeunes pour lrsquounivers des gangs (sensibilisation information)

ou mecircme agrave les amener agrave quitter cet univers lorsque le danger paraicirct

imminent pour eux et pour les autres (arrestation intervention) Drsquoautres

strateacutegies peuvent aussi dans une perspective proactive ecirctre mises en

place pour favoriser la participation et lrsquointeacutegration sociale des jeunes

(formation accompagnement creacuteations drsquoopportuniteacutes employabiliteacute)

Devant la complexiteacute du pheacutenomegravene des gangs le deacuteveloppement social

communautaire doit ecirctre conccedilu comme une approche globale permettant

de rassembler les forces et les compeacutetences de plusieurs systegravemes agrave la fois

ndash dont la famille lrsquoeacutecole la communauteacute et les jeunes eux-mecircmes ndash afin

de mettre en œuvre de multiples moyens constituant un continuum

drsquointervention(s) penseacute dans une perspective drsquoempowerment tant des col-

lectiviteacutes que de ceux qui les fondent les jeunes en particulier Il ne srsquoagit

pas de renier toute pertinence et toute valeur agrave lrsquoapproche reacutepressive

traditionnelle mais simplement de reconnaicirctre qursquoelle a ses limites et que

celles-ci sont rapidement atteintes face au pheacutenomegravene des gangs

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 119

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120 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

THORNBERRY TP (1998) laquo Membership in Youth Gangs and Involvementin Serious and Violent Offending raquo dans R Lober et DP FarringtonSerious and Violent Juvenile Offenders Risk Factors and Successful Interven-tions Thousand Oaks Cal Sage Publications

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ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

M

ARYSE

E

STERLE

-H

EDIBEL

IUFM Nord-Pas-de-CalaisCESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Parmi les thegravemes qui traversent le milieu scolaire et investissent le deacutebat

public en France celui de lrsquoabsenteacuteisme voire de lrsquoarrecirct de scolariteacute avant

16 ans prend de lrsquoampleur depuis quelques anneacutees Les laquo absenteacuteistes raquo

ou laquo deacutecrocheurs raquo remettent en cause le principe de la prise en charge

de lrsquoensemble drsquoune classe drsquoacircge par lrsquoeacutecole La mobilisation autour drsquoeux

(deacuteveloppement des dispositifs relais appel drsquooffres de recherches de

deacutecembre 1999 circulaire sur la mise en place de la veille eacuteducative en

deacutecembre 2001) est importante pour plusieurs raisons en peacuteriode de

massification de lrsquoenseignement les jeunes deacutescolariseacutes peuvent appa-

raicirctre comme illustrant des laquo failles raquo dans le systegraveme scolaire lui-mecircme

Par ailleurs une inquieacutetude existe quant agrave leurs activiteacutes en dehors de

lrsquoeacutecole sans encadrement que deviennent-ils Sont ils en danger de deacutelin-

quance exposeacutes agrave des trafics divers errant dans les rues sans protection

Et que font leurs parents Seraient-ils complices et donc punissables

pour lrsquoinassiduiteacute ou le retrait scolaire de leurs enfants Pour les acteurs

scolaires ces absences ou ces abandons de scolariteacute remettent en cause

profondeacutement la leacutegitimiteacute de leur mission lrsquoeacutecole est consideacutereacutee comme

une chance pour les eacutelegraveves et les eacutetudes longues favorisent drsquoailleurs

un meilleur accegraves agrave lrsquoemploi Y aurait-t-il des eacutelegraveves consideacutereacutes comme

laquo ineacuteducables raquo ou laquo inenseignables raquo Par quelles interactions en arrive-

t-on agrave ces situations extrecircmes peu nombreuses mais mettant en lumiegravere

les paradoxes institutionnels et les impasses du systegraveme tel qursquoil est

organiseacute aujourdrsquohui

La recherche qualitative que nous avons meneacutee agrave Roubaix

1

en

France srsquointeacuteresse aux processus qui ont meneacute hors du systegraveme scolaire

des jeunes de 13 agrave 155 ans qui ne preacutesentent pas de caracteacuteristiques

particuliegraveres (handicap par exemple) et dont la situation est connue des

eacutetablissements scolaires et de plusieurs services sociaux Agrave ce titre ils ne

sont pas laquo perdus de vue raquo comme on peut le dire parfois mais bel et bien

connus et facilement joignables tout au moins disposant drsquoune adresse

connue Nous avons pu eacutetudier leur situation agrave partir des repeacuterages

faits dans les eacutetablissements scolaires et avec lrsquoaide tregraves preacutecieuse de

laquo personnes-ressources raquo qui ont fait le relais avec les personnels scolaires

et les familles pour le deacuteroulement de lrsquoenquecircte

Lrsquoappel drsquooffres interministeacuteriel qui a servi de base agrave notre reacuteflexion

probleacutematique et aux hypothegraveses de cette recherche avait deux objectifs

mieux connaicirctre les populations deacutescolariseacutees avant lrsquoacircge de 16 ans et

comprendre les processus de deacutescolarisation

1 Nous preacutesentons les reacutesultats drsquoune recherche sur les processus de deacutescolarisationmeneacutee dans la ville de Roubaix (Nord) de janvier 2001 agrave mars 2003

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Pour la clarteacute de lrsquoeacutetude nous nous sommes inteacuteresseacutes agrave des eacutelegraveves

qui reacuteguliegraverement inscrits ne sont plus du tout preacutesents dans les eacutetablis-

sements scolaires depuis une dureacutee qui peut varier de trois mois agrave deux

ans au moment de lrsquoenquecircte Srsquoils sont tregraves minoritaires (quatre ou cinq

pour un collegravege de 550 eacutelegraveves environ) leur situation peut repreacutesenter

lrsquoaboutissement de processus qui pour drsquoautres ont eacuteteacute enrayeacutes Lrsquoeacutetude

des situations (14 en tout) srsquoest centreacutee sur trois collegraveges publics tous en

reacuteseau drsquoeacuteducation prioritaire (ce qui est le cas de six collegraveges sur les sept

collegraveges publics que compte la ville) entre janvier 2001 et janvier 2003

en croisant des donneacutees issues des entretiens avec les personnels scolaires

les jeunes et leurs familles de mecircme qursquoavec des travailleurs sociaux et des

documents eacutecrits concernant les eacutelegraveves (dossiers scolaires principalement)

La diversiteacute des situations eacutetudieacutees est telle que nous avons renonceacute

agrave en faire une typologie agrave partir des caracteacuteristiques psychosociales des

jeunes par exemple ou de leur positionnement par rapport agrave lrsquoeacutecole En

effet lrsquoeacutetude de chaque situation nous amegravene agrave lrsquoanalyse des multiples

facteurs qui conduisent agrave lrsquoarrecirct de scolariteacute facteurs qui srsquoentremecirclent

souvent lacunes quelquefois accumuleacutees agrave lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire probleacutema-

tique scolaire et familiale agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme modifications de la confi-

guration familiale sinon laquo rupture biographique raquo (placement par exemple)

au deacutebut des laquo anneacutees collegravege raquo interactions neacutegatives voire violentes avec

des enseignants impact des jugements scolaires neacutegatifs exclusions pour

perturbations non suivies de reprise dans un autre eacutetablissement premiegraveres

activiteacutes deacutelinquantes dans un groupe de pairshellip Chaque situation est

singuliegravere mecircme si lrsquoon retrouve des points communs entre les unes et

les autres Plusieurs facteurs se combinent dans lrsquoeacutetude des situations de

chaque jeune et leur cateacutegorisation en devient aleacuteatoire Nous avons

cependant pu relever des laquo moments cleacutes raquo dans les trajectoires scolaires ndash

entreacutee en sixiegraveme suite drsquoune exclusion deacutefinitive drsquoun collegravege ndash et des

cloisonnements entre institutions et par rapport aux familles Nous for-

mulerons lrsquohypothegravese que dans certaines situations lrsquoun ou lrsquoautre de

ces paramegravetres a eu plus de poids que les autres sans qursquoil soit possible

drsquoen eacuteliminer aucun

Si geacuteneacuteralisation il peut y avoir crsquoest plus sur des

laquoprocessusraquo et des laquorelationsraquo que sur laquodes individusraquo ou des laquopopulationsraquo

(Beaud et Weber 1998 p 289)

La ville de Roubaix recensait en 1999 plus de 30 de sa population

active au chocircmage la perte des emplois ouvriers nrsquoa pas eacuteteacute compenseacutee

par les emplois du tertiaire ou de services La population scolaire des trois

collegraveges reflegravete ces situations de pauvreteacute ou de preacutecariteacute en comptant

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

en son sein entre plus de 88 et plus de 93 de PCS

2

laquo deacutefavoriseacutees raquo

pourcentage repreacutesentant plus du double de la moyenne nationale et

environ 30 points de plus que celle de lrsquoAcadeacutemie de Lille

La plupart des parents des jeunes deacutescolariseacutes sont en situation de

laquo vulneacuterabiliteacute socieacutetale raquo (Walgrave 1992 p 86) vivent du RMI

3

ou des

allocations familiales ou sont en emploi preacutecaire et ne disposent pas de

lrsquoexpeacuterience concregravete drsquoune scolariteacute reacuteussie Ceux drsquoailleurs qui disposent

de plus de ressources (emploi niveau drsquoeacutetudes reacuteseaux relationnels) ont

pu trouver des solutions aux difficulteacutes de leurs enfants en termes drsquoorien-

tation sans avoir recours aux travailleurs sociaux Crsquoest le cas dans deux

familles dont les parents travaillent agrave plein temps

Il nrsquoy a pas une forme de famille particuliegravere parmi les treize familles

des eacutelegraveves deacutescolariseacutes cinq megraveres eacutelegravevent leurs enfants seules six familles

comptent les deux parents preacutesents au domicile et dans lrsquoeacuteducation de

leurs enfants deux couples parentaux sont seacutepareacutes mais continuent

drsquoexercer une preacutesence eacuteducative aupregraves de leurs enfants Les origines

reacutegionales ou nationales sont eacutegalement diverses quatre familles sont

drsquoorigine eacutetrangegravere (Seacuteneacutegal Portugal Yougoslavie Algeacuterie) cinq sont

originaires du Nord de la France cinq sont de pegravere eacutetranger et de megravere

franccedilaise Lrsquoorigine eacutetrangegravere ne deacutetermine pas les difficulteacutes des enfants

et des parents mais plutocirct le niveau de langue (tregraves probleacutematique pour

une megravere) la reacutegularisation de la situation (non effective pour une

famille) et le niveau socioeacuteconomique

Nous avons eacutetudieacute les processus de deacutescolarisation de onze garccedilons

et de trois filles Ces jeunes ont connu des difficulteacutes scolaires agrave lrsquoeacutecole

eacuteleacutementaire pour sept drsquoentre eux sans redressement dans les premiegraveres

anneacutees du collegravege Les autres ont eu des reacutesultats moyens ou bons dans

le premier degreacute suivis par des performances bonnes ou moyennes au

deacutebut de la sixiegraveme

51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU

Chaque anneacutee environ 57 000 jeunes sortent sans qualification du systegraveme

eacuteducatif Si lrsquoon dispose de donneacutees sur les parcours de ces jeunes drsquoautres

sont moins connus ceux des jeunes qui quittent le systegraveme eacuteducatif avant

la fin de la scolariteacute obligatoire

2 Professions et cateacutegories socioprofessionnelles

3 Revenu minimum drsquoinsertion

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Le pheacutenomegravene de deacutescolarisation apparaicirct comme reacuteel aujourdrsquohui

mais il reste encore agrave approfondir tant drsquoun point de vue quantitatif que

qualitatif LrsquoEacuteducation nationale tend agrave prendre en compte ce problegraveme

Les enfants deacutescolariseacutes avant 16 ans font partie des prioriteacutes du pro-

gramme laquo NouvelleS ChanceS raquo avec les jeunes sortis sans qualification

apregraves 16 ans Une circulaire de 1996 repegravere le pheacutenomegravene comme tel

laquo [hellip] les eacutetablissements sont confronteacutes agrave une augmentation reacuteelle et

preacuteoccupante de ce pheacutenomegravene Mecircme si le taux drsquoabsenteacuteisme ne srsquoest

que modeacutereacutement aggraveacute ces derniegraveres anneacutees il touche une population

plus nombreuse du fait de lrsquoaugmentation des effectifs des eacutelegraveves scolariseacutes raquo

La massification de lrsquoenseignement les objectifs de porter 80

drsquoune classe drsquoacircge au baccalaureacuteat et lrsquoensemble des eacutelegraveves au moins

jusqursquoau CAP (certificat drsquoaptitude professionnelle) et au BEP (brevet

drsquoeacutetudes professionnelles) rendent drsquoautant plus visibles les arrecircts de sco-

lariteacute avant 16 ans

Quantifier les eacutelegraveves sortis du systegraveme scolaire avant 16 ans pose des

problegravemes de repeacuterage En effet les deacuteparts vers le secteur priveacute les

deacutemeacutenagements peuvent laisser penser que des eacutelegraveves ont quitteacute le sys-

tegraveme eacuteducatif alors qursquoils ont changeacute de reacutegion ou de commune Crsquoest le

cas dans le Nord de la France ougrave certains eacutelegraveves partent continuer leur

scolariteacute en Belgique et reviennent ensuite en France Du reste certains

internats limitrophes accueillent exclusivement des enfants et adolescents

franccedilais qui suivent une scolariteacute en Belgique

Selon plusieurs sources drsquoinformation les eacutelegraveves non scolariseacutes avant

16 ans seraient plusieurs milliers cependant il nrsquoexiste pas de recensement

fiable de ces situations Au niveau national la Caisse nationale drsquoalloca-

tions familiales comptabilisait

4

plus lrsquoinassiduiteacute scolaire que la deacutescolari-

sation agrave travers les suspensions drsquoallocations familiales seules 10 des

suspensions lrsquoeacutetaient agrave long terme 90 eacutetant reacutetablies dans un deacutelai de

trois mois Lrsquoinassiduiteacute scolaire est deacutefinie par quatre absences non justi-

fieacutees drsquoune demi-journeacutee pendant un mois conseacutecutives ou non En lrsquoeacutetat

actuel si le pheacutenomegravene de deacutescolarisation ne semble pas ecirctre drsquoune grande

ampleur numeacuterique des eacutetudes quantitatives seacuterieuses restent agrave faire

Les justifications apporteacutees par les parents meacuteriteront une attention

particuliegravere la famille nrsquoest pas tenue de fournir un certificat meacutedical

mais doit donner un motif consideacutereacute comme laquo valable et seacuterieux raquo Le

controcircle de lrsquoabsenteacuteisme revient au conseiller principal drsquoeacuteducation

4 Une loi reacutecente modifie les sanctions de lrsquoabsenteacuteisme entre autres en supprimant lasuppression des allocations familiales

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Plusieurs eacutetudes ont eacuteteacute faites sur les laquo lyceacuteens deacutecrocheurs raquo Ces

eacutetudes concernent des jeunes de plus de 16 ans pour leur grande majoriteacute

Quelques jeunes cependant peuvent ecirctre encore soumis agrave lrsquoobligation

scolaire Crsquoest le cas de ceux qui abandonnent le lyceacutee en seconde agrave 15 ans

Plusieurs eacuteleacutements inteacuteressant notre recherche sont signaleacutes dans le pro-

gramme NouvelleS ChanceS laquo Ces jeunes sortis preacutematureacutement du sys-

tegraveme eacuteducatif ont passeacute en moyenne cinq anneacutees dans lrsquoenseignement

secondaire un peu plus de la moitieacute ont interrompu leurs eacutetudes au

collegravege Les autres ont commenceacute une formation en apprentissage ou en

lyceacutee professionnel et ont abandonneacute

5

raquo

Des redoublements de classe sont signaleacutes pour les trois quarts

drsquoentre eux degraves lrsquoeacutecole primaire Les deux tiers sont issus massivement de

milieux deacutefavoriseacutes enfants drsquoouvriers de personnels de service ou drsquoinac-

tifs On note aussi la monoparentaliteacute et la faible qualification des megraveres

Les garccedilons sont majoritaires (59 ) mais le deacutecalage avec les filles nrsquoest

pas tregraves important

52 LA DEacuteSCOLARISATION

Le terme laquo deacutecrocheur raquo est utiliseacute pour deacutesigner les lyceacuteens qui quittent

petit agrave petit le systegraveme scolaire Le deacutecrochage deacutesigne le laquo processus plus

ou moins long qui nrsquoest pas neacutecessairement marqueacute par une information

explicite enteacuterinant la sortie de lrsquoinstitution raquo (Guigue 1998 p 29) Il

srsquooppose agrave la deacutemission qui explicite le deacutepart volontaire de lrsquoeacutelegraveve et agrave

lrsquoexclusion laquo acte par lequel une autoriteacute reconnue vous deacutemet de vos

fonctions raquo (Guigue 1998 p 29) Une deacutemission peut drsquoailleurs preacutevenir

une exclusion preacutevisible par lrsquoeacutelegraveve

Le terme de deacutescolarisation plus large permet de reprendre plu-

sieurs hypothegraveses concernant les processus qui conduisent en dehors du

systegraveme scolaire des jeunes de moins de 16 ans celle de lrsquoexclusion accom-

pagneacutee de lrsquoeacutetiquetage de certains enfants comme porteurs de mauvaises

performances scolaires (les eacutelegraveves

nuls

) non suivie de reprise dans un

autre eacutetablissement celle du deacutecrochage progressif signaleacute par un absen-

teacuteisme important et grandissant (avec participation agrave un groupe de pairs

le cas eacutecheacuteant) celle de la rupture biographique (accident de santeacute pla-

cement en institution speacutecialiseacutee errance lieacutee agrave une modification de la

configuration familiale etc) celle du deacutepart annonceacute clairement eacutetant

plus hasardeuse eacutetant donneacute lrsquoobligation scolaire

5

Programme laquo NouvelleS ChanceS raquo

p 20

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Il srsquoagit bien drsquoexpliciter le processus de

deacutesaffiliation scolaire

deacutefini

par Sylvain Broccolicchi (1998a p 41) qui renvoie laquo au fonctionnement

des institutions scolaires aux traitements diffeacuterencieacutes des eacutelegraveves et agrave

lrsquointeraction des contextes scolaires familiaux et locaux qui modulent les

parcours et expeacuteriences propres agrave chaque adolescent raquo

Alors que lrsquoeacutelegraveve deacutecrocheur acircgeacute de plus de 16 ans nrsquoest pas en

infraction avec la loi sur lrsquoobligation scolaire le jeune deacutescolariseacute se sous-

trait (ou est soustrait) agrave cette obligation Il nrsquoaccomplit plus son laquo meacutetier

drsquoeacutelegraveve raquo Aux yeux de lrsquoinstitution scolaire il srsquoinscrit dans un parcours

de deacuteviance Les termes mecircmes des circulaires indiquent bien que

lrsquoabsence de freacutequentation reacuteguliegravere (lrsquoinassiduiteacute scolaire) est un man-

quement agrave lrsquoobligation scolaire laquo Il convient en premier lieu drsquoexiger

que lrsquoobligation drsquoassiduiteacute soit respecteacutee par les eacutelegraveves

6

raquo Les divers arrecirc-

teacutes et circulaires preacutecisent par ailleurs la neacutecessiteacute drsquoactions de preacutevention

agrave lrsquointeacuterieur des eacutetablissements scolaires portant sur les laquo rythmes scolaires

lrsquoorganisation de la vie scolaire ou visant agrave renforcer le dialogue entre les

eacutelegraveves et les adultes

7

raquo

Par deacuteviance nous deacutesignons laquo le produit drsquoune transaction effectueacutee

entre un groupe social et un individu qui aux yeux du groupe a trans-

gresseacute une norme raquo (Becker 1963 p 33)

Nous nous situons donc dans une perspective interactionniste laquo La

deacuteviance est alors une proprieacuteteacute non du comportement lui-mecircme mais

de lrsquointeraction entre la personne qui commet lrsquoacte et celles qui reacuteagissent

agrave cet acte raquo (Becker 1963 p 38) Cette deacutemarche induit la meacutethodologie

deacutejagrave eacutevoqueacutee croisement des discours des acteurs inteacuteresseacutes par la situa-

tion de deacutescolarisation et des documents traitant de cette situation afin

de reconstituer les processus en œuvre

521 L

ES

MARQUEURS

DE

LA

DEacuteSCOLARISATION

Un certain nombre de facteurs sont drsquoores et deacutejagrave repeacutereacutes comme preacute-

gnants dans le processus de deacutecrochage des lyceacuteens Nous les citons sans

ordre prioritaire particulier

5211 Le niveau de diplocircme des parents

Il existe un risque dix fois plus eacuteleveacute drsquointerruption drsquoeacutetudes moins de

cinq ans apregraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme pour les enfants drsquoouvriers que pour

les enfants de cadres ou drsquoenseignants (Broccolicchi 2000 p 40) et

6 Circulaire n

o

96-247 du 25 octobre 1996

7

Ibid

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

encore trois plus eacuteleveacute pour ceux qui ont un parent inactif (pegravere ou megravere

en lrsquoabsence de pegravere) que pour ceux dont le parent (pegravere ou megravere en

lrsquoabsence de pegravere) est ouvrier Lrsquoinvestissement scolaire des parents est

drsquoailleurs tregraves diffeacuterent selon leur cateacutegorie sociale drsquoappartenance alors

qursquoagrave lrsquoeacutecole primaire les parents les moins diplocircmeacutes investissent plus la

scolariteacute de leurs enfants le pheacutenomegravene srsquoinverse au collegravege laquo Cette

inversion srsquoavegravere lieacutee agrave la proportion de parents qui se sentent deacutepasseacutes agrave

ce niveau entre les parents qui se disent tregraves rarement deacutepasseacutes et ceux

qui disent lrsquoecirctre souvent la dureacutee de lrsquoaide est diviseacutee par trois agrave chaque

niveau de scolariteacute raquo (Heacuteran 1994)

5212 La composition de la famille

Le facteur familial est un facteur de risque parmi drsquoautres mais il nrsquoest

pas preacutedictif en soi comme les autres paramegravetres mentionneacutes Crsquoest bien

la combinaison de plusieurs indicateurs qui peut donner des eacuteleacutements de

compreacutehension du processus de deacutescolarisation

Agrave cet eacutegard si lrsquoon note le nombre eacuteleveacute de familles monoparentales

parmi lrsquoentourage familial des jeunes deacutescolariseacutes nous adopterons la

prudence drsquoEacuteric Debarbieux (1999 p 60) quant aux correacutelations possibles

laquo Crsquoest lagrave toute la difficulteacute lieacutee aux eacutetudes de correacutelation qui montrent

uniquement lrsquoexistence drsquoune relation entre deux variables ndash ici les pro-

blegravemes de comportement et la situation familiale ndash sans que pour autant

on puisse deacuteduire de relation de cause agrave effet raquo

Plutocirct que le type de famille crsquoest la nature de la relation entre les

parents qui sera deacuteterminante dans le processus de deacuteviance juveacutenile ce

ne sont pas les familles dissocieacutees qui induisent la deacuteviance des jeunes

mais plutocirct la meacutesentente entre les parents qursquoils soient seacutepareacutes ou non

(Mucchielli 2000) Les ruptures biographiques (accident deacutecegraves drsquoun

parent deacutemeacutenagements reacutepeacuteteacutes placementshellip) peuvent aussi augmenter

les risques de deacutescolarisation

5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage

Parmi les eacutelegraveves dont les performances scolaires agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme sont

les plus basses 12 quittent le systegraveme scolaire moins de cinq ans apregraves

la sixiegraveme (Broccolicchi 1998) Les eacutelegraveves de SEGPA

8

entreacutes en 1989 ont

quitteacute le systegraveme eacuteducatif sans qualification pour la moitieacute drsquoentre eux

8 Section drsquoenseignement geacuteneacuteral et professionnel adapteacute

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Les eacutelegraveves en difficulteacute scolaire attachent une grande importance agrave

la relation avec les adultes et les autres eacutelegraveves dans la vie scolaire Quand

lrsquointeraction avec les enseignants les confirme dans leur laquo nulliteacute raquo sur le

plan de la performance (Broccolicchi 2000) le risque de deacutescolarisation

est preacutesent

Woods et Berhier (1992 p 56) rappellent

que la deacuteviance implique

neacutecessairement deux acteurs et que lrsquoenseignant peut provoquer ou

atteacutenuer la deacuteviance par le style de sa relation avec les eacutelegraveves

Les laquo provocateurs de deacuteviance raquo pensent que les eacutelegraveves fuient letravail qursquoil est impossible de pourvoir agrave leur eacuteducation sans leschanger qursquoils abhorrent lrsquoautoriteacute et sont ouvertement rebellesqursquoils se conduisent mal et ne doivent jamais ecirctre crus De tellesconvictions megravenent les professeurs agrave agir de maniegravere provocatrice lancer des ultimatums inciter agrave lrsquoaffrontement punir inconsideacutereacute-ment attirer sur eux la honte en les montrant du doigt ou en leurcherchant noise

Agrave lrsquoinverse les laquo isolateurs de deacuteviance raquo sont animeacutes drsquointentions

bienveillantes agrave lrsquoeacutegard des eacutelegraveves et agissent en conseacutequence avec eux

Broccolicchi (2000) souligne par ailleurs la solitude des eacutelegraveves deacutecro-

cheurs tant dans lrsquoenvironnement scolaire (absence de dispositif efficace

et drsquointerlocuteurs pour pallier les difficulteacutes) que dans le cadre de

lrsquoenvironnement familial

5214 Le passage du primaire au collegravege indiscipline et identiteacute

La question du rapport aux enseignants et agrave la leacutegitimiteacute de leurs juge-

ments change fondamentalement du primaire au collegravege Les relations

entre pairs gagnent en importance les cultures juveacuteniles entrent en

contradiction avec les normes scolaires de maniegravere plus preacutegnante (Dubet

et Martuccelli 1996 Lepoutre 1997)

En cas de difficulteacute scolaire majeure le recours agrave lrsquoindiscipline agrave

lrsquoinsolence peut ecirctre utiliseacute par les eacutelegraveves comme moyen de construire une

identiteacute deacuteviante par rapport aux normes scolaires mais conforme par

rapport aux normes juveacuteniles fragiliseacutes dans le systegraveme scolaire ces jeunes

deviennent des

outsiders

drsquoautant plus construits que lrsquoindiscipline se pra-

tique souvent collectivement Lrsquoindiscipline peut dans le mecircme temps

constituer un facteur de risque dans un processus de deacutescolarisation

Les recherches de Walgrave (1992) soulignent lrsquoimportance de

lrsquoeacutechec scolaire dans les processus de deacutelinquance juveacutenile La stigmatisation

de lrsquoeacutelegraveve comme laquo non performant raquo du point de vue de ses reacutesultats et

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130

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

comme perturbateur fonctionne comme une laquo propheacutetie autoreacutealisatrice raquo

qui laquo contribue agrave sa propre reacutealisation raquo (Becker 1963) Lrsquoeacutelegraveve reacutepondra

ainsi agrave lrsquoinjonction qui lui est faite en abandonnant le systegraveme scolaire

53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION ET DEacuteLINQUANCE

531 Lrsquo

IMPACT

DES

GROUPES

DE

PAIRS

ET

LES

ACTIVITEacuteS

DEacuteLINQUANTES

Les reacuteseaux de sociabiliteacute dans lesquels vit le jeune en voie de deacutescolari-

sation semblent preacutepondeacuterants Lrsquoinfluence des pairs et le regroupement

des

outsiders

du systegraveme scolaire sont des eacuteleacutements agrave prendre en compte

dans la construction drsquoune sous-culture deacuteviante La constitution en bande

est lieacutee agrave la stigmatisation induite par les classements scolaires neacutegatifs et

la logique de bande offre un refuge et une deacutefense contre le sentiment

de deacutevalorisation qui habite les jeunes tout en contribuant agrave activer le

processus de deacutescolarisation (Esterle-Hedibel 1997 Carra 2002) Glasman

(1998 p 19) souligne que les lyceacuteens laquo deacutecrocheurs raquo peuvent laquo se rappro-

cher drsquoun groupe de pairs groupe qui fournit suffisamment de repegraveres

et drsquooccasions drsquoaffirmation identitaire pour que lrsquoexit hors du lyceacutee ne

signifie pas lrsquoexil pour que la non-appartenance au lyceacutee ne soit pas la

deacutesheacuterence raquo

Lrsquoinfluence des groupes de pairs peut ecirctre importante dans le pro-

cessus de deacutescolarisation qursquoil srsquoagisse de groupes marginaux agrave tendance

deacutelinquante ou axeacutes sur une activiteacute particuliegravere de type leacutegaliste

Plusieurs eacutetudes confirment le lien entre un style de vie deacuteviant

(consommation de psychotropes licites ou illicites) et le deacutecrochage sco-

laire celui-ci occasionnant de larges plages de temps libre domineacute par

lrsquoennui (Janosz et Le Blanc 1996) Cependant la correacutelation entre les

conduites inadapteacutees et le deacutecrochage scolaire si elle existe se heurte agrave

la deacutefinition mecircme de la conduite inadapteacutee qui rassemble des eacuteleacutements

aussi heacuteteacuteroclites que conduites deacutelinquantes consommation de drogues

illicites promiscuiteacute sexuelle reacutebellion familiale inadaptation scolaire et

grossesse adolescentehellip La reacutebellion familiale par exemple pourrait ecirctre

consideacutereacutee comme une reacuteaction plutocirct positive alors que son absence

traduirait un conformisme et une soumission aux adultes plutocirct inquieacute-

tante agrave lrsquoadolescence (Janosz Le Blanc et Boulerice 1998)

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Hugues Lagrange a eacutetudieacute le lien entre absenteacuteistes et conduites

deacutelictueuses dans la reacutegion de Mantes-la-Jolie Pregraves de la moitieacute des absen-

teacuteistes eacutetudieacutes ont des conduites de preacutedation ou de deacutelinquance expressive

(deacutelinquance avec ou non objectif drsquoappropriation des biens drsquoautrui) ils

sont les cadets de familles nombreuses et ont vu leurs fregraveres aicircneacutes se

heurter au problegraveme du chocircmage Ils auraient appris ainsi agrave vivre de petite

deacutelinquance tout en ne percevant plus lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutecole ce qui

expliquerait leur absenteacuteisme (Lagrange et Bidart 2000)

532 D

EacuteCROCHAGE

SCOLAIRE

ET

DEacuteLINQUANCE

Des auteurs affirment que laquo lrsquoabandon scolaire permet de reacuteduire le stress

et la frustration veacutecus agrave lrsquoeacutecole des facteurs qui favorisent lrsquoapparition des

conduites deacutelinquantes raquo (Elliott et Voss 1974 citeacutes dans Janosz et Le

Blanc 1996 p 76) Le lien entre deacutecrochage et activiteacutes deacutelinquantes

proprement dites nrsquoest pas automatique mais semble deacutependre du mar-

cheacute de lrsquoemploi En effet plusieurs recherches des anneacutees 1980 indiquent

que les deacutecrocheurs ayant trouveacute un emploi ont diminueacute leurs activiteacutes

deacutelinquantes deux fois plus que ceux qui nrsquoen ont pas trouveacute Encore faut-

il que les deacutecrocheurs soient en acircge de travailler et que le marcheacute du

travail leur offre des emplois (Pronovost et Le Blanc citeacutes par Janosz et

Le Blanc 1996)

Lrsquoeacutetat des eacutetudes existantes ne permet pas de deacutemontrer lrsquoeffet du

deacutecrochage sur les conduites deacuteviantes ou deacutelinquantes et sur les diffi-

culteacutes drsquointeacutegration socioprofessionnelles Pour le deacutemontrer pleinement

il faudrait pouvoir suivre des cohortes drsquolaquo eacutelegraveves deacutecrocheurs raquo jusqursquoagrave

lrsquoacircge adulte et une cohorte teacutemoin Ces manifestations peuvent en effet

avoir eacuteteacute causeacutees par des laquo vulneacuterabiliteacutes psycho-sociales anteacuteceacutedentes raquo qui

auraient elles-mecircmes provoqueacute lrsquoabandon scolaire La question de la

causaliteacute et la difficulteacute de sa deacutemonstration reste donc poseacutee (Janosz et

Le Blanc 1996)

Une reacutecente enquecircte du Centre drsquoeacutetudes et de recherches sur les

qualifications (CERQ 2001) nous eacuteclaire cependant sur le lien entre

qualification et emploi les sortants du systegraveme eacuteducatif en 1998 diplocircmeacutes

ou pas travaillent agrave 80 en majoriteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee (64 ) tout

en eacutetant deux fois plus nombreux agrave ecirctre passeacutes par lrsquointeacuterim (28 ) que

la geacuteneacuteration sortie de lrsquoeacutecole en 1992 Les non-diplocircmeacutes connaissent une

disqualification croissante si 11 de lrsquoensemble de la laquo geacuteneacuteration 1998 raquo

est au chocircmage 30 des non-diplocircmeacutes de cette mecircme geacuteneacuteration sont

sans emploi On peut formuler lrsquohypothegravese drsquoune plus grande vulneacuterabi-

liteacute des jeunes deacutescolariseacutes quant aux perspectives socioprofessionnelles

dans un contexte de peacutenurie drsquoemplois pour les personnes non qualifieacutees

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132

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE

DES PERSONNES-RESSOURCES

Notre situation de maicirctre de confeacuterences dans un IUFM

9

nous a permis

de preacutesenter notre deacutemarche de recherche agrave des personnels de lrsquoEacuteduca-

tion nationale engageacutes dans les formations en IUFM et en contact ou en

poste dans des collegraveges Ainsi srsquoeacutetablissent des relations originales entre le

chercheur et les acteurs de terrain qui conditionnent la reacuteussite de

lrsquoenquecircte les eacutelegraveves deacutescolariseacutes sont en effet difficiles drsquoaccegraves isoleacutes des

eacutetablissements scolaires plutocirct centreacutes sur leurs groupes de pairs ou

replieacutes sur leur cercle familial immeacutediat la preacutesence drsquoune personne de

confiance qui favorise le premier entretien est cruciale dans ce type

drsquoenquecircte Les parents des jeunes deacutescolariseacutes et les jeunes eux-mecircmes

ont souvent lrsquoimpression de ne pas ecirctre entendus par les institutions (en

particulier lrsquoeacutecole) La rencontre avec un chercheur est une occasion de

srsquoexprimer le plus librement possible en reprenant le deacuteroulement des

eacuteveacutenements et en explicitant un point de vue devant un interlocuteur

neutre sans risque de culpabilisation ou de contradiction Pour ces per-

sonnes en situation de

vulneacuterabiliteacute socieacutetale

crsquoest une occasion rare de

srsquoexprimer sur un thegraveme qui peut bouleverser lrsquoeacutequilibre familial Il

importe cependant drsquoecirctre tregraves clair sur le statut de lrsquoentretien car la

demande drsquoaide affleure tant la deacutetresse et le sentiment drsquoabandon et

drsquoimpuissance sont grands

Par ailleurs notre inteacuterecirct de recherche se croise avec des question-

nements apparus dans plusieurs collegraveges quel est le sens drsquoexclusions et

de reacuteaffectations drsquoeacutelegraveves en grande difficulteacute scolaire et plutocirct opposi-

tionnels voire tregraves perturbateurs dans les classes et les eacutetablissements

Comment venir en aide aux eacutelegraveves qui arrivent en sixiegraveme sans posseacuteder

les acquis de base neacutecessaires au deacuteroulement drsquoune scolariteacute normale

dans le secondaire Quelles relations entretenir avec les parents de ces

eacutelegraveves Comment travailler en partenariat avec des travailleurs sociaux

exteacuterieurs aux eacutetablissements De mecircme les divers eacutetablissements contac-

teacutes srsquointerrogent sur lrsquoimpact de la deacutescolarisation sur les processus de

marginalisation et sur les difficulteacutes du partenariat avec lrsquoEacuteducation natio-

nale Les reacutesultats de la recherche eacutetant restitueacutes aux eacutetablissements et aux

agents institutionnels on comprend lrsquointeacuterecirct que ceux-ci trouvent agrave une

collaboration avec un chercheur sur cette question

9 Institut universitaire de formation des maicirctres

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55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS

551 L

ES

PERSONNELS

PEacuteDAGOGIQUES

10

5511 Des donneacutees non utiliseacutees

La majoriteacute des jeunes dont nous avons eacutetudieacute les trajectoires se sont

signaleacutes par des perturbations importantes de lrsquoordre scolaire menant

pour six drsquoentre eux agrave un conseil de discipline et agrave une exclusion deacutefini-

tive Les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo se sont montreacutes eacutegalement absenteacuteistes

alors que drsquoautres ont adopteacute une position de retrait sans perturber

lrsquoordre scolaire Dans plusieurs dossiers scolaires les appreacuteciations porteacutees

par les enseignants du premier degreacute eacuteclairent les difficulteacutes veacutecues par

lrsquoeacutelegraveve au collegravege certaines sont clairement des sortes drsquoalertes agrave destina-

tion des enseignants du second degreacute Mais dans lrsquoensemble les dossiers

des eacutelegraveves sont rarement consulteacutes par les enseignants des collegraveges mecircme

en cas de problegraveme seacuterieux rencontreacute au deacutebut de la scolariteacute du second

degreacute Bien que certains aient abordeacute la sixiegraveme avec des difficulteacutes et des

lacunes repeacutereacutees agrave la fin du cycle 3 la plupart des eacutelegraveves nrsquoont pas eacuteteacute

lrsquoobjet drsquoune prise en charge particuliegravere agrave ce propos Ils sont surtout

sanctionneacutes pour des perturbations scolaires importantes

Certains enseignants ont en main des donneacutees pouvant contribuer

agrave comprendre la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve situation familiale amenant

lrsquoeacutelegraveve agrave srsquoabsenter de lrsquoeacutecole pour soutenir un parent malade ou deacutefaillant

sentiment drsquoeacutechec massif et incompreacutehension du sens des eacutetudes ennui

profond agrave lrsquoeacutecolehellip Mais ces donneacutees ne sont pas travailleacutees collectivement

dans le sens de la recherche drsquoune solution peacutedagogique adapteacutee agrave lrsquoeacutelegraveve

Un eacutelegraveve perturbateur peut ecirctre un leader ou au contraire un jeune isoleacute

de ses camarades il peut avoir des reacutesultats assez bons malgreacute une preacute-

sence eacutepisodique ou au contraire montrer des lacunes drsquoapprentissage

seacuterieuses degraves lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire il peut appreacutecier lrsquoeacutecole tout au moins

au deacutebut de ses laquo anneacutees collegravege raquo ou srsquoen deacutesinteacuteresser degraves les premiers

mois de la sixiegravemehellip Les appreacuteciations sur les bulletins scolaires et les

mesures prises agrave son eacutegard seront sensiblement les mecircmes Cette reacutecur-

rence des mecircmes reacuteactions srsquoeacutetend aux eacutelegraveves non perturbateurs degraves lors

qursquoune eacutetape de plus est franchie dans leur laquo volonteacute drsquoopposition raquo du

point de vue des acteurs scolaires Il est drsquoailleurs frappant de constater

le deacutecalage entre certains discours sur les eacutelegraveves lors des entretiens avec

des enseignants et les eacutecrits les concernant (bulletins scolaires comptes

10 Enseignants principaux et principaux adjoints conseillers principaux drsquoeacuteducationhellip

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rendus de conseils de disciplinehellip) autant les premiers peuvent teacutemoi-

gner de compreacutehensions nuanceacutees des probleacutematiques des eacutelegraveves autant

les seconds suivent les mecircmes appreacuteciations ritualiseacutees et collectivement

mises en eacutecrit

5512 Des deacutecisions drsquoorientation non suivie drsquoeffets

Par ailleurs des deacutecisions drsquoorientation ne sont pas suivies drsquoeffets un

eacutelegraveve orienteacute en SEGPA se retrouve en section geacuteneacuterale un autre orienteacute

par un eacutetablissement vers une classe agrave projet speacutecifique (quatriegraveme drsquoaide

et de soutien) integravegre une classe ordinaire agrave la suite drsquoun deacutemeacutenage-

menthellip Manque de coordination entre eacutetablissements ou agrave lrsquointeacuterieur

drsquoun mecircme eacutetablissement reacuteticences voire refus des parents malenten-

dus ou absence drsquoexplication aux familles peuvent contribuer agrave lrsquoarrecirct de

scolariteacute

Les jeunes deacutescolariseacutes qui nrsquoont pas repris une forme de scolariteacute

par la suite nrsquoont pas reccedilu un soutien particulier ou beacuteneacuteficieacute drsquoun regard

bienveillant des acteurs scolaires (enseignants) sur lrsquoensemble de leur vie

scolaire En ce sens on peut dire qursquoils nrsquoont pas eu drsquoallieacute efficace mecircme

si ccedilagrave et lagrave tel ou tel enseignant a pu se poser des questions sur les raisons

de leur absenteacuteisme ou tenter de leur venir en aide malgreacute les incidents

quelquefois spectaculaires dont certains adolescents eacutetaient des protago-

nistes actifs Ces interventions de mecircme que celles des travailleurs sociaux

ou celles de leurs parents nrsquoont pas suffi agrave leur permettre un redresse-

ment Ils se sont vu tregraves rarement proposer un dispositif relais ou des

actions de soutien coordonneacutees avec lrsquoenseignement geacuteneacuteral Les proces-

sus observeacutes illustrent ainsi les conclusions de Sylvain Broccolicchi (2000)

lorsqursquoil conclut agrave la solitude des eacutelegraveves deacutescolariseacutes compareacutes agrave ceux

autant en difficulteacute agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme qui ont continueacute leurs eacutetudes

5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure

Une conseacutequence de la suppression des orientations en fin de cinquiegraveme

lieacutee agrave lrsquoabsence de dispositifs de remeacutediation pour les eacutelegraveves en grande

difficulteacute est le deacuteveloppement de lrsquolaquo eacutechec scolaire raquo de ces eacutelegraveves et de

lrsquoideacutee que certains eacutelegraveves seraient quasiment laquo inenseignables raquo (Thin

1999) Les enseignants sont ainsi ameneacutes agrave faire un laquo tri raquo entre les eacutelegraveves

laquo reacutecupeacuterables raquo et les autres La seacutelection ne se fait pas tant au niveau des

reacutesultats qursquoagrave celui du comportement scolaire les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo

ou laquo paresseux raquo sont ainsi particuliegraverement viseacutes par les jugements neacutega-

tifs et le redoublement se fait quasiment au meacuterite dans tous les cas sur

la base drsquoun pari drsquoeacutevolution positive et selon lrsquoeacutevaluation de la possibiliteacute

pour les enseignants de laquo supporter raquo lrsquoeacutelegraveve une anneacutee de plus Agrave cela

srsquoajoute lrsquoargument de lrsquoacircge si lrsquoeacutelegraveve a deacutejagrave une anneacutee ou deux de retard

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

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il passera plus facilement dans la classe supeacuterieure Celui qui redouble est

donc gratifieacute drsquoune laquo chance raquo suppleacutementaire dont est priveacute celui qui

passe dans la classe supeacuterieure avec quelquefois des reacutesultats plus faibles

et un comportement plus perturbateur ou absenteacuteiste De ce fait le redou-

blement au collegravege nrsquoest pas correacuteleacute agrave lrsquointerruption preacutecoce drsquoeacutetude

(Broccolicchi 1998b)

Nous avons trouveacute dans plusieurs dossiers scolaires la mention

laquo redoublement inutile raquo accompagneacutee drsquoun avis de passage dans la classe

supeacuterieure Ces laquo faux passages raquo introduisent un leurre reconnu par de

nombreux enseignants de collegravege en lrsquoabsence de projet individuel concer-

nant un eacutelegraveve particuliegraverement en difficulteacute ce dernier est laquo emmeneacute raquo

vers la fin de la troisiegraveme qui correspond grosso modo agrave lrsquoacircge de 16 ans

(drsquoautant plus que certains eacutelegraveves ont une ou plusieurs anneacutees de retard)

et confronteacute agrave une injonction contradictoire rester dans lrsquoeacutetablissement

tout en sachant qursquoil ne peut y espeacuterer une progression de ses reacutesultats

La situation devient encore plus paradoxale quand en cas drsquoabsenteacuteisme

se deacuteclenche la proceacutedure de signalement agrave lrsquoInspection acadeacutemique

enjoignant les parents agrave respecter la loi sur la scolariteacute obligatoire jusqursquoagrave

16 ans

Ces passages fictifs sont accompagneacutes drsquoun double discours des

enseignants en forme de justifications regrets mecircleacutes drsquoimpuissance de

laisser ainsi agrave lrsquoabandon des eacutelegraveves sans leur apporter de reacuteelles proposi-

tions eacuteducatives et peacutedagogiques critique du laquo

collegravege unique

raquo dont on sait

par diverses enquecirctes que nombre drsquoenseignants en refusent le principe

en particulier les enseignants les plus jeunes et ceux des collegraveges Ces

regrets et justifications sont compleacuteteacutes par des exemples de cas drsquoeacutelegraveves

illustrant le constat geacuteneacuteral que certains laquo

nrsquoont pas leur place au collegravege

raquo

sans que lrsquoon puisse dans le mecircme temps deacuteterminer ougrave ils pourraient

trouver une laquo

place

raquo qui leur conviennehellip Lrsquoabsence de temps et de lieux

de concertation organiseacutes pour les eacutelegraveves en difficulteacute conduit au constat

drsquoimpuissance la question laquo

qursquoest-ce qursquoon peut faire pour ces eacutelegraveves-lagrave

raquo for-

muleacutee ainsi au chercheur renvoie agrave autrui la reacuteponse agrave cette interrogation

dont ne se saisit pas le milieu enseignant dans son ensemble comme srsquoil

existait un consensus pour laquo

sacrifier quelques-uns pour proteacuteger la communauteacutescolaire

raquo expression souvent entendue eacutegalement

On se trouve alors dans un systegraveme de non-reacutesolution des difficulteacutes

patentes de certains eacutelegraveves qui sont ainsi meneacutes vers lrsquoarrecirct de scolariteacute

par retrait du jeune drsquoune situation sans issue Ce retrait peut ecirctre silen-

cieux ou beaucoup plus spectaculaire il srsquoaccompagne alors freacutequemment

drsquoexclusions deacutefinitives lors de conseils de discipline

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136 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants

Lrsquoincidence de lrsquoeacutechec scolaire et du sentiment drsquoinjustice sur les compor-

tements drsquoindiscipline est connue par de nombreux travaux (Dubet et

Martuccelli 1996 Debarbieux 1999 Broccolicchi 1998a 2000 Van

Zanten 2001 etc) Dans lrsquoensemble des situations des eacutelegraveves laquoperturba-

teursraquo les acteurs scolaires focalisent leur attention sur les perturbations

causeacutees par ces eacutelegraveves beaucoup plus que sur leurs difficulteacutes drsquoappren-

tissage envisageacutees comme de simples conseacutequences de leur indiscipline

alors qursquoelles existent dans plusieurs cas depuis lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire et se

manifestent degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme

Lrsquolaquo absence de travail raquo qui engendre les mauvais reacutesultats apparaicirct

alors comme une forme drsquoindiscipline dont les formes drsquoexpression varieacutees

seraient la cause directe de ces piegravetres performances scolaires Dans le

mecircme temps ces difficulteacutes constituent des obstacles agrave la reprise drsquoeacutetudes

laquo normales raquo par les eacutelegraveves difficile de laquo se calmer raquo et de laquo se mettre au

travail raquo avec une moyenne geacuteneacuterale autour de 520 un retard consideacuterable

pris par rapport aux autres eacutelegraveves et aucun dispositif de remeacutediation

Ceux qui ont eacuteteacute laquo simplement raquo absenteacuteistes nrsquoont pas eacuteteacute sanction-

neacutes pour ce seul motif mis agrave part les avertissements sur les bulletins

scolaires Les appreacuteciations sur les bulletins essaient de les convaincre de

maniegravere de plus en plus insistante mais la deacuteviance ne se constitue qursquoau

moment ougrave les acteurs scolaires perccediloivent une intention de la part de

lrsquoeacutelegraveve par exemple lorsque les absences cessent drsquoecirctre justifieacutees par le

responsable de lrsquoeacutelegraveve Lorsque laquo la famille se manifeste raquo la situation de

lrsquoeacutelegraveve est prise en compte avec une relative bienveillance Dans le cas

contraire ougrave laquo aucune collaboration nrsquoest possible raquo ou lorsque lrsquoassistant

social indique plus laconiquement laquo famille muette raquo sur les dossiers de

freacutequentation scolaire le ton se durcit par rapport agrave lrsquoeacutelegraveve suspecteacute alors

de laquo mauvaise volonteacute raquo crsquoest-agrave-dire du dessein clair de srsquoopposer agrave lrsquoinsti-

tution scolaire Le paradoxe est que cette absence de justification pourrait

ecirctre la marque drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute accrue de lrsquoeacutelegraveve et neacutecessiter

un soutien plus appuyeacute encore

Les punitions et sanctions de lrsquoindiscipline et de laquo lrsquoabsence de

travail raquo sont repeacuterables dans les rapports drsquoincidents scolaires Elles sont

quelquefois tregraves nombreuses (plusieurs dizaines de rapports drsquoincidents

en une anneacutee pour un mecircme eacutelegraveve) et de plusieurs types lignes agrave copier

copies du regraveglement inteacuterieur du collegravege ou du regraveglement de classe en

plusieurs exemplaires copie de travaux scolaires correspondant au contenu

du cours perturbeacute retenues (heures de colle) avertissements (travail et

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conduite) ou blacircmes exclusions de cours exclusions de plusieurs jours

alors mecircme que lrsquoabsenteacuteisme est preacutesent dans la probleacutematique de

lrsquoeacutelegraveve Ces exclusions ne sont cependant pas lieacutees agrave lrsquoabsenteacuteisme mais

agrave des perturbations scolaires

Ces sanctions sortent pour certaines du cadre de la leacutegaliteacute11 et sont

souvent inapplicables peu expliciteacutees aux eacutelegraveves et elles peuvent geacuteneacuterer

un fort sentiment drsquoinjustice (Debarbieux 1999 p 102)

Dans aucune des situations eacutetudieacutees les sanctions eacutenumeacutereacutees ici

nrsquoont permis de modifier le comportement de lrsquoeacutelegraveve dans le sens souhaiteacute

par les acteurs scolaires Au contraire on constate une progression drsquoinci-

dents (altercations entre eacutelegraveves avec des enseignants ou des surveillants)

vers des commissions de vie scolaire avec exclusions de plusieurs jours

toujours pour les mecircmes comportements suivies quelques semaines ou

quelques mois apregraves drsquoun arrecirct total de freacutequentation scolaire du jeune

ou de conseils de discipline menant agrave lrsquoexclusion deacutefinitive Apregraves la reacuteaf-

fectation dans un autre collegravege le mecircme processus se reproduit menant

rapidement cette fois-ci lrsquoeacutelegraveve agrave la deacutescolarisation De fait les eacutelegraveves qui

en ont eacuteteacute les destinataires ainsi que leurs parents ne mentionneront agrave

aucun moment un beacuteneacutefice en matiegravere de compreacutehension ou drsquoeacuteducation

tireacute de ces punitions scolaires Certains les consideacutereront davantage

comme des marques drsquoune profonde incompreacutehension de leur situation

Les processus de deacutescolarisation mettent en cause des pratiques

issues de lrsquoeacutevolution du systegraveme scolaire lui-mecircme qui deacuteterminent les

acteurs et leur laissent peu de latitude pour reacuteagir autrement Mais on

peut aussi repeacuterer des attitudes enseignantes individuelles plus exception-

nelles laquo la mise au coin raquo par exemple peine proscrite drsquoailleurs par la

circulaire du 13 juillet 2000

Dans le cas du jeune viseacute par cette punition la mise au coin a eacuteteacute

veacutecue comme humiliante a fonctionneacute comme une laquo provocation agrave la

deacuteviance raquo deacuteclencheacute une reacuteaction violente de lrsquoeacutelegraveve laquelle interpreacute-

teacutee comme un danger potentiel de violence physique agrave lrsquoeacutegard de tous les

personnels entraicircnera lrsquoexclusion deacutefinitive de lrsquoeacutelegraveve suivie drsquoune reacuteaffec-

tation dans un collegravege eacuteloigneacute de son domicile La scolariteacute du jeune

garccedilon srsquoarrecirctera lagrave

11 Voir Bulletin officiel du 13 juillet 2000

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138 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

5515 Haro sur les eacutelegraveves

Les eacutelegraveves deacutescolariseacutes et perturbateurs sont marqueacutes comme tels et

comme laquo ineacuteducables raquo depuis de nombreux mois voire plusieurs anneacutees

quand intervient lrsquoarrecirct de scolariteacute effectif Des mots ou expressions

comme laquo individu raquo laquo faire lrsquoimbeacutecile raquo et laquo imbeacutecile raquo eacutecrits sur des rapports

drsquoincidents laquo cas psychiatrique raquo laquo dangereux raquo sont freacutequemment lus ou

entendus les concernant avec une freacutequence drsquoautant plus grande que le

conflit srsquoaggrave entre lrsquoeacutelegraveve et lrsquoinstitution et que les adultes qui les

utilisent sont engageacutes directement dans les interactions Ces maniegraveres de

nommer ou de qualifier ces eacutelegraveves soulignent des eacuteleacutements drsquoune

ambiance qui banalise des termes deacutevalorisants agrave lrsquoencontre des eacutelegraveves

en tregraves grande difficulteacute drsquoapprentissage et perturbateurs de lrsquoordre sco-

laire Ils deviennent alors ce qursquoils montrent les adultes ayant tendance agrave

identifier lrsquoeacutelegraveve deacuteviant au vu des manifestations produites Ces juge-

ments srsquoaccompagnent de propheacuteties autoreacutealisatrices sur lrsquoineacuteducabiliteacute

de lrsquoeacutelegraveve et lrsquoineacuteluctabiliteacute de son destin scolaire et social Les theacuteories

de lrsquoeacutetiquetage appliqueacutees agrave lrsquoeacutecole fonctionnent alors agrave plein (Van

Zanten 2001)

Plusieurs dossiers comportent des appreacuteciations non fondeacutees sur des

examens meacutedicaux ou psychologiques portant sur lrsquoorientation neacutecessaire

en structure speacutecialiseacutee laquo adapteacutee au comportement de lrsquoeacutelegraveve raquo ainsi que des

injonctions aux parents drsquoaccompagner leur enfant suivre une psycho-

theacuterapie au vu des incidents scolaires dont il est protagoniste Lrsquoeacutelegraveve

perturbateur est alors paradoxalement consideacutereacute comme actif et volon-

taire dans les deacutesordres qursquoil met en scegravene dans lrsquoeacutetablissement scolaire

donc responsable de ce qui lui arrive et dans le mecircme temps porteur

de troubles seacuterieux du comportement ou de handicaps relevant drsquoune

commission speacutecialiseacutee

5516 Lrsquoexternalisation des solutions

Les causes possibles de la deacuteviance (quartier famille eacutelegraveve lui-mecircme) sont

situeacutees en dehors du champ de la relation peacutedagogique de mecircme que les

laquo solutions raquo eacuteventuelles (sollicitation de travailleurs sociaux des familles

injonction de changer faite agrave lrsquoeacutelegraveve lui-mecircme) Dans cette logique les

mesures proposeacutees renvoient souvent la recherche de changement du

comportement de lrsquoeacutelegraveve agrave des structures ou agrave des personnes peacuteripheacute-

riques ou exteacuterieures aux situations drsquoenseignement contact avec des

eacuteducateurs suivi par lrsquoassistante sociale du collegravege injonction agrave la famille

de rescolariser le jeune avec assiduiteacutehellip

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 139

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Drsquoautres mesures conccedilues comme plus eacuteducatives sont mises en

place comme les promesses ou les engagements les cahiers de suivi les

commissions ou conseils de vie scolaire mais elles sont appliqueacutees sur le

mecircme mode de lrsquoinjonction ou de la sanction sans qursquoaucune ameacuteliora-

tion dans le sens souhaiteacute par les acteurs scolaires ait pu ecirctre constateacutee

Le non-respect de la proceacutedure du cahier de suivi srsquoest du reste rajouteacute

aux charges qui pegravesent contre lrsquoun des eacutelegraveves deacutescolariseacute par la suite au

moment du conseil de discipline

Le traitement appliqueacute aux eacutelegraveves perturbateurs et deacutescolariseacutes

ensuite rencontreacutes au cours de notre recherche est bien un traitement

coercitif classique depuis le deacutebut de leur scolariteacute au collegravege (avertisse-

ments exclusions conseil de vie scolaire) visant agrave leur faire apprendre de

greacute ou de force leur laquo meacutetier drsquoeacutelegraveve raquo laquo se comporter comme un eacutelegraveve raisonnable raquo

eacutetant entendu qursquoil ne tient qursquoagrave lrsquoeacutelegraveve de prendre la deacutecision de changer

Dans cette logique de refus ou drsquoacceptation la laquo mise au travail raquo

suffirait agrave reacutetablir la situation La question des lacunes scolaires est ainsi

eacuteviteacutee comme est preacuteserveacute le point central des compeacutetences enseignantes

les interactions peacutedagogiques dans la classe Lrsquoeacutelegraveve en difficulteacute devient

une personne laquo difficile raquo Une logique de rapport de force entre lrsquoinstitu-

tion et lrsquoeacutelegraveve srsquoeacutetablit ainsi visant agrave laquo faire changer lrsquoeacutelegraveve drsquoavis raquo Celui-ci est

alors pris comme seul et unique responsable de sa situation et de son

eacutevolution quelquefois sommeacute de laquo trouver une solution raquo avec la mention

laquo nous avons tout essayeacute raquo Lrsquoabsence de changement marque eacutevidente de

mauvaise volonteacute deacuteclenche la colegravere des personnels scolaires La reacuteaction

aux perturbations manifesteacutees par lrsquoeacutelegraveve renforce et cristallise lrsquoidentiteacute

deacuteviante et les relations srsquoinstallent durablement dans le conflit En cas

de perturbations graves ces eacutelegraveves sont alors consideacutereacutes comme laquodangereuxpour la communauteacute scolaire raquo laquo nrsquoayant pas leur place au collegravege raquo La seacutepara-

tion devient ineacutevitable soit agrave la suite drsquoun conseil de discipline qui pro-

nonce lrsquoexclusion deacutefinitive soit par retrait de lrsquoeacutelegraveve en particulier dans

le cas de laquo passages fictifs raquo dans la classe supeacuterieure Lrsquoensemble des acteurs

scolaires srsquoentend pour traiter la situation en fonction drsquoinjonctions et de

sanctions plutocirct que de reacutesolution dans le sens de la poursuite des eacutetudes

ou drsquoun parcours individuel adapteacute agrave la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve La

gestion des laquo deacuteviants scolaires raquo tend ainsi agrave ecirctre penseacutee et mise en actes

en termes de preacuteservation de lrsquoordre scolaire sanctionnant les manque-

ments aux regravegles tant drsquoassiduiteacute que de comportement les mauvais

reacutesultats eacutetant quasiment inclus dans le registre des transgressions

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140 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

552 LES EacuteLEgraveVES

Les jeunes deacutescolariseacutes srsquoexpriment peu par rapport agrave leur situation acircgeacutes

de 14 agrave 16 ans au moment de la rencontre avec le chercheur ils ont veacutecu

un processus de deacutescolarisation plus qursquoils ne lrsquoont construit avec parfois

lrsquoimpression qursquoils avaient tregraves peu de prise sur ce qui leur arrivait Un

seul (Patrick dont nous deacutetaillerons la situation plus loin) exprime un

refus clair de lrsquoeacutecole et de toutes les propositions qui lui seraient faites

en forme de conflit ouvert et non neacutegociable accompagneacute drsquoun deacutesinteacuterecirct

affirmeacute par rapport agrave son avenir Un autre qui nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute

souhaiterait vivement laquo entrer agrave lrsquoeacutecole raquo Pour les eacutelegraveves exclus drsquoun collegravege

lrsquoeacuteloignement du collegravege de reacuteaffectation est un obstacle important agrave la

suite de la scolariteacute Drsquoautres expriment un fort sentiment de deacutevalori-

sation personnelle (crsquoest le cas de ceux qui se sont signaleacutes par drsquoimpor-

tantes perturbations scolaires) et des espoirs deacuteccedilus dans la scolariteacute Les

jeunes qui nrsquoont pas eacuteteacute perturbateurs et ont de ce fait eacuteteacute moins stigma-

tiseacutes nrsquoexpriment pas de ressentiment ou de crainte mais plutocirct un deacutesin-

teacuterecirct global par rapport agrave lrsquoeacutecole en geacuteneacuteral tout en gardant un laquo bonsouvenir raquo drsquoenseignants ou drsquoacteurs scolaires Le processus de deacutescolari-

sation srsquoest accompagneacute drsquoun isolement croissant par rapport aux autres

eacutelegraveves du collegravege accentueacute par les nombreuses absences Lrsquoabsenteacuteisme

ou les fortes perturbations coupent les jeunes des sociabiliteacutes juveacuteniles

lieacutees agrave la vie quotidienne au collegravege et mecircme si les camarades peuvent

jouer un rocircle de relais et de garde-fous dans certaines situations leur

peacuterennisation entraicircne une deacutesaffection de leur part

Les jeunes deacutescolariseacutes occupent des rangs divers dans leurs fratries

dont le nombre drsquoenfants varie de un agrave sept six sont des aicircneacutes (ou enfant

unique pour un) quatre sont les plus jeunes quatre occupent des places

meacutedianes dans la fratrie Tous les jeunes deacutescolariseacutes vivent plutocirct laquo au jourle jour raquo pris en charge mateacuteriellement dans leurs familles avec lesquelles

ils entretiennent des relations diverses qui vont de la bonne entente au

conflit ouvert en forme de rapport de force avec les parents ou des fregraveres

et sœurs Plusieurs disent vouloir travailler et attendre drsquoavoir 16 ans pour

pouvoir le faire La notion drsquoadolescence est relative dans leur cas alors

que pour beaucoup de jeunes scolariseacutes elle est une peacuteriode assez longue

pendant laquelle ils restent deacutependants de leurs parents tout en menant

une vie relativement autonome il en va autrement pour ceux dont nous

avons eacutetudieacute les situations

Les jeunes deacutescolariseacutes se trouvent confronteacutes avant lrsquoacircge de 16 ans

agrave des choix et agrave des perspectives qui tiennent plus de lrsquoacircge adulte trouver

un travail ou une formation rapidement qualifiante seconder les parents

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 141

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la megravere en particulier La plupart drsquoentre eux vivent plus au contact

drsquoadultes que de jeunes de leur acircge (agrave part ceux qui sont attacheacutes agrave des

groupes de pairs) et leurs formes de sociabiliteacute juveacutenile se trouvent

modifieacutees par lrsquoarrecirct de scolariteacute

La majoriteacute des jeunes sont plutocirct resteacutes chez eux inteacutegrant laquo agrave plein

temps raquo la vie familiale au rythme de leurs parents Le temps est scandeacute

par les horaires scolaires des plus jeunes enfants que les jeunes filles

accompagnent ou vont chercher Lrsquoarrecirct de scolariteacute implique une dimi-

nution des reacuteseaux relationnels avec des pairs deacutejagrave restreints pour la

plupart des jeunes un repli sur la sphegravere familiale et une impression

drsquoennui avec dans un cas des activiteacutes reacutepeacutetitives Les relations intrafami-

liales se tendent drsquoautant plus que les intervenants exteacuterieurs se mani-

festent par des avertissements ou des injonctions et que les revenus de la

famille sont en baisse par la suspension ou la suppression des allocations

familiales Les jeunes qui avaient des reacutesultats scolaires satisfaisants agrave

lrsquoentreacutee en sixiegraveme peuvent espeacuterer dans un avenir indeacutetermineacute reprendre

une formation mais pour les autres les reacutesultats scolaires en chute ou

mauvais depuis plusieurs anneacutees rendent tregraves aleacuteatoire la perspective de

projets professionnels ou drsquoavenir lieacutes agrave la formation en geacuteneacuteral

Sur les quatorze situations rencontreacutees cinq jeunes ont commis des

actes deacutelinquants preacutealables ou parallegraveles agrave leur entreacutee au collegravege Agrave la

suite de lrsquoarrecirct de scolariteacute ces actes deacutelinquants ont continueacute et se sont

mecircme amplifieacutes mais on ne peut pas dire que lrsquoarrecirct de scolariteacute ait

geacuteneacutereacute la deacutelinquance Onze ont eacuteteacute lrsquoobjet de signalements pour faits

de petite deacutelinquance ou absenteacuteisme ou encore problegraveme familial Ces

signalements ont donneacute lieu agrave des rencontres avec un juge des enfants et

agrave des mesures eacuteducatives avec maintien au domicile dans la majoriteacute des

cas (deux jeunes ont eacuteteacute placeacutes sur des dureacutees courtes) Les deux jeunes

dont les parents ont trouveacute une issue en matiegravere drsquoapprentissage anticipeacute

nrsquoont fait lrsquoobjet drsquoaucun signalement pas plus que lrsquoenfant en situation

irreacuteguliegravere

La preacutesence drsquoun groupe de pairs dans le quartier peut jouer un rocircle

attractif ou compensatoire agrave lrsquoinactiviteacute lieacutee agrave la deacutescolarisation Crsquoest le

cas pour cinq des jeunes qui ont commis des actes deacutelinquants et srsquoattachent

agrave des groupes de pairs en forme de bandes au fur et agrave mesure que

srsquoaccentue le processus de deacutescolarisation

553 LES FAMILLES

Aux facteurs endogegravenes agrave lrsquoeacutecole srsquoajoutent des situations familiales qui

ne permettent pas de soutenir lrsquoeacutelegraveve dans son effort scolaire ni de contre-

balancer lrsquoimage neacutegative qui lui est renvoyeacutee Dans la plupart des situations

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142 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rencontreacutees si les parents se manifestent ou reacutepondent aux demandes de

rencontre des collegraveges (les laquo convocations raquo) au sujet de leur enfant ou

tout au moins acceptent un eacutechange avec lrsquoassistant social qui se rend au

domicile on note un deacutecalage entre le point de vue et lrsquohistoire scolaire

des familles en particulier les parents et les exigences de lrsquoeacutecole tant sur

le plan de lrsquoassiduiteacute que sur celui du comportement

La plupart des familles rencontreacutees disposent de trop peu de res-

sources pour se positionner en interlocuteurs creacutedibles de lrsquoeacutecole meacutecon-

naissent le fonctionnement du systegraveme scolaire tout en devant geacuterer une

vie quotidienne tregraves difficile drsquoun point de vue eacuteconomique Dans une

famille une incompreacutehension linguistique majeure empecircche tout travail

de coeacuteducation effectif entre le collegravege et les parents en lrsquoabsence de

traduction La gestion de la scolariteacute revient majoritairement aux megraveres

qui sont plus souvent preacutesentes dans les eacutetablissements scolaires les pegraveres

(lorsqursquoils sont preacutesents dans lrsquoeacuteducation de leurs enfants) intervenant

plus pour geacuterer les manquements aux normes Dans plusieurs familles les

strateacutegies familiales employeacutees sont de lrsquoordre de la contention corporelle

sans effet sur une reprise de la scolariteacute ainsi des parents accompagnent

leur enfant au collegravege le remettent dans les mains du conseiller principal

drsquoeacuteducation (CPE) qui lrsquoemmegravene en courshellip jusqursquoagrave la fin de lrsquoheure ougrave

le jeune disparaicirct agrave nouveau de lrsquoeacutetablissement Son refus du systegraveme

scolaire est tel que ni les parents ni les acteurs scolaires nrsquoont drsquoinfluence

sur un eacuteventuel retour Des punitions corporelles reacutepeacuteteacutees sont appliqueacutees

par certaines familles aux jeunes visant agrave les faire laquo rentrer dans le droitchemin raquo (celui de lrsquoeacutecole en lrsquooccurrence censeacutee assurer une formation

et proteacuteger contre les risques de deacutelinquance) avec pour effet drsquoaccentuer

le retrait de la famille parallegravelement au retrait de lrsquoeacutecole La stigmatisation

opeacutereacutee par lrsquoeacutecole est renforceacutee dans certaines familles par un regard

neacutegatif porteacute sur lrsquoadolescent qui devient une laquo bouche inutile raquo en parti-

culier lorsque les allocations familiales sont suspendues

Eacuteloigneacutes du marcheacute du travail et de celui de la consommation les

parents nrsquooffrent pas drsquoimage creacutedible agrave leurs enfants en tant qursquoeacuteduca-

teurs Dans ces cas-lagrave le controcircle parental et la qualiteacute de la relation avec

les enfants deacutejagrave affecteacutes par la situation de preacutecariteacute dans laquelle se

trouvent les familles sont rendus encore plus difficiles (Mucchielli 2001

p 224) Des conflits aviveacutes de surcroicirct par la situation critique du jeune

au collegravege bloquent aussi la communication agrave lrsquointeacuterieur de ces familles

Pour les familles marqueacutees par la pauvreteacute les aleacuteas de la vie fami-

liale prennent des proportions exacerbeacutees seacuteparations divorces disputes

recompositions ont lieu dans des espaces et des temps restreints (lrsquoabsence

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de travail confine les membres adultes de la famille au domicile et ils ne

disposent pas de reacuteseaux professionnels ou relationnels qui leur permet-

traient de se distraire de ces situations) Ces familles peuvent eacutevoluer

rapidement deacutepart drsquoun conjoint et arriveacutee drsquoun autre installation

momentaneacutee ou agrave plus long terme au domicile du nouveau conjoint drsquoun

des deux parents en preacutesence de lrsquoautre heacutebergement de proches en

difficulteacute momentaneacutee deacutepart ou arriveacutee des enfants les plus acircgeacutes avec

quelquefois des beacutebeacuteshellip Les enfants doivent geacuterer ces situations familiales

conflictuelles et leur scolariteacute en mecircme temps et le cas eacutecheacuteant assurer

le soutien du parent le plus vulneacuterable comme crsquoest le cas pour lrsquoune des

jeunes filles dont la scolariteacute srsquoest arrecircteacutee principalement pour ce motif

Les deacutemarches diverses sont tregraves difficiles agrave effectuer les deacuteplace-

ments entre Roubaix et Lille par exemple sont veacutecus comme aleacuteatoires et

dangereux alors que lrsquoagglomeacuteration est desservie par des moyens de

transport nombreux et fiables Les propositions drsquoorientation ou de pla-

cement qui peuvent ecirctre faites rencontrent un refus de se seacuteparer parents

et enfants veulent rester ensemble par crainte de la solitude (pour les uns

et les autres) de lrsquoinconnu des jugements deacutevalorisants de lrsquoentourage et

des agents institutionnels autour de la seacuteparation De ce fait les proposi-

tions alternatives sont tregraves limiteacutees car les centres speacutecialiseacutes ou de forma-

tion se trouvent rarement dans le mecircme quartier ou dans la mecircme ville

En lrsquoabsence drsquoadheacutesion minimale du groupe familial agrave ces propositions

leur reacutealisation comporte un fort risque drsquoeacutechec La valeur fondamentale

qui apparaicirct ainsi pour ces familles est le fait de preacuteserver lrsquouniteacute du

groupe refuge protection lieu de souffrance mais aussi lrsquoexercice de la

fonction parentale qui doit ecirctre maintenue fucirct-elle mise en peacuteril par des

interactions violentes ou peacutenibles entre parents et enfants La remise en

cause de cette laquo compeacutetence parentale raquo est drsquoautant plus difficile agrave vivre

qursquoelle est le seul facteur de reconnaissance sociale possible

Lrsquoisolement et le peu de gratifications reccedilu dans leur vie sociale la

multipliciteacute des eacuteveacutenements qui jalonnent la vie familiale favorisent sans

doute lrsquoentreacutee et lrsquoinstallation de plusieurs megraveres dans la laquo deacutepression raquo

qui devient partie inteacutegrante de lrsquoidentiteacute maternelle preacutesenteacutee comme

telle au chercheur Les difficulteacutes veacutecues avec les conjoints et les enfants

sont des drames quotidiennement ressasseacutes et certaines trouvent dans ces

rocircles de megravere et drsquoeacutepouse doloriseacutees une forme drsquoidentiteacute acceptable pour

elles-mecircmes pour les acteurs scolaires pour les travailleurs sociauxhellip qui

vont intervenir en tenant compte de la laquomaladieraquo de la megravere Les laquoproblegravemes

de santeacute raquo sont partie prenante de ces probleacutematiques parentales et

deacuteclenchent la compassion ou lrsquoagacement des interlocuteurs inteacuteresseacutes agrave

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144 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

la situation de lrsquoenfant Dans les cas extrecircmes ils se retrouvent en situation

drsquoeacutecouter de rassurer voire drsquoassister les parents vulneacuterabiliseacutes Cela eacutetant

les parents rencontreacutes ne se deacutesinteacuteressent pas de la situation de leurs

enfants et les megraveres restent souvent leurs seules laquo allieacutees inconditionnelles raquo

tentant drsquoassurer leur laquo protection raquo dans les aleacuteas de leurs deacutemecircleacutes avec

lrsquoeacutecole les travailleurs sociaux les juges des enfants parfois

Dans plusieurs situations la vie familiale srsquoaccommode bon an mal

an du retrait scolaire de un ou plusieurs des enfants la scolariteacute de un

ou plusieurs aicircneacutes srsquoest arrecircteacutee agrave lrsquoacircge de 16 ans et les perspectives fami-

liales en matiegravere drsquoeacutecole sont plus porteacutees vers des eacutetudes courtes sanc-

tionneacutees ou non par un diplocircme professionnel que vers des eacutetudes longues

Le savoir scolaire nrsquoest pas valoriseacute en tant que tel et lrsquoeacutecole est veacutecue

comme un lieu de formation permettant drsquoacceacuteder rapidement agrave un

emploi Lorsque les reacutesultats scolaires du jeune et les incidents au collegravege

rendent cette perspective peu creacutedible la famille envisage alors un retrait

de lrsquoeacutecole degraves lrsquoacircge de 16 ans conseillant agrave lrsquoenfant de laquo se tenir agrave carreau raquo

drsquoici lagrave afin de ne pas srsquoattirer les reproches et les interventions nombreu-

ses des acteurs scolaires Une fois atteint lrsquoacircge de 16 ans on parle alors

de laquo trouver un bon apprentissage raquo au jeune afin de lui permettre de tra-

vailler rapidement Cette perspective est drsquoautant plus affirmeacutee qursquoexistent

dans la famille des personnes qui travaillent ou ont travailleacute dans un passeacute

reacutecent et qui peuvent ecirctre porteuses de cette ideacutee de processus de forma-

tion Lrsquoinfluence des travailleurs sociaux est par ailleurs notable dans les

discours mentionnant un laquo projet professionnel raquo alternatif agrave lrsquoeacutecole

Seules deux familles dont les deux parents travaillent ont mis en

place elles-mecircmes une issue agrave la deacutescolarisation de leur enfant en obte-

nant une deacuterogation pour une entreacutee en apprentissage avant 16 ans sans

passer par lrsquointermeacutediaire de travailleurs sociaux

Dans lrsquoensemble dans aucune des situations eacutetudieacutees on nrsquoa pu

observer des interactions efficaces entre les parents et lrsquoeacutetablissement

scolaire les familles globalement peu creacutedibles dans les repreacutesentations

des acteurs scolaires sont encore plus deacutevaloriseacutees quand elles sont en

situation de vulneacuterabiliteacute ou de pauvreteacute Agrave leur tour elles voient les

acteurs scolaires comme deacutesagreacuteables et peu efficaces porteurs drsquoinjonc-

tions irreacutealisables agrave lrsquoexception de certains (assistants sociaux principale-

ment) qui sont consideacutereacutes comme bienveillants et faisant tout leur possible

pour faire revenir lrsquoenfant au collegravege sans que cela corresponde agrave une

eacuteventualiteacute raisonnablement envisageable et reacutealisable par la famille

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 145

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554 LES TRAVAILLEURS SOCIAUX

(Agrave LrsquoINTEacuteRIEUR ET Agrave LrsquoEXTEacuteRIEUR DES COLLEgraveGES)

Les assistants sociaux scolaires jouent un rocircle cleacute dans le suivi des jeunes

en risque de deacutescolarisation ou dans lrsquointervention aupregraves drsquoeux quand

lrsquoarrecirct de scolariteacute est effectif car ils peuvent se rendre au domicile de la

famille et ne sont pas investis drsquoune mission peacutedagogique par rapport agrave

lrsquoeacutelegraveve Ils se situent dans un champ de relation plus laquo libre raquo et moins

stigmatisant pour le jeune et sa famille qui peuvent mettre en avant des

eacuteleacutements explicatifs ou justificatifs de lrsquoarrecirct de scolariteacute qui ne seraient

pas entendus par les autres agents scolaires Les familles sont par ailleurs

pour la plupart habitueacutees agrave recevoir ou agrave cocirctoyer des travailleurs sociaux

assistants sociaux en particulier dans une relation drsquoassistance et de controcircle

Les relations entre les assistants sociaux et les enseignants sont mar-

queacutees par un fort cloisonnement lorsqursquoils assurent le suivi social des

eacutelegraveves dans les collegraveges celui-ci se fait sans lien avec les interactions dans

les classes La question du secret professionnel reste entiegravere des ensei-

gnants adressent des eacutelegraveves au service social et ont quelquefois peu de

laquo retours raquo de ces interventions ils meacuteconnaissent des eacuteveacutenements graves

arrivant aux eacutelegraveves et regrettent ensuite drsquoecirctre intervenus agrave contretemps

aupregraves drsquoeux du fait de ces meacuteconnaissances Les personnels sociaux des

eacutetablissements maintiennent de leur cocircteacute la confidentialiteacute de nombre de

donneacutees par souci du respect de la vie priveacutee des eacutelegraveves et de leurs

familles et par crainte drsquoutilisations intempestives de ces informations Ces

mecircmes craintes existent drsquoailleurs aussi entre enseignants De fait les

intervenants sociaux ont plus de latitude pour intervenir aupregraves des

familles et tenter de modifier la probleacutematique familiale plutocirct que les

interactions qui se deacuteroulent ou se sont deacuterouleacutees au collegravege Leur forma-

tion les entraicircne aussi sans doute plus du cocircteacute de la relation parents-

enfants que des acquisitions scolaires ou des relations avec les enseignants

Par ailleurs les travailleurs sociaux insistent sur la mise en place de

laquo projets raquo qui se heurtent agrave la preacutecariteacute des conditions de vie faisant

justement obstacle agrave la construction de ces projets En outre si les enfants

deviennent plus qualifieacutes que leurs parents ils peuvent vivre des conflits

de loyauteacute qui remettraient en cause lrsquoeacutequilibre familial drsquoougrave des attitudes

de repli freacutequemment observeacutees et des laquo mises en eacutechec raquo de projets

construits autour de formations proposeacutees aux jeunes Lorsque les actions

dans les eacutetablissements scolaires ont eacutechoueacute agrave maintenir lrsquoeacutelegraveve dans le

milieu scolaire les solutions laquo sociales raquo prennent le relais en maintenant

un lien avec les familles et en eacutevitant un enclavement plus important pour

les familles les plus isoleacutees

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146 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

56 LE CAS DE PATRICK

Patrick est acircgeacute de 15 ans au moment ougrave nous le rencontrons chez lui avec

sa megravere et sa sœur aicircneacutee Il est le dernier drsquoune fratrie de sept enfants

Son pegravere est deacuteceacutedeacute il y a six ans Sa megravere employeacutee de collectiviteacute sur

Paris a arrecircteacute sa scolariteacute agrave la fin du cycle primaire Elle a deacutemeacutenageacute drsquoune

ville de la banlieue parisienne vers Roubaix en juin 1999 Elle est agente

de service agrave la DDASS12 drsquoun deacutepartement limitrophe de Paris poste

qursquoelle a obtenu en se faisant connaicirctre tout drsquoabord comme laquo cliente raquo

des services sociaux Elle fera le deacuteplacement Roubaix-Paris et retour tous

les jours jusqursquoau deacutebut de 2001 peacuteriode agrave laquelle elle entame une seacuterie

de congeacutes maladie pour laquo deacutepression raquo selon sa propre expression Au

moment du deacutemeacutenagement Patrick terminait une sixiegraveme marqueacutee par

de tregraves mauvais reacutesultats scolaires

Sur le bulletin de fin de CM213 de Patrick on peut lire laquo Des reacutesultats

faibles dans lrsquoensemble ndash Des efforts cependant tregraves doueacute pour lrsquoEPS14

perspectives drsquoadaptation en 6e moyennes (demande pour 6e hand-

ball) raquo Il a effectivement un A (meilleure cateacutegorie) en EPS et des per-

formances entre B et C pour la lecture lrsquoexpression orale les meacutecanismes

opeacuteratoires de C pour lrsquoexpression eacutecrite le raisonnement les sciences

et la technologie lrsquohistoire-geacuteographie lrsquoeacuteducation civique et musicale

les arts plastiques et de D pour lrsquoorthographe Dans le domaine des compeacute-

tences transversales on peut lire laquo Comportement irreacutegulier respecte

lrsquoautoriteacute Valoriseacute par les matiegraveres sportives raquo

Lrsquoappreacuteciation de fin de premier trimestre de sixiegraveme en banlieue

parisienne indique laquo Travail et reacutesultats tregraves insuffisants Il faut reacuteagir tregraves

rapidement raquo Cette injonction est soutenue par un dispositif de soutien

interne au collegravege Lrsquoenseignant en charge de ce soutien indique laquo bondeacutebut raquo sur le mecircme bulletin Au deuxiegraveme trimestre on note quelques

absences non justifieacutees et une attitude laquo peacutenible et deacutesagreacuteable raquo laquo perturbatrice raquo

est signaleacutee par la majoriteacute des professeurs Lrsquoenseignant chargeacute du sou-

tien indique laquo Encourageant Il faudrait ne manquer aucune seacuteance raquo Patrick

reccediloit un avertissement laquo travail et conduite raquo Il est exclu une journeacutee de

lrsquoeacutetablissement aux motifs de laquo Refuse drsquoobeacuteir perturbe la classe tutoie le

professeur raquo La megravere de Patrick eacutecrit une lettre au principal pour accuser

reacuteception du courrier lui notifiant cette exclusion et srsquoexcuser elle-mecircme

du comportement de son fils

12 Direction deacutepartementale de lrsquoaction sanitaire et sociale

13 Cours moyen 2e anneacutee

14 Eacuteducation physique et sportive

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 147

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Au troisiegraveme trimestre Patrick est scolariseacute agrave Roubaix sans que

lrsquoenseignant chargeacute du soutien en soit preacutevenu car il indique sur un

bulletin par ailleurs vide de toute appreacuteciation laquo Nrsquoest plus venu ce trimestreIl y avait pourtant quelque chose agrave faire raquo Au troisiegraveme trimestre agrave Roubaix

on comptabilise quatre demi-journeacutees drsquoabsence non justifieacutees La moyenne

geacuteneacuterale est faible (79520) les appreacuteciations soulignent le sentiment de

laquo peu drsquoefforts peu de travail ensemble un peu timide raquo avec des appreacuteciations

positives en technologie et en sciences et vie de la terre laquo seacuterieux ensemblecorrect bien raquo Sur le bulletin scolaire du premier trimestre de lrsquoanneacutee 1999-

2000 on note laquo Trimestre catastrophique Aucun travail et attitude tregraves peacutenibleAvertissement travail et conduite raquo Aucun dispositif de soutien nrsquoest cette

fois-ci proposeacute agrave Patrick

Les deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres de cinquiegraveme se deacuteroulent en

banlieue parisienne dans le collegravege ougrave il a effectueacute sa sixiegraveme Patrick a

en effet refuseacute le deacutemeacutenagement de sa megravere et a obtenu drsquoecirctre logeacute chez

lrsquoun de ses fregraveres aicircneacutes dans la ville de banlieue parisienne ougrave il habitait

preacuteceacutedemment en laquo faisant le chantage raquo comme le dit son fregravere laquo Srsquoilrevenait agrave X il suivait lrsquoeacutecole raquo Les reacutesultats scolaires tregraves mauvais se com-

binent avec des incidents violents qui lrsquoopposent agrave des enseignants et agrave

drsquoautres eacutelegraveves ainsi qursquoavec de multiples absences De fait Patrick fait

partie drsquoune bande de jeunes garccedilons qui commencent agrave commettre des

actes deacutelinquants (vols agressions sur drsquoautres du mecircme acircge) dans la citeacute

ougrave il habitait avec sa megravere

Le chef drsquoeacutetablissement connaicirct bien Patrick et sa famille (sa sœur

aicircneacutee a suivi sa scolariteacute dans ce mecircme collegravege) Il approuve au cours de

lrsquoentretien le choix de la megravere de Patrick laquo Ccedila permettait de couper Patrickde le couper des copains et des gangs dans lesquels il commenccedilait agrave srsquointeacutegrer raquo Il

a repeacutereacute chez Patrick un laquo gros gros problegraveme affectif [hellip] le gamin pas contentquand on lrsquoaime pas raquo Par ailleurs le principal et lrsquoeacutequipe de direction

travaillaient agrave laquo remettre de lrsquoordre raquo dans le collegravege laquo Patrick quand il estarriveacute eacutetait porteur des mecircmes problegravemes que lrsquoeacutetablissement raquo Le jeune garccedilon

fait alliance avec drsquoautres eacutelegraveves dont les comportements sont proches des

siens et les retrouve degraves son retour Il fait partie drsquoune cinquiegraveme agrave domi-

nante sportive ougrave il se signale par une absence de travail et 33 demi-

journeacutees drsquoabsence au troisiegraveme trimestre ponctueacute par cette appreacuteciation

laquo Bilan catastrophique Vous nrsquoecirctes pas motiveacute par lrsquoenseignement geacuteneacuteral Patienteztravaillezhellip pour pouvoir construire un projet Conseil 4e aide et soutien raquo

La vie familiale de son fregravere aicircneacute est perturbeacutee par la preacutesence de

ce jeune qui est agrave peine plus acircgeacute que lrsquoaicircneacute de ses neveux et reacuteclame de

sortir tard le soir en refusant lrsquoautoriteacute de son fregravere Une bagarre avec un

autre fregravere met un terme agrave la cohabitation en banlieue parisienne et

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148 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Patrick reacuteintegravegre le domicile de sa megravere agrave Roubaix Les contacts sont

coupeacutes entre le fregravere aicircneacute et sa megravere celui-ci reprochant agrave cette derniegravere

drsquoecirctre trop faible avec le plus jeune dont il constate qursquoil domine sa megravere

Il met un coup de pression et il aura ce qursquoil veut elle cegravede et elle lui donnetout ce qursquoil veut Depuis que mon pegravere est mort il nrsquoy a plus cette poigne[hellip] Avec moi il y avait le respect Avant je disais six heures et il eacutetait lagraveagrave six heures [hellip] Quand il mettait la musique trop fort je lui disaisdrsquoarrecircter une fois deux fois et je coupais les plombs Je lrsquoai vu faire avecsa megravere quand elle lui refuse quelque chose il va dans sa chambre il metla musique agrave fond Elle gueule il fait ce qursquoil veut Elle va dans sachambre il pourrait lever la main sur elle Alors elle redescend

Lrsquoinfluence du groupe de pairs et lrsquoattirance qursquoil exerce sur Patrick

sont aussi souligneacutees par son fregravere aicircneacute Patrick est envoyeacute au Portugal

pays drsquoorigine de ses parents dans le courant du premier trimestre 2000-

2001 pour une laquo mise au vert raquo visant aussi agrave soulager la famille la megravere

en particulier

De retour agrave la fin de deacutecembre 2000 agrave Roubaix Patrick refuse drsquoaller

au collegravege exigeant de retourner en banlieue parisienne afin de retrouver

ses laquo copains raquo Les bulletins des deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres sont

vides drsquoappreacuteciations (75 demi-journeacutees drsquoabsences non justifieacutees au troi-

siegraveme trimestre) et le commentaire final est laquo Eacutelegraveve fantocircme raquo En dessous

hors cadre on peut lire laquo Attention Obligation scolaire jusqursquoagrave 16 ans raquo (sou-

ligneacute deux fois)

Patrick instaure un rapport de force avec sa megravere il exige qursquoelle

lui donne de lrsquoargent pour ses deacutepenses personnelles met la musique agrave

fond quand elle veut lui reacutesister manifeste lors de lrsquoentretien une absence

drsquoempathie agrave son eacutegard et une insouciance pour son avenir professionnel

qui accentuent les pleurs et le deacutesarroi de cette derniegravere

Patrick Jrsquopeux rester comme ccedila jusqursquoagravehellip

Megravere Ben tu peux pas rester jusqursquoagrave agrave rien faire toute ta viehellip

Patrick Eh ben alors deacutemeacutenage deacutemeacutenage

Megravere Ah non Je ne deacutemeacutenage pas non

Patrick Si tu ne deacutemeacutenages pas je vais pas agrave lrsquoeacutecole ici

Megravere Je vais pas deacutemeacutenager pour toi hein

Patrick Et moi je ne vais pas aller agrave lrsquoeacutecole pour toi Moi jrsquoy vais pasici Crsquoest clair Ni travailler ni agrave lrsquoeacutecole ni agravehellip je vais pas aller agrave lrsquoeacutecolepour toi

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Tous les propos eacutechangeacutes entre Patrick et sa megravere sont de cette

teneur le jeune garccedilon regarde sa megravere et crie celle-ci pleure et tente

drsquoargumenter

La famille considegravere que lrsquoeacutecole ne lrsquoa pas aideacutee Le fregravere aicircneacute men-

tionne des reacuteflexions indeacutelicates drsquoenseignants en reacutegion parisienne la

sœur aicircneacutee commente ainsi une expression lue sur le bulletin du troisiegraveme

trimestre 2000-2001 laquo Ils marquent mecircme ldquoenfant fantocircmerdquo Crsquoest mecircme agrave sedemander si crsquoest pas de la moquerie parce qursquoon sait tregraves bien qursquoil va pas agrave lrsquoeacutecoleou ils savent tregraves bien les problegravemes qursquoon a ethellip marquer ce genre de choses sur lesbulletins crsquoest pas vraiment ce qursquoon a envie de voir ou de recevoir agrave la maison raquo

Une deacutecision drsquoorientation vers la classe-relais de Roubaix est prise

dans le courant de lrsquoanneacutee 2000-2001 Agrave cette occasion lrsquoassistante sociale

scolaire et une eacuteducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse se

rendent plusieurs fois au domicile de Patrick pour le rencontrer Le jeune

garccedilon dispose drsquoune chambre en haut drsquoun escalier et les intervenantes

parlementent plusieurs fois derriegravere la porte pour le faire sortir ce qui

semble laquo anormal raquo aux membres de la famille Par ailleurs Patrick ratera

de nombreux rendez-vous avec lrsquoeacuteducatrice et refusera entre autres de

travailler avec cette derniegravere sur la situation familiale laquo Alors jrsquoavais proposeacutedrsquoautres choses que lrsquoeacutecole [hellip] Mais non crsquoeacutetait non non non non non [hellip]

trois jours apregraves jrsquoavais pris un rendez-vous pour la journeacutee portes ouvertes delrsquoapprentissage en geacuteneacuteral il nrsquoeacutetait pas lagrave Je nrsquoai rien fait rien rien rien aveclui [hellip] crsquoest rarissime raquo

Patrick campe sur ses positions et tout se passe comme si plusieurs

adultes qursquoils soient de sa famille ou exteacuterieurs tentaient de le convaincre

de reprendre une scolariteacute alors qursquoaucune neacutecessiteacute eacuteconomique ou

autre ne le pousse agrave se mobiliser Sa megravere dit elle-mecircme qursquoelle est obli-

geacutee de le nourrir et qursquoelle est deacutepasseacutee par la situation Patrick semble

prendre exemple sur les violences exerceacutees par son pegravere et son fregravere aicircneacute

dans leur propre famille et agrave son eacutegard en les reportant aujourdrsquohui sur

sa megravere pour la faire ceacuteder Ce renversement de situation lrsquoadolescent

balayant lrsquoautoriteacute chancelante de sa megravere pour prendre le pouvoir est

renforceacutee par la logique de bande dans laquelle il est engageacute elle forme

sa reacutefeacuterence principale avant sa famille

Cette reacutefeacuterence primordiale est drsquoailleurs remarqueacutee par les membres

de la famille sa megravere en particulier qui srsquoinquiegravete de lrsquoinfluence des

copains sur son fils et de leurs trajectoires plusieurs drsquoentre eux sont

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150 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

incarceacutereacutes au quartier des mineurs agrave Fleury-Meacuterogis15 situation banaliseacutee

par Patrick qui dit souhaiter ecirctre avec eux plutocirct qursquoagrave Roubaix Quant au

parcours scolaire il en eacutetait deacutejagrave eacuteloigneacute lors de son deacutemeacutenagement

lrsquoanneacutee de sixiegraveme ayant drsquoailleurs eacuteteacute tregraves perturbeacutee au dire du principal

du collegravege de banlieue parisienne La fonction de lrsquoeacutecole est assez utilitaire

dans cette famille ougrave les eacutetudes longues ne sont pas une norme Le grand

fregravere de Patrick lui a drsquoailleurs conseilleacute de faire laquo profil bas raquo en attendant

la fin de la troisiegraveme et une formation en apprentissage Sa sœur aicircneacutee

acircgeacutee de 19 ans a arrecircteacute ses eacutetudes agrave 16 ans Elle est megravere drsquoun beacutebeacute drsquoun

an et a suivi sa megravere dans le Nord Elle se rend reacuteguliegraverement en reacutegion

parisienne pour rencontrer le pegravere de lrsquoenfant avec lequel elle a eu un

temps le projet de prendre un appartement Son jeune fregravere a alors

formuleacute le souhait de venir srsquoinstaller avec eux agrave deacutefaut de forcer sa megravere

agrave redeacutemeacutenager

La situation eacutetait bloqueacutee en juin 2001 Patrick refusant de rencon-

trer les intervenants sociaux qui se preacutesentent au domicile Lrsquoeacuteducatrice

prend alors la deacutecision drsquoun signalement au juge assorti drsquoune proposi-

tion de placement consideacuterant que les rocircles familiaux sont quasi inverseacutes

entre la megravere et son fils lesquels sont aussi laquo en danger raquo lrsquoun que lrsquoautre

Patrick quitte Roubaix dans le courant de lrsquoeacuteteacute et drsquoapregraves lrsquoeacuteducatrice

retourne chez son fregravere pour eacutechapper au placement avec lrsquoaccord de sa

megravere Au mois de septembre 2001 cette derniegravere fait parvenir au collegravege

de Roubaix une attestation indiquant que lrsquoadolescent est confieacute agrave sa sœur

et habite avec elle en reacutegion parisienne Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2002 la

sœur enceinte de son deuxiegraveme enfant est de retour agrave Roubaix dans

lrsquoappartement familial Patrick restant en reacutegion parisienne Il nrsquoa repris

agrave ce jour aucune scolariteacute

Se conjuguent ici une probleacutematique scolaire avec un niveau scolaire

tregraves bas et une non-perception des eacutetudes comme porteuses de projet

professionnel une logique deacutelinquante marqueacutee par une preacutedominance

du groupe des pairs et une sociabiliteacute juveacutenile deacutejagrave enclaveacutee une absence

de controcircle familial et parental lieacutee aux difficulteacutes de chaque membre de

la famille et agrave lrsquoeacutequilibre preacutecaire des relations agrave lrsquoimage de la preacutecariteacute

des ressources et des incertitudes qui jalonnent le quotidien Les injonc-

tions de lrsquoeacutetablissement scolaire nrsquoont aucune prise sur la famille qui le

tient en piegravetre estime (aucune aide veacuteritable ne lui est reconnue) et a

fortiori sur le jeune qui eacutevolue dans un autre systegraveme de reacutefeacuterences La

famille redoute en mecircme temps les deacutecisions comme un placement qui

enteacuterineraient lrsquoabsence de controcircle de sa part sur lrsquoadolescent

15 Maison drsquoarrecirct en banlieue Sud de Paris

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 151

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CONCLUSION

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale autour des situations de deacutescolarisation on note

une pluraliteacute drsquointervenants qui se coordonnent peu voire ne se connaissent

pas et travaillent dans des optiques diffeacuterentes retour en classe travail

autour de la famille perspective drsquoun placement stage preacutequalifianthellip Les

uns et les autres attribuant agrave des sources diffeacuterentes les causes des difficul-

teacutes eacuteprouveacutees par le jeune ou causeacutees par lui sources consideacutereacutees en geacuteneacute-

ral comme exteacuterieures agrave leur propre action Chaque partie (famille jeunes

agents institutionnels) eacutevolue dans une logique qui lui est propre meacutecon-

nue de lrsquoautre partie La perspective drsquoeacutetudes geacuteneacuterales suivies sans succegraves

dans un contexte disciplinaire veacutecu comme conflictuel par les eacutelegraveves et

leurs professeurs incite agrave laquo chercher du travail raquo rapidement et agrave aban-

donner un cursus scolaire qui apparaicirct inutile et constamment frustrant

en tentant de passer immeacutediatement agrave un statut laquo adulte raquo (recherche

drsquoemploi ou prise de deacutecision autonome entre autres) dans un contexte

eacuteconomique marqueacute par la preacutecariteacute chez les cateacutegories sociales les moins

armeacutees sur le marcheacute de lrsquoemploi Mais lrsquoabsence de perspectives profes-

sionnelles et de possibiliteacutes de formation pour de tregraves jeunes garccedilons et

filles non qualifieacutes rend aleacuteatoires ces solutions alternatives fragilisent les

eacutequilibres familiaux et exposent les adolescents aux risques drsquoisolement

de repli sur soi ou de deacuteveloppement drsquoactiviteacutes deacutelinquantes

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LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES

Lrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche

biographique

C

EacuteCILE

C

ARRA

CESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais

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154

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

La deacutelinquance juveacutenile apparaicirct en France comme un veacuteritable problegraveme

de socieacuteteacute preuve en serait lrsquoeacutevolution des statistiques officielles Ce

pheacutenomegravene suscite une profusion de discours de mises en garde de

recommandations Il occupe une place privileacutegieacutee dans le deacutebat politique

les meacutedias les colloques les discours ordinaires La deacutelinquance juveacutenile

est donc un sujet massivement traiteacute sur la scegravene publique Pour autant

sait-on qui sont ces laquo jeunes raquo au centre des deacutebats tout comme de lrsquoatten-

tion judiciaire Que connaicirct-on preacuteciseacutement de leur comportement et de

leurs motivations Qursquoen est-il de leurs familles qui tendent agrave ecirctre deacutesi-

gneacutees comme seules responsables de leurs actes (Mucchielli 2000) Quels

sont les effets du suivi judiciaire sur ces jeunes et sur leur famille Nom-

breux sont les travaux scientifiques franccedilais sur la deacutelinquance juveacutenile

mais ils portent davantage sur le systegraveme de prise en charge que sur les

populations suivies Selon Renouard (1995) la recherche franccedilaise a

mecircme deacutelaisseacute ce champ drsquoinvestigation

Cette orientation traditionnelle drsquoune partie de la recherche fran-

ccedilaise srsquoexplique notamment par des raisons de meacutethode ndash absence de

donneacutees disponibles difficulteacutes drsquoaccegraves au terrain Ceux qui srsquoy sont

essayeacutes savent combien il est difficile drsquoapprocher ces populations combien

lrsquoimmersion dans leur milieu de vie est longue et ardue Entrer en contact

se faire accepter connaicirctre leur milieu de vie sont pourtant des conditions

si ce nrsquoest suffisantes du moins incontournables pour tenter de comprendre

laquo de lrsquointeacuterieur raquo comment se constitue cette deacutelinquance qui apparaicirct

dans lrsquoactualiteacute sous la forme de laquo bandes de jeunes raquo et de laquo quartiers

sensibles raquo ces cateacutegories constituant le prisme agrave travers lequel la deacutelin-

quance juveacutenile est communeacutement appreacutehendeacutee Il ne srsquoagit donc pas ici

de traiter de la deacutelinquance en geacuteneacuteral mais de celle des mineurs issus

de milieux populaires dont les familles reacutesident dans des zones stigma-

tiseacutees Le questionnement poseacute les reacutesultats ne prendront sens qursquoen les

resituant dans ce cadre ce contexte speacutecifique

La citeacute des laquo 804 raquo quartier populaire drsquoune ville de moyenne impor-

tance de lrsquoEst de la France est qualifieacutee par les meacutedias de laquo zone de non-

droit raquo Parmi ses 1200 habitants nombreux sont ceux qui vivent ce lieu

comme inseacutecure et stigmatisant de nombreuses opeacuterations conduites

notamment dans le cadre de la Politique de la Ville tentent de changer

cette image Si les causes et les solutions proposeacutees par les diverses cateacute-

gories drsquoacteurs sont diffeacuterentes voire opposeacutees tous sont unanimes pour

deacutesigner les jeunes de la citeacute comme eacutetant les principaux responsables des

problegravemes locaux Ce sont certains de ces jeunes qui sont au centre de

cette recherche Ils ont comme point commun drsquoavoir appartenu agrave un

mecircme groupe de pairs ayant pris aux yeux des habitants et des acteurs

institutionnels la forme souterraine et dangereuse drsquoune bande Ces jeunes

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ont par ailleurs tous eacuteteacute condamneacutes par la justice des mineurs et suivis

dans le cadre du service eacuteducatif aupregraves du tribunal (SEAT)

1

Les carac-

teacuteristiques socioeacuteconomiques de ces enquecircteacutes correspondent agrave celles des

mineurs suivis au peacutenal par le SEAT fils drsquoouvriers ou de chocircmeurs dont

lrsquoacircge est compris entre 16 et 21 ans releacutegueacutes sur le plan socioscolaire

(enseignement et institutions speacutecialiseacutes) et professionnel (chocircmage dis-

positif drsquoinsertion)

Traiter de la deacutelinquance juveacutenile en prenant pour population des

jeunes habitant qui plus est dans des quartiers dits sensibles neacutecessite

quelques preacutecautions Toute deacutelinquance nrsquoest pas le fait de laquo jeunes raquo

tout jeune deacutelinquant nrsquohabite pas dans un quartier populaire tout quar-

tier populaire ne geacutenegravere pas de la deacutelinquance Rappelons avec Bachmann

(1994) que laquo Pas plus que les jeunes les ldquoquartiersrdquo ne sont un objet

scientifique construit raquo Dans ce domaine toute geacuteneacuteralisation est men-

songegravere Telle banlieue est calme et paisible telle autre est une chaudiegravere

sous pression Il est donc aberrant de chercher lagrave un principe unificateur

permettant de cerner agrave lui seul lrsquoensemble des conduites des jeunes

de banlieues

61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE

LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES

Parmi les principales perspectives theacuteoriques de la deacutelinquance juveacutenile

certaines utilisent questionnaires et entretiens preacuteconstruits et preacutecodeacutes

pour objectiver le deacutelinquant en tendant agrave lrsquoenfermer dans une seacuterie de

facteurs laquo biopsychosocioculturels raquo drsquoautres centrent leur attention sur

le fonctionnement des institutions consideacuterant le plus souvent le deacutelin-

quant comme une laquo cire molle faccedilonneacutee par le jeu des structures raquo (Dubet

1987) Comment alors appreacutehender lrsquoacteur ses pratiques et le sens qursquoil

leur donne Comment comprendre la constitution de son parcours

Lrsquoapproche biographique redeacutecouverte en France gracircce aux travaux

de Bertaux (1980) apparaicirct comme lrsquoune des deacutemarches les plus perti-

nentes pour pouvoir reacutepondre agrave ce type de questionnement Suivre la

transformation progressive des attitudes face aux eacuteveacutenements auxquels il

se confronte et acceacuteder agrave une expeacuterience sociale laquo vue de lrsquointeacuterieur raquo laquo agrave

la deacutefinition de la situation raquo par lrsquoacteur lui-mecircme tel est lrsquoobjectif de

cette recherche agrave lrsquoinstar de ce qui est devenu le souci central de la

1 Ce service a pour mission principale la mise en œuvre des deacutecisions de justice au titrede lrsquoenfance deacutelinquante il deacutepend de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

perspective interactionniste (de Queiroz 1994)

2

Il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexpeacute-

rience subjective de lrsquoindividu expeacuterience conccedilue ici comme la reacutesultante

drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions eacutetant agrave penser

comme un processus de neacutegociation Ce processus loin drsquoecirctre lineacuteaire

est au contraire ponctueacute de laquo passages statutaires raquo marqueacute par des

laquo accidents biographiques raquo qui creacuteent des ruptures (lrsquoexclusion scolaire

une condamnationhellip)

Le point de vue de lrsquoacteur bien qursquoimportant ne suffit pas pour

comprendre globalement une situation encore faut-il le replacer au sein

des rapports sociaux ce point de vue eacutetant dans une certaine mesure la

reacutesultante drsquoun reacuteseau interrelationnel lui-mecircme inseacutereacute dans une socieacuteteacute

ineacutegalitaire Autrement dit ce point de vue est ici consideacutereacute comme sinon

le reflet du moins la reacutesultante ou la maniegravere de reacuteagir agrave une histoire qui

srsquoest constitueacutee dans et agrave travers le social Pour rejoindre Balandier (1983)

lrsquolaquo objectif [ de la biographie ] est drsquoacceacuteder [ par lrsquointeacuterieur ] agrave une reacutealiteacute

qui deacutepasse le narrateur et le faccedilonne Il srsquoagit de saisir le veacutecu social le

sujet dans ses pratiques dans la maniegravere dont il neacutegocie les conditions

sociales qui lui sont particuliegraveres raquo

La dimension diachronique permet de comprendre comment lrsquoon

devient deacutelinquant laquo comment les habitudes les attitudes et la philoso-

phie de vie qui sous-tendent les actes deacutelinquants se sont construites pro-

gressivement agrave travers les expeacuteriences sociales successives du deacutelinquant

durant un certain nombre drsquoanneacutees raquo (Shaw 1931 p 13) Elle contribuera

agrave deacutemontrer que les actes deacutelinquants proviennent moins de processus

pathologiques que de processus normaux les individus se transforment

par eacutetapes successives agrave la suite des interrelations propres au milieu et

avec les autres et de laquo choix raquo successifs veacutecus par eux (Digneffe 1989)

Si cette deacutemarche deacutecoule plus drsquoun choix imposeacute par la speacutecificiteacute

du questionnement et de la probleacutematique de cette recherche que par des

preacutesupposeacutes ideacuteologiques et meacutethodologiques en faveur du laquo qualitatif raquo

et contre le laquo quantitatif raquo ces preacutesupposeacutes existent neacuteanmoins et doivent

ecirctre expliciteacutes Les deux principaux preacutesupposeacutes sur lesquels repose cette

approche consistent agrave reconnaicirctre lrsquoindividu comme un acteur ayant donc

une capaciteacute strateacutegique et son expeacuterience comme un savoir repreacutesentant

2 Notons avec ces auteurs que la notion de biographie est preacutesente dans le travail socio-logique degraves les deacutebuts de lrsquoEacutecole de Chicago sous la forme des laquo histoires de vie raquo Troisauteurs ont marqueacute la production de lrsquoEacutecole de Chicago par lrsquousage de documentsautobiographiques W Thomas et F Znaniecki (dans

The Polish Peasant in Europe andAmerica

Boston Bagder 1918) qui voient la biographie comme la meacutethode sociolo-gique par excellence pour connaicirctre la socieacuteteacute CR Shaw (dans

The Jack-Roller

ChicagoUniversity of Chicago Press 1931) et EH Sutherland (dans

The Professionnal Thief

Chicago University of Chicago Press 1937)

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de ce fait une valeur sociologique Si lrsquoindividu est un acteur dans le sens

ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passivement les effets

il est cependant conditionneacute par les structures sociales Produit des struc-

tures qursquoil contribue agrave produire voilagrave comment lrsquoindividu est conccedilu ici

La biographie permet de saisir cette double dimension de lrsquoindividu en

opeacuterant laquo la meacutediation de lrsquoacte agrave la structure de lrsquohistoire individuelle agrave

lrsquohistoire sociale en passant par un reacuteseau de meacutediations sociales qui sont

autant de lieux de tension entre individus et groupes sociaux placeacutes dans

des relations ineacutegalitaires et conflictuelles raquo (Ferrarotti 1990) Crsquoest lagrave que

reacuteside la valeur heuristique drsquoune telle approche

Srsquoappuyant sur la meacutethode biographique il srsquoagit de reconstituer le

processus de constitution de la deacutelinquance de chacun des six jeunes

individus qui ont accepteacute de participer agrave cette recherche Pour y parvenir

une soixantaine drsquoentretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec les jeunes leurs proches

(famille et pairs) et les professionnels qui ont eu agrave les suivre agrave un moment

donneacute (enseignants animateurs assistantes sociales eacuteducateurs magistrats)

drsquoautres donneacutees ont eacuteteacute extraites de documents institutionnels livrets et

bulletins scolaires dossiers de la mission locale ceux du centre drsquoorienta-

tion et drsquoaction eacuteducative (COAE) et du SEAT procegraves-verbaux dossiers

judiciaires

3

Lrsquoanalyse du mateacuteriau se rapportant agrave chacun des cas permet lrsquoiden-

tification de significations et de processus particuliers Leur comparaison

fait apparaicirctre des reacutecurrences des logiques drsquoaction semblables Leur

confrontation contribue agrave mettre au jour les configurations particuliegraveres

dans lesquelles ces logiques agissent Les donneacutees empiriques qui seront

restitueacutees mettent en eacutevidence de maniegravere archeacutetypique les meacutecanismes

agrave lrsquoœuvre dans le processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile Ils

renvoient de maniegravere transversale agrave deux dimensions ces deux dimen-

sions eacutetant eacutetroitement imbriqueacutees la construction identitaire de ces

mineurs les renvoyant agrave leur place au sein des rapports sociaux

3 Parvenir agrave associer les professionnels de la gestion de la deacuteviance a reacutesulteacute drsquoun pro-cessus long et complexe drsquointeractions entre des personnes qui avaient des inteacuterecirctsdivergents agrave la reacutealisation de ce travail agrave la connaissance qursquoil apporterait agrave la diffusionqui en serait faite Lrsquoaccegraves au terrain implique en effet le deacutevoilement de savoirs surdes populations savoirs qui sont sources de pouvoirs (voir plus loin la note 6 Quellesconseacutequences aurait cette divulgation de savoirs sur leurs pouvoirs pouvoirs de traite-ment de cateacutegories entiegraveres de la population Quelles conseacutequences aurait cette recher-che sur la repreacutesentation leacutegitime de la deacuteviance et de son traitement que chaqueinstitution tente drsquoimposer )

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute DE DEacuteLINQUANT

Agrave TRAVERS LA PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE

Lrsquoanalyse deacuteveloppeacutee ici ne rend pas compte de lrsquointeacutegraliteacute des meacutecanismes

de la deacutelinquance juveacutenile mais plutocirct drsquoun pheacutenomegravene preacutecis la cocons-

truction de lrsquoidentiteacute de deacutelinquant agrave travers la prise en charge institution-

nelle

4

Lrsquohistoire de vie de Slimane

5

et celle de Farid mettent en eacutevidence

le rocircle que peuvent jouer les reacutegulations institutionnelles dans le renfor-

cement du processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile et dans

la reproduction intrageacuteneacuterationnelle de ce pheacutenomegravene Ces effets srsquoils

ont pu ecirctre repeacutereacutes ici ne sont pas automatiques comme le montrent les

autres histoires de vie La probabiliteacute qursquoils se produisent est cependant

drsquoautant plus grande que le suivi judiciaire srsquoinscrit dans des configura-

tions particuliegraveres (spatiales familiales sociales eacuteconomiques et culturelles)

Lrsquohistoire de vie de Kamel montre ainsi le rocircle des reacutegulations sociales

geacuteneacuterales ndash par opposition aux reacutegulations speacutecialiseacutees dans la gestion de

la deacuteviance ndash dans la preacuteformation drsquoidentiteacutes neacutegatives et dans la

preacuteconstruction de parcours deacutelinquants

63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT

Agrave 16 ans Slimane est incarceacutereacute pour la premiegravere fois Quelques mois plus tard

il est condamneacute agrave sept ans drsquoemprisonnement Comment expliquer le ren-

forcement du processus de constitution de la deacutelinquance du mineur alors

que le suivi institutionnel sera drsquoanneacutee en anneacutee de plus en plus important

631 D

E

LA

CONSTRUCTION

D

rsquo

UN

PARCOURS

DE

DEacuteLINQUANT

hellip

Agrave 12 ans Slimane comparaicirct pour la premiegravere fois pour vol devant un

juge des enfants Il est reconnu coupable Le processus formel de consti-

tution de la deacutelinquance juveacutenile vient de srsquoenclencher

6

Non seulement

il ne srsquoarrecirctera plus mais il ne cessera de se renforcer Se succegravedent alors

4 Lrsquoeacutetude des autres dimensions qui interviennent dans la construction de parcours deacutelin-quants notamment le rocircle de la famille des pairs et des habitants est deacuteveloppeacuteeailleurs C Carra

Deacutelinquance juveacutenile et quartiers laquo sensibles raquo histoires de vie

ParisLrsquoHarmattan coll laquo Deacuteviance et Socieacuteteacute raquo 2001

5 Les preacutenoms sont fictifs mais ils tiennent compte de lrsquoorigine culturelle des enquecircteacutes

6 Comme dans Chamboredon (1971) est ici distingueacute le processus informel de constitu-tion de la deacutelinquance juveacutenile du processus formel Le processus deacutebute de maniegravereinformelle dans lrsquoentourage du jeune (voisinage eacutecolehellip) qui le met progressivementagrave lrsquoeacutecart et le deacutesigne au soupccedilon des institutions de reacutepression de la deacutelinquance puisil se poursuit de faccedilon formelle avec les diverses institutions chargeacutees de deacutetecter jugerpunir et amender les jeunes deacutelinquants La police joue un rocircle central dans le passagede lrsquoun agrave lrsquoautre en intervenant agrave la suite de lrsquoinfraction et en la qualifiant

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infractions arrestations comparutions jugements condamnations Les

mesures judiciaires se succegravedent des mesures drsquoaction eacuteducative en milieu

ouvert agrave des peines drsquoemprisonnement en passant par la simple admones-

tation des placements en foyer de lrsquoenfance et en centre eacuteducatif des

peines drsquoemprisonnement avec sursis assorties ou pas drsquoune mise agrave

lrsquoeacutepreuve des mesures de liberteacute surveilleacutee

Cet itineacuteraire est marqueacute agrave la fois par des faits judiciairement deacutefinis

(vols simples vols avec effraction vols avec effraction et deacutegradations

volontaires vols avec effraction et reacuteunionhellip) et par une peacuteriodisation des

reacuteponses institutionnelles ougrave trois phases peuvent se distinguer une

peacuteriode de simple admonestation et de mesures eacuteducatives en milieu

ouvert une peacuteriode de placements eacuteducatifs et une peacuteriode drsquoincarceacutera-

tions Une telle gradation dans les pratiques institutionnelles agrave partir du

moment ougrave la police intervient et institue le mineur en tant que deacutelin-

quant en le deacutefeacuterant agrave lrsquoinstance judiciaire constitue lrsquoune des principales

caracteacuteristiques des parcours des mineurs multireacutecidivistes (Leacuteomant et

Sotteau-Leacuteomant 1987)

Cette trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation des mesures et par la

prise en charge institutionnelle de plus en plus totale apparaicirct comme

une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances de passer drsquoun

degreacute agrave lrsquoautre sans cesse rappeleacutees par les mises en garde des diffeacuterents

professionnels laquo

Agrave force agrave force tu vas pas aller tregraves loin

raquo dit Slimane para-

phrasant le discours du juge des enfants Les placements dont il fait lrsquoobjet

sont cependant loin drsquoecirctre banaliseacutes par le mineur

ndash

Je suis resteacute

[au centre eacuteducatif]

enfin deux ans Mais sur deux ansje suis pas resteacute deux ans je fuguais beaucoup je partais beaucoup

ndash Pourquoi tu partais

ndash

Comme ccedila parce que jrsquoen avais marre Ccedila mrsquoarrivait drsquoavoir le cafardhellipCrsquoest lrsquoentourage crsquoest lrsquoentourage que jrsquoaime pas et puishellip Je savais quecrsquoeacutetait pas un lieu ougrave je devais me trouver

Pour autant le mineur semble avoir inteacuterioriseacute lrsquoavenir auquel il

paraicirct promis laquo

De toute maniegravere je sais que crsquoest sucircr que je vais tomber dans letrou

7

raquo dit-il Une telle trajectoire influe sur lrsquoimage que lrsquoindividu a de

lui-mecircme et de ses perspectives drsquoavenir

Agrave la diffeacuterence drsquoune seacuterie de places ou de statuts deacutepourvus delien les statuts ordonneacutes drsquoune carriegravere influencent profondeacutementla repreacutesentation qursquoun individu a de lui-mecircme et particuliegraverementpar lrsquoavenir objectiveacute que repreacutesentent les statuts auxquels il est

7 Il nrsquoa alors encore jamais eacuteteacute incarceacutereacute

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

ou laquo paraicirct raquo promis La carriegravere deacutelinquante existe comme uneseacuterie drsquoeacutetablissements et de situations juridiques qui marquent desdegreacutes de deacutelinquance nettement deacutefinis dont lrsquoobjectivation estdrsquoautant plus complegravete et inscrite dans des traitements et deseacutetablissements deacutetermineacutes que lrsquoon se situe plus loin de la pre-miegravere eacutetape celle qui ne comporte qursquoune instruction rapide etse termine par une simple admonestation avec remise agrave la famille(Chamberodon 1971 p 371)

Les chances de passer drsquoun degreacute agrave un autre augmentent au fur et

agrave mesure que lrsquoon avance dans cette carriegravere Avec les placements se

multiplient les occasions drsquoentraicircnement et drsquoapprentissage au contact de

deacutelinquants plus expeacuterimenteacutes

[hellip]

quand je suis rentreacute

[au centre eacuteducatif]

ils croyaient enfin mesparents que je sortirais peut-ecirctre pas bien bien mais peut-ecirctre que jrsquoauraisappris un peu quelque chosehellip mais en fait je suis sorti jrsquoeacutetais pire quelagrave-bas parce que crsquoest pareil ils nous mettent tous ensemble on se retrouvelagrave-bas ils sont tous dans le mecircme cas que moi et puis on est encoreensemble crsquoeacutetait comme qursquoon eacutetait crsquoest pareil on se fait des copains crsquoesttoujours pareil on volait lagrave-bas

(Slimane)

Srsquoaccroissent simultaneacutement la surveillance et la seacuteveacuteriteacute du systegraveme

de justice peacutenale Les incarceacuterations se preacutesentent comme une conseacute-

quence du parcours qui preacutecegravede le mineur tout en semblant sans cesse le

devancer Ce parcours prend la forme drsquoune veacuteritable carriegravere de deacutelin-

quant ndash au sens de Becker (1963) ndash et ce malgreacute un appareillage institu-

tionnel du mineur et de sa famille de plus en plus important dont lrsquoobjectif

annonceacute est de mettre fin agrave une telle carriegravere

Dire avec Foucault (1975) que laquo [le] deacutelinquant est un produit drsquoins-

titution Inutile par conseacutequent de srsquoeacutetonner que dans une proportion

consideacuterable la biographie des condamneacutes passe par tous ces meacutecanismes

et eacutetablissements dont on feint de croire qursquoils eacutetaient destineacutes agrave eacuteviter la

prison raquo crsquoest reconnaicirctre qursquoil existe des tendances lourdes La trajectoire

de Slimane est caracteacuteristique des trajectoires types qui conduisent les

individus depuis les niveaux drsquoinclusion repreacutesenteacutes par les groupes pri-

maires vers les agences speacutecialiseacutees eacutemanant du pouvoir drsquoEacutetat et cela agrave

travers un certain nombre drsquoordres intermeacutediaires qui balisent de faccedilon

systeacutematique ce type de trajet

Le parcours du mineur nrsquoest pas pour autant la reacutesultante drsquoune

volonteacute partageacutee entre les diffeacuterents intervenants institutionnels Multiples

sont leurs logiques drsquoaction Conflictuelles peuvent ecirctre les interactions

[hellip]

il a eacuteteacute mis en examen et crsquoest lagrave donc ougrave avec Mme L

[juge desenfants]

on a reacuteclameacute la mise en deacutetention Moi je ne parlais pas demise en deacutetention je parlais de coup de semonce parce qursquoil fallait qursquoil

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arrecircte de nous prendre pourhellip pour des rigolos

[hellip]

Le problegraveme crsquoestqursquoon srsquoest trouveacute devant un juge deacuteleacutegueacute qui a dit de toute faccedilon a priorije ne mets pas des mineurs de 16 ans en maison drsquoarrecirct mais de toutefaccedilon crsquoest un gosse Donc voyant ccedila Slimane de toute faccedilon ahellip a joueacuteson va-tout (eacuteducateur du SEAT)

Conflits de pratiques qui se justifient les unes par la connaissance

du laquo cas raquo les autres par le respect de la politique peacutenale conflits aussi de

pouvoir entre professionnels occupant une position hieacuterarchique diffeacuterente

au sein de lrsquoinstitution judiciaire mais aussi confrontation de temporaliteacutes

diffeacuterentes logique du court terme pour lrsquoeacuteducateur qui doit agir rapide-

ment lorsqursquoun problegraveme se preacutesente logique du moyen et du long terme

pour le juge qui entend faire respecter lrsquoorientation de la politique peacutenale

Ces temporaliteacutes diffeacuterentes rendent difficile une coordination des actions

drsquoautant plus difficile que ces actions impliquent non seulement des pra-

tiques diversifieacutees mais aussi une vision du monde diffeacuterente un systegraveme

de repreacutesentations divergent Crsquoest ce qui explique aussi que des reacuteponses

contradictoires sont proposeacutees par les professionnels de terrain contra-

dictions si souvent releveacutees par ces mecircmes professionnels

Cette difficulteacute de travailler ensemble paraicirct aussi attibuable au poids

des enjeux de pouvoir Comment comprendre autrement la reacuteticence agrave

eacutechanger les savoirs entre acteurs savoirs accumuleacutes sur les mecircmes

publics issus des mecircmes terrains Lrsquoexplication qursquoen donnent certains

est la parcellarisation des connaissances et leur destination agrave usage interne

Drsquoautres en appellent au devoir de reacuteserve au secret professionnel ou

deacuteontologique Le secret dit Enriquez (1983) est consubstantiel au savoir

et comme Foucault (1975) le montre le savoir est correacutelatif du pouvoir

dans notre type de socieacuteteacute

8

Derriegravere le secret professionnel ou deacuteontolo-

gique il peut srsquoagir moins de laquo proteacuteger raquo des publics en refusant de divul-

guer le savoir que lrsquoon a accumuleacute sur eux que de proteacuteger sa position

dans le champ protection qui passe par la reacutetention de savoirs speacutecifiques

et sur lesquels se fonde le pouvoir des acteurs

Certains invoqueront lrsquoatomisation des publics en fonctions colleacute-

giens jeunes en difficulteacute deacutelinquants juveacutenileshellip Cette atomisation des

publics en fonctions ou plutocirct cette cateacutegorisation constitue la base sur

laquelle repose la leacutegitimiteacute drsquointervention des institutions et associations

Elle permet le partage entre les diffeacuterentes organisations du mecircme public

consideacutereacute comme une clientegravele speacutecifique Crsquoest aussi ce qui permet agrave une

8 Foucault (1975 p 32) explique en effet laquo qursquoil nrsquoy a pas de relation de pouvoir sansconstitution correacutelative drsquoun champ de savoir ni de savoir qui ne suppose et constitueen mecircme temps des relations de pouvoir raquo

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162

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

multitude drsquoinstitutions drsquointervenir aupregraves drsquoune mecircme famille Dans la

citeacute des laquo 804 raquo la concurrence pour controcircler le marcheacute est drsquoautant plus

vive entre les professionnels qursquoils sont de plus en plus nombreux agrave exercer

en ce lieu

Ces temporaliteacutes institutionnelles srsquoopposent aussi agrave la temporaliteacute

propre des mineurs pris en charge celle du moment qui refuse laquo la pro-

messe des plaisirs diffeacutereacutes et diffeacuterents en eacutechange du renoncement immeacute-

diat agrave des plaisirs directement ou immeacutediatement sensibles raquo (Bourdieu

1972 p 209) Opposition entre la logique institutionnelle de la continuiteacute

et la logique individuelle de la discontinuiteacute Cette logique du mineur

constitue pour les professionnels la principale cause de lrsquoeacutechec de la prise

en charge Le jeune est resteacute selon eux laquo

insaisissable

raquo toujours laquo

opposeacute

raquo

agrave leurs actions pour reprendre des termes qui traduisent le mieux

lrsquoimpression qui leur reste de Slimane Crsquoest drsquoailleurs parce que les pro-

fessionnels ne reacuteussissent pas agrave imposer la temporaliteacute qui caracteacuterise leur

institution que la prison leur apparaicirctra finalement comme la meilleure

solution pour parvenir agrave imposer un autre temps au mineur en lrsquooccurrence

le temps carceacuteral auquel il est difficile drsquoeacutechapper

Ces logiques individuelles professionnelles institutionnelles de

lrsquourgence du court moyen et long terme de la discontinuiteacute et de la

continuiteacute sous-tendues par des pratiques et des repreacutesentations speacuteci-

fiques recouvrant elles-mecircmes des enjeux divergents se croisent srsquoentre-

croisent se confrontent srsquoaffrontent pour creacuteer finalement la trajectoire

judiciaire de Slimane Cette trajectoire srsquoancre dans une repreacutesentation

partageacutee par les diffeacuterentes cateacutegories de professionnels de la personnaliteacute

du mineur une personnaliteacute deacutelinquantehellip

632 hellip

Agrave

CELLE

D

rsquo

UNE

PERSONNALITEacute

DEacuteLINQUANTE

Ce nrsquoest pas seulement un itineacuteraire de deacutelinquant qui se construit de

renvoi en renvoi crsquoest aussi une personnaliteacute de deacutelinquant qui srsquoeacutelabore

de discours en discours Les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de

la deacutelinquance (eacuteducateurs speacutecialiseacutes eacuteducateurs de justice psychiatres

juges des enfants) srsquoaccordent unanimement agrave reconnaicirctre agrave Slimane une

personnaliteacute deacutelinquante personnaliteacute que chacun drsquoentre eux contribue

agrave constituer Cette eacutelaboration srsquoeffectue selon une double logique drsquoune

part la reconstruction du passeacute du mineur en fonction de ses derniers

passages agrave lrsquoacte les faits seacutelectionneacutes en conseacutequence constituant des

indices reacuteveacutelateurs drsquoune deacutelinquance anteacuterieure voire originelle (Kitsuse

[1962] parle drsquointerpreacutetation reacutetrospective ce pheacutenomegravene correspondant

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163

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agrave un meacutecanisme de renforcement de lrsquoeacutetiquetage des deacuteviants) drsquoautre

part la reacutealisation drsquoun portrait de deacutelinquant par reacutetreacutecissement des attri-

buts pour se reacuteduire finalement et uniquement agrave lrsquoattribut de deacutelinquant

Si tout passeacute semble se reconstruire agrave la lumiegravere du preacutesent et donc

des derniers faits lrsquoeacutelaboration drsquoun portrait est drsquoautant plus caricatural

que les faits consideacutereacutes repreacutesentent des transgressions aux normes domi-

nantes Certains attributs ont un poids deacuteterminant dans la deacutefinition drsquoun

individu Crsquoest le cas de laquo voleur raquo laquo ldquoVoleurrdquo eacutelimine ou reacutetreacutecit tous les

attributs de lrsquohomme Une eacutetiquette antisociale simplifie le portrait de

lrsquoindividu en traitant quelqursquoun de voleur vous reacuteduisez agrave lrsquoinsignifiance

les autres rocircles et attributs qursquoil pourrait avoir excepteacute celui drsquoecirctre voleur raquo

(Shoham 1968 p 385) Si la personne a eacuteteacute condamneacutee on preacutesume en

outre qursquoelle est susceptible de commettre drsquoautres infractions

Lrsquoeacutelaboration drsquoune personnaliteacute de deacutelinquant selon ce processus

de reconstruction drsquoune vie apporte une coheacuterence agrave un ensemble de

discours qui nrsquoest pas coheacuterent La comparaison des discours des profes-

sionnels sur lrsquointerpreacutetation du comportement deacuteviant de Slimane montre

des divergences voire des oppositions pathologie pour lrsquoassistante

sociale mode de vie deacutelinquant des parents pour lrsquoeacuteducateur speacutecialiseacute

pegravere violent et megravere surprotectrice pour lrsquoeacuteducateur du SEAT

9

Si crsquoest au niveau de lrsquoeacutetiologie de la deacutelinquance juveacutenile que les

oppositions semblent les plus eacutevidentes tous srsquoentendent cependant tout

en contribuant agrave sa construction sur le caractegravere deacutelinquant de Slimane

ce qui permet simultaneacutement de diminuer les oppositions entre les diffeacute-

rentes approches et drsquoobtenir un portrait apparemment coheacuterent du

mineur Cette coheacuterence reacutesulte donc moins des discours que du produit

qui en reacutesulte ndash un portrait de deacutelinquant Se constitue ainsi le steacutereacuteotype

du deacutelinquant steacutereacuteotype selon lequel Slimane est traiteacute et ce drsquoautant

plus leacutegitimement que ce steacutereacuteotype est la reacutesultante de discours drsquoauto-

riteacute autoriteacute baseacutee agrave la fois sur la leacutegitimiteacute des intervenants ndash des speacutecia-

listes de la deacutelinquance ndash et sur la leacutegitimiteacute de leur discours ndash discours

drsquoexperts agrave preacutetention scientifique (Bourdieu 1982)

633 Lrsquo

INTEacuteRIORISATION

D

rsquo

UN

DESTIN

DE

DEacuteLINQUANT

ET SON ACTUALISATION

Les effets de trajectoire se conjuguent avec les effets propres des discours

que tiennent les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelin-

quance sur Slimane Crsquoest en reprenant ces discours que le mineur parle

9 Notons que cette diffeacuterence drsquointerpreacutetation se traduit par des pratiques opposeacutees pourle laquo traiter raquo

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164

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de lui ou plus exactement laquo est parleacute raquo Si ce meacutecanisme est reacuteveacutelateur

drsquoun rapport de domination il fait aussi apparaicirctre lrsquointeacuteriorisation de ce

rapport de domination comme eacutetant leacutegitime lrsquointeacuteriorisation de lrsquoimage

qui reacutesulte de ce rapport de domination donnant lrsquoimage de deacutelinquant

par laquelle le mineur se deacutefinit

ndash Et pourquoi tu as eacuteteacute placeacute

ndash

Pour la deacutelinquance Jrsquoeacutetais deacutelinquant Et agrave force agrave force ils mrsquoontplaceacute dans un centre

Lrsquoeffet drsquoimposition de cette deacutefinition est drsquoautant plus grand que

la classe sociale drsquoappartenance de Slimane (la classe ouvriegravere) doubleacutee

de son origine ethnique (arabe) et de son acircge (adolescence) le fait appar-

tenir agrave des cateacutegories marginaliseacutees et assisteacutees deacuteviantes et surveilleacutees

laquo En toute probabiliteacute la reacuteceptiviteacute du deacuteviant criminel primaire au rocircle

de criminel qursquoon lui impute est plus grande quand la conception de soi

qursquoa deacutejagrave lrsquoindividu est dicteacutee par une deacutefinition sociale plus large de son

statut et de sa classe comme sociopathique raquo (Lemert 1951 p 318) Neacutean-

moins Slimane ne constitue pas une cible passive du traitement institu-

tionnel et de la stigmatisation qui en deacutecoulehellip passiviteacute agrave quoi auraient

eu tendance agrave le reacuteduire les thegraveses du controcircle social Multiples sont ses

reacuteponses de la reacutebellion agrave la provocation en passant par lrsquoutilisation du

systegraveme que lrsquointelligence qursquoil srsquoen est forgeacutee anneacutee apregraves anneacutee lui

permet de faire

La repreacutesentation que les adolescents forment drsquoeux-mecircmes est

cependant affecteacutee par leur passage dans le systegraveme de justice peacutenale

lrsquoimage de deacutelinquant leur est renvoyeacutee tout au long du processus drsquoins-

truction de jugement et de traitement Les mineurs de justice ont une

image plus deacutevaloriseacutee drsquoeux-mecircmes que les autres mineurs drsquoautant plus

deacutevaloriseacutee qursquoils sont plus engageacutes dans la deacutelinquance (Malewska-Peyre

1988) La prison contribue agrave lrsquoinstallation du jeune dans une image neacutega-

tive du deacutelinquant qui a transgresseacute la loi et qui est jugeacute indeacutesirable dans

la vie normale drsquoune socieacuteteacute Lrsquointeacuteriorisation drsquoune telle image favorise

la continuation de la deacutelinquance (Camilleri Karstersztein Lipiansky

Malewska-Peyre Taboada-Leonetti et Vasquez 1990) Lrsquoeacutetiquette de deacutelin-

quant contribue finalement agrave produire ce qursquoapparemment elle deacutecrit ou

deacutesigne Peut-on dire avec Shoham (1968 p 375) que laquo nommer appeler

deacutefinir eacutetiqueter ne simule pas la reacutealiteacute crsquoest la reacutealiteacute mecircme raquo La

modification de la repreacutesentation de la reacutealiteacute semble en tout cas pouvoir

entraicircner la modification de cette derniegravere par le meacutecanisme de reacutealisation

par les individus des preacutevisions drsquoautrui (

self-fulfilling prophecy

)

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Le mineur finit non seulement par inteacuterioriser le stigmate de deacutelin-

quant (

self-labelling

10

) mais de surcroicirct en fait son identiteacute lrsquoactualisant

dans son mode de vie ce qui se traduit concregravetement par son inteacutegration

agrave un groupe organiseacute de

dealers

Tout se passe en fait comme si lrsquoidentiteacute

prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stigmatisant de celle-ci

eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassumer ces stigmates en

les renforccedilant

[hellip]

il y a des garages souterrains aux laquo 408 raquo lagrave dans les grandsgarages et il y avait eu 25 ou 30 voitures de fractureacutees ils eacutetaient agrave cemoment-lagrave 4 ou 5 dedans et puis sur le capot de la voiture Slimane avaitbaisseacute son pantalon et fait ses besoins et ccedila ccedila avait eacuteteacute tregraves choquant

[hellip]

ccedila faisait partie drsquoun jeu du gendarme et du voleur Donc lui agrave cemoment-lagrave eacutetait un voleur et que il pouvait crsquoest lui de toute faccedilon quieacutetablissait les regravegles (eacuteducateur du SEAT)

Laisser ses excreacutements sur laquo le lieu du crime raquo tient effectivement de

la provocation comme drsquoailleurs vandaliser et cambrioler la Maison pour

tous (MPT) de la citeacute en plein jour au vu et au su de tous comme encore

fumer du haschisch devant les travailleurs sociaux Crsquoest la mecircme volonteacute

de transgresser les codes sociaux et de lrsquoafficher ouvertement Crsquoest prou-

ver qursquoon est capable drsquoendosser le rocircle de deacutelinquant et non seulement

drsquoentrer dans le jeu mais de le mener de la place qui est la sienne Le

Moi est ainsi entiteacute reacutefleacutechie pour reprendre les propos de

Berger et

Luckman (1989 p 181)

[hellip] reacutefleacutechissant les attitudes adopteacutees drsquoabord par les autressignificatifs Lrsquoindividu devient lrsquoimage que les autres significatifsse font de lui il ne srsquoagit pas drsquoun processus unilateacuteral meacutecaniqueIl existe une dialectique entre lrsquoidentification et lrsquoauto-identificationentre lrsquoidentiteacute objectivement attribueacutee et subjectivement approprieacutee

64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE

DE LA DEacuteLINQUANCE

Slimane est aujourdrsquohui en prison Son jeune fregravere doit comparaicirctre en

justice Comment comprendre la reproduction de parcours deacutelinquants

au sein drsquoune mecircme famille Comment expliquer que dans cette autre

famille celle de Farid par cinq fois de fregravere en fregravere se reproduit le

10 Les recherches sur le

labelling

qui ont eacuteteacute les plus importantes avec les travaux deBecker Lemert Goffman et Matza montrent que le

labelling

impose tout agrave la fois unrocircle de deacutelinquant agrave un individu et une conscience de lui-mecircme comme deacutelinquant

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166

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile alors que chacun des

fregraveres sera laquo traiteacute raquo par un ensemble ndash de plus en plus important ndash de

professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelinquance Il ne srsquoagit

pas ici drsquoeacutetudier les strateacutegies eacuteducatives familiales face agrave la deacuteviance mais

drsquoanalyser ce que produit ici la confrontation des reacutegulations familiales et

institutionnelles sur les parcours des mineurs

641 DE LA DEacuteCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute FAMILIALEhellip

Les passages agrave lrsquoacte deacutelictueux leacutegitiment lrsquointervention de professionnels

au sein de la famille Leur travail doit permettre drsquoagir sur les causes des

comportements deacuteviants Ces causes sont rechercheacutees de maniegravere privileacute-

gieacutee dans le fonctionnement familial Y est souvent repeacutereacute un problegraveme

de limites que ces limites soient qualifieacutees de rigides ou de laxistes Les

reacutefeacuterents des mesures srsquoefforcent alors de donner des repegraveres de poser

des limites de laquo responsabiliser raquo les parents laquo de faire entendre raison raquo

aux mineurs La capaciteacute de poser les limites laquo adeacutequates raquo renvoie la

plupart du temps pour les travailleurs sociaux au rocircle et agrave la place de

chacun au sein de la famille ougrave ce travail de redeacutefinition induit un pro-

cessus de normalisation Il srsquoagit au mieux de faire adopter aux familles

les modegraveles dominants en matiegravere drsquoeacuteducation de rocircles parentaux de

place des enfants du moins de laquo faire prendre conscience raquo aux parents

que leur fonctionnement familial est dangereux pour le deacuteveloppement

de leurs enfants

Agrave travers la confrontation des reacutegulations institutionnelles et fami-

liales srsquoaffrontent ici deux modegraveles ndash modegravele reposant sur les normes

dominantes en matiegravere drsquoeacuteducation dans les classes moyennes franccedilaises

et modegravele srsquoancrant dans des valeurs et des principes traditionnels algeacuteriens

selon lesquels la famille de Farid apparaicirct drsquoabord fortement structureacutee ndash

et deux leacutegitimiteacutes ndash lrsquoautoriteacute de lrsquoacteur institutionnel repreacutesentant de

la socieacuteteacute drsquoinstallation et celle du pegravere sur sa famille qui est traditionnel-

lement sans partage

En reacutesulte une opposition du pegravere aux interventions institutionnelles

qursquoil vit comme une humiliation et une remise en cause de son autoriteacute

De fait et pour rejoindre Donzelot (1977 p 98) laquo [sa] fonction symbo-

lique drsquoautoriteacute crsquoest le juge qui lrsquoa accapareacutee sa fonction pratique

lrsquoeacuteducateur lrsquoen a deacutelesteacute raquo Lrsquoempreinte spatiotemporelle de lrsquoautoriteacute

judiciaire sur le fonctionnement familial est lagrave pour le rappeler Le temps

familial est devenu celui des convocations des comparutions des deacuteposi-

tions des jugements des mesures Lrsquoespace de la famille est investi par les

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assistantes sociales les eacuteducateurs speacutecialiseacutes les eacuteducateurs de justice

les policiers par tous ceux qui viennent enquecircter diagnostiquer eacutevaluer

traiterhellip normaliser

Lrsquoeacutevolution de la probleacutematique familiale semble devoir passer par

plusieurs eacutetapes il srsquoagit drsquoabord pour le travailleur social de nommer les

problegravemes cette opeacuteration devant contribuer agrave la laquo conscientisation raquo de

ses difficulteacutes par la famille lrsquoobjectif eacutetant qursquoelle parvienne agrave les verbaliser

la connaissance et la reconnaissance des problegravemes eacutetant pour le profes-

sionnel une condition neacutecessaire agrave leur reacutesolution (Carra et Faggianelli

1998) Cette logique a pour effet une polarisation sur les aspects neacutegatifs

qui contribuent agrave la constitution drsquoune image neacutegative chez les parents

Tout au long du suivi institutionnel crsquoest en effet lrsquoeacutechec de leur modegravele

eacuteducatif qui est pointeacute crsquoest lrsquoimage de parents deacutefaillants deacutemission-

naires ou violents qui leur est renvoyeacutee Crsquoest aussi leur modegravele culturel

qui est jugeacute tellement les relations avec les familles drsquoorigine maghreacutebine

et plus encore algeacuterienne comme celle de Farid restent marqueacutees par la

meacutemoire des rapports entre coloniseacutes et colonisateurs laquo Le passeacute colonial

avec son ineacutegaliteacute fondamentale entre le groupe colonisateur et le groupe

coloniseacute continue agrave deacutefinir lrsquohorizon des relations entre Algeacuteriens et

Franccedilais raquo (Schnapper 1986 p 150)

La confrontation entre reacutegulations familiales et reacutegulations institu-

tionnelles conduit alors agrave une crise de leacutegitimiteacute du modegravele familial tout

en provoquant des transformations de ce monde laquo leacutegitime raquo La peur du

placement des enfants va amener la megravere agrave coopeacuterer bien que ce faisant

elle se deacutesolidarise de son mari Cette coopeacuteration laquo obligeacutee raquo deviendra

adheacutesion au travail des intervenants tant et si bien que la megravere suivant

en cela les conseils qui lui sont donneacutes demandera la poursuite du suivi

judiciaire de Farid

La mesure de liberteacute surveilleacutee a pris fin le [date] Farid et sa famille nesemblent pas le comprendre Il me tient au courant reacuteguliegraverement de sesactiviteacutes et crsquoest tout naturellement que je suis solliciteacute degraves lrsquoeacuteteacute pour envi-sager la rentreacutee scolaire suivante Je demande alors agrave la megravere de formulerune demande de prise en charge (dossier SEAT)

Crsquoest aussi agrave la demande de Farid qursquoune mesure de protection

judiciaire pour jeune majeur est prise Ainsi les membres de la famille

contribuent-ils directement agrave construire le parcours judiciaire de Farid

Agrave la majoriteacute la recherche drsquoune nouvelle activiteacute se fait pressante Faridsollicite lrsquoeacuteducateur qui lrsquoincite agrave formuler une demande drsquoaide au juge desEnfants en tant que Jeune Majeur (dossier SEAT)

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168 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cette eacutevolution est reacuteveacutelatrice drsquoune conversion du monde familial

autour de ce monde speacutecialiseacute conversion qui srsquoeffectue avec la substitution

progressive des reacutegulations institutionnelles aux reacutegulations familiales

Le pegravere qualifieacute par les travailleurs sociaux de laquodistantraquo et de laquofuyantraquo

reacutesiste agrave ces changements Mais le comportement de sa femme (et de ses

enfants) interroge ce systegraveme si agrave lrsquointeacuterieur du modegravele patriarcal lrsquoindi-

vidu perccediloit habituellement la femme comme un ecirctre ayant et devant avoir

par rapport agrave lrsquohomme un statut subordonneacute les rocircles commencent ici agrave

srsquoinverser les intervenants faisant de la femme lrsquointerlocuteur privileacutegieacute

de la famille en matiegravere drsquoeacuteducation des enfants tout en contribuant agrave son

eacutemancipation Cette eacutemancipation se traduit par son investissement dans

lrsquoespace public espace public traditionnellement reacuteserveacute agrave lrsquohomme La

megravere se met en effet agrave participer agrave des reacuteunions agrave suivre des cours drsquoalpha-

beacutetisation des cours de conduite Au-delagrave de la transformation des rocircles

crsquoest tout un univers de sens qui est remis en question le sens de la

femme de lrsquohomme de la famille du temps de lrsquoespace

Avec le licenciement de lrsquohomme le rocircle traditionnel du pegravere srsquoeffondre

Lrsquohumiliation du pegravere parviendra agrave son apogeacutee lorsque arrivant en fin de

droits il devra se reacutesigner agrave faire appel aux travailleurs sociaux pour beacuteneacute-

ficier du revenu minimum drsquoinsertion (RMI) Srsquoensuivront une deacutegradation

morale et une stigmatisation lieacutees agrave lrsquoinfeacuterioriteacute de son statut caracteacuteris-

tiques de ce que Paugam (1991) appelle la laquo crise identitaire des fragiles raquo

La multiplication de reacutegulations institutionnelles contribue ainsi agrave

deacutereacuteguler lrsquoespace familial en srsquoopposant ou en ignorant la logique propre

de ces espaces La logique familiale se deacutesagregravege lrsquoidentiteacute familiale se

disloque Ce mecircme processus est deacutecrit avec grande preacutecision par Nicolas

(1984) dans son livre La pauvreteacute intoleacuterable

642 hellip Agrave LA RECONSTRUCTION DrsquoIDENTITEacuteS

INDIVIDUELLES NEacuteGATIVES

Avec le repeacuterage du comportement deacuteviant des fregraveres chacun drsquoeux va

faire lrsquoobjet drsquointerventions institutionnelles multiples ndash service social sco-

laire service social de secteur centre drsquoorientation et drsquoaction eacuteducative

foyer centre eacuteducatif police justice service eacuteducatif aupregraves du tribunal

prison Chacun sera ordonneacute selon les proceacutedures propres agrave ces institu-

tions tous seront au terme du processus de renvoi eacutetiqueteacutes objectiveacutes

et classifieacutes comme deacutelinquants Un agrave un les garccedilons vont donc ecirctre

appareilleacutes tutelliseacutes eacutechappant ainsi agrave leur famille

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Selon Beauchard (1981) lrsquoeacuteclatement de la famille et lrsquolaquo appareillage raquo

de ses membres constituent deux eacuteleacutements deacuteterminants dans la repro-

duction drsquolaquo itineacuteraires drsquoexclusion raquo

Dans le cas des itineacuteraires drsquoexclusion sociale [hellip] la neutralisa-tion de la dynamique (crisique) srsquoopegravere suivant les interventionsdrsquoun controcircle social speacutecialiseacute exteacuterieur au groupe perturbeacute lessituations probleacutematiques sont fragmenteacutees et donnent lieu agrave desreacuteponses articuleacutees sur des problegravemes speacutecifiques La deacutemarchesrsquoavegravere momentaneacutement efficace mais agrave terme il est observeacute queces interventions speacutecialiseacutees (tutelle placement reacuteeacuteducation trai-tement assistance surveillance) tissent un reacuteseau de relations dedeacutependance qui agrave leur tour engendrent des tensions et des conflits(Beauchard 1981 p 73)

Ces relations de deacutependance apparaissent dans la famille de Farid

Si au deacutebut les interventions sont veacutecues comme une violation de lrsquoespace

priveacute elles deviennent pour la megravere et les enfants neacutecessaires voire valo-

risantes En se montrant coopeacuterante la megravere acquiert en effet une cer-

taine reconnaissance sociale de la part des professionnels ce que ne

peuvent lui procurer ni le pegravere ni dans la situation preacutesente ses fils

Ces relations la situation de non-travail et de deacutelinquance structurent

leur identiteacute Chacun des membres en vient agrave se deacutefinir pour et par ces

eacuteleacutements Une identiteacute speacutecifique se constitue donc en rapport eacutetroit avec

les intervenants car laquo Tout au long de son eacutelaboration de soi le sujet [hellip]

est obligeacute de tenir compte de ce qui lrsquoentoure la fonction identitaire le

construisant indissolublement comme rapport agrave lui-mecircme et rapport agrave son

environnement raquo (Camilleri et Cohen-Emerique 1989 p 46)

On peut observer qursquoapregraves avoir favoriseacute la deacutestructuration de la

famille deacutestabiliseacutee par le comportement deacuteviant des fils les reacutegulations

institutionnelles seront progressivement inteacutegreacutees agrave son organisation

qursquoelles contribueront par ailleurs agrave changer Parallegravelement agrave ce processus

de deacutestructuration-restructuration de la famille srsquoopegravere une deacuteconstruction-

reconstruction de lrsquoidentiteacute des diffeacuterents membres agrave laquelle participent

directement ces reacutegulations Lrsquointervention institutionnelle de stigmati-

sante va finir par ecirctre perccedilue par le mineur et sa famille comme normale

puis neacutecessaire au fonctionnement familial et individuel

Ainsi si Farid srsquoest montreacute tregraves laquo fuyant raquo au deacutebut du suivi ainsi que

le souligne lrsquoeacuteducateur de justice les rapports ont eacutevolueacute structureacutes

notamment par une strateacutegie drsquoutilisation du systegraveme de prise en charge

Selon Goffman (1975) son laquo itineacuteraire moral raquo va progressivement lui per-

mettre drsquointeacutegrer ces relations dans son parcours comme eacutetant normales

et ce drsquoautant plus facilement que tous ses fregraveres et la plupart de ses pairs

sont suivis par un eacuteducateur

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170 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Srsquoil rejette drsquoabord lrsquoidentiteacute stigmatiseacutee qui lui est prescrite Farid

finit par revendiquer lrsquoidentiteacute sociale de laquo jeune agrave problegravemes raquo puis

celle de laquo chocircmeur raquo identiteacutes qui lui permettent agrave la fois drsquoobtenir une

reconnaissance sociale et drsquoacceacuteder agrave des aides Cette identiteacute ne ressort

cependant pas de lrsquoidentiteacute sociale virtuelle du stigmatiseacute qui procircne le

faux-semblant telle que lrsquoa preacutesenteacutee Goffman (1975) Au contraire elle

fonctionne comme un laquo point de vue raquo pour reprendre lrsquoexpression de ce

mecircme auteur neutralisant ainsi le normal et le stigmatiseacute En ce sens on

peut rejoindre Messu (1991 p 88) soulignant agrave propos des laquo assisteacutes raquo

[qursquoil] importe degraves maintenant drsquoaffirmer combien cette image[de lrsquoassisteacute] nrsquoest pas aussi preacuteconstruite qursquoon a bien voulu ledire Non qursquoon ait tort de voir dans les institutions de lrsquoAssistancesociale des instances de laquo marquage raquo social [hellip] Pour autant nousnous garderons de faire du marquage le seul principe drsquoattributiondrsquoidentiteacute et du sens laquo stigmatique raquo le pur produit de lrsquoinstitu-tion Dans cette production du sens nous ne pouvons faire abs-traction de ceux qui sont lrsquoobjet du stigmate et les porteurs delrsquoidentiteacute nous ne saurions exclure ceux sans qui lrsquoinstitution neserait pas Car crsquoest bien de la relation entre lrsquoinstitution et sesusagers que prend corps ce sens

Les individus participent ainsi eux aussi agrave la deacutefinition de leur statut

social deacutegradeacute en utilisant les marges drsquoautonomie et de reacutesistance qursquoils

possegravedent voire en manipulant les professionnels Les propos de Farid

sont reacuteveacutelateurs agrave cet eacutegard

[hellip] il [lrsquoeacuteducateur du SEAT] voulait pas me donner de lrsquoargent puisje lui fais drsquoaccord pour moi crsquoest pas un problegraveme ce que je vais faireje vais [hellip] voler

65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT Agrave UNE

PLACE DOMINEacuteE DANS LES RAPPORTS SOCIAUX

Si nombre de tenants de la perspective de la reacuteaction sociale sans doute

par biais ideacuteologique et aussi parfois par faiblesse meacutethodologique ont

focaliseacute leur attention sur lrsquoaction stigmatisante des institutions officielles

de controcircle social le systegraveme de justice peacutenale ainsi que lrsquoindiquent

Robert et Lascoumes (1974) nrsquoest pas self-started laquo Il ne srsquoapprovisionne paslui-mecircme dans la plupart des cas [hellip] raquo

En analysant par diffeacuterentes meacutethodes le temps consacreacute par les

agences policiegraveres agrave telle ou telle activiteacute on srsquoaperccediloit que la recherche

du crime et du criminel drsquoinitiative sans processus preacutealable de renvoi

est assez limiteacutee

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Non seulement ces agences ne se mettent geacuteneacuteralement pas en

action par elles-mecircmes mais de plus elles nrsquointerviennent parfois qursquoapregraves

un long processus informel de constitution de la deacutelinquance juveacutenile

Crsquoest ainsi qursquoau bout de six ans de repeacuterage de Slimane par son environ-

nement (quartier et eacutecole) apregraves nombre de reacutecriminations adresseacutees aux

travailleurs sociaux du quartier de plaintes deacuteposeacutees aupregraves de la police

et de signalements agrave la justice ces institutions ont reacuteagi

Le suivi judiciaire peut par ailleurs finir par ne plus ecirctre veacutecu comme

stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir le

support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire (crsquoest aussi ce que sou-

lignent Bruneteau et Lanzarini 1997) monde avec lequel ces mineurs ont

des relations distantes et conflictuelles Crsquoest drsquoailleurs drsquoabord au contact

de ce monde ordinaire que se constituent ces identiteacutes neacutegatives dans un

laquo quartier de releacutegation raquo ougrave les jeunes occupent une place domineacutee et

stigmatiseacutee (Delarue 1991)

Meacutepris et meacutefiance du monde que Kamel appelle le monde des

laquo bourges raquo (bourgeois) caracteacuterisent les interactions avec son monde et

celui de ses pairs ces interactions eacutetant elles-mecircmes structureacutees par des

steacutereacuteotypes et en particulier le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo selon lequel

Arabe signifie deacutelinquant11 Crsquoest selon ce steacutereacuteotype que Kamel dit ecirctre

traiteacute En assimilant agrave son identiteacute le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo (laquo Crsquoestvrai il y en a 80 75 qui sont en prison en France raquo dit-il) Kamel inteacute-

riorise lrsquoidentiteacute laquo prescrite raquo de sa communauteacute drsquoappartenance La stig-

matisation associeacutee agrave ses actes deacutelinquants et lrsquoimage collective neacutegative

qui lui est renvoyeacutee de sa collectiviteacute contribuent chez le mineur agrave la

formation drsquoune identiteacute personnelle deacutevaloriseacutee Des eacutetudes (voir en par-

ticulier Camilleri et al 1990) ont montreacute lrsquoexistence de fortes correacutelations

entre lrsquoexpeacuterience du racisme la stigmatisation sociale associeacutee agrave la deacutelin-

quance et agrave la deacutevalorisation de lrsquoimage de soi les immigreacutes deacutelinquants

cumulant les facteurs qui peuvent contribuer agrave cette deacutevalorisation On

voit bien ici comment lrsquoidentiteacute conccedilue comme une repreacutesentation de soi ndash

en tant qursquoindividu mais aussi en tant que groupe ndash est faccedilonneacutee par

lrsquoideacuteologie dominante dans une socieacuteteacute donneacutee Crsquoest ce qursquoont montreacute

en particulier les eacutetudes du sociolinguiste Labov (1976)

11 Si les dominants ceux qui sont en situation de pouvoir eacuteconomique social ou culturelstigmatisent les pratiques des domineacutes ces derniers font de mecircme en leur attribuantdes caractegraveres deacutevalorisants tout en affirmant leur propre identiteacute crsquoest ainsi que Kameloppose laquo Nous raquo laquo les francs raquo agrave laquo Eux raquo laquo les hypocrites raquo

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172 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

651 DES PARCOURS PREacuteDEacuteTERMINEacuteS PAR LES INSTANCES

DE REacuteGULATIONS SOCIALES GEacuteNEacuteRALES

Eacutechecs scolaires puis difficulteacutes drsquoinsertion socioprofessionnelles accen-

tuent cette deacutevalorisation de lrsquoidentiteacute tout en contribuant au processus

de constitution de la deacutelinquance juveacutenile

La criminologie considegravere comme un fait eacutetabli qursquoune mauvaise

carriegravere scolaire est lieacutee agrave la deacutelinquance Les difficulteacutes scolaires dans un

contexte ougrave la diplomation est devenue la norme (avec la massification

du second cycle puis de lrsquouniversiteacute lrsquoinstitution scolaire est devenue le

premier lieu producteur drsquolaquo exclusion relative raquo [Dubet 1996]) consti-

tuent en effet un motif deacuteterminant agrave un suivi judiciaire lorsque des

comportements deacuteviants sont repeacutereacutes Elles ne suffisent cependant pas agrave

expliquer lrsquoancrage de certains eacutelegraveves dans la deacutelinquance Encore faut-il

que des meacutecanismes les y attirent activement Les relations entre lrsquoeacutecole

et les adolescents intervieweacutes le font sur tous les modes possibles du rap-

port de force de la notation aux sanctions en passant par les orientations

qui aboutiront agrave lrsquoexclusion deacutefinitive drsquoun cocircteacute des comportements

deacuteviants tels qursquoabsenteacuteisme insolence coups vols consommation drsquoalcool

et de cannabis de lrsquoautre La marginalisation agrave lrsquoeacutecole quand elle srsquoaccom-

pagne de rejets actifs par la stigmatisation favorise cet ancrage des ado-

lescents dans la deacutelinquance (Walgrave 1992) Si la deacutelinquance agrave lrsquoeacutecole

peut srsquoexpliquer par les opportuniteacutes qursquooffrent les eacutetablissements scolaires

et renvoie donc agrave une manifestation laquo banale raquo de deacutelinquance elle peut

aussi ecirctre engendreacutee par la situation scolaire elle-mecircme Elle constitue

alors une reacuteponse agrave la violence symbolique de lrsquoinstitutionhellip deacutefinie par

Bourdieu et Passeron (1970 p 18) comme laquo pouvoir qui parvient agrave impo-

ser des significations et agrave les imposer comme leacutegitimes en dissimulant les

rapports de force qui sont au fondement de sa forcehellip raquo

Les eacutechecs scolaires preacutedeacutetermineront dans un contexte marqueacute par

le chocircmage des moins de 25 ans lrsquoorientation de Kamel et de ses pairs

vers la mission locale ougrave leur seront proposeacutes des stages de remise agrave

niveau des preacuteapprentissages un CES (contrat emploi-solidariteacute) un

TUC (travail drsquoutiliteacute collective) et drsquoautres activiteacutes qui apparaissent

drsquoabord occupationnelles Lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave lrsquoemploi dans les

sphegraveres ordinaires du salariat traiteacutee ici selon le mode de gestion sociale

du chocircmage associeacutee ndash tout en y contribuant ndash agrave la poursuite des activiteacutes

deacutelictuelles augmentera la probabiliteacute drsquoune prise en charge judiciaire au

peacutenal (Meacutehaut Rose Monaco et de Chassey 1987) Si lrsquoabsence de situation

professionnelle drsquoindividus de milieu populaire favorise en cas de poursuites

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judiciaires lrsquoincarceacuteration12 elle contribue tout autant agrave donner une autre

nature aux activiteacutes deacutelinquantes qui drsquooccasionnelles tendent agrave devenir

professionnelles Slimane en fera une carriegravere

652 LA DEacuteLINQUANCE COMME STRATEacuteGIE IDENTITAIRE

Eacutechecs scolaires et chocircmage contribuent au repli de Kamel Farid et

Slimane sur leur quartier en en investissant le temps et lrsquoespace avec les

autres membres de leur bande Moyen drsquooccuper collectivement son

temps libre la bande permet aussi drsquoattendre une veacuteritable situation sur

le marcheacute du travail En cela le groupe change de substrat alors qursquoil

permettait aux jeunes des classes populaires de passer leur temps libre

apregraves lrsquoeacutecole ou le travail il est aujourdrsquohui agrave rapporter laquo aux meacutecanismes

et logiques de lrsquoinsertion sociale et eacuteconomique qui frappent en premier

lieu les jeunes originaires des milieux deacutefavoriseacutes et renforcent leurs dif-

ficulteacutes degraves lors que sous-instruits ils sont aussi drsquoorigine eacutetrangegravere raquo

(Lagreacutee et Lew-Fai 1985 p 520) On est ainsi passeacute drsquoune maniegravere de

passer sa jeunesse avant de laquo se caser raquo drsquoune marginaliteacute temporaire agrave

une marginaliteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee qui dans certains cas peut devenir

deacutefinitive

Occupation13 qui permet de procurer sensations et gains financiers

la deacutelinquance dans la bande constitue aussi une reacuteaction collective agrave

lrsquoexclusion et agrave la stigmatisation dont font lrsquoobjet ses diffeacuterents membres

(Carra 1999) Les activiteacutes de la bande peuvent se lire comme un double

mouvement drsquoaffirmation aux deacutepens de lrsquoenvironnement ndash reacuteduit agrave des

scheacutemas lointains et hostiles (et reacuteciproquement) promotion du groupe

et promotion personnelle dans ce groupe (Robert et Lascoumes 1974)

Se voir qualifier par ses pairs de laquo vrai cambrioleur un vrai de vrai raquo agrave

lrsquoinstar de Kamel est source de prestige Le savoir-faire deacutelinquant associeacute

12 Lrsquoanalyse du produit final du processus peacutenal montre que ce public constituera ensuitela clientegravele privileacutegieacutee de la justice peacutenale des majeurs les condamneacutes sans professionayant toujours la plus forte proportion drsquoemprisonnement ferme On peut srsquointerrogersur cette surcondamnation avec Aubusson de Cavarlay qui aboutit agrave la conclusionsuivante laquo finalement si la partialiteacute reacutesiste agrave sa justification juridique il faut concluresoit que les faits commis par les classes populaires sont les plus graves puisque touteschoses juridiques eacutegales par ailleurs elles sont plus lourdement sanctionneacutees soit etpour les mecircmes raisons que la justice peacutenale deacutefavorise les classes domineacutees raquo (Aubussonde Cavarley 1985 p 308)

13 laquo [hellip] qui apparaicirct endeacutemique dans la citeacute impliquant non seulement les jeunes maisaussi les adultes Elle srsquoapparente essentiellement agrave une ldquodeacutelinquance de survierdquo raquo(Bailleau 1997 p 29)

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174 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave la prise de risque est source de reconnaissance au sein de la bande

reconnaissance que les propos de lrsquoadolescent reflegravetent laquo jrsquoeacutetais le roi desmalins raquo dit-il Crsquoest aussi un moyen de se positionner dans lrsquoespace

Les tentatives drsquoappropriation des eacutequipements socioculturels parti-

cipent des strateacutegies deacuteployeacutees par la bande pour y parvenir tout en eacutetant

constitutives de la formation drsquoune identiteacute spatiale de substitution Les

propos tenus par lrsquoun des permanents de la Maison pour tous informent

sur lrsquoactualisation de ces tentatives

Les animateurs constatent qursquoun puissant rapport de force a eacuteteacute eacutetabli parles jeunes agrave leur eacutegard De la part des jeunes le point drsquoancrage de leurforce est le chahut qursquoils peuvent faire les carreaux qursquoils peuvent casserles bagarres qursquoils peuvent deacuteclencher lrsquoalcool qursquoils peuvent boire Cetteforce est leur pouvoir de neacutegociation avec les animateurs pour obtenir ceqursquoils deacutesirent une machine agrave cafeacute une salle leur eacutetant reacuteserveacutee une sortieski [hellip]

Pour ces jeunes renvoyeacutes et enfermeacutes dans lrsquounivers des pairs le

quartier constitue le dernier lieu pour acqueacuterir une reconnaissance

sociale Aussi peut-on dire avec Lagreacutee (1996 p 334)

Srsquoagissant des jeunes deacutepourvus des capitaux neacutecessaires pourobtenir une place valorisante dans la socieacuteteacute at large pour ceux quine sont ni agrave lrsquoeacutecole ni dans lrsquoemploi lrsquoespace reacutesidentiel la collec-tiviteacute sociale que constitue le voisinage deviennent le dernier lieuougrave peut se gagner la reconnaissance sociale Pour ceux qui ne sontnulle part lrsquoespace reacutesidentiel animeacute par la vie des bandes estplus que le lieu ougrave lrsquoon vit ougrave lrsquoon attend ougrave lrsquoon galegravere crsquoestaussi le dernier endroit ougrave se reacutealise lrsquointeacutegration ou la marginali-sation agrave une microsocieacuteteacute

En eacutetablissant un rapport de force la bande parvient agrave se positionner

dans lrsquoespace local en obligeant les autres acteurs agrave prendre en compte

ce positionnement Mais en forccedilant la reconnaissance de leur place dans

les rapports sociaux locaux les membres de la bande participent directe-

ment non seulement agrave leur marginalisation mais aussi agrave leur stigmatisa-

tion tout en contribuant fortement agrave leur renvoi agrave des agences speacutecialiseacutees

de la reacuteaction sociale Dans leurs rapports avec les autres ils srsquoenferment

dans une logique qui les expose agrave la reacuteaction stigmatisante du corps social

et au renvoi vers le systegraveme de justice peacutenale

Ce renvoi a drsquoautant plus de chances de se reacutealiser et de srsquoamplifier

dans ce quartier que lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sociale de sa population rend difficile

la mise en œuvre de proceacutedures internes et coheacuterentes de reacutegulation de

la deacuteviance Ce contexte contribue par ailleurs agrave transformer le controcircle

social informel en rapport de classes placcedilant les jeunes issus des milieux

populaires en premiegravere ligne de lrsquoaffrontement (Chamboredon et Lemaire

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1970) Reacuteponse au sentiment drsquoinseacutecuriteacute qursquoeacuteprouvent certaines cateacutego-

ries de la population le renvoi et plus globalement lrsquoentreprise de deacutefini-

tion de la deacuteviance opeacutereacutee dans cette citeacute participent donc aussi aux

strateacutegies de diffeacuterenciation des groupes les uns par rapport aux autres

La bande apparaicirct finalement comme une tentative pour participer

au jeu social mecircme si ce jeu se reacuteduit agrave la scegravene locale cette scegravene

devenant le theacuteacirctre ougrave se joue la production identitaire de ces jeunes La

deacutelinquance dans le contexte de la bande srsquoexplique moins par un manque

de repegraveres par une meacuteconnaissance des normes qursquoelle ne reacutesulte drsquoun

rapport speacutecifique aux autres et agrave lrsquoenvironnement amenant les adoles-

cents agrave utiliser la transgression des normes comme moyen de reconnais-

sance ultime but de toute construction identitaire On peut ainsi dire avec

Digneffe (1989 p 174)

Crsquoest moins le contenu des regravegles qursquoun certain type de rapportaux autres qui lrsquoamegravene [le mineur deacutelinquant] agrave se constituer unerepreacutesentation de ce qui est laquo pour lui raquo agrave faire ou agrave ne pas faireMecircme srsquoil sait que laquo certaines choses sont mauvaises et drsquoautresbonnes raquo ces critegraveres ne deviendront pertinents que srsquoils srsquointegravegrentagrave son propre univers de sens agrave son cadre de reacutefeacuterence en tantqursquoil constitue ce qui lui permet de vivre

CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT

DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES

Lrsquoidentiteacute de lrsquoindividu se construit ainsi au cours drsquointeractions dont la

signification si elle se deacutefinit au sein de ces interactions deacutepend aussi de

la position de lrsquoindividu au sein des structures sociales laquo la dialectique

entre structures sociales meacutediatiseacutees par des interactions concregravetes et la

formation drsquoun ldquosoirdquo individuel est constante raquo (de Queiroz 1994 p 40)

La place que lrsquoindividu occupe au sein des rapports sociaux le rendra plus

ou moins vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de

vie agrave lrsquoeacutecole au travail ndash instances de socialisation geacuteneacuterale qui agissent

comme autant drsquoentrepreneurs de morale de pocircle de repeacuterage et de

stigmatisation ndash et face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-

lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance

juveacutenile

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DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

Paroles et strateacutegies

de jeunes deacutelinquants

I

SABELLE

D

ELENS

-R

AVIER

Deacutepartement de criminologie et de droit peacutenal Universiteacute catholique de Louvain

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Notre propos srsquoappuie sur les reacutesultats drsquoune recherche qualitative portant

sur le point de vue de jeunes francophones belges laquo ayant commis des faits

qualifieacutes infraction raquo en drsquoautres termes des jeunes deacutelinquants agrave propos

de deux types de reacuteactions judiciaires particuliegraveres le placement en ins-

titution speacutecialiseacutee ou lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de laquo travail drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral raquo appeleacutee en Belgique laquo prestation eacuteducative ou philanthropique raquo

(Delens-Ravier et Thibaut 2001 et 2003) Lrsquoanalyse porte sur le sens sub-

jectif que ces jeunes donnent agrave leur expeacuterience de judiciarisation inscrite

dans une trajectoire sociofamiliale comprenant souvent un suivi social

individuel ou familial Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction au processus judi-

ciaire sont mises en lumiegravere agrave travers le veacutecu de leur environnement social

(scolaire et familial) de leur trajectoire deacutelinquante et judiciaire et des

mesures dont ils font lrsquoobjet

71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE

QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE

Ce travail srsquoinscrit reacutesolument dans une deacutemarche inductive et geacuteneacuterative

(Laperriegravere 1997 p 326) de lrsquoempirique au theacuteorique du concret agrave

lrsquoabstrait du particulier au geacuteneacuteral La posture ainsi adopteacutee se veut ana-

lytique (Demaziegravere et Dubar 1997 p 33) cherchant agrave produire meacutetho-

diquement du sens agrave partir de lrsquoexploitation des entretiens de recherche

Les donneacutees qualitatives portent donc sur lrsquoexpeacuterience les repreacutesenta-

tions les deacutefinitions de situation les opinions et les paroles (Deslauriers

et Keacuterisit 1997 p 105) qui deacutecrivent la reacutealiteacute sociale telle qursquoelle est

veacutecue et telle qursquoelle est perccedilue par des jeunes deacutelinquants judiciariseacutes

Nous ne recherchons pas la repreacutesentativiteacute statistique mais la repreacute-

sentativiteacute du discours qui tient agrave deux critegraveres particuliers la diversifica-

tion

1

et la saturation

2

crsquoest donc la diversiteacute des discours et des points de

vue sur la mesure judiciaire qui est au cœur de lrsquoinvestigation

1 La diversification signifie qursquoil srsquoagit de rencontrer les jeunes dont on peut attendredes discours tregraves diffeacuterents en fonction de laquo variables strateacutegiques raquo permettant desupputer ces diffeacuterences (type de mesure parcours protectionnel parcours scolaireorigine culturelle du jeunehellip)

2 La saturation signifie que le nombre de jeunes agrave interroger nrsquoest pas deacutetermineacute agravelrsquoavance mais deacutepend de lrsquoapparition de la redondance dans le discours laquo La satura-tion empirique deacutesigne le pheacutenomegravene par lequel le chercheur juge que les derniegraveresentrevues nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles ou diffeacuterentes pourjustifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo (Pires 1997 p 157)

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La deacutemarche qualitative choisie a privileacutegieacute des entretiens semi-directifs

avec des jeunes faisant lrsquoobjet drsquoune deacutecision judiciaire Au cours de

lrsquoanneacutee 1999-2000 nous avons intervieweacute 45 adolescents garccedilons et filles

40 drsquoentre eux eacutetaient placeacutes en institution speacutecialiseacutee agrave reacutegime ouvert

ou fermeacute parfois apregraves avoir fait lrsquoobjet drsquoune mesure de reacuteparation et

cinq venaient drsquoexeacutecuter la mesure appeleacutee laquo prestation eacuteducative ou

philanthropique raquo Les deux critegraveres de diversification et de saturation ont

eacuteteacute remplis pour les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee nous permet-

tant donc une geacuteneacuteralisation de nos propos Il nrsquoen va pas de mecircme pour

les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation pour qui la difficulteacute de rencontre

ne nous a pas permis de preacutetendre diversifier suffisamment notre cible

et donc de reacutepondre au principe de saturation Les connaissances pro-

duites agrave partir du discours des jeunes ayant exeacutecuteacute exclusivement ce type

de mesure bien qursquoelles soient particuliegraverement contrasteacutees doivent ecirctre

consideacutereacutees comme des informations fournies agrave titre exploratoire

Les jeunes placeacutes intervieweacutes 39 garccedilons et 6 filles eacutetaient drsquoorigines

culturelles diverses Belgique autres pays drsquoEurope Maroc Turquie

Afrique Leur acircge moyen eacutetait de 16 ans et 1 mois Les jeunes scolariseacutes

freacutequentaient principalement lrsquoenseignement de type professionnel mais

ils sont nombreux agrave srsquoecirctre deacuteclareacutes en deacutecrochage scolaire Ils eacutevoquent

une multipliciteacute de deacutelits essentiellement des laquo deacutelits drsquoacquisition raquo

(vols) Des diffeacuterences apparaissent cependant selon le sexe ainsi pour

les filles la probleacutematique laquo drogue raquo est particuliegraverement preacutesente

Lrsquoarriveacutee en institution speacutecialiseacutee apparaicirct comme une eacutetape dans

un parcours deacutejagrave chargeacute de guidances surveillances ndash eacuteventuellement

associeacutees agrave une mesure de prestation eacuteducative ndash placements institution-

nels et souvent apregraves un seacutejour dans une autre institution du mecircme type

voire en prison Il nrsquoen va pas de mecircme pour les jeunes faisant lrsquoobjet

drsquoune mesure de reacuteparation telle lrsquoexeacutecution drsquoune prestation eacuteducative

ou philanthropique ce sont essentiellement des jeunes ameneacutes agrave compa-

raicirctre pour la premiegravere fois devant le tribunal de la jeunesse

Notre meacutethode drsquoanalyse qualitative srsquoapparente agrave une meacutethode eth-

nographique (Laperriegravere 1997 p 326) dans laquelle collecte et analyse

des donneacutees sont parallegraveles et ougrave les cateacutegories et theacutematiques sont eacuteta-

blies agrave lrsquoaide des donneacutees empiriques Lrsquoanalyse theacutematique nous a permis

drsquoarriver agrave une description analytique (Maroy 1995 p 85) de lrsquoexpeacuterience

de lrsquounivers des mineurs placeacutes Interpreacutetation et description sont ici deux

opeacuterations meneacutees de concert dans une deacutemarche de deacuteconstruction-

reconstruction du discours des jeunes en reacutefeacuterence agrave des travaux theacuteoriques

reconnus dans le champ de la deacutelinquance des mineurs Nous nous atta-

cherons ici essentiellement au veacutecu de la mesure judiciaire par les jeunes

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE

Sans qursquoil soit possible de faire de comparaison stricte les cateacutegories des-

criptives utiliseacutees nrsquoeacutetant pas rigoureusement identiques le profil des

familles des mineurs rencontreacutes alimente lrsquohypothegravese drsquoune surrepreacutesen-

tation de cateacutegories sociales preacutecariseacutees pour les mineurs soumis agrave une

mesure du juge de la jeunesse (Duliegravere-DrsquoUrsel et Delens-Ravier 1992

Born et Thys 1996 Vanneste 2001 p 148)

Les relations entre les jeunes et leur famille apparaissent comme un

systegraveme complexe dans lequel les relations familiales sont agrave la fois le

baromegravetre du comportement du jeune et la reacutesultante de ce comporte-

ment Les interactions familiales sont cruciales dans le veacutecu et lrsquoeacutevolution

des jeunes rejeteacutes par les leurs ils srsquoenfoncent dans des comportements

qursquoils preacutesentent eux-mecircmes comme une forme drsquolaquo appel raquo mais qui

entretiennent ce rejet Alors que la possibiliteacute de renouer avec la famille

est un facteur de deacutesistance (Born 2001 p 178) dans la mesure ougrave laquo seul

le retour en famille ldquochoisi

3

rdquo offre de bonnes garanties de reacuteussite du

projet de reacuteinteacutegration du jeune apregraves un placement en institution speacute-

cialiseacutee que ce soit agrave court ou agrave long terme raquo (Born 2001 p 185) Ainsi

lorsqursquoil est question de conflit et de rupture le placement et lrsquoeacuteloigne-

ment physique qursquoil induit ne font qursquoentretenir le rejet familial drsquoautant

plus que le jeune est dans lrsquoincapaciteacute mateacuterielle de neacutegocier avec sa

famille son image deacuteteacuterioreacutee par le processus judiciaire La peacuteriode du

placement signe alors cette rupture agrave sa sortie le jeune devra srsquoinstaller

seul ou trouver une institution

Pour drsquoautres la crise provoqueacutee par la judiciarisation suivie du

placement peut ecirctre lrsquooccasion drsquoun changement tant dans le comporte-

ment du jeune que dans les relations avec sa famille

Le lien avec la famille se preacutesente eacutegalement comme un eacuteleacutement

fondamental dans la compreacutehension des diffeacuterentes faccedilons de vivre la

mesure de prestation eacuteducative

4

Ainsi en toutes circonstances quelle que

soit la mesure prise par le magistrat la judiciarisation agit comme un

catalyseur de lrsquoeacutevolution de la situation agrave partir de la reacuteaction familiale

au deacutelit judiciariseacute

3 On parle de laquo solution choisie raquo par lrsquoeacutequipe lorsqursquoil y a convergence entre le projetdu jeune les possibiliteacutes familiales le deacutesir de lrsquoun et de lrsquoautre de reacuteinvestir dans cesens de mecircme qursquoadeacutequation entre le projet envisageacute et les ressources

4 Voir plus bas

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Lrsquoinstitution scolaire se preacutesente eacutegalement comme une pierre angu-

laire dans le parcours des jeunes agrave la fois vecteur drsquoexclusion et vecteur

de reacuteinsertion Elle est en mecircme temps la premiegravere expeacuterience significa-

tive de releacutegation sociale et la seule issue que les jeunes entrevoient agrave leur

situation notamment en tant que projet de sortie de lrsquoinstitution valide

aux yeux de lrsquoensemble des intervenants

Les rapports agrave lrsquoeacutecole et agrave la famille se trouvent donc au cœur des

trajectoires deacutelinquantes des jeunes rencontreacutes La theacuteorie de la vulneacutera-

biliteacute socieacutetale

5

deacuteveloppeacutee par Walgrave comme explication de la deacutelin-

quance persistante de certains jeunes avait deacutejagrave montreacute combien la

famille et lrsquoeacutecole davantage encore jouaient un rocircle crucial dans le pro-

cessus drsquoaffiliation sociale (Vettenburg 2003 p 193)

La cristallisation des reacuteactions des jeunes et des familles autour du

processus de judiciarisation pourrait laisser agrave penser que la trajectoire

judiciaire vient imposer sa logique aux diffeacuterentes trajectoires familiales

scolaires des mineurs mais en fait comme le dit Carra laquo cette trajectoire

judiciaire ne se deacuteveloppe ni indeacutependamment ni parallegravelement aux

autres trajectoires Elle se construit avec ndash gracircce ndash aux autres trajectoires

et reacuteciproquement (Carra 2001 p 72) raquo Crsquoest que nous allons tenter

drsquoexpliciter

73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE

Les jeunes rencontreacutes nrsquoont pas une vision tregraves claire de la chronologie

de leur parcours Les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee ont le plus

souvent deacutejagrave connu un suivi individuel ou psychosocial avant drsquoecirctre lrsquoobjet

de mesures judiciaires pour des faits de deacutelinquance Ce qui nrsquoest pas le

cas pour les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation

Le parcours des jeunes placeacutes a donc souvent deacutebuteacute bien avant les

faits infractionnels repeacutereacutes il est jalonneacute de nombreux placements insti-

tutionnels dont lrsquoinstitution speacutecialiseacutee est lrsquoaboutissement souvent de

5 La notion de vulneacuterabiliteacute socieacutetale est deacutefinie ainsi laquo la potentialiteacute de la vulneacuterabiliteacutesuggegravere une certaine permanence qui pourrait deacutependre des caracteacuteristiques du sujetou de la situation Pour ce qui est de la vulneacuterabiliteacute socieacutetale elle deacutepend de la positiondes sujets dans la socieacuteteacute La position envisageacutee est proche de la position socioeacutecono-mique infeacuterieure raquo (Walgrave 1992 p 85) La personne socialement faible est unepersonne qui dans ses contacts avec les institutions sociales (lrsquoeacutecole le marcheacute dutravail la justice) se confronte principalement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee aux aspects neacutegatifset profite moins de lrsquooffre positive (Vettenburg 2003 p 194)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

faccedilon reacutepeacuteteacutee Les discours font eacutetat drsquoun parcours en forme de spirale

constitueacutee drsquoune longue suite de mesures et drsquoinstitutions dont les jeunes

ne gardent pas toujours un souvenir preacutecis Que ce soit la consommation

de stupeacutefiants le comportement adopteacute le deacutecrochage scolaire chacun

de ces eacuteleacutements constitue la cause drsquoun nouveau placement un nouveau

mouvement de va-et-vient entre retour en famille et institution Apregraves une

premiegravere mesure judiciaire de placement le poids du dossier joue en

deacutefaveur des jeunes Ainsi un placement en institution speacutecialiseacutee en

appelle drsquoautres mecircme si le jeune a lrsquoimpression de commettre des faits

moins graves ou drsquoavancer vers une prise de conscience Crsquoest agrave partir des

difficulteacutes scolaires que les jeunes commencent agrave eacutecrire leur histoire ins-

titutionnelle chaotique mecircme si souvent celle-ci a deacutemarreacute bien plus tocirct

dans un contexte familial perturbeacute

Les services ou institutions qui jalonnent leur parcours avant lrsquoarriveacutee

dans la laquo nasse raquo que repreacutesente le placement en institution speacutecialiseacutee sont

diversement appreacutecieacutes Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale le rocircle et les missions speacuteci-

fiques du service drsquoaide agrave la jeunesse (SAJ) proposant une aide neacutegocieacutee

aux familles et aux mineurs qui eacuteprouvent des difficulteacutes dans le processus

eacuteducatif ne sont pas clairement perccedilus

6

ainsi les entretiens reacutealiseacutes dans

le cadre de ce type drsquointervention drsquoaide la plupart du temps en vue drsquoune

autonomie aux contours impreacutecis leur sont apparus laquo inutiles raquo reacuteduits agrave

du simple bavardage les articulations avec drsquoautres services nrsquoeacutetant pas

claires pour eux Lorsque ce type de service transmet le dossier au parquet

en vue drsquoimposer une aide contrainte le service de protection judiciaire

chargeacute de mettre en œuvre cette aide est perccedilu comme une surveillance

sur les mineurs et leurs familles plutocirct que comme un accompagnement

ou une aide On le juge aussi carreacutement laquo impuissant raquo devant les obstacles

agrave la reacuteinsertion scolaire familiale socialehellip des mineurs placeacutes en eacutetablis-

sement speacutecialiseacute Les seacutejours en institution reacutesidentielle priveacutee sont veacutecus

comme un temps durant lequel ils disent nrsquoavoir pas eacuteteacute reacuteellement pris

en charge ougrave le quotidien leur est apparu comme non structureacute offrant

trop de liberteacutehellip Ceux qui ont connu un passage en institution psychia-

trique sont fortement marqueacutes par des eacuteleacutements comme la camisole chi-

mique et le meacutelange entre adultes et adolescents Ils gardent en meacutemoire

essentiellement la stigmatisation qui en deacutecoule La prison est eacutegalement

6 Le rocircle et la mission du SAJ sont deacutefinis par le Deacutecret relatif agrave lrsquoaide agrave la jeunesse du4 mars 1991 Pour une preacutesentation deacutetailleacutee voir le site Internet httpwwwcfwbbeaide-jeunessehtmlproplatprohtm

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une expeacuterience traumatisante principalement agrave cause du reacutegime cellulaire

24 heures sur 24 qui est propre aux mineurs et ougrave la seule activiteacute est la

teacuteleacutevision Cependant une incarceacuteration de 15 jours nrsquoa guegravere de conseacute-

quences laquo eacuteducatives raquo agrave leurs yeux elle renforce plutocirct la laquo haine raquo agrave

lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute conforte le jeune dans son rocircle de caiumld dans son

quartier ou encore permet la rencontre de familiers ou de connaissances

et contribue alors agrave la contagion deacutelinquante

Les consideacuterations eacutemises agrave propos de ces diffeacuterentes interventions

qui ont eacutemailleacute leur parcours sociojudiciaire deacutenotent une absence de

compreacutehension et de maicirctrise de la coheacuterence de celui-ci Les jeunes

parlent de leur place dans cette trajectoire comme srsquoils eacutetaient laquo

une piegravecedans un jeu de dames

raquo

hellip

Ainsi drsquoune faccedilon geacuteneacuterale pour les jeunes que

nous avons rencontreacutes alors qursquoils eacutetaient en institution speacutecialiseacutee

lrsquoentreacutee dans le circuit institutionnel a signeacute le deacutebut drsquoun parcours

chaotique essoufflant drsquoinstitution en institution ponctueacute par quelques

tentatives de retour en famille dont ce type drsquoinstitution constitue lrsquoabou-

tissement La chronologie reste floue les seuls repegraveres temporels preacutecis

eacutetant directement en lien avec le processus de judiciarisation la date

drsquoarriveacutee agrave lrsquoinstitution la date du jugement ou de lrsquoordonnance la date

du prochain rendez-vous au tribunal de la jeunesse Nous sommes ici

devant ce que Carra appelle le processus formel de constitution de la

deacutelinquance au travers duquel laquo la trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation

des mesures et la prise en charge institutionnelle de plus en plus totale

apparaicirct comme une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances

de passer drsquoun degreacute agrave lrsquoautre Elle influence profondeacutement lrsquoimage et les

perspectives drsquoavenir du mineur raquo (Carra 2001 p 94) Si leur trajectoire

au sein de la sphegravere protectionnelle du suivi familial aux mesures de

placement se reacutevegravele floue et aux contours impreacutecis se preacutesentant donc

davantage comme une ligne briseacutee que comme un cheminement logique

connu par eux lrsquoeacutevolution graduelle et ineacuteluctable vers une prise en

charge de plus en plus resserreacutee est bien reacuteelle

Les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation avaient un parcours nette-

ment moins laquo lourd raquo dans la mesure ougrave ce type de mesure judiciaire est

deacutecideacute par les magistrats lors drsquoune premiegravere comparution au tribunal

de la jeunesse En effet comme lrsquoont montreacute drsquoautres recherches laquo la

cateacutegorie des mineurs faisant lrsquoobjet drsquoune mesure de prestation drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral preacutesente le profil le plus ldquoprimo-deacutelinquantrdquo et ldquoprimo-judiciairerdquo raquo

(Vanneste 2001 p 93)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION

Lrsquoanalyse du discours sur lrsquoexpeacuterience veacutecue du placement ou de la pres-

tation

7

permet de deacutegager des veacutecus tregraves diffeacuterencieacutes que nous nous

proposons drsquoorganiser autour de diffeacuterentes laquo strateacutegies raquo de reacuteaction au

processus de judiciarisation Si geacuteneacuteralement lrsquoideacutee de strateacutegie fait reacutefeacute-

rence agrave une deacutemarche construite et consciente en vue drsquoatteindre un

objectif le terme de strateacutegie est compris ici comme la combinaison de

diffeacuterentes faccedilons de laquo dominer la tension qui existe entre lrsquounivers domes-

tique et lrsquounivers de lrsquoinstitution raquo (Goffman 1968 p 110) Plus large-

ment nous comprenons la strateacutegie comme les modes de reacuteaction agrave la

situation creacuteeacutes par la deacutecision judiciaire les modes drsquoadaptation aux

conseacutequences de la judiciarisation La notion de strateacutegie se situe agrave lrsquoarti-

culation du systegraveme social et de lrsquoindividu du social et du psychologique

Les strateacutegies de reacuteponse agrave une situation sociale deacutecrivent simple-ment les comportements individuels ou collectifs conscients ouinconscients adapteacutes ou inadapteacutes mis en œuvre pour atteindrecertaines finaliteacutes La notion de strateacutegie appliqueacutee au champsocial suggegravere que lrsquoindividu dispose drsquoune certaine liberteacute dechoix dans les limites des regravegles du jeu Elle exprime commentles comportements individuels sont le reacutesultat drsquoune interactionde facteurs sociaux et individuels Elle permet de lire les diffeacute-rentes maniegraveres dont les acteurs laquo font avec raquo les deacuteterminantssociaux en fonction de quels paramegravetres sociaux familiaux oupsychologiques La diversiteacute relative des comportements en reacuteponseagrave des situations sociales similaires met en eacutevidence le caractegravereinteractionnel dynamique et complexe du processus (De Gaulejacet Leonetti 1994 p 184)

Nous nous inteacuteressons ici agrave la reconstruction subjective des trajectoires

des jeunes (Delens-Ravier 2001 p 13) Il ne srsquoagit pas de retracer lrsquoeacutevo-

lution chronologique des eacuteveacutenements de leur parcours sociojudiciaire

mais de mettre en perspective leur expeacuterience agrave la suite drsquoune deacutecision

judiciaire en deacutegageant les eacuteleacutements cleacutes qui srsquoarticulent dans les diffeacuterentes

strateacutegies eacutevoqueacutees que nous cherchons agrave comprendre du point de vue

7 Lrsquoexpeacuterience de prestation eacuteducative ou philanthropique est relateacutee par deux types dejeunes des jeunes qui ont fait lrsquoobjet drsquoune prestation lrsquoont termineacutee et ont eacuteteacute eacutevalueacutespositivement par les intervenants et le milieu drsquoaccueil des jeunes placeacutes en institutionspeacutecialiseacutee ayant eacuteteacute confronteacutes drsquoune faccedilon ou drsquoune autre agrave ce type de mesurecertains ayant purement et simplement refuseacute drsquoexeacutecuter la mesure Malheureusementle nombre trop restreint drsquoentretiens ne nous permet pas de parler de saturation delrsquoinformation nous ne pouvons que lancer des pistes drsquointerpreacutetation exploratoire duveacutecu de cette mesure

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subjectif de lrsquoacteur Nous retenons comme eacuteleacutement le veacutecu de la deacutelin-

quance la perception de la deacutecision du magistrat et de la relation agrave celui-ci

la rencontre avec les acteurs institutionnels lrsquoappreacuteciation globale de la

mesure par la faccedilon dont est veacutecu le reacutegime institutionnel

741 V

EacuteCU

DE

LA

DEacuteLINQUANCE

La deacutelinquance est une attitude speacutecifique de la peacuteriode de lrsquoadolescence

La plupart des passages agrave lrsquoacte sont des vols simples et de la consomma-

tion de cannabis et constituent une activiteacute propre agrave un processus de

deacuteveloppement normal agrave la peacuteriode charniegravere de lrsquoadolescence Bien

qursquoeacutetiqueteacutes comme laquo mineurs deacutelinquants raquo par les instances peacutenales et

stigmatiseacutes par les multiples placements nombre drsquoentre eux refusent de

srsquoidentifier agrave une telle image Ils revendiquent au contraire un droit agrave

lrsquoerreur un droit agrave lrsquoexpeacuterimentation Ainsi srsquoils reconnaissent les faits

pour lesquels ils sont poursuivis leur interpreacutetation de ceux-ci ne corres-

pond certainement pas agrave la lecture reacuteductrice proposeacutee par le systegraveme

judiciaire faisant reacutefeacuterence aux cateacutegories du code peacutenal

La plupart des jeunes insistent sur une dimension fondamentale qui

les lie agrave lrsquoaction elle-mecircme laquo

lrsquoadreacutenaline

raquo Lrsquoanxieacuteteacute au moment de voler

est stimulante ils eacutevoquent aussi la prise de risque et la reacuteussite le plaisir

lieacute agrave la consommation de stupeacutefiantshellip Nombreux sont ceux qui confessent

avoir trouveacute dans la vente de stupeacutefiants ou le vol laquo quelque chose dans

lrsquoaction qui ne se passe pas ailleurs raquo (Brion et de Coninck 1999 p 939)

Associeacutee agrave la prise de risque laquo

lrsquoadreacutenaline

raquo est lrsquooccasion de vivre des

eacutemotions intenses qui deacutepassent largement leur quotidien habituel Le fait

de commettre les deacutelits en groupe augmente par ailleurs le plaisir ressenti

Crsquoest le stress aussi Crsquoest de vivrehellip Je crois comme dans les films vousvoyez Crsquoest bon simplement crsquoest de lrsquoadreacutenaline (Manu 17 ans)

Drsquoautres recherches ont drsquoailleurs mis en eacutevidence que laquo lrsquoentreacutee

dans le style de vie deacuteviant relegraveve presque toujours initialement drsquoune

motivation lieacutee agrave la recherche du plaisir raquo (Brunelle Cousineau et Brochu

2002 p 24)

La recherche drsquoargent est une autre motivation fondamentale pour

ces jeunes Elle prend pour eux des connotations particuliegraveres drsquolaquo argent

facile raquo ou drsquolaquo argent-compensation raquo Deacutepenser de lrsquoargent est synonyme

drsquoexister de vivre Durckheim avait deacutejagrave souligneacute le lien entre sentiment

drsquoexister et deacutepenses laquo Vivre crsquoest avant tout agir agir sans compter pour

le plaisir drsquoagir Et [hellip] srsquoil faut amasser pour pouvoir deacutepenser crsquoest

pourtant la deacutepense qui est le but et la deacutepense crsquoest lrsquoaction raquo (tel que

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

citeacute dans

Grell 1999 p 207) La recherche drsquoargent se manifeste sous

deux formes particuliegraveres le plaisir de lrsquoargent facile ou la jouissance de

posseacuteder et la compensation drsquoune situation deacutefavorable Lrsquoargent facile

ou lrsquoargent plaisir correspond agrave des beacuteneacutefices rapidement acquis par la

vente de stupeacutefiants ou le vol de voitures qui poussent agrave la surconsomma-

tion Cet argent mateacuterialiseacute par lrsquoachat de produits ostensibles et luxueux

(motos vecirctementshellip) brucircle les doigts vite acquis il est vite deacutepenseacute

Lrsquoargent facile est ainsi une tentation agrave laquelle il est difficile de reacutesister

qui procure de plantureux beacuteneacutefices inaccessibles par des voies leacutegalement

reconnues au vu du niveau scolaire familial et social

Crsquoest fou lrsquoargent qursquoon peut se faire

[en vendant des pilules drsquoecstasy]

Crsquoest laquo deacutegueulasse raquo parce qursquoon vend de la mort Moi jrsquoaime bien lrsquoargentcomme tout le monde peut-ecirctre un peu plus Quand jrsquoai de lrsquoargent je ledeacutepense direct Et quand je vendais je pouvais me permettre tout je pou-vais mrsquoacheter tout je me faisais un meacutechant beacuteneacutefice Et quand je vaissortir je vais toujours y retourner pour aller en chercher Je vais recommen-cer agrave vendre crsquoest clair Je vendrai agrave gauche et agrave droite pour arrondir mesfins de mois Jrsquoaimerais bien arrecircter mais quand on sait combien ccedila rap-porte ccedila va ecirctre plus fort que moi Crsquoest la tentation de lrsquoargent facile Crsquoestpas si eacutevident Ici on peut faire un projet mais quand on est dehors crsquoestpas la mecircme vie

(Dominique 17 ans)

La recherche drsquoargent peut eacutegalement ecirctre en lien avec un contexte

de vie aux ressources financiegraveres limiteacutees Le vol est alors un mode

drsquoappropriation drsquoobjets consideacutereacutes comme inaccessibles La deacutelinquance

se preacutesente parfois comme une modaliteacute de survie neacutecessaire agrave lrsquointeacutegration

dans une socieacuteteacute de consommation lorsqursquoon ne beacuteneacuteficie pas des moyens

drsquoy participer pleinement (Delens-Ravier et Thibaut 2003 p 30)

Faut voir les circonstances pourquoi il a voleacute

[hellip]

Srsquoil a vu une belle pairede chaussures dans un magasin que ses parents ne savent pas payerhellipQursquoest-ce qursquoil va faire le jeune Il va aller voler pour se les payer crsquoesttouthellip Srsquoil y avait du travail srsquoil y avait quelque chose pour nous occuperce serait laquo agrave lrsquoaise raquo Mais en Belgique il nrsquoy a rien du tout pour les jeunes

(Rodovan 17

1

2

ans)

Les deacutelits peuvent eacutegalement avoir pour objet drsquoexprimer des diffi-

culteacutes drsquoordre familial permettant une visibiliteacute accrue agrave travers la reacuteaction

judiciaire Lrsquoexpression des difficulteacutes correspond agrave une quecircte drsquoidentiteacute

ou de reacuteponses parentales Cet appel agrave exister peut srsquoadresser non seule-

ment agrave la famille mais agrave lrsquoensemble de la socieacuteteacute comme reacuteponse aux

interpellations policiegraveres systeacutematiques aux

homes

ougrave lrsquoon est placeacute aux

eacutecoles dont on a eacuteteacute exclu au patron qui a refuseacute drsquoembaucherhellip Ce type

de laquo motivation raquo de la transgression fait reacutefeacuterence agrave une situation person-

nelle insatisfaisante laissant preacutesager des trajectoires discontinues marqueacutees

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

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par les ruptures notamment avec le milieu familial et risquant de conduire

agrave la deacutesaffiliation ou agrave une affiliation deacuteviante agrave la vengeance agrave lrsquoauto-

destructionhellip (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 14)

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la deacutelinquance des jeunes rencontreacutes peut se

comprendre comme une eacutechappatoire agrave une socialisation contraignante

difficile voire impossible pour eux Dans ce sens la transgression est vue

comme un signe de bonne santeacute pour des jeunes que le monde nrsquoattend

pas ce dont ils ont pris conscience assez tocirct notamment agrave travers leur

veacutecu scolaire et la position sociale de leurs familles Comme le dit tregraves

justement Grell agrave propos de jeunes Canadiens

[hellip] leurs deacuteambulations existentielles indissociables de leurs pas-sions et leurs excegraves seraient agrave lire comme drsquoincessantes tentativesde deacutepassement de ce preacutesent tragique drsquoun monde qui au lieude leur offrir des prises fermes leur met plutocirct des sables mou-vants sous les pieds Leurs deacuteambulations existentielles excessiveset passionneacutees ne posent-elles pas degraves lors lrsquoinsoutenable questionde lrsquoinsignifiance drsquoun monde qui ne constitue plus ou insuffisam-ment lrsquoarmature de lrsquoexistence des mortels Les excegraves et les mul-tiples eacutecarts de ces jeunes ne sont-ils pas dans ce cas un signe desanteacute la fabrication drsquoanticorps ayant pour fonction de franchirles limites de la maladie mondaine (Grell 1999 p 210)

Les diffeacuterents sens de la transgression peuvent cohabiter chez un

mecircme jeune eacutevoluer au fil du tempshellip La faccedilon de vivre leur deacuteviance

ne paraicirct pas vraiment centrale dans la reacuteaction subjective agrave la mesure

judiciaire Ce nrsquoest donc pas le veacutecu de leur deacutelinquance qui srsquoarticule

avec drsquoautres eacuteleacutements comme le sentiment de justice ou drsquoinjustice de

la deacutecision ou le type de rapports aux acteurs sociaux et judiciaires mais

bien le fait que les acteurs judiciaires et sociaux vont prendre en consideacute-

ration laquo leur raquo interpreacutetation subjective de leur deacutelinquance le sens que

les jeunes eux-mecircmes lui donnent dans leur contexte particulier ce qui

neacutecessite eacutecoute et compreacutehension au-delagrave de lrsquoaffirmation de la norme

et de la leacutegitimation drsquoune sanction

742 L

A

DEacuteCISION

DU

MAGISTRAT

La deacutecision de placement en IPPJ se preacutesente clairement comme une

punition agrave leurs yeux justifieacutee ou non Elle apparaicirct comme une reacuteponse

logique essentiellement en comparaison avec le systegraveme peacutenal adulte dans

la mesure ougrave ils admettent avoir fait des laquo conneries raquo et qursquoil est normal

drsquoecirctre laquo puni raquo Il srsquoagit parfois drsquoune deacutecision par deacutefaut lorsque les

familles ne veulent plus rien entendre ou qursquoaucune autre institution

nrsquoaccepte le mineur La deacutecision est cependant veacutecue comme une injustice

si le jeune ne reconnaicirct pas les faits lorsque le deacutelai entre les faits et la

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190

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sanction est trop long lorsqursquoune seacuterie de mesures srsquoaccumulent sans que

le jeune perccediloive quelle est la sanction veacuteritable lorsque les conditions

drsquoentreacutee et de sortie ne sont pas clairement eacutetablies lorsque la diffeacuterence

de traitement entre mineurs et majeurs ou drsquoun arrondissement judiciaire

agrave lrsquoautre est trop marqueacutee

La deacutecision qui consiste en lrsquoinjonction de reacutealisation drsquoune prestation

eacuteducative ou philanthropique est veacutecue comme une sanction laquo leacutegegravere raquo

comparativement au placement jugeacute trop seacutevegravere

Jrsquoavais peur de ce qursquoelle

[juge de la jeunesse]

allait me dire De ce quejrsquoallais avoir Si jrsquoallais ecirctre placeacute ou pas Je mrsquoattendais pas agrave ccedila jemrsquoattendaishellip Je sais pashellip Plus seacutevegravere Et ici ccedila allait

(Joseo 18 ans)

Elle est accepteacutee par certains dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice

jugeacutee alors moins laquo coucircteuse raquo qursquoun placement ou carreacutement refuseacutee par

drsquoautres car repreacutesentant une sorte de laquo travaux forceacutes

8

raquo

743 L

E

MAGISTRAT

DE

LA

JEUNESSE

Le juge de la jeunesse est une figure marquante associeacutee avant tout agrave

lrsquoinstance qui peut deacutecider drsquoun placement dont la crainte repreacutesente

vraiment le pivot autour duquel srsquoarticule lrsquoappreacuteciation que les jeunes

ont de lrsquointervention judiciaire comme si pour eux le juge nrsquoavait pas

drsquoautres mesures agrave sa disposition

Les diffeacuterentes images de juges qui eacutemergent du discours des jeunes

renvoient agrave des perceptions contrasteacutees Elles vont drsquoune appreacuteciation

franchement neacutegative (le juge qui place sans reacuteflexion) agrave une appreacuteciation

franchement positive (le juge protecteur et paternaliste) Le juge qui place

sans reacuteflexion

est celui qui mateacuterialise son action par une mesure de

placement comme reacuteponse unique malgreacute la diversiteacute des jeunes ou des

situations qursquoil rencontre La relation est ici hyperstandardiseacutee lrsquoespace

de parole accordeacute aux jeunes et agrave leur famille apparaissant extrecircmement

restreint Aux yeux des jeunes la systeacutematisation du placement est reacuteveacutela-

trice agrave la fois drsquoun manque drsquoindividualisation des mesures et donc drsquoeacutecoute

et drsquoun manque de connaissance des reacutealiteacutes institutionnelles Certains

jeunes reacutepondent alors par la fugue agrave ce manque drsquoeacutecoute ressenti au

moment de la deacutecision ou au cours de leur placement strateacutegie qui oblige

le juge de la jeunesse agrave rouvrir le deacutebat sur leur compte Agrave lrsquoopposeacute le

juge protecteur et paternaliste

constitue lrsquoimage inverseacutee du juge laquo qui

place sans reacuteflexion raquo Ici le rocircle du juge de la jeunesse deacuteborde celui de

8 Voir plus bas les diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction

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laquo dire la loi raquo et son intervention deacutepasse le cadre du fait commis Il nrsquoest

pas lagrave uniquement pour sanctionner il cherche agrave comprendre agrave aider Ce

nrsquoest cependant pas lrsquoideacutee drsquoassistance qui suffit en soi agrave eacutetayer cette image

du laquo bon raquo juge Lrsquoimage positive du juge est le reacutesultat de la conjugaison

de plusieurs eacuteleacutements notamment le respect du jeune (par exemple en

faisant respecter les droits du jeune par les policiers) la franchise et la

clarteacute des deacutecisions Neacuteanmoins la figure peut ecirctre double juge paternel

dans des situations de mineur en danger juge laquo placeur raquo lorsque le jeune

a commis un fait qualifieacute drsquoinfraction Les deux facettes sont fonction de

la motivation de la saisine mais sont eacutegalement conditionneacutees par le

conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance qursquoil

parvient agrave susciter ou non

Si les images du juge diffegraverent il existe une certaine constance dans

les relations Preacutevaut drsquoabord la crainte du placement Ainsi bien que les

jeunes qualifient geacuteneacuteralement de laquo

bonnes

raquo les relations avec leur juge

eacutevoquant mecircme une certaine proximiteacute affective en parlant de laquo

mon (ma)juge

raquo

ils perccediloivent les deacutecisions prises par le magistrat comme eacutetant en

quelque sorte exteacuterieures agrave cette relation comme si le juge ne maicirctrisait

pas reacuteellement sa deacutecision guideacutee par des facteurs exteacuterieurs

Dans leurs appreacuteciations les jeunes distinguent acteurs judiciaires et

systegraveme de justice des mineurs Si le juge est parfois consideacutereacute comme un

laquo bon raquo juge et appreacutecieacute le systegraveme de justice est globalement perccedilu

comme injuste pour ces jeunes marginaliseacutes

Moi la justice je trouve qursquoelle est pas juste crsquoest touthellip Je dis pas dujuge il est pas juste je dis la socieacuteteacute elle est pas juste

(Nick 16 ans)

744 L

ES

ACTEURS

INSTITUTIONNELS

9

La confrontation avec les acteurs institutionnels est la cleacute de voucircte du

systegraveme eacuteducatif de placement en institution speacutecialiseacutee Les acteurs cleacutes

aux yeux des jeunes sont drsquoabord les eacuteducateurs lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-

sociale (assistants sociaux psychologues meacutedecin psychiatre) et enfin

les autres jeunes

7441 Les eacuteducateurs

Les jeunes insistent sur la distance ineacuteluctable et neacutecessaire qui existe

entre jeunes et eacuteducateurs bien que les deux soient soumis aux regravegles et

agrave lrsquoinfrastructure institutionnelle et soient pris dans les mecircmes contraintes

9 Nous deacuteveloppons ici exclusivement le discours des jeunes placeacutes les donneacutees concer-nant les jeunes en prestation eacutetant trop restreintes

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192

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Comme dans leurs rapports avec les magistrats les relations avec les eacutedu-

cateurs sont marqueacutees par les laquo

figures

raquo auxquelles ces derniers se rattachent

selon les jeunes Ainsi lrsquoeacuteducateur laquo

qui eacutecoute et qui rigole

raquo correspond agrave

une image positiveacutee du rocircle drsquoeacuteducateur Cette image renvoie agrave une fonc-

tion de compreacutehension drsquoeacutecoute attentive au-delagrave drsquoune simple eacutecoute

qui restitue en retour une image positive au jeune le valorisant et lui

permettant de croire en lui Ce type drsquoeacuteducateur parvient agrave une connais-

sance suffisante du jeune pour arriver agrave lui mettre des limites Il est eacutega-

lement engageacute dans son travail essentiellement par son inteacuterecirct profond

pour les jeunes eux-mecircmes avant toute recherche de reconnaissance

sociale ou peacutecuniaire Une autre figure est lrsquoeacuteducateur laquo

avec qui on rigolepas

raquo qui se cantonne dans le respect strict du regraveglement la discipline

nrsquoest pas neacutegocieacutee elle est appliqueacutee au pied de la lettre Il en reacutesulte un

manque de souplesse et de dialogue lrsquoapplication du regraveglement strict

apparaissant comme une fin en soi Une derniegravere figure est celle de lrsquoeacutedu-

cateur laquo

lasseacute

raquo

qui aux yeux des jeunes ne remplit son rocircle ni dans lrsquoani-

mation de groupe ni dans le maintien de la discipline

7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale

Les deux acteurs principaux de ces eacutequipes dans la vie des jeunes sont les

assistantes et assistants sociaux et les psychologues Selon eux lrsquoeacutequipe

remplit trois fonctions le laquo

gribouillage

raquo rocircle drsquoexpertise par la reacutealisation

de tests et la reacutedaction de rapports dont les jeunes ne perccediloivent pas la

finaliteacute lrsquoeacutecoute et le soutien et enfin lrsquoeacutelaboration du projet de sortie

Lorsque les professionnels sont perccedilus comme centreacutes essentiellement sur

leur mission drsquoobservation et drsquoexpertise les relations sont insatisfaisantes

pour les jeunes qui ne se sentent degraves lors pas laquo

eacutecouteacutes

raquo

Par contre lorsque les intervenants psychosociaux sont preacutesents dans

le quotidien des jeunes et qursquoils peuvent se rendre disponibles en cas de

difficulteacute ou de demande ils sont perccedilus comme un soutien reacuteel

Lrsquoeacutelaboration du projet de sortie est le reflet de tous les obstacles

que devront surmonter ces jeunes pour devenir les laquo entrepreneurs raquo de

leur existence (Blairon 2003 p 8) alors qursquoils sont marqueacutes par la releacute-

gation et la deacutesaffiliation Ainsi lorsque le projet qui tient agrave cœur au jeune

ne correspond pas vraiment agrave un projet de sortie mais srsquoapparente plutocirct

agrave une recherche sur soi-mecircme son eacutelaboration avec les membres de

lrsquoeacutequipe psychosociale si celle-ci ne se limite pas agrave son rocircle laquo drsquoeacutecriture

de rapports raquo peut ecirctre lrsquooccasion drsquoune rencontre et drsquoune eacutecoute Mais

lorsque le projet est discuteacute dans un cadre laquo moralisateur raquo ougrave les objectifs

sont deacutefinis par lrsquoensemble des intervenants plutocirct que par le jeune lui-

mecircme il apparaicirct comme le vecteur unique de communication et reste

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enfermeacute dans son caractegravere hyperformel Il ne permet pas alors une reacuteelle

eacutecoute ni un reacuteel travail sur laquo le sens veacutecu raquo des actes poseacutes il nrsquoest que

conformiteacute de surface aux attentes sociales

745 DIFFEacuteRENTES STRATEacuteGIES DE REacuteACTION

Les diffeacuterentes reacuteactions agrave la mesure de placement articulant les eacuteleacutements

cleacutes que nous venons drsquoexposer reacuteactions qui eacutemergent agrave lrsquoanalyse font

reacutefeacuterence soit agrave une eacutevolution en termes drsquoadaptation et de rationalisation

de la mesure alors veacutecue comme une possibiliteacute de laquo rachat raquo soit agrave une

eacutevolution en termes de repli et de refus Et dans ce cas la mesure est veacutecue

comme une punition insupportable Une derniegravere strateacutegie consiste agrave se

rendre en quelque sorte impermeacuteable agrave ne pas donner prise aux interve-

nants en adoptant une attitude minimale de conformisme de surface ou

drsquoindiffeacuterence

Les discours tregraves contrasteacutes des quelques jeunes rencontreacutes dans le

cadre de lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de prestation eacuteducative alimentent

lrsquohypothegravese drsquoune strateacutegie de reacuteaction srsquoarticulant autour des rapports

que le jeune entretient avec le corps social en termes drsquointeacutegration ou

drsquoexclusion La mesure peut ainsi se preacutesenter comme une sanction per-

mettant de tourner la page une humiliation suppleacutementaire insuppor-

table ou une sanction ineacuteluctable moins coucircteuse qursquoun placement trois

formes de reacuteaction apparenteacutees selon nous agrave celles que manifestent les

jeunes placeacutes

7451 Une strateacutegie drsquoadaptation et de rationalisation

Si le placement deacutebute toujours par des premiegraveres semaines difficiles

certains jeunes srsquoadaptent progressivement agrave lrsquoenvironnement institution-

nel en laissant place agrave une volonteacute de tirer un certain profit de leur seacutejour

Ils tentent de positiver la mesure par lrsquoappropriation des objectifs du

placement judiciaire en termes de victoire sur eux-mecircmes (en se maicirctri-

sant suffisamment pour parvenir agrave se conformer au carcan institutionnel)

drsquoinvestissement dans lrsquooffre scolaire et dans les divers apprentissages

sociaux Le temps du placement permet alors drsquoalimenter certains objec-

tifs personnels du jeune il est veacutecu comme lrsquooffre drsquoune chance de srsquoen

sortir Ces jeunes sont demandeurs drsquoun encadrement drsquoun accompagne-

ment drsquoun soutien speacutecifique par rapport agrave leur probleacutematique et sont

donc tregraves exigeants agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadulte

Que peut-on retenir comme eacuteleacutements srsquoarticulant autour de ce type

de reacuteaction au placement en institution speacutecialiseacutee Il ne semble pas que

lrsquoacircge des mineurs le reacutegime fermeacute ou ouvert le type de deacutelinquance ou

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194 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

son veacutecu soient des facteurs de compreacutehension particuliers Lrsquoorigine

sociale et culturelle de ces mineurs qui rationalisent leur expeacuterience est

diversifieacutee belge europeacuteenne et africaine Une prise de conscience au

terme drsquoun parcours chaotique jalonneacute de nombreuses prises en charge

srsquoamorce pour permettre cette rationalisation Un deacuteclic semble se faire

comme srsquoils eacutetaient arriveacutes laquo au bout du bout raquo mais drsquoautres se trouvant

dans le mecircme type de situation vont reacuteagir tout agrave fait diffeacuteremmenthellip

Un premier eacuteleacutement est le fait de consideacuterer la deacutecision judiciaire

comme une deacutecision logique et juste mecircme srsquoils auraient preacutefeacutereacute une

autre deacutecision10

Il semblerait que le veacutecu relationnel avec lrsquoun des acteurs judiciaires

principaux soit un eacuteleacutement de compreacutehension de cette position de ratio-

nalisation Ainsi pour ces jeunes la rencontre avec leur juge de la jeunesse

ou avec un eacuteducateur ou un membre de lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale

de lrsquoinstitution se preacutesente comme une offre reacuteelle la personne est vue

par le jeune comme cherchant agrave le comprendre agrave lui donner une chance

agrave lui offrir quelque chose dans un contexte geacuteneacuteral ougrave preacutevaut lrsquoimpres-

sion de rejet et de meacutepris On retrouvera ici les figures de juge laquo protecteur

et paternaliste raquo drsquoeacuteducateur laquo avec qui on peut rigoler raquo et drsquointervenants

psychosociaux donnant prioriteacute agrave leur mission drsquoeacutecoute et de soutien11 Si

le reacutegime fermeacute ou ouvert nrsquoest pas en lui-mecircme un eacuteleacutement de compreacute-

hension particulier la faccedilon dont ce reacutegime srsquoorganise soit en privileacutegiant

lrsquoaspect eacuteducatif agrave travers le relationnel soit en donnant la prioriteacute au

respect des regravegles et agrave la discipline est un facteur drsquointelligibiliteacute de la

reacuteaction des jeunes

La situation familiale de ces jeunes est pour la plupart drsquoentre eux

profondeacutement insatisfaisante le placement en institution speacutecialiseacutee sera

parfois lrsquooccasion de renouer un lien avec la famille de tenter une der-

niegravere fois de retrouver une confiance agrave partir du travail de lrsquoinstitution

Cependant pour certains lrsquoinstitution sera le dernier refuge avant de se

retrouver seul dans la vie en socieacuteteacute sachant qursquoil sera impossible de

compter sur lrsquoenvironnement familial Lrsquoinstitution est alors la derniegravere

eacutetape avant lrsquoautonomie

On retrouve le mecircme type de strateacutegie associeacutee agrave une reacuteaction de

rationalisation chez des jeunes ayant accompli une prestation eacuteducative

lorsque celle-ci est veacutecue comme lrsquooccasion drsquoune expeacuterience positive nou-

velle qui permet agrave la fois de deacutecouvrir de nouveaux horizons de chasser

10 Voir plus haut

11 Voir plus haut laquo Le magistrat de la jeunesse raquo

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lrsquoennui et de restaurer une image de soi mise agrave mal par les faits de deacutelin-

quance Mecircme srsquoil srsquoagit bien drsquoune sanction imposeacutee par le cadre judi-

ciaire celle-ci se reacutevegravele une expeacuterience positive satisfaisante tant sur le

plan personnel que relationnel et social La satisfaction personnelle est

lieacutee au fait que le travail imposeacute est le plus souvent consideacutereacute comme

inteacuteressant voire agreacuteable Il permet drsquoapprofondir ou drsquoacqueacuterir une

expeacuterience qui pourra se reacuteveacuteler utile ulteacuterieurement il est lrsquooccasion de

deacutevelopper certains savoir-ecirctre Sur le plan relationnel le contact avec le

responsable de lrsquoexeacutecution de la prestation est valorisant de mecircme que

la rencontre avec les eacuteventuels beacuteneacuteficiaires de la prestation (patients

jeunes enfantshellip) Plus largement la valorisation sociale vient du senti-

ment drsquoutiliteacute aupregraves de la communauteacute ressenti par ces jeunes ainsi que

de la possibiliteacute drsquoexister autrement qursquoagrave travers lrsquoacte de deacutelinquance

Vaillant parle de reacuteparation symbolique de restauration du lien lorsque

lrsquoexpeacuterience de travail agrave partir de la mesure de prestation avec tout ce

qursquoelle comporte comme reacutealisations concregravetes deacutemarches rencontres

permet une reacuteelle confrontation ou rencontre entre le mineur deacutelinquant

et les autres laquo La reacuteparation se pose sur le mode de la reacuteconciliation

sociale le jeune et la socieacuteteacute doivent tous les deux faire un pas pour aller

lrsquoun vers lrsquoautre raquo (Vaillant 2000 p 71)

Jrsquoai appris quelque chose et moi jrsquoai fait ce qursquoon me demande de faire pourreacuteparerhellip Alors moi je savais deacutejagrave que crsquoeacutetait possible drsquoapprendre un meacutetierAu lieu drsquoaller dans un internat ou dans une prison pour un mois oudeux mois on nous demande de travailler comme ccedila pour la socieacuteteacute commeccedila en mecircme temps on fait quelque chose de bien on travaille bien Oui onse fait punir mais drsquoune autre faccedilon (Joseo 18 ans)

Lrsquoeffet de reconstruction de lrsquoimage du jeune et par lagrave drsquoune forme

de lien social est ici indeacuteniable Au-delagrave de lrsquoimage neacutegative qursquoun jeune

laquo deacutelinquant raquo pensait donner de lui le veacutecu de la prestation lui permet

de ne pas ecirctre reacuteduit agrave lrsquoacte commis de tourner la page et de conserver

la consideacuteration des autres

Ce type de strateacutegie est deacuteveloppeacute par des jeunes que nous avons

situeacutes du cocircteacute du pocircle inteacutegration la judiciarisation du passage agrave lrsquoacte

rompt un eacutequilibre dans les rapports que le jeune entretient avec son

entourage social scolaire et familial et la mesure permet de restaurer

une nouvelle forme drsquoeacutequilibre Le jeune srsquoapproprie les objectifs eacuteduca-

tifs des intervenants qursquoil rencontre tant dans la proceacutedure judiciaire que

sur le terrain drsquoexeacutecution de la prestation

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196 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

7452 Une strateacutegie de repli-refus

Agrave lrsquoinverse certains jeunes pratiquent une strateacutegie de repli par rapport

agrave leur placement lequel est veacutecu essentiellement comme une limite neacutega-

tive une sanction sans offre positive Ils adoptent une attitude activement

neacutegative La mesure est veacutecue essentiellement comme une punition une

forme drsquoemprisonnement mecircme srsquoil srsquoagit drsquoun placement en milieu eacutedu-

catif ouvert crsquoest le laquocalvaireraquo Ce type de jeunes nrsquoaccroche agrave rien deacuteveloppe

une influence neacutegative sur le groupe et un travail constructif est tregraves

difficile agrave mettre en œuvre Souvent drsquoailleurs ces jeunes finissent par

fuguer de lrsquoinstitution marquant ainsi clairement leur refus

Il semblerait que les jeunes qui pratiquent cette strateacutegie soient plus

jeunes que ceux qui rationalisent sans doute la maturiteacute ou lrsquoaccumula-

tion des mesures jouent-elles un rocircle agrave cet eacutegard Si les origines de ces

jeunes sont diversifieacutees ndash belge europeacuteenne ndash on retrouve ici des jeunes

drsquoorigine maghreacutebine refusant drsquoailleurs le plus souvent de srsquoexprimer sur

leur veacutecu sur leur famille sur leur deacutelinquance niant mecircme les faits12hellip

Agrave partir drsquoune perception de la sanction comme injuste en raison

du deacutelai de la proceacutedure du flou entourant la dureacutee de la deacutecision judi-

ciaire des diffeacuterences de traitement selon les arrondissements ou lrsquoacircge ou

plus largement drsquoun sentiment drsquoecirctre constamment floueacute et rejeteacute la

mesure de placement est veacutecue exclusivement en termes de laquo perte detemps raquo drsquoennui de temps srsquoeacutetirant agrave lrsquoinfini Lrsquoaccent est mis sur le cadre

laquo merdique raquo de lrsquoinstitutionhellip Les rapports aux acteurs judiciaires au juge

notamment se caracteacuterisent par lrsquoincompreacutehension mutuelle et le senti-

ment drsquoinjustice subie on retrouve ici les figures de juges laquo qui placent sansreacuteflexion raquo

Le parcours est chaotique mais aucune intervention aucune ren-

contre nrsquoa encore pu lui donner un sens Les eacuteducateurs sont perccedilus

comme laquo lasseacutes raquo ou se cantonnant dans lrsquoapplication du regraveglement les

intervenants psychosociaux leur semblent se contenter drsquoeacutecrire des rap-

ports Tout se passe pour ces jeunes comme si les eacuteveacutenements se deacuterou-

laient en dehors drsquoeux ils subissent avec colegravere ce qui leur arrive Ce sont

des jeunes qui parlent peu de leur environnement familial ou refusent

mecircme carreacutement drsquoen parler Les rapports au monde sont veacutecus en termes

drsquoinjustice la sanction est une iniquiteacute suppleacutementaire Ils se trouvent

12 Il conviendrait de poursuivre les recherches pour comprendre cette meacutefiance et cettereacuteticence agrave se confier

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dans un eacutetat profond drsquoinsatisfaction agrave lrsquoeacutegard des conditions de vie et de

la reacuteaction judiciaire qui peut faire craindre lrsquoinstallation dans un style de

vie deacuteviant (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 25)

On retrouve le mecircme type de strateacutegie chez des jeunes agrave qui le

magistrat impose une mesure de prestation eacuteducative et qui refusent car-

reacutement drsquoentreprendre toute action reacuteparatrice comme ils refuseraient

toute proposition venant de la socieacuteteacute Vaillant dit de ces mineurs qursquoils

se sentent des laquo victimes eacutetrangegraveres agrave toute responsabiliteacute [hellip] Ce nrsquoest

qursquoun juste retour des choses ils manquent de tout on leur doit tout on

ne peut rien leur demander raquo (Vaillant 2000 p 84)

On peut raisonnablement faire lrsquohypothegravese que ces jeunes nrsquoont

jamais connu une quelconque forme de lien social et ne vivent leur rap-

port agrave la socieacuteteacute que comme exclusion et injustice Crsquoest effectivement le

discours de certains jeunes qui ont refuseacute une mesure de prestation et se

sont donc retrouveacutes placeacutes en institution speacutecialiseacutee La prestation devient

ici une laquo proposition injurieuse raquo

Il [le juge] sait bien que ccedila marche pas avec moi Je vais pas commenceragrave me taper la gecircne dans mon quartier agrave faire des travaux geacuteneacuteraux Fautpas commencer non plus Ccedila va aller 250 heures de travaux geacuteneacuterauxou deux semaines agrave la prison je cherche pas agrave comprendre (Yves 16 ans)

7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence

Pour les jeunes qui emploient ce type de strateacutegie le placement est minimiseacute

le jeune srsquoinstalle dans une sorte drsquohibernation pour ne pas donner prise

aux intervenants il laquo attend que le temps passe raquo Cette attitude passive est le

plus souvent perccedilue neacutegativement par les eacutequipes eacuteducatives les jeunes

ne se laissant pas approcher ne permettant aucune opportuniteacute de ren-

contre nrsquoaccrochant pas aux propositions institutionnelles La mesure est

une punition agrave laquelle on se reacutesigne Sachant qursquoils nrsquoont pas vraiment

le choix et nrsquoayant pas envie de tomber plus bas ce type de jeunes se tient

tranquille Leur veacutecu est souvent proche de celui des jeunes qui deacuteve-

loppent une strateacutegie de refus leur caracteacuteristique principale est leur

impermeacuteabiliteacute mais ils sont moins vindicatifs que les jeunes en repli Ils

minimisent lrsquoimpact de la deacutecision judiciaire souvent en reacutefeacuterence agrave la

prison qui est plus deacutesagreacuteable encore Les relations aux acteurs judi-

ciaires ne paraissent pas tregraves porteuses les juges sont perccedilus comme ne

comprenant rien les relations aux eacutequipes eacuteducatives sont veacutecues comme

distantes Ce sont des jeunes qui se reacutefugient derriegravere les faits sans

investissement eacutemotionnel personnel

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198 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

On retrouve en fait la mecircme toile de fond entre la strateacutegie de refus

et drsquoindiffeacuterence il srsquoagit de deux modes de reacuteaction de retrait qui

rendent le travail eacuteducatif tregraves difficile voire impossible On ne peut pas

vraiment consideacuterer qursquoil srsquoagit de strateacutegies diffeacuterentes On serait plutocirct

en preacutesence de deux faccedilons de deacutecliner un rapport de distanciation par

rapport agrave lrsquointervention eacuteducative

Dans le mecircme type de rapport de distanciation on retrouve des

jeunes qui ont accepteacute et reacutealiseacute une mesure de prestation en arguant

principalement sur le caractegravere moins contraignant de la mesure par le

fait qursquoelle permet de conserver sa liberteacute (McIvor 1992 p 94) Il srsquoagit

drsquoune solution agrave moindre coucirct

Vaillant parle de ces mineurs pour qui la mesure de reacuteparation a

glisseacute sur eux sans les mouiller comme des laquo canards qui laissent couler

lrsquoeau sur leurs plumes et ne laissent rien deviner de leurs sentiments raquo

(Vaillant 2000 p 83) Ces jeunes se conforment agrave ce qursquoon leur impose

la prestation se passe bien lrsquoeacutevaluation est globalement positive mais ils

nrsquoinvestissent pas dans la dimension symbolique de la reacuteparation

Ainsi si la prestation est veacutecue uniquement comme une faccedilon drsquoeacutechap-

per agrave une punition plus seacutevegravere dans lrsquoennui et dans lrsquoattente que le temps

srsquoeacutecoule sans reacutealiser lrsquoutiliteacute du travail agrave effectuer sans rencontre inter-

personnelle elle correspond effectivement agrave une reacuteparation mais sans la

dimension de restauration drsquoun lien social Ce type de strateacutegie est deacuteve-

loppeacute par des jeunes que nous avons situeacutes du cocircteacute du pocircle marginalisation

La judiciarisation est alors une sorte de rateacute dans un parcours drsquointeacute-

gration parallegravele la mesure de prestation eacutetant consideacutereacutee comme un

moindre mal dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice elle est accepteacutee par

le jeune qui lrsquoinscrit dans son projet de sortir le plus vite possible du circuit

judiciaire

CONCLUSION

La judiciarisation drsquoune transgression et la deacutecision qui lrsquoaccompagne sont

un eacuteveacutenement marquant qui repreacutesentent le point de deacutepart drsquoune relec-

ture de lrsquoensemble de la trajectoire des mineurs rencontreacutes La date de la

deacutecision judiciaire est drsquoailleurs souvent le seul repegravere temporel La signi-

fication que le jeune va accorder agrave cette deacutecision sanction logique ou

injustice en drsquoautres termes sa perception de la deacutecision est extrecircmement

importante pour comprendre la strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure et ainsi

le sens que celle-ci va prendre dans le parcours du jeune Mais comme le

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dit Carra si laquo lrsquointervention judiciaire par son action stigmatisante contri-

bue agrave lrsquoamplification secondaire de la deacutelinquance cet effet nrsquoest ni absolu

ni ineacutevitable Elle peut dans un contexte speacutecifique contribuer agrave lrsquoarrecirct

des activiteacutes deacutelictuelles Le suivi judiciaire peut finir par ne plus ecirctre veacutecu

comme stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir

le support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire avec lequel ces mineurs

nrsquoont plus de liens positifs raquo (Carra 2001 p 164) crsquoest effectivement ce

que nous disent les mineurs qui deacuteveloppent une strateacutegie de rationalisation

La mesure de placement ou de prestation constitue alors une laquo veacuteritable

promesse de socialiteacute pour des jeunes priveacutes drsquoeacutechanges humains non

commerciaux livreacutes aux trafics magouilles deacutebrouilles et autres eacutecono-

mies de survie raquo (Vaillant 2000 p 67) agrave partir drsquoune rencontre drsquoacteurs

sociaux et judiciaires privileacutegiant lrsquoeacutecoute et le dialogue

La strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure judiciaire se preacutesente comme

une combinaison complexe de diffeacuterents eacuteleacutements de lrsquohistoire person-

nelle du jeune de sa position sociale de son parcours sociojudiciairehellip

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la perception de la mesure et par lagrave son impact

est en lien avec la faccedilon dont srsquoest construit le rapport du jeune agrave la

socieacuteteacute Ainsi un jeune eacutetablissant certaines affiliations qui a des points

drsquointeacutegration et drsquoaccrochage avec lrsquoensemble de la socieacuteteacute percevra la

sanction comme une reacuteaction justifieacutee agrave un acte reconnu comme une

transgression

Si moi je fais une connerie le juge nrsquoaccepte pas donc je dois ecirctre puni etcrsquoest ccedila la punition crsquoest juste (Kevin 17 ans)

Admettant la sanction le jeune pourra la vivre comme une reacuteconci-

liation avec la socieacuteteacute et une reconstruction de lrsquoimage de soi

Agrave lrsquoopposeacute le jeune qui occupe une position drsquoexclusion ou simple-

ment marginale qui nrsquoeacutetablit pas drsquoaffiliation avec les circuits socialement

reconnus vivra la sanction comme un signe suppleacutementaire de rapports

deacutejagrave ressentis comme eacutetant profondeacutement ineacutegalitaires La laquo deacutelinquance raquo

peut ecirctre veacutecue comme une source de revenu une base de statut social

dans un environnement parallegravele le jeune cherche alors comment eacuteviter

(strateacutegie de refus) ou annuler (strateacutegie drsquoindiffeacuterence) ce qursquoimplique

la mesure au lieu de tenter drsquointeacutegrer les valeurs que le juge et les inter-

venants lui proposent agrave travers celle-ci

La reacuteaction des jeunes agrave la mesure judiciaire nrsquoest cependant pas le

seul effet de lrsquointervention du systegraveme de justice des mineurs Celui-ci ne

fait souvent que renforcer certains aspects qui preacuteexistent agrave son action

action qui apparaicirct en fait preacutedeacutetermineacutee par la place de lrsquoindividu au

sein des rapports sociaux (Carra 2001 p 164) Lrsquointervention judiciaire

relative aux mineurs srsquoinscrit dans un processus complexe ougrave interviennent

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200 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de multiples acteurs et agents de socialisation et au cours duquel laquo la place

que lrsquoindividu occupe dans les rapports sociaux le rendra plus ou moins

vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de vie agrave

lrsquoeacutecole au travail face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-

lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance

juveacutenile raquo (Carra 2001 p 166)

Il semble que la strateacutegie de rationalisation deacutegageacutee du discours de

certains jeunes ne serait accessible qursquoagrave ceux qui ont drsquoune maniegravere ou

drsquoune autre rencontreacute une possibiliteacute de sortir de la domination totale qui

ont eu lrsquooccasion de faire lrsquoexpeacuterience de la reconnaissance et de lrsquoeacutechange

Ainsi par exemple lrsquoimage du juge laquo protecteur et paternaliste raquo image

valoriseacutee par les jeunes qui cherchent agrave laquo profiter raquo de lrsquooffre judiciaire

est perccedilue par des jeunes qui possegravedent suffisamment de maicirctrise des

rouages du systegraveme pour se conformer minimalement aux exigences de

ce systegraveme en parvenant agrave srsquoattirer la bienveillance de ses acteurs13

Lrsquoacceptation de la neacutegociation drsquoun projet de sortie socialement acceptable

est lrsquoun des eacuteleacutements de cette strateacutegie de rationalisation

Tous ces jeunes laquo deacutelinquants raquo parlent drsquoune souffrance sociale ou

familiale leur comportement probleacutematique est finalement une forme de

reacuteponse agrave un besoin de reconnaissance agrave travers la possession de biens

mateacuteriels ou de consommation lrsquoexpression de leur rage ou de leur

malaisehellip Pour comprendre lrsquoarticulation des eacuteveacutenements de leurs trajec-

toires vers la sortie des pratiques deacuteviantes ou au contraire lrsquoinstallation

dans lrsquoescalade il faudrait approfondir la dialectique identiteacute personnelle

reacutegulations sociales dans la production de la deacuteviance (Carra 2001 p 161)

agrave partir de la perception qursquoont les jeunes eux-mecircmes de leur parcours et

des eacuteveacutenements qui le jalonnent Agrave travers notre analyse la perception

subjective des individus est apparue fondamentale dans la compreacutehension

des strateacutegies de reacuteaction aux interventions de reacutegulation sociale Cette

perception est neacuteanmoins le produit drsquoune combinaison drsquoeacuteleacutements qui

tiennent tant aux caracteacuteristiques personnelles du jeune et agrave son histoire

socioculturelle et individuelle qursquoagrave son laquo destin social raquo (De Gaulejac

1994) ougrave la confrontation aux acteurs sociaux et judiciaires et la recon-

naissance qursquoils permettent drsquoobtenir est lrsquoun des eacuteleacutements cleacutes de la

combinaison La quecircte de reconnaissance est au cœur de leur strateacutegie

drsquoadaptation agrave la judiciarisation Crsquoest par la mise en confiance dans une

relation entre le jeune et lrsquoadulte que le jeune va pouvoir se construire

13 Comme nous lrsquoavons deacuteja releveacute la perception du juge est eacutegalement conditionneacutee parle conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance que celui-ciparvient ou non agrave susciter

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ou se reconstruire deacutecouvrir une certaine estime de soi par lrsquoinvestisse-

ment dans une activiteacute valorisante qui lui permettra alors de deacutevelopper

une envie minimale de srsquoinscrire dans un projet de sortie reacuteellement per-

sonnel et investi laquo Lrsquoaccegraves agrave un rapport agrave soi reacuteussi deacutepend de la recon-

naissance intersubjective de ses capaciteacutes et de ses reacutealisations raquo (Honneth

traduit par Pourtois 1998 p 9) Lrsquoexpeacuterience de judiciarisation et ce

qursquoelle implique peut permettre cette reconnaissance intersubjectivehellip

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204

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cette conclusion aurait pu faire lrsquoeacuteloge de chacun des chapitres qui consti-

tuent ce collectif drsquoauteurs En adoptant une approche reacutesolument qualitative

tous contribuent en effet drsquoune maniegravere significative agrave lrsquoenrichissement

des connaissances concernant la reacutealiteacute complexe des

trajectoires de viedeacuteviantes

des adolescents Nous avons plutocirct choisi de mettre en relation

les eacuteleacutements de savoir qui se deacutegagent de lrsquoensemble des chapitres car il

est apparu qursquoau-delagrave des contributions singuliegraveres se deacutetachent des lignes

drsquointelligence qui transcendent lrsquoensemble des productions preacutesenteacutees par

les diffeacuterents auteurs Pris individuellement chaque regard poseacute sur un

aspect de la probleacutematique favorise une meilleure compreacutehension de

lrsquointeacuterieur de lrsquounivers de cette jeunesse qui se reacutealise de diverses faccedilons

Certaines sont mieux admises socialement et par conseacutequent jamais remises

en question alors que drsquoautres sont jugeacutees deacuteviantes et attirent lrsquoattention

des chercheurs comme du public en geacuteneacuteral

Agrave la lecture des contributions regroupeacutees dans ce collectif drsquoauteurs

qui tous adoptent une approche qualitative visant la compreacutehension des

trajectoires de vie deacuteviantes

il apparaicirct rapidement que bien qursquoelles

abordent des manifestations diffeacuterentes de la deacuteviance des jeunes bien

qursquoelles mettent lrsquoaccent sur des moments diffeacuterents de la trajectoire et

bien qursquoelles reposent sur des meacutethodologies diffeacuterentes ces contribu-

tions eacutetonnent par le fait qursquoon y retrouve des eacuteleacutements communs qursquoil

importe de souligner et drsquoautres compleacutementaires qursquoil importe de mettre

en relation

Mais avant drsquoentrer dans le vif du sujet qui nous conduira agrave appreacutecier

agrave sa juste valeur lrsquoapport drsquoune approche qualitative prenant diverses

formes agrave la compreacutehension des

trajectoires de vie deacuteviantes

des jeunes il faut

rappeler et insister sur le fait que mecircme si durant la peacuteriode de lrsquoadoles-

cence plusieurs jeunes srsquoadonnent agrave des comportements deacuteviants de

nature de graviteacute et drsquointensiteacute variables seule une minoriteacute drsquoentre eux

srsquoengagent vraiment dans une trajectoire deacuteviante En effet peu de jeunes

deviennent des toxicomanes ou des deacutelinquants laquo structureacutes raquo mecircme si

plusieurs font un certain usage de drogues ou commettent des deacutelits de

faccedilon occasionnelle Et encore tous les jeunes ne le feront pas Mais pour

ceux qui srsquoengagent dans une

trajectoire de vie deacuteviante

ceux auxquels les

auteurs qui participent au preacutesent collectif se sont inteacuteresseacutes certains

constats communs se deacutegagent dont nous ferons eacutetat ici

Drsquoabord tous les auteurs reconnaissent lrsquoimportance de srsquoadresser

directement aux jeunes pour faire la lumiegravere sur leur reacutealiteacute telle qursquoils

la perccediloivent telle qursquoils la vivent Il srsquoagit de comprendre les motivations

les aspirations les projets de ces jeunes consideacutereacutes comme des acteurs de

leur histoire selon lrsquoexpression de Michel Kokoreff Agrave cette fin il est

neacutecessaire drsquoappreacutehender les significations que les jeunes donnent aux

CONCLUSION

205

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

eacuteveacutenements survenant dans leur vie aux sentiments qui srsquoy rattachent et

aux actions qui en deacutecoulent insistent Natacha Brunelle et ses collabora-

teurs Il srsquoagit en effet de reconnaicirctre que les jeunes ne sont pas que des

reacutecepteurs qui subissent passivement les eacuteveacutenements qui jalonnent leur

vie mais qursquoils contribuent dans la mesure des possibiliteacutes qui srsquooffrent agrave

eux agrave forger leur itineacuteraire Les jeunes usent de strateacutegies qursquoils sont les

seuls agrave pouvoir nous faire deacutecouvrir soutiennent tous les auteurs Il convient

donc de faire de la recherche

avec

et non

sur

les jeunes

Il faut toutefois reconnaicirctre comme le font drsquoun bel accord lrsquoensemble

des auteurs que la liberteacute drsquoaction dont jouissent les jeunes est condition-

neacutee par les structures sociales qui lrsquoencadrent Si lrsquoindividu est un acteur

dans le sens ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passive-

ment les effets eacutecrit Ceacutecile Carra il est cependant contraint par son

environnement Il est aussi jugeacute par son entourage et il arrive qursquoil fasse

sien ce jugement Ainsi signale Michel Kokoreff lrsquoindividu deacutesigneacute socia-

lement comme laquo toxicomane raquo se consideacuterera comme tel deacutefini comme

laquo multireacutecidiviste raquo agrave la suite de confrontations multiples avec les autoriteacutes

il ira jusqursquoagrave reprendre cette deacutesignation institutionnelle comme il a inteacute-

rioriseacute son identiteacute de laquo toxicomane raquo Tout se passe preacutecise Ceacutecile Carra

laquo comme si lrsquoidentiteacute prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stig-

matisant de celle-ci eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassu-

mer ces stigmates en les renforccedilant raquo Mais cet effet comme tout autre

effet nrsquoest pas automatique signale lrsquoauteure Il nrsquoy a qursquoagrave rappeler

lrsquoexemple apporteacute par Kokoreff de cet homme qui se preacutesente aux siens

comme un

dealer

pas comme un consommateur mais qui adopte la posi-

tion inverse lorsque mis agrave lrsquoarrecirct par les policiers il vise agrave voir sa sanction

peacutenale alleacutegeacutee

Cela eacutetant il apparaicirct que la compreacutehension de la trajectoire de vie

deacuteviante des jeunes doit passer par lrsquoappreacutehension des interactions qui

contribuent agrave la faccedilonner Selon Michel Kokoreff il faut resituer les eacuteveacute-

nements et les actions dans des parcours et des contextes sociaux ougrave

jouent les relations aussi bien avec les familles et les groupes de pairs

qursquoavec les institutions reacutepressives sanitaires sociales ou scolaires

Crsquoest aussi dans cette perspective que Ceacutecile Carra souligne lrsquoimpor-

tance de consideacuterer lrsquoexpeacuterience subjective de lrsquoindividu comme la reacutesultante

drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions prenant la forme de

neacutegociations ou de meacutediations qui constituent des lieux de tension entre

individus et groupes sociaux placeacutes dans des relations ineacutegalitaires et

conflictuelles Lrsquoauteure tout comme Michel Kokoreff Ceacuteline Bellot et

Maryse Esterle-Hedibel nous ramegravene ainsi agrave la perspective interaction-

niste envisageacutee il y a deacutejagrave plus de quarante ans par Becker les auteurs

tenant compte des avanceacutees theacuteoriques reacutealiseacutees agrave sa suite

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206

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Dans la mecircme ligne de penseacutee chacun des auteurs signale lrsquoimpor-

tance de prendre en compte tout autant les logiques des acteurs que le

rocircle des institutions des familles de lrsquoenvironnement et des groupes de

pairs dans lrsquoanalyse des processus en œuvre dans la constitution de trajec-

toires de vie deacuteviantes Surgit ici la notion de processus qui rapidement

eacutevoqueacutee pourrait laisser penser agrave une forme drsquoengrenage induisant une

certaine lineacuteariteacute ou du moins agrave une certaine seacutequence dans les parcours

des jeunes Ces parcours les conduiraient drsquoune eacutetape agrave lrsquoautre jusqursquoagrave

ce qursquoils srsquoinstallent deacutefinitivement dans un parcours de vie deacutevianthellip ou

qursquoils en sortent Mais lrsquoideacutee forte qui se deacutegage de lrsquoensemble des textes

est celle de la non-lineacuteariteacute des parcours lesquels se dessinent plutocirct

comme une suite de meacuteandres drsquoallers-retours de peacuteriodes drsquointensifica-

tion et de diminution drsquoescalade et de deacutegringolade drsquoabstinence et de

rechutes reacuteversibles Srsquoimposent alors la complexiteacute des parcours et la

difficulteacute de les suivre et de les preacutevoir puisque comme le signale fort

justement Ceacuteline Bellot ceux-ci srsquoinscrivent toujours dans laquo un univers de

possibles qui se construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les

eacuteveacutenements srsquoenchacircssent et que les rencontres avec les autres se reacutealisent

ou non que les rapports sociaux structurent ou non la dialectique deacuteviance

conformiteacute raquo Prendre une photo de la vie du jeune agrave un moment donneacute

de sa vie ou mecircme une seacuterie de photos agrave diffeacuterents moments de sa vie

ne peut que cacher la sinuositeacute de son itineacuteraire et masquer la complexiteacute

qui se trouve derriegravere la construction des trajectoires de vie qui apparaissent

loin drsquoecirctre traceacutees deacutetermineacutees drsquoavance Les motivations peuvent chan-

ger en cours de route En teacutemoigne le passage drsquoune consommation pour

le plaisir agrave une consommation pour lrsquooubli souligneacute par Natacha Brunelle

et ses collegravegues Les perceptions aussi peuvent changer comme crsquoest le

cas lorsque la laquo lune de miel raquo deacutecrite par Marie-Marthe Cousineau et ses

collaboratrices qui marque lrsquoentreacutee dans les gangs pour plusieurs jeunes

garccedilons et filles prend fin et que la peur srsquoinstalle Les situations srsquointer-

influencent neacutecessairement Crsquoest ainsi que les relations familiales repreacute-

sentent agrave la fois laquo le baromegravetre du comportement et la reacutesultante de ce

comportement raquo note Isabelle Delens-Ravier Rejeteacute par les siens le jeune

srsquoenfoncera dans des comportements deacuterangeants qursquoil preacutesente lui-mecircme

comme une forme drsquoappel mais qui entretiennent le rejet Crsquoest eacutegale-

ment ainsi qursquoune bande de jeunes parvient agrave se positionner dans lrsquoespace

local en obligeant les acteurs environnants agrave tenir compte de sa preacutesence

mais que du mecircme coup ce positionnement participe directement non

seulement agrave la marginalisation de ses membres mais aussi agrave leur stigma-

tisation contribuant agrave leur prise en charge par les autoriteacutes chargeacutees de

faire reacutegner lrsquoordre soutient Ceacutecile Carra

CONCLUSION

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De fait chaque situation est singuliegravere souligne Maryse Esterle-Hedibel

mais on trouve des points communs entre les unes et les autres Lrsquoanalyse

des donneacutees qualitatives fournies par chaque reacutecit de jeune ou par lrsquoobser-

vation de situations au cœur desquelles les jeunes se trouvent mecircleacutes per-

met de deacutefinir des laquo profils de situation raquo La compreacutehension de ces profils

fait apparaicirctre des reacutecurrences qui dessinent des logiques drsquoaction compa-

rables alors que leur confrontation contribue agrave mettre au jour des confi-

gurations particuliegraveres dans lesquelles ces logiques agissent observe Ceacutecile

Carra Agrave cet eacutegard on se rappellera les trajectoires de rue identifieacutees par

Ceacuteline Bellot qui met en lumiegravere la rue comme eacutepisode initiatique dans

la vie du jeune la rue comme tremplin vers le monde conventionnel ou

criminel et la rue deacuterive Qursquoon pense aussi aux trajectoires continues et

discontinues de consommation de drogues et drsquoengagement dans la deacutelin-

quance qursquoeacutevoquent Natacha Brunelle et ses collegravegues pour en avoir fait

une description plus fine ailleurs

Il ne faut donc pas nier ou occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des situations

qui megravenent agrave lrsquoadoption drsquoune

trajectoire de vie deacuteviante

non plus que la

diversiteacute des trajectoires deacuteviantes qui ne saurait drsquoaucune faccedilon se reacutesu-

mer agrave lrsquoadoption drsquoune ligne de conduite toute traceacutee Les eacutetudes montrent

en effet que la trajectoire naicirct drsquointeractions complexes entre lrsquoindividu

son environnement et le contexte qui offre plus ou moins drsquooccasions

licites ou deacuteviantes Par ailleurs srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la

trajectoire il faut retenir quelles sont les expeacuteriences qui contribuent au

renforcement ou au contraire agrave lrsquoeffritement ou agrave la cassure

drsquoune trajec-toire de vie deacuteviante

Il srsquoagit en somme comme le reacutesume fort bien Ceacuteline

Bellot laquo de saisir la mise en mots du parcours biographique [dans le reacutecit

qursquoen fait le jeune lui-mecircme] mise en mots qui donne accegraves agrave la logique

des neacutegociations identitaires de lrsquoindividu raquo et aux expeacuteriences qui mar-

quent la vie du jeune Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindi-

vidu aux rencontres que celui-ci fait ou non ndash et aux expeacuteriences qursquoil vit

ou non ndash en tenant compte des significations et des sentiments qui srsquoy

rattachent pour mettre en lumiegravere les tenants et les aboutissants qui

srsquoentremecirclent dans la constitution de la

trajectoire de vie deacuteviante

Au regard de ces connaissances qursquoaura permis drsquoacqueacuterir une

approche qualitative diversifieacutee dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie

deacuteviantes des jeunes se dessinent des lignes drsquoaction pour lrsquointervention

Puisque le jeune est lrsquoacteur principal de sa trajectoire il faut le laisser tracer

le portrait de cette trajectoire en insistant pour qursquoil fasse eacutetat du sens qursquoil

donne et des sentiments qursquoil associe aux eacuteveacutenements qursquoil vit Il faut du

mecircme coup tenter de faire la lumiegravere sur les interactions agrave lrsquoœuvre agrave

chaque occasion Reconnaissant le rocircle des interactions dans la constitu-

tion des trajectoires deacuteviantes des jeunes ainsi que celui des structures

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208

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sociales il apparaicirct incontournable drsquoadopter une approche drsquointervention

systeacutemique qui non seulement srsquoadresse agrave lrsquoindividu mais tient eacutegalement

compte de lrsquoenvironnement dans lequel celui-ci eacutevolue et sur lequel il agit

Une telle approche exige des diffeacuterents intervenants qursquoils travaillent de

maniegravere concerteacutee

Agrave la suite de Ceacuteline Bellot nous soutenons qursquoune approche quali-

tative dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie des jeunes se reacutevegravele un outil

majeur tant en intervention qursquoen recherche Le recours agrave un tel outil

vient soutenir le regard porteacute sur la complexiteacute des situations sur la

nature de lrsquoexpeacuterience biographique de mecircme que sur les capaciteacutes de

structuration qursquoengendrent les interventions notamment reacutepressives en

renforccedilant les meacutecanismes de stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent

les jeunes Il peut tout aussi bien permettre de mieux cerner les sorties

de la deacuteviance et les aleacuteas que celles-ci comportent

Enfin srsquoil est important pour les intervenants drsquoagir de concert il

en va de mecircme des chercheurs qui devraient collaborer en vue de parve-

nir agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun savoir multidisciplinaire articuleacute autour du jeune

lui-mecircme au cœur des preacuteoccupations et des devis de recherche Ce livre

aura donc montreacute au-delagrave des singulariteacutes propres agrave chaque cas que

chaque cheminement deacutevoile diverses geacuteneacuteraliteacutes sur lesquelles on devrait

tabler afin drsquoen tirer un savoir inteacutegreacute au service des jeunes

PO

ST

FA

CE

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C

ANDIDO

DA

A

GRA

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de PortoDirecteur de lrsquoEacutecole de Criminologie

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210

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si on me demandait

a posteriori

de titrer ce livre jrsquoutiliserais un eacutenonceacute

constitueacute par trois mots

vie

temps

et

reacutecit

Crsquoest cela qui caracteacuterise il

me semble cet excellent ouvrage sur la deacuteviance juveacutenile En lisant ce

livre je suis presque obseacutedeacute par la mecircme question mais quel est lrsquoesprit

(scientifique bien entendu) qui traverse lrsquoensemble des textes Y a-t-il des

structures de penseacutee communes parmi les diffeacuterences dans les objets les

concepts les points de vue les meacutethodes les scheacutemas Y a-t-il un cadre

de reacutefeacuterence assez large et coheacuterent dont le pouvoir et la valeur eacutepisteacute-

miques puissent rendre compte du laquo mecircme raquo agrave lrsquointeacuterieur de la diffeacuterence

Si la reacuteponse est oui quelle est la nature du

mecircme

persistant souterrain

occulteacute sous la surface des discours Quel est le dessous des notions des

concepts des points de vue des meacutethodes

Un ouvrage mecircme srsquoil est collectif deacutefinit son objet son cadre theacuteo-

rique et sa meacutethode en toute coheacuterence avec une viseacutee Celle de ce livre

est de contribuer agrave lrsquoeacuteclaircissement drsquoun problegraveme social la deacuteviance

juveacutenile en vue drsquoune intervention qui tienne compte de la connaissance

Mais nrsquoa-t-on pas assez de connaissance sur cet objet eacutetudieacute depuis bientocirct

un siegravecle Non Tout drsquoabord le pheacutenomegravene a subi des transformations

et ses nouvelles manifestations sont loin drsquoecirctre deacutecrites expliqueacutees et

comprises Puis les approches traditionnelles de par leur simpliciteacute reacuteduc-

tionniste ne rendent pas compte de la complexiteacute des nouvelles manifes-

tations du pheacutenomegravene Ces approches le traitent du dehors Dans cet

ouvrage le point laquo drsquoattaque raquo crsquoest plutocirct lrsquoenvers du pheacutenomegravene Con-

naicirctre le dedans de la deacuteviance juveacutenile voilagrave son propos Pour le faire

les auteurs srsquoadressent agrave la

vie

des jeunes au

temps

qui caracteacuterise son

deacuteroulement agrave travers le langage narratif le

reacutecit

LA VIE

Lrsquoobjet de cet ouvrage crsquoest la vie des jeunes La vie dans son deacutebat avec

le soi avec les autres avec la famille lrsquoeacutecole le quartier la ville La vie

dans ses rapports avec la consommation le plaisir la souffrance et lrsquoargent

La vie dont le temps est celui des meacutetamorphoses physiologiques psycho-

logiques et sociales La vie dont lrsquoespace srsquoeacutetend entre lrsquoouverture des rues

et la fermeture des prisons

On a eu beau tenter drsquoexpliquer le comportement des jeunes pour

intervenir aupregraves drsquoeux chercher des laquo causes raquo aupregraves des systegravemes exteacute-

rieurs (lrsquoheacutereacutediteacute les valeurs la socieacuteteacute) se deacuteplacer de la surface du

comportement vers ses structures profondes (le systegraveme nerveux la per-

sonnaliteacute le caractegravere) demander des comptes aux processus de deacutevelop-

pement (classe drsquoacircge geacuteneacuteration troubles de deacuteveloppement) pourtant

POSTFACE

211

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malgreacute les acquis non neacutegligeables de ces approches la

vie

des jeunes

nrsquoeacutetait pas eacutetudieacutee La vie au sens propre systegraveme constitueacute par un ensemble

drsquoeacuteleacutements vivants articuleacutes entre eux selon une logique preacutesentant deux

milieux en interaction le milieu interne et le milieu externe les

systegravemesde vie

voilagrave le vrai objet drsquoeacutetude

LE TEMPS

La jeunesse est par excellence un systegraveme agrave eacutetats qui se deacuteploient dans

le temps Les notions de laquo trajectoire raquo laquo carriegravere raquo laquo cheminement raquo tra-

duisent cette volonteacute drsquoimpliquer la temporaliteacute dans la compreacutehension

de la deacuteviance juveacutenile Lrsquoapproche deacuteveloppementale le fait depuis long-

temps dira-t-on Crsquoest vrai du point de vue du

temps codifieacute

(le temps

chronologique du monde externe) Ce nrsquoest pas vrai lorsqursquoon se deacuteplace

vers ce qursquoon pourrait appeler une hermeacuteneutique du

temps veacutecu

Le temps

du monde veacutecu amegravene du sens le sens eacutemergeant de faccedilon continue agrave

lrsquointeacuterieur drsquoune configuration existentielle dont la profonde singulariteacute

consiste dans le fait de se sentir exister et drsquoexprimer ce sentiment De ce

point de vue le

processus

du systegraveme agrave eacutetats est loin de coiumlncider avec la

logique des processus deacuteterministes par exemple des systegravemes agrave eacutetats

physiques ou biologiques Le simple transfert des sciences de la nature

parfois agrave la mode dans les sciences sociales et du comportement consti-

tuerait un tregraves grave obstacle eacutepisteacutemologique agrave ces domaines du savoir

La recherche actuelle ne peut pas ne doit pas se passer de lrsquoanalyse

des processus Je dirais que les regravegles de

lrsquoeacutepisteacutemologie

contemporaine y

obligent Mais en ce qui concerne le laquo drame raquo (au sens de lrsquoaction) en

tant que vrai objet des sciences du comportement humain comme le

voulait Politzer ou le laquo tragique de lrsquoaction raquo selon la belle formule de

P Ricœur tout processus est marqueacute par le jeu dialectique entre le milieu

interne et le milieu externe la contingence et la neacutecessiteacute la conservation

et lrsquoinnovation lrsquoacteur et le systegraveme la normativiteacute et la deacuteviance le

subjectif et lrsquoobjectif Jrsquoemprunterais le concept drsquolaquo accident controcircleacute raquo ou

de laquo hasard controcircleacute raquo utiliseacute par certains critiques de lrsquoart pour caracteacute-

riser lrsquoeacutetat le plus eacutevolueacute drsquoun artiste donneacute pour deacutefinir le concept de

processus propre agrave la recherche dans le domaine de la deacuteviance Peu

importe les mots ou les notions trajectoire carriegraverehellip les discussions lagrave-

dessus sont inutiles Ce qursquoil nous faut srsquoagissant drsquoanalyse des processus

et de la temporaliteacute crsquoest une

accidentologie de lrsquoexistence

et des systegravemes

de vie En fait exister crsquoest la tacircche la plus complexe agrave exeacutecuter que nous

ayons reccedilue le jour de notre naissance Toutes les autres sont secondaires

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212

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

et beaucoup plus simples Elles devraient ecirctre au service de la tacircche prin-

cipale et fondatrice Assurer lrsquoeacutequifinaliteacute des multiples segments drsquoexis-

tence est le seul destin reccedilu auquel il faut donner un nouveau destin agrave

travers la deacutefinition drsquoune position de signification existentielle Mais com-

ment y parvenir sinon par le truchement de

lrsquoart drsquoexister

appris dans

lrsquointercommunicabiliteacute de lrsquoexpeacuterience constitueacutee par le savoir le savoir-

faire le pouvoir (le politique) et la subjectiviteacute (eacutethique)

LE REacuteCIT

La vie ne srsquoeacutetudie plus dans les laboratoires dit F Jacob Si cela est vrai

deacutejagrave au niveau biologique que faut-il penser sur la meacutethode de recherche

quand on parle du comportement du langage des eacutemotions de la cognition

et de la signification humaine Si lrsquohumaniteacute de lrsquohomme (jrsquoemprunte le

concept drsquoHeidegger) la vie humaine en tant que monde veacutecu nrsquoest pas

abordable en dehors du temps elle ne lrsquoest pas non plus en dehors du

langage et du sens Le temps humain est toujours un temps doubleacute plieacute

deacuteplieacute deacutecoupeacute et cousu par le reacutecit Le reacutecit est un systegraveme langagier

dont la structure la fonction et la finaliteacute sont la capture des deacuteplacements

de sens opeacutereacutee par lrsquoexistant dans lrsquoexercice de sa tacircche drsquoexister dans la

flegraveche du temps

La vie humaine telle qursquoelle se manifeste dans son

essence probleacute-matique

et dont la normativiteacute et la deacuteviance sont les analyseurs demande

drsquoecirctre eacutetudieacutee par un mode de connaissance speacutecifique qui est obligeacute de

plonger lrsquoobjet dans le laquo temps raconteacute raquo Le travail de lrsquoeacutevidenciation de

cet objet risque alors de tomber dans les piegraveges du sentiment et des laquo

apriori

raquo psychologistes et socio-ideacuteologiques Or il faut concevoir lrsquoeacutevidence

de lrsquoobjet comme laquo preacutesence-en-personne raquo le fondement et la connais-

sance de lrsquoessence des origines selon la pheacutenomeacutenologie de Husserl Ce

qui est ici la cause ce nrsquoest pas lrsquoexistence de lrsquoexistant mais

lrsquoessence delrsquoexistant

lrsquoapparaicirctre

de lrsquohomme agrave lui-mecircme Ceci eacutetant la meacutethode doit

srsquoeacutecarter de la laquo reacuteduction transcendantale raquo de la mise entre parenthegravese

de lrsquoobjet

Lrsquoessence

historique de l

rsquo

existant-Homme bloque le chemin

(meacutethode) de la connaissance de l

rsquo

essence geacuteneacuterique de la vie La vie qui

se deacuteroule dans les rapports individu-socieacuteteacute fait-norme nature-culture

constitue une laquo preacutesence-en-personne raquo typique Elle demande un autre

chemin le reacutecit

laquo Reacutecit de vie raquo laquo Histoire de vie raquo laquo Biographie raquo Voici la bonne

meacutethode Pourquoi Parce que la vie des hommes est reacutecit elle-mecircme est

histoire elle-mecircme est eacutecriture elle-mecircme

NO

TIC

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Ceacuteline Bellot

PhD en criminologie est professeure adjointe

agrave lrsquoEacutecole de service social de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal depuis

2003 Elle est eacutegalement chercheure au Collectif de recherche

sur lrsquoitineacuterance (CRI) et au Centre international de crimi-

nologie compareacutee (CICC) Ses inteacuterecircts de recherche portent

sur les jeunes en situation de rue (leurs trajectoires et leurs

expeacuteriences) sur les enjeux de la judiciarisation des pro-

blegravemes sociaux notamment de lrsquoitineacuterance et sur les pro-

cessus drsquoinsertion sociale et professionnelle des jeunes en

difficulteacute agrave partir de leurs trajectoires ou de lrsquoeacutevaluation

drsquointerventions dans ce champ

Serge Brochu

PhD en psychologie est professeur titu-

laire agrave lrsquoEacutecole de criminologie et chercheur au Centre

international de criminologie compareacutee (CICC) de lrsquoUniver-

siteacute de Montreacuteal Il est eacutegalement codirecteur du Groupe de

recherche et drsquointervention sur les substances psychoactives-

Queacutebec (RISQ) et du Collectif drsquointervention et de recherche

sur les aspects sociosanitaires de la toxicomanie (CIRASST)

Ses inteacuterecircts de recherche portent sur les relations drogues-

crimes et lrsquoimpact des interventions aupregraves des toxico-

manes judiciariseacutes

Natacha Brunelle

PhD en criminologie est professeure

agreacutegeacutee au Deacutepartement de psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute

du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres (UQTR) depuis deacutecembre

1998 Elle est chercheure au Groupe de recherche et drsquointer-

vention sur les substances psychoactives-Queacutebec (RISQ)

copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13

Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13

Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

214

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

au Collectif drsquointervention et de recherche sur les aspects socio-sanitaires

de la toxicomanie (CIRASST) au Centre international de criminologie

compareacutee (CICC) et au Groupe de recherche et drsquointervention sur lrsquoadap-

tation psychosociale et scolaire (GRIAPS) Elle dirige le Regroupement

CICC-UQTR Ses travaux de recherche portent principalement sur les

trajectoires drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence et sur

les liens drogue-crime

Ceacutecile Carra

PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences agrave lrsquoInstitut

universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-Calais et

chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les institutions

peacutenales (CESDIPCNRS) Elle travaille sur les questions de deacutelinquance

juveacutenile dans les quartiers populaires Elle eacutetudie les processus de cons-

truction et de deacuteconstruction de la deacutelinquance et le rocircle des acteurs

concerneacutes dans ces processus en particulier les professionnels du travail

social et de la justice Ses recherches srsquoorientent depuis quelques anneacutees

sur la violence agrave lrsquoeacutecole les pratiques professionnelles des enseignants et

le fonctionnement des eacutetablissements scolaires

Marie-Marthe Cousineau

PhD en sociologie est professeure agreacutegeacutee agrave

lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal et chercheure associeacutee

au Centre international de criminologie compareacutee (CICC) agrave lrsquoInstitut de

recherche pour le deacuteveloppement social des jeunes (IRDS) et au Centre

de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite

aux femmes (CRI-VIFF) Ses inteacuterecircts de recherche portent pour une part

sur diffeacuterentes formes de marginaliteacute et de marginalisation veacutecus par

les jeunes (gangs de rue prostitution deacutelinquance toxicomanie) et sur les

faccedilons drsquoy reacuteagir et pour une autre part sur les violences touchant les

femmes et les reacuteponses sociales agrave ces violences

Isabelle Delens-Ravier

PhD en criminologie est

sociologue et titulaire

drsquoun doctorat en criminologie Elle est actuellement chargeacutee de cours

inviteacutee et chargeacutee de recherche au Deacutepartement de criminologie et de

droit peacutenal de lrsquoUniversiteacute catholique de louvain dans le cadre drsquoun Pocircle

drsquoattraction interuniversitaire sur les droits de lrsquoenfant en collaboration

avec trois universiteacutes neacuteerlandophones Ses recherches et ses publications

portent principalement sur lrsquoaide et la protection de la jeunesse sur les

probleacutematiques lieacutees agrave la deacutelinquance juveacutenile et agrave la suppleacuteance familiale

notamment en milieu carceacuteral Elle srsquointeacuteresse particuliegraverement agrave lrsquoexpeacute-

rience veacutecue des laquo acteurs raquo familles jeunes et intervenants professionnels

dans leur rencontre avec les institutions sociales judiciaires et peacutenitentiaires

Maryse Esterle-Hedibel

PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences

agrave lrsquoInstitut universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-

Calais et chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les

NOTICES BIOGRAPHIQUES

215

copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13

Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13

Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

institutions peacutenales (CESDIPCNRS) Ses travaux ont porteacute sur les bandes

de jeunes les processus deacutelinquants et les prises de risque Ses derniegraveres

recherches concernent les processus de deacutescolarisation (arrecircts de scolariteacute

avant 16 ans) et les expeacuteriences de remeacutediation peacutedagogique et eacuteducative

Elle srsquointeacuteresse eacutegalement aux relations eacutecole-police-justice

Michegravele Fournier

MSc en criminologie est candidate au doctorat agrave

lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal Elle a reacutealiseacute un

meacutemoire de maicirctrise portant sur lrsquoexpeacuterience et le cheminement des

jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue de la reacutegion meacutetropolitaine de

Montreacuteal Ses recherches portent essentiellement sur la marginaliteacute la

deacuteviance et utilisent une meacutethodologie qualitative

Michel Kokoreff

PhD en sociologie a obtenu son doctorat de sociologie

agrave lrsquoUniversiteacute Paris VII Jussieu apregraves voir suivi un double cursus de socio-

logie et de philosophie agrave lrsquoUniversiteacute Paris X ndash Nanterre Maicirctre de confeacute-

rences pendant dix ans agrave lrsquoUniversiteacute de Lille I il a obtenu sa mutation agrave

lrsquoUniversiteacute Paris V en 2004 Il est membre du CESAMES (CNRS-INSERM-

Paris V) Ses travaux de recherches ont porteacute sur lrsquoinscription urbaine des

sociabiliteacutes juveacuteniles les carriegraveres deacuteviantes dans le monde des quartiers

populaires et le traitement peacutenal des usages et trafics de drogues les

politiques publiques en matiegravere de seacutecuriteacute et de preacutevention

Sylvie Hamel

PhD en psychologie est professeure au Deacutepartement de

psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres Elle est eacutega-

lement chercheure reacuteguliegravere agrave lrsquoInstitut de recherche pour le deacuteveloppement

social des jeunes (IRDS) et chercheure associeacutee au Centre international

de criminologie compareacutee (CICC) Ses champs drsquointeacuterecirct touchent les ado-

lescents notamment membres de gang les processus drsquoaffiliation de

deacutesaffiliation drsquoexclusion de marginalisation les trajectoires et les deacuteter-

minants psychosociaux srsquoattachant agrave la violence et agrave la deacutelinquance de

mecircme qursquoagrave lrsquointervention pouvant srsquoy adresser lrsquointervention familiale et

communautaire

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Revenu minimum garantiLionel-Henri Groulx2005 ISBN 2-7605-1365-3 380 pages

Amour violence et adolescenceMylegravene Fernet2005 ISBN 2-7605-1347-5 268 pages

Reacuteclusion et InternetJean-Franccedilois Pelletier2005 ISBN 2-7605-1259-2 172 pages

Au-delagrave du systegraveme peacutenalLrsquointeacutegration sociale et professionnelle des groupes judiciariseacutes et marginaliseacutesSous la direction de Jean Poupart2004 ISBN 2-7605-1307-6 294 pages

Lrsquoimaginaire urbain et les jeunesLa ville comme espace drsquoexpeacuteriences identitaires et creacuteatricesSous la direction de Pierre-W Boudreault et Michel Parazelli2004 ISBN 2-7605-1293-2 388 pages

Parents drsquoailleurs enfants drsquoiciDynamique drsquoadaptation du rocircle parental chez les immigrantsLouise Beacuterubeacute2004 ISBN 2-7605-1263-0 276 pages

Citoyenneteacute et pauvreteacutePolitiques pratiques et strateacutegies drsquoinsertion en emploi et de luttecontre la pauvreteacutePierre Joseph Ulysse et Freacutedeacuteric Lesemann 2004 ISBN 2-7605-1261-4 330 pages

Eacutethique travail social et action communautaireHenri Lamoureux2003 ISBN 2-7605-1245-2 266 pages

Travailler dans le communautaireJean-Pierre Deslauriers avec la collaboration de Renaud Paquet2003 ISBN 2-7605-1230-4 158 pages

Sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer

Violence parentale et violence conjugaleDes reacutealiteacutes plurielles multidimensionnelles et interrelieacuteesClaire Chamberland2003 ISBN 2-7605-1216-9 410 pages

Le virage ambulatoire deacutefi s et enjeuxSous la direction de Guilhegraveme Peacuterodeau et Denyse Cocircteacute2002 ISBN 2-7605-1195-2 216 pages

Priver ou privatiser la vieillesse Entre le domicile agrave tout prix et le placement agrave aucun prixMichegravele Charpentier2002 ISBN 2-7605-1171-5 226 pages

Huit cleacutes pour la preacutevention du suicide chez les jeunesMarlegravene Falardeau2002 ISBN 2-7605-1177-4 202 pages

La rue attractiveParcours et pratiques identitaires des jeunes de la rueMichel Parazelli2002 ISBN 2-7605-1158-8 378 pages

Le jardin drsquoombres La poeacutetique et la politique de la reacuteeacuteducation socialeMichel Desjardins2002 ISBN 2-7605-1157-X 260 pages

Problegravemes sociaux bull Tome 1 ndash Theacuteories et meacutethodologiesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1126-X 622 pages

Problegravemes sociaux bull Tome 2 ndash Eacutetudes de cas et interventions socialesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1127-8 700 pages

  • TRAJECTOIRE DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
  • Preacuteface
  • Table des matiegraveres
  • Introduction
  • Chapitre 1_Trajectoires deacuteviantes de garccedilons et de filles
  • Chapitre 2_Toxicomanie et trafics de drogues
  • Chapitre 3_La diversiteacute des trajectoires de rue des jeunes agrave Montreacuteal
  • Chapitre 4_Les gangs du point de vue des jeunes
  • Chapitre 5_Arrecircts de scolariteacute et deacutelinquance
  • Chapitre 6_Le deacutelinquant comme produit de la dialectique identiteacute personnelle reacutegulations sociales
  • Chapitre 7_Du tribunal de la jeunesse au placement en institution speacutecialiseacutee
  • Conclusion
  • Postface
  • Notices biographiques
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La Loi sur le droit drsquoauteur interdit la reproduction des œuvres sans autorisation des titulaires de droits Or la photocopie non autoriseacutee ndash le laquo photocopillage raquo ndash srsquoest geacuteneacuteraliseacutee provoquant une baisse des ventes de livres et compromettant la reacutedaction et la production de nouveaux ouvrages par des professionnels Lrsquoobjet du logo apparaissant ci-contre est drsquoalerter le lecteur sur la menace que repreacutesente pour lrsquoavenir de lrsquoeacutecrit le deacuteveloppement massif du laquo photocopillage raquo

PRESSES DE LrsquoUNIVERSITEacute DU QUEacuteBECLe Delta I 2875 boulevard Laurier bureau 450Sainte-Foy (Queacutebec) G1V 2M2Teacuteleacutephone (418) 657-4399 bull Teacuteleacutecopieur (418) 657-2096Courriel puqpuqca bull Internet wwwpuqca

Distribution

CANADA et autres paysDistribution de livres Univers senc845 rue Marie-Victorin Saint-Nicolas (Queacutebec) G7A 3S8Teacuteleacutephone (418) 831-7474 1-800-859-7474 bull Teacuteleacutecopieur (418) 831-4021

FRANCEDistribution du Nouveau Monde30 rue Gay-Lussac 75005 Paris FranceTeacuteleacutephone 33 1 43 54 49 02Teacuteleacutecopieur 33 1 43 54 39 15

SUISSEServidis SA5 rue des Chaudronniers CH-1211 Genegraveve 3 SuisseTeacuteleacutephone 022 960 95 25Teacuteleacutecopieur 022 776 35 27

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2005

Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec

Le Delta I 2875 boul Laurier bur 450Sainte-Foy (Queacutebec) Canada G1V 2M2

Preacuteface de CLAUDE FAUGERON

Postface de CANDIDO DA AGRA

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Mise en pages Infoscan Collette Queacutebec

Couverture ndash Conception Richard Hodgson Illustration Jean-Michel Girard

Catalogage avant publication de Bibliothegraveque et Archives Canada

Vedette principale au titre

Trajectoires de deacuteviance juveacutenile les eacuteclairages de la recherche qualitative

(Collection Problegravemes sociaux amp interventions sociales 18) Comprend des reacutef bibliogr

ISBN 2-7605-1372-6

1 Deacutelinquance juveacutenile 2 Deacuteviance 3 Jeunes deacutelinquants 4 Jeunesse ndash Usage des drogues 5 Jeunes de la rue 6 Deacutelinquance juveacutenile ndash Cas Eacutetudes de I Brunelle Natacha 1971- II Cousineau Marie-Marthe III Collection

HV9071T72 2005 36436 C2005-940919-3

1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2005 9 8 7 6 5 4 3 2 1

Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes copy 2005 Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec

Deacutepocirct leacutegal ndash 3e trimestre 2005Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du CanadaImprimeacute au Canada

Nous reconnaissons lrsquoaide fi nanciegravere du gouvernement du Canada par lrsquoentremise du Programme drsquoaide au deacuteveloppement de lrsquoindustrie de lrsquoeacutedition (PADIEacute) pour nos activiteacutes drsquoeacutedition

La publication de cet ouvrage a eacuteteacute rendue possibleavec lrsquoaide fi nanciegravere de la Socieacuteteacute de deacuteveloppementdes entreprises culturelles (SODEC)

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AC

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Il me fait plaisir de faire la preacuteface de cet ouvrage Crsquoest qursquoen effet

une partie de ma carriegravere a eacuteteacute consacreacutee agrave la promotion des approchesqualitatives Il srsquoagissait au deacutebut de montrer comment ces meacutethodesse seacuteparaient drsquoun journalisme intelligent donc de labourer le champdes pratiques de recherches en deacuteveloppant les aspects eacutepisteacutemolo-giques et la rigueur meacutethodologique Mais il fallait aussi montrerque ces approches permettaient de disposer drsquooutils pertinents pour larecherche sociologique donc de leur donner une leacutegitimiteacute theacuteoriqueque les tenants de la sociologie quantitative leur deacuteniaient

Crsquoeacutetait un beau chantier que jrsquoai partageacute avec des chercheursde lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal puis plustard avec des collegravegues de lrsquoUniversiteacute catholique de Louvain Ilme semble que ce qui a rendu ces expeacuteriences collectives possiblesest le partage drsquoune posture theacuteorique dite de la criminologie de lareacuteaction sociale ensuite moduleacutee par la reacutefeacuterence agrave lrsquoacteur social

Je retrouve plus ou moins expliciteacutee cette posture dans les chapitres

qui suivent Mais peut-ecirctre est-il devenu moins neacutecessaire de lrsquoexpliciterce qui voudrait dire qursquoelle fait maintenant partie de la culturecriminologique

Il nrsquoempecircche que demeure une difficulteacute technique difficile agravesurmonter en particulier dans les eacutetudes de carriegraveres ou les biogra-phies En lrsquoabsence de groupes teacutemoins et surtout lorsque lrsquoonchoisit les personnes agrave interroger agrave partir drsquoun critegravere fort commeun marquage institutionnel lrsquoimage que lrsquoon donne de leur par-cours peut apparaicirctre comme celle drsquoun

destin

Cette tendance estrenforceacutee par les rationalisations

a posteriori

que donnent souvent

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VIII

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

les diffeacuterents acteurs agrave leurs conduites Une observation quasi ethnologique descontextes de vie ainsi qursquoune bonne connaissance des histoires familiales peuventpermettre de relativiser les reconstructions opeacutereacutees par les acteurs Crsquoest bien ce agravequoi plusieurs des auteurs preacutesents dans cet ouvrage se sont attacheacutes

Une autre difficulteacute consiste agrave ne pas rester enfermeacute dans un interactionnismetrop eacutetroit Certes lrsquointeractionnisme a beaucoup apporteacute ndash et continue drsquoapporter ndashagrave la recherche sur les deacuteviances et les deacutelinquances et cet ouvrage en est la preuveIl nrsquoempecircche que si lrsquoon veut pouvoir interpreacuteter sociologiquement les reacutesultats destravaux qualitatifs on ne doive croiser ce que lrsquoon peut apprendre de la faccedilon dontles structures sociales agissent au niveau des trajectoires individuelles Ceci ne peutse faire sans une bonne connaissance de ce que certains on appeleacute des

micro

pouvoirs

Connaissance qui peut provenir de la recherche elle-mecircme mais aussi ducroisement de recherches portant sur des objets diffeacuterents Ougrave mecircme utilisant desmeacutethodes diffeacuterentes Agrave cet eacutegard on ne peut renvoyer dos agrave dos recherches qualita-tives et recherches quantitatives sous le preacutetexte que leurs meacutethodes seraient incon-ciliables Agrave mon avis seuls doivent ecirctre eacuteviteacutes des deacuteveloppements theacuteoriques qui nesrsquoappuieraient pas sur une bonne connaissance du terrain et des recherches empi-riques Autrement dit si la recherche empirique ne peut se passer de theacuteorie la theacuteoriene peut se passer de recherches empiriques On pourrait appeleacute cette position delrsquoeacuteclectisme sociologique je lrsquoai deacutefendue agrave plusieurs reprises Et je continue de penserqursquoune recherche empirique bien meneacutee apporte toujours quelque chose

Mais une preacuteface ne peut se contenter seulement de mises en garde Il fautici se feacuteliciter des efforts que les chercheurs preacutesents dans cet ouvrage ont soutenusagrave plusieurs niveaux Le premier est celui de lrsquoimmersion dans leurs terrains et lrsquoonsait que crsquoest chose difficile il est plus aiseacute de travailler dans son bureau que dansdes quartiers laquo chaudsraquo Un deuxiegraveme niveau est celui de la rigueur meacutethodologiquele choix des meacutethodes de recueil des donneacutees et drsquoanalyse du mateacuteriel Enfin lecroisement des points de vue celui des acteurs institutionnels et celui des acteursaupregraves desquels srsquoeffectue lrsquointervention apporte des eacuteclairages neacutecessaires agrave la compreacute-hension des positions des jeunes confronteacutes aux institutions Crsquoest pourquoi jesouhaite que de tels travaux continuent de se deacutevelopper

Claude Faugeron

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PREacuteFACE

VII

Claude Faugeron

INTRODUCTION

1

Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau

C

HAPITRE

1

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLESPoints de convergence et de divergence

9

Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu

11

LrsquoADOLESCENT

VS

LrsquoADOLESCENTE 10

111 Deacutelinquance 11

112 Consommation de substances

psychoactives 11

12 CONTEXTE THEacuteORIQUE 12

13 MEacuteTHODOLOGIE 12

14 REacuteSULTATS 15

141 Les filles et les garccedilons plus de

ressemblances que de diffeacuterences 15

1411 Motifs de consommation

de drogues 15

1412 Motifs de deacutelinquance 18

1413 Motifs de diminution

ou drsquoarrecirct de consommation 19

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X

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

142 Les garccedilons en particulier 21

1421 Motifs de deacutelinquance 22

1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct

de la consommation 23

143 Les filles en particulier 24

1431 Motif de consommation 24

1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct

de la consommation et la deacutelinquance 25

CONCLUSION 25

BIBLIOGRAPHIE 27

C

HAPITRE

2

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUESDiversiteacute des cheminements et effets de geacuteneacuteration au sein des milieux populaires en France

31

Michel Kokoreff

21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES

SELON LES GEacuteNEacuteRATIONS 32

211 Au-delagrave du feacutetichisme conceptuel

lrsquoanalyse des processus 33

212 Les effets de geacuteneacuteration 35

22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES

DES ANNEacuteES 1980 38

221 Le contexte social et urbain 38

222 Cheminements vers lrsquoheacuteroiumlne 40

223 De lrsquousage agrave la revente 44

224 Une vulneacuterabiliteacute structurelle 48

23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC

AU COURS DES ANNEacuteES 1990 52

231 Scegravenes de revente 53

232 Le rapport au produit 55

233 Le trafic comme travail 57

234 Avoir lrsquoesprit entrepreneur 59

24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS

DANS LE TRAFIC 62

241 Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre 62

242 Les hieacuterarchies informelles 64

BIBLIOGRAPHIE 68

TABLE DES MATIEgraveRES

XI

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C

HAPITRE

3

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

71

Ceacuteline Bellot

31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE

DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE 72

311 La trajectoire objective 73

312 La trajectoire subjective 74

313 La trajectoire de rue dans une analyse

de la structuration 75

32 MEacuteTHODOLOGIE 76

33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES 78

331 La rue un eacutepisode 78

332 La rue une transition 85

3321 La rue comme tremplin

vers une insertion sociale 85

3322 La rue comme tremplin

vers une deacutesinsertion sociale 86

333 La rue un enfermement 91

CONCLUSION 93

BIBLIOGRAPHIE 93

C

HAPITRE

4

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNESLeur signification dans une trajectoire de vie

97

Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele Fournier

41 LA PAROLE AUX JEUNES 99

42 MEacuteTHODOLOGIE 100

421 Eacutechantillons 100

422 Instruments de collecte et analyse des donneacutees 101

43 LA PAROLE DES JEUNES 103

431 Les jeunes parlent de la faccedilon

dont ils en sont venus agrave se joindre aux gangs 104

432 Les jeunes expliquent les motifs

qui les ont ameneacutes agrave se joindre au gang 105

433 Les jeunes parlent de lrsquoexpeacuterience qursquoils

ont veacutecue dans le ganghellip en termes drsquoeacutemotions 111

434 Les jeunes parlent des motifs

qui les ont ameneacutes agrave quitter le gang 113

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XII

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE

APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS 116

CONCLUSION 117

BIBLIOGRAPHIE 119

C

HAPITRE

5

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

121

Maryse Esterle-Hedibel

51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU 124

52 LA DEacuteSCOLARISATION 126

521 Les marqueurs de la deacutescolarisation 127

5211 Le niveau de diplocircme des parents 127

5212 La composition de la famille 128

5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage 128

5214 Le passage du primaire au collegravege

indiscipline et identiteacute 129

53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION

ET DEacuteLINQUANCE 130

531 Lrsquoimpact des groupes de pairs

et les activiteacutes deacutelinquantes 130

532 Deacutecrochage scolaire et deacutelinquance 131

54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE

DES PERSONNES-RESSOURCES 132

55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS 133

551 Les personnels peacutedagogiques 133

5511 Des donneacutees non utiliseacutees 133

5512 Des deacutecisions drsquoorientation

non suivie drsquoeffets 134

5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure 134

5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants 136

5515 Haro sur les eacutelegraveves 138

5516 Lrsquoexternalisation des solutions 138

552 Les eacutelegraveves 140

553 Les familles 141

554 Les travailleurs sociaux

(agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des collegraveges) 145

56 LE CAS DE PATRICK 146

CONCLUSION 151

BIBLIOGRAPHIE 151

TABLE DES MATIEgraveRES

XIII

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C

HAPITRE

6

LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUEIDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALESLrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche biographique

153

Ceacutecile Carra

61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE

LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES 155

62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute

DE DEacuteLINQUANT Agrave TRAVERS LA PRISE

EN CHARGE INSTITUTIONNELLE 158

63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT 158

631 De la construction drsquoun parcours de deacutelinquanthellip 158

632 hellip agrave celle drsquoune personnaliteacute deacutelinquante 162

633 Lrsquointeacuteriorisation drsquoun destin de deacutelinquant

et son actualisation 163

64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE

DE LA DEacuteLINQUANCE 165

641 De la deacuteconstruction de lrsquoidentiteacute familialehellip 166

642 hellip agrave la reconstruction drsquoidentiteacutes

individuelles neacutegatives 168

65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT

Agrave UNE PLACE DOMINEacuteE DANS LES

RAPPORTS SOCIAUX 170

651 Des parcours preacutedeacutetermineacutes par les instances

de reacutegulations sociales geacuteneacuterales 172

652 La deacutelinquance comme strateacutegie identitaire 173

CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT

DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES 175

BIBLIOGRAPHIE 176

C

HAPITRE

7

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteEParoles et strateacutegies de jeunes deacutelinquants

179

Isabelle Delens-Ravier

71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE

QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE 180

72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE 182

73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE 183

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XIV

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION 186

741 Veacutecu de la deacutelinquance 187

742 La deacutecision du magistrat 189

743 Le magistrat de la jeunesse 190

744 Les acteurs institutionnels 191

7441 Les eacuteducateurs 191

7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale 192

745 Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction 193

7451 Une strateacutegie drsquoadaptation

et de rationalisation 193

7452 Une strateacutegie de repli-refus 196

7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence 197

CONCLUSION 198

BIBLIOGRAPHIE 201

CONCLUSION

203

Marie-Marthe Cousineau et Natacha Brunelle

POSTFACE

209

Candido da Agra

NOTICES BIOGRAPHIQUES

213

IN

TR

OD

UC

TI

ON

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N

ATACHA

B

RUNELLE

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresChercheure au CICC au RISQ et au GRIAPS

M

ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealChercheure associeacutee au CICC et agrave lrsquoIRDS

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2

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Plusieurs ouvrages scientifiques sur la deacuteviance juveacutenile qui utilisent le mot

trajectoire

ou ses traductions anglaises laquo

pathway

raquo ou laquo

trajectory

raquo reposent

sur des eacutetudes quantitatives (Nagin Farrington et Moffitt 1995 Brunswick

et Titus 1998) et sont reacutealiseacutes dans une perspective psychosociale ou de

psychologie deacuteveloppementale Toutefois de plus en plus de chercheurs

qui conduisent des eacutetudes qualitatives parlent aussi de

trajectoire

Non seu-

lement le terme est commode mais il permet en outre de rendre compte

des eacuteveacutenements veacutecus et de leur eacutevolution chronologique Agrave ceux qui

travaillent dans cette optique il paraicirct aussi le mieux agrave mecircme de refleacuteter

les aspects plus pheacutenomeacutenologiques lieacutes agrave la signification que la personne

concerneacutee accorde aux eacuteveacutenements qursquoelle vit ainsi qursquoaux sentiments que

ceux-ci provoquent Lrsquoemploi du mot trajectoire permet eacutegalement de

rendre compte de la sinuositeacute du parcours de vie des individus

Srsquoagissant des trajectoires de deacuteviance juveacutenile lrsquoun des aspects les

plus documenteacutes est sans aucun doute la progression de la deacutelinquance

des jeunes en ce qui a trait agrave la nature agrave la diversiteacute et agrave la graviteacute des

deacutelits commis tout au long de la trajectoire (Freacutechette et Le Blanc 1987

Le Blanc 1994 Kelley Loeber Keenan et DeLamatre 1997) Dans la

documentation scientifique cette progression deacutelictueuse a souvent eacuteteacute

associeacutee agrave la structure de la personnaliteacute et plus reacutecemment on lrsquoa mise

en rapport avec le contexte psychosocial dans lequel srsquoopegravere cette progres-

sion Certaines eacutetudes longitudinales eacutetablissent de tels liens avec le contexte

psychosocial mais de faccedilon quantitative en consideacuterant un nombre limiteacute

de dimensions (relations avec la famille association agrave des pairs deacuteviants

promiscuiteacute sexuellehellip) partant moins des perceptions des jeunes ndash pro-

cessus inductif ndash que drsquohypothegraveses de recherche agrave veacuterifier ndash processus

deacuteductif (Simons Wu Conger et Lorenz 1994 Nagin Farrington et Moffitt

1995 Le Blanc et Kaspy 1998)

De nombreux auteurs traitant des trajectoires deacuteviantes deacutefinissent

une typologie de trajectoires qui srsquoapparente agrave une typologie de deacutelin-

quants ou de toxicomanes baseacutee sur leurs comportements ou sur lrsquoeacutevolution

de ceux-ci (Le Blanc Cocircteacute et Loeber 1991 Hammersley et Ditton 1994

Loeber Farrington Southamer-Loeber Moffitt et Caspi 1998 Nagin et

Tremblay 1999) Cette faccedilon de deacutefinir des trajectoires agrave partir de lrsquoeacutevo-

lution des comportements possegravede sans contredit son utiliteacute descriptive

mais elle tend agrave omettre le pouvoir des cognitions et des sentiments en

amont sur les comportements en aval

Or plusieurs auteurs ont montreacute lrsquoimportance de tenir compte des

processus cognitifs et eacutemotifs pour bien saisir et comprendre les compor-

tements humains (Lewin 1967 Blumer 1969 Mischel 1973 Endler et

Magnusson 1976 Bandura 1977 Brown et Harris 1989 Debuyst 1989

Beck Freeman Pretzer Davis Fleming Ottaviani Beck Simon Padesky

INTRODUCTION

3

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Meyer Trexler 1990 de Gaulejac 1997) Ils ont eacutegalement constateacute qursquoen

se centrant sur lrsquoeacutevolution et la description des actes deacutelinquants ou toxi-

comaniaques en tant que tels au fil de la trajectoire bon nombre drsquoeacutetudes

omettaient de relier agrave cette eacutevolution le contexte dans lequel celle-ci

srsquoopegravere et surtout lrsquointeraction entre lrsquoindividu et ce contexte Or la prise

en compte de lrsquointeraction entre les dimensions individuelles et contex-

tuelles est jugeacutee non seulement importante mais eacutegalement cruciale

par diffeacuterents auteurs (Blumer 1969 Debuyst 1989 Digneffe 1989

Castel Benard-Pellen Bonnemain Boullenger Coppel Leclerc Ogien et

Weinberger 1992 Cormier 1993) particuliegraverement lorsqursquoil srsquoagit de

comprendre les comportements humains

Certaines eacutetudes sur les trajectoires deacuteviantes paraissent avoir quelque

peu deacuteplaceacute lrsquoattention du comportement en srsquointeacuteressant aux motivations

qui y sont associeacutees et aux eacuteleacutements autres qui permettent de discriminer

les trajectoires entre elles (Sampson et Laub 1993 Erickson et Weber

1994 Le Blanc 1996 Le Blanc et Kaspy 1998)

Par exemple Sampson et Laub (1993) notent qursquoon trouve souvent

agrave la fois continuiteacute et changements dans lrsquoimplication deacuteviante au fil du

temps La deacuteviance demeure preacutesente agrave lrsquoacircge adulte mais elle change de

forme Par exemple la consommation de drogues illeacutegales agrave lrsquoadolescence

peut se transformer en un veacuteritable problegraveme la toxicomanie agrave lrsquoacircge

adulte Agrave lrsquoinverse des eacuteveacutenements de vie comme le mariage ou lrsquoobten-

tion drsquoun emploi peuvent entraicircner un changement drsquoorientation dans

la trajectoire vers un conformisme accru Dans cette eacutetude de Sampson et

Laub (1993) les reacutesultats quantitatifs sont appuyeacutes par des donneacutees

qualitatives recueillies a posteriori

Les auteurs du preacutesent livre ont voulu donner une voix encore plus

forte aux jeunes au cœur de leurs eacutetudes en deacutecrivant lrsquoensemble de leurs

reacutesultats par un processus inductif qui reflegravete lrsquoapproche qualitative qursquoils

ont adopteacutee

Srsquoapparentant aux travaux preacutesenteacutes dans ce livre ceux de Faupel

(1991) Castel (1994) Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) adoptent

une position eacutepisteacutemologique dont la particulariteacute est de consideacuterer les

participants comme des acteurs sociaux capables de laquo geacuterer raquo leur vie

(Debuyst 1989) Ces travaux srsquoattardent agrave comprendre la vie des personnes

en contexte en ne se limitant pas agrave cerner leurs comportements et en

adoptant une perspective plus laquo interactionniste raquo (Blumer 1969)

Une approche qualitative a eacuteteacute privileacutegieacutee dans ces travaux Cette

approche favorise une meilleure compreacutehension de la speacutecificiteacute et de la

complexiteacute des processus en jeu en fournissant un point de vue de lrsquointeacute-

rieur des pheacutenomegravenes (Groulx 1997 Pires 1997) Elle permet drsquoacceacuteder

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4

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par les acteurs sociaux aux significations qursquoils

accordent agrave celle-ci de mecircme qursquoau sens de leurs actions (Deslauriers et

Keacuterisit 1997) En particulier lrsquoentretien de type qualitatif reacutevegravele le point

de vue des acteurs sociaux et permet drsquoen tenir compte pour comprendre

et interpreacuteter leurs reacutealiteacutes (Poupart 1997)

Il reste que drsquoun cocircteacute la plupart des eacutetudes sur les trajectoires

deacuteviantes srsquointeacuteressent tregraves peu aux perceptions des acteurs et visent ordi-

nairement agrave veacuterifier des postulats de recherche (processus deacuteductif) et

que drsquoun autre cocircteacute ces eacutetudes ne sont pas propres agrave la peacuteriode de

lrsquoadolescence Pourtant les auteurs qui ont conduit des eacutetudes qualita-

tives inductives aupregraves drsquoadolescents ont obtenu du mateacuteriel pertinent et

inteacuteressant agrave plusieurs eacutegards (Billson 1996 Piron 1996 Way 1998)

Malheureusement ces eacutetudes ne srsquointeacuteressent pas speacutecifiquement agrave la

deacuteviance juveacutenile ou encore elles ne sont pas des eacutetudes de trajectoires

Dans les recherches qui ont donneacute lieu au preacutesent collectif drsquoauteurs le

point de vue des jeunes constitue le centre de reacutefeacuterence initial dont sont

tireacutees les conclusions menant agrave une approche diffeacuterente et compleacutemen-

taire aux travaux preacuteceacutedents Cette approche nous est-il apparu permet

drsquoobtenir une compreacutehension plus diversifieacutee des trajectoires deacuteviantes

agrave lrsquoadolescence

1

Lrsquoensemble des textes des auteurs que nous avons reacuteunis dans ce

collectif met en lumiegravere les apports drsquoeacutetudes qualitatives sur les trajectoires

de deacuteviance juveacutenile reacutealiseacutees au Queacutebec en France et en Belgique depuis

une dizaine drsquoanneacutees Ces eacutetudes font appel agrave diffeacuterentes meacutethodes qua-

litatives Plusieurs utilisent des formes drsquoentretien de type qualitatif

drsquoautres ont recours agrave lrsquoethnographie ou encore agrave lrsquoanalyse documentaire

Les premiers chapitres portent davantage sur les pheacutenomegravenes deacuteviants

que constituent la deacutelinquance ou lrsquousage de drogues chez les jeunes alors

que les derniers traitent eacutegalement ou uniquement de la prise en charge

sociale ou judiciaire de ces jeunes

Lrsquooriginaliteacute des productions rassembleacutees tient au fait que le point

de vue des jeunes eux-mecircmes est refleacuteteacute dans les reacutesultats des eacutetudes

traiteacutees dans la majoriteacute des chapitres tandis que drsquoautres fournissent

aussi le point de vue des intervenants sociaux et judiciaires quant agrave la

deacuteviance juveacutenile et agrave sa prise en charge

1 Voir Stahler et Cohen (2000) pour une discussion sur lrsquoapport compleacutementaire deseacutetudes qualitatives dans le domaine de la toxicomanie

INTRODUCTION

5

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Le premier chapitre traite des diffeacuterences entre jeunes Queacutebeacutecois

filles et garccedilons quant aux motivations qursquoils associent agrave leurs trajectoires

deacuteviantes Les significations qursquoils rattachent agrave leurs comportements deacutelin-

quants ou drsquousage de drogues sont plus speacutecifiquement traiteacutees par les

auteurs Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu

Il est plutocirct question au chapitre 2 de toxicomanie et de trafic de

drogues dans des quartiers deacutefavoriseacutes de la France Le point de vue de

toxicomanes et de trafiquants est analyseacute par lrsquoauteur Michel Kokoreff

Agrave la suite drsquoune expeacuterience de terrain ethnobiographique combi-

nant observations et entrevues reacutealiseacutees au centre-ville de Montreacuteal Ceacuteline

Bellot propose au chapitre 3 trois diffeacuterentes configurations de parcours

des jeunes dans le monde social de la rue

Au chapitre 4 Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele

Fournier traitent des motivations des jeunes agrave joindre les gangs des expeacute-

riences qursquoils y vivent et de la signification qursquoils y attachent

Au chapitre 5 Maryse Esterle-Hedibel relie lrsquoabandon de scolariteacute

avant lrsquoacircge de 16 ans agrave la trajectoire deacutelinquante de certains jeunes Franccedilais

agrave partir du point de vue des jeunes eux-mecircmes de leur famille des agents

scolaires et de partenaires exteacuterieurs

Une double approche monographique et biographique a permis

drsquoobtenir les reacutesultats preacutesenteacutes par Ceacutecile Carra au chapitre 6 Lrsquoauteure

y traite des parcours judiciaires des jeunes enquecircteacutes ainsi que des meacuteca-

nismes de production et de reproduction de la deacutelinquance juveacutenile

Enfin au chapitre 7 Isabelle Delens-Ravier approfondit le sens sub-

jectif que des jeunes deacutelinquants belges donnent agrave leurs expeacuteriences de

judiciarisation en lien avec une trajectoire sociofamiliale marqueacutee par un

suivi social individuel ou familial

Lrsquoapport de ces auteurs reacutevegravele lrsquounivers de la deacuteviance des jeunes

tel que ceux-ci le vivent le perccediloivent et y reacuteagissent Du mecircme coup

une connaissance nouvelle srsquoouvre aux chercheurs et aux praticiens qui

tentent de mieux comprendre ces jeunes et de mieux les aider lorsque

cela paraicirct srsquoimposer

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6

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

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C

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INTRODUCTION

7

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8 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

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POUPART J (1997) laquo Lrsquoentretien de type qualitatif consideacuterations eacutepisteacute-mologiques et meacutethodologiques raquo dans J Poupart J-P DeslauriersL-H Groulx A Laperriegravere R Mayer et AP Pires (dir) La recherchequalitative enjeux eacutepisteacutemologiques et meacutethodologiques Boucherville GaeumltanMorin Eacutediteur p 173-209

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SIMONS RL CI WU RD CONGER et FO LORENZ (1994) laquo Two Routesto Delinquency Differences Between Early and Late Starters in theImpact of Parenting and Deviant Peers raquo Criminology vol 32 no 2p 247-275

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TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES

Points de convergence

et de divergence

N

ATACHA

B

RUNELLE

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresCICC RISQ et GRIAPS

M

ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et IRDS

S

ERGE

B

ROCHU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et RISQ

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10

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

La transition de lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte constitue une deacutefinition commune

de lrsquoadolescence Celle-ci se caracteacuterise par des modifications importantes

dans lrsquounivers social et relationnel des jeunes (Cloutier 1996 Claes

2003) Les filles et les garccedilons passent par cette transition mais ils le font

de maniegravere parfois diffeacuterente

11

LrsquoADOLESCENT

VS

LrsquoADOLESCENTE

De toute eacutevidence les filles et les garccedilons diffegraverent physiquement et

sexuellement Les filles sont notamment plus preacutecoces sur le plan puber-

taire (Cloutier 1996)

Le processus identitaire des filles passe par un eacutequilibre entre leurs

rapports aux autres et leur recherche drsquoautonomie Celui des garccedilons

passe davantage par une recherche drsquoindeacutependance et drsquoautonomie

(Cloutier 1996)

Sur le plan familial les filles perccediloivent un plus grand controcircle

parental que les garccedilons Crsquoest ainsi qursquoelles revendiquent souvent plus

drsquoautonomie (Cloutier 1996 Claes 2003) Eacutegalement les filles ressentent

plus de proximiteacute et drsquointimiteacute que les garccedilons dans leurs relations avec

leurs fregraveres et sœurs (Claes 2003)

Par ailleurs les filles valorisent davantage lrsquoamitieacute et font preuve

drsquoune plus grande maturiteacute eacutemotionnelle agrave lrsquoeacutegard de ce sentiment Elles

utilisent beaucoup la parole dans leurs relations amicales tandis que les

garccedilons sont davantage porteacutes agrave faire des activiteacutes avec leurs amis Les filles

montrent plus drsquohabileteacutes relationnelles et eacutemotionnelles alors que les

habileteacutes instrumentales et lrsquoaffirmation de soi sont davantage le lot des

garccedilons (Cloutier 1996 Claes 2003)

Les relations amoureuses sont souvent veacutecues diffeacuteremment par les

garccedilons et par les filles Ces derniegraveres recherchent plus de proximiteacute et

drsquointimiteacute dans leurs amours tandis que les garccedilons ont des attentes

sexuelles plus preacutecoces et persistantes et cherchent agrave maintenir avant tout

un lien fort avec leur groupe drsquoamis au deacutetriment de la relation avec leur

petite amie (Cloutier 1996 Claes 2003)

Les prochaines sections srsquoattarderont aux diffeacuterences selon le sexe

au regard de certaines formes de deacuteviance particuliegraverement la deacutelin-

quance et la consommation de drogues

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111 D

EacuteLINQUANCE

Lrsquoimage que nous donnent les statistiques montre que les filles commettent

geacuteneacuteralement moins de deacutelits graves et persistent moins dans la deacutelin-

quance que les garccedilons (Lanctocirct et Le Blanc 2000) Elles seraient davan-

tage impliqueacutees dans des deacutelits mineurs comme le vol agrave lrsquoeacutetalage et seraient

plus nombreuses que les garccedilons agrave faire de la prostitution Elles commet-

traient tout de mecircme des deacutelits violents Leur violence atteindrait drsquoailleurs

un sommet plus tocirct que celle manifesteacutee par les adolescents (agrave 15 ans pour

les filles et agrave 17 ans pour les garccedilons en 1998 Savoie 1999) Malgreacute une

augmentation des deacutelits de violence noteacutee chez les filles ces derniegraveres

anneacutees une plus grande proportion de garccedilons que de filles commet-

traient des voies de fait par exemple (Savoie 1999)

Lrsquoagressiviteacute des filles prendrait geacuteneacuteralement une forme plus indi-

recte ou psychologique ridiculiser deacutenigrer isoler les autres (Owens et

MacMullin 1995) La deacutelinquance des filles et des garccedilons diffeacutererait donc

par sa nature sa freacutequence et sa persistance

112 C

ONSOMMATION

DE

SUBSTANCES

PSYCHOACTIVES

Les proportions de filles et de garccedilons queacutebeacutecois consommant de lrsquoalcool

et drsquoautres drogues sont tregraves semblables (Guyon et Desjardins 2005) Les

drogues de preacutedilection de chacun diffegraverent toutefois un peu Filles et

garccedilons se distingueraient aussi sur le plan de la freacutequence et de lrsquointensiteacute

de leur usage drsquoalcool et drsquoautres drogues Les garccedilons rapportent boire

plus souvent (Guyon et Desjardins 2005) et se saouler eacutegalement plus

souvent (Comiteacute permanent de lutte agrave la toxicomanie CPLT 2002) Les

garccedilons sont aussi proportionnellement plus nombreux agrave reacuteveacuteler une

consommation de cannabis quotidienne (Guyon et Desjardins 2005)

Lrsquoenquecircte meneacutee en 2000 par lrsquoInstitut de la statistique du Queacutebec

(2002) reacutevegravele que les adolescents sont plus nombreux que les adolescentes

agrave deacutevelopper des problegravemes de toxicomanie Parmi les facteurs associeacutes

aux problegravemes de consommation chez les jeunes une faible estime de

soi ressort plus speacutecifiquement chez les filles Par ailleurs outre les pro-

blegravemes drsquoargent que les jeunes rattachent agrave leur consommation les filles

nomment des problegravemes familiaux et de santeacute tandis que les garccedilons

parlent de gestes deacutelinquants et de difficulteacutes scolaires qursquoils associent agrave

leur consommation (Institut de la statistique du Queacutebec 2002)

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12

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

12 CONTEXTE THEacuteORIQUE

Srsquoinspirant en grande partie des travaux de Faupel (1991) Castel (1994)

Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) notre eacutetude a ceci de

particulier qursquoelle se centre sur les motivations significations perceptions

et sentiments que des jeunes deacutelinquants et toxicomanes relient agrave leur

itineacuteraire et plus particuliegraverement agrave leurs comportements deacuteviants de

mecircme qursquoau contexte dans lequel ils adoptent ces comportements Nous

nous inscrivons donc dans une perspective pheacutenomeacutenologique (Schutz

1987) qui accorde une place de premier plan agrave lrsquointerpreacutetation que lrsquoacteur

social (ici le jeune) fait des situations qui le touchent (Debuyst 1989)

Notre projet de recherche porte sur les trajectoires de consomma-

tion de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Trois objectifs speacuteci-

fiques consistent agrave documenter davantage 1) la nature et lrsquoeacutevolution des

relations drogue-crime agrave lrsquoadolescence 2) les eacuteleacutements lieacutes aux phases

drsquoaugmentation et de diminution de lrsquoimplication deacuteviante et 3) les tra-

jectoires deacuteviantes types agrave lrsquoadolescence Les points de convergence et de

divergence entre les trajectoires deacuteviantes des garccedilons et des filles sont

alors appreacutehendeacutes en fonction de ce que chacun a veacutecu et surtout de la

faccedilon dont il lrsquoa veacutecu

13 MEacuteTHODOLOGIE

Pour atteindre nos objectifs nous avons opteacute pour une meacutethodologie

qualitative (Poupart Deslauriers Groulx Laperriegravere Mayer Pires 1997)

qui paraissait drsquoailleurs srsquoimposer Plus preacuteciseacutement nous avons eu recours

agrave la meacutethode du reacutecit de vie (Desmarais et Grell 1986) laquelle fait parler

lrsquointervieweacute sur sa vie en privileacutegiant une structure du discours chronolo-

gique et permet de mettre en lumiegravere la trajectoire de lrsquoindividu selon la

vision personnelle qursquoil en a

Les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent sur deux eacutetudes diffeacuterentes qui

partagent plusieurs similitudes La premiegravere base du doctorat de Natacha

Brunelle qui est lrsquoauteure principale du preacutesent texte srsquoest termineacutee en 2001

La collecte de donneacutees de cette eacutetude srsquoest deacuterouleacutee de 1996 agrave 1998 La

deuxiegraveme toujours en cours se situe dans le prolongement de la premiegravere

Dans lrsquoensemble ces deux eacutetudes visaient des jeunes ndash garccedilons et

filles ndash qui se livrent plus ou moins agrave des comportements de consomma-

tion de drogues et de deacutelinquance Cherchant agrave comprendre les processus

qui conduisent certains jeunes agrave srsquoengager dans un style de vie deacuteviant et

plus particuliegraverement dans la deacutelinquance ou la consommation de drogues

nous avons dans un premier temps eacutetabli que les jeunes rencontreacutes

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devraient ecirctre des adolescents pris en charge dans une institution judi-

ciaire ou de traitement de la toxicomanie cela en raison de leur plus

grande accessibiliteacute Des adolescents placeacutes sous garde en vertu de la Loi

sur les jeunes contrevenants (LJC)

1

dans les centres jeunesse ou suivant

un traitement dans un centre pour jeunes toxicomanes forment ainsi une

partie de lrsquoeacutechantillon Ces jeunes ont drsquoabord eacuteteacute solliciteacutes dans le cadre

drsquoune preacuteenquecircte reacutealiseacutee en lien avec la premiegravere eacutetude

Agrave la suite de la preacuteenquecircte et des interactions avec diffeacuterents colla-

borateurs il est apparu neacutecessaire de rencontrer aussi des jeunes qui ne

srsquoadonnent ni agrave la deacutelinquance ni agrave la consommation de drogues ou qui

du moins nrsquoont jamais eacuteteacute pris en charge par une quelconque institution

pour des comportements de deacutelinquance ou de consommation de drogues

afin de voir si leurs trajectoires diffeacuteraient autrement que sur ces aspects

de la vie des jeunes Des jeunes freacutequentant des maisons des jeunes de

lrsquoicircle de Montreacuteal allaient constituer cette deuxiegraveme partie de lrsquoeacutechantillon

de la premiegravere eacutetude

Aux jeunes participants srsquoajoutent dans lrsquoeacutetude en cours des jeunes

qui se trouvent en milieu scolaire secondaire et des jeunes de la rue Pour

cette nouvelle collecte de donneacutees srsquoajoutent agrave la grande ville de Montreacuteal

deux lieux de recrutement Queacutebec et Trois-Riviegraveres Lrsquoajout de nouveaux

milieux et sites de recrutement avait pour but drsquoobtenir une meilleure

repreacutesentation de la reacutealiteacute associeacutee agrave la saturation empirique des donneacutees

(Mayer et Ouellet 1991 Bertaux 1997 Pires 1997) Une limite reconnue

de la premiegravere eacutetude eacutetait drsquoavoir eacuteteacute conduite aupregraves drsquoun eacutechantillon

insuffisamment diversifieacute sur ces deux critegraveres des lieux et des sites de

recrutement (Brunelle 2001)

Trois critegraveres drsquoeacutechantillonnage sont communs agrave tous les jeunes

recruteacutes garccedilons et filles ecirctre volontaire srsquoexprimer couramment en

franccedilais et ecirctre acircgeacute de 14 agrave 20 ans

Pour fixer la taille de lrsquoeacutechantillon le principe adopteacute a eacuteteacute celui de

la saturation empirique laquo La saturation empirique deacutesigne alors le pheacuteno-

megravene par lequel le chercheur juge que les derniers documents entrevues

ou observations nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles

ou diffeacuterentes pour justifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo

(Pires 1997 p 156-157)

Ainsi afin drsquoatteindre une certaine repreacutesentation de la reacutealiteacute la

collecte des donneacutees prend fin au moment ougrave les informations qui srsquoajoutent

deviennent essentiellement reacutepeacutetitives ou anecdotiques (Mayer et Ouellet

1 Aujourdrsquohui Loi sur le systegraveme de justice peacutenale des adolescents (LSJPA)

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14

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

1991) Nous avons proceacutedeacute de cette maniegravere lors de la premiegravere eacutetude et

crsquoest ainsi que nous comptons mettre fin au recrutement de nouveaux

reacutepondants pour la deuxiegraveme eacutetude

Une fois les deux eacutetudes combineacutees les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent

sur un eacutechantillon de 62 jeunes

2

Un total de 31 jeunes pris en charge en

centre jeunesse et 12 en centre de traitement de la toxicomanie ont eacuteteacute

rencontreacutes de mecircme qursquoune douzaine drsquoadolescents freacutequentant des mai-

sons de jeunes six jeunes en milieu scolaire secondaire et un jeune de la

rue Parmi lrsquoensemble de ces jeunes participants on trouve 36 garccedilons et

26 filles dont lrsquoacircge moyen est de 165 ans

3

Au moment des entrevues drsquoune dureacutee moyenne drsquoune heure la

consigne de deacutepart de lrsquointervieweuse eacutetait formuleacutee ainsi

Jrsquoaimerais que tu considegraveres que je repreacutesente ton journal intime Alorsdans tes propres termes et selon ce que tu penses raconte-moi ta vie jusqursquoagrave

aujourdrsquohui comme si tu traccedilais ton itineacuteraire en incluant toutes lesdimensions de ta vie famille amis amours eacutecole deacutelinquance drogue leseacuteveacutenements que tu as veacutecus et surtout comment tu les as veacutecushellip

Une grille constitueacutee de mots cleacutes repreacutesentant autant de thegravemes agrave

aborder eacutetait utiliseacutee par lrsquointervieweuse agrave titre de guide drsquoentrevue Ainsi

que le suggegraverent Mayer et Ouellet (1991) ces entrevues prenaient la

forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes (Ghiglione et Matalon 1978)

Lrsquoanalyse du contenu des entretiens (Bardin 1977 LrsquoEacutecuyer 1990)

srsquoest faite selon deux approches utiliseacutees de maniegravere compleacutementaire

Drsquoune part une analyse theacutematique (Ghiglione et Matalon 1978) a eacuteteacute

privileacutegieacutee comme mode principal de reacuteduction du mateacuteriel Drsquoabord de

maniegravere verticale une analyse intrinsegraveque de chacune des entrevues a eacuteteacute

effectueacutee Ensuite de maniegravere transversale nous avons chercheacute agrave repeacuterer

les points de convergence et de divergence entre les reacutecits recueillis

Drsquoautre part une analyse seacutequentielle traitant de la suite des eacuteveacutenements

et de leurs reacutepercussions sur le jeune selon sa lecture a eacuteteacute reacutealiseacutee Pour

cette analyse seacutequentielle trois lignes biographiques traitant respective-

ment de lrsquohistoire de vie geacuteneacuterale (trajectoire sociale) de la consomma-

tion de drogues et de la deacutelinquance aux diffeacuterents acircges ont eacuteteacute traceacutees

et repreacutesenteacutees graphiquement pour chaque reacutepondant pour ensuite ecirctre

mises en relation Il sera ici question des ressemblances et des diffeacuterences

entre les reacutecits de vie obtenus des filles et des garccedilons

2 Les 38 premiers jeunes ont eacuteteacute rencontreacutes en cours de reacutealisation du doctorat et24 entrevues ont eacuteteacute ajouteacutees depuis le deacutebut de la deuxiegraveme eacutetude en cours

3 Voir Brunelle (2001) pour une description plus deacutetailleacutee des reacutepondants de la premiegravereeacutetude

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14 REacuteSULTATS

En plus drsquoavoir veacutecu plusieurs situations similaires les garccedilons et les filles

de lrsquoeacutechantillon tiennent un reacutecit relativement semblable agrave plusieurs

eacutegards Lrsquoexemple le plus eacutevident dans nos reacutesultats concerne les motiva-

tions principales qui ont pousseacute les participants agrave commettre des deacutelits ou

agrave consommer La curiositeacute et le fait de vouloir faire comme les autres pour

que ceux-ci les acceptent plus facilement sont mentionneacutes tant par les

filles que par les garccedilons de lrsquoeacutechantillon pour expliquer leurs premiegraveres

expeacuterimentations avec la drogue ou la deacutelinquance

141 L

ES

FILLES

ET

LES

GARCcedilONS

PLUS

DE

RESSEMBLANCES

QUE DE

DIFFEacuteRENCES

Plusieurs raisons motivant lrsquoadoption de comportements dits deacuteviants

limiteacutes ici agrave la consommation de substances psychoactives et agrave diverses

formes de deacutelinquance apparaissent comme eacutetant communes aux filles et

aux garccedilons de notre eacutechantillon Cela est vrai pour les motifs lieacutes agrave la

consommation drsquoalcool et drsquoautres drogues et pour ceux qui sont lieacutes agrave

des peacuteriodes de diminution ou drsquoarrecirct de cette consommation Crsquoest aussi

le cas pour les motivations que les jeunes filles et garccedilons eacutevoquent pour

expliquer des peacuteriodes ougrave ils commettent un nombre important de deacutelits

et des peacuteriodes ougrave ils en commettent peu ou pas du tout

1411 Motifs de consommation de drogues

Curiositeacute

ndash Plusieurs auteurs se sont inteacuteresseacutes au rocircle que joue la curiositeacute

dans les processus drsquoexpeacuterimentation des drogues (Fagan et Chin 1990

Erickson et Weber 1994 Brochu et Parent 2005) Nos reacutesultats montrent

que la curiositeacute influence le parcours tant des filles que des garccedilons

Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot en secondaire 3hellip ccedila me tentait drsquoessayerccedilahellip tous mes amis avaient deacutejagrave fumeacute Jrsquoai dit laquo bon je vais essayer ccedila raquo

(Minou fille 16 ans milieu scolaire)

Eh bien au deacutebut il y a quelqursquoun qui mrsquoa inviteacute et je me suis dit laquo crsquoestquoi ccedila Je vais essayer ccedila raquo

(Jean 18 ans centre jeunesse)

Du plaisir agrave lrsquooubli ndash

Comme dans plusieurs autres recherches

(Collison 1996 Glauser 1995) le plaisir apparaicirct dans notre eacutetude au

centre des motivations agrave consommer des drogues Les filles comme les

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16

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

garccedilons lrsquoeacutevoquent pour expliquer leur usage de drogues Ils parlent drsquoun

plaisir ludique pour la majeure partie de leur trajectoire deacuteviante parti-

culiegraverement pour le deacutebut de celle-ci

Jrsquoai toujours aimeacute ce feeling-lagrave tu nrsquoes jamais choqueacute tu ris tout le temps

puis tu veux tout le temps niaiserhellip tu nrsquoes jamais down puis le fameux

trip de bouffe aussi quand on fumehellip

(Franck 15 ans milieu scolaire)

Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot avec mon voisin crsquoeacutetait pas pire crsquoeacutetait lefun [rire] je mrsquoennuie de ccedila

(Julienne 15 ans centre jeunesse)

Toutefois ceux et celles qui se rendent agrave un stade de deacutependance

expliquent que ce plaisir srsquoest transformeacute peu agrave peu en un plaisir amneacute-

sique Ainsi certains et certaines en sont venus agrave consommer pour oublier

leurs problegravemes On observe ainsi une discontinuiteacute dans leurs motiva-

tions agrave consommer (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)

Mais tseacute en premier crsquoeacutetait juste pour le fun lagrave Mais agrave un moment donneacuteje me suis rendu compte que jrsquoen avais plus de besoin que drsquoautre chosehellipLagrave je me suis vraiment mis agrave laquo rusher raquo pis la seule issue pas mal que

la seule issue que je me suis trouveacute crsquoest de prendre de la dope prendrede la dope parce que quand jrsquoeacutetais geleacute ben lagrave je ne pensais plus agrave rien

(Antoine 17 ans centre jeunesse)

Au deacutebut crsquoeacutetait plus comme pour le fun apregraves ccedila eacuteteacute pour me faire une

carapace des attaques qursquoil pouvait me faire ou quelque chose

[

son ex-chum

]

Apregraves ccedila crsquoeacutetait pour oublier Crsquoeacutetait beaucoup beaucoup pour oublier cequi pouvait arriver

(Rachel 16 ans centre de toxicomanie)

Appartenance agrave un groupe de pairs ndash

Plusieurs filles et garccedilons de

lrsquoeacutechantillon ont reacuteveacuteleacute que le fait de consommer ou de commettre des

deacutelits leur procurait une valorisation agrave travers leur appartenance agrave un

groupe de pairs

Je me sentais bien avec mon groupe drsquoamis je me sentais mieux je sentaisque je faisais les mecircmes affaires qursquoeux autres pis tu sais jrsquoeacutetais laquo tough raquopis christ moi jrsquoen prends je me sentais dans la gang ccedila fait que jrsquoai bienaimeacute mon expeacuterience

(Charlie fille de 17 ans centre de toxicomanie)

Crsquoeacutetait

[ses deacutelits]

pour me montrer laquo tough raquo pis ecirctre respecteacute aupregraves desautres

[ses copains] (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)

Influence parentale ndash

Des garccedilons et des filles de notre eacutechantillon

ont raconteacute avoir eacuteteacute inciteacutes agrave consommer par leurs parents Ces derniers

les ont initieacutes agrave la consommation de cannabis en particulier Dans certains

cas ils en ont fait une activiteacute familiale plus ou moins reacuteguliegravere

Moi jrsquoai commenceacute agrave fumer des joints avec mon pegravere

(Moh 19 ans jeunede la rue)

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES

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On eacutetait dans un petit chalet dans le bois ma megravere son chum et moiCrsquoeacutetait quand mecircme laquo cool raquo Puis lagrave ils mrsquoont fait fumer un joint tu saisCcedila a eacuteteacute mon deuxiegraveme joint et celui-lagrave mrsquoa geleacutee jrsquoeacutetais perdue

(Mireille17 ans maison de jeunes)

Problegravemes familiaux ndash

Les problegravemes familiaux de diffeacuterents ordres

sont souvent au cœur des reacutecits de vie des jeunes et se rattachent selon

eux agrave leur consommation de drogues Des problegravemes de relations inter-

personnelles entre parents et enfants ou agrave lrsquointeacuterieur de la fratrie ou

encore des difficulteacutes veacutecues par un ou plusieurs membres de la famille

sont eacutevoqueacutes notamment pour expliquer des peacuteriodes de recrudescence

de leur deacuteviance marqueacutees par le deacutesir drsquooublier leurs problegravemes (Brunelle

Brochu et Cousineau 2002b)

Problegraveme crsquoest comme mon pegravere lui il eacutetait plus seacutevegravere tu comprends

[rires]

les Africains crsquoest plus seacutevegravere lagrave Puis moi vu que crsquoeacutetait plus seacutevegravere etpuis que jrsquoai grandi avec deux mentaliteacutes diffeacuterentes crsquoest comme un peuavec la mentaliteacute africaine puis je suis venu ici je te le jure que jrsquoai grandiavec la mentaliteacute ici tu comprends Jrsquoallais agrave lrsquoeacutecole mais je faisais drsquoautresaffaires puis lui

[son pegravere]

il nrsquoaimait pas ccedila fait que lagrave on se chicanaitje mrsquoen allais de chez moi je faisais des fugues lagrave je suis devenu plusdeacutelinquant mes amis ce sont des deacutelinquants jrsquoai commenceacute agrave consommerpuis crsquoest ccedila jusqursquoagrave temps qursquoon mrsquoarrecircte

(Outwall 17 ans centrejeunesse)

Jrsquoavais tellement peur qursquoelle se tue

[sa megravere]

Jrsquoai tout le temps peurComme tseacute elle me parlait qursquoelle avait voulu mourir ou elle disait ben grosqursquoelle prenait une coupe de pilules pis qursquoelle partait elle faisait laplanche Faque jrsquoai toujours peur encore

(Lilianne 16 ans centre detoxicomanie)

Faciliter les deacutelits ndash

Plusieurs jeunes filles et garccedilons ont mentionneacute

que la drogue leur permettait de commettre les deacutelits voulus en leur

fournissant courage et deacutesinhibition (Brunelle Brochu et Cousineau

2000) Certains reacutevegravelent mecircme qursquoelle leur permet drsquooublier du moins

momentaneacutement les conseacutequences de leurs gestes

La drogue crsquoest pour te donner un peu plus de courage Lagrave apregraves si lapersonne veut le faire sans drogue il va le faire sans fumerhellip crsquoest commequand quelqursquoun qui boit pis il va voir une fille apregraves

(William 17 anscentre jeunesse)

Il faut que je donne mon corps pour rembourser Je suis toujours geleacutee quandje fais ccedila Parce que je lrsquoai fait longtemps sans ecirctre geleacutee pis tu te sens pasagrave lrsquoaise Crsquoest une personne inconnue avec qui tu couches tu sais pascrsquoest qui

(Isabelle 16 ans centre jeunesse)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

1412 Motifs de deacutelinquance

Vengeance des abus subis ndash

Afin drsquoexpliquer leurs gestes deacutelinquants en

particulier certaines filles et certains garccedilons de lrsquoeacutechantillon mentionnent

leur deacutesir de venger les abus qursquoils ont subis Comme plusieurs auteurs

lrsquoont deacutejagrave mentionneacute les victimes de violence deviennent parfois eux-mecircmes

auteurs de violence (Hammersley Forsyth et Lavelle 1990 Agnew 1991

Dembo Williams Schmeidler Berry Wothke Getreu Wish et Christensen

1992 Miller et Downs 1995 Alexander 1996) Les jeunes dont il est ici

question ont geacuteneacuteralement adopteacute une trajectoire vraiment deacuteviante que

nous avons nommeacutee trajectoire discontinue marqueacutee par la recherche

drsquoun plaisir amneacutesique (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)

Parce que je suis rentreacutee en centre drsquoaccueil pis je pensais tout de suite laquo Ils vont faire comme ma megravere raquo Crsquoest lrsquoimpression que jrsquoai eue Pis il y aune fois ougrave je me suis faite retirer en retrait pis lagrave je lrsquoai pas pris Jrsquoai dit laquo Ils ont fait comme ma megravere ils vont mrsquoenfermer je ne mangerai pas raquohellipCrsquoest lagrave que ccedila a commenceacute les voies de fait Crsquoest comme jrsquoai eu lrsquoimpressionque ma megravere eacutetait lagrave encore

(Isabelle 16 ans centre jeunesse)

Jrsquoeacutetais frustreacute pour les coups que jrsquoavais pris faque je lrsquoai battu puis crsquoestccedila

(Phency 17 ans centre jeunesse)

Placement en protection de la jeunesse ndash

Quelques jeunes filles et

garccedilons eacutevoquent un sentiment drsquoinjustice subie et de reacutevolte associeacute agrave

leur placement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse Ce sont

des jeunes fortement impliqueacutes dans la deacutelinquance et geacuteneacuteralement ren-

contreacutes en centre jeunesse

La premiegravere fois que jrsquoai eacuteteacute arrecircteacute crsquoest vrai ccedila a eacuteteacute pour tentative demeurtre jrsquoai essayeacute de poigner deux personnes puis dehors agrave lrsquoexteacuterieurpuis toute ccedila Puis le gars il me cherchait puis lagrave moi jrsquoeacutetais comme reacutevolteacuteaussi dans le sens que je me disais que mes parents mrsquoavaient placeacute puisque crsquoest agrave cause drsquoeux autres que jrsquoeacutetais placeacute puis lagrave ils se sont seacutepareacutesccedila fait que le monde est illeacutegal le monde leacutegal genre je les ai mis ensembleen dernierhellip

(Baby Joker 18 ans centre jeunesse)

Moi je me suis reacutevolteacutee parce que je me suis dit coudon je me suis faitbattre par mes parents je nrsquoavais pas drsquoaffaire en centre drsquoaccueil tseacute Jeme suis dit laquo Non ccedila nrsquoa pas drsquoallure raquo Alors je me suis dit que je neserais pas en centre drsquoaccueil pour rien Pis lagrave je me suis reacutevolteacutee pis ccedilatout ensemble fait que jrsquoai embarqueacute dans les motards

(Isabelle 16 anscentre jeunesse)

Payer sa drogue ndash

La deacutelinquance lucrative en particulier occupe vite

une fonction utilitaire pour les consommateurs et consommatrices de

drogues de notre eacutechantillon Les vols la vente de drogues et la prostitution

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sont au nombre des deacutelits que commettent ces jeunes pour pouvoir consom-

mer de la drogue La vente de drogues apparaicirct rapidement dans leur

trajectoire plus rapidement que chez les adultes consommateurs Nous

faisons lrsquohypothegravese que le faible pouvoir eacuteconomique des adolescents

explique du moins en partie cette reacutealiteacute (Brunelle Brochu et Cousineau

2000) Quoi qursquoil en soit plus la consommation de drogues des jeunes

augmente plus ils sont impliqueacutes dans les deacutelits lucratifs citeacutes Crsquoest

ainsi que certains et certaines atteignent un stade eacuteconomico-compulsif

(Brunelle Brochu et Cousineau 2005)

Au deacutebut de mon secondaire crsquoest lagrave que jrsquoai commenceacute agrave consommer Jemrsquoeacutetais fait des amis de consommation tout ccedila et vu que je nrsquoavais pasgros de revenus et bien jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutelits et des deacutelits Je volaisde lrsquoargent ou des choses comme ccedila des choses qui allaient ecirctre le laquo fun raquopour pouvoir acheter ma consommation

(Jean 18 ans centre jeunesse)

Jrsquoai commenceacute agrave faire beaucoup de coke beaucoup je buvais tous les soirsje nrsquoallais plus agrave lrsquoeacutecolehellip Jrsquoai commenceacute agrave consommer tout le temps tousles jours je consommais je pouvais boire pis je volais tout le temps Ccedilacoucirctait cher agrave un moment donneacute ce nrsquoest pas donneacute pareil lagrave Je vendaisde la drogue pis je volais pour me faire de lrsquoargent pis je travaillais aussitu saishellip Jrsquoai commenceacute agrave faire de la coke pis crsquoest lagrave que jrsquoai deacutecideacute defaire mon vol qualifieacute pour mrsquoen ramasser

(Julienne 15 ans centrejeunesse)

1413 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de consommation

Coucircts trop eacuteleveacutes ndash Agrave la fois des filles et des garccedilons eacutevoquent le fait que

leur consommation est devenue trop coucircteuse pour expliquer qursquoils aient

ralenti ou cesseacute leur usage de drogues agrave un certain moment

La coke jrsquoen ai fait gros mais maintenant je me suis calmeacute parce que agrave unmoment donneacute ccedila coucircte cher (Moh 19 ans jeune de la rue)

Lrsquoalcool bien jrsquoai bu toutes sortes drsquoalcool Mais lagrave je nrsquoen bois plus parceque ccedila coucircte cher (Amitieacutes 18 ans jeune de la rue)

Plaisir disparu ndash Certains jeunes mentionnent que lrsquoeffet ludique

que leur procurait leur usage de drogues a disparu et de ce fait ils ont

arrecircteacute drsquoen prendre ou diminueacute leur consommation

Je nrsquoaime plus ccedila le laquo buzz raquo que ccedila fait (Cerise 16 ans milieu scolaire)

Ben je trouvais ccedila lrsquolaquo fun raquo le hasch Mais agrave la longue agrave lrsquointeacuterieur de soicrsquoest plate parce que tu ne peux pas vraiment te controcircler (Eacutelavien 15 ansmilieu scolaire)

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20 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Trop agrave perdre ou limite atteinte ndash Plusieurs confient que les conseacute-

quences de leur consommation les ont pousseacutes agrave vouloir la diminuer ou

lrsquoarrecircter Ils en sont venus agrave consideacuterer ces conseacutequences comme eacutetant

excessives trop deacutesavantageuses Ces conseacutequences relateacutees par les jeunes

sont drsquoordre physique psychologique et social ainsi que le montrent

chacun des trois extraits drsquoentrevue suivants

Fumer lagrave ccedila me fait vomir puis tu sais tout me rend malade (Julie 17 ansmilieu scolaire)

Je pense que jrsquoai trop fumeacute du pot puis agrave un moment donneacute je suis devenuparanoiumlaque apregraves jrsquoai arrecircteacute tout ccedila pendant deux ans de temps (Jack20 ans jeune de la rue)

Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Faque ccedila mrsquoa deacutecourageacutedrsquoen refumer (Bac 17 ans milieu scolaire)

Inteacutegriteacute morale atteinte ndash Quelques filles et garccedilons associent des

repreacutesentations sociales neacutegatives agrave la consommation de cocaiumlne agrave lrsquoitineacute-

rance et agrave la prostitution et ils les relient aux peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur

trajectoire drsquousage de drogues Ces repreacutesentations sociales les conduisent

agrave croire que leur inteacutegriteacute morale sera trop atteinte srsquoils continuent de

consommer notamment de la cocaiumlne

On commence agrave fumer du crack puis lagrave je baisse mes culottes tu sais il mesuce Le lendemain lagrave [soupir] jrsquoavais tellement honte de moihellip je merespectais avant tu sais je nrsquoaurais jamais fait ccedila je me tapais sur la tecirctepuis lagrave jrsquoavais vraiment honte Jrsquoai lacirccheacute le crack ccedila a eacuteteacute la derniegravere foisque jrsquoen ai fait (Raon 17 ans centre de toxicomanie)

Pis agrave la fin je me suis rendue au point ougrave jrsquoai commenceacute agrave faire de lapoudre et pis je me suis dit laquo Non je ne veux pas commencer agrave vendremon cul sur Sainte-Catherine raquo Je ne me sentais plus bien jrsquoeacutetais vraimentmalheureusehellip (Pamela 16 ans centre de toxicomanie)

Pairs conformistes ndash Ainsi que Esbensen et Elliot (1994) lrsquoavaient

deacutejagrave souligneacute certains reacutepondants et reacutepondantes reacutevegravelent que des peacuteriodes

de diminution de leur usage de drogues sont marqueacutees par des sentiments

positifs associeacutes agrave une identiteacute plus conformiste deacutecoulant de freacutequenta-

tions amicales elles-mecircmes plus conformistes

Jrsquoai quelques bons amis qui mrsquoont aideacutee agrave arrecircter de consommer il y a deuxans Jrsquoai arrecircteacute de battre les gens de faire des conneries Jrsquoai arrecircteacute de metenir avec ma gang Jrsquoai changeacute drsquoamis Crsquoeacutetait du monde normal dumonde comme toi et moi du monde comme ccedila (Isabelle 16 ans centrejeunesse)

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Un de mes amis commenccedilait agrave me talonner pour que jrsquoarrecircte de consommerCes gars-lagrave mes vieux amis drsquoenfance ils ne mrsquoont pas lacirccheacute Ils avaientarrecircteacute de consommer et ils ont commenceacute agrave srsquoentraicircner agrave avoir une job agraveavoir une vie normale Ils voulaient que je fasse la mecircme chose Crsquoest lagraveque jrsquoai reacutealiseacute plein drsquoaffaires que jrsquoeacutetais eacutecœureacute de cette vie-lagrave que je mesentais bien quand je ne consommais pas que jrsquoeacutetais quelqursquoun que jrsquoeacutetaisun homme (Nathan 18 ans centre jeunesse)

Amoureux conformiste ndash Dans la mecircme veine des filles et des gar-

ccedilons mentionnent avoir diminueacute leur consommation de drogues agrave des

peacuteriodes dans leur vie ougrave ils avaient un amoureux ou une amoureuse qui

ne consommait pas

Depuis que je sors avec elle je savais qursquoelle nrsquoaimait pas ccedila puis apregraveselle capotait alors jrsquoai reculeacute puis jrsquoai arrecircteacute (Quincy 16 ans maisonde jeunes)

Il ne voulait pas que je fume au deacutebut tu sais il me lrsquoa dit que lui il nefumait pas puis qursquoil nrsquoaimait pas ccedila des filles qui fument puis crsquoest unpeu agrave cause de lui aussi que jrsquoai arrecircteacute de fumer lagrave Depuis que je sors avecon dirait que je trouve ccedila moins dur drsquoarrecircter de fumer lagrave Lui il ne fumepas pantoute il nrsquoa jamais toucheacute agrave ccedila cela fait que moi jrsquoai arrecircteacute defumer lagrave (Cerise 16 ans milieu scolaire)

Autres avenues sports et arts ndash Plusieurs jeunes ont mentionneacute

qursquoils avaient cesseacute ou diminueacute leur consommation de drogues dans des

peacuteriodes ougrave ils srsquoadonnaient agrave des activiteacutes de nature sportive ou artistique

Ils parlent des fonctions occupantes et valorisantes de ces activiteacutes

Je suis devenu un peu moins illeacutegal pendant cet eacuteteacute-lagrave agrave cause du soccerTu sais ccedila mrsquoa bien aideacute ccedila mrsquoa bien gros accrocheacute puis ccedila mrsquoa permisde continuer ma vie et de faire ce que jrsquoavais agrave faire (Philippe 15 anscentre jeunesse)

Mais je pense que ce qui mrsquoa le plus aideacutee crsquoest que jrsquoai fait partie drsquounepiegravece drsquoune troupe de theacuteacirctre pendant deux ans Ccedila me donnait un butdans la vie et quand jrsquoai un but dans la vie le reste ne compte pas (Julie17 ans milieu scolaire)

142 LES GARCcedilONS EN PARTICULIER

Les reacutecits de vie recueillis aupregraves des garccedilons et des filles de lrsquoeacutechantillon

srsquoils se reacutevegravelent semblables agrave bien des eacutegards nrsquoen montrent pas moins

des distinctions dans les types de situations que ces jeunes relient le plus

clairement agrave lrsquoamplification de leur trajectoire deacuteviante Ainsi les garccedilons

parlent davantage de la recherche de plaisir et aussi de situations qui ont

entraicircneacute une reacuteaction agressive de leur part pour expliquer leur trajectoire

de deacutelinquance en particulier Par ailleurs ils font part de raisonnements

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22 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rationnels du type calcul du rapport coucirct-beacuteneacutefice lorsqursquoils racontent

pourquoi ils ont ralenti leur trajectoire de consommation agrave certaines

peacuteriodes de leur vie

1421 Motifs de deacutelinquance

Plaisir ndash Quelques garccedilons mentionnent le plaisir ressenti au moment de

commettre des deacutelits pour expliquer leur deacutelinquance Les filles nrsquoen font

pas mention

Les intros ces affaires-lagrave crsquoeacutetait juste pour le trip parce que je nrsquoen avaispas besoin drsquoargent jrsquoen faisais beaucoup en vendant de la dopehellip Ccedila merapportait rien ccedila me rapportait du fun (Oscar 18 ans centre jeunesse)

Pis lagrave jrsquoai commenceacute agrave me battre avec pis je ne sais pas jrsquoavais aimeacute ccedilaPis il eacutetait agrave terre plein de sang pis jrsquoavais comme un sentiment de pouvoirenvers lui Pis depuis ce temps-lagrave jrsquoy ai pris plaisir (Sacha 17 ans centrejeunesse)

Vengeance des abus subis par drsquoautres ndash Quelques garccedilons ont expli-

queacute certains de leurs deacutelits de violence en reacuteveacutelant qursquoils voulaient venger

des proches qui ont eacuteteacute abuseacutes comme pour deacutefendre leurs inteacuterecircts

[hellip] lagrave jrsquoai ressauteacute dessus [sur son beau-pegravere] Crsquoest comme tseacute crsquoeacutetaitplus de lrsquoaccumulation tseacute le temps lagrave Tseacute jrsquoeacutetais petit pis je le voyaistaper sur ma megravere pis tout Pis crsquoeacutetait comme agrave peu pregraves tout ce que jrsquoavaislagrave ma megraverehellip Tseacute je veux dire crsquoest comme srsquoil mrsquoavait arracheacute tout ce quime restaithellip Pis il fallait que je le fasse sentir au moins un petit peu commeil mrsquoavait fait sentir tseacutehellip Pis une grande gueule comme qursquoil est il acontinueacute pis lagrave jrsquoai comme laquo pitcheacute raquo le rouleau agrave pacircte pis je lrsquoai atteintau-dessus de lrsquoœil Pis lagrave ccedila srsquoest mis agrave saigner pis tout tseacutehellip (Louis17 ans centre jeunesse)

Lagrave il y avait plein de sang partout lagrave je capotais Lagrave je vois ma petitesœurhellip Mon fregravere me saute dessus il me dit laquo Elle srsquoest faite violer piscrsquoest un estie de negravegre qui lui a fait ccedilahellip raquo Lagrave depuis ce temps-lagrave les noirsccedila eacuteteacute fini fini fini Depuis ce temps-lagrave je suis devenu agressif tabarnachellipCrsquoest depuis ce temps-lagrave que je suis devenu violent pas mal sur les bords(Christian 17 ans centre jeunesse)

Un instinct de survie ndash Certains jeunes reacutepondants affilieacutes agrave des

gangs de rue ont eacutevoqueacute une forme de leacutegitime deacutefense pour expliquer

qursquoils aient commis des deacutelits violents

Crsquoest lagrave que jrsquoai lacirccheacute tous les noirs pis lagrave apregraves ccedila quand tu deacutebarquesdrsquoune gang lagrave-bas trsquoes un estie tu te fais traiter de conhellip Faque je me suisbattu en masse pis je suis devenu violent en tabarnac il fallait que je medeacutefende je nrsquoavais pas le choix (Christian 17 ans centre jeunesse)

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Ccedila ne me deacuterange pas de tuer srsquoil y en a un en avant de moi qui veut mefaire chier et que je vois dans ses yeux qursquoil veut me tuer eh bien je vaisle tuer avant qursquoil le fasse crsquoest simple (Moh 19 ans jeune de la rue)

Une laquo susceptibiliteacute raquo agressive ndash Certains garccedilons ont raconteacute avoir

eacuteteacute violents envers drsquoautres jeunes en reacuteponse agrave un comportement de leur

part qursquoils jugeaient offensant

Une autre fois il y en avait un qui mrsquoeacutenervait puis le lendemain jrsquoaiapporteacute un couteau agrave lrsquoeacutecole Puis je me battais apregraves lrsquoeacutecolehellip (William17 ans centre jeunesse)

Chaque fois que quelqursquoun disait quelque chose de pas correct sur moijrsquoallais le chercher et je le battaishellip (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)

1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation

Meilleure harmonie familiale ndash Mecircme si certains garccedilons disent avoir eacuteteacute

initieacutes aux drogues par leurs parents drsquoautres expliquent qursquoils ont cesseacute

ou diminueacute leur consommation afin de preacuteserver la paix avec leurs parents

ou par attachement parental

Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Ccedila fait que ccedila mrsquoaencourageacute agrave ne pas en refumer Mettons que ccedila mrsquoencourage agrave pas fumerde la drogue aussi souvent devenir un leacutegume agrave cause de ccedila ccedila mrsquointeacuteressepas fumer Ccedila fait que ccedila ma megravere celle-lagrave elle lrsquoa jamais su je trouveque crsquoest peut-ecirctre bien agrave quelque part peut-ecirctre qursquoelle mrsquoaurait sucircrementre-peacuteteacute une coche comme la derniegravere fois Je trouve ccedila mieux de mecircme ellesait que je nrsquoen prends pas pis je nrsquoai pas inteacuterecirct agrave en prendre de un etde deux je nrsquoaime pas ccedila (Bac 17 ans milieu scolaire)

Agrave un moment donneacute jrsquoai consommeacute pendant deux semaines tregraves intensi-vement puis je me suis eacutecœureacute Je me suis dit laquo Pourquoi Qursquoest-ce queccedila change raquo Crsquoest surtout que mes parents ne le savaient pas Agrave chaquefois que jrsquoarrivais agrave la maison je ne savais jamais si mes parents srsquoenrendraient compte toutes les fois tu comprends Et puis je me suis tanneacutedrsquoavoir peur et jrsquoai reacutealiseacute que ccedila ne me donnait rienhellip (Samuel 16 ansmaison de jeunes)

Trop agrave perdre ou rien agrave gagner une reacuteflexion laquo rationnelle raquo ndash De

maniegravere particuliegraverement rationnelle certains garccedilons calculent qursquoils ont

trop agrave perdre ou rien agrave gagner agrave consommer des drogues

Ccedila fait 4 mois que jrsquoai arrecircteacute pour la peacuteriode drsquoexamen parce que je savaisque ccedila me rendait genre un petit peu cellule dans ma tecircte (Arnold 15 ansmilieu scolaire)

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24 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Aujourdrsquohui la cour me lrsquoa encore obligeacute de travailler ma consommationsauf que je suis conscient du besoin que jrsquoai de geacuterer ma consommation eten plus on a vendu notre maison agrave Trois-Riviegraveres ma megravere srsquoen va habiteragrave Longueuil et moi je poursuis mes eacutetudes au professionnel agrave Trois-Riviegraveresalors je vais me retrouver en appartement Pour ccedila il faut de lrsquoargent et sije fume trop comme je fumais avant eh bien je nrsquoaurai plus drsquoargent pourpayer mon loyer et tout ccedila Cela fait que je vais avoir un problegraveme Crsquoestpour ccedila que je mrsquoimplique reacuteellement dans mon atelier de toxicomanie(Jean 18 ans centre jeunesse)

Pour reacuteussir une carriegravere deacutelinquante ndash Certains garccedilons de lrsquoeacutetude

mentionnent qursquoils ont cesseacute ou diminueacute leur usage de drogue ou de

certaines drogues pour srsquoassurer de faire beaucoup de profits illeacutegaux ou

pour eacuteviter de se faire arrecircter par les policiers

Quelqursquoun qui vend un vendeur lagrave ccedila ne touche pas comme un gars quivend du crack il ne touche pas au crack Sinon crsquoest lui qui fume sonstock Ben moi je ne fume pas de crack alors je peux vendre (William17 ans centre jeunesse)

Un bon voleur ok il ne va jamais faire ses affaires quand il est chaud ougeleacute tu as pas mal plus de risque de te faire prendre (Outwall 17 anscentre jeunesse)

143 LES FILLES EN PARTICULIER

Peu de chose distinguent speacutecifiquement les filles sinon le fait deacutejagrave men-

tionneacute qursquoune grande partie de leur reacutecit srsquoarticule autour du besoin de

plaire aux pairs deacuteviants pour expliquer leur consommation de drogues

ou leur implication dans la deacutelinquance et le fait que parmi les motifs de

sortie se trouve la reacuteponse agrave un ultimatum parental

1431 Motif de consommation

Un vide affectif ndash Certaines filles reacutevegravelent consommer des drogues pour

combler un sentiment de vide drsquoamour

Mais tseacute je voulais prouver que jrsquoeacutetais vieille de caractegravere que jrsquoeacutetaisquelqursquoun Pour qursquoils mrsquoaiment parce que je me sentais ben gros pas aimeacute(Pamela 16 ans centre de toxicomanie)

Parce que je ne voulais pas ressentir le vide que jrsquoai en dedans un videinteacuterieur de ne pas recevoir de lrsquoamour autant que je voudrais tout le tempsce vide agrave combler tu sais (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES 25

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1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation

et de la deacutelinquance

Ultimatum parental ndash Afin de preacuteserver une relation relativement satisfai-

sante avec leur pegravere ou leur megravere ou afin de lrsquoameacuteliorer certaines filles

disent avoir diminueacute ou cesseacute leur consommation drsquoune ou de plusieurs

drogues agrave leur demande ou parce qursquoelles ont compris qursquoautrement elles

se feraient rejeter

Apregraves cet eacuteveacutenement-lagrave jrsquoai reconsommeacute jrsquoai recontinueacute agrave vendre tu saisccedila nrsquoavait pas cliqueacute dans ma tecircte pis euh quand que ma megravere a trouveacutemon sac de ziploc dans ma sacoche elle a dit laquo je suis eacutecœureacutee raquo elle adit laquo jrsquoabandonne raquo elle a dit laquo je trsquoabandonne raquo elle a dit laquo je ne peuxplus rien faire pour toi raquo elle a dit laquo fais donc ce que tu veux je mrsquoencalice raquo Ccedila fait que crsquoest lagrave que ccedila a cliqueacute laquo jrsquoai un problegraveme raquo pis lagravejrsquoai peacuteteacute les plombs je braillais pis laquo qursquoest-ce que je vais faire raquo Crsquoest lagraveque je suis alleacutee voir Juliette lrsquointervenante en toxico jrsquoai dit lagrave lagrave fais dequoi (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)

Je ne vole plus maintenant Je me suis calmeacutee parce que je me suis dit quesi je me faisais prendre encorehellip ce nrsquoest pas que jrsquoai peur ou que je mesens mal crsquoest juste qursquoils vont appeler ma megravere Je ne veux pas que mamegravere soit choqueacutee apregraves moi Crsquoest trop je lui ai causeacute assez de maux detecircte comme ccedila Apregraves tout je veux continuer de rester avec elle sinon ougravejrsquoirais Je ne veux pas aller habiter avec mon pegravere il est beaucoup tropseacutevegravere (Anouk 16 ans maison de jeunes)

CONCLUSION

Dans son bilan des recherches sur lrsquousage de drogues des jeunes Queacutebeacutecois

depuis les anneacutees 1960 Le Blanc (2005) conclut que les eacutetudes relatives

aux eacuteleacutements qui preacutecipitent la consommation et surtout agrave ceux qui en

facilitent lrsquoarrecirct sont encore trop peu nombreuses Nous avons voulu

apporter une compreacutehension compleacutementaire et diffeacuterente au corpus de

recherches deacutejagrave existant en nous centrant sur la lecture que font les

adolescents de leur trajectoire drsquousage de drogues et de deacutelinquance Non

seulement les motifs eacutevoqueacutes par les jeunes pour expliquer qursquoils consom-

maient ou qursquoils commettaient des deacutelits agrave certaines peacuteriodes de leur vie

eacutetaient rechercheacutes mais aussi ceux qursquoils ont eacutevoqueacutes relativement aux

peacuteriodes ougrave ils diminuaient ou cessaient leur implication deacuteviante De

plus il est apparu important de faire cet exercice en distinguant les filles

et les garccedilons Trop souvent en effet on a conclu agrave lrsquoinsignifiance de la

deacutelinquance des filles en srsquoappuyant sur des donneacutees statistiques issues de

sources policiegraveres ou judiciaires donneacutees qui indiquent une tregraves faible

preacutesence des filles au sein de la population de jeunes deacutelinquants eacutetudieacutee

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26 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Devant ce constat plusieurs chercheurs ont convenu de faire porter leurs

eacutetudes sur le seul groupe des deacutelinquants de sexe masculin repoussant

dans lrsquoombre la speacutecificiteacute possible de la deacutelinquance des filles et de son

traitement judiciaire et peacutenal

Essentiellement on constate que les motifs eacutevoqueacutes par les filles et les

garccedilons pour consommer des drogues et commettre des deacutelits sont dans

la plupart des cas les mecircmes curiositeacute plaisir oubli appartenance agrave un

groupe de pairs problegravemes familiaux vengeance des abus subis person-

nellement Les raisons que filles et garccedilons associent agrave des peacuteriodes de

diminution ou drsquoarrecirct de ces comportements deacuteviants sont aussi geacuteneacutera-

lement les mecircmes conseacutequences physiques psychologiques et sociales

devenues intoleacuterables pairs ou amoureux conformistes activiteacutes alterna-

tives agrave la consommation Ainsi contrairement agrave ce qursquoon avait pu croire

en se fiant aux statistiques portant sur la deacutelinquance juveacutenile une cer-

taine forme drsquoandrogynie (Cloutier 1996) apparaicirct au moment de consi-

deacuterer les motivations que les filles et les garccedilons associent au deacutebut et au

maintien de leur implication dans une trajectoire deacuteviante

Sur le plan de lrsquointervention il paraicirct inteacuteressant de srsquoattarder au rocircle

particulier que jouent lrsquoassociation agrave des pairs conformistes et les alterna-

tives agrave la consommation entraicircnant des peacuteriodes drsquoaccalmie et mecircme drsquoabs-

tinence dans les comportements deacuteviants des jeunes des deux sexes Il y a

lagrave certainement des pistes drsquointervention qui se dessinent se concreacutetisant

notamment par la mise en œuvre de projets positifs susceptibles de susciter

lrsquointeacuterecirct et lrsquoinvestissement des jeunes deacuteviants qui pourraient y participer

de concert avec des jeunes plus conformistes

Des caracteacuteristiques propres aux garccedilons sont toutefois deacutecelables

dans le mateacuteriel recueilli aupregraves des jeunes reacutepondants La recherche du

plaisir ainsi que des reacuteactions agressives se deacutegagent de leurs motivations

agrave commettre des deacutelits et pas de celles deacutevoileacutees par les filles Ici il y a

lieu de srsquoattarder au caractegravere souvent impulsif des garccedilons et agrave leur

recherche constante de gratification immeacutediate et drsquoen tenir compte dans

la planification de lrsquointervention

Pour expliquer une accalmie dans leur trajectoire de consommation

certains jeunes garccedilons estiment avoir eu trop agrave perdre sur les plans fami-

lial scolaire ou des conditions drsquohabitation Ils eacutevoquent aussi le fait que

leur usage de drogues pouvait nuire agrave leur laquo carriegravere deacutelinquante raquo Le

raisonnement arithmeacutetique associeacute aux garccedilons peut ecirctre eacutevoqueacute ici

(Cloutier 1996) Lrsquoexercice de prise de deacutecision soupesant les avantages

et les deacutesavantages drsquoune situation de consommation paraicirct approprieacute

pour les garccedilons dans la mesure ougrave on les laisse aborder eux-mecircmes les

aspects neacutegatifs de leur usage de drogues Il srsquoagit drsquoailleurs lagrave drsquoune

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strateacutegie qui srsquoest reacuteveacuteleacutee utile dans le cadre de lrsquoapproche motivationnelle

de plus en plus conseilleacutee pour lrsquointervention preacuteventive et de reacuteadaptation

meneacutee aupregraves des jeunes consommateurs de drogues (Prochaska Norcross

et DiClemente 1994)

Quant aux filles elles se distinguent des garccedilons lorsqursquoelles invoquent

un manque drsquoamour pour expliquer leur consommation Elles sont aussi

les seules agrave faire reacutefeacuterence agrave une forme drsquoultimatum parental lorsqursquoelles

mentionnent les peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur trajectoire deacuteviante Cloutier

(1996) dirait probablement que ces reacutesultats sont lieacutes au processus iden-

titaire feacuteminin lequel se caracteacuterise par une constante reacutefeacuterence au rap-

port aux autres Une intervention faisant appel agrave la famille et visant agrave

deacutevelopper des relations saines entre ses membres se preacutesente degraves lors

comme une avenue inteacuteressante pour les filles en venant notamment

combler le vide affectif que celles-ci deacutenoncent

Lrsquoexercice qui consiste agrave demander agrave des jeunes de se raconter dans

le cadre drsquoune entrevue semi-directive srsquoest aveacutereacute tregraves profitable pour

approfondir nuancer et qualifier les connaissances sur leurs trajectoires

drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Il apparaicirct indis-

pensable pour bien comprendre les jeunes et intervenir aupregraves drsquoeux

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TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

Diversiteacute des cheminements

et effets de geacuteneacuteration au sein

des milieux populaires en France

M

ICHEL

K

OKOREFF

Universiteacute Paris VCESAMES (CNRSndashINSERMndashParis V)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce chapitre part de la notion de laquo carriegraveres raquo telle qursquoelle est deacutefinie par

Howard Becker (1963) et en propose une lecture renouveleacutee dans un

contexte social et urbain et agrave propos de pratiques speacutecifiques Il srsquoapplique

agrave deacutecrire et agrave analyser les carriegraveres des usagers et des revendeurs de

drogues consideacutereacutees dans leurs dimensions territoriales dans les quartiers

pauvres Il srsquoappuie essentiellement sur des entretiens de type qualitatif

aupregraves drsquoindividus rencontreacutes pour la plupart en deacutetention

1

Une enquecircte

par observation meneacutee durant plusieurs anneacutees dans plusieurs communes

de la reacutegion parisienne et une analyse de la construction des affaires por-

tant sur des infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants dans la juridiction

de reacutefeacuterence constituent lrsquoarriegravere-plan de cette recherche qualitative elles

rendent possible une mise en situation de ce que nous avons appeleacute des

laquo reacutecits de carriegraveres raquo (Duprez et Kokoreff 2000) Agrave partir de ces donneacutees

il srsquoagit de mettre en relief les facteurs structurant les carriegraveres crsquoest-agrave-dire

des processus qui conduisent au deacuteveloppement de ces conduites illicites

dans un monde social donneacute Plus preacuteciseacutement on se propose drsquointerroger

lrsquoinfluence de lrsquoappartenance agrave une geacuteneacuteration sur les modaliteacutes drsquoenga-

gement dans le trafic consideacutereacute essentiellement agrave lrsquoeacutechelle locale

Nous commencerons par expliciter cette probleacutematique puis nous

distinguerons deux types de cheminements au sein de ce monde social

lrsquoun centreacute sur la consommation drsquoheacuteroiumlne agrave lrsquointeacuterieur drsquoune cohorte

neacutee au deacutebut des anneacutees 1960 lrsquoautre marqueacute par une entreacutee dans le

trafic de divers produits au cours des anneacutees 1990 avant de souligner la

diffeacuterenciation des positions dans le trafic

21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES SELON

LES GEacuteNEacuteRATIONS

Tout se passe aujourdrsquohui en France tout au moins comme si lrsquoengage-

ment dans le trafic de drogues illicites eacutetait le destin des pauvres inheacuterent

aux conditions de vie et de socialisation Or une telle repreacutesentation

largement inteacuterioriseacutee tant par les habitants des quartiers et les acteurs

locaux que par lrsquoopinion publique est doublement reacuteductrice Elle parti-

cipe tout drsquoabord drsquoun effet de meacuteconnaissance de la reacutealiteacute sociale de

1 Ce mode de seacutelection agrave partir du processus peacutenal constitue bien eacutevidemment unlaquo biais raquo Il conduit agrave la surrepreacutesentation drsquoune cateacutegorie de personnes selon unelogique ougrave lrsquoorigine sociale la nationaliteacute et les preacuteceacutedents jouent un rocircle consideacuterableCela eacutetant les caracteacuteristiques de cette population sont tregraves proches de celle que lechercheur est ameneacute agrave rencontrer dans les quartiers et qui srsquoavegravere la plus visible

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

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ces pratiques qui deacutepasse largement lrsquohorizon borneacute des quartiers HLM

Elle occulte ensuite la diversiteacute interne des carriegraveres dans la drogue au

sein des mondes populaires Autrement dit contrairement aux ideacutees

reccedilues les jeunes des citeacutes ne sont pas tous des

dealers

ndash comme ils ne

sont pas tous impliqueacutes durablement dans un systegraveme de vie structureacute

autour de la deacutelinquance

2

Par ailleurs cette mise en repreacutesentation

sociale des figures urbaines des deacuteviances juveacuteniles preacutesente un inconveacute-

nient majeur elle ne permet pas ensuite de comprendre les diffeacuterentes

phases des carriegraveres dans le monde de la drogue aussi bien que la varieacuteteacute

des cheminements crsquoest-agrave-dire de reacutepondre agrave la question laquo Comment

devient-on

dealer

raquo

211 A

U

-

DELAgrave

DU

FEacuteTICHISME

CONCEPTUEL

L

rsquo

ANALYSE DES PROCESSUS

Lrsquointeacuterecirct de la notion de laquo carriegravere raquo telle qursquoelle a eacuteteacute appliqueacutee au

domaine des conduites deacuteviantes par Becker (1963) dans le prolongement

de Hughes (1958) vise agrave reacutepondre agrave ce type drsquointerrogation Cette notion

consiste agrave prendre en compte les dimensions agrave la fois objectives et subjec-

tives drsquoune succession drsquoactions En ce sens elle est un moyen terme entre

les approches des trajectoires de vie de type deacuteterministe et celles qui sont

plus attentives aux singulariteacutes biographiques Il srsquoagit drsquoun laquo pont raquo entre

trajectoires objectives et trajectoires subjectives (Dubar 1998) qui peut

donner lieu agrave des approches tant qualitatives que quantitatives (Peretti-

Watel 2001) Lrsquoun des apports de ces travaux est de resituer des pratiques

dans des parcours et des contextes sociaux ougrave jouent aussi bien les rela-

tions avec les familles et les groupes de pairs que celles avec les institutions

reacutepressives sanitaires ou sociales Loin de constituer un chemin traceacute

drsquoavance un effet de destin les carriegraveres sont le produit de

lrsquointeraction

entre ces diffeacuterents eacuteleacutements Ce qui conduit agrave mettre en relief les tem-

poraliteacutes dans lesquelles srsquoinscrivent ces pratiques crsquoest-agrave-dire les seacutequences

ou les phases les moments et les seuils les points de rupture ou de

bifurcation constitutifs des carriegraveres dans un monde social donneacute toujours

en interaction avec drsquoautres mondes sociaux (les policiers les magistrats

les travailleurs sociaux et intervenants speacutecialiseacutes etc)

2 Pour une tentative de classification des jeunes habitant les quartiers HLM voir notam-ment Begag et Delorme 1994 Jazouli 1995 Oberti 1999

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cela eacutetant la notion de carriegravere preacutesente aussi des limites

3

Lrsquoaccent

mis sur ce laquo qui fait de la deacuteviance un genre de vie raquo (Becker 1963) sur

la consommation plus que sur le trafic conduit agrave deacutelaisser les facteurs lieacutes

aux conditions de vie et au cadre urbain Or dans les contextes eacutetudieacutes

les effets de milieu ndash au sens eacutecologique du terme ndash lrsquoaccumulation des

difficulteacutes sociales et personnelles les ruptures biographiques qursquoelles

impliquent sont des facteurs tregraves preacutegnants dans le deacuteveloppement des

pratiques illicites pouvant entraicircner deux conseacutequences Drsquoune part on

peut estimer que les logiques sont autant de contraintes qui interviennent

en amont des pratiques Lrsquoanalyse des trajectoires sociales srsquoinscrit dans

cette perspective avec le risque drsquoun glissement vers un modegravele balistique

(Chamboredon 1971) de celles-ci Ce qui serait occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

des trajectoires des laquo jeunes toxicomanes des banlieues raquo (Bouhnik 1994)

Drsquoautre part la notion drsquoengagement utiliseacutee par les interactionnistes

srsquoavegravere difficile agrave manier Elle amegravene agrave consideacuterer les usagers de drogues

comme des acteurs de leur histoire (et non comme de simples agents ou

malades) agrave repeacuterer les dilemmes auxquels ils ont agrave faire face et les reacuteponses

qui y sont apporteacutees Comment consideacuterer comme un laquo engagement raquo ce

qui paraicirct ecirctre une suite de petites coupures Sur le plan meacutethodologique

on bute ici sur un problegraveme que Passeron (1989) a bien mis en relief

comment faire la part de lrsquoaspect indissociablement contraignant non voulu

(objectiveacute) et veacutecu comme personnel (subjectiveacute) drsquoune biographie

4

Agrave

cette difficulteacute srsquoajoutent les effets de sens associeacutes agrave cette notion qui

rendent son usage parfois ambigu au-delagrave du cercle des speacutecialistes Enfin

en deacutepit des preacutecautions drsquousage le terme de carriegravere a une reacutesonance

particuliegravere associeacute qursquoil est au modegravele de la reacuteussite en particulier

lorsqursquoil est accoleacute aux activiteacutes de revente et de distribution dans des

quartiers de misegravere

Jrsquoai donc preacutefeacutereacute adopter dans ce texte la notion de laquo cheminements raquo

Situeacutee dans le mecircme registre seacutemantique que les notions de trajectoire

parcours itineacuteraire ligne biographique ou ligne de vie cette notion me

semblait aussi plus neutre Lrsquoideacutee forte eacutetait de suggeacuterer le caractegravere non

lineacuteaire reacuteversible accidenteacute bref la complexiteacute des processus lieacutes agrave

lrsquousage de drogues sans bien entendu dissiper totalement les problegravemes

3 La litteacuterature speacutecialiseacutee anglo-saxonne visant agrave discuter les travaux de Becker et agraverevisiter les donneacutees utiliseacutees est vaste Voir les contributions reacutecentes de Hathaway(1997)

4 Voir agrave ce propos les travaux des chercheurs canadiens sur les laquo biogrammes raquo Il srsquoagitdrsquoarticuler des donneacutees quantitatives et qualitatives sur la base de calendriers reacutealiseacutes agravepartir de la consultation de dossiers officiels qui sont compleacuteteacutes et approfondis aumoyen drsquoentrevues semi-dirigeacutees De la sorte la chronologie des eacuteveacutenements est eacutetablieen parallegravele avec ce qui a fait sens dans les trajectoires des deacutelinquants au cours destrois derniegraveres anneacutees Voir Brochu da Agra et Cousineau (2002)

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

eacutevoqueacutes Sans ceacuteder au feacutetichisme conceptuel souvent de mise au sein des

sciences sociales crsquoest bien cet aspect qursquoil faut retenir au regard des

donneacutees recueillies

Afin de restituer cette complexiteacute on se propose de probleacutematiser

les liens entre carriegraveres et geacuteneacuterations En quoi les appartenances de

geacuteneacuteration ou de cohorte

5

influent-elles sur le deacuteveloppement des carriegraveres

en particulier dans le trafic de drogues Dans quelle mesure permettent-

ils de rendre compte de la varieacuteteacute des parcours ou des configurations

biographiques en relation avec drsquoautres facteurs (sociaux familiaux ter-

ritoriaux institutionnels)

6

212 L

ES

EFFETS

DE

GEacuteNEacuteRATION

Il est banal de consideacuterer la drogue comme un pheacutenomegravene de geacuteneacuteration

En ce qui concerne les usagers drsquoheacuteroiumlne on distingue geacuteneacuteralement

deux geacuteneacuterations Celle des anneacutees 1970 eacutetait composeacutee pour une grande

part de jeunes de couches moyennes et supeacuterieures dont le rapport agrave la

drogue eacutetait deacutefini par la contre-culture plutocirct que par le cumul des

handicaps sociaux Celle des anneacutees 1980 appartenait en revanche agrave la

jeunesse des classes populaires particuliegraverement toucheacutees par le chocircmage

de masse et la preacutecariteacute Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre on a assisteacute agrave une

diffusion verticale de lrsquousage de drogues et agrave une extension des produits

consommeacutes qui ont modifieacute leur repreacutesentation sociale drsquoun attribut

contre-culturel la drogue est (re)devenue un laquo fleacuteau social raquo (Mauger

1984) Crsquoest aussi le traitement institutionnel qui distingue ces deux geacuteneacute-

rations Si en effet la premiegravere a constitueacute la clientegravele de base du dispo-

sitif de soins speacutecialiseacutes qui srsquoest progressivement mis en place apregraves la loi

de 1970 la seconde a eu difficilement accegraves agrave des structures peu adapteacutees

5 On nrsquoignore pas les difficulteacutes que posent les notions souvent confondues de geacuteneacuterationet de cohorte Selon la deacutefinition geacuteneacuterale que peut en donner la deacutemographie unecohorte est constitueacutee drsquoun ensemble drsquoindividus qui ont veacutecu un eacuteveacutenement semblablependant la mecircme peacuteriode de temps Dans ce sens la geacuteneacuteration pourra ecirctre deacutefiniecomme une laquo cohorte de naissance raquo Afin de dissiper cette ambiguiumlteacute certains socio-logues reacuteservent le terme de geacuteneacuteration au domaine de la parenteacute drsquoautres en fontlrsquoeacutequivalent drsquoune position de classe drsquoautres encore insistent sur le fait drsquoavoir veacutecules mecircmes expeacuteriences collectives Ces questions de deacutefinition sont indissociables decelles plus techniques qui consistent agrave diffeacuterencier les effets de geacuteneacuteration (lrsquoapparte-nance agrave une cohorte de naissance particuliegravere) les effets drsquoacircge (qui relegravevent du vieillis-sement) et les effets de peacuteriode (srsquoexerccedilant sur tous les membres drsquoune socieacuteteacute quelque soit lrsquoacircge) Elles seront peu abordeacutees en tant que telles ici lrsquoarticle eacutetant centreacutesur les aspects empiriques de la dynamique des carriegraveres selon les geacuteneacuterations

6 Voir dans un autre domaine (les personnes heacutemophiles) mais agrave partir drsquoune approchecomparable les analyses stimulantes consacreacutees par Carricaburu (2000) aux laquotrajectoiresde maladie raquo

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de surcroicirct agrave ses caracteacuteristiques sociologiques et sanitaires (Bergeron

1999) La proleacutetarisation de la consommation a eacuteteacute synonyme drsquoun rabat-

tement de la toxicomanie sur la deacutelinquance urbaine

Sans doute cette opposition traduite en termes de classes sociales

(moyennespopulaires) devrait-elle ecirctre affineacutee Non parce que ce voca-

bulaire serait devenu deacutesuet mais pour deux raisons essentielles distin-

guer plusieurs phases pour comprendre lrsquoapparition et la diffusion des

drogues dans les quartiers de releacutegation drsquoune part prendre en compte

agrave cocircteacute des pratiques de consommation les pratiques de revente qui consti-

tuent le fait majeur des anneacutees 1990 drsquoautre part Dans ce sens on pourrait

distinguer non pas deux geacuteneacuterations mais quatre cohortes

Pour en rester aux milieux populaires force est de constater que les

enfants des familles ouvriegraveres drsquoorigine franccedilaise ou eacutetrangegravere qui ont

eu 20 ans au deacutebut des anneacutees 1970 nrsquoont pas connu les drogues ndash en

tout cas pas lrsquoheacuteroiumlne et accessoirement le cannabis dans le cas restant

limiteacute des eacutetudiants Si certains quartiers sont des foyers de deacutelinquance

notoire ougrave lrsquoexistence de bandes se traduit par divers meacutefaits (vols bra-

quages homicides etc) la drogue est apparenteacutee agrave la bourgeoisie et est

signe de faiblesse La persistance des codes sociaux des anciens voyous

peut expliquer que lrsquoarriveacutee massive de lrsquoheacuteroiumlne dans drsquoanciennes citeacutes

ouvriegraveres ait pu ecirctre retardeacutee au cours des anneacutees 1980 alors que dans drsquoautres

citeacutes moins structureacutees elle soit survenue degraves le deacutebut des anneacutees 1970

7

Dans son reacutecit de lrsquoitineacuteraire collectif des jeunes Algeacuteriens (ou drsquoorigine

algeacuterienne) neacutes agrave Nanterre Colombes ou Gennevilliers qui ont grandi

dans les bidonvilles puis les citeacutes de transit Lefort (1980) nrsquoaborde pas

cette question Deux raisons peuvent ecirctre invoqueacutees Drsquoune part lrsquoorga-

nisation sociale des bidonvilles consideacutereacutes comme un veacuteritable quartier

suburbain (Peacutetonnet 1982) conduit agrave un rejet de tout ce qui nrsquoest

pas le groupe eacutetroit La situation politique apregraves la fin de la guerre drsquoAlgeacuterie

et le vide laisseacute par le deacutepart des cadres du Front national de libeacuteration

(FNL) renforcent cette meacutefiance Celle-ci se porte sur les journalistes

autant que sur les gauchistes dont les comportements sont deacutecrits comme

ceux de missionnaires La peacutedophilie

8

tregraves preacutesente dans les anneacutees 1960

renforce cette deacutefense du territoire Il ne pouvait donc y avoir de revente

7 Sur les processus drsquoimmunisation et drsquoacceacuteleacuteration de la deacuteviance voir les remarquesde Becker (1963 p 59-61) sur le rocircle des facteurs structurels voir Fagan (1995)

8 Traditionnellement la laquo zone raquo est un lieu ougrave les bourgeois viennent srsquoencanailler Defait dans les anneacutees 1960 les membres de milieux aiseacutes ont des relations sexuelles avecdes jeunes garccedilons arabes tout particuliegraverement Lefort (1980) mentionne bien ceproblegraveme et comment il a eacuteteacute geacutereacute par la police agrave partir drsquoune logique de cantonnementque lrsquoon retrouvera plus tard agrave propos du trafic de drogues

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de drogues agrave ce moment-lagrave Si certains teacutemoignages signalent une con-

sommation de cannabis elle est le fait des laquo vieux raquo qui se maintiennent

agrave bonne distance des laquo jeunes raquo Et lorsque des jeunes commencent agrave

prendre du cannabis et de lrsquoheacuteroiumlne ils le font de faccedilon cacheacutee dans un

cas et agrave lrsquoexteacuterieur de leur espace de vie agrave Paris dans lrsquoautre comme on

le verra plus loin

En fait crsquoest parmi les fregraveres cadets que lrsquoheacuteroiumlne se diffuse Neacutes

dans la premiegravere partie des anneacutees 1960 ces jeunes commencent agrave consom-

mer dans la seconde partie des anneacutees 1970 parfois de faccedilon preacutecoce (agrave

16 ans et moins) Selon les teacutemoignages recueillis crsquoest vers 1982-1983 que

lrsquoon assiste agrave lrsquoeacutemergence de la toxicomanie chez les jeunes filles qui

restera malgreacute tout discregravete dans le contexte eacutetudieacute Quels sont les facteurs

qui ont rendu possible

la diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers popu-

laires peacuteripheacuteriques Quelle forme speacutecifique les carriegraveres ont-elles prise

On verra comment la carriegravere des jeunes des quartiers a eacuteteacute ponctueacutee par

le passage de la laquo petite deacutelinquance raquo agrave lrsquousage puis de la deacutependance au

trafic avant drsquoentrer dans un cycle de vie marqueacute par drsquoinnombrables

seacutejours en prison

Une seconde coupure peut ecirctre repeacutereacutee avec la geacuteneacuteration neacutee agrave la

fin des anneacutees 1970 La grande caracteacuteristique en est la dissociation entre

usage et trafic Souvent usagers de cannabis les acteurs du trafic drsquoheacuteroiumlne

ne sont pas usagers ndash du moins agrave un moment de leur carriegravere Agrave une

logique drsquoautofinancement de la consommation se substitue une logique

que lrsquoon pourrait dire de laquo revalidation sociale raquo au sens ougrave elle vient

conjurer les effets de lrsquoinvalidation sociale dont une part des habitants des

citeacutes sont lrsquoobjet il srsquoagit de faire de lrsquoargent tout en eacutetant quelqursquoun Les

carriegraveres de cette nouvelle geacuteneacuteration renvoient agrave une professionnalisa-

tion du commerce local de drogues et agrave un durcissement des rapports

sociaux de trafic

Pour grossir le trait on peut donc distinguer deux types de chemi-

nements Dans le cas de la geacuteneacuteration des usagers drsquoheacuteroiumlne devenus pour

une part revendeurs crsquoest une logique de marginalisation sociale qui sous-

tend les trajectoires Dans celui des

dealers

non usagers crsquoest une logique

drsquointeacutegration sociale par des voies illicites qui les sous-tend afin drsquoacceacuteder

agrave lrsquoargent ndash signe majeur de la reacuteussite sociale aujourdrsquohui Mais une

diffeacuterence essentielle est agrave prendre en compte pour appreacutecier ces itineacute-

raires et les ressources mobiliseacutees par les uns et les autres Agrave un certain

moment les toxicomanes empruntent un chemin bien diffeacuterent des

laquo petits voyous raquo de banlieue qui ont acquis leur reacuteputation en faisant des

braquages dans le monde des jeux ou de la prostitution ils vont contri-

buer agrave construire une culture de la drogue dans les quartiers avec ses

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

normes et ses valeurs ses savoir-faire et ses techniques ses mythes et ses

leacutegendes Les

dealers

de citeacutes ont eux largement heacuteriteacute de cette culture

ils ont grandi avec

Avant de revenir de faccedilon deacutetailleacutee sur ces dynamiques disons un

mot sur les liens intergeacuteneacuterationnels La geacuteneacuteration des laquo grands fregraveres raquo

a ndash au moins durant un temps ndash tenteacute drsquoempecirccher la revente de la laquopoudreraquo

sur leur territoire et exerceacute une pression morale La geacuteneacuteration suivante

en partie deacutemolie par les surdoses le sida les suicides a servi de modegravele

repoussoir agrave une troisiegraveme geacuteneacuteration dont lrsquoinvestissement eacuteconomique

est primordial ndash ce qui nrsquoempecircche pas certains drsquoentre eux de laquo tomber

dedans raquo agrave un moment donneacute Quant aux adolescents drsquoaujourdrsquohui le

plus souvent ils connaissent peu cette histoire Il apparaicirct que la force de

lrsquoexemple nrsquoa pas joueacute pour eux comme on aurait pu srsquoy attendre

9

22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES

DES ANNEacuteES 1980

221 L

E

CONTEXTE

SOCIAL

ET

URBAIN

La diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les banlieues srsquoest deacuteveloppeacutee dans un

contexte social et eacuteconomique bien particulier qui permet de rendre

compte de lrsquoinscription territoriale des carriegraveres Trois caracteacuteristiques

essentielles de ce processus peuvent ecirctre rappeleacutees

La premiegravere est que ces territoires ont eacuteteacute particuliegraverement affecteacutes

par les effets sociaux de la deacutesindustrialisation ainsi que par le mouve-

ment de deacutelocalisation des grandes uniteacutes au cours des anneacutees 1970 On

assiste aux premiers signes de lrsquoeffondrement du marcheacute du travail agrave cette

peacuteriode Les eacutetablissements industriels implanteacutes dans les sites eacutetudieacutes

perdent pregraves du quart de leurs effectifs salarieacutes Il en reacutesulte un chocircmage

massif et une grande difficulteacute des jeunes agrave trouver un emploi Parallegravele-

ment on assiste agrave une deacutecomposition du monde ouvrier qui perd ses

capaciteacutes de socialisation drsquoencadrement des deacuteviances juveacuteniles (Dubet

et Lapeyronnie 1992) processus se traduisant par un rejet de la condition

ouvriegravere (Beaud et Pialoux 1999)

9 Crsquoest aussi le constat que fait Esterle-Heacutedibel (1997) sur deux terrains diffeacuterents de lareacutegion parisienne Les peacuteriodisations observeacutees du deacuteveloppement des toxicomanies etdes trafics sont aussi tregraves semblables dans ces diffeacuterents quartiers agrave celles que nous avonsobserveacutees

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La deuxiegraveme caracteacuteristique reacutesulte des effets conjugueacutes des processus

drsquoimmigration et drsquourbanisation de masse Bien avant 1974 date de lrsquoarrecirct

officiel de lrsquoimmigration de main-drsquoœuvre les ouvriers que les grandes

entreprises sont alleacutees chercher dans les zones rurales du Maroc et de

lrsquoAlgeacuterie vivent avec leur famille dans des conditions de misegravere Neacutean-

moins une vie communautaire existe (Peacutetonnet 1982) Le relogement

contraint dans les citeacutes de transit marque cependant une rupture (Zehraoui

1994) Srsquoamorce une peacuteriode de cohabitation interethnique synonyme de

tensions nouvelles Avec la laquo crise raquo la cohabitation devient plus probleacute-

matique les plus pauvres (et parmi eux les immigreacutes) restent les plus

aiseacutes (et parmi eux beaucoup de Franccedilais) partent ailleurs alors que les

familles repreacutesentant les laquo cas lourds raquo de lrsquoaide sociale alimentent une

spirale de la deacutegradation La seacutegreacutegation sociale se double drsquoune seacutegreacutegation

ethnique dont lrsquoeacutecole est un agent primordial (Barthon et Oberti 2000)

La troisiegraveme caracteacuteristique ndash moins connue ndash est lrsquoexistence de

foyers de deacutelinquance bien anteacuterieure agrave lrsquoarriveacutee de la drogue dans ces

quartiers et les effets de reacuteputation symbolique qui les caracteacuterisent depuis

bien longtemps La micro-histoire de ces quartiers est souvent une cleacute

neacutegligeacutee par les sociologues

10

On peut remonter dans certains cas jusqursquoaux

anneacutees 1920 Une analyse de contenu de la presse de lrsquoeacutepoque (Marliegravere

1998) agrave propos de certains quartiers atteste agrave travers un certain nombre

de faits (regraveglements de compte homicides vols braquages) lrsquoexistence

de bandes lieacutees au banditisme comme le rapporte ce chercheur habitant

lui-mecircme dans un de ces quartiers

Je me souviens drsquoecirctre tombeacute sur un article de

Banlieue Ouest

en1932 ougrave la Poste du quartier qui a eacuteteacute construite en 1931 avait deacutejagraveeacuteteacute drsquoapregraves lrsquoarticle visiteacutee trois fois [hellip] Je crois que je suistombeacute sur deux ou trois homicides pour le quartier Donc crsquoeacutetaitun quartier deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque tregraves malfameacute [hellip] Et avec la construc-tion de la citeacute de transit dans les anneacutees 1960 yrsquoa eu un retourun peu des bandes plus dures crsquoest-agrave-dire avec des jeunes quifiniront mal [hellip] Et donc je pense que le retour du grand bandi-tisme avec vraiment une peacuteriode de violence crsquoest entre 1975et 1990

11

Tout cela pour dire que la deacutelinquance dans ces quartiers nrsquoest pas

un fait nouveau les meacutecanismes de reacuteputation opeacuterant sur une longue

dureacutee Ce qui nrsquoempecircche pas de relever les processus qui ont rendu pos-

sibles plutocirct que produit les cheminements dans lrsquounivers de la drogue

10 Voir notamment en France Bachmann et Basier (1989) et aux Eacutetats-Unis Bourgois (2001)

11 Pour une histoire sociale de la deacutelinquance voir notamment Mucchielli (2001)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

222 C

HEMINEMENTS

VERS

L

rsquo

HEacuteROIumlNE

Ce qui distingue nos deux cohortes dans ce contexte crsquoest la laquo position

chronologique raquo (Cagliero Lagrange et Moyses 1999) des conduites

deacuteviantes notamment en ce qui concerne lrsquoemploi En scheacutematisant on

peut dire que pour les plus anciens la deacutelinquance puis lrsquoemploi ont

plutocirct preacuteceacutedeacute la consommation ou la revente drsquoheacuteroiumlne alors que pour

les plus jeunes on le verra crsquoest plutocirct la participation au trafic local qui

a eacuteteacute anteacuterieure agrave un emploi leacutegal

12

Une scolariteacute plus ou moins chaotique dans lrsquoenseignement tech-

nique conduit les membres de la premiegravere cohorte agrave un CAP (certificat

drsquoaptitude professionnelle) ndash obtenu ou pas Cette formation les destine

agrave ecirctre ouvriers qualifieacutes crsquoest-agrave-dire agrave occuper bien souvent une position

plus eacuteleveacutee que celle de leur pegravere travaillant dans des emplois agrave faible

qualification comme manœuvre en usine Dans la plupart des entretiens

reacutealiseacutes on constate un rejet du travail en usine et de la condition qui y

est associeacutee Mais la mobiliteacute sociale est limiteacutee On le voit par exemple

avec Bruno dont le pegravere est carrossier dans un petit garage de Levallois-

Perret et qui fait vivre sa femme en invaliditeacute agrave 50 et ses deux enfants

avec un salaire modeste Apregraves une peacuteriode difficile ougrave il est interpelleacute et

condamneacute pour vol comme mineur agrave trois mois de prison ferme

13

Bruno

obtient son CAP de carrossier agrave 17 ans Ouvrier qualifieacute il trouve un travail

et megravene la belle vie pendant deux ans Jusqursquoau moment ougrave il goucircte agrave la

laquo drogue raquo non pas le cannabis qursquoil consomme quotidiennement

comme il boit de lrsquoalcool (laquo

On est des bons vivants alors je buvais mon petitapeacuteritif et tout et puis mon petit shit le soir

raquo) mais lrsquoheacuteroiumlne dont la

consommation va devenir incompatible avec drsquoautres rocircles sociaux

Crsquoeacutetait en 1982 Jrsquoai eu mon CAP en 1982 agrave 17 ans Et puis apregraves moije rentrais dans la vie jrsquoavais mon CAP mon permis de conduire jetravaillais jrsquoavais tout Je manquais de rien yrsquoavait qursquoun seul truc queje connaissais pas crsquoeacutetait ccedila Je freacutequentais que des mecs qui eacutetaient commemoi On bossait tous hein On avait tous un patron et tout et puis je lesvoyais ccedila faisait deux ou trois semaines qursquoils prenaient devant moi ccedila

12 Dans le contexte des anneacutees 1990 de chocircmage de masse on peut se demander si laparticipation au trafic nrsquoa pas joueacute quasiment un rocircle de filiegravere preacuteprofessionnelle Surle trafic comme travail voir Bouhnik et Joubert (1992) Ruggiero et South (1996)Duprez et Kokoreff (1999)

13 Ce point ne sera abordeacute qursquoau deuxiegraveme des quatre entretiens reacutealiseacutes entre 1997 et2000 en deacutetention Il indique que le fait de rencontrer sur une peacuteriode eacutetendue unemecircme personne peut diminuer lrsquoeffet de censure Par ailleurs lorsque lrsquoon sait quedurant cette peacuteriode Bruno est sorti trois fois de prison il reacutevegravele aussi la vulneacuterabiliteacutestructurelle dans laquelle celui-ci se trouve

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changeait rien dans leur vie Je me suis dit laquo Je vais rentrer dans leur trippour ecirctre dans la mecircme soireacutee dans la mecircme ambiance qursquoeux raquo Et puisvoilagrave et puis voilagrave

Quoi voilagrave Qursquoest-ce qui srsquoest passeacute apregraves

Bah apregraves crsquoest con agrave dire ccedila maishellip faut pas le dire mais je vais le direon arrive agrave aimer cette deacutefonce Le premier petit joint on fume un jointon rigole on est heureux on se sent bien Donc le lendemain on srsquoen refaitun petit Crsquoest pareil la drogue Lrsquoalcool crsquoest pareil On se fait un bonrepas on lrsquoarrose de deux bons verres de vin on se sent bien on est heureuxDegraves qursquoon peut recommencer un bon repas on va recommencer et ainsi desuite Et puis voilagrave

(26 mars 1997)

Cet extrait drsquoentretien dit bien la dimension collective drsquoune initia-

tion veacutecue comme un plaisir tout en eacutetant appeleacutee ndash reacutetrospectivement ndash

agrave devenir un destin pour ces jeunes ouvriers qui habitent des quartiers agrave

mauvaise reacuteputation Pourtant les parcours ne sont pas aussi lineacuteaires que

le disent ces derniers Tout drsquoabord parce que bien souvent les contacts

avec la justice et la prison sont preacutecoces mecircme srsquoils nrsquoont pas pour laquo cause raquo

la drogue Ensuite parce que si la rencontre avec lrsquoheacuteroiumlne constitue un

point de rupture ou de bifurcation elle ne doit pas masquer drsquoautres

moments facilement discernables dans les reacutecits de carriegravere le passage du

sniff

au

shoot

et le changement de milieu drsquousage qui lrsquoaccompagne (laquo

etpuis un jour jrsquoai eacuteteacute dans une autre soireacutee crsquoeacutetaient pas des sniffeurs crsquoeacutetaient desseringueurs

raquo) la perte de lrsquoemploi qui reacutesulte du processus de deacutependance

(laquo

on est trop en manque pour se lever et mecircme si on peut le boulot y suit pas lepatron il le voithellip

raquo) mais qui reste une deacutecision propre (laquo

crsquoest toujours moiqui ai pris mon compte

raquo) la deacutelinquance qui srsquoimpose (laquo

il fallait que je medeacutebrouille de lrsquoargent

raquo) et la situation de reacutecidive leacutegale qui alourdit la sanc-

tion peacutenale Enfin en deacutepit de ce processus de deacutegradation le capital

eacuteconomique et culturel acquis reste une ressource (laquo

jrsquoai un meacutetier dans lesmains

raquo) et un ethos (laquo

jrsquoai une mentaliteacute de travailleur

raquo) y compris en prison

lorsque le travail exerceacute redonne sens et fierteacute

Crsquoest aussi le registre drsquoexpression du plaisir agrave travers lrsquohomologie

alcooldrogues illicites (petit jointpetit apeacuteritif deacutefoncebon repas etc)

qui constitue un motif socialement appris et significatif

14

On pourrait

y voir lrsquoexpression drsquoun

habitus de classe

se traduisant tout particuliegravere-

ment dans le rapport au corps agrave travers la prise de laquo drogues dures raquo qui

laquo deacutefoncent raquo et permettent drsquooublier la pratique mecircme de lrsquoinjection la

seringue Ce lien est aussi un aspect des cheminements eacutetudieacutes En effet

lrsquoalcool plus ou moins associeacute agrave la violence occupe une place importante

14 Sur ce point voir les analyses de Mauger et Fosseacute-Poliak (1983)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

dans lrsquohistoire des toxicomanes des citeacutes Comme bien drsquoautres Bruno a

grandi dans un milieu familial tregraves marqueacute par lrsquoalcoolisme son pegravere est

mort drsquoun cancer du foie en 1991 sa megravere faisait de lrsquohypertension elle

srsquoest mise agrave boire apregraves le deacutecegraves de son mari et est deacuteceacutedeacutee en 1998 quant

agrave sa sœur sans emploi marieacutee avec deux enfants laquo

elle boit elle picole ellearrecircte elle picole

raquo avec son mari qui est employeacute dans une papeterie laquo

ilssrsquoengueulent agrave cause de lrsquoalcool

raquo Cet exemple nrsquoest pas isoleacute On pourrait

prendre celui drsquoAbensour dont le pegravere a fui la guerre drsquoAlgeacuterie en mecircme

temps que la misegravere drsquoabord en Tunisie puis en France agrave Nanterre Ayant

grandi dans ce qursquoon appelait alors la laquo zone raquo la trajectoire drsquoAbensour

prend une tournure nouvelle agrave la suite drsquoune orientation scolaire malheu-

reuse Il commence agrave prendre de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans Crsquoest ainsi qursquoil

eacutevoque son pegravere et lrsquoambiance reacutegnant au domicile familial

Il buvait beaucoup de ce temps-lagrave il buvait Toujours il avait sa bouteillede rouge Alors je peux pas te dire si crsquoest son boulot ou la bouteille qui lefatiguait Il eacutetait bourreacute tous les soirs Quand il arrivait deacutefonceacute on avaitpeur il eacutetait tregraves meacutechant il frappait ma megravere il nous sortait des grosmots on eacutetait petits Il traitait mes petites sœurs de putes il nous disait laquo Allez vous faire voir par les peacutedeacutes et tout raquo Moi jrsquoaimais pas trop resteragrave la maison les filles elles pouvaient pas sortir mais nous on se cassaitdans la rue

(15 mars 1997)

Lrsquoalcoolisme et les violences familiales sont souvent eacutevoqueacutes par les

intervenants speacutecialiseacutes afin de rendre compte des parcours vers lrsquoheacuteroiumlne

la consommation de produits injecteacutes symbolisant une forme de violence

contre soi Bouhnik (1994) rejoint en partie cette perspective dans la

classification qursquoelle propose en distinguant un type de configuration

biographique baseacute sur la continuiteacute de lrsquoalcoolisme du pegravere agrave la toxico-

manie du fils Mais ce type nrsquoeacutepuise pas la varieacuteteacute des cheminements et

la citation ci-dessus amegravene aussi agrave prendre en compte les conditions de

socialisation des adolescents et leur diffeacuterenciation selon les sexes dans ce

contexte social

La preacutesence des filles dans la rue est en effet peu importante Il

semble que rares sont celles qui consomment ou revendent de lrsquoheacuteroiumlne

dans les quartiers eacutetudieacutes

15

Lrsquoune des explications donneacutees par les enquecircteacutes

quand on leur pose la question reacuteside dans la surveillance effectueacutee par

les fregraveres les fratries nombreuses et lrsquointerconnaissance favorisent cette

15 Contrairement agrave la situation observeacutee aux Eacutetats-Unis ougrave la combinaison de divers fac-teurs structurels a contribueacute agrave la monteacutee en puissance des femmes dans lrsquoorganisationde revente de la cocaiumlne (Fagan 1995) on nrsquoobserve pas de pheacutenomegravene comparabledans les quartiers que nous avons eacutetudieacutes en reacutegion parisienne

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

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forme de controcircle communautaire Cela ne signifie pas que ce pheacuteno-

megravene nrsquoexiste pas dans les quartiers eacutetudieacutes il est simplement plus diffus

et cacheacute Certaines femmes envoient leurs proches srsquoapprovisionner

drsquoautres neacutegocient avec les

dealers

pour obtenir le produit contre des

relations sexuelles La prostitution si elle semble limiteacutee existe mais

davantage en direction de Paris que dans les quartiers En ce qui concerne

le

deal

certaines femmes apparaissent comme de veacuteritables figures connues

dans tout le deacutepartement Lrsquoune drsquoelles est issue drsquoune famille dont

lrsquoimplication dans le trafic est notoire un de ses fregraveres qui revendait de

lrsquoheacuteroiumlne est mort dans des circonstances eacutetranges apregraves son interpella-

tion par la police un autre a eacuteteacute condamneacute agrave sept ans de prison pour

trafic lrsquoaicircneacute a eacuteteacute condamneacute agrave cinq ans pour une affaire mixte Si cette

femme est bien connue dans le quartier et les communes voisines cela

teacutemoigne de lrsquoeacutetroitesse de ce petit monde de la drogue

Par contre bon nombre drsquoobservations nous indiquent que ces

conduites illicites srsquoinscrivent dans la continuiteacute du mode de vie des jeunes

garccedilons des citeacutes Prenons lrsquoexemple paradigmatique de ceux que nous

appellerons pour reprendre leur propre deacutesignation les laquo Nanterriens

16

raquo

Ces jeunes garccedilons issus de familles immigreacutees en particulier algeacuteriennes

ont grandi dans la commune de Nanterre au milieu des bidonvilles puis

dans les citeacutes de transit au cours des anneacutees 1960 et 1970 Ils suivent agrave

peu pregraves normalement leur scolariteacute dans lrsquoenseignement technique

jusqursquoagrave 16 ou 17 ans passent leur CAP et commencent agrave faire des petits

boulots Crsquoest alors qursquoils freacutequentent les quartiers parisiens de Pigalle et

de Barbegraves la rue Montmartre lrsquoOpeacutera pour peu agrave peu srsquoinscrire dans un

style de vie marginal

Jrsquoai connu un homosexuel qui eacutetait un peu voyou un peu deacutelinquant tuvois Crsquoeacutetait un cambrioleur Jrsquoai commenceacute agrave faire ccedila avec luihellip Et puispar la suite on a continueacute entre copains On allait voler on avait delrsquoargent on trouvait que crsquoeacutetait trop facile Au deacutebut on srsquoachetait desfringues on allait en boicircte de nuit On faisait beaucoup drsquoargent avec lesmachines de la RATP les machines dans le RER On trouvait que crsquoeacutetaitvraiment un jeu drsquoenfant il suffisait de casser une machine et on trouvait10 000 20 000 F

[en anciens francs] juste en piegraveces Crsquoeacutetait vraimentfacile et ccedila a dureacute un moment [hellip] Et puis agrave cette eacutepoque-lagrave on acommenceacute on eacutetait une bande de copains on vagabondait on dormaitpas des fois on passait des nuits en boicircte de nuit Pendant des jours on

16 laquo Nous on sait qursquoon a veacutecu agrave Nanterre on a grandi ici mecircme si on a deacutemeacutenageacute mecircme si on ahabiteacute Vanves Anthony ou dans les alentours on est toujours des Nanterriens trop de nous-mecircmes raquo Sur la constitution de lrsquoidentiteacute locale dans ce cas preacutecis voir Seacutegalen (1990)

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44 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rentrait pas agrave la maison Quand je rentrais agrave la maison crsquoeacutetait monpegravere il mrsquoengueulait il me frappait alors bon jrsquoeacutevitais de rentrer jrsquoessayaisde me deacutemerder je pensais qursquoon allait pouvoir srsquoen sortir tout seul(14 avril 1999)

Crsquoest dans les boicirctes de nuit parisiennes que ce groupe de copains

commence agrave consommer de lrsquoheacuteroiumlne laquo par hasard raquo pour reprendre leur

terme

Apregraves on a commenceacute agrave toucher agrave la came Crsquoeacutetait en boicircte de nuit je mesouviens on buvait pas drsquoalcool on eacutetait vraiment pas attireacute par lrsquoalcoolon fumait que du hasch agrave cette eacutepoque-lagrave Et puis un jour on eacutetait enboicircte on nrsquoa pas trouveacute de haschich et il y a un type qui nous a proposeacutede la laquo blanche raquo On eacutetait encore naiumlf on ne savait pas trop ce que crsquoeacutetaitOn srsquoest un peu concerteacute entre copains Y en a un qui disait laquo oui on vaen prendre raquo il y en avait un autre qui disait laquo non raquo Et puis toutcompte fait on en a pris Ccedila a commenceacute comme ccedila

Crsquoeacutetait de lrsquoheacutero

Ouais crsquoeacutetait de lrsquoheacutero Ccedila a commenceacute comme ccedila On a sniffeacute ccedila Il y ena qui se sont sentis mal Moi non plus je ne mrsquoeacutetais pas senti tregraves bien lapremiegravere fois Peut-ecirctre un mois ou quinze jourshellip je ne sais pas tropcombien de temps apregraves on a commenceacute agrave renouveler lrsquoopeacuteration Petit agravepetit on a aimeacute ccedila Au deacutebut crsquoeacutetait que les fois ougrave on allait en boicircte endehors quand on eacutetait dans la citeacute les jours de la semaine on nrsquoy pensaitpas Il y en avait pas dans notre quartier crsquoeacutetait pas comme maintenantAvant fallait vraiment ecirctre brancheacute il fallait aller en boicirctes de nuit agraveParis dans les cafeacutes fallait vraiment connaicirctre Nous on connaissait quece plan-lagrave crsquoeacutetait en boicircte de nuit Un Tunisien qui vendait la came(14 avril 1999)

Que srsquoest-il passeacute pour que brusquement entre 16 et 19 ans Abdellah

Nordin Mohamed mais aussi Pascal et Laurent et bien drsquoautres parfois

plus jeunes encore deviennent toxicomanes au tournant des anneacutees 1980

Faut-il incriminer lrsquoeacutecole dans la genegravese de la toxicomanie Est-ce plus

largement la logique sociale de lrsquoimmigration qui a conduit agrave la margina-

lisation de ces laquo enfants illeacutegitimes raquo (Sayad 1991) Quelle place accorder

agrave des facteurs contextuels tels que les logiques de lrsquooffre et le redeacuteploie-

ment de lrsquoeacuteconomie de la drogue

223 DE LrsquoUSAGE Agrave LA REVENTE

Au deacutebut des anneacutees 1980 les laquo banlieues raquo font parler drsquoelles mais la

drogue et lrsquoheacuteroiumlne en particulier nrsquoy ont pas la place qursquoelles occuperont

quelques anneacutees plus tard Durant cette peacuteriode le quartier de la rue

Montmartre situeacute dans le IXe arrondissement est un des hauts lieux de

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la nuit parisienne avec ses boicirctes de nuit ceacutelegravebres dans les milieux bran-

cheacutes Dans la rue se cocirctoient touristes et pickpockets laquo gays raquo des beaux

quartiers et jeunes laquo beurs raquo des citeacutes deacutefavoriseacutees Ces derniers sont

encore des usagers occasionnels qui font la fecircte et ne connaissent pas

drsquoautres laquo plans raquo Crsquoest toute la diffeacuterence avec leurs laquo petits fregraveres raquo qui

eux nrsquoauront pas besoin drsquoaller agrave Paris pour acheter leur paquet dispo-

nible sur le marcheacute du laquo coin de la rue raquo

Le passage du trafic des quartiers parisiens vers les citeacutes de banlieue

va se faire progressivement (Fatela 1992) Une note sur la toxicomanie

reacutedigeacutee en 1983 par un chargeacute de mission aupregraves du secreacutetaire drsquoEacutetat

aux affaires sociales souligne que si lrsquoheacuteroiumlne est preacutesente parmi les

jeunes depuis plus de dix ans laquo on assiste depuis trois ans agrave une veacuteritable

flambeacutee de cette forme de toxicomanie raquo Et de preacuteciser les transforma-

tions du marcheacute

Les lieux de vente sont situeacutes principalement au coin de la rueMontmartre et du boulevard Montmartre agrave Belleville aux laquoQuatreTempsraquo de La Deacutefense au-dessus de la patinoire mais depuis quelquetemps les revendeurs ne cegravedent leur marchandise que par quantiteacutede 5 grammes On assiste donc agrave la naissance de petits revendeurs(dealers) qui vendent dose par dose aux laquo Quatre Temps raquo de LaDeacutefense et dans toutes les citeacutes concerneacutees Dans une citeacute de Nanterrele trafic serait beaucoup plus important17

Un usager-revendeur aujourdrsquohui acircgeacute de 42 ans qui a commenceacute agrave

consommer agrave lrsquoacircge de 16 ans deacutecrit ce processus Un rien nostalgique il

souligne la modification des pratiques et des valeurs qui les sous-tendent

Avant tu trouvais pas de came en banlieue Crsquoeacutetait Belleville ou rueMontmartre ou lrsquoIcirclocirct-Chalonshellip Crsquoest depuis les anneacutees 1980 que laschnouf elle arrive en banlieue Apregraves ccedila a commenceacute agrave arriver agrave LaFourche Brochant18 tout ccedila lagravehellip [hellip] Ah moi je lrsquoai vu arriver parce queje vais te dire un truc bon avant tu allais tu faisais ton cambriolage outon petit braquo de merde lagrave tu montais agrave Paris tu achetais ta dose Maismaintenant crsquoest plus ccedila Tu descends de chez toi euh vider la poubelleben voilagrave Devant ton vide-ordures trsquoas un type en train de se piquer parceqursquoagrave cocircteacute agrave cocircteacute lrsquoautre il lui vend de la schnouf Tu vois y a eu situ veux une autre forme de deacutelinquance crsquoest pour ccedila que je dis nous agravenotre eacutepoque crsquoeacutetait pas pareil On allait chercher notre argent (30 sep-tembre 1996)

17 Note sur la toxicomanie dans les Hauts-de-Seine ministegravere des Affaires sociales 1983

18 Crsquoest-agrave-dire sur la ligne de meacutetro desservant la proche banlieue Nord-Ouest de Paris

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46 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Crsquoest dans ce contexte de bouleversement de lrsquooffre que srsquoinscrivent

les parcours des personnes rencontreacutees Srsquoinstallant dans un processus de

deacutependance (Ingold 1985) elles sont interpelleacutees et condamneacutees agrave des

peines de prison ferme apregraves avoir eacuteteacute incarceacutereacutees comme mineures Crsquoest

le cas drsquoAbdellah qui est condamneacute agrave quinze mois de prison pour vol agrave

lrsquoacircge de 20 ans

Je suis sorti en 1982 en pleine forme et je pensais vraiment dans ma tecircteque jrsquoallais pas retoucher agrave la came Et quand je suis sorti je voyais qursquoily avait tellement de fric agrave faire lagrave-dedans [ la revente ] je me suis dit aulieu de voler et de prendre de lrsquoargent pour aller en acheter je vais acheterde la came par cinq grammes par dix grammes et puis je vais essayer devoir les types qui en veulent Jrsquoai commenceacute agrave vendre

Sur ton quartier

Ouais sur mon quartier sur ma ville crsquoeacutetait en 1982 En sortant deprison jrsquoai commenceacute agrave vendre Au deacutebut ccedila marchait bien crsquoest malheu-reux agrave dire mais ccedila marchait bien Crsquoest fou lrsquoargent que ccedila ramegravene Ccedilaramenait beaucoup drsquoargent (14 avril 1999)

Il nrsquoest plus question de faire un ou deux cambriolages par mois

avec la consommation drsquoheacuteroiumlne les besoins financiers augmentent La

revente apparaicirct comme une ressource pour ceux qui ont eacuteteacute incarceacutereacutes

agrave plusieurs reprises Drsquoautres ne revendent pas dans leur quartier ougrave agrave

cette eacutepoque la pression des grands fregraveres est encore forte pour eacuteviter

le deal de rue et lrsquoafflux de toxicomanes de la rue Montmartre ougrave ils

srsquoapprovisionnent ils se rendent aux laquo Quatre-Temps raquo agrave La Deacutefense lieu

de rencontre de nombreux usagers drsquoheacuteroiumlne accessoirement laquo tireurs raquo

(pickpockets) faisant les poches ou les sacs des passants dans les escaliers

meacutecaniques Jusqursquoau moment ougrave ces activiteacutes illicites sont jugeacutees intoleacute-

rables au sein de ce nouveau quartier drsquoaffaires et ougrave les opeacuterations de

police se multiplient alors qursquoagrave la mecircme peacuteriode le squat de lrsquoIcirclot-Chalons

est fermeacute Reacutesultat indirect et bien connu le marcheacute se deacuteplace et se

restructure dans les citeacutes de la proche banlieue

Cela dit tout le monde ne revend pas Certains mecircme lrsquoaffirment

avec force lors des entretiens Crsquoest le cas de Bruno qui tire ses ressources

de vols simples laquo Je nrsquoai pas la mentaliteacute pour dealer raquo dit-il pour trouver sa

came il va laquo fouiller raquo au petit matin les cages drsquoescalier des immeubles

de son quartier en quecircte des paquets cacheacutes par les laquo petits jeunes raquo Autre

exemple celui drsquoAbdelmaleck qui commence agrave fumer du cannabis agrave 15 ans

et agrave sniffer de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans en boicircte avec les autres rue Montmartre

Non je ne voulais pas parce que jrsquoavais peur [hellip] Drsquoabord alors questionmoi les grands fregraveres et tout ils mrsquoont fait ils mrsquoont preacutevenuhellip laquo On nrsquoapas inteacuterecirct agrave entendre dire que trsquoes en train de revendre de la came ou untruc comme ccedila raquo Moi vendre agrave quelqursquoun que je connais jrsquoavais peur de

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de si je me mettais agrave ccedila que le mec il fait une OD [overdose] Trsquoimagi-nais le mec que je connais depuis lrsquoenfance agrave cause de moi il me deman-dait un paquet il tapait une ODhellip Je pouvais pas vendre agrave quelqursquounque je connais mecircme vendre agrave nrsquoimporte qui mecircme que ce soit quelqursquounque je ne connais pas Jrsquoai jamais vendu de la drogue jrsquoai jamais dealeacutemecircme que ce soit lrsquoheacutero ou le shit (19 mars 1997)

La pression des grands fregraveres mais aussi celle des familles (laquo lesparents on se connaicirct ccedila va faire des problegravemes de famille graves raquo) opegravere

comme un mode de controcircle socieacutetal pour reprendre le terme de Castel

et Coppel (1991) On peut y voir la morale du deacuteviant (Ogien 1996)

Celle-ci peut valoir pour lrsquoheacuteroiumlne qui est perccedilue comme la drogue par

excellence et non pour le cannabis Mais il y a des arrangements avec la

morale selon les situations

Jrsquoai jamais vendu de drogue Enfin tout petit agrave la citeacute jrsquoai vendu desbarrettes pour la fin de la semaine aller en boicircte de nuit payer agrave notrenana faire rentrer quand mecircme un peu de tunes comme la plupart desjeunes En ce moment ils fonthellip mais ils font pas ccedila avec du shit ils fontccedila avec de la drogue dure Moi je me rappelle un moment quand on eacutetaitpetit on vendait du shit mais les grands qui venaient ils nous disaient laquo Voilagrave par rapport agrave votre shit moi je vous donne quelque chose vous mela vendez je vous rabats les clients raquo Et agrave la fin agrave la fin de la semainemecircme pas agrave la fin de la soireacutee je reacutecupeacuterais les sous mais agrave la fin de lasemaine je faisais dans les 400 000 [4000 F] Alors 400 000 agrave lrsquoeacutepoquecrsquoeacutetaient trois millions [30 000 F] aujourdrsquohui On eacutetait heureux Onprenait les 400 000 on allait chez nous on donnait 1 000 balles agrave nosparents ils les acceptaient ils nous disaient laquo Ougrave vous les avez eus raquoOn disait laquo Ah on les a voleacutes raquo Mais en sachant ccedila mecircme srsquoils eacutetaientdans la religion mecircme srsquoils avaienthellip ils faisaient leurs priegraveres et tout ilsavaient un pardon parce que crsquoeacutetaient pas eux qui venaient drsquoaller volerMais par rapport agrave ccedila on arrivait agrave vivre agrave payer notre loyer Mais euhhellipde fil en aiguille on est arriveacute agravehellip agrave ccedila Agrave se retrouver toujours dans lesmecircmes milieux en sachant que crsquoeacutetait mal mais on nrsquoavait pas le choixhellip(26 mars 1997)

On touche lagrave un point sensible des carriegraveres dans le trafic la redis-

tribution des gains dans le milieu familial Beaucoup de rumeurs circulent

sur lrsquoargent de la drogue qui ferait vivre les citeacutes en tout cas des familles

entiegraveres Dans tous les entretiens reacutealiseacutes ici ou lagrave la plupart de nos inter-

locuteurs nuancent cette vision des choses laquo nos parents nrsquoauraient jamaisaccepteacute de lrsquoargent sale raquo Ce qui nrsquoempecircche pas toutes sortes de subterfuges

ou de ruses ni des arrangements au sein de la fratrie afin de satisfaire aux

deacutesirs des petits fregraveres ou des petites sœurs

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48 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

224 UNE VULNEacuteRABILITEacute STRUCTURELLE

Agrave un moment donneacute les usagers ou revendeurs drsquoheacuteroiumlne qui ont grandi

dans ces quartiers pauvres sont pris dans ce qursquoils appellent un laquoengrenageraquo

ou un laquo systegraveme raquo Un premier dilemme se preacutesente agrave eux pour financer

leur consommation voler ou revendre Pour les filles la prostitution peut

constituer un autre choix possible bien que rarissime dans les quartiers

observeacutes Quoi qursquoil en soit le risque drsquoecirctre interpelleacute pour usage vol ou

revente nrsquoest pas neacutegligeable dans ce contexte urbain de mecircme que ce

faisant celui drsquoecirctre incarceacutereacute agrave mesure que cette seacutequence se reacutepegravete Il

en reacutesulte un style de vie rythmeacute par la reacutepeacutetition drsquoune mecircme seacutequence

interpellationprisonsortie preacutecairereprise de la consommation etc

Dans certains cas cette seacutequence peut se reacutepeacuteter six ou sept fois durant

des anneacutees Crsquoest dire que lrsquoexpeacuterience de vie est ponctueacutee par les alleacutees

et retours en prison la prison faisant partie inteacutegrante drsquoune trajectoire

plutocirct qursquoelle ne constitue une rupture (Bouhnik et Touzeacute 1996) Mais

cela nrsquoest pas suffisant pour rendre compte des meacutecanismes qui concourent

au bout du compte agrave la vulneacuterabiliteacute structurelle (Bourgois 2001) des

toxicomanes des citeacutes Lrsquoanalyse des effets conjugueacutes des logiques institu-

tionnelles et des logiques territoriales permet drsquoen rendre compte

Dans ce processus la logique peacutenale est centrale Entreacutes dans cette

phase de leur carriegravere ces individus ne sont plus seulement deacutesigneacutes

socialement comme laquo toxicomanes raquo dans leur face-agrave-face avec les policiers

magistrats et intervenants speacutecialiseacutes ils sont deacutefinis comme laquo multireacuteci-

divistes raquo ndash jusqursquoagrave reprendre agrave leur propre compte pour certains drsquoentre

eux ce marquage institutionnel comme ils ont inteacuterioriseacute leur identiteacute

de laquo toxicomanes raquo La plupart des entretiens meneacutes en prison tant agrave

Nanterre qursquoagrave Lille ont eacuteteacute effectueacutes avec cette cateacutegorie de deacutetenus Si

lrsquoon reprend les cas drsquoAbdellah et de Bruno le premier neacute en 1961 a eacuteteacute

condamneacute 17 fois entre 1977 et 1998 le second neacute en 1963 a eacuteteacute condamneacute

pregraves de 20 fois entre 1981 et 1999 On sait que la logique des laquo preacuteceacutedents raquo

pegravese lourd dans le traitement peacutenal (Faugeron 1991) en particulier pour

ce qui concerne les infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants (Guillain

et Scohier 2002) Elle se traduit par une expeacuterience de la justice peacutenale bien

particuliegravere engendreacutee par la preacutegnance des critegraveres socio-individuels

(origine sociale nationaliteacute) et lrsquolaquo effet casier raquo

Le temps passeacute en prison est bien eacutevidemment un facteur puissant

de reacutecidive La plupart des toxicomanes des anneacutees 1980 intervieweacutes

lorsqursquoils nrsquoont pas connu la prison comme mineurs ont eu une expeacute-

rience preacutecoce des institutions disciplinaires (depuis les centres de lrsquoAssistance

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publique jusqursquoaux maisons de correction) Certains racontent le choc

que leur a fait la prison non pas tant dans sa mateacuterialiteacute mais paradoxa-

lement comme prolongement de la citeacute

Ccedila mrsquoa fait un choc sur le coup [hellip] Yrsquoavait tout le monde yrsquoavait tousles copains [hellip] deacutejagrave on eacutetait tous unis alors on se retrouve en prisoncomme si on eacutetait dans la citeacute mais tous enfermeacutes Et la plupart du tempson eacutetait jeunes on savait qursquoon nrsquoallait pas rester longtemps (19 mars1997)

Plus geacuteneacuteralement on sait depuis Foucault (1975) que la prison est

une machine agrave produire de la deacutelinquance et par lagrave un lieu de socialisa-

tion laquo deacuteviante raquo Ce qui se transmet et srsquoapprend ce sont des faccedilons de

faire les codeacutetenus parlent beaucoup des coups qursquoils ont faits et de

ceux qursquoils recircvent de faire comment faire son argent voler eacutechanger

revendre ougrave aupregraves de qui etc Par lrsquointermeacutediaire des personnes ren-

contreacutees en deacutetention lors des promenades en particulier un savoir pra-

tique se constitue et se diffuse En matiegravere de trafics si lrsquoon procegravede par

recoupement avec le contenu des dossiers judiciaires ou drsquoautres entre-

tiens les reacutecits sur les passages agrave la frontiegravere franco-belge les marcheacutes de

la meacutetropole lilloise le fonctionnement des reacuteseaux de trafic depuis le

Maroc via lrsquoEspagne sont drsquoun grand reacutealisme Or dans la mesure ougrave ces

faits deacutepassent le cadre territorial des quartiers eacutetudieacutes ils peuvent nrsquoavoir

eacuteteacute connus qursquoen prison ndash en tout cas on peut en faire lrsquohypothegravese

Un autre meacutecanisme institutionnel qui contribue agrave la construction

sociale du multireacutecidivisme est lrsquoemprise des dettes Au deacutebut du premier

des quatre entretiens reacutealiseacutes avec Bruno entre 1997 et 2000 srsquointerro-

geant sur les attentes du chercheur il adopte une posture proche du

sociologue en proposant une lecture tout agrave fait vraisemblable de sa carriegravere

Crsquoest sur le deacutemarrage comment on entre dans le systegraveme de la drogue quevous voulez savoir au fait ou pourquoi on y rentre Parce que moi je suismultireacutecidiviste et je ne sais pas pourquoi Agrave chaque fois que je sorshellipQuand je suis en prison jrsquoai toutes les dettes qui srsquoaccumulent quand ona un appartement le loyer il court et tout et quand on sort de prison enfait on est assommeacute par les dettes On nrsquoa pas une tune deacutejagrave quand onsort de prison et en plus tout le monde vous demande lrsquoargent que vous devez

Tout le monde crsquoest-agrave-dire

Crsquoest-agrave-dire le treacutesor public les HLM les creacutedits qursquoon avait pris avant derentrer en prison depuis six ans maintenant je sors jrsquoai envie de recom-mencer ma vie jrsquoavais un meacutetier dans les mains Mais [hellip] jrsquoai vraimentbesoin drsquoargent drsquoargent drsquoargent et je recommence agrave voler Et puis volercomme ccedila spontaneacutement non Faut prendre un petit truc une petite forcequi nous pousse agrave vouloir voler Et la force nous ma geacuteneacuteration agrave moion la trouve dans la came (26 mars 1997)

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50 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Lrsquoaccumulation des dettes fait donc partie de ces meacutecanismes produc-teurs drsquoemprise auxquels il faut ajouter les amendes douaniegraveres (Duprez et

Kokoreff 2000) Les effets sociaux de ces meacutecanismes engendrent une

double fragiliteacute Fragiliteacute drsquoune part des positions de ceux qui ont eacuteteacute

condamneacutes agrave de multiples reprises fragiliteacute professionnelle faute drsquoemploi

ou du fait drsquoune activiteacute preacutecaire (CDD [contrat agrave dureacutee deacutetermineacutee]

inteacuterim stages travail au noirhellip) peu reacutemuneacuteratrice et peu valorisante

fragiliteacute administrative pour les ressortissants de nationaliteacute eacutetrangegravere qui

rencontrent des difficulteacutes agrave renouveler leur carte de seacutejour sans parler

de ceux qui sont menaceacutes drsquoune expulsion du territoire national en tombant

sous le coup de la laquo double peine raquo Fragiliteacute drsquoautre part engendreacutee par

la capaciteacute drsquoattraction du systegraveme de vie structureacute autour des conduites

illicites dans les quartiers Cette capaciteacute drsquoattraction nrsquoest peut-ecirctre jamais

aussi manifeste que lors des sorties de prison En effet les laquo sortants raquo

apregraves une peacuteriode drsquoabstinence et de remise en forme se trouvent confron-

teacutes agrave toutes les sollicitations du quartier (produits trafics combines) Ils

ne peuvent pas ne pas retrouver leurs copains toujours dans la laquo came raquo

Ils finissent ainsi par en reprendre et par reacutepeacuteter les seacutequences analyseacutees

plus haut

Crsquoest la conjugaison de ces deux types de facteurs ndash la fragiliteacute sta-

tutaire induite par les contraintes de lrsquoadministration et du marcheacute du

travail drsquoune part et lrsquoattraction drsquoun style de vie fondeacute sur des pratiques

illicites drsquoautre part ndash qui permet aussi de rendre compte des rechutes et

rateacutes qui ponctuent les trajectoires de la toxicomanie Une illustration

concregravete de ce processus nous est fournie par Abdellah qui a gardeacute sa

nationaliteacute algeacuterienne agrave la diffeacuterence de ses fregraveres et sœurs Sorti de

prison en mars 1997 il ne trouve pas de travail

Jrsquoavais des problegravemes de papier pour qursquoils me donnent la carte de seacutejouret tout et puis bon de lagrave jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutemarches et tout etccedila mrsquoa vraiment bloqueacute parce qursquoils mrsquoenvoyaient de la Preacutefecture auConsulat et du Consulat ils mrsquoenvoyaient agrave la Preacutefecture Ccedila fait quejrsquoeacutetais en permanence avec un titre de seacutejour provisoire et puis bon pourfaire certaines deacutemarches administratives crsquoesthellip on galegravere quoi Trsquoas ledroit agrave rien Tu vas faire ta demande de RMI on te la refuse tu trsquoinscrisau chocircmage sans trsquoavertir bon on te radie Je commenccedilais agrave en avoirmarre et puis bon voilagrave crsquoest la galegravere tellement jrsquoeacutetais deacutegoucircteacute jrsquoaicommenceacute agrave freacutequenter des copains qui eacutetaient un peu dans la came crsquoesttoujours le mecircme systegraveme Crsquoest lagrave que jrsquoai recommenceacute agrave les freacutequenter petitagrave petit et puis de temps en temps ccedila a commenceacute jrsquoai commenceacute agrave toucheragrave la came et puis ccedila faithellip jrsquoen avais marre quoi La drogue crsquoest desvols crsquoest lrsquoargent crsquoest le bizness quoi En fin de compte jrsquoai rien faitquoi quand je regarde bien jrsquoai rien fait (15 deacutecembre 1998)

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 51

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Un an plus tard il sera agrave nouveau interpelleacute pour vol et condamneacute

agrave 18 mois de prison On ne peut donc pas se cantonner agrave invoquer les

proprieacuteteacutes pharmacologiques des substances consommeacutees pour rendre

compte des trajectoires des usagers drsquoheacuteroiumlne Intervient aussi la dimen-

sion sociale des pratiques en jeu crsquoest-agrave-dire laquo lrsquointeacutegration de lrsquoindividu

dans un milieu de toxicomanes [qui] le lie agrave un systegraveme drsquoobligations raquo

(Castel 1998 p 228) Cette dimension nrsquoeacutechappe pas agrave cette cateacutegorie

drsquousagers de drogues lorsqursquoils deacuteploient des strateacutegies drsquoeacutevitement agrave

lrsquoeacutegard de leurs anciens amis laquo qui ne parlent pratiquement que de ccedila raquo et

freacutequentent plutocirct ceux qui ne consommaient pas ou qui ont reacuteussi agrave

srsquoarrecircter encourageant les autres agrave sortir de ce systegraveme Autrement dit si

la toxicomanie dans les quartiers pauvres peut se comprendre comme une

forme de reacuteaffiliation puisque y eacutechapper crsquoest srsquoextraire des liens forts

qursquoelle noue les toxicomanes apparaissent comme des deacutesaffilieacutes par excel-

lence agrave un moment donneacute Tous ceux qui ont dix ans et plus drsquoancienneteacute

dans ce monde disent la difficulteacute de recommencer tout agrave zeacutero la tren-

taine passeacutee sans rien agrave eux agrave ecirctre sur un fil Bruno est un cas limite

laquo Jrsquoai plus rien qui mrsquoaccroche agrave la vie jrsquoai pas de femme jrsquoai pas drsquoenfants jrsquoaiplus de famille et je dois eacutenormeacutement drsquoargent alors crsquoest dur drsquoecirctre motiveacute raquo Il a

fait sa premiegravere postcure il y a deux ans agrave 35 ans avant de repartir apregraves

un eacutechec et une nouvelle arrestation-condamnation-incarceacuteration dans

une autre structure Il a choisi de preacuteparer sa sortie en participant agrave un

programme de substitution au Subutex en deacutetention alors que trois ans

auparavant il rejetait avec force cette solution

Crsquoest une autre particulariteacute de cette geacuteneacuteration drsquousagers son accegraves

aux structures de soins ndash speacutecialiseacutees ou pas ndash a eacuteteacute sacrifieacute agrave drsquoautres

enjeux alors mecircme qursquoelle a eacuteteacute particuliegraverement exposeacutee aux risques de

contamination du VIH (virus du sida) et du VHC (virus de lrsquoheacutepatite C)

Entre les logiques lourdes de lrsquoordre public et du peacutenal drsquoun cocircteacute et celles

du quartier de lrsquoautre peu de place a eacuteteacute laisseacutee agrave la prise en compte des

enjeux de santeacute publique et de preacutevention On ne srsquoeacutetonnera pas que

de leur cocircteacute les toxicomanes rencontreacutes aient longtemps cru qursquoils

pourraient srsquoen sortir tout seuls

Bon jrsquoai coupeacute avec la prison Tu me diras crsquoest pas la mecircme chose maisbon je ne sais pas Jrsquoai toujours cru que jrsquoarriverais agrave mrsquoen sortir toutseul en fait Michel Jrsquoai jamais eacuteteacute frapper agrave une porte drsquoune associationquelconque ou aller dans une postcure Jrsquoai toujours cru que jrsquoallais mrsquoensortir que le seul type qui pouvait mrsquoaider crsquoeacutetait moi-mecircme Le seul typequi pouvait me sortir de cette merde crsquoeacutetait moi avec du courage et de lavolonteacute surtout de la volonteacute Jrsquoai toujours cru ccedila Et puis maintenantjusqursquoagrave preacutesent je me rends compte que non il aurait fallu peut-ecirctre unsuivi theacuterapeutique voir des psychologues de temps en temps Je dis pas que

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52 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

ccedila aurait reacuteussi mais ccedila mrsquoaurait fait du bien et ccedila mrsquoaurait aideacute beau-coup Puisque jrsquoai jamais eacuteteacutehellip en fin de compte faire une postcure Laseule fois ougrave jrsquoai fait une sorte de cure crsquoest quand ma famille mrsquoa emmeneacuteen 85 ils sont partis en vacances en Espagnehellip Ma megravere leur a dit laquo Vouspouvez lrsquoemmener avec vous le laissez pas ici il va crever sinon raquo Jrsquoai eacuteteacuteavec eux et je suis resteacute pendant un mois lagrave-bas Le premier jour ccedila a eacuteteacutedur jrsquoeacutetais alleacute voir un meacutedecin Bon jrsquoai deacutecrocheacute et ccedila allait par lasuite Crsquoest la seule fois ougrave jrsquoai deacutecrocheacute en vacances Jrsquoavais eacuteteacute aussi uneautre fois en 83 Mais crsquoeacutetait avec des amis on se faisait envoyer de lacame par lettre pour te dire par la poste (28 mars 1997)

23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC AU COURS

DES ANNEacuteES 1990

Que sont devenus les membres de cette geacuteneacuteration ayant commenceacute agrave

consommer et agrave revendre de lrsquoheacuteroiumlne au deacutebut des anneacutees 1990 La

diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers on ne le reacutepeacutetera jamais assez a

eu des effets dramatiques laquo Jrsquoai eu des deacutecegraves qui mrsquoont suivi agrave longueur detemps raquo reacutepeacutetera lrsquoun laquo tous ceux de notre eacutepoque la plupart ils sont partis raquo

souligne un autre qui a perdu son fregravere et son cousin laquo mes amis ils onttous fini au cimetiegravere raquo dira encore un autre Bien que ce pheacutenomegravene soit

quasi impossible agrave quantifier de nombreuses familles ont eacuteteacute toucheacutees par

les effets conjugueacutes de lrsquoheacuteroiumlne et du sida laquo Survivants raquo laquo rescapeacutes raquo

laquo dinosaures raquo telles sont les expressions utiliseacutees dans les citeacutes pour deacutesi-

gner ceux qui ont eacutechappeacute aux surdoses au sida au suicide (reacuteel ou

deacuteguiseacute) Les laquo tox raquo qui approchent la quarantaine alternent des peacuteriodes

drsquoabstinence et des peacuteriodes ougrave ils sont laquo agrave fond dedans raquo vont et viennent

entre prison et quartier Malades le corps marqueacute habilleacutes pauvrement

on les nomme ici ou lagrave les laquo schlagues raquo ou les laquo gueux raquo ndash expressions

renouant eacutetrangement avec lrsquoancienne imagerie des vagabonds Degraves lors

on comprend qursquoils aient pu jouer la fonction drsquoimage repoussoir aupregraves

des nouvelles geacuteneacuterations Au moins un temps leur histoire a pu dissuader

ces derniegraveres de prendre massivement de lrsquoheacuteroiumlne

Le paradoxe crsquoest que ce processus nrsquoa pas empecirccheacute lrsquoessor du trafic

drsquoheacuteroiumlne puis de cocaiumlne entre le milieu des anneacutees 1980 et le milieu

des anneacutees 1990 On peut y voir lrsquoeffet drsquoune strateacutegie drsquoordre public visant

agrave laquo nettoyer raquo la ville-centre et ses espaces publics et agrave cantonner les mar-

cheacutes de la drogue dans les quartiers peacuteripheacuteriques Mais crsquoest aussi le biznessqui a changeacute dans cette peacuteriode Si drsquoapregraves nos informateurs de terrain

ceux qui controcirclent les marcheacutes sont agrave peu pregraves les mecircmes qursquoil y a dix

ans les modes drsquoorganisation sont devenus plus complexes Une triple

transformation est survenue un redeacuteploiement drsquoeacutechelle du trafic qui de

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micro-locale est devenue deacutepartementale voire interdeacutepartementale avec

la constitution de reacuteseaux de trafics beacuteneacuteficiant de supports logistiques et

sociaux varieacutes le deacuteveloppement des polytrafics (heacuteroiumlne cocaiumlne ou

crack speed Subutex) visant agrave srsquoadapter agrave la concurrence et agrave la tendance

persistante agrave la polyconsommation de produits drsquousage illicite et licite

lrsquoeacutemergence agrave cocircteacute des logiques de quartier de logiques baseacutees sur le

caiumldat avec des modes drsquoaction et de repreacutesentation eacutevoquant fortement

les mafias Par ailleurs ceux qui participent au deal (rabatteurs guetteurs

revendeurs transporteurs etc) semblent plus souvent des non-usagers atti-

reacutes agrave la fois par un motif eacuteconomique et par la mythologie entourant le

laquo dealer des citeacutes raquo Demeurant bien plus lucratifs que le marcheacute du can-

nabis souvent plus artisanal et atomiseacute les marcheacutes de lrsquoheacuteroiumlne et de la

cocaiumlne ont ainsi tireacute parti des ressources offertes par cette armeacutee de

reacuteserve de jeunes sans avenir deacutescolariseacutes sous influence chocircmeurs ou

travailleurs preacutecaires avides de prendre place dans la socieacuteteacute de consom-

mation et de srsquoen approprier les signes les plus valoriseacutes Bref on est passeacute

drsquoune logique drsquoautofinancement de la consommation agrave une logique

marqueacutee par une professionnalisation du trafic Du coup de nouveaux

cheminements et strateacutegies se dessinent qursquoil nous faut maintenant deacutecrire

231 SCEgraveNES DE REVENTE

Ce qui est remarquable crsquoest la tension qui regravegne sur les lieux de deal et

plus encore le durcissement des eacutechanges entre usagers et dealers On

pourrait multiplier les citations faisant eacutetat de lrsquoinsolence du manque de

respect de la violence verbale ou physique agrave lrsquoeacutegard des usagers (laquo un tox

il faut lrsquoinsulter raquo) Et les observations sur le terrain confirment largement

cette tension palpable et le climat de suspicion que renforcent les inter-

ventions policiegraveres On peut interpreacuteter ces situations comme lrsquoun des

effets des transformations du trafic Ainsi il y a drsquoun cocircteacute les toxicomanes

qui sont affaiblis par le manque les pressions policiegraveres les maladies des

conditions de vie preacutecaires reacuteduits agrave des rocircles subalternes dans la deacutelin-

quance (intermeacutediaires rabatteurs voleurs receleurs occasionnels) por-

tant les stigmates de la deacutegradation et perccedilus comme indeacutesirables dans les

citeacutes de lrsquoautre il y a les revendeurs animeacutes par lrsquoappacirct du gain agressifs

voire meacuteprisants agrave lrsquoeacutegard de leurs clients peu sociables ou compreacutehensifs

refusant de neacutegocier les prix ou les quantiteacutes ce qui les rend aussi plus

vulneacuterables les usagers ayant moins de scrupules agrave les balancer La concur-

rence srsquoest accrue la preacutesence policiegravere aussi laquelle peut ecirctre instru-

mentaliseacutee de diverses maniegraveres19

19 Pour une analyse plus deacuteveloppeacutee de cet aspect des rapports sociaux du trafic voirnotre article (Kokoreff 2000)

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54 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Afin de rendre plus sensibles les changements qui se sont opeacutereacutes

arrecirctons-nous sur ces deux scegravenes de transaction dans la mecircme citeacute telles

qursquoelles sont deacutecrites par Bruno La premiegravere se passe au milieu des

anneacutees 1980

Ben trsquoavais les mecs qui avaient 20 ans qursquoavaient leur came et puistrsquoavais leurs petits fregraveres qui avaient 10 11 ans [hellip] Degraves qursquoils voyaientune voiture arriver comme ccedila tous les petits ils se battaient crsquoest agrave celuiqui courrait le plus vite Ils disaient laquo Crsquoest mon client crsquoest mon client raquoLe petit jeune il courait voir son fregravere et son fregravere entre-temps il preacuteparaitdeux paquets et quand toi tu arrivais il te disait laquo Tiens ccedila y est tiensmais va-t-en va-t-en raquo Il fallait vite que tu trsquoen ailles (26 mars 1997)

La deuxiegraveme scegravene a lieu dix ans plus tard Du deal agrave ciel ouvert on

est passeacute agrave un dispositif ougrave les revendeurs agissent masqueacutes (dans les caves

les escaliers) et armeacutes ce qui rend plus difficile leur identification par les

usagers et lrsquoaction de la police On les appelle les laquo Ninjas raquo

Tu fais la queue dans hellip tu sais le grand bacirctiment qui est en face le mienalors ils attendaient qursquoil y ait au moins trente toxicos qui attendent dansles escaliers puis drsquoun seul coup tu voyais deux dealers arriver alorslrsquoextincteur la lacrymogegravene la batte de baseball le couteau tout ce qursquoilfaut et cagouleacutes

ndash Toi combien tu veux toi

ndash Moi je veux deux

ndash Tu preacutepares tes cinquante sacs

Tu lui donnais et il te donnait tes deux demis

ndash Casse-toi par lrsquoautre cocircteacute

ndash Il y avait la queue et trsquoavais trente toxicos qui passaient et voilagrave (15 deacutecembre 1998)

En est-on toujours lagrave Il conviendrait de prendre en compte plus

qursquoon peut ne le faire ici les changements intervenus dans lrsquoorganisation

du deal avec la banalisation des teacuteleacutephones portables Un simple coup de

fil suffit pour contacter un revendeur et se mettre drsquoaccord sur un lieu de

rendez-vous De la sorte les livraisons agrave domicile peuvent ecirctre favoriseacutees

Crsquoest une situation intermeacutediaire deacutecrite par Mourad dont on abordera

plus loin lrsquoitineacuteraire

Vous faisiez tout vous-mecircme

Oui je faisais tout moi-mecircme Jrsquoaimais bien preacuteparer

Y compris au deacutetail dans la rue

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 55

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Oui [hellip] je connaissais mecircmehellip sur le bip Jrsquoeacutetais fou jrsquoeacutetais un incons-cient Je vendais je leur disais je suis sur la came Il y en a qui me bipaientagrave 3 heures du matin Je leur donnais rendez-vous en face de chez moi dansle hall Je descendais en claquette en peignoir pour leur donner Jrsquoeacutetaisbarreacute je lacircchais rien

Vous faisiez tout

Tu veux 200 F je te donne 200 F tu veux 400 F je te donne 400 F Jeme deacuteplace jrsquoallais chez eux Ce nrsquoest pas eux qui se deacuteplaccedilaient Je suisun des premiers agrave avoir fait ccedila Maintenant tout le monde le fait

Ccedila majore les prix

Non mais ce qursquoil y a crsquoest que moi je pense qursquoil y a moins de risquesCrsquoest grilleacute dans la rue

Bien qursquoelles puissent ecirctre encore observables aujourdrsquohui ces scegravenes

de deal font entrevoir les modifications enregistreacutees depuis vingt ans dans

la revente au deacutetail Dans un premier temps crsquoest lrsquoinvisibiliteacute (de la rue

aux bacirctiments des halls et escaliers aux caves du face-agrave-face agrave lrsquoanonymat)

qui est rechercheacutee Dans un second temps crsquoest la mobiliteacute (des laquo plans raquo

des personnes) Sans ecirctre lineacuteaires ces modifications manifestent les capa-

citeacutes drsquoadaptation des acteurs du trafic et la labiliteacute de leurs rapports

drsquoeacutechange

232 LE RAPPORT AU PRODUIT

Un bon indice de ce processus de professionnalisation du trafic est le

rapport au produit Si dans le cas du cannabis usage et revente vont de

pair en matiegravere drsquoheacuteroiumlne de cocaiumlne ou de crack il nrsquoen va pas de

mecircme Participer au trafic drsquoune maniegravere ou drsquoune autre crsquoest drsquoabord

acceacuteder agrave des ressources financiegraveres dans un contexte de chocircmage de

masse et de preacutecariteacute cela devient un travail un job un bizness et parallegrave-

lement sur un plan symbolique une faccedilon drsquoacqueacuterir une bonne reacuteputa-

tion et drsquoecirctre quelqursquoun Mais ces deux exigences ne sont pas faciles agrave

associer agrave la consommation Selon une opinion freacutequemment entendue

il est incompatible de revendre et de consommer de lrsquoheacuteroiumlne

Prenons lrsquoexemple de Mounir que nous connaissions de vue dans

une citeacute avant de le revoir en deacutetention Il avait 24 ans au moment du

premier entretien reacutealiseacute avec lui Lorsqursquoon lui demande quels sont les

eacuteveacutenements qui ont fait qursquoil a rencontreacute le monde de la drogue il deacutecrit

lrsquoengrenage

Ccedila crsquoest au deacutebut trsquoes bien trsquoes agrave lrsquoeacutecole tout va pour le mieux si on peutdire Apregraves le jour ougrave tu te retrouves agrave la rue le fait drsquoavoir des amis laquo oh ccedilrsquouirsquolagrave il est bien habilleacute ccedilrsquouirsquolagrave il a plus drsquoinfluence raquo les gens qui

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56 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

fument le shit bon tu commences agrave fumer un petit peu agrave goucircter apregravescrsquoest un engrenage tu rentres dedans tu commences agrave fumer de plus enplus apregraves tu mets de lrsquoargent pour trsquoacheter des affaires donc tu commencesagrave dealer apregraves la vie plus on approche de lrsquoan 2000 plus les temps sontdurs tu trsquoaperccedilois que le shit ccedila ne rapporte plus Crsquoest pas que ccedila nerapporte plus crsquoest que pour rapporter ccedila met trop longtemps et tu voistes amis agrave cocircteacute toi trsquoes en galegravere et eux en un rien de temps ils fontrentrer en deux journeacutees trois quatre briques Ccedila commence agrave travaillerdans la tecircte et apregraves agrave force tu te dis laquo Bon le shit mets-le de cocircteacute amegravenela came raquo Tu commences agrave dealer un petit peu juste de quoi te faire 500ou 1000 F 2000 F mecircme 4000 F et apregraves crsquoest un engrenage (11 avril 1997)

Cette entreacutee progressive dans la revente srsquoinscrit dans un processus

beaucoup plus geacuteneacuteral de diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers pauvres

qui attire un certain nombre drsquoindividus deacutejagrave impliqueacutes dans drsquoautres

trafics Lrsquoheacuteroiumlne est une marchandise plus que rentable crsquoest dans ce

sens que son arriveacutee a bouleverseacute les autres trafics (laquo elle a niqueacute le biznessde shit raquo) elle donne du mecircme coup un statut qui sort du commun des

petits revendeurs de cannabis Au cours de lrsquoentretien Mounir se preacutesen-

tera comme un dealer pas comme un consommateur20 Telle est la condi-

tion pour ne pas se deacutetruire la santeacute (ecirctre une laquo loque raquo) faire des affaires

(ne pas laquo couler raquo ni laquo aller faire nrsquoimporte quoi pour aller peacute-cho [ldquochoperrdquo] sacame raquo) et ecirctre respecteacute (laquo les tox les petits des dealers drsquoagrave cocircteacute je les mettais tousagrave lrsquoamende raquo)

Selon que lrsquoon ait affaire agrave des revendeurs de rue ou agrave leurs pour-

voyeurs le rapport au produit est diffeacuterent Pour reprendre les cateacutegories

indigegravenes les toxicomanes qui vendent ce sont des rabatteurs des laquo petits

dealers raquo sur une pile de dix ils revendent six ou sept laquo keacutepas raquo et en

gardent trois ou quatre pour leur consommation Les dealers eux ne

consomment pas sont joignables sur leur portable et vendent au gramme

peseacute Crsquoest un pheacutenomegravene encore plus remarquable agrave mesure que lrsquoon

srsquoeacutelegraveve dans la hieacuterarchie des trafiquants Par exemple ce Marocain de 47 ans

neacute dans la valleacutee du Riff poursuivi pour avoir joueacute un rocircle drsquointermeacutediaire

dans un important reacuteseau de trafic international de cannabis a commenceacute

agrave fumer le kif agrave 17 ans Mais au Maroc sa consommation srsquoinscrit dans un

tout autre contexte drsquousage En France Omar ne fume ni tabac ni cannabis

20 Lors de lrsquoinstruction de son affaire il adoptera la position inverse En deacutetention preacute-ventive pour une affaire drsquoheacuteroiumlne (dix doses trouveacutees agrave ses pieds cinq chez lui) ilminimisera son rocircle de dealer et se deacuteclarera consommateur aux policiers cela en vuedrsquoalleacuteger la sanction peacutenale Cette strateacutegie si elle teacutemoigne de la labiliteacute des statutsselon les situations vise bien eacutevidemment agrave eacutechapper agrave des sanctions lourdes

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 57

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il ne boit pas non plus drsquoalcool Il interdit agrave ses enfants de le faire parce

qursquoils sont trop jeunes pour se controcircler Crsquoest pour la mecircme raison qursquoagrave

un certain niveau de trafic la regravegle veut qursquoon ne consomme pas

Il y en a qui sont consommateurs Mais il y en a qui savent pas controcirclerMais crsquoest vrai que la plupart des vrais trafiquants ils ne fument pas[hellip] Ils ne doivent pas fumer Ils doivent travailler Ils doivent avoir latecircte fraicircche pour travailler Srsquoil fume il perd la tecircte Srsquoil sniffe ccedila y est ila plus de parole Moi si je vois quelqursquoun sniffer de la cocaiumlne je nrsquoaiplus confiance Il peut faire nrsquoimporte quoi Il propose des trucs qui sontnrsquoimporte quoi Il fait nrsquoimporte quoi Il peut aller tuer (3 juillet 1999)

La consommation notamment de cocaiumlne altegravere ce que Tarrius

(1997) appelle lrsquolaquo eacutethique des reacuteseaux raquo celle qui repose sur la confiance

en la parole donneacutee aux antipodes du modegravele contractuel Mais il en va

aussi de ce que lrsquoon pourrait appeler une eacutethique du travail bien fait

Normalement quelqursquoun qui vend qui trafique il ne doit pas faire celaIl ne doit pas fumer fumer pour consommer srsquoil veut Mais il ne doit pasfumer ou boire beaucoup Il faut ecirctre quelqursquoun de seacuterieux Il faut restersur son travail Crsquoest comme si vous alliez agrave lrsquousine vous travaillez aubureau Crsquoest pareil il faut avoir la tecircte Parce que les flics sont forts Doncil faut faire des plans pour srsquoen sortir Il faut avoir la tecircte si vous nrsquoavezpas de tecircte vous nrsquoallez pas travailler avec les pieds (9 juillet 1999)

233 LE TRAFIC COMME TRAVAIL

Lrsquoengagement dans le trafic local peut se comprendre comme un proces-

sus et reacutepondre agrave des motivations diverses selon les moments Les lyceacuteens

qui revendent des barrettes de shit dans leur eacutetablissement scolaire ou leur

quartier ne peuvent ecirctre assimileacutes aux chocircmeurs qui laquo font la survie raquo en

vendant quelques paquets drsquoheacuteroiumlne pour un laquo grand raquo de leur citeacute Ceux

qui revendent pour srsquoacheter des habits et sortir les filles ne sont pas dans

le mecircme laquo film raquo que ceux ou celles qui revendent pour faire un laquo coup raquo

(partir en vacances srsquoacheter une voiture subvenir agrave une dette aider le

retour clandestin drsquoun proche apregraves une expulsion du territoire) pas plus

que les uns et les autres ne peuvent ecirctre assimileacutes agrave ceux pour qui la

revente est lrsquoeacutequivalent drsquoun travail leur prenant la majeure partie de

leur temps

Revenons au parcours de Mounir abordeacute plus haut Issu drsquoune

famille algeacuterienne de cinq enfants Mounir avait 24 ans lorsque nous

lrsquoavons rencontreacute Son pegravere arriveacute agrave lrsquoacircge de 16 ans en France a termineacute

sa vie professionnelle comme chef de chantier Lorsque jrsquoai connu le fregravere

cadet de Mounir il eacutetait en terminale S puis il srsquoest inscrit en classes

preacuteparatoires (section scientifique) Sa sœur a eu un brevet de technicien

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58 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

supeacuterieur (BTS) en comptabiliteacute et travaille dans une grande entreprise

Un autre de ses fregraveres a eu un BTS en comptabiliteacute Seul son plus petit

fregravere acircgeacute de 13 ans est agrave la rue comme lui preacutecisera-t-il Drsquoougrave la question

deacutejagrave poseacutee agrave drsquoautres comment expliquer son parcours dans la deacutelin-

quance et la drogue alors que les autres srsquoen sont plutocirct bien sortis

Ben il faut dire franchement ce qui est moi je vois qursquoune reacuteponse crsquoestque quand jrsquoai commenceacute agrave deacutemarrer tout ccedila crsquoest que agrave mon avis crsquoestla tentation du diable et en plus crsquoest que je devais ecirctre trop influenccedilableEt peut-ecirctre tu sais quand trsquoes jeune histoire de jouer eacuteleacutegant aussi Ona peut-ecirctre de ccedila aussi Mais apregraves crsquoest mecircme plus ccedila Apregraves crsquoest ton jobApregraves crsquoest mecircme plus question de flamber ou un truc comme ccedila tu voistoi crsquoest ton job Crsquoest histoire de sauver ta peau de remplir ta pocheFranchement qursquoest-ce que tu veux que je foute Jrsquoai aucun diplocircme

Trsquoas arrecircteacute lrsquoeacutecolehellip

hellip en troisiegraveme technologie Jrsquoai aucun diplocircme Jrsquoai travailleacute un petit peuagrave droite agrave gauche des deux mois en inteacuterim des trucs comme ccedila Apregravesavec le placard quinze mois pour homicide je sors pendant cinq mois jetrouve rien Je retombe six mois je sors en provisoire je reste quatre moiset demi dehors je retourne trois mois je sors je reste un an je retombe(11 avril 1997)

En quelques phrases est reacutesumeacutee cette expeacuterience fragmenteacutee du

temps qui laisse peu de place agrave une position stabiliseacutee et rend illusoires

les projets drsquoinsertion Si les laquo raisons raquo invoqueacutees peuvent passer pour des

justifications leur inteacuterecirct est drsquoecirctre situeacutees dans le temps aux croyances

(la tentation du diable) et traits de caractegravere (ecirctre influenccedilable) succegravede

la neacutecessiteacute celle faisant de la revente un moyen de survie faute de for-

mation Comment trouver un travail leacutegal face au racisme des employeurs

et aux effets du stigmate judiciaire Tel est le dilemme de bien des jeunes

des quartiers pauvres

Au-delagrave de la mythologie du trafiquant professionnel on connaicirct

assez mal les strateacutegies deacuteployeacutees par les petits revendeurs non pas seule-

ment pour survivre mais pour rendre coheacuterentes aspirations et ressources

Aujourdrsquohui plus que jamais le trafic est geacuteneacutereacute par une ambition de ne

pas travailler agrave lrsquousine Il y a cette volonteacute drsquoeacutechapper aux conditions de

vie qui furent celles des parents laquo Nous nos parents se sont fait exploiterNous crsquoest finihellip raquo Mais en mecircme temps on retrouve le travail dans le

trafic Un acteur local remarque laquo La strateacutegie des jeunes qui ont 20 ans crsquoest

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 59

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ldquoon met de cocircteacute Comme ccedila dans dix ans on prend un boulot pourri mais au moinson aura ce qursquoil fautrdquo raquo Ce que dit drsquoune autre maniegravere Mourad petit

revendeur devenu fournisseur

On ne vend pas de la drogue pour le plaisir Agrave la rigueur celui qui vendde la drogue il a raison drsquoessayer de faire sa vie drsquoessayer de mettre de cocircteacutele plus rapidement possible pour deacutemarrer la vie Se lancer dans quelquechose de concret de droit Bon il y en a qui ne peuvent faire que ccedila21

(26 juillet 1999)

234 AVOIR LrsquoESPRIT ENTREPRENEUR

Mourad offre une variante assez inteacuteressante de ces cheminements dans

le trafic moins caracteacuteriseacutes par une logique de marginalisation que par

une logique entrepreneuriale Acircgeacute de 23 ans lors de nos premiegraveres ren-

contres il est issu drsquoune famille drsquoenseignants Drsquoorigine algeacuterienne il a

grandi agrave Issy-les-Moulineaux avec ses deux sœurs ses parents sa grand-

megravere et sa tante loin de lrsquounivers des citeacutes Agrave lrsquoadolescence il deacutemeacutenage

dans une commune proche qui a mauvaise reacuteputation Il poursuit sa sco-

lariteacute au lyceacutee jusqursquoau bac et lui-mecircme se qualifie de laquo bon eacutelegraveve raquo Peu

inteacutegreacute dans un quartier qursquoil ne connaicirct pas il se met agrave freacutequenter par

lrsquointermeacutediaire de la sœur de sa meilleure amie les jeunes des halls de sa

citeacute qui revendent du cannabis Agrave ce moment une rupture profonde

survient dans son existence avec le meurtre de sa megravere par son pegravere qui

lui-mecircme se suicidera quelques mois apregraves en deacutetention On est en 1995

Mourad a tout juste 18 ans Crsquoest peu apregraves qursquoil commence agrave revendre

du cannabis dans son eacutetablissement scolaire Pour autant il reacutefute toute

interpreacutetation psychologique attribuant au drame familial la cause de son

entreacutee dans la deacutelinquance laquo Crsquoest par palier que crsquoest arriveacute En deux ansjrsquoai vraiment tout fait Jrsquoen parlais agrave un copain il mrsquoa dit ldquoTrsquoas fait en un ande temps ce que jrsquoai fait en dix ansrdquo raquo

Il commence par acheter 25 grammes puis des laquo savonnettes raquo

(250 grammes) avant de passer rapidement agrave des achats par kilos qursquoil

partage avec deux de ses amis Fait remarquable alors que ses copains de

classe et les gens autour de lui fument lui-mecircme nrsquoest pas consommateur

Son contact le met en rapport avec un fournisseur drsquoheacuteroiumlne drsquoune autre

citeacute il lui propose de faire de laquo lrsquoargent vite fait raquo Mourad relegraveve le deacutefi

En 1996 il obtient son bac et arrecircte lrsquoeacutecole Il prend de lrsquoenvergure

comme dealer srsquoassocie avec un autre revendeur drsquoheacuteroiumlne et de cocaiumlne

qui revend dans la rue derriegravere chez lui Il noue des relations qui lrsquoamegravenent

21 Voir dans un tout autre milieu social les strateacutegies des laquo enfants de bonne famille raquoanalyseacutees par Missaoui et Tarrius (1999)

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60 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave rencontrer des laquo grosses tecirctes raquo dans une autre commune Ces relations

lui permettent de srsquoeacutemanciper dans une certaine mesure des reacuteseaux

locaux La situation srsquoinverse crsquoest lui qui procure une marchandise de

qualiteacute et obtenue agrave bas prix agrave ceux qui le fournissaient agrave ses deacutebuts

Nrsquoeacutetant pas connu des services de police il megravene la belle vie Pourtant les

ennuis commencent Il est interpelleacute mis en examen et eacutecroueacute une pre-

miegravere fois pour trafic agrave peine deux ans apregraves ses deacutebuts Trois mois apregraves

sa libeacuteration il est agrave nouveau placeacute en deacutetention preacuteventive pour une

affaire connexe au deacutebut de 1999 Beacuteneacuteficiant drsquoune confusion de peine

il est finalement condamneacute agrave quatre ans de prison

Dans son reacutecit plusieurs modes drsquoexplication plus ou moins clas-

siques sont mobiliseacutes pour rendre compte de son cheminement les effets

de lrsquoenvironnement (laquo Si jrsquoavais connu des voleurs je crois que je serais devenuvoleur si jrsquoavais connu des braqueurs jrsquoaurais fait des braquages forts je me suisreacutefugieacute dans la drogue chez moi yrsquoa plus de gens qui font ccedila que de gens qui fontpas ccedilahellip raquo) mais surtout le deacutesir de reacuteussite sociale (laquo avec lrsquoeacuteducation quejrsquoai eue je ne pouvais pas ne pas reacuteussir raquo) et de reconnaissance par ses pairs

(ecirctre un laquo bonhomme raquo crsquoest-agrave-dire quelqursquoun) Dans le contexte ougrave il vit

trouver de lrsquoargent est une obsession laquo Il faut de lrsquoargent pour srsquoen sortir delrsquoargent pour sortir il faut de lrsquoargent pour les copines raquo Paradoxalement de

lrsquoargent Mourad en a puisqursquoil a toucheacute une indemniteacute drsquoassurance deacutecegraves

Il part en vacances en Corse aux sports drsquohiver srsquoachegravete des vecirctements

de marque les premiers teacuteleacutephones portables une Golf VR-6 bref il

deacutepense sans compter pour lui et ses proches

On retrouve dans lrsquoitineacuteraire de Mourad un lien eacutetroit avec lrsquoeacutevolu-

tion du marcheacute des drogues dans les citeacutes En effet on a assisteacute lors de la

seconde partie des anneacutees 1990 agrave une recomposition du marcheacute de can-

nabis La concurrence est devenue de plus en plus forte conduisant agrave la

baisse des prix et des marges beacuteneacuteficiaires Drsquoougrave des ventes qui portent

sur des quantiteacutes de plus en plus importantes et une augmentation des

risques en cas de coups durs pour les revendeurs Mourad lui passe aux

drogues dures Il limite les risques au minimum en vendant agrave domicile

comme on lrsquoa vu prend ses rendez-vous sur portable ou se fait laquo biper raquo agrave

toute heure du jour et de la nuit Il compare le deal agrave une entreprise

Oh crsquoest une entreprise Franchement quand je vendais jrsquoai toujoursraisonneacute comme si crsquoeacutetait une entreprise Crsquoest maintenant avec le recul Jeme revoyais pas Maintenant avec le recul crsquoeacutetait ccedila Je me reacuteveillais lematin il faut payer le grossiste Il y a [hellip] le beacuteneacutefice Il faut payer lesgens avec qui vous ecirctes Il faut srsquoacheter ccedila Des fois il faut srsquoacheter destrucs par exemple la bouffe Crsquoest marrant parce que mecircme la bouffe eacutetait

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 61

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comprise dans le prix Il y avait 1000 F par jour qui partaient pour labouffe les journaux Moihellip mecircme si jrsquoai pas fait trop drsquoargent je me suisfait plus manipuler qursquoautre chose (21 septembre 1999)

Pourtant dans ses deacutebuts Mourad deacuteclare laquo tourner agrave 25 000 mini-mum par jour raquo parfois plus Dans sa commune en 1998 100 grammes de

cocaiumlne reviennent agrave 45 000 F lui il les touche agrave 35 000 F Tout est affaire

de relations comme il lrsquoexplique

Donc jrsquoai connu des gens drsquoune citeacute [hellip] qui sont venus me voir pour medemander combien je touchais Ils mrsquoont dit que si je prenais un peuplushellip Crsquoest parti comme ccedila Lagrave jrsquoai commenceacute agrave connaicirctre les gens deB Agrave cette eacutepoque-lagrave ils nous donnaient mais ils nous disaient qursquoilscouraient des risques Il y en a drsquoautres qui disaient laquo oui si tu luidonnes il va te balancer raquo Je me rappelle que crsquoeacutetaient des bruits quicouraient souvent et crsquoest vrai que je ne les connaissais pas

Sorti de prison dans la mesure ougrave il nrsquoavait pas balanceacute Mourad

raconte que laquo tous les grands raquo sont venus le voir pour lui demander de

srsquooccuper du terrain Il faut dire que lrsquoaction des services de police et des

juges drsquoinstruction est intense agrave cette eacutepoque surtout sur les petits reven-

deurs (laquo Crsquoest lrsquousine il y en a un qui tombe on en prend un autre raquo) Les

laquo grosses tecirctes raquo recrutent des hommes de confiance

Lrsquoenvers du deacutecor ce sont les emprises et pressions qursquoimplique

lrsquoinscription dans ces reacuteseaux en particulier lorsque les liens dans le

monde de la citeacute sont faibles Mourad nrsquoa pas de famille cela se sait il a

deux sœurs de 21 et 16 ans sur lesquelles les pressions sont faciles per-

sonne ne peut bouger pour lui laquo Ils me tiennent raquo dit-il Ainsi lorsqursquoil sort

de prison il est mis agrave lrsquoamende par ses partenaires de deal afin de payer

la cavale de lrsquoun drsquoeux Refusant de retourner vendre dans la citeacute de

Chacirctillon il est contraint par un caiumld local drsquoeacutecouler 40 kilos de cannabis

Ces emprises justifient son silence et sa reacutecidive

Au cours du troisiegraveme entretien reacutealiseacute agrave la maison drsquoarrecirct de la

Santeacute Mourad multipliera les mentions aux deacutemarches entreprises pour

srsquoen sortir et agrave ses projets laquo Jrsquoai envie de monter une entreprise raquo laquo jrsquoaurais aimeacutetravailleacute dans lrsquoimmobilier mais maintenant avec mon casierhellip raquo laquo je fais desrecherches par lrsquoANPE je prends les journaux raquo laquo je suis des cours je poursuis deseacutetudes jrsquoai des super bonnes notes raquo Il avait eacuteteacute transfeacutereacute quelques semaines

auparavant de la maison drsquoarrecirct de Nanterre manifestement exceacutedeacute par

lrsquoambiance qui y reacutegnait

Je grandissais plus Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoecirctre dans un moule Les discus-sions crsquoeacutetait laquo Ouais tu fais combien Ouais je gagnais tant par jouron faisait comme ccedila on faisait comme ccedila Quand je sors je vais faire ccedila raquoComme on dit dans le jargon de la prison laquo on va tout niquer raquo

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62 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce qui veut dire

Ce qui veut dire quand je sors je fais encore pire qursquoavant mais je faisccedila mieux [hellip] Alors on est entre hommeshellip Crsquoest une image crsquoest pasnous-mecircmes Ccedila parle de came on parle de came Ccedila se dit pas laquo Ouaisles gars faut arrecircter raquo On dit pas laquo Ouais quand je sors je travaille raquo(7 avril 2000)

Mourad a eacuteteacute libeacutereacute en conditionnelle agrave la fin de lrsquoanneacutee 2000 et

jrsquoai perdu sa trace Est-il un cas exceptionnel Sans doute sa trajectoire

sociale comporte-t-elle des traits atypiques par rapport agrave des dealers qui

sont neacutes et ont toujours veacutecu dans lrsquounivers des citeacutes Elle est remarquable

aussi par la rapiditeacute avec laquelle il est arriveacute agrave traiter avec des semi-

grossistes drsquoenvergure Mais on peut estimer que de tels cheminements

dans le bizness ne sont plus rares aujourdrsquohui Cette logique entrepreneu-

riale est agrave lrsquoœuvre en matiegravere de stupeacutefiants comme pour les biens de

consommation courante (automobiles deux-roues piegraveces deacutetacheacutees por-

tables habits) faisant lrsquoobjet de toutes sortes de bizness dans certaines citeacutes

Elle fonctionne drsquoautant plus que quelques personnes peuvent agrave un

moment donneacute faire beaucoup drsquoargent et attirer les autres bref servir

de modegraveles Cela eacutetant on retrouve cette logique bien eacutevidemment dans

drsquoautres milieux sociaux Lrsquoitineacuteraire de certains revendeurs drsquoabord

revendeurs drsquoecstasy puis de cocaiumlne dans le monde de la nuit parisienne

en est une illustration parmi drsquoautres22

24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS

DANS LE TRAFIC

Le rapport au produit lrsquoengagement dans le trafic lrsquoesprit dans lequel il

srsquoexerce distinguent les carriegraveres des usagers-revendeurs des anneacutees 1980

et celles des dealers des anneacutees 1990 Crsquoest sur cette question qursquoil nous

faut revenir Nous soulignerons les hieacuterarchies informelles (Becker 1963

p 128) qui structurent lrsquoeacuteconomie de la drogue et au final la mobiliteacute

des positions qui en deacutecoule

241 DrsquoUNE GEacuteNEacuteRATION Agrave LrsquoAUTRE

Entre la geacuteneacuteration de la rue Montmartre et celle qui a grandi dans les

quartiers ougrave la came eacutetait deacutejagrave preacutesente ougrave se situent les diffeacuterences en

termes de carriegraveres Pour Bruno par exemple il nrsquoy a pas drsquoambiguiumlteacute les

22 Voir sur ce point Duprez Kokoreff et Weinberger (2001 p 308-313)

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laquo petits jeunes raquo reproduisent le mecircme parcours que leurs grands fregraveres

cinq ou dix ans plus tard Les produits consommeacutes indiquent certes des

speacutecificiteacutes le Subutex plutocirct que lrsquoheacuteroiumlne consommeacute dans la rue ou en

prison la cocaiumlne plus proche des galettes de crack que de la poudre Et

quand on suggegravere que finalement le parcours des grands fregraveres aurait

pu servir drsquoimage repoussoir et dissuader les plus jeunes Bruno preacutecise

Ouais mais justement yrsquoen a plein ici leurs fregraveres leurs fregraveres et mes copainseuhhellip ils les ont conseilleacutes jrsquoeacutetais en prison et tout leurs fregraveres et tout etmoi je les ai vus grandir Ils sont tous agrave lrsquoinfirmerie en train de se battrepour avoir leur Subutex Ils ont 20 ans

Des gens drsquoAsniegraveres

En plus des gens yrsquoen a un paquet drsquoAsniegraveres de Gennevilliers NanterreToute la banane du 92 jusqursquoagrave Chacirctillon Montrouge lagrave Toute la bananeelle est concerneacutee

Ils rentrent comment ces gens-lagrave

Ils rentrent comment en prison

Non ils commencent comment

Non eux ils ont voulu deacutepasser leurs fregraveres Leur fregravere a eacuteteacute consommateurEux ils se sont dit laquo On va pas faire la mecircme connerie que notre fregravereNous on va faire de lrsquoargent avec raquo Sauf que une fois qursquoils avaient leproduit et qursquoils ont commenceacute agrave vendre ils ont voulu goucircter et tac [tapedans les mains] (9 avril 2000)

Drsquoautres reacutecits drsquousagers font un constat similaire Les laquo petits jeunes raquo

sont loin drsquoavoir eacuteteacute dissuadeacutes par les laquo anciens raquo qui font figure aujourdrsquohui

de rescapeacutes des anneacutees sida Le message nrsquoest pas passeacute Lrsquoentreacutee se ferait

beaucoup plus souvent par le deal avant de laquo tomber dedans raquo agrave un moment

donneacute ndash ou pas

Lorsqursquoon lui demande si agrave son avis les laquo petits jeunes raquo ont suivi le

mecircme parcours que les membres de sa geacuteneacuteration Abdellah reacutepond

Crsquoest un peu diffeacuterent on peut pas dire je trouve que crsquoest diffeacuterent parceqursquoils ont lrsquoexemple devant eux Je les comprends pas ils ont lrsquoexempledevant eux ils ont des copains mecircme des fregraveres ils ont vu les ravages queccedila fait Moi jrsquoai connu des types de 22 23 24 ans ils venaient me fairela morale [hellip] Je les revoyais pas pendant un moment je rentrais en prisonet jrsquoapprenais un peu plus tard que ce type eacutetait lui-mecircme tombeacute dans lacame Parce qursquoil a commenceacute agrave en avoir dans les mains il a commenceacuteagrave vendre avec des rentreacutees drsquoargent mortelles Et puis un jour peut-ecirctre parcuriositeacute ou quoi que ce soit il en a sniffeacute et voilagrave Et apregraves crsquoest lrsquoengrenage(15 deacutecembre 1998)

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64 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce type de reacutecit nrsquoaccreacutedite-t-il pas le scheacutema fataliste de la

toxicomanie Mais les dimensions territoriales des trafics sont aussi agrave

prendre en compte afin de saisir la singulariteacute des carriegraveres En effet avoir

grandi dans un quartier connu pour ecirctre un lieu de deal drsquoheacuteroiumlne nrsquoest

pas sans conseacutequences par rapport agrave une socialisation au sein de quartiers

speacutecialiseacutes dans les laquo petits bizness de shit raquo Bruno deacutecrit tregraves bien lagrave aussi

cette opposition entre deux types de quartiers drsquoambiances et de bizness

Moi je jouais encore au bac agrave sable hein quand yrsquoen a qui venaient acheterde la came Apregraves jrsquoai habiteacute dix ans agrave cocircteacute de lrsquoeacuteglise Et apregraves les grandsils sont partis aux Oiseaux Aux Oiseaux il nrsquoy avait pas de came Alorscrsquoest une citeacute yrsquoen a partout autour mais il nrsquoy a jamais eu de came Yrsquoaque du shit

Et depuis tregraves longtemps

Et depuis tregraves longtemps Yrsquoa jamais eu de problegravemes Bon deux ou troispetits serrages comme ccedila Mais crsquoest du cannabis crsquoest tout Alors queAsniegraveres au L crsquoest rempli rempli que de came hein

Et les Oiseaux crsquoest plutocirct une famille qui controcirclait un peu lemarcheacute ou crsquoeacutetaient plusieurshellip

Oh non Lagrave crsquoeacutetait un peu tout un peu tout le monde Crsquoeacutetait du petitbizness quoi Bon yrsquoavait deux ou trois familles qui avaient un peu lemonopole ils avaient un peu plus drsquoargent ou ils achetaient un peu plusMais ce qui est bien crsquoest qursquoil nrsquoy avait que du cannabis Yrsquoa pas eude morts yrsquoa pas eu dehellip alors que bon au L yrsquoen a eu des morts(9 avril 2000)

Il nrsquoest pas question drsquoen conclure que grandir dans tel ou tel type

de quartier preacutedeacutetermine les carriegraveres dans la consommation et le trafic

On pourrait neacuteanmoins avancer la notion de laquo carriegraveres de quartier raquo qui

interagissent avec la trajectoire des personnes impliqueacutees

242 LES HIEacuteRARCHIES INFORMELLES

Si lrsquoon voit donc agrave partir des entretiens reacutealiseacutes que les cheminements dans

le monde populaire des drogues ne sont pas identiques selon les cohortes

ou les geacuteneacuterations consideacutereacutees il apparaicirct aussi que les positions occupeacutees

dans le trafic ne sont pas homogegravenes En effet la cateacutegorie de laquo trafic raquo et

plus encore celle de laquo trafiquants raquo sont peu opeacuteratoires pour rendre

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 65

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compte de la diversiteacute des formes de trafic agrave lrsquoeacutechelon local Il convient

aussi de consideacuterer la diffeacuterenciation des engagements et des positions

acquises les hieacuterarchies internes et les itineacuteraires qursquoelles dessinent23

Nous avons souvent eu lrsquooccasion de le constater lors de nos enquecirctes

les toxicomanes et les grossistes nrsquoappartiennent pas au mecircme monde

social Ils ne se connaissent pas directement puisque les usagers ont prin-

cipalement affaire aux revendeurs de rue De leur cocircteacute les grossistes

eacutevitent de se faire repeacuterer dans la rue et souvent nrsquohabitent plus sur

place Crsquoest aussi la nature des relations entre usagers revendeurs et gros-

sistes qui explique cette diffeacuterenciation Par exemple Bruno eacutevoquant les

formes drsquoentraide preacutecise

Tu vois quand le gros a donneacute plusieurs petits paquets aux jeunes de20 ans si yrsquoa un jeune qui tombe normalement le gros il envoie un petitmandat tous les mois mais ce nrsquoest pas mon monde agrave moi ccedila moi je suisde lrsquoautre cocircteacute moi je suis client donc moi personne ne mrsquoaide du fait quejrsquoai plus drsquoamis plus de famillehellip (15 deacutecembre 1998)

Sans doute la position occupeacutee par Bruno deacutesaffilieacute par excellence

renforce-t-elle cette distance entre ces deux mondes lrsquoun ougrave la regravegle est

de venir en aide en cas de coup dur lrsquoautre ougrave lrsquoabsence de solidariteacute est

deacutecrite comme la regravegle Cela eacutetant lrsquoabsence de liens directs nrsquoempecircche

pas de savoir comment les choses se passent comment la marchandise est

acheteacutee partageacutee distribueacutee agrave lrsquoeacutechelle drsquoun deacutepartement quelles rela-

tions les grossistes entretiennent entre eux

De toute faccedilon yrsquoa des gens qui leur apportent qui sont en haut quoi Jrsquoenconnais pas personnellement mais je sais comment que ccedila se passe quoiIls se teacuteleacutephonent ils en prennent 100 grammes 200 grammes ccedila deacutependquoi et puis des fois ils se mettent mecircme agrave plusieurs pour voir si bonhellipils se mettent agrave plusieurs puisque y a des grossistes qui vendent ils disent laquo Moi je ne vends pas en dessous de 100 grammes ou en dessous de500 grammes raquo Le minimum que tu peux prendre crsquoest 500 grammes situ viens pour 100 300 grammes il va te dire laquo Non moi je vends pasccedila 100 100 grammes si tu veux un demi-kilo ou un kilo raquo Alors ils semettent agrave plusieurs et puis apregraves ils se partagent ils se partagent lamarchandise et chacun va avoirhellip Lrsquoautre il est agrave Asniegraveres il vend agraveAsniegraveres lrsquoautre agrave Nanterre il vend agrave Nanterre celui drsquoArgenteuil il vendagrave Argenteuil crsquoest comme ccedila [hellip]

23 On srsquoinspire ici de lrsquoarticle de Hughes sur les carriegraveres reacutedigeacute en 1958 qui soulignenotamment que laquo Certains meacutetiers se trouvent dans des systegravemes qui offrent de nom-breuses ouvertures sur drsquoautres systegravemes connexes et sur le public lorsque quelqursquounarrive au terme drsquoune eacutetape de sa carriegravere il peut ecirctre transfeacutereacute vers une position danslrsquoun de ces systegravemes connexes raquo (Hughes 1958 p 182)

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66 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Et ces gens-lagrave qui vendent en semi-gros disons ils habitent dansle quartier

Voilagrave des fois ils habitent dans le quartier bon crsquoest des gens trsquoas mecircmepas tu soupccedilonnerais mecircme pas Des gens des pegraveres de famille avec desenfants jrsquoen ai vus jrsquoen ai connus deux ou trois je suis resteacute eacutebahi sur lecoup Jrsquoai dit laquo Non crsquoest pas possible raquo Et puis jrsquoai remarqueacute qursquoen finde compte jrsquoai vu qursquoils avaient raison parce que jrsquoai remarqueacute un peuson manegravege une fois que jrsquoentends parler de plus [drsquoune] personne onsurveille du coin de lrsquoœil plus ou moins et puis jrsquoai remarqueacute qursquoils avaientraison crsquoest des gens insoupccedilonnables qui font ccedila une paire de fois pen-dant une certaine peacuteriode pendant deux trois mois Ils font ccedila avec leurpetit paquet drsquoargent Apregraves tu nrsquoentends plus parler drsquoeux Trsquoen asdrsquoautres ccedila se prolonge et ils font ccedila longtemps jusqursquoau jour ougrave il leurarrive une galegravere [hellip]

Et au-dessus drsquoeux

Au-dessus drsquoeux [il siffle]

Ccedila vient drsquoougrave

Ben ccedila vient de Lille ccedila pratiquement de Lille Lagrave-bas les gens ils vontagrave Lille hein Trsquoas des tas de gens qui vont lagrave-bas agrave Amsterdam ils vontlagrave-bas ils ils vont ils vont faire des ils vont prendre simplement descontacts et puis apregraves ils cherchent des passeurs ils cherchent carreacutement despasseurs et puis qui font passer la came pour eux et voilagrave Et le type ilreste il reste lagrave il est derriegravere il est pas loin il suit la cargaison euh agravevue drsquoœil quoi il va chercher de la blanche euh crsquoest ce qui marche lemieux ccedila crsquoest la blanche hein parce que agrave Paris y a de la brune et euhmais euh les gens ils sont pas attireacutes hein la plupart ils veulent tous dela blanche Asniegraveres Nanterre euh Argenteuil voilagrave Et bon de toutefaccedilon geacuteneacuteralement elle est tregraves organiseacutee puisqursquoils sont tregraves discrets desfois ils font ccedila pas longtemps et quand ils font des transactions crsquoest unefois tous les trois mois tous les six mois (15 deacutecembre 1998)

Cette longue citation souligne les diverses positions occupeacutees dans

lrsquoorganisation des trafics Il nrsquoest pas dans notre intention drsquoalimenter les

repreacutesentations communes ou institutionnelles de trafics organiseacutes dans

les citeacutes selon un modegravele pyramidal avec ses laquo petits soldats raquo faisant

tampon et ses laquo grosses tecirctes raquo Bien souvent ce que lrsquoon peut observer agrave

lrsquoeacutechelle locale ce sont des microreacuteseaux peu ou pas ramifieacutes entre eux

qui cohabitent dans lrsquoespace Agrave un niveau supeacuterieur plutocirct qursquoagrave de veacuteri-

tables filiegraveres organiseacutees on a affaire agrave des trafics de fourmis agrave lrsquoimage

de ceux entre la Hollande et le Nord de la France ou de ceux entre le

Maroc et la France Cela eacutetant la professionnalisation du trafic deacutecrite

plus haut a aussi conduit agrave un renforcement de la division du travail avec

une multipliciteacute des rocircles qui rendent possibles tant la distribution (pas-

seurs convoyeurs intermeacutediaires responsables et gardiens des stocks) la

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 67

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revente au deacutetail (guetteurs rabatteurs revendeurs) que la solvabilisation

des acheteurs (receleurs attitreacutes ou occasionnels banquiers de citeacute) sans

parler des rocircles lieacutes au blanchiment En outre on ne peut nier lrsquoexistence

de places fortes de la drogue qui possegravedent un rayon drsquoaction large ni

celle drsquoeacutequipes exerccedilant non seulement un controcircle de ces places mais

agrave travers elles un pouvoir reacuteel bien que mal connu Au sein des quartiers

ougrave nous avons enquecircteacute des rumeurs persistantes mentionnent des trafi-

quants notoires consideacutereacutes comme laquo intouchables raquo Ils beacuteneacuteficieraient de

protections au plus haut niveau et seraient precircts agrave srsquoengager dans le jeu

politique local Est-ce un mythe Faut-il consideacuterer qursquoau fond tous les

chemins megravenent en prison Le mythe nrsquoen perd pas moins son efficaciteacute

symbolique aupregraves des jeunes comme des moins jeunes agrave lrsquointeacuterieur et agrave

lrsquoexteacuterieur des quartiers

Il faudrait sans doute retracer les trajectoires des trafiquants qui

participent agrave ces marcheacutes illicites agrave cocircteacute de celles qui sont domineacutees par

la toxicomanie et lrsquoengagement dans le deal Ce qui permettrait drsquoaffiner

notre connaissance des mondes de lrsquoillicite et la classification des chemi-

nements sociobiographiques Mais la diversiteacute des parcours ne doit pas

nous deacutetourner des facteurs structurels qui leur sont sous-jacents On a

essayeacute de le montrer ces cheminements srsquoinscrivent dans un processus de

marginalisation sociale que ce soit sous la forme drsquoun destin collectif ou

drsquoune tentative de revalidation sociale Au sein de ce processus les logiques

sociales de lrsquoimmigration semblent avoir joueacute un rocircle non neacutegligeable

elles se sont traduites par un engagement massif de la seconde geacuteneacuteration

de lrsquoimmigration maghreacutebine dans ces carriegraveres Tout se passe comme si

les reacutepercussions du processus migratoire et des conditions de vie des

familles celles de la violence sociale subie tant agrave lrsquousine que dans les

habitats de fortune et agrave lrsquoeacutecole srsquoeacutetaient manifesteacutees agrave retardement au

tournant des anneacutees 1980 au moment ougrave la crise eacuteconomique commenccedilait

agrave faire ressentir ses effets

Cela eacutetant dit on ne peut oublier que les jeunes laquo beurs raquo ont eacuteteacute

socialiseacutes dans le mecircme contexte que les jeunes Franccedilais dits de laquo souche raquo

et qursquoeux-mecircmes ont eacuteteacute aussi particuliegraverement toucheacutes par la diffusion

de lrsquoheacuteroiumlne et le sida Le mecircme constat peut ecirctre fait en ce qui concerne

les reacuteseaux de trafic on constate au niveau des semi-grossistes comme des

chefs de clan une mixiteacute sur le plan ethnique Historiquement dans le

secteur eacutetudieacute les premiegraveres familles connues pour leur implication dans

le trafic eacutetaient franccedilaises Reste agrave savoir si les transformations urbaines et

sociologiques de ces anciens quartiers ouvriers tantocirct vers une plus

grande mixiteacute sociale tantocirct vers la constitution de niches ethniques

ajouteacutees aux effets pervers de lrsquoaction des services de police et de justice

ne contribuent pas agrave renforcer la stigmatisation des populations qui y vivent

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LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

C

EacuteLINE

B

ELLOT

Eacutecole de service social Universiteacute de MontreacutealCICC

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72

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Lrsquoassociation entre la jeunesse et les pratiques deacuteviantes et deacutelinquantes

nrsquoest pas reacutecente La mise en place des institutions peacutenales pour jeunes

accompagne au

XIX

e

siegravecle la construction de la jeunesse comme une

cateacutegorie sociale speacutecifique (Gillis 1974 Laberge 1997 Fecteau 1998)

Cette coiumlncidence srsquoexplique par le fait que les transformations socieacutetales

(industrialisation immigration notamment) ont contribueacute agrave lrsquoeacutemergence

de groupes drsquoenfants qui posaient problegraveme notamment en raison de leur

preacutesence dans les rues des villes (Meacutenard et Strimelle 2000) Or les muta-

tions sociales reacutecentes coiumlncident aussi avec une transformation profonde

de lrsquoexpeacuterience de la jeunesse dans son ensemble Ainsi les eacutetudes meneacutees

depuis vingt ans montrent un allongement de cette peacuteriode de vie (Galland

1991 Gauthier 2000) De la mecircme faccedilon les difficulteacutes drsquoinsertion sociale

et professionnelle des jeunes ont contribueacute agrave lrsquoapparition de nouvelles

preacuteoccupations agrave lrsquoeacutegard de la preacutesence de groupes de jeunes dans les

rues des centres-villes (Laberge et Roy 1994)

Dans ce contexte la compreacutehension des jeunes qui vivent dans la

rue permet drsquoune part de faire eacutetat de certaines transformations de la

jeunesse notamment au regard des difficulteacutes drsquoinsertion dont elle fait

lrsquoexpeacuterience et drsquoautre part de consideacuterer les pratiques de reacutegulations

sociales mises en place pour faire face agrave ce pheacutenomegravene Donnant suite agrave

une recherche ethnographique sur les jeunes en situation de rue

1

une

analyse des trajectoires de rue des jeunes a permis de rendre compte de

la diversiteacute des situations tant sur le plan des expeacuteriences que reacutealisent

les jeunes que sur le plan des interventions dont ils font lrsquoobjet

Lrsquoobjectif de ce chapitre consiste drsquoabord agrave examiner le concept de

trajectoire et son utilisation dans les eacutecrits criminologiques pour ensuite

preacutesenter les reacutesultats drsquoune eacutetude portant sur les jeunes en situation de rue

en faisant eacutetat des diffeacuterents types de trajectoires de rue qursquoils peuvent vivre

31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE

DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE

Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans les analyses de la jeunesse et

de la deacutelinquance juveacutenile est courante La trajectoire se deacutefinit alors

comme une finaliteacute de recherche qui permet de caracteacuteriser lrsquoidentiteacute de

1 Nous utiliserons le terme de jeune en situation de rue au lieu de celui de jeune de larue parce que nous souhaitons eacuteviter drsquoune part le rapport stigmatisant et stigmatiseacutedes jeunes agrave cet espace et drsquoautre part la reacuteduction de leur expeacuterience agrave un liendrsquoappartenance agrave la rue Pour plus de preacutecisions voir Bellot (2001)

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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lrsquoindividu et son eacutevolution au regard de son statut de ses conduites de

sa position sociale de ses relations Ce concept a cependant autant servi

pour les theacuteories drsquoinspiration structuraliste voire culturaliste que pour

les theacuteories drsquoinspiration interactionniste (Dubar 1998) Ici la trajectoire

sera utiliseacutee comme un outil analytique pour faire le pont entre lrsquoacteur

et la structure dans le cadre drsquoune perspective de la structuration (Bellot

2000) Cependant avant de preacutesenter cette nouvelle deacutefinition concep-

tuelle il importe de revenir sur les autres utilisations du concept de tra-

jectoire dans la mesure ougrave celles-ci demeurent des sources drsquoinspiration

311 L

A

TRAJECTOIRE

OBJECTIVE

Comme les analyses structuralistes ont pour objectif de faire eacutetat des

conditions de production et de reproduction sociale le concept de trajec-

toire rend ici compte des eacuteleacutements deacuteterminant la destineacutee des individus

Cette lecture qualifieacutee drsquoobjective par Dubar (1998) retranscrit donc

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un statut particulier ou agrave une classe sociale

et agrave son eacutevolution Si elle srsquointeacuteresse au changement cette conception de

la trajectoire lit la diffeacuterence entre le point de deacutepart et celui drsquoarriveacutee

observeacute chez lrsquoindividu en termes de rocircles de statuts drsquoactiviteacutes Il srsquoagit

dans cette optique non pas drsquoignorer totalement la place de lrsquoacteur dans

la construction de sa trajectoire de vie mais de consideacuterer plutocirct que celle-ci

est largement encadreacutee par des structures qui la profilent

Le programme analytique consiste donc agrave deacutefinir diffeacuterentes formes

de trajectoires types theacuteoriques susceptibles par la suite de retracer le

cheminement singulier des individus Cette maniegravere de conceptualiser la

trajectoire contribue selon Bourdieu (1986) agrave marquer lrsquoillusion biogra-

phique puisque le modelage par lrsquoindividu de son identiteacute singuliegravere ne

peut se faire que dans le cadre deacutetermineacute par les institutions que celui-ci

freacutequente

En criminologie la lecture deacuteveloppementale utilise la trajectoire

pour expliquer comment et dans quelle mesure se deacuteveloppent les conduites

deacuteviantes et deacutelinquantes (Le Blanc et Loeber 1998) Elle montre par

exemple comment les conditions deacutefavorables de lrsquoenfance viennent anti-

ciper les difficulteacutes de lrsquoadolescence et de la vie adulte Agrave ce titre la lecture

des trajectoires des individus srsquoinscrit dans un cadre drsquoanalyse ougrave il srsquoagit

drsquoidentifier les facteurs de risque qui contribueront agrave preacutedire lrsquoadoption

par les personnes de comportements qualifieacutes de deacuteviants ou de deacutelin-

quants en deacuteterminant notamment la propension de ces personnes agrave

adopter de tels comportements (Gottfredson et Hirschi 1990) La lecture

de la deacutesorganisation sociale familiale ou individuelle constitue ici une

assise pour consideacuterer la faiblesse drsquoun capital social et culturel heacuteriteacute

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74

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

comme un handicap de la trajectoire de vie du jeune dans la mesure ougrave

il construit une inadaptation sociale du jeune Pour les jeunes de la rue

les analyses de Whitbeck et Hoyt (1999) mentionnent les enjeux des cycles

de vie intergeacuteneacuterationnels reproduisant les conditions de pauvreteacute agrave lrsquoori-

gine des diffeacuterentes formes de fragilisation que connaicirctront les jeunes et

qui porteront atteinte agrave la reacutealisation drsquoune socialisation adeacutequate

Sampson et Laub (1993) viendront renforcer la pertinence de lrsquouti-

lisation du concept de trajectoire de maniegravere objective en deacutemontrant

lrsquoexistence drsquoeffets drsquointeraction entre les diverses expeacuteriences que doivent

vivre les jeunes Cette lecture dynamique introduite dans la perspective

deacuteveloppementale aura pour conseacutequence de lire dans une dimension

temporelle les jeux de continuiteacute et de changement qui tracent la trajec-

toire Ainsi srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la trajectoire il faut rete-

nir quelles sont les expeacuteriences qui renforcent ou au contraire freinent la

propension agrave la deacutelinquance observeacutee (Lanctocirct 1999) Cette maniegravere de

consideacuterer lrsquoeacutevolution des trajectoires sort de la perspective strictement

structuraliste pour faire une place agrave lrsquoacteur dans la consideacuteration de sa

trajectoire Cependant elle precircte peu drsquoattention au sens que lrsquoindividu

donne agrave ses gestes et agrave la deacutefinition sociale de ces gestes La perspective

interactionniste viendra combler ces limites en retenant lrsquoideacutee drsquoune tra-

jectoire en construction Dubar (1998) affirme ainsi que pour parvenir agrave

une lecture complexe des trajectoires de vie il faut eacutegalement srsquointeacuteresser

agrave la compreacutehension des trajectoires subjectives

312 L

A

TRAJECTOIRE

SUBJECTIVE

Contre toute conception substantielle du sujet ou de la socieacuteteacute les interac-

tionnistes srsquoefforcent de construire une conception relationnelle ougrave non

seulement lrsquoindividu et la socieacuteteacute sont interdeacutependants mais se constituent

lrsquoun par lrsquoautre (de Queiroz et Ziolkovski 1994 p 17)

Si dans la trajectoire objective la lecture du temps se fait autour du

cumul et de la reacutepeacutetition des situations en vue de caracteacuteriser les chan-

gements et les continuiteacutes la trajectoire subjective donne accegraves au travail

inteacuterieur fait par lrsquoindividu de construction de son identiteacute

Il srsquoagit donc de saisir la mise en mots du parcours biographique

mise en mots qui donne accegraves agrave la logique des neacutegociations identitaires

de lrsquoindividu Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindividu aux

rencontres qursquoil fait ou non et aux interactions qursquoil vit Ces reacuteactions que

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la plupart des auteurs (Bergier 1992 Vexliard 1957) expriment en termes

drsquoeacutetapes de la reacutesistance agrave la reacutesignation en passant par lrsquoadaptation

relegravevent le plus souvent drsquoune vision lineacuteaire et seacutequentielle de la

trajectoire de vie

Ainsi la succession des places occupeacutees au cours drsquoune vie nrsquoestpas seulement une seacuterie de deacuteplacements objectifs de positionsdans lrsquoespace social mais simultaneacutement un replacement delrsquoimage de soi exigeant un travail biographique de mise en coheacute-rence des diffeacuterents aspects du moi (De Queiroz 1996 p 297)

Ce point de vue srsquoil rappelle que dans sa routine quotidienne

lrsquoindividu cherche autant agrave se creacuteer qursquoagrave assurer une continuiteacute avec ce

qursquoil eacutetait a contribueacute agrave associer le concept de trajectoire agrave celui de

carriegravere (Becker 1963) et drsquoidentiteacute (Strauss 1959)

Or il importe ici de consideacuterer que le concept de carriegravere postulant

une progressiviteacute dans la trajectoire de vie drsquoun individu emprisonne la

situation sociale agrave lrsquoeacutetude dans un univers particulier et singulier En effet

consideacuterer la carriegravere du deacuteviant crsquoest retenir qursquoil nrsquoa qursquoune identiteacute

celle de deacuteviant et que la trajectoire de vie ne srsquoinscrit que dans ce rapport

social (Duprez et Kokoreff 2000)

En retenant les deux utilisations du concept de trajectoire objective

et subjective pour les unir dans une perspective de la structuration telle

que Giddens (1987) la deacutefinit la recherche sur les jeunes en situation

de rue que nous avons meneacutee srsquointeacuteressait agrave faire ressortir la marge de

manœuvre de ces jeunes dans la construction de leur trajectoire Sortant

ainsi de lrsquoimage du jeune victime pour qui la situation est imposeacutee ou

de lrsquoimage du jeune deacutelinquant pour qui la situation est choisie lrsquoancrage

de la structuration permet de lire lrsquoaction des jeunes dans leur rapport

aux contraintes et aux opportuniteacutes qursquoils rencontrent

313 L

A

TRAJECTOIRE

DE

RUE

DANS

UNE

ANALYSE

DE LA STRUCTURATION

Inteacutegrer la lecture de la moderniteacute avanceacutee en ce qui a trait aux enjeux

lieacutes agrave lrsquoincertitude et aux risques dans la compreacutehension drsquoune trajectoire

de vie doit donner lrsquooccasion de srsquoeacuteloigner drsquoune vision lineacuteaire drsquoune

trajectoire de vie qui tend agrave deacutefinir la reacuteussite ou lrsquoeacutechec biographique

au plan des positions sociales pour parvenir au contraire agrave la compreacutehen-

sion de la nature parcellaire fragmenteacutee et construite de lrsquoexpeacuterience

reacuteveacuteleacutee par le quotidien et les rapports sociaux (Dubet 1994 Maffessoli

1994) Dans ce contexte lire une trajectoire de rue crsquoest srsquointeacuteresser au

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

chemin parcouru par ces jeunes dans lrsquoespace physique mais aussi social

qursquoest la rue en tant qursquoexpeacuterience biographique Crsquoest srsquointeacuteresser aussi

aux rapports identitaires construits entre deacuteviance et conformiteacute

La trajectoire permet alors de composer avec la dialectique entre

lrsquoacteur et la structure la contrainte et lrsquoaction la continuiteacute et le chan-

gement en appreacutehendant dans une perspective des cycles de vie

(life courseperspective)

les points tournants les eacuteveacutenements les mouvements enga-

geant les individus dans des lignes drsquoaction et biographique particuliegraveres

(Ogien 1995) Dans le cadre de la lecture de la trajectoire Jones (1997)

montre ainsi qursquoil est important de consideacuterer

[hellip]

That individual life-courses are led along a ldquoreflexive biographyrdquo(Giddens 1991 1994) in which there is a dynamic interaction betweenagency (self-determination and choice) and structure (affecting inequalityand constraint)

(Jones 1997 p 100)

Dans cette perspective la lecture des situations que les acteurs deacutefi-

nissent comme des eacuteveacutenements cleacutes devient cruciale (Leclerc-Olive 1998)

Les reacuteflexions de Ulmer (2000) sur le concept de

commitment

montrent en

outre comment ce concept vient appuyer dans une lecture de la trajec-

toire les logiques drsquoaction des individus dans leurs constances comme

dans leurs transformations La perspective inteacutegrative qursquoil adopte lui per-

met en outre drsquoenvisager lrsquoengagement dans une voie deacuteviante de la

mecircme faccedilon que dans une voie conventionnelle Il srsquoagit de saisir comment

laquo

opportunities structures do not determine action but set constraints within whichactors make choices on the basis of their definitions

raquo (Ulmer 2000 p 320)

Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans une analyse ancreacutee dans

la theacuteorie de la structuration permet ainsi de faire ressortir les logiques

drsquoaction qui preacutevalent dans le quotidien mais aussi de consideacuterer comment

les expeacuteriences de rue srsquoeacutetablissent dans un univers des possibles qui se

construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les eacuteveacutenements srsquoenchacircssent

et que les rencontres avec les autres se reacutealisent ou non que les rapports

sociaux structurent ou non la dialectique deacutevianceconformiteacute

32 MEacuteTHODOLOGIE

La deacutemarche meacutethodologique srsquoappuie sur une approche ethnographique

de la rue baseacutee sur deux principaux outils de collecte utiliseacutes de maniegravere

compleacutementaire lrsquoobservation participante et les reacutecits de vie (Jamoulle

2000)

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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Lrsquoobservation participante srsquoinscrit dans une volonteacute de partir agrave la

rencontre drsquoun monde particulier celui des jeunes en situation de rue qui

freacutequentent le centre-ville de Montreacuteal Ce terrain de recherche srsquoest ainsi

construit autour drsquoune immersion le plus souvent nocturne dans le milieu

de ces jeunes au fur et agrave mesure que la confiance se gagnait et que la

reacuteciprociteacute des liens permettait des eacutechanges de qualiteacute Au-delagrave de

lrsquoimmersion et des liens bacirctis le temps passeacute sur le terrain constitue la cleacute

qui permet de consideacuterer la compreacutehension reacuteelle du chercheur des

valeurs des repreacutesentations des codes des pratiques du milieu observeacute

En passant trois ans (du printemps 1996 au printemps 1999) dans le

centre-ville agrave freacutequenter les espaces investis par les jeunes (parcs stations

de meacutetro couloirs souterrains

squats

appartements organismes) nous

avons pu veacuteritablement plonger dans le quotidien de ces jeunes mais aussi

suivre leur eacutevolution tant sur le plan individuel que sur le plan collectif

Les temps drsquoobservations ont eacuteteacute variables allant de un ou deux jours en

hiver agrave cinq jours en eacuteteacute ce qui nous a permis de partager le quotidien

de plus drsquoune centaine de jeunes

La reacutealisation de 22 entretiens biographiques a donneacute lrsquooccasion de

mettre la rue provisoirement agrave distance pour que les jeunes se racontent

En effet lrsquourgence la survie lrsquoaleacuteatoire lrsquoincertitude de la rue rendent

parfois difficile un reacutecit de soi un reacutecit sur soi Dans ce contexte ce

moment a eacuteteacute perccedilu comme un espace-temps ideacuteal pour se raconter dans

lrsquointimiteacute drsquoun espace priveacute sans les aleacuteas de la vie dans lrsquoespace public

qursquoest la rue Sur ces 22 entretiens 14 ont eacuteteacute conduits aupregraves de jeunes

avec qui nous avions preacutealablement eacutetabli des liens privileacutegieacutes sur le ter-

rain Le recrutement de ces jeunes a eacuteteacute organiseacute de faccedilon agrave obtenir la

plus grande diversiteacute possible drsquoexpeacuteriences de rue Ainsi certains tout

juste arriveacutes nous racontaient le passage agrave la rue alors que drsquoautres

complegravetement engageacutes dans le monde de la rue nous preacutecisaient leur

trajectoire dans ce milieu drsquoautres enfin eacutetaient deacutejagrave sur une trajectoire

de sortie de la rue et dressaient dans cet entretien une sorte de bilan de

leurs expeacuteriences passeacutees Lrsquoacircge moyen des jeunes rencontreacutes eacutetait autour

de 20 ans et la dureacutee dans la rue variait entre un mois et quatre ans Le

tiers des entrevues a eacuteteacute reacutealiseacute aupregraves de jeunes filles Toutes ces entre-

vues ont eacuteteacute enregistreacutees retranscrites inteacutegralement et ont fait lrsquoobjet

drsquoune analyse agrave partir des eacuteveacutenements cleacutes nommeacutes par les jeunes On

entendait ainsi deacutegager non seulement les lignes de continuiteacute et de chan-

gement dans leur biographie de mecircme que le sens qursquoils accordaient agrave

leurs gestes et expeacuteriences mais aussi les logiques drsquoaction et de leacutegitima-

tion que ces jeunes utilisaient

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

De ce volumineux mateacuteriel drsquoenquecircte il a eacuteteacute notamment possible

de retenir trois grandes formes de trajectoires de rue en fonction desquelles

on tente de rendre compte de lrsquoexpeacuterience biographique que vivent les

jeunes entre opportuniteacutes et contraintes entre deacuteviance et conformiteacute

entre passeacute et preacutesent entre preacutesent et futur mais aussi entre stigmatisa-

tion et conventionnaliteacute (Soulet 2002)

33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES

La preacutesentation de ces trois formes de trajectoires de rue ne constitue pas

une maniegravere de diviser le groupe des jeunes en situation de rue en trois

cateacutegories Elle indique simplement qursquoil existe trois types distincts de

rapports agrave la rue rapports qui peuvent se succeacuteder dans la trajectoire drsquoun

jeune et qui tissent diffeacuterentes expeacuteriences biographiques Ces diffeacuterents

rapports ont cependant en commun drsquoenvisager la rue comme un simple

passage Cette lecture dynamique de lrsquoinscription dans le monde social de

la rue met en lumiegravere les enjeux de continuiteacute de rupture et de progres-

sion que vit le jeune en utilisant la rue comme espace de vie Du jeune

venu passer lrsquoeacuteteacute au centre-ville au jeune qui est inteacutegreacute dans le monde

social de la rue depuis plusieurs anneacutees la reacutealiteacute est diverse et complexe

Il importe de la consideacuterer comme telle pour eacuteviter les simplifications

extrecircmes sur lesquelles se construisent parfois des logiques drsquointervention

inapproprieacutees

En preacutesentant les diffeacuterents types de trajectoires ndash eacutepisode transi-

tion enfermement ndash une attention particuliegravere sera donc porteacutee agrave lrsquohis-

toire de vie anteacuterieure agrave lrsquoorganisation quotidienne qui a cours dans cette

trajectoire aux neacutegociations identitaires que le jeune utilise agrave la maniegravere

dont il construit son expeacuterience biographique et aux rapports qursquoil tisse

avec les autres acteurs (pairs et adultes)

331 L

A

RUE

UN

EacutePISODE

Sonia est arriveacutee dans la rue en avril 1997 Elle a commenceacute par venir une

fin de semaine avec une amie au centre-ville Puis apregraves deux fins de

semaine elle est resteacutee dans la semaine Elle explique ce changement dans

sa vie par le fait qursquoayant abandonneacute son secondaire elle a tenteacute de cher-

cher du travail mais sans succegraves Comme elle srsquoennuie chez elle et que

ses parents lui disent sans cesse de faire quelque chose elle trouve que la

rue lui permet de rencontrer du monde et de srsquoeacuteloigner de la pression

que lui imposent ses parents Finalement elle va rester dans la rue agrave partir

du mois de juin teacuteleacutephonant de temps en temps agrave ses parents en reacutegion

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Elle se tient principalement dans le parc Pasteur Apregraves lrsquoavoir rencontreacutee

au deacutebut de juin je ne la reconnaicirctrai pas une semaine plus tard telle-

ment la transformation est grande Elle a teint ses cheveux a un

piercing

au nez et dans la langue habilleacutee avec des vecirctements noirs laquo patcheacutes raquo

pour mrsquoexpliquera-t-elle laquo devenir

punk

raquo elle srsquoest inteacutegreacutee au groupe

qui freacutequente le parc Pasteur Elle me preacutesente une nouvelle amie qui

lrsquoheacuteberge La semaine suivante elle me raconte en deacutetail sa freacutequentation

des ressources centre de jour maison drsquoheacutebergementhellip Et puis elle a

ajouteacute un eacuteleacutement agrave sa tenue un

squeegee

dont elle nrsquoa pas lrsquoair de srsquoecirctre

servi souventhellip Je vais la suivre tout lrsquoeacuteteacute et nos rencontres seront toujours

lrsquooccasion pour elle de raconter ses nouvelles expeacuteriences drogues

musique politique attitudeshellip Pourtant degraves les premiers signes de la

rentreacutee scolaire elle commence agrave srsquointerroger Elle devrait retourner finir

son secondaire Elle aimerait ccedila aider les autres et devenir intervenante

Elle va disparaicirctre en septembrehellip et reacuteapparaicirctre en juin lrsquoanneacutee sui-

vante Elle raconte que son anneacutee a eacuteteacute difficile elle est eacutecœureacutee de

lrsquoeacutecole de ses parents nrsquoa pas trouveacute de travail pour lrsquoeacuteteacute Elle freacutequente

un groupe de jeunes vendeurs de drogues elle devient la blonde drsquoun

vendeur Il nrsquoest plus question drsquoecirctre

punk

ni mecircme de faire du

squeegee

elle dit ecirctre laquo tanneacutee drsquoecirctre pauvre raquo Elle va srsquoinitier agrave la cocaiumlne qursquoelle

inhale parce que son

chum

lui en donne Elle fait des commissions pour

lui et srsquoachegravete plein de nouveaux vecirctements Cette anneacutee lrsquoimportant

crsquoest la tenue la plus

fresh

possible Quinze jours plus tard elle sera ven-

deuse sur un quart de travail parce que de toute faccedilon elle est lagrave avec

son

chum

alors autant en profiter pour faire de lrsquoargent Elle consomme

de plus en plus pour rester le plus possible dans la rue la cocaiumlne lui

permettant de demeurer plus longtemps eacuteveilleacutee et en peacuteriode drsquoeupho-

rie Deux jours apregraves notre derniegravere rencontre elle a commenceacute agrave srsquoinjec-

ter Agrave la fin de septembre il nrsquoest pas question de sortir de la rue pour

revenir au monde conventionnel laquo il faut trouver un appartement et pour

le payer il faut vendre raquohellip

Ce reacutesumeacute de la trajectoire de Sonia que nous avons suivie durant

plus de trois ans srsquoarrecircte au moment ougrave sa trajectoire se transforme pour

sortir de lrsquoeacutepisode Pourtant elle est caracteacuteristique le premier eacuteteacute de la

trajectoire de rue de la plupart des jeunes rencontreacutes Agrave ce titre ces jeunes

vont avoir une trajectoire de rue qursquoils deacutefinissent par lrsquoexpeacuterience initia-

tique la rencontre avec la marginaliteacute et lrsquoeacutemancipation Il srsquoagit de sortir

du moule traditionnel des jeunes chez leurs parents ou drsquoun milieu subs-

titut La rue devient lrsquoespace de lrsquoeacutemancipation et de lrsquoexpeacuterimentation

Deacutecrire la trajectoire de rue de certains jeunes sous la forme drsquoun

eacutepisode consiste agrave rendre compte de la nature eacutepheacutemegravere de la vie de

rue telle qursquoils lrsquoenvisagent Cette trajectoire de rue demeure la plus

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

freacutequente dans la mesure ougrave la plupart des jeunes sans parler de ceux

qui restent moins de 72 heures passent au plus une saison dans la rue

Dans cette perspective la logique de lrsquoeacutepisode prend une couleur initia-

tique ougrave le jeune fait lrsquoexpeacuterience dans la rue de conduites attitudes et

rapports sociaux qursquoil ne connaissait pas toujours avant dans un espace

qui symbolise le plus souvent celui de la marginaliteacute Agrave cet eacutegard il importe

ici de lire lrsquoinsertion dans le monde social de la rue comme une pratique

urbaine juveacutenile au mecircme titre que le graffiti le

skate

hellip Il convient de

saisir le caractegravere momentaneacute de cette pratique associeacute agrave un espace deacutefini

socialement comme un espace transgresseur Drsquoailleurs les jeunes attri-

buent alors un sens heacutedoniste agrave la rue qui marque le plus souvent une

coupure avec leurs expeacuteriences anteacuterieures faites drsquoeacutechecs de souffrances

de difficulteacutes (Bellot 2001)

2

Cependant il importe de dire que malgreacute sa nature circonscrite

cette trajectoire est veacutecue de maniegravere tregraves intense par les jeunes qui

renonccedilant agrave tout rythme quotidien vivent au greacute de leurs envies et des

contraintes La plupart des jeunes revendiquent ici le droit de vivre lrsquoeacuteteacute

de leur jeunesse en paix sans autre consideacuteration

Cet eacutepisode srsquoil circonscrit la trajectoire de rue comme une expeacute-

rience biographique limiteacutee dans le temps srsquoaccompagne cependant de

transformations importantes de lrsquoidentiteacute individuelle et sociale du jeune

Le travail sur lrsquoimage de soi commence par le changement de lrsquoallure

geacuteneacuterale (transformation vestimentaire

piercing

coloration des cheveux)

Ces transformations peuvent ecirctre radicales ou venir renforcer un style deacutejagrave

preacutesent Elles indiquent le plus souvent agrave Montreacuteal la volonteacute drsquointeacutegrer

une culture

punk

culture qui paraicirct repreacutesenter la culture de rue pour

les jeunes au moment de la reacutealisation de ce terrain de recherche Le

passage drsquoune culture

punk

agrave drsquoautres laquo formes de cultures jeunes raquo marque

aussi lrsquoeacutevolution collective du groupe des jeunes en situation de rue rue

qui paraicirct beaucoup plus diversifieacutee et fragmenteacutee en 1999 qursquoelle ne

lrsquoeacutetait au moment de mon entreacutee sur le terrain en 1996 Cette preacutesenta-

tion identitaire fortement ancreacutee dans une image

punk

srsquoestompera en

effet au fil des anneacutees et sera remplaceacutee par des cultures dont les codes

tenues valeurs et strateacutegies de survie tentent de rendre les jeunes moins

visibles pour eacuteloigner les interventions reacutepressives dont ils font lrsquoobjet dans

la mesure ougrave ils peuvent davantage se mecircler aux passants

2 Un chapitre de la thegravese est consacreacute agrave lrsquoanalyse des expeacuteriences anteacuterieures agrave la rue etau moment du passage agrave la rue

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Sylvie explique comment lrsquoanneacutee preacuteceacutedente au moment ougrave elle

freacutequentait les

punks

elle leur ressemblait mais cette anneacutee elle freacutequente

le groupe de vendeurs de drogues Voilagrave comment elle explique ce que

signifie ecirctre

punk

pour elle

Lrsquoanneacutee derniegravere jrsquome tenais avec les punks pis jrsquoeacutetais pas habilleacutee de mecircmeParce que les punks premiegraverement trsquosais crsquoest lrsquohabillement trsquosais lespatchs le linge tout croche des affaires de mecircme pis les cheveux de couleurPis un vrai punk la mentaliteacute elle est pas pareille Crsquoest la mentaliteacutedrsquolrsquoanarchie pas drsquoloi la liberteacute Ben moeacute je lrsquoai cette mentaliteacute-lagrave mecircmesi jrsquomrsquohabille pas de mecircme Pis crsquoest mieux pour la vente les cochons ilsfont moins attention agrave nous Deacutejagrave ils laissent plus tranquilles les fillesmais en mecircme temps moi je peux dire que jrsquosuis comme une eacutetudiante

Misant sur la liberteacute que repreacutesente cette culture

punk

les jeunes

lrsquoadoptent comme une sorte drsquoenveloppe identitaire qui correspond alors

au sens qursquoils donnent agrave leur expeacuterience de la rue

Durant les premiegraveres anneacutees de terrain le

squeegee

constituait aussi

lrsquoun des eacuteleacutements de la panoplie neacutecessaire agrave lrsquoidentiteacute de rue de ces

jeunes mecircme srsquoils ne lrsquoutilisaient pas Ainsi agrave cette eacutepoque (1995-1998)

ecirctre un jeune de la rue signifiait ecirctre un

squeegee

punk

si bien que cet

instrument comme la tenue vestimentaire constituaient les vecteurs les

plus parlant de lrsquoidentiteacute que souhaitaient preacutesenter ces jeunes Drsquoailleurs

cette identiteacute de circonstance eacutepisodique sera lrsquooccasion de logiques de

diffeacuterenciation entre jeunes Les jeunes les plus acircgeacutes se disent ainsi de

veacuteritables jeunes de la rue qui vivent en harmonie avec lrsquoensemble des

valeurs

punk

et font du

squeegee

une strateacutegie de survie alors que les jeunes

qursquoils nomment laquo les crevettes raquo ne seraient qursquoune pacircle imitation des

jeunes de la rue En effet on reproche agrave ces laquo crevettes raquo leur conversion

reacutecente et superficielle agrave la culture

punk

et le fait qursquoils fassent du

squeegee

pour gagner de lrsquoargent de poche dont ils nrsquoont pas besoin dans la

mesure ougrave ils ne vivraient pas une veacuteritable situation de survie

Vincent 21 ans trois ans de rue parlant de la diffeacuterence

entre les vrais et les crevettes

Lrsquoeacuteteacute on est plus nombreux parce qursquoy a beaucoup de crevettes lagrave commeon dit les jeunes qui viennent de la banlieue Pis eux crsquoest vraiment dutrouble Je trouve que ccedila fait bordel pour rien pis ccedila nous empecircche nousautres ceux qui sont tout le temps dans la rue tu sais parce que ccedila faittrop de monde qui quecircte pis qui demande de lrsquoargent alors qursquoeux autresleurs parents leur payent la majoriteacute de leurs affaires Je trouve que crsquoestcon ils devraient plus rester chez eux peut-ecirctre venir tripper au centre-villemais qursquoils demandent de lrsquoargent agrave leurs parents tu sais ils sont pas

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

obligeacutes de venir squeeger juste parce qursquoils se pensent laquo ah ouais je suisun squeegee raquo crsquoest juste pour le kick de se passer pour un squeegy dans lefond Apregraves ccedila tu sais les citoyens se plaignent qursquoil y a trop de mondequi squeege mais ccedila crsquoest agrave cause drsquoeux autres pas mal Lrsquohiver crsquoest lefun parce crsquoest rien que les laquo tough raquo qui sont lagrave

Cette logique de diffeacuterenciation renvoie en outre agrave une quotidien-

neteacute de la rue diffeacuterente En effet si les jeunes qui srsquoaffirment de laquo veacuteritables

jeunes de la rue raquo vivent la rue agrave deux ou trois les jeunes qualifieacutes de

laquo crevettes raquo construisent leur quotidienneteacute autour du groupe Cette deacutesi-

gnation peacutejorative constitue pour les jeunes plus acircgeacutes un outil de distinc-

tion entre une veacuteritable expeacuterience de survie et une expeacuterience de deacutefi

drsquoadolescent Ces diffeacuterenciations que font les jeunes entre eux sont aussi

utiliseacutees dans le cadre des interventions conduites par les adultes Par

exemple la roulotte de lrsquoorganisme Poprsquos ne se deacuteplace pas le samedi

arguant qursquoil y a trop de jeunes laquo crevettes raquo qui utiliseraient leurs services

Cette trajectoire de rue

eacutepisode

est donc le plus souvent lrsquoexpeacuterience

des jeunes qualifieacutes de laquo crevettes raquo placeacutes entre deux mondes le monde

de la rue et le monde conventionnel Sans reconnaissance de part et

drsquoautre ces jeunes vont chercher agrave se reconnaicirctre dans des groupes de

pairs qui vivent avec eux lrsquoexpeacuterience de la rue La rue repreacutesente alors

pour eux une vie de groupe qui leur permet de partager leurs expeacuteriences

et qui constitue aussi un cadre de protection par rapport au reste du

monde social de la rue laquo Groupe drsquoexpeacuterimentation raquo ces jeunes se dis-

tinguent de cet autre monde social de la rue par leur visibiliteacute mais aussi

par une sociabiliteacute juveacutenile marqueacutee par le besoin de vivre en groupe de

nouvelles expeacuteriences Agrave ce titre le quotidien est centreacute autour des pairs

qui composent le groupe drsquoappartenance et drsquoun parc qui forme le cadre

territorial de lrsquoidentiteacute On distinguera ainsi entre le groupe de jeunes

freacutequentant le parc Berri celui freacutequentant le parc Pasteur et enfin celui

freacutequentant le parc des Foufounes Il est toutefois important de mention-

ner que ce cadre territorial diffegravere de celui deacutecrit dans les eacutetudes sur les

gangs de rue dans la mesure ougrave il ne renvoie pas agrave un quartier ougrave les

jeunes habitent mais agrave un espace public dans lequel ils se tiennent De la

mecircme faccedilon lrsquoidentiteacute territoriale du groupe nrsquoempecircche pas la freacutequen-

tation des autres lieux et groupes elle marque simplement lrsquoexistence de

liens plus intenses avec tel groupe et tel lieu Agrave lrsquoinstar de Lucchini (1999)

nous dirions que la dynamique observeacutee relegraveve davantage de celle drsquoun

reacuteseau drsquoidentification et de soutien que drsquoune veacuteritable bande constitueacutee

et hieacuterarchiseacutee Cependant ce reacuteseau sera utiliseacute pour se construire au

plan identitaire ainsi que pour apprendre comment faire face agrave la vie de

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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rue La question du reacuteseau est drsquoautant plus importante que srsquoagissant

drsquoun cadre relationnel ouvert les liens vont pouvoir se tisser entre les

diffeacuterents groupes et les diffeacuterents types de jeunes en situation de rue

Il importe de consideacuterer ici que les jeunes qui connaissent une tra-

jectoire de rue qualifieacutee drsquoeacutepisode se trouvent globalement dans une logique

drsquoexpeacuterimentation si bien que leur quotidien se centre sur les liens avec

leurs pairs qui vont pouvoir leur apprendre de nouvelles pratiques de

nouvelles attitudeshellip Cette soif de nouvelles expeacuteriences correspond aussi

agrave un besoin drsquoaffranchissement de leur cadre de vie anteacuterieur La lecture

des contextes de fragilisation en amont de la rue devient pour ces jeunes

la lecture de lrsquoincompreacutehension entre les aspirations du jeune agrave un

moment donneacute et celles de ces cadres de vie (famille eacutecole institutions)

Agrave cet eacutegard lrsquoorganisation quotidienne que certains jeunes reacutealisent

autour drsquoun centre de jour renvoie effectivement agrave une logique drsquoappren-

tissage ancreacutee dans une quecircte de soi et une recherche drsquoautonomie

Lrsquoimportance de cet espace concerne bien moins la reacuteponse agrave des besoins

mateacuteriels que la reacuteponse agrave des besoins relationnels qui vont correspondre

aux aspirations du jeune dans son expeacuterience biographique de la rue La

dimension de la rencontre est ici primordiale dans la mesure ougrave elle

deacutetermine le cadre des diffeacuterentes possibiliteacutes drsquoacquisition de compeacutetences

ou tout au moins drsquoexpeacuterimentation

Dans cette perspective ces jeunes paraissent repreacutesenter une nou-

velle maniegravere de reacutealiser un rite initiatique en menant une expeacuterience

de soi et sur soi qui leur permet de quitter le monde de lrsquoenfance avant

drsquoentrer dans le monde des adultes Ainsi Sheriff (1999) deacutecrit le

fulgu-rant

qui vit intenseacutement son expeacuterience de rue sans eacutebranler aucunement

par la suite sa routine de vie En consideacuterant lrsquoexpeacuterience de la rue comme

un eacutepisode crsquoest-agrave-dire comme un espace-temps circonscrit dans la trajec-

toire de vie de la personne il est possible de sortir de la lecture fatalisante

de lrsquoinscription dans le monde social de la rue tout en reconnaissant que

lrsquointensiteacute de cette expeacuterience est reacuteelle

Il srsquoagit drsquoune expeacuterience de deacuteseacutequilibre par rapport agrave la routine

de vie de ces jeunes De ce fait lrsquoeacutepisode doit ecirctre vu comme la quecircte

drsquoune expeacuterience extrecircme diffeacuterente du reste du quotidien Pour ecirctre

laquo trippante raquo lrsquoexpeacuterience de la rue doit srsquoeacuteloigner des expeacuteriences de

jeunesse anteacuterieures elle doit correspondre agrave une mise en danger plus

ou moins controcircleacutee Jones (1997) montre agrave cet eacutegard comment la prise

de risque peut signifier une veacuteritable quecircte drsquoidentiteacute et de reprise en

main de son futur faute de pouvoir consideacuterer son preacutesent Or si la

trajectoire de rue eacutepisode rime avec la prise de risque il importe de

consideacuterer que le contexte de fragilisation lieacute aux expeacuteriences anteacuterieures

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave la rue va donner le ton et influencer la nature des prises de risque

rechercheacutees De la mecircme faccedilon le cadre des opportuniteacutes et des contraintes

dans la rue va deacutefinir en partie les pratiques de prise de risque

La question de la consommation de drogues est ici un enjeu veacuteri-

table notamment lorsque la quecircte de lrsquoaffranchissement srsquoexprime dans

une multiplication des produits consommeacutes et par une utilisation des

techniques de consommation les plus risqueacutees jusqursquoagrave lrsquoinjection Agrave cet

eacutegard il importe de mentionner lrsquoeacutevolution des pratiques de prise de

risque qui rendent lrsquoexpeacuterience de la rue toujours extrecircme Il paraicirct

important de lire lrsquoaugmentation des prises de risque non pas dans un

cadre pathologique de deacutesorganisation personnelle mais comme lrsquoexpres-

sion drsquoun rapport social speacutecifique qui contraint certains jeunes pour

exister agrave se deacutepasser dans de telles expeacuteriences (consommation de drogues

suicidehellip) puisqursquoon leur refuserait socialement une quecircte de deacutepasse-

ment dans le collectif (Sheriff 1999)

Pour autant au fur et agrave mesure de la reacutealisation du terrain mais

aussi avec lrsquoaugmentation de la preacutesence de lrsquoheacuteroiumlne dans la rue le cadre

drsquoopportuniteacute des expeacuterimentations se deacuteplace vers lrsquoinjection au point

que dans une certaine mesure agrave la fin du terrain le vecteur de lrsquoidentiteacute

des jeunes en situation de rue devenait non plus le

squeegee

et lrsquoimage du

punk

mais bien la seringue et lrsquoimage du junkie Ainsi la preacutesence de

plus en plus grande dans les discours des jeunes comme dans leurs

pratiques de la consommation par injection teacutemoigne drsquoune part drsquoun

deacutetachement de la philosophie punk laquo Punk no junk raquo qui dominait aupa-

ravant et drsquoautre part drsquoune escalade constante dans les prises de risque

Toutes ces expeacuteriences construites autour drsquoune ritualisation de la mort

doivent ecirctre consideacutereacutees sur le plan symbolique comme autant drsquoeacuteleacute-

ments marquant les difficulteacutes drsquoecirctre jeune de prendre sa place dans la

socieacuteteacute queacutebeacutecoise actuelle tout comme dans la rue

Concevoir la trajectoire de rue comme un eacutepisode signifie donc que

lrsquoon envisage un passage dans le monde social de la rue non exclusif et

dont le quotidien est centreacute sur les autres jeunes comme eacuteleacutement struc-

turant de lrsquoexpeacuterience de la rue Cette situation courante deacutefinie autour

de la notion drsquoeacutepisode renvoie souvent agrave lrsquoideacutee drsquoune peacuteriode circons-

crite dans la trajectoire de vie de la personne qui nrsquoapparaicirct pas ni pour

elle ni pour les autres comme une expeacuterience deacuteterminante pour le futur

Pour drsquoautres la trajectoire de rue loin drsquoecirctre un simple passage momen-

taneacute va devenir une transition deacuteterminante pour la trajectoire de vie

du jeune

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332 LA RUE UNE TRANSITION

Ici la trajectoire de rue conccedilue comme une transition signifie que la rue

devient le socle drsquoune vie diffeacuterente tantocirct pour construire un projet de

vie les jeunes srsquoinseacuterant dans la socieacuteteacute tantocirct pour faciliter le passage

vers une vie marginale ou une vie criminelle

3321 La rue comme tremplin vers une insertion sociale

Denis 23 ans vit dans la rue par intermittence depuis lrsquoacircge de 18 ans

Cette intermittence srsquoinscrit dans un rapport agrave la rue et agrave la drogue variable

Pendant quelques mois son quotidien se construit autour de la consom-

mation de drogues Puis il srsquoarrecircte reprend un appartement et trouve un

travail jusqursquoagrave la prochaine fois Fatigueacute de cette situation il va utiliser

son expeacuterience de la rue pour reacutealiser son recircve dessiner Apregraves un stage

drsquoemployabiliteacute proposeacute en raison de ses compeacutetences graphiques mais

aussi de sa situation de rue et de son expeacuterience il va parvenir agrave inteacutegrer

une entreprise multimeacutedia et agrave devenir un de leurs graphistes Il dit

laquo consommer maintenant de maniegravere brancheacutee raquo

Lrsquoutilisation de lrsquoexpeacuterience de la rue comme tremplin vers un cadre

drsquoinsertion se lit le plus souvent autour des interventions qui sont parve-

nues agrave rejoindre les jeunes directement dans cet espace En effet pour

que les jeunes aient la possibiliteacute drsquoutiliser la rue comme tremplin il

importe que la laquo perche tendue raquo considegravere leurs compeacutetences acquises

dans cet espace mais aussi leurs aspirations Le plus souvent il srsquoagit de

jeunes qui vivaient des difficulteacutes drsquointeacutegration avant la rue et qui ne

parvenaient pas agrave srsquoinscrire dans des interventions traditionnelles drsquoinser-

tion socioprofessionnelle pour les jeunes Ainsi les projets de type pairs

aidants comme les projets orienteacutes vers les arts (cirque journal videacuteo

multimeacutediahellip) constituent des formes drsquointervention qui en utilisant les

compeacutetences des jeunes leur permettent plus facilement de rebondir

notamment parce qursquoelles leur donnent une expeacuterience dans des domaines

qui leur plaisent mais aussi parce qursquoelles correspondent agrave des besoins

reacuteels du marcheacute du travail La rue constitue ainsi une opportuniteacute de

srsquoinseacuterer dans des interventions non traditionnelles qui reconnaissent

aussi lrsquoidentiteacute plus ou moins marginale des jeunes Par exemple lrsquointer-

vention par les pairs mecircme si elle ne vise pas directement agrave inscrire les

pairs aidants dans un parcours vers lrsquoemploi devient un espace de forma-

tion qui facilite la transition entre la rue et lrsquoemploi drsquointervenant En

effet les pairs sont le plus souvent des anciens jeunes de la rue qui ne

souhaitent pas ou ne peuvent pas srsquoinscrire dans des formations plus aca-

deacutemiques pour devenir intervenants Dans le projet des pairs aidants ils

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86 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

vont pouvoir srsquoancrer dans un parcours de formation qui utilisera aussi

leurs connaissances du milieu de la rue et qui leur permettra par la suite

de devenir intervenants srsquoils le souhaitent

Toutefois cette forme de transition demeure peu commune dans la

rue non pas en raison de lrsquoabsence de compeacutetences acquises par les

jeunes mais bien parce que lrsquointervention ne srsquoappuie que tregraves rare-

ment sur cette expeacuterience Les autres formes de transition correspondent

davantage agrave un cheminement vers des milieux de deacutesinsertion sociale

3322 La rue comme tremplin vers une deacutesinsertion sociale

Lire des trajectoires menant agrave des formes de deacutesinsertion sociale conduit

agrave srsquointeacuteresser agrave des expeacuteriences qui renvoient agrave des inscriptions sociales

deacuteviantes

La trajectoire de la rue peut ecirctre une transition vers une marginaliteacute

sociale qui certes ameacuteliorera un peu les conditions de vie des jeunes

mais cristallisera leur cadre de vie dans une pauvreteacute eacuteconomique sociale

culturelle et relationnelle Cette forme de trajectoire de rue entendue

comme une transition vers un statut et un rocircle lieacutes agrave une expeacuterience de

la pauvreteacute renvoie de maniegravere eacutevidente aux lectures sur la faiblesse du

capital social des jeunes en situation de rue (Hagan et McCarthy 1997)

Il importe ici de replacer lrsquoexpeacuterience de la rue dans une lecture de la

continuiteacute qui sans ecirctre deacuteterministe renvoie cependant agrave lrsquoabsence

drsquoopportuniteacutes et au poids des contraintes qui pegravesent sur la trajectoire de

vie de ces jeunes Cette lecture de la trajectoire conduit agrave envisager les

conditions de reproduction des ineacutegaliteacutes sociales

Dans cette perspective il importe de dire en outre que lrsquointerven-

tion qui vise agrave sortir les jeunes de la rue porte rarement sur autre chose

que la sortie de cet espace Sortir ces jeunes de la pauvreteacute srsquoinscrirait dans

une tout autre logique

Pourtant il apparaicirct que lrsquoexpeacuterience de la rue constitue pour ces

jeunes une maniegravere de faire appel agrave des strateacutegies de deacutebrouillardise pour

contrer la pauvreteacute dans laquelle ils vivent Utilisant le squeegee comme

strateacutegie de survie les jeunes dans cette trajectoire vont faire lrsquoapprentis-

sage dans la rue des maniegraveres alternatives drsquoobtenir des ressources mateacute-

rielles Agrave cet eacutegard leur quotidien demeure centreacute sur la deacutebrouillardise

Drsquoailleurs cette dynamique de trajectoire fera en sorte que la rue se preacute-

sente plus ou moins reacuteguliegraverement dans leur vie comme un espace leur

permettant de trouver les ressources neacutecessaires La rue nrsquoest alors qursquoune

des multiples facettes de leur expeacuterience biographique de la marginalisation

elle nrsquoen est pas le reacuteveacutelateur Ainsi sans freacutequenter la rue de maniegravere

permanente ces jeunes maintiendront leurs liens avec des organismes

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drsquointervention aupregraves des jeunes de la rue construisant le plus souvent

leur socialiteacute autour de ce reacuteseau drsquoaide La freacutequentation des bus les soirs

de distribution de sacs de nourriture constitue donc un moyen privileacutegieacute

de rencontrer des jeunes qui se sont eacuteloigneacutes de la rue mais qui conti-

nuent drsquoutiliser les ressources drsquoaide Drsquoailleurs comme le montrent les

analyses de Paugam (1991) il srsquoagit ici de jeunes qui se caracteacuterisent par

des biographies tourmenteacutees et dont lrsquoidentiteacute est davantage fondeacutee sur

la survie que sur la vie

La lecture de leur trajectoire de vie rime le plus souvent avec une

lecture drsquoun cumul de handicaps de difficulteacutes drsquoeacutechecs de stigmates qui

les contraint agrave vivre en eacutetat de survie perpeacutetuelle ne sachant ni ougrave ni

comment trouver une place dans la socieacuteteacute qui les exclut toujours davan-

tage Ces trajectoires teacutemoignent alors des conditions de misegravere dans les-

quelles tentent de survivre certains jeunes en situation de rue conditions

qui ne srsquoameacuteliorent pas neacutecessairement lorsqursquoils srsquoeacuteloignent de la rue Agrave

cet eacutegard la description de ces trajectoires correspond le plus souvent agrave

la compreacutehension drsquoune errance sociale bien plus que spatiale expeacute-

rience qui paraicirct se conclure simplement par une incorporation toleacutereacutee agrave

la marge de la socieacuteteacute leurs propres logiques drsquoaction tout comme celle

des dispositifs drsquoaction publique et communautaire qui les entourent ne

permettant pas de modifier cette structuration de la survie Cet ancrage

de la trajectoire de rue dans une routinisation de la survie conduit ces

jeunes dans une impasse ougrave les oscillations qursquoils vivent ne parviennent

pas agrave les engager dans drsquoautres voies Ils semblent alors perdre la qualiteacute

de sujets de leur propre vie se maintenant dans un ballottement perpeacutetuel

entre les diffeacuterents espaces de ressources et de survie qursquoils traversent au

quotidien sans avoir aucune prise reacuteelle sur lrsquoun drsquoentre eux

Cette errance laquo vulneacuterabilisante raquo ne signifie pas pour autant la perte

drsquoune qualiteacute drsquoacteur Vivre au quotidien une routine de survie crsquoest

srsquoinscrire dans une dynamique de deacutebrouillardise qui caracteacuterise cette

adaptation individuelle agrave des conditions de vie deacutefavorables Dans ce

contexte ecirctre soi crsquoest inscrire dans une routine cette lutte contre la

deacutegradation de leur statut et de leur identiteacute sociale espeacuterant toujours

pouvoir en finir avec cette condition de vie de misegravere Agrave cet eacutegard il

appert que mecircme dans le cadre de ces trajectoires ougrave les enjeux drsquoexclu-

sion sont importants les jeunes disent encore vouloir agir pour sortir de

ces conditions de vie qursquoils qualifient eux-mecircmes de misegravere Se reacutealiser

devient alors survivre aux pressions sociales stigmatisantes et deacutesaffiliantes

et obtenir les ressources minimales pour combler ses besoins vitaux

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88 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si ce type de trajectoire paraicirct reproduire une certaine logique

sociale fatalisante de la pauvreteacute il nrsquoen demeure pas moins qursquoil donne

aussi accegraves agrave des meacutecanismes drsquoadaptation agrave un environnement social

hostile meacutecanismes qui font cependant lrsquoobjet drsquoune deacutesapprobation sociale

Crsquoest en effet autour de ce type de trajectoire que les dynamiques

de controcircle sont les plus fortes dans la mesure ougrave la deacutebrouillardise des

uns srsquooppose agrave la coercition des autres Dans certaines circonstances la

coercition exerceacutee agrave lrsquoendroit de ces strateacutegies de deacutebrouillardise va diri-

ger les jeunes vers le milieu criminel consideacutereacute alors comme une reacuteponse

aux injustices veacutecues Ainsi certains jeunes qui ont fait lrsquoexpeacuterience de

lrsquoemprisonnement pour non-paiement drsquoune amende pour des contraven-

tions lieacutees au squeegee sont ressortis de cette expeacuterience avec de nombreux

contacts leur permettant de devenir au moins commissionnaires3 dans la

rue Certains par exemple savaient en recevant des montants dans leur

compte qursquoils devaient porter tel colis agrave tel endroit ou effectuer drsquoautres

deacutemarches Drsquoautres obtenaient les contacts leur permettant de devenir

vendeurs dans la rue Pourtant au-delagrave des contacts eacutetablis en prison qui

font basculer plus rapidement la trajectoire vers une insertion dans le

milieu criminel la rue constitue aussi un espace qui fournit des occasions

drsquoinsertion dans ce milieu Et agrave ce titre dans ces trajectoires de rue qui

symbolisent lrsquoaction reacutepressive conduisant agrave lrsquoincarceacuteration cette derniegravere

devient lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur drsquoune perte de routine Placeacutes dans drsquoautres

espaces les jeunes peuvent se mobiliser et voir agrave nouveau les possibiliteacutes

qui se preacutesentent agrave eux Lrsquoincarceacuteration devient alors lrsquooccasion dans leur

expeacuterience biographique drsquoun sursaut drsquoun changement Pour drsquoautres

lrsquoincarceacuteration sera veacutecue comme une forme diffeacuterente de deacutegradation de

statut qui les marginalisera davantage et les conduira de nouveau agrave la rue

renforccedilant une certaine mortification du sujet La prison est alors un

simple ballottement de plus dans leur vie

Mais lorsque la prison permet le sursaut les jeunes utiliseront leurs

contacts pour srsquoengager dans diffeacuterentes expeacuteriences qui leur permettront

drsquointeacutegrer les filiegraveres de lrsquoeacuteconomie souterraine Le plus souvent ils

commenceront par faire des commissions pour les vendeurs de drogues

avant de devenir eux-mecircmes vendeurs avec une progression dans les

heures de vente et les lieux de vente accumulant de plus en plus de profits

pour finalement devenir laquo un boss de la place raquo qui srsquooccupe des vendeurs

3 Un commissionnaire est une personne qui va assurer des livraisons pour un vendeurde rue soit aupregraves drsquoun client soit aupregraves drsquoun fournisseur Crsquoest geacuteneacuteralement lepremier niveau drsquoimplication dans la vente de drogues de rue pour les jeunes

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 89

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Durant cette progression dans la hieacuterarchie du milieu criminel de rue

lrsquoessentiel pour ces jeunes crsquoest de se deacutetacher le plus rapidement possible

du monde de la rue et de son image de pauvreteacute

Utilisant tous les signes exteacuterieurs de richesse ndash bijoux vecirctements agrave

la mode teacuteleacutephone cellulaire ndash ils estiment tregraves important de montrer

leur reacuteussite mais aussi leur pouvoir Certains auront des chiens de combat

pour faire valoir leur force nrsquoheacutesitant jamais agrave leur faire sortir les crocs

en cas de besoin Pour ces jeunes la rue repreacutesente lrsquoespace qui va leur

permettre de reacuteussir dans la mesure ougrave ils y gagnent lrsquoargent neacutecessaire agrave

leur inteacutegration dans la socieacuteteacute de consommation qui est la leur Les

aspirations se deacutefinissent alors de maniegravere strictement eacuteconomique crsquoest-agrave-

dire qursquoil srsquoagit de continuer agrave obtenir lrsquoargent dont ils ont besoin pour

conserver leur train de vie Le prestige et le pouvoir que symbolise leur

rocircle dans la rue paraissent conforter aussi les jeunes dans le fait que

lrsquoexpeacuterience criminelle doit ecirctre valoriseacutee puisqursquoelle est valorisante

Mathieu 21 ans cinq ans de rue

Rencontreacute durant lrsquoeacuteteacute 1996 Mathieu eacutetait lrsquoun des principaux vendeurs

drsquoun parc que je freacutequentais Travaillant constamment il a eacuteteacute durant cet

eacuteteacute une veacuteritable puce qui courait partout pour faire laquo runner sa business raquo

Voilagrave comment il deacutecrit ce premier eacuteteacute

Ben cet eacuteteacute jrsquofais ben de lrsquoargent jrsquofaisais cinq cent piasses par jour Crsquotaiteffrayant trsquosais jrsquoavais ma clientegravele faque crsquoeacutetait vraiment payant Jrsquopoi-gnais toujours les mecircmes clients et pis ils mrsquoachetaient de la poudre dupot du buvard Jrsquotais rendu capitaliste Crsquoeacutetait rendu vraiment lagravehellip jrsquoavaismon appart mon page mon cellulaire pis toute tout le monde capotaitsur mon cas Mais ccedila a arrecircteacute parce que jrsquoai commenceacute agrave me crinquer Pistu sais quand tu te crinques trsquoen veux trsquoen veux pis agrave un moment donneacutetu te mets dans lrsquotrou Faque jrsquoai eu des dettes jrsquotais rendu agrave 1000 piassesde dettes pis mon boss il mrsquoa dit drsquoarrecircter sinon jrsquoavais plus le droit devendre Sur le coup jrsquoai pas voulu mais apregraves jrsquoai tout perdu faque que jeme suis dit laquo Arrecircte tes conneries pis fais juste vendre raquo Alors je me suisremis agrave vendre pis lagrave tu sais depuis de temps en temps crsquoest le party maiscrsquoest rare Pis lagrave moeacute maintenant jrsquoorganise plus les affaires pis je faistravailler les jeunes mais crsquoest plus pareil comme avant maintenant ilssont sur le smack pis crsquoest ben difficile de les faire travailler comme y fauthellip

Pourtant malgreacute cette inteacutegration dans une eacuteconomie souterraine

largement organiseacutee autour de la drogue ces jeunes demeurent tregraves proches

de la rue Ils vivent au mecircme rythme que les autres jeunes concentrant

leurs activiteacutes la nuit La disparition de certains de ces jeunes peut laisser

supposer que la rue ne leur a servi que de tremplin vers drsquoautres activiteacutes

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90 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

davantage centreacutees sur la supervision Mathieu par exemple a disparu agrave

la fin de la deuxiegraveme anneacutee de notre terrain Rencontreacute par hasard agrave

quelques reprises depuis il mrsquoexplique qursquoil laquo gegravere ses affaires agrave distance raquo

La description de cette trajectoire de rue transition montre que les

projets associeacutes agrave la rue peuvent ecirctre varieacutes et conduire agrave des chemine-

ments diffeacuterents Certes plus la trajectoire de rue est longue plus le

deacutecrochage des autres espaces sociaux est reacuteel bien qursquoil ne signifie pas

toujours lrsquoengagement dans le milieu criminel au sens strict du terme Il

importe cependant de distinguer les jeunes qui srsquoengagent dans des acti-

viteacutes criminelles pour subvenir agrave leurs besoins essentiels la majoriteacute de

ceux qui le font pour se payer une appartenance agrave la socieacuteteacute de consom-

mation Drsquoailleurs dans leur analyse de la deacutelinquance des jeunes de la

rue agrave Toronto et agrave Vancouver Hagan et McCarthy (1997) expliquent

qursquoon est le plus souvent en preacutesence drsquoune deacutelinquance de survie et

acquisitive Lorsqursquoil srsquoagit de jeunes qui aspirent agrave preacutesenter une cer-

taine reacuteussite sociale la lecture de lrsquoengagement dans des activiteacutes quali-

fieacutees de criminelles renvoie parfois plus agrave la lecture mertonienne de la

reacuteussite sociale qursquoagrave la lecture drsquoune pathologie du controcircle social person-

nel proposeacutee par Gottfredson et Hirshi (1990) En deacutegageant une diversiteacute

de trajectoires notre analyse a permis de constater que lrsquoengagement

criminel comme mode de reacuteussite sociale nrsquoest qursquoune traduction possible

de la conjonction entre une expeacuterience biographique et des logiques

drsquoacteurs structurants comme le milieu criminel ou le milieu reacutepressif

La question des processus de stigmatisation et de criminalisation lieacutes

agrave lrsquoappartenance sociale semble en effet jouer davantage dans la compreacute-

hension des trajectoires de rue que ne le fait tout autre eacuteleacutement des

theacuteories criminologiques Les trajectoires de rue comme forme de tran-

sition vers une inscription sociale qualifieacutee de deacuteviante sont le fait des

jeunes qui connaissent les contextes de fragilisation les plus grands en

amont de la rue Cette pauvreteacute eacuteconomique relationnelle et culturelle

les oblige le plus souvent agrave eacutelaborer des strateacutegies de deacutebrouillardise qui

les opposent agrave une intervention reacutepressive marquant une deacutesapprobation

sociale agrave leur endroit4 Cette reacutepression contribue alors agrave structurer un

parcours de criminalisation qui renforce leur engagement dans des acti-

viteacutes criminelles Cette dynamique sociale ougrave srsquoaffrontent lrsquoindividu et les

institutions reacutepressives devient le terreau drsquoune trajectoire criminelle des

jeunes en situation de rue

4 Pour une analyse plus approfondie des enjeux de classe autour des trajectoires de ruedes jeunes voir Bellot (2003)

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 91

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Nous verrons ainsi dans la preacutesentation du troisiegraveme type de trajec-

toire comment lrsquoexpeacuterience de la rue est deacutefinie comme une forme de

captiviteacute voire drsquoalieacutenation du sujet dont le jeune deacutesespegravere de sortir

333 LA RUE UN ENFERMEMENT

Voir la trajectoire de rue sous la forme drsquoun enfermement contribue agrave

rendre compte du rapport captif qursquoentretiennent certains jeunes avec le

monde social de la rue Lrsquoideacutee de lrsquoenfermement renvoie au fait que ces

jeunes se sentent prisonniers de cet espace Ils souhaitent ainsi en sortir

font parfois des tentatives mais y reviennent toujours Lrsquoenfermement

vient donc de lrsquoabsence de possibiliteacutes de vivre ailleurs que dans la rue Il

srsquoaccompagne souvent drsquoune consommation de drogues injectables qui a

fait exploser le projet drsquoune expeacuterience de la rue en tant que quecircte drsquoindeacute-

pendance de liberteacute et drsquoautonomie Le passage drsquoune trajectoire eacutepisodeagrave une trajectoire enfermement exprime le plus souvent le manque drsquooppor-

tuniteacutes preacutesentes pour faire de la sortie de rue un projet Cette trajectoire

drsquoenfermement donne le plus souvent le sentiment drsquoun cercle vicieux

entre la logique de survie qui conduit agrave prendre de plus en plus de

risques et la logique de consommation qui conduit agrave devenir de plus en

plus deacutependant Il importe de consideacuterer que lrsquoensemble de lrsquounivers de

ces jeunes se reacutesume agrave la rue ou tout au moins agrave quelques rues ougrave

srsquoeacutetablit leur quotidien

Cet enfermement dans la rue accompagne ainsi une trajectoire de

consommation ougrave la drogue notamment par injection est devenue la

ligne biographique dominante de lrsquoindividu (Ogien 1995) Ainsi pour

ces jeunes la drogue prend toute la place dans leur quotidien et agrave ce

titre construit leur appartenance agrave la rue Ils se disent des laquo junkies de la

rue raquo bien plus que des jeunes de la rue Ils vivent alors une forme drsquoalieacute-

nation de leur expeacuterience biographique de la rue La routine nrsquoest pas

alors la survie mais la drogue elle-mecircme leur vie eacutetant rythmeacutee non plus

par le ballottement de ressource drsquoaide en ressource drsquoaide mais drsquoune

injection agrave une autre drsquoun dix dollars agrave un autre dix dollars

La vie sans reacutepit qursquoimpose la drogue conduit les jeunes vivant cette

trajectoire de rue dans une logique de prise de risque toujours grandis-

sante logique qui les enferme toujours un peu plus dans un cercle vicieux

Cependant mecircme si ces jeunes semblent entraicircneacutes dans une spirale sans

fin ils conservent aussi minime soit-elle une marge de manœuvre notam-

ment celle de garder autour drsquoeux des acteurs susceptibles de leur propo-

ser un changement Agrave cet eacutegard la preacutesence et lrsquointervention eacuteventuelle

des travailleurs de rue sont primordiales dans la mesure ougrave ces derniers

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92 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

apportent des propositions de changement de limitation des meacutefaits de

la drogue dans la routine mecircme de vie de ces jeunes Ils seront drsquoailleurs

les acteurs que les jeunes utiliseront le plus lorsqursquoils seront precircts agrave sortir

de lrsquoinjection

En attendant cette trajectoire de rue fortement associeacutee agrave la consom-

mation de drogues injectables inscrit la routine de ces jeunes dans une

quecircte incessante drsquoargent Les strateacutegies de survie qursquoils vont employer

seront plus diversifieacutees tous les moyens pour faire de lrsquoargent sont bons

Cette dynamique eacuteconomico-compulsive les conduit agrave preacutefeacuterer les strateacute-

gies les plus payantes mecircme si le plus souvent le quotidien se construit

de dix dollars en dix dollars le prix drsquoune dose agrave Montreacuteal Ils vivront

alors davantage la rue seuls ou en petits groupes Cette trajectoire de rue

devenue de plus en plus freacutequente chez les jeunes rencontreacutes au cours de

notre terrain paraicirct cependant ecirctre davantage une trajectoire de consom-

mation de drogues injectables dans la mesure ougrave les jeunes qui srsquoy trouvent

inscrits appartiennent plus au monde social de la drogue que de la rue

Cette trajectoire reacutevegravele une transformation nette du pheacutenomegravene

deacutefini comme celui des laquo jeunes de la rue raquo En effet le passage drsquoune

routine caracteacuteriseacutee par la culture punk et le squeegee agrave celle drsquoune rou-

tine axeacutee sur la consommation drsquoheacuteroiumlne ou de cocaiumlne a modifieacute la

plupart des rapports sociaux qursquoentretenaient les jeunes Crsquoest dans le

cadre de ces trajectoires que la difficulteacute des conditions de vie est la plus

preacutegnante En effet ces trajectoires expriment une lutte incessante contre

soi et contre les autres La logique du deacutesespoir est criante pour ces

jeunes Il est donc important de comprendre que le rapport de ces jeunes

agrave la rue nrsquoest plus identitaire mais strictement utilitaire Crsquoest dans la rue

que ceux-ci trouvent lrsquoargent neacutecessaire agrave leur consommation Drsquoailleurs

ils associent agrave cet espace tous leurs maux et leur situation de captiviteacute

Ainsi pour eux sortir de la rue ndash ou plus exactement du centre-ville ndash

leur permettra de se libeacuterer de cet enfermement qursquoimpose la drogue

Paradoxalement la rue devient pour eux une prison dont il leur est dif-

ficile de srsquoeacutevader Si la prison peut alors devenir un lieu de rupture avec

cet enfermement dans la drogue elle renforce drsquoun autre cocircteacute la margi-

nalisation des individus qui risquent de retourner agrave la rue degraves leur sortie

Pour drsquoautres la rupture sera moins brutale Elle se construira progres-

sivement dans une deacutecision de sortie qui sera accompagneacutee par des

interventions sociales et meacutedicales visant agrave freiner lrsquoalieacutenation et la

marginalisation de ces jeunes

Jonathan mentionnera ainsi apregraves deux anneacutees de consommation

de cocaiumlne et drsquoheacuteroiumlne veacutecue dans la rue que son arrestation et sa condam-

nation agrave une peine de prison de plus de deux ans ont eacuteteacute lrsquoarrecirct drsquoagir

dont il avait besoin pour se sortir de la drogue

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CONCLUSION

La description de ces diffeacuterentes formes de trajectoires de rue permet de

sortir drsquoune vision steacutereacuteotypique du pheacutenomegravene des jeunes de la rue

puisque la rue nrsquoest alors pas simplement perccedilue comme un espace dia-

bolique Elle peut toutefois le devenir lorsque la marge de manœuvre des

jeunes se reacuteduit agrave un laquo choix raquo entre deux expeacuteriences laquo deacutesinseacuterantes raquo

Dans ce contexte il importe de retenir que lrsquoexpeacuterience des jeunes en

situation de rue est drsquoabord et avant tout lrsquoexpression de difficulteacutes drsquoinser-

tion sociale notamment en raison drsquoun manque reacuteel de possibiliteacutes et de

la preacutesence de contraintes majeures qui limitent plus ou moins leur capa-

citeacute drsquoaction Dans ce contexte il faut penser lrsquointervention comme un

moyen de maintenir et de construire avec les jeunes des opportuniteacutes

qui leur permettront de surmonter leurs difficulteacutes Dans cette perspec-

tive lrsquoanalyse des trajectoires de rue des jeunes pourrait devenir un outil

majeur tant en intervention qursquoen recherche pour porter un regard sur

la complexiteacute de leur situation sur la nature de lrsquoexpeacuterience biographique

que reacutealise la rue mais aussi sur les forces de structuration que deacuteploient

les interventions notamment reacutepressives en renforccedilant les meacutecanismes de

stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent ces jeunes Certes le suivi de

certains jeunes au-delagrave de ce terrain permet drsquoespeacuterer Lrsquoexpeacuterience bio-

graphique de la rue comprend aussi la dimension sortie Dans la trajec-

toire de rue eacutepisode cette sortie ne semble pas poser de difficulteacutes majeures

lrsquoexpeacuterience de la rue nrsquoeacutetant qursquoun eacuteleacutement de structuration du parcours

biographique Par contre lorsque la rue a contribueacute agrave deacutestructurer lrsquoexpeacute-

rience biographique du jeune le travail drsquoaffranchissement est laborieux

les marges de manœuvre parfois tregraves eacutetroites pour lutter contre lrsquoexacer-

bation des ineacutegaliteacutes sociales et des rapports de stigmatisation structureacutes

par lrsquoaction des institutions reacutepressives auxquelles la vie dans la rue a

conduit Sortir de la rue signifie alors faire face et lutter contre des iden-

titeacutes multiples deacutegradeacutees socialement jeune de la rue itineacuterant toxico-

mane deacutetenu deacutelinquant et drsquoautres encore

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LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

Leur signification dans

une trajectoire de vie

M

ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et agrave lrsquoIRDS

S

YLVIE

H

AMEL

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresIRDS Universiteacute de Montreacuteal

M

ICHEgraveLE

F

OURNIER

Eacutecole de criminologie Universiteacute de Montreacuteal

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce nrsquoest pas drsquohier que les chercheurs srsquointeacuteressent au pheacutenomegravene des

gangs de rue qursquoon tente de percer le secret de leur organisation de faire

le point sur leurs activiteacutes deacutelinquantes Les premiers travaux recenseacutes en

la matiegravere datent de 1927 alors que Trasher recensait 1 313 gangs aux

Eacutetats-Unis Depuis de nombreuses eacutetudes ont vu le jour visant toutes

jusqursquoagrave tregraves reacutecemment agrave preacuteciser agrave partir drsquoeacuteleacutements statistiques quan-

titatifs la structure des gangs leur composition (sexe acircge origine ethnique

rocircle des membres) la preacutesence de rites et de symboles de territoires

reacuteserveacutes

1

Si ces eacutetudes ont le meacuterite de lever le voile sur lrsquoorganisation

des gangs fournissant un portrait en quelque sorte meacutecaniste de leur

fonctionnement elles ne disent rien des membres qui les composent de

leurs motivations agrave joindre le gang des expeacuteriences qursquoils y vivent et de

la signification qursquoils y accordent ndash faisant en sorte qursquoils y restent lieacutes plus

ou moins longtemps ndash et des raisons qui les conduisent agrave vouloir un jour

en sortir En somme on ne sait rien de lrsquoapport des gangs dans la

trajectoire de vie des jeunes

Si tel est le cas crsquoest que les meacutethodes traditionnellement employeacutees

pour aborder la question des gangs ne permettaient pas la collecte du

mateacuteriel neacutecessaire agrave la documentation de cet aspect du laquo pheacutenomegravene des

gangs raquo Depuis maintenant quelques anneacutees notre eacutequipe Jeunesse et

gangs de rue srsquoemploie notamment agrave explorer cette face cacheacutee de la

reacutealiteacute des gangs Agrave cette fin il nous a sembleacute que la seule source de

donneacutees envisageable tenait aux jeunes eux-mecircmes ceux qui ont fait

lrsquoexpeacuterience des gangs Crsquoest donc par une approche essentiellement qua-

litative en donnant la parole aux jeunes dans le cadre drsquoentrevues semi-

dirigeacutees de type reacutecits drsquoexpeacuterience que nous avons conduit plusieurs de

nos recherches Et crsquoest le reacutesultat de ces travaux que nous voulons livrer

dans le cadre du preacutesent chapitre Ce faisant nous montrerons quelle

contribution suppleacutementaire les meacutethodes qualitatives apportent agrave la

connaissance drsquoun aspect neacutegligeacute du pheacutenomegravene des gangs de rue lrsquoexpeacute-

rience que vivent les jeunes en lien avec les gangs de rue Nous verrons

comment une telle approche vient influencer les propositions de solutions

formuleacutees pour faire face au pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutetude Cette version renou-

veleacutee de lrsquointervention survient au moment mecircme ougrave lrsquointervention tradi-

tionnellement preacuteconiseacutee essentiellement reacutepressive se heurte agrave des

reacutesultats fort peu probants

1 Parmi les incontournables mentionnons les travaux de Spergel (1965 1995) Klein(1967 1995) Yablonsky (1970) Thornberry (1987 1998) Jankowski (1991) Pour unerecension des eacutecrits sur la question voir Heacutebert Hamel et Savoie (1997)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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41 LA PAROLE AUX JEUNES

Crsquoest donc en recourant agrave une approche qualitative que nous avons entre-

pris de tenter de faire le point sur lrsquoexpeacuterience que vivent les jeunes en

lien avec les gangs de rue Les entrevues que nous avons meneacutees aupregraves

de jeunes membres et ex-membres de gangs selon leur propre aveu pre-

naient la forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes ayant pour but de laisser le plus

de latitude possible agrave lrsquointervieweacute dans la narration de son expeacuterience en

lien avec les gangs de rue tout en nous assurant qursquoun certain nombre

de theacutematiques eacutetaient systeacutematiquement couvertes les raisons ayant

conduit le jeune agrave se lier aux gangs les diverses expeacuteriences veacutecues du

fait de son lrsquoaffiliation au gang ndash expeacuteriences de deacutelinquance et de consom-

mation de substances psychotropes certes mais aussi expeacuteriences drsquointer-

actions sociales et sentiments srsquoy rattachant ndash ainsi que les raisons ayant

motiveacute son retrait des gangs et les difficulteacutes veacutecues en lien avec la sortie

le cas eacutecheacuteant Nous insisterons sur le premier et le dernier aspect car il

nous semble que crsquoest lagrave que les connaissances nouvelles issues de lrsquoapproche

qualitative sont les plus prometteuses au regard drsquoune intervention visant

la preacutevention de lrsquoadheacutesion ou de la poursuite de lrsquoadheacutesion des jeunes

aux gangs de rue

Les reacutesultats que nous preacutesentons ici sont issus de deux recherches

et srsquoinspirent de plusieurs autres eacutetudes que nous avons meneacutees sur le

sujet des jeunes et des gangs de rue ainsi que du rapport de lrsquoun agrave lrsquoautre

La premiegravere recherche (Hamel Fredette Blais et Bertot 1998) srsquoest

inteacuteresseacutee agrave un eacutechantillon de 31 jeunes garccedilons et filles membres ou

anciens membres de gangs La deuxiegraveme a plus speacutecifiquement porteacute sur

le cheminement et lrsquoexpeacuterience des jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue

agrave Montreacuteal

La formule emprunteacutee pour la reacutealisation des entrevues tente de

suivre la trajectoire des jeunes qui les megravene agrave se trouver dans le sillage

des gangs de rue agrave srsquoy associer agrave y vivre un certain nombre drsquoexpeacuteriences

et dans certains cas agrave srsquoen deacutetacher Il est alors question des processus

drsquoaffiliation drsquoinitiation drsquoassociation et de deacutesaffiliation le cas eacutecheacuteant

Du mecircme souffle lrsquoaccent est mis sur un certain nombre de thegravemes les

motifs conduisant les jeunes agrave laquo flirter raquo avec les gangs les besoins qursquoils

cherchent agrave combler en srsquoy associant les sentiments qui les animent et

les conduisent agrave poursuivre leur affiliation et eacuteventuellement agrave vouloir y

mettre fin

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

42 MEacuteTHODOLOGIE

Les deux eacutetudes prises en compte dans le preacutesent chapitre se fondent sur

des eacutechantillons des modes de collecte et drsquoanalyse des donneacutees qui bien

que conduisant tous agrave une approche qualitative de la question agrave lrsquoeacutetude

se dessinent de maniegravere assez diffeacuterente

421 Eacute

CHANTILLONS

Lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(1998) meneacutee dans la reacutegion de Montreacuteal srsquoadresse

agrave un eacutechantillon de 31 jeunes (21 garccedilons et 10 filles) ayant fait lrsquoexpeacute-

rience des gangs Ces derniers sont acircgeacutes de 14

2

agrave 25 ans ayant 18 ans en

moyenne Vingt-trois drsquoentre eux sont drsquoex-membres de gangs de rue

alors que les huit autres se deacuteclarent membres actifs au moment de lrsquoentre-

tien Ils se sont joints aux gangs agrave lrsquoacircge de 13 ans en moyenne pour un

passage qui dure trois ans en moyenne toujours (la dureacutee variant entre

quelques mois et plusieurs anneacutees) Ils sont tous francophones mais drsquoori-

gines ethniques diverses Onze drsquoentre eux ont connu lrsquoimmigration et

huit autres ont au moins un parent qui a veacutecu une telle expeacuterience

lrsquoAmeacuterique latine et Haiumlti eacutetant les lieux de provenance les plus repreacutesen-

teacutes Vingt-quatre jeunes habitent ordinairement avec au moins un de leurs

parents tandis que les sept autres vivent de maniegravere indeacutependante Au

moment de lrsquoentrevue vingt-deux faisaient lrsquoobjet drsquoune prise en charge

par un centre jeunesse Pour ce qui est de la scolariteacute elle se situe pour

la plupart drsquoentre eux (2431) entre la premiegravere et la quatriegraveme anneacutee

du secondaire accusant un retard important

Lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude de Fournier (2003) eacutegalement meneacutee dans

la reacutegion de Montreacuteal est constitueacute uniquement de jeunes filles Ces filles

ont en moyenne 159 ans la plus jeune ayant 14 ans et la plus acircgeacutee 24

Elles se joignent agrave un gang de rue pour la premiegravere fois en moyenne agrave

lrsquoacircge de 125 ans et quittent en moyenne toujours agrave lrsquoacircge de 148 ans

Quatre drsquoentre elles sont drsquoorigine canadienne (leurs deux parents sont

Canadiens) trois sont drsquoorigine mixte (un parent canadien et lrsquoautre

drsquoorigine diffeacuterente) et six sont drsquoorigine autre que canadienne (aucun

des deux parents nrsquoest Canadien) Au moment ougrave nous les rencontrons

la dureacutee moyenne de leur affiliation aux gangs est de 17 mois Neuf

drsquoentre elles ont laisseacute le gang alors que les quatre autres affirment y ecirctre

2 La limite infeacuterieure de 14 ans est fixeacutee parce que avant cet acircge le consentement desparents est requis pour la participation du jeune agrave une eacutetude quelle qursquoelle soit Orles jeunes ne souhaitent pas neacutecessairement que leur participation aux gangs de ruesoit reacuteveacuteleacutee agrave leurs parents du fait de leur participation agrave une eacutetude portant sur le sujetsituation que nous avons voulu eacuteviter

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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encore affilieacutees Au moment de lrsquoentrevue neuf des treize jeunes filles

preacutesentaient un retard scolaire srsquoeacutetalant entre un et quatre ans variable

selon les matiegraveres Bien que la plupart des jeunes filles rencontreacutees

avouent ne pas veacuteritablement connaicirctre la situation eacuteconomique de leurs

parents leur reacutecit laisse entendre qursquoelles viennent majoritairement de

familles deacutemunies qui eacuteprouvent de surcroicirct diverses autres difficulteacutes

qursquoelles reacutevegravelent au fil de leur teacutemoignage violence psychologique phy-

sique ou sexuelle au sein de la famille toxicomanie problegravemes de santeacute

mentale ou physique des parents Drsquoailleurs dix drsquoentre elles ne vivent

plus qursquoavec un seul de leurs parents biologiques Toutes sauf une font

lrsquoobjet drsquoun placement en centre jeunesse en vertu de la Loi sur la pro-

tection de la jeunesse (LPJ) jamais sous le couvert de la Loi sur le systegraveme

de justice peacutenale des adolescents

(LSJPA anciennement Loi des jeunes

contrevenants LJC)

Pour les deux eacutetudes les eacutechantillons de jeunes sont constitueacutes agrave

lrsquoaide de la technique du tri expertiseacute (Angers 1996) laquelle consiste agrave

faire appel agrave un intervenant qualifieacute (qui dans ces cas travaille en centre

jeunesse) appeleacute agrave repeacuterer au sein de sa clientegravele ceux et celles qui

correspondent aux critegraveres drsquoeacutechantillonnage

3

Il les aborde leur fait part

de la tenue de lrsquoeacutetude de ses objectifs et des modaliteacutes de reacutealisation de

celle-ci et leur demande ensuite srsquoils seraient inteacuteresseacutes agrave y participer

auquel cas il les met en relation avec les chercheures

422 I

NSTRUMENTS

DE

COLLECTE

ET

ANALYSE

DES

DONNEacuteES

Dans le cas de lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(2003) un questionnaire contenant

agrave la fois des questions ouvertes et des questions fermeacutees a eacuteteacute adresseacute aux

jeunes Les questions ouvertes leur permettraient de srsquoexprimer drsquoabord

librement sur les thegravemes abordeacutes avant que ceux-ci ne soient approfondis

de faccedilon plus systeacutematique agrave lrsquoaide de questions fermeacutees Ainsi le question-

naire comprend 24 questions ouvertes et 109 questions fermeacutees destineacutees

ensemble agrave couvrir les thegravemes suivants 1) les donneacutees sociodeacutemogra-

phiques concernant le jeune et sa famille 2) lrsquoentreacutee du jeune dans les

gangs 3) lrsquoeacutecologie sociale du jeune ayant fait lrsquoexpeacuterience des gangs

4) lrsquoorganisation du gang et lrsquoexpeacuterience du jeune au sein de celui-ci 5) la

3 Les ex-membres devaient avoir entrepris un processus seacuterieux de deacutesaffiliation pourecirctre qualifieacutes comme tels Ceux-ci ne devaient plus se consideacuterer et ecirctre consideacutereacutes parleur intervenant comme membres actifs Les membres actifs devaient quant agrave eux ecirctrelieacutes agrave des groupes qui se livrent de maniegravere reacuteguliegravere agrave des actes de criminaliteacute et deviolence en lien avec les activiteacutes du gang Aucun jeune ne devait ecirctre reacutefeacutereacute unique-ment sur la base drsquoimpressions Il devait avoir eacuteteacute eacutetabli que les jeunes freacutequentaientdes groupes reconnus comme eacutetant des gangs de rue ceux-ci se livrant reacuteguliegraverementagrave des actes de deacutelinquance lucrative ou violente

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102

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sortie du gang et 6) les solutions agrave apporter au pheacutenomegravene des gangs agrave

Montreacuteal Nous nous inteacuteressons ici plus particuliegraverement aux propos

tenus par les jeunes en reacuteponse aux questions ouvertes prenant la forme

drsquoune consigne large du genre laquo Jrsquoaimerais que tu me racontes comment

cela srsquoest passeacute lorsque tu es entreacute(e) dans un gang pour la premiegravere fois ndash

comment ccedila srsquoest fait raquo qui leur laissait une grande latitude pour mettre

lrsquoaccent sur les aspects les plus significatifs pour eux du thegraveme abordeacute

Dans son eacutetude Fournier (2003) srsquointeacuteresse strictement aux points

de vue des jeunes filles relativement agrave lrsquoexpeacuterience qursquoelles ont veacutecue dans

et avec les gangs Dans cette perspective lrsquoauteure adopte une approche

reacutesolument qualitative srsquoappuyant sur le reacutecit drsquoexpeacuterience lequel permet

de mettre lrsquoaccent sur une partie de la vie de la personne deacutelimiteacutee plus

speacutecifiquement autour drsquoune dimension de celle-ci en lrsquooccurrence

lrsquoadheacutesion aux gangs Ces reacutecits sont organiseacutes suivant une seacutequence tem-

porelle qui permet de suivre la chronologie des eacuteveacutenements Ils deacutebutent

agrave partir drsquoune consigne de deacutepart large laquo

Jrsquoaimerais que tu me parles de tonexpeacuterience avec les gangshellip

raquo et se poursuivent en visant drsquoabord agrave preacuteciser

la chronologie des eacuteveacutenements par des relances du type laquo

Avant cette peacuteriodeque srsquoest-il passeacute

raquo ou laquo

Apregraves cela qursquoest-il arriveacute

raquo tentant par lagrave de preacuteciser

la seacutequence ou la configuration des eacuteleacutements entourant un eacuteveacutenement en

particulier ou une seacuterie drsquoeacuteveacutenements Des relances theacutematiques sont eacutega-

lement preacutevues au canevas drsquoentretien Elles visent pour leur part agrave appro-

fondir certains aspects preacutedeacutefinis de la probleacutematique agrave lrsquoeacutetude

Le mateacuteriel drsquoentrevue fourni par les questions ouvertes dans le cas

de lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(1998) et la totaliteacute des entrevues pour celle de

Fournier (2003) retranscrit inteacutegralement est drsquoabord soumis agrave une ana-

lyse verticale concernant chaque entrevue prise pour elle-mecircme dans le

but de deacutegager les principales dimensions abordeacutees par chacun des inter-

vieweacutes Une analyse transversale est ensuite reacutealiseacutee visant cette fois agrave

reacuteveacuteler les convergences aussi bien que les divergences qui apparaissent

dans les propos tenus par chacun des intervieweacutes sur chacun des thegravemes

retenus dans le cours de la premiegravere analyse

Il srsquoagit lagrave somme toute drsquoun canevas de recherche qualitative assez

classique mais qui nrsquoavait pas eacuteteacute utiliseacute aupregraves des jeunes membres de

gangs Celui-ci srsquoenrichit du fait que nous avons tenteacute de respecter la

structure chronologique des eacuteveacutenements survenus dans la vie des jeunes

agrave partir du moment ougrave ils ont commenceacute agrave frayer avec les gangs de rue

Ainsi nous avons pu tracer la petite histoire de lrsquoexpeacuterience veacutecue par les

jeunes en lien avec les gangs en ayant pour point de deacutepart le processus

drsquoaffiliation et en allant jusqursquoau processus de deacutesaffiliation Nous avons

drsquoailleurs deacutecouvert agrave cette occasion qursquoil fallait nous attarder aux proces-

sus au lieu de parler en termes de moments ou mecircme drsquoeacutetapes

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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43 LA PAROLE DES JEUNES

Au fil des entrevues les jeunes nous apprennent qursquoils ont eacuteteacute attireacutes par

les gangs parce que ceux-ci leur permettaient de combler des besoins de

valorisation drsquoappartenance de reacutealisationhellip qursquoaucune autre institution

sociale ne leur permettait de satisfaire

Les jeunes nous apprennent aussi nous le soulignions que lrsquoadheacute-

sion aux gangs relegraveve le plus souvent drsquoun processus bien plus que drsquoun

coup de cœur ou drsquoune situation isoleacutee de coercition comme on avait pu

le laisser entendre Les jeunes les filles en particulier sont seacuteduits par les

membres de gangs agrave travers un proceacutedeacute complexe qui conduit agrave leur

recrutement

Les jeunes qui se laissent ainsi seacuteduire preacutesentent ordinaire-

ment diffeacuterents espaces de vulneacuterabiliteacute qui les disposent drsquoune certaine

maniegravere agrave se rapprocher des gangs ils viennent de familles qui vivent des

difficulteacutes (besoin de seacutecuriteacute) ou qui srsquointeacuteressent trop ou pas assez agrave eux

(besoins de reconnaissance de valorisation) ils vivent des difficulteacutes

drsquointeacutegration sociale (besoin drsquoappartenance) des difficulteacutes scolaires

(besoin de reconnaissance et de valorisation) ou des expeacuteriences de vic-

timisation agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de la famille (besoin de protec-

tion) Ils trouvent dans les gangs agrave combler ces besoins et srsquoen voient au

moins pour un temps reacuteconforteacutes Ainsi se trouve mis au jour un reacutesultat

ineacutedit traduisant le fait qursquoau-delagrave de la

violence et de la criminaliteacute qursquoil

geacutenegravere le pheacutenomegravene des gangs de rue est associeacute agrave un problegraveme encore

plus important et troublant agrave nos yeux les jeunes deacutecouvrent dans les

gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs de combler diffeacute-

rents besoins fondamentaux

Tout le temps que dure lrsquoaffiliation des jeunes au gang il apparaicirct

que ceux-ci sont litteacuteralement enivreacutes par lrsquointensiteacute des rapports qursquoils

deacuteveloppent dans ces groupes Cela ne veut pas dire qursquoils ne vivent pas

des sentiments contradictoires faits tout agrave la fois drsquoivresse et de peur mais

le sentiment qui transcende et qui surgit dans leur reacutecit comme un cri

du cœur est celui drsquoavoir trouveacute de

vrais amis

Les reacutecits que les jeunes nous font permettent de comprendre pour-

quoi les interventions traditionnellement favoriseacutees pour faire face au

pheacutenomegravene des gangs de nature essentiellement reacutepressive nrsquoont ordi-

nairement pas reacuteussi agrave atteindre leur objectif eacuteradiquer le pheacutenomegravene

des gangs Car agrave partir du moment ougrave les besoins que les jeunes cherchent

agrave y combler ne sont pas satisfaits il ne faut pas srsquoeacutetonner que le deacuteman-

tegravelement drsquoun gang se reacutevegravele temporaire le temps que lrsquoorganisation se

reacuteorganise

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104

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si lrsquoensemble des reacutesultats de nos recherches teacutemoignent avec force

du mal-ecirctre de ces jeunes qui srsquoen remettent aux gangs pour satisfaire des

besoins qui ne semblent pas avoir eacuteteacute combleacutes ailleurs et pour nouer des

liens qursquoils ne semblent pas entretenir et pouvoir deacutevelopper ailleurs ils

teacutemoignent aussi de la meacuteconnaissance drsquoune telle reacutealiteacute

431 L

ES

JEUNES

PARLENT

DE

LA

FACcedilON

DONT

ILS

EN

SONT

VENUS

Agrave

SE

JOINDRE

AUX

GANGS

Lorsqursquoon demande aux jeunes les raisons qui les ont ameneacutes agrave se joindre

aux gangs les reacuteponses surprennent un peu Pour certains comme Davis

ou Simon lrsquoadheacutesion aux gangs paraicirct srsquoecirctre imposeacutee tout simplement

comme une eacutevidence un incontournable Elle srsquoest faite tout naturelle-

ment Un fregravere un ami en faisait deacutejagrave partie et il eacutetait en quelque sorte

convenu qursquoils en fassent aussi partie

Jrsquoai toujours eacuteteacute plongeacute dans cet univers-lagrave Jrsquoai toujours eacuteteacute conscient deccedila Les gangs ont toujours fait partie de mon environnement Ils eacutetaientdans mon quartier dans mon eacutecole Crsquoeacutetaient mes amis Je savais ce quecrsquoeacutetait une gang Mon fregravere en faisait aussi partie Pour moi crsquoeacutetait unedeuxiegraveme famille Jrsquoavais ccedila dans le sanghellip Quand je voyais mon fregravere jesavais qursquoun jour je serais avec eux autres

(Davis 17 ans dans Hamel

et al

1998)

Moi jrsquoai grandi avec les gangs de rue crsquoest plus pour ccedila que jrsquoai eacuteteacute inteacutegreacutelagrave-dedans parce que je voyais comment ccedila se passait et mes fregraveres eacutetaientlagrave-dedans et mes cousins

[hellip]

Un jour ou lrsquoautre il y en avait beaucoupqui savaient que jrsquoallais rentrer lagrave-dedans

[hellip]

Yrsquoa pas une fille qui peutme dire qursquoelle a grandi avec ces gars-lagrave et qui est pas comme eux Si cettefille-lagrave me dit ccedila cette fille-lagrave je la respecte parce que wow Vivre avec euxcrsquoest gravehellip ils sont en dedans de toi tout ce que tu fais et tu dis crsquoestquasiment eux Crsquoest quasiment eux autres qui trsquoont donneacute ton eacuteducationsans que tu le saches

(Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Drsquoautres au contraire expliquent qursquoils nrsquoavaient jamais vraiment

songeacute agrave se lier agrave un gang Ils nrsquoauraient drsquoailleurs mecircme pas saisi au

deacutepart en se joignant agrave un groupe drsquoautres jeunes qursquoils laquo srsquoembarquaient raquo

dans un gang

Dans ma tecircte agrave moi je rentrais dans un cercle drsquoamis pas dans une gangJe ne savais pas que jrsquoentrais dans une gang Je lrsquoai su apregraves

(Odile 24ans dans Hamel

et al

1998)

Je ne savais pas grand-chose sur les gangs En fait je ne savais pas quecrsquoeacutetait une gang Je ne savais pas ce que crsquoeacutetait encore moins comment ccedilafonctionnait Pour moi crsquoeacutetait uniquement un regroupement de gars qui

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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se tenaient ensemble en tant qursquoamis pour la fecirctehellip Je trouvais ccedila extra-ordinairehellip Ce nrsquoest que plus tard que jrsquoai compris qursquoils faisaient desmauvais coups des deals qursquoils participaient agrave des activiteacutes deacutelinquantes

(Noeacutemi 17 ans dans Hamel

et al

1998)

Drsquoautres encore racontent que crsquoest un peu sur lrsquoimpulsion du moment

que lrsquoideacutee leur est venue de former un gang et ce nrsquoest qursquoau fil des

eacuteveacutenements que les activiteacutes du gang ont pris une allure plus deacutelinquante

Il y avait plusieurs gangs dans le quartier Moi et mes chums du primaireque je connais depuis longtemps on eacutetait toujours ensemble Un momentdonneacute on a deacutecideacute de se donner un nom ce qui a provoqueacute des bagarresavec une autre gang du quartier qui existait deacutejagrave et qui a mal reacuteagi aufait qursquoon forme une espegravece de gang La preacutesence de ce gang ennemi estdevenue notre raison drsquoecirctre Crsquoest comme ccedila qursquoon est devenu officiellementun gang de ruehellip Tout eacutetait une question de gang de territoire Il fallaitecirctre supeacuterieur en srsquoaffirmant par des batailles

(Charles 17 ans dansHamel

et al

1998)

Crsquoest moi et mes amis que je connais depuis longtemps qursquoon a formeacute ungang Je ne suis pas entreacute dans un gang on a grandi ensemblehellip Un soirmoi et mes chums on eacutecoutait un film Crsquoeacutetait lrsquohistoire drsquoun gang de NewYork qui avait deacutejagrave existeacute On a deacutecideacute que le nom de cet ancien gang allaitdevenir le nocirctre Crsquoest lagrave que les vraies affaires ont commenceacutehellip On acommenceacute agrave trois ou quatre gars et il y en a drsquoautres qursquoon connaissaitdeacutejagrave qui se sont joint agrave nous tranquillementhellip Ccedila crsquoest fait normalement

(Feacutelix 19 ans dans Hamel

et al

1998)

432 L

ES

JEUNES

EXPLIQUENT

LES

MOTIFS

QUI

LES

ONT

AMENEacuteS

Agrave SE

JOINDRE AU GANG

En ce qui concerne les motifs qui les auraient ameneacutes agrave se joindre agrave un

gang certains disent ecirctre venus y chercher du plaisir de lrsquoaventurehellip par

curiositeacute par deacutefi

Pour moi les gangs de rue crsquoeacutetait le trip drsquoecirctre toujours entoureacute drsquoamis defaire des activiteacutes trippantes le party la drogue les filles Je trouvais ccedila lefun Les gars sont comiques Ils sont cool Jrsquoeacutetais le plus jeune au deacutebutJrsquoeacutetais comme leur petit fregravere Ils prenaient soin de moi Ils me proteacutegeaientIls me traicircnaient partout (Simon dans Hamel et al 1998)

Crsquoeacutetait pas mal drsquoaction ccedila mrsquointeacuteressait ccedila mrsquointriguait Jrsquoai commenceacuteagrave freacutequenter du monde surtout les gangs espagnolshellip Jrsquoeacutetais un peu fofolleje voulais de lrsquoaventure (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)

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106 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Crsquoeacutetait cool Ccedila faisait marginal Ccedila mrsquoattirait Les gens avaient lrsquoair desrsquoaimer Crsquoeacutetait comme un esprit de famille Je pensais que crsquoeacutetait le bonheurle paradishellip Mais crsquoest surtout la curiositeacute qui mrsquoa attireacutee agrave eux Jrsquoavaisenvie de vivre lrsquoexpeacuterience de vivre quelque chose de nouveau de vivre lavie de gang (Yella 16 ans dans Hamel et al 1998)

Moi jrsquoaime le danger jrsquoaime la peur Nrsquoimporte quand tu vas me direlaquo non va pas lagrave raquo je vais y aller Crsquoest le danger et tu viens de me dire dene pas y allerhellip Je vais y aller pour te prouver que je suis capable de lefaire (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Mais ils sont plus nombreux agrave confier que crsquoest leur situation fami-

liale et sociale largement deacuteteacuterioreacutee qui les a ameneacutes agrave srsquoaffilier aux

gangs Dans le premier cas les jeunes disent srsquoecirctre associeacutes aux gangs afin

drsquoy trouver une nouvelle famille en remplacement de la leur largement

deacuteficiente de leur point de vue agrave combler leurs besoins drsquoattention de

valorisation drsquoamour Les reacutecits de Collin de Marie-Pierre et de Cassandre

ne constituent que trois exemples de telles situations qui se retrouvent

couramment dans les deux eacutetudes

Chez nous crsquoeacutetait lrsquoenfer Jrsquoavais beaucoup de problegravemes familiaux Jrsquoavaisbesoin drsquoune famille Eux ils mrsquoont offert celle que je nrsquoavais jamais eueJe viens drsquoune famille deacutesorganiseacutee sans affection sans preacutesence et ougrave jrsquoaitoujours eacuteteacute diminueacute et traiteacute comme un bon agrave rienhellip Jrsquoavais besoin dugang (Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)

Quand je rechute crsquoest la seule place que je sais que je suis vraiment biendans ma peau Et crsquoest ce que jrsquoaurais aimeacute avoir de mon pegravere [lrsquoamour]mais je peux pas lrsquoavoir de lui Alors crsquoest ccedila qui mrsquoattire lagrave-dedans il ya de la souffrance il y a plein de choses mais il y a aussi beaucoupdrsquoamour et moi jrsquoaime ccedila en recevoir beaucoup parce que jrsquoen ai pas euassez (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Jrsquoai eu une crise drsquoadolescence ougrave je me sentais toute seule ma megravere eacutetaitmaladehellip Ma megravere avait pris un travailleur social jrsquoavais un eacuteducateuret jrsquoavais une personne-ressource agrave lrsquoeacutecolehellip Donc jrsquoavais tout le monde surmon cas parce que ma megravere eacutetait malade Alors jrsquoavais du monde quisrsquooccupait de moi vu que jrsquoeacutetais laisseacutee agrave moi-mecircme et ccedila marchait pas dutouthellip Jrsquoeacutetais deacutelaisseacutee avec qui tu voulais que je sois (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2002)

Crsquoest agrave ce moment que les gangs ont fait irruption dans la vie de

Marie-Pierre par un processus subtil de recrutement au moment ougrave elle

se trouvait en centre drsquoaccueil Le reacutecit de Marie-Pierre est inteacuteressant car

il permet de constater que malgreacute le fait qursquoelle ait eacuteteacute entoureacutee et prise

en charge de toutes parts elle se sentait deacutelaisseacutee On voit ici agrave quel point

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les impressions face agrave une situation peuvent parfois se reacuteveacuteler trompeuses

lorsqursquoelles sont confronteacutees aux perceptions des personnes qui vivent la

situation Il ne srsquoagit pas de dire que la laquo veacuteriteacute raquo de la situation se trouve

drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre Il srsquoagit simplement de signaler qursquoil peut exister ndash

et qursquoil existe mecircme normalement ndash une distorsion entre les impressions

drsquoune part et les perceptions drsquoautre part dont il faut tenir compte En

fait il faut tenir compte aussi bien des unes que des autres pour agir

adeacutequatement face agrave la situation

En ce qui a trait agrave leurs relations sociales plusieurs jeunes disent

avoir rencontreacute pour la premiegravere fois dans les gangs de vrais amis un

thegraveme qui revient sans cesse

Crsquoest venu combler un manque que jrsquoavais manque drsquoamour manquedrsquoattention Quand tu as pas drsquoattention et que tu es adolescente tu veuxparler tu veux faire ci tu veux faire ccedila et qursquoil y a personne qui a le tempsde trsquoeacutecouter et tout le monde te crie des becirctises [hellip] Tu vas les voir euxautres laquo Christ trsquoes cool trsquoes hot trsquoes super comique et ci et ccedila tabarnaneccedila fait changement ccedila lagrave Ccedila me valorisait dans un sens-lagrave (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2003)

Ces gens-lagrave tu le sais quand tu es dans un gang tu as des amies de fillestu as des amis de gars mais pas des fakes des reals Vraiment des vraisamis Tu te dis que cette personne-lagrave elle trsquoaime pour ce que tu es et nonpour ce que tu as (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Deux autres motifs sont encore invoqueacutes par les jeunes pour expli-

quer leur inteacuterecirct agrave se joindre aux gangs un besoin de seacutecuriteacutehellip

Jrsquoavais la protection offerte par la gang Jrsquoai embarqueacute dans un but preacutecis quand il y a une bataille mes amis vont ecirctre lagrave (Vanier 16 ans dansHamel et al 1998)

Moi je me sens proteacutegeacutee parce que je le sais qursquoavec eux autres il peut rienmrsquoarriver de mal Il peut mrsquoarriver quelque chose de mal genre prendre dela drogue ou nrsquoimporte quoi mais si jrsquoai un problegraveme avechellip genre un garsqui veut me casser les deux jambes bien jrsquoappelle mes amis et ils vont veniragrave mon secours (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Dans mon quartier il y avait plusieurs gangs donc plusieurs problegravemesLe gang veut dire pour moi ecirctre avec des amis avoir du funhellip Surtoutavoir une protection Tu vois les rivaux et tu ne sais jamais quand ils tesauteront dessus Le gang trsquoassure une seacutecuriteacute un back-up Il faut que tusois avec quelqursquoun Tu ne peux pas marcher tout seul et aller aux fecirctestout seul Ce nrsquoest pas bon de te promener seul Agrave plusieurs tu es toujoursplus fort (Davis 17 ans dans Hamel et al 1998)

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108 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

hellip et le deacutesir ndash ou le besoin ndash de faire de lrsquoargent rapidement

Lrsquoargent fourni par le gang peut ecirctre vu par le jeune comme une faccedilon

de se procurer des biens qui autrement ne seraient pas agrave sa porteacutee et

qui agrave ses yeux lui confegraverent un certain statut social

Ma megravere avait pas drsquoargent essaye de prendre des cours de ci essaye deprendre des cours de ccedila ccedila coucircte tout le temps de lrsquoargent faire ccedila Tu faisquoi dans ce temps-lagrave Tout le monde srsquohabille en Polo quand crsquoest la modedu Polo et tout le monde srsquohabille en ci et en ccedila et toi tu es habilleacutee enCroteau [magasin bas de gamme] Crsquoest chiant pareil lagrave Ou tout lemonde se promegravene avec cinq cents (dollars) dans les poches et toi tu as troispiastres Lrsquoargent ccedila a aideacute disons Tu vois tout le monde en gros char ettout le monde avec la palette et les bijouxhellip agrave un moment donneacute ccedila faitchier (Marie-Pierre 24 ans dans Hamel et al 1998)

Mais lrsquoargent peut aussi servir des fins de survie notamment pour

les jeunes en fugue Clara par exemple explique qursquoelle a accepteacute de se

joindre agrave un gang uniquement parce qursquoelle voyait lagrave une faccedilon de

pouvoir assurer la poursuite de sa fugue

Crsquoest juste pour avoir de lrsquoargent Moi je me disais dans ma tecircte laquo Je mecache jusqursquoagrave mes 18 ans il faut bien que je commence agrave avoir delrsquoargent raquo Jrsquoavais besoin drsquoargent parce que sinon je pouvais pas ecirctre enfugue (Clara 15 ans dans Fournier 2003)

De ces reacutecits de jeunes qui racontent comment ils en sont venus agrave

se joindre aux gangs ressort une image bien diffeacuterente de celle deacutesincar-

neacutee que donnent les diffeacuterentes typologies qui distinguent globalement

les membres du noyau dur des associeacutes des membres peacuteripheacuteriques des

recrues et des jeunes aspirants (Heacutebert et al 1997) qui tentent de calculer

la proportion de jeunes faisant partie de chacune de ces tranches qui

tentent ensuite de les caracteacuteriser par la part qursquoils prennent aux activiteacutes

deacutelinquantes du groupe oubliant que le gang ne se reacuteduit pas dans

lrsquoesprit des jeunes ordinairement agrave un regroupement de jeunes constitueacute

en vue de commettre une deacutelinquance organiseacutee mais repreacutesente plutocirct

un groupe drsquoamishellip une gang de chums Crsquoest lrsquoimage de jeunes qui expriment

des besoins drsquoappartenance de valorisation de protection ou simple-

ment qui cherchent des occasions de plaisir qui est deacutepeinte ici Des

jeunes qui finalement ressemblent agrave tous les autres jeunes car comme

Freacutechette et Le Blanc (1987) parmi drsquoautres le signalent tregraves pertinem-

ment le deacutesir de se regrouper est un deacutesir tout ce qursquoil y a de plus normal

agrave lrsquoadolescence

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 109

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Enfin on lrsquoaura deacutejagrave senti mais ces deux extraits des entrevues avec

Xavier et avec Lucie le montrent encore plus clairement lrsquoadheacutesion aux

gangs se fait rarement du jour au lendemain Il srsquoagit drsquoun processus

parfois assez long qui conduit agrave y adheacuterer peu agrave peu sans brusquerie

Ainsi Xavier raconte

Un jour je me promenais dans la rue avec un ami et deux filles Crsquoest lagraveque jrsquoai rencontreacute un gang Celui qui semblait le chef srsquoest approcheacute de nouspour nous dire qursquoon eacutetait sur leur territoirehellip On srsquoest mis agrave parler et legars mrsquoa carreacutement demandeacute si je voulais embarquer dans le gang Jrsquoaiaccepteacute de lui donner mon numeacutero de teacuteleacutephone Il mrsquoa appeleacute le lendemainpour me demander encore une fois si jrsquoeacutetais inteacuteresseacute agrave embarquer dans legang Je nrsquoai pas reacutepondu tout de suite mais par curiositeacute sans penseraux conseacutequences je me suis dit laquo pourquoi pas raquo Je ne pensais qursquoaupositif les filles les fecircteshellip Trois jours apregraves le gars me rappelait et jrsquoaccep-tais drsquoembarquer Il mrsquoa alors fixeacute un rendez-vous et ils mrsquoont initieacute(Xavier 21 ans dans Hamel et al 1998)

Et Lucie

Chez nous ccedila nrsquoallait pas bien Jrsquoai alors eacuteteacute placeacutee en centre drsquoaccueilIncapable de vivre lagrave Jrsquoai fait plusieurs fugues en peu de temps Maisquand tu fugues geacuteneacuteralement tu nrsquoas rien Tu es seule sans argent sansplace ougrave aller Alors ccedila te prend pas de temps qursquoon te retourne en centredrsquoaccueil Je ne voulais plus y retourner Une fille mrsquoa proposeacute de me pousseravec elle et elle me dit qursquoelle connaicirct du monde qui pourrait nous cacherAvec sa proposition jrsquoavais la chance de me pousser pour de bon La fillea planifieacute notre fugue et des garccedilons nous attendaient agrave une station demeacutetro Crsquoest lagrave que jrsquoai su que crsquoeacutetaient des gars de gangs Mais bon avecces gars-lagrave jrsquoavais tout argent bouffe vecirctements appartement amishellip Jenrsquoeacutetais plus seule La vie de luxe quoi Tu deacutebarques les meubles sont lagravetu es habilleacutee Ils te sortent 20 $ pour que tu te payes le restohellip Au deacutebutils sont bien finshellip (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)

La derniegravere partie de lrsquoextrait tireacute du reacutecit de Lucie raconte qursquoapregraves

avoir eacuteteacute laquo gacircteacutee raquo et laquo proteacutegeacutee raquo par le gang celle-ci a ducirc payer sa dette

en se prostituant pour le groupe Une situation qui nous a eacuteteacute maintes

fois rapporteacutee et que reacutesume bien Yanie qui a subi le mecircme sort mais

preacutefegravere parler plus globalement de cette situation peut-ecirctre parce qursquoelle

se sent trop eacutemotivement concerneacutee

Agrave chaque fille qui passait ils la seacuteduisaient drsquoune faccedilon la seacuteduction desgangs Ils la seacuteduisaient laquo Je te trouve belle veux-tu mon numeacutero je vaistrsquoappelerhellip raquo Lagrave la fille elle le trouve beau super beau laquo Il est tellementbeau il est tellement gentil je veux ecirctre avec raquo Lagrave elle lui donne son

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110 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

numeacutero Il lrsquoappelle ils sortent ensemble deux ou trois semaines Apregraves ccedilaelle est obligeacutee de le repayer Alors lagrave il dit laquo Tu as les moyens de me payerpar argent ou tu devras travailler pour moi raquo Alors lagrave elle est toute laquo travailler pour toi raquo [hellip] Alors lagrave soit qursquoelle fait de la prostitutionsoit qursquoelle va coucher avec tous ses amishellip (Yanie 14 ans dans Fournier2003)

Ce revirement de situation se vivrait quasi systeacutematiquement lorsque

les jeunes filles sont en fugue srsquoil faut en croire les reacutecits que nous font

celles-ci Sophie raconte cette histoire drsquoune amie qui srsquoest ainsi fait prendre

au jeuhellip une histoire semblable agrave bien drsquoautres que nous avons entendues

Elle eacutetait dans le bus et il y a un gars qui lui dit laquo Salut qursquoest-ce quetu fais raquo Lagrave elle dit laquo Rien je suis en fugue raquo et tout Elle capotait Lagravele gars il lui a dit laquo Viens chez nous viens prendre ta douche tu vas ecirctreagrave lrsquoaise raquo [hellip] Elle est alleacutee chez eux elle a pris sa douche et tout Lagrave elleavait faim alors elle a mangeacute il lui a commandeacute agrave manger Le gars estalleacute lui acheter un manteau il est alleacute lui acheter plein de maquillage [hellip]Et lagrave agrave un moment donneacute il a commenceacute agrave prendre de la drogue avec elleet lagrave il la droguait il la droguait jusqursquoagrave un moment donneacute qursquoil a dit laquo OK tu vas aller danser pour moi raquo [hellip] Crsquoest ccedila bref la fille eacutetait lagrave-dedans et tout et elle dansait pour lui Elle avait plein de cash et agrave lafin crsquoeacutetait rendu qursquoil la battait parce qursquoelle ccedila lui tentait plus de faireccedila ccedila lui tentait plus parce que dans le fond tout le cash qursquoelle faisaitelle lui donnait touthellip (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Enfin certains comme Charles Odile et Rose expriment clairement

que rien nrsquoaurait pu les empecirccher de se joindre au moins pour un temps

au gang qursquoils ont freacutequenteacute

Crsquoeacutetait ma deacutecision Rien ne pouvait empecirccher ccedila Dans ce temps-lagrave audeacutebut on ne faisait rien de mal On eacutetait juste des chums Crsquoeacutetait normalpour moi drsquoecirctre avec eux (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)

Personne nrsquoaurait pu mrsquoempecirccher de me tenir avec ces gars-lagrave Jrsquoai toujourseacuteteacute bien ouverte Je nrsquoai jamais rien cacheacute agrave personne mais je nrsquoeacutecoutaispas Jrsquoeacutetais reacutevolteacutee une rebelle une anti-autoriteacute une eacutegocentrique je nepensais qursquoagrave moi et au fun que je voulais avoir Il fallait que je vivelrsquoexpeacuterience je pense (Odile 24 ans dans Hamel et al 1998)

Tout le monde a essayeacute de me parler et de mrsquoaider mais ccedila nrsquoa rien donneacuteJe ne les eacutecoutais pas Il fallait que je vive lrsquoexpeacuterience Il faut vivre leschoses pour savoir sinon tu trsquoen foushellip Jusqursquoagrave temps que ce soit toi quipayes le prix (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)

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433 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoEXPEacuteRIENCE QUrsquoILS ONT VEacuteCUE

DANS LE GANGhellip EN TERMES DrsquoEacuteMOTIONS

Les jeunes parlent peu de leur expeacuterience dans le gang les jeunes gar-

ccedilons surtout se font discrets sur cette tranche de leur affiliation aux

gangs Les filles se deacutevoilent un peu plus Nous avons eu lrsquooccasion de

traiter ailleurs plus speacutecifiquement du rocircle et des fonctions des filles dans

les gangs (Fournier Cousineau et Hamel agrave paraicirctre) et notamment des

expeacuteriences de victimisation qursquoelles y vivent (Fournier Cousineau et

Hamel 2004) Nous voulons mettre ici lrsquoaccent sur ce que les jeunes nous

ont dit trouver au sein des gangs plutocirct que sur les activiteacutes qursquoils y ont

meneacutees la deacutelinquance agrave laquelle ils ont pu srsquoadonner du fait de leur

affiliation au gang un aspect plus connu de la reacutealiteacute des gangs En srsquointeacute-

ressant aux eacutemotions ressenties par les jeunes en lien avec lrsquoexpeacuterience

qursquoils vivent dans les gangs on deacutecouvre drsquoabord que ceux-ci offrent aux

jeunes beaucoup drsquoaspects positifs ce qursquoon aurait trop facilement ten-

dance agrave neacutegliger En fait on constate qursquoils trouvent agrave y combler du moins

pour un temps les principaux besoins qursquoils exprimaient comme autant

de motifs les ayant conduits agrave srsquoaffilier agrave un gang de rue ou nous lrsquoaurons

compris plus preacuteciseacutement aux membres drsquoun gang de rue dans la plupart

des cas

Drsquoabord le gang suscite un fort sentiment drsquoappartenance comme

lrsquoexprime tregraves bien Collin

Je ressentais un fort besoin drsquoappartenance La gang me lrsquooffrait Crsquoeacutetaitcomme une famille Ils eacutetaient precircts agrave tout faire pour mrsquoaider On avaittous les mecircmes faiblesses tous les mecircmes problegravemes On eacutetait regroupeacutesunis Crsquoest ce qui faisait notre force Tu nrsquoes pas en gang tu appartiensagrave une famille tu appartiens agrave une gang Avec la gang jrsquoavais la protec-tion le pouvoir et le respecthellip On se sent important aux yeux de quelqursquounet surtout on se sent bon agrave quelque chose Crsquoest une faccedilon de se trouverun but commun avec des gens qui te ressemblent qui ont les mecircmes preacuteoc-cupations que toi Je cherchais une boueacutee de secours une famille quisrsquooccupe de moi qui mrsquoappreacutecie agrave ma juste valeur (Collin 25 ans dansHamel et al 1998)

Le gang viendrait donc jouer aux yeux des jeunes qui y adhegraverent

le rocircle drsquoune seconde famille ou mecircme prendre carreacutement la place que

la famille ne prend pas affirmeront certains jeunes intervieweacutes Certains

y trouveraient un lieu de confidenceshellip

On parlait on parlait beaucoup Et crsquoest comme ccedila que je suis devenueplus amie avec eux Ils me parlaient de leurs expeacuteriences et je leur parlaisde mes expeacuteriences Pas les mauvais coups et tout ccedila mais plus nos viesqursquoest-ce qui srsquoest passeacute depuis qursquoon est jeune et tout ccedila (Eva 16 ansdans Fournier 2003)

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112 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

hellip et drsquoeacutecoute souligne Cassandre

Les seules personnes agrave qui je savais que je pouvais faire confiance crsquoeacutetaientles gars de gang et les filles de gang Parce qursquoeux autres je leur ai dit ceque mon pegravere me faisait et ils mrsquoont crue [hellip] Et ils mrsquoont donneacute delrsquoamour et du temps et ils mrsquoont crue dans tout ce que je leur ai dit Crsquoestpas comme si je parlais dans le vide Crsquoest pas comme si je disais quequelque chose mrsquoest arriveacute et qursquoils vont prendre ccedila agrave la leacutegegravere Ils leprenaient directement comme si crsquoest agrave eux qursquoil lrsquoavait fait aussi (Cassandre17 ans dans Fournier 2003)

Le gang prendrait une telle place dans la vie de certains jeunes qursquoils

ressentiraient un veacuteritable sentiment de deacutependance agrave son endroit comme

lrsquoexprime Yella

Jrsquoeacutetais toujours avec eux Je nrsquoeacutetais plus capable de vivre sans eux drsquoecirctresans eux Crsquoeacutetait une autre famille Crsquoeacutetait plus que des amis crsquoeacutetait unpasse-temps tellement bon que je ne pouvais plus mrsquoen passer Crsquoeacutetaitdevenu un besoin lrsquoattention lrsquoamour ne plus ecirctre seule (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)

Et comme le dit eacutegalement Heacutelegravene

Jrsquoeacutetais juste concentreacutee laquo gang gang il faut que jrsquoaille au parc apregraveslrsquoeacutecole il faut que jrsquoaille direct lagrave raquo Quand jrsquoallais pas au parc unejourneacutee je disais laquo Mon Dieu je suis pas alleacutee il faut que jrsquoy aille si jrsquoyvais pas ils vont ecirctre facirccheacutes ils vont dire que je les ai oublieacutes raquo Je pensaisjuste agrave eux ma vie crsquoeacutetaient eux (Heacutelegravene 16 ans dans Fournier 2003)

Si Heacutelegravene dit avoir peur de facirccher les membres du gang ce nrsquoest

pas par crainte de repreacutesailles mais plutocirct parce qursquoelle pense qursquoelle

pourrait ecirctre rejeteacutee du groupe en ne se montrant pas parfaitement fidegravele

et totalement deacutevoueacutee envers ceux qui le composent

Le gang jouerait aussi parfois des rocircles plus inattendus qui ne cor-

respondent pas veacuteritablement agrave lrsquoun des besoins exprimeacutes plus haut

comme en teacutemoigne Quentin qui dit srsquoecirctre servi du gang pour reacutegler son

compte agrave son beau-pegravere qursquoil jugeait violent

Ma megravere et son chum buvaient beaucoup et ils se chicanaient tout le tempsMon beau-pegravere eacutetait violent Les policiers deacutebarquaient toujours chez nousJrsquoeacutetais tanneacute Je voulais reacutegler le compte de mon beau-pegravere Je voulais lefaire battre Jrsquoai demandeacute au gang de le faire et crsquoest ce qui est arriveacute Ilest alleacute agrave lrsquohocircpital et je nrsquoai plus jamais entendu parler de lui Le gangpouvait reacutegler mes problegravemes (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 113

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Mais un jour la lune de miel prend finhellip

Tu te ramasses en centre drsquoaccueil pour des deacutelits que tu te dis apregraves quetu nrsquoaurais jamais ducirc faire ccedila Tu as du trouble avec les policiers Tu esconnu drsquoeux autres Ils savent ton nom Ils te collent tout le temps Ilstrsquoeacutecœurent mecircme quand tu nrsquoes pas impliqueacute mais que tes chums le sonthellipcrsquoest lrsquoenfer (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)

Collin reacutesume bien les sentiments que plusieurs expriment

Jamais je mrsquoeacutetais imagineacute que ccedila me megravenerait aussi loin Jamais jrsquoauraispenseacute voir mes chums avec de seacuterieux problegravemes de drogues des blessuresgraves se ramasser agrave lrsquohocircpital agrave moitieacute mort suite agrave une bataille tregravesviolente Quand tu es rendu agrave te tirer dessushellip la game a changeacute Lagrave tuas peur de deacutefendre les couleurs de ton gang agrave cause des gangs ennemisTu as la chienne Tu ne portes plus une arme pour avoir lrsquoair cool maispour sauver ta peauhellip Lagrave ce nrsquoest plus vraiment coolhellip crsquoest eacutepeuranthellip(Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)

Pour bien des filles la fin de la lune de miel prend une signification

toute particuliegravere qursquoon a deacutejagrave abordeacutee

Jrsquoai vite compris qursquoil fallait que je rembourse tout ce que les gars mrsquoavaientpayeacute quand ils mrsquoont accueillie pendant ma fuguehellip Ils srsquoeacutetaient arrangeacutesavec une autre fille du gang qui dansait deacutejagrave pour qursquoelle me traicircne avecelle au bar Elle mrsquoexpliquait ce qursquoelle faisait elle me disait que crsquoeacutetaitfacile qursquoelle faisait pas mal drsquoargenthellip Puis un jour ils mrsquoont dit queje devais moi aussi danserhellip Il fallait que je rembourse (Lucie 15 ansdans Hamel et al 1998)

434 LES JEUNES PARLENT DES MOTIFS QUI LES ONT AMENEacuteS

Agrave QUITTER LE GANG

Diffeacuterents motifs sont invoqueacutes par ceux qui ont choisi de quitter le

monde des gangs Celui qui revient le plus souvent est sans contredit la

survenance drsquoun eacuteveacutenement ou drsquoune seacuterie drsquoeacuteveacutenements qui vient

remettre en cause la perception que le gang est agrave mecircme drsquooffrir la seacutecuriteacute

agrave ses membres

Crsquoest devenu vite dangereux agrave cause des guerres de territoire La technologieavanccedilait tout le temps Au deacutebut crsquoeacutetaient les poings les bacirctons pis apregravesles couteaux Lagrave crsquoeacutetaient les laquo guns raquohellip Ccedila jouait de plus en plus dur Jene mrsquoattendais pas agrave ccedila (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)

Tu as beaucoup drsquoennemis [quand tu fais partie drsquoun gang] Lorsquetu sors si tu vas dans un autre quartier et que tu es seul tu risques de tefaire agresser de te faire attaquer (Davis 17 ans dans Hamel et al1998 p 157)

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114 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Jrsquoai perdu plusieurs de mes amis soit par overdose ou par meurtre Moi-mecircme je ne compte plus le nombre de fois ougrave je me suis fait pointer unlaquo gun raquo sur la tempe (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoeacutetait rendu lrsquoenferhellip Ma meilleure amie se retrouve en deacutesintox monchum se fait tuer dans un regraveglement de compteshellip Je me ramasse en centredrsquoaccueilhellip Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoavoir tout perdu (Patricia 17 ans dansHamel et al 1998)

Agrave un moment donneacute tu vis dans la violence tu as du sang sur les mainstout le temps crsquoest pas une viehellip Ccedila fait peur quand tu vois les autresrentrer en prison Trsquoes agrave lrsquohocircpital pendant trois mois trsquoas une balle ou trsquoesdans le coma pendant deux semaines ccedila me tentait pas que ccedila arrive agraveun moment donneacute (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)

Une arrestation policiegravere ou le placement dans un centre de reacuteha-

bilitation peut aussi se reacuteveacuteler lrsquooccasion drsquoun temps drsquoarrecirct propice agrave la

reacuteflexion Et cette reacuteflexion peut conduire agrave voir une certaine absurditeacute

dans lrsquoadheacutesion au gang et ouvrir tranquillement une porte de sortie

comme en teacutemoignent Eva et Laurie

En eacutetant ici [en centre de reacutehabilitation] ccedila mrsquoa calmeacutee et jrsquoai pureacutefleacutechir Tout ce qui est arrecirct drsquoagir et tout ccedilahellip Ils donnent des reacuteflexionset lagrave tu reacutefleacutechis tu reacutefleacutechis et tu te rends compte crsquoest quoi tes vraisbesoinshellip Est-ce que tu as vraiment besoin de personnes qui te protegravegent decette faccedilon-lagrave Tu te dis laquo non raquo Ccedila prend du temps mais tu finis partrsquoen rendre compte Crsquoest pour ccedila qursquoils [les intervenants du centre]mrsquoont aideacutee (Eva 16 ans dans Fournier 2003)

Crsquoest quand je suis rentreacutee dans le centre intensif dans lrsquouniteacute drsquoattenteLagrave je pensais agrave ccedila et je commenccedilais agrave revoir ma megravere Et ma megravere souventquand elle venait on se parlait et on pleurait toutes les deuxhellip Je me suisrendu compte que ccedila mrsquoa vraiment manqueacute crsquoeacutetait de ccedila dont jrsquoavaisbesoin de ma famillehellip Et crsquoest apregraves quand jrsquoai repenseacute agrave ccedila qui mrsquoarien apporteacutehellip jrsquoai dit laquo non je veux plus rien savoir raquo (Laurie 15 ansdans Fournier 2003)

La rencontre drsquoune personne susceptible drsquoexercer une influence

positive sur la vie du jeune (un copain ou une copine qui exige qursquoon se

tienne loin des gangs un intervenant de confiance un heacuteroshellip) peut aussi

venir influencer cette fois de maniegravere positive la sortie du gang rendant

celle-ci peut-ecirctre plus facile agrave vivre En effet comme on le verra quitter

le gang se fait rarement sans peine

Je sais que quand je vais sortir drsquoici je retournerai plus avec eux Je mesuis fait des nouveaux amis et je fais des activiteacutes saines Je veux pasretomber dans cette merde-lagravehellip (Eva 16 ans dans Hamel et al 1998)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 115

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Je suis bien comme ccedila avec mes amis mes petits amis straight qui prennentpas de drogues pas de biegravere et qui vont agrave lrsquoeacutecole Je suis bien bien mieuxcomme ccedila (Sarah 14 ans dans Fournier 2003)

Pour certains crsquoest simplement le sentiment qursquoil est temps de passer

agrave autre chose de prendre sa vie en main pour soi ou pour ne pas compro-

mettre davantage les relations avec son entourage qui sonnera le glas de

lrsquoadheacutesion aux gangs Feacutelix Martin et Yella disent chacun agrave leur faccedilon

en ecirctre arriveacutes agrave ce point dans leur vie au moment ougrave ils prennent la

deacutecision de quitter le gang

Je veux ecirctre quelqursquoun moi Je ne veux pas ecirctre quelqursquoun qui va ecirctre dansla rue ou en prison Je veux ecirctre quelqursquoun de reconnu positivement parles autres qursquoils disent de moi que jrsquoai fait quelque chose dans la vie (Feacutelix19 ans dans Hamel et al 1998)

Je voulais que ma famille soit fiegravere de moi Je ne veux pas que mon fregravereet ma sœur aient des problegravemes agrave cause de moi ou fassent comme moi(Martin 17 ans dans Hamel et al 1998)

Je pensais agrave ma famillehellip Je ne voulais pas la quitter agrave 18 ans parce quejrsquoavais trop de problegravemes Je ne voulais pas que mon pegravere et ma megravere monfregravere mrsquohaiumlssent parce que je faisais partie drsquoune gang (Yella 16 ans dansHamel et al 1998)

Enfin les cateacutegories de motifs de sortie ne sont eacutevidemment pas

mutuellement exclusives Loin de lagrave Souvent on constatera dans le reacutecit

des jeunes une combinaison de ressources qui creacutee une conjoncture favo-

rable agrave un changement de vie Certains comme Danick et Feacutelix lrsquoexpriment

drsquoailleurs clairement

Crsquoest un peu de tout qui mrsquoa aideacutehellip Lrsquoarrestation mes ideacutees agrave moi devouloir laisser tomber lrsquoaide de mon eacuteducateur-parrain les encouragementsde mes parentshellip (Danick 16 ans dans Hamel et al 1998)

Jrsquoai regardeacute ce que jrsquoavais dans la vie ce que je voulais ecirctre ce que jevoulais faire de ma viehellip Jrsquoai reacutegleacute mes problegravemes de consommation dedrogues et mes problegravemes drsquoagressiviteacute que jrsquoavais Jrsquoai appris agrave reacutegler mesproblegravemes en parlant sans utiliser la violence Ma deacutecision eacutetait faite maislrsquoaide de mes parents de mon eacuteducateur-parrain les rencontres de groupeau Centrehellip Tout ccedila mrsquoa aideacute agrave prendre ma deacutecisionhellip mais surtout agrave lagarder (Feacutelix 19 ans dans Hamel et al 1998)

On comprend des propos tenus par Feacutelix qursquoil ne suffit pas drsquoecirctre

appuyeacute par des personnes-ressources pour sortir du gang pour que la

sortie perdure Le soutien doit srsquoeacutetendre sur une longue peacuteriode le temps

que la convalescence se fasse Car on le verra dans les paragraphes qui

suivent crsquoest drsquoune veacuteritable convalescence que les jeunes nous parlent

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116 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Quoi qursquoil en soit plusieurs des jeunes que nous avons intervieweacutes

signalent que la sortie ne peut se reacutealiser veacuteritablement qursquoagrave partir du

moment ougrave le jeune lui-mecircme se sent precirct Il srsquoagirait lagrave drsquoun concept cleacute

en vue drsquoune intervention efficace arriver agrave reconnaicirctre quand le jeune

est disposeacute agrave agir et ecirctre soi-mecircme precirct agrave saisir lrsquooccasion pour lrsquoappuyer

dans sa deacutemarche et peut-ecirctre aussi trouver des moyens de lrsquoamener agrave se

preacuteparer

Personne ne peut rien faire Vous ne pouvez pas rien faire Vous essayezmais ccedila ne donne rien si le jeune ne veut pashellip Ccedila deacutepend surtout de lui Crsquoest la chose la plus importante crsquoest elle qui fait toute la diffeacuterence Crsquoesttoi qui deacutecides (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoest seulement moi qui peux faire en sorte de couper les lienshellip Crsquoest tonchoix de deacutebarquer ou pas (Zoeacute 15 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoest ma deacutecision Personne ne peut rien faire Il faut que jrsquoen prenneconscience moi-mecircme Ce nrsquoest pas quihellip crsquoest toi Crsquoest ta deacutecision Si toitu veux si tu veux si tu vois que ccedila ne te convient plus il faut que tusortes de lagrave le plus tocirct possible Mais il faut que tu trsquoen rendes compte partoi-mecircme Il faut que tu sois deacutecideacute parce que ce nrsquoest pas facile de sortirdu gang eacutemotivement parlant (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)

Un autre concept cleacute dans lrsquointervention aupregraves des jeunes membres

de gangs en processus de deacutesaffiliation est aussi deacutevoileacute par Eva Il faut du

temps et prendre le temps

[hellip] Le tempshellip il faut du temps prendre le temps laisser le temps aujeune ecirctre patient La deacutesaffiliation ne peut se faire du jour au lendemainparce que dans la plupart des cas la sortie du gang srsquoaccompagne deconseacutequences importantes dans la vie du jeune (Eva 16 ans dans Fournier2003)

44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE

APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS

Partir du gang ccedila eacuteteacute facile crsquoest de me reconstruire apregraves qui a eacuteteacute difficilePour moi quitter le gang comme tel a eacuteteacute facile compareacute agrave drsquoautres maisde me reconstruire agrave lrsquointeacuterieur de moi de combler le vide ccedila nrsquoa pas eacuteteacutefacile pantoute (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)

Ce qui est dur crsquoest le grand attachement crsquoest dur ensuite de deacutefaire leslienshellip Ce nrsquoeacutetait pas juste du neacutegatif Il y avait aussi beaucoup plus depositif drsquoamour drsquoattention que je ne lrsquoaurais imagineacute (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 117

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On ne saurait nier ce que les jeunes nous apprennent avec tant de

force

Le gang a quand mecircme de beaux cocircteacutes Ccedila mrsquoa fait laquo maturer raquo Jrsquoai apprisagrave me connaicirctre Je suis alleacute plus loin que ce que jrsquoeacutetais capable de faireJrsquoai appris agrave connaicirctre mes limites et aussi agrave avoir confiance en moi Jesuis peut-ecirctre plus mature qursquoun gars qui nrsquoest jamais passeacute par lagrave Je suisdevenu quelqursquoun (Gilbert 20 ans dans Hamel et al 1998)

Je le sais qursquoau fond de moi dans mon cœur agrave moi tout ce qursquoils ont faitpour moi ccedila ne srsquooublie pas du jour au lendemain lagrave Ils mrsquoont fait dumal oui mais ils mrsquoont fait plus de bien que de mal (Cassandre 17 ansdans Fournier 2003)

CONCLUSION

Brisant avec la tradition de recherche nous avons entrepris des eacutetudes

qualitatives sur le pheacutenomegravene des gangs nous attardant surtout aux moti-

vations des jeunes agrave se joindre agrave ces groupes et eacuteventuellement agrave les

quitter aux expeacuteriences eacutemotives qursquoils vivent durant le temps que dure

leur affiliation et au moment de la sortie Il en ressort que lrsquoadheacutesion des

jeunes aux gangs est avant tout guideacutee par des besoins fondamentaux

drsquoappartenance de reconnaissance de valorisation et de protection Il

en ressort aussi que les jeunes trouvent dans les gangs au moins durant

les premiers temps de leur affiliation reacuteponse agrave ces besoins les jeunes

deacutecouvrent dans les gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs

de combler diffeacuterents besoins fondamentaux Il ressort de ces eacutetudes

enfin que les jeunes doivent faire face agrave un grand vide au moment ougrave ils

quittent le gang et que le retour en socieacuteteacute et agrave la laquo vie normale raquo nrsquoest

pas gagneacute drsquoavance pour eux Nous le soulignions ailleurs (Hamel Cousineau

et Fournier 2004) la sortie des gangs donne lieu agrave une veacuteritable rupture

qui vient srsquoajouter agrave drsquoautres que la plupart ont drsquoabord veacutecues avec la

famille puis avec lrsquoeacutecole et peut-ecirctre mecircme avec drsquoautres reacuteseaux celui

des amis par exemple que ces jeunes ont bien souvent ducirc quitter pour

joindre les rangs des gangshellip La sortie srsquoaccompagne donc drsquoune grande

vulneacuterabiliteacute drsquoune grande fragiliteacute drsquoun grand vide geacuteneacuteralement

insoupccedilonneacute et donc ignoreacute

Une approche purement quantitative du pheacutenomegravene des gangs

nrsquoaurait pu traduire aussi bien les reacutealiteacutes que nous venons de deacutepeindre

et qui nous permettent de faire des pas de geacuteant preacutetendons-nous dans

la conception de programmes de preacutevention et drsquointervention qui tiennent

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118 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

compte de la nature mecircme du pheacutenomegravene non seulement de ses mani-

festations visibles (nombre de gangs nombre et caracteacuteristiques sociodeacute-

mographiques des membres structure organisationnelle du groupe

principales activiteacutes deacutelinquantes) mais aussi ndash et mecircme surtout ndash de sa

face cacheacutee qui tient aux circonstances et aux motivations qui conduisent

les jeunes agrave srsquoy joindre aux expeacuteriences positives qursquoils y vivent et qui font

en sorte qursquoils y restent attacheacutes durant un temps plus ou moins long aux

circonstances et aux motivations encore une fois qui les amegravenent agrave quitter

le groupe et au grand vide qui srsquoinstalle alors dans leur vie Un vide qursquoil

srsquoagit de comblerhellip comme drsquoailleurs cela aurait ducirc ecirctre le cas avant mecircme

qursquoils soient tenteacutes drsquoaller trouver dans les gangs une reacuteponse aux besoins

qursquoils expriment en entrevue

Un tel regard nous incite agrave favoriser une approche drsquointervention

qui srsquoappuie sur le deacuteveloppement social communautaire (Cousineau

Fredette et Hamel 2004 Hamel Cousineau Leacuteveilleacute Veacutezina et Tichit

2004) comme mode de preacutevention voire drsquointervention face au pheacuteno-

megravene des gangs Comparativement aux approches traditionnelles dont

lrsquoobjectif consiste essentiellement agrave srsquoattaquer agrave la violence des gangs ndash

strateacutegies qui conduisent geacuteneacuteralement agrave des reacutesultats peu probants puis-

que le pheacutenomegravene serait en pleine expansion ndash le deacuteveloppement social

communautaire tel que nous lrsquoentendons vise plutocirct agrave creacuteer les condi-

tions neacutecessaires pour que les jeunes srsquoattachent et srsquointegravegrent agrave la socieacuteteacute

comme ils srsquoattachent et srsquointegravegrent aux gangs Dans une perspective preacute-

ventive cette approche englobe diverses strateacutegies visant agrave diminuer

lrsquoattrait des jeunes pour lrsquounivers des gangs (sensibilisation information)

ou mecircme agrave les amener agrave quitter cet univers lorsque le danger paraicirct

imminent pour eux et pour les autres (arrestation intervention) Drsquoautres

strateacutegies peuvent aussi dans une perspective proactive ecirctre mises en

place pour favoriser la participation et lrsquointeacutegration sociale des jeunes

(formation accompagnement creacuteations drsquoopportuniteacutes employabiliteacute)

Devant la complexiteacute du pheacutenomegravene des gangs le deacuteveloppement social

communautaire doit ecirctre conccedilu comme une approche globale permettant

de rassembler les forces et les compeacutetences de plusieurs systegravemes agrave la fois

ndash dont la famille lrsquoeacutecole la communauteacute et les jeunes eux-mecircmes ndash afin

de mettre en œuvre de multiples moyens constituant un continuum

drsquointervention(s) penseacute dans une perspective drsquoempowerment tant des col-

lectiviteacutes que de ceux qui les fondent les jeunes en particulier Il ne srsquoagit

pas de renier toute pertinence et toute valeur agrave lrsquoapproche reacutepressive

traditionnelle mais simplement de reconnaicirctre qursquoelle a ses limites et que

celles-ci sont rapidement atteintes face au pheacutenomegravene des gangs

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ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

M

ARYSE

E

STERLE

-H

EDIBEL

IUFM Nord-Pas-de-CalaisCESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Parmi les thegravemes qui traversent le milieu scolaire et investissent le deacutebat

public en France celui de lrsquoabsenteacuteisme voire de lrsquoarrecirct de scolariteacute avant

16 ans prend de lrsquoampleur depuis quelques anneacutees Les laquo absenteacuteistes raquo

ou laquo deacutecrocheurs raquo remettent en cause le principe de la prise en charge

de lrsquoensemble drsquoune classe drsquoacircge par lrsquoeacutecole La mobilisation autour drsquoeux

(deacuteveloppement des dispositifs relais appel drsquooffres de recherches de

deacutecembre 1999 circulaire sur la mise en place de la veille eacuteducative en

deacutecembre 2001) est importante pour plusieurs raisons en peacuteriode de

massification de lrsquoenseignement les jeunes deacutescolariseacutes peuvent appa-

raicirctre comme illustrant des laquo failles raquo dans le systegraveme scolaire lui-mecircme

Par ailleurs une inquieacutetude existe quant agrave leurs activiteacutes en dehors de

lrsquoeacutecole sans encadrement que deviennent-ils Sont ils en danger de deacutelin-

quance exposeacutes agrave des trafics divers errant dans les rues sans protection

Et que font leurs parents Seraient-ils complices et donc punissables

pour lrsquoinassiduiteacute ou le retrait scolaire de leurs enfants Pour les acteurs

scolaires ces absences ou ces abandons de scolariteacute remettent en cause

profondeacutement la leacutegitimiteacute de leur mission lrsquoeacutecole est consideacutereacutee comme

une chance pour les eacutelegraveves et les eacutetudes longues favorisent drsquoailleurs

un meilleur accegraves agrave lrsquoemploi Y aurait-t-il des eacutelegraveves consideacutereacutes comme

laquo ineacuteducables raquo ou laquo inenseignables raquo Par quelles interactions en arrive-

t-on agrave ces situations extrecircmes peu nombreuses mais mettant en lumiegravere

les paradoxes institutionnels et les impasses du systegraveme tel qursquoil est

organiseacute aujourdrsquohui

La recherche qualitative que nous avons meneacutee agrave Roubaix

1

en

France srsquointeacuteresse aux processus qui ont meneacute hors du systegraveme scolaire

des jeunes de 13 agrave 155 ans qui ne preacutesentent pas de caracteacuteristiques

particuliegraveres (handicap par exemple) et dont la situation est connue des

eacutetablissements scolaires et de plusieurs services sociaux Agrave ce titre ils ne

sont pas laquo perdus de vue raquo comme on peut le dire parfois mais bel et bien

connus et facilement joignables tout au moins disposant drsquoune adresse

connue Nous avons pu eacutetudier leur situation agrave partir des repeacuterages

faits dans les eacutetablissements scolaires et avec lrsquoaide tregraves preacutecieuse de

laquo personnes-ressources raquo qui ont fait le relais avec les personnels scolaires

et les familles pour le deacuteroulement de lrsquoenquecircte

Lrsquoappel drsquooffres interministeacuteriel qui a servi de base agrave notre reacuteflexion

probleacutematique et aux hypothegraveses de cette recherche avait deux objectifs

mieux connaicirctre les populations deacutescolariseacutees avant lrsquoacircge de 16 ans et

comprendre les processus de deacutescolarisation

1 Nous preacutesentons les reacutesultats drsquoune recherche sur les processus de deacutescolarisationmeneacutee dans la ville de Roubaix (Nord) de janvier 2001 agrave mars 2003

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

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Pour la clarteacute de lrsquoeacutetude nous nous sommes inteacuteresseacutes agrave des eacutelegraveves

qui reacuteguliegraverement inscrits ne sont plus du tout preacutesents dans les eacutetablis-

sements scolaires depuis une dureacutee qui peut varier de trois mois agrave deux

ans au moment de lrsquoenquecircte Srsquoils sont tregraves minoritaires (quatre ou cinq

pour un collegravege de 550 eacutelegraveves environ) leur situation peut repreacutesenter

lrsquoaboutissement de processus qui pour drsquoautres ont eacuteteacute enrayeacutes Lrsquoeacutetude

des situations (14 en tout) srsquoest centreacutee sur trois collegraveges publics tous en

reacuteseau drsquoeacuteducation prioritaire (ce qui est le cas de six collegraveges sur les sept

collegraveges publics que compte la ville) entre janvier 2001 et janvier 2003

en croisant des donneacutees issues des entretiens avec les personnels scolaires

les jeunes et leurs familles de mecircme qursquoavec des travailleurs sociaux et des

documents eacutecrits concernant les eacutelegraveves (dossiers scolaires principalement)

La diversiteacute des situations eacutetudieacutees est telle que nous avons renonceacute

agrave en faire une typologie agrave partir des caracteacuteristiques psychosociales des

jeunes par exemple ou de leur positionnement par rapport agrave lrsquoeacutecole En

effet lrsquoeacutetude de chaque situation nous amegravene agrave lrsquoanalyse des multiples

facteurs qui conduisent agrave lrsquoarrecirct de scolariteacute facteurs qui srsquoentremecirclent

souvent lacunes quelquefois accumuleacutees agrave lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire probleacutema-

tique scolaire et familiale agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme modifications de la confi-

guration familiale sinon laquo rupture biographique raquo (placement par exemple)

au deacutebut des laquo anneacutees collegravege raquo interactions neacutegatives voire violentes avec

des enseignants impact des jugements scolaires neacutegatifs exclusions pour

perturbations non suivies de reprise dans un autre eacutetablissement premiegraveres

activiteacutes deacutelinquantes dans un groupe de pairshellip Chaque situation est

singuliegravere mecircme si lrsquoon retrouve des points communs entre les unes et

les autres Plusieurs facteurs se combinent dans lrsquoeacutetude des situations de

chaque jeune et leur cateacutegorisation en devient aleacuteatoire Nous avons

cependant pu relever des laquo moments cleacutes raquo dans les trajectoires scolaires ndash

entreacutee en sixiegraveme suite drsquoune exclusion deacutefinitive drsquoun collegravege ndash et des

cloisonnements entre institutions et par rapport aux familles Nous for-

mulerons lrsquohypothegravese que dans certaines situations lrsquoun ou lrsquoautre de

ces paramegravetres a eu plus de poids que les autres sans qursquoil soit possible

drsquoen eacuteliminer aucun

Si geacuteneacuteralisation il peut y avoir crsquoest plus sur des

laquoprocessusraquo et des laquorelationsraquo que sur laquodes individusraquo ou des laquopopulationsraquo

(Beaud et Weber 1998 p 289)

La ville de Roubaix recensait en 1999 plus de 30 de sa population

active au chocircmage la perte des emplois ouvriers nrsquoa pas eacuteteacute compenseacutee

par les emplois du tertiaire ou de services La population scolaire des trois

collegraveges reflegravete ces situations de pauvreteacute ou de preacutecariteacute en comptant

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

en son sein entre plus de 88 et plus de 93 de PCS

2

laquo deacutefavoriseacutees raquo

pourcentage repreacutesentant plus du double de la moyenne nationale et

environ 30 points de plus que celle de lrsquoAcadeacutemie de Lille

La plupart des parents des jeunes deacutescolariseacutes sont en situation de

laquo vulneacuterabiliteacute socieacutetale raquo (Walgrave 1992 p 86) vivent du RMI

3

ou des

allocations familiales ou sont en emploi preacutecaire et ne disposent pas de

lrsquoexpeacuterience concregravete drsquoune scolariteacute reacuteussie Ceux drsquoailleurs qui disposent

de plus de ressources (emploi niveau drsquoeacutetudes reacuteseaux relationnels) ont

pu trouver des solutions aux difficulteacutes de leurs enfants en termes drsquoorien-

tation sans avoir recours aux travailleurs sociaux Crsquoest le cas dans deux

familles dont les parents travaillent agrave plein temps

Il nrsquoy a pas une forme de famille particuliegravere parmi les treize familles

des eacutelegraveves deacutescolariseacutes cinq megraveres eacutelegravevent leurs enfants seules six familles

comptent les deux parents preacutesents au domicile et dans lrsquoeacuteducation de

leurs enfants deux couples parentaux sont seacutepareacutes mais continuent

drsquoexercer une preacutesence eacuteducative aupregraves de leurs enfants Les origines

reacutegionales ou nationales sont eacutegalement diverses quatre familles sont

drsquoorigine eacutetrangegravere (Seacuteneacutegal Portugal Yougoslavie Algeacuterie) cinq sont

originaires du Nord de la France cinq sont de pegravere eacutetranger et de megravere

franccedilaise Lrsquoorigine eacutetrangegravere ne deacutetermine pas les difficulteacutes des enfants

et des parents mais plutocirct le niveau de langue (tregraves probleacutematique pour

une megravere) la reacutegularisation de la situation (non effective pour une

famille) et le niveau socioeacuteconomique

Nous avons eacutetudieacute les processus de deacutescolarisation de onze garccedilons

et de trois filles Ces jeunes ont connu des difficulteacutes scolaires agrave lrsquoeacutecole

eacuteleacutementaire pour sept drsquoentre eux sans redressement dans les premiegraveres

anneacutees du collegravege Les autres ont eu des reacutesultats moyens ou bons dans

le premier degreacute suivis par des performances bonnes ou moyennes au

deacutebut de la sixiegraveme

51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU

Chaque anneacutee environ 57 000 jeunes sortent sans qualification du systegraveme

eacuteducatif Si lrsquoon dispose de donneacutees sur les parcours de ces jeunes drsquoautres

sont moins connus ceux des jeunes qui quittent le systegraveme eacuteducatif avant

la fin de la scolariteacute obligatoire

2 Professions et cateacutegories socioprofessionnelles

3 Revenu minimum drsquoinsertion

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Le pheacutenomegravene de deacutescolarisation apparaicirct comme reacuteel aujourdrsquohui

mais il reste encore agrave approfondir tant drsquoun point de vue quantitatif que

qualitatif LrsquoEacuteducation nationale tend agrave prendre en compte ce problegraveme

Les enfants deacutescolariseacutes avant 16 ans font partie des prioriteacutes du pro-

gramme laquo NouvelleS ChanceS raquo avec les jeunes sortis sans qualification

apregraves 16 ans Une circulaire de 1996 repegravere le pheacutenomegravene comme tel

laquo [hellip] les eacutetablissements sont confronteacutes agrave une augmentation reacuteelle et

preacuteoccupante de ce pheacutenomegravene Mecircme si le taux drsquoabsenteacuteisme ne srsquoest

que modeacutereacutement aggraveacute ces derniegraveres anneacutees il touche une population

plus nombreuse du fait de lrsquoaugmentation des effectifs des eacutelegraveves scolariseacutes raquo

La massification de lrsquoenseignement les objectifs de porter 80

drsquoune classe drsquoacircge au baccalaureacuteat et lrsquoensemble des eacutelegraveves au moins

jusqursquoau CAP (certificat drsquoaptitude professionnelle) et au BEP (brevet

drsquoeacutetudes professionnelles) rendent drsquoautant plus visibles les arrecircts de sco-

lariteacute avant 16 ans

Quantifier les eacutelegraveves sortis du systegraveme scolaire avant 16 ans pose des

problegravemes de repeacuterage En effet les deacuteparts vers le secteur priveacute les

deacutemeacutenagements peuvent laisser penser que des eacutelegraveves ont quitteacute le sys-

tegraveme eacuteducatif alors qursquoils ont changeacute de reacutegion ou de commune Crsquoest le

cas dans le Nord de la France ougrave certains eacutelegraveves partent continuer leur

scolariteacute en Belgique et reviennent ensuite en France Du reste certains

internats limitrophes accueillent exclusivement des enfants et adolescents

franccedilais qui suivent une scolariteacute en Belgique

Selon plusieurs sources drsquoinformation les eacutelegraveves non scolariseacutes avant

16 ans seraient plusieurs milliers cependant il nrsquoexiste pas de recensement

fiable de ces situations Au niveau national la Caisse nationale drsquoalloca-

tions familiales comptabilisait

4

plus lrsquoinassiduiteacute scolaire que la deacutescolari-

sation agrave travers les suspensions drsquoallocations familiales seules 10 des

suspensions lrsquoeacutetaient agrave long terme 90 eacutetant reacutetablies dans un deacutelai de

trois mois Lrsquoinassiduiteacute scolaire est deacutefinie par quatre absences non justi-

fieacutees drsquoune demi-journeacutee pendant un mois conseacutecutives ou non En lrsquoeacutetat

actuel si le pheacutenomegravene de deacutescolarisation ne semble pas ecirctre drsquoune grande

ampleur numeacuterique des eacutetudes quantitatives seacuterieuses restent agrave faire

Les justifications apporteacutees par les parents meacuteriteront une attention

particuliegravere la famille nrsquoest pas tenue de fournir un certificat meacutedical

mais doit donner un motif consideacutereacute comme laquo valable et seacuterieux raquo Le

controcircle de lrsquoabsenteacuteisme revient au conseiller principal drsquoeacuteducation

4 Une loi reacutecente modifie les sanctions de lrsquoabsenteacuteisme entre autres en supprimant lasuppression des allocations familiales

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Plusieurs eacutetudes ont eacuteteacute faites sur les laquo lyceacuteens deacutecrocheurs raquo Ces

eacutetudes concernent des jeunes de plus de 16 ans pour leur grande majoriteacute

Quelques jeunes cependant peuvent ecirctre encore soumis agrave lrsquoobligation

scolaire Crsquoest le cas de ceux qui abandonnent le lyceacutee en seconde agrave 15 ans

Plusieurs eacuteleacutements inteacuteressant notre recherche sont signaleacutes dans le pro-

gramme NouvelleS ChanceS laquo Ces jeunes sortis preacutematureacutement du sys-

tegraveme eacuteducatif ont passeacute en moyenne cinq anneacutees dans lrsquoenseignement

secondaire un peu plus de la moitieacute ont interrompu leurs eacutetudes au

collegravege Les autres ont commenceacute une formation en apprentissage ou en

lyceacutee professionnel et ont abandonneacute

5

raquo

Des redoublements de classe sont signaleacutes pour les trois quarts

drsquoentre eux degraves lrsquoeacutecole primaire Les deux tiers sont issus massivement de

milieux deacutefavoriseacutes enfants drsquoouvriers de personnels de service ou drsquoinac-

tifs On note aussi la monoparentaliteacute et la faible qualification des megraveres

Les garccedilons sont majoritaires (59 ) mais le deacutecalage avec les filles nrsquoest

pas tregraves important

52 LA DEacuteSCOLARISATION

Le terme laquo deacutecrocheur raquo est utiliseacute pour deacutesigner les lyceacuteens qui quittent

petit agrave petit le systegraveme scolaire Le deacutecrochage deacutesigne le laquo processus plus

ou moins long qui nrsquoest pas neacutecessairement marqueacute par une information

explicite enteacuterinant la sortie de lrsquoinstitution raquo (Guigue 1998 p 29) Il

srsquooppose agrave la deacutemission qui explicite le deacutepart volontaire de lrsquoeacutelegraveve et agrave

lrsquoexclusion laquo acte par lequel une autoriteacute reconnue vous deacutemet de vos

fonctions raquo (Guigue 1998 p 29) Une deacutemission peut drsquoailleurs preacutevenir

une exclusion preacutevisible par lrsquoeacutelegraveve

Le terme de deacutescolarisation plus large permet de reprendre plu-

sieurs hypothegraveses concernant les processus qui conduisent en dehors du

systegraveme scolaire des jeunes de moins de 16 ans celle de lrsquoexclusion accom-

pagneacutee de lrsquoeacutetiquetage de certains enfants comme porteurs de mauvaises

performances scolaires (les eacutelegraveves

nuls

) non suivie de reprise dans un

autre eacutetablissement celle du deacutecrochage progressif signaleacute par un absen-

teacuteisme important et grandissant (avec participation agrave un groupe de pairs

le cas eacutecheacuteant) celle de la rupture biographique (accident de santeacute pla-

cement en institution speacutecialiseacutee errance lieacutee agrave une modification de la

configuration familiale etc) celle du deacutepart annonceacute clairement eacutetant

plus hasardeuse eacutetant donneacute lrsquoobligation scolaire

5

Programme laquo NouvelleS ChanceS raquo

p 20

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

127

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Il srsquoagit bien drsquoexpliciter le processus de

deacutesaffiliation scolaire

deacutefini

par Sylvain Broccolicchi (1998a p 41) qui renvoie laquo au fonctionnement

des institutions scolaires aux traitements diffeacuterencieacutes des eacutelegraveves et agrave

lrsquointeraction des contextes scolaires familiaux et locaux qui modulent les

parcours et expeacuteriences propres agrave chaque adolescent raquo

Alors que lrsquoeacutelegraveve deacutecrocheur acircgeacute de plus de 16 ans nrsquoest pas en

infraction avec la loi sur lrsquoobligation scolaire le jeune deacutescolariseacute se sous-

trait (ou est soustrait) agrave cette obligation Il nrsquoaccomplit plus son laquo meacutetier

drsquoeacutelegraveve raquo Aux yeux de lrsquoinstitution scolaire il srsquoinscrit dans un parcours

de deacuteviance Les termes mecircmes des circulaires indiquent bien que

lrsquoabsence de freacutequentation reacuteguliegravere (lrsquoinassiduiteacute scolaire) est un man-

quement agrave lrsquoobligation scolaire laquo Il convient en premier lieu drsquoexiger

que lrsquoobligation drsquoassiduiteacute soit respecteacutee par les eacutelegraveves

6

raquo Les divers arrecirc-

teacutes et circulaires preacutecisent par ailleurs la neacutecessiteacute drsquoactions de preacutevention

agrave lrsquointeacuterieur des eacutetablissements scolaires portant sur les laquo rythmes scolaires

lrsquoorganisation de la vie scolaire ou visant agrave renforcer le dialogue entre les

eacutelegraveves et les adultes

7

raquo

Par deacuteviance nous deacutesignons laquo le produit drsquoune transaction effectueacutee

entre un groupe social et un individu qui aux yeux du groupe a trans-

gresseacute une norme raquo (Becker 1963 p 33)

Nous nous situons donc dans une perspective interactionniste laquo La

deacuteviance est alors une proprieacuteteacute non du comportement lui-mecircme mais

de lrsquointeraction entre la personne qui commet lrsquoacte et celles qui reacuteagissent

agrave cet acte raquo (Becker 1963 p 38) Cette deacutemarche induit la meacutethodologie

deacutejagrave eacutevoqueacutee croisement des discours des acteurs inteacuteresseacutes par la situa-

tion de deacutescolarisation et des documents traitant de cette situation afin

de reconstituer les processus en œuvre

521 L

ES

MARQUEURS

DE

LA

DEacuteSCOLARISATION

Un certain nombre de facteurs sont drsquoores et deacutejagrave repeacutereacutes comme preacute-

gnants dans le processus de deacutecrochage des lyceacuteens Nous les citons sans

ordre prioritaire particulier

5211 Le niveau de diplocircme des parents

Il existe un risque dix fois plus eacuteleveacute drsquointerruption drsquoeacutetudes moins de

cinq ans apregraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme pour les enfants drsquoouvriers que pour

les enfants de cadres ou drsquoenseignants (Broccolicchi 2000 p 40) et

6 Circulaire n

o

96-247 du 25 octobre 1996

7

Ibid

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128

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

encore trois plus eacuteleveacute pour ceux qui ont un parent inactif (pegravere ou megravere

en lrsquoabsence de pegravere) que pour ceux dont le parent (pegravere ou megravere en

lrsquoabsence de pegravere) est ouvrier Lrsquoinvestissement scolaire des parents est

drsquoailleurs tregraves diffeacuterent selon leur cateacutegorie sociale drsquoappartenance alors

qursquoagrave lrsquoeacutecole primaire les parents les moins diplocircmeacutes investissent plus la

scolariteacute de leurs enfants le pheacutenomegravene srsquoinverse au collegravege laquo Cette

inversion srsquoavegravere lieacutee agrave la proportion de parents qui se sentent deacutepasseacutes agrave

ce niveau entre les parents qui se disent tregraves rarement deacutepasseacutes et ceux

qui disent lrsquoecirctre souvent la dureacutee de lrsquoaide est diviseacutee par trois agrave chaque

niveau de scolariteacute raquo (Heacuteran 1994)

5212 La composition de la famille

Le facteur familial est un facteur de risque parmi drsquoautres mais il nrsquoest

pas preacutedictif en soi comme les autres paramegravetres mentionneacutes Crsquoest bien

la combinaison de plusieurs indicateurs qui peut donner des eacuteleacutements de

compreacutehension du processus de deacutescolarisation

Agrave cet eacutegard si lrsquoon note le nombre eacuteleveacute de familles monoparentales

parmi lrsquoentourage familial des jeunes deacutescolariseacutes nous adopterons la

prudence drsquoEacuteric Debarbieux (1999 p 60) quant aux correacutelations possibles

laquo Crsquoest lagrave toute la difficulteacute lieacutee aux eacutetudes de correacutelation qui montrent

uniquement lrsquoexistence drsquoune relation entre deux variables ndash ici les pro-

blegravemes de comportement et la situation familiale ndash sans que pour autant

on puisse deacuteduire de relation de cause agrave effet raquo

Plutocirct que le type de famille crsquoest la nature de la relation entre les

parents qui sera deacuteterminante dans le processus de deacuteviance juveacutenile ce

ne sont pas les familles dissocieacutees qui induisent la deacuteviance des jeunes

mais plutocirct la meacutesentente entre les parents qursquoils soient seacutepareacutes ou non

(Mucchielli 2000) Les ruptures biographiques (accident deacutecegraves drsquoun

parent deacutemeacutenagements reacutepeacuteteacutes placementshellip) peuvent aussi augmenter

les risques de deacutescolarisation

5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage

Parmi les eacutelegraveves dont les performances scolaires agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme sont

les plus basses 12 quittent le systegraveme scolaire moins de cinq ans apregraves

la sixiegraveme (Broccolicchi 1998) Les eacutelegraveves de SEGPA

8

entreacutes en 1989 ont

quitteacute le systegraveme eacuteducatif sans qualification pour la moitieacute drsquoentre eux

8 Section drsquoenseignement geacuteneacuteral et professionnel adapteacute

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Les eacutelegraveves en difficulteacute scolaire attachent une grande importance agrave

la relation avec les adultes et les autres eacutelegraveves dans la vie scolaire Quand

lrsquointeraction avec les enseignants les confirme dans leur laquo nulliteacute raquo sur le

plan de la performance (Broccolicchi 2000) le risque de deacutescolarisation

est preacutesent

Woods et Berhier (1992 p 56) rappellent

que la deacuteviance implique

neacutecessairement deux acteurs et que lrsquoenseignant peut provoquer ou

atteacutenuer la deacuteviance par le style de sa relation avec les eacutelegraveves

Les laquo provocateurs de deacuteviance raquo pensent que les eacutelegraveves fuient letravail qursquoil est impossible de pourvoir agrave leur eacuteducation sans leschanger qursquoils abhorrent lrsquoautoriteacute et sont ouvertement rebellesqursquoils se conduisent mal et ne doivent jamais ecirctre crus De tellesconvictions megravenent les professeurs agrave agir de maniegravere provocatrice lancer des ultimatums inciter agrave lrsquoaffrontement punir inconsideacutereacute-ment attirer sur eux la honte en les montrant du doigt ou en leurcherchant noise

Agrave lrsquoinverse les laquo isolateurs de deacuteviance raquo sont animeacutes drsquointentions

bienveillantes agrave lrsquoeacutegard des eacutelegraveves et agissent en conseacutequence avec eux

Broccolicchi (2000) souligne par ailleurs la solitude des eacutelegraveves deacutecro-

cheurs tant dans lrsquoenvironnement scolaire (absence de dispositif efficace

et drsquointerlocuteurs pour pallier les difficulteacutes) que dans le cadre de

lrsquoenvironnement familial

5214 Le passage du primaire au collegravege indiscipline et identiteacute

La question du rapport aux enseignants et agrave la leacutegitimiteacute de leurs juge-

ments change fondamentalement du primaire au collegravege Les relations

entre pairs gagnent en importance les cultures juveacuteniles entrent en

contradiction avec les normes scolaires de maniegravere plus preacutegnante (Dubet

et Martuccelli 1996 Lepoutre 1997)

En cas de difficulteacute scolaire majeure le recours agrave lrsquoindiscipline agrave

lrsquoinsolence peut ecirctre utiliseacute par les eacutelegraveves comme moyen de construire une

identiteacute deacuteviante par rapport aux normes scolaires mais conforme par

rapport aux normes juveacuteniles fragiliseacutes dans le systegraveme scolaire ces jeunes

deviennent des

outsiders

drsquoautant plus construits que lrsquoindiscipline se pra-

tique souvent collectivement Lrsquoindiscipline peut dans le mecircme temps

constituer un facteur de risque dans un processus de deacutescolarisation

Les recherches de Walgrave (1992) soulignent lrsquoimportance de

lrsquoeacutechec scolaire dans les processus de deacutelinquance juveacutenile La stigmatisation

de lrsquoeacutelegraveve comme laquo non performant raquo du point de vue de ses reacutesultats et

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

comme perturbateur fonctionne comme une laquo propheacutetie autoreacutealisatrice raquo

qui laquo contribue agrave sa propre reacutealisation raquo (Becker 1963) Lrsquoeacutelegraveve reacutepondra

ainsi agrave lrsquoinjonction qui lui est faite en abandonnant le systegraveme scolaire

53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION ET DEacuteLINQUANCE

531 Lrsquo

IMPACT

DES

GROUPES

DE

PAIRS

ET

LES

ACTIVITEacuteS

DEacuteLINQUANTES

Les reacuteseaux de sociabiliteacute dans lesquels vit le jeune en voie de deacutescolari-

sation semblent preacutepondeacuterants Lrsquoinfluence des pairs et le regroupement

des

outsiders

du systegraveme scolaire sont des eacuteleacutements agrave prendre en compte

dans la construction drsquoune sous-culture deacuteviante La constitution en bande

est lieacutee agrave la stigmatisation induite par les classements scolaires neacutegatifs et

la logique de bande offre un refuge et une deacutefense contre le sentiment

de deacutevalorisation qui habite les jeunes tout en contribuant agrave activer le

processus de deacutescolarisation (Esterle-Hedibel 1997 Carra 2002) Glasman

(1998 p 19) souligne que les lyceacuteens laquo deacutecrocheurs raquo peuvent laquo se rappro-

cher drsquoun groupe de pairs groupe qui fournit suffisamment de repegraveres

et drsquooccasions drsquoaffirmation identitaire pour que lrsquoexit hors du lyceacutee ne

signifie pas lrsquoexil pour que la non-appartenance au lyceacutee ne soit pas la

deacutesheacuterence raquo

Lrsquoinfluence des groupes de pairs peut ecirctre importante dans le pro-

cessus de deacutescolarisation qursquoil srsquoagisse de groupes marginaux agrave tendance

deacutelinquante ou axeacutes sur une activiteacute particuliegravere de type leacutegaliste

Plusieurs eacutetudes confirment le lien entre un style de vie deacuteviant

(consommation de psychotropes licites ou illicites) et le deacutecrochage sco-

laire celui-ci occasionnant de larges plages de temps libre domineacute par

lrsquoennui (Janosz et Le Blanc 1996) Cependant la correacutelation entre les

conduites inadapteacutees et le deacutecrochage scolaire si elle existe se heurte agrave

la deacutefinition mecircme de la conduite inadapteacutee qui rassemble des eacuteleacutements

aussi heacuteteacuteroclites que conduites deacutelinquantes consommation de drogues

illicites promiscuiteacute sexuelle reacutebellion familiale inadaptation scolaire et

grossesse adolescentehellip La reacutebellion familiale par exemple pourrait ecirctre

consideacutereacutee comme une reacuteaction plutocirct positive alors que son absence

traduirait un conformisme et une soumission aux adultes plutocirct inquieacute-

tante agrave lrsquoadolescence (Janosz Le Blanc et Boulerice 1998)

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Hugues Lagrange a eacutetudieacute le lien entre absenteacuteistes et conduites

deacutelictueuses dans la reacutegion de Mantes-la-Jolie Pregraves de la moitieacute des absen-

teacuteistes eacutetudieacutes ont des conduites de preacutedation ou de deacutelinquance expressive

(deacutelinquance avec ou non objectif drsquoappropriation des biens drsquoautrui) ils

sont les cadets de familles nombreuses et ont vu leurs fregraveres aicircneacutes se

heurter au problegraveme du chocircmage Ils auraient appris ainsi agrave vivre de petite

deacutelinquance tout en ne percevant plus lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutecole ce qui

expliquerait leur absenteacuteisme (Lagrange et Bidart 2000)

532 D

EacuteCROCHAGE

SCOLAIRE

ET

DEacuteLINQUANCE

Des auteurs affirment que laquo lrsquoabandon scolaire permet de reacuteduire le stress

et la frustration veacutecus agrave lrsquoeacutecole des facteurs qui favorisent lrsquoapparition des

conduites deacutelinquantes raquo (Elliott et Voss 1974 citeacutes dans Janosz et Le

Blanc 1996 p 76) Le lien entre deacutecrochage et activiteacutes deacutelinquantes

proprement dites nrsquoest pas automatique mais semble deacutependre du mar-

cheacute de lrsquoemploi En effet plusieurs recherches des anneacutees 1980 indiquent

que les deacutecrocheurs ayant trouveacute un emploi ont diminueacute leurs activiteacutes

deacutelinquantes deux fois plus que ceux qui nrsquoen ont pas trouveacute Encore faut-

il que les deacutecrocheurs soient en acircge de travailler et que le marcheacute du

travail leur offre des emplois (Pronovost et Le Blanc citeacutes par Janosz et

Le Blanc 1996)

Lrsquoeacutetat des eacutetudes existantes ne permet pas de deacutemontrer lrsquoeffet du

deacutecrochage sur les conduites deacuteviantes ou deacutelinquantes et sur les diffi-

culteacutes drsquointeacutegration socioprofessionnelles Pour le deacutemontrer pleinement

il faudrait pouvoir suivre des cohortes drsquolaquo eacutelegraveves deacutecrocheurs raquo jusqursquoagrave

lrsquoacircge adulte et une cohorte teacutemoin Ces manifestations peuvent en effet

avoir eacuteteacute causeacutees par des laquo vulneacuterabiliteacutes psycho-sociales anteacuteceacutedentes raquo qui

auraient elles-mecircmes provoqueacute lrsquoabandon scolaire La question de la

causaliteacute et la difficulteacute de sa deacutemonstration reste donc poseacutee (Janosz et

Le Blanc 1996)

Une reacutecente enquecircte du Centre drsquoeacutetudes et de recherches sur les

qualifications (CERQ 2001) nous eacuteclaire cependant sur le lien entre

qualification et emploi les sortants du systegraveme eacuteducatif en 1998 diplocircmeacutes

ou pas travaillent agrave 80 en majoriteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee (64 ) tout

en eacutetant deux fois plus nombreux agrave ecirctre passeacutes par lrsquointeacuterim (28 ) que

la geacuteneacuteration sortie de lrsquoeacutecole en 1992 Les non-diplocircmeacutes connaissent une

disqualification croissante si 11 de lrsquoensemble de la laquo geacuteneacuteration 1998 raquo

est au chocircmage 30 des non-diplocircmeacutes de cette mecircme geacuteneacuteration sont

sans emploi On peut formuler lrsquohypothegravese drsquoune plus grande vulneacuterabi-

liteacute des jeunes deacutescolariseacutes quant aux perspectives socioprofessionnelles

dans un contexte de peacutenurie drsquoemplois pour les personnes non qualifieacutees

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132

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE

DES PERSONNES-RESSOURCES

Notre situation de maicirctre de confeacuterences dans un IUFM

9

nous a permis

de preacutesenter notre deacutemarche de recherche agrave des personnels de lrsquoEacuteduca-

tion nationale engageacutes dans les formations en IUFM et en contact ou en

poste dans des collegraveges Ainsi srsquoeacutetablissent des relations originales entre le

chercheur et les acteurs de terrain qui conditionnent la reacuteussite de

lrsquoenquecircte les eacutelegraveves deacutescolariseacutes sont en effet difficiles drsquoaccegraves isoleacutes des

eacutetablissements scolaires plutocirct centreacutes sur leurs groupes de pairs ou

replieacutes sur leur cercle familial immeacutediat la preacutesence drsquoune personne de

confiance qui favorise le premier entretien est cruciale dans ce type

drsquoenquecircte Les parents des jeunes deacutescolariseacutes et les jeunes eux-mecircmes

ont souvent lrsquoimpression de ne pas ecirctre entendus par les institutions (en

particulier lrsquoeacutecole) La rencontre avec un chercheur est une occasion de

srsquoexprimer le plus librement possible en reprenant le deacuteroulement des

eacuteveacutenements et en explicitant un point de vue devant un interlocuteur

neutre sans risque de culpabilisation ou de contradiction Pour ces per-

sonnes en situation de

vulneacuterabiliteacute socieacutetale

crsquoest une occasion rare de

srsquoexprimer sur un thegraveme qui peut bouleverser lrsquoeacutequilibre familial Il

importe cependant drsquoecirctre tregraves clair sur le statut de lrsquoentretien car la

demande drsquoaide affleure tant la deacutetresse et le sentiment drsquoabandon et

drsquoimpuissance sont grands

Par ailleurs notre inteacuterecirct de recherche se croise avec des question-

nements apparus dans plusieurs collegraveges quel est le sens drsquoexclusions et

de reacuteaffectations drsquoeacutelegraveves en grande difficulteacute scolaire et plutocirct opposi-

tionnels voire tregraves perturbateurs dans les classes et les eacutetablissements

Comment venir en aide aux eacutelegraveves qui arrivent en sixiegraveme sans posseacuteder

les acquis de base neacutecessaires au deacuteroulement drsquoune scolariteacute normale

dans le secondaire Quelles relations entretenir avec les parents de ces

eacutelegraveves Comment travailler en partenariat avec des travailleurs sociaux

exteacuterieurs aux eacutetablissements De mecircme les divers eacutetablissements contac-

teacutes srsquointerrogent sur lrsquoimpact de la deacutescolarisation sur les processus de

marginalisation et sur les difficulteacutes du partenariat avec lrsquoEacuteducation natio-

nale Les reacutesultats de la recherche eacutetant restitueacutes aux eacutetablissements et aux

agents institutionnels on comprend lrsquointeacuterecirct que ceux-ci trouvent agrave une

collaboration avec un chercheur sur cette question

9 Institut universitaire de formation des maicirctres

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55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS

551 L

ES

PERSONNELS

PEacuteDAGOGIQUES

10

5511 Des donneacutees non utiliseacutees

La majoriteacute des jeunes dont nous avons eacutetudieacute les trajectoires se sont

signaleacutes par des perturbations importantes de lrsquoordre scolaire menant

pour six drsquoentre eux agrave un conseil de discipline et agrave une exclusion deacutefini-

tive Les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo se sont montreacutes eacutegalement absenteacuteistes

alors que drsquoautres ont adopteacute une position de retrait sans perturber

lrsquoordre scolaire Dans plusieurs dossiers scolaires les appreacuteciations porteacutees

par les enseignants du premier degreacute eacuteclairent les difficulteacutes veacutecues par

lrsquoeacutelegraveve au collegravege certaines sont clairement des sortes drsquoalertes agrave destina-

tion des enseignants du second degreacute Mais dans lrsquoensemble les dossiers

des eacutelegraveves sont rarement consulteacutes par les enseignants des collegraveges mecircme

en cas de problegraveme seacuterieux rencontreacute au deacutebut de la scolariteacute du second

degreacute Bien que certains aient abordeacute la sixiegraveme avec des difficulteacutes et des

lacunes repeacutereacutees agrave la fin du cycle 3 la plupart des eacutelegraveves nrsquoont pas eacuteteacute

lrsquoobjet drsquoune prise en charge particuliegravere agrave ce propos Ils sont surtout

sanctionneacutes pour des perturbations scolaires importantes

Certains enseignants ont en main des donneacutees pouvant contribuer

agrave comprendre la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve situation familiale amenant

lrsquoeacutelegraveve agrave srsquoabsenter de lrsquoeacutecole pour soutenir un parent malade ou deacutefaillant

sentiment drsquoeacutechec massif et incompreacutehension du sens des eacutetudes ennui

profond agrave lrsquoeacutecolehellip Mais ces donneacutees ne sont pas travailleacutees collectivement

dans le sens de la recherche drsquoune solution peacutedagogique adapteacutee agrave lrsquoeacutelegraveve

Un eacutelegraveve perturbateur peut ecirctre un leader ou au contraire un jeune isoleacute

de ses camarades il peut avoir des reacutesultats assez bons malgreacute une preacute-

sence eacutepisodique ou au contraire montrer des lacunes drsquoapprentissage

seacuterieuses degraves lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire il peut appreacutecier lrsquoeacutecole tout au moins

au deacutebut de ses laquo anneacutees collegravege raquo ou srsquoen deacutesinteacuteresser degraves les premiers

mois de la sixiegravemehellip Les appreacuteciations sur les bulletins scolaires et les

mesures prises agrave son eacutegard seront sensiblement les mecircmes Cette reacutecur-

rence des mecircmes reacuteactions srsquoeacutetend aux eacutelegraveves non perturbateurs degraves lors

qursquoune eacutetape de plus est franchie dans leur laquo volonteacute drsquoopposition raquo du

point de vue des acteurs scolaires Il est drsquoailleurs frappant de constater

le deacutecalage entre certains discours sur les eacutelegraveves lors des entretiens avec

des enseignants et les eacutecrits les concernant (bulletins scolaires comptes

10 Enseignants principaux et principaux adjoints conseillers principaux drsquoeacuteducationhellip

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rendus de conseils de disciplinehellip) autant les premiers peuvent teacutemoi-

gner de compreacutehensions nuanceacutees des probleacutematiques des eacutelegraveves autant

les seconds suivent les mecircmes appreacuteciations ritualiseacutees et collectivement

mises en eacutecrit

5512 Des deacutecisions drsquoorientation non suivie drsquoeffets

Par ailleurs des deacutecisions drsquoorientation ne sont pas suivies drsquoeffets un

eacutelegraveve orienteacute en SEGPA se retrouve en section geacuteneacuterale un autre orienteacute

par un eacutetablissement vers une classe agrave projet speacutecifique (quatriegraveme drsquoaide

et de soutien) integravegre une classe ordinaire agrave la suite drsquoun deacutemeacutenage-

menthellip Manque de coordination entre eacutetablissements ou agrave lrsquointeacuterieur

drsquoun mecircme eacutetablissement reacuteticences voire refus des parents malenten-

dus ou absence drsquoexplication aux familles peuvent contribuer agrave lrsquoarrecirct de

scolariteacute

Les jeunes deacutescolariseacutes qui nrsquoont pas repris une forme de scolariteacute

par la suite nrsquoont pas reccedilu un soutien particulier ou beacuteneacuteficieacute drsquoun regard

bienveillant des acteurs scolaires (enseignants) sur lrsquoensemble de leur vie

scolaire En ce sens on peut dire qursquoils nrsquoont pas eu drsquoallieacute efficace mecircme

si ccedilagrave et lagrave tel ou tel enseignant a pu se poser des questions sur les raisons

de leur absenteacuteisme ou tenter de leur venir en aide malgreacute les incidents

quelquefois spectaculaires dont certains adolescents eacutetaient des protago-

nistes actifs Ces interventions de mecircme que celles des travailleurs sociaux

ou celles de leurs parents nrsquoont pas suffi agrave leur permettre un redresse-

ment Ils se sont vu tregraves rarement proposer un dispositif relais ou des

actions de soutien coordonneacutees avec lrsquoenseignement geacuteneacuteral Les proces-

sus observeacutes illustrent ainsi les conclusions de Sylvain Broccolicchi (2000)

lorsqursquoil conclut agrave la solitude des eacutelegraveves deacutescolariseacutes compareacutes agrave ceux

autant en difficulteacute agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme qui ont continueacute leurs eacutetudes

5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure

Une conseacutequence de la suppression des orientations en fin de cinquiegraveme

lieacutee agrave lrsquoabsence de dispositifs de remeacutediation pour les eacutelegraveves en grande

difficulteacute est le deacuteveloppement de lrsquolaquo eacutechec scolaire raquo de ces eacutelegraveves et de

lrsquoideacutee que certains eacutelegraveves seraient quasiment laquo inenseignables raquo (Thin

1999) Les enseignants sont ainsi ameneacutes agrave faire un laquo tri raquo entre les eacutelegraveves

laquo reacutecupeacuterables raquo et les autres La seacutelection ne se fait pas tant au niveau des

reacutesultats qursquoagrave celui du comportement scolaire les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo

ou laquo paresseux raquo sont ainsi particuliegraverement viseacutes par les jugements neacutega-

tifs et le redoublement se fait quasiment au meacuterite dans tous les cas sur

la base drsquoun pari drsquoeacutevolution positive et selon lrsquoeacutevaluation de la possibiliteacute

pour les enseignants de laquo supporter raquo lrsquoeacutelegraveve une anneacutee de plus Agrave cela

srsquoajoute lrsquoargument de lrsquoacircge si lrsquoeacutelegraveve a deacutejagrave une anneacutee ou deux de retard

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

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il passera plus facilement dans la classe supeacuterieure Celui qui redouble est

donc gratifieacute drsquoune laquo chance raquo suppleacutementaire dont est priveacute celui qui

passe dans la classe supeacuterieure avec quelquefois des reacutesultats plus faibles

et un comportement plus perturbateur ou absenteacuteiste De ce fait le redou-

blement au collegravege nrsquoest pas correacuteleacute agrave lrsquointerruption preacutecoce drsquoeacutetude

(Broccolicchi 1998b)

Nous avons trouveacute dans plusieurs dossiers scolaires la mention

laquo redoublement inutile raquo accompagneacutee drsquoun avis de passage dans la classe

supeacuterieure Ces laquo faux passages raquo introduisent un leurre reconnu par de

nombreux enseignants de collegravege en lrsquoabsence de projet individuel concer-

nant un eacutelegraveve particuliegraverement en difficulteacute ce dernier est laquo emmeneacute raquo

vers la fin de la troisiegraveme qui correspond grosso modo agrave lrsquoacircge de 16 ans

(drsquoautant plus que certains eacutelegraveves ont une ou plusieurs anneacutees de retard)

et confronteacute agrave une injonction contradictoire rester dans lrsquoeacutetablissement

tout en sachant qursquoil ne peut y espeacuterer une progression de ses reacutesultats

La situation devient encore plus paradoxale quand en cas drsquoabsenteacuteisme

se deacuteclenche la proceacutedure de signalement agrave lrsquoInspection acadeacutemique

enjoignant les parents agrave respecter la loi sur la scolariteacute obligatoire jusqursquoagrave

16 ans

Ces passages fictifs sont accompagneacutes drsquoun double discours des

enseignants en forme de justifications regrets mecircleacutes drsquoimpuissance de

laisser ainsi agrave lrsquoabandon des eacutelegraveves sans leur apporter de reacuteelles proposi-

tions eacuteducatives et peacutedagogiques critique du laquo

collegravege unique

raquo dont on sait

par diverses enquecirctes que nombre drsquoenseignants en refusent le principe

en particulier les enseignants les plus jeunes et ceux des collegraveges Ces

regrets et justifications sont compleacuteteacutes par des exemples de cas drsquoeacutelegraveves

illustrant le constat geacuteneacuteral que certains laquo

nrsquoont pas leur place au collegravege

raquo

sans que lrsquoon puisse dans le mecircme temps deacuteterminer ougrave ils pourraient

trouver une laquo

place

raquo qui leur conviennehellip Lrsquoabsence de temps et de lieux

de concertation organiseacutes pour les eacutelegraveves en difficulteacute conduit au constat

drsquoimpuissance la question laquo

qursquoest-ce qursquoon peut faire pour ces eacutelegraveves-lagrave

raquo for-

muleacutee ainsi au chercheur renvoie agrave autrui la reacuteponse agrave cette interrogation

dont ne se saisit pas le milieu enseignant dans son ensemble comme srsquoil

existait un consensus pour laquo

sacrifier quelques-uns pour proteacuteger la communauteacutescolaire

raquo expression souvent entendue eacutegalement

On se trouve alors dans un systegraveme de non-reacutesolution des difficulteacutes

patentes de certains eacutelegraveves qui sont ainsi meneacutes vers lrsquoarrecirct de scolariteacute

par retrait du jeune drsquoune situation sans issue Ce retrait peut ecirctre silen-

cieux ou beaucoup plus spectaculaire il srsquoaccompagne alors freacutequemment

drsquoexclusions deacutefinitives lors de conseils de discipline

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136 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants

Lrsquoincidence de lrsquoeacutechec scolaire et du sentiment drsquoinjustice sur les compor-

tements drsquoindiscipline est connue par de nombreux travaux (Dubet et

Martuccelli 1996 Debarbieux 1999 Broccolicchi 1998a 2000 Van

Zanten 2001 etc) Dans lrsquoensemble des situations des eacutelegraveves laquoperturba-

teursraquo les acteurs scolaires focalisent leur attention sur les perturbations

causeacutees par ces eacutelegraveves beaucoup plus que sur leurs difficulteacutes drsquoappren-

tissage envisageacutees comme de simples conseacutequences de leur indiscipline

alors qursquoelles existent dans plusieurs cas depuis lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire et se

manifestent degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme

Lrsquolaquo absence de travail raquo qui engendre les mauvais reacutesultats apparaicirct

alors comme une forme drsquoindiscipline dont les formes drsquoexpression varieacutees

seraient la cause directe de ces piegravetres performances scolaires Dans le

mecircme temps ces difficulteacutes constituent des obstacles agrave la reprise drsquoeacutetudes

laquo normales raquo par les eacutelegraveves difficile de laquo se calmer raquo et de laquo se mettre au

travail raquo avec une moyenne geacuteneacuterale autour de 520 un retard consideacuterable

pris par rapport aux autres eacutelegraveves et aucun dispositif de remeacutediation

Ceux qui ont eacuteteacute laquo simplement raquo absenteacuteistes nrsquoont pas eacuteteacute sanction-

neacutes pour ce seul motif mis agrave part les avertissements sur les bulletins

scolaires Les appreacuteciations sur les bulletins essaient de les convaincre de

maniegravere de plus en plus insistante mais la deacuteviance ne se constitue qursquoau

moment ougrave les acteurs scolaires perccediloivent une intention de la part de

lrsquoeacutelegraveve par exemple lorsque les absences cessent drsquoecirctre justifieacutees par le

responsable de lrsquoeacutelegraveve Lorsque laquo la famille se manifeste raquo la situation de

lrsquoeacutelegraveve est prise en compte avec une relative bienveillance Dans le cas

contraire ougrave laquo aucune collaboration nrsquoest possible raquo ou lorsque lrsquoassistant

social indique plus laconiquement laquo famille muette raquo sur les dossiers de

freacutequentation scolaire le ton se durcit par rapport agrave lrsquoeacutelegraveve suspecteacute alors

de laquo mauvaise volonteacute raquo crsquoest-agrave-dire du dessein clair de srsquoopposer agrave lrsquoinsti-

tution scolaire Le paradoxe est que cette absence de justification pourrait

ecirctre la marque drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute accrue de lrsquoeacutelegraveve et neacutecessiter

un soutien plus appuyeacute encore

Les punitions et sanctions de lrsquoindiscipline et de laquo lrsquoabsence de

travail raquo sont repeacuterables dans les rapports drsquoincidents scolaires Elles sont

quelquefois tregraves nombreuses (plusieurs dizaines de rapports drsquoincidents

en une anneacutee pour un mecircme eacutelegraveve) et de plusieurs types lignes agrave copier

copies du regraveglement inteacuterieur du collegravege ou du regraveglement de classe en

plusieurs exemplaires copie de travaux scolaires correspondant au contenu

du cours perturbeacute retenues (heures de colle) avertissements (travail et

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conduite) ou blacircmes exclusions de cours exclusions de plusieurs jours

alors mecircme que lrsquoabsenteacuteisme est preacutesent dans la probleacutematique de

lrsquoeacutelegraveve Ces exclusions ne sont cependant pas lieacutees agrave lrsquoabsenteacuteisme mais

agrave des perturbations scolaires

Ces sanctions sortent pour certaines du cadre de la leacutegaliteacute11 et sont

souvent inapplicables peu expliciteacutees aux eacutelegraveves et elles peuvent geacuteneacuterer

un fort sentiment drsquoinjustice (Debarbieux 1999 p 102)

Dans aucune des situations eacutetudieacutees les sanctions eacutenumeacutereacutees ici

nrsquoont permis de modifier le comportement de lrsquoeacutelegraveve dans le sens souhaiteacute

par les acteurs scolaires Au contraire on constate une progression drsquoinci-

dents (altercations entre eacutelegraveves avec des enseignants ou des surveillants)

vers des commissions de vie scolaire avec exclusions de plusieurs jours

toujours pour les mecircmes comportements suivies quelques semaines ou

quelques mois apregraves drsquoun arrecirct total de freacutequentation scolaire du jeune

ou de conseils de discipline menant agrave lrsquoexclusion deacutefinitive Apregraves la reacuteaf-

fectation dans un autre collegravege le mecircme processus se reproduit menant

rapidement cette fois-ci lrsquoeacutelegraveve agrave la deacutescolarisation De fait les eacutelegraveves qui

en ont eacuteteacute les destinataires ainsi que leurs parents ne mentionneront agrave

aucun moment un beacuteneacutefice en matiegravere de compreacutehension ou drsquoeacuteducation

tireacute de ces punitions scolaires Certains les consideacutereront davantage

comme des marques drsquoune profonde incompreacutehension de leur situation

Les processus de deacutescolarisation mettent en cause des pratiques

issues de lrsquoeacutevolution du systegraveme scolaire lui-mecircme qui deacuteterminent les

acteurs et leur laissent peu de latitude pour reacuteagir autrement Mais on

peut aussi repeacuterer des attitudes enseignantes individuelles plus exception-

nelles laquo la mise au coin raquo par exemple peine proscrite drsquoailleurs par la

circulaire du 13 juillet 2000

Dans le cas du jeune viseacute par cette punition la mise au coin a eacuteteacute

veacutecue comme humiliante a fonctionneacute comme une laquo provocation agrave la

deacuteviance raquo deacuteclencheacute une reacuteaction violente de lrsquoeacutelegraveve laquelle interpreacute-

teacutee comme un danger potentiel de violence physique agrave lrsquoeacutegard de tous les

personnels entraicircnera lrsquoexclusion deacutefinitive de lrsquoeacutelegraveve suivie drsquoune reacuteaffec-

tation dans un collegravege eacuteloigneacute de son domicile La scolariteacute du jeune

garccedilon srsquoarrecirctera lagrave

11 Voir Bulletin officiel du 13 juillet 2000

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138 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

5515 Haro sur les eacutelegraveves

Les eacutelegraveves deacutescolariseacutes et perturbateurs sont marqueacutes comme tels et

comme laquo ineacuteducables raquo depuis de nombreux mois voire plusieurs anneacutees

quand intervient lrsquoarrecirct de scolariteacute effectif Des mots ou expressions

comme laquo individu raquo laquo faire lrsquoimbeacutecile raquo et laquo imbeacutecile raquo eacutecrits sur des rapports

drsquoincidents laquo cas psychiatrique raquo laquo dangereux raquo sont freacutequemment lus ou

entendus les concernant avec une freacutequence drsquoautant plus grande que le

conflit srsquoaggrave entre lrsquoeacutelegraveve et lrsquoinstitution et que les adultes qui les

utilisent sont engageacutes directement dans les interactions Ces maniegraveres de

nommer ou de qualifier ces eacutelegraveves soulignent des eacuteleacutements drsquoune

ambiance qui banalise des termes deacutevalorisants agrave lrsquoencontre des eacutelegraveves

en tregraves grande difficulteacute drsquoapprentissage et perturbateurs de lrsquoordre sco-

laire Ils deviennent alors ce qursquoils montrent les adultes ayant tendance agrave

identifier lrsquoeacutelegraveve deacuteviant au vu des manifestations produites Ces juge-

ments srsquoaccompagnent de propheacuteties autoreacutealisatrices sur lrsquoineacuteducabiliteacute

de lrsquoeacutelegraveve et lrsquoineacuteluctabiliteacute de son destin scolaire et social Les theacuteories

de lrsquoeacutetiquetage appliqueacutees agrave lrsquoeacutecole fonctionnent alors agrave plein (Van

Zanten 2001)

Plusieurs dossiers comportent des appreacuteciations non fondeacutees sur des

examens meacutedicaux ou psychologiques portant sur lrsquoorientation neacutecessaire

en structure speacutecialiseacutee laquo adapteacutee au comportement de lrsquoeacutelegraveve raquo ainsi que des

injonctions aux parents drsquoaccompagner leur enfant suivre une psycho-

theacuterapie au vu des incidents scolaires dont il est protagoniste Lrsquoeacutelegraveve

perturbateur est alors paradoxalement consideacutereacute comme actif et volon-

taire dans les deacutesordres qursquoil met en scegravene dans lrsquoeacutetablissement scolaire

donc responsable de ce qui lui arrive et dans le mecircme temps porteur

de troubles seacuterieux du comportement ou de handicaps relevant drsquoune

commission speacutecialiseacutee

5516 Lrsquoexternalisation des solutions

Les causes possibles de la deacuteviance (quartier famille eacutelegraveve lui-mecircme) sont

situeacutees en dehors du champ de la relation peacutedagogique de mecircme que les

laquo solutions raquo eacuteventuelles (sollicitation de travailleurs sociaux des familles

injonction de changer faite agrave lrsquoeacutelegraveve lui-mecircme) Dans cette logique les

mesures proposeacutees renvoient souvent la recherche de changement du

comportement de lrsquoeacutelegraveve agrave des structures ou agrave des personnes peacuteripheacute-

riques ou exteacuterieures aux situations drsquoenseignement contact avec des

eacuteducateurs suivi par lrsquoassistante sociale du collegravege injonction agrave la famille

de rescolariser le jeune avec assiduiteacutehellip

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Drsquoautres mesures conccedilues comme plus eacuteducatives sont mises en

place comme les promesses ou les engagements les cahiers de suivi les

commissions ou conseils de vie scolaire mais elles sont appliqueacutees sur le

mecircme mode de lrsquoinjonction ou de la sanction sans qursquoaucune ameacuteliora-

tion dans le sens souhaiteacute par les acteurs scolaires ait pu ecirctre constateacutee

Le non-respect de la proceacutedure du cahier de suivi srsquoest du reste rajouteacute

aux charges qui pegravesent contre lrsquoun des eacutelegraveves deacutescolariseacute par la suite au

moment du conseil de discipline

Le traitement appliqueacute aux eacutelegraveves perturbateurs et deacutescolariseacutes

ensuite rencontreacutes au cours de notre recherche est bien un traitement

coercitif classique depuis le deacutebut de leur scolariteacute au collegravege (avertisse-

ments exclusions conseil de vie scolaire) visant agrave leur faire apprendre de

greacute ou de force leur laquo meacutetier drsquoeacutelegraveve raquo laquo se comporter comme un eacutelegraveve raisonnable raquo

eacutetant entendu qursquoil ne tient qursquoagrave lrsquoeacutelegraveve de prendre la deacutecision de changer

Dans cette logique de refus ou drsquoacceptation la laquo mise au travail raquo

suffirait agrave reacutetablir la situation La question des lacunes scolaires est ainsi

eacuteviteacutee comme est preacuteserveacute le point central des compeacutetences enseignantes

les interactions peacutedagogiques dans la classe Lrsquoeacutelegraveve en difficulteacute devient

une personne laquo difficile raquo Une logique de rapport de force entre lrsquoinstitu-

tion et lrsquoeacutelegraveve srsquoeacutetablit ainsi visant agrave laquo faire changer lrsquoeacutelegraveve drsquoavis raquo Celui-ci est

alors pris comme seul et unique responsable de sa situation et de son

eacutevolution quelquefois sommeacute de laquo trouver une solution raquo avec la mention

laquo nous avons tout essayeacute raquo Lrsquoabsence de changement marque eacutevidente de

mauvaise volonteacute deacuteclenche la colegravere des personnels scolaires La reacuteaction

aux perturbations manifesteacutees par lrsquoeacutelegraveve renforce et cristallise lrsquoidentiteacute

deacuteviante et les relations srsquoinstallent durablement dans le conflit En cas

de perturbations graves ces eacutelegraveves sont alors consideacutereacutes comme laquodangereuxpour la communauteacute scolaire raquo laquo nrsquoayant pas leur place au collegravege raquo La seacutepara-

tion devient ineacutevitable soit agrave la suite drsquoun conseil de discipline qui pro-

nonce lrsquoexclusion deacutefinitive soit par retrait de lrsquoeacutelegraveve en particulier dans

le cas de laquo passages fictifs raquo dans la classe supeacuterieure Lrsquoensemble des acteurs

scolaires srsquoentend pour traiter la situation en fonction drsquoinjonctions et de

sanctions plutocirct que de reacutesolution dans le sens de la poursuite des eacutetudes

ou drsquoun parcours individuel adapteacute agrave la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve La

gestion des laquo deacuteviants scolaires raquo tend ainsi agrave ecirctre penseacutee et mise en actes

en termes de preacuteservation de lrsquoordre scolaire sanctionnant les manque-

ments aux regravegles tant drsquoassiduiteacute que de comportement les mauvais

reacutesultats eacutetant quasiment inclus dans le registre des transgressions

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140 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

552 LES EacuteLEgraveVES

Les jeunes deacutescolariseacutes srsquoexpriment peu par rapport agrave leur situation acircgeacutes

de 14 agrave 16 ans au moment de la rencontre avec le chercheur ils ont veacutecu

un processus de deacutescolarisation plus qursquoils ne lrsquoont construit avec parfois

lrsquoimpression qursquoils avaient tregraves peu de prise sur ce qui leur arrivait Un

seul (Patrick dont nous deacutetaillerons la situation plus loin) exprime un

refus clair de lrsquoeacutecole et de toutes les propositions qui lui seraient faites

en forme de conflit ouvert et non neacutegociable accompagneacute drsquoun deacutesinteacuterecirct

affirmeacute par rapport agrave son avenir Un autre qui nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute

souhaiterait vivement laquo entrer agrave lrsquoeacutecole raquo Pour les eacutelegraveves exclus drsquoun collegravege

lrsquoeacuteloignement du collegravege de reacuteaffectation est un obstacle important agrave la

suite de la scolariteacute Drsquoautres expriment un fort sentiment de deacutevalori-

sation personnelle (crsquoest le cas de ceux qui se sont signaleacutes par drsquoimpor-

tantes perturbations scolaires) et des espoirs deacuteccedilus dans la scolariteacute Les

jeunes qui nrsquoont pas eacuteteacute perturbateurs et ont de ce fait eacuteteacute moins stigma-

tiseacutes nrsquoexpriment pas de ressentiment ou de crainte mais plutocirct un deacutesin-

teacuterecirct global par rapport agrave lrsquoeacutecole en geacuteneacuteral tout en gardant un laquo bonsouvenir raquo drsquoenseignants ou drsquoacteurs scolaires Le processus de deacutescolari-

sation srsquoest accompagneacute drsquoun isolement croissant par rapport aux autres

eacutelegraveves du collegravege accentueacute par les nombreuses absences Lrsquoabsenteacuteisme

ou les fortes perturbations coupent les jeunes des sociabiliteacutes juveacuteniles

lieacutees agrave la vie quotidienne au collegravege et mecircme si les camarades peuvent

jouer un rocircle de relais et de garde-fous dans certaines situations leur

peacuterennisation entraicircne une deacutesaffection de leur part

Les jeunes deacutescolariseacutes occupent des rangs divers dans leurs fratries

dont le nombre drsquoenfants varie de un agrave sept six sont des aicircneacutes (ou enfant

unique pour un) quatre sont les plus jeunes quatre occupent des places

meacutedianes dans la fratrie Tous les jeunes deacutescolariseacutes vivent plutocirct laquo au jourle jour raquo pris en charge mateacuteriellement dans leurs familles avec lesquelles

ils entretiennent des relations diverses qui vont de la bonne entente au

conflit ouvert en forme de rapport de force avec les parents ou des fregraveres

et sœurs Plusieurs disent vouloir travailler et attendre drsquoavoir 16 ans pour

pouvoir le faire La notion drsquoadolescence est relative dans leur cas alors

que pour beaucoup de jeunes scolariseacutes elle est une peacuteriode assez longue

pendant laquelle ils restent deacutependants de leurs parents tout en menant

une vie relativement autonome il en va autrement pour ceux dont nous

avons eacutetudieacute les situations

Les jeunes deacutescolariseacutes se trouvent confronteacutes avant lrsquoacircge de 16 ans

agrave des choix et agrave des perspectives qui tiennent plus de lrsquoacircge adulte trouver

un travail ou une formation rapidement qualifiante seconder les parents

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la megravere en particulier La plupart drsquoentre eux vivent plus au contact

drsquoadultes que de jeunes de leur acircge (agrave part ceux qui sont attacheacutes agrave des

groupes de pairs) et leurs formes de sociabiliteacute juveacutenile se trouvent

modifieacutees par lrsquoarrecirct de scolariteacute

La majoriteacute des jeunes sont plutocirct resteacutes chez eux inteacutegrant laquo agrave plein

temps raquo la vie familiale au rythme de leurs parents Le temps est scandeacute

par les horaires scolaires des plus jeunes enfants que les jeunes filles

accompagnent ou vont chercher Lrsquoarrecirct de scolariteacute implique une dimi-

nution des reacuteseaux relationnels avec des pairs deacutejagrave restreints pour la

plupart des jeunes un repli sur la sphegravere familiale et une impression

drsquoennui avec dans un cas des activiteacutes reacutepeacutetitives Les relations intrafami-

liales se tendent drsquoautant plus que les intervenants exteacuterieurs se mani-

festent par des avertissements ou des injonctions et que les revenus de la

famille sont en baisse par la suspension ou la suppression des allocations

familiales Les jeunes qui avaient des reacutesultats scolaires satisfaisants agrave

lrsquoentreacutee en sixiegraveme peuvent espeacuterer dans un avenir indeacutetermineacute reprendre

une formation mais pour les autres les reacutesultats scolaires en chute ou

mauvais depuis plusieurs anneacutees rendent tregraves aleacuteatoire la perspective de

projets professionnels ou drsquoavenir lieacutes agrave la formation en geacuteneacuteral

Sur les quatorze situations rencontreacutees cinq jeunes ont commis des

actes deacutelinquants preacutealables ou parallegraveles agrave leur entreacutee au collegravege Agrave la

suite de lrsquoarrecirct de scolariteacute ces actes deacutelinquants ont continueacute et se sont

mecircme amplifieacutes mais on ne peut pas dire que lrsquoarrecirct de scolariteacute ait

geacuteneacutereacute la deacutelinquance Onze ont eacuteteacute lrsquoobjet de signalements pour faits

de petite deacutelinquance ou absenteacuteisme ou encore problegraveme familial Ces

signalements ont donneacute lieu agrave des rencontres avec un juge des enfants et

agrave des mesures eacuteducatives avec maintien au domicile dans la majoriteacute des

cas (deux jeunes ont eacuteteacute placeacutes sur des dureacutees courtes) Les deux jeunes

dont les parents ont trouveacute une issue en matiegravere drsquoapprentissage anticipeacute

nrsquoont fait lrsquoobjet drsquoaucun signalement pas plus que lrsquoenfant en situation

irreacuteguliegravere

La preacutesence drsquoun groupe de pairs dans le quartier peut jouer un rocircle

attractif ou compensatoire agrave lrsquoinactiviteacute lieacutee agrave la deacutescolarisation Crsquoest le

cas pour cinq des jeunes qui ont commis des actes deacutelinquants et srsquoattachent

agrave des groupes de pairs en forme de bandes au fur et agrave mesure que

srsquoaccentue le processus de deacutescolarisation

553 LES FAMILLES

Aux facteurs endogegravenes agrave lrsquoeacutecole srsquoajoutent des situations familiales qui

ne permettent pas de soutenir lrsquoeacutelegraveve dans son effort scolaire ni de contre-

balancer lrsquoimage neacutegative qui lui est renvoyeacutee Dans la plupart des situations

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142 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rencontreacutees si les parents se manifestent ou reacutepondent aux demandes de

rencontre des collegraveges (les laquo convocations raquo) au sujet de leur enfant ou

tout au moins acceptent un eacutechange avec lrsquoassistant social qui se rend au

domicile on note un deacutecalage entre le point de vue et lrsquohistoire scolaire

des familles en particulier les parents et les exigences de lrsquoeacutecole tant sur

le plan de lrsquoassiduiteacute que sur celui du comportement

La plupart des familles rencontreacutees disposent de trop peu de res-

sources pour se positionner en interlocuteurs creacutedibles de lrsquoeacutecole meacutecon-

naissent le fonctionnement du systegraveme scolaire tout en devant geacuterer une

vie quotidienne tregraves difficile drsquoun point de vue eacuteconomique Dans une

famille une incompreacutehension linguistique majeure empecircche tout travail

de coeacuteducation effectif entre le collegravege et les parents en lrsquoabsence de

traduction La gestion de la scolariteacute revient majoritairement aux megraveres

qui sont plus souvent preacutesentes dans les eacutetablissements scolaires les pegraveres

(lorsqursquoils sont preacutesents dans lrsquoeacuteducation de leurs enfants) intervenant

plus pour geacuterer les manquements aux normes Dans plusieurs familles les

strateacutegies familiales employeacutees sont de lrsquoordre de la contention corporelle

sans effet sur une reprise de la scolariteacute ainsi des parents accompagnent

leur enfant au collegravege le remettent dans les mains du conseiller principal

drsquoeacuteducation (CPE) qui lrsquoemmegravene en courshellip jusqursquoagrave la fin de lrsquoheure ougrave

le jeune disparaicirct agrave nouveau de lrsquoeacutetablissement Son refus du systegraveme

scolaire est tel que ni les parents ni les acteurs scolaires nrsquoont drsquoinfluence

sur un eacuteventuel retour Des punitions corporelles reacutepeacuteteacutees sont appliqueacutees

par certaines familles aux jeunes visant agrave les faire laquo rentrer dans le droitchemin raquo (celui de lrsquoeacutecole en lrsquooccurrence censeacutee assurer une formation

et proteacuteger contre les risques de deacutelinquance) avec pour effet drsquoaccentuer

le retrait de la famille parallegravelement au retrait de lrsquoeacutecole La stigmatisation

opeacutereacutee par lrsquoeacutecole est renforceacutee dans certaines familles par un regard

neacutegatif porteacute sur lrsquoadolescent qui devient une laquo bouche inutile raquo en parti-

culier lorsque les allocations familiales sont suspendues

Eacuteloigneacutes du marcheacute du travail et de celui de la consommation les

parents nrsquooffrent pas drsquoimage creacutedible agrave leurs enfants en tant qursquoeacuteduca-

teurs Dans ces cas-lagrave le controcircle parental et la qualiteacute de la relation avec

les enfants deacutejagrave affecteacutes par la situation de preacutecariteacute dans laquelle se

trouvent les familles sont rendus encore plus difficiles (Mucchielli 2001

p 224) Des conflits aviveacutes de surcroicirct par la situation critique du jeune

au collegravege bloquent aussi la communication agrave lrsquointeacuterieur de ces familles

Pour les familles marqueacutees par la pauvreteacute les aleacuteas de la vie fami-

liale prennent des proportions exacerbeacutees seacuteparations divorces disputes

recompositions ont lieu dans des espaces et des temps restreints (lrsquoabsence

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de travail confine les membres adultes de la famille au domicile et ils ne

disposent pas de reacuteseaux professionnels ou relationnels qui leur permet-

traient de se distraire de ces situations) Ces familles peuvent eacutevoluer

rapidement deacutepart drsquoun conjoint et arriveacutee drsquoun autre installation

momentaneacutee ou agrave plus long terme au domicile du nouveau conjoint drsquoun

des deux parents en preacutesence de lrsquoautre heacutebergement de proches en

difficulteacute momentaneacutee deacutepart ou arriveacutee des enfants les plus acircgeacutes avec

quelquefois des beacutebeacuteshellip Les enfants doivent geacuterer ces situations familiales

conflictuelles et leur scolariteacute en mecircme temps et le cas eacutecheacuteant assurer

le soutien du parent le plus vulneacuterable comme crsquoest le cas pour lrsquoune des

jeunes filles dont la scolariteacute srsquoest arrecircteacutee principalement pour ce motif

Les deacutemarches diverses sont tregraves difficiles agrave effectuer les deacuteplace-

ments entre Roubaix et Lille par exemple sont veacutecus comme aleacuteatoires et

dangereux alors que lrsquoagglomeacuteration est desservie par des moyens de

transport nombreux et fiables Les propositions drsquoorientation ou de pla-

cement qui peuvent ecirctre faites rencontrent un refus de se seacuteparer parents

et enfants veulent rester ensemble par crainte de la solitude (pour les uns

et les autres) de lrsquoinconnu des jugements deacutevalorisants de lrsquoentourage et

des agents institutionnels autour de la seacuteparation De ce fait les proposi-

tions alternatives sont tregraves limiteacutees car les centres speacutecialiseacutes ou de forma-

tion se trouvent rarement dans le mecircme quartier ou dans la mecircme ville

En lrsquoabsence drsquoadheacutesion minimale du groupe familial agrave ces propositions

leur reacutealisation comporte un fort risque drsquoeacutechec La valeur fondamentale

qui apparaicirct ainsi pour ces familles est le fait de preacuteserver lrsquouniteacute du

groupe refuge protection lieu de souffrance mais aussi lrsquoexercice de la

fonction parentale qui doit ecirctre maintenue fucirct-elle mise en peacuteril par des

interactions violentes ou peacutenibles entre parents et enfants La remise en

cause de cette laquo compeacutetence parentale raquo est drsquoautant plus difficile agrave vivre

qursquoelle est le seul facteur de reconnaissance sociale possible

Lrsquoisolement et le peu de gratifications reccedilu dans leur vie sociale la

multipliciteacute des eacuteveacutenements qui jalonnent la vie familiale favorisent sans

doute lrsquoentreacutee et lrsquoinstallation de plusieurs megraveres dans la laquo deacutepression raquo

qui devient partie inteacutegrante de lrsquoidentiteacute maternelle preacutesenteacutee comme

telle au chercheur Les difficulteacutes veacutecues avec les conjoints et les enfants

sont des drames quotidiennement ressasseacutes et certaines trouvent dans ces

rocircles de megravere et drsquoeacutepouse doloriseacutees une forme drsquoidentiteacute acceptable pour

elles-mecircmes pour les acteurs scolaires pour les travailleurs sociauxhellip qui

vont intervenir en tenant compte de la laquomaladieraquo de la megravere Les laquoproblegravemes

de santeacute raquo sont partie prenante de ces probleacutematiques parentales et

deacuteclenchent la compassion ou lrsquoagacement des interlocuteurs inteacuteresseacutes agrave

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144 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

la situation de lrsquoenfant Dans les cas extrecircmes ils se retrouvent en situation

drsquoeacutecouter de rassurer voire drsquoassister les parents vulneacuterabiliseacutes Cela eacutetant

les parents rencontreacutes ne se deacutesinteacuteressent pas de la situation de leurs

enfants et les megraveres restent souvent leurs seules laquo allieacutees inconditionnelles raquo

tentant drsquoassurer leur laquo protection raquo dans les aleacuteas de leurs deacutemecircleacutes avec

lrsquoeacutecole les travailleurs sociaux les juges des enfants parfois

Dans plusieurs situations la vie familiale srsquoaccommode bon an mal

an du retrait scolaire de un ou plusieurs des enfants la scolariteacute de un

ou plusieurs aicircneacutes srsquoest arrecircteacutee agrave lrsquoacircge de 16 ans et les perspectives fami-

liales en matiegravere drsquoeacutecole sont plus porteacutees vers des eacutetudes courtes sanc-

tionneacutees ou non par un diplocircme professionnel que vers des eacutetudes longues

Le savoir scolaire nrsquoest pas valoriseacute en tant que tel et lrsquoeacutecole est veacutecue

comme un lieu de formation permettant drsquoacceacuteder rapidement agrave un

emploi Lorsque les reacutesultats scolaires du jeune et les incidents au collegravege

rendent cette perspective peu creacutedible la famille envisage alors un retrait

de lrsquoeacutecole degraves lrsquoacircge de 16 ans conseillant agrave lrsquoenfant de laquo se tenir agrave carreau raquo

drsquoici lagrave afin de ne pas srsquoattirer les reproches et les interventions nombreu-

ses des acteurs scolaires Une fois atteint lrsquoacircge de 16 ans on parle alors

de laquo trouver un bon apprentissage raquo au jeune afin de lui permettre de tra-

vailler rapidement Cette perspective est drsquoautant plus affirmeacutee qursquoexistent

dans la famille des personnes qui travaillent ou ont travailleacute dans un passeacute

reacutecent et qui peuvent ecirctre porteuses de cette ideacutee de processus de forma-

tion Lrsquoinfluence des travailleurs sociaux est par ailleurs notable dans les

discours mentionnant un laquo projet professionnel raquo alternatif agrave lrsquoeacutecole

Seules deux familles dont les deux parents travaillent ont mis en

place elles-mecircmes une issue agrave la deacutescolarisation de leur enfant en obte-

nant une deacuterogation pour une entreacutee en apprentissage avant 16 ans sans

passer par lrsquointermeacutediaire de travailleurs sociaux

Dans lrsquoensemble dans aucune des situations eacutetudieacutees on nrsquoa pu

observer des interactions efficaces entre les parents et lrsquoeacutetablissement

scolaire les familles globalement peu creacutedibles dans les repreacutesentations

des acteurs scolaires sont encore plus deacutevaloriseacutees quand elles sont en

situation de vulneacuterabiliteacute ou de pauvreteacute Agrave leur tour elles voient les

acteurs scolaires comme deacutesagreacuteables et peu efficaces porteurs drsquoinjonc-

tions irreacutealisables agrave lrsquoexception de certains (assistants sociaux principale-

ment) qui sont consideacutereacutes comme bienveillants et faisant tout leur possible

pour faire revenir lrsquoenfant au collegravege sans que cela corresponde agrave une

eacuteventualiteacute raisonnablement envisageable et reacutealisable par la famille

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554 LES TRAVAILLEURS SOCIAUX

(Agrave LrsquoINTEacuteRIEUR ET Agrave LrsquoEXTEacuteRIEUR DES COLLEgraveGES)

Les assistants sociaux scolaires jouent un rocircle cleacute dans le suivi des jeunes

en risque de deacutescolarisation ou dans lrsquointervention aupregraves drsquoeux quand

lrsquoarrecirct de scolariteacute est effectif car ils peuvent se rendre au domicile de la

famille et ne sont pas investis drsquoune mission peacutedagogique par rapport agrave

lrsquoeacutelegraveve Ils se situent dans un champ de relation plus laquo libre raquo et moins

stigmatisant pour le jeune et sa famille qui peuvent mettre en avant des

eacuteleacutements explicatifs ou justificatifs de lrsquoarrecirct de scolariteacute qui ne seraient

pas entendus par les autres agents scolaires Les familles sont par ailleurs

pour la plupart habitueacutees agrave recevoir ou agrave cocirctoyer des travailleurs sociaux

assistants sociaux en particulier dans une relation drsquoassistance et de controcircle

Les relations entre les assistants sociaux et les enseignants sont mar-

queacutees par un fort cloisonnement lorsqursquoils assurent le suivi social des

eacutelegraveves dans les collegraveges celui-ci se fait sans lien avec les interactions dans

les classes La question du secret professionnel reste entiegravere des ensei-

gnants adressent des eacutelegraveves au service social et ont quelquefois peu de

laquo retours raquo de ces interventions ils meacuteconnaissent des eacuteveacutenements graves

arrivant aux eacutelegraveves et regrettent ensuite drsquoecirctre intervenus agrave contretemps

aupregraves drsquoeux du fait de ces meacuteconnaissances Les personnels sociaux des

eacutetablissements maintiennent de leur cocircteacute la confidentialiteacute de nombre de

donneacutees par souci du respect de la vie priveacutee des eacutelegraveves et de leurs

familles et par crainte drsquoutilisations intempestives de ces informations Ces

mecircmes craintes existent drsquoailleurs aussi entre enseignants De fait les

intervenants sociaux ont plus de latitude pour intervenir aupregraves des

familles et tenter de modifier la probleacutematique familiale plutocirct que les

interactions qui se deacuteroulent ou se sont deacuterouleacutees au collegravege Leur forma-

tion les entraicircne aussi sans doute plus du cocircteacute de la relation parents-

enfants que des acquisitions scolaires ou des relations avec les enseignants

Par ailleurs les travailleurs sociaux insistent sur la mise en place de

laquo projets raquo qui se heurtent agrave la preacutecariteacute des conditions de vie faisant

justement obstacle agrave la construction de ces projets En outre si les enfants

deviennent plus qualifieacutes que leurs parents ils peuvent vivre des conflits

de loyauteacute qui remettraient en cause lrsquoeacutequilibre familial drsquoougrave des attitudes

de repli freacutequemment observeacutees et des laquo mises en eacutechec raquo de projets

construits autour de formations proposeacutees aux jeunes Lorsque les actions

dans les eacutetablissements scolaires ont eacutechoueacute agrave maintenir lrsquoeacutelegraveve dans le

milieu scolaire les solutions laquo sociales raquo prennent le relais en maintenant

un lien avec les familles et en eacutevitant un enclavement plus important pour

les familles les plus isoleacutees

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146 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

56 LE CAS DE PATRICK

Patrick est acircgeacute de 15 ans au moment ougrave nous le rencontrons chez lui avec

sa megravere et sa sœur aicircneacutee Il est le dernier drsquoune fratrie de sept enfants

Son pegravere est deacuteceacutedeacute il y a six ans Sa megravere employeacutee de collectiviteacute sur

Paris a arrecircteacute sa scolariteacute agrave la fin du cycle primaire Elle a deacutemeacutenageacute drsquoune

ville de la banlieue parisienne vers Roubaix en juin 1999 Elle est agente

de service agrave la DDASS12 drsquoun deacutepartement limitrophe de Paris poste

qursquoelle a obtenu en se faisant connaicirctre tout drsquoabord comme laquo cliente raquo

des services sociaux Elle fera le deacuteplacement Roubaix-Paris et retour tous

les jours jusqursquoau deacutebut de 2001 peacuteriode agrave laquelle elle entame une seacuterie

de congeacutes maladie pour laquo deacutepression raquo selon sa propre expression Au

moment du deacutemeacutenagement Patrick terminait une sixiegraveme marqueacutee par

de tregraves mauvais reacutesultats scolaires

Sur le bulletin de fin de CM213 de Patrick on peut lire laquo Des reacutesultats

faibles dans lrsquoensemble ndash Des efforts cependant tregraves doueacute pour lrsquoEPS14

perspectives drsquoadaptation en 6e moyennes (demande pour 6e hand-

ball) raquo Il a effectivement un A (meilleure cateacutegorie) en EPS et des per-

formances entre B et C pour la lecture lrsquoexpression orale les meacutecanismes

opeacuteratoires de C pour lrsquoexpression eacutecrite le raisonnement les sciences

et la technologie lrsquohistoire-geacuteographie lrsquoeacuteducation civique et musicale

les arts plastiques et de D pour lrsquoorthographe Dans le domaine des compeacute-

tences transversales on peut lire laquo Comportement irreacutegulier respecte

lrsquoautoriteacute Valoriseacute par les matiegraveres sportives raquo

Lrsquoappreacuteciation de fin de premier trimestre de sixiegraveme en banlieue

parisienne indique laquo Travail et reacutesultats tregraves insuffisants Il faut reacuteagir tregraves

rapidement raquo Cette injonction est soutenue par un dispositif de soutien

interne au collegravege Lrsquoenseignant en charge de ce soutien indique laquo bondeacutebut raquo sur le mecircme bulletin Au deuxiegraveme trimestre on note quelques

absences non justifieacutees et une attitude laquo peacutenible et deacutesagreacuteable raquo laquo perturbatrice raquo

est signaleacutee par la majoriteacute des professeurs Lrsquoenseignant chargeacute du sou-

tien indique laquo Encourageant Il faudrait ne manquer aucune seacuteance raquo Patrick

reccediloit un avertissement laquo travail et conduite raquo Il est exclu une journeacutee de

lrsquoeacutetablissement aux motifs de laquo Refuse drsquoobeacuteir perturbe la classe tutoie le

professeur raquo La megravere de Patrick eacutecrit une lettre au principal pour accuser

reacuteception du courrier lui notifiant cette exclusion et srsquoexcuser elle-mecircme

du comportement de son fils

12 Direction deacutepartementale de lrsquoaction sanitaire et sociale

13 Cours moyen 2e anneacutee

14 Eacuteducation physique et sportive

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Au troisiegraveme trimestre Patrick est scolariseacute agrave Roubaix sans que

lrsquoenseignant chargeacute du soutien en soit preacutevenu car il indique sur un

bulletin par ailleurs vide de toute appreacuteciation laquo Nrsquoest plus venu ce trimestreIl y avait pourtant quelque chose agrave faire raquo Au troisiegraveme trimestre agrave Roubaix

on comptabilise quatre demi-journeacutees drsquoabsence non justifieacutees La moyenne

geacuteneacuterale est faible (79520) les appreacuteciations soulignent le sentiment de

laquo peu drsquoefforts peu de travail ensemble un peu timide raquo avec des appreacuteciations

positives en technologie et en sciences et vie de la terre laquo seacuterieux ensemblecorrect bien raquo Sur le bulletin scolaire du premier trimestre de lrsquoanneacutee 1999-

2000 on note laquo Trimestre catastrophique Aucun travail et attitude tregraves peacutenibleAvertissement travail et conduite raquo Aucun dispositif de soutien nrsquoest cette

fois-ci proposeacute agrave Patrick

Les deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres de cinquiegraveme se deacuteroulent en

banlieue parisienne dans le collegravege ougrave il a effectueacute sa sixiegraveme Patrick a

en effet refuseacute le deacutemeacutenagement de sa megravere et a obtenu drsquoecirctre logeacute chez

lrsquoun de ses fregraveres aicircneacutes dans la ville de banlieue parisienne ougrave il habitait

preacuteceacutedemment en laquo faisant le chantage raquo comme le dit son fregravere laquo Srsquoilrevenait agrave X il suivait lrsquoeacutecole raquo Les reacutesultats scolaires tregraves mauvais se com-

binent avec des incidents violents qui lrsquoopposent agrave des enseignants et agrave

drsquoautres eacutelegraveves ainsi qursquoavec de multiples absences De fait Patrick fait

partie drsquoune bande de jeunes garccedilons qui commencent agrave commettre des

actes deacutelinquants (vols agressions sur drsquoautres du mecircme acircge) dans la citeacute

ougrave il habitait avec sa megravere

Le chef drsquoeacutetablissement connaicirct bien Patrick et sa famille (sa sœur

aicircneacutee a suivi sa scolariteacute dans ce mecircme collegravege) Il approuve au cours de

lrsquoentretien le choix de la megravere de Patrick laquo Ccedila permettait de couper Patrickde le couper des copains et des gangs dans lesquels il commenccedilait agrave srsquointeacutegrer raquo Il

a repeacutereacute chez Patrick un laquo gros gros problegraveme affectif [hellip] le gamin pas contentquand on lrsquoaime pas raquo Par ailleurs le principal et lrsquoeacutequipe de direction

travaillaient agrave laquo remettre de lrsquoordre raquo dans le collegravege laquo Patrick quand il estarriveacute eacutetait porteur des mecircmes problegravemes que lrsquoeacutetablissement raquo Le jeune garccedilon

fait alliance avec drsquoautres eacutelegraveves dont les comportements sont proches des

siens et les retrouve degraves son retour Il fait partie drsquoune cinquiegraveme agrave domi-

nante sportive ougrave il se signale par une absence de travail et 33 demi-

journeacutees drsquoabsence au troisiegraveme trimestre ponctueacute par cette appreacuteciation

laquo Bilan catastrophique Vous nrsquoecirctes pas motiveacute par lrsquoenseignement geacuteneacuteral Patienteztravaillezhellip pour pouvoir construire un projet Conseil 4e aide et soutien raquo

La vie familiale de son fregravere aicircneacute est perturbeacutee par la preacutesence de

ce jeune qui est agrave peine plus acircgeacute que lrsquoaicircneacute de ses neveux et reacuteclame de

sortir tard le soir en refusant lrsquoautoriteacute de son fregravere Une bagarre avec un

autre fregravere met un terme agrave la cohabitation en banlieue parisienne et

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148 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Patrick reacuteintegravegre le domicile de sa megravere agrave Roubaix Les contacts sont

coupeacutes entre le fregravere aicircneacute et sa megravere celui-ci reprochant agrave cette derniegravere

drsquoecirctre trop faible avec le plus jeune dont il constate qursquoil domine sa megravere

Il met un coup de pression et il aura ce qursquoil veut elle cegravede et elle lui donnetout ce qursquoil veut Depuis que mon pegravere est mort il nrsquoy a plus cette poigne[hellip] Avec moi il y avait le respect Avant je disais six heures et il eacutetait lagraveagrave six heures [hellip] Quand il mettait la musique trop fort je lui disaisdrsquoarrecircter une fois deux fois et je coupais les plombs Je lrsquoai vu faire avecsa megravere quand elle lui refuse quelque chose il va dans sa chambre il metla musique agrave fond Elle gueule il fait ce qursquoil veut Elle va dans sachambre il pourrait lever la main sur elle Alors elle redescend

Lrsquoinfluence du groupe de pairs et lrsquoattirance qursquoil exerce sur Patrick

sont aussi souligneacutees par son fregravere aicircneacute Patrick est envoyeacute au Portugal

pays drsquoorigine de ses parents dans le courant du premier trimestre 2000-

2001 pour une laquo mise au vert raquo visant aussi agrave soulager la famille la megravere

en particulier

De retour agrave la fin de deacutecembre 2000 agrave Roubaix Patrick refuse drsquoaller

au collegravege exigeant de retourner en banlieue parisienne afin de retrouver

ses laquo copains raquo Les bulletins des deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres sont

vides drsquoappreacuteciations (75 demi-journeacutees drsquoabsences non justifieacutees au troi-

siegraveme trimestre) et le commentaire final est laquo Eacutelegraveve fantocircme raquo En dessous

hors cadre on peut lire laquo Attention Obligation scolaire jusqursquoagrave 16 ans raquo (sou-

ligneacute deux fois)

Patrick instaure un rapport de force avec sa megravere il exige qursquoelle

lui donne de lrsquoargent pour ses deacutepenses personnelles met la musique agrave

fond quand elle veut lui reacutesister manifeste lors de lrsquoentretien une absence

drsquoempathie agrave son eacutegard et une insouciance pour son avenir professionnel

qui accentuent les pleurs et le deacutesarroi de cette derniegravere

Patrick Jrsquopeux rester comme ccedila jusqursquoagravehellip

Megravere Ben tu peux pas rester jusqursquoagrave agrave rien faire toute ta viehellip

Patrick Eh ben alors deacutemeacutenage deacutemeacutenage

Megravere Ah non Je ne deacutemeacutenage pas non

Patrick Si tu ne deacutemeacutenages pas je vais pas agrave lrsquoeacutecole ici

Megravere Je vais pas deacutemeacutenager pour toi hein

Patrick Et moi je ne vais pas aller agrave lrsquoeacutecole pour toi Moi jrsquoy vais pasici Crsquoest clair Ni travailler ni agrave lrsquoeacutecole ni agravehellip je vais pas aller agrave lrsquoeacutecolepour toi

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 149

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Tous les propos eacutechangeacutes entre Patrick et sa megravere sont de cette

teneur le jeune garccedilon regarde sa megravere et crie celle-ci pleure et tente

drsquoargumenter

La famille considegravere que lrsquoeacutecole ne lrsquoa pas aideacutee Le fregravere aicircneacute men-

tionne des reacuteflexions indeacutelicates drsquoenseignants en reacutegion parisienne la

sœur aicircneacutee commente ainsi une expression lue sur le bulletin du troisiegraveme

trimestre 2000-2001 laquo Ils marquent mecircme ldquoenfant fantocircmerdquo Crsquoest mecircme agrave sedemander si crsquoest pas de la moquerie parce qursquoon sait tregraves bien qursquoil va pas agrave lrsquoeacutecoleou ils savent tregraves bien les problegravemes qursquoon a ethellip marquer ce genre de choses sur lesbulletins crsquoest pas vraiment ce qursquoon a envie de voir ou de recevoir agrave la maison raquo

Une deacutecision drsquoorientation vers la classe-relais de Roubaix est prise

dans le courant de lrsquoanneacutee 2000-2001 Agrave cette occasion lrsquoassistante sociale

scolaire et une eacuteducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse se

rendent plusieurs fois au domicile de Patrick pour le rencontrer Le jeune

garccedilon dispose drsquoune chambre en haut drsquoun escalier et les intervenantes

parlementent plusieurs fois derriegravere la porte pour le faire sortir ce qui

semble laquo anormal raquo aux membres de la famille Par ailleurs Patrick ratera

de nombreux rendez-vous avec lrsquoeacuteducatrice et refusera entre autres de

travailler avec cette derniegravere sur la situation familiale laquo Alors jrsquoavais proposeacutedrsquoautres choses que lrsquoeacutecole [hellip] Mais non crsquoeacutetait non non non non non [hellip]

trois jours apregraves jrsquoavais pris un rendez-vous pour la journeacutee portes ouvertes delrsquoapprentissage en geacuteneacuteral il nrsquoeacutetait pas lagrave Je nrsquoai rien fait rien rien rien aveclui [hellip] crsquoest rarissime raquo

Patrick campe sur ses positions et tout se passe comme si plusieurs

adultes qursquoils soient de sa famille ou exteacuterieurs tentaient de le convaincre

de reprendre une scolariteacute alors qursquoaucune neacutecessiteacute eacuteconomique ou

autre ne le pousse agrave se mobiliser Sa megravere dit elle-mecircme qursquoelle est obli-

geacutee de le nourrir et qursquoelle est deacutepasseacutee par la situation Patrick semble

prendre exemple sur les violences exerceacutees par son pegravere et son fregravere aicircneacute

dans leur propre famille et agrave son eacutegard en les reportant aujourdrsquohui sur

sa megravere pour la faire ceacuteder Ce renversement de situation lrsquoadolescent

balayant lrsquoautoriteacute chancelante de sa megravere pour prendre le pouvoir est

renforceacutee par la logique de bande dans laquelle il est engageacute elle forme

sa reacutefeacuterence principale avant sa famille

Cette reacutefeacuterence primordiale est drsquoailleurs remarqueacutee par les membres

de la famille sa megravere en particulier qui srsquoinquiegravete de lrsquoinfluence des

copains sur son fils et de leurs trajectoires plusieurs drsquoentre eux sont

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150 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

incarceacutereacutes au quartier des mineurs agrave Fleury-Meacuterogis15 situation banaliseacutee

par Patrick qui dit souhaiter ecirctre avec eux plutocirct qursquoagrave Roubaix Quant au

parcours scolaire il en eacutetait deacutejagrave eacuteloigneacute lors de son deacutemeacutenagement

lrsquoanneacutee de sixiegraveme ayant drsquoailleurs eacuteteacute tregraves perturbeacutee au dire du principal

du collegravege de banlieue parisienne La fonction de lrsquoeacutecole est assez utilitaire

dans cette famille ougrave les eacutetudes longues ne sont pas une norme Le grand

fregravere de Patrick lui a drsquoailleurs conseilleacute de faire laquo profil bas raquo en attendant

la fin de la troisiegraveme et une formation en apprentissage Sa sœur aicircneacutee

acircgeacutee de 19 ans a arrecircteacute ses eacutetudes agrave 16 ans Elle est megravere drsquoun beacutebeacute drsquoun

an et a suivi sa megravere dans le Nord Elle se rend reacuteguliegraverement en reacutegion

parisienne pour rencontrer le pegravere de lrsquoenfant avec lequel elle a eu un

temps le projet de prendre un appartement Son jeune fregravere a alors

formuleacute le souhait de venir srsquoinstaller avec eux agrave deacutefaut de forcer sa megravere

agrave redeacutemeacutenager

La situation eacutetait bloqueacutee en juin 2001 Patrick refusant de rencon-

trer les intervenants sociaux qui se preacutesentent au domicile Lrsquoeacuteducatrice

prend alors la deacutecision drsquoun signalement au juge assorti drsquoune proposi-

tion de placement consideacuterant que les rocircles familiaux sont quasi inverseacutes

entre la megravere et son fils lesquels sont aussi laquo en danger raquo lrsquoun que lrsquoautre

Patrick quitte Roubaix dans le courant de lrsquoeacuteteacute et drsquoapregraves lrsquoeacuteducatrice

retourne chez son fregravere pour eacutechapper au placement avec lrsquoaccord de sa

megravere Au mois de septembre 2001 cette derniegravere fait parvenir au collegravege

de Roubaix une attestation indiquant que lrsquoadolescent est confieacute agrave sa sœur

et habite avec elle en reacutegion parisienne Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2002 la

sœur enceinte de son deuxiegraveme enfant est de retour agrave Roubaix dans

lrsquoappartement familial Patrick restant en reacutegion parisienne Il nrsquoa repris

agrave ce jour aucune scolariteacute

Se conjuguent ici une probleacutematique scolaire avec un niveau scolaire

tregraves bas et une non-perception des eacutetudes comme porteuses de projet

professionnel une logique deacutelinquante marqueacutee par une preacutedominance

du groupe des pairs et une sociabiliteacute juveacutenile deacutejagrave enclaveacutee une absence

de controcircle familial et parental lieacutee aux difficulteacutes de chaque membre de

la famille et agrave lrsquoeacutequilibre preacutecaire des relations agrave lrsquoimage de la preacutecariteacute

des ressources et des incertitudes qui jalonnent le quotidien Les injonc-

tions de lrsquoeacutetablissement scolaire nrsquoont aucune prise sur la famille qui le

tient en piegravetre estime (aucune aide veacuteritable ne lui est reconnue) et a

fortiori sur le jeune qui eacutevolue dans un autre systegraveme de reacutefeacuterences La

famille redoute en mecircme temps les deacutecisions comme un placement qui

enteacuterineraient lrsquoabsence de controcircle de sa part sur lrsquoadolescent

15 Maison drsquoarrecirct en banlieue Sud de Paris

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 151

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CONCLUSION

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale autour des situations de deacutescolarisation on note

une pluraliteacute drsquointervenants qui se coordonnent peu voire ne se connaissent

pas et travaillent dans des optiques diffeacuterentes retour en classe travail

autour de la famille perspective drsquoun placement stage preacutequalifianthellip Les

uns et les autres attribuant agrave des sources diffeacuterentes les causes des difficul-

teacutes eacuteprouveacutees par le jeune ou causeacutees par lui sources consideacutereacutees en geacuteneacute-

ral comme exteacuterieures agrave leur propre action Chaque partie (famille jeunes

agents institutionnels) eacutevolue dans une logique qui lui est propre meacutecon-

nue de lrsquoautre partie La perspective drsquoeacutetudes geacuteneacuterales suivies sans succegraves

dans un contexte disciplinaire veacutecu comme conflictuel par les eacutelegraveves et

leurs professeurs incite agrave laquo chercher du travail raquo rapidement et agrave aban-

donner un cursus scolaire qui apparaicirct inutile et constamment frustrant

en tentant de passer immeacutediatement agrave un statut laquo adulte raquo (recherche

drsquoemploi ou prise de deacutecision autonome entre autres) dans un contexte

eacuteconomique marqueacute par la preacutecariteacute chez les cateacutegories sociales les moins

armeacutees sur le marcheacute de lrsquoemploi Mais lrsquoabsence de perspectives profes-

sionnelles et de possibiliteacutes de formation pour de tregraves jeunes garccedilons et

filles non qualifieacutes rend aleacuteatoires ces solutions alternatives fragilisent les

eacutequilibres familiaux et exposent les adolescents aux risques drsquoisolement

de repli sur soi ou de deacuteveloppement drsquoactiviteacutes deacutelinquantes

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LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES

Lrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche

biographique

C

EacuteCILE

C

ARRA

CESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais

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154

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

La deacutelinquance juveacutenile apparaicirct en France comme un veacuteritable problegraveme

de socieacuteteacute preuve en serait lrsquoeacutevolution des statistiques officielles Ce

pheacutenomegravene suscite une profusion de discours de mises en garde de

recommandations Il occupe une place privileacutegieacutee dans le deacutebat politique

les meacutedias les colloques les discours ordinaires La deacutelinquance juveacutenile

est donc un sujet massivement traiteacute sur la scegravene publique Pour autant

sait-on qui sont ces laquo jeunes raquo au centre des deacutebats tout comme de lrsquoatten-

tion judiciaire Que connaicirct-on preacuteciseacutement de leur comportement et de

leurs motivations Qursquoen est-il de leurs familles qui tendent agrave ecirctre deacutesi-

gneacutees comme seules responsables de leurs actes (Mucchielli 2000) Quels

sont les effets du suivi judiciaire sur ces jeunes et sur leur famille Nom-

breux sont les travaux scientifiques franccedilais sur la deacutelinquance juveacutenile

mais ils portent davantage sur le systegraveme de prise en charge que sur les

populations suivies Selon Renouard (1995) la recherche franccedilaise a

mecircme deacutelaisseacute ce champ drsquoinvestigation

Cette orientation traditionnelle drsquoune partie de la recherche fran-

ccedilaise srsquoexplique notamment par des raisons de meacutethode ndash absence de

donneacutees disponibles difficulteacutes drsquoaccegraves au terrain Ceux qui srsquoy sont

essayeacutes savent combien il est difficile drsquoapprocher ces populations combien

lrsquoimmersion dans leur milieu de vie est longue et ardue Entrer en contact

se faire accepter connaicirctre leur milieu de vie sont pourtant des conditions

si ce nrsquoest suffisantes du moins incontournables pour tenter de comprendre

laquo de lrsquointeacuterieur raquo comment se constitue cette deacutelinquance qui apparaicirct

dans lrsquoactualiteacute sous la forme de laquo bandes de jeunes raquo et de laquo quartiers

sensibles raquo ces cateacutegories constituant le prisme agrave travers lequel la deacutelin-

quance juveacutenile est communeacutement appreacutehendeacutee Il ne srsquoagit donc pas ici

de traiter de la deacutelinquance en geacuteneacuteral mais de celle des mineurs issus

de milieux populaires dont les familles reacutesident dans des zones stigma-

tiseacutees Le questionnement poseacute les reacutesultats ne prendront sens qursquoen les

resituant dans ce cadre ce contexte speacutecifique

La citeacute des laquo 804 raquo quartier populaire drsquoune ville de moyenne impor-

tance de lrsquoEst de la France est qualifieacutee par les meacutedias de laquo zone de non-

droit raquo Parmi ses 1200 habitants nombreux sont ceux qui vivent ce lieu

comme inseacutecure et stigmatisant de nombreuses opeacuterations conduites

notamment dans le cadre de la Politique de la Ville tentent de changer

cette image Si les causes et les solutions proposeacutees par les diverses cateacute-

gories drsquoacteurs sont diffeacuterentes voire opposeacutees tous sont unanimes pour

deacutesigner les jeunes de la citeacute comme eacutetant les principaux responsables des

problegravemes locaux Ce sont certains de ces jeunes qui sont au centre de

cette recherche Ils ont comme point commun drsquoavoir appartenu agrave un

mecircme groupe de pairs ayant pris aux yeux des habitants et des acteurs

institutionnels la forme souterraine et dangereuse drsquoune bande Ces jeunes

DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES

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ont par ailleurs tous eacuteteacute condamneacutes par la justice des mineurs et suivis

dans le cadre du service eacuteducatif aupregraves du tribunal (SEAT)

1

Les carac-

teacuteristiques socioeacuteconomiques de ces enquecircteacutes correspondent agrave celles des

mineurs suivis au peacutenal par le SEAT fils drsquoouvriers ou de chocircmeurs dont

lrsquoacircge est compris entre 16 et 21 ans releacutegueacutes sur le plan socioscolaire

(enseignement et institutions speacutecialiseacutes) et professionnel (chocircmage dis-

positif drsquoinsertion)

Traiter de la deacutelinquance juveacutenile en prenant pour population des

jeunes habitant qui plus est dans des quartiers dits sensibles neacutecessite

quelques preacutecautions Toute deacutelinquance nrsquoest pas le fait de laquo jeunes raquo

tout jeune deacutelinquant nrsquohabite pas dans un quartier populaire tout quar-

tier populaire ne geacutenegravere pas de la deacutelinquance Rappelons avec Bachmann

(1994) que laquo Pas plus que les jeunes les ldquoquartiersrdquo ne sont un objet

scientifique construit raquo Dans ce domaine toute geacuteneacuteralisation est men-

songegravere Telle banlieue est calme et paisible telle autre est une chaudiegravere

sous pression Il est donc aberrant de chercher lagrave un principe unificateur

permettant de cerner agrave lui seul lrsquoensemble des conduites des jeunes

de banlieues

61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE

LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES

Parmi les principales perspectives theacuteoriques de la deacutelinquance juveacutenile

certaines utilisent questionnaires et entretiens preacuteconstruits et preacutecodeacutes

pour objectiver le deacutelinquant en tendant agrave lrsquoenfermer dans une seacuterie de

facteurs laquo biopsychosocioculturels raquo drsquoautres centrent leur attention sur

le fonctionnement des institutions consideacuterant le plus souvent le deacutelin-

quant comme une laquo cire molle faccedilonneacutee par le jeu des structures raquo (Dubet

1987) Comment alors appreacutehender lrsquoacteur ses pratiques et le sens qursquoil

leur donne Comment comprendre la constitution de son parcours

Lrsquoapproche biographique redeacutecouverte en France gracircce aux travaux

de Bertaux (1980) apparaicirct comme lrsquoune des deacutemarches les plus perti-

nentes pour pouvoir reacutepondre agrave ce type de questionnement Suivre la

transformation progressive des attitudes face aux eacuteveacutenements auxquels il

se confronte et acceacuteder agrave une expeacuterience sociale laquo vue de lrsquointeacuterieur raquo laquo agrave

la deacutefinition de la situation raquo par lrsquoacteur lui-mecircme tel est lrsquoobjectif de

cette recherche agrave lrsquoinstar de ce qui est devenu le souci central de la

1 Ce service a pour mission principale la mise en œuvre des deacutecisions de justice au titrede lrsquoenfance deacutelinquante il deacutepend de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

perspective interactionniste (de Queiroz 1994)

2

Il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexpeacute-

rience subjective de lrsquoindividu expeacuterience conccedilue ici comme la reacutesultante

drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions eacutetant agrave penser

comme un processus de neacutegociation Ce processus loin drsquoecirctre lineacuteaire

est au contraire ponctueacute de laquo passages statutaires raquo marqueacute par des

laquo accidents biographiques raquo qui creacuteent des ruptures (lrsquoexclusion scolaire

une condamnationhellip)

Le point de vue de lrsquoacteur bien qursquoimportant ne suffit pas pour

comprendre globalement une situation encore faut-il le replacer au sein

des rapports sociaux ce point de vue eacutetant dans une certaine mesure la

reacutesultante drsquoun reacuteseau interrelationnel lui-mecircme inseacutereacute dans une socieacuteteacute

ineacutegalitaire Autrement dit ce point de vue est ici consideacutereacute comme sinon

le reflet du moins la reacutesultante ou la maniegravere de reacuteagir agrave une histoire qui

srsquoest constitueacutee dans et agrave travers le social Pour rejoindre Balandier (1983)

lrsquolaquo objectif [ de la biographie ] est drsquoacceacuteder [ par lrsquointeacuterieur ] agrave une reacutealiteacute

qui deacutepasse le narrateur et le faccedilonne Il srsquoagit de saisir le veacutecu social le

sujet dans ses pratiques dans la maniegravere dont il neacutegocie les conditions

sociales qui lui sont particuliegraveres raquo

La dimension diachronique permet de comprendre comment lrsquoon

devient deacutelinquant laquo comment les habitudes les attitudes et la philoso-

phie de vie qui sous-tendent les actes deacutelinquants se sont construites pro-

gressivement agrave travers les expeacuteriences sociales successives du deacutelinquant

durant un certain nombre drsquoanneacutees raquo (Shaw 1931 p 13) Elle contribuera

agrave deacutemontrer que les actes deacutelinquants proviennent moins de processus

pathologiques que de processus normaux les individus se transforment

par eacutetapes successives agrave la suite des interrelations propres au milieu et

avec les autres et de laquo choix raquo successifs veacutecus par eux (Digneffe 1989)

Si cette deacutemarche deacutecoule plus drsquoun choix imposeacute par la speacutecificiteacute

du questionnement et de la probleacutematique de cette recherche que par des

preacutesupposeacutes ideacuteologiques et meacutethodologiques en faveur du laquo qualitatif raquo

et contre le laquo quantitatif raquo ces preacutesupposeacutes existent neacuteanmoins et doivent

ecirctre expliciteacutes Les deux principaux preacutesupposeacutes sur lesquels repose cette

approche consistent agrave reconnaicirctre lrsquoindividu comme un acteur ayant donc

une capaciteacute strateacutegique et son expeacuterience comme un savoir repreacutesentant

2 Notons avec ces auteurs que la notion de biographie est preacutesente dans le travail socio-logique degraves les deacutebuts de lrsquoEacutecole de Chicago sous la forme des laquo histoires de vie raquo Troisauteurs ont marqueacute la production de lrsquoEacutecole de Chicago par lrsquousage de documentsautobiographiques W Thomas et F Znaniecki (dans

The Polish Peasant in Europe andAmerica

Boston Bagder 1918) qui voient la biographie comme la meacutethode sociolo-gique par excellence pour connaicirctre la socieacuteteacute CR Shaw (dans

The Jack-Roller

ChicagoUniversity of Chicago Press 1931) et EH Sutherland (dans

The Professionnal Thief

Chicago University of Chicago Press 1937)

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de ce fait une valeur sociologique Si lrsquoindividu est un acteur dans le sens

ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passivement les effets

il est cependant conditionneacute par les structures sociales Produit des struc-

tures qursquoil contribue agrave produire voilagrave comment lrsquoindividu est conccedilu ici

La biographie permet de saisir cette double dimension de lrsquoindividu en

opeacuterant laquo la meacutediation de lrsquoacte agrave la structure de lrsquohistoire individuelle agrave

lrsquohistoire sociale en passant par un reacuteseau de meacutediations sociales qui sont

autant de lieux de tension entre individus et groupes sociaux placeacutes dans

des relations ineacutegalitaires et conflictuelles raquo (Ferrarotti 1990) Crsquoest lagrave que

reacuteside la valeur heuristique drsquoune telle approche

Srsquoappuyant sur la meacutethode biographique il srsquoagit de reconstituer le

processus de constitution de la deacutelinquance de chacun des six jeunes

individus qui ont accepteacute de participer agrave cette recherche Pour y parvenir

une soixantaine drsquoentretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec les jeunes leurs proches

(famille et pairs) et les professionnels qui ont eu agrave les suivre agrave un moment

donneacute (enseignants animateurs assistantes sociales eacuteducateurs magistrats)

drsquoautres donneacutees ont eacuteteacute extraites de documents institutionnels livrets et

bulletins scolaires dossiers de la mission locale ceux du centre drsquoorienta-

tion et drsquoaction eacuteducative (COAE) et du SEAT procegraves-verbaux dossiers

judiciaires

3

Lrsquoanalyse du mateacuteriau se rapportant agrave chacun des cas permet lrsquoiden-

tification de significations et de processus particuliers Leur comparaison

fait apparaicirctre des reacutecurrences des logiques drsquoaction semblables Leur

confrontation contribue agrave mettre au jour les configurations particuliegraveres

dans lesquelles ces logiques agissent Les donneacutees empiriques qui seront

restitueacutees mettent en eacutevidence de maniegravere archeacutetypique les meacutecanismes

agrave lrsquoœuvre dans le processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile Ils

renvoient de maniegravere transversale agrave deux dimensions ces deux dimen-

sions eacutetant eacutetroitement imbriqueacutees la construction identitaire de ces

mineurs les renvoyant agrave leur place au sein des rapports sociaux

3 Parvenir agrave associer les professionnels de la gestion de la deacuteviance a reacutesulteacute drsquoun pro-cessus long et complexe drsquointeractions entre des personnes qui avaient des inteacuterecirctsdivergents agrave la reacutealisation de ce travail agrave la connaissance qursquoil apporterait agrave la diffusionqui en serait faite Lrsquoaccegraves au terrain implique en effet le deacutevoilement de savoirs surdes populations savoirs qui sont sources de pouvoirs (voir plus loin la note 6 Quellesconseacutequences aurait cette divulgation de savoirs sur leurs pouvoirs pouvoirs de traite-ment de cateacutegories entiegraveres de la population Quelles conseacutequences aurait cette recher-che sur la repreacutesentation leacutegitime de la deacuteviance et de son traitement que chaqueinstitution tente drsquoimposer )

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute DE DEacuteLINQUANT

Agrave TRAVERS LA PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE

Lrsquoanalyse deacuteveloppeacutee ici ne rend pas compte de lrsquointeacutegraliteacute des meacutecanismes

de la deacutelinquance juveacutenile mais plutocirct drsquoun pheacutenomegravene preacutecis la cocons-

truction de lrsquoidentiteacute de deacutelinquant agrave travers la prise en charge institution-

nelle

4

Lrsquohistoire de vie de Slimane

5

et celle de Farid mettent en eacutevidence

le rocircle que peuvent jouer les reacutegulations institutionnelles dans le renfor-

cement du processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile et dans

la reproduction intrageacuteneacuterationnelle de ce pheacutenomegravene Ces effets srsquoils

ont pu ecirctre repeacutereacutes ici ne sont pas automatiques comme le montrent les

autres histoires de vie La probabiliteacute qursquoils se produisent est cependant

drsquoautant plus grande que le suivi judiciaire srsquoinscrit dans des configura-

tions particuliegraveres (spatiales familiales sociales eacuteconomiques et culturelles)

Lrsquohistoire de vie de Kamel montre ainsi le rocircle des reacutegulations sociales

geacuteneacuterales ndash par opposition aux reacutegulations speacutecialiseacutees dans la gestion de

la deacuteviance ndash dans la preacuteformation drsquoidentiteacutes neacutegatives et dans la

preacuteconstruction de parcours deacutelinquants

63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT

Agrave 16 ans Slimane est incarceacutereacute pour la premiegravere fois Quelques mois plus tard

il est condamneacute agrave sept ans drsquoemprisonnement Comment expliquer le ren-

forcement du processus de constitution de la deacutelinquance du mineur alors

que le suivi institutionnel sera drsquoanneacutee en anneacutee de plus en plus important

631 D

E

LA

CONSTRUCTION

D

rsquo

UN

PARCOURS

DE

DEacuteLINQUANT

hellip

Agrave 12 ans Slimane comparaicirct pour la premiegravere fois pour vol devant un

juge des enfants Il est reconnu coupable Le processus formel de consti-

tution de la deacutelinquance juveacutenile vient de srsquoenclencher

6

Non seulement

il ne srsquoarrecirctera plus mais il ne cessera de se renforcer Se succegravedent alors

4 Lrsquoeacutetude des autres dimensions qui interviennent dans la construction de parcours deacutelin-quants notamment le rocircle de la famille des pairs et des habitants est deacuteveloppeacuteeailleurs C Carra

Deacutelinquance juveacutenile et quartiers laquo sensibles raquo histoires de vie

ParisLrsquoHarmattan coll laquo Deacuteviance et Socieacuteteacute raquo 2001

5 Les preacutenoms sont fictifs mais ils tiennent compte de lrsquoorigine culturelle des enquecircteacutes

6 Comme dans Chamboredon (1971) est ici distingueacute le processus informel de constitu-tion de la deacutelinquance juveacutenile du processus formel Le processus deacutebute de maniegravereinformelle dans lrsquoentourage du jeune (voisinage eacutecolehellip) qui le met progressivementagrave lrsquoeacutecart et le deacutesigne au soupccedilon des institutions de reacutepression de la deacutelinquance puisil se poursuit de faccedilon formelle avec les diverses institutions chargeacutees de deacutetecter jugerpunir et amender les jeunes deacutelinquants La police joue un rocircle central dans le passagede lrsquoun agrave lrsquoautre en intervenant agrave la suite de lrsquoinfraction et en la qualifiant

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infractions arrestations comparutions jugements condamnations Les

mesures judiciaires se succegravedent des mesures drsquoaction eacuteducative en milieu

ouvert agrave des peines drsquoemprisonnement en passant par la simple admones-

tation des placements en foyer de lrsquoenfance et en centre eacuteducatif des

peines drsquoemprisonnement avec sursis assorties ou pas drsquoune mise agrave

lrsquoeacutepreuve des mesures de liberteacute surveilleacutee

Cet itineacuteraire est marqueacute agrave la fois par des faits judiciairement deacutefinis

(vols simples vols avec effraction vols avec effraction et deacutegradations

volontaires vols avec effraction et reacuteunionhellip) et par une peacuteriodisation des

reacuteponses institutionnelles ougrave trois phases peuvent se distinguer une

peacuteriode de simple admonestation et de mesures eacuteducatives en milieu

ouvert une peacuteriode de placements eacuteducatifs et une peacuteriode drsquoincarceacutera-

tions Une telle gradation dans les pratiques institutionnelles agrave partir du

moment ougrave la police intervient et institue le mineur en tant que deacutelin-

quant en le deacutefeacuterant agrave lrsquoinstance judiciaire constitue lrsquoune des principales

caracteacuteristiques des parcours des mineurs multireacutecidivistes (Leacuteomant et

Sotteau-Leacuteomant 1987)

Cette trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation des mesures et par la

prise en charge institutionnelle de plus en plus totale apparaicirct comme

une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances de passer drsquoun

degreacute agrave lrsquoautre sans cesse rappeleacutees par les mises en garde des diffeacuterents

professionnels laquo

Agrave force agrave force tu vas pas aller tregraves loin

raquo dit Slimane para-

phrasant le discours du juge des enfants Les placements dont il fait lrsquoobjet

sont cependant loin drsquoecirctre banaliseacutes par le mineur

ndash

Je suis resteacute

[au centre eacuteducatif]

enfin deux ans Mais sur deux ansje suis pas resteacute deux ans je fuguais beaucoup je partais beaucoup

ndash Pourquoi tu partais

ndash

Comme ccedila parce que jrsquoen avais marre Ccedila mrsquoarrivait drsquoavoir le cafardhellipCrsquoest lrsquoentourage crsquoest lrsquoentourage que jrsquoaime pas et puishellip Je savais quecrsquoeacutetait pas un lieu ougrave je devais me trouver

Pour autant le mineur semble avoir inteacuterioriseacute lrsquoavenir auquel il

paraicirct promis laquo

De toute maniegravere je sais que crsquoest sucircr que je vais tomber dans letrou

7

raquo dit-il Une telle trajectoire influe sur lrsquoimage que lrsquoindividu a de

lui-mecircme et de ses perspectives drsquoavenir

Agrave la diffeacuterence drsquoune seacuterie de places ou de statuts deacutepourvus delien les statuts ordonneacutes drsquoune carriegravere influencent profondeacutementla repreacutesentation qursquoun individu a de lui-mecircme et particuliegraverementpar lrsquoavenir objectiveacute que repreacutesentent les statuts auxquels il est

7 Il nrsquoa alors encore jamais eacuteteacute incarceacutereacute

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

ou laquo paraicirct raquo promis La carriegravere deacutelinquante existe comme uneseacuterie drsquoeacutetablissements et de situations juridiques qui marquent desdegreacutes de deacutelinquance nettement deacutefinis dont lrsquoobjectivation estdrsquoautant plus complegravete et inscrite dans des traitements et deseacutetablissements deacutetermineacutes que lrsquoon se situe plus loin de la pre-miegravere eacutetape celle qui ne comporte qursquoune instruction rapide etse termine par une simple admonestation avec remise agrave la famille(Chamberodon 1971 p 371)

Les chances de passer drsquoun degreacute agrave un autre augmentent au fur et

agrave mesure que lrsquoon avance dans cette carriegravere Avec les placements se

multiplient les occasions drsquoentraicircnement et drsquoapprentissage au contact de

deacutelinquants plus expeacuterimenteacutes

[hellip]

quand je suis rentreacute

[au centre eacuteducatif]

ils croyaient enfin mesparents que je sortirais peut-ecirctre pas bien bien mais peut-ecirctre que jrsquoauraisappris un peu quelque chosehellip mais en fait je suis sorti jrsquoeacutetais pire quelagrave-bas parce que crsquoest pareil ils nous mettent tous ensemble on se retrouvelagrave-bas ils sont tous dans le mecircme cas que moi et puis on est encoreensemble crsquoeacutetait comme qursquoon eacutetait crsquoest pareil on se fait des copains crsquoesttoujours pareil on volait lagrave-bas

(Slimane)

Srsquoaccroissent simultaneacutement la surveillance et la seacuteveacuteriteacute du systegraveme

de justice peacutenale Les incarceacuterations se preacutesentent comme une conseacute-

quence du parcours qui preacutecegravede le mineur tout en semblant sans cesse le

devancer Ce parcours prend la forme drsquoune veacuteritable carriegravere de deacutelin-

quant ndash au sens de Becker (1963) ndash et ce malgreacute un appareillage institu-

tionnel du mineur et de sa famille de plus en plus important dont lrsquoobjectif

annonceacute est de mettre fin agrave une telle carriegravere

Dire avec Foucault (1975) que laquo [le] deacutelinquant est un produit drsquoins-

titution Inutile par conseacutequent de srsquoeacutetonner que dans une proportion

consideacuterable la biographie des condamneacutes passe par tous ces meacutecanismes

et eacutetablissements dont on feint de croire qursquoils eacutetaient destineacutes agrave eacuteviter la

prison raquo crsquoest reconnaicirctre qursquoil existe des tendances lourdes La trajectoire

de Slimane est caracteacuteristique des trajectoires types qui conduisent les

individus depuis les niveaux drsquoinclusion repreacutesenteacutes par les groupes pri-

maires vers les agences speacutecialiseacutees eacutemanant du pouvoir drsquoEacutetat et cela agrave

travers un certain nombre drsquoordres intermeacutediaires qui balisent de faccedilon

systeacutematique ce type de trajet

Le parcours du mineur nrsquoest pas pour autant la reacutesultante drsquoune

volonteacute partageacutee entre les diffeacuterents intervenants institutionnels Multiples

sont leurs logiques drsquoaction Conflictuelles peuvent ecirctre les interactions

[hellip]

il a eacuteteacute mis en examen et crsquoest lagrave donc ougrave avec Mme L

[juge desenfants]

on a reacuteclameacute la mise en deacutetention Moi je ne parlais pas demise en deacutetention je parlais de coup de semonce parce qursquoil fallait qursquoil

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arrecircte de nous prendre pourhellip pour des rigolos

[hellip]

Le problegraveme crsquoestqursquoon srsquoest trouveacute devant un juge deacuteleacutegueacute qui a dit de toute faccedilon a priorije ne mets pas des mineurs de 16 ans en maison drsquoarrecirct mais de toutefaccedilon crsquoest un gosse Donc voyant ccedila Slimane de toute faccedilon ahellip a joueacuteson va-tout (eacuteducateur du SEAT)

Conflits de pratiques qui se justifient les unes par la connaissance

du laquo cas raquo les autres par le respect de la politique peacutenale conflits aussi de

pouvoir entre professionnels occupant une position hieacuterarchique diffeacuterente

au sein de lrsquoinstitution judiciaire mais aussi confrontation de temporaliteacutes

diffeacuterentes logique du court terme pour lrsquoeacuteducateur qui doit agir rapide-

ment lorsqursquoun problegraveme se preacutesente logique du moyen et du long terme

pour le juge qui entend faire respecter lrsquoorientation de la politique peacutenale

Ces temporaliteacutes diffeacuterentes rendent difficile une coordination des actions

drsquoautant plus difficile que ces actions impliquent non seulement des pra-

tiques diversifieacutees mais aussi une vision du monde diffeacuterente un systegraveme

de repreacutesentations divergent Crsquoest ce qui explique aussi que des reacuteponses

contradictoires sont proposeacutees par les professionnels de terrain contra-

dictions si souvent releveacutees par ces mecircmes professionnels

Cette difficulteacute de travailler ensemble paraicirct aussi attibuable au poids

des enjeux de pouvoir Comment comprendre autrement la reacuteticence agrave

eacutechanger les savoirs entre acteurs savoirs accumuleacutes sur les mecircmes

publics issus des mecircmes terrains Lrsquoexplication qursquoen donnent certains

est la parcellarisation des connaissances et leur destination agrave usage interne

Drsquoautres en appellent au devoir de reacuteserve au secret professionnel ou

deacuteontologique Le secret dit Enriquez (1983) est consubstantiel au savoir

et comme Foucault (1975) le montre le savoir est correacutelatif du pouvoir

dans notre type de socieacuteteacute

8

Derriegravere le secret professionnel ou deacuteontolo-

gique il peut srsquoagir moins de laquo proteacuteger raquo des publics en refusant de divul-

guer le savoir que lrsquoon a accumuleacute sur eux que de proteacuteger sa position

dans le champ protection qui passe par la reacutetention de savoirs speacutecifiques

et sur lesquels se fonde le pouvoir des acteurs

Certains invoqueront lrsquoatomisation des publics en fonctions colleacute-

giens jeunes en difficulteacute deacutelinquants juveacutenileshellip Cette atomisation des

publics en fonctions ou plutocirct cette cateacutegorisation constitue la base sur

laquelle repose la leacutegitimiteacute drsquointervention des institutions et associations

Elle permet le partage entre les diffeacuterentes organisations du mecircme public

consideacutereacute comme une clientegravele speacutecifique Crsquoest aussi ce qui permet agrave une

8 Foucault (1975 p 32) explique en effet laquo qursquoil nrsquoy a pas de relation de pouvoir sansconstitution correacutelative drsquoun champ de savoir ni de savoir qui ne suppose et constitueen mecircme temps des relations de pouvoir raquo

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

multitude drsquoinstitutions drsquointervenir aupregraves drsquoune mecircme famille Dans la

citeacute des laquo 804 raquo la concurrence pour controcircler le marcheacute est drsquoautant plus

vive entre les professionnels qursquoils sont de plus en plus nombreux agrave exercer

en ce lieu

Ces temporaliteacutes institutionnelles srsquoopposent aussi agrave la temporaliteacute

propre des mineurs pris en charge celle du moment qui refuse laquo la pro-

messe des plaisirs diffeacutereacutes et diffeacuterents en eacutechange du renoncement immeacute-

diat agrave des plaisirs directement ou immeacutediatement sensibles raquo (Bourdieu

1972 p 209) Opposition entre la logique institutionnelle de la continuiteacute

et la logique individuelle de la discontinuiteacute Cette logique du mineur

constitue pour les professionnels la principale cause de lrsquoeacutechec de la prise

en charge Le jeune est resteacute selon eux laquo

insaisissable

raquo toujours laquo

opposeacute

raquo

agrave leurs actions pour reprendre des termes qui traduisent le mieux

lrsquoimpression qui leur reste de Slimane Crsquoest drsquoailleurs parce que les pro-

fessionnels ne reacuteussissent pas agrave imposer la temporaliteacute qui caracteacuterise leur

institution que la prison leur apparaicirctra finalement comme la meilleure

solution pour parvenir agrave imposer un autre temps au mineur en lrsquooccurrence

le temps carceacuteral auquel il est difficile drsquoeacutechapper

Ces logiques individuelles professionnelles institutionnelles de

lrsquourgence du court moyen et long terme de la discontinuiteacute et de la

continuiteacute sous-tendues par des pratiques et des repreacutesentations speacuteci-

fiques recouvrant elles-mecircmes des enjeux divergents se croisent srsquoentre-

croisent se confrontent srsquoaffrontent pour creacuteer finalement la trajectoire

judiciaire de Slimane Cette trajectoire srsquoancre dans une repreacutesentation

partageacutee par les diffeacuterentes cateacutegories de professionnels de la personnaliteacute

du mineur une personnaliteacute deacutelinquantehellip

632 hellip

Agrave

CELLE

D

rsquo

UNE

PERSONNALITEacute

DEacuteLINQUANTE

Ce nrsquoest pas seulement un itineacuteraire de deacutelinquant qui se construit de

renvoi en renvoi crsquoest aussi une personnaliteacute de deacutelinquant qui srsquoeacutelabore

de discours en discours Les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de

la deacutelinquance (eacuteducateurs speacutecialiseacutes eacuteducateurs de justice psychiatres

juges des enfants) srsquoaccordent unanimement agrave reconnaicirctre agrave Slimane une

personnaliteacute deacutelinquante personnaliteacute que chacun drsquoentre eux contribue

agrave constituer Cette eacutelaboration srsquoeffectue selon une double logique drsquoune

part la reconstruction du passeacute du mineur en fonction de ses derniers

passages agrave lrsquoacte les faits seacutelectionneacutes en conseacutequence constituant des

indices reacuteveacutelateurs drsquoune deacutelinquance anteacuterieure voire originelle (Kitsuse

[1962] parle drsquointerpreacutetation reacutetrospective ce pheacutenomegravene correspondant

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agrave un meacutecanisme de renforcement de lrsquoeacutetiquetage des deacuteviants) drsquoautre

part la reacutealisation drsquoun portrait de deacutelinquant par reacutetreacutecissement des attri-

buts pour se reacuteduire finalement et uniquement agrave lrsquoattribut de deacutelinquant

Si tout passeacute semble se reconstruire agrave la lumiegravere du preacutesent et donc

des derniers faits lrsquoeacutelaboration drsquoun portrait est drsquoautant plus caricatural

que les faits consideacutereacutes repreacutesentent des transgressions aux normes domi-

nantes Certains attributs ont un poids deacuteterminant dans la deacutefinition drsquoun

individu Crsquoest le cas de laquo voleur raquo laquo ldquoVoleurrdquo eacutelimine ou reacutetreacutecit tous les

attributs de lrsquohomme Une eacutetiquette antisociale simplifie le portrait de

lrsquoindividu en traitant quelqursquoun de voleur vous reacuteduisez agrave lrsquoinsignifiance

les autres rocircles et attributs qursquoil pourrait avoir excepteacute celui drsquoecirctre voleur raquo

(Shoham 1968 p 385) Si la personne a eacuteteacute condamneacutee on preacutesume en

outre qursquoelle est susceptible de commettre drsquoautres infractions

Lrsquoeacutelaboration drsquoune personnaliteacute de deacutelinquant selon ce processus

de reconstruction drsquoune vie apporte une coheacuterence agrave un ensemble de

discours qui nrsquoest pas coheacuterent La comparaison des discours des profes-

sionnels sur lrsquointerpreacutetation du comportement deacuteviant de Slimane montre

des divergences voire des oppositions pathologie pour lrsquoassistante

sociale mode de vie deacutelinquant des parents pour lrsquoeacuteducateur speacutecialiseacute

pegravere violent et megravere surprotectrice pour lrsquoeacuteducateur du SEAT

9

Si crsquoest au niveau de lrsquoeacutetiologie de la deacutelinquance juveacutenile que les

oppositions semblent les plus eacutevidentes tous srsquoentendent cependant tout

en contribuant agrave sa construction sur le caractegravere deacutelinquant de Slimane

ce qui permet simultaneacutement de diminuer les oppositions entre les diffeacute-

rentes approches et drsquoobtenir un portrait apparemment coheacuterent du

mineur Cette coheacuterence reacutesulte donc moins des discours que du produit

qui en reacutesulte ndash un portrait de deacutelinquant Se constitue ainsi le steacutereacuteotype

du deacutelinquant steacutereacuteotype selon lequel Slimane est traiteacute et ce drsquoautant

plus leacutegitimement que ce steacutereacuteotype est la reacutesultante de discours drsquoauto-

riteacute autoriteacute baseacutee agrave la fois sur la leacutegitimiteacute des intervenants ndash des speacutecia-

listes de la deacutelinquance ndash et sur la leacutegitimiteacute de leur discours ndash discours

drsquoexperts agrave preacutetention scientifique (Bourdieu 1982)

633 Lrsquo

INTEacuteRIORISATION

D

rsquo

UN

DESTIN

DE

DEacuteLINQUANT

ET SON ACTUALISATION

Les effets de trajectoire se conjuguent avec les effets propres des discours

que tiennent les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelin-

quance sur Slimane Crsquoest en reprenant ces discours que le mineur parle

9 Notons que cette diffeacuterence drsquointerpreacutetation se traduit par des pratiques opposeacutees pourle laquo traiter raquo

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de lui ou plus exactement laquo est parleacute raquo Si ce meacutecanisme est reacuteveacutelateur

drsquoun rapport de domination il fait aussi apparaicirctre lrsquointeacuteriorisation de ce

rapport de domination comme eacutetant leacutegitime lrsquointeacuteriorisation de lrsquoimage

qui reacutesulte de ce rapport de domination donnant lrsquoimage de deacutelinquant

par laquelle le mineur se deacutefinit

ndash Et pourquoi tu as eacuteteacute placeacute

ndash

Pour la deacutelinquance Jrsquoeacutetais deacutelinquant Et agrave force agrave force ils mrsquoontplaceacute dans un centre

Lrsquoeffet drsquoimposition de cette deacutefinition est drsquoautant plus grand que

la classe sociale drsquoappartenance de Slimane (la classe ouvriegravere) doubleacutee

de son origine ethnique (arabe) et de son acircge (adolescence) le fait appar-

tenir agrave des cateacutegories marginaliseacutees et assisteacutees deacuteviantes et surveilleacutees

laquo En toute probabiliteacute la reacuteceptiviteacute du deacuteviant criminel primaire au rocircle

de criminel qursquoon lui impute est plus grande quand la conception de soi

qursquoa deacutejagrave lrsquoindividu est dicteacutee par une deacutefinition sociale plus large de son

statut et de sa classe comme sociopathique raquo (Lemert 1951 p 318) Neacutean-

moins Slimane ne constitue pas une cible passive du traitement institu-

tionnel et de la stigmatisation qui en deacutecoulehellip passiviteacute agrave quoi auraient

eu tendance agrave le reacuteduire les thegraveses du controcircle social Multiples sont ses

reacuteponses de la reacutebellion agrave la provocation en passant par lrsquoutilisation du

systegraveme que lrsquointelligence qursquoil srsquoen est forgeacutee anneacutee apregraves anneacutee lui

permet de faire

La repreacutesentation que les adolescents forment drsquoeux-mecircmes est

cependant affecteacutee par leur passage dans le systegraveme de justice peacutenale

lrsquoimage de deacutelinquant leur est renvoyeacutee tout au long du processus drsquoins-

truction de jugement et de traitement Les mineurs de justice ont une

image plus deacutevaloriseacutee drsquoeux-mecircmes que les autres mineurs drsquoautant plus

deacutevaloriseacutee qursquoils sont plus engageacutes dans la deacutelinquance (Malewska-Peyre

1988) La prison contribue agrave lrsquoinstallation du jeune dans une image neacutega-

tive du deacutelinquant qui a transgresseacute la loi et qui est jugeacute indeacutesirable dans

la vie normale drsquoune socieacuteteacute Lrsquointeacuteriorisation drsquoune telle image favorise

la continuation de la deacutelinquance (Camilleri Karstersztein Lipiansky

Malewska-Peyre Taboada-Leonetti et Vasquez 1990) Lrsquoeacutetiquette de deacutelin-

quant contribue finalement agrave produire ce qursquoapparemment elle deacutecrit ou

deacutesigne Peut-on dire avec Shoham (1968 p 375) que laquo nommer appeler

deacutefinir eacutetiqueter ne simule pas la reacutealiteacute crsquoest la reacutealiteacute mecircme raquo La

modification de la repreacutesentation de la reacutealiteacute semble en tout cas pouvoir

entraicircner la modification de cette derniegravere par le meacutecanisme de reacutealisation

par les individus des preacutevisions drsquoautrui (

self-fulfilling prophecy

)

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Le mineur finit non seulement par inteacuterioriser le stigmate de deacutelin-

quant (

self-labelling

10

) mais de surcroicirct en fait son identiteacute lrsquoactualisant

dans son mode de vie ce qui se traduit concregravetement par son inteacutegration

agrave un groupe organiseacute de

dealers

Tout se passe en fait comme si lrsquoidentiteacute

prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stigmatisant de celle-ci

eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassumer ces stigmates en

les renforccedilant

[hellip]

il y a des garages souterrains aux laquo 408 raquo lagrave dans les grandsgarages et il y avait eu 25 ou 30 voitures de fractureacutees ils eacutetaient agrave cemoment-lagrave 4 ou 5 dedans et puis sur le capot de la voiture Slimane avaitbaisseacute son pantalon et fait ses besoins et ccedila ccedila avait eacuteteacute tregraves choquant

[hellip]

ccedila faisait partie drsquoun jeu du gendarme et du voleur Donc lui agrave cemoment-lagrave eacutetait un voleur et que il pouvait crsquoest lui de toute faccedilon quieacutetablissait les regravegles (eacuteducateur du SEAT)

Laisser ses excreacutements sur laquo le lieu du crime raquo tient effectivement de

la provocation comme drsquoailleurs vandaliser et cambrioler la Maison pour

tous (MPT) de la citeacute en plein jour au vu et au su de tous comme encore

fumer du haschisch devant les travailleurs sociaux Crsquoest la mecircme volonteacute

de transgresser les codes sociaux et de lrsquoafficher ouvertement Crsquoest prou-

ver qursquoon est capable drsquoendosser le rocircle de deacutelinquant et non seulement

drsquoentrer dans le jeu mais de le mener de la place qui est la sienne Le

Moi est ainsi entiteacute reacutefleacutechie pour reprendre les propos de

Berger et

Luckman (1989 p 181)

[hellip] reacutefleacutechissant les attitudes adopteacutees drsquoabord par les autressignificatifs Lrsquoindividu devient lrsquoimage que les autres significatifsse font de lui il ne srsquoagit pas drsquoun processus unilateacuteral meacutecaniqueIl existe une dialectique entre lrsquoidentification et lrsquoauto-identificationentre lrsquoidentiteacute objectivement attribueacutee et subjectivement approprieacutee

64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE

DE LA DEacuteLINQUANCE

Slimane est aujourdrsquohui en prison Son jeune fregravere doit comparaicirctre en

justice Comment comprendre la reproduction de parcours deacutelinquants

au sein drsquoune mecircme famille Comment expliquer que dans cette autre

famille celle de Farid par cinq fois de fregravere en fregravere se reproduit le

10 Les recherches sur le

labelling

qui ont eacuteteacute les plus importantes avec les travaux deBecker Lemert Goffman et Matza montrent que le

labelling

impose tout agrave la fois unrocircle de deacutelinquant agrave un individu et une conscience de lui-mecircme comme deacutelinquant

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile alors que chacun des

fregraveres sera laquo traiteacute raquo par un ensemble ndash de plus en plus important ndash de

professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelinquance Il ne srsquoagit

pas ici drsquoeacutetudier les strateacutegies eacuteducatives familiales face agrave la deacuteviance mais

drsquoanalyser ce que produit ici la confrontation des reacutegulations familiales et

institutionnelles sur les parcours des mineurs

641 DE LA DEacuteCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute FAMILIALEhellip

Les passages agrave lrsquoacte deacutelictueux leacutegitiment lrsquointervention de professionnels

au sein de la famille Leur travail doit permettre drsquoagir sur les causes des

comportements deacuteviants Ces causes sont rechercheacutees de maniegravere privileacute-

gieacutee dans le fonctionnement familial Y est souvent repeacutereacute un problegraveme

de limites que ces limites soient qualifieacutees de rigides ou de laxistes Les

reacutefeacuterents des mesures srsquoefforcent alors de donner des repegraveres de poser

des limites de laquo responsabiliser raquo les parents laquo de faire entendre raison raquo

aux mineurs La capaciteacute de poser les limites laquo adeacutequates raquo renvoie la

plupart du temps pour les travailleurs sociaux au rocircle et agrave la place de

chacun au sein de la famille ougrave ce travail de redeacutefinition induit un pro-

cessus de normalisation Il srsquoagit au mieux de faire adopter aux familles

les modegraveles dominants en matiegravere drsquoeacuteducation de rocircles parentaux de

place des enfants du moins de laquo faire prendre conscience raquo aux parents

que leur fonctionnement familial est dangereux pour le deacuteveloppement

de leurs enfants

Agrave travers la confrontation des reacutegulations institutionnelles et fami-

liales srsquoaffrontent ici deux modegraveles ndash modegravele reposant sur les normes

dominantes en matiegravere drsquoeacuteducation dans les classes moyennes franccedilaises

et modegravele srsquoancrant dans des valeurs et des principes traditionnels algeacuteriens

selon lesquels la famille de Farid apparaicirct drsquoabord fortement structureacutee ndash

et deux leacutegitimiteacutes ndash lrsquoautoriteacute de lrsquoacteur institutionnel repreacutesentant de

la socieacuteteacute drsquoinstallation et celle du pegravere sur sa famille qui est traditionnel-

lement sans partage

En reacutesulte une opposition du pegravere aux interventions institutionnelles

qursquoil vit comme une humiliation et une remise en cause de son autoriteacute

De fait et pour rejoindre Donzelot (1977 p 98) laquo [sa] fonction symbo-

lique drsquoautoriteacute crsquoest le juge qui lrsquoa accapareacutee sa fonction pratique

lrsquoeacuteducateur lrsquoen a deacutelesteacute raquo Lrsquoempreinte spatiotemporelle de lrsquoautoriteacute

judiciaire sur le fonctionnement familial est lagrave pour le rappeler Le temps

familial est devenu celui des convocations des comparutions des deacuteposi-

tions des jugements des mesures Lrsquoespace de la famille est investi par les

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assistantes sociales les eacuteducateurs speacutecialiseacutes les eacuteducateurs de justice

les policiers par tous ceux qui viennent enquecircter diagnostiquer eacutevaluer

traiterhellip normaliser

Lrsquoeacutevolution de la probleacutematique familiale semble devoir passer par

plusieurs eacutetapes il srsquoagit drsquoabord pour le travailleur social de nommer les

problegravemes cette opeacuteration devant contribuer agrave la laquo conscientisation raquo de

ses difficulteacutes par la famille lrsquoobjectif eacutetant qursquoelle parvienne agrave les verbaliser

la connaissance et la reconnaissance des problegravemes eacutetant pour le profes-

sionnel une condition neacutecessaire agrave leur reacutesolution (Carra et Faggianelli

1998) Cette logique a pour effet une polarisation sur les aspects neacutegatifs

qui contribuent agrave la constitution drsquoune image neacutegative chez les parents

Tout au long du suivi institutionnel crsquoest en effet lrsquoeacutechec de leur modegravele

eacuteducatif qui est pointeacute crsquoest lrsquoimage de parents deacutefaillants deacutemission-

naires ou violents qui leur est renvoyeacutee Crsquoest aussi leur modegravele culturel

qui est jugeacute tellement les relations avec les familles drsquoorigine maghreacutebine

et plus encore algeacuterienne comme celle de Farid restent marqueacutees par la

meacutemoire des rapports entre coloniseacutes et colonisateurs laquo Le passeacute colonial

avec son ineacutegaliteacute fondamentale entre le groupe colonisateur et le groupe

coloniseacute continue agrave deacutefinir lrsquohorizon des relations entre Algeacuteriens et

Franccedilais raquo (Schnapper 1986 p 150)

La confrontation entre reacutegulations familiales et reacutegulations institu-

tionnelles conduit alors agrave une crise de leacutegitimiteacute du modegravele familial tout

en provoquant des transformations de ce monde laquo leacutegitime raquo La peur du

placement des enfants va amener la megravere agrave coopeacuterer bien que ce faisant

elle se deacutesolidarise de son mari Cette coopeacuteration laquo obligeacutee raquo deviendra

adheacutesion au travail des intervenants tant et si bien que la megravere suivant

en cela les conseils qui lui sont donneacutes demandera la poursuite du suivi

judiciaire de Farid

La mesure de liberteacute surveilleacutee a pris fin le [date] Farid et sa famille nesemblent pas le comprendre Il me tient au courant reacuteguliegraverement de sesactiviteacutes et crsquoest tout naturellement que je suis solliciteacute degraves lrsquoeacuteteacute pour envi-sager la rentreacutee scolaire suivante Je demande alors agrave la megravere de formulerune demande de prise en charge (dossier SEAT)

Crsquoest aussi agrave la demande de Farid qursquoune mesure de protection

judiciaire pour jeune majeur est prise Ainsi les membres de la famille

contribuent-ils directement agrave construire le parcours judiciaire de Farid

Agrave la majoriteacute la recherche drsquoune nouvelle activiteacute se fait pressante Faridsollicite lrsquoeacuteducateur qui lrsquoincite agrave formuler une demande drsquoaide au juge desEnfants en tant que Jeune Majeur (dossier SEAT)

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168 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cette eacutevolution est reacuteveacutelatrice drsquoune conversion du monde familial

autour de ce monde speacutecialiseacute conversion qui srsquoeffectue avec la substitution

progressive des reacutegulations institutionnelles aux reacutegulations familiales

Le pegravere qualifieacute par les travailleurs sociaux de laquodistantraquo et de laquofuyantraquo

reacutesiste agrave ces changements Mais le comportement de sa femme (et de ses

enfants) interroge ce systegraveme si agrave lrsquointeacuterieur du modegravele patriarcal lrsquoindi-

vidu perccediloit habituellement la femme comme un ecirctre ayant et devant avoir

par rapport agrave lrsquohomme un statut subordonneacute les rocircles commencent ici agrave

srsquoinverser les intervenants faisant de la femme lrsquointerlocuteur privileacutegieacute

de la famille en matiegravere drsquoeacuteducation des enfants tout en contribuant agrave son

eacutemancipation Cette eacutemancipation se traduit par son investissement dans

lrsquoespace public espace public traditionnellement reacuteserveacute agrave lrsquohomme La

megravere se met en effet agrave participer agrave des reacuteunions agrave suivre des cours drsquoalpha-

beacutetisation des cours de conduite Au-delagrave de la transformation des rocircles

crsquoest tout un univers de sens qui est remis en question le sens de la

femme de lrsquohomme de la famille du temps de lrsquoespace

Avec le licenciement de lrsquohomme le rocircle traditionnel du pegravere srsquoeffondre

Lrsquohumiliation du pegravere parviendra agrave son apogeacutee lorsque arrivant en fin de

droits il devra se reacutesigner agrave faire appel aux travailleurs sociaux pour beacuteneacute-

ficier du revenu minimum drsquoinsertion (RMI) Srsquoensuivront une deacutegradation

morale et une stigmatisation lieacutees agrave lrsquoinfeacuterioriteacute de son statut caracteacuteris-

tiques de ce que Paugam (1991) appelle la laquo crise identitaire des fragiles raquo

La multiplication de reacutegulations institutionnelles contribue ainsi agrave

deacutereacuteguler lrsquoespace familial en srsquoopposant ou en ignorant la logique propre

de ces espaces La logique familiale se deacutesagregravege lrsquoidentiteacute familiale se

disloque Ce mecircme processus est deacutecrit avec grande preacutecision par Nicolas

(1984) dans son livre La pauvreteacute intoleacuterable

642 hellip Agrave LA RECONSTRUCTION DrsquoIDENTITEacuteS

INDIVIDUELLES NEacuteGATIVES

Avec le repeacuterage du comportement deacuteviant des fregraveres chacun drsquoeux va

faire lrsquoobjet drsquointerventions institutionnelles multiples ndash service social sco-

laire service social de secteur centre drsquoorientation et drsquoaction eacuteducative

foyer centre eacuteducatif police justice service eacuteducatif aupregraves du tribunal

prison Chacun sera ordonneacute selon les proceacutedures propres agrave ces institu-

tions tous seront au terme du processus de renvoi eacutetiqueteacutes objectiveacutes

et classifieacutes comme deacutelinquants Un agrave un les garccedilons vont donc ecirctre

appareilleacutes tutelliseacutes eacutechappant ainsi agrave leur famille

DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES 169

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Selon Beauchard (1981) lrsquoeacuteclatement de la famille et lrsquolaquo appareillage raquo

de ses membres constituent deux eacuteleacutements deacuteterminants dans la repro-

duction drsquolaquo itineacuteraires drsquoexclusion raquo

Dans le cas des itineacuteraires drsquoexclusion sociale [hellip] la neutralisa-tion de la dynamique (crisique) srsquoopegravere suivant les interventionsdrsquoun controcircle social speacutecialiseacute exteacuterieur au groupe perturbeacute lessituations probleacutematiques sont fragmenteacutees et donnent lieu agrave desreacuteponses articuleacutees sur des problegravemes speacutecifiques La deacutemarchesrsquoavegravere momentaneacutement efficace mais agrave terme il est observeacute queces interventions speacutecialiseacutees (tutelle placement reacuteeacuteducation trai-tement assistance surveillance) tissent un reacuteseau de relations dedeacutependance qui agrave leur tour engendrent des tensions et des conflits(Beauchard 1981 p 73)

Ces relations de deacutependance apparaissent dans la famille de Farid

Si au deacutebut les interventions sont veacutecues comme une violation de lrsquoespace

priveacute elles deviennent pour la megravere et les enfants neacutecessaires voire valo-

risantes En se montrant coopeacuterante la megravere acquiert en effet une cer-

taine reconnaissance sociale de la part des professionnels ce que ne

peuvent lui procurer ni le pegravere ni dans la situation preacutesente ses fils

Ces relations la situation de non-travail et de deacutelinquance structurent

leur identiteacute Chacun des membres en vient agrave se deacutefinir pour et par ces

eacuteleacutements Une identiteacute speacutecifique se constitue donc en rapport eacutetroit avec

les intervenants car laquo Tout au long de son eacutelaboration de soi le sujet [hellip]

est obligeacute de tenir compte de ce qui lrsquoentoure la fonction identitaire le

construisant indissolublement comme rapport agrave lui-mecircme et rapport agrave son

environnement raquo (Camilleri et Cohen-Emerique 1989 p 46)

On peut observer qursquoapregraves avoir favoriseacute la deacutestructuration de la

famille deacutestabiliseacutee par le comportement deacuteviant des fils les reacutegulations

institutionnelles seront progressivement inteacutegreacutees agrave son organisation

qursquoelles contribueront par ailleurs agrave changer Parallegravelement agrave ce processus

de deacutestructuration-restructuration de la famille srsquoopegravere une deacuteconstruction-

reconstruction de lrsquoidentiteacute des diffeacuterents membres agrave laquelle participent

directement ces reacutegulations Lrsquointervention institutionnelle de stigmati-

sante va finir par ecirctre perccedilue par le mineur et sa famille comme normale

puis neacutecessaire au fonctionnement familial et individuel

Ainsi si Farid srsquoest montreacute tregraves laquo fuyant raquo au deacutebut du suivi ainsi que

le souligne lrsquoeacuteducateur de justice les rapports ont eacutevolueacute structureacutes

notamment par une strateacutegie drsquoutilisation du systegraveme de prise en charge

Selon Goffman (1975) son laquo itineacuteraire moral raquo va progressivement lui per-

mettre drsquointeacutegrer ces relations dans son parcours comme eacutetant normales

et ce drsquoautant plus facilement que tous ses fregraveres et la plupart de ses pairs

sont suivis par un eacuteducateur

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170 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Srsquoil rejette drsquoabord lrsquoidentiteacute stigmatiseacutee qui lui est prescrite Farid

finit par revendiquer lrsquoidentiteacute sociale de laquo jeune agrave problegravemes raquo puis

celle de laquo chocircmeur raquo identiteacutes qui lui permettent agrave la fois drsquoobtenir une

reconnaissance sociale et drsquoacceacuteder agrave des aides Cette identiteacute ne ressort

cependant pas de lrsquoidentiteacute sociale virtuelle du stigmatiseacute qui procircne le

faux-semblant telle que lrsquoa preacutesenteacutee Goffman (1975) Au contraire elle

fonctionne comme un laquo point de vue raquo pour reprendre lrsquoexpression de ce

mecircme auteur neutralisant ainsi le normal et le stigmatiseacute En ce sens on

peut rejoindre Messu (1991 p 88) soulignant agrave propos des laquo assisteacutes raquo

[qursquoil] importe degraves maintenant drsquoaffirmer combien cette image[de lrsquoassisteacute] nrsquoest pas aussi preacuteconstruite qursquoon a bien voulu ledire Non qursquoon ait tort de voir dans les institutions de lrsquoAssistancesociale des instances de laquo marquage raquo social [hellip] Pour autant nousnous garderons de faire du marquage le seul principe drsquoattributiondrsquoidentiteacute et du sens laquo stigmatique raquo le pur produit de lrsquoinstitu-tion Dans cette production du sens nous ne pouvons faire abs-traction de ceux qui sont lrsquoobjet du stigmate et les porteurs delrsquoidentiteacute nous ne saurions exclure ceux sans qui lrsquoinstitution neserait pas Car crsquoest bien de la relation entre lrsquoinstitution et sesusagers que prend corps ce sens

Les individus participent ainsi eux aussi agrave la deacutefinition de leur statut

social deacutegradeacute en utilisant les marges drsquoautonomie et de reacutesistance qursquoils

possegravedent voire en manipulant les professionnels Les propos de Farid

sont reacuteveacutelateurs agrave cet eacutegard

[hellip] il [lrsquoeacuteducateur du SEAT] voulait pas me donner de lrsquoargent puisje lui fais drsquoaccord pour moi crsquoest pas un problegraveme ce que je vais faireje vais [hellip] voler

65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT Agrave UNE

PLACE DOMINEacuteE DANS LES RAPPORTS SOCIAUX

Si nombre de tenants de la perspective de la reacuteaction sociale sans doute

par biais ideacuteologique et aussi parfois par faiblesse meacutethodologique ont

focaliseacute leur attention sur lrsquoaction stigmatisante des institutions officielles

de controcircle social le systegraveme de justice peacutenale ainsi que lrsquoindiquent

Robert et Lascoumes (1974) nrsquoest pas self-started laquo Il ne srsquoapprovisionne paslui-mecircme dans la plupart des cas [hellip] raquo

En analysant par diffeacuterentes meacutethodes le temps consacreacute par les

agences policiegraveres agrave telle ou telle activiteacute on srsquoaperccediloit que la recherche

du crime et du criminel drsquoinitiative sans processus preacutealable de renvoi

est assez limiteacutee

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Non seulement ces agences ne se mettent geacuteneacuteralement pas en

action par elles-mecircmes mais de plus elles nrsquointerviennent parfois qursquoapregraves

un long processus informel de constitution de la deacutelinquance juveacutenile

Crsquoest ainsi qursquoau bout de six ans de repeacuterage de Slimane par son environ-

nement (quartier et eacutecole) apregraves nombre de reacutecriminations adresseacutees aux

travailleurs sociaux du quartier de plaintes deacuteposeacutees aupregraves de la police

et de signalements agrave la justice ces institutions ont reacuteagi

Le suivi judiciaire peut par ailleurs finir par ne plus ecirctre veacutecu comme

stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir le

support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire (crsquoest aussi ce que sou-

lignent Bruneteau et Lanzarini 1997) monde avec lequel ces mineurs ont

des relations distantes et conflictuelles Crsquoest drsquoailleurs drsquoabord au contact

de ce monde ordinaire que se constituent ces identiteacutes neacutegatives dans un

laquo quartier de releacutegation raquo ougrave les jeunes occupent une place domineacutee et

stigmatiseacutee (Delarue 1991)

Meacutepris et meacutefiance du monde que Kamel appelle le monde des

laquo bourges raquo (bourgeois) caracteacuterisent les interactions avec son monde et

celui de ses pairs ces interactions eacutetant elles-mecircmes structureacutees par des

steacutereacuteotypes et en particulier le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo selon lequel

Arabe signifie deacutelinquant11 Crsquoest selon ce steacutereacuteotype que Kamel dit ecirctre

traiteacute En assimilant agrave son identiteacute le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo (laquo Crsquoestvrai il y en a 80 75 qui sont en prison en France raquo dit-il) Kamel inteacute-

riorise lrsquoidentiteacute laquo prescrite raquo de sa communauteacute drsquoappartenance La stig-

matisation associeacutee agrave ses actes deacutelinquants et lrsquoimage collective neacutegative

qui lui est renvoyeacutee de sa collectiviteacute contribuent chez le mineur agrave la

formation drsquoune identiteacute personnelle deacutevaloriseacutee Des eacutetudes (voir en par-

ticulier Camilleri et al 1990) ont montreacute lrsquoexistence de fortes correacutelations

entre lrsquoexpeacuterience du racisme la stigmatisation sociale associeacutee agrave la deacutelin-

quance et agrave la deacutevalorisation de lrsquoimage de soi les immigreacutes deacutelinquants

cumulant les facteurs qui peuvent contribuer agrave cette deacutevalorisation On

voit bien ici comment lrsquoidentiteacute conccedilue comme une repreacutesentation de soi ndash

en tant qursquoindividu mais aussi en tant que groupe ndash est faccedilonneacutee par

lrsquoideacuteologie dominante dans une socieacuteteacute donneacutee Crsquoest ce qursquoont montreacute

en particulier les eacutetudes du sociolinguiste Labov (1976)

11 Si les dominants ceux qui sont en situation de pouvoir eacuteconomique social ou culturelstigmatisent les pratiques des domineacutes ces derniers font de mecircme en leur attribuantdes caractegraveres deacutevalorisants tout en affirmant leur propre identiteacute crsquoest ainsi que Kameloppose laquo Nous raquo laquo les francs raquo agrave laquo Eux raquo laquo les hypocrites raquo

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172 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

651 DES PARCOURS PREacuteDEacuteTERMINEacuteS PAR LES INSTANCES

DE REacuteGULATIONS SOCIALES GEacuteNEacuteRALES

Eacutechecs scolaires puis difficulteacutes drsquoinsertion socioprofessionnelles accen-

tuent cette deacutevalorisation de lrsquoidentiteacute tout en contribuant au processus

de constitution de la deacutelinquance juveacutenile

La criminologie considegravere comme un fait eacutetabli qursquoune mauvaise

carriegravere scolaire est lieacutee agrave la deacutelinquance Les difficulteacutes scolaires dans un

contexte ougrave la diplomation est devenue la norme (avec la massification

du second cycle puis de lrsquouniversiteacute lrsquoinstitution scolaire est devenue le

premier lieu producteur drsquolaquo exclusion relative raquo [Dubet 1996]) consti-

tuent en effet un motif deacuteterminant agrave un suivi judiciaire lorsque des

comportements deacuteviants sont repeacutereacutes Elles ne suffisent cependant pas agrave

expliquer lrsquoancrage de certains eacutelegraveves dans la deacutelinquance Encore faut-il

que des meacutecanismes les y attirent activement Les relations entre lrsquoeacutecole

et les adolescents intervieweacutes le font sur tous les modes possibles du rap-

port de force de la notation aux sanctions en passant par les orientations

qui aboutiront agrave lrsquoexclusion deacutefinitive drsquoun cocircteacute des comportements

deacuteviants tels qursquoabsenteacuteisme insolence coups vols consommation drsquoalcool

et de cannabis de lrsquoautre La marginalisation agrave lrsquoeacutecole quand elle srsquoaccom-

pagne de rejets actifs par la stigmatisation favorise cet ancrage des ado-

lescents dans la deacutelinquance (Walgrave 1992) Si la deacutelinquance agrave lrsquoeacutecole

peut srsquoexpliquer par les opportuniteacutes qursquooffrent les eacutetablissements scolaires

et renvoie donc agrave une manifestation laquo banale raquo de deacutelinquance elle peut

aussi ecirctre engendreacutee par la situation scolaire elle-mecircme Elle constitue

alors une reacuteponse agrave la violence symbolique de lrsquoinstitutionhellip deacutefinie par

Bourdieu et Passeron (1970 p 18) comme laquo pouvoir qui parvient agrave impo-

ser des significations et agrave les imposer comme leacutegitimes en dissimulant les

rapports de force qui sont au fondement de sa forcehellip raquo

Les eacutechecs scolaires preacutedeacutetermineront dans un contexte marqueacute par

le chocircmage des moins de 25 ans lrsquoorientation de Kamel et de ses pairs

vers la mission locale ougrave leur seront proposeacutes des stages de remise agrave

niveau des preacuteapprentissages un CES (contrat emploi-solidariteacute) un

TUC (travail drsquoutiliteacute collective) et drsquoautres activiteacutes qui apparaissent

drsquoabord occupationnelles Lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave lrsquoemploi dans les

sphegraveres ordinaires du salariat traiteacutee ici selon le mode de gestion sociale

du chocircmage associeacutee ndash tout en y contribuant ndash agrave la poursuite des activiteacutes

deacutelictuelles augmentera la probabiliteacute drsquoune prise en charge judiciaire au

peacutenal (Meacutehaut Rose Monaco et de Chassey 1987) Si lrsquoabsence de situation

professionnelle drsquoindividus de milieu populaire favorise en cas de poursuites

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judiciaires lrsquoincarceacuteration12 elle contribue tout autant agrave donner une autre

nature aux activiteacutes deacutelinquantes qui drsquooccasionnelles tendent agrave devenir

professionnelles Slimane en fera une carriegravere

652 LA DEacuteLINQUANCE COMME STRATEacuteGIE IDENTITAIRE

Eacutechecs scolaires et chocircmage contribuent au repli de Kamel Farid et

Slimane sur leur quartier en en investissant le temps et lrsquoespace avec les

autres membres de leur bande Moyen drsquooccuper collectivement son

temps libre la bande permet aussi drsquoattendre une veacuteritable situation sur

le marcheacute du travail En cela le groupe change de substrat alors qursquoil

permettait aux jeunes des classes populaires de passer leur temps libre

apregraves lrsquoeacutecole ou le travail il est aujourdrsquohui agrave rapporter laquo aux meacutecanismes

et logiques de lrsquoinsertion sociale et eacuteconomique qui frappent en premier

lieu les jeunes originaires des milieux deacutefavoriseacutes et renforcent leurs dif-

ficulteacutes degraves lors que sous-instruits ils sont aussi drsquoorigine eacutetrangegravere raquo

(Lagreacutee et Lew-Fai 1985 p 520) On est ainsi passeacute drsquoune maniegravere de

passer sa jeunesse avant de laquo se caser raquo drsquoune marginaliteacute temporaire agrave

une marginaliteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee qui dans certains cas peut devenir

deacutefinitive

Occupation13 qui permet de procurer sensations et gains financiers

la deacutelinquance dans la bande constitue aussi une reacuteaction collective agrave

lrsquoexclusion et agrave la stigmatisation dont font lrsquoobjet ses diffeacuterents membres

(Carra 1999) Les activiteacutes de la bande peuvent se lire comme un double

mouvement drsquoaffirmation aux deacutepens de lrsquoenvironnement ndash reacuteduit agrave des

scheacutemas lointains et hostiles (et reacuteciproquement) promotion du groupe

et promotion personnelle dans ce groupe (Robert et Lascoumes 1974)

Se voir qualifier par ses pairs de laquo vrai cambrioleur un vrai de vrai raquo agrave

lrsquoinstar de Kamel est source de prestige Le savoir-faire deacutelinquant associeacute

12 Lrsquoanalyse du produit final du processus peacutenal montre que ce public constituera ensuitela clientegravele privileacutegieacutee de la justice peacutenale des majeurs les condamneacutes sans professionayant toujours la plus forte proportion drsquoemprisonnement ferme On peut srsquointerrogersur cette surcondamnation avec Aubusson de Cavarlay qui aboutit agrave la conclusionsuivante laquo finalement si la partialiteacute reacutesiste agrave sa justification juridique il faut concluresoit que les faits commis par les classes populaires sont les plus graves puisque touteschoses juridiques eacutegales par ailleurs elles sont plus lourdement sanctionneacutees soit etpour les mecircmes raisons que la justice peacutenale deacutefavorise les classes domineacutees raquo (Aubussonde Cavarley 1985 p 308)

13 laquo [hellip] qui apparaicirct endeacutemique dans la citeacute impliquant non seulement les jeunes maisaussi les adultes Elle srsquoapparente essentiellement agrave une ldquodeacutelinquance de survierdquo raquo(Bailleau 1997 p 29)

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174 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave la prise de risque est source de reconnaissance au sein de la bande

reconnaissance que les propos de lrsquoadolescent reflegravetent laquo jrsquoeacutetais le roi desmalins raquo dit-il Crsquoest aussi un moyen de se positionner dans lrsquoespace

Les tentatives drsquoappropriation des eacutequipements socioculturels parti-

cipent des strateacutegies deacuteployeacutees par la bande pour y parvenir tout en eacutetant

constitutives de la formation drsquoune identiteacute spatiale de substitution Les

propos tenus par lrsquoun des permanents de la Maison pour tous informent

sur lrsquoactualisation de ces tentatives

Les animateurs constatent qursquoun puissant rapport de force a eacuteteacute eacutetabli parles jeunes agrave leur eacutegard De la part des jeunes le point drsquoancrage de leurforce est le chahut qursquoils peuvent faire les carreaux qursquoils peuvent casserles bagarres qursquoils peuvent deacuteclencher lrsquoalcool qursquoils peuvent boire Cetteforce est leur pouvoir de neacutegociation avec les animateurs pour obtenir ceqursquoils deacutesirent une machine agrave cafeacute une salle leur eacutetant reacuteserveacutee une sortieski [hellip]

Pour ces jeunes renvoyeacutes et enfermeacutes dans lrsquounivers des pairs le

quartier constitue le dernier lieu pour acqueacuterir une reconnaissance

sociale Aussi peut-on dire avec Lagreacutee (1996 p 334)

Srsquoagissant des jeunes deacutepourvus des capitaux neacutecessaires pourobtenir une place valorisante dans la socieacuteteacute at large pour ceux quine sont ni agrave lrsquoeacutecole ni dans lrsquoemploi lrsquoespace reacutesidentiel la collec-tiviteacute sociale que constitue le voisinage deviennent le dernier lieuougrave peut se gagner la reconnaissance sociale Pour ceux qui ne sontnulle part lrsquoespace reacutesidentiel animeacute par la vie des bandes estplus que le lieu ougrave lrsquoon vit ougrave lrsquoon attend ougrave lrsquoon galegravere crsquoestaussi le dernier endroit ougrave se reacutealise lrsquointeacutegration ou la marginali-sation agrave une microsocieacuteteacute

En eacutetablissant un rapport de force la bande parvient agrave se positionner

dans lrsquoespace local en obligeant les autres acteurs agrave prendre en compte

ce positionnement Mais en forccedilant la reconnaissance de leur place dans

les rapports sociaux locaux les membres de la bande participent directe-

ment non seulement agrave leur marginalisation mais aussi agrave leur stigmatisa-

tion tout en contribuant fortement agrave leur renvoi agrave des agences speacutecialiseacutees

de la reacuteaction sociale Dans leurs rapports avec les autres ils srsquoenferment

dans une logique qui les expose agrave la reacuteaction stigmatisante du corps social

et au renvoi vers le systegraveme de justice peacutenale

Ce renvoi a drsquoautant plus de chances de se reacutealiser et de srsquoamplifier

dans ce quartier que lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sociale de sa population rend difficile

la mise en œuvre de proceacutedures internes et coheacuterentes de reacutegulation de

la deacuteviance Ce contexte contribue par ailleurs agrave transformer le controcircle

social informel en rapport de classes placcedilant les jeunes issus des milieux

populaires en premiegravere ligne de lrsquoaffrontement (Chamboredon et Lemaire

DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES 175

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1970) Reacuteponse au sentiment drsquoinseacutecuriteacute qursquoeacuteprouvent certaines cateacutego-

ries de la population le renvoi et plus globalement lrsquoentreprise de deacutefini-

tion de la deacuteviance opeacutereacutee dans cette citeacute participent donc aussi aux

strateacutegies de diffeacuterenciation des groupes les uns par rapport aux autres

La bande apparaicirct finalement comme une tentative pour participer

au jeu social mecircme si ce jeu se reacuteduit agrave la scegravene locale cette scegravene

devenant le theacuteacirctre ougrave se joue la production identitaire de ces jeunes La

deacutelinquance dans le contexte de la bande srsquoexplique moins par un manque

de repegraveres par une meacuteconnaissance des normes qursquoelle ne reacutesulte drsquoun

rapport speacutecifique aux autres et agrave lrsquoenvironnement amenant les adoles-

cents agrave utiliser la transgression des normes comme moyen de reconnais-

sance ultime but de toute construction identitaire On peut ainsi dire avec

Digneffe (1989 p 174)

Crsquoest moins le contenu des regravegles qursquoun certain type de rapportaux autres qui lrsquoamegravene [le mineur deacutelinquant] agrave se constituer unerepreacutesentation de ce qui est laquo pour lui raquo agrave faire ou agrave ne pas faireMecircme srsquoil sait que laquo certaines choses sont mauvaises et drsquoautresbonnes raquo ces critegraveres ne deviendront pertinents que srsquoils srsquointegravegrentagrave son propre univers de sens agrave son cadre de reacutefeacuterence en tantqursquoil constitue ce qui lui permet de vivre

CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT

DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES

Lrsquoidentiteacute de lrsquoindividu se construit ainsi au cours drsquointeractions dont la

signification si elle se deacutefinit au sein de ces interactions deacutepend aussi de

la position de lrsquoindividu au sein des structures sociales laquo la dialectique

entre structures sociales meacutediatiseacutees par des interactions concregravetes et la

formation drsquoun ldquosoirdquo individuel est constante raquo (de Queiroz 1994 p 40)

La place que lrsquoindividu occupe au sein des rapports sociaux le rendra plus

ou moins vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de

vie agrave lrsquoeacutecole au travail ndash instances de socialisation geacuteneacuterale qui agissent

comme autant drsquoentrepreneurs de morale de pocircle de repeacuterage et de

stigmatisation ndash et face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-

lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance

juveacutenile

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176 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

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DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

Paroles et strateacutegies

de jeunes deacutelinquants

I

SABELLE

D

ELENS

-R

AVIER

Deacutepartement de criminologie et de droit peacutenal Universiteacute catholique de Louvain

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180

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Notre propos srsquoappuie sur les reacutesultats drsquoune recherche qualitative portant

sur le point de vue de jeunes francophones belges laquo ayant commis des faits

qualifieacutes infraction raquo en drsquoautres termes des jeunes deacutelinquants agrave propos

de deux types de reacuteactions judiciaires particuliegraveres le placement en ins-

titution speacutecialiseacutee ou lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de laquo travail drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral raquo appeleacutee en Belgique laquo prestation eacuteducative ou philanthropique raquo

(Delens-Ravier et Thibaut 2001 et 2003) Lrsquoanalyse porte sur le sens sub-

jectif que ces jeunes donnent agrave leur expeacuterience de judiciarisation inscrite

dans une trajectoire sociofamiliale comprenant souvent un suivi social

individuel ou familial Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction au processus judi-

ciaire sont mises en lumiegravere agrave travers le veacutecu de leur environnement social

(scolaire et familial) de leur trajectoire deacutelinquante et judiciaire et des

mesures dont ils font lrsquoobjet

71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE

QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE

Ce travail srsquoinscrit reacutesolument dans une deacutemarche inductive et geacuteneacuterative

(Laperriegravere 1997 p 326) de lrsquoempirique au theacuteorique du concret agrave

lrsquoabstrait du particulier au geacuteneacuteral La posture ainsi adopteacutee se veut ana-

lytique (Demaziegravere et Dubar 1997 p 33) cherchant agrave produire meacutetho-

diquement du sens agrave partir de lrsquoexploitation des entretiens de recherche

Les donneacutees qualitatives portent donc sur lrsquoexpeacuterience les repreacutesenta-

tions les deacutefinitions de situation les opinions et les paroles (Deslauriers

et Keacuterisit 1997 p 105) qui deacutecrivent la reacutealiteacute sociale telle qursquoelle est

veacutecue et telle qursquoelle est perccedilue par des jeunes deacutelinquants judiciariseacutes

Nous ne recherchons pas la repreacutesentativiteacute statistique mais la repreacute-

sentativiteacute du discours qui tient agrave deux critegraveres particuliers la diversifica-

tion

1

et la saturation

2

crsquoest donc la diversiteacute des discours et des points de

vue sur la mesure judiciaire qui est au cœur de lrsquoinvestigation

1 La diversification signifie qursquoil srsquoagit de rencontrer les jeunes dont on peut attendredes discours tregraves diffeacuterents en fonction de laquo variables strateacutegiques raquo permettant desupputer ces diffeacuterences (type de mesure parcours protectionnel parcours scolaireorigine culturelle du jeunehellip)

2 La saturation signifie que le nombre de jeunes agrave interroger nrsquoest pas deacutetermineacute agravelrsquoavance mais deacutepend de lrsquoapparition de la redondance dans le discours laquo La satura-tion empirique deacutesigne le pheacutenomegravene par lequel le chercheur juge que les derniegraveresentrevues nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles ou diffeacuterentes pourjustifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo (Pires 1997 p 157)

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

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La deacutemarche qualitative choisie a privileacutegieacute des entretiens semi-directifs

avec des jeunes faisant lrsquoobjet drsquoune deacutecision judiciaire Au cours de

lrsquoanneacutee 1999-2000 nous avons intervieweacute 45 adolescents garccedilons et filles

40 drsquoentre eux eacutetaient placeacutes en institution speacutecialiseacutee agrave reacutegime ouvert

ou fermeacute parfois apregraves avoir fait lrsquoobjet drsquoune mesure de reacuteparation et

cinq venaient drsquoexeacutecuter la mesure appeleacutee laquo prestation eacuteducative ou

philanthropique raquo Les deux critegraveres de diversification et de saturation ont

eacuteteacute remplis pour les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee nous permet-

tant donc une geacuteneacuteralisation de nos propos Il nrsquoen va pas de mecircme pour

les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation pour qui la difficulteacute de rencontre

ne nous a pas permis de preacutetendre diversifier suffisamment notre cible

et donc de reacutepondre au principe de saturation Les connaissances pro-

duites agrave partir du discours des jeunes ayant exeacutecuteacute exclusivement ce type

de mesure bien qursquoelles soient particuliegraverement contrasteacutees doivent ecirctre

consideacutereacutees comme des informations fournies agrave titre exploratoire

Les jeunes placeacutes intervieweacutes 39 garccedilons et 6 filles eacutetaient drsquoorigines

culturelles diverses Belgique autres pays drsquoEurope Maroc Turquie

Afrique Leur acircge moyen eacutetait de 16 ans et 1 mois Les jeunes scolariseacutes

freacutequentaient principalement lrsquoenseignement de type professionnel mais

ils sont nombreux agrave srsquoecirctre deacuteclareacutes en deacutecrochage scolaire Ils eacutevoquent

une multipliciteacute de deacutelits essentiellement des laquo deacutelits drsquoacquisition raquo

(vols) Des diffeacuterences apparaissent cependant selon le sexe ainsi pour

les filles la probleacutematique laquo drogue raquo est particuliegraverement preacutesente

Lrsquoarriveacutee en institution speacutecialiseacutee apparaicirct comme une eacutetape dans

un parcours deacutejagrave chargeacute de guidances surveillances ndash eacuteventuellement

associeacutees agrave une mesure de prestation eacuteducative ndash placements institution-

nels et souvent apregraves un seacutejour dans une autre institution du mecircme type

voire en prison Il nrsquoen va pas de mecircme pour les jeunes faisant lrsquoobjet

drsquoune mesure de reacuteparation telle lrsquoexeacutecution drsquoune prestation eacuteducative

ou philanthropique ce sont essentiellement des jeunes ameneacutes agrave compa-

raicirctre pour la premiegravere fois devant le tribunal de la jeunesse

Notre meacutethode drsquoanalyse qualitative srsquoapparente agrave une meacutethode eth-

nographique (Laperriegravere 1997 p 326) dans laquelle collecte et analyse

des donneacutees sont parallegraveles et ougrave les cateacutegories et theacutematiques sont eacuteta-

blies agrave lrsquoaide des donneacutees empiriques Lrsquoanalyse theacutematique nous a permis

drsquoarriver agrave une description analytique (Maroy 1995 p 85) de lrsquoexpeacuterience

de lrsquounivers des mineurs placeacutes Interpreacutetation et description sont ici deux

opeacuterations meneacutees de concert dans une deacutemarche de deacuteconstruction-

reconstruction du discours des jeunes en reacutefeacuterence agrave des travaux theacuteoriques

reconnus dans le champ de la deacutelinquance des mineurs Nous nous atta-

cherons ici essentiellement au veacutecu de la mesure judiciaire par les jeunes

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE

Sans qursquoil soit possible de faire de comparaison stricte les cateacutegories des-

criptives utiliseacutees nrsquoeacutetant pas rigoureusement identiques le profil des

familles des mineurs rencontreacutes alimente lrsquohypothegravese drsquoune surrepreacutesen-

tation de cateacutegories sociales preacutecariseacutees pour les mineurs soumis agrave une

mesure du juge de la jeunesse (Duliegravere-DrsquoUrsel et Delens-Ravier 1992

Born et Thys 1996 Vanneste 2001 p 148)

Les relations entre les jeunes et leur famille apparaissent comme un

systegraveme complexe dans lequel les relations familiales sont agrave la fois le

baromegravetre du comportement du jeune et la reacutesultante de ce comporte-

ment Les interactions familiales sont cruciales dans le veacutecu et lrsquoeacutevolution

des jeunes rejeteacutes par les leurs ils srsquoenfoncent dans des comportements

qursquoils preacutesentent eux-mecircmes comme une forme drsquolaquo appel raquo mais qui

entretiennent ce rejet Alors que la possibiliteacute de renouer avec la famille

est un facteur de deacutesistance (Born 2001 p 178) dans la mesure ougrave laquo seul

le retour en famille ldquochoisi

3

rdquo offre de bonnes garanties de reacuteussite du

projet de reacuteinteacutegration du jeune apregraves un placement en institution speacute-

cialiseacutee que ce soit agrave court ou agrave long terme raquo (Born 2001 p 185) Ainsi

lorsqursquoil est question de conflit et de rupture le placement et lrsquoeacuteloigne-

ment physique qursquoil induit ne font qursquoentretenir le rejet familial drsquoautant

plus que le jeune est dans lrsquoincapaciteacute mateacuterielle de neacutegocier avec sa

famille son image deacuteteacuterioreacutee par le processus judiciaire La peacuteriode du

placement signe alors cette rupture agrave sa sortie le jeune devra srsquoinstaller

seul ou trouver une institution

Pour drsquoautres la crise provoqueacutee par la judiciarisation suivie du

placement peut ecirctre lrsquooccasion drsquoun changement tant dans le comporte-

ment du jeune que dans les relations avec sa famille

Le lien avec la famille se preacutesente eacutegalement comme un eacuteleacutement

fondamental dans la compreacutehension des diffeacuterentes faccedilons de vivre la

mesure de prestation eacuteducative

4

Ainsi en toutes circonstances quelle que

soit la mesure prise par le magistrat la judiciarisation agit comme un

catalyseur de lrsquoeacutevolution de la situation agrave partir de la reacuteaction familiale

au deacutelit judiciariseacute

3 On parle de laquo solution choisie raquo par lrsquoeacutequipe lorsqursquoil y a convergence entre le projetdu jeune les possibiliteacutes familiales le deacutesir de lrsquoun et de lrsquoautre de reacuteinvestir dans cesens de mecircme qursquoadeacutequation entre le projet envisageacute et les ressources

4 Voir plus bas

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

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Lrsquoinstitution scolaire se preacutesente eacutegalement comme une pierre angu-

laire dans le parcours des jeunes agrave la fois vecteur drsquoexclusion et vecteur

de reacuteinsertion Elle est en mecircme temps la premiegravere expeacuterience significa-

tive de releacutegation sociale et la seule issue que les jeunes entrevoient agrave leur

situation notamment en tant que projet de sortie de lrsquoinstitution valide

aux yeux de lrsquoensemble des intervenants

Les rapports agrave lrsquoeacutecole et agrave la famille se trouvent donc au cœur des

trajectoires deacutelinquantes des jeunes rencontreacutes La theacuteorie de la vulneacutera-

biliteacute socieacutetale

5

deacuteveloppeacutee par Walgrave comme explication de la deacutelin-

quance persistante de certains jeunes avait deacutejagrave montreacute combien la

famille et lrsquoeacutecole davantage encore jouaient un rocircle crucial dans le pro-

cessus drsquoaffiliation sociale (Vettenburg 2003 p 193)

La cristallisation des reacuteactions des jeunes et des familles autour du

processus de judiciarisation pourrait laisser agrave penser que la trajectoire

judiciaire vient imposer sa logique aux diffeacuterentes trajectoires familiales

scolaires des mineurs mais en fait comme le dit Carra laquo cette trajectoire

judiciaire ne se deacuteveloppe ni indeacutependamment ni parallegravelement aux

autres trajectoires Elle se construit avec ndash gracircce ndash aux autres trajectoires

et reacuteciproquement (Carra 2001 p 72) raquo Crsquoest que nous allons tenter

drsquoexpliciter

73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE

Les jeunes rencontreacutes nrsquoont pas une vision tregraves claire de la chronologie

de leur parcours Les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee ont le plus

souvent deacutejagrave connu un suivi individuel ou psychosocial avant drsquoecirctre lrsquoobjet

de mesures judiciaires pour des faits de deacutelinquance Ce qui nrsquoest pas le

cas pour les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation

Le parcours des jeunes placeacutes a donc souvent deacutebuteacute bien avant les

faits infractionnels repeacutereacutes il est jalonneacute de nombreux placements insti-

tutionnels dont lrsquoinstitution speacutecialiseacutee est lrsquoaboutissement souvent de

5 La notion de vulneacuterabiliteacute socieacutetale est deacutefinie ainsi laquo la potentialiteacute de la vulneacuterabiliteacutesuggegravere une certaine permanence qui pourrait deacutependre des caracteacuteristiques du sujetou de la situation Pour ce qui est de la vulneacuterabiliteacute socieacutetale elle deacutepend de la positiondes sujets dans la socieacuteteacute La position envisageacutee est proche de la position socioeacutecono-mique infeacuterieure raquo (Walgrave 1992 p 85) La personne socialement faible est unepersonne qui dans ses contacts avec les institutions sociales (lrsquoeacutecole le marcheacute dutravail la justice) se confronte principalement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee aux aspects neacutegatifset profite moins de lrsquooffre positive (Vettenburg 2003 p 194)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

faccedilon reacutepeacuteteacutee Les discours font eacutetat drsquoun parcours en forme de spirale

constitueacutee drsquoune longue suite de mesures et drsquoinstitutions dont les jeunes

ne gardent pas toujours un souvenir preacutecis Que ce soit la consommation

de stupeacutefiants le comportement adopteacute le deacutecrochage scolaire chacun

de ces eacuteleacutements constitue la cause drsquoun nouveau placement un nouveau

mouvement de va-et-vient entre retour en famille et institution Apregraves une

premiegravere mesure judiciaire de placement le poids du dossier joue en

deacutefaveur des jeunes Ainsi un placement en institution speacutecialiseacutee en

appelle drsquoautres mecircme si le jeune a lrsquoimpression de commettre des faits

moins graves ou drsquoavancer vers une prise de conscience Crsquoest agrave partir des

difficulteacutes scolaires que les jeunes commencent agrave eacutecrire leur histoire ins-

titutionnelle chaotique mecircme si souvent celle-ci a deacutemarreacute bien plus tocirct

dans un contexte familial perturbeacute

Les services ou institutions qui jalonnent leur parcours avant lrsquoarriveacutee

dans la laquo nasse raquo que repreacutesente le placement en institution speacutecialiseacutee sont

diversement appreacutecieacutes Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale le rocircle et les missions speacuteci-

fiques du service drsquoaide agrave la jeunesse (SAJ) proposant une aide neacutegocieacutee

aux familles et aux mineurs qui eacuteprouvent des difficulteacutes dans le processus

eacuteducatif ne sont pas clairement perccedilus

6

ainsi les entretiens reacutealiseacutes dans

le cadre de ce type drsquointervention drsquoaide la plupart du temps en vue drsquoune

autonomie aux contours impreacutecis leur sont apparus laquo inutiles raquo reacuteduits agrave

du simple bavardage les articulations avec drsquoautres services nrsquoeacutetant pas

claires pour eux Lorsque ce type de service transmet le dossier au parquet

en vue drsquoimposer une aide contrainte le service de protection judiciaire

chargeacute de mettre en œuvre cette aide est perccedilu comme une surveillance

sur les mineurs et leurs familles plutocirct que comme un accompagnement

ou une aide On le juge aussi carreacutement laquo impuissant raquo devant les obstacles

agrave la reacuteinsertion scolaire familiale socialehellip des mineurs placeacutes en eacutetablis-

sement speacutecialiseacute Les seacutejours en institution reacutesidentielle priveacutee sont veacutecus

comme un temps durant lequel ils disent nrsquoavoir pas eacuteteacute reacuteellement pris

en charge ougrave le quotidien leur est apparu comme non structureacute offrant

trop de liberteacutehellip Ceux qui ont connu un passage en institution psychia-

trique sont fortement marqueacutes par des eacuteleacutements comme la camisole chi-

mique et le meacutelange entre adultes et adolescents Ils gardent en meacutemoire

essentiellement la stigmatisation qui en deacutecoule La prison est eacutegalement

6 Le rocircle et la mission du SAJ sont deacutefinis par le Deacutecret relatif agrave lrsquoaide agrave la jeunesse du4 mars 1991 Pour une preacutesentation deacutetailleacutee voir le site Internet httpwwwcfwbbeaide-jeunessehtmlproplatprohtm

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une expeacuterience traumatisante principalement agrave cause du reacutegime cellulaire

24 heures sur 24 qui est propre aux mineurs et ougrave la seule activiteacute est la

teacuteleacutevision Cependant une incarceacuteration de 15 jours nrsquoa guegravere de conseacute-

quences laquo eacuteducatives raquo agrave leurs yeux elle renforce plutocirct la laquo haine raquo agrave

lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute conforte le jeune dans son rocircle de caiumld dans son

quartier ou encore permet la rencontre de familiers ou de connaissances

et contribue alors agrave la contagion deacutelinquante

Les consideacuterations eacutemises agrave propos de ces diffeacuterentes interventions

qui ont eacutemailleacute leur parcours sociojudiciaire deacutenotent une absence de

compreacutehension et de maicirctrise de la coheacuterence de celui-ci Les jeunes

parlent de leur place dans cette trajectoire comme srsquoils eacutetaient laquo

une piegravecedans un jeu de dames

raquo

hellip

Ainsi drsquoune faccedilon geacuteneacuterale pour les jeunes que

nous avons rencontreacutes alors qursquoils eacutetaient en institution speacutecialiseacutee

lrsquoentreacutee dans le circuit institutionnel a signeacute le deacutebut drsquoun parcours

chaotique essoufflant drsquoinstitution en institution ponctueacute par quelques

tentatives de retour en famille dont ce type drsquoinstitution constitue lrsquoabou-

tissement La chronologie reste floue les seuls repegraveres temporels preacutecis

eacutetant directement en lien avec le processus de judiciarisation la date

drsquoarriveacutee agrave lrsquoinstitution la date du jugement ou de lrsquoordonnance la date

du prochain rendez-vous au tribunal de la jeunesse Nous sommes ici

devant ce que Carra appelle le processus formel de constitution de la

deacutelinquance au travers duquel laquo la trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation

des mesures et la prise en charge institutionnelle de plus en plus totale

apparaicirct comme une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances

de passer drsquoun degreacute agrave lrsquoautre Elle influence profondeacutement lrsquoimage et les

perspectives drsquoavenir du mineur raquo (Carra 2001 p 94) Si leur trajectoire

au sein de la sphegravere protectionnelle du suivi familial aux mesures de

placement se reacutevegravele floue et aux contours impreacutecis se preacutesentant donc

davantage comme une ligne briseacutee que comme un cheminement logique

connu par eux lrsquoeacutevolution graduelle et ineacuteluctable vers une prise en

charge de plus en plus resserreacutee est bien reacuteelle

Les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation avaient un parcours nette-

ment moins laquo lourd raquo dans la mesure ougrave ce type de mesure judiciaire est

deacutecideacute par les magistrats lors drsquoune premiegravere comparution au tribunal

de la jeunesse En effet comme lrsquoont montreacute drsquoautres recherches laquo la

cateacutegorie des mineurs faisant lrsquoobjet drsquoune mesure de prestation drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral preacutesente le profil le plus ldquoprimo-deacutelinquantrdquo et ldquoprimo-judiciairerdquo raquo

(Vanneste 2001 p 93)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION

Lrsquoanalyse du discours sur lrsquoexpeacuterience veacutecue du placement ou de la pres-

tation

7

permet de deacutegager des veacutecus tregraves diffeacuterencieacutes que nous nous

proposons drsquoorganiser autour de diffeacuterentes laquo strateacutegies raquo de reacuteaction au

processus de judiciarisation Si geacuteneacuteralement lrsquoideacutee de strateacutegie fait reacutefeacute-

rence agrave une deacutemarche construite et consciente en vue drsquoatteindre un

objectif le terme de strateacutegie est compris ici comme la combinaison de

diffeacuterentes faccedilons de laquo dominer la tension qui existe entre lrsquounivers domes-

tique et lrsquounivers de lrsquoinstitution raquo (Goffman 1968 p 110) Plus large-

ment nous comprenons la strateacutegie comme les modes de reacuteaction agrave la

situation creacuteeacutes par la deacutecision judiciaire les modes drsquoadaptation aux

conseacutequences de la judiciarisation La notion de strateacutegie se situe agrave lrsquoarti-

culation du systegraveme social et de lrsquoindividu du social et du psychologique

Les strateacutegies de reacuteponse agrave une situation sociale deacutecrivent simple-ment les comportements individuels ou collectifs conscients ouinconscients adapteacutes ou inadapteacutes mis en œuvre pour atteindrecertaines finaliteacutes La notion de strateacutegie appliqueacutee au champsocial suggegravere que lrsquoindividu dispose drsquoune certaine liberteacute dechoix dans les limites des regravegles du jeu Elle exprime commentles comportements individuels sont le reacutesultat drsquoune interactionde facteurs sociaux et individuels Elle permet de lire les diffeacute-rentes maniegraveres dont les acteurs laquo font avec raquo les deacuteterminantssociaux en fonction de quels paramegravetres sociaux familiaux oupsychologiques La diversiteacute relative des comportements en reacuteponseagrave des situations sociales similaires met en eacutevidence le caractegravereinteractionnel dynamique et complexe du processus (De Gaulejacet Leonetti 1994 p 184)

Nous nous inteacuteressons ici agrave la reconstruction subjective des trajectoires

des jeunes (Delens-Ravier 2001 p 13) Il ne srsquoagit pas de retracer lrsquoeacutevo-

lution chronologique des eacuteveacutenements de leur parcours sociojudiciaire

mais de mettre en perspective leur expeacuterience agrave la suite drsquoune deacutecision

judiciaire en deacutegageant les eacuteleacutements cleacutes qui srsquoarticulent dans les diffeacuterentes

strateacutegies eacutevoqueacutees que nous cherchons agrave comprendre du point de vue

7 Lrsquoexpeacuterience de prestation eacuteducative ou philanthropique est relateacutee par deux types dejeunes des jeunes qui ont fait lrsquoobjet drsquoune prestation lrsquoont termineacutee et ont eacuteteacute eacutevalueacutespositivement par les intervenants et le milieu drsquoaccueil des jeunes placeacutes en institutionspeacutecialiseacutee ayant eacuteteacute confronteacutes drsquoune faccedilon ou drsquoune autre agrave ce type de mesurecertains ayant purement et simplement refuseacute drsquoexeacutecuter la mesure Malheureusementle nombre trop restreint drsquoentretiens ne nous permet pas de parler de saturation delrsquoinformation nous ne pouvons que lancer des pistes drsquointerpreacutetation exploratoire duveacutecu de cette mesure

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subjectif de lrsquoacteur Nous retenons comme eacuteleacutement le veacutecu de la deacutelin-

quance la perception de la deacutecision du magistrat et de la relation agrave celui-ci

la rencontre avec les acteurs institutionnels lrsquoappreacuteciation globale de la

mesure par la faccedilon dont est veacutecu le reacutegime institutionnel

741 V

EacuteCU

DE

LA

DEacuteLINQUANCE

La deacutelinquance est une attitude speacutecifique de la peacuteriode de lrsquoadolescence

La plupart des passages agrave lrsquoacte sont des vols simples et de la consomma-

tion de cannabis et constituent une activiteacute propre agrave un processus de

deacuteveloppement normal agrave la peacuteriode charniegravere de lrsquoadolescence Bien

qursquoeacutetiqueteacutes comme laquo mineurs deacutelinquants raquo par les instances peacutenales et

stigmatiseacutes par les multiples placements nombre drsquoentre eux refusent de

srsquoidentifier agrave une telle image Ils revendiquent au contraire un droit agrave

lrsquoerreur un droit agrave lrsquoexpeacuterimentation Ainsi srsquoils reconnaissent les faits

pour lesquels ils sont poursuivis leur interpreacutetation de ceux-ci ne corres-

pond certainement pas agrave la lecture reacuteductrice proposeacutee par le systegraveme

judiciaire faisant reacutefeacuterence aux cateacutegories du code peacutenal

La plupart des jeunes insistent sur une dimension fondamentale qui

les lie agrave lrsquoaction elle-mecircme laquo

lrsquoadreacutenaline

raquo Lrsquoanxieacuteteacute au moment de voler

est stimulante ils eacutevoquent aussi la prise de risque et la reacuteussite le plaisir

lieacute agrave la consommation de stupeacutefiantshellip Nombreux sont ceux qui confessent

avoir trouveacute dans la vente de stupeacutefiants ou le vol laquo quelque chose dans

lrsquoaction qui ne se passe pas ailleurs raquo (Brion et de Coninck 1999 p 939)

Associeacutee agrave la prise de risque laquo

lrsquoadreacutenaline

raquo est lrsquooccasion de vivre des

eacutemotions intenses qui deacutepassent largement leur quotidien habituel Le fait

de commettre les deacutelits en groupe augmente par ailleurs le plaisir ressenti

Crsquoest le stress aussi Crsquoest de vivrehellip Je crois comme dans les films vousvoyez Crsquoest bon simplement crsquoest de lrsquoadreacutenaline (Manu 17 ans)

Drsquoautres recherches ont drsquoailleurs mis en eacutevidence que laquo lrsquoentreacutee

dans le style de vie deacuteviant relegraveve presque toujours initialement drsquoune

motivation lieacutee agrave la recherche du plaisir raquo (Brunelle Cousineau et Brochu

2002 p 24)

La recherche drsquoargent est une autre motivation fondamentale pour

ces jeunes Elle prend pour eux des connotations particuliegraveres drsquolaquo argent

facile raquo ou drsquolaquo argent-compensation raquo Deacutepenser de lrsquoargent est synonyme

drsquoexister de vivre Durckheim avait deacutejagrave souligneacute le lien entre sentiment

drsquoexister et deacutepenses laquo Vivre crsquoest avant tout agir agir sans compter pour

le plaisir drsquoagir Et [hellip] srsquoil faut amasser pour pouvoir deacutepenser crsquoest

pourtant la deacutepense qui est le but et la deacutepense crsquoest lrsquoaction raquo (tel que

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

citeacute dans

Grell 1999 p 207) La recherche drsquoargent se manifeste sous

deux formes particuliegraveres le plaisir de lrsquoargent facile ou la jouissance de

posseacuteder et la compensation drsquoune situation deacutefavorable Lrsquoargent facile

ou lrsquoargent plaisir correspond agrave des beacuteneacutefices rapidement acquis par la

vente de stupeacutefiants ou le vol de voitures qui poussent agrave la surconsomma-

tion Cet argent mateacuterialiseacute par lrsquoachat de produits ostensibles et luxueux

(motos vecirctementshellip) brucircle les doigts vite acquis il est vite deacutepenseacute

Lrsquoargent facile est ainsi une tentation agrave laquelle il est difficile de reacutesister

qui procure de plantureux beacuteneacutefices inaccessibles par des voies leacutegalement

reconnues au vu du niveau scolaire familial et social

Crsquoest fou lrsquoargent qursquoon peut se faire

[en vendant des pilules drsquoecstasy]

Crsquoest laquo deacutegueulasse raquo parce qursquoon vend de la mort Moi jrsquoaime bien lrsquoargentcomme tout le monde peut-ecirctre un peu plus Quand jrsquoai de lrsquoargent je ledeacutepense direct Et quand je vendais je pouvais me permettre tout je pou-vais mrsquoacheter tout je me faisais un meacutechant beacuteneacutefice Et quand je vaissortir je vais toujours y retourner pour aller en chercher Je vais recommen-cer agrave vendre crsquoest clair Je vendrai agrave gauche et agrave droite pour arrondir mesfins de mois Jrsquoaimerais bien arrecircter mais quand on sait combien ccedila rap-porte ccedila va ecirctre plus fort que moi Crsquoest la tentation de lrsquoargent facile Crsquoestpas si eacutevident Ici on peut faire un projet mais quand on est dehors crsquoestpas la mecircme vie

(Dominique 17 ans)

La recherche drsquoargent peut eacutegalement ecirctre en lien avec un contexte

de vie aux ressources financiegraveres limiteacutees Le vol est alors un mode

drsquoappropriation drsquoobjets consideacutereacutes comme inaccessibles La deacutelinquance

se preacutesente parfois comme une modaliteacute de survie neacutecessaire agrave lrsquointeacutegration

dans une socieacuteteacute de consommation lorsqursquoon ne beacuteneacuteficie pas des moyens

drsquoy participer pleinement (Delens-Ravier et Thibaut 2003 p 30)

Faut voir les circonstances pourquoi il a voleacute

[hellip]

Srsquoil a vu une belle pairede chaussures dans un magasin que ses parents ne savent pas payerhellipQursquoest-ce qursquoil va faire le jeune Il va aller voler pour se les payer crsquoesttouthellip Srsquoil y avait du travail srsquoil y avait quelque chose pour nous occuperce serait laquo agrave lrsquoaise raquo Mais en Belgique il nrsquoy a rien du tout pour les jeunes

(Rodovan 17

1

2

ans)

Les deacutelits peuvent eacutegalement avoir pour objet drsquoexprimer des diffi-

culteacutes drsquoordre familial permettant une visibiliteacute accrue agrave travers la reacuteaction

judiciaire Lrsquoexpression des difficulteacutes correspond agrave une quecircte drsquoidentiteacute

ou de reacuteponses parentales Cet appel agrave exister peut srsquoadresser non seule-

ment agrave la famille mais agrave lrsquoensemble de la socieacuteteacute comme reacuteponse aux

interpellations policiegraveres systeacutematiques aux

homes

ougrave lrsquoon est placeacute aux

eacutecoles dont on a eacuteteacute exclu au patron qui a refuseacute drsquoembaucherhellip Ce type

de laquo motivation raquo de la transgression fait reacutefeacuterence agrave une situation person-

nelle insatisfaisante laissant preacutesager des trajectoires discontinues marqueacutees

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par les ruptures notamment avec le milieu familial et risquant de conduire

agrave la deacutesaffiliation ou agrave une affiliation deacuteviante agrave la vengeance agrave lrsquoauto-

destructionhellip (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 14)

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la deacutelinquance des jeunes rencontreacutes peut se

comprendre comme une eacutechappatoire agrave une socialisation contraignante

difficile voire impossible pour eux Dans ce sens la transgression est vue

comme un signe de bonne santeacute pour des jeunes que le monde nrsquoattend

pas ce dont ils ont pris conscience assez tocirct notamment agrave travers leur

veacutecu scolaire et la position sociale de leurs familles Comme le dit tregraves

justement Grell agrave propos de jeunes Canadiens

[hellip] leurs deacuteambulations existentielles indissociables de leurs pas-sions et leurs excegraves seraient agrave lire comme drsquoincessantes tentativesde deacutepassement de ce preacutesent tragique drsquoun monde qui au lieude leur offrir des prises fermes leur met plutocirct des sables mou-vants sous les pieds Leurs deacuteambulations existentielles excessiveset passionneacutees ne posent-elles pas degraves lors lrsquoinsoutenable questionde lrsquoinsignifiance drsquoun monde qui ne constitue plus ou insuffisam-ment lrsquoarmature de lrsquoexistence des mortels Les excegraves et les mul-tiples eacutecarts de ces jeunes ne sont-ils pas dans ce cas un signe desanteacute la fabrication drsquoanticorps ayant pour fonction de franchirles limites de la maladie mondaine (Grell 1999 p 210)

Les diffeacuterents sens de la transgression peuvent cohabiter chez un

mecircme jeune eacutevoluer au fil du tempshellip La faccedilon de vivre leur deacuteviance

ne paraicirct pas vraiment centrale dans la reacuteaction subjective agrave la mesure

judiciaire Ce nrsquoest donc pas le veacutecu de leur deacutelinquance qui srsquoarticule

avec drsquoautres eacuteleacutements comme le sentiment de justice ou drsquoinjustice de

la deacutecision ou le type de rapports aux acteurs sociaux et judiciaires mais

bien le fait que les acteurs judiciaires et sociaux vont prendre en consideacute-

ration laquo leur raquo interpreacutetation subjective de leur deacutelinquance le sens que

les jeunes eux-mecircmes lui donnent dans leur contexte particulier ce qui

neacutecessite eacutecoute et compreacutehension au-delagrave de lrsquoaffirmation de la norme

et de la leacutegitimation drsquoune sanction

742 L

A

DEacuteCISION

DU

MAGISTRAT

La deacutecision de placement en IPPJ se preacutesente clairement comme une

punition agrave leurs yeux justifieacutee ou non Elle apparaicirct comme une reacuteponse

logique essentiellement en comparaison avec le systegraveme peacutenal adulte dans

la mesure ougrave ils admettent avoir fait des laquo conneries raquo et qursquoil est normal

drsquoecirctre laquo puni raquo Il srsquoagit parfois drsquoune deacutecision par deacutefaut lorsque les

familles ne veulent plus rien entendre ou qursquoaucune autre institution

nrsquoaccepte le mineur La deacutecision est cependant veacutecue comme une injustice

si le jeune ne reconnaicirct pas les faits lorsque le deacutelai entre les faits et la

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sanction est trop long lorsqursquoune seacuterie de mesures srsquoaccumulent sans que

le jeune perccediloive quelle est la sanction veacuteritable lorsque les conditions

drsquoentreacutee et de sortie ne sont pas clairement eacutetablies lorsque la diffeacuterence

de traitement entre mineurs et majeurs ou drsquoun arrondissement judiciaire

agrave lrsquoautre est trop marqueacutee

La deacutecision qui consiste en lrsquoinjonction de reacutealisation drsquoune prestation

eacuteducative ou philanthropique est veacutecue comme une sanction laquo leacutegegravere raquo

comparativement au placement jugeacute trop seacutevegravere

Jrsquoavais peur de ce qursquoelle

[juge de la jeunesse]

allait me dire De ce quejrsquoallais avoir Si jrsquoallais ecirctre placeacute ou pas Je mrsquoattendais pas agrave ccedila jemrsquoattendaishellip Je sais pashellip Plus seacutevegravere Et ici ccedila allait

(Joseo 18 ans)

Elle est accepteacutee par certains dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice

jugeacutee alors moins laquo coucircteuse raquo qursquoun placement ou carreacutement refuseacutee par

drsquoautres car repreacutesentant une sorte de laquo travaux forceacutes

8

raquo

743 L

E

MAGISTRAT

DE

LA

JEUNESSE

Le juge de la jeunesse est une figure marquante associeacutee avant tout agrave

lrsquoinstance qui peut deacutecider drsquoun placement dont la crainte repreacutesente

vraiment le pivot autour duquel srsquoarticule lrsquoappreacuteciation que les jeunes

ont de lrsquointervention judiciaire comme si pour eux le juge nrsquoavait pas

drsquoautres mesures agrave sa disposition

Les diffeacuterentes images de juges qui eacutemergent du discours des jeunes

renvoient agrave des perceptions contrasteacutees Elles vont drsquoune appreacuteciation

franchement neacutegative (le juge qui place sans reacuteflexion) agrave une appreacuteciation

franchement positive (le juge protecteur et paternaliste) Le juge qui place

sans reacuteflexion

est celui qui mateacuterialise son action par une mesure de

placement comme reacuteponse unique malgreacute la diversiteacute des jeunes ou des

situations qursquoil rencontre La relation est ici hyperstandardiseacutee lrsquoespace

de parole accordeacute aux jeunes et agrave leur famille apparaissant extrecircmement

restreint Aux yeux des jeunes la systeacutematisation du placement est reacuteveacutela-

trice agrave la fois drsquoun manque drsquoindividualisation des mesures et donc drsquoeacutecoute

et drsquoun manque de connaissance des reacutealiteacutes institutionnelles Certains

jeunes reacutepondent alors par la fugue agrave ce manque drsquoeacutecoute ressenti au

moment de la deacutecision ou au cours de leur placement strateacutegie qui oblige

le juge de la jeunesse agrave rouvrir le deacutebat sur leur compte Agrave lrsquoopposeacute le

juge protecteur et paternaliste

constitue lrsquoimage inverseacutee du juge laquo qui

place sans reacuteflexion raquo Ici le rocircle du juge de la jeunesse deacuteborde celui de

8 Voir plus bas les diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction

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laquo dire la loi raquo et son intervention deacutepasse le cadre du fait commis Il nrsquoest

pas lagrave uniquement pour sanctionner il cherche agrave comprendre agrave aider Ce

nrsquoest cependant pas lrsquoideacutee drsquoassistance qui suffit en soi agrave eacutetayer cette image

du laquo bon raquo juge Lrsquoimage positive du juge est le reacutesultat de la conjugaison

de plusieurs eacuteleacutements notamment le respect du jeune (par exemple en

faisant respecter les droits du jeune par les policiers) la franchise et la

clarteacute des deacutecisions Neacuteanmoins la figure peut ecirctre double juge paternel

dans des situations de mineur en danger juge laquo placeur raquo lorsque le jeune

a commis un fait qualifieacute drsquoinfraction Les deux facettes sont fonction de

la motivation de la saisine mais sont eacutegalement conditionneacutees par le

conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance qursquoil

parvient agrave susciter ou non

Si les images du juge diffegraverent il existe une certaine constance dans

les relations Preacutevaut drsquoabord la crainte du placement Ainsi bien que les

jeunes qualifient geacuteneacuteralement de laquo

bonnes

raquo les relations avec leur juge

eacutevoquant mecircme une certaine proximiteacute affective en parlant de laquo

mon (ma)juge

raquo

ils perccediloivent les deacutecisions prises par le magistrat comme eacutetant en

quelque sorte exteacuterieures agrave cette relation comme si le juge ne maicirctrisait

pas reacuteellement sa deacutecision guideacutee par des facteurs exteacuterieurs

Dans leurs appreacuteciations les jeunes distinguent acteurs judiciaires et

systegraveme de justice des mineurs Si le juge est parfois consideacutereacute comme un

laquo bon raquo juge et appreacutecieacute le systegraveme de justice est globalement perccedilu

comme injuste pour ces jeunes marginaliseacutes

Moi la justice je trouve qursquoelle est pas juste crsquoest touthellip Je dis pas dujuge il est pas juste je dis la socieacuteteacute elle est pas juste

(Nick 16 ans)

744 L

ES

ACTEURS

INSTITUTIONNELS

9

La confrontation avec les acteurs institutionnels est la cleacute de voucircte du

systegraveme eacuteducatif de placement en institution speacutecialiseacutee Les acteurs cleacutes

aux yeux des jeunes sont drsquoabord les eacuteducateurs lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-

sociale (assistants sociaux psychologues meacutedecin psychiatre) et enfin

les autres jeunes

7441 Les eacuteducateurs

Les jeunes insistent sur la distance ineacuteluctable et neacutecessaire qui existe

entre jeunes et eacuteducateurs bien que les deux soient soumis aux regravegles et

agrave lrsquoinfrastructure institutionnelle et soient pris dans les mecircmes contraintes

9 Nous deacuteveloppons ici exclusivement le discours des jeunes placeacutes les donneacutees concer-nant les jeunes en prestation eacutetant trop restreintes

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192

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Comme dans leurs rapports avec les magistrats les relations avec les eacutedu-

cateurs sont marqueacutees par les laquo

figures

raquo auxquelles ces derniers se rattachent

selon les jeunes Ainsi lrsquoeacuteducateur laquo

qui eacutecoute et qui rigole

raquo correspond agrave

une image positiveacutee du rocircle drsquoeacuteducateur Cette image renvoie agrave une fonc-

tion de compreacutehension drsquoeacutecoute attentive au-delagrave drsquoune simple eacutecoute

qui restitue en retour une image positive au jeune le valorisant et lui

permettant de croire en lui Ce type drsquoeacuteducateur parvient agrave une connais-

sance suffisante du jeune pour arriver agrave lui mettre des limites Il est eacutega-

lement engageacute dans son travail essentiellement par son inteacuterecirct profond

pour les jeunes eux-mecircmes avant toute recherche de reconnaissance

sociale ou peacutecuniaire Une autre figure est lrsquoeacuteducateur laquo

avec qui on rigolepas

raquo qui se cantonne dans le respect strict du regraveglement la discipline

nrsquoest pas neacutegocieacutee elle est appliqueacutee au pied de la lettre Il en reacutesulte un

manque de souplesse et de dialogue lrsquoapplication du regraveglement strict

apparaissant comme une fin en soi Une derniegravere figure est celle de lrsquoeacutedu-

cateur laquo

lasseacute

raquo

qui aux yeux des jeunes ne remplit son rocircle ni dans lrsquoani-

mation de groupe ni dans le maintien de la discipline

7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale

Les deux acteurs principaux de ces eacutequipes dans la vie des jeunes sont les

assistantes et assistants sociaux et les psychologues Selon eux lrsquoeacutequipe

remplit trois fonctions le laquo

gribouillage

raquo rocircle drsquoexpertise par la reacutealisation

de tests et la reacutedaction de rapports dont les jeunes ne perccediloivent pas la

finaliteacute lrsquoeacutecoute et le soutien et enfin lrsquoeacutelaboration du projet de sortie

Lorsque les professionnels sont perccedilus comme centreacutes essentiellement sur

leur mission drsquoobservation et drsquoexpertise les relations sont insatisfaisantes

pour les jeunes qui ne se sentent degraves lors pas laquo

eacutecouteacutes

raquo

Par contre lorsque les intervenants psychosociaux sont preacutesents dans

le quotidien des jeunes et qursquoils peuvent se rendre disponibles en cas de

difficulteacute ou de demande ils sont perccedilus comme un soutien reacuteel

Lrsquoeacutelaboration du projet de sortie est le reflet de tous les obstacles

que devront surmonter ces jeunes pour devenir les laquo entrepreneurs raquo de

leur existence (Blairon 2003 p 8) alors qursquoils sont marqueacutes par la releacute-

gation et la deacutesaffiliation Ainsi lorsque le projet qui tient agrave cœur au jeune

ne correspond pas vraiment agrave un projet de sortie mais srsquoapparente plutocirct

agrave une recherche sur soi-mecircme son eacutelaboration avec les membres de

lrsquoeacutequipe psychosociale si celle-ci ne se limite pas agrave son rocircle laquo drsquoeacutecriture

de rapports raquo peut ecirctre lrsquooccasion drsquoune rencontre et drsquoune eacutecoute Mais

lorsque le projet est discuteacute dans un cadre laquo moralisateur raquo ougrave les objectifs

sont deacutefinis par lrsquoensemble des intervenants plutocirct que par le jeune lui-

mecircme il apparaicirct comme le vecteur unique de communication et reste

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enfermeacute dans son caractegravere hyperformel Il ne permet pas alors une reacuteelle

eacutecoute ni un reacuteel travail sur laquo le sens veacutecu raquo des actes poseacutes il nrsquoest que

conformiteacute de surface aux attentes sociales

745 DIFFEacuteRENTES STRATEacuteGIES DE REacuteACTION

Les diffeacuterentes reacuteactions agrave la mesure de placement articulant les eacuteleacutements

cleacutes que nous venons drsquoexposer reacuteactions qui eacutemergent agrave lrsquoanalyse font

reacutefeacuterence soit agrave une eacutevolution en termes drsquoadaptation et de rationalisation

de la mesure alors veacutecue comme une possibiliteacute de laquo rachat raquo soit agrave une

eacutevolution en termes de repli et de refus Et dans ce cas la mesure est veacutecue

comme une punition insupportable Une derniegravere strateacutegie consiste agrave se

rendre en quelque sorte impermeacuteable agrave ne pas donner prise aux interve-

nants en adoptant une attitude minimale de conformisme de surface ou

drsquoindiffeacuterence

Les discours tregraves contrasteacutes des quelques jeunes rencontreacutes dans le

cadre de lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de prestation eacuteducative alimentent

lrsquohypothegravese drsquoune strateacutegie de reacuteaction srsquoarticulant autour des rapports

que le jeune entretient avec le corps social en termes drsquointeacutegration ou

drsquoexclusion La mesure peut ainsi se preacutesenter comme une sanction per-

mettant de tourner la page une humiliation suppleacutementaire insuppor-

table ou une sanction ineacuteluctable moins coucircteuse qursquoun placement trois

formes de reacuteaction apparenteacutees selon nous agrave celles que manifestent les

jeunes placeacutes

7451 Une strateacutegie drsquoadaptation et de rationalisation

Si le placement deacutebute toujours par des premiegraveres semaines difficiles

certains jeunes srsquoadaptent progressivement agrave lrsquoenvironnement institution-

nel en laissant place agrave une volonteacute de tirer un certain profit de leur seacutejour

Ils tentent de positiver la mesure par lrsquoappropriation des objectifs du

placement judiciaire en termes de victoire sur eux-mecircmes (en se maicirctri-

sant suffisamment pour parvenir agrave se conformer au carcan institutionnel)

drsquoinvestissement dans lrsquooffre scolaire et dans les divers apprentissages

sociaux Le temps du placement permet alors drsquoalimenter certains objec-

tifs personnels du jeune il est veacutecu comme lrsquooffre drsquoune chance de srsquoen

sortir Ces jeunes sont demandeurs drsquoun encadrement drsquoun accompagne-

ment drsquoun soutien speacutecifique par rapport agrave leur probleacutematique et sont

donc tregraves exigeants agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadulte

Que peut-on retenir comme eacuteleacutements srsquoarticulant autour de ce type

de reacuteaction au placement en institution speacutecialiseacutee Il ne semble pas que

lrsquoacircge des mineurs le reacutegime fermeacute ou ouvert le type de deacutelinquance ou

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194 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

son veacutecu soient des facteurs de compreacutehension particuliers Lrsquoorigine

sociale et culturelle de ces mineurs qui rationalisent leur expeacuterience est

diversifieacutee belge europeacuteenne et africaine Une prise de conscience au

terme drsquoun parcours chaotique jalonneacute de nombreuses prises en charge

srsquoamorce pour permettre cette rationalisation Un deacuteclic semble se faire

comme srsquoils eacutetaient arriveacutes laquo au bout du bout raquo mais drsquoautres se trouvant

dans le mecircme type de situation vont reacuteagir tout agrave fait diffeacuteremmenthellip

Un premier eacuteleacutement est le fait de consideacuterer la deacutecision judiciaire

comme une deacutecision logique et juste mecircme srsquoils auraient preacutefeacutereacute une

autre deacutecision10

Il semblerait que le veacutecu relationnel avec lrsquoun des acteurs judiciaires

principaux soit un eacuteleacutement de compreacutehension de cette position de ratio-

nalisation Ainsi pour ces jeunes la rencontre avec leur juge de la jeunesse

ou avec un eacuteducateur ou un membre de lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale

de lrsquoinstitution se preacutesente comme une offre reacuteelle la personne est vue

par le jeune comme cherchant agrave le comprendre agrave lui donner une chance

agrave lui offrir quelque chose dans un contexte geacuteneacuteral ougrave preacutevaut lrsquoimpres-

sion de rejet et de meacutepris On retrouvera ici les figures de juge laquo protecteur

et paternaliste raquo drsquoeacuteducateur laquo avec qui on peut rigoler raquo et drsquointervenants

psychosociaux donnant prioriteacute agrave leur mission drsquoeacutecoute et de soutien11 Si

le reacutegime fermeacute ou ouvert nrsquoest pas en lui-mecircme un eacuteleacutement de compreacute-

hension particulier la faccedilon dont ce reacutegime srsquoorganise soit en privileacutegiant

lrsquoaspect eacuteducatif agrave travers le relationnel soit en donnant la prioriteacute au

respect des regravegles et agrave la discipline est un facteur drsquointelligibiliteacute de la

reacuteaction des jeunes

La situation familiale de ces jeunes est pour la plupart drsquoentre eux

profondeacutement insatisfaisante le placement en institution speacutecialiseacutee sera

parfois lrsquooccasion de renouer un lien avec la famille de tenter une der-

niegravere fois de retrouver une confiance agrave partir du travail de lrsquoinstitution

Cependant pour certains lrsquoinstitution sera le dernier refuge avant de se

retrouver seul dans la vie en socieacuteteacute sachant qursquoil sera impossible de

compter sur lrsquoenvironnement familial Lrsquoinstitution est alors la derniegravere

eacutetape avant lrsquoautonomie

On retrouve le mecircme type de strateacutegie associeacutee agrave une reacuteaction de

rationalisation chez des jeunes ayant accompli une prestation eacuteducative

lorsque celle-ci est veacutecue comme lrsquooccasion drsquoune expeacuterience positive nou-

velle qui permet agrave la fois de deacutecouvrir de nouveaux horizons de chasser

10 Voir plus haut

11 Voir plus haut laquo Le magistrat de la jeunesse raquo

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lrsquoennui et de restaurer une image de soi mise agrave mal par les faits de deacutelin-

quance Mecircme srsquoil srsquoagit bien drsquoune sanction imposeacutee par le cadre judi-

ciaire celle-ci se reacutevegravele une expeacuterience positive satisfaisante tant sur le

plan personnel que relationnel et social La satisfaction personnelle est

lieacutee au fait que le travail imposeacute est le plus souvent consideacutereacute comme

inteacuteressant voire agreacuteable Il permet drsquoapprofondir ou drsquoacqueacuterir une

expeacuterience qui pourra se reacuteveacuteler utile ulteacuterieurement il est lrsquooccasion de

deacutevelopper certains savoir-ecirctre Sur le plan relationnel le contact avec le

responsable de lrsquoexeacutecution de la prestation est valorisant de mecircme que

la rencontre avec les eacuteventuels beacuteneacuteficiaires de la prestation (patients

jeunes enfantshellip) Plus largement la valorisation sociale vient du senti-

ment drsquoutiliteacute aupregraves de la communauteacute ressenti par ces jeunes ainsi que

de la possibiliteacute drsquoexister autrement qursquoagrave travers lrsquoacte de deacutelinquance

Vaillant parle de reacuteparation symbolique de restauration du lien lorsque

lrsquoexpeacuterience de travail agrave partir de la mesure de prestation avec tout ce

qursquoelle comporte comme reacutealisations concregravetes deacutemarches rencontres

permet une reacuteelle confrontation ou rencontre entre le mineur deacutelinquant

et les autres laquo La reacuteparation se pose sur le mode de la reacuteconciliation

sociale le jeune et la socieacuteteacute doivent tous les deux faire un pas pour aller

lrsquoun vers lrsquoautre raquo (Vaillant 2000 p 71)

Jrsquoai appris quelque chose et moi jrsquoai fait ce qursquoon me demande de faire pourreacuteparerhellip Alors moi je savais deacutejagrave que crsquoeacutetait possible drsquoapprendre un meacutetierAu lieu drsquoaller dans un internat ou dans une prison pour un mois oudeux mois on nous demande de travailler comme ccedila pour la socieacuteteacute commeccedila en mecircme temps on fait quelque chose de bien on travaille bien Oui onse fait punir mais drsquoune autre faccedilon (Joseo 18 ans)

Lrsquoeffet de reconstruction de lrsquoimage du jeune et par lagrave drsquoune forme

de lien social est ici indeacuteniable Au-delagrave de lrsquoimage neacutegative qursquoun jeune

laquo deacutelinquant raquo pensait donner de lui le veacutecu de la prestation lui permet

de ne pas ecirctre reacuteduit agrave lrsquoacte commis de tourner la page et de conserver

la consideacuteration des autres

Ce type de strateacutegie est deacuteveloppeacute par des jeunes que nous avons

situeacutes du cocircteacute du pocircle inteacutegration la judiciarisation du passage agrave lrsquoacte

rompt un eacutequilibre dans les rapports que le jeune entretient avec son

entourage social scolaire et familial et la mesure permet de restaurer

une nouvelle forme drsquoeacutequilibre Le jeune srsquoapproprie les objectifs eacuteduca-

tifs des intervenants qursquoil rencontre tant dans la proceacutedure judiciaire que

sur le terrain drsquoexeacutecution de la prestation

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196 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

7452 Une strateacutegie de repli-refus

Agrave lrsquoinverse certains jeunes pratiquent une strateacutegie de repli par rapport

agrave leur placement lequel est veacutecu essentiellement comme une limite neacutega-

tive une sanction sans offre positive Ils adoptent une attitude activement

neacutegative La mesure est veacutecue essentiellement comme une punition une

forme drsquoemprisonnement mecircme srsquoil srsquoagit drsquoun placement en milieu eacutedu-

catif ouvert crsquoest le laquocalvaireraquo Ce type de jeunes nrsquoaccroche agrave rien deacuteveloppe

une influence neacutegative sur le groupe et un travail constructif est tregraves

difficile agrave mettre en œuvre Souvent drsquoailleurs ces jeunes finissent par

fuguer de lrsquoinstitution marquant ainsi clairement leur refus

Il semblerait que les jeunes qui pratiquent cette strateacutegie soient plus

jeunes que ceux qui rationalisent sans doute la maturiteacute ou lrsquoaccumula-

tion des mesures jouent-elles un rocircle agrave cet eacutegard Si les origines de ces

jeunes sont diversifieacutees ndash belge europeacuteenne ndash on retrouve ici des jeunes

drsquoorigine maghreacutebine refusant drsquoailleurs le plus souvent de srsquoexprimer sur

leur veacutecu sur leur famille sur leur deacutelinquance niant mecircme les faits12hellip

Agrave partir drsquoune perception de la sanction comme injuste en raison

du deacutelai de la proceacutedure du flou entourant la dureacutee de la deacutecision judi-

ciaire des diffeacuterences de traitement selon les arrondissements ou lrsquoacircge ou

plus largement drsquoun sentiment drsquoecirctre constamment floueacute et rejeteacute la

mesure de placement est veacutecue exclusivement en termes de laquo perte detemps raquo drsquoennui de temps srsquoeacutetirant agrave lrsquoinfini Lrsquoaccent est mis sur le cadre

laquo merdique raquo de lrsquoinstitutionhellip Les rapports aux acteurs judiciaires au juge

notamment se caracteacuterisent par lrsquoincompreacutehension mutuelle et le senti-

ment drsquoinjustice subie on retrouve ici les figures de juges laquo qui placent sansreacuteflexion raquo

Le parcours est chaotique mais aucune intervention aucune ren-

contre nrsquoa encore pu lui donner un sens Les eacuteducateurs sont perccedilus

comme laquo lasseacutes raquo ou se cantonnant dans lrsquoapplication du regraveglement les

intervenants psychosociaux leur semblent se contenter drsquoeacutecrire des rap-

ports Tout se passe pour ces jeunes comme si les eacuteveacutenements se deacuterou-

laient en dehors drsquoeux ils subissent avec colegravere ce qui leur arrive Ce sont

des jeunes qui parlent peu de leur environnement familial ou refusent

mecircme carreacutement drsquoen parler Les rapports au monde sont veacutecus en termes

drsquoinjustice la sanction est une iniquiteacute suppleacutementaire Ils se trouvent

12 Il conviendrait de poursuivre les recherches pour comprendre cette meacutefiance et cettereacuteticence agrave se confier

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dans un eacutetat profond drsquoinsatisfaction agrave lrsquoeacutegard des conditions de vie et de

la reacuteaction judiciaire qui peut faire craindre lrsquoinstallation dans un style de

vie deacuteviant (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 25)

On retrouve le mecircme type de strateacutegie chez des jeunes agrave qui le

magistrat impose une mesure de prestation eacuteducative et qui refusent car-

reacutement drsquoentreprendre toute action reacuteparatrice comme ils refuseraient

toute proposition venant de la socieacuteteacute Vaillant dit de ces mineurs qursquoils

se sentent des laquo victimes eacutetrangegraveres agrave toute responsabiliteacute [hellip] Ce nrsquoest

qursquoun juste retour des choses ils manquent de tout on leur doit tout on

ne peut rien leur demander raquo (Vaillant 2000 p 84)

On peut raisonnablement faire lrsquohypothegravese que ces jeunes nrsquoont

jamais connu une quelconque forme de lien social et ne vivent leur rap-

port agrave la socieacuteteacute que comme exclusion et injustice Crsquoest effectivement le

discours de certains jeunes qui ont refuseacute une mesure de prestation et se

sont donc retrouveacutes placeacutes en institution speacutecialiseacutee La prestation devient

ici une laquo proposition injurieuse raquo

Il [le juge] sait bien que ccedila marche pas avec moi Je vais pas commenceragrave me taper la gecircne dans mon quartier agrave faire des travaux geacuteneacuteraux Fautpas commencer non plus Ccedila va aller 250 heures de travaux geacuteneacuterauxou deux semaines agrave la prison je cherche pas agrave comprendre (Yves 16 ans)

7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence

Pour les jeunes qui emploient ce type de strateacutegie le placement est minimiseacute

le jeune srsquoinstalle dans une sorte drsquohibernation pour ne pas donner prise

aux intervenants il laquo attend que le temps passe raquo Cette attitude passive est le

plus souvent perccedilue neacutegativement par les eacutequipes eacuteducatives les jeunes

ne se laissant pas approcher ne permettant aucune opportuniteacute de ren-

contre nrsquoaccrochant pas aux propositions institutionnelles La mesure est

une punition agrave laquelle on se reacutesigne Sachant qursquoils nrsquoont pas vraiment

le choix et nrsquoayant pas envie de tomber plus bas ce type de jeunes se tient

tranquille Leur veacutecu est souvent proche de celui des jeunes qui deacuteve-

loppent une strateacutegie de refus leur caracteacuteristique principale est leur

impermeacuteabiliteacute mais ils sont moins vindicatifs que les jeunes en repli Ils

minimisent lrsquoimpact de la deacutecision judiciaire souvent en reacutefeacuterence agrave la

prison qui est plus deacutesagreacuteable encore Les relations aux acteurs judi-

ciaires ne paraissent pas tregraves porteuses les juges sont perccedilus comme ne

comprenant rien les relations aux eacutequipes eacuteducatives sont veacutecues comme

distantes Ce sont des jeunes qui se reacutefugient derriegravere les faits sans

investissement eacutemotionnel personnel

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198 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

On retrouve en fait la mecircme toile de fond entre la strateacutegie de refus

et drsquoindiffeacuterence il srsquoagit de deux modes de reacuteaction de retrait qui

rendent le travail eacuteducatif tregraves difficile voire impossible On ne peut pas

vraiment consideacuterer qursquoil srsquoagit de strateacutegies diffeacuterentes On serait plutocirct

en preacutesence de deux faccedilons de deacutecliner un rapport de distanciation par

rapport agrave lrsquointervention eacuteducative

Dans le mecircme type de rapport de distanciation on retrouve des

jeunes qui ont accepteacute et reacutealiseacute une mesure de prestation en arguant

principalement sur le caractegravere moins contraignant de la mesure par le

fait qursquoelle permet de conserver sa liberteacute (McIvor 1992 p 94) Il srsquoagit

drsquoune solution agrave moindre coucirct

Vaillant parle de ces mineurs pour qui la mesure de reacuteparation a

glisseacute sur eux sans les mouiller comme des laquo canards qui laissent couler

lrsquoeau sur leurs plumes et ne laissent rien deviner de leurs sentiments raquo

(Vaillant 2000 p 83) Ces jeunes se conforment agrave ce qursquoon leur impose

la prestation se passe bien lrsquoeacutevaluation est globalement positive mais ils

nrsquoinvestissent pas dans la dimension symbolique de la reacuteparation

Ainsi si la prestation est veacutecue uniquement comme une faccedilon drsquoeacutechap-

per agrave une punition plus seacutevegravere dans lrsquoennui et dans lrsquoattente que le temps

srsquoeacutecoule sans reacutealiser lrsquoutiliteacute du travail agrave effectuer sans rencontre inter-

personnelle elle correspond effectivement agrave une reacuteparation mais sans la

dimension de restauration drsquoun lien social Ce type de strateacutegie est deacuteve-

loppeacute par des jeunes que nous avons situeacutes du cocircteacute du pocircle marginalisation

La judiciarisation est alors une sorte de rateacute dans un parcours drsquointeacute-

gration parallegravele la mesure de prestation eacutetant consideacutereacutee comme un

moindre mal dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice elle est accepteacutee par

le jeune qui lrsquoinscrit dans son projet de sortir le plus vite possible du circuit

judiciaire

CONCLUSION

La judiciarisation drsquoune transgression et la deacutecision qui lrsquoaccompagne sont

un eacuteveacutenement marquant qui repreacutesentent le point de deacutepart drsquoune relec-

ture de lrsquoensemble de la trajectoire des mineurs rencontreacutes La date de la

deacutecision judiciaire est drsquoailleurs souvent le seul repegravere temporel La signi-

fication que le jeune va accorder agrave cette deacutecision sanction logique ou

injustice en drsquoautres termes sa perception de la deacutecision est extrecircmement

importante pour comprendre la strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure et ainsi

le sens que celle-ci va prendre dans le parcours du jeune Mais comme le

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dit Carra si laquo lrsquointervention judiciaire par son action stigmatisante contri-

bue agrave lrsquoamplification secondaire de la deacutelinquance cet effet nrsquoest ni absolu

ni ineacutevitable Elle peut dans un contexte speacutecifique contribuer agrave lrsquoarrecirct

des activiteacutes deacutelictuelles Le suivi judiciaire peut finir par ne plus ecirctre veacutecu

comme stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir

le support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire avec lequel ces mineurs

nrsquoont plus de liens positifs raquo (Carra 2001 p 164) crsquoest effectivement ce

que nous disent les mineurs qui deacuteveloppent une strateacutegie de rationalisation

La mesure de placement ou de prestation constitue alors une laquo veacuteritable

promesse de socialiteacute pour des jeunes priveacutes drsquoeacutechanges humains non

commerciaux livreacutes aux trafics magouilles deacutebrouilles et autres eacutecono-

mies de survie raquo (Vaillant 2000 p 67) agrave partir drsquoune rencontre drsquoacteurs

sociaux et judiciaires privileacutegiant lrsquoeacutecoute et le dialogue

La strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure judiciaire se preacutesente comme

une combinaison complexe de diffeacuterents eacuteleacutements de lrsquohistoire person-

nelle du jeune de sa position sociale de son parcours sociojudiciairehellip

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la perception de la mesure et par lagrave son impact

est en lien avec la faccedilon dont srsquoest construit le rapport du jeune agrave la

socieacuteteacute Ainsi un jeune eacutetablissant certaines affiliations qui a des points

drsquointeacutegration et drsquoaccrochage avec lrsquoensemble de la socieacuteteacute percevra la

sanction comme une reacuteaction justifieacutee agrave un acte reconnu comme une

transgression

Si moi je fais une connerie le juge nrsquoaccepte pas donc je dois ecirctre puni etcrsquoest ccedila la punition crsquoest juste (Kevin 17 ans)

Admettant la sanction le jeune pourra la vivre comme une reacuteconci-

liation avec la socieacuteteacute et une reconstruction de lrsquoimage de soi

Agrave lrsquoopposeacute le jeune qui occupe une position drsquoexclusion ou simple-

ment marginale qui nrsquoeacutetablit pas drsquoaffiliation avec les circuits socialement

reconnus vivra la sanction comme un signe suppleacutementaire de rapports

deacutejagrave ressentis comme eacutetant profondeacutement ineacutegalitaires La laquo deacutelinquance raquo

peut ecirctre veacutecue comme une source de revenu une base de statut social

dans un environnement parallegravele le jeune cherche alors comment eacuteviter

(strateacutegie de refus) ou annuler (strateacutegie drsquoindiffeacuterence) ce qursquoimplique

la mesure au lieu de tenter drsquointeacutegrer les valeurs que le juge et les inter-

venants lui proposent agrave travers celle-ci

La reacuteaction des jeunes agrave la mesure judiciaire nrsquoest cependant pas le

seul effet de lrsquointervention du systegraveme de justice des mineurs Celui-ci ne

fait souvent que renforcer certains aspects qui preacuteexistent agrave son action

action qui apparaicirct en fait preacutedeacutetermineacutee par la place de lrsquoindividu au

sein des rapports sociaux (Carra 2001 p 164) Lrsquointervention judiciaire

relative aux mineurs srsquoinscrit dans un processus complexe ougrave interviennent

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200 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de multiples acteurs et agents de socialisation et au cours duquel laquo la place

que lrsquoindividu occupe dans les rapports sociaux le rendra plus ou moins

vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de vie agrave

lrsquoeacutecole au travail face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-

lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance

juveacutenile raquo (Carra 2001 p 166)

Il semble que la strateacutegie de rationalisation deacutegageacutee du discours de

certains jeunes ne serait accessible qursquoagrave ceux qui ont drsquoune maniegravere ou

drsquoune autre rencontreacute une possibiliteacute de sortir de la domination totale qui

ont eu lrsquooccasion de faire lrsquoexpeacuterience de la reconnaissance et de lrsquoeacutechange

Ainsi par exemple lrsquoimage du juge laquo protecteur et paternaliste raquo image

valoriseacutee par les jeunes qui cherchent agrave laquo profiter raquo de lrsquooffre judiciaire

est perccedilue par des jeunes qui possegravedent suffisamment de maicirctrise des

rouages du systegraveme pour se conformer minimalement aux exigences de

ce systegraveme en parvenant agrave srsquoattirer la bienveillance de ses acteurs13

Lrsquoacceptation de la neacutegociation drsquoun projet de sortie socialement acceptable

est lrsquoun des eacuteleacutements de cette strateacutegie de rationalisation

Tous ces jeunes laquo deacutelinquants raquo parlent drsquoune souffrance sociale ou

familiale leur comportement probleacutematique est finalement une forme de

reacuteponse agrave un besoin de reconnaissance agrave travers la possession de biens

mateacuteriels ou de consommation lrsquoexpression de leur rage ou de leur

malaisehellip Pour comprendre lrsquoarticulation des eacuteveacutenements de leurs trajec-

toires vers la sortie des pratiques deacuteviantes ou au contraire lrsquoinstallation

dans lrsquoescalade il faudrait approfondir la dialectique identiteacute personnelle

reacutegulations sociales dans la production de la deacuteviance (Carra 2001 p 161)

agrave partir de la perception qursquoont les jeunes eux-mecircmes de leur parcours et

des eacuteveacutenements qui le jalonnent Agrave travers notre analyse la perception

subjective des individus est apparue fondamentale dans la compreacutehension

des strateacutegies de reacuteaction aux interventions de reacutegulation sociale Cette

perception est neacuteanmoins le produit drsquoune combinaison drsquoeacuteleacutements qui

tiennent tant aux caracteacuteristiques personnelles du jeune et agrave son histoire

socioculturelle et individuelle qursquoagrave son laquo destin social raquo (De Gaulejac

1994) ougrave la confrontation aux acteurs sociaux et judiciaires et la recon-

naissance qursquoils permettent drsquoobtenir est lrsquoun des eacuteleacutements cleacutes de la

combinaison La quecircte de reconnaissance est au cœur de leur strateacutegie

drsquoadaptation agrave la judiciarisation Crsquoest par la mise en confiance dans une

relation entre le jeune et lrsquoadulte que le jeune va pouvoir se construire

13 Comme nous lrsquoavons deacuteja releveacute la perception du juge est eacutegalement conditionneacutee parle conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance que celui-ciparvient ou non agrave susciter

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE 201

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ou se reconstruire deacutecouvrir une certaine estime de soi par lrsquoinvestisse-

ment dans une activiteacute valorisante qui lui permettra alors de deacutevelopper

une envie minimale de srsquoinscrire dans un projet de sortie reacuteellement per-

sonnel et investi laquo Lrsquoaccegraves agrave un rapport agrave soi reacuteussi deacutepend de la recon-

naissance intersubjective de ses capaciteacutes et de ses reacutealisations raquo (Honneth

traduit par Pourtois 1998 p 9) Lrsquoexpeacuterience de judiciarisation et ce

qursquoelle implique peut permettre cette reconnaissance intersubjectivehellip

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204

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cette conclusion aurait pu faire lrsquoeacuteloge de chacun des chapitres qui consti-

tuent ce collectif drsquoauteurs En adoptant une approche reacutesolument qualitative

tous contribuent en effet drsquoune maniegravere significative agrave lrsquoenrichissement

des connaissances concernant la reacutealiteacute complexe des

trajectoires de viedeacuteviantes

des adolescents Nous avons plutocirct choisi de mettre en relation

les eacuteleacutements de savoir qui se deacutegagent de lrsquoensemble des chapitres car il

est apparu qursquoau-delagrave des contributions singuliegraveres se deacutetachent des lignes

drsquointelligence qui transcendent lrsquoensemble des productions preacutesenteacutees par

les diffeacuterents auteurs Pris individuellement chaque regard poseacute sur un

aspect de la probleacutematique favorise une meilleure compreacutehension de

lrsquointeacuterieur de lrsquounivers de cette jeunesse qui se reacutealise de diverses faccedilons

Certaines sont mieux admises socialement et par conseacutequent jamais remises

en question alors que drsquoautres sont jugeacutees deacuteviantes et attirent lrsquoattention

des chercheurs comme du public en geacuteneacuteral

Agrave la lecture des contributions regroupeacutees dans ce collectif drsquoauteurs

qui tous adoptent une approche qualitative visant la compreacutehension des

trajectoires de vie deacuteviantes

il apparaicirct rapidement que bien qursquoelles

abordent des manifestations diffeacuterentes de la deacuteviance des jeunes bien

qursquoelles mettent lrsquoaccent sur des moments diffeacuterents de la trajectoire et

bien qursquoelles reposent sur des meacutethodologies diffeacuterentes ces contribu-

tions eacutetonnent par le fait qursquoon y retrouve des eacuteleacutements communs qursquoil

importe de souligner et drsquoautres compleacutementaires qursquoil importe de mettre

en relation

Mais avant drsquoentrer dans le vif du sujet qui nous conduira agrave appreacutecier

agrave sa juste valeur lrsquoapport drsquoune approche qualitative prenant diverses

formes agrave la compreacutehension des

trajectoires de vie deacuteviantes

des jeunes il faut

rappeler et insister sur le fait que mecircme si durant la peacuteriode de lrsquoadoles-

cence plusieurs jeunes srsquoadonnent agrave des comportements deacuteviants de

nature de graviteacute et drsquointensiteacute variables seule une minoriteacute drsquoentre eux

srsquoengagent vraiment dans une trajectoire deacuteviante En effet peu de jeunes

deviennent des toxicomanes ou des deacutelinquants laquo structureacutes raquo mecircme si

plusieurs font un certain usage de drogues ou commettent des deacutelits de

faccedilon occasionnelle Et encore tous les jeunes ne le feront pas Mais pour

ceux qui srsquoengagent dans une

trajectoire de vie deacuteviante

ceux auxquels les

auteurs qui participent au preacutesent collectif se sont inteacuteresseacutes certains

constats communs se deacutegagent dont nous ferons eacutetat ici

Drsquoabord tous les auteurs reconnaissent lrsquoimportance de srsquoadresser

directement aux jeunes pour faire la lumiegravere sur leur reacutealiteacute telle qursquoils

la perccediloivent telle qursquoils la vivent Il srsquoagit de comprendre les motivations

les aspirations les projets de ces jeunes consideacutereacutes comme des acteurs de

leur histoire selon lrsquoexpression de Michel Kokoreff Agrave cette fin il est

neacutecessaire drsquoappreacutehender les significations que les jeunes donnent aux

CONCLUSION

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eacuteveacutenements survenant dans leur vie aux sentiments qui srsquoy rattachent et

aux actions qui en deacutecoulent insistent Natacha Brunelle et ses collabora-

teurs Il srsquoagit en effet de reconnaicirctre que les jeunes ne sont pas que des

reacutecepteurs qui subissent passivement les eacuteveacutenements qui jalonnent leur

vie mais qursquoils contribuent dans la mesure des possibiliteacutes qui srsquooffrent agrave

eux agrave forger leur itineacuteraire Les jeunes usent de strateacutegies qursquoils sont les

seuls agrave pouvoir nous faire deacutecouvrir soutiennent tous les auteurs Il convient

donc de faire de la recherche

avec

et non

sur

les jeunes

Il faut toutefois reconnaicirctre comme le font drsquoun bel accord lrsquoensemble

des auteurs que la liberteacute drsquoaction dont jouissent les jeunes est condition-

neacutee par les structures sociales qui lrsquoencadrent Si lrsquoindividu est un acteur

dans le sens ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passive-

ment les effets eacutecrit Ceacutecile Carra il est cependant contraint par son

environnement Il est aussi jugeacute par son entourage et il arrive qursquoil fasse

sien ce jugement Ainsi signale Michel Kokoreff lrsquoindividu deacutesigneacute socia-

lement comme laquo toxicomane raquo se consideacuterera comme tel deacutefini comme

laquo multireacutecidiviste raquo agrave la suite de confrontations multiples avec les autoriteacutes

il ira jusqursquoagrave reprendre cette deacutesignation institutionnelle comme il a inteacute-

rioriseacute son identiteacute de laquo toxicomane raquo Tout se passe preacutecise Ceacutecile Carra

laquo comme si lrsquoidentiteacute prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stig-

matisant de celle-ci eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassu-

mer ces stigmates en les renforccedilant raquo Mais cet effet comme tout autre

effet nrsquoest pas automatique signale lrsquoauteure Il nrsquoy a qursquoagrave rappeler

lrsquoexemple apporteacute par Kokoreff de cet homme qui se preacutesente aux siens

comme un

dealer

pas comme un consommateur mais qui adopte la posi-

tion inverse lorsque mis agrave lrsquoarrecirct par les policiers il vise agrave voir sa sanction

peacutenale alleacutegeacutee

Cela eacutetant il apparaicirct que la compreacutehension de la trajectoire de vie

deacuteviante des jeunes doit passer par lrsquoappreacutehension des interactions qui

contribuent agrave la faccedilonner Selon Michel Kokoreff il faut resituer les eacuteveacute-

nements et les actions dans des parcours et des contextes sociaux ougrave

jouent les relations aussi bien avec les familles et les groupes de pairs

qursquoavec les institutions reacutepressives sanitaires sociales ou scolaires

Crsquoest aussi dans cette perspective que Ceacutecile Carra souligne lrsquoimpor-

tance de consideacuterer lrsquoexpeacuterience subjective de lrsquoindividu comme la reacutesultante

drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions prenant la forme de

neacutegociations ou de meacutediations qui constituent des lieux de tension entre

individus et groupes sociaux placeacutes dans des relations ineacutegalitaires et

conflictuelles Lrsquoauteure tout comme Michel Kokoreff Ceacuteline Bellot et

Maryse Esterle-Hedibel nous ramegravene ainsi agrave la perspective interaction-

niste envisageacutee il y a deacutejagrave plus de quarante ans par Becker les auteurs

tenant compte des avanceacutees theacuteoriques reacutealiseacutees agrave sa suite

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Dans la mecircme ligne de penseacutee chacun des auteurs signale lrsquoimpor-

tance de prendre en compte tout autant les logiques des acteurs que le

rocircle des institutions des familles de lrsquoenvironnement et des groupes de

pairs dans lrsquoanalyse des processus en œuvre dans la constitution de trajec-

toires de vie deacuteviantes Surgit ici la notion de processus qui rapidement

eacutevoqueacutee pourrait laisser penser agrave une forme drsquoengrenage induisant une

certaine lineacuteariteacute ou du moins agrave une certaine seacutequence dans les parcours

des jeunes Ces parcours les conduiraient drsquoune eacutetape agrave lrsquoautre jusqursquoagrave

ce qursquoils srsquoinstallent deacutefinitivement dans un parcours de vie deacutevianthellip ou

qursquoils en sortent Mais lrsquoideacutee forte qui se deacutegage de lrsquoensemble des textes

est celle de la non-lineacuteariteacute des parcours lesquels se dessinent plutocirct

comme une suite de meacuteandres drsquoallers-retours de peacuteriodes drsquointensifica-

tion et de diminution drsquoescalade et de deacutegringolade drsquoabstinence et de

rechutes reacuteversibles Srsquoimposent alors la complexiteacute des parcours et la

difficulteacute de les suivre et de les preacutevoir puisque comme le signale fort

justement Ceacuteline Bellot ceux-ci srsquoinscrivent toujours dans laquo un univers de

possibles qui se construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les

eacuteveacutenements srsquoenchacircssent et que les rencontres avec les autres se reacutealisent

ou non que les rapports sociaux structurent ou non la dialectique deacuteviance

conformiteacute raquo Prendre une photo de la vie du jeune agrave un moment donneacute

de sa vie ou mecircme une seacuterie de photos agrave diffeacuterents moments de sa vie

ne peut que cacher la sinuositeacute de son itineacuteraire et masquer la complexiteacute

qui se trouve derriegravere la construction des trajectoires de vie qui apparaissent

loin drsquoecirctre traceacutees deacutetermineacutees drsquoavance Les motivations peuvent chan-

ger en cours de route En teacutemoigne le passage drsquoune consommation pour

le plaisir agrave une consommation pour lrsquooubli souligneacute par Natacha Brunelle

et ses collegravegues Les perceptions aussi peuvent changer comme crsquoest le

cas lorsque la laquo lune de miel raquo deacutecrite par Marie-Marthe Cousineau et ses

collaboratrices qui marque lrsquoentreacutee dans les gangs pour plusieurs jeunes

garccedilons et filles prend fin et que la peur srsquoinstalle Les situations srsquointer-

influencent neacutecessairement Crsquoest ainsi que les relations familiales repreacute-

sentent agrave la fois laquo le baromegravetre du comportement et la reacutesultante de ce

comportement raquo note Isabelle Delens-Ravier Rejeteacute par les siens le jeune

srsquoenfoncera dans des comportements deacuterangeants qursquoil preacutesente lui-mecircme

comme une forme drsquoappel mais qui entretiennent le rejet Crsquoest eacutegale-

ment ainsi qursquoune bande de jeunes parvient agrave se positionner dans lrsquoespace

local en obligeant les acteurs environnants agrave tenir compte de sa preacutesence

mais que du mecircme coup ce positionnement participe directement non

seulement agrave la marginalisation de ses membres mais aussi agrave leur stigma-

tisation contribuant agrave leur prise en charge par les autoriteacutes chargeacutees de

faire reacutegner lrsquoordre soutient Ceacutecile Carra

CONCLUSION

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De fait chaque situation est singuliegravere souligne Maryse Esterle-Hedibel

mais on trouve des points communs entre les unes et les autres Lrsquoanalyse

des donneacutees qualitatives fournies par chaque reacutecit de jeune ou par lrsquoobser-

vation de situations au cœur desquelles les jeunes se trouvent mecircleacutes per-

met de deacutefinir des laquo profils de situation raquo La compreacutehension de ces profils

fait apparaicirctre des reacutecurrences qui dessinent des logiques drsquoaction compa-

rables alors que leur confrontation contribue agrave mettre au jour des confi-

gurations particuliegraveres dans lesquelles ces logiques agissent observe Ceacutecile

Carra Agrave cet eacutegard on se rappellera les trajectoires de rue identifieacutees par

Ceacuteline Bellot qui met en lumiegravere la rue comme eacutepisode initiatique dans

la vie du jeune la rue comme tremplin vers le monde conventionnel ou

criminel et la rue deacuterive Qursquoon pense aussi aux trajectoires continues et

discontinues de consommation de drogues et drsquoengagement dans la deacutelin-

quance qursquoeacutevoquent Natacha Brunelle et ses collegravegues pour en avoir fait

une description plus fine ailleurs

Il ne faut donc pas nier ou occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des situations

qui megravenent agrave lrsquoadoption drsquoune

trajectoire de vie deacuteviante

non plus que la

diversiteacute des trajectoires deacuteviantes qui ne saurait drsquoaucune faccedilon se reacutesu-

mer agrave lrsquoadoption drsquoune ligne de conduite toute traceacutee Les eacutetudes montrent

en effet que la trajectoire naicirct drsquointeractions complexes entre lrsquoindividu

son environnement et le contexte qui offre plus ou moins drsquooccasions

licites ou deacuteviantes Par ailleurs srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la

trajectoire il faut retenir quelles sont les expeacuteriences qui contribuent au

renforcement ou au contraire agrave lrsquoeffritement ou agrave la cassure

drsquoune trajec-toire de vie deacuteviante

Il srsquoagit en somme comme le reacutesume fort bien Ceacuteline

Bellot laquo de saisir la mise en mots du parcours biographique [dans le reacutecit

qursquoen fait le jeune lui-mecircme] mise en mots qui donne accegraves agrave la logique

des neacutegociations identitaires de lrsquoindividu raquo et aux expeacuteriences qui mar-

quent la vie du jeune Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindi-

vidu aux rencontres que celui-ci fait ou non ndash et aux expeacuteriences qursquoil vit

ou non ndash en tenant compte des significations et des sentiments qui srsquoy

rattachent pour mettre en lumiegravere les tenants et les aboutissants qui

srsquoentremecirclent dans la constitution de la

trajectoire de vie deacuteviante

Au regard de ces connaissances qursquoaura permis drsquoacqueacuterir une

approche qualitative diversifieacutee dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie

deacuteviantes des jeunes se dessinent des lignes drsquoaction pour lrsquointervention

Puisque le jeune est lrsquoacteur principal de sa trajectoire il faut le laisser tracer

le portrait de cette trajectoire en insistant pour qursquoil fasse eacutetat du sens qursquoil

donne et des sentiments qursquoil associe aux eacuteveacutenements qursquoil vit Il faut du

mecircme coup tenter de faire la lumiegravere sur les interactions agrave lrsquoœuvre agrave

chaque occasion Reconnaissant le rocircle des interactions dans la constitu-

tion des trajectoires deacuteviantes des jeunes ainsi que celui des structures

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sociales il apparaicirct incontournable drsquoadopter une approche drsquointervention

systeacutemique qui non seulement srsquoadresse agrave lrsquoindividu mais tient eacutegalement

compte de lrsquoenvironnement dans lequel celui-ci eacutevolue et sur lequel il agit

Une telle approche exige des diffeacuterents intervenants qursquoils travaillent de

maniegravere concerteacutee

Agrave la suite de Ceacuteline Bellot nous soutenons qursquoune approche quali-

tative dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie des jeunes se reacutevegravele un outil

majeur tant en intervention qursquoen recherche Le recours agrave un tel outil

vient soutenir le regard porteacute sur la complexiteacute des situations sur la

nature de lrsquoexpeacuterience biographique de mecircme que sur les capaciteacutes de

structuration qursquoengendrent les interventions notamment reacutepressives en

renforccedilant les meacutecanismes de stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent

les jeunes Il peut tout aussi bien permettre de mieux cerner les sorties

de la deacuteviance et les aleacuteas que celles-ci comportent

Enfin srsquoil est important pour les intervenants drsquoagir de concert il

en va de mecircme des chercheurs qui devraient collaborer en vue de parve-

nir agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun savoir multidisciplinaire articuleacute autour du jeune

lui-mecircme au cœur des preacuteoccupations et des devis de recherche Ce livre

aura donc montreacute au-delagrave des singulariteacutes propres agrave chaque cas que

chaque cheminement deacutevoile diverses geacuteneacuteraliteacutes sur lesquelles on devrait

tabler afin drsquoen tirer un savoir inteacutegreacute au service des jeunes

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C

ANDIDO

DA

A

GRA

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de PortoDirecteur de lrsquoEacutecole de Criminologie

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si on me demandait

a posteriori

de titrer ce livre jrsquoutiliserais un eacutenonceacute

constitueacute par trois mots

vie

temps

et

reacutecit

Crsquoest cela qui caracteacuterise il

me semble cet excellent ouvrage sur la deacuteviance juveacutenile En lisant ce

livre je suis presque obseacutedeacute par la mecircme question mais quel est lrsquoesprit

(scientifique bien entendu) qui traverse lrsquoensemble des textes Y a-t-il des

structures de penseacutee communes parmi les diffeacuterences dans les objets les

concepts les points de vue les meacutethodes les scheacutemas Y a-t-il un cadre

de reacutefeacuterence assez large et coheacuterent dont le pouvoir et la valeur eacutepisteacute-

miques puissent rendre compte du laquo mecircme raquo agrave lrsquointeacuterieur de la diffeacuterence

Si la reacuteponse est oui quelle est la nature du

mecircme

persistant souterrain

occulteacute sous la surface des discours Quel est le dessous des notions des

concepts des points de vue des meacutethodes

Un ouvrage mecircme srsquoil est collectif deacutefinit son objet son cadre theacuteo-

rique et sa meacutethode en toute coheacuterence avec une viseacutee Celle de ce livre

est de contribuer agrave lrsquoeacuteclaircissement drsquoun problegraveme social la deacuteviance

juveacutenile en vue drsquoune intervention qui tienne compte de la connaissance

Mais nrsquoa-t-on pas assez de connaissance sur cet objet eacutetudieacute depuis bientocirct

un siegravecle Non Tout drsquoabord le pheacutenomegravene a subi des transformations

et ses nouvelles manifestations sont loin drsquoecirctre deacutecrites expliqueacutees et

comprises Puis les approches traditionnelles de par leur simpliciteacute reacuteduc-

tionniste ne rendent pas compte de la complexiteacute des nouvelles manifes-

tations du pheacutenomegravene Ces approches le traitent du dehors Dans cet

ouvrage le point laquo drsquoattaque raquo crsquoest plutocirct lrsquoenvers du pheacutenomegravene Con-

naicirctre le dedans de la deacuteviance juveacutenile voilagrave son propos Pour le faire

les auteurs srsquoadressent agrave la

vie

des jeunes au

temps

qui caracteacuterise son

deacuteroulement agrave travers le langage narratif le

reacutecit

LA VIE

Lrsquoobjet de cet ouvrage crsquoest la vie des jeunes La vie dans son deacutebat avec

le soi avec les autres avec la famille lrsquoeacutecole le quartier la ville La vie

dans ses rapports avec la consommation le plaisir la souffrance et lrsquoargent

La vie dont le temps est celui des meacutetamorphoses physiologiques psycho-

logiques et sociales La vie dont lrsquoespace srsquoeacutetend entre lrsquoouverture des rues

et la fermeture des prisons

On a eu beau tenter drsquoexpliquer le comportement des jeunes pour

intervenir aupregraves drsquoeux chercher des laquo causes raquo aupregraves des systegravemes exteacute-

rieurs (lrsquoheacutereacutediteacute les valeurs la socieacuteteacute) se deacuteplacer de la surface du

comportement vers ses structures profondes (le systegraveme nerveux la per-

sonnaliteacute le caractegravere) demander des comptes aux processus de deacutevelop-

pement (classe drsquoacircge geacuteneacuteration troubles de deacuteveloppement) pourtant

POSTFACE

211

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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13

Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

malgreacute les acquis non neacutegligeables de ces approches la

vie

des jeunes

nrsquoeacutetait pas eacutetudieacutee La vie au sens propre systegraveme constitueacute par un ensemble

drsquoeacuteleacutements vivants articuleacutes entre eux selon une logique preacutesentant deux

milieux en interaction le milieu interne et le milieu externe les

systegravemesde vie

voilagrave le vrai objet drsquoeacutetude

LE TEMPS

La jeunesse est par excellence un systegraveme agrave eacutetats qui se deacuteploient dans

le temps Les notions de laquo trajectoire raquo laquo carriegravere raquo laquo cheminement raquo tra-

duisent cette volonteacute drsquoimpliquer la temporaliteacute dans la compreacutehension

de la deacuteviance juveacutenile Lrsquoapproche deacuteveloppementale le fait depuis long-

temps dira-t-on Crsquoest vrai du point de vue du

temps codifieacute

(le temps

chronologique du monde externe) Ce nrsquoest pas vrai lorsqursquoon se deacuteplace

vers ce qursquoon pourrait appeler une hermeacuteneutique du

temps veacutecu

Le temps

du monde veacutecu amegravene du sens le sens eacutemergeant de faccedilon continue agrave

lrsquointeacuterieur drsquoune configuration existentielle dont la profonde singulariteacute

consiste dans le fait de se sentir exister et drsquoexprimer ce sentiment De ce

point de vue le

processus

du systegraveme agrave eacutetats est loin de coiumlncider avec la

logique des processus deacuteterministes par exemple des systegravemes agrave eacutetats

physiques ou biologiques Le simple transfert des sciences de la nature

parfois agrave la mode dans les sciences sociales et du comportement consti-

tuerait un tregraves grave obstacle eacutepisteacutemologique agrave ces domaines du savoir

La recherche actuelle ne peut pas ne doit pas se passer de lrsquoanalyse

des processus Je dirais que les regravegles de

lrsquoeacutepisteacutemologie

contemporaine y

obligent Mais en ce qui concerne le laquo drame raquo (au sens de lrsquoaction) en

tant que vrai objet des sciences du comportement humain comme le

voulait Politzer ou le laquo tragique de lrsquoaction raquo selon la belle formule de

P Ricœur tout processus est marqueacute par le jeu dialectique entre le milieu

interne et le milieu externe la contingence et la neacutecessiteacute la conservation

et lrsquoinnovation lrsquoacteur et le systegraveme la normativiteacute et la deacuteviance le

subjectif et lrsquoobjectif Jrsquoemprunterais le concept drsquolaquo accident controcircleacute raquo ou

de laquo hasard controcircleacute raquo utiliseacute par certains critiques de lrsquoart pour caracteacute-

riser lrsquoeacutetat le plus eacutevolueacute drsquoun artiste donneacute pour deacutefinir le concept de

processus propre agrave la recherche dans le domaine de la deacuteviance Peu

importe les mots ou les notions trajectoire carriegraverehellip les discussions lagrave-

dessus sont inutiles Ce qursquoil nous faut srsquoagissant drsquoanalyse des processus

et de la temporaliteacute crsquoest une

accidentologie de lrsquoexistence

et des systegravemes

de vie En fait exister crsquoest la tacircche la plus complexe agrave exeacutecuter que nous

ayons reccedilue le jour de notre naissance Toutes les autres sont secondaires

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

212

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

et beaucoup plus simples Elles devraient ecirctre au service de la tacircche prin-

cipale et fondatrice Assurer lrsquoeacutequifinaliteacute des multiples segments drsquoexis-

tence est le seul destin reccedilu auquel il faut donner un nouveau destin agrave

travers la deacutefinition drsquoune position de signification existentielle Mais com-

ment y parvenir sinon par le truchement de

lrsquoart drsquoexister

appris dans

lrsquointercommunicabiliteacute de lrsquoexpeacuterience constitueacutee par le savoir le savoir-

faire le pouvoir (le politique) et la subjectiviteacute (eacutethique)

LE REacuteCIT

La vie ne srsquoeacutetudie plus dans les laboratoires dit F Jacob Si cela est vrai

deacutejagrave au niveau biologique que faut-il penser sur la meacutethode de recherche

quand on parle du comportement du langage des eacutemotions de la cognition

et de la signification humaine Si lrsquohumaniteacute de lrsquohomme (jrsquoemprunte le

concept drsquoHeidegger) la vie humaine en tant que monde veacutecu nrsquoest pas

abordable en dehors du temps elle ne lrsquoest pas non plus en dehors du

langage et du sens Le temps humain est toujours un temps doubleacute plieacute

deacuteplieacute deacutecoupeacute et cousu par le reacutecit Le reacutecit est un systegraveme langagier

dont la structure la fonction et la finaliteacute sont la capture des deacuteplacements

de sens opeacutereacutee par lrsquoexistant dans lrsquoexercice de sa tacircche drsquoexister dans la

flegraveche du temps

La vie humaine telle qursquoelle se manifeste dans son

essence probleacute-matique

et dont la normativiteacute et la deacuteviance sont les analyseurs demande

drsquoecirctre eacutetudieacutee par un mode de connaissance speacutecifique qui est obligeacute de

plonger lrsquoobjet dans le laquo temps raconteacute raquo Le travail de lrsquoeacutevidenciation de

cet objet risque alors de tomber dans les piegraveges du sentiment et des laquo

apriori

raquo psychologistes et socio-ideacuteologiques Or il faut concevoir lrsquoeacutevidence

de lrsquoobjet comme laquo preacutesence-en-personne raquo le fondement et la connais-

sance de lrsquoessence des origines selon la pheacutenomeacutenologie de Husserl Ce

qui est ici la cause ce nrsquoest pas lrsquoexistence de lrsquoexistant mais

lrsquoessence delrsquoexistant

lrsquoapparaicirctre

de lrsquohomme agrave lui-mecircme Ceci eacutetant la meacutethode doit

srsquoeacutecarter de la laquo reacuteduction transcendantale raquo de la mise entre parenthegravese

de lrsquoobjet

Lrsquoessence

historique de l

rsquo

existant-Homme bloque le chemin

(meacutethode) de la connaissance de l

rsquo

essence geacuteneacuterique de la vie La vie qui

se deacuteroule dans les rapports individu-socieacuteteacute fait-norme nature-culture

constitue une laquo preacutesence-en-personne raquo typique Elle demande un autre

chemin le reacutecit

laquo Reacutecit de vie raquo laquo Histoire de vie raquo laquo Biographie raquo Voici la bonne

meacutethode Pourquoi Parce que la vie des hommes est reacutecit elle-mecircme est

histoire elle-mecircme est eacutecriture elle-mecircme

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PHIQ

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Ceacuteline Bellot

PhD en criminologie est professeure adjointe

agrave lrsquoEacutecole de service social de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal depuis

2003 Elle est eacutegalement chercheure au Collectif de recherche

sur lrsquoitineacuterance (CRI) et au Centre international de crimi-

nologie compareacutee (CICC) Ses inteacuterecircts de recherche portent

sur les jeunes en situation de rue (leurs trajectoires et leurs

expeacuteriences) sur les enjeux de la judiciarisation des pro-

blegravemes sociaux notamment de lrsquoitineacuterance et sur les pro-

cessus drsquoinsertion sociale et professionnelle des jeunes en

difficulteacute agrave partir de leurs trajectoires ou de lrsquoeacutevaluation

drsquointerventions dans ce champ

Serge Brochu

PhD en psychologie est professeur titu-

laire agrave lrsquoEacutecole de criminologie et chercheur au Centre

international de criminologie compareacutee (CICC) de lrsquoUniver-

siteacute de Montreacuteal Il est eacutegalement codirecteur du Groupe de

recherche et drsquointervention sur les substances psychoactives-

Queacutebec (RISQ) et du Collectif drsquointervention et de recherche

sur les aspects sociosanitaires de la toxicomanie (CIRASST)

Ses inteacuterecircts de recherche portent sur les relations drogues-

crimes et lrsquoimpact des interventions aupregraves des toxico-

manes judiciariseacutes

Natacha Brunelle

PhD en criminologie est professeure

agreacutegeacutee au Deacutepartement de psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute

du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres (UQTR) depuis deacutecembre

1998 Elle est chercheure au Groupe de recherche et drsquointer-

vention sur les substances psychoactives-Queacutebec (RISQ)

copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec13Eacutedifice Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca13

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214

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

au Collectif drsquointervention et de recherche sur les aspects socio-sanitaires

de la toxicomanie (CIRASST) au Centre international de criminologie

compareacutee (CICC) et au Groupe de recherche et drsquointervention sur lrsquoadap-

tation psychosociale et scolaire (GRIAPS) Elle dirige le Regroupement

CICC-UQTR Ses travaux de recherche portent principalement sur les

trajectoires drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence et sur

les liens drogue-crime

Ceacutecile Carra

PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences agrave lrsquoInstitut

universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-Calais et

chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les institutions

peacutenales (CESDIPCNRS) Elle travaille sur les questions de deacutelinquance

juveacutenile dans les quartiers populaires Elle eacutetudie les processus de cons-

truction et de deacuteconstruction de la deacutelinquance et le rocircle des acteurs

concerneacutes dans ces processus en particulier les professionnels du travail

social et de la justice Ses recherches srsquoorientent depuis quelques anneacutees

sur la violence agrave lrsquoeacutecole les pratiques professionnelles des enseignants et

le fonctionnement des eacutetablissements scolaires

Marie-Marthe Cousineau

PhD en sociologie est professeure agreacutegeacutee agrave

lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal et chercheure associeacutee

au Centre international de criminologie compareacutee (CICC) agrave lrsquoInstitut de

recherche pour le deacuteveloppement social des jeunes (IRDS) et au Centre

de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite

aux femmes (CRI-VIFF) Ses inteacuterecircts de recherche portent pour une part

sur diffeacuterentes formes de marginaliteacute et de marginalisation veacutecus par

les jeunes (gangs de rue prostitution deacutelinquance toxicomanie) et sur les

faccedilons drsquoy reacuteagir et pour une autre part sur les violences touchant les

femmes et les reacuteponses sociales agrave ces violences

Isabelle Delens-Ravier

PhD en criminologie est

sociologue et titulaire

drsquoun doctorat en criminologie Elle est actuellement chargeacutee de cours

inviteacutee et chargeacutee de recherche au Deacutepartement de criminologie et de

droit peacutenal de lrsquoUniversiteacute catholique de louvain dans le cadre drsquoun Pocircle

drsquoattraction interuniversitaire sur les droits de lrsquoenfant en collaboration

avec trois universiteacutes neacuteerlandophones Ses recherches et ses publications

portent principalement sur lrsquoaide et la protection de la jeunesse sur les

probleacutematiques lieacutees agrave la deacutelinquance juveacutenile et agrave la suppleacuteance familiale

notamment en milieu carceacuteral Elle srsquointeacuteresse particuliegraverement agrave lrsquoexpeacute-

rience veacutecue des laquo acteurs raquo familles jeunes et intervenants professionnels

dans leur rencontre avec les institutions sociales judiciaires et peacutenitentiaires

Maryse Esterle-Hedibel

PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences

agrave lrsquoInstitut universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-

Calais et chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les

NOTICES BIOGRAPHIQUES

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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13

Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

institutions peacutenales (CESDIPCNRS) Ses travaux ont porteacute sur les bandes

de jeunes les processus deacutelinquants et les prises de risque Ses derniegraveres

recherches concernent les processus de deacutescolarisation (arrecircts de scolariteacute

avant 16 ans) et les expeacuteriences de remeacutediation peacutedagogique et eacuteducative

Elle srsquointeacuteresse eacutegalement aux relations eacutecole-police-justice

Michegravele Fournier

MSc en criminologie est candidate au doctorat agrave

lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal Elle a reacutealiseacute un

meacutemoire de maicirctrise portant sur lrsquoexpeacuterience et le cheminement des

jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue de la reacutegion meacutetropolitaine de

Montreacuteal Ses recherches portent essentiellement sur la marginaliteacute la

deacuteviance et utilisent une meacutethodologie qualitative

Michel Kokoreff

PhD en sociologie a obtenu son doctorat de sociologie

agrave lrsquoUniversiteacute Paris VII Jussieu apregraves voir suivi un double cursus de socio-

logie et de philosophie agrave lrsquoUniversiteacute Paris X ndash Nanterre Maicirctre de confeacute-

rences pendant dix ans agrave lrsquoUniversiteacute de Lille I il a obtenu sa mutation agrave

lrsquoUniversiteacute Paris V en 2004 Il est membre du CESAMES (CNRS-INSERM-

Paris V) Ses travaux de recherches ont porteacute sur lrsquoinscription urbaine des

sociabiliteacutes juveacuteniles les carriegraveres deacuteviantes dans le monde des quartiers

populaires et le traitement peacutenal des usages et trafics de drogues les

politiques publiques en matiegravere de seacutecuriteacute et de preacutevention

Sylvie Hamel

PhD en psychologie est professeure au Deacutepartement de

psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres Elle est eacutega-

lement chercheure reacuteguliegravere agrave lrsquoInstitut de recherche pour le deacuteveloppement

social des jeunes (IRDS) et chercheure associeacutee au Centre international

de criminologie compareacutee (CICC) Ses champs drsquointeacuterecirct touchent les ado-

lescents notamment membres de gang les processus drsquoaffiliation de

deacutesaffiliation drsquoexclusion de marginalisation les trajectoires et les deacuteter-

minants psychosociaux srsquoattachant agrave la violence et agrave la deacutelinquance de

mecircme qursquoagrave lrsquointervention pouvant srsquoy adresser lrsquointervention familiale et

communautaire

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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

Revenu minimum garantiLionel-Henri Groulx2005 ISBN 2-7605-1365-3 380 pages

Amour violence et adolescenceMylegravene Fernet2005 ISBN 2-7605-1347-5 268 pages

Reacuteclusion et InternetJean-Franccedilois Pelletier2005 ISBN 2-7605-1259-2 172 pages

Au-delagrave du systegraveme peacutenalLrsquointeacutegration sociale et professionnelle des groupes judiciariseacutes et marginaliseacutesSous la direction de Jean Poupart2004 ISBN 2-7605-1307-6 294 pages

Lrsquoimaginaire urbain et les jeunesLa ville comme espace drsquoexpeacuteriences identitaires et creacuteatricesSous la direction de Pierre-W Boudreault et Michel Parazelli2004 ISBN 2-7605-1293-2 388 pages

Parents drsquoailleurs enfants drsquoiciDynamique drsquoadaptation du rocircle parental chez les immigrantsLouise Beacuterubeacute2004 ISBN 2-7605-1263-0 276 pages

Citoyenneteacute et pauvreteacutePolitiques pratiques et strateacutegies drsquoinsertion en emploi et de luttecontre la pauvreteacutePierre Joseph Ulysse et Freacutedeacuteric Lesemann 2004 ISBN 2-7605-1261-4 330 pages

Eacutethique travail social et action communautaireHenri Lamoureux2003 ISBN 2-7605-1245-2 266 pages

Travailler dans le communautaireJean-Pierre Deslauriers avec la collaboration de Renaud Paquet2003 ISBN 2-7605-1230-4 158 pages

Sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer

Violence parentale et violence conjugaleDes reacutealiteacutes plurielles multidimensionnelles et interrelieacuteesClaire Chamberland2003 ISBN 2-7605-1216-9 410 pages

Le virage ambulatoire deacutefi s et enjeuxSous la direction de Guilhegraveme Peacuterodeau et Denyse Cocircteacute2002 ISBN 2-7605-1195-2 216 pages

Priver ou privatiser la vieillesse Entre le domicile agrave tout prix et le placement agrave aucun prixMichegravele Charpentier2002 ISBN 2-7605-1171-5 226 pages

Huit cleacutes pour la preacutevention du suicide chez les jeunesMarlegravene Falardeau2002 ISBN 2-7605-1177-4 202 pages

La rue attractiveParcours et pratiques identitaires des jeunes de la rueMichel Parazelli2002 ISBN 2-7605-1158-8 378 pages

Le jardin drsquoombres La poeacutetique et la politique de la reacuteeacuteducation socialeMichel Desjardins2002 ISBN 2-7605-1157-X 260 pages

Problegravemes sociaux bull Tome 1 ndash Theacuteories et meacutethodologiesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1126-X 622 pages

Problegravemes sociaux bull Tome 2 ndash Eacutetudes de cas et interventions socialesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1127-8 700 pages

  • TRAJECTOIRE DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
  • Preacuteface
  • Table des matiegraveres
  • Introduction
  • Chapitre 1_Trajectoires deacuteviantes de garccedilons et de filles
  • Chapitre 2_Toxicomanie et trafics de drogues
  • Chapitre 3_La diversiteacute des trajectoires de rue des jeunes agrave Montreacuteal
  • Chapitre 4_Les gangs du point de vue des jeunes
  • Chapitre 5_Arrecircts de scolariteacute et deacutelinquance
  • Chapitre 6_Le deacutelinquant comme produit de la dialectique identiteacute personnelle reacutegulations sociales
  • Chapitre 7_Du tribunal de la jeunesse au placement en institution speacutecialiseacutee
  • Conclusion
  • Postface
  • Notices biographiques
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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

2005

Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec

Le Delta I 2875 boul Laurier bur 450Sainte-Foy (Queacutebec) Canada G1V 2M2

Preacuteface de CLAUDE FAUGERON

Postface de CANDIDO DA AGRA

copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du QueacutebecEacutedifi ce Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca

Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

Mise en pages Infoscan Collette Queacutebec

Couverture ndash Conception Richard Hodgson Illustration Jean-Michel Girard

Catalogage avant publication de Bibliothegraveque et Archives Canada

Vedette principale au titre

Trajectoires de deacuteviance juveacutenile les eacuteclairages de la recherche qualitative

(Collection Problegravemes sociaux amp interventions sociales 18) Comprend des reacutef bibliogr

ISBN 2-7605-1372-6

1 Deacutelinquance juveacutenile 2 Deacuteviance 3 Jeunes deacutelinquants 4 Jeunesse ndash Usage des drogues 5 Jeunes de la rue 6 Deacutelinquance juveacutenile ndash Cas Eacutetudes de I Brunelle Natacha 1971- II Cousineau Marie-Marthe III Collection

HV9071T72 2005 36436 C2005-940919-3

1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2005 9 8 7 6 5 4 3 2 1

Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes copy 2005 Presses de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec

Deacutepocirct leacutegal ndash 3e trimestre 2005Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du CanadaImprimeacute au Canada

Nous reconnaissons lrsquoaide fi nanciegravere du gouvernement du Canada par lrsquoentremise du Programme drsquoaide au deacuteveloppement de lrsquoindustrie de lrsquoeacutedition (PADIEacute) pour nos activiteacutes drsquoeacutedition

La publication de cet ouvrage a eacuteteacute rendue possibleavec lrsquoaide fi nanciegravere de la Socieacuteteacute de deacuteveloppementdes entreprises culturelles (SODEC)

PR

EacuteF

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

Il me fait plaisir de faire la preacuteface de cet ouvrage Crsquoest qursquoen effet

une partie de ma carriegravere a eacuteteacute consacreacutee agrave la promotion des approchesqualitatives Il srsquoagissait au deacutebut de montrer comment ces meacutethodesse seacuteparaient drsquoun journalisme intelligent donc de labourer le champdes pratiques de recherches en deacuteveloppant les aspects eacutepisteacutemolo-giques et la rigueur meacutethodologique Mais il fallait aussi montrerque ces approches permettaient de disposer drsquooutils pertinents pour larecherche sociologique donc de leur donner une leacutegitimiteacute theacuteoriqueque les tenants de la sociologie quantitative leur deacuteniaient

Crsquoeacutetait un beau chantier que jrsquoai partageacute avec des chercheursde lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal puis plustard avec des collegravegues de lrsquoUniversiteacute catholique de Louvain Ilme semble que ce qui a rendu ces expeacuteriences collectives possiblesest le partage drsquoune posture theacuteorique dite de la criminologie de lareacuteaction sociale ensuite moduleacutee par la reacutefeacuterence agrave lrsquoacteur social

Je retrouve plus ou moins expliciteacutee cette posture dans les chapitres

qui suivent Mais peut-ecirctre est-il devenu moins neacutecessaire de lrsquoexpliciterce qui voudrait dire qursquoelle fait maintenant partie de la culturecriminologique

Il nrsquoempecircche que demeure une difficulteacute technique difficile agravesurmonter en particulier dans les eacutetudes de carriegraveres ou les biogra-phies En lrsquoabsence de groupes teacutemoins et surtout lorsque lrsquoonchoisit les personnes agrave interroger agrave partir drsquoun critegravere fort commeun marquage institutionnel lrsquoimage que lrsquoon donne de leur par-cours peut apparaicirctre comme celle drsquoun

destin

Cette tendance estrenforceacutee par les rationalisations

a posteriori

que donnent souvent

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VIII

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

les diffeacuterents acteurs agrave leurs conduites Une observation quasi ethnologique descontextes de vie ainsi qursquoune bonne connaissance des histoires familiales peuventpermettre de relativiser les reconstructions opeacutereacutees par les acteurs Crsquoest bien ce agravequoi plusieurs des auteurs preacutesents dans cet ouvrage se sont attacheacutes

Une autre difficulteacute consiste agrave ne pas rester enfermeacute dans un interactionnismetrop eacutetroit Certes lrsquointeractionnisme a beaucoup apporteacute ndash et continue drsquoapporter ndashagrave la recherche sur les deacuteviances et les deacutelinquances et cet ouvrage en est la preuveIl nrsquoempecircche que si lrsquoon veut pouvoir interpreacuteter sociologiquement les reacutesultats destravaux qualitatifs on ne doive croiser ce que lrsquoon peut apprendre de la faccedilon dontles structures sociales agissent au niveau des trajectoires individuelles Ceci ne peutse faire sans une bonne connaissance de ce que certains on appeleacute des

micro

pouvoirs

Connaissance qui peut provenir de la recherche elle-mecircme mais aussi ducroisement de recherches portant sur des objets diffeacuterents Ougrave mecircme utilisant desmeacutethodes diffeacuterentes Agrave cet eacutegard on ne peut renvoyer dos agrave dos recherches qualita-tives et recherches quantitatives sous le preacutetexte que leurs meacutethodes seraient incon-ciliables Agrave mon avis seuls doivent ecirctre eacuteviteacutes des deacuteveloppements theacuteoriques qui nesrsquoappuieraient pas sur une bonne connaissance du terrain et des recherches empi-riques Autrement dit si la recherche empirique ne peut se passer de theacuteorie la theacuteoriene peut se passer de recherches empiriques On pourrait appeleacute cette position delrsquoeacuteclectisme sociologique je lrsquoai deacutefendue agrave plusieurs reprises Et je continue de penserqursquoune recherche empirique bien meneacutee apporte toujours quelque chose

Mais une preacuteface ne peut se contenter seulement de mises en garde Il fautici se feacuteliciter des efforts que les chercheurs preacutesents dans cet ouvrage ont soutenusagrave plusieurs niveaux Le premier est celui de lrsquoimmersion dans leurs terrains et lrsquoonsait que crsquoest chose difficile il est plus aiseacute de travailler dans son bureau que dansdes quartiers laquo chaudsraquo Un deuxiegraveme niveau est celui de la rigueur meacutethodologiquele choix des meacutethodes de recueil des donneacutees et drsquoanalyse du mateacuteriel Enfin lecroisement des points de vue celui des acteurs institutionnels et celui des acteursaupregraves desquels srsquoeffectue lrsquointervention apporte des eacuteclairages neacutecessaires agrave la compreacute-hension des positions des jeunes confronteacutes aux institutions Crsquoest pourquoi jesouhaite que de tels travaux continuent de se deacutevelopper

Claude Faugeron

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TIEgrave

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PREacuteFACE

VII

Claude Faugeron

INTRODUCTION

1

Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau

C

HAPITRE

1

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLESPoints de convergence et de divergence

9

Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu

11

LrsquoADOLESCENT

VS

LrsquoADOLESCENTE 10

111 Deacutelinquance 11

112 Consommation de substances

psychoactives 11

12 CONTEXTE THEacuteORIQUE 12

13 MEacuteTHODOLOGIE 12

14 REacuteSULTATS 15

141 Les filles et les garccedilons plus de

ressemblances que de diffeacuterences 15

1411 Motifs de consommation

de drogues 15

1412 Motifs de deacutelinquance 18

1413 Motifs de diminution

ou drsquoarrecirct de consommation 19

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X

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

142 Les garccedilons en particulier 21

1421 Motifs de deacutelinquance 22

1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct

de la consommation 23

143 Les filles en particulier 24

1431 Motif de consommation 24

1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct

de la consommation et la deacutelinquance 25

CONCLUSION 25

BIBLIOGRAPHIE 27

C

HAPITRE

2

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUESDiversiteacute des cheminements et effets de geacuteneacuteration au sein des milieux populaires en France

31

Michel Kokoreff

21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES

SELON LES GEacuteNEacuteRATIONS 32

211 Au-delagrave du feacutetichisme conceptuel

lrsquoanalyse des processus 33

212 Les effets de geacuteneacuteration 35

22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES

DES ANNEacuteES 1980 38

221 Le contexte social et urbain 38

222 Cheminements vers lrsquoheacuteroiumlne 40

223 De lrsquousage agrave la revente 44

224 Une vulneacuterabiliteacute structurelle 48

23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC

AU COURS DES ANNEacuteES 1990 52

231 Scegravenes de revente 53

232 Le rapport au produit 55

233 Le trafic comme travail 57

234 Avoir lrsquoesprit entrepreneur 59

24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS

DANS LE TRAFIC 62

241 Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre 62

242 Les hieacuterarchies informelles 64

BIBLIOGRAPHIE 68

TABLE DES MATIEgraveRES

XI

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C

HAPITRE

3

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

71

Ceacuteline Bellot

31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE

DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE 72

311 La trajectoire objective 73

312 La trajectoire subjective 74

313 La trajectoire de rue dans une analyse

de la structuration 75

32 MEacuteTHODOLOGIE 76

33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES 78

331 La rue un eacutepisode 78

332 La rue une transition 85

3321 La rue comme tremplin

vers une insertion sociale 85

3322 La rue comme tremplin

vers une deacutesinsertion sociale 86

333 La rue un enfermement 91

CONCLUSION 93

BIBLIOGRAPHIE 93

C

HAPITRE

4

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNESLeur signification dans une trajectoire de vie

97

Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele Fournier

41 LA PAROLE AUX JEUNES 99

42 MEacuteTHODOLOGIE 100

421 Eacutechantillons 100

422 Instruments de collecte et analyse des donneacutees 101

43 LA PAROLE DES JEUNES 103

431 Les jeunes parlent de la faccedilon

dont ils en sont venus agrave se joindre aux gangs 104

432 Les jeunes expliquent les motifs

qui les ont ameneacutes agrave se joindre au gang 105

433 Les jeunes parlent de lrsquoexpeacuterience qursquoils

ont veacutecue dans le ganghellip en termes drsquoeacutemotions 111

434 Les jeunes parlent des motifs

qui les ont ameneacutes agrave quitter le gang 113

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XII

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE

APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS 116

CONCLUSION 117

BIBLIOGRAPHIE 119

C

HAPITRE

5

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

121

Maryse Esterle-Hedibel

51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU 124

52 LA DEacuteSCOLARISATION 126

521 Les marqueurs de la deacutescolarisation 127

5211 Le niveau de diplocircme des parents 127

5212 La composition de la famille 128

5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage 128

5214 Le passage du primaire au collegravege

indiscipline et identiteacute 129

53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION

ET DEacuteLINQUANCE 130

531 Lrsquoimpact des groupes de pairs

et les activiteacutes deacutelinquantes 130

532 Deacutecrochage scolaire et deacutelinquance 131

54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE

DES PERSONNES-RESSOURCES 132

55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS 133

551 Les personnels peacutedagogiques 133

5511 Des donneacutees non utiliseacutees 133

5512 Des deacutecisions drsquoorientation

non suivie drsquoeffets 134

5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure 134

5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants 136

5515 Haro sur les eacutelegraveves 138

5516 Lrsquoexternalisation des solutions 138

552 Les eacutelegraveves 140

553 Les familles 141

554 Les travailleurs sociaux

(agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des collegraveges) 145

56 LE CAS DE PATRICK 146

CONCLUSION 151

BIBLIOGRAPHIE 151

TABLE DES MATIEgraveRES

XIII

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C

HAPITRE

6

LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUEIDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALESLrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche biographique

153

Ceacutecile Carra

61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE

LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES 155

62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute

DE DEacuteLINQUANT Agrave TRAVERS LA PRISE

EN CHARGE INSTITUTIONNELLE 158

63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT 158

631 De la construction drsquoun parcours de deacutelinquanthellip 158

632 hellip agrave celle drsquoune personnaliteacute deacutelinquante 162

633 Lrsquointeacuteriorisation drsquoun destin de deacutelinquant

et son actualisation 163

64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE

DE LA DEacuteLINQUANCE 165

641 De la deacuteconstruction de lrsquoidentiteacute familialehellip 166

642 hellip agrave la reconstruction drsquoidentiteacutes

individuelles neacutegatives 168

65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT

Agrave UNE PLACE DOMINEacuteE DANS LES

RAPPORTS SOCIAUX 170

651 Des parcours preacutedeacutetermineacutes par les instances

de reacutegulations sociales geacuteneacuterales 172

652 La deacutelinquance comme strateacutegie identitaire 173

CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT

DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES 175

BIBLIOGRAPHIE 176

C

HAPITRE

7

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteEParoles et strateacutegies de jeunes deacutelinquants

179

Isabelle Delens-Ravier

71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE

QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE 180

72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE 182

73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE 183

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XIV

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION 186

741 Veacutecu de la deacutelinquance 187

742 La deacutecision du magistrat 189

743 Le magistrat de la jeunesse 190

744 Les acteurs institutionnels 191

7441 Les eacuteducateurs 191

7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale 192

745 Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction 193

7451 Une strateacutegie drsquoadaptation

et de rationalisation 193

7452 Une strateacutegie de repli-refus 196

7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence 197

CONCLUSION 198

BIBLIOGRAPHIE 201

CONCLUSION

203

Marie-Marthe Cousineau et Natacha Brunelle

POSTFACE

209

Candido da Agra

NOTICES BIOGRAPHIQUES

213

IN

TR

OD

UC

TI

ON

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N

ATACHA

B

RUNELLE

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresChercheure au CICC au RISQ et au GRIAPS

M

ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealChercheure associeacutee au CICC et agrave lrsquoIRDS

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2

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Plusieurs ouvrages scientifiques sur la deacuteviance juveacutenile qui utilisent le mot

trajectoire

ou ses traductions anglaises laquo

pathway

raquo ou laquo

trajectory

raquo reposent

sur des eacutetudes quantitatives (Nagin Farrington et Moffitt 1995 Brunswick

et Titus 1998) et sont reacutealiseacutes dans une perspective psychosociale ou de

psychologie deacuteveloppementale Toutefois de plus en plus de chercheurs

qui conduisent des eacutetudes qualitatives parlent aussi de

trajectoire

Non seu-

lement le terme est commode mais il permet en outre de rendre compte

des eacuteveacutenements veacutecus et de leur eacutevolution chronologique Agrave ceux qui

travaillent dans cette optique il paraicirct aussi le mieux agrave mecircme de refleacuteter

les aspects plus pheacutenomeacutenologiques lieacutes agrave la signification que la personne

concerneacutee accorde aux eacuteveacutenements qursquoelle vit ainsi qursquoaux sentiments que

ceux-ci provoquent Lrsquoemploi du mot trajectoire permet eacutegalement de

rendre compte de la sinuositeacute du parcours de vie des individus

Srsquoagissant des trajectoires de deacuteviance juveacutenile lrsquoun des aspects les

plus documenteacutes est sans aucun doute la progression de la deacutelinquance

des jeunes en ce qui a trait agrave la nature agrave la diversiteacute et agrave la graviteacute des

deacutelits commis tout au long de la trajectoire (Freacutechette et Le Blanc 1987

Le Blanc 1994 Kelley Loeber Keenan et DeLamatre 1997) Dans la

documentation scientifique cette progression deacutelictueuse a souvent eacuteteacute

associeacutee agrave la structure de la personnaliteacute et plus reacutecemment on lrsquoa mise

en rapport avec le contexte psychosocial dans lequel srsquoopegravere cette progres-

sion Certaines eacutetudes longitudinales eacutetablissent de tels liens avec le contexte

psychosocial mais de faccedilon quantitative en consideacuterant un nombre limiteacute

de dimensions (relations avec la famille association agrave des pairs deacuteviants

promiscuiteacute sexuellehellip) partant moins des perceptions des jeunes ndash pro-

cessus inductif ndash que drsquohypothegraveses de recherche agrave veacuterifier ndash processus

deacuteductif (Simons Wu Conger et Lorenz 1994 Nagin Farrington et Moffitt

1995 Le Blanc et Kaspy 1998)

De nombreux auteurs traitant des trajectoires deacuteviantes deacutefinissent

une typologie de trajectoires qui srsquoapparente agrave une typologie de deacutelin-

quants ou de toxicomanes baseacutee sur leurs comportements ou sur lrsquoeacutevolution

de ceux-ci (Le Blanc Cocircteacute et Loeber 1991 Hammersley et Ditton 1994

Loeber Farrington Southamer-Loeber Moffitt et Caspi 1998 Nagin et

Tremblay 1999) Cette faccedilon de deacutefinir des trajectoires agrave partir de lrsquoeacutevo-

lution des comportements possegravede sans contredit son utiliteacute descriptive

mais elle tend agrave omettre le pouvoir des cognitions et des sentiments en

amont sur les comportements en aval

Or plusieurs auteurs ont montreacute lrsquoimportance de tenir compte des

processus cognitifs et eacutemotifs pour bien saisir et comprendre les compor-

tements humains (Lewin 1967 Blumer 1969 Mischel 1973 Endler et

Magnusson 1976 Bandura 1977 Brown et Harris 1989 Debuyst 1989

Beck Freeman Pretzer Davis Fleming Ottaviani Beck Simon Padesky

INTRODUCTION

3

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Meyer Trexler 1990 de Gaulejac 1997) Ils ont eacutegalement constateacute qursquoen

se centrant sur lrsquoeacutevolution et la description des actes deacutelinquants ou toxi-

comaniaques en tant que tels au fil de la trajectoire bon nombre drsquoeacutetudes

omettaient de relier agrave cette eacutevolution le contexte dans lequel celle-ci

srsquoopegravere et surtout lrsquointeraction entre lrsquoindividu et ce contexte Or la prise

en compte de lrsquointeraction entre les dimensions individuelles et contex-

tuelles est jugeacutee non seulement importante mais eacutegalement cruciale

par diffeacuterents auteurs (Blumer 1969 Debuyst 1989 Digneffe 1989

Castel Benard-Pellen Bonnemain Boullenger Coppel Leclerc Ogien et

Weinberger 1992 Cormier 1993) particuliegraverement lorsqursquoil srsquoagit de

comprendre les comportements humains

Certaines eacutetudes sur les trajectoires deacuteviantes paraissent avoir quelque

peu deacuteplaceacute lrsquoattention du comportement en srsquointeacuteressant aux motivations

qui y sont associeacutees et aux eacuteleacutements autres qui permettent de discriminer

les trajectoires entre elles (Sampson et Laub 1993 Erickson et Weber

1994 Le Blanc 1996 Le Blanc et Kaspy 1998)

Par exemple Sampson et Laub (1993) notent qursquoon trouve souvent

agrave la fois continuiteacute et changements dans lrsquoimplication deacuteviante au fil du

temps La deacuteviance demeure preacutesente agrave lrsquoacircge adulte mais elle change de

forme Par exemple la consommation de drogues illeacutegales agrave lrsquoadolescence

peut se transformer en un veacuteritable problegraveme la toxicomanie agrave lrsquoacircge

adulte Agrave lrsquoinverse des eacuteveacutenements de vie comme le mariage ou lrsquoobten-

tion drsquoun emploi peuvent entraicircner un changement drsquoorientation dans

la trajectoire vers un conformisme accru Dans cette eacutetude de Sampson et

Laub (1993) les reacutesultats quantitatifs sont appuyeacutes par des donneacutees

qualitatives recueillies a posteriori

Les auteurs du preacutesent livre ont voulu donner une voix encore plus

forte aux jeunes au cœur de leurs eacutetudes en deacutecrivant lrsquoensemble de leurs

reacutesultats par un processus inductif qui reflegravete lrsquoapproche qualitative qursquoils

ont adopteacutee

Srsquoapparentant aux travaux preacutesenteacutes dans ce livre ceux de Faupel

(1991) Castel (1994) Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) adoptent

une position eacutepisteacutemologique dont la particulariteacute est de consideacuterer les

participants comme des acteurs sociaux capables de laquo geacuterer raquo leur vie

(Debuyst 1989) Ces travaux srsquoattardent agrave comprendre la vie des personnes

en contexte en ne se limitant pas agrave cerner leurs comportements et en

adoptant une perspective plus laquo interactionniste raquo (Blumer 1969)

Une approche qualitative a eacuteteacute privileacutegieacutee dans ces travaux Cette

approche favorise une meilleure compreacutehension de la speacutecificiteacute et de la

complexiteacute des processus en jeu en fournissant un point de vue de lrsquointeacute-

rieur des pheacutenomegravenes (Groulx 1997 Pires 1997) Elle permet drsquoacceacuteder

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4

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par les acteurs sociaux aux significations qursquoils

accordent agrave celle-ci de mecircme qursquoau sens de leurs actions (Deslauriers et

Keacuterisit 1997) En particulier lrsquoentretien de type qualitatif reacutevegravele le point

de vue des acteurs sociaux et permet drsquoen tenir compte pour comprendre

et interpreacuteter leurs reacutealiteacutes (Poupart 1997)

Il reste que drsquoun cocircteacute la plupart des eacutetudes sur les trajectoires

deacuteviantes srsquointeacuteressent tregraves peu aux perceptions des acteurs et visent ordi-

nairement agrave veacuterifier des postulats de recherche (processus deacuteductif) et

que drsquoun autre cocircteacute ces eacutetudes ne sont pas propres agrave la peacuteriode de

lrsquoadolescence Pourtant les auteurs qui ont conduit des eacutetudes qualita-

tives inductives aupregraves drsquoadolescents ont obtenu du mateacuteriel pertinent et

inteacuteressant agrave plusieurs eacutegards (Billson 1996 Piron 1996 Way 1998)

Malheureusement ces eacutetudes ne srsquointeacuteressent pas speacutecifiquement agrave la

deacuteviance juveacutenile ou encore elles ne sont pas des eacutetudes de trajectoires

Dans les recherches qui ont donneacute lieu au preacutesent collectif drsquoauteurs le

point de vue des jeunes constitue le centre de reacutefeacuterence initial dont sont

tireacutees les conclusions menant agrave une approche diffeacuterente et compleacutemen-

taire aux travaux preacuteceacutedents Cette approche nous est-il apparu permet

drsquoobtenir une compreacutehension plus diversifieacutee des trajectoires deacuteviantes

agrave lrsquoadolescence

1

Lrsquoensemble des textes des auteurs que nous avons reacuteunis dans ce

collectif met en lumiegravere les apports drsquoeacutetudes qualitatives sur les trajectoires

de deacuteviance juveacutenile reacutealiseacutees au Queacutebec en France et en Belgique depuis

une dizaine drsquoanneacutees Ces eacutetudes font appel agrave diffeacuterentes meacutethodes qua-

litatives Plusieurs utilisent des formes drsquoentretien de type qualitatif

drsquoautres ont recours agrave lrsquoethnographie ou encore agrave lrsquoanalyse documentaire

Les premiers chapitres portent davantage sur les pheacutenomegravenes deacuteviants

que constituent la deacutelinquance ou lrsquousage de drogues chez les jeunes alors

que les derniers traitent eacutegalement ou uniquement de la prise en charge

sociale ou judiciaire de ces jeunes

Lrsquooriginaliteacute des productions rassembleacutees tient au fait que le point

de vue des jeunes eux-mecircmes est refleacuteteacute dans les reacutesultats des eacutetudes

traiteacutees dans la majoriteacute des chapitres tandis que drsquoautres fournissent

aussi le point de vue des intervenants sociaux et judiciaires quant agrave la

deacuteviance juveacutenile et agrave sa prise en charge

1 Voir Stahler et Cohen (2000) pour une discussion sur lrsquoapport compleacutementaire deseacutetudes qualitatives dans le domaine de la toxicomanie

INTRODUCTION

5

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Le premier chapitre traite des diffeacuterences entre jeunes Queacutebeacutecois

filles et garccedilons quant aux motivations qursquoils associent agrave leurs trajectoires

deacuteviantes Les significations qursquoils rattachent agrave leurs comportements deacutelin-

quants ou drsquousage de drogues sont plus speacutecifiquement traiteacutees par les

auteurs Natacha Brunelle Marie-Marthe Cousineau et Serge Brochu

Il est plutocirct question au chapitre 2 de toxicomanie et de trafic de

drogues dans des quartiers deacutefavoriseacutes de la France Le point de vue de

toxicomanes et de trafiquants est analyseacute par lrsquoauteur Michel Kokoreff

Agrave la suite drsquoune expeacuterience de terrain ethnobiographique combi-

nant observations et entrevues reacutealiseacutees au centre-ville de Montreacuteal Ceacuteline

Bellot propose au chapitre 3 trois diffeacuterentes configurations de parcours

des jeunes dans le monde social de la rue

Au chapitre 4 Marie-Marthe Cousineau Sylvie Hamel et Michegravele

Fournier traitent des motivations des jeunes agrave joindre les gangs des expeacute-

riences qursquoils y vivent et de la signification qursquoils y attachent

Au chapitre 5 Maryse Esterle-Hedibel relie lrsquoabandon de scolariteacute

avant lrsquoacircge de 16 ans agrave la trajectoire deacutelinquante de certains jeunes Franccedilais

agrave partir du point de vue des jeunes eux-mecircmes de leur famille des agents

scolaires et de partenaires exteacuterieurs

Une double approche monographique et biographique a permis

drsquoobtenir les reacutesultats preacutesenteacutes par Ceacutecile Carra au chapitre 6 Lrsquoauteure

y traite des parcours judiciaires des jeunes enquecircteacutes ainsi que des meacuteca-

nismes de production et de reproduction de la deacutelinquance juveacutenile

Enfin au chapitre 7 Isabelle Delens-Ravier approfondit le sens sub-

jectif que des jeunes deacutelinquants belges donnent agrave leurs expeacuteriences de

judiciarisation en lien avec une trajectoire sociofamiliale marqueacutee par un

suivi social individuel ou familial

Lrsquoapport de ces auteurs reacutevegravele lrsquounivers de la deacuteviance des jeunes

tel que ceux-ci le vivent le perccediloivent et y reacuteagissent Du mecircme coup

une connaissance nouvelle srsquoouvre aux chercheurs et aux praticiens qui

tentent de mieux comprendre ces jeunes et de mieux les aider lorsque

cela paraicirct srsquoimposer

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TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES

Points de convergence

et de divergence

N

ATACHA

B

RUNELLE

Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresCICC RISQ et GRIAPS

M

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-M

ARTHE

C

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Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et IRDS

S

ERGE

B

ROCHU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et RISQ

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10

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

La transition de lrsquoenfance agrave lrsquoacircge adulte constitue une deacutefinition commune

de lrsquoadolescence Celle-ci se caracteacuterise par des modifications importantes

dans lrsquounivers social et relationnel des jeunes (Cloutier 1996 Claes

2003) Les filles et les garccedilons passent par cette transition mais ils le font

de maniegravere parfois diffeacuterente

11

LrsquoADOLESCENT

VS

LrsquoADOLESCENTE

De toute eacutevidence les filles et les garccedilons diffegraverent physiquement et

sexuellement Les filles sont notamment plus preacutecoces sur le plan puber-

taire (Cloutier 1996)

Le processus identitaire des filles passe par un eacutequilibre entre leurs

rapports aux autres et leur recherche drsquoautonomie Celui des garccedilons

passe davantage par une recherche drsquoindeacutependance et drsquoautonomie

(Cloutier 1996)

Sur le plan familial les filles perccediloivent un plus grand controcircle

parental que les garccedilons Crsquoest ainsi qursquoelles revendiquent souvent plus

drsquoautonomie (Cloutier 1996 Claes 2003) Eacutegalement les filles ressentent

plus de proximiteacute et drsquointimiteacute que les garccedilons dans leurs relations avec

leurs fregraveres et sœurs (Claes 2003)

Par ailleurs les filles valorisent davantage lrsquoamitieacute et font preuve

drsquoune plus grande maturiteacute eacutemotionnelle agrave lrsquoeacutegard de ce sentiment Elles

utilisent beaucoup la parole dans leurs relations amicales tandis que les

garccedilons sont davantage porteacutes agrave faire des activiteacutes avec leurs amis Les filles

montrent plus drsquohabileteacutes relationnelles et eacutemotionnelles alors que les

habileteacutes instrumentales et lrsquoaffirmation de soi sont davantage le lot des

garccedilons (Cloutier 1996 Claes 2003)

Les relations amoureuses sont souvent veacutecues diffeacuteremment par les

garccedilons et par les filles Ces derniegraveres recherchent plus de proximiteacute et

drsquointimiteacute dans leurs amours tandis que les garccedilons ont des attentes

sexuelles plus preacutecoces et persistantes et cherchent agrave maintenir avant tout

un lien fort avec leur groupe drsquoamis au deacutetriment de la relation avec leur

petite amie (Cloutier 1996 Claes 2003)

Les prochaines sections srsquoattarderont aux diffeacuterences selon le sexe

au regard de certaines formes de deacuteviance particuliegraverement la deacutelin-

quance et la consommation de drogues

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES

11

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111 D

EacuteLINQUANCE

Lrsquoimage que nous donnent les statistiques montre que les filles commettent

geacuteneacuteralement moins de deacutelits graves et persistent moins dans la deacutelin-

quance que les garccedilons (Lanctocirct et Le Blanc 2000) Elles seraient davan-

tage impliqueacutees dans des deacutelits mineurs comme le vol agrave lrsquoeacutetalage et seraient

plus nombreuses que les garccedilons agrave faire de la prostitution Elles commet-

traient tout de mecircme des deacutelits violents Leur violence atteindrait drsquoailleurs

un sommet plus tocirct que celle manifesteacutee par les adolescents (agrave 15 ans pour

les filles et agrave 17 ans pour les garccedilons en 1998 Savoie 1999) Malgreacute une

augmentation des deacutelits de violence noteacutee chez les filles ces derniegraveres

anneacutees une plus grande proportion de garccedilons que de filles commet-

traient des voies de fait par exemple (Savoie 1999)

Lrsquoagressiviteacute des filles prendrait geacuteneacuteralement une forme plus indi-

recte ou psychologique ridiculiser deacutenigrer isoler les autres (Owens et

MacMullin 1995) La deacutelinquance des filles et des garccedilons diffeacutererait donc

par sa nature sa freacutequence et sa persistance

112 C

ONSOMMATION

DE

SUBSTANCES

PSYCHOACTIVES

Les proportions de filles et de garccedilons queacutebeacutecois consommant de lrsquoalcool

et drsquoautres drogues sont tregraves semblables (Guyon et Desjardins 2005) Les

drogues de preacutedilection de chacun diffegraverent toutefois un peu Filles et

garccedilons se distingueraient aussi sur le plan de la freacutequence et de lrsquointensiteacute

de leur usage drsquoalcool et drsquoautres drogues Les garccedilons rapportent boire

plus souvent (Guyon et Desjardins 2005) et se saouler eacutegalement plus

souvent (Comiteacute permanent de lutte agrave la toxicomanie CPLT 2002) Les

garccedilons sont aussi proportionnellement plus nombreux agrave reacuteveacuteler une

consommation de cannabis quotidienne (Guyon et Desjardins 2005)

Lrsquoenquecircte meneacutee en 2000 par lrsquoInstitut de la statistique du Queacutebec

(2002) reacutevegravele que les adolescents sont plus nombreux que les adolescentes

agrave deacutevelopper des problegravemes de toxicomanie Parmi les facteurs associeacutes

aux problegravemes de consommation chez les jeunes une faible estime de

soi ressort plus speacutecifiquement chez les filles Par ailleurs outre les pro-

blegravemes drsquoargent que les jeunes rattachent agrave leur consommation les filles

nomment des problegravemes familiaux et de santeacute tandis que les garccedilons

parlent de gestes deacutelinquants et de difficulteacutes scolaires qursquoils associent agrave

leur consommation (Institut de la statistique du Queacutebec 2002)

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12

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

12 CONTEXTE THEacuteORIQUE

Srsquoinspirant en grande partie des travaux de Faupel (1991) Castel (1994)

Bouhnik (1996) et Duprez et Kokoreff (2000) notre eacutetude a ceci de

particulier qursquoelle se centre sur les motivations significations perceptions

et sentiments que des jeunes deacutelinquants et toxicomanes relient agrave leur

itineacuteraire et plus particuliegraverement agrave leurs comportements deacuteviants de

mecircme qursquoau contexte dans lequel ils adoptent ces comportements Nous

nous inscrivons donc dans une perspective pheacutenomeacutenologique (Schutz

1987) qui accorde une place de premier plan agrave lrsquointerpreacutetation que lrsquoacteur

social (ici le jeune) fait des situations qui le touchent (Debuyst 1989)

Notre projet de recherche porte sur les trajectoires de consomma-

tion de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Trois objectifs speacuteci-

fiques consistent agrave documenter davantage 1) la nature et lrsquoeacutevolution des

relations drogue-crime agrave lrsquoadolescence 2) les eacuteleacutements lieacutes aux phases

drsquoaugmentation et de diminution de lrsquoimplication deacuteviante et 3) les tra-

jectoires deacuteviantes types agrave lrsquoadolescence Les points de convergence et de

divergence entre les trajectoires deacuteviantes des garccedilons et des filles sont

alors appreacutehendeacutes en fonction de ce que chacun a veacutecu et surtout de la

faccedilon dont il lrsquoa veacutecu

13 MEacuteTHODOLOGIE

Pour atteindre nos objectifs nous avons opteacute pour une meacutethodologie

qualitative (Poupart Deslauriers Groulx Laperriegravere Mayer Pires 1997)

qui paraissait drsquoailleurs srsquoimposer Plus preacuteciseacutement nous avons eu recours

agrave la meacutethode du reacutecit de vie (Desmarais et Grell 1986) laquelle fait parler

lrsquointervieweacute sur sa vie en privileacutegiant une structure du discours chronolo-

gique et permet de mettre en lumiegravere la trajectoire de lrsquoindividu selon la

vision personnelle qursquoil en a

Les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent sur deux eacutetudes diffeacuterentes qui

partagent plusieurs similitudes La premiegravere base du doctorat de Natacha

Brunelle qui est lrsquoauteure principale du preacutesent texte srsquoest termineacutee en 2001

La collecte de donneacutees de cette eacutetude srsquoest deacuterouleacutee de 1996 agrave 1998 La

deuxiegraveme toujours en cours se situe dans le prolongement de la premiegravere

Dans lrsquoensemble ces deux eacutetudes visaient des jeunes ndash garccedilons et

filles ndash qui se livrent plus ou moins agrave des comportements de consomma-

tion de drogues et de deacutelinquance Cherchant agrave comprendre les processus

qui conduisent certains jeunes agrave srsquoengager dans un style de vie deacuteviant et

plus particuliegraverement dans la deacutelinquance ou la consommation de drogues

nous avons dans un premier temps eacutetabli que les jeunes rencontreacutes

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES

13

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devraient ecirctre des adolescents pris en charge dans une institution judi-

ciaire ou de traitement de la toxicomanie cela en raison de leur plus

grande accessibiliteacute Des adolescents placeacutes sous garde en vertu de la Loi

sur les jeunes contrevenants (LJC)

1

dans les centres jeunesse ou suivant

un traitement dans un centre pour jeunes toxicomanes forment ainsi une

partie de lrsquoeacutechantillon Ces jeunes ont drsquoabord eacuteteacute solliciteacutes dans le cadre

drsquoune preacuteenquecircte reacutealiseacutee en lien avec la premiegravere eacutetude

Agrave la suite de la preacuteenquecircte et des interactions avec diffeacuterents colla-

borateurs il est apparu neacutecessaire de rencontrer aussi des jeunes qui ne

srsquoadonnent ni agrave la deacutelinquance ni agrave la consommation de drogues ou qui

du moins nrsquoont jamais eacuteteacute pris en charge par une quelconque institution

pour des comportements de deacutelinquance ou de consommation de drogues

afin de voir si leurs trajectoires diffeacuteraient autrement que sur ces aspects

de la vie des jeunes Des jeunes freacutequentant des maisons des jeunes de

lrsquoicircle de Montreacuteal allaient constituer cette deuxiegraveme partie de lrsquoeacutechantillon

de la premiegravere eacutetude

Aux jeunes participants srsquoajoutent dans lrsquoeacutetude en cours des jeunes

qui se trouvent en milieu scolaire secondaire et des jeunes de la rue Pour

cette nouvelle collecte de donneacutees srsquoajoutent agrave la grande ville de Montreacuteal

deux lieux de recrutement Queacutebec et Trois-Riviegraveres Lrsquoajout de nouveaux

milieux et sites de recrutement avait pour but drsquoobtenir une meilleure

repreacutesentation de la reacutealiteacute associeacutee agrave la saturation empirique des donneacutees

(Mayer et Ouellet 1991 Bertaux 1997 Pires 1997) Une limite reconnue

de la premiegravere eacutetude eacutetait drsquoavoir eacuteteacute conduite aupregraves drsquoun eacutechantillon

insuffisamment diversifieacute sur ces deux critegraveres des lieux et des sites de

recrutement (Brunelle 2001)

Trois critegraveres drsquoeacutechantillonnage sont communs agrave tous les jeunes

recruteacutes garccedilons et filles ecirctre volontaire srsquoexprimer couramment en

franccedilais et ecirctre acircgeacute de 14 agrave 20 ans

Pour fixer la taille de lrsquoeacutechantillon le principe adopteacute a eacuteteacute celui de

la saturation empirique laquo La saturation empirique deacutesigne alors le pheacuteno-

megravene par lequel le chercheur juge que les derniers documents entrevues

ou observations nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles

ou diffeacuterentes pour justifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo

(Pires 1997 p 156-157)

Ainsi afin drsquoatteindre une certaine repreacutesentation de la reacutealiteacute la

collecte des donneacutees prend fin au moment ougrave les informations qui srsquoajoutent

deviennent essentiellement reacutepeacutetitives ou anecdotiques (Mayer et Ouellet

1 Aujourdrsquohui Loi sur le systegraveme de justice peacutenale des adolescents (LSJPA)

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14

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

1991) Nous avons proceacutedeacute de cette maniegravere lors de la premiegravere eacutetude et

crsquoest ainsi que nous comptons mettre fin au recrutement de nouveaux

reacutepondants pour la deuxiegraveme eacutetude

Une fois les deux eacutetudes combineacutees les reacutesultats preacutesenteacutes ici portent

sur un eacutechantillon de 62 jeunes

2

Un total de 31 jeunes pris en charge en

centre jeunesse et 12 en centre de traitement de la toxicomanie ont eacuteteacute

rencontreacutes de mecircme qursquoune douzaine drsquoadolescents freacutequentant des mai-

sons de jeunes six jeunes en milieu scolaire secondaire et un jeune de la

rue Parmi lrsquoensemble de ces jeunes participants on trouve 36 garccedilons et

26 filles dont lrsquoacircge moyen est de 165 ans

3

Au moment des entrevues drsquoune dureacutee moyenne drsquoune heure la

consigne de deacutepart de lrsquointervieweuse eacutetait formuleacutee ainsi

Jrsquoaimerais que tu considegraveres que je repreacutesente ton journal intime Alorsdans tes propres termes et selon ce que tu penses raconte-moi ta vie jusqursquoagrave

aujourdrsquohui comme si tu traccedilais ton itineacuteraire en incluant toutes lesdimensions de ta vie famille amis amours eacutecole deacutelinquance drogue leseacuteveacutenements que tu as veacutecus et surtout comment tu les as veacutecushellip

Une grille constitueacutee de mots cleacutes repreacutesentant autant de thegravemes agrave

aborder eacutetait utiliseacutee par lrsquointervieweuse agrave titre de guide drsquoentrevue Ainsi

que le suggegraverent Mayer et Ouellet (1991) ces entrevues prenaient la

forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes (Ghiglione et Matalon 1978)

Lrsquoanalyse du contenu des entretiens (Bardin 1977 LrsquoEacutecuyer 1990)

srsquoest faite selon deux approches utiliseacutees de maniegravere compleacutementaire

Drsquoune part une analyse theacutematique (Ghiglione et Matalon 1978) a eacuteteacute

privileacutegieacutee comme mode principal de reacuteduction du mateacuteriel Drsquoabord de

maniegravere verticale une analyse intrinsegraveque de chacune des entrevues a eacuteteacute

effectueacutee Ensuite de maniegravere transversale nous avons chercheacute agrave repeacuterer

les points de convergence et de divergence entre les reacutecits recueillis

Drsquoautre part une analyse seacutequentielle traitant de la suite des eacuteveacutenements

et de leurs reacutepercussions sur le jeune selon sa lecture a eacuteteacute reacutealiseacutee Pour

cette analyse seacutequentielle trois lignes biographiques traitant respective-

ment de lrsquohistoire de vie geacuteneacuterale (trajectoire sociale) de la consomma-

tion de drogues et de la deacutelinquance aux diffeacuterents acircges ont eacuteteacute traceacutees

et repreacutesenteacutees graphiquement pour chaque reacutepondant pour ensuite ecirctre

mises en relation Il sera ici question des ressemblances et des diffeacuterences

entre les reacutecits de vie obtenus des filles et des garccedilons

2 Les 38 premiers jeunes ont eacuteteacute rencontreacutes en cours de reacutealisation du doctorat et24 entrevues ont eacuteteacute ajouteacutees depuis le deacutebut de la deuxiegraveme eacutetude en cours

3 Voir Brunelle (2001) pour une description plus deacutetailleacutee des reacutepondants de la premiegravereeacutetude

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14 REacuteSULTATS

En plus drsquoavoir veacutecu plusieurs situations similaires les garccedilons et les filles

de lrsquoeacutechantillon tiennent un reacutecit relativement semblable agrave plusieurs

eacutegards Lrsquoexemple le plus eacutevident dans nos reacutesultats concerne les motiva-

tions principales qui ont pousseacute les participants agrave commettre des deacutelits ou

agrave consommer La curiositeacute et le fait de vouloir faire comme les autres pour

que ceux-ci les acceptent plus facilement sont mentionneacutes tant par les

filles que par les garccedilons de lrsquoeacutechantillon pour expliquer leurs premiegraveres

expeacuterimentations avec la drogue ou la deacutelinquance

141 L

ES

FILLES

ET

LES

GARCcedilONS

PLUS

DE

RESSEMBLANCES

QUE DE

DIFFEacuteRENCES

Plusieurs raisons motivant lrsquoadoption de comportements dits deacuteviants

limiteacutes ici agrave la consommation de substances psychoactives et agrave diverses

formes de deacutelinquance apparaissent comme eacutetant communes aux filles et

aux garccedilons de notre eacutechantillon Cela est vrai pour les motifs lieacutes agrave la

consommation drsquoalcool et drsquoautres drogues et pour ceux qui sont lieacutes agrave

des peacuteriodes de diminution ou drsquoarrecirct de cette consommation Crsquoest aussi

le cas pour les motivations que les jeunes filles et garccedilons eacutevoquent pour

expliquer des peacuteriodes ougrave ils commettent un nombre important de deacutelits

et des peacuteriodes ougrave ils en commettent peu ou pas du tout

1411 Motifs de consommation de drogues

Curiositeacute

ndash Plusieurs auteurs se sont inteacuteresseacutes au rocircle que joue la curiositeacute

dans les processus drsquoexpeacuterimentation des drogues (Fagan et Chin 1990

Erickson et Weber 1994 Brochu et Parent 2005) Nos reacutesultats montrent

que la curiositeacute influence le parcours tant des filles que des garccedilons

Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot en secondaire 3hellip ccedila me tentait drsquoessayerccedilahellip tous mes amis avaient deacutejagrave fumeacute Jrsquoai dit laquo bon je vais essayer ccedila raquo

(Minou fille 16 ans milieu scolaire)

Eh bien au deacutebut il y a quelqursquoun qui mrsquoa inviteacute et je me suis dit laquo crsquoestquoi ccedila Je vais essayer ccedila raquo

(Jean 18 ans centre jeunesse)

Du plaisir agrave lrsquooubli ndash

Comme dans plusieurs autres recherches

(Collison 1996 Glauser 1995) le plaisir apparaicirct dans notre eacutetude au

centre des motivations agrave consommer des drogues Les filles comme les

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

garccedilons lrsquoeacutevoquent pour expliquer leur usage de drogues Ils parlent drsquoun

plaisir ludique pour la majeure partie de leur trajectoire deacuteviante parti-

culiegraverement pour le deacutebut de celle-ci

Jrsquoai toujours aimeacute ce feeling-lagrave tu nrsquoes jamais choqueacute tu ris tout le temps

puis tu veux tout le temps niaiserhellip tu nrsquoes jamais down puis le fameux

trip de bouffe aussi quand on fumehellip

(Franck 15 ans milieu scolaire)

Jrsquoai commenceacute agrave fumer du pot avec mon voisin crsquoeacutetait pas pire crsquoeacutetait lefun [rire] je mrsquoennuie de ccedila

(Julienne 15 ans centre jeunesse)

Toutefois ceux et celles qui se rendent agrave un stade de deacutependance

expliquent que ce plaisir srsquoest transformeacute peu agrave peu en un plaisir amneacute-

sique Ainsi certains et certaines en sont venus agrave consommer pour oublier

leurs problegravemes On observe ainsi une discontinuiteacute dans leurs motiva-

tions agrave consommer (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)

Mais tseacute en premier crsquoeacutetait juste pour le fun lagrave Mais agrave un moment donneacuteje me suis rendu compte que jrsquoen avais plus de besoin que drsquoautre chosehellipLagrave je me suis vraiment mis agrave laquo rusher raquo pis la seule issue pas mal que

la seule issue que je me suis trouveacute crsquoest de prendre de la dope prendrede la dope parce que quand jrsquoeacutetais geleacute ben lagrave je ne pensais plus agrave rien

(Antoine 17 ans centre jeunesse)

Au deacutebut crsquoeacutetait plus comme pour le fun apregraves ccedila eacuteteacute pour me faire une

carapace des attaques qursquoil pouvait me faire ou quelque chose

[

son ex-chum

]

Apregraves ccedila crsquoeacutetait pour oublier Crsquoeacutetait beaucoup beaucoup pour oublier cequi pouvait arriver

(Rachel 16 ans centre de toxicomanie)

Appartenance agrave un groupe de pairs ndash

Plusieurs filles et garccedilons de

lrsquoeacutechantillon ont reacuteveacuteleacute que le fait de consommer ou de commettre des

deacutelits leur procurait une valorisation agrave travers leur appartenance agrave un

groupe de pairs

Je me sentais bien avec mon groupe drsquoamis je me sentais mieux je sentaisque je faisais les mecircmes affaires qursquoeux autres pis tu sais jrsquoeacutetais laquo tough raquopis christ moi jrsquoen prends je me sentais dans la gang ccedila fait que jrsquoai bienaimeacute mon expeacuterience

(Charlie fille de 17 ans centre de toxicomanie)

Crsquoeacutetait

[ses deacutelits]

pour me montrer laquo tough raquo pis ecirctre respecteacute aupregraves desautres

[ses copains] (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)

Influence parentale ndash

Des garccedilons et des filles de notre eacutechantillon

ont raconteacute avoir eacuteteacute inciteacutes agrave consommer par leurs parents Ces derniers

les ont initieacutes agrave la consommation de cannabis en particulier Dans certains

cas ils en ont fait une activiteacute familiale plus ou moins reacuteguliegravere

Moi jrsquoai commenceacute agrave fumer des joints avec mon pegravere

(Moh 19 ans jeunede la rue)

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On eacutetait dans un petit chalet dans le bois ma megravere son chum et moiCrsquoeacutetait quand mecircme laquo cool raquo Puis lagrave ils mrsquoont fait fumer un joint tu saisCcedila a eacuteteacute mon deuxiegraveme joint et celui-lagrave mrsquoa geleacutee jrsquoeacutetais perdue

(Mireille17 ans maison de jeunes)

Problegravemes familiaux ndash

Les problegravemes familiaux de diffeacuterents ordres

sont souvent au cœur des reacutecits de vie des jeunes et se rattachent selon

eux agrave leur consommation de drogues Des problegravemes de relations inter-

personnelles entre parents et enfants ou agrave lrsquointeacuterieur de la fratrie ou

encore des difficulteacutes veacutecues par un ou plusieurs membres de la famille

sont eacutevoqueacutes notamment pour expliquer des peacuteriodes de recrudescence

de leur deacuteviance marqueacutees par le deacutesir drsquooublier leurs problegravemes (Brunelle

Brochu et Cousineau 2002b)

Problegraveme crsquoest comme mon pegravere lui il eacutetait plus seacutevegravere tu comprends

[rires]

les Africains crsquoest plus seacutevegravere lagrave Puis moi vu que crsquoeacutetait plus seacutevegravere etpuis que jrsquoai grandi avec deux mentaliteacutes diffeacuterentes crsquoest comme un peuavec la mentaliteacute africaine puis je suis venu ici je te le jure que jrsquoai grandiavec la mentaliteacute ici tu comprends Jrsquoallais agrave lrsquoeacutecole mais je faisais drsquoautresaffaires puis lui

[son pegravere]

il nrsquoaimait pas ccedila fait que lagrave on se chicanaitje mrsquoen allais de chez moi je faisais des fugues lagrave je suis devenu plusdeacutelinquant mes amis ce sont des deacutelinquants jrsquoai commenceacute agrave consommerpuis crsquoest ccedila jusqursquoagrave temps qursquoon mrsquoarrecircte

(Outwall 17 ans centrejeunesse)

Jrsquoavais tellement peur qursquoelle se tue

[sa megravere]

Jrsquoai tout le temps peurComme tseacute elle me parlait qursquoelle avait voulu mourir ou elle disait ben grosqursquoelle prenait une coupe de pilules pis qursquoelle partait elle faisait laplanche Faque jrsquoai toujours peur encore

(Lilianne 16 ans centre detoxicomanie)

Faciliter les deacutelits ndash

Plusieurs jeunes filles et garccedilons ont mentionneacute

que la drogue leur permettait de commettre les deacutelits voulus en leur

fournissant courage et deacutesinhibition (Brunelle Brochu et Cousineau

2000) Certains reacutevegravelent mecircme qursquoelle leur permet drsquooublier du moins

momentaneacutement les conseacutequences de leurs gestes

La drogue crsquoest pour te donner un peu plus de courage Lagrave apregraves si lapersonne veut le faire sans drogue il va le faire sans fumerhellip crsquoest commequand quelqursquoun qui boit pis il va voir une fille apregraves

(William 17 anscentre jeunesse)

Il faut que je donne mon corps pour rembourser Je suis toujours geleacutee quandje fais ccedila Parce que je lrsquoai fait longtemps sans ecirctre geleacutee pis tu te sens pasagrave lrsquoaise Crsquoest une personne inconnue avec qui tu couches tu sais pascrsquoest qui

(Isabelle 16 ans centre jeunesse)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

1412 Motifs de deacutelinquance

Vengeance des abus subis ndash

Afin drsquoexpliquer leurs gestes deacutelinquants en

particulier certaines filles et certains garccedilons de lrsquoeacutechantillon mentionnent

leur deacutesir de venger les abus qursquoils ont subis Comme plusieurs auteurs

lrsquoont deacutejagrave mentionneacute les victimes de violence deviennent parfois eux-mecircmes

auteurs de violence (Hammersley Forsyth et Lavelle 1990 Agnew 1991

Dembo Williams Schmeidler Berry Wothke Getreu Wish et Christensen

1992 Miller et Downs 1995 Alexander 1996) Les jeunes dont il est ici

question ont geacuteneacuteralement adopteacute une trajectoire vraiment deacuteviante que

nous avons nommeacutee trajectoire discontinue marqueacutee par la recherche

drsquoun plaisir amneacutesique (Brunelle Cousineau et Brochu 2002a)

Parce que je suis rentreacutee en centre drsquoaccueil pis je pensais tout de suite laquo Ils vont faire comme ma megravere raquo Crsquoest lrsquoimpression que jrsquoai eue Pis il y aune fois ougrave je me suis faite retirer en retrait pis lagrave je lrsquoai pas pris Jrsquoai dit laquo Ils ont fait comme ma megravere ils vont mrsquoenfermer je ne mangerai pas raquohellipCrsquoest lagrave que ccedila a commenceacute les voies de fait Crsquoest comme jrsquoai eu lrsquoimpressionque ma megravere eacutetait lagrave encore

(Isabelle 16 ans centre jeunesse)

Jrsquoeacutetais frustreacute pour les coups que jrsquoavais pris faque je lrsquoai battu puis crsquoestccedila

(Phency 17 ans centre jeunesse)

Placement en protection de la jeunesse ndash

Quelques jeunes filles et

garccedilons eacutevoquent un sentiment drsquoinjustice subie et de reacutevolte associeacute agrave

leur placement en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse Ce sont

des jeunes fortement impliqueacutes dans la deacutelinquance et geacuteneacuteralement ren-

contreacutes en centre jeunesse

La premiegravere fois que jrsquoai eacuteteacute arrecircteacute crsquoest vrai ccedila a eacuteteacute pour tentative demeurtre jrsquoai essayeacute de poigner deux personnes puis dehors agrave lrsquoexteacuterieurpuis toute ccedila Puis le gars il me cherchait puis lagrave moi jrsquoeacutetais comme reacutevolteacuteaussi dans le sens que je me disais que mes parents mrsquoavaient placeacute puisque crsquoest agrave cause drsquoeux autres que jrsquoeacutetais placeacute puis lagrave ils se sont seacutepareacutesccedila fait que le monde est illeacutegal le monde leacutegal genre je les ai mis ensembleen dernierhellip

(Baby Joker 18 ans centre jeunesse)

Moi je me suis reacutevolteacutee parce que je me suis dit coudon je me suis faitbattre par mes parents je nrsquoavais pas drsquoaffaire en centre drsquoaccueil tseacute Jeme suis dit laquo Non ccedila nrsquoa pas drsquoallure raquo Alors je me suis dit que je neserais pas en centre drsquoaccueil pour rien Pis lagrave je me suis reacutevolteacutee pis ccedilatout ensemble fait que jrsquoai embarqueacute dans les motards

(Isabelle 16 anscentre jeunesse)

Payer sa drogue ndash

La deacutelinquance lucrative en particulier occupe vite

une fonction utilitaire pour les consommateurs et consommatrices de

drogues de notre eacutechantillon Les vols la vente de drogues et la prostitution

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sont au nombre des deacutelits que commettent ces jeunes pour pouvoir consom-

mer de la drogue La vente de drogues apparaicirct rapidement dans leur

trajectoire plus rapidement que chez les adultes consommateurs Nous

faisons lrsquohypothegravese que le faible pouvoir eacuteconomique des adolescents

explique du moins en partie cette reacutealiteacute (Brunelle Brochu et Cousineau

2000) Quoi qursquoil en soit plus la consommation de drogues des jeunes

augmente plus ils sont impliqueacutes dans les deacutelits lucratifs citeacutes Crsquoest

ainsi que certains et certaines atteignent un stade eacuteconomico-compulsif

(Brunelle Brochu et Cousineau 2005)

Au deacutebut de mon secondaire crsquoest lagrave que jrsquoai commenceacute agrave consommer Jemrsquoeacutetais fait des amis de consommation tout ccedila et vu que je nrsquoavais pasgros de revenus et bien jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutelits et des deacutelits Je volaisde lrsquoargent ou des choses comme ccedila des choses qui allaient ecirctre le laquo fun raquopour pouvoir acheter ma consommation

(Jean 18 ans centre jeunesse)

Jrsquoai commenceacute agrave faire beaucoup de coke beaucoup je buvais tous les soirsje nrsquoallais plus agrave lrsquoeacutecolehellip Jrsquoai commenceacute agrave consommer tout le temps tousles jours je consommais je pouvais boire pis je volais tout le temps Ccedilacoucirctait cher agrave un moment donneacute ce nrsquoest pas donneacute pareil lagrave Je vendaisde la drogue pis je volais pour me faire de lrsquoargent pis je travaillais aussitu saishellip Jrsquoai commenceacute agrave faire de la coke pis crsquoest lagrave que jrsquoai deacutecideacute defaire mon vol qualifieacute pour mrsquoen ramasser

(Julienne 15 ans centrejeunesse)

1413 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de consommation

Coucircts trop eacuteleveacutes ndash Agrave la fois des filles et des garccedilons eacutevoquent le fait que

leur consommation est devenue trop coucircteuse pour expliquer qursquoils aient

ralenti ou cesseacute leur usage de drogues agrave un certain moment

La coke jrsquoen ai fait gros mais maintenant je me suis calmeacute parce que agrave unmoment donneacute ccedila coucircte cher (Moh 19 ans jeune de la rue)

Lrsquoalcool bien jrsquoai bu toutes sortes drsquoalcool Mais lagrave je nrsquoen bois plus parceque ccedila coucircte cher (Amitieacutes 18 ans jeune de la rue)

Plaisir disparu ndash Certains jeunes mentionnent que lrsquoeffet ludique

que leur procurait leur usage de drogues a disparu et de ce fait ils ont

arrecircteacute drsquoen prendre ou diminueacute leur consommation

Je nrsquoaime plus ccedila le laquo buzz raquo que ccedila fait (Cerise 16 ans milieu scolaire)

Ben je trouvais ccedila lrsquolaquo fun raquo le hasch Mais agrave la longue agrave lrsquointeacuterieur de soicrsquoest plate parce que tu ne peux pas vraiment te controcircler (Eacutelavien 15 ansmilieu scolaire)

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20 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Trop agrave perdre ou limite atteinte ndash Plusieurs confient que les conseacute-

quences de leur consommation les ont pousseacutes agrave vouloir la diminuer ou

lrsquoarrecircter Ils en sont venus agrave consideacuterer ces conseacutequences comme eacutetant

excessives trop deacutesavantageuses Ces conseacutequences relateacutees par les jeunes

sont drsquoordre physique psychologique et social ainsi que le montrent

chacun des trois extraits drsquoentrevue suivants

Fumer lagrave ccedila me fait vomir puis tu sais tout me rend malade (Julie 17 ansmilieu scolaire)

Je pense que jrsquoai trop fumeacute du pot puis agrave un moment donneacute je suis devenuparanoiumlaque apregraves jrsquoai arrecircteacute tout ccedila pendant deux ans de temps (Jack20 ans jeune de la rue)

Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Faque ccedila mrsquoa deacutecourageacutedrsquoen refumer (Bac 17 ans milieu scolaire)

Inteacutegriteacute morale atteinte ndash Quelques filles et garccedilons associent des

repreacutesentations sociales neacutegatives agrave la consommation de cocaiumlne agrave lrsquoitineacute-

rance et agrave la prostitution et ils les relient aux peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur

trajectoire drsquousage de drogues Ces repreacutesentations sociales les conduisent

agrave croire que leur inteacutegriteacute morale sera trop atteinte srsquoils continuent de

consommer notamment de la cocaiumlne

On commence agrave fumer du crack puis lagrave je baisse mes culottes tu sais il mesuce Le lendemain lagrave [soupir] jrsquoavais tellement honte de moihellip je merespectais avant tu sais je nrsquoaurais jamais fait ccedila je me tapais sur la tecirctepuis lagrave jrsquoavais vraiment honte Jrsquoai lacirccheacute le crack ccedila a eacuteteacute la derniegravere foisque jrsquoen ai fait (Raon 17 ans centre de toxicomanie)

Pis agrave la fin je me suis rendue au point ougrave jrsquoai commenceacute agrave faire de lapoudre et pis je me suis dit laquo Non je ne veux pas commencer agrave vendremon cul sur Sainte-Catherine raquo Je ne me sentais plus bien jrsquoeacutetais vraimentmalheureusehellip (Pamela 16 ans centre de toxicomanie)

Pairs conformistes ndash Ainsi que Esbensen et Elliot (1994) lrsquoavaient

deacutejagrave souligneacute certains reacutepondants et reacutepondantes reacutevegravelent que des peacuteriodes

de diminution de leur usage de drogues sont marqueacutees par des sentiments

positifs associeacutes agrave une identiteacute plus conformiste deacutecoulant de freacutequenta-

tions amicales elles-mecircmes plus conformistes

Jrsquoai quelques bons amis qui mrsquoont aideacutee agrave arrecircter de consommer il y a deuxans Jrsquoai arrecircteacute de battre les gens de faire des conneries Jrsquoai arrecircteacute de metenir avec ma gang Jrsquoai changeacute drsquoamis Crsquoeacutetait du monde normal dumonde comme toi et moi du monde comme ccedila (Isabelle 16 ans centrejeunesse)

TRAJECTOIRES DEacuteVIANTES DE GARCcedilONS ET DE FILLES 21

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Un de mes amis commenccedilait agrave me talonner pour que jrsquoarrecircte de consommerCes gars-lagrave mes vieux amis drsquoenfance ils ne mrsquoont pas lacirccheacute Ils avaientarrecircteacute de consommer et ils ont commenceacute agrave srsquoentraicircner agrave avoir une job agraveavoir une vie normale Ils voulaient que je fasse la mecircme chose Crsquoest lagraveque jrsquoai reacutealiseacute plein drsquoaffaires que jrsquoeacutetais eacutecœureacute de cette vie-lagrave que je mesentais bien quand je ne consommais pas que jrsquoeacutetais quelqursquoun que jrsquoeacutetaisun homme (Nathan 18 ans centre jeunesse)

Amoureux conformiste ndash Dans la mecircme veine des filles et des gar-

ccedilons mentionnent avoir diminueacute leur consommation de drogues agrave des

peacuteriodes dans leur vie ougrave ils avaient un amoureux ou une amoureuse qui

ne consommait pas

Depuis que je sors avec elle je savais qursquoelle nrsquoaimait pas ccedila puis apregraveselle capotait alors jrsquoai reculeacute puis jrsquoai arrecircteacute (Quincy 16 ans maisonde jeunes)

Il ne voulait pas que je fume au deacutebut tu sais il me lrsquoa dit que lui il nefumait pas puis qursquoil nrsquoaimait pas ccedila des filles qui fument puis crsquoest unpeu agrave cause de lui aussi que jrsquoai arrecircteacute de fumer lagrave Depuis que je sors avecon dirait que je trouve ccedila moins dur drsquoarrecircter de fumer lagrave Lui il ne fumepas pantoute il nrsquoa jamais toucheacute agrave ccedila cela fait que moi jrsquoai arrecircteacute defumer lagrave (Cerise 16 ans milieu scolaire)

Autres avenues sports et arts ndash Plusieurs jeunes ont mentionneacute

qursquoils avaient cesseacute ou diminueacute leur consommation de drogues dans des

peacuteriodes ougrave ils srsquoadonnaient agrave des activiteacutes de nature sportive ou artistique

Ils parlent des fonctions occupantes et valorisantes de ces activiteacutes

Je suis devenu un peu moins illeacutegal pendant cet eacuteteacute-lagrave agrave cause du soccerTu sais ccedila mrsquoa bien aideacute ccedila mrsquoa bien gros accrocheacute puis ccedila mrsquoa permisde continuer ma vie et de faire ce que jrsquoavais agrave faire (Philippe 15 anscentre jeunesse)

Mais je pense que ce qui mrsquoa le plus aideacutee crsquoest que jrsquoai fait partie drsquounepiegravece drsquoune troupe de theacuteacirctre pendant deux ans Ccedila me donnait un butdans la vie et quand jrsquoai un but dans la vie le reste ne compte pas (Julie17 ans milieu scolaire)

142 LES GARCcedilONS EN PARTICULIER

Les reacutecits de vie recueillis aupregraves des garccedilons et des filles de lrsquoeacutechantillon

srsquoils se reacutevegravelent semblables agrave bien des eacutegards nrsquoen montrent pas moins

des distinctions dans les types de situations que ces jeunes relient le plus

clairement agrave lrsquoamplification de leur trajectoire deacuteviante Ainsi les garccedilons

parlent davantage de la recherche de plaisir et aussi de situations qui ont

entraicircneacute une reacuteaction agressive de leur part pour expliquer leur trajectoire

de deacutelinquance en particulier Par ailleurs ils font part de raisonnements

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22 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rationnels du type calcul du rapport coucirct-beacuteneacutefice lorsqursquoils racontent

pourquoi ils ont ralenti leur trajectoire de consommation agrave certaines

peacuteriodes de leur vie

1421 Motifs de deacutelinquance

Plaisir ndash Quelques garccedilons mentionnent le plaisir ressenti au moment de

commettre des deacutelits pour expliquer leur deacutelinquance Les filles nrsquoen font

pas mention

Les intros ces affaires-lagrave crsquoeacutetait juste pour le trip parce que je nrsquoen avaispas besoin drsquoargent jrsquoen faisais beaucoup en vendant de la dopehellip Ccedila merapportait rien ccedila me rapportait du fun (Oscar 18 ans centre jeunesse)

Pis lagrave jrsquoai commenceacute agrave me battre avec pis je ne sais pas jrsquoavais aimeacute ccedilaPis il eacutetait agrave terre plein de sang pis jrsquoavais comme un sentiment de pouvoirenvers lui Pis depuis ce temps-lagrave jrsquoy ai pris plaisir (Sacha 17 ans centrejeunesse)

Vengeance des abus subis par drsquoautres ndash Quelques garccedilons ont expli-

queacute certains de leurs deacutelits de violence en reacuteveacutelant qursquoils voulaient venger

des proches qui ont eacuteteacute abuseacutes comme pour deacutefendre leurs inteacuterecircts

[hellip] lagrave jrsquoai ressauteacute dessus [sur son beau-pegravere] Crsquoest comme tseacute crsquoeacutetaitplus de lrsquoaccumulation tseacute le temps lagrave Tseacute jrsquoeacutetais petit pis je le voyaistaper sur ma megravere pis tout Pis crsquoeacutetait comme agrave peu pregraves tout ce que jrsquoavaislagrave ma megraverehellip Tseacute je veux dire crsquoest comme srsquoil mrsquoavait arracheacute tout ce quime restaithellip Pis il fallait que je le fasse sentir au moins un petit peu commeil mrsquoavait fait sentir tseacutehellip Pis une grande gueule comme qursquoil est il acontinueacute pis lagrave jrsquoai comme laquo pitcheacute raquo le rouleau agrave pacircte pis je lrsquoai atteintau-dessus de lrsquoœil Pis lagrave ccedila srsquoest mis agrave saigner pis tout tseacutehellip (Louis17 ans centre jeunesse)

Lagrave il y avait plein de sang partout lagrave je capotais Lagrave je vois ma petitesœurhellip Mon fregravere me saute dessus il me dit laquo Elle srsquoest faite violer piscrsquoest un estie de negravegre qui lui a fait ccedilahellip raquo Lagrave depuis ce temps-lagrave les noirsccedila eacuteteacute fini fini fini Depuis ce temps-lagrave je suis devenu agressif tabarnachellipCrsquoest depuis ce temps-lagrave que je suis devenu violent pas mal sur les bords(Christian 17 ans centre jeunesse)

Un instinct de survie ndash Certains jeunes reacutepondants affilieacutes agrave des

gangs de rue ont eacutevoqueacute une forme de leacutegitime deacutefense pour expliquer

qursquoils aient commis des deacutelits violents

Crsquoest lagrave que jrsquoai lacirccheacute tous les noirs pis lagrave apregraves ccedila quand tu deacutebarquesdrsquoune gang lagrave-bas trsquoes un estie tu te fais traiter de conhellip Faque je me suisbattu en masse pis je suis devenu violent en tabarnac il fallait que je medeacutefende je nrsquoavais pas le choix (Christian 17 ans centre jeunesse)

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Ccedila ne me deacuterange pas de tuer srsquoil y en a un en avant de moi qui veut mefaire chier et que je vois dans ses yeux qursquoil veut me tuer eh bien je vaisle tuer avant qursquoil le fasse crsquoest simple (Moh 19 ans jeune de la rue)

Une laquo susceptibiliteacute raquo agressive ndash Certains garccedilons ont raconteacute avoir

eacuteteacute violents envers drsquoautres jeunes en reacuteponse agrave un comportement de leur

part qursquoils jugeaient offensant

Une autre fois il y en avait un qui mrsquoeacutenervait puis le lendemain jrsquoaiapporteacute un couteau agrave lrsquoeacutecole Puis je me battais apregraves lrsquoeacutecolehellip (William17 ans centre jeunesse)

Chaque fois que quelqursquoun disait quelque chose de pas correct sur moijrsquoallais le chercher et je le battaishellip (Steacutephane 17 ans centre jeunesse)

1422 Motifs de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation

Meilleure harmonie familiale ndash Mecircme si certains garccedilons disent avoir eacuteteacute

initieacutes aux drogues par leurs parents drsquoautres expliquent qursquoils ont cesseacute

ou diminueacute leur consommation afin de preacuteserver la paix avec leurs parents

ou par attachement parental

Ccedila fait que quand je suis revenu chez nous ma megravere jrsquoai eu le droit agrave unbeau savon parce que je sentais le pot agrave plein nez Ccedila fait que ccedila mrsquoaencourageacute agrave ne pas en refumer Mettons que ccedila mrsquoencourage agrave pas fumerde la drogue aussi souvent devenir un leacutegume agrave cause de ccedila ccedila mrsquointeacuteressepas fumer Ccedila fait que ccedila ma megravere celle-lagrave elle lrsquoa jamais su je trouveque crsquoest peut-ecirctre bien agrave quelque part peut-ecirctre qursquoelle mrsquoaurait sucircrementre-peacuteteacute une coche comme la derniegravere fois Je trouve ccedila mieux de mecircme ellesait que je nrsquoen prends pas pis je nrsquoai pas inteacuterecirct agrave en prendre de un etde deux je nrsquoaime pas ccedila (Bac 17 ans milieu scolaire)

Agrave un moment donneacute jrsquoai consommeacute pendant deux semaines tregraves intensi-vement puis je me suis eacutecœureacute Je me suis dit laquo Pourquoi Qursquoest-ce queccedila change raquo Crsquoest surtout que mes parents ne le savaient pas Agrave chaquefois que jrsquoarrivais agrave la maison je ne savais jamais si mes parents srsquoenrendraient compte toutes les fois tu comprends Et puis je me suis tanneacutedrsquoavoir peur et jrsquoai reacutealiseacute que ccedila ne me donnait rienhellip (Samuel 16 ansmaison de jeunes)

Trop agrave perdre ou rien agrave gagner une reacuteflexion laquo rationnelle raquo ndash De

maniegravere particuliegraverement rationnelle certains garccedilons calculent qursquoils ont

trop agrave perdre ou rien agrave gagner agrave consommer des drogues

Ccedila fait 4 mois que jrsquoai arrecircteacute pour la peacuteriode drsquoexamen parce que je savaisque ccedila me rendait genre un petit peu cellule dans ma tecircte (Arnold 15 ansmilieu scolaire)

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24 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Aujourdrsquohui la cour me lrsquoa encore obligeacute de travailler ma consommationsauf que je suis conscient du besoin que jrsquoai de geacuterer ma consommation eten plus on a vendu notre maison agrave Trois-Riviegraveres ma megravere srsquoen va habiteragrave Longueuil et moi je poursuis mes eacutetudes au professionnel agrave Trois-Riviegraveresalors je vais me retrouver en appartement Pour ccedila il faut de lrsquoargent et sije fume trop comme je fumais avant eh bien je nrsquoaurai plus drsquoargent pourpayer mon loyer et tout ccedila Cela fait que je vais avoir un problegraveme Crsquoestpour ccedila que je mrsquoimplique reacuteellement dans mon atelier de toxicomanie(Jean 18 ans centre jeunesse)

Pour reacuteussir une carriegravere deacutelinquante ndash Certains garccedilons de lrsquoeacutetude

mentionnent qursquoils ont cesseacute ou diminueacute leur usage de drogue ou de

certaines drogues pour srsquoassurer de faire beaucoup de profits illeacutegaux ou

pour eacuteviter de se faire arrecircter par les policiers

Quelqursquoun qui vend un vendeur lagrave ccedila ne touche pas comme un gars quivend du crack il ne touche pas au crack Sinon crsquoest lui qui fume sonstock Ben moi je ne fume pas de crack alors je peux vendre (William17 ans centre jeunesse)

Un bon voleur ok il ne va jamais faire ses affaires quand il est chaud ougeleacute tu as pas mal plus de risque de te faire prendre (Outwall 17 anscentre jeunesse)

143 LES FILLES EN PARTICULIER

Peu de chose distinguent speacutecifiquement les filles sinon le fait deacutejagrave men-

tionneacute qursquoune grande partie de leur reacutecit srsquoarticule autour du besoin de

plaire aux pairs deacuteviants pour expliquer leur consommation de drogues

ou leur implication dans la deacutelinquance et le fait que parmi les motifs de

sortie se trouve la reacuteponse agrave un ultimatum parental

1431 Motif de consommation

Un vide affectif ndash Certaines filles reacutevegravelent consommer des drogues pour

combler un sentiment de vide drsquoamour

Mais tseacute je voulais prouver que jrsquoeacutetais vieille de caractegravere que jrsquoeacutetaisquelqursquoun Pour qursquoils mrsquoaiment parce que je me sentais ben gros pas aimeacute(Pamela 16 ans centre de toxicomanie)

Parce que je ne voulais pas ressentir le vide que jrsquoai en dedans un videinteacuterieur de ne pas recevoir de lrsquoamour autant que je voudrais tout le tempsce vide agrave combler tu sais (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)

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1432 Motif de diminution ou drsquoarrecirct de la consommation

et de la deacutelinquance

Ultimatum parental ndash Afin de preacuteserver une relation relativement satisfai-

sante avec leur pegravere ou leur megravere ou afin de lrsquoameacuteliorer certaines filles

disent avoir diminueacute ou cesseacute leur consommation drsquoune ou de plusieurs

drogues agrave leur demande ou parce qursquoelles ont compris qursquoautrement elles

se feraient rejeter

Apregraves cet eacuteveacutenement-lagrave jrsquoai reconsommeacute jrsquoai recontinueacute agrave vendre tu saisccedila nrsquoavait pas cliqueacute dans ma tecircte pis euh quand que ma megravere a trouveacutemon sac de ziploc dans ma sacoche elle a dit laquo je suis eacutecœureacutee raquo elle adit laquo jrsquoabandonne raquo elle a dit laquo je trsquoabandonne raquo elle a dit laquo je ne peuxplus rien faire pour toi raquo elle a dit laquo fais donc ce que tu veux je mrsquoencalice raquo Ccedila fait que crsquoest lagrave que ccedila a cliqueacute laquo jrsquoai un problegraveme raquo pis lagravejrsquoai peacuteteacute les plombs je braillais pis laquo qursquoest-ce que je vais faire raquo Crsquoest lagraveque je suis alleacutee voir Juliette lrsquointervenante en toxico jrsquoai dit lagrave lagrave fais dequoi (Charlie 17 ans centre de toxicomanie)

Je ne vole plus maintenant Je me suis calmeacutee parce que je me suis dit quesi je me faisais prendre encorehellip ce nrsquoest pas que jrsquoai peur ou que je mesens mal crsquoest juste qursquoils vont appeler ma megravere Je ne veux pas que mamegravere soit choqueacutee apregraves moi Crsquoest trop je lui ai causeacute assez de maux detecircte comme ccedila Apregraves tout je veux continuer de rester avec elle sinon ougravejrsquoirais Je ne veux pas aller habiter avec mon pegravere il est beaucoup tropseacutevegravere (Anouk 16 ans maison de jeunes)

CONCLUSION

Dans son bilan des recherches sur lrsquousage de drogues des jeunes Queacutebeacutecois

depuis les anneacutees 1960 Le Blanc (2005) conclut que les eacutetudes relatives

aux eacuteleacutements qui preacutecipitent la consommation et surtout agrave ceux qui en

facilitent lrsquoarrecirct sont encore trop peu nombreuses Nous avons voulu

apporter une compreacutehension compleacutementaire et diffeacuterente au corpus de

recherches deacutejagrave existant en nous centrant sur la lecture que font les

adolescents de leur trajectoire drsquousage de drogues et de deacutelinquance Non

seulement les motifs eacutevoqueacutes par les jeunes pour expliquer qursquoils consom-

maient ou qursquoils commettaient des deacutelits agrave certaines peacuteriodes de leur vie

eacutetaient rechercheacutes mais aussi ceux qursquoils ont eacutevoqueacutes relativement aux

peacuteriodes ougrave ils diminuaient ou cessaient leur implication deacuteviante De

plus il est apparu important de faire cet exercice en distinguant les filles

et les garccedilons Trop souvent en effet on a conclu agrave lrsquoinsignifiance de la

deacutelinquance des filles en srsquoappuyant sur des donneacutees statistiques issues de

sources policiegraveres ou judiciaires donneacutees qui indiquent une tregraves faible

preacutesence des filles au sein de la population de jeunes deacutelinquants eacutetudieacutee

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26 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Devant ce constat plusieurs chercheurs ont convenu de faire porter leurs

eacutetudes sur le seul groupe des deacutelinquants de sexe masculin repoussant

dans lrsquoombre la speacutecificiteacute possible de la deacutelinquance des filles et de son

traitement judiciaire et peacutenal

Essentiellement on constate que les motifs eacutevoqueacutes par les filles et les

garccedilons pour consommer des drogues et commettre des deacutelits sont dans

la plupart des cas les mecircmes curiositeacute plaisir oubli appartenance agrave un

groupe de pairs problegravemes familiaux vengeance des abus subis person-

nellement Les raisons que filles et garccedilons associent agrave des peacuteriodes de

diminution ou drsquoarrecirct de ces comportements deacuteviants sont aussi geacuteneacutera-

lement les mecircmes conseacutequences physiques psychologiques et sociales

devenues intoleacuterables pairs ou amoureux conformistes activiteacutes alterna-

tives agrave la consommation Ainsi contrairement agrave ce qursquoon avait pu croire

en se fiant aux statistiques portant sur la deacutelinquance juveacutenile une cer-

taine forme drsquoandrogynie (Cloutier 1996) apparaicirct au moment de consi-

deacuterer les motivations que les filles et les garccedilons associent au deacutebut et au

maintien de leur implication dans une trajectoire deacuteviante

Sur le plan de lrsquointervention il paraicirct inteacuteressant de srsquoattarder au rocircle

particulier que jouent lrsquoassociation agrave des pairs conformistes et les alterna-

tives agrave la consommation entraicircnant des peacuteriodes drsquoaccalmie et mecircme drsquoabs-

tinence dans les comportements deacuteviants des jeunes des deux sexes Il y a

lagrave certainement des pistes drsquointervention qui se dessinent se concreacutetisant

notamment par la mise en œuvre de projets positifs susceptibles de susciter

lrsquointeacuterecirct et lrsquoinvestissement des jeunes deacuteviants qui pourraient y participer

de concert avec des jeunes plus conformistes

Des caracteacuteristiques propres aux garccedilons sont toutefois deacutecelables

dans le mateacuteriel recueilli aupregraves des jeunes reacutepondants La recherche du

plaisir ainsi que des reacuteactions agressives se deacutegagent de leurs motivations

agrave commettre des deacutelits et pas de celles deacutevoileacutees par les filles Ici il y a

lieu de srsquoattarder au caractegravere souvent impulsif des garccedilons et agrave leur

recherche constante de gratification immeacutediate et drsquoen tenir compte dans

la planification de lrsquointervention

Pour expliquer une accalmie dans leur trajectoire de consommation

certains jeunes garccedilons estiment avoir eu trop agrave perdre sur les plans fami-

lial scolaire ou des conditions drsquohabitation Ils eacutevoquent aussi le fait que

leur usage de drogues pouvait nuire agrave leur laquo carriegravere deacutelinquante raquo Le

raisonnement arithmeacutetique associeacute aux garccedilons peut ecirctre eacutevoqueacute ici

(Cloutier 1996) Lrsquoexercice de prise de deacutecision soupesant les avantages

et les deacutesavantages drsquoune situation de consommation paraicirct approprieacute

pour les garccedilons dans la mesure ougrave on les laisse aborder eux-mecircmes les

aspects neacutegatifs de leur usage de drogues Il srsquoagit drsquoailleurs lagrave drsquoune

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strateacutegie qui srsquoest reacuteveacuteleacutee utile dans le cadre de lrsquoapproche motivationnelle

de plus en plus conseilleacutee pour lrsquointervention preacuteventive et de reacuteadaptation

meneacutee aupregraves des jeunes consommateurs de drogues (Prochaska Norcross

et DiClemente 1994)

Quant aux filles elles se distinguent des garccedilons lorsqursquoelles invoquent

un manque drsquoamour pour expliquer leur consommation Elles sont aussi

les seules agrave faire reacutefeacuterence agrave une forme drsquoultimatum parental lorsqursquoelles

mentionnent les peacuteriodes drsquoaccalmie dans leur trajectoire deacuteviante Cloutier

(1996) dirait probablement que ces reacutesultats sont lieacutes au processus iden-

titaire feacuteminin lequel se caracteacuterise par une constante reacutefeacuterence au rap-

port aux autres Une intervention faisant appel agrave la famille et visant agrave

deacutevelopper des relations saines entre ses membres se preacutesente degraves lors

comme une avenue inteacuteressante pour les filles en venant notamment

combler le vide affectif que celles-ci deacutenoncent

Lrsquoexercice qui consiste agrave demander agrave des jeunes de se raconter dans

le cadre drsquoune entrevue semi-directive srsquoest aveacutereacute tregraves profitable pour

approfondir nuancer et qualifier les connaissances sur leurs trajectoires

drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence Il apparaicirct indis-

pensable pour bien comprendre les jeunes et intervenir aupregraves drsquoeux

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TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

Diversiteacute des cheminements

et effets de geacuteneacuteration au sein

des milieux populaires en France

M

ICHEL

K

OKOREFF

Universiteacute Paris VCESAMES (CNRSndashINSERMndashParis V)

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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce chapitre part de la notion de laquo carriegraveres raquo telle qursquoelle est deacutefinie par

Howard Becker (1963) et en propose une lecture renouveleacutee dans un

contexte social et urbain et agrave propos de pratiques speacutecifiques Il srsquoapplique

agrave deacutecrire et agrave analyser les carriegraveres des usagers et des revendeurs de

drogues consideacutereacutees dans leurs dimensions territoriales dans les quartiers

pauvres Il srsquoappuie essentiellement sur des entretiens de type qualitatif

aupregraves drsquoindividus rencontreacutes pour la plupart en deacutetention

1

Une enquecircte

par observation meneacutee durant plusieurs anneacutees dans plusieurs communes

de la reacutegion parisienne et une analyse de la construction des affaires por-

tant sur des infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants dans la juridiction

de reacutefeacuterence constituent lrsquoarriegravere-plan de cette recherche qualitative elles

rendent possible une mise en situation de ce que nous avons appeleacute des

laquo reacutecits de carriegraveres raquo (Duprez et Kokoreff 2000) Agrave partir de ces donneacutees

il srsquoagit de mettre en relief les facteurs structurant les carriegraveres crsquoest-agrave-dire

des processus qui conduisent au deacuteveloppement de ces conduites illicites

dans un monde social donneacute Plus preacuteciseacutement on se propose drsquointerroger

lrsquoinfluence de lrsquoappartenance agrave une geacuteneacuteration sur les modaliteacutes drsquoenga-

gement dans le trafic consideacutereacute essentiellement agrave lrsquoeacutechelle locale

Nous commencerons par expliciter cette probleacutematique puis nous

distinguerons deux types de cheminements au sein de ce monde social

lrsquoun centreacute sur la consommation drsquoheacuteroiumlne agrave lrsquointeacuterieur drsquoune cohorte

neacutee au deacutebut des anneacutees 1960 lrsquoautre marqueacute par une entreacutee dans le

trafic de divers produits au cours des anneacutees 1990 avant de souligner la

diffeacuterenciation des positions dans le trafic

21 LA DYNAMIQUE DES CARRIEgraveRES SELON

LES GEacuteNEacuteRATIONS

Tout se passe aujourdrsquohui en France tout au moins comme si lrsquoengage-

ment dans le trafic de drogues illicites eacutetait le destin des pauvres inheacuterent

aux conditions de vie et de socialisation Or une telle repreacutesentation

largement inteacuterioriseacutee tant par les habitants des quartiers et les acteurs

locaux que par lrsquoopinion publique est doublement reacuteductrice Elle parti-

cipe tout drsquoabord drsquoun effet de meacuteconnaissance de la reacutealiteacute sociale de

1 Ce mode de seacutelection agrave partir du processus peacutenal constitue bien eacutevidemment unlaquo biais raquo Il conduit agrave la surrepreacutesentation drsquoune cateacutegorie de personnes selon unelogique ougrave lrsquoorigine sociale la nationaliteacute et les preacuteceacutedents jouent un rocircle consideacuterableCela eacutetant les caracteacuteristiques de cette population sont tregraves proches de celle que lechercheur est ameneacute agrave rencontrer dans les quartiers et qui srsquoavegravere la plus visible

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES

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ces pratiques qui deacutepasse largement lrsquohorizon borneacute des quartiers HLM

Elle occulte ensuite la diversiteacute interne des carriegraveres dans la drogue au

sein des mondes populaires Autrement dit contrairement aux ideacutees

reccedilues les jeunes des citeacutes ne sont pas tous des

dealers

ndash comme ils ne

sont pas tous impliqueacutes durablement dans un systegraveme de vie structureacute

autour de la deacutelinquance

2

Par ailleurs cette mise en repreacutesentation

sociale des figures urbaines des deacuteviances juveacuteniles preacutesente un inconveacute-

nient majeur elle ne permet pas ensuite de comprendre les diffeacuterentes

phases des carriegraveres dans le monde de la drogue aussi bien que la varieacuteteacute

des cheminements crsquoest-agrave-dire de reacutepondre agrave la question laquo Comment

devient-on

dealer

raquo

211 A

U

-

DELAgrave

DU

FEacuteTICHISME

CONCEPTUEL

L

rsquo

ANALYSE DES PROCESSUS

Lrsquointeacuterecirct de la notion de laquo carriegravere raquo telle qursquoelle a eacuteteacute appliqueacutee au

domaine des conduites deacuteviantes par Becker (1963) dans le prolongement

de Hughes (1958) vise agrave reacutepondre agrave ce type drsquointerrogation Cette notion

consiste agrave prendre en compte les dimensions agrave la fois objectives et subjec-

tives drsquoune succession drsquoactions En ce sens elle est un moyen terme entre

les approches des trajectoires de vie de type deacuteterministe et celles qui sont

plus attentives aux singulariteacutes biographiques Il srsquoagit drsquoun laquo pont raquo entre

trajectoires objectives et trajectoires subjectives (Dubar 1998) qui peut

donner lieu agrave des approches tant qualitatives que quantitatives (Peretti-

Watel 2001) Lrsquoun des apports de ces travaux est de resituer des pratiques

dans des parcours et des contextes sociaux ougrave jouent aussi bien les rela-

tions avec les familles et les groupes de pairs que celles avec les institutions

reacutepressives sanitaires ou sociales Loin de constituer un chemin traceacute

drsquoavance un effet de destin les carriegraveres sont le produit de

lrsquointeraction

entre ces diffeacuterents eacuteleacutements Ce qui conduit agrave mettre en relief les tem-

poraliteacutes dans lesquelles srsquoinscrivent ces pratiques crsquoest-agrave-dire les seacutequences

ou les phases les moments et les seuils les points de rupture ou de

bifurcation constitutifs des carriegraveres dans un monde social donneacute toujours

en interaction avec drsquoautres mondes sociaux (les policiers les magistrats

les travailleurs sociaux et intervenants speacutecialiseacutes etc)

2 Pour une tentative de classification des jeunes habitant les quartiers HLM voir notam-ment Begag et Delorme 1994 Jazouli 1995 Oberti 1999

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cela eacutetant la notion de carriegravere preacutesente aussi des limites

3

Lrsquoaccent

mis sur ce laquo qui fait de la deacuteviance un genre de vie raquo (Becker 1963) sur

la consommation plus que sur le trafic conduit agrave deacutelaisser les facteurs lieacutes

aux conditions de vie et au cadre urbain Or dans les contextes eacutetudieacutes

les effets de milieu ndash au sens eacutecologique du terme ndash lrsquoaccumulation des

difficulteacutes sociales et personnelles les ruptures biographiques qursquoelles

impliquent sont des facteurs tregraves preacutegnants dans le deacuteveloppement des

pratiques illicites pouvant entraicircner deux conseacutequences Drsquoune part on

peut estimer que les logiques sont autant de contraintes qui interviennent

en amont des pratiques Lrsquoanalyse des trajectoires sociales srsquoinscrit dans

cette perspective avec le risque drsquoun glissement vers un modegravele balistique

(Chamboredon 1971) de celles-ci Ce qui serait occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

des trajectoires des laquo jeunes toxicomanes des banlieues raquo (Bouhnik 1994)

Drsquoautre part la notion drsquoengagement utiliseacutee par les interactionnistes

srsquoavegravere difficile agrave manier Elle amegravene agrave consideacuterer les usagers de drogues

comme des acteurs de leur histoire (et non comme de simples agents ou

malades) agrave repeacuterer les dilemmes auxquels ils ont agrave faire face et les reacuteponses

qui y sont apporteacutees Comment consideacuterer comme un laquo engagement raquo ce

qui paraicirct ecirctre une suite de petites coupures Sur le plan meacutethodologique

on bute ici sur un problegraveme que Passeron (1989) a bien mis en relief

comment faire la part de lrsquoaspect indissociablement contraignant non voulu

(objectiveacute) et veacutecu comme personnel (subjectiveacute) drsquoune biographie

4

Agrave

cette difficulteacute srsquoajoutent les effets de sens associeacutes agrave cette notion qui

rendent son usage parfois ambigu au-delagrave du cercle des speacutecialistes Enfin

en deacutepit des preacutecautions drsquousage le terme de carriegravere a une reacutesonance

particuliegravere associeacute qursquoil est au modegravele de la reacuteussite en particulier

lorsqursquoil est accoleacute aux activiteacutes de revente et de distribution dans des

quartiers de misegravere

Jrsquoai donc preacutefeacutereacute adopter dans ce texte la notion de laquo cheminements raquo

Situeacutee dans le mecircme registre seacutemantique que les notions de trajectoire

parcours itineacuteraire ligne biographique ou ligne de vie cette notion me

semblait aussi plus neutre Lrsquoideacutee forte eacutetait de suggeacuterer le caractegravere non

lineacuteaire reacuteversible accidenteacute bref la complexiteacute des processus lieacutes agrave

lrsquousage de drogues sans bien entendu dissiper totalement les problegravemes

3 La litteacuterature speacutecialiseacutee anglo-saxonne visant agrave discuter les travaux de Becker et agraverevisiter les donneacutees utiliseacutees est vaste Voir les contributions reacutecentes de Hathaway(1997)

4 Voir agrave ce propos les travaux des chercheurs canadiens sur les laquo biogrammes raquo Il srsquoagitdrsquoarticuler des donneacutees quantitatives et qualitatives sur la base de calendriers reacutealiseacutes agravepartir de la consultation de dossiers officiels qui sont compleacuteteacutes et approfondis aumoyen drsquoentrevues semi-dirigeacutees De la sorte la chronologie des eacuteveacutenements est eacutetablieen parallegravele avec ce qui a fait sens dans les trajectoires des deacutelinquants au cours destrois derniegraveres anneacutees Voir Brochu da Agra et Cousineau (2002)

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eacutevoqueacutes Sans ceacuteder au feacutetichisme conceptuel souvent de mise au sein des

sciences sociales crsquoest bien cet aspect qursquoil faut retenir au regard des

donneacutees recueillies

Afin de restituer cette complexiteacute on se propose de probleacutematiser

les liens entre carriegraveres et geacuteneacuterations En quoi les appartenances de

geacuteneacuteration ou de cohorte

5

influent-elles sur le deacuteveloppement des carriegraveres

en particulier dans le trafic de drogues Dans quelle mesure permettent-

ils de rendre compte de la varieacuteteacute des parcours ou des configurations

biographiques en relation avec drsquoautres facteurs (sociaux familiaux ter-

ritoriaux institutionnels)

6

212 L

ES

EFFETS

DE

GEacuteNEacuteRATION

Il est banal de consideacuterer la drogue comme un pheacutenomegravene de geacuteneacuteration

En ce qui concerne les usagers drsquoheacuteroiumlne on distingue geacuteneacuteralement

deux geacuteneacuterations Celle des anneacutees 1970 eacutetait composeacutee pour une grande

part de jeunes de couches moyennes et supeacuterieures dont le rapport agrave la

drogue eacutetait deacutefini par la contre-culture plutocirct que par le cumul des

handicaps sociaux Celle des anneacutees 1980 appartenait en revanche agrave la

jeunesse des classes populaires particuliegraverement toucheacutees par le chocircmage

de masse et la preacutecariteacute Drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre on a assisteacute agrave une

diffusion verticale de lrsquousage de drogues et agrave une extension des produits

consommeacutes qui ont modifieacute leur repreacutesentation sociale drsquoun attribut

contre-culturel la drogue est (re)devenue un laquo fleacuteau social raquo (Mauger

1984) Crsquoest aussi le traitement institutionnel qui distingue ces deux geacuteneacute-

rations Si en effet la premiegravere a constitueacute la clientegravele de base du dispo-

sitif de soins speacutecialiseacutes qui srsquoest progressivement mis en place apregraves la loi

de 1970 la seconde a eu difficilement accegraves agrave des structures peu adapteacutees

5 On nrsquoignore pas les difficulteacutes que posent les notions souvent confondues de geacuteneacuterationet de cohorte Selon la deacutefinition geacuteneacuterale que peut en donner la deacutemographie unecohorte est constitueacutee drsquoun ensemble drsquoindividus qui ont veacutecu un eacuteveacutenement semblablependant la mecircme peacuteriode de temps Dans ce sens la geacuteneacuteration pourra ecirctre deacutefiniecomme une laquo cohorte de naissance raquo Afin de dissiper cette ambiguiumlteacute certains socio-logues reacuteservent le terme de geacuteneacuteration au domaine de la parenteacute drsquoautres en fontlrsquoeacutequivalent drsquoune position de classe drsquoautres encore insistent sur le fait drsquoavoir veacutecules mecircmes expeacuteriences collectives Ces questions de deacutefinition sont indissociables decelles plus techniques qui consistent agrave diffeacuterencier les effets de geacuteneacuteration (lrsquoapparte-nance agrave une cohorte de naissance particuliegravere) les effets drsquoacircge (qui relegravevent du vieillis-sement) et les effets de peacuteriode (srsquoexerccedilant sur tous les membres drsquoune socieacuteteacute quelque soit lrsquoacircge) Elles seront peu abordeacutees en tant que telles ici lrsquoarticle eacutetant centreacutesur les aspects empiriques de la dynamique des carriegraveres selon les geacuteneacuterations

6 Voir dans un autre domaine (les personnes heacutemophiles) mais agrave partir drsquoune approchecomparable les analyses stimulantes consacreacutees par Carricaburu (2000) aux laquotrajectoiresde maladie raquo

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de surcroicirct agrave ses caracteacuteristiques sociologiques et sanitaires (Bergeron

1999) La proleacutetarisation de la consommation a eacuteteacute synonyme drsquoun rabat-

tement de la toxicomanie sur la deacutelinquance urbaine

Sans doute cette opposition traduite en termes de classes sociales

(moyennespopulaires) devrait-elle ecirctre affineacutee Non parce que ce voca-

bulaire serait devenu deacutesuet mais pour deux raisons essentielles distin-

guer plusieurs phases pour comprendre lrsquoapparition et la diffusion des

drogues dans les quartiers de releacutegation drsquoune part prendre en compte

agrave cocircteacute des pratiques de consommation les pratiques de revente qui consti-

tuent le fait majeur des anneacutees 1990 drsquoautre part Dans ce sens on pourrait

distinguer non pas deux geacuteneacuterations mais quatre cohortes

Pour en rester aux milieux populaires force est de constater que les

enfants des familles ouvriegraveres drsquoorigine franccedilaise ou eacutetrangegravere qui ont

eu 20 ans au deacutebut des anneacutees 1970 nrsquoont pas connu les drogues ndash en

tout cas pas lrsquoheacuteroiumlne et accessoirement le cannabis dans le cas restant

limiteacute des eacutetudiants Si certains quartiers sont des foyers de deacutelinquance

notoire ougrave lrsquoexistence de bandes se traduit par divers meacutefaits (vols bra-

quages homicides etc) la drogue est apparenteacutee agrave la bourgeoisie et est

signe de faiblesse La persistance des codes sociaux des anciens voyous

peut expliquer que lrsquoarriveacutee massive de lrsquoheacuteroiumlne dans drsquoanciennes citeacutes

ouvriegraveres ait pu ecirctre retardeacutee au cours des anneacutees 1980 alors que dans drsquoautres

citeacutes moins structureacutees elle soit survenue degraves le deacutebut des anneacutees 1970

7

Dans son reacutecit de lrsquoitineacuteraire collectif des jeunes Algeacuteriens (ou drsquoorigine

algeacuterienne) neacutes agrave Nanterre Colombes ou Gennevilliers qui ont grandi

dans les bidonvilles puis les citeacutes de transit Lefort (1980) nrsquoaborde pas

cette question Deux raisons peuvent ecirctre invoqueacutees Drsquoune part lrsquoorga-

nisation sociale des bidonvilles consideacutereacutes comme un veacuteritable quartier

suburbain (Peacutetonnet 1982) conduit agrave un rejet de tout ce qui nrsquoest

pas le groupe eacutetroit La situation politique apregraves la fin de la guerre drsquoAlgeacuterie

et le vide laisseacute par le deacutepart des cadres du Front national de libeacuteration

(FNL) renforcent cette meacutefiance Celle-ci se porte sur les journalistes

autant que sur les gauchistes dont les comportements sont deacutecrits comme

ceux de missionnaires La peacutedophilie

8

tregraves preacutesente dans les anneacutees 1960

renforce cette deacutefense du territoire Il ne pouvait donc y avoir de revente

7 Sur les processus drsquoimmunisation et drsquoacceacuteleacuteration de la deacuteviance voir les remarquesde Becker (1963 p 59-61) sur le rocircle des facteurs structurels voir Fagan (1995)

8 Traditionnellement la laquo zone raquo est un lieu ougrave les bourgeois viennent srsquoencanailler Defait dans les anneacutees 1960 les membres de milieux aiseacutes ont des relations sexuelles avecdes jeunes garccedilons arabes tout particuliegraverement Lefort (1980) mentionne bien ceproblegraveme et comment il a eacuteteacute geacutereacute par la police agrave partir drsquoune logique de cantonnementque lrsquoon retrouvera plus tard agrave propos du trafic de drogues

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de drogues agrave ce moment-lagrave Si certains teacutemoignages signalent une con-

sommation de cannabis elle est le fait des laquo vieux raquo qui se maintiennent

agrave bonne distance des laquo jeunes raquo Et lorsque des jeunes commencent agrave

prendre du cannabis et de lrsquoheacuteroiumlne ils le font de faccedilon cacheacutee dans un

cas et agrave lrsquoexteacuterieur de leur espace de vie agrave Paris dans lrsquoautre comme on

le verra plus loin

En fait crsquoest parmi les fregraveres cadets que lrsquoheacuteroiumlne se diffuse Neacutes

dans la premiegravere partie des anneacutees 1960 ces jeunes commencent agrave consom-

mer dans la seconde partie des anneacutees 1970 parfois de faccedilon preacutecoce (agrave

16 ans et moins) Selon les teacutemoignages recueillis crsquoest vers 1982-1983 que

lrsquoon assiste agrave lrsquoeacutemergence de la toxicomanie chez les jeunes filles qui

restera malgreacute tout discregravete dans le contexte eacutetudieacute Quels sont les facteurs

qui ont rendu possible

la diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers popu-

laires peacuteripheacuteriques Quelle forme speacutecifique les carriegraveres ont-elles prise

On verra comment la carriegravere des jeunes des quartiers a eacuteteacute ponctueacutee par

le passage de la laquo petite deacutelinquance raquo agrave lrsquousage puis de la deacutependance au

trafic avant drsquoentrer dans un cycle de vie marqueacute par drsquoinnombrables

seacutejours en prison

Une seconde coupure peut ecirctre repeacutereacutee avec la geacuteneacuteration neacutee agrave la

fin des anneacutees 1970 La grande caracteacuteristique en est la dissociation entre

usage et trafic Souvent usagers de cannabis les acteurs du trafic drsquoheacuteroiumlne

ne sont pas usagers ndash du moins agrave un moment de leur carriegravere Agrave une

logique drsquoautofinancement de la consommation se substitue une logique

que lrsquoon pourrait dire de laquo revalidation sociale raquo au sens ougrave elle vient

conjurer les effets de lrsquoinvalidation sociale dont une part des habitants des

citeacutes sont lrsquoobjet il srsquoagit de faire de lrsquoargent tout en eacutetant quelqursquoun Les

carriegraveres de cette nouvelle geacuteneacuteration renvoient agrave une professionnalisa-

tion du commerce local de drogues et agrave un durcissement des rapports

sociaux de trafic

Pour grossir le trait on peut donc distinguer deux types de chemi-

nements Dans le cas de la geacuteneacuteration des usagers drsquoheacuteroiumlne devenus pour

une part revendeurs crsquoest une logique de marginalisation sociale qui sous-

tend les trajectoires Dans celui des

dealers

non usagers crsquoest une logique

drsquointeacutegration sociale par des voies illicites qui les sous-tend afin drsquoacceacuteder

agrave lrsquoargent ndash signe majeur de la reacuteussite sociale aujourdrsquohui Mais une

diffeacuterence essentielle est agrave prendre en compte pour appreacutecier ces itineacute-

raires et les ressources mobiliseacutees par les uns et les autres Agrave un certain

moment les toxicomanes empruntent un chemin bien diffeacuterent des

laquo petits voyous raquo de banlieue qui ont acquis leur reacuteputation en faisant des

braquages dans le monde des jeux ou de la prostitution ils vont contri-

buer agrave construire une culture de la drogue dans les quartiers avec ses

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

normes et ses valeurs ses savoir-faire et ses techniques ses mythes et ses

leacutegendes Les

dealers

de citeacutes ont eux largement heacuteriteacute de cette culture

ils ont grandi avec

Avant de revenir de faccedilon deacutetailleacutee sur ces dynamiques disons un

mot sur les liens intergeacuteneacuterationnels La geacuteneacuteration des laquo grands fregraveres raquo

a ndash au moins durant un temps ndash tenteacute drsquoempecirccher la revente de la laquopoudreraquo

sur leur territoire et exerceacute une pression morale La geacuteneacuteration suivante

en partie deacutemolie par les surdoses le sida les suicides a servi de modegravele

repoussoir agrave une troisiegraveme geacuteneacuteration dont lrsquoinvestissement eacuteconomique

est primordial ndash ce qui nrsquoempecircche pas certains drsquoentre eux de laquo tomber

dedans raquo agrave un moment donneacute Quant aux adolescents drsquoaujourdrsquohui le

plus souvent ils connaissent peu cette histoire Il apparaicirct que la force de

lrsquoexemple nrsquoa pas joueacute pour eux comme on aurait pu srsquoy attendre

9

22 LE DESTIN COLLECTIF DES TOXICOMANES

DES ANNEacuteES 1980

221 L

E

CONTEXTE

SOCIAL

ET

URBAIN

La diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les banlieues srsquoest deacuteveloppeacutee dans un

contexte social et eacuteconomique bien particulier qui permet de rendre

compte de lrsquoinscription territoriale des carriegraveres Trois caracteacuteristiques

essentielles de ce processus peuvent ecirctre rappeleacutees

La premiegravere est que ces territoires ont eacuteteacute particuliegraverement affecteacutes

par les effets sociaux de la deacutesindustrialisation ainsi que par le mouve-

ment de deacutelocalisation des grandes uniteacutes au cours des anneacutees 1970 On

assiste aux premiers signes de lrsquoeffondrement du marcheacute du travail agrave cette

peacuteriode Les eacutetablissements industriels implanteacutes dans les sites eacutetudieacutes

perdent pregraves du quart de leurs effectifs salarieacutes Il en reacutesulte un chocircmage

massif et une grande difficulteacute des jeunes agrave trouver un emploi Parallegravele-

ment on assiste agrave une deacutecomposition du monde ouvrier qui perd ses

capaciteacutes de socialisation drsquoencadrement des deacuteviances juveacuteniles (Dubet

et Lapeyronnie 1992) processus se traduisant par un rejet de la condition

ouvriegravere (Beaud et Pialoux 1999)

9 Crsquoest aussi le constat que fait Esterle-Heacutedibel (1997) sur deux terrains diffeacuterents de lareacutegion parisienne Les peacuteriodisations observeacutees du deacuteveloppement des toxicomanies etdes trafics sont aussi tregraves semblables dans ces diffeacuterents quartiers agrave celles que nous avonsobserveacutees

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La deuxiegraveme caracteacuteristique reacutesulte des effets conjugueacutes des processus

drsquoimmigration et drsquourbanisation de masse Bien avant 1974 date de lrsquoarrecirct

officiel de lrsquoimmigration de main-drsquoœuvre les ouvriers que les grandes

entreprises sont alleacutees chercher dans les zones rurales du Maroc et de

lrsquoAlgeacuterie vivent avec leur famille dans des conditions de misegravere Neacutean-

moins une vie communautaire existe (Peacutetonnet 1982) Le relogement

contraint dans les citeacutes de transit marque cependant une rupture (Zehraoui

1994) Srsquoamorce une peacuteriode de cohabitation interethnique synonyme de

tensions nouvelles Avec la laquo crise raquo la cohabitation devient plus probleacute-

matique les plus pauvres (et parmi eux les immigreacutes) restent les plus

aiseacutes (et parmi eux beaucoup de Franccedilais) partent ailleurs alors que les

familles repreacutesentant les laquo cas lourds raquo de lrsquoaide sociale alimentent une

spirale de la deacutegradation La seacutegreacutegation sociale se double drsquoune seacutegreacutegation

ethnique dont lrsquoeacutecole est un agent primordial (Barthon et Oberti 2000)

La troisiegraveme caracteacuteristique ndash moins connue ndash est lrsquoexistence de

foyers de deacutelinquance bien anteacuterieure agrave lrsquoarriveacutee de la drogue dans ces

quartiers et les effets de reacuteputation symbolique qui les caracteacuterisent depuis

bien longtemps La micro-histoire de ces quartiers est souvent une cleacute

neacutegligeacutee par les sociologues

10

On peut remonter dans certains cas jusqursquoaux

anneacutees 1920 Une analyse de contenu de la presse de lrsquoeacutepoque (Marliegravere

1998) agrave propos de certains quartiers atteste agrave travers un certain nombre

de faits (regraveglements de compte homicides vols braquages) lrsquoexistence

de bandes lieacutees au banditisme comme le rapporte ce chercheur habitant

lui-mecircme dans un de ces quartiers

Je me souviens drsquoecirctre tombeacute sur un article de

Banlieue Ouest

en1932 ougrave la Poste du quartier qui a eacuteteacute construite en 1931 avait deacutejagraveeacuteteacute drsquoapregraves lrsquoarticle visiteacutee trois fois [hellip] Je crois que je suistombeacute sur deux ou trois homicides pour le quartier Donc crsquoeacutetaitun quartier deacutejagrave agrave lrsquoeacutepoque tregraves malfameacute [hellip] Et avec la construc-tion de la citeacute de transit dans les anneacutees 1960 yrsquoa eu un retourun peu des bandes plus dures crsquoest-agrave-dire avec des jeunes quifiniront mal [hellip] Et donc je pense que le retour du grand bandi-tisme avec vraiment une peacuteriode de violence crsquoest entre 1975et 1990

11

Tout cela pour dire que la deacutelinquance dans ces quartiers nrsquoest pas

un fait nouveau les meacutecanismes de reacuteputation opeacuterant sur une longue

dureacutee Ce qui nrsquoempecircche pas de relever les processus qui ont rendu pos-

sibles plutocirct que produit les cheminements dans lrsquounivers de la drogue

10 Voir notamment en France Bachmann et Basier (1989) et aux Eacutetats-Unis Bourgois (2001)

11 Pour une histoire sociale de la deacutelinquance voir notamment Mucchielli (2001)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

222 C

HEMINEMENTS

VERS

L

rsquo

HEacuteROIumlNE

Ce qui distingue nos deux cohortes dans ce contexte crsquoest la laquo position

chronologique raquo (Cagliero Lagrange et Moyses 1999) des conduites

deacuteviantes notamment en ce qui concerne lrsquoemploi En scheacutematisant on

peut dire que pour les plus anciens la deacutelinquance puis lrsquoemploi ont

plutocirct preacuteceacutedeacute la consommation ou la revente drsquoheacuteroiumlne alors que pour

les plus jeunes on le verra crsquoest plutocirct la participation au trafic local qui

a eacuteteacute anteacuterieure agrave un emploi leacutegal

12

Une scolariteacute plus ou moins chaotique dans lrsquoenseignement tech-

nique conduit les membres de la premiegravere cohorte agrave un CAP (certificat

drsquoaptitude professionnelle) ndash obtenu ou pas Cette formation les destine

agrave ecirctre ouvriers qualifieacutes crsquoest-agrave-dire agrave occuper bien souvent une position

plus eacuteleveacutee que celle de leur pegravere travaillant dans des emplois agrave faible

qualification comme manœuvre en usine Dans la plupart des entretiens

reacutealiseacutes on constate un rejet du travail en usine et de la condition qui y

est associeacutee Mais la mobiliteacute sociale est limiteacutee On le voit par exemple

avec Bruno dont le pegravere est carrossier dans un petit garage de Levallois-

Perret et qui fait vivre sa femme en invaliditeacute agrave 50 et ses deux enfants

avec un salaire modeste Apregraves une peacuteriode difficile ougrave il est interpelleacute et

condamneacute pour vol comme mineur agrave trois mois de prison ferme

13

Bruno

obtient son CAP de carrossier agrave 17 ans Ouvrier qualifieacute il trouve un travail

et megravene la belle vie pendant deux ans Jusqursquoau moment ougrave il goucircte agrave la

laquo drogue raquo non pas le cannabis qursquoil consomme quotidiennement

comme il boit de lrsquoalcool (laquo

On est des bons vivants alors je buvais mon petitapeacuteritif et tout et puis mon petit shit le soir

raquo) mais lrsquoheacuteroiumlne dont la

consommation va devenir incompatible avec drsquoautres rocircles sociaux

Crsquoeacutetait en 1982 Jrsquoai eu mon CAP en 1982 agrave 17 ans Et puis apregraves moije rentrais dans la vie jrsquoavais mon CAP mon permis de conduire jetravaillais jrsquoavais tout Je manquais de rien yrsquoavait qursquoun seul truc queje connaissais pas crsquoeacutetait ccedila Je freacutequentais que des mecs qui eacutetaient commemoi On bossait tous hein On avait tous un patron et tout et puis je lesvoyais ccedila faisait deux ou trois semaines qursquoils prenaient devant moi ccedila

12 Dans le contexte des anneacutees 1990 de chocircmage de masse on peut se demander si laparticipation au trafic nrsquoa pas joueacute quasiment un rocircle de filiegravere preacuteprofessionnelle Surle trafic comme travail voir Bouhnik et Joubert (1992) Ruggiero et South (1996)Duprez et Kokoreff (1999)

13 Ce point ne sera abordeacute qursquoau deuxiegraveme des quatre entretiens reacutealiseacutes entre 1997 et2000 en deacutetention Il indique que le fait de rencontrer sur une peacuteriode eacutetendue unemecircme personne peut diminuer lrsquoeffet de censure Par ailleurs lorsque lrsquoon sait quedurant cette peacuteriode Bruno est sorti trois fois de prison il reacutevegravele aussi la vulneacuterabiliteacutestructurelle dans laquelle celui-ci se trouve

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changeait rien dans leur vie Je me suis dit laquo Je vais rentrer dans leur trippour ecirctre dans la mecircme soireacutee dans la mecircme ambiance qursquoeux raquo Et puisvoilagrave et puis voilagrave

Quoi voilagrave Qursquoest-ce qui srsquoest passeacute apregraves

Bah apregraves crsquoest con agrave dire ccedila maishellip faut pas le dire mais je vais le direon arrive agrave aimer cette deacutefonce Le premier petit joint on fume un jointon rigole on est heureux on se sent bien Donc le lendemain on srsquoen refaitun petit Crsquoest pareil la drogue Lrsquoalcool crsquoest pareil On se fait un bonrepas on lrsquoarrose de deux bons verres de vin on se sent bien on est heureuxDegraves qursquoon peut recommencer un bon repas on va recommencer et ainsi desuite Et puis voilagrave

(26 mars 1997)

Cet extrait drsquoentretien dit bien la dimension collective drsquoune initia-

tion veacutecue comme un plaisir tout en eacutetant appeleacutee ndash reacutetrospectivement ndash

agrave devenir un destin pour ces jeunes ouvriers qui habitent des quartiers agrave

mauvaise reacuteputation Pourtant les parcours ne sont pas aussi lineacuteaires que

le disent ces derniers Tout drsquoabord parce que bien souvent les contacts

avec la justice et la prison sont preacutecoces mecircme srsquoils nrsquoont pas pour laquo cause raquo

la drogue Ensuite parce que si la rencontre avec lrsquoheacuteroiumlne constitue un

point de rupture ou de bifurcation elle ne doit pas masquer drsquoautres

moments facilement discernables dans les reacutecits de carriegravere le passage du

sniff

au

shoot

et le changement de milieu drsquousage qui lrsquoaccompagne (laquo

etpuis un jour jrsquoai eacuteteacute dans une autre soireacutee crsquoeacutetaient pas des sniffeurs crsquoeacutetaient desseringueurs

raquo) la perte de lrsquoemploi qui reacutesulte du processus de deacutependance

(laquo

on est trop en manque pour se lever et mecircme si on peut le boulot y suit pas lepatron il le voithellip

raquo) mais qui reste une deacutecision propre (laquo

crsquoest toujours moiqui ai pris mon compte

raquo) la deacutelinquance qui srsquoimpose (laquo

il fallait que je medeacutebrouille de lrsquoargent

raquo) et la situation de reacutecidive leacutegale qui alourdit la sanc-

tion peacutenale Enfin en deacutepit de ce processus de deacutegradation le capital

eacuteconomique et culturel acquis reste une ressource (laquo

jrsquoai un meacutetier dans lesmains

raquo) et un ethos (laquo

jrsquoai une mentaliteacute de travailleur

raquo) y compris en prison

lorsque le travail exerceacute redonne sens et fierteacute

Crsquoest aussi le registre drsquoexpression du plaisir agrave travers lrsquohomologie

alcooldrogues illicites (petit jointpetit apeacuteritif deacutefoncebon repas etc)

qui constitue un motif socialement appris et significatif

14

On pourrait

y voir lrsquoexpression drsquoun

habitus de classe

se traduisant tout particuliegravere-

ment dans le rapport au corps agrave travers la prise de laquo drogues dures raquo qui

laquo deacutefoncent raquo et permettent drsquooublier la pratique mecircme de lrsquoinjection la

seringue Ce lien est aussi un aspect des cheminements eacutetudieacutes En effet

lrsquoalcool plus ou moins associeacute agrave la violence occupe une place importante

14 Sur ce point voir les analyses de Mauger et Fosseacute-Poliak (1983)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

dans lrsquohistoire des toxicomanes des citeacutes Comme bien drsquoautres Bruno a

grandi dans un milieu familial tregraves marqueacute par lrsquoalcoolisme son pegravere est

mort drsquoun cancer du foie en 1991 sa megravere faisait de lrsquohypertension elle

srsquoest mise agrave boire apregraves le deacutecegraves de son mari et est deacuteceacutedeacutee en 1998 quant

agrave sa sœur sans emploi marieacutee avec deux enfants laquo

elle boit elle picole ellearrecircte elle picole

raquo avec son mari qui est employeacute dans une papeterie laquo

ilssrsquoengueulent agrave cause de lrsquoalcool

raquo Cet exemple nrsquoest pas isoleacute On pourrait

prendre celui drsquoAbensour dont le pegravere a fui la guerre drsquoAlgeacuterie en mecircme

temps que la misegravere drsquoabord en Tunisie puis en France agrave Nanterre Ayant

grandi dans ce qursquoon appelait alors la laquo zone raquo la trajectoire drsquoAbensour

prend une tournure nouvelle agrave la suite drsquoune orientation scolaire malheu-

reuse Il commence agrave prendre de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans Crsquoest ainsi qursquoil

eacutevoque son pegravere et lrsquoambiance reacutegnant au domicile familial

Il buvait beaucoup de ce temps-lagrave il buvait Toujours il avait sa bouteillede rouge Alors je peux pas te dire si crsquoest son boulot ou la bouteille qui lefatiguait Il eacutetait bourreacute tous les soirs Quand il arrivait deacutefonceacute on avaitpeur il eacutetait tregraves meacutechant il frappait ma megravere il nous sortait des grosmots on eacutetait petits Il traitait mes petites sœurs de putes il nous disait laquo Allez vous faire voir par les peacutedeacutes et tout raquo Moi jrsquoaimais pas trop resteragrave la maison les filles elles pouvaient pas sortir mais nous on se cassaitdans la rue

(15 mars 1997)

Lrsquoalcoolisme et les violences familiales sont souvent eacutevoqueacutes par les

intervenants speacutecialiseacutes afin de rendre compte des parcours vers lrsquoheacuteroiumlne

la consommation de produits injecteacutes symbolisant une forme de violence

contre soi Bouhnik (1994) rejoint en partie cette perspective dans la

classification qursquoelle propose en distinguant un type de configuration

biographique baseacute sur la continuiteacute de lrsquoalcoolisme du pegravere agrave la toxico-

manie du fils Mais ce type nrsquoeacutepuise pas la varieacuteteacute des cheminements et

la citation ci-dessus amegravene aussi agrave prendre en compte les conditions de

socialisation des adolescents et leur diffeacuterenciation selon les sexes dans ce

contexte social

La preacutesence des filles dans la rue est en effet peu importante Il

semble que rares sont celles qui consomment ou revendent de lrsquoheacuteroiumlne

dans les quartiers eacutetudieacutes

15

Lrsquoune des explications donneacutees par les enquecircteacutes

quand on leur pose la question reacuteside dans la surveillance effectueacutee par

les fregraveres les fratries nombreuses et lrsquointerconnaissance favorisent cette

15 Contrairement agrave la situation observeacutee aux Eacutetats-Unis ougrave la combinaison de divers fac-teurs structurels a contribueacute agrave la monteacutee en puissance des femmes dans lrsquoorganisationde revente de la cocaiumlne (Fagan 1995) on nrsquoobserve pas de pheacutenomegravene comparabledans les quartiers que nous avons eacutetudieacutes en reacutegion parisienne

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forme de controcircle communautaire Cela ne signifie pas que ce pheacuteno-

megravene nrsquoexiste pas dans les quartiers eacutetudieacutes il est simplement plus diffus

et cacheacute Certaines femmes envoient leurs proches srsquoapprovisionner

drsquoautres neacutegocient avec les

dealers

pour obtenir le produit contre des

relations sexuelles La prostitution si elle semble limiteacutee existe mais

davantage en direction de Paris que dans les quartiers En ce qui concerne

le

deal

certaines femmes apparaissent comme de veacuteritables figures connues

dans tout le deacutepartement Lrsquoune drsquoelles est issue drsquoune famille dont

lrsquoimplication dans le trafic est notoire un de ses fregraveres qui revendait de

lrsquoheacuteroiumlne est mort dans des circonstances eacutetranges apregraves son interpella-

tion par la police un autre a eacuteteacute condamneacute agrave sept ans de prison pour

trafic lrsquoaicircneacute a eacuteteacute condamneacute agrave cinq ans pour une affaire mixte Si cette

femme est bien connue dans le quartier et les communes voisines cela

teacutemoigne de lrsquoeacutetroitesse de ce petit monde de la drogue

Par contre bon nombre drsquoobservations nous indiquent que ces

conduites illicites srsquoinscrivent dans la continuiteacute du mode de vie des jeunes

garccedilons des citeacutes Prenons lrsquoexemple paradigmatique de ceux que nous

appellerons pour reprendre leur propre deacutesignation les laquo Nanterriens

16

raquo

Ces jeunes garccedilons issus de familles immigreacutees en particulier algeacuteriennes

ont grandi dans la commune de Nanterre au milieu des bidonvilles puis

dans les citeacutes de transit au cours des anneacutees 1960 et 1970 Ils suivent agrave

peu pregraves normalement leur scolariteacute dans lrsquoenseignement technique

jusqursquoagrave 16 ou 17 ans passent leur CAP et commencent agrave faire des petits

boulots Crsquoest alors qursquoils freacutequentent les quartiers parisiens de Pigalle et

de Barbegraves la rue Montmartre lrsquoOpeacutera pour peu agrave peu srsquoinscrire dans un

style de vie marginal

Jrsquoai connu un homosexuel qui eacutetait un peu voyou un peu deacutelinquant tuvois Crsquoeacutetait un cambrioleur Jrsquoai commenceacute agrave faire ccedila avec luihellip Et puispar la suite on a continueacute entre copains On allait voler on avait delrsquoargent on trouvait que crsquoeacutetait trop facile Au deacutebut on srsquoachetait desfringues on allait en boicircte de nuit On faisait beaucoup drsquoargent avec lesmachines de la RATP les machines dans le RER On trouvait que crsquoeacutetaitvraiment un jeu drsquoenfant il suffisait de casser une machine et on trouvait10 000 20 000 F

[en anciens francs] juste en piegraveces Crsquoeacutetait vraimentfacile et ccedila a dureacute un moment [hellip] Et puis agrave cette eacutepoque-lagrave on acommenceacute on eacutetait une bande de copains on vagabondait on dormaitpas des fois on passait des nuits en boicircte de nuit Pendant des jours on

16 laquo Nous on sait qursquoon a veacutecu agrave Nanterre on a grandi ici mecircme si on a deacutemeacutenageacute mecircme si on ahabiteacute Vanves Anthony ou dans les alentours on est toujours des Nanterriens trop de nous-mecircmes raquo Sur la constitution de lrsquoidentiteacute locale dans ce cas preacutecis voir Seacutegalen (1990)

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44 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rentrait pas agrave la maison Quand je rentrais agrave la maison crsquoeacutetait monpegravere il mrsquoengueulait il me frappait alors bon jrsquoeacutevitais de rentrer jrsquoessayaisde me deacutemerder je pensais qursquoon allait pouvoir srsquoen sortir tout seul(14 avril 1999)

Crsquoest dans les boicirctes de nuit parisiennes que ce groupe de copains

commence agrave consommer de lrsquoheacuteroiumlne laquo par hasard raquo pour reprendre leur

terme

Apregraves on a commenceacute agrave toucher agrave la came Crsquoeacutetait en boicircte de nuit je mesouviens on buvait pas drsquoalcool on eacutetait vraiment pas attireacute par lrsquoalcoolon fumait que du hasch agrave cette eacutepoque-lagrave Et puis un jour on eacutetait enboicircte on nrsquoa pas trouveacute de haschich et il y a un type qui nous a proposeacutede la laquo blanche raquo On eacutetait encore naiumlf on ne savait pas trop ce que crsquoeacutetaitOn srsquoest un peu concerteacute entre copains Y en a un qui disait laquo oui on vaen prendre raquo il y en avait un autre qui disait laquo non raquo Et puis toutcompte fait on en a pris Ccedila a commenceacute comme ccedila

Crsquoeacutetait de lrsquoheacutero

Ouais crsquoeacutetait de lrsquoheacutero Ccedila a commenceacute comme ccedila On a sniffeacute ccedila Il y ena qui se sont sentis mal Moi non plus je ne mrsquoeacutetais pas senti tregraves bien lapremiegravere fois Peut-ecirctre un mois ou quinze jourshellip je ne sais pas tropcombien de temps apregraves on a commenceacute agrave renouveler lrsquoopeacuteration Petit agravepetit on a aimeacute ccedila Au deacutebut crsquoeacutetait que les fois ougrave on allait en boicircte endehors quand on eacutetait dans la citeacute les jours de la semaine on nrsquoy pensaitpas Il y en avait pas dans notre quartier crsquoeacutetait pas comme maintenantAvant fallait vraiment ecirctre brancheacute il fallait aller en boicirctes de nuit agraveParis dans les cafeacutes fallait vraiment connaicirctre Nous on connaissait quece plan-lagrave crsquoeacutetait en boicircte de nuit Un Tunisien qui vendait la came(14 avril 1999)

Que srsquoest-il passeacute pour que brusquement entre 16 et 19 ans Abdellah

Nordin Mohamed mais aussi Pascal et Laurent et bien drsquoautres parfois

plus jeunes encore deviennent toxicomanes au tournant des anneacutees 1980

Faut-il incriminer lrsquoeacutecole dans la genegravese de la toxicomanie Est-ce plus

largement la logique sociale de lrsquoimmigration qui a conduit agrave la margina-

lisation de ces laquo enfants illeacutegitimes raquo (Sayad 1991) Quelle place accorder

agrave des facteurs contextuels tels que les logiques de lrsquooffre et le redeacuteploie-

ment de lrsquoeacuteconomie de la drogue

223 DE LrsquoUSAGE Agrave LA REVENTE

Au deacutebut des anneacutees 1980 les laquo banlieues raquo font parler drsquoelles mais la

drogue et lrsquoheacuteroiumlne en particulier nrsquoy ont pas la place qursquoelles occuperont

quelques anneacutees plus tard Durant cette peacuteriode le quartier de la rue

Montmartre situeacute dans le IXe arrondissement est un des hauts lieux de

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la nuit parisienne avec ses boicirctes de nuit ceacutelegravebres dans les milieux bran-

cheacutes Dans la rue se cocirctoient touristes et pickpockets laquo gays raquo des beaux

quartiers et jeunes laquo beurs raquo des citeacutes deacutefavoriseacutees Ces derniers sont

encore des usagers occasionnels qui font la fecircte et ne connaissent pas

drsquoautres laquo plans raquo Crsquoest toute la diffeacuterence avec leurs laquo petits fregraveres raquo qui

eux nrsquoauront pas besoin drsquoaller agrave Paris pour acheter leur paquet dispo-

nible sur le marcheacute du laquo coin de la rue raquo

Le passage du trafic des quartiers parisiens vers les citeacutes de banlieue

va se faire progressivement (Fatela 1992) Une note sur la toxicomanie

reacutedigeacutee en 1983 par un chargeacute de mission aupregraves du secreacutetaire drsquoEacutetat

aux affaires sociales souligne que si lrsquoheacuteroiumlne est preacutesente parmi les

jeunes depuis plus de dix ans laquo on assiste depuis trois ans agrave une veacuteritable

flambeacutee de cette forme de toxicomanie raquo Et de preacuteciser les transforma-

tions du marcheacute

Les lieux de vente sont situeacutes principalement au coin de la rueMontmartre et du boulevard Montmartre agrave Belleville aux laquoQuatreTempsraquo de La Deacutefense au-dessus de la patinoire mais depuis quelquetemps les revendeurs ne cegravedent leur marchandise que par quantiteacutede 5 grammes On assiste donc agrave la naissance de petits revendeurs(dealers) qui vendent dose par dose aux laquo Quatre Temps raquo de LaDeacutefense et dans toutes les citeacutes concerneacutees Dans une citeacute de Nanterrele trafic serait beaucoup plus important17

Un usager-revendeur aujourdrsquohui acircgeacute de 42 ans qui a commenceacute agrave

consommer agrave lrsquoacircge de 16 ans deacutecrit ce processus Un rien nostalgique il

souligne la modification des pratiques et des valeurs qui les sous-tendent

Avant tu trouvais pas de came en banlieue Crsquoeacutetait Belleville ou rueMontmartre ou lrsquoIcirclocirct-Chalonshellip Crsquoest depuis les anneacutees 1980 que laschnouf elle arrive en banlieue Apregraves ccedila a commenceacute agrave arriver agrave LaFourche Brochant18 tout ccedila lagravehellip [hellip] Ah moi je lrsquoai vu arriver parce queje vais te dire un truc bon avant tu allais tu faisais ton cambriolage outon petit braquo de merde lagrave tu montais agrave Paris tu achetais ta dose Maismaintenant crsquoest plus ccedila Tu descends de chez toi euh vider la poubelleben voilagrave Devant ton vide-ordures trsquoas un type en train de se piquer parceqursquoagrave cocircteacute agrave cocircteacute lrsquoautre il lui vend de la schnouf Tu vois y a eu situ veux une autre forme de deacutelinquance crsquoest pour ccedila que je dis nous agravenotre eacutepoque crsquoeacutetait pas pareil On allait chercher notre argent (30 sep-tembre 1996)

17 Note sur la toxicomanie dans les Hauts-de-Seine ministegravere des Affaires sociales 1983

18 Crsquoest-agrave-dire sur la ligne de meacutetro desservant la proche banlieue Nord-Ouest de Paris

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46 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Crsquoest dans ce contexte de bouleversement de lrsquooffre que srsquoinscrivent

les parcours des personnes rencontreacutees Srsquoinstallant dans un processus de

deacutependance (Ingold 1985) elles sont interpelleacutees et condamneacutees agrave des

peines de prison ferme apregraves avoir eacuteteacute incarceacutereacutees comme mineures Crsquoest

le cas drsquoAbdellah qui est condamneacute agrave quinze mois de prison pour vol agrave

lrsquoacircge de 20 ans

Je suis sorti en 1982 en pleine forme et je pensais vraiment dans ma tecircteque jrsquoallais pas retoucher agrave la came Et quand je suis sorti je voyais qursquoily avait tellement de fric agrave faire lagrave-dedans [ la revente ] je me suis dit aulieu de voler et de prendre de lrsquoargent pour aller en acheter je vais acheterde la came par cinq grammes par dix grammes et puis je vais essayer devoir les types qui en veulent Jrsquoai commenceacute agrave vendre

Sur ton quartier

Ouais sur mon quartier sur ma ville crsquoeacutetait en 1982 En sortant deprison jrsquoai commenceacute agrave vendre Au deacutebut ccedila marchait bien crsquoest malheu-reux agrave dire mais ccedila marchait bien Crsquoest fou lrsquoargent que ccedila ramegravene Ccedilaramenait beaucoup drsquoargent (14 avril 1999)

Il nrsquoest plus question de faire un ou deux cambriolages par mois

avec la consommation drsquoheacuteroiumlne les besoins financiers augmentent La

revente apparaicirct comme une ressource pour ceux qui ont eacuteteacute incarceacutereacutes

agrave plusieurs reprises Drsquoautres ne revendent pas dans leur quartier ougrave agrave

cette eacutepoque la pression des grands fregraveres est encore forte pour eacuteviter

le deal de rue et lrsquoafflux de toxicomanes de la rue Montmartre ougrave ils

srsquoapprovisionnent ils se rendent aux laquo Quatre-Temps raquo agrave La Deacutefense lieu

de rencontre de nombreux usagers drsquoheacuteroiumlne accessoirement laquo tireurs raquo

(pickpockets) faisant les poches ou les sacs des passants dans les escaliers

meacutecaniques Jusqursquoau moment ougrave ces activiteacutes illicites sont jugeacutees intoleacute-

rables au sein de ce nouveau quartier drsquoaffaires et ougrave les opeacuterations de

police se multiplient alors qursquoagrave la mecircme peacuteriode le squat de lrsquoIcirclot-Chalons

est fermeacute Reacutesultat indirect et bien connu le marcheacute se deacuteplace et se

restructure dans les citeacutes de la proche banlieue

Cela dit tout le monde ne revend pas Certains mecircme lrsquoaffirment

avec force lors des entretiens Crsquoest le cas de Bruno qui tire ses ressources

de vols simples laquo Je nrsquoai pas la mentaliteacute pour dealer raquo dit-il pour trouver sa

came il va laquo fouiller raquo au petit matin les cages drsquoescalier des immeubles

de son quartier en quecircte des paquets cacheacutes par les laquo petits jeunes raquo Autre

exemple celui drsquoAbdelmaleck qui commence agrave fumer du cannabis agrave 15 ans

et agrave sniffer de lrsquoheacuteroiumlne agrave 16 ans en boicircte avec les autres rue Montmartre

Non je ne voulais pas parce que jrsquoavais peur [hellip] Drsquoabord alors questionmoi les grands fregraveres et tout ils mrsquoont fait ils mrsquoont preacutevenuhellip laquo On nrsquoapas inteacuterecirct agrave entendre dire que trsquoes en train de revendre de la came ou untruc comme ccedila raquo Moi vendre agrave quelqursquoun que je connais jrsquoavais peur de

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de si je me mettais agrave ccedila que le mec il fait une OD [overdose] Trsquoimagi-nais le mec que je connais depuis lrsquoenfance agrave cause de moi il me deman-dait un paquet il tapait une ODhellip Je pouvais pas vendre agrave quelqursquounque je connais mecircme vendre agrave nrsquoimporte qui mecircme que ce soit quelqursquounque je ne connais pas Jrsquoai jamais vendu de la drogue jrsquoai jamais dealeacutemecircme que ce soit lrsquoheacutero ou le shit (19 mars 1997)

La pression des grands fregraveres mais aussi celle des familles (laquo lesparents on se connaicirct ccedila va faire des problegravemes de famille graves raquo) opegravere

comme un mode de controcircle socieacutetal pour reprendre le terme de Castel

et Coppel (1991) On peut y voir la morale du deacuteviant (Ogien 1996)

Celle-ci peut valoir pour lrsquoheacuteroiumlne qui est perccedilue comme la drogue par

excellence et non pour le cannabis Mais il y a des arrangements avec la

morale selon les situations

Jrsquoai jamais vendu de drogue Enfin tout petit agrave la citeacute jrsquoai vendu desbarrettes pour la fin de la semaine aller en boicircte de nuit payer agrave notrenana faire rentrer quand mecircme un peu de tunes comme la plupart desjeunes En ce moment ils fonthellip mais ils font pas ccedila avec du shit ils fontccedila avec de la drogue dure Moi je me rappelle un moment quand on eacutetaitpetit on vendait du shit mais les grands qui venaient ils nous disaient laquo Voilagrave par rapport agrave votre shit moi je vous donne quelque chose vous mela vendez je vous rabats les clients raquo Et agrave la fin agrave la fin de la semainemecircme pas agrave la fin de la soireacutee je reacutecupeacuterais les sous mais agrave la fin de lasemaine je faisais dans les 400 000 [4000 F] Alors 400 000 agrave lrsquoeacutepoquecrsquoeacutetaient trois millions [30 000 F] aujourdrsquohui On eacutetait heureux Onprenait les 400 000 on allait chez nous on donnait 1 000 balles agrave nosparents ils les acceptaient ils nous disaient laquo Ougrave vous les avez eus raquoOn disait laquo Ah on les a voleacutes raquo Mais en sachant ccedila mecircme srsquoils eacutetaientdans la religion mecircme srsquoils avaienthellip ils faisaient leurs priegraveres et tout ilsavaient un pardon parce que crsquoeacutetaient pas eux qui venaient drsquoaller volerMais par rapport agrave ccedila on arrivait agrave vivre agrave payer notre loyer Mais euhhellipde fil en aiguille on est arriveacute agravehellip agrave ccedila Agrave se retrouver toujours dans lesmecircmes milieux en sachant que crsquoeacutetait mal mais on nrsquoavait pas le choixhellip(26 mars 1997)

On touche lagrave un point sensible des carriegraveres dans le trafic la redis-

tribution des gains dans le milieu familial Beaucoup de rumeurs circulent

sur lrsquoargent de la drogue qui ferait vivre les citeacutes en tout cas des familles

entiegraveres Dans tous les entretiens reacutealiseacutes ici ou lagrave la plupart de nos inter-

locuteurs nuancent cette vision des choses laquo nos parents nrsquoauraient jamaisaccepteacute de lrsquoargent sale raquo Ce qui nrsquoempecircche pas toutes sortes de subterfuges

ou de ruses ni des arrangements au sein de la fratrie afin de satisfaire aux

deacutesirs des petits fregraveres ou des petites sœurs

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48 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

224 UNE VULNEacuteRABILITEacute STRUCTURELLE

Agrave un moment donneacute les usagers ou revendeurs drsquoheacuteroiumlne qui ont grandi

dans ces quartiers pauvres sont pris dans ce qursquoils appellent un laquoengrenageraquo

ou un laquo systegraveme raquo Un premier dilemme se preacutesente agrave eux pour financer

leur consommation voler ou revendre Pour les filles la prostitution peut

constituer un autre choix possible bien que rarissime dans les quartiers

observeacutes Quoi qursquoil en soit le risque drsquoecirctre interpelleacute pour usage vol ou

revente nrsquoest pas neacutegligeable dans ce contexte urbain de mecircme que ce

faisant celui drsquoecirctre incarceacutereacute agrave mesure que cette seacutequence se reacutepegravete Il

en reacutesulte un style de vie rythmeacute par la reacutepeacutetition drsquoune mecircme seacutequence

interpellationprisonsortie preacutecairereprise de la consommation etc

Dans certains cas cette seacutequence peut se reacutepeacuteter six ou sept fois durant

des anneacutees Crsquoest dire que lrsquoexpeacuterience de vie est ponctueacutee par les alleacutees

et retours en prison la prison faisant partie inteacutegrante drsquoune trajectoire

plutocirct qursquoelle ne constitue une rupture (Bouhnik et Touzeacute 1996) Mais

cela nrsquoest pas suffisant pour rendre compte des meacutecanismes qui concourent

au bout du compte agrave la vulneacuterabiliteacute structurelle (Bourgois 2001) des

toxicomanes des citeacutes Lrsquoanalyse des effets conjugueacutes des logiques institu-

tionnelles et des logiques territoriales permet drsquoen rendre compte

Dans ce processus la logique peacutenale est centrale Entreacutes dans cette

phase de leur carriegravere ces individus ne sont plus seulement deacutesigneacutes

socialement comme laquo toxicomanes raquo dans leur face-agrave-face avec les policiers

magistrats et intervenants speacutecialiseacutes ils sont deacutefinis comme laquo multireacuteci-

divistes raquo ndash jusqursquoagrave reprendre agrave leur propre compte pour certains drsquoentre

eux ce marquage institutionnel comme ils ont inteacuterioriseacute leur identiteacute

de laquo toxicomanes raquo La plupart des entretiens meneacutes en prison tant agrave

Nanterre qursquoagrave Lille ont eacuteteacute effectueacutes avec cette cateacutegorie de deacutetenus Si

lrsquoon reprend les cas drsquoAbdellah et de Bruno le premier neacute en 1961 a eacuteteacute

condamneacute 17 fois entre 1977 et 1998 le second neacute en 1963 a eacuteteacute condamneacute

pregraves de 20 fois entre 1981 et 1999 On sait que la logique des laquo preacuteceacutedents raquo

pegravese lourd dans le traitement peacutenal (Faugeron 1991) en particulier pour

ce qui concerne les infractions agrave la leacutegislation sur les stupeacutefiants (Guillain

et Scohier 2002) Elle se traduit par une expeacuterience de la justice peacutenale bien

particuliegravere engendreacutee par la preacutegnance des critegraveres socio-individuels

(origine sociale nationaliteacute) et lrsquolaquo effet casier raquo

Le temps passeacute en prison est bien eacutevidemment un facteur puissant

de reacutecidive La plupart des toxicomanes des anneacutees 1980 intervieweacutes

lorsqursquoils nrsquoont pas connu la prison comme mineurs ont eu une expeacute-

rience preacutecoce des institutions disciplinaires (depuis les centres de lrsquoAssistance

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 49

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publique jusqursquoaux maisons de correction) Certains racontent le choc

que leur a fait la prison non pas tant dans sa mateacuterialiteacute mais paradoxa-

lement comme prolongement de la citeacute

Ccedila mrsquoa fait un choc sur le coup [hellip] Yrsquoavait tout le monde yrsquoavait tousles copains [hellip] deacutejagrave on eacutetait tous unis alors on se retrouve en prisoncomme si on eacutetait dans la citeacute mais tous enfermeacutes Et la plupart du tempson eacutetait jeunes on savait qursquoon nrsquoallait pas rester longtemps (19 mars1997)

Plus geacuteneacuteralement on sait depuis Foucault (1975) que la prison est

une machine agrave produire de la deacutelinquance et par lagrave un lieu de socialisa-

tion laquo deacuteviante raquo Ce qui se transmet et srsquoapprend ce sont des faccedilons de

faire les codeacutetenus parlent beaucoup des coups qursquoils ont faits et de

ceux qursquoils recircvent de faire comment faire son argent voler eacutechanger

revendre ougrave aupregraves de qui etc Par lrsquointermeacutediaire des personnes ren-

contreacutees en deacutetention lors des promenades en particulier un savoir pra-

tique se constitue et se diffuse En matiegravere de trafics si lrsquoon procegravede par

recoupement avec le contenu des dossiers judiciaires ou drsquoautres entre-

tiens les reacutecits sur les passages agrave la frontiegravere franco-belge les marcheacutes de

la meacutetropole lilloise le fonctionnement des reacuteseaux de trafic depuis le

Maroc via lrsquoEspagne sont drsquoun grand reacutealisme Or dans la mesure ougrave ces

faits deacutepassent le cadre territorial des quartiers eacutetudieacutes ils peuvent nrsquoavoir

eacuteteacute connus qursquoen prison ndash en tout cas on peut en faire lrsquohypothegravese

Un autre meacutecanisme institutionnel qui contribue agrave la construction

sociale du multireacutecidivisme est lrsquoemprise des dettes Au deacutebut du premier

des quatre entretiens reacutealiseacutes avec Bruno entre 1997 et 2000 srsquointerro-

geant sur les attentes du chercheur il adopte une posture proche du

sociologue en proposant une lecture tout agrave fait vraisemblable de sa carriegravere

Crsquoest sur le deacutemarrage comment on entre dans le systegraveme de la drogue quevous voulez savoir au fait ou pourquoi on y rentre Parce que moi je suismultireacutecidiviste et je ne sais pas pourquoi Agrave chaque fois que je sorshellipQuand je suis en prison jrsquoai toutes les dettes qui srsquoaccumulent quand ona un appartement le loyer il court et tout et quand on sort de prison enfait on est assommeacute par les dettes On nrsquoa pas une tune deacutejagrave quand onsort de prison et en plus tout le monde vous demande lrsquoargent que vous devez

Tout le monde crsquoest-agrave-dire

Crsquoest-agrave-dire le treacutesor public les HLM les creacutedits qursquoon avait pris avant derentrer en prison depuis six ans maintenant je sors jrsquoai envie de recom-mencer ma vie jrsquoavais un meacutetier dans les mains Mais [hellip] jrsquoai vraimentbesoin drsquoargent drsquoargent drsquoargent et je recommence agrave voler Et puis volercomme ccedila spontaneacutement non Faut prendre un petit truc une petite forcequi nous pousse agrave vouloir voler Et la force nous ma geacuteneacuteration agrave moion la trouve dans la came (26 mars 1997)

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50 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Lrsquoaccumulation des dettes fait donc partie de ces meacutecanismes produc-teurs drsquoemprise auxquels il faut ajouter les amendes douaniegraveres (Duprez et

Kokoreff 2000) Les effets sociaux de ces meacutecanismes engendrent une

double fragiliteacute Fragiliteacute drsquoune part des positions de ceux qui ont eacuteteacute

condamneacutes agrave de multiples reprises fragiliteacute professionnelle faute drsquoemploi

ou du fait drsquoune activiteacute preacutecaire (CDD [contrat agrave dureacutee deacutetermineacutee]

inteacuterim stages travail au noirhellip) peu reacutemuneacuteratrice et peu valorisante

fragiliteacute administrative pour les ressortissants de nationaliteacute eacutetrangegravere qui

rencontrent des difficulteacutes agrave renouveler leur carte de seacutejour sans parler

de ceux qui sont menaceacutes drsquoune expulsion du territoire national en tombant

sous le coup de la laquo double peine raquo Fragiliteacute drsquoautre part engendreacutee par

la capaciteacute drsquoattraction du systegraveme de vie structureacute autour des conduites

illicites dans les quartiers Cette capaciteacute drsquoattraction nrsquoest peut-ecirctre jamais

aussi manifeste que lors des sorties de prison En effet les laquo sortants raquo

apregraves une peacuteriode drsquoabstinence et de remise en forme se trouvent confron-

teacutes agrave toutes les sollicitations du quartier (produits trafics combines) Ils

ne peuvent pas ne pas retrouver leurs copains toujours dans la laquo came raquo

Ils finissent ainsi par en reprendre et par reacutepeacuteter les seacutequences analyseacutees

plus haut

Crsquoest la conjugaison de ces deux types de facteurs ndash la fragiliteacute sta-

tutaire induite par les contraintes de lrsquoadministration et du marcheacute du

travail drsquoune part et lrsquoattraction drsquoun style de vie fondeacute sur des pratiques

illicites drsquoautre part ndash qui permet aussi de rendre compte des rechutes et

rateacutes qui ponctuent les trajectoires de la toxicomanie Une illustration

concregravete de ce processus nous est fournie par Abdellah qui a gardeacute sa

nationaliteacute algeacuterienne agrave la diffeacuterence de ses fregraveres et sœurs Sorti de

prison en mars 1997 il ne trouve pas de travail

Jrsquoavais des problegravemes de papier pour qursquoils me donnent la carte de seacutejouret tout et puis bon de lagrave jrsquoai commenceacute agrave faire des deacutemarches et tout etccedila mrsquoa vraiment bloqueacute parce qursquoils mrsquoenvoyaient de la Preacutefecture auConsulat et du Consulat ils mrsquoenvoyaient agrave la Preacutefecture Ccedila fait quejrsquoeacutetais en permanence avec un titre de seacutejour provisoire et puis bon pourfaire certaines deacutemarches administratives crsquoesthellip on galegravere quoi Trsquoas ledroit agrave rien Tu vas faire ta demande de RMI on te la refuse tu trsquoinscrisau chocircmage sans trsquoavertir bon on te radie Je commenccedilais agrave en avoirmarre et puis bon voilagrave crsquoest la galegravere tellement jrsquoeacutetais deacutegoucircteacute jrsquoaicommenceacute agrave freacutequenter des copains qui eacutetaient un peu dans la came crsquoesttoujours le mecircme systegraveme Crsquoest lagrave que jrsquoai recommenceacute agrave les freacutequenter petitagrave petit et puis de temps en temps ccedila a commenceacute jrsquoai commenceacute agrave toucheragrave la came et puis ccedila faithellip jrsquoen avais marre quoi La drogue crsquoest desvols crsquoest lrsquoargent crsquoest le bizness quoi En fin de compte jrsquoai rien faitquoi quand je regarde bien jrsquoai rien fait (15 deacutecembre 1998)

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Un an plus tard il sera agrave nouveau interpelleacute pour vol et condamneacute

agrave 18 mois de prison On ne peut donc pas se cantonner agrave invoquer les

proprieacuteteacutes pharmacologiques des substances consommeacutees pour rendre

compte des trajectoires des usagers drsquoheacuteroiumlne Intervient aussi la dimen-

sion sociale des pratiques en jeu crsquoest-agrave-dire laquo lrsquointeacutegration de lrsquoindividu

dans un milieu de toxicomanes [qui] le lie agrave un systegraveme drsquoobligations raquo

(Castel 1998 p 228) Cette dimension nrsquoeacutechappe pas agrave cette cateacutegorie

drsquousagers de drogues lorsqursquoils deacuteploient des strateacutegies drsquoeacutevitement agrave

lrsquoeacutegard de leurs anciens amis laquo qui ne parlent pratiquement que de ccedila raquo et

freacutequentent plutocirct ceux qui ne consommaient pas ou qui ont reacuteussi agrave

srsquoarrecircter encourageant les autres agrave sortir de ce systegraveme Autrement dit si

la toxicomanie dans les quartiers pauvres peut se comprendre comme une

forme de reacuteaffiliation puisque y eacutechapper crsquoest srsquoextraire des liens forts

qursquoelle noue les toxicomanes apparaissent comme des deacutesaffilieacutes par excel-

lence agrave un moment donneacute Tous ceux qui ont dix ans et plus drsquoancienneteacute

dans ce monde disent la difficulteacute de recommencer tout agrave zeacutero la tren-

taine passeacutee sans rien agrave eux agrave ecirctre sur un fil Bruno est un cas limite

laquo Jrsquoai plus rien qui mrsquoaccroche agrave la vie jrsquoai pas de femme jrsquoai pas drsquoenfants jrsquoaiplus de famille et je dois eacutenormeacutement drsquoargent alors crsquoest dur drsquoecirctre motiveacute raquo Il a

fait sa premiegravere postcure il y a deux ans agrave 35 ans avant de repartir apregraves

un eacutechec et une nouvelle arrestation-condamnation-incarceacuteration dans

une autre structure Il a choisi de preacuteparer sa sortie en participant agrave un

programme de substitution au Subutex en deacutetention alors que trois ans

auparavant il rejetait avec force cette solution

Crsquoest une autre particulariteacute de cette geacuteneacuteration drsquousagers son accegraves

aux structures de soins ndash speacutecialiseacutees ou pas ndash a eacuteteacute sacrifieacute agrave drsquoautres

enjeux alors mecircme qursquoelle a eacuteteacute particuliegraverement exposeacutee aux risques de

contamination du VIH (virus du sida) et du VHC (virus de lrsquoheacutepatite C)

Entre les logiques lourdes de lrsquoordre public et du peacutenal drsquoun cocircteacute et celles

du quartier de lrsquoautre peu de place a eacuteteacute laisseacutee agrave la prise en compte des

enjeux de santeacute publique et de preacutevention On ne srsquoeacutetonnera pas que

de leur cocircteacute les toxicomanes rencontreacutes aient longtemps cru qursquoils

pourraient srsquoen sortir tout seuls

Bon jrsquoai coupeacute avec la prison Tu me diras crsquoest pas la mecircme chose maisbon je ne sais pas Jrsquoai toujours cru que jrsquoarriverais agrave mrsquoen sortir toutseul en fait Michel Jrsquoai jamais eacuteteacute frapper agrave une porte drsquoune associationquelconque ou aller dans une postcure Jrsquoai toujours cru que jrsquoallais mrsquoensortir que le seul type qui pouvait mrsquoaider crsquoeacutetait moi-mecircme Le seul typequi pouvait me sortir de cette merde crsquoeacutetait moi avec du courage et de lavolonteacute surtout de la volonteacute Jrsquoai toujours cru ccedila Et puis maintenantjusqursquoagrave preacutesent je me rends compte que non il aurait fallu peut-ecirctre unsuivi theacuterapeutique voir des psychologues de temps en temps Je dis pas que

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52 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

ccedila aurait reacuteussi mais ccedila mrsquoaurait fait du bien et ccedila mrsquoaurait aideacute beau-coup Puisque jrsquoai jamais eacuteteacutehellip en fin de compte faire une postcure Laseule fois ougrave jrsquoai fait une sorte de cure crsquoest quand ma famille mrsquoa emmeneacuteen 85 ils sont partis en vacances en Espagnehellip Ma megravere leur a dit laquo Vouspouvez lrsquoemmener avec vous le laissez pas ici il va crever sinon raquo Jrsquoai eacuteteacuteavec eux et je suis resteacute pendant un mois lagrave-bas Le premier jour ccedila a eacuteteacutedur jrsquoeacutetais alleacute voir un meacutedecin Bon jrsquoai deacutecrocheacute et ccedila allait par lasuite Crsquoest la seule fois ougrave jrsquoai deacutecrocheacute en vacances Jrsquoavais eacuteteacute aussi uneautre fois en 83 Mais crsquoeacutetait avec des amis on se faisait envoyer de lacame par lettre pour te dire par la poste (28 mars 1997)

23 LrsquoENGAGEMENT DANS LE TRAFIC AU COURS

DES ANNEacuteES 1990

Que sont devenus les membres de cette geacuteneacuteration ayant commenceacute agrave

consommer et agrave revendre de lrsquoheacuteroiumlne au deacutebut des anneacutees 1990 La

diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers on ne le reacutepeacutetera jamais assez a

eu des effets dramatiques laquo Jrsquoai eu des deacutecegraves qui mrsquoont suivi agrave longueur detemps raquo reacutepeacutetera lrsquoun laquo tous ceux de notre eacutepoque la plupart ils sont partis raquo

souligne un autre qui a perdu son fregravere et son cousin laquo mes amis ils onttous fini au cimetiegravere raquo dira encore un autre Bien que ce pheacutenomegravene soit

quasi impossible agrave quantifier de nombreuses familles ont eacuteteacute toucheacutees par

les effets conjugueacutes de lrsquoheacuteroiumlne et du sida laquo Survivants raquo laquo rescapeacutes raquo

laquo dinosaures raquo telles sont les expressions utiliseacutees dans les citeacutes pour deacutesi-

gner ceux qui ont eacutechappeacute aux surdoses au sida au suicide (reacuteel ou

deacuteguiseacute) Les laquo tox raquo qui approchent la quarantaine alternent des peacuteriodes

drsquoabstinence et des peacuteriodes ougrave ils sont laquo agrave fond dedans raquo vont et viennent

entre prison et quartier Malades le corps marqueacute habilleacutes pauvrement

on les nomme ici ou lagrave les laquo schlagues raquo ou les laquo gueux raquo ndash expressions

renouant eacutetrangement avec lrsquoancienne imagerie des vagabonds Degraves lors

on comprend qursquoils aient pu jouer la fonction drsquoimage repoussoir aupregraves

des nouvelles geacuteneacuterations Au moins un temps leur histoire a pu dissuader

ces derniegraveres de prendre massivement de lrsquoheacuteroiumlne

Le paradoxe crsquoest que ce processus nrsquoa pas empecirccheacute lrsquoessor du trafic

drsquoheacuteroiumlne puis de cocaiumlne entre le milieu des anneacutees 1980 et le milieu

des anneacutees 1990 On peut y voir lrsquoeffet drsquoune strateacutegie drsquoordre public visant

agrave laquo nettoyer raquo la ville-centre et ses espaces publics et agrave cantonner les mar-

cheacutes de la drogue dans les quartiers peacuteripheacuteriques Mais crsquoest aussi le biznessqui a changeacute dans cette peacuteriode Si drsquoapregraves nos informateurs de terrain

ceux qui controcirclent les marcheacutes sont agrave peu pregraves les mecircmes qursquoil y a dix

ans les modes drsquoorganisation sont devenus plus complexes Une triple

transformation est survenue un redeacuteploiement drsquoeacutechelle du trafic qui de

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 53

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micro-locale est devenue deacutepartementale voire interdeacutepartementale avec

la constitution de reacuteseaux de trafics beacuteneacuteficiant de supports logistiques et

sociaux varieacutes le deacuteveloppement des polytrafics (heacuteroiumlne cocaiumlne ou

crack speed Subutex) visant agrave srsquoadapter agrave la concurrence et agrave la tendance

persistante agrave la polyconsommation de produits drsquousage illicite et licite

lrsquoeacutemergence agrave cocircteacute des logiques de quartier de logiques baseacutees sur le

caiumldat avec des modes drsquoaction et de repreacutesentation eacutevoquant fortement

les mafias Par ailleurs ceux qui participent au deal (rabatteurs guetteurs

revendeurs transporteurs etc) semblent plus souvent des non-usagers atti-

reacutes agrave la fois par un motif eacuteconomique et par la mythologie entourant le

laquo dealer des citeacutes raquo Demeurant bien plus lucratifs que le marcheacute du can-

nabis souvent plus artisanal et atomiseacute les marcheacutes de lrsquoheacuteroiumlne et de la

cocaiumlne ont ainsi tireacute parti des ressources offertes par cette armeacutee de

reacuteserve de jeunes sans avenir deacutescolariseacutes sous influence chocircmeurs ou

travailleurs preacutecaires avides de prendre place dans la socieacuteteacute de consom-

mation et de srsquoen approprier les signes les plus valoriseacutes Bref on est passeacute

drsquoune logique drsquoautofinancement de la consommation agrave une logique

marqueacutee par une professionnalisation du trafic Du coup de nouveaux

cheminements et strateacutegies se dessinent qursquoil nous faut maintenant deacutecrire

231 SCEgraveNES DE REVENTE

Ce qui est remarquable crsquoest la tension qui regravegne sur les lieux de deal et

plus encore le durcissement des eacutechanges entre usagers et dealers On

pourrait multiplier les citations faisant eacutetat de lrsquoinsolence du manque de

respect de la violence verbale ou physique agrave lrsquoeacutegard des usagers (laquo un tox

il faut lrsquoinsulter raquo) Et les observations sur le terrain confirment largement

cette tension palpable et le climat de suspicion que renforcent les inter-

ventions policiegraveres On peut interpreacuteter ces situations comme lrsquoun des

effets des transformations du trafic Ainsi il y a drsquoun cocircteacute les toxicomanes

qui sont affaiblis par le manque les pressions policiegraveres les maladies des

conditions de vie preacutecaires reacuteduits agrave des rocircles subalternes dans la deacutelin-

quance (intermeacutediaires rabatteurs voleurs receleurs occasionnels) por-

tant les stigmates de la deacutegradation et perccedilus comme indeacutesirables dans les

citeacutes de lrsquoautre il y a les revendeurs animeacutes par lrsquoappacirct du gain agressifs

voire meacuteprisants agrave lrsquoeacutegard de leurs clients peu sociables ou compreacutehensifs

refusant de neacutegocier les prix ou les quantiteacutes ce qui les rend aussi plus

vulneacuterables les usagers ayant moins de scrupules agrave les balancer La concur-

rence srsquoest accrue la preacutesence policiegravere aussi laquelle peut ecirctre instru-

mentaliseacutee de diverses maniegraveres19

19 Pour une analyse plus deacuteveloppeacutee de cet aspect des rapports sociaux du trafic voirnotre article (Kokoreff 2000)

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54 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Afin de rendre plus sensibles les changements qui se sont opeacutereacutes

arrecirctons-nous sur ces deux scegravenes de transaction dans la mecircme citeacute telles

qursquoelles sont deacutecrites par Bruno La premiegravere se passe au milieu des

anneacutees 1980

Ben trsquoavais les mecs qui avaient 20 ans qursquoavaient leur came et puistrsquoavais leurs petits fregraveres qui avaient 10 11 ans [hellip] Degraves qursquoils voyaientune voiture arriver comme ccedila tous les petits ils se battaient crsquoest agrave celuiqui courrait le plus vite Ils disaient laquo Crsquoest mon client crsquoest mon client raquoLe petit jeune il courait voir son fregravere et son fregravere entre-temps il preacuteparaitdeux paquets et quand toi tu arrivais il te disait laquo Tiens ccedila y est tiensmais va-t-en va-t-en raquo Il fallait vite que tu trsquoen ailles (26 mars 1997)

La deuxiegraveme scegravene a lieu dix ans plus tard Du deal agrave ciel ouvert on

est passeacute agrave un dispositif ougrave les revendeurs agissent masqueacutes (dans les caves

les escaliers) et armeacutes ce qui rend plus difficile leur identification par les

usagers et lrsquoaction de la police On les appelle les laquo Ninjas raquo

Tu fais la queue dans hellip tu sais le grand bacirctiment qui est en face le mienalors ils attendaient qursquoil y ait au moins trente toxicos qui attendent dansles escaliers puis drsquoun seul coup tu voyais deux dealers arriver alorslrsquoextincteur la lacrymogegravene la batte de baseball le couteau tout ce qursquoilfaut et cagouleacutes

ndash Toi combien tu veux toi

ndash Moi je veux deux

ndash Tu preacutepares tes cinquante sacs

Tu lui donnais et il te donnait tes deux demis

ndash Casse-toi par lrsquoautre cocircteacute

ndash Il y avait la queue et trsquoavais trente toxicos qui passaient et voilagrave (15 deacutecembre 1998)

En est-on toujours lagrave Il conviendrait de prendre en compte plus

qursquoon peut ne le faire ici les changements intervenus dans lrsquoorganisation

du deal avec la banalisation des teacuteleacutephones portables Un simple coup de

fil suffit pour contacter un revendeur et se mettre drsquoaccord sur un lieu de

rendez-vous De la sorte les livraisons agrave domicile peuvent ecirctre favoriseacutees

Crsquoest une situation intermeacutediaire deacutecrite par Mourad dont on abordera

plus loin lrsquoitineacuteraire

Vous faisiez tout vous-mecircme

Oui je faisais tout moi-mecircme Jrsquoaimais bien preacuteparer

Y compris au deacutetail dans la rue

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 55

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Oui [hellip] je connaissais mecircmehellip sur le bip Jrsquoeacutetais fou jrsquoeacutetais un incons-cient Je vendais je leur disais je suis sur la came Il y en a qui me bipaientagrave 3 heures du matin Je leur donnais rendez-vous en face de chez moi dansle hall Je descendais en claquette en peignoir pour leur donner Jrsquoeacutetaisbarreacute je lacircchais rien

Vous faisiez tout

Tu veux 200 F je te donne 200 F tu veux 400 F je te donne 400 F Jeme deacuteplace jrsquoallais chez eux Ce nrsquoest pas eux qui se deacuteplaccedilaient Je suisun des premiers agrave avoir fait ccedila Maintenant tout le monde le fait

Ccedila majore les prix

Non mais ce qursquoil y a crsquoest que moi je pense qursquoil y a moins de risquesCrsquoest grilleacute dans la rue

Bien qursquoelles puissent ecirctre encore observables aujourdrsquohui ces scegravenes

de deal font entrevoir les modifications enregistreacutees depuis vingt ans dans

la revente au deacutetail Dans un premier temps crsquoest lrsquoinvisibiliteacute (de la rue

aux bacirctiments des halls et escaliers aux caves du face-agrave-face agrave lrsquoanonymat)

qui est rechercheacutee Dans un second temps crsquoest la mobiliteacute (des laquo plans raquo

des personnes) Sans ecirctre lineacuteaires ces modifications manifestent les capa-

citeacutes drsquoadaptation des acteurs du trafic et la labiliteacute de leurs rapports

drsquoeacutechange

232 LE RAPPORT AU PRODUIT

Un bon indice de ce processus de professionnalisation du trafic est le

rapport au produit Si dans le cas du cannabis usage et revente vont de

pair en matiegravere drsquoheacuteroiumlne de cocaiumlne ou de crack il nrsquoen va pas de

mecircme Participer au trafic drsquoune maniegravere ou drsquoune autre crsquoest drsquoabord

acceacuteder agrave des ressources financiegraveres dans un contexte de chocircmage de

masse et de preacutecariteacute cela devient un travail un job un bizness et parallegrave-

lement sur un plan symbolique une faccedilon drsquoacqueacuterir une bonne reacuteputa-

tion et drsquoecirctre quelqursquoun Mais ces deux exigences ne sont pas faciles agrave

associer agrave la consommation Selon une opinion freacutequemment entendue

il est incompatible de revendre et de consommer de lrsquoheacuteroiumlne

Prenons lrsquoexemple de Mounir que nous connaissions de vue dans

une citeacute avant de le revoir en deacutetention Il avait 24 ans au moment du

premier entretien reacutealiseacute avec lui Lorsqursquoon lui demande quels sont les

eacuteveacutenements qui ont fait qursquoil a rencontreacute le monde de la drogue il deacutecrit

lrsquoengrenage

Ccedila crsquoest au deacutebut trsquoes bien trsquoes agrave lrsquoeacutecole tout va pour le mieux si on peutdire Apregraves le jour ougrave tu te retrouves agrave la rue le fait drsquoavoir des amis laquo oh ccedilrsquouirsquolagrave il est bien habilleacute ccedilrsquouirsquolagrave il a plus drsquoinfluence raquo les gens qui

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56 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

fument le shit bon tu commences agrave fumer un petit peu agrave goucircter apregravescrsquoest un engrenage tu rentres dedans tu commences agrave fumer de plus enplus apregraves tu mets de lrsquoargent pour trsquoacheter des affaires donc tu commencesagrave dealer apregraves la vie plus on approche de lrsquoan 2000 plus les temps sontdurs tu trsquoaperccedilois que le shit ccedila ne rapporte plus Crsquoest pas que ccedila nerapporte plus crsquoest que pour rapporter ccedila met trop longtemps et tu voistes amis agrave cocircteacute toi trsquoes en galegravere et eux en un rien de temps ils fontrentrer en deux journeacutees trois quatre briques Ccedila commence agrave travaillerdans la tecircte et apregraves agrave force tu te dis laquo Bon le shit mets-le de cocircteacute amegravenela came raquo Tu commences agrave dealer un petit peu juste de quoi te faire 500ou 1000 F 2000 F mecircme 4000 F et apregraves crsquoest un engrenage (11 avril 1997)

Cette entreacutee progressive dans la revente srsquoinscrit dans un processus

beaucoup plus geacuteneacuteral de diffusion de lrsquoheacuteroiumlne dans les quartiers pauvres

qui attire un certain nombre drsquoindividus deacutejagrave impliqueacutes dans drsquoautres

trafics Lrsquoheacuteroiumlne est une marchandise plus que rentable crsquoest dans ce

sens que son arriveacutee a bouleverseacute les autres trafics (laquo elle a niqueacute le biznessde shit raquo) elle donne du mecircme coup un statut qui sort du commun des

petits revendeurs de cannabis Au cours de lrsquoentretien Mounir se preacutesen-

tera comme un dealer pas comme un consommateur20 Telle est la condi-

tion pour ne pas se deacutetruire la santeacute (ecirctre une laquo loque raquo) faire des affaires

(ne pas laquo couler raquo ni laquo aller faire nrsquoimporte quoi pour aller peacute-cho [ldquochoperrdquo] sacame raquo) et ecirctre respecteacute (laquo les tox les petits des dealers drsquoagrave cocircteacute je les mettais tousagrave lrsquoamende raquo)

Selon que lrsquoon ait affaire agrave des revendeurs de rue ou agrave leurs pour-

voyeurs le rapport au produit est diffeacuterent Pour reprendre les cateacutegories

indigegravenes les toxicomanes qui vendent ce sont des rabatteurs des laquo petits

dealers raquo sur une pile de dix ils revendent six ou sept laquo keacutepas raquo et en

gardent trois ou quatre pour leur consommation Les dealers eux ne

consomment pas sont joignables sur leur portable et vendent au gramme

peseacute Crsquoest un pheacutenomegravene encore plus remarquable agrave mesure que lrsquoon

srsquoeacutelegraveve dans la hieacuterarchie des trafiquants Par exemple ce Marocain de 47 ans

neacute dans la valleacutee du Riff poursuivi pour avoir joueacute un rocircle drsquointermeacutediaire

dans un important reacuteseau de trafic international de cannabis a commenceacute

agrave fumer le kif agrave 17 ans Mais au Maroc sa consommation srsquoinscrit dans un

tout autre contexte drsquousage En France Omar ne fume ni tabac ni cannabis

20 Lors de lrsquoinstruction de son affaire il adoptera la position inverse En deacutetention preacute-ventive pour une affaire drsquoheacuteroiumlne (dix doses trouveacutees agrave ses pieds cinq chez lui) ilminimisera son rocircle de dealer et se deacuteclarera consommateur aux policiers cela en vuedrsquoalleacuteger la sanction peacutenale Cette strateacutegie si elle teacutemoigne de la labiliteacute des statutsselon les situations vise bien eacutevidemment agrave eacutechapper agrave des sanctions lourdes

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il ne boit pas non plus drsquoalcool Il interdit agrave ses enfants de le faire parce

qursquoils sont trop jeunes pour se controcircler Crsquoest pour la mecircme raison qursquoagrave

un certain niveau de trafic la regravegle veut qursquoon ne consomme pas

Il y en a qui sont consommateurs Mais il y en a qui savent pas controcirclerMais crsquoest vrai que la plupart des vrais trafiquants ils ne fument pas[hellip] Ils ne doivent pas fumer Ils doivent travailler Ils doivent avoir latecircte fraicircche pour travailler Srsquoil fume il perd la tecircte Srsquoil sniffe ccedila y est ila plus de parole Moi si je vois quelqursquoun sniffer de la cocaiumlne je nrsquoaiplus confiance Il peut faire nrsquoimporte quoi Il propose des trucs qui sontnrsquoimporte quoi Il fait nrsquoimporte quoi Il peut aller tuer (3 juillet 1999)

La consommation notamment de cocaiumlne altegravere ce que Tarrius

(1997) appelle lrsquolaquo eacutethique des reacuteseaux raquo celle qui repose sur la confiance

en la parole donneacutee aux antipodes du modegravele contractuel Mais il en va

aussi de ce que lrsquoon pourrait appeler une eacutethique du travail bien fait

Normalement quelqursquoun qui vend qui trafique il ne doit pas faire celaIl ne doit pas fumer fumer pour consommer srsquoil veut Mais il ne doit pasfumer ou boire beaucoup Il faut ecirctre quelqursquoun de seacuterieux Il faut restersur son travail Crsquoest comme si vous alliez agrave lrsquousine vous travaillez aubureau Crsquoest pareil il faut avoir la tecircte Parce que les flics sont forts Doncil faut faire des plans pour srsquoen sortir Il faut avoir la tecircte si vous nrsquoavezpas de tecircte vous nrsquoallez pas travailler avec les pieds (9 juillet 1999)

233 LE TRAFIC COMME TRAVAIL

Lrsquoengagement dans le trafic local peut se comprendre comme un proces-

sus et reacutepondre agrave des motivations diverses selon les moments Les lyceacuteens

qui revendent des barrettes de shit dans leur eacutetablissement scolaire ou leur

quartier ne peuvent ecirctre assimileacutes aux chocircmeurs qui laquo font la survie raquo en

vendant quelques paquets drsquoheacuteroiumlne pour un laquo grand raquo de leur citeacute Ceux

qui revendent pour srsquoacheter des habits et sortir les filles ne sont pas dans

le mecircme laquo film raquo que ceux ou celles qui revendent pour faire un laquo coup raquo

(partir en vacances srsquoacheter une voiture subvenir agrave une dette aider le

retour clandestin drsquoun proche apregraves une expulsion du territoire) pas plus

que les uns et les autres ne peuvent ecirctre assimileacutes agrave ceux pour qui la

revente est lrsquoeacutequivalent drsquoun travail leur prenant la majeure partie de

leur temps

Revenons au parcours de Mounir abordeacute plus haut Issu drsquoune

famille algeacuterienne de cinq enfants Mounir avait 24 ans lorsque nous

lrsquoavons rencontreacute Son pegravere arriveacute agrave lrsquoacircge de 16 ans en France a termineacute

sa vie professionnelle comme chef de chantier Lorsque jrsquoai connu le fregravere

cadet de Mounir il eacutetait en terminale S puis il srsquoest inscrit en classes

preacuteparatoires (section scientifique) Sa sœur a eu un brevet de technicien

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58 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

supeacuterieur (BTS) en comptabiliteacute et travaille dans une grande entreprise

Un autre de ses fregraveres a eu un BTS en comptabiliteacute Seul son plus petit

fregravere acircgeacute de 13 ans est agrave la rue comme lui preacutecisera-t-il Drsquoougrave la question

deacutejagrave poseacutee agrave drsquoautres comment expliquer son parcours dans la deacutelin-

quance et la drogue alors que les autres srsquoen sont plutocirct bien sortis

Ben il faut dire franchement ce qui est moi je vois qursquoune reacuteponse crsquoestque quand jrsquoai commenceacute agrave deacutemarrer tout ccedila crsquoest que agrave mon avis crsquoestla tentation du diable et en plus crsquoest que je devais ecirctre trop influenccedilableEt peut-ecirctre tu sais quand trsquoes jeune histoire de jouer eacuteleacutegant aussi Ona peut-ecirctre de ccedila aussi Mais apregraves crsquoest mecircme plus ccedila Apregraves crsquoest ton jobApregraves crsquoest mecircme plus question de flamber ou un truc comme ccedila tu voistoi crsquoest ton job Crsquoest histoire de sauver ta peau de remplir ta pocheFranchement qursquoest-ce que tu veux que je foute Jrsquoai aucun diplocircme

Trsquoas arrecircteacute lrsquoeacutecolehellip

hellip en troisiegraveme technologie Jrsquoai aucun diplocircme Jrsquoai travailleacute un petit peuagrave droite agrave gauche des deux mois en inteacuterim des trucs comme ccedila Apregravesavec le placard quinze mois pour homicide je sors pendant cinq mois jetrouve rien Je retombe six mois je sors en provisoire je reste quatre moiset demi dehors je retourne trois mois je sors je reste un an je retombe(11 avril 1997)

En quelques phrases est reacutesumeacutee cette expeacuterience fragmenteacutee du

temps qui laisse peu de place agrave une position stabiliseacutee et rend illusoires

les projets drsquoinsertion Si les laquo raisons raquo invoqueacutees peuvent passer pour des

justifications leur inteacuterecirct est drsquoecirctre situeacutees dans le temps aux croyances

(la tentation du diable) et traits de caractegravere (ecirctre influenccedilable) succegravede

la neacutecessiteacute celle faisant de la revente un moyen de survie faute de for-

mation Comment trouver un travail leacutegal face au racisme des employeurs

et aux effets du stigmate judiciaire Tel est le dilemme de bien des jeunes

des quartiers pauvres

Au-delagrave de la mythologie du trafiquant professionnel on connaicirct

assez mal les strateacutegies deacuteployeacutees par les petits revendeurs non pas seule-

ment pour survivre mais pour rendre coheacuterentes aspirations et ressources

Aujourdrsquohui plus que jamais le trafic est geacuteneacutereacute par une ambition de ne

pas travailler agrave lrsquousine Il y a cette volonteacute drsquoeacutechapper aux conditions de

vie qui furent celles des parents laquo Nous nos parents se sont fait exploiterNous crsquoest finihellip raquo Mais en mecircme temps on retrouve le travail dans le

trafic Un acteur local remarque laquo La strateacutegie des jeunes qui ont 20 ans crsquoest

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ldquoon met de cocircteacute Comme ccedila dans dix ans on prend un boulot pourri mais au moinson aura ce qursquoil fautrdquo raquo Ce que dit drsquoune autre maniegravere Mourad petit

revendeur devenu fournisseur

On ne vend pas de la drogue pour le plaisir Agrave la rigueur celui qui vendde la drogue il a raison drsquoessayer de faire sa vie drsquoessayer de mettre de cocircteacutele plus rapidement possible pour deacutemarrer la vie Se lancer dans quelquechose de concret de droit Bon il y en a qui ne peuvent faire que ccedila21

(26 juillet 1999)

234 AVOIR LrsquoESPRIT ENTREPRENEUR

Mourad offre une variante assez inteacuteressante de ces cheminements dans

le trafic moins caracteacuteriseacutes par une logique de marginalisation que par

une logique entrepreneuriale Acircgeacute de 23 ans lors de nos premiegraveres ren-

contres il est issu drsquoune famille drsquoenseignants Drsquoorigine algeacuterienne il a

grandi agrave Issy-les-Moulineaux avec ses deux sœurs ses parents sa grand-

megravere et sa tante loin de lrsquounivers des citeacutes Agrave lrsquoadolescence il deacutemeacutenage

dans une commune proche qui a mauvaise reacuteputation Il poursuit sa sco-

lariteacute au lyceacutee jusqursquoau bac et lui-mecircme se qualifie de laquo bon eacutelegraveve raquo Peu

inteacutegreacute dans un quartier qursquoil ne connaicirct pas il se met agrave freacutequenter par

lrsquointermeacutediaire de la sœur de sa meilleure amie les jeunes des halls de sa

citeacute qui revendent du cannabis Agrave ce moment une rupture profonde

survient dans son existence avec le meurtre de sa megravere par son pegravere qui

lui-mecircme se suicidera quelques mois apregraves en deacutetention On est en 1995

Mourad a tout juste 18 ans Crsquoest peu apregraves qursquoil commence agrave revendre

du cannabis dans son eacutetablissement scolaire Pour autant il reacutefute toute

interpreacutetation psychologique attribuant au drame familial la cause de son

entreacutee dans la deacutelinquance laquo Crsquoest par palier que crsquoest arriveacute En deux ansjrsquoai vraiment tout fait Jrsquoen parlais agrave un copain il mrsquoa dit ldquoTrsquoas fait en un ande temps ce que jrsquoai fait en dix ansrdquo raquo

Il commence par acheter 25 grammes puis des laquo savonnettes raquo

(250 grammes) avant de passer rapidement agrave des achats par kilos qursquoil

partage avec deux de ses amis Fait remarquable alors que ses copains de

classe et les gens autour de lui fument lui-mecircme nrsquoest pas consommateur

Son contact le met en rapport avec un fournisseur drsquoheacuteroiumlne drsquoune autre

citeacute il lui propose de faire de laquo lrsquoargent vite fait raquo Mourad relegraveve le deacutefi

En 1996 il obtient son bac et arrecircte lrsquoeacutecole Il prend de lrsquoenvergure

comme dealer srsquoassocie avec un autre revendeur drsquoheacuteroiumlne et de cocaiumlne

qui revend dans la rue derriegravere chez lui Il noue des relations qui lrsquoamegravenent

21 Voir dans un tout autre milieu social les strateacutegies des laquo enfants de bonne famille raquoanalyseacutees par Missaoui et Tarrius (1999)

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60 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave rencontrer des laquo grosses tecirctes raquo dans une autre commune Ces relations

lui permettent de srsquoeacutemanciper dans une certaine mesure des reacuteseaux

locaux La situation srsquoinverse crsquoest lui qui procure une marchandise de

qualiteacute et obtenue agrave bas prix agrave ceux qui le fournissaient agrave ses deacutebuts

Nrsquoeacutetant pas connu des services de police il megravene la belle vie Pourtant les

ennuis commencent Il est interpelleacute mis en examen et eacutecroueacute une pre-

miegravere fois pour trafic agrave peine deux ans apregraves ses deacutebuts Trois mois apregraves

sa libeacuteration il est agrave nouveau placeacute en deacutetention preacuteventive pour une

affaire connexe au deacutebut de 1999 Beacuteneacuteficiant drsquoune confusion de peine

il est finalement condamneacute agrave quatre ans de prison

Dans son reacutecit plusieurs modes drsquoexplication plus ou moins clas-

siques sont mobiliseacutes pour rendre compte de son cheminement les effets

de lrsquoenvironnement (laquo Si jrsquoavais connu des voleurs je crois que je serais devenuvoleur si jrsquoavais connu des braqueurs jrsquoaurais fait des braquages forts je me suisreacutefugieacute dans la drogue chez moi yrsquoa plus de gens qui font ccedila que de gens qui fontpas ccedilahellip raquo) mais surtout le deacutesir de reacuteussite sociale (laquo avec lrsquoeacuteducation quejrsquoai eue je ne pouvais pas ne pas reacuteussir raquo) et de reconnaissance par ses pairs

(ecirctre un laquo bonhomme raquo crsquoest-agrave-dire quelqursquoun) Dans le contexte ougrave il vit

trouver de lrsquoargent est une obsession laquo Il faut de lrsquoargent pour srsquoen sortir delrsquoargent pour sortir il faut de lrsquoargent pour les copines raquo Paradoxalement de

lrsquoargent Mourad en a puisqursquoil a toucheacute une indemniteacute drsquoassurance deacutecegraves

Il part en vacances en Corse aux sports drsquohiver srsquoachegravete des vecirctements

de marque les premiers teacuteleacutephones portables une Golf VR-6 bref il

deacutepense sans compter pour lui et ses proches

On retrouve dans lrsquoitineacuteraire de Mourad un lien eacutetroit avec lrsquoeacutevolu-

tion du marcheacute des drogues dans les citeacutes En effet on a assisteacute lors de la

seconde partie des anneacutees 1990 agrave une recomposition du marcheacute de can-

nabis La concurrence est devenue de plus en plus forte conduisant agrave la

baisse des prix et des marges beacuteneacuteficiaires Drsquoougrave des ventes qui portent

sur des quantiteacutes de plus en plus importantes et une augmentation des

risques en cas de coups durs pour les revendeurs Mourad lui passe aux

drogues dures Il limite les risques au minimum en vendant agrave domicile

comme on lrsquoa vu prend ses rendez-vous sur portable ou se fait laquo biper raquo agrave

toute heure du jour et de la nuit Il compare le deal agrave une entreprise

Oh crsquoest une entreprise Franchement quand je vendais jrsquoai toujoursraisonneacute comme si crsquoeacutetait une entreprise Crsquoest maintenant avec le recul Jeme revoyais pas Maintenant avec le recul crsquoeacutetait ccedila Je me reacuteveillais lematin il faut payer le grossiste Il y a [hellip] le beacuteneacutefice Il faut payer lesgens avec qui vous ecirctes Il faut srsquoacheter ccedila Des fois il faut srsquoacheter destrucs par exemple la bouffe Crsquoest marrant parce que mecircme la bouffe eacutetait

TOXICOMANIE ET TRAFICS DE DROGUES 61

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comprise dans le prix Il y avait 1000 F par jour qui partaient pour labouffe les journaux Moihellip mecircme si jrsquoai pas fait trop drsquoargent je me suisfait plus manipuler qursquoautre chose (21 septembre 1999)

Pourtant dans ses deacutebuts Mourad deacuteclare laquo tourner agrave 25 000 mini-mum par jour raquo parfois plus Dans sa commune en 1998 100 grammes de

cocaiumlne reviennent agrave 45 000 F lui il les touche agrave 35 000 F Tout est affaire

de relations comme il lrsquoexplique

Donc jrsquoai connu des gens drsquoune citeacute [hellip] qui sont venus me voir pour medemander combien je touchais Ils mrsquoont dit que si je prenais un peuplushellip Crsquoest parti comme ccedila Lagrave jrsquoai commenceacute agrave connaicirctre les gens deB Agrave cette eacutepoque-lagrave ils nous donnaient mais ils nous disaient qursquoilscouraient des risques Il y en a drsquoautres qui disaient laquo oui si tu luidonnes il va te balancer raquo Je me rappelle que crsquoeacutetaient des bruits quicouraient souvent et crsquoest vrai que je ne les connaissais pas

Sorti de prison dans la mesure ougrave il nrsquoavait pas balanceacute Mourad

raconte que laquo tous les grands raquo sont venus le voir pour lui demander de

srsquooccuper du terrain Il faut dire que lrsquoaction des services de police et des

juges drsquoinstruction est intense agrave cette eacutepoque surtout sur les petits reven-

deurs (laquo Crsquoest lrsquousine il y en a un qui tombe on en prend un autre raquo) Les

laquo grosses tecirctes raquo recrutent des hommes de confiance

Lrsquoenvers du deacutecor ce sont les emprises et pressions qursquoimplique

lrsquoinscription dans ces reacuteseaux en particulier lorsque les liens dans le

monde de la citeacute sont faibles Mourad nrsquoa pas de famille cela se sait il a

deux sœurs de 21 et 16 ans sur lesquelles les pressions sont faciles per-

sonne ne peut bouger pour lui laquo Ils me tiennent raquo dit-il Ainsi lorsqursquoil sort

de prison il est mis agrave lrsquoamende par ses partenaires de deal afin de payer

la cavale de lrsquoun drsquoeux Refusant de retourner vendre dans la citeacute de

Chacirctillon il est contraint par un caiumld local drsquoeacutecouler 40 kilos de cannabis

Ces emprises justifient son silence et sa reacutecidive

Au cours du troisiegraveme entretien reacutealiseacute agrave la maison drsquoarrecirct de la

Santeacute Mourad multipliera les mentions aux deacutemarches entreprises pour

srsquoen sortir et agrave ses projets laquo Jrsquoai envie de monter une entreprise raquo laquo jrsquoaurais aimeacutetravailleacute dans lrsquoimmobilier mais maintenant avec mon casierhellip raquo laquo je fais desrecherches par lrsquoANPE je prends les journaux raquo laquo je suis des cours je poursuis deseacutetudes jrsquoai des super bonnes notes raquo Il avait eacuteteacute transfeacutereacute quelques semaines

auparavant de la maison drsquoarrecirct de Nanterre manifestement exceacutedeacute par

lrsquoambiance qui y reacutegnait

Je grandissais plus Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoecirctre dans un moule Les discus-sions crsquoeacutetait laquo Ouais tu fais combien Ouais je gagnais tant par jouron faisait comme ccedila on faisait comme ccedila Quand je sors je vais faire ccedila raquoComme on dit dans le jargon de la prison laquo on va tout niquer raquo

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62 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce qui veut dire

Ce qui veut dire quand je sors je fais encore pire qursquoavant mais je faisccedila mieux [hellip] Alors on est entre hommeshellip Crsquoest une image crsquoest pasnous-mecircmes Ccedila parle de came on parle de came Ccedila se dit pas laquo Ouaisles gars faut arrecircter raquo On dit pas laquo Ouais quand je sors je travaille raquo(7 avril 2000)

Mourad a eacuteteacute libeacutereacute en conditionnelle agrave la fin de lrsquoanneacutee 2000 et

jrsquoai perdu sa trace Est-il un cas exceptionnel Sans doute sa trajectoire

sociale comporte-t-elle des traits atypiques par rapport agrave des dealers qui

sont neacutes et ont toujours veacutecu dans lrsquounivers des citeacutes Elle est remarquable

aussi par la rapiditeacute avec laquelle il est arriveacute agrave traiter avec des semi-

grossistes drsquoenvergure Mais on peut estimer que de tels cheminements

dans le bizness ne sont plus rares aujourdrsquohui Cette logique entrepreneu-

riale est agrave lrsquoœuvre en matiegravere de stupeacutefiants comme pour les biens de

consommation courante (automobiles deux-roues piegraveces deacutetacheacutees por-

tables habits) faisant lrsquoobjet de toutes sortes de bizness dans certaines citeacutes

Elle fonctionne drsquoautant plus que quelques personnes peuvent agrave un

moment donneacute faire beaucoup drsquoargent et attirer les autres bref servir

de modegraveles Cela eacutetant on retrouve cette logique bien eacutevidemment dans

drsquoautres milieux sociaux Lrsquoitineacuteraire de certains revendeurs drsquoabord

revendeurs drsquoecstasy puis de cocaiumlne dans le monde de la nuit parisienne

en est une illustration parmi drsquoautres22

24 LA DIFFEacuteRENCIATION DES POSITIONS

DANS LE TRAFIC

Le rapport au produit lrsquoengagement dans le trafic lrsquoesprit dans lequel il

srsquoexerce distinguent les carriegraveres des usagers-revendeurs des anneacutees 1980

et celles des dealers des anneacutees 1990 Crsquoest sur cette question qursquoil nous

faut revenir Nous soulignerons les hieacuterarchies informelles (Becker 1963

p 128) qui structurent lrsquoeacuteconomie de la drogue et au final la mobiliteacute

des positions qui en deacutecoule

241 DrsquoUNE GEacuteNEacuteRATION Agrave LrsquoAUTRE

Entre la geacuteneacuteration de la rue Montmartre et celle qui a grandi dans les

quartiers ougrave la came eacutetait deacutejagrave preacutesente ougrave se situent les diffeacuterences en

termes de carriegraveres Pour Bruno par exemple il nrsquoy a pas drsquoambiguiumlteacute les

22 Voir sur ce point Duprez Kokoreff et Weinberger (2001 p 308-313)

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laquo petits jeunes raquo reproduisent le mecircme parcours que leurs grands fregraveres

cinq ou dix ans plus tard Les produits consommeacutes indiquent certes des

speacutecificiteacutes le Subutex plutocirct que lrsquoheacuteroiumlne consommeacute dans la rue ou en

prison la cocaiumlne plus proche des galettes de crack que de la poudre Et

quand on suggegravere que finalement le parcours des grands fregraveres aurait

pu servir drsquoimage repoussoir et dissuader les plus jeunes Bruno preacutecise

Ouais mais justement yrsquoen a plein ici leurs fregraveres leurs fregraveres et mes copainseuhhellip ils les ont conseilleacutes jrsquoeacutetais en prison et tout leurs fregraveres et tout etmoi je les ai vus grandir Ils sont tous agrave lrsquoinfirmerie en train de se battrepour avoir leur Subutex Ils ont 20 ans

Des gens drsquoAsniegraveres

En plus des gens yrsquoen a un paquet drsquoAsniegraveres de Gennevilliers NanterreToute la banane du 92 jusqursquoagrave Chacirctillon Montrouge lagrave Toute la bananeelle est concerneacutee

Ils rentrent comment ces gens-lagrave

Ils rentrent comment en prison

Non ils commencent comment

Non eux ils ont voulu deacutepasser leurs fregraveres Leur fregravere a eacuteteacute consommateurEux ils se sont dit laquo On va pas faire la mecircme connerie que notre fregravereNous on va faire de lrsquoargent avec raquo Sauf que une fois qursquoils avaient leproduit et qursquoils ont commenceacute agrave vendre ils ont voulu goucircter et tac [tapedans les mains] (9 avril 2000)

Drsquoautres reacutecits drsquousagers font un constat similaire Les laquo petits jeunes raquo

sont loin drsquoavoir eacuteteacute dissuadeacutes par les laquo anciens raquo qui font figure aujourdrsquohui

de rescapeacutes des anneacutees sida Le message nrsquoest pas passeacute Lrsquoentreacutee se ferait

beaucoup plus souvent par le deal avant de laquo tomber dedans raquo agrave un moment

donneacute ndash ou pas

Lorsqursquoon lui demande si agrave son avis les laquo petits jeunes raquo ont suivi le

mecircme parcours que les membres de sa geacuteneacuteration Abdellah reacutepond

Crsquoest un peu diffeacuterent on peut pas dire je trouve que crsquoest diffeacuterent parceqursquoils ont lrsquoexemple devant eux Je les comprends pas ils ont lrsquoexempledevant eux ils ont des copains mecircme des fregraveres ils ont vu les ravages queccedila fait Moi jrsquoai connu des types de 22 23 24 ans ils venaient me fairela morale [hellip] Je les revoyais pas pendant un moment je rentrais en prisonet jrsquoapprenais un peu plus tard que ce type eacutetait lui-mecircme tombeacute dans lacame Parce qursquoil a commenceacute agrave en avoir dans les mains il a commenceacuteagrave vendre avec des rentreacutees drsquoargent mortelles Et puis un jour peut-ecirctre parcuriositeacute ou quoi que ce soit il en a sniffeacute et voilagrave Et apregraves crsquoest lrsquoengrenage(15 deacutecembre 1998)

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64 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce type de reacutecit nrsquoaccreacutedite-t-il pas le scheacutema fataliste de la

toxicomanie Mais les dimensions territoriales des trafics sont aussi agrave

prendre en compte afin de saisir la singulariteacute des carriegraveres En effet avoir

grandi dans un quartier connu pour ecirctre un lieu de deal drsquoheacuteroiumlne nrsquoest

pas sans conseacutequences par rapport agrave une socialisation au sein de quartiers

speacutecialiseacutes dans les laquo petits bizness de shit raquo Bruno deacutecrit tregraves bien lagrave aussi

cette opposition entre deux types de quartiers drsquoambiances et de bizness

Moi je jouais encore au bac agrave sable hein quand yrsquoen a qui venaient acheterde la came Apregraves jrsquoai habiteacute dix ans agrave cocircteacute de lrsquoeacuteglise Et apregraves les grandsils sont partis aux Oiseaux Aux Oiseaux il nrsquoy avait pas de came Alorscrsquoest une citeacute yrsquoen a partout autour mais il nrsquoy a jamais eu de came Yrsquoaque du shit

Et depuis tregraves longtemps

Et depuis tregraves longtemps Yrsquoa jamais eu de problegravemes Bon deux ou troispetits serrages comme ccedila Mais crsquoest du cannabis crsquoest tout Alors queAsniegraveres au L crsquoest rempli rempli que de came hein

Et les Oiseaux crsquoest plutocirct une famille qui controcirclait un peu lemarcheacute ou crsquoeacutetaient plusieurshellip

Oh non Lagrave crsquoeacutetait un peu tout un peu tout le monde Crsquoeacutetait du petitbizness quoi Bon yrsquoavait deux ou trois familles qui avaient un peu lemonopole ils avaient un peu plus drsquoargent ou ils achetaient un peu plusMais ce qui est bien crsquoest qursquoil nrsquoy avait que du cannabis Yrsquoa pas eude morts yrsquoa pas eu dehellip alors que bon au L yrsquoen a eu des morts(9 avril 2000)

Il nrsquoest pas question drsquoen conclure que grandir dans tel ou tel type

de quartier preacutedeacutetermine les carriegraveres dans la consommation et le trafic

On pourrait neacuteanmoins avancer la notion de laquo carriegraveres de quartier raquo qui

interagissent avec la trajectoire des personnes impliqueacutees

242 LES HIEacuteRARCHIES INFORMELLES

Si lrsquoon voit donc agrave partir des entretiens reacutealiseacutes que les cheminements dans

le monde populaire des drogues ne sont pas identiques selon les cohortes

ou les geacuteneacuterations consideacutereacutees il apparaicirct aussi que les positions occupeacutees

dans le trafic ne sont pas homogegravenes En effet la cateacutegorie de laquo trafic raquo et

plus encore celle de laquo trafiquants raquo sont peu opeacuteratoires pour rendre

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compte de la diversiteacute des formes de trafic agrave lrsquoeacutechelon local Il convient

aussi de consideacuterer la diffeacuterenciation des engagements et des positions

acquises les hieacuterarchies internes et les itineacuteraires qursquoelles dessinent23

Nous avons souvent eu lrsquooccasion de le constater lors de nos enquecirctes

les toxicomanes et les grossistes nrsquoappartiennent pas au mecircme monde

social Ils ne se connaissent pas directement puisque les usagers ont prin-

cipalement affaire aux revendeurs de rue De leur cocircteacute les grossistes

eacutevitent de se faire repeacuterer dans la rue et souvent nrsquohabitent plus sur

place Crsquoest aussi la nature des relations entre usagers revendeurs et gros-

sistes qui explique cette diffeacuterenciation Par exemple Bruno eacutevoquant les

formes drsquoentraide preacutecise

Tu vois quand le gros a donneacute plusieurs petits paquets aux jeunes de20 ans si yrsquoa un jeune qui tombe normalement le gros il envoie un petitmandat tous les mois mais ce nrsquoest pas mon monde agrave moi ccedila moi je suisde lrsquoautre cocircteacute moi je suis client donc moi personne ne mrsquoaide du fait quejrsquoai plus drsquoamis plus de famillehellip (15 deacutecembre 1998)

Sans doute la position occupeacutee par Bruno deacutesaffilieacute par excellence

renforce-t-elle cette distance entre ces deux mondes lrsquoun ougrave la regravegle est

de venir en aide en cas de coup dur lrsquoautre ougrave lrsquoabsence de solidariteacute est

deacutecrite comme la regravegle Cela eacutetant lrsquoabsence de liens directs nrsquoempecircche

pas de savoir comment les choses se passent comment la marchandise est

acheteacutee partageacutee distribueacutee agrave lrsquoeacutechelle drsquoun deacutepartement quelles rela-

tions les grossistes entretiennent entre eux

De toute faccedilon yrsquoa des gens qui leur apportent qui sont en haut quoi Jrsquoenconnais pas personnellement mais je sais comment que ccedila se passe quoiIls se teacuteleacutephonent ils en prennent 100 grammes 200 grammes ccedila deacutependquoi et puis des fois ils se mettent mecircme agrave plusieurs pour voir si bonhellipils se mettent agrave plusieurs puisque y a des grossistes qui vendent ils disent laquo Moi je ne vends pas en dessous de 100 grammes ou en dessous de500 grammes raquo Le minimum que tu peux prendre crsquoest 500 grammes situ viens pour 100 300 grammes il va te dire laquo Non moi je vends pasccedila 100 100 grammes si tu veux un demi-kilo ou un kilo raquo Alors ils semettent agrave plusieurs et puis apregraves ils se partagent ils se partagent lamarchandise et chacun va avoirhellip Lrsquoautre il est agrave Asniegraveres il vend agraveAsniegraveres lrsquoautre agrave Nanterre il vend agrave Nanterre celui drsquoArgenteuil il vendagrave Argenteuil crsquoest comme ccedila [hellip]

23 On srsquoinspire ici de lrsquoarticle de Hughes sur les carriegraveres reacutedigeacute en 1958 qui soulignenotamment que laquo Certains meacutetiers se trouvent dans des systegravemes qui offrent de nom-breuses ouvertures sur drsquoautres systegravemes connexes et sur le public lorsque quelqursquounarrive au terme drsquoune eacutetape de sa carriegravere il peut ecirctre transfeacutereacute vers une position danslrsquoun de ces systegravemes connexes raquo (Hughes 1958 p 182)

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Et ces gens-lagrave qui vendent en semi-gros disons ils habitent dansle quartier

Voilagrave des fois ils habitent dans le quartier bon crsquoest des gens trsquoas mecircmepas tu soupccedilonnerais mecircme pas Des gens des pegraveres de famille avec desenfants jrsquoen ai vus jrsquoen ai connus deux ou trois je suis resteacute eacutebahi sur lecoup Jrsquoai dit laquo Non crsquoest pas possible raquo Et puis jrsquoai remarqueacute qursquoen finde compte jrsquoai vu qursquoils avaient raison parce que jrsquoai remarqueacute un peuson manegravege une fois que jrsquoentends parler de plus [drsquoune] personne onsurveille du coin de lrsquoœil plus ou moins et puis jrsquoai remarqueacute qursquoils avaientraison crsquoest des gens insoupccedilonnables qui font ccedila une paire de fois pen-dant une certaine peacuteriode pendant deux trois mois Ils font ccedila avec leurpetit paquet drsquoargent Apregraves tu nrsquoentends plus parler drsquoeux Trsquoen asdrsquoautres ccedila se prolonge et ils font ccedila longtemps jusqursquoau jour ougrave il leurarrive une galegravere [hellip]

Et au-dessus drsquoeux

Au-dessus drsquoeux [il siffle]

Ccedila vient drsquoougrave

Ben ccedila vient de Lille ccedila pratiquement de Lille Lagrave-bas les gens ils vontagrave Lille hein Trsquoas des tas de gens qui vont lagrave-bas agrave Amsterdam ils vontlagrave-bas ils ils vont ils vont faire des ils vont prendre simplement descontacts et puis apregraves ils cherchent des passeurs ils cherchent carreacutement despasseurs et puis qui font passer la came pour eux et voilagrave Et le type ilreste il reste lagrave il est derriegravere il est pas loin il suit la cargaison euh agravevue drsquoœil quoi il va chercher de la blanche euh crsquoest ce qui marche lemieux ccedila crsquoest la blanche hein parce que agrave Paris y a de la brune et euhmais euh les gens ils sont pas attireacutes hein la plupart ils veulent tous dela blanche Asniegraveres Nanterre euh Argenteuil voilagrave Et bon de toutefaccedilon geacuteneacuteralement elle est tregraves organiseacutee puisqursquoils sont tregraves discrets desfois ils font ccedila pas longtemps et quand ils font des transactions crsquoest unefois tous les trois mois tous les six mois (15 deacutecembre 1998)

Cette longue citation souligne les diverses positions occupeacutees dans

lrsquoorganisation des trafics Il nrsquoest pas dans notre intention drsquoalimenter les

repreacutesentations communes ou institutionnelles de trafics organiseacutes dans

les citeacutes selon un modegravele pyramidal avec ses laquo petits soldats raquo faisant

tampon et ses laquo grosses tecirctes raquo Bien souvent ce que lrsquoon peut observer agrave

lrsquoeacutechelle locale ce sont des microreacuteseaux peu ou pas ramifieacutes entre eux

qui cohabitent dans lrsquoespace Agrave un niveau supeacuterieur plutocirct qursquoagrave de veacuteri-

tables filiegraveres organiseacutees on a affaire agrave des trafics de fourmis agrave lrsquoimage

de ceux entre la Hollande et le Nord de la France ou de ceux entre le

Maroc et la France Cela eacutetant la professionnalisation du trafic deacutecrite

plus haut a aussi conduit agrave un renforcement de la division du travail avec

une multipliciteacute des rocircles qui rendent possibles tant la distribution (pas-

seurs convoyeurs intermeacutediaires responsables et gardiens des stocks) la

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revente au deacutetail (guetteurs rabatteurs revendeurs) que la solvabilisation

des acheteurs (receleurs attitreacutes ou occasionnels banquiers de citeacute) sans

parler des rocircles lieacutes au blanchiment En outre on ne peut nier lrsquoexistence

de places fortes de la drogue qui possegravedent un rayon drsquoaction large ni

celle drsquoeacutequipes exerccedilant non seulement un controcircle de ces places mais

agrave travers elles un pouvoir reacuteel bien que mal connu Au sein des quartiers

ougrave nous avons enquecircteacute des rumeurs persistantes mentionnent des trafi-

quants notoires consideacutereacutes comme laquo intouchables raquo Ils beacuteneacuteficieraient de

protections au plus haut niveau et seraient precircts agrave srsquoengager dans le jeu

politique local Est-ce un mythe Faut-il consideacuterer qursquoau fond tous les

chemins megravenent en prison Le mythe nrsquoen perd pas moins son efficaciteacute

symbolique aupregraves des jeunes comme des moins jeunes agrave lrsquointeacuterieur et agrave

lrsquoexteacuterieur des quartiers

Il faudrait sans doute retracer les trajectoires des trafiquants qui

participent agrave ces marcheacutes illicites agrave cocircteacute de celles qui sont domineacutees par

la toxicomanie et lrsquoengagement dans le deal Ce qui permettrait drsquoaffiner

notre connaissance des mondes de lrsquoillicite et la classification des chemi-

nements sociobiographiques Mais la diversiteacute des parcours ne doit pas

nous deacutetourner des facteurs structurels qui leur sont sous-jacents On a

essayeacute de le montrer ces cheminements srsquoinscrivent dans un processus de

marginalisation sociale que ce soit sous la forme drsquoun destin collectif ou

drsquoune tentative de revalidation sociale Au sein de ce processus les logiques

sociales de lrsquoimmigration semblent avoir joueacute un rocircle non neacutegligeable

elles se sont traduites par un engagement massif de la seconde geacuteneacuteration

de lrsquoimmigration maghreacutebine dans ces carriegraveres Tout se passe comme si

les reacutepercussions du processus migratoire et des conditions de vie des

familles celles de la violence sociale subie tant agrave lrsquousine que dans les

habitats de fortune et agrave lrsquoeacutecole srsquoeacutetaient manifesteacutees agrave retardement au

tournant des anneacutees 1980 au moment ougrave la crise eacuteconomique commenccedilait

agrave faire ressentir ses effets

Cela eacutetant dit on ne peut oublier que les jeunes laquo beurs raquo ont eacuteteacute

socialiseacutes dans le mecircme contexte que les jeunes Franccedilais dits de laquo souche raquo

et qursquoeux-mecircmes ont eacuteteacute aussi particuliegraverement toucheacutes par la diffusion

de lrsquoheacuteroiumlne et le sida Le mecircme constat peut ecirctre fait en ce qui concerne

les reacuteseaux de trafic on constate au niveau des semi-grossistes comme des

chefs de clan une mixiteacute sur le plan ethnique Historiquement dans le

secteur eacutetudieacute les premiegraveres familles connues pour leur implication dans

le trafic eacutetaient franccedilaises Reste agrave savoir si les transformations urbaines et

sociologiques de ces anciens quartiers ouvriers tantocirct vers une plus

grande mixiteacute sociale tantocirct vers la constitution de niches ethniques

ajouteacutees aux effets pervers de lrsquoaction des services de police et de justice

ne contribuent pas agrave renforcer la stigmatisation des populations qui y vivent

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C

EacuteLINE

B

ELLOT

Eacutecole de service social Universiteacute de MontreacutealCICC

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Lrsquoassociation entre la jeunesse et les pratiques deacuteviantes et deacutelinquantes

nrsquoest pas reacutecente La mise en place des institutions peacutenales pour jeunes

accompagne au

XIX

e

siegravecle la construction de la jeunesse comme une

cateacutegorie sociale speacutecifique (Gillis 1974 Laberge 1997 Fecteau 1998)

Cette coiumlncidence srsquoexplique par le fait que les transformations socieacutetales

(industrialisation immigration notamment) ont contribueacute agrave lrsquoeacutemergence

de groupes drsquoenfants qui posaient problegraveme notamment en raison de leur

preacutesence dans les rues des villes (Meacutenard et Strimelle 2000) Or les muta-

tions sociales reacutecentes coiumlncident aussi avec une transformation profonde

de lrsquoexpeacuterience de la jeunesse dans son ensemble Ainsi les eacutetudes meneacutees

depuis vingt ans montrent un allongement de cette peacuteriode de vie (Galland

1991 Gauthier 2000) De la mecircme faccedilon les difficulteacutes drsquoinsertion sociale

et professionnelle des jeunes ont contribueacute agrave lrsquoapparition de nouvelles

preacuteoccupations agrave lrsquoeacutegard de la preacutesence de groupes de jeunes dans les

rues des centres-villes (Laberge et Roy 1994)

Dans ce contexte la compreacutehension des jeunes qui vivent dans la

rue permet drsquoune part de faire eacutetat de certaines transformations de la

jeunesse notamment au regard des difficulteacutes drsquoinsertion dont elle fait

lrsquoexpeacuterience et drsquoautre part de consideacuterer les pratiques de reacutegulations

sociales mises en place pour faire face agrave ce pheacutenomegravene Donnant suite agrave

une recherche ethnographique sur les jeunes en situation de rue

1

une

analyse des trajectoires de rue des jeunes a permis de rendre compte de

la diversiteacute des situations tant sur le plan des expeacuteriences que reacutealisent

les jeunes que sur le plan des interventions dont ils font lrsquoobjet

Lrsquoobjectif de ce chapitre consiste drsquoabord agrave examiner le concept de

trajectoire et son utilisation dans les eacutecrits criminologiques pour ensuite

preacutesenter les reacutesultats drsquoune eacutetude portant sur les jeunes en situation de rue

en faisant eacutetat des diffeacuterents types de trajectoires de rue qursquoils peuvent vivre

31 VERS UNE CONCEPTION STRUCTURALE

DU CONCEPT DE TRAJECTOIRE

Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans les analyses de la jeunesse et

de la deacutelinquance juveacutenile est courante La trajectoire se deacutefinit alors

comme une finaliteacute de recherche qui permet de caracteacuteriser lrsquoidentiteacute de

1 Nous utiliserons le terme de jeune en situation de rue au lieu de celui de jeune de larue parce que nous souhaitons eacuteviter drsquoune part le rapport stigmatisant et stigmatiseacutedes jeunes agrave cet espace et drsquoautre part la reacuteduction de leur expeacuterience agrave un liendrsquoappartenance agrave la rue Pour plus de preacutecisions voir Bellot (2001)

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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lrsquoindividu et son eacutevolution au regard de son statut de ses conduites de

sa position sociale de ses relations Ce concept a cependant autant servi

pour les theacuteories drsquoinspiration structuraliste voire culturaliste que pour

les theacuteories drsquoinspiration interactionniste (Dubar 1998) Ici la trajectoire

sera utiliseacutee comme un outil analytique pour faire le pont entre lrsquoacteur

et la structure dans le cadre drsquoune perspective de la structuration (Bellot

2000) Cependant avant de preacutesenter cette nouvelle deacutefinition concep-

tuelle il importe de revenir sur les autres utilisations du concept de tra-

jectoire dans la mesure ougrave celles-ci demeurent des sources drsquoinspiration

311 L

A

TRAJECTOIRE

OBJECTIVE

Comme les analyses structuralistes ont pour objectif de faire eacutetat des

conditions de production et de reproduction sociale le concept de trajec-

toire rend ici compte des eacuteleacutements deacuteterminant la destineacutee des individus

Cette lecture qualifieacutee drsquoobjective par Dubar (1998) retranscrit donc

lrsquoappartenance drsquoun individu agrave un statut particulier ou agrave une classe sociale

et agrave son eacutevolution Si elle srsquointeacuteresse au changement cette conception de

la trajectoire lit la diffeacuterence entre le point de deacutepart et celui drsquoarriveacutee

observeacute chez lrsquoindividu en termes de rocircles de statuts drsquoactiviteacutes Il srsquoagit

dans cette optique non pas drsquoignorer totalement la place de lrsquoacteur dans

la construction de sa trajectoire de vie mais de consideacuterer plutocirct que celle-ci

est largement encadreacutee par des structures qui la profilent

Le programme analytique consiste donc agrave deacutefinir diffeacuterentes formes

de trajectoires types theacuteoriques susceptibles par la suite de retracer le

cheminement singulier des individus Cette maniegravere de conceptualiser la

trajectoire contribue selon Bourdieu (1986) agrave marquer lrsquoillusion biogra-

phique puisque le modelage par lrsquoindividu de son identiteacute singuliegravere ne

peut se faire que dans le cadre deacutetermineacute par les institutions que celui-ci

freacutequente

En criminologie la lecture deacuteveloppementale utilise la trajectoire

pour expliquer comment et dans quelle mesure se deacuteveloppent les conduites

deacuteviantes et deacutelinquantes (Le Blanc et Loeber 1998) Elle montre par

exemple comment les conditions deacutefavorables de lrsquoenfance viennent anti-

ciper les difficulteacutes de lrsquoadolescence et de la vie adulte Agrave ce titre la lecture

des trajectoires des individus srsquoinscrit dans un cadre drsquoanalyse ougrave il srsquoagit

drsquoidentifier les facteurs de risque qui contribueront agrave preacutedire lrsquoadoption

par les personnes de comportements qualifieacutes de deacuteviants ou de deacutelin-

quants en deacuteterminant notamment la propension de ces personnes agrave

adopter de tels comportements (Gottfredson et Hirschi 1990) La lecture

de la deacutesorganisation sociale familiale ou individuelle constitue ici une

assise pour consideacuterer la faiblesse drsquoun capital social et culturel heacuteriteacute

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

comme un handicap de la trajectoire de vie du jeune dans la mesure ougrave

il construit une inadaptation sociale du jeune Pour les jeunes de la rue

les analyses de Whitbeck et Hoyt (1999) mentionnent les enjeux des cycles

de vie intergeacuteneacuterationnels reproduisant les conditions de pauvreteacute agrave lrsquoori-

gine des diffeacuterentes formes de fragilisation que connaicirctront les jeunes et

qui porteront atteinte agrave la reacutealisation drsquoune socialisation adeacutequate

Sampson et Laub (1993) viendront renforcer la pertinence de lrsquouti-

lisation du concept de trajectoire de maniegravere objective en deacutemontrant

lrsquoexistence drsquoeffets drsquointeraction entre les diverses expeacuteriences que doivent

vivre les jeunes Cette lecture dynamique introduite dans la perspective

deacuteveloppementale aura pour conseacutequence de lire dans une dimension

temporelle les jeux de continuiteacute et de changement qui tracent la trajec-

toire Ainsi srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la trajectoire il faut rete-

nir quelles sont les expeacuteriences qui renforcent ou au contraire freinent la

propension agrave la deacutelinquance observeacutee (Lanctocirct 1999) Cette maniegravere de

consideacuterer lrsquoeacutevolution des trajectoires sort de la perspective strictement

structuraliste pour faire une place agrave lrsquoacteur dans la consideacuteration de sa

trajectoire Cependant elle precircte peu drsquoattention au sens que lrsquoindividu

donne agrave ses gestes et agrave la deacutefinition sociale de ces gestes La perspective

interactionniste viendra combler ces limites en retenant lrsquoideacutee drsquoune tra-

jectoire en construction Dubar (1998) affirme ainsi que pour parvenir agrave

une lecture complexe des trajectoires de vie il faut eacutegalement srsquointeacuteresser

agrave la compreacutehension des trajectoires subjectives

312 L

A

TRAJECTOIRE

SUBJECTIVE

Contre toute conception substantielle du sujet ou de la socieacuteteacute les interac-

tionnistes srsquoefforcent de construire une conception relationnelle ougrave non

seulement lrsquoindividu et la socieacuteteacute sont interdeacutependants mais se constituent

lrsquoun par lrsquoautre (de Queiroz et Ziolkovski 1994 p 17)

Si dans la trajectoire objective la lecture du temps se fait autour du

cumul et de la reacutepeacutetition des situations en vue de caracteacuteriser les chan-

gements et les continuiteacutes la trajectoire subjective donne accegraves au travail

inteacuterieur fait par lrsquoindividu de construction de son identiteacute

Il srsquoagit donc de saisir la mise en mots du parcours biographique

mise en mots qui donne accegraves agrave la logique des neacutegociations identitaires

de lrsquoindividu Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindividu aux

rencontres qursquoil fait ou non et aux interactions qursquoil vit Ces reacuteactions que

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la plupart des auteurs (Bergier 1992 Vexliard 1957) expriment en termes

drsquoeacutetapes de la reacutesistance agrave la reacutesignation en passant par lrsquoadaptation

relegravevent le plus souvent drsquoune vision lineacuteaire et seacutequentielle de la

trajectoire de vie

Ainsi la succession des places occupeacutees au cours drsquoune vie nrsquoestpas seulement une seacuterie de deacuteplacements objectifs de positionsdans lrsquoespace social mais simultaneacutement un replacement delrsquoimage de soi exigeant un travail biographique de mise en coheacute-rence des diffeacuterents aspects du moi (De Queiroz 1996 p 297)

Ce point de vue srsquoil rappelle que dans sa routine quotidienne

lrsquoindividu cherche autant agrave se creacuteer qursquoagrave assurer une continuiteacute avec ce

qursquoil eacutetait a contribueacute agrave associer le concept de trajectoire agrave celui de

carriegravere (Becker 1963) et drsquoidentiteacute (Strauss 1959)

Or il importe ici de consideacuterer que le concept de carriegravere postulant

une progressiviteacute dans la trajectoire de vie drsquoun individu emprisonne la

situation sociale agrave lrsquoeacutetude dans un univers particulier et singulier En effet

consideacuterer la carriegravere du deacuteviant crsquoest retenir qursquoil nrsquoa qursquoune identiteacute

celle de deacuteviant et que la trajectoire de vie ne srsquoinscrit que dans ce rapport

social (Duprez et Kokoreff 2000)

En retenant les deux utilisations du concept de trajectoire objective

et subjective pour les unir dans une perspective de la structuration telle

que Giddens (1987) la deacutefinit la recherche sur les jeunes en situation

de rue que nous avons meneacutee srsquointeacuteressait agrave faire ressortir la marge de

manœuvre de ces jeunes dans la construction de leur trajectoire Sortant

ainsi de lrsquoimage du jeune victime pour qui la situation est imposeacutee ou

de lrsquoimage du jeune deacutelinquant pour qui la situation est choisie lrsquoancrage

de la structuration permet de lire lrsquoaction des jeunes dans leur rapport

aux contraintes et aux opportuniteacutes qursquoils rencontrent

313 L

A

TRAJECTOIRE

DE

RUE

DANS

UNE

ANALYSE

DE LA STRUCTURATION

Inteacutegrer la lecture de la moderniteacute avanceacutee en ce qui a trait aux enjeux

lieacutes agrave lrsquoincertitude et aux risques dans la compreacutehension drsquoune trajectoire

de vie doit donner lrsquooccasion de srsquoeacuteloigner drsquoune vision lineacuteaire drsquoune

trajectoire de vie qui tend agrave deacutefinir la reacuteussite ou lrsquoeacutechec biographique

au plan des positions sociales pour parvenir au contraire agrave la compreacutehen-

sion de la nature parcellaire fragmenteacutee et construite de lrsquoexpeacuterience

reacuteveacuteleacutee par le quotidien et les rapports sociaux (Dubet 1994 Maffessoli

1994) Dans ce contexte lire une trajectoire de rue crsquoest srsquointeacuteresser au

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

chemin parcouru par ces jeunes dans lrsquoespace physique mais aussi social

qursquoest la rue en tant qursquoexpeacuterience biographique Crsquoest srsquointeacuteresser aussi

aux rapports identitaires construits entre deacuteviance et conformiteacute

La trajectoire permet alors de composer avec la dialectique entre

lrsquoacteur et la structure la contrainte et lrsquoaction la continuiteacute et le chan-

gement en appreacutehendant dans une perspective des cycles de vie

(life courseperspective)

les points tournants les eacuteveacutenements les mouvements enga-

geant les individus dans des lignes drsquoaction et biographique particuliegraveres

(Ogien 1995) Dans le cadre de la lecture de la trajectoire Jones (1997)

montre ainsi qursquoil est important de consideacuterer

[hellip]

That individual life-courses are led along a ldquoreflexive biographyrdquo(Giddens 1991 1994) in which there is a dynamic interaction betweenagency (self-determination and choice) and structure (affecting inequalityand constraint)

(Jones 1997 p 100)

Dans cette perspective la lecture des situations que les acteurs deacutefi-

nissent comme des eacuteveacutenements cleacutes devient cruciale (Leclerc-Olive 1998)

Les reacuteflexions de Ulmer (2000) sur le concept de

commitment

montrent en

outre comment ce concept vient appuyer dans une lecture de la trajec-

toire les logiques drsquoaction des individus dans leurs constances comme

dans leurs transformations La perspective inteacutegrative qursquoil adopte lui per-

met en outre drsquoenvisager lrsquoengagement dans une voie deacuteviante de la

mecircme faccedilon que dans une voie conventionnelle Il srsquoagit de saisir comment

laquo

opportunities structures do not determine action but set constraints within whichactors make choices on the basis of their definitions

raquo (Ulmer 2000 p 320)

Lrsquoutilisation du concept de trajectoire dans une analyse ancreacutee dans

la theacuteorie de la structuration permet ainsi de faire ressortir les logiques

drsquoaction qui preacutevalent dans le quotidien mais aussi de consideacuterer comment

les expeacuteriences de rue srsquoeacutetablissent dans un univers des possibles qui se

construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les eacuteveacutenements srsquoenchacircssent

et que les rencontres avec les autres se reacutealisent ou non que les rapports

sociaux structurent ou non la dialectique deacutevianceconformiteacute

32 MEacuteTHODOLOGIE

La deacutemarche meacutethodologique srsquoappuie sur une approche ethnographique

de la rue baseacutee sur deux principaux outils de collecte utiliseacutes de maniegravere

compleacutementaire lrsquoobservation participante et les reacutecits de vie (Jamoulle

2000)

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Lrsquoobservation participante srsquoinscrit dans une volonteacute de partir agrave la

rencontre drsquoun monde particulier celui des jeunes en situation de rue qui

freacutequentent le centre-ville de Montreacuteal Ce terrain de recherche srsquoest ainsi

construit autour drsquoune immersion le plus souvent nocturne dans le milieu

de ces jeunes au fur et agrave mesure que la confiance se gagnait et que la

reacuteciprociteacute des liens permettait des eacutechanges de qualiteacute Au-delagrave de

lrsquoimmersion et des liens bacirctis le temps passeacute sur le terrain constitue la cleacute

qui permet de consideacuterer la compreacutehension reacuteelle du chercheur des

valeurs des repreacutesentations des codes des pratiques du milieu observeacute

En passant trois ans (du printemps 1996 au printemps 1999) dans le

centre-ville agrave freacutequenter les espaces investis par les jeunes (parcs stations

de meacutetro couloirs souterrains

squats

appartements organismes) nous

avons pu veacuteritablement plonger dans le quotidien de ces jeunes mais aussi

suivre leur eacutevolution tant sur le plan individuel que sur le plan collectif

Les temps drsquoobservations ont eacuteteacute variables allant de un ou deux jours en

hiver agrave cinq jours en eacuteteacute ce qui nous a permis de partager le quotidien

de plus drsquoune centaine de jeunes

La reacutealisation de 22 entretiens biographiques a donneacute lrsquooccasion de

mettre la rue provisoirement agrave distance pour que les jeunes se racontent

En effet lrsquourgence la survie lrsquoaleacuteatoire lrsquoincertitude de la rue rendent

parfois difficile un reacutecit de soi un reacutecit sur soi Dans ce contexte ce

moment a eacuteteacute perccedilu comme un espace-temps ideacuteal pour se raconter dans

lrsquointimiteacute drsquoun espace priveacute sans les aleacuteas de la vie dans lrsquoespace public

qursquoest la rue Sur ces 22 entretiens 14 ont eacuteteacute conduits aupregraves de jeunes

avec qui nous avions preacutealablement eacutetabli des liens privileacutegieacutes sur le ter-

rain Le recrutement de ces jeunes a eacuteteacute organiseacute de faccedilon agrave obtenir la

plus grande diversiteacute possible drsquoexpeacuteriences de rue Ainsi certains tout

juste arriveacutes nous racontaient le passage agrave la rue alors que drsquoautres

complegravetement engageacutes dans le monde de la rue nous preacutecisaient leur

trajectoire dans ce milieu drsquoautres enfin eacutetaient deacutejagrave sur une trajectoire

de sortie de la rue et dressaient dans cet entretien une sorte de bilan de

leurs expeacuteriences passeacutees Lrsquoacircge moyen des jeunes rencontreacutes eacutetait autour

de 20 ans et la dureacutee dans la rue variait entre un mois et quatre ans Le

tiers des entrevues a eacuteteacute reacutealiseacute aupregraves de jeunes filles Toutes ces entre-

vues ont eacuteteacute enregistreacutees retranscrites inteacutegralement et ont fait lrsquoobjet

drsquoune analyse agrave partir des eacuteveacutenements cleacutes nommeacutes par les jeunes On

entendait ainsi deacutegager non seulement les lignes de continuiteacute et de chan-

gement dans leur biographie de mecircme que le sens qursquoils accordaient agrave

leurs gestes et expeacuteriences mais aussi les logiques drsquoaction et de leacutegitima-

tion que ces jeunes utilisaient

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

De ce volumineux mateacuteriel drsquoenquecircte il a eacuteteacute notamment possible

de retenir trois grandes formes de trajectoires de rue en fonction desquelles

on tente de rendre compte de lrsquoexpeacuterience biographique que vivent les

jeunes entre opportuniteacutes et contraintes entre deacuteviance et conformiteacute

entre passeacute et preacutesent entre preacutesent et futur mais aussi entre stigmatisa-

tion et conventionnaliteacute (Soulet 2002)

33 LES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES

La preacutesentation de ces trois formes de trajectoires de rue ne constitue pas

une maniegravere de diviser le groupe des jeunes en situation de rue en trois

cateacutegories Elle indique simplement qursquoil existe trois types distincts de

rapports agrave la rue rapports qui peuvent se succeacuteder dans la trajectoire drsquoun

jeune et qui tissent diffeacuterentes expeacuteriences biographiques Ces diffeacuterents

rapports ont cependant en commun drsquoenvisager la rue comme un simple

passage Cette lecture dynamique de lrsquoinscription dans le monde social de

la rue met en lumiegravere les enjeux de continuiteacute de rupture et de progres-

sion que vit le jeune en utilisant la rue comme espace de vie Du jeune

venu passer lrsquoeacuteteacute au centre-ville au jeune qui est inteacutegreacute dans le monde

social de la rue depuis plusieurs anneacutees la reacutealiteacute est diverse et complexe

Il importe de la consideacuterer comme telle pour eacuteviter les simplifications

extrecircmes sur lesquelles se construisent parfois des logiques drsquointervention

inapproprieacutees

En preacutesentant les diffeacuterents types de trajectoires ndash eacutepisode transi-

tion enfermement ndash une attention particuliegravere sera donc porteacutee agrave lrsquohis-

toire de vie anteacuterieure agrave lrsquoorganisation quotidienne qui a cours dans cette

trajectoire aux neacutegociations identitaires que le jeune utilise agrave la maniegravere

dont il construit son expeacuterience biographique et aux rapports qursquoil tisse

avec les autres acteurs (pairs et adultes)

331 L

A

RUE

UN

EacutePISODE

Sonia est arriveacutee dans la rue en avril 1997 Elle a commenceacute par venir une

fin de semaine avec une amie au centre-ville Puis apregraves deux fins de

semaine elle est resteacutee dans la semaine Elle explique ce changement dans

sa vie par le fait qursquoayant abandonneacute son secondaire elle a tenteacute de cher-

cher du travail mais sans succegraves Comme elle srsquoennuie chez elle et que

ses parents lui disent sans cesse de faire quelque chose elle trouve que la

rue lui permet de rencontrer du monde et de srsquoeacuteloigner de la pression

que lui imposent ses parents Finalement elle va rester dans la rue agrave partir

du mois de juin teacuteleacutephonant de temps en temps agrave ses parents en reacutegion

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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Elle se tient principalement dans le parc Pasteur Apregraves lrsquoavoir rencontreacutee

au deacutebut de juin je ne la reconnaicirctrai pas une semaine plus tard telle-

ment la transformation est grande Elle a teint ses cheveux a un

piercing

au nez et dans la langue habilleacutee avec des vecirctements noirs laquo patcheacutes raquo

pour mrsquoexpliquera-t-elle laquo devenir

punk

raquo elle srsquoest inteacutegreacutee au groupe

qui freacutequente le parc Pasteur Elle me preacutesente une nouvelle amie qui

lrsquoheacuteberge La semaine suivante elle me raconte en deacutetail sa freacutequentation

des ressources centre de jour maison drsquoheacutebergementhellip Et puis elle a

ajouteacute un eacuteleacutement agrave sa tenue un

squeegee

dont elle nrsquoa pas lrsquoair de srsquoecirctre

servi souventhellip Je vais la suivre tout lrsquoeacuteteacute et nos rencontres seront toujours

lrsquooccasion pour elle de raconter ses nouvelles expeacuteriences drogues

musique politique attitudeshellip Pourtant degraves les premiers signes de la

rentreacutee scolaire elle commence agrave srsquointerroger Elle devrait retourner finir

son secondaire Elle aimerait ccedila aider les autres et devenir intervenante

Elle va disparaicirctre en septembrehellip et reacuteapparaicirctre en juin lrsquoanneacutee sui-

vante Elle raconte que son anneacutee a eacuteteacute difficile elle est eacutecœureacutee de

lrsquoeacutecole de ses parents nrsquoa pas trouveacute de travail pour lrsquoeacuteteacute Elle freacutequente

un groupe de jeunes vendeurs de drogues elle devient la blonde drsquoun

vendeur Il nrsquoest plus question drsquoecirctre

punk

ni mecircme de faire du

squeegee

elle dit ecirctre laquo tanneacutee drsquoecirctre pauvre raquo Elle va srsquoinitier agrave la cocaiumlne qursquoelle

inhale parce que son

chum

lui en donne Elle fait des commissions pour

lui et srsquoachegravete plein de nouveaux vecirctements Cette anneacutee lrsquoimportant

crsquoest la tenue la plus

fresh

possible Quinze jours plus tard elle sera ven-

deuse sur un quart de travail parce que de toute faccedilon elle est lagrave avec

son

chum

alors autant en profiter pour faire de lrsquoargent Elle consomme

de plus en plus pour rester le plus possible dans la rue la cocaiumlne lui

permettant de demeurer plus longtemps eacuteveilleacutee et en peacuteriode drsquoeupho-

rie Deux jours apregraves notre derniegravere rencontre elle a commenceacute agrave srsquoinjec-

ter Agrave la fin de septembre il nrsquoest pas question de sortir de la rue pour

revenir au monde conventionnel laquo il faut trouver un appartement et pour

le payer il faut vendre raquohellip

Ce reacutesumeacute de la trajectoire de Sonia que nous avons suivie durant

plus de trois ans srsquoarrecircte au moment ougrave sa trajectoire se transforme pour

sortir de lrsquoeacutepisode Pourtant elle est caracteacuteristique le premier eacuteteacute de la

trajectoire de rue de la plupart des jeunes rencontreacutes Agrave ce titre ces jeunes

vont avoir une trajectoire de rue qursquoils deacutefinissent par lrsquoexpeacuterience initia-

tique la rencontre avec la marginaliteacute et lrsquoeacutemancipation Il srsquoagit de sortir

du moule traditionnel des jeunes chez leurs parents ou drsquoun milieu subs-

titut La rue devient lrsquoespace de lrsquoeacutemancipation et de lrsquoexpeacuterimentation

Deacutecrire la trajectoire de rue de certains jeunes sous la forme drsquoun

eacutepisode consiste agrave rendre compte de la nature eacutepheacutemegravere de la vie de

rue telle qursquoils lrsquoenvisagent Cette trajectoire de rue demeure la plus

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

freacutequente dans la mesure ougrave la plupart des jeunes sans parler de ceux

qui restent moins de 72 heures passent au plus une saison dans la rue

Dans cette perspective la logique de lrsquoeacutepisode prend une couleur initia-

tique ougrave le jeune fait lrsquoexpeacuterience dans la rue de conduites attitudes et

rapports sociaux qursquoil ne connaissait pas toujours avant dans un espace

qui symbolise le plus souvent celui de la marginaliteacute Agrave cet eacutegard il importe

ici de lire lrsquoinsertion dans le monde social de la rue comme une pratique

urbaine juveacutenile au mecircme titre que le graffiti le

skate

hellip Il convient de

saisir le caractegravere momentaneacute de cette pratique associeacute agrave un espace deacutefini

socialement comme un espace transgresseur Drsquoailleurs les jeunes attri-

buent alors un sens heacutedoniste agrave la rue qui marque le plus souvent une

coupure avec leurs expeacuteriences anteacuterieures faites drsquoeacutechecs de souffrances

de difficulteacutes (Bellot 2001)

2

Cependant il importe de dire que malgreacute sa nature circonscrite

cette trajectoire est veacutecue de maniegravere tregraves intense par les jeunes qui

renonccedilant agrave tout rythme quotidien vivent au greacute de leurs envies et des

contraintes La plupart des jeunes revendiquent ici le droit de vivre lrsquoeacuteteacute

de leur jeunesse en paix sans autre consideacuteration

Cet eacutepisode srsquoil circonscrit la trajectoire de rue comme une expeacute-

rience biographique limiteacutee dans le temps srsquoaccompagne cependant de

transformations importantes de lrsquoidentiteacute individuelle et sociale du jeune

Le travail sur lrsquoimage de soi commence par le changement de lrsquoallure

geacuteneacuterale (transformation vestimentaire

piercing

coloration des cheveux)

Ces transformations peuvent ecirctre radicales ou venir renforcer un style deacutejagrave

preacutesent Elles indiquent le plus souvent agrave Montreacuteal la volonteacute drsquointeacutegrer

une culture

punk

culture qui paraicirct repreacutesenter la culture de rue pour

les jeunes au moment de la reacutealisation de ce terrain de recherche Le

passage drsquoune culture

punk

agrave drsquoautres laquo formes de cultures jeunes raquo marque

aussi lrsquoeacutevolution collective du groupe des jeunes en situation de rue rue

qui paraicirct beaucoup plus diversifieacutee et fragmenteacutee en 1999 qursquoelle ne

lrsquoeacutetait au moment de mon entreacutee sur le terrain en 1996 Cette preacutesenta-

tion identitaire fortement ancreacutee dans une image

punk

srsquoestompera en

effet au fil des anneacutees et sera remplaceacutee par des cultures dont les codes

tenues valeurs et strateacutegies de survie tentent de rendre les jeunes moins

visibles pour eacuteloigner les interventions reacutepressives dont ils font lrsquoobjet dans

la mesure ougrave ils peuvent davantage se mecircler aux passants

2 Un chapitre de la thegravese est consacreacute agrave lrsquoanalyse des expeacuteriences anteacuterieures agrave la rue etau moment du passage agrave la rue

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

Sylvie explique comment lrsquoanneacutee preacuteceacutedente au moment ougrave elle

freacutequentait les

punks

elle leur ressemblait mais cette anneacutee elle freacutequente

le groupe de vendeurs de drogues Voilagrave comment elle explique ce que

signifie ecirctre

punk

pour elle

Lrsquoanneacutee derniegravere jrsquome tenais avec les punks pis jrsquoeacutetais pas habilleacutee de mecircmeParce que les punks premiegraverement trsquosais crsquoest lrsquohabillement trsquosais lespatchs le linge tout croche des affaires de mecircme pis les cheveux de couleurPis un vrai punk la mentaliteacute elle est pas pareille Crsquoest la mentaliteacutedrsquolrsquoanarchie pas drsquoloi la liberteacute Ben moeacute je lrsquoai cette mentaliteacute-lagrave mecircmesi jrsquomrsquohabille pas de mecircme Pis crsquoest mieux pour la vente les cochons ilsfont moins attention agrave nous Deacutejagrave ils laissent plus tranquilles les fillesmais en mecircme temps moi je peux dire que jrsquosuis comme une eacutetudiante

Misant sur la liberteacute que repreacutesente cette culture

punk

les jeunes

lrsquoadoptent comme une sorte drsquoenveloppe identitaire qui correspond alors

au sens qursquoils donnent agrave leur expeacuterience de la rue

Durant les premiegraveres anneacutees de terrain le

squeegee

constituait aussi

lrsquoun des eacuteleacutements de la panoplie neacutecessaire agrave lrsquoidentiteacute de rue de ces

jeunes mecircme srsquoils ne lrsquoutilisaient pas Ainsi agrave cette eacutepoque (1995-1998)

ecirctre un jeune de la rue signifiait ecirctre un

squeegee

punk

si bien que cet

instrument comme la tenue vestimentaire constituaient les vecteurs les

plus parlant de lrsquoidentiteacute que souhaitaient preacutesenter ces jeunes Drsquoailleurs

cette identiteacute de circonstance eacutepisodique sera lrsquooccasion de logiques de

diffeacuterenciation entre jeunes Les jeunes les plus acircgeacutes se disent ainsi de

veacuteritables jeunes de la rue qui vivent en harmonie avec lrsquoensemble des

valeurs

punk

et font du

squeegee

une strateacutegie de survie alors que les jeunes

qursquoils nomment laquo les crevettes raquo ne seraient qursquoune pacircle imitation des

jeunes de la rue En effet on reproche agrave ces laquo crevettes raquo leur conversion

reacutecente et superficielle agrave la culture

punk

et le fait qursquoils fassent du

squeegee

pour gagner de lrsquoargent de poche dont ils nrsquoont pas besoin dans la

mesure ougrave ils ne vivraient pas une veacuteritable situation de survie

Vincent 21 ans trois ans de rue parlant de la diffeacuterence

entre les vrais et les crevettes

Lrsquoeacuteteacute on est plus nombreux parce qursquoy a beaucoup de crevettes lagrave commeon dit les jeunes qui viennent de la banlieue Pis eux crsquoest vraiment dutrouble Je trouve que ccedila fait bordel pour rien pis ccedila nous empecircche nousautres ceux qui sont tout le temps dans la rue tu sais parce que ccedila faittrop de monde qui quecircte pis qui demande de lrsquoargent alors qursquoeux autresleurs parents leur payent la majoriteacute de leurs affaires Je trouve que crsquoestcon ils devraient plus rester chez eux peut-ecirctre venir tripper au centre-villemais qursquoils demandent de lrsquoargent agrave leurs parents tu sais ils sont pas

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

obligeacutes de venir squeeger juste parce qursquoils se pensent laquo ah ouais je suisun squeegee raquo crsquoest juste pour le kick de se passer pour un squeegy dans lefond Apregraves ccedila tu sais les citoyens se plaignent qursquoil y a trop de mondequi squeege mais ccedila crsquoest agrave cause drsquoeux autres pas mal Lrsquohiver crsquoest lefun parce crsquoest rien que les laquo tough raquo qui sont lagrave

Cette logique de diffeacuterenciation renvoie en outre agrave une quotidien-

neteacute de la rue diffeacuterente En effet si les jeunes qui srsquoaffirment de laquo veacuteritables

jeunes de la rue raquo vivent la rue agrave deux ou trois les jeunes qualifieacutes de

laquo crevettes raquo construisent leur quotidienneteacute autour du groupe Cette deacutesi-

gnation peacutejorative constitue pour les jeunes plus acircgeacutes un outil de distinc-

tion entre une veacuteritable expeacuterience de survie et une expeacuterience de deacutefi

drsquoadolescent Ces diffeacuterenciations que font les jeunes entre eux sont aussi

utiliseacutees dans le cadre des interventions conduites par les adultes Par

exemple la roulotte de lrsquoorganisme Poprsquos ne se deacuteplace pas le samedi

arguant qursquoil y a trop de jeunes laquo crevettes raquo qui utiliseraient leurs services

Cette trajectoire de rue

eacutepisode

est donc le plus souvent lrsquoexpeacuterience

des jeunes qualifieacutes de laquo crevettes raquo placeacutes entre deux mondes le monde

de la rue et le monde conventionnel Sans reconnaissance de part et

drsquoautre ces jeunes vont chercher agrave se reconnaicirctre dans des groupes de

pairs qui vivent avec eux lrsquoexpeacuterience de la rue La rue repreacutesente alors

pour eux une vie de groupe qui leur permet de partager leurs expeacuteriences

et qui constitue aussi un cadre de protection par rapport au reste du

monde social de la rue laquo Groupe drsquoexpeacuterimentation raquo ces jeunes se dis-

tinguent de cet autre monde social de la rue par leur visibiliteacute mais aussi

par une sociabiliteacute juveacutenile marqueacutee par le besoin de vivre en groupe de

nouvelles expeacuteriences Agrave ce titre le quotidien est centreacute autour des pairs

qui composent le groupe drsquoappartenance et drsquoun parc qui forme le cadre

territorial de lrsquoidentiteacute On distinguera ainsi entre le groupe de jeunes

freacutequentant le parc Berri celui freacutequentant le parc Pasteur et enfin celui

freacutequentant le parc des Foufounes Il est toutefois important de mention-

ner que ce cadre territorial diffegravere de celui deacutecrit dans les eacutetudes sur les

gangs de rue dans la mesure ougrave il ne renvoie pas agrave un quartier ougrave les

jeunes habitent mais agrave un espace public dans lequel ils se tiennent De la

mecircme faccedilon lrsquoidentiteacute territoriale du groupe nrsquoempecircche pas la freacutequen-

tation des autres lieux et groupes elle marque simplement lrsquoexistence de

liens plus intenses avec tel groupe et tel lieu Agrave lrsquoinstar de Lucchini (1999)

nous dirions que la dynamique observeacutee relegraveve davantage de celle drsquoun

reacuteseau drsquoidentification et de soutien que drsquoune veacuteritable bande constitueacutee

et hieacuterarchiseacutee Cependant ce reacuteseau sera utiliseacute pour se construire au

plan identitaire ainsi que pour apprendre comment faire face agrave la vie de

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rue La question du reacuteseau est drsquoautant plus importante que srsquoagissant

drsquoun cadre relationnel ouvert les liens vont pouvoir se tisser entre les

diffeacuterents groupes et les diffeacuterents types de jeunes en situation de rue

Il importe de consideacuterer ici que les jeunes qui connaissent une tra-

jectoire de rue qualifieacutee drsquoeacutepisode se trouvent globalement dans une logique

drsquoexpeacuterimentation si bien que leur quotidien se centre sur les liens avec

leurs pairs qui vont pouvoir leur apprendre de nouvelles pratiques de

nouvelles attitudeshellip Cette soif de nouvelles expeacuteriences correspond aussi

agrave un besoin drsquoaffranchissement de leur cadre de vie anteacuterieur La lecture

des contextes de fragilisation en amont de la rue devient pour ces jeunes

la lecture de lrsquoincompreacutehension entre les aspirations du jeune agrave un

moment donneacute et celles de ces cadres de vie (famille eacutecole institutions)

Agrave cet eacutegard lrsquoorganisation quotidienne que certains jeunes reacutealisent

autour drsquoun centre de jour renvoie effectivement agrave une logique drsquoappren-

tissage ancreacutee dans une quecircte de soi et une recherche drsquoautonomie

Lrsquoimportance de cet espace concerne bien moins la reacuteponse agrave des besoins

mateacuteriels que la reacuteponse agrave des besoins relationnels qui vont correspondre

aux aspirations du jeune dans son expeacuterience biographique de la rue La

dimension de la rencontre est ici primordiale dans la mesure ougrave elle

deacutetermine le cadre des diffeacuterentes possibiliteacutes drsquoacquisition de compeacutetences

ou tout au moins drsquoexpeacuterimentation

Dans cette perspective ces jeunes paraissent repreacutesenter une nou-

velle maniegravere de reacutealiser un rite initiatique en menant une expeacuterience

de soi et sur soi qui leur permet de quitter le monde de lrsquoenfance avant

drsquoentrer dans le monde des adultes Ainsi Sheriff (1999) deacutecrit le

fulgu-rant

qui vit intenseacutement son expeacuterience de rue sans eacutebranler aucunement

par la suite sa routine de vie En consideacuterant lrsquoexpeacuterience de la rue comme

un eacutepisode crsquoest-agrave-dire comme un espace-temps circonscrit dans la trajec-

toire de vie de la personne il est possible de sortir de la lecture fatalisante

de lrsquoinscription dans le monde social de la rue tout en reconnaissant que

lrsquointensiteacute de cette expeacuterience est reacuteelle

Il srsquoagit drsquoune expeacuterience de deacuteseacutequilibre par rapport agrave la routine

de vie de ces jeunes De ce fait lrsquoeacutepisode doit ecirctre vu comme la quecircte

drsquoune expeacuterience extrecircme diffeacuterente du reste du quotidien Pour ecirctre

laquo trippante raquo lrsquoexpeacuterience de la rue doit srsquoeacuteloigner des expeacuteriences de

jeunesse anteacuterieures elle doit correspondre agrave une mise en danger plus

ou moins controcircleacutee Jones (1997) montre agrave cet eacutegard comment la prise

de risque peut signifier une veacuteritable quecircte drsquoidentiteacute et de reprise en

main de son futur faute de pouvoir consideacuterer son preacutesent Or si la

trajectoire de rue eacutepisode rime avec la prise de risque il importe de

consideacuterer que le contexte de fragilisation lieacute aux expeacuteriences anteacuterieures

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave la rue va donner le ton et influencer la nature des prises de risque

rechercheacutees De la mecircme faccedilon le cadre des opportuniteacutes et des contraintes

dans la rue va deacutefinir en partie les pratiques de prise de risque

La question de la consommation de drogues est ici un enjeu veacuteri-

table notamment lorsque la quecircte de lrsquoaffranchissement srsquoexprime dans

une multiplication des produits consommeacutes et par une utilisation des

techniques de consommation les plus risqueacutees jusqursquoagrave lrsquoinjection Agrave cet

eacutegard il importe de mentionner lrsquoeacutevolution des pratiques de prise de

risque qui rendent lrsquoexpeacuterience de la rue toujours extrecircme Il paraicirct

important de lire lrsquoaugmentation des prises de risque non pas dans un

cadre pathologique de deacutesorganisation personnelle mais comme lrsquoexpres-

sion drsquoun rapport social speacutecifique qui contraint certains jeunes pour

exister agrave se deacutepasser dans de telles expeacuteriences (consommation de drogues

suicidehellip) puisqursquoon leur refuserait socialement une quecircte de deacutepasse-

ment dans le collectif (Sheriff 1999)

Pour autant au fur et agrave mesure de la reacutealisation du terrain mais

aussi avec lrsquoaugmentation de la preacutesence de lrsquoheacuteroiumlne dans la rue le cadre

drsquoopportuniteacute des expeacuterimentations se deacuteplace vers lrsquoinjection au point

que dans une certaine mesure agrave la fin du terrain le vecteur de lrsquoidentiteacute

des jeunes en situation de rue devenait non plus le

squeegee

et lrsquoimage du

punk

mais bien la seringue et lrsquoimage du junkie Ainsi la preacutesence de

plus en plus grande dans les discours des jeunes comme dans leurs

pratiques de la consommation par injection teacutemoigne drsquoune part drsquoun

deacutetachement de la philosophie punk laquo Punk no junk raquo qui dominait aupa-

ravant et drsquoautre part drsquoune escalade constante dans les prises de risque

Toutes ces expeacuteriences construites autour drsquoune ritualisation de la mort

doivent ecirctre consideacutereacutees sur le plan symbolique comme autant drsquoeacuteleacute-

ments marquant les difficulteacutes drsquoecirctre jeune de prendre sa place dans la

socieacuteteacute queacutebeacutecoise actuelle tout comme dans la rue

Concevoir la trajectoire de rue comme un eacutepisode signifie donc que

lrsquoon envisage un passage dans le monde social de la rue non exclusif et

dont le quotidien est centreacute sur les autres jeunes comme eacuteleacutement struc-

turant de lrsquoexpeacuterience de la rue Cette situation courante deacutefinie autour

de la notion drsquoeacutepisode renvoie souvent agrave lrsquoideacutee drsquoune peacuteriode circons-

crite dans la trajectoire de vie de la personne qui nrsquoapparaicirct pas ni pour

elle ni pour les autres comme une expeacuterience deacuteterminante pour le futur

Pour drsquoautres la trajectoire de rue loin drsquoecirctre un simple passage momen-

taneacute va devenir une transition deacuteterminante pour la trajectoire de vie

du jeune

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332 LA RUE UNE TRANSITION

Ici la trajectoire de rue conccedilue comme une transition signifie que la rue

devient le socle drsquoune vie diffeacuterente tantocirct pour construire un projet de

vie les jeunes srsquoinseacuterant dans la socieacuteteacute tantocirct pour faciliter le passage

vers une vie marginale ou une vie criminelle

3321 La rue comme tremplin vers une insertion sociale

Denis 23 ans vit dans la rue par intermittence depuis lrsquoacircge de 18 ans

Cette intermittence srsquoinscrit dans un rapport agrave la rue et agrave la drogue variable

Pendant quelques mois son quotidien se construit autour de la consom-

mation de drogues Puis il srsquoarrecircte reprend un appartement et trouve un

travail jusqursquoagrave la prochaine fois Fatigueacute de cette situation il va utiliser

son expeacuterience de la rue pour reacutealiser son recircve dessiner Apregraves un stage

drsquoemployabiliteacute proposeacute en raison de ses compeacutetences graphiques mais

aussi de sa situation de rue et de son expeacuterience il va parvenir agrave inteacutegrer

une entreprise multimeacutedia et agrave devenir un de leurs graphistes Il dit

laquo consommer maintenant de maniegravere brancheacutee raquo

Lrsquoutilisation de lrsquoexpeacuterience de la rue comme tremplin vers un cadre

drsquoinsertion se lit le plus souvent autour des interventions qui sont parve-

nues agrave rejoindre les jeunes directement dans cet espace En effet pour

que les jeunes aient la possibiliteacute drsquoutiliser la rue comme tremplin il

importe que la laquo perche tendue raquo considegravere leurs compeacutetences acquises

dans cet espace mais aussi leurs aspirations Le plus souvent il srsquoagit de

jeunes qui vivaient des difficulteacutes drsquointeacutegration avant la rue et qui ne

parvenaient pas agrave srsquoinscrire dans des interventions traditionnelles drsquoinser-

tion socioprofessionnelle pour les jeunes Ainsi les projets de type pairs

aidants comme les projets orienteacutes vers les arts (cirque journal videacuteo

multimeacutediahellip) constituent des formes drsquointervention qui en utilisant les

compeacutetences des jeunes leur permettent plus facilement de rebondir

notamment parce qursquoelles leur donnent une expeacuterience dans des domaines

qui leur plaisent mais aussi parce qursquoelles correspondent agrave des besoins

reacuteels du marcheacute du travail La rue constitue ainsi une opportuniteacute de

srsquoinseacuterer dans des interventions non traditionnelles qui reconnaissent

aussi lrsquoidentiteacute plus ou moins marginale des jeunes Par exemple lrsquointer-

vention par les pairs mecircme si elle ne vise pas directement agrave inscrire les

pairs aidants dans un parcours vers lrsquoemploi devient un espace de forma-

tion qui facilite la transition entre la rue et lrsquoemploi drsquointervenant En

effet les pairs sont le plus souvent des anciens jeunes de la rue qui ne

souhaitent pas ou ne peuvent pas srsquoinscrire dans des formations plus aca-

deacutemiques pour devenir intervenants Dans le projet des pairs aidants ils

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86 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

vont pouvoir srsquoancrer dans un parcours de formation qui utilisera aussi

leurs connaissances du milieu de la rue et qui leur permettra par la suite

de devenir intervenants srsquoils le souhaitent

Toutefois cette forme de transition demeure peu commune dans la

rue non pas en raison de lrsquoabsence de compeacutetences acquises par les

jeunes mais bien parce que lrsquointervention ne srsquoappuie que tregraves rare-

ment sur cette expeacuterience Les autres formes de transition correspondent

davantage agrave un cheminement vers des milieux de deacutesinsertion sociale

3322 La rue comme tremplin vers une deacutesinsertion sociale

Lire des trajectoires menant agrave des formes de deacutesinsertion sociale conduit

agrave srsquointeacuteresser agrave des expeacuteriences qui renvoient agrave des inscriptions sociales

deacuteviantes

La trajectoire de la rue peut ecirctre une transition vers une marginaliteacute

sociale qui certes ameacuteliorera un peu les conditions de vie des jeunes

mais cristallisera leur cadre de vie dans une pauvreteacute eacuteconomique sociale

culturelle et relationnelle Cette forme de trajectoire de rue entendue

comme une transition vers un statut et un rocircle lieacutes agrave une expeacuterience de

la pauvreteacute renvoie de maniegravere eacutevidente aux lectures sur la faiblesse du

capital social des jeunes en situation de rue (Hagan et McCarthy 1997)

Il importe ici de replacer lrsquoexpeacuterience de la rue dans une lecture de la

continuiteacute qui sans ecirctre deacuteterministe renvoie cependant agrave lrsquoabsence

drsquoopportuniteacutes et au poids des contraintes qui pegravesent sur la trajectoire de

vie de ces jeunes Cette lecture de la trajectoire conduit agrave envisager les

conditions de reproduction des ineacutegaliteacutes sociales

Dans cette perspective il importe de dire en outre que lrsquointerven-

tion qui vise agrave sortir les jeunes de la rue porte rarement sur autre chose

que la sortie de cet espace Sortir ces jeunes de la pauvreteacute srsquoinscrirait dans

une tout autre logique

Pourtant il apparaicirct que lrsquoexpeacuterience de la rue constitue pour ces

jeunes une maniegravere de faire appel agrave des strateacutegies de deacutebrouillardise pour

contrer la pauvreteacute dans laquelle ils vivent Utilisant le squeegee comme

strateacutegie de survie les jeunes dans cette trajectoire vont faire lrsquoapprentis-

sage dans la rue des maniegraveres alternatives drsquoobtenir des ressources mateacute-

rielles Agrave cet eacutegard leur quotidien demeure centreacute sur la deacutebrouillardise

Drsquoailleurs cette dynamique de trajectoire fera en sorte que la rue se preacute-

sente plus ou moins reacuteguliegraverement dans leur vie comme un espace leur

permettant de trouver les ressources neacutecessaires La rue nrsquoest alors qursquoune

des multiples facettes de leur expeacuterience biographique de la marginalisation

elle nrsquoen est pas le reacuteveacutelateur Ainsi sans freacutequenter la rue de maniegravere

permanente ces jeunes maintiendront leurs liens avec des organismes

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drsquointervention aupregraves des jeunes de la rue construisant le plus souvent

leur socialiteacute autour de ce reacuteseau drsquoaide La freacutequentation des bus les soirs

de distribution de sacs de nourriture constitue donc un moyen privileacutegieacute

de rencontrer des jeunes qui se sont eacuteloigneacutes de la rue mais qui conti-

nuent drsquoutiliser les ressources drsquoaide Drsquoailleurs comme le montrent les

analyses de Paugam (1991) il srsquoagit ici de jeunes qui se caracteacuterisent par

des biographies tourmenteacutees et dont lrsquoidentiteacute est davantage fondeacutee sur

la survie que sur la vie

La lecture de leur trajectoire de vie rime le plus souvent avec une

lecture drsquoun cumul de handicaps de difficulteacutes drsquoeacutechecs de stigmates qui

les contraint agrave vivre en eacutetat de survie perpeacutetuelle ne sachant ni ougrave ni

comment trouver une place dans la socieacuteteacute qui les exclut toujours davan-

tage Ces trajectoires teacutemoignent alors des conditions de misegravere dans les-

quelles tentent de survivre certains jeunes en situation de rue conditions

qui ne srsquoameacuteliorent pas neacutecessairement lorsqursquoils srsquoeacuteloignent de la rue Agrave

cet eacutegard la description de ces trajectoires correspond le plus souvent agrave

la compreacutehension drsquoune errance sociale bien plus que spatiale expeacute-

rience qui paraicirct se conclure simplement par une incorporation toleacutereacutee agrave

la marge de la socieacuteteacute leurs propres logiques drsquoaction tout comme celle

des dispositifs drsquoaction publique et communautaire qui les entourent ne

permettant pas de modifier cette structuration de la survie Cet ancrage

de la trajectoire de rue dans une routinisation de la survie conduit ces

jeunes dans une impasse ougrave les oscillations qursquoils vivent ne parviennent

pas agrave les engager dans drsquoautres voies Ils semblent alors perdre la qualiteacute

de sujets de leur propre vie se maintenant dans un ballottement perpeacutetuel

entre les diffeacuterents espaces de ressources et de survie qursquoils traversent au

quotidien sans avoir aucune prise reacuteelle sur lrsquoun drsquoentre eux

Cette errance laquo vulneacuterabilisante raquo ne signifie pas pour autant la perte

drsquoune qualiteacute drsquoacteur Vivre au quotidien une routine de survie crsquoest

srsquoinscrire dans une dynamique de deacutebrouillardise qui caracteacuterise cette

adaptation individuelle agrave des conditions de vie deacutefavorables Dans ce

contexte ecirctre soi crsquoest inscrire dans une routine cette lutte contre la

deacutegradation de leur statut et de leur identiteacute sociale espeacuterant toujours

pouvoir en finir avec cette condition de vie de misegravere Agrave cet eacutegard il

appert que mecircme dans le cadre de ces trajectoires ougrave les enjeux drsquoexclu-

sion sont importants les jeunes disent encore vouloir agir pour sortir de

ces conditions de vie qursquoils qualifient eux-mecircmes de misegravere Se reacutealiser

devient alors survivre aux pressions sociales stigmatisantes et deacutesaffiliantes

et obtenir les ressources minimales pour combler ses besoins vitaux

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88 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si ce type de trajectoire paraicirct reproduire une certaine logique

sociale fatalisante de la pauvreteacute il nrsquoen demeure pas moins qursquoil donne

aussi accegraves agrave des meacutecanismes drsquoadaptation agrave un environnement social

hostile meacutecanismes qui font cependant lrsquoobjet drsquoune deacutesapprobation sociale

Crsquoest en effet autour de ce type de trajectoire que les dynamiques

de controcircle sont les plus fortes dans la mesure ougrave la deacutebrouillardise des

uns srsquooppose agrave la coercition des autres Dans certaines circonstances la

coercition exerceacutee agrave lrsquoendroit de ces strateacutegies de deacutebrouillardise va diri-

ger les jeunes vers le milieu criminel consideacutereacute alors comme une reacuteponse

aux injustices veacutecues Ainsi certains jeunes qui ont fait lrsquoexpeacuterience de

lrsquoemprisonnement pour non-paiement drsquoune amende pour des contraven-

tions lieacutees au squeegee sont ressortis de cette expeacuterience avec de nombreux

contacts leur permettant de devenir au moins commissionnaires3 dans la

rue Certains par exemple savaient en recevant des montants dans leur

compte qursquoils devaient porter tel colis agrave tel endroit ou effectuer drsquoautres

deacutemarches Drsquoautres obtenaient les contacts leur permettant de devenir

vendeurs dans la rue Pourtant au-delagrave des contacts eacutetablis en prison qui

font basculer plus rapidement la trajectoire vers une insertion dans le

milieu criminel la rue constitue aussi un espace qui fournit des occasions

drsquoinsertion dans ce milieu Et agrave ce titre dans ces trajectoires de rue qui

symbolisent lrsquoaction reacutepressive conduisant agrave lrsquoincarceacuteration cette derniegravere

devient lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur drsquoune perte de routine Placeacutes dans drsquoautres

espaces les jeunes peuvent se mobiliser et voir agrave nouveau les possibiliteacutes

qui se preacutesentent agrave eux Lrsquoincarceacuteration devient alors lrsquooccasion dans leur

expeacuterience biographique drsquoun sursaut drsquoun changement Pour drsquoautres

lrsquoincarceacuteration sera veacutecue comme une forme diffeacuterente de deacutegradation de

statut qui les marginalisera davantage et les conduira de nouveau agrave la rue

renforccedilant une certaine mortification du sujet La prison est alors un

simple ballottement de plus dans leur vie

Mais lorsque la prison permet le sursaut les jeunes utiliseront leurs

contacts pour srsquoengager dans diffeacuterentes expeacuteriences qui leur permettront

drsquointeacutegrer les filiegraveres de lrsquoeacuteconomie souterraine Le plus souvent ils

commenceront par faire des commissions pour les vendeurs de drogues

avant de devenir eux-mecircmes vendeurs avec une progression dans les

heures de vente et les lieux de vente accumulant de plus en plus de profits

pour finalement devenir laquo un boss de la place raquo qui srsquooccupe des vendeurs

3 Un commissionnaire est une personne qui va assurer des livraisons pour un vendeurde rue soit aupregraves drsquoun client soit aupregraves drsquoun fournisseur Crsquoest geacuteneacuteralement lepremier niveau drsquoimplication dans la vente de drogues de rue pour les jeunes

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 89

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Durant cette progression dans la hieacuterarchie du milieu criminel de rue

lrsquoessentiel pour ces jeunes crsquoest de se deacutetacher le plus rapidement possible

du monde de la rue et de son image de pauvreteacute

Utilisant tous les signes exteacuterieurs de richesse ndash bijoux vecirctements agrave

la mode teacuteleacutephone cellulaire ndash ils estiment tregraves important de montrer

leur reacuteussite mais aussi leur pouvoir Certains auront des chiens de combat

pour faire valoir leur force nrsquoheacutesitant jamais agrave leur faire sortir les crocs

en cas de besoin Pour ces jeunes la rue repreacutesente lrsquoespace qui va leur

permettre de reacuteussir dans la mesure ougrave ils y gagnent lrsquoargent neacutecessaire agrave

leur inteacutegration dans la socieacuteteacute de consommation qui est la leur Les

aspirations se deacutefinissent alors de maniegravere strictement eacuteconomique crsquoest-agrave-

dire qursquoil srsquoagit de continuer agrave obtenir lrsquoargent dont ils ont besoin pour

conserver leur train de vie Le prestige et le pouvoir que symbolise leur

rocircle dans la rue paraissent conforter aussi les jeunes dans le fait que

lrsquoexpeacuterience criminelle doit ecirctre valoriseacutee puisqursquoelle est valorisante

Mathieu 21 ans cinq ans de rue

Rencontreacute durant lrsquoeacuteteacute 1996 Mathieu eacutetait lrsquoun des principaux vendeurs

drsquoun parc que je freacutequentais Travaillant constamment il a eacuteteacute durant cet

eacuteteacute une veacuteritable puce qui courait partout pour faire laquo runner sa business raquo

Voilagrave comment il deacutecrit ce premier eacuteteacute

Ben cet eacuteteacute jrsquofais ben de lrsquoargent jrsquofaisais cinq cent piasses par jour Crsquotaiteffrayant trsquosais jrsquoavais ma clientegravele faque crsquoeacutetait vraiment payant Jrsquopoi-gnais toujours les mecircmes clients et pis ils mrsquoachetaient de la poudre dupot du buvard Jrsquotais rendu capitaliste Crsquoeacutetait rendu vraiment lagravehellip jrsquoavaismon appart mon page mon cellulaire pis toute tout le monde capotaitsur mon cas Mais ccedila a arrecircteacute parce que jrsquoai commenceacute agrave me crinquer Pistu sais quand tu te crinques trsquoen veux trsquoen veux pis agrave un moment donneacutetu te mets dans lrsquotrou Faque jrsquoai eu des dettes jrsquotais rendu agrave 1000 piassesde dettes pis mon boss il mrsquoa dit drsquoarrecircter sinon jrsquoavais plus le droit devendre Sur le coup jrsquoai pas voulu mais apregraves jrsquoai tout perdu faque que jeme suis dit laquo Arrecircte tes conneries pis fais juste vendre raquo Alors je me suisremis agrave vendre pis lagrave tu sais depuis de temps en temps crsquoest le party maiscrsquoest rare Pis lagrave moeacute maintenant jrsquoorganise plus les affaires pis je faistravailler les jeunes mais crsquoest plus pareil comme avant maintenant ilssont sur le smack pis crsquoest ben difficile de les faire travailler comme y fauthellip

Pourtant malgreacute cette inteacutegration dans une eacuteconomie souterraine

largement organiseacutee autour de la drogue ces jeunes demeurent tregraves proches

de la rue Ils vivent au mecircme rythme que les autres jeunes concentrant

leurs activiteacutes la nuit La disparition de certains de ces jeunes peut laisser

supposer que la rue ne leur a servi que de tremplin vers drsquoautres activiteacutes

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90 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

davantage centreacutees sur la supervision Mathieu par exemple a disparu agrave

la fin de la deuxiegraveme anneacutee de notre terrain Rencontreacute par hasard agrave

quelques reprises depuis il mrsquoexplique qursquoil laquo gegravere ses affaires agrave distance raquo

La description de cette trajectoire de rue transition montre que les

projets associeacutes agrave la rue peuvent ecirctre varieacutes et conduire agrave des chemine-

ments diffeacuterents Certes plus la trajectoire de rue est longue plus le

deacutecrochage des autres espaces sociaux est reacuteel bien qursquoil ne signifie pas

toujours lrsquoengagement dans le milieu criminel au sens strict du terme Il

importe cependant de distinguer les jeunes qui srsquoengagent dans des acti-

viteacutes criminelles pour subvenir agrave leurs besoins essentiels la majoriteacute de

ceux qui le font pour se payer une appartenance agrave la socieacuteteacute de consom-

mation Drsquoailleurs dans leur analyse de la deacutelinquance des jeunes de la

rue agrave Toronto et agrave Vancouver Hagan et McCarthy (1997) expliquent

qursquoon est le plus souvent en preacutesence drsquoune deacutelinquance de survie et

acquisitive Lorsqursquoil srsquoagit de jeunes qui aspirent agrave preacutesenter une cer-

taine reacuteussite sociale la lecture de lrsquoengagement dans des activiteacutes quali-

fieacutees de criminelles renvoie parfois plus agrave la lecture mertonienne de la

reacuteussite sociale qursquoagrave la lecture drsquoune pathologie du controcircle social person-

nel proposeacutee par Gottfredson et Hirshi (1990) En deacutegageant une diversiteacute

de trajectoires notre analyse a permis de constater que lrsquoengagement

criminel comme mode de reacuteussite sociale nrsquoest qursquoune traduction possible

de la conjonction entre une expeacuterience biographique et des logiques

drsquoacteurs structurants comme le milieu criminel ou le milieu reacutepressif

La question des processus de stigmatisation et de criminalisation lieacutes

agrave lrsquoappartenance sociale semble en effet jouer davantage dans la compreacute-

hension des trajectoires de rue que ne le fait tout autre eacuteleacutement des

theacuteories criminologiques Les trajectoires de rue comme forme de tran-

sition vers une inscription sociale qualifieacutee de deacuteviante sont le fait des

jeunes qui connaissent les contextes de fragilisation les plus grands en

amont de la rue Cette pauvreteacute eacuteconomique relationnelle et culturelle

les oblige le plus souvent agrave eacutelaborer des strateacutegies de deacutebrouillardise qui

les opposent agrave une intervention reacutepressive marquant une deacutesapprobation

sociale agrave leur endroit4 Cette reacutepression contribue alors agrave structurer un

parcours de criminalisation qui renforce leur engagement dans des acti-

viteacutes criminelles Cette dynamique sociale ougrave srsquoaffrontent lrsquoindividu et les

institutions reacutepressives devient le terreau drsquoune trajectoire criminelle des

jeunes en situation de rue

4 Pour une analyse plus approfondie des enjeux de classe autour des trajectoires de ruedes jeunes voir Bellot (2003)

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 91

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Nous verrons ainsi dans la preacutesentation du troisiegraveme type de trajec-

toire comment lrsquoexpeacuterience de la rue est deacutefinie comme une forme de

captiviteacute voire drsquoalieacutenation du sujet dont le jeune deacutesespegravere de sortir

333 LA RUE UN ENFERMEMENT

Voir la trajectoire de rue sous la forme drsquoun enfermement contribue agrave

rendre compte du rapport captif qursquoentretiennent certains jeunes avec le

monde social de la rue Lrsquoideacutee de lrsquoenfermement renvoie au fait que ces

jeunes se sentent prisonniers de cet espace Ils souhaitent ainsi en sortir

font parfois des tentatives mais y reviennent toujours Lrsquoenfermement

vient donc de lrsquoabsence de possibiliteacutes de vivre ailleurs que dans la rue Il

srsquoaccompagne souvent drsquoune consommation de drogues injectables qui a

fait exploser le projet drsquoune expeacuterience de la rue en tant que quecircte drsquoindeacute-

pendance de liberteacute et drsquoautonomie Le passage drsquoune trajectoire eacutepisodeagrave une trajectoire enfermement exprime le plus souvent le manque drsquooppor-

tuniteacutes preacutesentes pour faire de la sortie de rue un projet Cette trajectoire

drsquoenfermement donne le plus souvent le sentiment drsquoun cercle vicieux

entre la logique de survie qui conduit agrave prendre de plus en plus de

risques et la logique de consommation qui conduit agrave devenir de plus en

plus deacutependant Il importe de consideacuterer que lrsquoensemble de lrsquounivers de

ces jeunes se reacutesume agrave la rue ou tout au moins agrave quelques rues ougrave

srsquoeacutetablit leur quotidien

Cet enfermement dans la rue accompagne ainsi une trajectoire de

consommation ougrave la drogue notamment par injection est devenue la

ligne biographique dominante de lrsquoindividu (Ogien 1995) Ainsi pour

ces jeunes la drogue prend toute la place dans leur quotidien et agrave ce

titre construit leur appartenance agrave la rue Ils se disent des laquo junkies de la

rue raquo bien plus que des jeunes de la rue Ils vivent alors une forme drsquoalieacute-

nation de leur expeacuterience biographique de la rue La routine nrsquoest pas

alors la survie mais la drogue elle-mecircme leur vie eacutetant rythmeacutee non plus

par le ballottement de ressource drsquoaide en ressource drsquoaide mais drsquoune

injection agrave une autre drsquoun dix dollars agrave un autre dix dollars

La vie sans reacutepit qursquoimpose la drogue conduit les jeunes vivant cette

trajectoire de rue dans une logique de prise de risque toujours grandis-

sante logique qui les enferme toujours un peu plus dans un cercle vicieux

Cependant mecircme si ces jeunes semblent entraicircneacutes dans une spirale sans

fin ils conservent aussi minime soit-elle une marge de manœuvre notam-

ment celle de garder autour drsquoeux des acteurs susceptibles de leur propo-

ser un changement Agrave cet eacutegard la preacutesence et lrsquointervention eacuteventuelle

des travailleurs de rue sont primordiales dans la mesure ougrave ces derniers

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92 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

apportent des propositions de changement de limitation des meacutefaits de

la drogue dans la routine mecircme de vie de ces jeunes Ils seront drsquoailleurs

les acteurs que les jeunes utiliseront le plus lorsqursquoils seront precircts agrave sortir

de lrsquoinjection

En attendant cette trajectoire de rue fortement associeacutee agrave la consom-

mation de drogues injectables inscrit la routine de ces jeunes dans une

quecircte incessante drsquoargent Les strateacutegies de survie qursquoils vont employer

seront plus diversifieacutees tous les moyens pour faire de lrsquoargent sont bons

Cette dynamique eacuteconomico-compulsive les conduit agrave preacutefeacuterer les strateacute-

gies les plus payantes mecircme si le plus souvent le quotidien se construit

de dix dollars en dix dollars le prix drsquoune dose agrave Montreacuteal Ils vivront

alors davantage la rue seuls ou en petits groupes Cette trajectoire de rue

devenue de plus en plus freacutequente chez les jeunes rencontreacutes au cours de

notre terrain paraicirct cependant ecirctre davantage une trajectoire de consom-

mation de drogues injectables dans la mesure ougrave les jeunes qui srsquoy trouvent

inscrits appartiennent plus au monde social de la drogue que de la rue

Cette trajectoire reacutevegravele une transformation nette du pheacutenomegravene

deacutefini comme celui des laquo jeunes de la rue raquo En effet le passage drsquoune

routine caracteacuteriseacutee par la culture punk et le squeegee agrave celle drsquoune rou-

tine axeacutee sur la consommation drsquoheacuteroiumlne ou de cocaiumlne a modifieacute la

plupart des rapports sociaux qursquoentretenaient les jeunes Crsquoest dans le

cadre de ces trajectoires que la difficulteacute des conditions de vie est la plus

preacutegnante En effet ces trajectoires expriment une lutte incessante contre

soi et contre les autres La logique du deacutesespoir est criante pour ces

jeunes Il est donc important de comprendre que le rapport de ces jeunes

agrave la rue nrsquoest plus identitaire mais strictement utilitaire Crsquoest dans la rue

que ceux-ci trouvent lrsquoargent neacutecessaire agrave leur consommation Drsquoailleurs

ils associent agrave cet espace tous leurs maux et leur situation de captiviteacute

Ainsi pour eux sortir de la rue ndash ou plus exactement du centre-ville ndash

leur permettra de se libeacuterer de cet enfermement qursquoimpose la drogue

Paradoxalement la rue devient pour eux une prison dont il leur est dif-

ficile de srsquoeacutevader Si la prison peut alors devenir un lieu de rupture avec

cet enfermement dans la drogue elle renforce drsquoun autre cocircteacute la margi-

nalisation des individus qui risquent de retourner agrave la rue degraves leur sortie

Pour drsquoautres la rupture sera moins brutale Elle se construira progres-

sivement dans une deacutecision de sortie qui sera accompagneacutee par des

interventions sociales et meacutedicales visant agrave freiner lrsquoalieacutenation et la

marginalisation de ces jeunes

Jonathan mentionnera ainsi apregraves deux anneacutees de consommation

de cocaiumlne et drsquoheacuteroiumlne veacutecue dans la rue que son arrestation et sa condam-

nation agrave une peine de prison de plus de deux ans ont eacuteteacute lrsquoarrecirct drsquoagir

dont il avait besoin pour se sortir de la drogue

LA DIVERSITEacute DES TRAJECTOIRES DE RUE DES JEUNES Agrave MONTREacuteAL 93

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CONCLUSION

La description de ces diffeacuterentes formes de trajectoires de rue permet de

sortir drsquoune vision steacutereacuteotypique du pheacutenomegravene des jeunes de la rue

puisque la rue nrsquoest alors pas simplement perccedilue comme un espace dia-

bolique Elle peut toutefois le devenir lorsque la marge de manœuvre des

jeunes se reacuteduit agrave un laquo choix raquo entre deux expeacuteriences laquo deacutesinseacuterantes raquo

Dans ce contexte il importe de retenir que lrsquoexpeacuterience des jeunes en

situation de rue est drsquoabord et avant tout lrsquoexpression de difficulteacutes drsquoinser-

tion sociale notamment en raison drsquoun manque reacuteel de possibiliteacutes et de

la preacutesence de contraintes majeures qui limitent plus ou moins leur capa-

citeacute drsquoaction Dans ce contexte il faut penser lrsquointervention comme un

moyen de maintenir et de construire avec les jeunes des opportuniteacutes

qui leur permettront de surmonter leurs difficulteacutes Dans cette perspec-

tive lrsquoanalyse des trajectoires de rue des jeunes pourrait devenir un outil

majeur tant en intervention qursquoen recherche pour porter un regard sur

la complexiteacute de leur situation sur la nature de lrsquoexpeacuterience biographique

que reacutealise la rue mais aussi sur les forces de structuration que deacuteploient

les interventions notamment reacutepressives en renforccedilant les meacutecanismes de

stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent ces jeunes Certes le suivi de

certains jeunes au-delagrave de ce terrain permet drsquoespeacuterer Lrsquoexpeacuterience bio-

graphique de la rue comprend aussi la dimension sortie Dans la trajec-

toire de rue eacutepisode cette sortie ne semble pas poser de difficulteacutes majeures

lrsquoexpeacuterience de la rue nrsquoeacutetant qursquoun eacuteleacutement de structuration du parcours

biographique Par contre lorsque la rue a contribueacute agrave deacutestructurer lrsquoexpeacute-

rience biographique du jeune le travail drsquoaffranchissement est laborieux

les marges de manœuvre parfois tregraves eacutetroites pour lutter contre lrsquoexacer-

bation des ineacutegaliteacutes sociales et des rapports de stigmatisation structureacutes

par lrsquoaction des institutions reacutepressives auxquelles la vie dans la rue a

conduit Sortir de la rue signifie alors faire face et lutter contre des iden-

titeacutes multiples deacutegradeacutees socialement jeune de la rue itineacuterant toxico-

mane deacutetenu deacutelinquant et drsquoautres encore

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LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

Leur signification dans

une trajectoire de vie

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ARIE

-M

ARTHE

C

OUSINEAU

Eacutecole de criminologie Universiteacute de MontreacutealCICC et agrave lrsquoIRDS

S

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H

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Deacutepartement de psychoeacuteducation Universiteacute du Queacutebec agrave Trois-RiviegraveresIRDS Universiteacute de Montreacuteal

M

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Eacutecole de criminologie Universiteacute de Montreacuteal

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98

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Ce nrsquoest pas drsquohier que les chercheurs srsquointeacuteressent au pheacutenomegravene des

gangs de rue qursquoon tente de percer le secret de leur organisation de faire

le point sur leurs activiteacutes deacutelinquantes Les premiers travaux recenseacutes en

la matiegravere datent de 1927 alors que Trasher recensait 1 313 gangs aux

Eacutetats-Unis Depuis de nombreuses eacutetudes ont vu le jour visant toutes

jusqursquoagrave tregraves reacutecemment agrave preacuteciser agrave partir drsquoeacuteleacutements statistiques quan-

titatifs la structure des gangs leur composition (sexe acircge origine ethnique

rocircle des membres) la preacutesence de rites et de symboles de territoires

reacuteserveacutes

1

Si ces eacutetudes ont le meacuterite de lever le voile sur lrsquoorganisation

des gangs fournissant un portrait en quelque sorte meacutecaniste de leur

fonctionnement elles ne disent rien des membres qui les composent de

leurs motivations agrave joindre le gang des expeacuteriences qursquoils y vivent et de

la signification qursquoils y accordent ndash faisant en sorte qursquoils y restent lieacutes plus

ou moins longtemps ndash et des raisons qui les conduisent agrave vouloir un jour

en sortir En somme on ne sait rien de lrsquoapport des gangs dans la

trajectoire de vie des jeunes

Si tel est le cas crsquoest que les meacutethodes traditionnellement employeacutees

pour aborder la question des gangs ne permettaient pas la collecte du

mateacuteriel neacutecessaire agrave la documentation de cet aspect du laquo pheacutenomegravene des

gangs raquo Depuis maintenant quelques anneacutees notre eacutequipe Jeunesse et

gangs de rue srsquoemploie notamment agrave explorer cette face cacheacutee de la

reacutealiteacute des gangs Agrave cette fin il nous a sembleacute que la seule source de

donneacutees envisageable tenait aux jeunes eux-mecircmes ceux qui ont fait

lrsquoexpeacuterience des gangs Crsquoest donc par une approche essentiellement qua-

litative en donnant la parole aux jeunes dans le cadre drsquoentrevues semi-

dirigeacutees de type reacutecits drsquoexpeacuterience que nous avons conduit plusieurs de

nos recherches Et crsquoest le reacutesultat de ces travaux que nous voulons livrer

dans le cadre du preacutesent chapitre Ce faisant nous montrerons quelle

contribution suppleacutementaire les meacutethodes qualitatives apportent agrave la

connaissance drsquoun aspect neacutegligeacute du pheacutenomegravene des gangs de rue lrsquoexpeacute-

rience que vivent les jeunes en lien avec les gangs de rue Nous verrons

comment une telle approche vient influencer les propositions de solutions

formuleacutees pour faire face au pheacutenomegravene agrave lrsquoeacutetude Cette version renou-

veleacutee de lrsquointervention survient au moment mecircme ougrave lrsquointervention tradi-

tionnellement preacuteconiseacutee essentiellement reacutepressive se heurte agrave des

reacutesultats fort peu probants

1 Parmi les incontournables mentionnons les travaux de Spergel (1965 1995) Klein(1967 1995) Yablonsky (1970) Thornberry (1987 1998) Jankowski (1991) Pour unerecension des eacutecrits sur la question voir Heacutebert Hamel et Savoie (1997)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

99

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41 LA PAROLE AUX JEUNES

Crsquoest donc en recourant agrave une approche qualitative que nous avons entre-

pris de tenter de faire le point sur lrsquoexpeacuterience que vivent les jeunes en

lien avec les gangs de rue Les entrevues que nous avons meneacutees aupregraves

de jeunes membres et ex-membres de gangs selon leur propre aveu pre-

naient la forme drsquoentretiens semi-dirigeacutes ayant pour but de laisser le plus

de latitude possible agrave lrsquointervieweacute dans la narration de son expeacuterience en

lien avec les gangs de rue tout en nous assurant qursquoun certain nombre

de theacutematiques eacutetaient systeacutematiquement couvertes les raisons ayant

conduit le jeune agrave se lier aux gangs les diverses expeacuteriences veacutecues du

fait de son lrsquoaffiliation au gang ndash expeacuteriences de deacutelinquance et de consom-

mation de substances psychotropes certes mais aussi expeacuteriences drsquointer-

actions sociales et sentiments srsquoy rattachant ndash ainsi que les raisons ayant

motiveacute son retrait des gangs et les difficulteacutes veacutecues en lien avec la sortie

le cas eacutecheacuteant Nous insisterons sur le premier et le dernier aspect car il

nous semble que crsquoest lagrave que les connaissances nouvelles issues de lrsquoapproche

qualitative sont les plus prometteuses au regard drsquoune intervention visant

la preacutevention de lrsquoadheacutesion ou de la poursuite de lrsquoadheacutesion des jeunes

aux gangs de rue

Les reacutesultats que nous preacutesentons ici sont issus de deux recherches

et srsquoinspirent de plusieurs autres eacutetudes que nous avons meneacutees sur le

sujet des jeunes et des gangs de rue ainsi que du rapport de lrsquoun agrave lrsquoautre

La premiegravere recherche (Hamel Fredette Blais et Bertot 1998) srsquoest

inteacuteresseacutee agrave un eacutechantillon de 31 jeunes garccedilons et filles membres ou

anciens membres de gangs La deuxiegraveme a plus speacutecifiquement porteacute sur

le cheminement et lrsquoexpeacuterience des jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue

agrave Montreacuteal

La formule emprunteacutee pour la reacutealisation des entrevues tente de

suivre la trajectoire des jeunes qui les megravene agrave se trouver dans le sillage

des gangs de rue agrave srsquoy associer agrave y vivre un certain nombre drsquoexpeacuteriences

et dans certains cas agrave srsquoen deacutetacher Il est alors question des processus

drsquoaffiliation drsquoinitiation drsquoassociation et de deacutesaffiliation le cas eacutecheacuteant

Du mecircme souffle lrsquoaccent est mis sur un certain nombre de thegravemes les

motifs conduisant les jeunes agrave laquo flirter raquo avec les gangs les besoins qursquoils

cherchent agrave combler en srsquoy associant les sentiments qui les animent et

les conduisent agrave poursuivre leur affiliation et eacuteventuellement agrave vouloir y

mettre fin

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100

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

42 MEacuteTHODOLOGIE

Les deux eacutetudes prises en compte dans le preacutesent chapitre se fondent sur

des eacutechantillons des modes de collecte et drsquoanalyse des donneacutees qui bien

que conduisant tous agrave une approche qualitative de la question agrave lrsquoeacutetude

se dessinent de maniegravere assez diffeacuterente

421 Eacute

CHANTILLONS

Lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(1998) meneacutee dans la reacutegion de Montreacuteal srsquoadresse

agrave un eacutechantillon de 31 jeunes (21 garccedilons et 10 filles) ayant fait lrsquoexpeacute-

rience des gangs Ces derniers sont acircgeacutes de 14

2

agrave 25 ans ayant 18 ans en

moyenne Vingt-trois drsquoentre eux sont drsquoex-membres de gangs de rue

alors que les huit autres se deacuteclarent membres actifs au moment de lrsquoentre-

tien Ils se sont joints aux gangs agrave lrsquoacircge de 13 ans en moyenne pour un

passage qui dure trois ans en moyenne toujours (la dureacutee variant entre

quelques mois et plusieurs anneacutees) Ils sont tous francophones mais drsquoori-

gines ethniques diverses Onze drsquoentre eux ont connu lrsquoimmigration et

huit autres ont au moins un parent qui a veacutecu une telle expeacuterience

lrsquoAmeacuterique latine et Haiumlti eacutetant les lieux de provenance les plus repreacutesen-

teacutes Vingt-quatre jeunes habitent ordinairement avec au moins un de leurs

parents tandis que les sept autres vivent de maniegravere indeacutependante Au

moment de lrsquoentrevue vingt-deux faisaient lrsquoobjet drsquoune prise en charge

par un centre jeunesse Pour ce qui est de la scolariteacute elle se situe pour

la plupart drsquoentre eux (2431) entre la premiegravere et la quatriegraveme anneacutee

du secondaire accusant un retard important

Lrsquoeacutechantillon de lrsquoeacutetude de Fournier (2003) eacutegalement meneacutee dans

la reacutegion de Montreacuteal est constitueacute uniquement de jeunes filles Ces filles

ont en moyenne 159 ans la plus jeune ayant 14 ans et la plus acircgeacutee 24

Elles se joignent agrave un gang de rue pour la premiegravere fois en moyenne agrave

lrsquoacircge de 125 ans et quittent en moyenne toujours agrave lrsquoacircge de 148 ans

Quatre drsquoentre elles sont drsquoorigine canadienne (leurs deux parents sont

Canadiens) trois sont drsquoorigine mixte (un parent canadien et lrsquoautre

drsquoorigine diffeacuterente) et six sont drsquoorigine autre que canadienne (aucun

des deux parents nrsquoest Canadien) Au moment ougrave nous les rencontrons

la dureacutee moyenne de leur affiliation aux gangs est de 17 mois Neuf

drsquoentre elles ont laisseacute le gang alors que les quatre autres affirment y ecirctre

2 La limite infeacuterieure de 14 ans est fixeacutee parce que avant cet acircge le consentement desparents est requis pour la participation du jeune agrave une eacutetude quelle qursquoelle soit Orles jeunes ne souhaitent pas neacutecessairement que leur participation aux gangs de ruesoit reacuteveacuteleacutee agrave leurs parents du fait de leur participation agrave une eacutetude portant sur le sujetsituation que nous avons voulu eacuteviter

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encore affilieacutees Au moment de lrsquoentrevue neuf des treize jeunes filles

preacutesentaient un retard scolaire srsquoeacutetalant entre un et quatre ans variable

selon les matiegraveres Bien que la plupart des jeunes filles rencontreacutees

avouent ne pas veacuteritablement connaicirctre la situation eacuteconomique de leurs

parents leur reacutecit laisse entendre qursquoelles viennent majoritairement de

familles deacutemunies qui eacuteprouvent de surcroicirct diverses autres difficulteacutes

qursquoelles reacutevegravelent au fil de leur teacutemoignage violence psychologique phy-

sique ou sexuelle au sein de la famille toxicomanie problegravemes de santeacute

mentale ou physique des parents Drsquoailleurs dix drsquoentre elles ne vivent

plus qursquoavec un seul de leurs parents biologiques Toutes sauf une font

lrsquoobjet drsquoun placement en centre jeunesse en vertu de la Loi sur la pro-

tection de la jeunesse (LPJ) jamais sous le couvert de la Loi sur le systegraveme

de justice peacutenale des adolescents

(LSJPA anciennement Loi des jeunes

contrevenants LJC)

Pour les deux eacutetudes les eacutechantillons de jeunes sont constitueacutes agrave

lrsquoaide de la technique du tri expertiseacute (Angers 1996) laquelle consiste agrave

faire appel agrave un intervenant qualifieacute (qui dans ces cas travaille en centre

jeunesse) appeleacute agrave repeacuterer au sein de sa clientegravele ceux et celles qui

correspondent aux critegraveres drsquoeacutechantillonnage

3

Il les aborde leur fait part

de la tenue de lrsquoeacutetude de ses objectifs et des modaliteacutes de reacutealisation de

celle-ci et leur demande ensuite srsquoils seraient inteacuteresseacutes agrave y participer

auquel cas il les met en relation avec les chercheures

422 I

NSTRUMENTS

DE

COLLECTE

ET

ANALYSE

DES

DONNEacuteES

Dans le cas de lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(2003) un questionnaire contenant

agrave la fois des questions ouvertes et des questions fermeacutees a eacuteteacute adresseacute aux

jeunes Les questions ouvertes leur permettraient de srsquoexprimer drsquoabord

librement sur les thegravemes abordeacutes avant que ceux-ci ne soient approfondis

de faccedilon plus systeacutematique agrave lrsquoaide de questions fermeacutees Ainsi le question-

naire comprend 24 questions ouvertes et 109 questions fermeacutees destineacutees

ensemble agrave couvrir les thegravemes suivants 1) les donneacutees sociodeacutemogra-

phiques concernant le jeune et sa famille 2) lrsquoentreacutee du jeune dans les

gangs 3) lrsquoeacutecologie sociale du jeune ayant fait lrsquoexpeacuterience des gangs

4) lrsquoorganisation du gang et lrsquoexpeacuterience du jeune au sein de celui-ci 5) la

3 Les ex-membres devaient avoir entrepris un processus seacuterieux de deacutesaffiliation pourecirctre qualifieacutes comme tels Ceux-ci ne devaient plus se consideacuterer et ecirctre consideacutereacutes parleur intervenant comme membres actifs Les membres actifs devaient quant agrave eux ecirctrelieacutes agrave des groupes qui se livrent de maniegravere reacuteguliegravere agrave des actes de criminaliteacute et deviolence en lien avec les activiteacutes du gang Aucun jeune ne devait ecirctre reacutefeacutereacute unique-ment sur la base drsquoimpressions Il devait avoir eacuteteacute eacutetabli que les jeunes freacutequentaientdes groupes reconnus comme eacutetant des gangs de rue ceux-ci se livrant reacuteguliegraverementagrave des actes de deacutelinquance lucrative ou violente

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102

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sortie du gang et 6) les solutions agrave apporter au pheacutenomegravene des gangs agrave

Montreacuteal Nous nous inteacuteressons ici plus particuliegraverement aux propos

tenus par les jeunes en reacuteponse aux questions ouvertes prenant la forme

drsquoune consigne large du genre laquo Jrsquoaimerais que tu me racontes comment

cela srsquoest passeacute lorsque tu es entreacute(e) dans un gang pour la premiegravere fois ndash

comment ccedila srsquoest fait raquo qui leur laissait une grande latitude pour mettre

lrsquoaccent sur les aspects les plus significatifs pour eux du thegraveme abordeacute

Dans son eacutetude Fournier (2003) srsquointeacuteresse strictement aux points

de vue des jeunes filles relativement agrave lrsquoexpeacuterience qursquoelles ont veacutecue dans

et avec les gangs Dans cette perspective lrsquoauteure adopte une approche

reacutesolument qualitative srsquoappuyant sur le reacutecit drsquoexpeacuterience lequel permet

de mettre lrsquoaccent sur une partie de la vie de la personne deacutelimiteacutee plus

speacutecifiquement autour drsquoune dimension de celle-ci en lrsquooccurrence

lrsquoadheacutesion aux gangs Ces reacutecits sont organiseacutes suivant une seacutequence tem-

porelle qui permet de suivre la chronologie des eacuteveacutenements Ils deacutebutent

agrave partir drsquoune consigne de deacutepart large laquo

Jrsquoaimerais que tu me parles de tonexpeacuterience avec les gangshellip

raquo et se poursuivent en visant drsquoabord agrave preacuteciser

la chronologie des eacuteveacutenements par des relances du type laquo

Avant cette peacuteriodeque srsquoest-il passeacute

raquo ou laquo

Apregraves cela qursquoest-il arriveacute

raquo tentant par lagrave de preacuteciser

la seacutequence ou la configuration des eacuteleacutements entourant un eacuteveacutenement en

particulier ou une seacuterie drsquoeacuteveacutenements Des relances theacutematiques sont eacutega-

lement preacutevues au canevas drsquoentretien Elles visent pour leur part agrave appro-

fondir certains aspects preacutedeacutefinis de la probleacutematique agrave lrsquoeacutetude

Le mateacuteriel drsquoentrevue fourni par les questions ouvertes dans le cas

de lrsquoeacutetude de Hamel

et al

(1998) et la totaliteacute des entrevues pour celle de

Fournier (2003) retranscrit inteacutegralement est drsquoabord soumis agrave une ana-

lyse verticale concernant chaque entrevue prise pour elle-mecircme dans le

but de deacutegager les principales dimensions abordeacutees par chacun des inter-

vieweacutes Une analyse transversale est ensuite reacutealiseacutee visant cette fois agrave

reacuteveacuteler les convergences aussi bien que les divergences qui apparaissent

dans les propos tenus par chacun des intervieweacutes sur chacun des thegravemes

retenus dans le cours de la premiegravere analyse

Il srsquoagit lagrave somme toute drsquoun canevas de recherche qualitative assez

classique mais qui nrsquoavait pas eacuteteacute utiliseacute aupregraves des jeunes membres de

gangs Celui-ci srsquoenrichit du fait que nous avons tenteacute de respecter la

structure chronologique des eacuteveacutenements survenus dans la vie des jeunes

agrave partir du moment ougrave ils ont commenceacute agrave frayer avec les gangs de rue

Ainsi nous avons pu tracer la petite histoire de lrsquoexpeacuterience veacutecue par les

jeunes en lien avec les gangs en ayant pour point de deacutepart le processus

drsquoaffiliation et en allant jusqursquoau processus de deacutesaffiliation Nous avons

drsquoailleurs deacutecouvert agrave cette occasion qursquoil fallait nous attarder aux proces-

sus au lieu de parler en termes de moments ou mecircme drsquoeacutetapes

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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43 LA PAROLE DES JEUNES

Au fil des entrevues les jeunes nous apprennent qursquoils ont eacuteteacute attireacutes par

les gangs parce que ceux-ci leur permettaient de combler des besoins de

valorisation drsquoappartenance de reacutealisationhellip qursquoaucune autre institution

sociale ne leur permettait de satisfaire

Les jeunes nous apprennent aussi nous le soulignions que lrsquoadheacute-

sion aux gangs relegraveve le plus souvent drsquoun processus bien plus que drsquoun

coup de cœur ou drsquoune situation isoleacutee de coercition comme on avait pu

le laisser entendre Les jeunes les filles en particulier sont seacuteduits par les

membres de gangs agrave travers un proceacutedeacute complexe qui conduit agrave leur

recrutement

Les jeunes qui se laissent ainsi seacuteduire preacutesentent ordinaire-

ment diffeacuterents espaces de vulneacuterabiliteacute qui les disposent drsquoune certaine

maniegravere agrave se rapprocher des gangs ils viennent de familles qui vivent des

difficulteacutes (besoin de seacutecuriteacute) ou qui srsquointeacuteressent trop ou pas assez agrave eux

(besoins de reconnaissance de valorisation) ils vivent des difficulteacutes

drsquointeacutegration sociale (besoin drsquoappartenance) des difficulteacutes scolaires

(besoin de reconnaissance et de valorisation) ou des expeacuteriences de vic-

timisation agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de la famille (besoin de protec-

tion) Ils trouvent dans les gangs agrave combler ces besoins et srsquoen voient au

moins pour un temps reacuteconforteacutes Ainsi se trouve mis au jour un reacutesultat

ineacutedit traduisant le fait qursquoau-delagrave de la

violence et de la criminaliteacute qursquoil

geacutenegravere le pheacutenomegravene des gangs de rue est associeacute agrave un problegraveme encore

plus important et troublant agrave nos yeux les jeunes deacutecouvrent dans les

gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs de combler diffeacute-

rents besoins fondamentaux

Tout le temps que dure lrsquoaffiliation des jeunes au gang il apparaicirct

que ceux-ci sont litteacuteralement enivreacutes par lrsquointensiteacute des rapports qursquoils

deacuteveloppent dans ces groupes Cela ne veut pas dire qursquoils ne vivent pas

des sentiments contradictoires faits tout agrave la fois drsquoivresse et de peur mais

le sentiment qui transcende et qui surgit dans leur reacutecit comme un cri

du cœur est celui drsquoavoir trouveacute de

vrais amis

Les reacutecits que les jeunes nous font permettent de comprendre pour-

quoi les interventions traditionnellement favoriseacutees pour faire face au

pheacutenomegravene des gangs de nature essentiellement reacutepressive nrsquoont ordi-

nairement pas reacuteussi agrave atteindre leur objectif eacuteradiquer le pheacutenomegravene

des gangs Car agrave partir du moment ougrave les besoins que les jeunes cherchent

agrave y combler ne sont pas satisfaits il ne faut pas srsquoeacutetonner que le deacuteman-

tegravelement drsquoun gang se reacutevegravele temporaire le temps que lrsquoorganisation se

reacuteorganise

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104

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si lrsquoensemble des reacutesultats de nos recherches teacutemoignent avec force

du mal-ecirctre de ces jeunes qui srsquoen remettent aux gangs pour satisfaire des

besoins qui ne semblent pas avoir eacuteteacute combleacutes ailleurs et pour nouer des

liens qursquoils ne semblent pas entretenir et pouvoir deacutevelopper ailleurs ils

teacutemoignent aussi de la meacuteconnaissance drsquoune telle reacutealiteacute

431 L

ES

JEUNES

PARLENT

DE

LA

FACcedilON

DONT

ILS

EN

SONT

VENUS

Agrave

SE

JOINDRE

AUX

GANGS

Lorsqursquoon demande aux jeunes les raisons qui les ont ameneacutes agrave se joindre

aux gangs les reacuteponses surprennent un peu Pour certains comme Davis

ou Simon lrsquoadheacutesion aux gangs paraicirct srsquoecirctre imposeacutee tout simplement

comme une eacutevidence un incontournable Elle srsquoest faite tout naturelle-

ment Un fregravere un ami en faisait deacutejagrave partie et il eacutetait en quelque sorte

convenu qursquoils en fassent aussi partie

Jrsquoai toujours eacuteteacute plongeacute dans cet univers-lagrave Jrsquoai toujours eacuteteacute conscient deccedila Les gangs ont toujours fait partie de mon environnement Ils eacutetaientdans mon quartier dans mon eacutecole Crsquoeacutetaient mes amis Je savais ce quecrsquoeacutetait une gang Mon fregravere en faisait aussi partie Pour moi crsquoeacutetait unedeuxiegraveme famille Jrsquoavais ccedila dans le sanghellip Quand je voyais mon fregravere jesavais qursquoun jour je serais avec eux autres

(Davis 17 ans dans Hamel

et al

1998)

Moi jrsquoai grandi avec les gangs de rue crsquoest plus pour ccedila que jrsquoai eacuteteacute inteacutegreacutelagrave-dedans parce que je voyais comment ccedila se passait et mes fregraveres eacutetaientlagrave-dedans et mes cousins

[hellip]

Un jour ou lrsquoautre il y en avait beaucoupqui savaient que jrsquoallais rentrer lagrave-dedans

[hellip]

Yrsquoa pas une fille qui peutme dire qursquoelle a grandi avec ces gars-lagrave et qui est pas comme eux Si cettefille-lagrave me dit ccedila cette fille-lagrave je la respecte parce que wow Vivre avec euxcrsquoest gravehellip ils sont en dedans de toi tout ce que tu fais et tu dis crsquoestquasiment eux Crsquoest quasiment eux autres qui trsquoont donneacute ton eacuteducationsans que tu le saches

(Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Drsquoautres au contraire expliquent qursquoils nrsquoavaient jamais vraiment

songeacute agrave se lier agrave un gang Ils nrsquoauraient drsquoailleurs mecircme pas saisi au

deacutepart en se joignant agrave un groupe drsquoautres jeunes qursquoils laquo srsquoembarquaient raquo

dans un gang

Dans ma tecircte agrave moi je rentrais dans un cercle drsquoamis pas dans une gangJe ne savais pas que jrsquoentrais dans une gang Je lrsquoai su apregraves

(Odile 24ans dans Hamel

et al

1998)

Je ne savais pas grand-chose sur les gangs En fait je ne savais pas quecrsquoeacutetait une gang Je ne savais pas ce que crsquoeacutetait encore moins comment ccedilafonctionnait Pour moi crsquoeacutetait uniquement un regroupement de gars qui

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES

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se tenaient ensemble en tant qursquoamis pour la fecirctehellip Je trouvais ccedila extra-ordinairehellip Ce nrsquoest que plus tard que jrsquoai compris qursquoils faisaient desmauvais coups des deals qursquoils participaient agrave des activiteacutes deacutelinquantes

(Noeacutemi 17 ans dans Hamel

et al

1998)

Drsquoautres encore racontent que crsquoest un peu sur lrsquoimpulsion du moment

que lrsquoideacutee leur est venue de former un gang et ce nrsquoest qursquoau fil des

eacuteveacutenements que les activiteacutes du gang ont pris une allure plus deacutelinquante

Il y avait plusieurs gangs dans le quartier Moi et mes chums du primaireque je connais depuis longtemps on eacutetait toujours ensemble Un momentdonneacute on a deacutecideacute de se donner un nom ce qui a provoqueacute des bagarresavec une autre gang du quartier qui existait deacutejagrave et qui a mal reacuteagi aufait qursquoon forme une espegravece de gang La preacutesence de ce gang ennemi estdevenue notre raison drsquoecirctre Crsquoest comme ccedila qursquoon est devenu officiellementun gang de ruehellip Tout eacutetait une question de gang de territoire Il fallaitecirctre supeacuterieur en srsquoaffirmant par des batailles

(Charles 17 ans dansHamel

et al

1998)

Crsquoest moi et mes amis que je connais depuis longtemps qursquoon a formeacute ungang Je ne suis pas entreacute dans un gang on a grandi ensemblehellip Un soirmoi et mes chums on eacutecoutait un film Crsquoeacutetait lrsquohistoire drsquoun gang de NewYork qui avait deacutejagrave existeacute On a deacutecideacute que le nom de cet ancien gang allaitdevenir le nocirctre Crsquoest lagrave que les vraies affaires ont commenceacutehellip On acommenceacute agrave trois ou quatre gars et il y en a drsquoautres qursquoon connaissaitdeacutejagrave qui se sont joint agrave nous tranquillementhellip Ccedila crsquoest fait normalement

(Feacutelix 19 ans dans Hamel

et al

1998)

432 L

ES

JEUNES

EXPLIQUENT

LES

MOTIFS

QUI

LES

ONT

AMENEacuteS

Agrave SE

JOINDRE AU GANG

En ce qui concerne les motifs qui les auraient ameneacutes agrave se joindre agrave un

gang certains disent ecirctre venus y chercher du plaisir de lrsquoaventurehellip par

curiositeacute par deacutefi

Pour moi les gangs de rue crsquoeacutetait le trip drsquoecirctre toujours entoureacute drsquoamis defaire des activiteacutes trippantes le party la drogue les filles Je trouvais ccedila lefun Les gars sont comiques Ils sont cool Jrsquoeacutetais le plus jeune au deacutebutJrsquoeacutetais comme leur petit fregravere Ils prenaient soin de moi Ils me proteacutegeaientIls me traicircnaient partout (Simon dans Hamel et al 1998)

Crsquoeacutetait pas mal drsquoaction ccedila mrsquointeacuteressait ccedila mrsquointriguait Jrsquoai commenceacuteagrave freacutequenter du monde surtout les gangs espagnolshellip Jrsquoeacutetais un peu fofolleje voulais de lrsquoaventure (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)

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106 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Crsquoeacutetait cool Ccedila faisait marginal Ccedila mrsquoattirait Les gens avaient lrsquoair desrsquoaimer Crsquoeacutetait comme un esprit de famille Je pensais que crsquoeacutetait le bonheurle paradishellip Mais crsquoest surtout la curiositeacute qui mrsquoa attireacutee agrave eux Jrsquoavaisenvie de vivre lrsquoexpeacuterience de vivre quelque chose de nouveau de vivre lavie de gang (Yella 16 ans dans Hamel et al 1998)

Moi jrsquoaime le danger jrsquoaime la peur Nrsquoimporte quand tu vas me direlaquo non va pas lagrave raquo je vais y aller Crsquoest le danger et tu viens de me dire dene pas y allerhellip Je vais y aller pour te prouver que je suis capable de lefaire (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Mais ils sont plus nombreux agrave confier que crsquoest leur situation fami-

liale et sociale largement deacuteteacuterioreacutee qui les a ameneacutes agrave srsquoaffilier aux

gangs Dans le premier cas les jeunes disent srsquoecirctre associeacutes aux gangs afin

drsquoy trouver une nouvelle famille en remplacement de la leur largement

deacuteficiente de leur point de vue agrave combler leurs besoins drsquoattention de

valorisation drsquoamour Les reacutecits de Collin de Marie-Pierre et de Cassandre

ne constituent que trois exemples de telles situations qui se retrouvent

couramment dans les deux eacutetudes

Chez nous crsquoeacutetait lrsquoenfer Jrsquoavais beaucoup de problegravemes familiaux Jrsquoavaisbesoin drsquoune famille Eux ils mrsquoont offert celle que je nrsquoavais jamais eueJe viens drsquoune famille deacutesorganiseacutee sans affection sans preacutesence et ougrave jrsquoaitoujours eacuteteacute diminueacute et traiteacute comme un bon agrave rienhellip Jrsquoavais besoin dugang (Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)

Quand je rechute crsquoest la seule place que je sais que je suis vraiment biendans ma peau Et crsquoest ce que jrsquoaurais aimeacute avoir de mon pegravere [lrsquoamour]mais je peux pas lrsquoavoir de lui Alors crsquoest ccedila qui mrsquoattire lagrave-dedans il ya de la souffrance il y a plein de choses mais il y a aussi beaucoupdrsquoamour et moi jrsquoaime ccedila en recevoir beaucoup parce que jrsquoen ai pas euassez (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Jrsquoai eu une crise drsquoadolescence ougrave je me sentais toute seule ma megravere eacutetaitmaladehellip Ma megravere avait pris un travailleur social jrsquoavais un eacuteducateuret jrsquoavais une personne-ressource agrave lrsquoeacutecolehellip Donc jrsquoavais tout le monde surmon cas parce que ma megravere eacutetait malade Alors jrsquoavais du monde quisrsquooccupait de moi vu que jrsquoeacutetais laisseacutee agrave moi-mecircme et ccedila marchait pas dutouthellip Jrsquoeacutetais deacutelaisseacutee avec qui tu voulais que je sois (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2002)

Crsquoest agrave ce moment que les gangs ont fait irruption dans la vie de

Marie-Pierre par un processus subtil de recrutement au moment ougrave elle

se trouvait en centre drsquoaccueil Le reacutecit de Marie-Pierre est inteacuteressant car

il permet de constater que malgreacute le fait qursquoelle ait eacuteteacute entoureacutee et prise

en charge de toutes parts elle se sentait deacutelaisseacutee On voit ici agrave quel point

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 107

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les impressions face agrave une situation peuvent parfois se reacuteveacuteler trompeuses

lorsqursquoelles sont confronteacutees aux perceptions des personnes qui vivent la

situation Il ne srsquoagit pas de dire que la laquo veacuteriteacute raquo de la situation se trouve

drsquoun cocircteacute ou de lrsquoautre Il srsquoagit simplement de signaler qursquoil peut exister ndash

et qursquoil existe mecircme normalement ndash une distorsion entre les impressions

drsquoune part et les perceptions drsquoautre part dont il faut tenir compte En

fait il faut tenir compte aussi bien des unes que des autres pour agir

adeacutequatement face agrave la situation

En ce qui a trait agrave leurs relations sociales plusieurs jeunes disent

avoir rencontreacute pour la premiegravere fois dans les gangs de vrais amis un

thegraveme qui revient sans cesse

Crsquoest venu combler un manque que jrsquoavais manque drsquoamour manquedrsquoattention Quand tu as pas drsquoattention et que tu es adolescente tu veuxparler tu veux faire ci tu veux faire ccedila et qursquoil y a personne qui a le tempsde trsquoeacutecouter et tout le monde te crie des becirctises [hellip] Tu vas les voir euxautres laquo Christ trsquoes cool trsquoes hot trsquoes super comique et ci et ccedila tabarnaneccedila fait changement ccedila lagrave Ccedila me valorisait dans un sens-lagrave (Marie-Pierre24 ans dans Fournier 2003)

Ces gens-lagrave tu le sais quand tu es dans un gang tu as des amies de fillestu as des amis de gars mais pas des fakes des reals Vraiment des vraisamis Tu te dis que cette personne-lagrave elle trsquoaime pour ce que tu es et nonpour ce que tu as (Cassandre 17 ans dans Fournier 2003)

Deux autres motifs sont encore invoqueacutes par les jeunes pour expli-

quer leur inteacuterecirct agrave se joindre aux gangs un besoin de seacutecuriteacutehellip

Jrsquoavais la protection offerte par la gang Jrsquoai embarqueacute dans un but preacutecis quand il y a une bataille mes amis vont ecirctre lagrave (Vanier 16 ans dansHamel et al 1998)

Moi je me sens proteacutegeacutee parce que je le sais qursquoavec eux autres il peut rienmrsquoarriver de mal Il peut mrsquoarriver quelque chose de mal genre prendre dela drogue ou nrsquoimporte quoi mais si jrsquoai un problegraveme avechellip genre un garsqui veut me casser les deux jambes bien jrsquoappelle mes amis et ils vont veniragrave mon secours (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Dans mon quartier il y avait plusieurs gangs donc plusieurs problegravemesLe gang veut dire pour moi ecirctre avec des amis avoir du funhellip Surtoutavoir une protection Tu vois les rivaux et tu ne sais jamais quand ils tesauteront dessus Le gang trsquoassure une seacutecuriteacute un back-up Il faut que tusois avec quelqursquoun Tu ne peux pas marcher tout seul et aller aux fecirctestout seul Ce nrsquoest pas bon de te promener seul Agrave plusieurs tu es toujoursplus fort (Davis 17 ans dans Hamel et al 1998)

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108 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

hellip et le deacutesir ndash ou le besoin ndash de faire de lrsquoargent rapidement

Lrsquoargent fourni par le gang peut ecirctre vu par le jeune comme une faccedilon

de se procurer des biens qui autrement ne seraient pas agrave sa porteacutee et

qui agrave ses yeux lui confegraverent un certain statut social

Ma megravere avait pas drsquoargent essaye de prendre des cours de ci essaye deprendre des cours de ccedila ccedila coucircte tout le temps de lrsquoargent faire ccedila Tu faisquoi dans ce temps-lagrave Tout le monde srsquohabille en Polo quand crsquoest la modedu Polo et tout le monde srsquohabille en ci et en ccedila et toi tu es habilleacutee enCroteau [magasin bas de gamme] Crsquoest chiant pareil lagrave Ou tout lemonde se promegravene avec cinq cents (dollars) dans les poches et toi tu as troispiastres Lrsquoargent ccedila a aideacute disons Tu vois tout le monde en gros char ettout le monde avec la palette et les bijouxhellip agrave un moment donneacute ccedila faitchier (Marie-Pierre 24 ans dans Hamel et al 1998)

Mais lrsquoargent peut aussi servir des fins de survie notamment pour

les jeunes en fugue Clara par exemple explique qursquoelle a accepteacute de se

joindre agrave un gang uniquement parce qursquoelle voyait lagrave une faccedilon de

pouvoir assurer la poursuite de sa fugue

Crsquoest juste pour avoir de lrsquoargent Moi je me disais dans ma tecircte laquo Je mecache jusqursquoagrave mes 18 ans il faut bien que je commence agrave avoir delrsquoargent raquo Jrsquoavais besoin drsquoargent parce que sinon je pouvais pas ecirctre enfugue (Clara 15 ans dans Fournier 2003)

De ces reacutecits de jeunes qui racontent comment ils en sont venus agrave

se joindre aux gangs ressort une image bien diffeacuterente de celle deacutesincar-

neacutee que donnent les diffeacuterentes typologies qui distinguent globalement

les membres du noyau dur des associeacutes des membres peacuteripheacuteriques des

recrues et des jeunes aspirants (Heacutebert et al 1997) qui tentent de calculer

la proportion de jeunes faisant partie de chacune de ces tranches qui

tentent ensuite de les caracteacuteriser par la part qursquoils prennent aux activiteacutes

deacutelinquantes du groupe oubliant que le gang ne se reacuteduit pas dans

lrsquoesprit des jeunes ordinairement agrave un regroupement de jeunes constitueacute

en vue de commettre une deacutelinquance organiseacutee mais repreacutesente plutocirct

un groupe drsquoamishellip une gang de chums Crsquoest lrsquoimage de jeunes qui expriment

des besoins drsquoappartenance de valorisation de protection ou simple-

ment qui cherchent des occasions de plaisir qui est deacutepeinte ici Des

jeunes qui finalement ressemblent agrave tous les autres jeunes car comme

Freacutechette et Le Blanc (1987) parmi drsquoautres le signalent tregraves pertinem-

ment le deacutesir de se regrouper est un deacutesir tout ce qursquoil y a de plus normal

agrave lrsquoadolescence

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Enfin on lrsquoaura deacutejagrave senti mais ces deux extraits des entrevues avec

Xavier et avec Lucie le montrent encore plus clairement lrsquoadheacutesion aux

gangs se fait rarement du jour au lendemain Il srsquoagit drsquoun processus

parfois assez long qui conduit agrave y adheacuterer peu agrave peu sans brusquerie

Ainsi Xavier raconte

Un jour je me promenais dans la rue avec un ami et deux filles Crsquoest lagraveque jrsquoai rencontreacute un gang Celui qui semblait le chef srsquoest approcheacute de nouspour nous dire qursquoon eacutetait sur leur territoirehellip On srsquoest mis agrave parler et legars mrsquoa carreacutement demandeacute si je voulais embarquer dans le gang Jrsquoaiaccepteacute de lui donner mon numeacutero de teacuteleacutephone Il mrsquoa appeleacute le lendemainpour me demander encore une fois si jrsquoeacutetais inteacuteresseacute agrave embarquer dans legang Je nrsquoai pas reacutepondu tout de suite mais par curiositeacute sans penseraux conseacutequences je me suis dit laquo pourquoi pas raquo Je ne pensais qursquoaupositif les filles les fecircteshellip Trois jours apregraves le gars me rappelait et jrsquoaccep-tais drsquoembarquer Il mrsquoa alors fixeacute un rendez-vous et ils mrsquoont initieacute(Xavier 21 ans dans Hamel et al 1998)

Et Lucie

Chez nous ccedila nrsquoallait pas bien Jrsquoai alors eacuteteacute placeacutee en centre drsquoaccueilIncapable de vivre lagrave Jrsquoai fait plusieurs fugues en peu de temps Maisquand tu fugues geacuteneacuteralement tu nrsquoas rien Tu es seule sans argent sansplace ougrave aller Alors ccedila te prend pas de temps qursquoon te retourne en centredrsquoaccueil Je ne voulais plus y retourner Une fille mrsquoa proposeacute de me pousseravec elle et elle me dit qursquoelle connaicirct du monde qui pourrait nous cacherAvec sa proposition jrsquoavais la chance de me pousser pour de bon La fillea planifieacute notre fugue et des garccedilons nous attendaient agrave une station demeacutetro Crsquoest lagrave que jrsquoai su que crsquoeacutetaient des gars de gangs Mais bon avecces gars-lagrave jrsquoavais tout argent bouffe vecirctements appartement amishellip Jenrsquoeacutetais plus seule La vie de luxe quoi Tu deacutebarques les meubles sont lagravetu es habilleacutee Ils te sortent 20 $ pour que tu te payes le restohellip Au deacutebutils sont bien finshellip (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)

La derniegravere partie de lrsquoextrait tireacute du reacutecit de Lucie raconte qursquoapregraves

avoir eacuteteacute laquo gacircteacutee raquo et laquo proteacutegeacutee raquo par le gang celle-ci a ducirc payer sa dette

en se prostituant pour le groupe Une situation qui nous a eacuteteacute maintes

fois rapporteacutee et que reacutesume bien Yanie qui a subi le mecircme sort mais

preacutefegravere parler plus globalement de cette situation peut-ecirctre parce qursquoelle

se sent trop eacutemotivement concerneacutee

Agrave chaque fille qui passait ils la seacuteduisaient drsquoune faccedilon la seacuteduction desgangs Ils la seacuteduisaient laquo Je te trouve belle veux-tu mon numeacutero je vaistrsquoappelerhellip raquo Lagrave la fille elle le trouve beau super beau laquo Il est tellementbeau il est tellement gentil je veux ecirctre avec raquo Lagrave elle lui donne son

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110 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

numeacutero Il lrsquoappelle ils sortent ensemble deux ou trois semaines Apregraves ccedilaelle est obligeacutee de le repayer Alors lagrave il dit laquo Tu as les moyens de me payerpar argent ou tu devras travailler pour moi raquo Alors lagrave elle est toute laquo travailler pour toi raquo [hellip] Alors lagrave soit qursquoelle fait de la prostitutionsoit qursquoelle va coucher avec tous ses amishellip (Yanie 14 ans dans Fournier2003)

Ce revirement de situation se vivrait quasi systeacutematiquement lorsque

les jeunes filles sont en fugue srsquoil faut en croire les reacutecits que nous font

celles-ci Sophie raconte cette histoire drsquoune amie qui srsquoest ainsi fait prendre

au jeuhellip une histoire semblable agrave bien drsquoautres que nous avons entendues

Elle eacutetait dans le bus et il y a un gars qui lui dit laquo Salut qursquoest-ce quetu fais raquo Lagrave elle dit laquo Rien je suis en fugue raquo et tout Elle capotait Lagravele gars il lui a dit laquo Viens chez nous viens prendre ta douche tu vas ecirctreagrave lrsquoaise raquo [hellip] Elle est alleacutee chez eux elle a pris sa douche et tout Lagrave elleavait faim alors elle a mangeacute il lui a commandeacute agrave manger Le gars estalleacute lui acheter un manteau il est alleacute lui acheter plein de maquillage [hellip]Et lagrave agrave un moment donneacute il a commenceacute agrave prendre de la drogue avec elleet lagrave il la droguait il la droguait jusqursquoagrave un moment donneacute qursquoil a dit laquo OK tu vas aller danser pour moi raquo [hellip] Crsquoest ccedila bref la fille eacutetait lagrave-dedans et tout et elle dansait pour lui Elle avait plein de cash et agrave lafin crsquoeacutetait rendu qursquoil la battait parce qursquoelle ccedila lui tentait plus de faireccedila ccedila lui tentait plus parce que dans le fond tout le cash qursquoelle faisaitelle lui donnait touthellip (Sophie 14 ans dans Fournier 2003)

Enfin certains comme Charles Odile et Rose expriment clairement

que rien nrsquoaurait pu les empecirccher de se joindre au moins pour un temps

au gang qursquoils ont freacutequenteacute

Crsquoeacutetait ma deacutecision Rien ne pouvait empecirccher ccedila Dans ce temps-lagrave audeacutebut on ne faisait rien de mal On eacutetait juste des chums Crsquoeacutetait normalpour moi drsquoecirctre avec eux (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)

Personne nrsquoaurait pu mrsquoempecirccher de me tenir avec ces gars-lagrave Jrsquoai toujourseacuteteacute bien ouverte Je nrsquoai jamais rien cacheacute agrave personne mais je nrsquoeacutecoutaispas Jrsquoeacutetais reacutevolteacutee une rebelle une anti-autoriteacute une eacutegocentrique je nepensais qursquoagrave moi et au fun que je voulais avoir Il fallait que je vivelrsquoexpeacuterience je pense (Odile 24 ans dans Hamel et al 1998)

Tout le monde a essayeacute de me parler et de mrsquoaider mais ccedila nrsquoa rien donneacuteJe ne les eacutecoutais pas Il fallait que je vive lrsquoexpeacuterience Il faut vivre leschoses pour savoir sinon tu trsquoen foushellip Jusqursquoagrave temps que ce soit toi quipayes le prix (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)

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433 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoEXPEacuteRIENCE QUrsquoILS ONT VEacuteCUE

DANS LE GANGhellip EN TERMES DrsquoEacuteMOTIONS

Les jeunes parlent peu de leur expeacuterience dans le gang les jeunes gar-

ccedilons surtout se font discrets sur cette tranche de leur affiliation aux

gangs Les filles se deacutevoilent un peu plus Nous avons eu lrsquooccasion de

traiter ailleurs plus speacutecifiquement du rocircle et des fonctions des filles dans

les gangs (Fournier Cousineau et Hamel agrave paraicirctre) et notamment des

expeacuteriences de victimisation qursquoelles y vivent (Fournier Cousineau et

Hamel 2004) Nous voulons mettre ici lrsquoaccent sur ce que les jeunes nous

ont dit trouver au sein des gangs plutocirct que sur les activiteacutes qursquoils y ont

meneacutees la deacutelinquance agrave laquelle ils ont pu srsquoadonner du fait de leur

affiliation au gang un aspect plus connu de la reacutealiteacute des gangs En srsquointeacute-

ressant aux eacutemotions ressenties par les jeunes en lien avec lrsquoexpeacuterience

qursquoils vivent dans les gangs on deacutecouvre drsquoabord que ceux-ci offrent aux

jeunes beaucoup drsquoaspects positifs ce qursquoon aurait trop facilement ten-

dance agrave neacutegliger En fait on constate qursquoils trouvent agrave y combler du moins

pour un temps les principaux besoins qursquoils exprimaient comme autant

de motifs les ayant conduits agrave srsquoaffilier agrave un gang de rue ou nous lrsquoaurons

compris plus preacuteciseacutement aux membres drsquoun gang de rue dans la plupart

des cas

Drsquoabord le gang suscite un fort sentiment drsquoappartenance comme

lrsquoexprime tregraves bien Collin

Je ressentais un fort besoin drsquoappartenance La gang me lrsquooffrait Crsquoeacutetaitcomme une famille Ils eacutetaient precircts agrave tout faire pour mrsquoaider On avaittous les mecircmes faiblesses tous les mecircmes problegravemes On eacutetait regroupeacutesunis Crsquoest ce qui faisait notre force Tu nrsquoes pas en gang tu appartiensagrave une famille tu appartiens agrave une gang Avec la gang jrsquoavais la protec-tion le pouvoir et le respecthellip On se sent important aux yeux de quelqursquounet surtout on se sent bon agrave quelque chose Crsquoest une faccedilon de se trouverun but commun avec des gens qui te ressemblent qui ont les mecircmes preacuteoc-cupations que toi Je cherchais une boueacutee de secours une famille quisrsquooccupe de moi qui mrsquoappreacutecie agrave ma juste valeur (Collin 25 ans dansHamel et al 1998)

Le gang viendrait donc jouer aux yeux des jeunes qui y adhegraverent

le rocircle drsquoune seconde famille ou mecircme prendre carreacutement la place que

la famille ne prend pas affirmeront certains jeunes intervieweacutes Certains

y trouveraient un lieu de confidenceshellip

On parlait on parlait beaucoup Et crsquoest comme ccedila que je suis devenueplus amie avec eux Ils me parlaient de leurs expeacuteriences et je leur parlaisde mes expeacuteriences Pas les mauvais coups et tout ccedila mais plus nos viesqursquoest-ce qui srsquoest passeacute depuis qursquoon est jeune et tout ccedila (Eva 16 ansdans Fournier 2003)

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112 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

hellip et drsquoeacutecoute souligne Cassandre

Les seules personnes agrave qui je savais que je pouvais faire confiance crsquoeacutetaientles gars de gang et les filles de gang Parce qursquoeux autres je leur ai dit ceque mon pegravere me faisait et ils mrsquoont crue [hellip] Et ils mrsquoont donneacute delrsquoamour et du temps et ils mrsquoont crue dans tout ce que je leur ai dit Crsquoestpas comme si je parlais dans le vide Crsquoest pas comme si je disais quequelque chose mrsquoest arriveacute et qursquoils vont prendre ccedila agrave la leacutegegravere Ils leprenaient directement comme si crsquoest agrave eux qursquoil lrsquoavait fait aussi (Cassandre17 ans dans Fournier 2003)

Le gang prendrait une telle place dans la vie de certains jeunes qursquoils

ressentiraient un veacuteritable sentiment de deacutependance agrave son endroit comme

lrsquoexprime Yella

Jrsquoeacutetais toujours avec eux Je nrsquoeacutetais plus capable de vivre sans eux drsquoecirctresans eux Crsquoeacutetait une autre famille Crsquoeacutetait plus que des amis crsquoeacutetait unpasse-temps tellement bon que je ne pouvais plus mrsquoen passer Crsquoeacutetaitdevenu un besoin lrsquoattention lrsquoamour ne plus ecirctre seule (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)

Et comme le dit eacutegalement Heacutelegravene

Jrsquoeacutetais juste concentreacutee laquo gang gang il faut que jrsquoaille au parc apregraveslrsquoeacutecole il faut que jrsquoaille direct lagrave raquo Quand jrsquoallais pas au parc unejourneacutee je disais laquo Mon Dieu je suis pas alleacutee il faut que jrsquoy aille si jrsquoyvais pas ils vont ecirctre facirccheacutes ils vont dire que je les ai oublieacutes raquo Je pensaisjuste agrave eux ma vie crsquoeacutetaient eux (Heacutelegravene 16 ans dans Fournier 2003)

Si Heacutelegravene dit avoir peur de facirccher les membres du gang ce nrsquoest

pas par crainte de repreacutesailles mais plutocirct parce qursquoelle pense qursquoelle

pourrait ecirctre rejeteacutee du groupe en ne se montrant pas parfaitement fidegravele

et totalement deacutevoueacutee envers ceux qui le composent

Le gang jouerait aussi parfois des rocircles plus inattendus qui ne cor-

respondent pas veacuteritablement agrave lrsquoun des besoins exprimeacutes plus haut

comme en teacutemoigne Quentin qui dit srsquoecirctre servi du gang pour reacutegler son

compte agrave son beau-pegravere qursquoil jugeait violent

Ma megravere et son chum buvaient beaucoup et ils se chicanaient tout le tempsMon beau-pegravere eacutetait violent Les policiers deacutebarquaient toujours chez nousJrsquoeacutetais tanneacute Je voulais reacutegler le compte de mon beau-pegravere Je voulais lefaire battre Jrsquoai demandeacute au gang de le faire et crsquoest ce qui est arriveacute Ilest alleacute agrave lrsquohocircpital et je nrsquoai plus jamais entendu parler de lui Le gangpouvait reacutegler mes problegravemes (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 113

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Mais un jour la lune de miel prend finhellip

Tu te ramasses en centre drsquoaccueil pour des deacutelits que tu te dis apregraves quetu nrsquoaurais jamais ducirc faire ccedila Tu as du trouble avec les policiers Tu esconnu drsquoeux autres Ils savent ton nom Ils te collent tout le temps Ilstrsquoeacutecœurent mecircme quand tu nrsquoes pas impliqueacute mais que tes chums le sonthellipcrsquoest lrsquoenfer (Quentin 16 ans dans Hamel et al 1998)

Collin reacutesume bien les sentiments que plusieurs expriment

Jamais je mrsquoeacutetais imagineacute que ccedila me megravenerait aussi loin Jamais jrsquoauraispenseacute voir mes chums avec de seacuterieux problegravemes de drogues des blessuresgraves se ramasser agrave lrsquohocircpital agrave moitieacute mort suite agrave une bataille tregravesviolente Quand tu es rendu agrave te tirer dessushellip la game a changeacute Lagrave tuas peur de deacutefendre les couleurs de ton gang agrave cause des gangs ennemisTu as la chienne Tu ne portes plus une arme pour avoir lrsquoair cool maispour sauver ta peauhellip Lagrave ce nrsquoest plus vraiment coolhellip crsquoest eacutepeuranthellip(Collin 25 ans dans Hamel et al 1998)

Pour bien des filles la fin de la lune de miel prend une signification

toute particuliegravere qursquoon a deacutejagrave abordeacutee

Jrsquoai vite compris qursquoil fallait que je rembourse tout ce que les gars mrsquoavaientpayeacute quand ils mrsquoont accueillie pendant ma fuguehellip Ils srsquoeacutetaient arrangeacutesavec une autre fille du gang qui dansait deacutejagrave pour qursquoelle me traicircne avecelle au bar Elle mrsquoexpliquait ce qursquoelle faisait elle me disait que crsquoeacutetaitfacile qursquoelle faisait pas mal drsquoargenthellip Puis un jour ils mrsquoont dit queje devais moi aussi danserhellip Il fallait que je rembourse (Lucie 15 ansdans Hamel et al 1998)

434 LES JEUNES PARLENT DES MOTIFS QUI LES ONT AMENEacuteS

Agrave QUITTER LE GANG

Diffeacuterents motifs sont invoqueacutes par ceux qui ont choisi de quitter le

monde des gangs Celui qui revient le plus souvent est sans contredit la

survenance drsquoun eacuteveacutenement ou drsquoune seacuterie drsquoeacuteveacutenements qui vient

remettre en cause la perception que le gang est agrave mecircme drsquooffrir la seacutecuriteacute

agrave ses membres

Crsquoest devenu vite dangereux agrave cause des guerres de territoire La technologieavanccedilait tout le temps Au deacutebut crsquoeacutetaient les poings les bacirctons pis apregravesles couteaux Lagrave crsquoeacutetaient les laquo guns raquohellip Ccedila jouait de plus en plus dur Jene mrsquoattendais pas agrave ccedila (Charles 17 ans dans Hamel et al 1998)

Tu as beaucoup drsquoennemis [quand tu fais partie drsquoun gang] Lorsquetu sors si tu vas dans un autre quartier et que tu es seul tu risques de tefaire agresser de te faire attaquer (Davis 17 ans dans Hamel et al1998 p 157)

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114 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Jrsquoai perdu plusieurs de mes amis soit par overdose ou par meurtre Moi-mecircme je ne compte plus le nombre de fois ougrave je me suis fait pointer unlaquo gun raquo sur la tempe (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoeacutetait rendu lrsquoenferhellip Ma meilleure amie se retrouve en deacutesintox monchum se fait tuer dans un regraveglement de compteshellip Je me ramasse en centredrsquoaccueilhellip Jrsquoavais lrsquoimpression drsquoavoir tout perdu (Patricia 17 ans dansHamel et al 1998)

Agrave un moment donneacute tu vis dans la violence tu as du sang sur les mainstout le temps crsquoest pas une viehellip Ccedila fait peur quand tu vois les autresrentrer en prison Trsquoes agrave lrsquohocircpital pendant trois mois trsquoas une balle ou trsquoesdans le coma pendant deux semaines ccedila me tentait pas que ccedila arrive agraveun moment donneacute (Marie-Pierre 24 ans dans Fournier 2003)

Une arrestation policiegravere ou le placement dans un centre de reacuteha-

bilitation peut aussi se reacuteveacuteler lrsquooccasion drsquoun temps drsquoarrecirct propice agrave la

reacuteflexion Et cette reacuteflexion peut conduire agrave voir une certaine absurditeacute

dans lrsquoadheacutesion au gang et ouvrir tranquillement une porte de sortie

comme en teacutemoignent Eva et Laurie

En eacutetant ici [en centre de reacutehabilitation] ccedila mrsquoa calmeacutee et jrsquoai pureacutefleacutechir Tout ce qui est arrecirct drsquoagir et tout ccedilahellip Ils donnent des reacuteflexionset lagrave tu reacutefleacutechis tu reacutefleacutechis et tu te rends compte crsquoest quoi tes vraisbesoinshellip Est-ce que tu as vraiment besoin de personnes qui te protegravegent decette faccedilon-lagrave Tu te dis laquo non raquo Ccedila prend du temps mais tu finis partrsquoen rendre compte Crsquoest pour ccedila qursquoils [les intervenants du centre]mrsquoont aideacutee (Eva 16 ans dans Fournier 2003)

Crsquoest quand je suis rentreacutee dans le centre intensif dans lrsquouniteacute drsquoattenteLagrave je pensais agrave ccedila et je commenccedilais agrave revoir ma megravere Et ma megravere souventquand elle venait on se parlait et on pleurait toutes les deuxhellip Je me suisrendu compte que ccedila mrsquoa vraiment manqueacute crsquoeacutetait de ccedila dont jrsquoavaisbesoin de ma famillehellip Et crsquoest apregraves quand jrsquoai repenseacute agrave ccedila qui mrsquoarien apporteacutehellip jrsquoai dit laquo non je veux plus rien savoir raquo (Laurie 15 ansdans Fournier 2003)

La rencontre drsquoune personne susceptible drsquoexercer une influence

positive sur la vie du jeune (un copain ou une copine qui exige qursquoon se

tienne loin des gangs un intervenant de confiance un heacuteroshellip) peut aussi

venir influencer cette fois de maniegravere positive la sortie du gang rendant

celle-ci peut-ecirctre plus facile agrave vivre En effet comme on le verra quitter

le gang se fait rarement sans peine

Je sais que quand je vais sortir drsquoici je retournerai plus avec eux Je mesuis fait des nouveaux amis et je fais des activiteacutes saines Je veux pasretomber dans cette merde-lagravehellip (Eva 16 ans dans Hamel et al 1998)

LES GANGS DU POINT DE VUE DES JEUNES 115

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Je suis bien comme ccedila avec mes amis mes petits amis straight qui prennentpas de drogues pas de biegravere et qui vont agrave lrsquoeacutecole Je suis bien bien mieuxcomme ccedila (Sarah 14 ans dans Fournier 2003)

Pour certains crsquoest simplement le sentiment qursquoil est temps de passer

agrave autre chose de prendre sa vie en main pour soi ou pour ne pas compro-

mettre davantage les relations avec son entourage qui sonnera le glas de

lrsquoadheacutesion aux gangs Feacutelix Martin et Yella disent chacun agrave leur faccedilon

en ecirctre arriveacutes agrave ce point dans leur vie au moment ougrave ils prennent la

deacutecision de quitter le gang

Je veux ecirctre quelqursquoun moi Je ne veux pas ecirctre quelqursquoun qui va ecirctre dansla rue ou en prison Je veux ecirctre quelqursquoun de reconnu positivement parles autres qursquoils disent de moi que jrsquoai fait quelque chose dans la vie (Feacutelix19 ans dans Hamel et al 1998)

Je voulais que ma famille soit fiegravere de moi Je ne veux pas que mon fregravereet ma sœur aient des problegravemes agrave cause de moi ou fassent comme moi(Martin 17 ans dans Hamel et al 1998)

Je pensais agrave ma famillehellip Je ne voulais pas la quitter agrave 18 ans parce quejrsquoavais trop de problegravemes Je ne voulais pas que mon pegravere et ma megravere monfregravere mrsquohaiumlssent parce que je faisais partie drsquoune gang (Yella 16 ans dansHamel et al 1998)

Enfin les cateacutegories de motifs de sortie ne sont eacutevidemment pas

mutuellement exclusives Loin de lagrave Souvent on constatera dans le reacutecit

des jeunes une combinaison de ressources qui creacutee une conjoncture favo-

rable agrave un changement de vie Certains comme Danick et Feacutelix lrsquoexpriment

drsquoailleurs clairement

Crsquoest un peu de tout qui mrsquoa aideacutehellip Lrsquoarrestation mes ideacutees agrave moi devouloir laisser tomber lrsquoaide de mon eacuteducateur-parrain les encouragementsde mes parentshellip (Danick 16 ans dans Hamel et al 1998)

Jrsquoai regardeacute ce que jrsquoavais dans la vie ce que je voulais ecirctre ce que jevoulais faire de ma viehellip Jrsquoai reacutegleacute mes problegravemes de consommation dedrogues et mes problegravemes drsquoagressiviteacute que jrsquoavais Jrsquoai appris agrave reacutegler mesproblegravemes en parlant sans utiliser la violence Ma deacutecision eacutetait faite maislrsquoaide de mes parents de mon eacuteducateur-parrain les rencontres de groupeau Centrehellip Tout ccedila mrsquoa aideacute agrave prendre ma deacutecisionhellip mais surtout agrave lagarder (Feacutelix 19 ans dans Hamel et al 1998)

On comprend des propos tenus par Feacutelix qursquoil ne suffit pas drsquoecirctre

appuyeacute par des personnes-ressources pour sortir du gang pour que la

sortie perdure Le soutien doit srsquoeacutetendre sur une longue peacuteriode le temps

que la convalescence se fasse Car on le verra dans les paragraphes qui

suivent crsquoest drsquoune veacuteritable convalescence que les jeunes nous parlent

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116 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Quoi qursquoil en soit plusieurs des jeunes que nous avons intervieweacutes

signalent que la sortie ne peut se reacutealiser veacuteritablement qursquoagrave partir du

moment ougrave le jeune lui-mecircme se sent precirct Il srsquoagirait lagrave drsquoun concept cleacute

en vue drsquoune intervention efficace arriver agrave reconnaicirctre quand le jeune

est disposeacute agrave agir et ecirctre soi-mecircme precirct agrave saisir lrsquooccasion pour lrsquoappuyer

dans sa deacutemarche et peut-ecirctre aussi trouver des moyens de lrsquoamener agrave se

preacuteparer

Personne ne peut rien faire Vous ne pouvez pas rien faire Vous essayezmais ccedila ne donne rien si le jeune ne veut pashellip Ccedila deacutepend surtout de lui Crsquoest la chose la plus importante crsquoest elle qui fait toute la diffeacuterence Crsquoesttoi qui deacutecides (Vanier 16 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoest seulement moi qui peux faire en sorte de couper les lienshellip Crsquoest tonchoix de deacutebarquer ou pas (Zoeacute 15 ans dans Hamel et al 1998)

Crsquoest ma deacutecision Personne ne peut rien faire Il faut que jrsquoen prenneconscience moi-mecircme Ce nrsquoest pas quihellip crsquoest toi Crsquoest ta deacutecision Si toitu veux si tu veux si tu vois que ccedila ne te convient plus il faut que tusortes de lagrave le plus tocirct possible Mais il faut que tu trsquoen rendes compte partoi-mecircme Il faut que tu sois deacutecideacute parce que ce nrsquoest pas facile de sortirdu gang eacutemotivement parlant (Rose 15 ans dans Hamel et al 1998)

Un autre concept cleacute dans lrsquointervention aupregraves des jeunes membres

de gangs en processus de deacutesaffiliation est aussi deacutevoileacute par Eva Il faut du

temps et prendre le temps

[hellip] Le tempshellip il faut du temps prendre le temps laisser le temps aujeune ecirctre patient La deacutesaffiliation ne peut se faire du jour au lendemainparce que dans la plupart des cas la sortie du gang srsquoaccompagne deconseacutequences importantes dans la vie du jeune (Eva 16 ans dans Fournier2003)

44 LES JEUNES PARLENT DE LrsquoATTERRISSAGE

APREgraveS AVOIR QUITTEacute LES GANGS

Partir du gang ccedila eacuteteacute facile crsquoest de me reconstruire apregraves qui a eacuteteacute difficilePour moi quitter le gang comme tel a eacuteteacute facile compareacute agrave drsquoautres maisde me reconstruire agrave lrsquointeacuterieur de moi de combler le vide ccedila nrsquoa pas eacuteteacutefacile pantoute (Lucie 15 ans dans Hamel et al 1998)

Ce qui est dur crsquoest le grand attachement crsquoest dur ensuite de deacutefaire leslienshellip Ce nrsquoeacutetait pas juste du neacutegatif Il y avait aussi beaucoup plus depositif drsquoamour drsquoattention que je ne lrsquoaurais imagineacute (Yella 16 ansdans Hamel et al 1998)

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On ne saurait nier ce que les jeunes nous apprennent avec tant de

force

Le gang a quand mecircme de beaux cocircteacutes Ccedila mrsquoa fait laquo maturer raquo Jrsquoai apprisagrave me connaicirctre Je suis alleacute plus loin que ce que jrsquoeacutetais capable de faireJrsquoai appris agrave connaicirctre mes limites et aussi agrave avoir confiance en moi Jesuis peut-ecirctre plus mature qursquoun gars qui nrsquoest jamais passeacute par lagrave Je suisdevenu quelqursquoun (Gilbert 20 ans dans Hamel et al 1998)

Je le sais qursquoau fond de moi dans mon cœur agrave moi tout ce qursquoils ont faitpour moi ccedila ne srsquooublie pas du jour au lendemain lagrave Ils mrsquoont fait dumal oui mais ils mrsquoont fait plus de bien que de mal (Cassandre 17 ansdans Fournier 2003)

CONCLUSION

Brisant avec la tradition de recherche nous avons entrepris des eacutetudes

qualitatives sur le pheacutenomegravene des gangs nous attardant surtout aux moti-

vations des jeunes agrave se joindre agrave ces groupes et eacuteventuellement agrave les

quitter aux expeacuteriences eacutemotives qursquoils vivent durant le temps que dure

leur affiliation et au moment de la sortie Il en ressort que lrsquoadheacutesion des

jeunes aux gangs est avant tout guideacutee par des besoins fondamentaux

drsquoappartenance de reconnaissance de valorisation et de protection Il

en ressort aussi que les jeunes trouvent dans les gangs au moins durant

les premiers temps de leur affiliation reacuteponse agrave ces besoins les jeunes

deacutecouvrent dans les gangs le moyen qursquoils ne trouvent nulle part ailleurs

de combler diffeacuterents besoins fondamentaux Il ressort de ces eacutetudes

enfin que les jeunes doivent faire face agrave un grand vide au moment ougrave ils

quittent le gang et que le retour en socieacuteteacute et agrave la laquo vie normale raquo nrsquoest

pas gagneacute drsquoavance pour eux Nous le soulignions ailleurs (Hamel Cousineau

et Fournier 2004) la sortie des gangs donne lieu agrave une veacuteritable rupture

qui vient srsquoajouter agrave drsquoautres que la plupart ont drsquoabord veacutecues avec la

famille puis avec lrsquoeacutecole et peut-ecirctre mecircme avec drsquoautres reacuteseaux celui

des amis par exemple que ces jeunes ont bien souvent ducirc quitter pour

joindre les rangs des gangshellip La sortie srsquoaccompagne donc drsquoune grande

vulneacuterabiliteacute drsquoune grande fragiliteacute drsquoun grand vide geacuteneacuteralement

insoupccedilonneacute et donc ignoreacute

Une approche purement quantitative du pheacutenomegravene des gangs

nrsquoaurait pu traduire aussi bien les reacutealiteacutes que nous venons de deacutepeindre

et qui nous permettent de faire des pas de geacuteant preacutetendons-nous dans

la conception de programmes de preacutevention et drsquointervention qui tiennent

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118 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

compte de la nature mecircme du pheacutenomegravene non seulement de ses mani-

festations visibles (nombre de gangs nombre et caracteacuteristiques sociodeacute-

mographiques des membres structure organisationnelle du groupe

principales activiteacutes deacutelinquantes) mais aussi ndash et mecircme surtout ndash de sa

face cacheacutee qui tient aux circonstances et aux motivations qui conduisent

les jeunes agrave srsquoy joindre aux expeacuteriences positives qursquoils y vivent et qui font

en sorte qursquoils y restent attacheacutes durant un temps plus ou moins long aux

circonstances et aux motivations encore une fois qui les amegravenent agrave quitter

le groupe et au grand vide qui srsquoinstalle alors dans leur vie Un vide qursquoil

srsquoagit de comblerhellip comme drsquoailleurs cela aurait ducirc ecirctre le cas avant mecircme

qursquoils soient tenteacutes drsquoaller trouver dans les gangs une reacuteponse aux besoins

qursquoils expriment en entrevue

Un tel regard nous incite agrave favoriser une approche drsquointervention

qui srsquoappuie sur le deacuteveloppement social communautaire (Cousineau

Fredette et Hamel 2004 Hamel Cousineau Leacuteveilleacute Veacutezina et Tichit

2004) comme mode de preacutevention voire drsquointervention face au pheacuteno-

megravene des gangs Comparativement aux approches traditionnelles dont

lrsquoobjectif consiste essentiellement agrave srsquoattaquer agrave la violence des gangs ndash

strateacutegies qui conduisent geacuteneacuteralement agrave des reacutesultats peu probants puis-

que le pheacutenomegravene serait en pleine expansion ndash le deacuteveloppement social

communautaire tel que nous lrsquoentendons vise plutocirct agrave creacuteer les condi-

tions neacutecessaires pour que les jeunes srsquoattachent et srsquointegravegrent agrave la socieacuteteacute

comme ils srsquoattachent et srsquointegravegrent aux gangs Dans une perspective preacute-

ventive cette approche englobe diverses strateacutegies visant agrave diminuer

lrsquoattrait des jeunes pour lrsquounivers des gangs (sensibilisation information)

ou mecircme agrave les amener agrave quitter cet univers lorsque le danger paraicirct

imminent pour eux et pour les autres (arrestation intervention) Drsquoautres

strateacutegies peuvent aussi dans une perspective proactive ecirctre mises en

place pour favoriser la participation et lrsquointeacutegration sociale des jeunes

(formation accompagnement creacuteations drsquoopportuniteacutes employabiliteacute)

Devant la complexiteacute du pheacutenomegravene des gangs le deacuteveloppement social

communautaire doit ecirctre conccedilu comme une approche globale permettant

de rassembler les forces et les compeacutetences de plusieurs systegravemes agrave la fois

ndash dont la famille lrsquoeacutecole la communauteacute et les jeunes eux-mecircmes ndash afin

de mettre en œuvre de multiples moyens constituant un continuum

drsquointervention(s) penseacute dans une perspective drsquoempowerment tant des col-

lectiviteacutes que de ceux qui les fondent les jeunes en particulier Il ne srsquoagit

pas de renier toute pertinence et toute valeur agrave lrsquoapproche reacutepressive

traditionnelle mais simplement de reconnaicirctre qursquoelle a ses limites et que

celles-ci sont rapidement atteintes face au pheacutenomegravene des gangs

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ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

M

ARYSE

E

STERLE

-H

EDIBEL

IUFM Nord-Pas-de-CalaisCESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Parmi les thegravemes qui traversent le milieu scolaire et investissent le deacutebat

public en France celui de lrsquoabsenteacuteisme voire de lrsquoarrecirct de scolariteacute avant

16 ans prend de lrsquoampleur depuis quelques anneacutees Les laquo absenteacuteistes raquo

ou laquo deacutecrocheurs raquo remettent en cause le principe de la prise en charge

de lrsquoensemble drsquoune classe drsquoacircge par lrsquoeacutecole La mobilisation autour drsquoeux

(deacuteveloppement des dispositifs relais appel drsquooffres de recherches de

deacutecembre 1999 circulaire sur la mise en place de la veille eacuteducative en

deacutecembre 2001) est importante pour plusieurs raisons en peacuteriode de

massification de lrsquoenseignement les jeunes deacutescolariseacutes peuvent appa-

raicirctre comme illustrant des laquo failles raquo dans le systegraveme scolaire lui-mecircme

Par ailleurs une inquieacutetude existe quant agrave leurs activiteacutes en dehors de

lrsquoeacutecole sans encadrement que deviennent-ils Sont ils en danger de deacutelin-

quance exposeacutes agrave des trafics divers errant dans les rues sans protection

Et que font leurs parents Seraient-ils complices et donc punissables

pour lrsquoinassiduiteacute ou le retrait scolaire de leurs enfants Pour les acteurs

scolaires ces absences ou ces abandons de scolariteacute remettent en cause

profondeacutement la leacutegitimiteacute de leur mission lrsquoeacutecole est consideacutereacutee comme

une chance pour les eacutelegraveves et les eacutetudes longues favorisent drsquoailleurs

un meilleur accegraves agrave lrsquoemploi Y aurait-t-il des eacutelegraveves consideacutereacutes comme

laquo ineacuteducables raquo ou laquo inenseignables raquo Par quelles interactions en arrive-

t-on agrave ces situations extrecircmes peu nombreuses mais mettant en lumiegravere

les paradoxes institutionnels et les impasses du systegraveme tel qursquoil est

organiseacute aujourdrsquohui

La recherche qualitative que nous avons meneacutee agrave Roubaix

1

en

France srsquointeacuteresse aux processus qui ont meneacute hors du systegraveme scolaire

des jeunes de 13 agrave 155 ans qui ne preacutesentent pas de caracteacuteristiques

particuliegraveres (handicap par exemple) et dont la situation est connue des

eacutetablissements scolaires et de plusieurs services sociaux Agrave ce titre ils ne

sont pas laquo perdus de vue raquo comme on peut le dire parfois mais bel et bien

connus et facilement joignables tout au moins disposant drsquoune adresse

connue Nous avons pu eacutetudier leur situation agrave partir des repeacuterages

faits dans les eacutetablissements scolaires et avec lrsquoaide tregraves preacutecieuse de

laquo personnes-ressources raquo qui ont fait le relais avec les personnels scolaires

et les familles pour le deacuteroulement de lrsquoenquecircte

Lrsquoappel drsquooffres interministeacuteriel qui a servi de base agrave notre reacuteflexion

probleacutematique et aux hypothegraveses de cette recherche avait deux objectifs

mieux connaicirctre les populations deacutescolariseacutees avant lrsquoacircge de 16 ans et

comprendre les processus de deacutescolarisation

1 Nous preacutesentons les reacutesultats drsquoune recherche sur les processus de deacutescolarisationmeneacutee dans la ville de Roubaix (Nord) de janvier 2001 agrave mars 2003

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

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Pour la clarteacute de lrsquoeacutetude nous nous sommes inteacuteresseacutes agrave des eacutelegraveves

qui reacuteguliegraverement inscrits ne sont plus du tout preacutesents dans les eacutetablis-

sements scolaires depuis une dureacutee qui peut varier de trois mois agrave deux

ans au moment de lrsquoenquecircte Srsquoils sont tregraves minoritaires (quatre ou cinq

pour un collegravege de 550 eacutelegraveves environ) leur situation peut repreacutesenter

lrsquoaboutissement de processus qui pour drsquoautres ont eacuteteacute enrayeacutes Lrsquoeacutetude

des situations (14 en tout) srsquoest centreacutee sur trois collegraveges publics tous en

reacuteseau drsquoeacuteducation prioritaire (ce qui est le cas de six collegraveges sur les sept

collegraveges publics que compte la ville) entre janvier 2001 et janvier 2003

en croisant des donneacutees issues des entretiens avec les personnels scolaires

les jeunes et leurs familles de mecircme qursquoavec des travailleurs sociaux et des

documents eacutecrits concernant les eacutelegraveves (dossiers scolaires principalement)

La diversiteacute des situations eacutetudieacutees est telle que nous avons renonceacute

agrave en faire une typologie agrave partir des caracteacuteristiques psychosociales des

jeunes par exemple ou de leur positionnement par rapport agrave lrsquoeacutecole En

effet lrsquoeacutetude de chaque situation nous amegravene agrave lrsquoanalyse des multiples

facteurs qui conduisent agrave lrsquoarrecirct de scolariteacute facteurs qui srsquoentremecirclent

souvent lacunes quelquefois accumuleacutees agrave lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire probleacutema-

tique scolaire et familiale agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme modifications de la confi-

guration familiale sinon laquo rupture biographique raquo (placement par exemple)

au deacutebut des laquo anneacutees collegravege raquo interactions neacutegatives voire violentes avec

des enseignants impact des jugements scolaires neacutegatifs exclusions pour

perturbations non suivies de reprise dans un autre eacutetablissement premiegraveres

activiteacutes deacutelinquantes dans un groupe de pairshellip Chaque situation est

singuliegravere mecircme si lrsquoon retrouve des points communs entre les unes et

les autres Plusieurs facteurs se combinent dans lrsquoeacutetude des situations de

chaque jeune et leur cateacutegorisation en devient aleacuteatoire Nous avons

cependant pu relever des laquo moments cleacutes raquo dans les trajectoires scolaires ndash

entreacutee en sixiegraveme suite drsquoune exclusion deacutefinitive drsquoun collegravege ndash et des

cloisonnements entre institutions et par rapport aux familles Nous for-

mulerons lrsquohypothegravese que dans certaines situations lrsquoun ou lrsquoautre de

ces paramegravetres a eu plus de poids que les autres sans qursquoil soit possible

drsquoen eacuteliminer aucun

Si geacuteneacuteralisation il peut y avoir crsquoest plus sur des

laquoprocessusraquo et des laquorelationsraquo que sur laquodes individusraquo ou des laquopopulationsraquo

(Beaud et Weber 1998 p 289)

La ville de Roubaix recensait en 1999 plus de 30 de sa population

active au chocircmage la perte des emplois ouvriers nrsquoa pas eacuteteacute compenseacutee

par les emplois du tertiaire ou de services La population scolaire des trois

collegraveges reflegravete ces situations de pauvreteacute ou de preacutecariteacute en comptant

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

en son sein entre plus de 88 et plus de 93 de PCS

2

laquo deacutefavoriseacutees raquo

pourcentage repreacutesentant plus du double de la moyenne nationale et

environ 30 points de plus que celle de lrsquoAcadeacutemie de Lille

La plupart des parents des jeunes deacutescolariseacutes sont en situation de

laquo vulneacuterabiliteacute socieacutetale raquo (Walgrave 1992 p 86) vivent du RMI

3

ou des

allocations familiales ou sont en emploi preacutecaire et ne disposent pas de

lrsquoexpeacuterience concregravete drsquoune scolariteacute reacuteussie Ceux drsquoailleurs qui disposent

de plus de ressources (emploi niveau drsquoeacutetudes reacuteseaux relationnels) ont

pu trouver des solutions aux difficulteacutes de leurs enfants en termes drsquoorien-

tation sans avoir recours aux travailleurs sociaux Crsquoest le cas dans deux

familles dont les parents travaillent agrave plein temps

Il nrsquoy a pas une forme de famille particuliegravere parmi les treize familles

des eacutelegraveves deacutescolariseacutes cinq megraveres eacutelegravevent leurs enfants seules six familles

comptent les deux parents preacutesents au domicile et dans lrsquoeacuteducation de

leurs enfants deux couples parentaux sont seacutepareacutes mais continuent

drsquoexercer une preacutesence eacuteducative aupregraves de leurs enfants Les origines

reacutegionales ou nationales sont eacutegalement diverses quatre familles sont

drsquoorigine eacutetrangegravere (Seacuteneacutegal Portugal Yougoslavie Algeacuterie) cinq sont

originaires du Nord de la France cinq sont de pegravere eacutetranger et de megravere

franccedilaise Lrsquoorigine eacutetrangegravere ne deacutetermine pas les difficulteacutes des enfants

et des parents mais plutocirct le niveau de langue (tregraves probleacutematique pour

une megravere) la reacutegularisation de la situation (non effective pour une

famille) et le niveau socioeacuteconomique

Nous avons eacutetudieacute les processus de deacutescolarisation de onze garccedilons

et de trois filles Ces jeunes ont connu des difficulteacutes scolaires agrave lrsquoeacutecole

eacuteleacutementaire pour sept drsquoentre eux sans redressement dans les premiegraveres

anneacutees du collegravege Les autres ont eu des reacutesultats moyens ou bons dans

le premier degreacute suivis par des performances bonnes ou moyennes au

deacutebut de la sixiegraveme

51 UN PHEacuteNOMEgraveNE MAL CONNU

Chaque anneacutee environ 57 000 jeunes sortent sans qualification du systegraveme

eacuteducatif Si lrsquoon dispose de donneacutees sur les parcours de ces jeunes drsquoautres

sont moins connus ceux des jeunes qui quittent le systegraveme eacuteducatif avant

la fin de la scolariteacute obligatoire

2 Professions et cateacutegories socioprofessionnelles

3 Revenu minimum drsquoinsertion

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Le pheacutenomegravene de deacutescolarisation apparaicirct comme reacuteel aujourdrsquohui

mais il reste encore agrave approfondir tant drsquoun point de vue quantitatif que

qualitatif LrsquoEacuteducation nationale tend agrave prendre en compte ce problegraveme

Les enfants deacutescolariseacutes avant 16 ans font partie des prioriteacutes du pro-

gramme laquo NouvelleS ChanceS raquo avec les jeunes sortis sans qualification

apregraves 16 ans Une circulaire de 1996 repegravere le pheacutenomegravene comme tel

laquo [hellip] les eacutetablissements sont confronteacutes agrave une augmentation reacuteelle et

preacuteoccupante de ce pheacutenomegravene Mecircme si le taux drsquoabsenteacuteisme ne srsquoest

que modeacutereacutement aggraveacute ces derniegraveres anneacutees il touche une population

plus nombreuse du fait de lrsquoaugmentation des effectifs des eacutelegraveves scolariseacutes raquo

La massification de lrsquoenseignement les objectifs de porter 80

drsquoune classe drsquoacircge au baccalaureacuteat et lrsquoensemble des eacutelegraveves au moins

jusqursquoau CAP (certificat drsquoaptitude professionnelle) et au BEP (brevet

drsquoeacutetudes professionnelles) rendent drsquoautant plus visibles les arrecircts de sco-

lariteacute avant 16 ans

Quantifier les eacutelegraveves sortis du systegraveme scolaire avant 16 ans pose des

problegravemes de repeacuterage En effet les deacuteparts vers le secteur priveacute les

deacutemeacutenagements peuvent laisser penser que des eacutelegraveves ont quitteacute le sys-

tegraveme eacuteducatif alors qursquoils ont changeacute de reacutegion ou de commune Crsquoest le

cas dans le Nord de la France ougrave certains eacutelegraveves partent continuer leur

scolariteacute en Belgique et reviennent ensuite en France Du reste certains

internats limitrophes accueillent exclusivement des enfants et adolescents

franccedilais qui suivent une scolariteacute en Belgique

Selon plusieurs sources drsquoinformation les eacutelegraveves non scolariseacutes avant

16 ans seraient plusieurs milliers cependant il nrsquoexiste pas de recensement

fiable de ces situations Au niveau national la Caisse nationale drsquoalloca-

tions familiales comptabilisait

4

plus lrsquoinassiduiteacute scolaire que la deacutescolari-

sation agrave travers les suspensions drsquoallocations familiales seules 10 des

suspensions lrsquoeacutetaient agrave long terme 90 eacutetant reacutetablies dans un deacutelai de

trois mois Lrsquoinassiduiteacute scolaire est deacutefinie par quatre absences non justi-

fieacutees drsquoune demi-journeacutee pendant un mois conseacutecutives ou non En lrsquoeacutetat

actuel si le pheacutenomegravene de deacutescolarisation ne semble pas ecirctre drsquoune grande

ampleur numeacuterique des eacutetudes quantitatives seacuterieuses restent agrave faire

Les justifications apporteacutees par les parents meacuteriteront une attention

particuliegravere la famille nrsquoest pas tenue de fournir un certificat meacutedical

mais doit donner un motif consideacutereacute comme laquo valable et seacuterieux raquo Le

controcircle de lrsquoabsenteacuteisme revient au conseiller principal drsquoeacuteducation

4 Une loi reacutecente modifie les sanctions de lrsquoabsenteacuteisme entre autres en supprimant lasuppression des allocations familiales

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Plusieurs eacutetudes ont eacuteteacute faites sur les laquo lyceacuteens deacutecrocheurs raquo Ces

eacutetudes concernent des jeunes de plus de 16 ans pour leur grande majoriteacute

Quelques jeunes cependant peuvent ecirctre encore soumis agrave lrsquoobligation

scolaire Crsquoest le cas de ceux qui abandonnent le lyceacutee en seconde agrave 15 ans

Plusieurs eacuteleacutements inteacuteressant notre recherche sont signaleacutes dans le pro-

gramme NouvelleS ChanceS laquo Ces jeunes sortis preacutematureacutement du sys-

tegraveme eacuteducatif ont passeacute en moyenne cinq anneacutees dans lrsquoenseignement

secondaire un peu plus de la moitieacute ont interrompu leurs eacutetudes au

collegravege Les autres ont commenceacute une formation en apprentissage ou en

lyceacutee professionnel et ont abandonneacute

5

raquo

Des redoublements de classe sont signaleacutes pour les trois quarts

drsquoentre eux degraves lrsquoeacutecole primaire Les deux tiers sont issus massivement de

milieux deacutefavoriseacutes enfants drsquoouvriers de personnels de service ou drsquoinac-

tifs On note aussi la monoparentaliteacute et la faible qualification des megraveres

Les garccedilons sont majoritaires (59 ) mais le deacutecalage avec les filles nrsquoest

pas tregraves important

52 LA DEacuteSCOLARISATION

Le terme laquo deacutecrocheur raquo est utiliseacute pour deacutesigner les lyceacuteens qui quittent

petit agrave petit le systegraveme scolaire Le deacutecrochage deacutesigne le laquo processus plus

ou moins long qui nrsquoest pas neacutecessairement marqueacute par une information

explicite enteacuterinant la sortie de lrsquoinstitution raquo (Guigue 1998 p 29) Il

srsquooppose agrave la deacutemission qui explicite le deacutepart volontaire de lrsquoeacutelegraveve et agrave

lrsquoexclusion laquo acte par lequel une autoriteacute reconnue vous deacutemet de vos

fonctions raquo (Guigue 1998 p 29) Une deacutemission peut drsquoailleurs preacutevenir

une exclusion preacutevisible par lrsquoeacutelegraveve

Le terme de deacutescolarisation plus large permet de reprendre plu-

sieurs hypothegraveses concernant les processus qui conduisent en dehors du

systegraveme scolaire des jeunes de moins de 16 ans celle de lrsquoexclusion accom-

pagneacutee de lrsquoeacutetiquetage de certains enfants comme porteurs de mauvaises

performances scolaires (les eacutelegraveves

nuls

) non suivie de reprise dans un

autre eacutetablissement celle du deacutecrochage progressif signaleacute par un absen-

teacuteisme important et grandissant (avec participation agrave un groupe de pairs

le cas eacutecheacuteant) celle de la rupture biographique (accident de santeacute pla-

cement en institution speacutecialiseacutee errance lieacutee agrave une modification de la

configuration familiale etc) celle du deacutepart annonceacute clairement eacutetant

plus hasardeuse eacutetant donneacute lrsquoobligation scolaire

5

Programme laquo NouvelleS ChanceS raquo

p 20

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Il srsquoagit bien drsquoexpliciter le processus de

deacutesaffiliation scolaire

deacutefini

par Sylvain Broccolicchi (1998a p 41) qui renvoie laquo au fonctionnement

des institutions scolaires aux traitements diffeacuterencieacutes des eacutelegraveves et agrave

lrsquointeraction des contextes scolaires familiaux et locaux qui modulent les

parcours et expeacuteriences propres agrave chaque adolescent raquo

Alors que lrsquoeacutelegraveve deacutecrocheur acircgeacute de plus de 16 ans nrsquoest pas en

infraction avec la loi sur lrsquoobligation scolaire le jeune deacutescolariseacute se sous-

trait (ou est soustrait) agrave cette obligation Il nrsquoaccomplit plus son laquo meacutetier

drsquoeacutelegraveve raquo Aux yeux de lrsquoinstitution scolaire il srsquoinscrit dans un parcours

de deacuteviance Les termes mecircmes des circulaires indiquent bien que

lrsquoabsence de freacutequentation reacuteguliegravere (lrsquoinassiduiteacute scolaire) est un man-

quement agrave lrsquoobligation scolaire laquo Il convient en premier lieu drsquoexiger

que lrsquoobligation drsquoassiduiteacute soit respecteacutee par les eacutelegraveves

6

raquo Les divers arrecirc-

teacutes et circulaires preacutecisent par ailleurs la neacutecessiteacute drsquoactions de preacutevention

agrave lrsquointeacuterieur des eacutetablissements scolaires portant sur les laquo rythmes scolaires

lrsquoorganisation de la vie scolaire ou visant agrave renforcer le dialogue entre les

eacutelegraveves et les adultes

7

raquo

Par deacuteviance nous deacutesignons laquo le produit drsquoune transaction effectueacutee

entre un groupe social et un individu qui aux yeux du groupe a trans-

gresseacute une norme raquo (Becker 1963 p 33)

Nous nous situons donc dans une perspective interactionniste laquo La

deacuteviance est alors une proprieacuteteacute non du comportement lui-mecircme mais

de lrsquointeraction entre la personne qui commet lrsquoacte et celles qui reacuteagissent

agrave cet acte raquo (Becker 1963 p 38) Cette deacutemarche induit la meacutethodologie

deacutejagrave eacutevoqueacutee croisement des discours des acteurs inteacuteresseacutes par la situa-

tion de deacutescolarisation et des documents traitant de cette situation afin

de reconstituer les processus en œuvre

521 L

ES

MARQUEURS

DE

LA

DEacuteSCOLARISATION

Un certain nombre de facteurs sont drsquoores et deacutejagrave repeacutereacutes comme preacute-

gnants dans le processus de deacutecrochage des lyceacuteens Nous les citons sans

ordre prioritaire particulier

5211 Le niveau de diplocircme des parents

Il existe un risque dix fois plus eacuteleveacute drsquointerruption drsquoeacutetudes moins de

cinq ans apregraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme pour les enfants drsquoouvriers que pour

les enfants de cadres ou drsquoenseignants (Broccolicchi 2000 p 40) et

6 Circulaire n

o

96-247 du 25 octobre 1996

7

Ibid

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

encore trois plus eacuteleveacute pour ceux qui ont un parent inactif (pegravere ou megravere

en lrsquoabsence de pegravere) que pour ceux dont le parent (pegravere ou megravere en

lrsquoabsence de pegravere) est ouvrier Lrsquoinvestissement scolaire des parents est

drsquoailleurs tregraves diffeacuterent selon leur cateacutegorie sociale drsquoappartenance alors

qursquoagrave lrsquoeacutecole primaire les parents les moins diplocircmeacutes investissent plus la

scolariteacute de leurs enfants le pheacutenomegravene srsquoinverse au collegravege laquo Cette

inversion srsquoavegravere lieacutee agrave la proportion de parents qui se sentent deacutepasseacutes agrave

ce niveau entre les parents qui se disent tregraves rarement deacutepasseacutes et ceux

qui disent lrsquoecirctre souvent la dureacutee de lrsquoaide est diviseacutee par trois agrave chaque

niveau de scolariteacute raquo (Heacuteran 1994)

5212 La composition de la famille

Le facteur familial est un facteur de risque parmi drsquoautres mais il nrsquoest

pas preacutedictif en soi comme les autres paramegravetres mentionneacutes Crsquoest bien

la combinaison de plusieurs indicateurs qui peut donner des eacuteleacutements de

compreacutehension du processus de deacutescolarisation

Agrave cet eacutegard si lrsquoon note le nombre eacuteleveacute de familles monoparentales

parmi lrsquoentourage familial des jeunes deacutescolariseacutes nous adopterons la

prudence drsquoEacuteric Debarbieux (1999 p 60) quant aux correacutelations possibles

laquo Crsquoest lagrave toute la difficulteacute lieacutee aux eacutetudes de correacutelation qui montrent

uniquement lrsquoexistence drsquoune relation entre deux variables ndash ici les pro-

blegravemes de comportement et la situation familiale ndash sans que pour autant

on puisse deacuteduire de relation de cause agrave effet raquo

Plutocirct que le type de famille crsquoest la nature de la relation entre les

parents qui sera deacuteterminante dans le processus de deacuteviance juveacutenile ce

ne sont pas les familles dissocieacutees qui induisent la deacuteviance des jeunes

mais plutocirct la meacutesentente entre les parents qursquoils soient seacutepareacutes ou non

(Mucchielli 2000) Les ruptures biographiques (accident deacutecegraves drsquoun

parent deacutemeacutenagements reacutepeacuteteacutes placementshellip) peuvent aussi augmenter

les risques de deacutescolarisation

5213 Les performances scolaires et lrsquoeacutetiquetage

Parmi les eacutelegraveves dont les performances scolaires agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme sont

les plus basses 12 quittent le systegraveme scolaire moins de cinq ans apregraves

la sixiegraveme (Broccolicchi 1998) Les eacutelegraveves de SEGPA

8

entreacutes en 1989 ont

quitteacute le systegraveme eacuteducatif sans qualification pour la moitieacute drsquoentre eux

8 Section drsquoenseignement geacuteneacuteral et professionnel adapteacute

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Les eacutelegraveves en difficulteacute scolaire attachent une grande importance agrave

la relation avec les adultes et les autres eacutelegraveves dans la vie scolaire Quand

lrsquointeraction avec les enseignants les confirme dans leur laquo nulliteacute raquo sur le

plan de la performance (Broccolicchi 2000) le risque de deacutescolarisation

est preacutesent

Woods et Berhier (1992 p 56) rappellent

que la deacuteviance implique

neacutecessairement deux acteurs et que lrsquoenseignant peut provoquer ou

atteacutenuer la deacuteviance par le style de sa relation avec les eacutelegraveves

Les laquo provocateurs de deacuteviance raquo pensent que les eacutelegraveves fuient letravail qursquoil est impossible de pourvoir agrave leur eacuteducation sans leschanger qursquoils abhorrent lrsquoautoriteacute et sont ouvertement rebellesqursquoils se conduisent mal et ne doivent jamais ecirctre crus De tellesconvictions megravenent les professeurs agrave agir de maniegravere provocatrice lancer des ultimatums inciter agrave lrsquoaffrontement punir inconsideacutereacute-ment attirer sur eux la honte en les montrant du doigt ou en leurcherchant noise

Agrave lrsquoinverse les laquo isolateurs de deacuteviance raquo sont animeacutes drsquointentions

bienveillantes agrave lrsquoeacutegard des eacutelegraveves et agissent en conseacutequence avec eux

Broccolicchi (2000) souligne par ailleurs la solitude des eacutelegraveves deacutecro-

cheurs tant dans lrsquoenvironnement scolaire (absence de dispositif efficace

et drsquointerlocuteurs pour pallier les difficulteacutes) que dans le cadre de

lrsquoenvironnement familial

5214 Le passage du primaire au collegravege indiscipline et identiteacute

La question du rapport aux enseignants et agrave la leacutegitimiteacute de leurs juge-

ments change fondamentalement du primaire au collegravege Les relations

entre pairs gagnent en importance les cultures juveacuteniles entrent en

contradiction avec les normes scolaires de maniegravere plus preacutegnante (Dubet

et Martuccelli 1996 Lepoutre 1997)

En cas de difficulteacute scolaire majeure le recours agrave lrsquoindiscipline agrave

lrsquoinsolence peut ecirctre utiliseacute par les eacutelegraveves comme moyen de construire une

identiteacute deacuteviante par rapport aux normes scolaires mais conforme par

rapport aux normes juveacuteniles fragiliseacutes dans le systegraveme scolaire ces jeunes

deviennent des

outsiders

drsquoautant plus construits que lrsquoindiscipline se pra-

tique souvent collectivement Lrsquoindiscipline peut dans le mecircme temps

constituer un facteur de risque dans un processus de deacutescolarisation

Les recherches de Walgrave (1992) soulignent lrsquoimportance de

lrsquoeacutechec scolaire dans les processus de deacutelinquance juveacutenile La stigmatisation

de lrsquoeacutelegraveve comme laquo non performant raquo du point de vue de ses reacutesultats et

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

comme perturbateur fonctionne comme une laquo propheacutetie autoreacutealisatrice raquo

qui laquo contribue agrave sa propre reacutealisation raquo (Becker 1963) Lrsquoeacutelegraveve reacutepondra

ainsi agrave lrsquoinjonction qui lui est faite en abandonnant le systegraveme scolaire

53 LE LIEN ENTRE DEacuteSCOLARISATION ET DEacuteLINQUANCE

531 Lrsquo

IMPACT

DES

GROUPES

DE

PAIRS

ET

LES

ACTIVITEacuteS

DEacuteLINQUANTES

Les reacuteseaux de sociabiliteacute dans lesquels vit le jeune en voie de deacutescolari-

sation semblent preacutepondeacuterants Lrsquoinfluence des pairs et le regroupement

des

outsiders

du systegraveme scolaire sont des eacuteleacutements agrave prendre en compte

dans la construction drsquoune sous-culture deacuteviante La constitution en bande

est lieacutee agrave la stigmatisation induite par les classements scolaires neacutegatifs et

la logique de bande offre un refuge et une deacutefense contre le sentiment

de deacutevalorisation qui habite les jeunes tout en contribuant agrave activer le

processus de deacutescolarisation (Esterle-Hedibel 1997 Carra 2002) Glasman

(1998 p 19) souligne que les lyceacuteens laquo deacutecrocheurs raquo peuvent laquo se rappro-

cher drsquoun groupe de pairs groupe qui fournit suffisamment de repegraveres

et drsquooccasions drsquoaffirmation identitaire pour que lrsquoexit hors du lyceacutee ne

signifie pas lrsquoexil pour que la non-appartenance au lyceacutee ne soit pas la

deacutesheacuterence raquo

Lrsquoinfluence des groupes de pairs peut ecirctre importante dans le pro-

cessus de deacutescolarisation qursquoil srsquoagisse de groupes marginaux agrave tendance

deacutelinquante ou axeacutes sur une activiteacute particuliegravere de type leacutegaliste

Plusieurs eacutetudes confirment le lien entre un style de vie deacuteviant

(consommation de psychotropes licites ou illicites) et le deacutecrochage sco-

laire celui-ci occasionnant de larges plages de temps libre domineacute par

lrsquoennui (Janosz et Le Blanc 1996) Cependant la correacutelation entre les

conduites inadapteacutees et le deacutecrochage scolaire si elle existe se heurte agrave

la deacutefinition mecircme de la conduite inadapteacutee qui rassemble des eacuteleacutements

aussi heacuteteacuteroclites que conduites deacutelinquantes consommation de drogues

illicites promiscuiteacute sexuelle reacutebellion familiale inadaptation scolaire et

grossesse adolescentehellip La reacutebellion familiale par exemple pourrait ecirctre

consideacutereacutee comme une reacuteaction plutocirct positive alors que son absence

traduirait un conformisme et une soumission aux adultes plutocirct inquieacute-

tante agrave lrsquoadolescence (Janosz Le Blanc et Boulerice 1998)

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Hugues Lagrange a eacutetudieacute le lien entre absenteacuteistes et conduites

deacutelictueuses dans la reacutegion de Mantes-la-Jolie Pregraves de la moitieacute des absen-

teacuteistes eacutetudieacutes ont des conduites de preacutedation ou de deacutelinquance expressive

(deacutelinquance avec ou non objectif drsquoappropriation des biens drsquoautrui) ils

sont les cadets de familles nombreuses et ont vu leurs fregraveres aicircneacutes se

heurter au problegraveme du chocircmage Ils auraient appris ainsi agrave vivre de petite

deacutelinquance tout en ne percevant plus lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutecole ce qui

expliquerait leur absenteacuteisme (Lagrange et Bidart 2000)

532 D

EacuteCROCHAGE

SCOLAIRE

ET

DEacuteLINQUANCE

Des auteurs affirment que laquo lrsquoabandon scolaire permet de reacuteduire le stress

et la frustration veacutecus agrave lrsquoeacutecole des facteurs qui favorisent lrsquoapparition des

conduites deacutelinquantes raquo (Elliott et Voss 1974 citeacutes dans Janosz et Le

Blanc 1996 p 76) Le lien entre deacutecrochage et activiteacutes deacutelinquantes

proprement dites nrsquoest pas automatique mais semble deacutependre du mar-

cheacute de lrsquoemploi En effet plusieurs recherches des anneacutees 1980 indiquent

que les deacutecrocheurs ayant trouveacute un emploi ont diminueacute leurs activiteacutes

deacutelinquantes deux fois plus que ceux qui nrsquoen ont pas trouveacute Encore faut-

il que les deacutecrocheurs soient en acircge de travailler et que le marcheacute du

travail leur offre des emplois (Pronovost et Le Blanc citeacutes par Janosz et

Le Blanc 1996)

Lrsquoeacutetat des eacutetudes existantes ne permet pas de deacutemontrer lrsquoeffet du

deacutecrochage sur les conduites deacuteviantes ou deacutelinquantes et sur les diffi-

culteacutes drsquointeacutegration socioprofessionnelles Pour le deacutemontrer pleinement

il faudrait pouvoir suivre des cohortes drsquolaquo eacutelegraveves deacutecrocheurs raquo jusqursquoagrave

lrsquoacircge adulte et une cohorte teacutemoin Ces manifestations peuvent en effet

avoir eacuteteacute causeacutees par des laquo vulneacuterabiliteacutes psycho-sociales anteacuteceacutedentes raquo qui

auraient elles-mecircmes provoqueacute lrsquoabandon scolaire La question de la

causaliteacute et la difficulteacute de sa deacutemonstration reste donc poseacutee (Janosz et

Le Blanc 1996)

Une reacutecente enquecircte du Centre drsquoeacutetudes et de recherches sur les

qualifications (CERQ 2001) nous eacuteclaire cependant sur le lien entre

qualification et emploi les sortants du systegraveme eacuteducatif en 1998 diplocircmeacutes

ou pas travaillent agrave 80 en majoriteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee (64 ) tout

en eacutetant deux fois plus nombreux agrave ecirctre passeacutes par lrsquointeacuterim (28 ) que

la geacuteneacuteration sortie de lrsquoeacutecole en 1992 Les non-diplocircmeacutes connaissent une

disqualification croissante si 11 de lrsquoensemble de la laquo geacuteneacuteration 1998 raquo

est au chocircmage 30 des non-diplocircmeacutes de cette mecircme geacuteneacuteration sont

sans emploi On peut formuler lrsquohypothegravese drsquoune plus grande vulneacuterabi-

liteacute des jeunes deacutescolariseacutes quant aux perspectives socioprofessionnelles

dans un contexte de peacutenurie drsquoemplois pour les personnes non qualifieacutees

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132

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

54 LrsquoACCEgraveS AU TERRAIN DE LrsquoIMPORTANCE

DES PERSONNES-RESSOURCES

Notre situation de maicirctre de confeacuterences dans un IUFM

9

nous a permis

de preacutesenter notre deacutemarche de recherche agrave des personnels de lrsquoEacuteduca-

tion nationale engageacutes dans les formations en IUFM et en contact ou en

poste dans des collegraveges Ainsi srsquoeacutetablissent des relations originales entre le

chercheur et les acteurs de terrain qui conditionnent la reacuteussite de

lrsquoenquecircte les eacutelegraveves deacutescolariseacutes sont en effet difficiles drsquoaccegraves isoleacutes des

eacutetablissements scolaires plutocirct centreacutes sur leurs groupes de pairs ou

replieacutes sur leur cercle familial immeacutediat la preacutesence drsquoune personne de

confiance qui favorise le premier entretien est cruciale dans ce type

drsquoenquecircte Les parents des jeunes deacutescolariseacutes et les jeunes eux-mecircmes

ont souvent lrsquoimpression de ne pas ecirctre entendus par les institutions (en

particulier lrsquoeacutecole) La rencontre avec un chercheur est une occasion de

srsquoexprimer le plus librement possible en reprenant le deacuteroulement des

eacuteveacutenements et en explicitant un point de vue devant un interlocuteur

neutre sans risque de culpabilisation ou de contradiction Pour ces per-

sonnes en situation de

vulneacuterabiliteacute socieacutetale

crsquoest une occasion rare de

srsquoexprimer sur un thegraveme qui peut bouleverser lrsquoeacutequilibre familial Il

importe cependant drsquoecirctre tregraves clair sur le statut de lrsquoentretien car la

demande drsquoaide affleure tant la deacutetresse et le sentiment drsquoabandon et

drsquoimpuissance sont grands

Par ailleurs notre inteacuterecirct de recherche se croise avec des question-

nements apparus dans plusieurs collegraveges quel est le sens drsquoexclusions et

de reacuteaffectations drsquoeacutelegraveves en grande difficulteacute scolaire et plutocirct opposi-

tionnels voire tregraves perturbateurs dans les classes et les eacutetablissements

Comment venir en aide aux eacutelegraveves qui arrivent en sixiegraveme sans posseacuteder

les acquis de base neacutecessaires au deacuteroulement drsquoune scolariteacute normale

dans le secondaire Quelles relations entretenir avec les parents de ces

eacutelegraveves Comment travailler en partenariat avec des travailleurs sociaux

exteacuterieurs aux eacutetablissements De mecircme les divers eacutetablissements contac-

teacutes srsquointerrogent sur lrsquoimpact de la deacutescolarisation sur les processus de

marginalisation et sur les difficulteacutes du partenariat avec lrsquoEacuteducation natio-

nale Les reacutesultats de la recherche eacutetant restitueacutes aux eacutetablissements et aux

agents institutionnels on comprend lrsquointeacuterecirct que ceux-ci trouvent agrave une

collaboration avec un chercheur sur cette question

9 Institut universitaire de formation des maicirctres

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55 LES DIFFEacuteRENTS PROTAGONISTES DES PROCESSUS

551 L

ES

PERSONNELS

PEacuteDAGOGIQUES

10

5511 Des donneacutees non utiliseacutees

La majoriteacute des jeunes dont nous avons eacutetudieacute les trajectoires se sont

signaleacutes par des perturbations importantes de lrsquoordre scolaire menant

pour six drsquoentre eux agrave un conseil de discipline et agrave une exclusion deacutefini-

tive Les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo se sont montreacutes eacutegalement absenteacuteistes

alors que drsquoautres ont adopteacute une position de retrait sans perturber

lrsquoordre scolaire Dans plusieurs dossiers scolaires les appreacuteciations porteacutees

par les enseignants du premier degreacute eacuteclairent les difficulteacutes veacutecues par

lrsquoeacutelegraveve au collegravege certaines sont clairement des sortes drsquoalertes agrave destina-

tion des enseignants du second degreacute Mais dans lrsquoensemble les dossiers

des eacutelegraveves sont rarement consulteacutes par les enseignants des collegraveges mecircme

en cas de problegraveme seacuterieux rencontreacute au deacutebut de la scolariteacute du second

degreacute Bien que certains aient abordeacute la sixiegraveme avec des difficulteacutes et des

lacunes repeacutereacutees agrave la fin du cycle 3 la plupart des eacutelegraveves nrsquoont pas eacuteteacute

lrsquoobjet drsquoune prise en charge particuliegravere agrave ce propos Ils sont surtout

sanctionneacutes pour des perturbations scolaires importantes

Certains enseignants ont en main des donneacutees pouvant contribuer

agrave comprendre la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve situation familiale amenant

lrsquoeacutelegraveve agrave srsquoabsenter de lrsquoeacutecole pour soutenir un parent malade ou deacutefaillant

sentiment drsquoeacutechec massif et incompreacutehension du sens des eacutetudes ennui

profond agrave lrsquoeacutecolehellip Mais ces donneacutees ne sont pas travailleacutees collectivement

dans le sens de la recherche drsquoune solution peacutedagogique adapteacutee agrave lrsquoeacutelegraveve

Un eacutelegraveve perturbateur peut ecirctre un leader ou au contraire un jeune isoleacute

de ses camarades il peut avoir des reacutesultats assez bons malgreacute une preacute-

sence eacutepisodique ou au contraire montrer des lacunes drsquoapprentissage

seacuterieuses degraves lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire il peut appreacutecier lrsquoeacutecole tout au moins

au deacutebut de ses laquo anneacutees collegravege raquo ou srsquoen deacutesinteacuteresser degraves les premiers

mois de la sixiegravemehellip Les appreacuteciations sur les bulletins scolaires et les

mesures prises agrave son eacutegard seront sensiblement les mecircmes Cette reacutecur-

rence des mecircmes reacuteactions srsquoeacutetend aux eacutelegraveves non perturbateurs degraves lors

qursquoune eacutetape de plus est franchie dans leur laquo volonteacute drsquoopposition raquo du

point de vue des acteurs scolaires Il est drsquoailleurs frappant de constater

le deacutecalage entre certains discours sur les eacutelegraveves lors des entretiens avec

des enseignants et les eacutecrits les concernant (bulletins scolaires comptes

10 Enseignants principaux et principaux adjoints conseillers principaux drsquoeacuteducationhellip

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rendus de conseils de disciplinehellip) autant les premiers peuvent teacutemoi-

gner de compreacutehensions nuanceacutees des probleacutematiques des eacutelegraveves autant

les seconds suivent les mecircmes appreacuteciations ritualiseacutees et collectivement

mises en eacutecrit

5512 Des deacutecisions drsquoorientation non suivie drsquoeffets

Par ailleurs des deacutecisions drsquoorientation ne sont pas suivies drsquoeffets un

eacutelegraveve orienteacute en SEGPA se retrouve en section geacuteneacuterale un autre orienteacute

par un eacutetablissement vers une classe agrave projet speacutecifique (quatriegraveme drsquoaide

et de soutien) integravegre une classe ordinaire agrave la suite drsquoun deacutemeacutenage-

menthellip Manque de coordination entre eacutetablissements ou agrave lrsquointeacuterieur

drsquoun mecircme eacutetablissement reacuteticences voire refus des parents malenten-

dus ou absence drsquoexplication aux familles peuvent contribuer agrave lrsquoarrecirct de

scolariteacute

Les jeunes deacutescolariseacutes qui nrsquoont pas repris une forme de scolariteacute

par la suite nrsquoont pas reccedilu un soutien particulier ou beacuteneacuteficieacute drsquoun regard

bienveillant des acteurs scolaires (enseignants) sur lrsquoensemble de leur vie

scolaire En ce sens on peut dire qursquoils nrsquoont pas eu drsquoallieacute efficace mecircme

si ccedilagrave et lagrave tel ou tel enseignant a pu se poser des questions sur les raisons

de leur absenteacuteisme ou tenter de leur venir en aide malgreacute les incidents

quelquefois spectaculaires dont certains adolescents eacutetaient des protago-

nistes actifs Ces interventions de mecircme que celles des travailleurs sociaux

ou celles de leurs parents nrsquoont pas suffi agrave leur permettre un redresse-

ment Ils se sont vu tregraves rarement proposer un dispositif relais ou des

actions de soutien coordonneacutees avec lrsquoenseignement geacuteneacuteral Les proces-

sus observeacutes illustrent ainsi les conclusions de Sylvain Broccolicchi (2000)

lorsqursquoil conclut agrave la solitude des eacutelegraveves deacutescolariseacutes compareacutes agrave ceux

autant en difficulteacute agrave lrsquoentreacutee en sixiegraveme qui ont continueacute leurs eacutetudes

5513 Des passages fictifs en classe supeacuterieure

Une conseacutequence de la suppression des orientations en fin de cinquiegraveme

lieacutee agrave lrsquoabsence de dispositifs de remeacutediation pour les eacutelegraveves en grande

difficulteacute est le deacuteveloppement de lrsquolaquo eacutechec scolaire raquo de ces eacutelegraveves et de

lrsquoideacutee que certains eacutelegraveves seraient quasiment laquo inenseignables raquo (Thin

1999) Les enseignants sont ainsi ameneacutes agrave faire un laquo tri raquo entre les eacutelegraveves

laquo reacutecupeacuterables raquo et les autres La seacutelection ne se fait pas tant au niveau des

reacutesultats qursquoagrave celui du comportement scolaire les eacutelegraveves laquo perturbateurs raquo

ou laquo paresseux raquo sont ainsi particuliegraverement viseacutes par les jugements neacutega-

tifs et le redoublement se fait quasiment au meacuterite dans tous les cas sur

la base drsquoun pari drsquoeacutevolution positive et selon lrsquoeacutevaluation de la possibiliteacute

pour les enseignants de laquo supporter raquo lrsquoeacutelegraveve une anneacutee de plus Agrave cela

srsquoajoute lrsquoargument de lrsquoacircge si lrsquoeacutelegraveve a deacutejagrave une anneacutee ou deux de retard

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE

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il passera plus facilement dans la classe supeacuterieure Celui qui redouble est

donc gratifieacute drsquoune laquo chance raquo suppleacutementaire dont est priveacute celui qui

passe dans la classe supeacuterieure avec quelquefois des reacutesultats plus faibles

et un comportement plus perturbateur ou absenteacuteiste De ce fait le redou-

blement au collegravege nrsquoest pas correacuteleacute agrave lrsquointerruption preacutecoce drsquoeacutetude

(Broccolicchi 1998b)

Nous avons trouveacute dans plusieurs dossiers scolaires la mention

laquo redoublement inutile raquo accompagneacutee drsquoun avis de passage dans la classe

supeacuterieure Ces laquo faux passages raquo introduisent un leurre reconnu par de

nombreux enseignants de collegravege en lrsquoabsence de projet individuel concer-

nant un eacutelegraveve particuliegraverement en difficulteacute ce dernier est laquo emmeneacute raquo

vers la fin de la troisiegraveme qui correspond grosso modo agrave lrsquoacircge de 16 ans

(drsquoautant plus que certains eacutelegraveves ont une ou plusieurs anneacutees de retard)

et confronteacute agrave une injonction contradictoire rester dans lrsquoeacutetablissement

tout en sachant qursquoil ne peut y espeacuterer une progression de ses reacutesultats

La situation devient encore plus paradoxale quand en cas drsquoabsenteacuteisme

se deacuteclenche la proceacutedure de signalement agrave lrsquoInspection acadeacutemique

enjoignant les parents agrave respecter la loi sur la scolariteacute obligatoire jusqursquoagrave

16 ans

Ces passages fictifs sont accompagneacutes drsquoun double discours des

enseignants en forme de justifications regrets mecircleacutes drsquoimpuissance de

laisser ainsi agrave lrsquoabandon des eacutelegraveves sans leur apporter de reacuteelles proposi-

tions eacuteducatives et peacutedagogiques critique du laquo

collegravege unique

raquo dont on sait

par diverses enquecirctes que nombre drsquoenseignants en refusent le principe

en particulier les enseignants les plus jeunes et ceux des collegraveges Ces

regrets et justifications sont compleacuteteacutes par des exemples de cas drsquoeacutelegraveves

illustrant le constat geacuteneacuteral que certains laquo

nrsquoont pas leur place au collegravege

raquo

sans que lrsquoon puisse dans le mecircme temps deacuteterminer ougrave ils pourraient

trouver une laquo

place

raquo qui leur conviennehellip Lrsquoabsence de temps et de lieux

de concertation organiseacutes pour les eacutelegraveves en difficulteacute conduit au constat

drsquoimpuissance la question laquo

qursquoest-ce qursquoon peut faire pour ces eacutelegraveves-lagrave

raquo for-

muleacutee ainsi au chercheur renvoie agrave autrui la reacuteponse agrave cette interrogation

dont ne se saisit pas le milieu enseignant dans son ensemble comme srsquoil

existait un consensus pour laquo

sacrifier quelques-uns pour proteacuteger la communauteacutescolaire

raquo expression souvent entendue eacutegalement

On se trouve alors dans un systegraveme de non-reacutesolution des difficulteacutes

patentes de certains eacutelegraveves qui sont ainsi meneacutes vers lrsquoarrecirct de scolariteacute

par retrait du jeune drsquoune situation sans issue Ce retrait peut ecirctre silen-

cieux ou beaucoup plus spectaculaire il srsquoaccompagne alors freacutequemment

drsquoexclusions deacutefinitives lors de conseils de discipline

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136 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

5514 Le traitement des eacutelegraveves deacuteviants

Lrsquoincidence de lrsquoeacutechec scolaire et du sentiment drsquoinjustice sur les compor-

tements drsquoindiscipline est connue par de nombreux travaux (Dubet et

Martuccelli 1996 Debarbieux 1999 Broccolicchi 1998a 2000 Van

Zanten 2001 etc) Dans lrsquoensemble des situations des eacutelegraveves laquoperturba-

teursraquo les acteurs scolaires focalisent leur attention sur les perturbations

causeacutees par ces eacutelegraveves beaucoup plus que sur leurs difficulteacutes drsquoappren-

tissage envisageacutees comme de simples conseacutequences de leur indiscipline

alors qursquoelles existent dans plusieurs cas depuis lrsquoeacutecole eacuteleacutementaire et se

manifestent degraves lrsquoentreacutee en sixiegraveme

Lrsquolaquo absence de travail raquo qui engendre les mauvais reacutesultats apparaicirct

alors comme une forme drsquoindiscipline dont les formes drsquoexpression varieacutees

seraient la cause directe de ces piegravetres performances scolaires Dans le

mecircme temps ces difficulteacutes constituent des obstacles agrave la reprise drsquoeacutetudes

laquo normales raquo par les eacutelegraveves difficile de laquo se calmer raquo et de laquo se mettre au

travail raquo avec une moyenne geacuteneacuterale autour de 520 un retard consideacuterable

pris par rapport aux autres eacutelegraveves et aucun dispositif de remeacutediation

Ceux qui ont eacuteteacute laquo simplement raquo absenteacuteistes nrsquoont pas eacuteteacute sanction-

neacutes pour ce seul motif mis agrave part les avertissements sur les bulletins

scolaires Les appreacuteciations sur les bulletins essaient de les convaincre de

maniegravere de plus en plus insistante mais la deacuteviance ne se constitue qursquoau

moment ougrave les acteurs scolaires perccediloivent une intention de la part de

lrsquoeacutelegraveve par exemple lorsque les absences cessent drsquoecirctre justifieacutees par le

responsable de lrsquoeacutelegraveve Lorsque laquo la famille se manifeste raquo la situation de

lrsquoeacutelegraveve est prise en compte avec une relative bienveillance Dans le cas

contraire ougrave laquo aucune collaboration nrsquoest possible raquo ou lorsque lrsquoassistant

social indique plus laconiquement laquo famille muette raquo sur les dossiers de

freacutequentation scolaire le ton se durcit par rapport agrave lrsquoeacutelegraveve suspecteacute alors

de laquo mauvaise volonteacute raquo crsquoest-agrave-dire du dessein clair de srsquoopposer agrave lrsquoinsti-

tution scolaire Le paradoxe est que cette absence de justification pourrait

ecirctre la marque drsquoune situation de vulneacuterabiliteacute accrue de lrsquoeacutelegraveve et neacutecessiter

un soutien plus appuyeacute encore

Les punitions et sanctions de lrsquoindiscipline et de laquo lrsquoabsence de

travail raquo sont repeacuterables dans les rapports drsquoincidents scolaires Elles sont

quelquefois tregraves nombreuses (plusieurs dizaines de rapports drsquoincidents

en une anneacutee pour un mecircme eacutelegraveve) et de plusieurs types lignes agrave copier

copies du regraveglement inteacuterieur du collegravege ou du regraveglement de classe en

plusieurs exemplaires copie de travaux scolaires correspondant au contenu

du cours perturbeacute retenues (heures de colle) avertissements (travail et

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conduite) ou blacircmes exclusions de cours exclusions de plusieurs jours

alors mecircme que lrsquoabsenteacuteisme est preacutesent dans la probleacutematique de

lrsquoeacutelegraveve Ces exclusions ne sont cependant pas lieacutees agrave lrsquoabsenteacuteisme mais

agrave des perturbations scolaires

Ces sanctions sortent pour certaines du cadre de la leacutegaliteacute11 et sont

souvent inapplicables peu expliciteacutees aux eacutelegraveves et elles peuvent geacuteneacuterer

un fort sentiment drsquoinjustice (Debarbieux 1999 p 102)

Dans aucune des situations eacutetudieacutees les sanctions eacutenumeacutereacutees ici

nrsquoont permis de modifier le comportement de lrsquoeacutelegraveve dans le sens souhaiteacute

par les acteurs scolaires Au contraire on constate une progression drsquoinci-

dents (altercations entre eacutelegraveves avec des enseignants ou des surveillants)

vers des commissions de vie scolaire avec exclusions de plusieurs jours

toujours pour les mecircmes comportements suivies quelques semaines ou

quelques mois apregraves drsquoun arrecirct total de freacutequentation scolaire du jeune

ou de conseils de discipline menant agrave lrsquoexclusion deacutefinitive Apregraves la reacuteaf-

fectation dans un autre collegravege le mecircme processus se reproduit menant

rapidement cette fois-ci lrsquoeacutelegraveve agrave la deacutescolarisation De fait les eacutelegraveves qui

en ont eacuteteacute les destinataires ainsi que leurs parents ne mentionneront agrave

aucun moment un beacuteneacutefice en matiegravere de compreacutehension ou drsquoeacuteducation

tireacute de ces punitions scolaires Certains les consideacutereront davantage

comme des marques drsquoune profonde incompreacutehension de leur situation

Les processus de deacutescolarisation mettent en cause des pratiques

issues de lrsquoeacutevolution du systegraveme scolaire lui-mecircme qui deacuteterminent les

acteurs et leur laissent peu de latitude pour reacuteagir autrement Mais on

peut aussi repeacuterer des attitudes enseignantes individuelles plus exception-

nelles laquo la mise au coin raquo par exemple peine proscrite drsquoailleurs par la

circulaire du 13 juillet 2000

Dans le cas du jeune viseacute par cette punition la mise au coin a eacuteteacute

veacutecue comme humiliante a fonctionneacute comme une laquo provocation agrave la

deacuteviance raquo deacuteclencheacute une reacuteaction violente de lrsquoeacutelegraveve laquelle interpreacute-

teacutee comme un danger potentiel de violence physique agrave lrsquoeacutegard de tous les

personnels entraicircnera lrsquoexclusion deacutefinitive de lrsquoeacutelegraveve suivie drsquoune reacuteaffec-

tation dans un collegravege eacuteloigneacute de son domicile La scolariteacute du jeune

garccedilon srsquoarrecirctera lagrave

11 Voir Bulletin officiel du 13 juillet 2000

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138 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

5515 Haro sur les eacutelegraveves

Les eacutelegraveves deacutescolariseacutes et perturbateurs sont marqueacutes comme tels et

comme laquo ineacuteducables raquo depuis de nombreux mois voire plusieurs anneacutees

quand intervient lrsquoarrecirct de scolariteacute effectif Des mots ou expressions

comme laquo individu raquo laquo faire lrsquoimbeacutecile raquo et laquo imbeacutecile raquo eacutecrits sur des rapports

drsquoincidents laquo cas psychiatrique raquo laquo dangereux raquo sont freacutequemment lus ou

entendus les concernant avec une freacutequence drsquoautant plus grande que le

conflit srsquoaggrave entre lrsquoeacutelegraveve et lrsquoinstitution et que les adultes qui les

utilisent sont engageacutes directement dans les interactions Ces maniegraveres de

nommer ou de qualifier ces eacutelegraveves soulignent des eacuteleacutements drsquoune

ambiance qui banalise des termes deacutevalorisants agrave lrsquoencontre des eacutelegraveves

en tregraves grande difficulteacute drsquoapprentissage et perturbateurs de lrsquoordre sco-

laire Ils deviennent alors ce qursquoils montrent les adultes ayant tendance agrave

identifier lrsquoeacutelegraveve deacuteviant au vu des manifestations produites Ces juge-

ments srsquoaccompagnent de propheacuteties autoreacutealisatrices sur lrsquoineacuteducabiliteacute

de lrsquoeacutelegraveve et lrsquoineacuteluctabiliteacute de son destin scolaire et social Les theacuteories

de lrsquoeacutetiquetage appliqueacutees agrave lrsquoeacutecole fonctionnent alors agrave plein (Van

Zanten 2001)

Plusieurs dossiers comportent des appreacuteciations non fondeacutees sur des

examens meacutedicaux ou psychologiques portant sur lrsquoorientation neacutecessaire

en structure speacutecialiseacutee laquo adapteacutee au comportement de lrsquoeacutelegraveve raquo ainsi que des

injonctions aux parents drsquoaccompagner leur enfant suivre une psycho-

theacuterapie au vu des incidents scolaires dont il est protagoniste Lrsquoeacutelegraveve

perturbateur est alors paradoxalement consideacutereacute comme actif et volon-

taire dans les deacutesordres qursquoil met en scegravene dans lrsquoeacutetablissement scolaire

donc responsable de ce qui lui arrive et dans le mecircme temps porteur

de troubles seacuterieux du comportement ou de handicaps relevant drsquoune

commission speacutecialiseacutee

5516 Lrsquoexternalisation des solutions

Les causes possibles de la deacuteviance (quartier famille eacutelegraveve lui-mecircme) sont

situeacutees en dehors du champ de la relation peacutedagogique de mecircme que les

laquo solutions raquo eacuteventuelles (sollicitation de travailleurs sociaux des familles

injonction de changer faite agrave lrsquoeacutelegraveve lui-mecircme) Dans cette logique les

mesures proposeacutees renvoient souvent la recherche de changement du

comportement de lrsquoeacutelegraveve agrave des structures ou agrave des personnes peacuteripheacute-

riques ou exteacuterieures aux situations drsquoenseignement contact avec des

eacuteducateurs suivi par lrsquoassistante sociale du collegravege injonction agrave la famille

de rescolariser le jeune avec assiduiteacutehellip

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Drsquoautres mesures conccedilues comme plus eacuteducatives sont mises en

place comme les promesses ou les engagements les cahiers de suivi les

commissions ou conseils de vie scolaire mais elles sont appliqueacutees sur le

mecircme mode de lrsquoinjonction ou de la sanction sans qursquoaucune ameacuteliora-

tion dans le sens souhaiteacute par les acteurs scolaires ait pu ecirctre constateacutee

Le non-respect de la proceacutedure du cahier de suivi srsquoest du reste rajouteacute

aux charges qui pegravesent contre lrsquoun des eacutelegraveves deacutescolariseacute par la suite au

moment du conseil de discipline

Le traitement appliqueacute aux eacutelegraveves perturbateurs et deacutescolariseacutes

ensuite rencontreacutes au cours de notre recherche est bien un traitement

coercitif classique depuis le deacutebut de leur scolariteacute au collegravege (avertisse-

ments exclusions conseil de vie scolaire) visant agrave leur faire apprendre de

greacute ou de force leur laquo meacutetier drsquoeacutelegraveve raquo laquo se comporter comme un eacutelegraveve raisonnable raquo

eacutetant entendu qursquoil ne tient qursquoagrave lrsquoeacutelegraveve de prendre la deacutecision de changer

Dans cette logique de refus ou drsquoacceptation la laquo mise au travail raquo

suffirait agrave reacutetablir la situation La question des lacunes scolaires est ainsi

eacuteviteacutee comme est preacuteserveacute le point central des compeacutetences enseignantes

les interactions peacutedagogiques dans la classe Lrsquoeacutelegraveve en difficulteacute devient

une personne laquo difficile raquo Une logique de rapport de force entre lrsquoinstitu-

tion et lrsquoeacutelegraveve srsquoeacutetablit ainsi visant agrave laquo faire changer lrsquoeacutelegraveve drsquoavis raquo Celui-ci est

alors pris comme seul et unique responsable de sa situation et de son

eacutevolution quelquefois sommeacute de laquo trouver une solution raquo avec la mention

laquo nous avons tout essayeacute raquo Lrsquoabsence de changement marque eacutevidente de

mauvaise volonteacute deacuteclenche la colegravere des personnels scolaires La reacuteaction

aux perturbations manifesteacutees par lrsquoeacutelegraveve renforce et cristallise lrsquoidentiteacute

deacuteviante et les relations srsquoinstallent durablement dans le conflit En cas

de perturbations graves ces eacutelegraveves sont alors consideacutereacutes comme laquodangereuxpour la communauteacute scolaire raquo laquo nrsquoayant pas leur place au collegravege raquo La seacutepara-

tion devient ineacutevitable soit agrave la suite drsquoun conseil de discipline qui pro-

nonce lrsquoexclusion deacutefinitive soit par retrait de lrsquoeacutelegraveve en particulier dans

le cas de laquo passages fictifs raquo dans la classe supeacuterieure Lrsquoensemble des acteurs

scolaires srsquoentend pour traiter la situation en fonction drsquoinjonctions et de

sanctions plutocirct que de reacutesolution dans le sens de la poursuite des eacutetudes

ou drsquoun parcours individuel adapteacute agrave la probleacutematique de lrsquoeacutelegraveve La

gestion des laquo deacuteviants scolaires raquo tend ainsi agrave ecirctre penseacutee et mise en actes

en termes de preacuteservation de lrsquoordre scolaire sanctionnant les manque-

ments aux regravegles tant drsquoassiduiteacute que de comportement les mauvais

reacutesultats eacutetant quasiment inclus dans le registre des transgressions

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140 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

552 LES EacuteLEgraveVES

Les jeunes deacutescolariseacutes srsquoexpriment peu par rapport agrave leur situation acircgeacutes

de 14 agrave 16 ans au moment de la rencontre avec le chercheur ils ont veacutecu

un processus de deacutescolarisation plus qursquoils ne lrsquoont construit avec parfois

lrsquoimpression qursquoils avaient tregraves peu de prise sur ce qui leur arrivait Un

seul (Patrick dont nous deacutetaillerons la situation plus loin) exprime un

refus clair de lrsquoeacutecole et de toutes les propositions qui lui seraient faites

en forme de conflit ouvert et non neacutegociable accompagneacute drsquoun deacutesinteacuterecirct

affirmeacute par rapport agrave son avenir Un autre qui nrsquoa jamais eacuteteacute scolariseacute

souhaiterait vivement laquo entrer agrave lrsquoeacutecole raquo Pour les eacutelegraveves exclus drsquoun collegravege

lrsquoeacuteloignement du collegravege de reacuteaffectation est un obstacle important agrave la

suite de la scolariteacute Drsquoautres expriment un fort sentiment de deacutevalori-

sation personnelle (crsquoest le cas de ceux qui se sont signaleacutes par drsquoimpor-

tantes perturbations scolaires) et des espoirs deacuteccedilus dans la scolariteacute Les

jeunes qui nrsquoont pas eacuteteacute perturbateurs et ont de ce fait eacuteteacute moins stigma-

tiseacutes nrsquoexpriment pas de ressentiment ou de crainte mais plutocirct un deacutesin-

teacuterecirct global par rapport agrave lrsquoeacutecole en geacuteneacuteral tout en gardant un laquo bonsouvenir raquo drsquoenseignants ou drsquoacteurs scolaires Le processus de deacutescolari-

sation srsquoest accompagneacute drsquoun isolement croissant par rapport aux autres

eacutelegraveves du collegravege accentueacute par les nombreuses absences Lrsquoabsenteacuteisme

ou les fortes perturbations coupent les jeunes des sociabiliteacutes juveacuteniles

lieacutees agrave la vie quotidienne au collegravege et mecircme si les camarades peuvent

jouer un rocircle de relais et de garde-fous dans certaines situations leur

peacuterennisation entraicircne une deacutesaffection de leur part

Les jeunes deacutescolariseacutes occupent des rangs divers dans leurs fratries

dont le nombre drsquoenfants varie de un agrave sept six sont des aicircneacutes (ou enfant

unique pour un) quatre sont les plus jeunes quatre occupent des places

meacutedianes dans la fratrie Tous les jeunes deacutescolariseacutes vivent plutocirct laquo au jourle jour raquo pris en charge mateacuteriellement dans leurs familles avec lesquelles

ils entretiennent des relations diverses qui vont de la bonne entente au

conflit ouvert en forme de rapport de force avec les parents ou des fregraveres

et sœurs Plusieurs disent vouloir travailler et attendre drsquoavoir 16 ans pour

pouvoir le faire La notion drsquoadolescence est relative dans leur cas alors

que pour beaucoup de jeunes scolariseacutes elle est une peacuteriode assez longue

pendant laquelle ils restent deacutependants de leurs parents tout en menant

une vie relativement autonome il en va autrement pour ceux dont nous

avons eacutetudieacute les situations

Les jeunes deacutescolariseacutes se trouvent confronteacutes avant lrsquoacircge de 16 ans

agrave des choix et agrave des perspectives qui tiennent plus de lrsquoacircge adulte trouver

un travail ou une formation rapidement qualifiante seconder les parents

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la megravere en particulier La plupart drsquoentre eux vivent plus au contact

drsquoadultes que de jeunes de leur acircge (agrave part ceux qui sont attacheacutes agrave des

groupes de pairs) et leurs formes de sociabiliteacute juveacutenile se trouvent

modifieacutees par lrsquoarrecirct de scolariteacute

La majoriteacute des jeunes sont plutocirct resteacutes chez eux inteacutegrant laquo agrave plein

temps raquo la vie familiale au rythme de leurs parents Le temps est scandeacute

par les horaires scolaires des plus jeunes enfants que les jeunes filles

accompagnent ou vont chercher Lrsquoarrecirct de scolariteacute implique une dimi-

nution des reacuteseaux relationnels avec des pairs deacutejagrave restreints pour la

plupart des jeunes un repli sur la sphegravere familiale et une impression

drsquoennui avec dans un cas des activiteacutes reacutepeacutetitives Les relations intrafami-

liales se tendent drsquoautant plus que les intervenants exteacuterieurs se mani-

festent par des avertissements ou des injonctions et que les revenus de la

famille sont en baisse par la suspension ou la suppression des allocations

familiales Les jeunes qui avaient des reacutesultats scolaires satisfaisants agrave

lrsquoentreacutee en sixiegraveme peuvent espeacuterer dans un avenir indeacutetermineacute reprendre

une formation mais pour les autres les reacutesultats scolaires en chute ou

mauvais depuis plusieurs anneacutees rendent tregraves aleacuteatoire la perspective de

projets professionnels ou drsquoavenir lieacutes agrave la formation en geacuteneacuteral

Sur les quatorze situations rencontreacutees cinq jeunes ont commis des

actes deacutelinquants preacutealables ou parallegraveles agrave leur entreacutee au collegravege Agrave la

suite de lrsquoarrecirct de scolariteacute ces actes deacutelinquants ont continueacute et se sont

mecircme amplifieacutes mais on ne peut pas dire que lrsquoarrecirct de scolariteacute ait

geacuteneacutereacute la deacutelinquance Onze ont eacuteteacute lrsquoobjet de signalements pour faits

de petite deacutelinquance ou absenteacuteisme ou encore problegraveme familial Ces

signalements ont donneacute lieu agrave des rencontres avec un juge des enfants et

agrave des mesures eacuteducatives avec maintien au domicile dans la majoriteacute des

cas (deux jeunes ont eacuteteacute placeacutes sur des dureacutees courtes) Les deux jeunes

dont les parents ont trouveacute une issue en matiegravere drsquoapprentissage anticipeacute

nrsquoont fait lrsquoobjet drsquoaucun signalement pas plus que lrsquoenfant en situation

irreacuteguliegravere

La preacutesence drsquoun groupe de pairs dans le quartier peut jouer un rocircle

attractif ou compensatoire agrave lrsquoinactiviteacute lieacutee agrave la deacutescolarisation Crsquoest le

cas pour cinq des jeunes qui ont commis des actes deacutelinquants et srsquoattachent

agrave des groupes de pairs en forme de bandes au fur et agrave mesure que

srsquoaccentue le processus de deacutescolarisation

553 LES FAMILLES

Aux facteurs endogegravenes agrave lrsquoeacutecole srsquoajoutent des situations familiales qui

ne permettent pas de soutenir lrsquoeacutelegraveve dans son effort scolaire ni de contre-

balancer lrsquoimage neacutegative qui lui est renvoyeacutee Dans la plupart des situations

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142 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

rencontreacutees si les parents se manifestent ou reacutepondent aux demandes de

rencontre des collegraveges (les laquo convocations raquo) au sujet de leur enfant ou

tout au moins acceptent un eacutechange avec lrsquoassistant social qui se rend au

domicile on note un deacutecalage entre le point de vue et lrsquohistoire scolaire

des familles en particulier les parents et les exigences de lrsquoeacutecole tant sur

le plan de lrsquoassiduiteacute que sur celui du comportement

La plupart des familles rencontreacutees disposent de trop peu de res-

sources pour se positionner en interlocuteurs creacutedibles de lrsquoeacutecole meacutecon-

naissent le fonctionnement du systegraveme scolaire tout en devant geacuterer une

vie quotidienne tregraves difficile drsquoun point de vue eacuteconomique Dans une

famille une incompreacutehension linguistique majeure empecircche tout travail

de coeacuteducation effectif entre le collegravege et les parents en lrsquoabsence de

traduction La gestion de la scolariteacute revient majoritairement aux megraveres

qui sont plus souvent preacutesentes dans les eacutetablissements scolaires les pegraveres

(lorsqursquoils sont preacutesents dans lrsquoeacuteducation de leurs enfants) intervenant

plus pour geacuterer les manquements aux normes Dans plusieurs familles les

strateacutegies familiales employeacutees sont de lrsquoordre de la contention corporelle

sans effet sur une reprise de la scolariteacute ainsi des parents accompagnent

leur enfant au collegravege le remettent dans les mains du conseiller principal

drsquoeacuteducation (CPE) qui lrsquoemmegravene en courshellip jusqursquoagrave la fin de lrsquoheure ougrave

le jeune disparaicirct agrave nouveau de lrsquoeacutetablissement Son refus du systegraveme

scolaire est tel que ni les parents ni les acteurs scolaires nrsquoont drsquoinfluence

sur un eacuteventuel retour Des punitions corporelles reacutepeacuteteacutees sont appliqueacutees

par certaines familles aux jeunes visant agrave les faire laquo rentrer dans le droitchemin raquo (celui de lrsquoeacutecole en lrsquooccurrence censeacutee assurer une formation

et proteacuteger contre les risques de deacutelinquance) avec pour effet drsquoaccentuer

le retrait de la famille parallegravelement au retrait de lrsquoeacutecole La stigmatisation

opeacutereacutee par lrsquoeacutecole est renforceacutee dans certaines familles par un regard

neacutegatif porteacute sur lrsquoadolescent qui devient une laquo bouche inutile raquo en parti-

culier lorsque les allocations familiales sont suspendues

Eacuteloigneacutes du marcheacute du travail et de celui de la consommation les

parents nrsquooffrent pas drsquoimage creacutedible agrave leurs enfants en tant qursquoeacuteduca-

teurs Dans ces cas-lagrave le controcircle parental et la qualiteacute de la relation avec

les enfants deacutejagrave affecteacutes par la situation de preacutecariteacute dans laquelle se

trouvent les familles sont rendus encore plus difficiles (Mucchielli 2001

p 224) Des conflits aviveacutes de surcroicirct par la situation critique du jeune

au collegravege bloquent aussi la communication agrave lrsquointeacuterieur de ces familles

Pour les familles marqueacutees par la pauvreteacute les aleacuteas de la vie fami-

liale prennent des proportions exacerbeacutees seacuteparations divorces disputes

recompositions ont lieu dans des espaces et des temps restreints (lrsquoabsence

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de travail confine les membres adultes de la famille au domicile et ils ne

disposent pas de reacuteseaux professionnels ou relationnels qui leur permet-

traient de se distraire de ces situations) Ces familles peuvent eacutevoluer

rapidement deacutepart drsquoun conjoint et arriveacutee drsquoun autre installation

momentaneacutee ou agrave plus long terme au domicile du nouveau conjoint drsquoun

des deux parents en preacutesence de lrsquoautre heacutebergement de proches en

difficulteacute momentaneacutee deacutepart ou arriveacutee des enfants les plus acircgeacutes avec

quelquefois des beacutebeacuteshellip Les enfants doivent geacuterer ces situations familiales

conflictuelles et leur scolariteacute en mecircme temps et le cas eacutecheacuteant assurer

le soutien du parent le plus vulneacuterable comme crsquoest le cas pour lrsquoune des

jeunes filles dont la scolariteacute srsquoest arrecircteacutee principalement pour ce motif

Les deacutemarches diverses sont tregraves difficiles agrave effectuer les deacuteplace-

ments entre Roubaix et Lille par exemple sont veacutecus comme aleacuteatoires et

dangereux alors que lrsquoagglomeacuteration est desservie par des moyens de

transport nombreux et fiables Les propositions drsquoorientation ou de pla-

cement qui peuvent ecirctre faites rencontrent un refus de se seacuteparer parents

et enfants veulent rester ensemble par crainte de la solitude (pour les uns

et les autres) de lrsquoinconnu des jugements deacutevalorisants de lrsquoentourage et

des agents institutionnels autour de la seacuteparation De ce fait les proposi-

tions alternatives sont tregraves limiteacutees car les centres speacutecialiseacutes ou de forma-

tion se trouvent rarement dans le mecircme quartier ou dans la mecircme ville

En lrsquoabsence drsquoadheacutesion minimale du groupe familial agrave ces propositions

leur reacutealisation comporte un fort risque drsquoeacutechec La valeur fondamentale

qui apparaicirct ainsi pour ces familles est le fait de preacuteserver lrsquouniteacute du

groupe refuge protection lieu de souffrance mais aussi lrsquoexercice de la

fonction parentale qui doit ecirctre maintenue fucirct-elle mise en peacuteril par des

interactions violentes ou peacutenibles entre parents et enfants La remise en

cause de cette laquo compeacutetence parentale raquo est drsquoautant plus difficile agrave vivre

qursquoelle est le seul facteur de reconnaissance sociale possible

Lrsquoisolement et le peu de gratifications reccedilu dans leur vie sociale la

multipliciteacute des eacuteveacutenements qui jalonnent la vie familiale favorisent sans

doute lrsquoentreacutee et lrsquoinstallation de plusieurs megraveres dans la laquo deacutepression raquo

qui devient partie inteacutegrante de lrsquoidentiteacute maternelle preacutesenteacutee comme

telle au chercheur Les difficulteacutes veacutecues avec les conjoints et les enfants

sont des drames quotidiennement ressasseacutes et certaines trouvent dans ces

rocircles de megravere et drsquoeacutepouse doloriseacutees une forme drsquoidentiteacute acceptable pour

elles-mecircmes pour les acteurs scolaires pour les travailleurs sociauxhellip qui

vont intervenir en tenant compte de la laquomaladieraquo de la megravere Les laquoproblegravemes

de santeacute raquo sont partie prenante de ces probleacutematiques parentales et

deacuteclenchent la compassion ou lrsquoagacement des interlocuteurs inteacuteresseacutes agrave

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144 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

la situation de lrsquoenfant Dans les cas extrecircmes ils se retrouvent en situation

drsquoeacutecouter de rassurer voire drsquoassister les parents vulneacuterabiliseacutes Cela eacutetant

les parents rencontreacutes ne se deacutesinteacuteressent pas de la situation de leurs

enfants et les megraveres restent souvent leurs seules laquo allieacutees inconditionnelles raquo

tentant drsquoassurer leur laquo protection raquo dans les aleacuteas de leurs deacutemecircleacutes avec

lrsquoeacutecole les travailleurs sociaux les juges des enfants parfois

Dans plusieurs situations la vie familiale srsquoaccommode bon an mal

an du retrait scolaire de un ou plusieurs des enfants la scolariteacute de un

ou plusieurs aicircneacutes srsquoest arrecircteacutee agrave lrsquoacircge de 16 ans et les perspectives fami-

liales en matiegravere drsquoeacutecole sont plus porteacutees vers des eacutetudes courtes sanc-

tionneacutees ou non par un diplocircme professionnel que vers des eacutetudes longues

Le savoir scolaire nrsquoest pas valoriseacute en tant que tel et lrsquoeacutecole est veacutecue

comme un lieu de formation permettant drsquoacceacuteder rapidement agrave un

emploi Lorsque les reacutesultats scolaires du jeune et les incidents au collegravege

rendent cette perspective peu creacutedible la famille envisage alors un retrait

de lrsquoeacutecole degraves lrsquoacircge de 16 ans conseillant agrave lrsquoenfant de laquo se tenir agrave carreau raquo

drsquoici lagrave afin de ne pas srsquoattirer les reproches et les interventions nombreu-

ses des acteurs scolaires Une fois atteint lrsquoacircge de 16 ans on parle alors

de laquo trouver un bon apprentissage raquo au jeune afin de lui permettre de tra-

vailler rapidement Cette perspective est drsquoautant plus affirmeacutee qursquoexistent

dans la famille des personnes qui travaillent ou ont travailleacute dans un passeacute

reacutecent et qui peuvent ecirctre porteuses de cette ideacutee de processus de forma-

tion Lrsquoinfluence des travailleurs sociaux est par ailleurs notable dans les

discours mentionnant un laquo projet professionnel raquo alternatif agrave lrsquoeacutecole

Seules deux familles dont les deux parents travaillent ont mis en

place elles-mecircmes une issue agrave la deacutescolarisation de leur enfant en obte-

nant une deacuterogation pour une entreacutee en apprentissage avant 16 ans sans

passer par lrsquointermeacutediaire de travailleurs sociaux

Dans lrsquoensemble dans aucune des situations eacutetudieacutees on nrsquoa pu

observer des interactions efficaces entre les parents et lrsquoeacutetablissement

scolaire les familles globalement peu creacutedibles dans les repreacutesentations

des acteurs scolaires sont encore plus deacutevaloriseacutees quand elles sont en

situation de vulneacuterabiliteacute ou de pauvreteacute Agrave leur tour elles voient les

acteurs scolaires comme deacutesagreacuteables et peu efficaces porteurs drsquoinjonc-

tions irreacutealisables agrave lrsquoexception de certains (assistants sociaux principale-

ment) qui sont consideacutereacutes comme bienveillants et faisant tout leur possible

pour faire revenir lrsquoenfant au collegravege sans que cela corresponde agrave une

eacuteventualiteacute raisonnablement envisageable et reacutealisable par la famille

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554 LES TRAVAILLEURS SOCIAUX

(Agrave LrsquoINTEacuteRIEUR ET Agrave LrsquoEXTEacuteRIEUR DES COLLEgraveGES)

Les assistants sociaux scolaires jouent un rocircle cleacute dans le suivi des jeunes

en risque de deacutescolarisation ou dans lrsquointervention aupregraves drsquoeux quand

lrsquoarrecirct de scolariteacute est effectif car ils peuvent se rendre au domicile de la

famille et ne sont pas investis drsquoune mission peacutedagogique par rapport agrave

lrsquoeacutelegraveve Ils se situent dans un champ de relation plus laquo libre raquo et moins

stigmatisant pour le jeune et sa famille qui peuvent mettre en avant des

eacuteleacutements explicatifs ou justificatifs de lrsquoarrecirct de scolariteacute qui ne seraient

pas entendus par les autres agents scolaires Les familles sont par ailleurs

pour la plupart habitueacutees agrave recevoir ou agrave cocirctoyer des travailleurs sociaux

assistants sociaux en particulier dans une relation drsquoassistance et de controcircle

Les relations entre les assistants sociaux et les enseignants sont mar-

queacutees par un fort cloisonnement lorsqursquoils assurent le suivi social des

eacutelegraveves dans les collegraveges celui-ci se fait sans lien avec les interactions dans

les classes La question du secret professionnel reste entiegravere des ensei-

gnants adressent des eacutelegraveves au service social et ont quelquefois peu de

laquo retours raquo de ces interventions ils meacuteconnaissent des eacuteveacutenements graves

arrivant aux eacutelegraveves et regrettent ensuite drsquoecirctre intervenus agrave contretemps

aupregraves drsquoeux du fait de ces meacuteconnaissances Les personnels sociaux des

eacutetablissements maintiennent de leur cocircteacute la confidentialiteacute de nombre de

donneacutees par souci du respect de la vie priveacutee des eacutelegraveves et de leurs

familles et par crainte drsquoutilisations intempestives de ces informations Ces

mecircmes craintes existent drsquoailleurs aussi entre enseignants De fait les

intervenants sociaux ont plus de latitude pour intervenir aupregraves des

familles et tenter de modifier la probleacutematique familiale plutocirct que les

interactions qui se deacuteroulent ou se sont deacuterouleacutees au collegravege Leur forma-

tion les entraicircne aussi sans doute plus du cocircteacute de la relation parents-

enfants que des acquisitions scolaires ou des relations avec les enseignants

Par ailleurs les travailleurs sociaux insistent sur la mise en place de

laquo projets raquo qui se heurtent agrave la preacutecariteacute des conditions de vie faisant

justement obstacle agrave la construction de ces projets En outre si les enfants

deviennent plus qualifieacutes que leurs parents ils peuvent vivre des conflits

de loyauteacute qui remettraient en cause lrsquoeacutequilibre familial drsquoougrave des attitudes

de repli freacutequemment observeacutees et des laquo mises en eacutechec raquo de projets

construits autour de formations proposeacutees aux jeunes Lorsque les actions

dans les eacutetablissements scolaires ont eacutechoueacute agrave maintenir lrsquoeacutelegraveve dans le

milieu scolaire les solutions laquo sociales raquo prennent le relais en maintenant

un lien avec les familles et en eacutevitant un enclavement plus important pour

les familles les plus isoleacutees

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146 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

56 LE CAS DE PATRICK

Patrick est acircgeacute de 15 ans au moment ougrave nous le rencontrons chez lui avec

sa megravere et sa sœur aicircneacutee Il est le dernier drsquoune fratrie de sept enfants

Son pegravere est deacuteceacutedeacute il y a six ans Sa megravere employeacutee de collectiviteacute sur

Paris a arrecircteacute sa scolariteacute agrave la fin du cycle primaire Elle a deacutemeacutenageacute drsquoune

ville de la banlieue parisienne vers Roubaix en juin 1999 Elle est agente

de service agrave la DDASS12 drsquoun deacutepartement limitrophe de Paris poste

qursquoelle a obtenu en se faisant connaicirctre tout drsquoabord comme laquo cliente raquo

des services sociaux Elle fera le deacuteplacement Roubaix-Paris et retour tous

les jours jusqursquoau deacutebut de 2001 peacuteriode agrave laquelle elle entame une seacuterie

de congeacutes maladie pour laquo deacutepression raquo selon sa propre expression Au

moment du deacutemeacutenagement Patrick terminait une sixiegraveme marqueacutee par

de tregraves mauvais reacutesultats scolaires

Sur le bulletin de fin de CM213 de Patrick on peut lire laquo Des reacutesultats

faibles dans lrsquoensemble ndash Des efforts cependant tregraves doueacute pour lrsquoEPS14

perspectives drsquoadaptation en 6e moyennes (demande pour 6e hand-

ball) raquo Il a effectivement un A (meilleure cateacutegorie) en EPS et des per-

formances entre B et C pour la lecture lrsquoexpression orale les meacutecanismes

opeacuteratoires de C pour lrsquoexpression eacutecrite le raisonnement les sciences

et la technologie lrsquohistoire-geacuteographie lrsquoeacuteducation civique et musicale

les arts plastiques et de D pour lrsquoorthographe Dans le domaine des compeacute-

tences transversales on peut lire laquo Comportement irreacutegulier respecte

lrsquoautoriteacute Valoriseacute par les matiegraveres sportives raquo

Lrsquoappreacuteciation de fin de premier trimestre de sixiegraveme en banlieue

parisienne indique laquo Travail et reacutesultats tregraves insuffisants Il faut reacuteagir tregraves

rapidement raquo Cette injonction est soutenue par un dispositif de soutien

interne au collegravege Lrsquoenseignant en charge de ce soutien indique laquo bondeacutebut raquo sur le mecircme bulletin Au deuxiegraveme trimestre on note quelques

absences non justifieacutees et une attitude laquo peacutenible et deacutesagreacuteable raquo laquo perturbatrice raquo

est signaleacutee par la majoriteacute des professeurs Lrsquoenseignant chargeacute du sou-

tien indique laquo Encourageant Il faudrait ne manquer aucune seacuteance raquo Patrick

reccediloit un avertissement laquo travail et conduite raquo Il est exclu une journeacutee de

lrsquoeacutetablissement aux motifs de laquo Refuse drsquoobeacuteir perturbe la classe tutoie le

professeur raquo La megravere de Patrick eacutecrit une lettre au principal pour accuser

reacuteception du courrier lui notifiant cette exclusion et srsquoexcuser elle-mecircme

du comportement de son fils

12 Direction deacutepartementale de lrsquoaction sanitaire et sociale

13 Cours moyen 2e anneacutee

14 Eacuteducation physique et sportive

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 147

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Au troisiegraveme trimestre Patrick est scolariseacute agrave Roubaix sans que

lrsquoenseignant chargeacute du soutien en soit preacutevenu car il indique sur un

bulletin par ailleurs vide de toute appreacuteciation laquo Nrsquoest plus venu ce trimestreIl y avait pourtant quelque chose agrave faire raquo Au troisiegraveme trimestre agrave Roubaix

on comptabilise quatre demi-journeacutees drsquoabsence non justifieacutees La moyenne

geacuteneacuterale est faible (79520) les appreacuteciations soulignent le sentiment de

laquo peu drsquoefforts peu de travail ensemble un peu timide raquo avec des appreacuteciations

positives en technologie et en sciences et vie de la terre laquo seacuterieux ensemblecorrect bien raquo Sur le bulletin scolaire du premier trimestre de lrsquoanneacutee 1999-

2000 on note laquo Trimestre catastrophique Aucun travail et attitude tregraves peacutenibleAvertissement travail et conduite raquo Aucun dispositif de soutien nrsquoest cette

fois-ci proposeacute agrave Patrick

Les deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres de cinquiegraveme se deacuteroulent en

banlieue parisienne dans le collegravege ougrave il a effectueacute sa sixiegraveme Patrick a

en effet refuseacute le deacutemeacutenagement de sa megravere et a obtenu drsquoecirctre logeacute chez

lrsquoun de ses fregraveres aicircneacutes dans la ville de banlieue parisienne ougrave il habitait

preacuteceacutedemment en laquo faisant le chantage raquo comme le dit son fregravere laquo Srsquoilrevenait agrave X il suivait lrsquoeacutecole raquo Les reacutesultats scolaires tregraves mauvais se com-

binent avec des incidents violents qui lrsquoopposent agrave des enseignants et agrave

drsquoautres eacutelegraveves ainsi qursquoavec de multiples absences De fait Patrick fait

partie drsquoune bande de jeunes garccedilons qui commencent agrave commettre des

actes deacutelinquants (vols agressions sur drsquoautres du mecircme acircge) dans la citeacute

ougrave il habitait avec sa megravere

Le chef drsquoeacutetablissement connaicirct bien Patrick et sa famille (sa sœur

aicircneacutee a suivi sa scolariteacute dans ce mecircme collegravege) Il approuve au cours de

lrsquoentretien le choix de la megravere de Patrick laquo Ccedila permettait de couper Patrickde le couper des copains et des gangs dans lesquels il commenccedilait agrave srsquointeacutegrer raquo Il

a repeacutereacute chez Patrick un laquo gros gros problegraveme affectif [hellip] le gamin pas contentquand on lrsquoaime pas raquo Par ailleurs le principal et lrsquoeacutequipe de direction

travaillaient agrave laquo remettre de lrsquoordre raquo dans le collegravege laquo Patrick quand il estarriveacute eacutetait porteur des mecircmes problegravemes que lrsquoeacutetablissement raquo Le jeune garccedilon

fait alliance avec drsquoautres eacutelegraveves dont les comportements sont proches des

siens et les retrouve degraves son retour Il fait partie drsquoune cinquiegraveme agrave domi-

nante sportive ougrave il se signale par une absence de travail et 33 demi-

journeacutees drsquoabsence au troisiegraveme trimestre ponctueacute par cette appreacuteciation

laquo Bilan catastrophique Vous nrsquoecirctes pas motiveacute par lrsquoenseignement geacuteneacuteral Patienteztravaillezhellip pour pouvoir construire un projet Conseil 4e aide et soutien raquo

La vie familiale de son fregravere aicircneacute est perturbeacutee par la preacutesence de

ce jeune qui est agrave peine plus acircgeacute que lrsquoaicircneacute de ses neveux et reacuteclame de

sortir tard le soir en refusant lrsquoautoriteacute de son fregravere Une bagarre avec un

autre fregravere met un terme agrave la cohabitation en banlieue parisienne et

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148 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Patrick reacuteintegravegre le domicile de sa megravere agrave Roubaix Les contacts sont

coupeacutes entre le fregravere aicircneacute et sa megravere celui-ci reprochant agrave cette derniegravere

drsquoecirctre trop faible avec le plus jeune dont il constate qursquoil domine sa megravere

Il met un coup de pression et il aura ce qursquoil veut elle cegravede et elle lui donnetout ce qursquoil veut Depuis que mon pegravere est mort il nrsquoy a plus cette poigne[hellip] Avec moi il y avait le respect Avant je disais six heures et il eacutetait lagraveagrave six heures [hellip] Quand il mettait la musique trop fort je lui disaisdrsquoarrecircter une fois deux fois et je coupais les plombs Je lrsquoai vu faire avecsa megravere quand elle lui refuse quelque chose il va dans sa chambre il metla musique agrave fond Elle gueule il fait ce qursquoil veut Elle va dans sachambre il pourrait lever la main sur elle Alors elle redescend

Lrsquoinfluence du groupe de pairs et lrsquoattirance qursquoil exerce sur Patrick

sont aussi souligneacutees par son fregravere aicircneacute Patrick est envoyeacute au Portugal

pays drsquoorigine de ses parents dans le courant du premier trimestre 2000-

2001 pour une laquo mise au vert raquo visant aussi agrave soulager la famille la megravere

en particulier

De retour agrave la fin de deacutecembre 2000 agrave Roubaix Patrick refuse drsquoaller

au collegravege exigeant de retourner en banlieue parisienne afin de retrouver

ses laquo copains raquo Les bulletins des deuxiegraveme et troisiegraveme trimestres sont

vides drsquoappreacuteciations (75 demi-journeacutees drsquoabsences non justifieacutees au troi-

siegraveme trimestre) et le commentaire final est laquo Eacutelegraveve fantocircme raquo En dessous

hors cadre on peut lire laquo Attention Obligation scolaire jusqursquoagrave 16 ans raquo (sou-

ligneacute deux fois)

Patrick instaure un rapport de force avec sa megravere il exige qursquoelle

lui donne de lrsquoargent pour ses deacutepenses personnelles met la musique agrave

fond quand elle veut lui reacutesister manifeste lors de lrsquoentretien une absence

drsquoempathie agrave son eacutegard et une insouciance pour son avenir professionnel

qui accentuent les pleurs et le deacutesarroi de cette derniegravere

Patrick Jrsquopeux rester comme ccedila jusqursquoagravehellip

Megravere Ben tu peux pas rester jusqursquoagrave agrave rien faire toute ta viehellip

Patrick Eh ben alors deacutemeacutenage deacutemeacutenage

Megravere Ah non Je ne deacutemeacutenage pas non

Patrick Si tu ne deacutemeacutenages pas je vais pas agrave lrsquoeacutecole ici

Megravere Je vais pas deacutemeacutenager pour toi hein

Patrick Et moi je ne vais pas aller agrave lrsquoeacutecole pour toi Moi jrsquoy vais pasici Crsquoest clair Ni travailler ni agrave lrsquoeacutecole ni agravehellip je vais pas aller agrave lrsquoeacutecolepour toi

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 149

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Tous les propos eacutechangeacutes entre Patrick et sa megravere sont de cette

teneur le jeune garccedilon regarde sa megravere et crie celle-ci pleure et tente

drsquoargumenter

La famille considegravere que lrsquoeacutecole ne lrsquoa pas aideacutee Le fregravere aicircneacute men-

tionne des reacuteflexions indeacutelicates drsquoenseignants en reacutegion parisienne la

sœur aicircneacutee commente ainsi une expression lue sur le bulletin du troisiegraveme

trimestre 2000-2001 laquo Ils marquent mecircme ldquoenfant fantocircmerdquo Crsquoest mecircme agrave sedemander si crsquoest pas de la moquerie parce qursquoon sait tregraves bien qursquoil va pas agrave lrsquoeacutecoleou ils savent tregraves bien les problegravemes qursquoon a ethellip marquer ce genre de choses sur lesbulletins crsquoest pas vraiment ce qursquoon a envie de voir ou de recevoir agrave la maison raquo

Une deacutecision drsquoorientation vers la classe-relais de Roubaix est prise

dans le courant de lrsquoanneacutee 2000-2001 Agrave cette occasion lrsquoassistante sociale

scolaire et une eacuteducatrice de la Protection judiciaire de la jeunesse se

rendent plusieurs fois au domicile de Patrick pour le rencontrer Le jeune

garccedilon dispose drsquoune chambre en haut drsquoun escalier et les intervenantes

parlementent plusieurs fois derriegravere la porte pour le faire sortir ce qui

semble laquo anormal raquo aux membres de la famille Par ailleurs Patrick ratera

de nombreux rendez-vous avec lrsquoeacuteducatrice et refusera entre autres de

travailler avec cette derniegravere sur la situation familiale laquo Alors jrsquoavais proposeacutedrsquoautres choses que lrsquoeacutecole [hellip] Mais non crsquoeacutetait non non non non non [hellip]

trois jours apregraves jrsquoavais pris un rendez-vous pour la journeacutee portes ouvertes delrsquoapprentissage en geacuteneacuteral il nrsquoeacutetait pas lagrave Je nrsquoai rien fait rien rien rien aveclui [hellip] crsquoest rarissime raquo

Patrick campe sur ses positions et tout se passe comme si plusieurs

adultes qursquoils soient de sa famille ou exteacuterieurs tentaient de le convaincre

de reprendre une scolariteacute alors qursquoaucune neacutecessiteacute eacuteconomique ou

autre ne le pousse agrave se mobiliser Sa megravere dit elle-mecircme qursquoelle est obli-

geacutee de le nourrir et qursquoelle est deacutepasseacutee par la situation Patrick semble

prendre exemple sur les violences exerceacutees par son pegravere et son fregravere aicircneacute

dans leur propre famille et agrave son eacutegard en les reportant aujourdrsquohui sur

sa megravere pour la faire ceacuteder Ce renversement de situation lrsquoadolescent

balayant lrsquoautoriteacute chancelante de sa megravere pour prendre le pouvoir est

renforceacutee par la logique de bande dans laquelle il est engageacute elle forme

sa reacutefeacuterence principale avant sa famille

Cette reacutefeacuterence primordiale est drsquoailleurs remarqueacutee par les membres

de la famille sa megravere en particulier qui srsquoinquiegravete de lrsquoinfluence des

copains sur son fils et de leurs trajectoires plusieurs drsquoentre eux sont

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150 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

incarceacutereacutes au quartier des mineurs agrave Fleury-Meacuterogis15 situation banaliseacutee

par Patrick qui dit souhaiter ecirctre avec eux plutocirct qursquoagrave Roubaix Quant au

parcours scolaire il en eacutetait deacutejagrave eacuteloigneacute lors de son deacutemeacutenagement

lrsquoanneacutee de sixiegraveme ayant drsquoailleurs eacuteteacute tregraves perturbeacutee au dire du principal

du collegravege de banlieue parisienne La fonction de lrsquoeacutecole est assez utilitaire

dans cette famille ougrave les eacutetudes longues ne sont pas une norme Le grand

fregravere de Patrick lui a drsquoailleurs conseilleacute de faire laquo profil bas raquo en attendant

la fin de la troisiegraveme et une formation en apprentissage Sa sœur aicircneacutee

acircgeacutee de 19 ans a arrecircteacute ses eacutetudes agrave 16 ans Elle est megravere drsquoun beacutebeacute drsquoun

an et a suivi sa megravere dans le Nord Elle se rend reacuteguliegraverement en reacutegion

parisienne pour rencontrer le pegravere de lrsquoenfant avec lequel elle a eu un

temps le projet de prendre un appartement Son jeune fregravere a alors

formuleacute le souhait de venir srsquoinstaller avec eux agrave deacutefaut de forcer sa megravere

agrave redeacutemeacutenager

La situation eacutetait bloqueacutee en juin 2001 Patrick refusant de rencon-

trer les intervenants sociaux qui se preacutesentent au domicile Lrsquoeacuteducatrice

prend alors la deacutecision drsquoun signalement au juge assorti drsquoune proposi-

tion de placement consideacuterant que les rocircles familiaux sont quasi inverseacutes

entre la megravere et son fils lesquels sont aussi laquo en danger raquo lrsquoun que lrsquoautre

Patrick quitte Roubaix dans le courant de lrsquoeacuteteacute et drsquoapregraves lrsquoeacuteducatrice

retourne chez son fregravere pour eacutechapper au placement avec lrsquoaccord de sa

megravere Au mois de septembre 2001 cette derniegravere fait parvenir au collegravege

de Roubaix une attestation indiquant que lrsquoadolescent est confieacute agrave sa sœur

et habite avec elle en reacutegion parisienne Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2002 la

sœur enceinte de son deuxiegraveme enfant est de retour agrave Roubaix dans

lrsquoappartement familial Patrick restant en reacutegion parisienne Il nrsquoa repris

agrave ce jour aucune scolariteacute

Se conjuguent ici une probleacutematique scolaire avec un niveau scolaire

tregraves bas et une non-perception des eacutetudes comme porteuses de projet

professionnel une logique deacutelinquante marqueacutee par une preacutedominance

du groupe des pairs et une sociabiliteacute juveacutenile deacutejagrave enclaveacutee une absence

de controcircle familial et parental lieacutee aux difficulteacutes de chaque membre de

la famille et agrave lrsquoeacutequilibre preacutecaire des relations agrave lrsquoimage de la preacutecariteacute

des ressources et des incertitudes qui jalonnent le quotidien Les injonc-

tions de lrsquoeacutetablissement scolaire nrsquoont aucune prise sur la famille qui le

tient en piegravetre estime (aucune aide veacuteritable ne lui est reconnue) et a

fortiori sur le jeune qui eacutevolue dans un autre systegraveme de reacutefeacuterences La

famille redoute en mecircme temps les deacutecisions comme un placement qui

enteacuterineraient lrsquoabsence de controcircle de sa part sur lrsquoadolescent

15 Maison drsquoarrecirct en banlieue Sud de Paris

ARREcircTS DE SCOLARITEacute ET DEacuteLINQUANCE 151

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CONCLUSION

Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale autour des situations de deacutescolarisation on note

une pluraliteacute drsquointervenants qui se coordonnent peu voire ne se connaissent

pas et travaillent dans des optiques diffeacuterentes retour en classe travail

autour de la famille perspective drsquoun placement stage preacutequalifianthellip Les

uns et les autres attribuant agrave des sources diffeacuterentes les causes des difficul-

teacutes eacuteprouveacutees par le jeune ou causeacutees par lui sources consideacutereacutees en geacuteneacute-

ral comme exteacuterieures agrave leur propre action Chaque partie (famille jeunes

agents institutionnels) eacutevolue dans une logique qui lui est propre meacutecon-

nue de lrsquoautre partie La perspective drsquoeacutetudes geacuteneacuterales suivies sans succegraves

dans un contexte disciplinaire veacutecu comme conflictuel par les eacutelegraveves et

leurs professeurs incite agrave laquo chercher du travail raquo rapidement et agrave aban-

donner un cursus scolaire qui apparaicirct inutile et constamment frustrant

en tentant de passer immeacutediatement agrave un statut laquo adulte raquo (recherche

drsquoemploi ou prise de deacutecision autonome entre autres) dans un contexte

eacuteconomique marqueacute par la preacutecariteacute chez les cateacutegories sociales les moins

armeacutees sur le marcheacute de lrsquoemploi Mais lrsquoabsence de perspectives profes-

sionnelles et de possibiliteacutes de formation pour de tregraves jeunes garccedilons et

filles non qualifieacutes rend aleacuteatoires ces solutions alternatives fragilisent les

eacutequilibres familiaux et exposent les adolescents aux risques drsquoisolement

de repli sur soi ou de deacuteveloppement drsquoactiviteacutes deacutelinquantes

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LE DEacuteLINQUANT COMME PRODUIT DE LA DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES

Lrsquoeacuteclairage de lrsquoapproche

biographique

C

EacuteCILE

C

ARRA

CESDIPIUFM Nord-Pas-de-Calais

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154

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

La deacutelinquance juveacutenile apparaicirct en France comme un veacuteritable problegraveme

de socieacuteteacute preuve en serait lrsquoeacutevolution des statistiques officielles Ce

pheacutenomegravene suscite une profusion de discours de mises en garde de

recommandations Il occupe une place privileacutegieacutee dans le deacutebat politique

les meacutedias les colloques les discours ordinaires La deacutelinquance juveacutenile

est donc un sujet massivement traiteacute sur la scegravene publique Pour autant

sait-on qui sont ces laquo jeunes raquo au centre des deacutebats tout comme de lrsquoatten-

tion judiciaire Que connaicirct-on preacuteciseacutement de leur comportement et de

leurs motivations Qursquoen est-il de leurs familles qui tendent agrave ecirctre deacutesi-

gneacutees comme seules responsables de leurs actes (Mucchielli 2000) Quels

sont les effets du suivi judiciaire sur ces jeunes et sur leur famille Nom-

breux sont les travaux scientifiques franccedilais sur la deacutelinquance juveacutenile

mais ils portent davantage sur le systegraveme de prise en charge que sur les

populations suivies Selon Renouard (1995) la recherche franccedilaise a

mecircme deacutelaisseacute ce champ drsquoinvestigation

Cette orientation traditionnelle drsquoune partie de la recherche fran-

ccedilaise srsquoexplique notamment par des raisons de meacutethode ndash absence de

donneacutees disponibles difficulteacutes drsquoaccegraves au terrain Ceux qui srsquoy sont

essayeacutes savent combien il est difficile drsquoapprocher ces populations combien

lrsquoimmersion dans leur milieu de vie est longue et ardue Entrer en contact

se faire accepter connaicirctre leur milieu de vie sont pourtant des conditions

si ce nrsquoest suffisantes du moins incontournables pour tenter de comprendre

laquo de lrsquointeacuterieur raquo comment se constitue cette deacutelinquance qui apparaicirct

dans lrsquoactualiteacute sous la forme de laquo bandes de jeunes raquo et de laquo quartiers

sensibles raquo ces cateacutegories constituant le prisme agrave travers lequel la deacutelin-

quance juveacutenile est communeacutement appreacutehendeacutee Il ne srsquoagit donc pas ici

de traiter de la deacutelinquance en geacuteneacuteral mais de celle des mineurs issus

de milieux populaires dont les familles reacutesident dans des zones stigma-

tiseacutees Le questionnement poseacute les reacutesultats ne prendront sens qursquoen les

resituant dans ce cadre ce contexte speacutecifique

La citeacute des laquo 804 raquo quartier populaire drsquoune ville de moyenne impor-

tance de lrsquoEst de la France est qualifieacutee par les meacutedias de laquo zone de non-

droit raquo Parmi ses 1200 habitants nombreux sont ceux qui vivent ce lieu

comme inseacutecure et stigmatisant de nombreuses opeacuterations conduites

notamment dans le cadre de la Politique de la Ville tentent de changer

cette image Si les causes et les solutions proposeacutees par les diverses cateacute-

gories drsquoacteurs sont diffeacuterentes voire opposeacutees tous sont unanimes pour

deacutesigner les jeunes de la citeacute comme eacutetant les principaux responsables des

problegravemes locaux Ce sont certains de ces jeunes qui sont au centre de

cette recherche Ils ont comme point commun drsquoavoir appartenu agrave un

mecircme groupe de pairs ayant pris aux yeux des habitants et des acteurs

institutionnels la forme souterraine et dangereuse drsquoune bande Ces jeunes

DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES

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ont par ailleurs tous eacuteteacute condamneacutes par la justice des mineurs et suivis

dans le cadre du service eacuteducatif aupregraves du tribunal (SEAT)

1

Les carac-

teacuteristiques socioeacuteconomiques de ces enquecircteacutes correspondent agrave celles des

mineurs suivis au peacutenal par le SEAT fils drsquoouvriers ou de chocircmeurs dont

lrsquoacircge est compris entre 16 et 21 ans releacutegueacutes sur le plan socioscolaire

(enseignement et institutions speacutecialiseacutes) et professionnel (chocircmage dis-

positif drsquoinsertion)

Traiter de la deacutelinquance juveacutenile en prenant pour population des

jeunes habitant qui plus est dans des quartiers dits sensibles neacutecessite

quelques preacutecautions Toute deacutelinquance nrsquoest pas le fait de laquo jeunes raquo

tout jeune deacutelinquant nrsquohabite pas dans un quartier populaire tout quar-

tier populaire ne geacutenegravere pas de la deacutelinquance Rappelons avec Bachmann

(1994) que laquo Pas plus que les jeunes les ldquoquartiersrdquo ne sont un objet

scientifique construit raquo Dans ce domaine toute geacuteneacuteralisation est men-

songegravere Telle banlieue est calme et paisible telle autre est une chaudiegravere

sous pression Il est donc aberrant de chercher lagrave un principe unificateur

permettant de cerner agrave lui seul lrsquoensemble des conduites des jeunes

de banlieues

61 LrsquoAPPROCHE BIOGRAPHIQUE POUR COMPRENDRE

LA CONSTRUCTION DE CARRIEgraveRES DEacuteLINQUANTES

Parmi les principales perspectives theacuteoriques de la deacutelinquance juveacutenile

certaines utilisent questionnaires et entretiens preacuteconstruits et preacutecodeacutes

pour objectiver le deacutelinquant en tendant agrave lrsquoenfermer dans une seacuterie de

facteurs laquo biopsychosocioculturels raquo drsquoautres centrent leur attention sur

le fonctionnement des institutions consideacuterant le plus souvent le deacutelin-

quant comme une laquo cire molle faccedilonneacutee par le jeu des structures raquo (Dubet

1987) Comment alors appreacutehender lrsquoacteur ses pratiques et le sens qursquoil

leur donne Comment comprendre la constitution de son parcours

Lrsquoapproche biographique redeacutecouverte en France gracircce aux travaux

de Bertaux (1980) apparaicirct comme lrsquoune des deacutemarches les plus perti-

nentes pour pouvoir reacutepondre agrave ce type de questionnement Suivre la

transformation progressive des attitudes face aux eacuteveacutenements auxquels il

se confronte et acceacuteder agrave une expeacuterience sociale laquo vue de lrsquointeacuterieur raquo laquo agrave

la deacutefinition de la situation raquo par lrsquoacteur lui-mecircme tel est lrsquoobjectif de

cette recherche agrave lrsquoinstar de ce qui est devenu le souci central de la

1 Ce service a pour mission principale la mise en œuvre des deacutecisions de justice au titrede lrsquoenfance deacutelinquante il deacutepend de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

perspective interactionniste (de Queiroz 1994)

2

Il srsquoagit drsquoanalyser lrsquoexpeacute-

rience subjective de lrsquoindividu expeacuterience conccedilue ici comme la reacutesultante

drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions eacutetant agrave penser

comme un processus de neacutegociation Ce processus loin drsquoecirctre lineacuteaire

est au contraire ponctueacute de laquo passages statutaires raquo marqueacute par des

laquo accidents biographiques raquo qui creacuteent des ruptures (lrsquoexclusion scolaire

une condamnationhellip)

Le point de vue de lrsquoacteur bien qursquoimportant ne suffit pas pour

comprendre globalement une situation encore faut-il le replacer au sein

des rapports sociaux ce point de vue eacutetant dans une certaine mesure la

reacutesultante drsquoun reacuteseau interrelationnel lui-mecircme inseacutereacute dans une socieacuteteacute

ineacutegalitaire Autrement dit ce point de vue est ici consideacutereacute comme sinon

le reflet du moins la reacutesultante ou la maniegravere de reacuteagir agrave une histoire qui

srsquoest constitueacutee dans et agrave travers le social Pour rejoindre Balandier (1983)

lrsquolaquo objectif [ de la biographie ] est drsquoacceacuteder [ par lrsquointeacuterieur ] agrave une reacutealiteacute

qui deacutepasse le narrateur et le faccedilonne Il srsquoagit de saisir le veacutecu social le

sujet dans ses pratiques dans la maniegravere dont il neacutegocie les conditions

sociales qui lui sont particuliegraveres raquo

La dimension diachronique permet de comprendre comment lrsquoon

devient deacutelinquant laquo comment les habitudes les attitudes et la philoso-

phie de vie qui sous-tendent les actes deacutelinquants se sont construites pro-

gressivement agrave travers les expeacuteriences sociales successives du deacutelinquant

durant un certain nombre drsquoanneacutees raquo (Shaw 1931 p 13) Elle contribuera

agrave deacutemontrer que les actes deacutelinquants proviennent moins de processus

pathologiques que de processus normaux les individus se transforment

par eacutetapes successives agrave la suite des interrelations propres au milieu et

avec les autres et de laquo choix raquo successifs veacutecus par eux (Digneffe 1989)

Si cette deacutemarche deacutecoule plus drsquoun choix imposeacute par la speacutecificiteacute

du questionnement et de la probleacutematique de cette recherche que par des

preacutesupposeacutes ideacuteologiques et meacutethodologiques en faveur du laquo qualitatif raquo

et contre le laquo quantitatif raquo ces preacutesupposeacutes existent neacuteanmoins et doivent

ecirctre expliciteacutes Les deux principaux preacutesupposeacutes sur lesquels repose cette

approche consistent agrave reconnaicirctre lrsquoindividu comme un acteur ayant donc

une capaciteacute strateacutegique et son expeacuterience comme un savoir repreacutesentant

2 Notons avec ces auteurs que la notion de biographie est preacutesente dans le travail socio-logique degraves les deacutebuts de lrsquoEacutecole de Chicago sous la forme des laquo histoires de vie raquo Troisauteurs ont marqueacute la production de lrsquoEacutecole de Chicago par lrsquousage de documentsautobiographiques W Thomas et F Znaniecki (dans

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Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile Natacha Brunelle et Marie-Marthe Cousineau (dir)13ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372N13

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de ce fait une valeur sociologique Si lrsquoindividu est un acteur dans le sens

ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passivement les effets

il est cependant conditionneacute par les structures sociales Produit des struc-

tures qursquoil contribue agrave produire voilagrave comment lrsquoindividu est conccedilu ici

La biographie permet de saisir cette double dimension de lrsquoindividu en

opeacuterant laquo la meacutediation de lrsquoacte agrave la structure de lrsquohistoire individuelle agrave

lrsquohistoire sociale en passant par un reacuteseau de meacutediations sociales qui sont

autant de lieux de tension entre individus et groupes sociaux placeacutes dans

des relations ineacutegalitaires et conflictuelles raquo (Ferrarotti 1990) Crsquoest lagrave que

reacuteside la valeur heuristique drsquoune telle approche

Srsquoappuyant sur la meacutethode biographique il srsquoagit de reconstituer le

processus de constitution de la deacutelinquance de chacun des six jeunes

individus qui ont accepteacute de participer agrave cette recherche Pour y parvenir

une soixantaine drsquoentretiens ont eacuteteacute reacutealiseacutes avec les jeunes leurs proches

(famille et pairs) et les professionnels qui ont eu agrave les suivre agrave un moment

donneacute (enseignants animateurs assistantes sociales eacuteducateurs magistrats)

drsquoautres donneacutees ont eacuteteacute extraites de documents institutionnels livrets et

bulletins scolaires dossiers de la mission locale ceux du centre drsquoorienta-

tion et drsquoaction eacuteducative (COAE) et du SEAT procegraves-verbaux dossiers

judiciaires

3

Lrsquoanalyse du mateacuteriau se rapportant agrave chacun des cas permet lrsquoiden-

tification de significations et de processus particuliers Leur comparaison

fait apparaicirctre des reacutecurrences des logiques drsquoaction semblables Leur

confrontation contribue agrave mettre au jour les configurations particuliegraveres

dans lesquelles ces logiques agissent Les donneacutees empiriques qui seront

restitueacutees mettent en eacutevidence de maniegravere archeacutetypique les meacutecanismes

agrave lrsquoœuvre dans le processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile Ils

renvoient de maniegravere transversale agrave deux dimensions ces deux dimen-

sions eacutetant eacutetroitement imbriqueacutees la construction identitaire de ces

mineurs les renvoyant agrave leur place au sein des rapports sociaux

3 Parvenir agrave associer les professionnels de la gestion de la deacuteviance a reacutesulteacute drsquoun pro-cessus long et complexe drsquointeractions entre des personnes qui avaient des inteacuterecirctsdivergents agrave la reacutealisation de ce travail agrave la connaissance qursquoil apporterait agrave la diffusionqui en serait faite Lrsquoaccegraves au terrain implique en effet le deacutevoilement de savoirs surdes populations savoirs qui sont sources de pouvoirs (voir plus loin la note 6 Quellesconseacutequences aurait cette divulgation de savoirs sur leurs pouvoirs pouvoirs de traite-ment de cateacutegories entiegraveres de la population Quelles conseacutequences aurait cette recher-che sur la repreacutesentation leacutegitime de la deacuteviance et de son traitement que chaqueinstitution tente drsquoimposer )

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

62 LA COCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute DE DEacuteLINQUANT

Agrave TRAVERS LA PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE

Lrsquoanalyse deacuteveloppeacutee ici ne rend pas compte de lrsquointeacutegraliteacute des meacutecanismes

de la deacutelinquance juveacutenile mais plutocirct drsquoun pheacutenomegravene preacutecis la cocons-

truction de lrsquoidentiteacute de deacutelinquant agrave travers la prise en charge institution-

nelle

4

Lrsquohistoire de vie de Slimane

5

et celle de Farid mettent en eacutevidence

le rocircle que peuvent jouer les reacutegulations institutionnelles dans le renfor-

cement du processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile et dans

la reproduction intrageacuteneacuterationnelle de ce pheacutenomegravene Ces effets srsquoils

ont pu ecirctre repeacutereacutes ici ne sont pas automatiques comme le montrent les

autres histoires de vie La probabiliteacute qursquoils se produisent est cependant

drsquoautant plus grande que le suivi judiciaire srsquoinscrit dans des configura-

tions particuliegraveres (spatiales familiales sociales eacuteconomiques et culturelles)

Lrsquohistoire de vie de Kamel montre ainsi le rocircle des reacutegulations sociales

geacuteneacuterales ndash par opposition aux reacutegulations speacutecialiseacutees dans la gestion de

la deacuteviance ndash dans la preacuteformation drsquoidentiteacutes neacutegatives et dans la

preacuteconstruction de parcours deacutelinquants

63 LA laquo PRODUCTION raquo DU DEacuteLINQUANT

Agrave 16 ans Slimane est incarceacutereacute pour la premiegravere fois Quelques mois plus tard

il est condamneacute agrave sept ans drsquoemprisonnement Comment expliquer le ren-

forcement du processus de constitution de la deacutelinquance du mineur alors

que le suivi institutionnel sera drsquoanneacutee en anneacutee de plus en plus important

631 D

E

LA

CONSTRUCTION

D

rsquo

UN

PARCOURS

DE

DEacuteLINQUANT

hellip

Agrave 12 ans Slimane comparaicirct pour la premiegravere fois pour vol devant un

juge des enfants Il est reconnu coupable Le processus formel de consti-

tution de la deacutelinquance juveacutenile vient de srsquoenclencher

6

Non seulement

il ne srsquoarrecirctera plus mais il ne cessera de se renforcer Se succegravedent alors

4 Lrsquoeacutetude des autres dimensions qui interviennent dans la construction de parcours deacutelin-quants notamment le rocircle de la famille des pairs et des habitants est deacuteveloppeacuteeailleurs C Carra

Deacutelinquance juveacutenile et quartiers laquo sensibles raquo histoires de vie

ParisLrsquoHarmattan coll laquo Deacuteviance et Socieacuteteacute raquo 2001

5 Les preacutenoms sont fictifs mais ils tiennent compte de lrsquoorigine culturelle des enquecircteacutes

6 Comme dans Chamboredon (1971) est ici distingueacute le processus informel de constitu-tion de la deacutelinquance juveacutenile du processus formel Le processus deacutebute de maniegravereinformelle dans lrsquoentourage du jeune (voisinage eacutecolehellip) qui le met progressivementagrave lrsquoeacutecart et le deacutesigne au soupccedilon des institutions de reacutepression de la deacutelinquance puisil se poursuit de faccedilon formelle avec les diverses institutions chargeacutees de deacutetecter jugerpunir et amender les jeunes deacutelinquants La police joue un rocircle central dans le passagede lrsquoun agrave lrsquoautre en intervenant agrave la suite de lrsquoinfraction et en la qualifiant

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infractions arrestations comparutions jugements condamnations Les

mesures judiciaires se succegravedent des mesures drsquoaction eacuteducative en milieu

ouvert agrave des peines drsquoemprisonnement en passant par la simple admones-

tation des placements en foyer de lrsquoenfance et en centre eacuteducatif des

peines drsquoemprisonnement avec sursis assorties ou pas drsquoune mise agrave

lrsquoeacutepreuve des mesures de liberteacute surveilleacutee

Cet itineacuteraire est marqueacute agrave la fois par des faits judiciairement deacutefinis

(vols simples vols avec effraction vols avec effraction et deacutegradations

volontaires vols avec effraction et reacuteunionhellip) et par une peacuteriodisation des

reacuteponses institutionnelles ougrave trois phases peuvent se distinguer une

peacuteriode de simple admonestation et de mesures eacuteducatives en milieu

ouvert une peacuteriode de placements eacuteducatifs et une peacuteriode drsquoincarceacutera-

tions Une telle gradation dans les pratiques institutionnelles agrave partir du

moment ougrave la police intervient et institue le mineur en tant que deacutelin-

quant en le deacutefeacuterant agrave lrsquoinstance judiciaire constitue lrsquoune des principales

caracteacuteristiques des parcours des mineurs multireacutecidivistes (Leacuteomant et

Sotteau-Leacuteomant 1987)

Cette trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation des mesures et par la

prise en charge institutionnelle de plus en plus totale apparaicirct comme

une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances de passer drsquoun

degreacute agrave lrsquoautre sans cesse rappeleacutees par les mises en garde des diffeacuterents

professionnels laquo

Agrave force agrave force tu vas pas aller tregraves loin

raquo dit Slimane para-

phrasant le discours du juge des enfants Les placements dont il fait lrsquoobjet

sont cependant loin drsquoecirctre banaliseacutes par le mineur

ndash

Je suis resteacute

[au centre eacuteducatif]

enfin deux ans Mais sur deux ansje suis pas resteacute deux ans je fuguais beaucoup je partais beaucoup

ndash Pourquoi tu partais

ndash

Comme ccedila parce que jrsquoen avais marre Ccedila mrsquoarrivait drsquoavoir le cafardhellipCrsquoest lrsquoentourage crsquoest lrsquoentourage que jrsquoaime pas et puishellip Je savais quecrsquoeacutetait pas un lieu ougrave je devais me trouver

Pour autant le mineur semble avoir inteacuterioriseacute lrsquoavenir auquel il

paraicirct promis laquo

De toute maniegravere je sais que crsquoest sucircr que je vais tomber dans letrou

7

raquo dit-il Une telle trajectoire influe sur lrsquoimage que lrsquoindividu a de

lui-mecircme et de ses perspectives drsquoavenir

Agrave la diffeacuterence drsquoune seacuterie de places ou de statuts deacutepourvus delien les statuts ordonneacutes drsquoune carriegravere influencent profondeacutementla repreacutesentation qursquoun individu a de lui-mecircme et particuliegraverementpar lrsquoavenir objectiveacute que repreacutesentent les statuts auxquels il est

7 Il nrsquoa alors encore jamais eacuteteacute incarceacutereacute

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

ou laquo paraicirct raquo promis La carriegravere deacutelinquante existe comme uneseacuterie drsquoeacutetablissements et de situations juridiques qui marquent desdegreacutes de deacutelinquance nettement deacutefinis dont lrsquoobjectivation estdrsquoautant plus complegravete et inscrite dans des traitements et deseacutetablissements deacutetermineacutes que lrsquoon se situe plus loin de la pre-miegravere eacutetape celle qui ne comporte qursquoune instruction rapide etse termine par une simple admonestation avec remise agrave la famille(Chamberodon 1971 p 371)

Les chances de passer drsquoun degreacute agrave un autre augmentent au fur et

agrave mesure que lrsquoon avance dans cette carriegravere Avec les placements se

multiplient les occasions drsquoentraicircnement et drsquoapprentissage au contact de

deacutelinquants plus expeacuterimenteacutes

[hellip]

quand je suis rentreacute

[au centre eacuteducatif]

ils croyaient enfin mesparents que je sortirais peut-ecirctre pas bien bien mais peut-ecirctre que jrsquoauraisappris un peu quelque chosehellip mais en fait je suis sorti jrsquoeacutetais pire quelagrave-bas parce que crsquoest pareil ils nous mettent tous ensemble on se retrouvelagrave-bas ils sont tous dans le mecircme cas que moi et puis on est encoreensemble crsquoeacutetait comme qursquoon eacutetait crsquoest pareil on se fait des copains crsquoesttoujours pareil on volait lagrave-bas

(Slimane)

Srsquoaccroissent simultaneacutement la surveillance et la seacuteveacuteriteacute du systegraveme

de justice peacutenale Les incarceacuterations se preacutesentent comme une conseacute-

quence du parcours qui preacutecegravede le mineur tout en semblant sans cesse le

devancer Ce parcours prend la forme drsquoune veacuteritable carriegravere de deacutelin-

quant ndash au sens de Becker (1963) ndash et ce malgreacute un appareillage institu-

tionnel du mineur et de sa famille de plus en plus important dont lrsquoobjectif

annonceacute est de mettre fin agrave une telle carriegravere

Dire avec Foucault (1975) que laquo [le] deacutelinquant est un produit drsquoins-

titution Inutile par conseacutequent de srsquoeacutetonner que dans une proportion

consideacuterable la biographie des condamneacutes passe par tous ces meacutecanismes

et eacutetablissements dont on feint de croire qursquoils eacutetaient destineacutes agrave eacuteviter la

prison raquo crsquoest reconnaicirctre qursquoil existe des tendances lourdes La trajectoire

de Slimane est caracteacuteristique des trajectoires types qui conduisent les

individus depuis les niveaux drsquoinclusion repreacutesenteacutes par les groupes pri-

maires vers les agences speacutecialiseacutees eacutemanant du pouvoir drsquoEacutetat et cela agrave

travers un certain nombre drsquoordres intermeacutediaires qui balisent de faccedilon

systeacutematique ce type de trajet

Le parcours du mineur nrsquoest pas pour autant la reacutesultante drsquoune

volonteacute partageacutee entre les diffeacuterents intervenants institutionnels Multiples

sont leurs logiques drsquoaction Conflictuelles peuvent ecirctre les interactions

[hellip]

il a eacuteteacute mis en examen et crsquoest lagrave donc ougrave avec Mme L

[juge desenfants]

on a reacuteclameacute la mise en deacutetention Moi je ne parlais pas demise en deacutetention je parlais de coup de semonce parce qursquoil fallait qursquoil

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arrecircte de nous prendre pourhellip pour des rigolos

[hellip]

Le problegraveme crsquoestqursquoon srsquoest trouveacute devant un juge deacuteleacutegueacute qui a dit de toute faccedilon a priorije ne mets pas des mineurs de 16 ans en maison drsquoarrecirct mais de toutefaccedilon crsquoest un gosse Donc voyant ccedila Slimane de toute faccedilon ahellip a joueacuteson va-tout (eacuteducateur du SEAT)

Conflits de pratiques qui se justifient les unes par la connaissance

du laquo cas raquo les autres par le respect de la politique peacutenale conflits aussi de

pouvoir entre professionnels occupant une position hieacuterarchique diffeacuterente

au sein de lrsquoinstitution judiciaire mais aussi confrontation de temporaliteacutes

diffeacuterentes logique du court terme pour lrsquoeacuteducateur qui doit agir rapide-

ment lorsqursquoun problegraveme se preacutesente logique du moyen et du long terme

pour le juge qui entend faire respecter lrsquoorientation de la politique peacutenale

Ces temporaliteacutes diffeacuterentes rendent difficile une coordination des actions

drsquoautant plus difficile que ces actions impliquent non seulement des pra-

tiques diversifieacutees mais aussi une vision du monde diffeacuterente un systegraveme

de repreacutesentations divergent Crsquoest ce qui explique aussi que des reacuteponses

contradictoires sont proposeacutees par les professionnels de terrain contra-

dictions si souvent releveacutees par ces mecircmes professionnels

Cette difficulteacute de travailler ensemble paraicirct aussi attibuable au poids

des enjeux de pouvoir Comment comprendre autrement la reacuteticence agrave

eacutechanger les savoirs entre acteurs savoirs accumuleacutes sur les mecircmes

publics issus des mecircmes terrains Lrsquoexplication qursquoen donnent certains

est la parcellarisation des connaissances et leur destination agrave usage interne

Drsquoautres en appellent au devoir de reacuteserve au secret professionnel ou

deacuteontologique Le secret dit Enriquez (1983) est consubstantiel au savoir

et comme Foucault (1975) le montre le savoir est correacutelatif du pouvoir

dans notre type de socieacuteteacute

8

Derriegravere le secret professionnel ou deacuteontolo-

gique il peut srsquoagir moins de laquo proteacuteger raquo des publics en refusant de divul-

guer le savoir que lrsquoon a accumuleacute sur eux que de proteacuteger sa position

dans le champ protection qui passe par la reacutetention de savoirs speacutecifiques

et sur lesquels se fonde le pouvoir des acteurs

Certains invoqueront lrsquoatomisation des publics en fonctions colleacute-

giens jeunes en difficulteacute deacutelinquants juveacutenileshellip Cette atomisation des

publics en fonctions ou plutocirct cette cateacutegorisation constitue la base sur

laquelle repose la leacutegitimiteacute drsquointervention des institutions et associations

Elle permet le partage entre les diffeacuterentes organisations du mecircme public

consideacutereacute comme une clientegravele speacutecifique Crsquoest aussi ce qui permet agrave une

8 Foucault (1975 p 32) explique en effet laquo qursquoil nrsquoy a pas de relation de pouvoir sansconstitution correacutelative drsquoun champ de savoir ni de savoir qui ne suppose et constitueen mecircme temps des relations de pouvoir raquo

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

multitude drsquoinstitutions drsquointervenir aupregraves drsquoune mecircme famille Dans la

citeacute des laquo 804 raquo la concurrence pour controcircler le marcheacute est drsquoautant plus

vive entre les professionnels qursquoils sont de plus en plus nombreux agrave exercer

en ce lieu

Ces temporaliteacutes institutionnelles srsquoopposent aussi agrave la temporaliteacute

propre des mineurs pris en charge celle du moment qui refuse laquo la pro-

messe des plaisirs diffeacutereacutes et diffeacuterents en eacutechange du renoncement immeacute-

diat agrave des plaisirs directement ou immeacutediatement sensibles raquo (Bourdieu

1972 p 209) Opposition entre la logique institutionnelle de la continuiteacute

et la logique individuelle de la discontinuiteacute Cette logique du mineur

constitue pour les professionnels la principale cause de lrsquoeacutechec de la prise

en charge Le jeune est resteacute selon eux laquo

insaisissable

raquo toujours laquo

opposeacute

raquo

agrave leurs actions pour reprendre des termes qui traduisent le mieux

lrsquoimpression qui leur reste de Slimane Crsquoest drsquoailleurs parce que les pro-

fessionnels ne reacuteussissent pas agrave imposer la temporaliteacute qui caracteacuterise leur

institution que la prison leur apparaicirctra finalement comme la meilleure

solution pour parvenir agrave imposer un autre temps au mineur en lrsquooccurrence

le temps carceacuteral auquel il est difficile drsquoeacutechapper

Ces logiques individuelles professionnelles institutionnelles de

lrsquourgence du court moyen et long terme de la discontinuiteacute et de la

continuiteacute sous-tendues par des pratiques et des repreacutesentations speacuteci-

fiques recouvrant elles-mecircmes des enjeux divergents se croisent srsquoentre-

croisent se confrontent srsquoaffrontent pour creacuteer finalement la trajectoire

judiciaire de Slimane Cette trajectoire srsquoancre dans une repreacutesentation

partageacutee par les diffeacuterentes cateacutegories de professionnels de la personnaliteacute

du mineur une personnaliteacute deacutelinquantehellip

632 hellip

Agrave

CELLE

D

rsquo

UNE

PERSONNALITEacute

DEacuteLINQUANTE

Ce nrsquoest pas seulement un itineacuteraire de deacutelinquant qui se construit de

renvoi en renvoi crsquoest aussi une personnaliteacute de deacutelinquant qui srsquoeacutelabore

de discours en discours Les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de

la deacutelinquance (eacuteducateurs speacutecialiseacutes eacuteducateurs de justice psychiatres

juges des enfants) srsquoaccordent unanimement agrave reconnaicirctre agrave Slimane une

personnaliteacute deacutelinquante personnaliteacute que chacun drsquoentre eux contribue

agrave constituer Cette eacutelaboration srsquoeffectue selon une double logique drsquoune

part la reconstruction du passeacute du mineur en fonction de ses derniers

passages agrave lrsquoacte les faits seacutelectionneacutes en conseacutequence constituant des

indices reacuteveacutelateurs drsquoune deacutelinquance anteacuterieure voire originelle (Kitsuse

[1962] parle drsquointerpreacutetation reacutetrospective ce pheacutenomegravene correspondant

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agrave un meacutecanisme de renforcement de lrsquoeacutetiquetage des deacuteviants) drsquoautre

part la reacutealisation drsquoun portrait de deacutelinquant par reacutetreacutecissement des attri-

buts pour se reacuteduire finalement et uniquement agrave lrsquoattribut de deacutelinquant

Si tout passeacute semble se reconstruire agrave la lumiegravere du preacutesent et donc

des derniers faits lrsquoeacutelaboration drsquoun portrait est drsquoautant plus caricatural

que les faits consideacutereacutes repreacutesentent des transgressions aux normes domi-

nantes Certains attributs ont un poids deacuteterminant dans la deacutefinition drsquoun

individu Crsquoest le cas de laquo voleur raquo laquo ldquoVoleurrdquo eacutelimine ou reacutetreacutecit tous les

attributs de lrsquohomme Une eacutetiquette antisociale simplifie le portrait de

lrsquoindividu en traitant quelqursquoun de voleur vous reacuteduisez agrave lrsquoinsignifiance

les autres rocircles et attributs qursquoil pourrait avoir excepteacute celui drsquoecirctre voleur raquo

(Shoham 1968 p 385) Si la personne a eacuteteacute condamneacutee on preacutesume en

outre qursquoelle est susceptible de commettre drsquoautres infractions

Lrsquoeacutelaboration drsquoune personnaliteacute de deacutelinquant selon ce processus

de reconstruction drsquoune vie apporte une coheacuterence agrave un ensemble de

discours qui nrsquoest pas coheacuterent La comparaison des discours des profes-

sionnels sur lrsquointerpreacutetation du comportement deacuteviant de Slimane montre

des divergences voire des oppositions pathologie pour lrsquoassistante

sociale mode de vie deacutelinquant des parents pour lrsquoeacuteducateur speacutecialiseacute

pegravere violent et megravere surprotectrice pour lrsquoeacuteducateur du SEAT

9

Si crsquoest au niveau de lrsquoeacutetiologie de la deacutelinquance juveacutenile que les

oppositions semblent les plus eacutevidentes tous srsquoentendent cependant tout

en contribuant agrave sa construction sur le caractegravere deacutelinquant de Slimane

ce qui permet simultaneacutement de diminuer les oppositions entre les diffeacute-

rentes approches et drsquoobtenir un portrait apparemment coheacuterent du

mineur Cette coheacuterence reacutesulte donc moins des discours que du produit

qui en reacutesulte ndash un portrait de deacutelinquant Se constitue ainsi le steacutereacuteotype

du deacutelinquant steacutereacuteotype selon lequel Slimane est traiteacute et ce drsquoautant

plus leacutegitimement que ce steacutereacuteotype est la reacutesultante de discours drsquoauto-

riteacute autoriteacute baseacutee agrave la fois sur la leacutegitimiteacute des intervenants ndash des speacutecia-

listes de la deacutelinquance ndash et sur la leacutegitimiteacute de leur discours ndash discours

drsquoexperts agrave preacutetention scientifique (Bourdieu 1982)

633 Lrsquo

INTEacuteRIORISATION

D

rsquo

UN

DESTIN

DE

DEacuteLINQUANT

ET SON ACTUALISATION

Les effets de trajectoire se conjuguent avec les effets propres des discours

que tiennent les professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelin-

quance sur Slimane Crsquoest en reprenant ces discours que le mineur parle

9 Notons que cette diffeacuterence drsquointerpreacutetation se traduit par des pratiques opposeacutees pourle laquo traiter raquo

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de lui ou plus exactement laquo est parleacute raquo Si ce meacutecanisme est reacuteveacutelateur

drsquoun rapport de domination il fait aussi apparaicirctre lrsquointeacuteriorisation de ce

rapport de domination comme eacutetant leacutegitime lrsquointeacuteriorisation de lrsquoimage

qui reacutesulte de ce rapport de domination donnant lrsquoimage de deacutelinquant

par laquelle le mineur se deacutefinit

ndash Et pourquoi tu as eacuteteacute placeacute

ndash

Pour la deacutelinquance Jrsquoeacutetais deacutelinquant Et agrave force agrave force ils mrsquoontplaceacute dans un centre

Lrsquoeffet drsquoimposition de cette deacutefinition est drsquoautant plus grand que

la classe sociale drsquoappartenance de Slimane (la classe ouvriegravere) doubleacutee

de son origine ethnique (arabe) et de son acircge (adolescence) le fait appar-

tenir agrave des cateacutegories marginaliseacutees et assisteacutees deacuteviantes et surveilleacutees

laquo En toute probabiliteacute la reacuteceptiviteacute du deacuteviant criminel primaire au rocircle

de criminel qursquoon lui impute est plus grande quand la conception de soi

qursquoa deacutejagrave lrsquoindividu est dicteacutee par une deacutefinition sociale plus large de son

statut et de sa classe comme sociopathique raquo (Lemert 1951 p 318) Neacutean-

moins Slimane ne constitue pas une cible passive du traitement institu-

tionnel et de la stigmatisation qui en deacutecoulehellip passiviteacute agrave quoi auraient

eu tendance agrave le reacuteduire les thegraveses du controcircle social Multiples sont ses

reacuteponses de la reacutebellion agrave la provocation en passant par lrsquoutilisation du

systegraveme que lrsquointelligence qursquoil srsquoen est forgeacutee anneacutee apregraves anneacutee lui

permet de faire

La repreacutesentation que les adolescents forment drsquoeux-mecircmes est

cependant affecteacutee par leur passage dans le systegraveme de justice peacutenale

lrsquoimage de deacutelinquant leur est renvoyeacutee tout au long du processus drsquoins-

truction de jugement et de traitement Les mineurs de justice ont une

image plus deacutevaloriseacutee drsquoeux-mecircmes que les autres mineurs drsquoautant plus

deacutevaloriseacutee qursquoils sont plus engageacutes dans la deacutelinquance (Malewska-Peyre

1988) La prison contribue agrave lrsquoinstallation du jeune dans une image neacutega-

tive du deacutelinquant qui a transgresseacute la loi et qui est jugeacute indeacutesirable dans

la vie normale drsquoune socieacuteteacute Lrsquointeacuteriorisation drsquoune telle image favorise

la continuation de la deacutelinquance (Camilleri Karstersztein Lipiansky

Malewska-Peyre Taboada-Leonetti et Vasquez 1990) Lrsquoeacutetiquette de deacutelin-

quant contribue finalement agrave produire ce qursquoapparemment elle deacutecrit ou

deacutesigne Peut-on dire avec Shoham (1968 p 375) que laquo nommer appeler

deacutefinir eacutetiqueter ne simule pas la reacutealiteacute crsquoest la reacutealiteacute mecircme raquo La

modification de la repreacutesentation de la reacutealiteacute semble en tout cas pouvoir

entraicircner la modification de cette derniegravere par le meacutecanisme de reacutealisation

par les individus des preacutevisions drsquoautrui (

self-fulfilling prophecy

)

DIALECTIQUE IDENTITEacute PERSONNELLEREacuteGULATIONS SOCIALES

165

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

Le mineur finit non seulement par inteacuterioriser le stigmate de deacutelin-

quant (

self-labelling

10

) mais de surcroicirct en fait son identiteacute lrsquoactualisant

dans son mode de vie ce qui se traduit concregravetement par son inteacutegration

agrave un groupe organiseacute de

dealers

Tout se passe en fait comme si lrsquoidentiteacute

prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stigmatisant de celle-ci

eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassumer ces stigmates en

les renforccedilant

[hellip]

il y a des garages souterrains aux laquo 408 raquo lagrave dans les grandsgarages et il y avait eu 25 ou 30 voitures de fractureacutees ils eacutetaient agrave cemoment-lagrave 4 ou 5 dedans et puis sur le capot de la voiture Slimane avaitbaisseacute son pantalon et fait ses besoins et ccedila ccedila avait eacuteteacute tregraves choquant

[hellip]

ccedila faisait partie drsquoun jeu du gendarme et du voleur Donc lui agrave cemoment-lagrave eacutetait un voleur et que il pouvait crsquoest lui de toute faccedilon quieacutetablissait les regravegles (eacuteducateur du SEAT)

Laisser ses excreacutements sur laquo le lieu du crime raquo tient effectivement de

la provocation comme drsquoailleurs vandaliser et cambrioler la Maison pour

tous (MPT) de la citeacute en plein jour au vu et au su de tous comme encore

fumer du haschisch devant les travailleurs sociaux Crsquoest la mecircme volonteacute

de transgresser les codes sociaux et de lrsquoafficher ouvertement Crsquoest prou-

ver qursquoon est capable drsquoendosser le rocircle de deacutelinquant et non seulement

drsquoentrer dans le jeu mais de le mener de la place qui est la sienne Le

Moi est ainsi entiteacute reacutefleacutechie pour reprendre les propos de

Berger et

Luckman (1989 p 181)

[hellip] reacutefleacutechissant les attitudes adopteacutees drsquoabord par les autressignificatifs Lrsquoindividu devient lrsquoimage que les autres significatifsse font de lui il ne srsquoagit pas drsquoun processus unilateacuteral meacutecaniqueIl existe une dialectique entre lrsquoidentification et lrsquoauto-identificationentre lrsquoidentiteacute objectivement attribueacutee et subjectivement approprieacutee

64 LA REPRODUCTION INTRAGEacuteNEacuteRATIONNELLE

DE LA DEacuteLINQUANCE

Slimane est aujourdrsquohui en prison Son jeune fregravere doit comparaicirctre en

justice Comment comprendre la reproduction de parcours deacutelinquants

au sein drsquoune mecircme famille Comment expliquer que dans cette autre

famille celle de Farid par cinq fois de fregravere en fregravere se reproduit le

10 Les recherches sur le

labelling

qui ont eacuteteacute les plus importantes avec les travaux deBecker Lemert Goffman et Matza montrent que le

labelling

impose tout agrave la fois unrocircle de deacutelinquant agrave un individu et une conscience de lui-mecircme comme deacutelinquant

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166

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

processus de constitution de la deacutelinquance juveacutenile alors que chacun des

fregraveres sera laquo traiteacute raquo par un ensemble ndash de plus en plus important ndash de

professionnels speacutecialiseacutes dans la gestion de la deacutelinquance Il ne srsquoagit

pas ici drsquoeacutetudier les strateacutegies eacuteducatives familiales face agrave la deacuteviance mais

drsquoanalyser ce que produit ici la confrontation des reacutegulations familiales et

institutionnelles sur les parcours des mineurs

641 DE LA DEacuteCONSTRUCTION DE LrsquoIDENTITEacute FAMILIALEhellip

Les passages agrave lrsquoacte deacutelictueux leacutegitiment lrsquointervention de professionnels

au sein de la famille Leur travail doit permettre drsquoagir sur les causes des

comportements deacuteviants Ces causes sont rechercheacutees de maniegravere privileacute-

gieacutee dans le fonctionnement familial Y est souvent repeacutereacute un problegraveme

de limites que ces limites soient qualifieacutees de rigides ou de laxistes Les

reacutefeacuterents des mesures srsquoefforcent alors de donner des repegraveres de poser

des limites de laquo responsabiliser raquo les parents laquo de faire entendre raison raquo

aux mineurs La capaciteacute de poser les limites laquo adeacutequates raquo renvoie la

plupart du temps pour les travailleurs sociaux au rocircle et agrave la place de

chacun au sein de la famille ougrave ce travail de redeacutefinition induit un pro-

cessus de normalisation Il srsquoagit au mieux de faire adopter aux familles

les modegraveles dominants en matiegravere drsquoeacuteducation de rocircles parentaux de

place des enfants du moins de laquo faire prendre conscience raquo aux parents

que leur fonctionnement familial est dangereux pour le deacuteveloppement

de leurs enfants

Agrave travers la confrontation des reacutegulations institutionnelles et fami-

liales srsquoaffrontent ici deux modegraveles ndash modegravele reposant sur les normes

dominantes en matiegravere drsquoeacuteducation dans les classes moyennes franccedilaises

et modegravele srsquoancrant dans des valeurs et des principes traditionnels algeacuteriens

selon lesquels la famille de Farid apparaicirct drsquoabord fortement structureacutee ndash

et deux leacutegitimiteacutes ndash lrsquoautoriteacute de lrsquoacteur institutionnel repreacutesentant de

la socieacuteteacute drsquoinstallation et celle du pegravere sur sa famille qui est traditionnel-

lement sans partage

En reacutesulte une opposition du pegravere aux interventions institutionnelles

qursquoil vit comme une humiliation et une remise en cause de son autoriteacute

De fait et pour rejoindre Donzelot (1977 p 98) laquo [sa] fonction symbo-

lique drsquoautoriteacute crsquoest le juge qui lrsquoa accapareacutee sa fonction pratique

lrsquoeacuteducateur lrsquoen a deacutelesteacute raquo Lrsquoempreinte spatiotemporelle de lrsquoautoriteacute

judiciaire sur le fonctionnement familial est lagrave pour le rappeler Le temps

familial est devenu celui des convocations des comparutions des deacuteposi-

tions des jugements des mesures Lrsquoespace de la famille est investi par les

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assistantes sociales les eacuteducateurs speacutecialiseacutes les eacuteducateurs de justice

les policiers par tous ceux qui viennent enquecircter diagnostiquer eacutevaluer

traiterhellip normaliser

Lrsquoeacutevolution de la probleacutematique familiale semble devoir passer par

plusieurs eacutetapes il srsquoagit drsquoabord pour le travailleur social de nommer les

problegravemes cette opeacuteration devant contribuer agrave la laquo conscientisation raquo de

ses difficulteacutes par la famille lrsquoobjectif eacutetant qursquoelle parvienne agrave les verbaliser

la connaissance et la reconnaissance des problegravemes eacutetant pour le profes-

sionnel une condition neacutecessaire agrave leur reacutesolution (Carra et Faggianelli

1998) Cette logique a pour effet une polarisation sur les aspects neacutegatifs

qui contribuent agrave la constitution drsquoune image neacutegative chez les parents

Tout au long du suivi institutionnel crsquoest en effet lrsquoeacutechec de leur modegravele

eacuteducatif qui est pointeacute crsquoest lrsquoimage de parents deacutefaillants deacutemission-

naires ou violents qui leur est renvoyeacutee Crsquoest aussi leur modegravele culturel

qui est jugeacute tellement les relations avec les familles drsquoorigine maghreacutebine

et plus encore algeacuterienne comme celle de Farid restent marqueacutees par la

meacutemoire des rapports entre coloniseacutes et colonisateurs laquo Le passeacute colonial

avec son ineacutegaliteacute fondamentale entre le groupe colonisateur et le groupe

coloniseacute continue agrave deacutefinir lrsquohorizon des relations entre Algeacuteriens et

Franccedilais raquo (Schnapper 1986 p 150)

La confrontation entre reacutegulations familiales et reacutegulations institu-

tionnelles conduit alors agrave une crise de leacutegitimiteacute du modegravele familial tout

en provoquant des transformations de ce monde laquo leacutegitime raquo La peur du

placement des enfants va amener la megravere agrave coopeacuterer bien que ce faisant

elle se deacutesolidarise de son mari Cette coopeacuteration laquo obligeacutee raquo deviendra

adheacutesion au travail des intervenants tant et si bien que la megravere suivant

en cela les conseils qui lui sont donneacutes demandera la poursuite du suivi

judiciaire de Farid

La mesure de liberteacute surveilleacutee a pris fin le [date] Farid et sa famille nesemblent pas le comprendre Il me tient au courant reacuteguliegraverement de sesactiviteacutes et crsquoest tout naturellement que je suis solliciteacute degraves lrsquoeacuteteacute pour envi-sager la rentreacutee scolaire suivante Je demande alors agrave la megravere de formulerune demande de prise en charge (dossier SEAT)

Crsquoest aussi agrave la demande de Farid qursquoune mesure de protection

judiciaire pour jeune majeur est prise Ainsi les membres de la famille

contribuent-ils directement agrave construire le parcours judiciaire de Farid

Agrave la majoriteacute la recherche drsquoune nouvelle activiteacute se fait pressante Faridsollicite lrsquoeacuteducateur qui lrsquoincite agrave formuler une demande drsquoaide au juge desEnfants en tant que Jeune Majeur (dossier SEAT)

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168 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cette eacutevolution est reacuteveacutelatrice drsquoune conversion du monde familial

autour de ce monde speacutecialiseacute conversion qui srsquoeffectue avec la substitution

progressive des reacutegulations institutionnelles aux reacutegulations familiales

Le pegravere qualifieacute par les travailleurs sociaux de laquodistantraquo et de laquofuyantraquo

reacutesiste agrave ces changements Mais le comportement de sa femme (et de ses

enfants) interroge ce systegraveme si agrave lrsquointeacuterieur du modegravele patriarcal lrsquoindi-

vidu perccediloit habituellement la femme comme un ecirctre ayant et devant avoir

par rapport agrave lrsquohomme un statut subordonneacute les rocircles commencent ici agrave

srsquoinverser les intervenants faisant de la femme lrsquointerlocuteur privileacutegieacute

de la famille en matiegravere drsquoeacuteducation des enfants tout en contribuant agrave son

eacutemancipation Cette eacutemancipation se traduit par son investissement dans

lrsquoespace public espace public traditionnellement reacuteserveacute agrave lrsquohomme La

megravere se met en effet agrave participer agrave des reacuteunions agrave suivre des cours drsquoalpha-

beacutetisation des cours de conduite Au-delagrave de la transformation des rocircles

crsquoest tout un univers de sens qui est remis en question le sens de la

femme de lrsquohomme de la famille du temps de lrsquoespace

Avec le licenciement de lrsquohomme le rocircle traditionnel du pegravere srsquoeffondre

Lrsquohumiliation du pegravere parviendra agrave son apogeacutee lorsque arrivant en fin de

droits il devra se reacutesigner agrave faire appel aux travailleurs sociaux pour beacuteneacute-

ficier du revenu minimum drsquoinsertion (RMI) Srsquoensuivront une deacutegradation

morale et une stigmatisation lieacutees agrave lrsquoinfeacuterioriteacute de son statut caracteacuteris-

tiques de ce que Paugam (1991) appelle la laquo crise identitaire des fragiles raquo

La multiplication de reacutegulations institutionnelles contribue ainsi agrave

deacutereacuteguler lrsquoespace familial en srsquoopposant ou en ignorant la logique propre

de ces espaces La logique familiale se deacutesagregravege lrsquoidentiteacute familiale se

disloque Ce mecircme processus est deacutecrit avec grande preacutecision par Nicolas

(1984) dans son livre La pauvreteacute intoleacuterable

642 hellip Agrave LA RECONSTRUCTION DrsquoIDENTITEacuteS

INDIVIDUELLES NEacuteGATIVES

Avec le repeacuterage du comportement deacuteviant des fregraveres chacun drsquoeux va

faire lrsquoobjet drsquointerventions institutionnelles multiples ndash service social sco-

laire service social de secteur centre drsquoorientation et drsquoaction eacuteducative

foyer centre eacuteducatif police justice service eacuteducatif aupregraves du tribunal

prison Chacun sera ordonneacute selon les proceacutedures propres agrave ces institu-

tions tous seront au terme du processus de renvoi eacutetiqueteacutes objectiveacutes

et classifieacutes comme deacutelinquants Un agrave un les garccedilons vont donc ecirctre

appareilleacutes tutelliseacutes eacutechappant ainsi agrave leur famille

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Selon Beauchard (1981) lrsquoeacuteclatement de la famille et lrsquolaquo appareillage raquo

de ses membres constituent deux eacuteleacutements deacuteterminants dans la repro-

duction drsquolaquo itineacuteraires drsquoexclusion raquo

Dans le cas des itineacuteraires drsquoexclusion sociale [hellip] la neutralisa-tion de la dynamique (crisique) srsquoopegravere suivant les interventionsdrsquoun controcircle social speacutecialiseacute exteacuterieur au groupe perturbeacute lessituations probleacutematiques sont fragmenteacutees et donnent lieu agrave desreacuteponses articuleacutees sur des problegravemes speacutecifiques La deacutemarchesrsquoavegravere momentaneacutement efficace mais agrave terme il est observeacute queces interventions speacutecialiseacutees (tutelle placement reacuteeacuteducation trai-tement assistance surveillance) tissent un reacuteseau de relations dedeacutependance qui agrave leur tour engendrent des tensions et des conflits(Beauchard 1981 p 73)

Ces relations de deacutependance apparaissent dans la famille de Farid

Si au deacutebut les interventions sont veacutecues comme une violation de lrsquoespace

priveacute elles deviennent pour la megravere et les enfants neacutecessaires voire valo-

risantes En se montrant coopeacuterante la megravere acquiert en effet une cer-

taine reconnaissance sociale de la part des professionnels ce que ne

peuvent lui procurer ni le pegravere ni dans la situation preacutesente ses fils

Ces relations la situation de non-travail et de deacutelinquance structurent

leur identiteacute Chacun des membres en vient agrave se deacutefinir pour et par ces

eacuteleacutements Une identiteacute speacutecifique se constitue donc en rapport eacutetroit avec

les intervenants car laquo Tout au long de son eacutelaboration de soi le sujet [hellip]

est obligeacute de tenir compte de ce qui lrsquoentoure la fonction identitaire le

construisant indissolublement comme rapport agrave lui-mecircme et rapport agrave son

environnement raquo (Camilleri et Cohen-Emerique 1989 p 46)

On peut observer qursquoapregraves avoir favoriseacute la deacutestructuration de la

famille deacutestabiliseacutee par le comportement deacuteviant des fils les reacutegulations

institutionnelles seront progressivement inteacutegreacutees agrave son organisation

qursquoelles contribueront par ailleurs agrave changer Parallegravelement agrave ce processus

de deacutestructuration-restructuration de la famille srsquoopegravere une deacuteconstruction-

reconstruction de lrsquoidentiteacute des diffeacuterents membres agrave laquelle participent

directement ces reacutegulations Lrsquointervention institutionnelle de stigmati-

sante va finir par ecirctre perccedilue par le mineur et sa famille comme normale

puis neacutecessaire au fonctionnement familial et individuel

Ainsi si Farid srsquoest montreacute tregraves laquo fuyant raquo au deacutebut du suivi ainsi que

le souligne lrsquoeacuteducateur de justice les rapports ont eacutevolueacute structureacutes

notamment par une strateacutegie drsquoutilisation du systegraveme de prise en charge

Selon Goffman (1975) son laquo itineacuteraire moral raquo va progressivement lui per-

mettre drsquointeacutegrer ces relations dans son parcours comme eacutetant normales

et ce drsquoautant plus facilement que tous ses fregraveres et la plupart de ses pairs

sont suivis par un eacuteducateur

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170 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Srsquoil rejette drsquoabord lrsquoidentiteacute stigmatiseacutee qui lui est prescrite Farid

finit par revendiquer lrsquoidentiteacute sociale de laquo jeune agrave problegravemes raquo puis

celle de laquo chocircmeur raquo identiteacutes qui lui permettent agrave la fois drsquoobtenir une

reconnaissance sociale et drsquoacceacuteder agrave des aides Cette identiteacute ne ressort

cependant pas de lrsquoidentiteacute sociale virtuelle du stigmatiseacute qui procircne le

faux-semblant telle que lrsquoa preacutesenteacutee Goffman (1975) Au contraire elle

fonctionne comme un laquo point de vue raquo pour reprendre lrsquoexpression de ce

mecircme auteur neutralisant ainsi le normal et le stigmatiseacute En ce sens on

peut rejoindre Messu (1991 p 88) soulignant agrave propos des laquo assisteacutes raquo

[qursquoil] importe degraves maintenant drsquoaffirmer combien cette image[de lrsquoassisteacute] nrsquoest pas aussi preacuteconstruite qursquoon a bien voulu ledire Non qursquoon ait tort de voir dans les institutions de lrsquoAssistancesociale des instances de laquo marquage raquo social [hellip] Pour autant nousnous garderons de faire du marquage le seul principe drsquoattributiondrsquoidentiteacute et du sens laquo stigmatique raquo le pur produit de lrsquoinstitu-tion Dans cette production du sens nous ne pouvons faire abs-traction de ceux qui sont lrsquoobjet du stigmate et les porteurs delrsquoidentiteacute nous ne saurions exclure ceux sans qui lrsquoinstitution neserait pas Car crsquoest bien de la relation entre lrsquoinstitution et sesusagers que prend corps ce sens

Les individus participent ainsi eux aussi agrave la deacutefinition de leur statut

social deacutegradeacute en utilisant les marges drsquoautonomie et de reacutesistance qursquoils

possegravedent voire en manipulant les professionnels Les propos de Farid

sont reacuteveacutelateurs agrave cet eacutegard

[hellip] il [lrsquoeacuteducateur du SEAT] voulait pas me donner de lrsquoargent puisje lui fais drsquoaccord pour moi crsquoest pas un problegraveme ce que je vais faireje vais [hellip] voler

65 UNE IDENTITEacute STIGMATISEacuteE RENVOYANT Agrave UNE

PLACE DOMINEacuteE DANS LES RAPPORTS SOCIAUX

Si nombre de tenants de la perspective de la reacuteaction sociale sans doute

par biais ideacuteologique et aussi parfois par faiblesse meacutethodologique ont

focaliseacute leur attention sur lrsquoaction stigmatisante des institutions officielles

de controcircle social le systegraveme de justice peacutenale ainsi que lrsquoindiquent

Robert et Lascoumes (1974) nrsquoest pas self-started laquo Il ne srsquoapprovisionne paslui-mecircme dans la plupart des cas [hellip] raquo

En analysant par diffeacuterentes meacutethodes le temps consacreacute par les

agences policiegraveres agrave telle ou telle activiteacute on srsquoaperccediloit que la recherche

du crime et du criminel drsquoinitiative sans processus preacutealable de renvoi

est assez limiteacutee

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Non seulement ces agences ne se mettent geacuteneacuteralement pas en

action par elles-mecircmes mais de plus elles nrsquointerviennent parfois qursquoapregraves

un long processus informel de constitution de la deacutelinquance juveacutenile

Crsquoest ainsi qursquoau bout de six ans de repeacuterage de Slimane par son environ-

nement (quartier et eacutecole) apregraves nombre de reacutecriminations adresseacutees aux

travailleurs sociaux du quartier de plaintes deacuteposeacutees aupregraves de la police

et de signalements agrave la justice ces institutions ont reacuteagi

Le suivi judiciaire peut par ailleurs finir par ne plus ecirctre veacutecu comme

stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir le

support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire (crsquoest aussi ce que sou-

lignent Bruneteau et Lanzarini 1997) monde avec lequel ces mineurs ont

des relations distantes et conflictuelles Crsquoest drsquoailleurs drsquoabord au contact

de ce monde ordinaire que se constituent ces identiteacutes neacutegatives dans un

laquo quartier de releacutegation raquo ougrave les jeunes occupent une place domineacutee et

stigmatiseacutee (Delarue 1991)

Meacutepris et meacutefiance du monde que Kamel appelle le monde des

laquo bourges raquo (bourgeois) caracteacuterisent les interactions avec son monde et

celui de ses pairs ces interactions eacutetant elles-mecircmes structureacutees par des

steacutereacuteotypes et en particulier le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo selon lequel

Arabe signifie deacutelinquant11 Crsquoest selon ce steacutereacuteotype que Kamel dit ecirctre

traiteacute En assimilant agrave son identiteacute le steacutereacuteotype de laquo bougnoule raquo (laquo Crsquoestvrai il y en a 80 75 qui sont en prison en France raquo dit-il) Kamel inteacute-

riorise lrsquoidentiteacute laquo prescrite raquo de sa communauteacute drsquoappartenance La stig-

matisation associeacutee agrave ses actes deacutelinquants et lrsquoimage collective neacutegative

qui lui est renvoyeacutee de sa collectiviteacute contribuent chez le mineur agrave la

formation drsquoune identiteacute personnelle deacutevaloriseacutee Des eacutetudes (voir en par-

ticulier Camilleri et al 1990) ont montreacute lrsquoexistence de fortes correacutelations

entre lrsquoexpeacuterience du racisme la stigmatisation sociale associeacutee agrave la deacutelin-

quance et agrave la deacutevalorisation de lrsquoimage de soi les immigreacutes deacutelinquants

cumulant les facteurs qui peuvent contribuer agrave cette deacutevalorisation On

voit bien ici comment lrsquoidentiteacute conccedilue comme une repreacutesentation de soi ndash

en tant qursquoindividu mais aussi en tant que groupe ndash est faccedilonneacutee par

lrsquoideacuteologie dominante dans une socieacuteteacute donneacutee Crsquoest ce qursquoont montreacute

en particulier les eacutetudes du sociolinguiste Labov (1976)

11 Si les dominants ceux qui sont en situation de pouvoir eacuteconomique social ou culturelstigmatisent les pratiques des domineacutes ces derniers font de mecircme en leur attribuantdes caractegraveres deacutevalorisants tout en affirmant leur propre identiteacute crsquoest ainsi que Kameloppose laquo Nous raquo laquo les francs raquo agrave laquo Eux raquo laquo les hypocrites raquo

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172 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

651 DES PARCOURS PREacuteDEacuteTERMINEacuteS PAR LES INSTANCES

DE REacuteGULATIONS SOCIALES GEacuteNEacuteRALES

Eacutechecs scolaires puis difficulteacutes drsquoinsertion socioprofessionnelles accen-

tuent cette deacutevalorisation de lrsquoidentiteacute tout en contribuant au processus

de constitution de la deacutelinquance juveacutenile

La criminologie considegravere comme un fait eacutetabli qursquoune mauvaise

carriegravere scolaire est lieacutee agrave la deacutelinquance Les difficulteacutes scolaires dans un

contexte ougrave la diplomation est devenue la norme (avec la massification

du second cycle puis de lrsquouniversiteacute lrsquoinstitution scolaire est devenue le

premier lieu producteur drsquolaquo exclusion relative raquo [Dubet 1996]) consti-

tuent en effet un motif deacuteterminant agrave un suivi judiciaire lorsque des

comportements deacuteviants sont repeacutereacutes Elles ne suffisent cependant pas agrave

expliquer lrsquoancrage de certains eacutelegraveves dans la deacutelinquance Encore faut-il

que des meacutecanismes les y attirent activement Les relations entre lrsquoeacutecole

et les adolescents intervieweacutes le font sur tous les modes possibles du rap-

port de force de la notation aux sanctions en passant par les orientations

qui aboutiront agrave lrsquoexclusion deacutefinitive drsquoun cocircteacute des comportements

deacuteviants tels qursquoabsenteacuteisme insolence coups vols consommation drsquoalcool

et de cannabis de lrsquoautre La marginalisation agrave lrsquoeacutecole quand elle srsquoaccom-

pagne de rejets actifs par la stigmatisation favorise cet ancrage des ado-

lescents dans la deacutelinquance (Walgrave 1992) Si la deacutelinquance agrave lrsquoeacutecole

peut srsquoexpliquer par les opportuniteacutes qursquooffrent les eacutetablissements scolaires

et renvoie donc agrave une manifestation laquo banale raquo de deacutelinquance elle peut

aussi ecirctre engendreacutee par la situation scolaire elle-mecircme Elle constitue

alors une reacuteponse agrave la violence symbolique de lrsquoinstitutionhellip deacutefinie par

Bourdieu et Passeron (1970 p 18) comme laquo pouvoir qui parvient agrave impo-

ser des significations et agrave les imposer comme leacutegitimes en dissimulant les

rapports de force qui sont au fondement de sa forcehellip raquo

Les eacutechecs scolaires preacutedeacutetermineront dans un contexte marqueacute par

le chocircmage des moins de 25 ans lrsquoorientation de Kamel et de ses pairs

vers la mission locale ougrave leur seront proposeacutes des stages de remise agrave

niveau des preacuteapprentissages un CES (contrat emploi-solidariteacute) un

TUC (travail drsquoutiliteacute collective) et drsquoautres activiteacutes qui apparaissent

drsquoabord occupationnelles Lrsquoimpossibiliteacute drsquoacceacuteder agrave lrsquoemploi dans les

sphegraveres ordinaires du salariat traiteacutee ici selon le mode de gestion sociale

du chocircmage associeacutee ndash tout en y contribuant ndash agrave la poursuite des activiteacutes

deacutelictuelles augmentera la probabiliteacute drsquoune prise en charge judiciaire au

peacutenal (Meacutehaut Rose Monaco et de Chassey 1987) Si lrsquoabsence de situation

professionnelle drsquoindividus de milieu populaire favorise en cas de poursuites

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judiciaires lrsquoincarceacuteration12 elle contribue tout autant agrave donner une autre

nature aux activiteacutes deacutelinquantes qui drsquooccasionnelles tendent agrave devenir

professionnelles Slimane en fera une carriegravere

652 LA DEacuteLINQUANCE COMME STRATEacuteGIE IDENTITAIRE

Eacutechecs scolaires et chocircmage contribuent au repli de Kamel Farid et

Slimane sur leur quartier en en investissant le temps et lrsquoespace avec les

autres membres de leur bande Moyen drsquooccuper collectivement son

temps libre la bande permet aussi drsquoattendre une veacuteritable situation sur

le marcheacute du travail En cela le groupe change de substrat alors qursquoil

permettait aux jeunes des classes populaires de passer leur temps libre

apregraves lrsquoeacutecole ou le travail il est aujourdrsquohui agrave rapporter laquo aux meacutecanismes

et logiques de lrsquoinsertion sociale et eacuteconomique qui frappent en premier

lieu les jeunes originaires des milieux deacutefavoriseacutes et renforcent leurs dif-

ficulteacutes degraves lors que sous-instruits ils sont aussi drsquoorigine eacutetrangegravere raquo

(Lagreacutee et Lew-Fai 1985 p 520) On est ainsi passeacute drsquoune maniegravere de

passer sa jeunesse avant de laquo se caser raquo drsquoune marginaliteacute temporaire agrave

une marginaliteacute agrave dureacutee indeacutetermineacutee qui dans certains cas peut devenir

deacutefinitive

Occupation13 qui permet de procurer sensations et gains financiers

la deacutelinquance dans la bande constitue aussi une reacuteaction collective agrave

lrsquoexclusion et agrave la stigmatisation dont font lrsquoobjet ses diffeacuterents membres

(Carra 1999) Les activiteacutes de la bande peuvent se lire comme un double

mouvement drsquoaffirmation aux deacutepens de lrsquoenvironnement ndash reacuteduit agrave des

scheacutemas lointains et hostiles (et reacuteciproquement) promotion du groupe

et promotion personnelle dans ce groupe (Robert et Lascoumes 1974)

Se voir qualifier par ses pairs de laquo vrai cambrioleur un vrai de vrai raquo agrave

lrsquoinstar de Kamel est source de prestige Le savoir-faire deacutelinquant associeacute

12 Lrsquoanalyse du produit final du processus peacutenal montre que ce public constituera ensuitela clientegravele privileacutegieacutee de la justice peacutenale des majeurs les condamneacutes sans professionayant toujours la plus forte proportion drsquoemprisonnement ferme On peut srsquointerrogersur cette surcondamnation avec Aubusson de Cavarlay qui aboutit agrave la conclusionsuivante laquo finalement si la partialiteacute reacutesiste agrave sa justification juridique il faut concluresoit que les faits commis par les classes populaires sont les plus graves puisque touteschoses juridiques eacutegales par ailleurs elles sont plus lourdement sanctionneacutees soit etpour les mecircmes raisons que la justice peacutenale deacutefavorise les classes domineacutees raquo (Aubussonde Cavarley 1985 p 308)

13 laquo [hellip] qui apparaicirct endeacutemique dans la citeacute impliquant non seulement les jeunes maisaussi les adultes Elle srsquoapparente essentiellement agrave une ldquodeacutelinquance de survierdquo raquo(Bailleau 1997 p 29)

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174 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

agrave la prise de risque est source de reconnaissance au sein de la bande

reconnaissance que les propos de lrsquoadolescent reflegravetent laquo jrsquoeacutetais le roi desmalins raquo dit-il Crsquoest aussi un moyen de se positionner dans lrsquoespace

Les tentatives drsquoappropriation des eacutequipements socioculturels parti-

cipent des strateacutegies deacuteployeacutees par la bande pour y parvenir tout en eacutetant

constitutives de la formation drsquoune identiteacute spatiale de substitution Les

propos tenus par lrsquoun des permanents de la Maison pour tous informent

sur lrsquoactualisation de ces tentatives

Les animateurs constatent qursquoun puissant rapport de force a eacuteteacute eacutetabli parles jeunes agrave leur eacutegard De la part des jeunes le point drsquoancrage de leurforce est le chahut qursquoils peuvent faire les carreaux qursquoils peuvent casserles bagarres qursquoils peuvent deacuteclencher lrsquoalcool qursquoils peuvent boire Cetteforce est leur pouvoir de neacutegociation avec les animateurs pour obtenir ceqursquoils deacutesirent une machine agrave cafeacute une salle leur eacutetant reacuteserveacutee une sortieski [hellip]

Pour ces jeunes renvoyeacutes et enfermeacutes dans lrsquounivers des pairs le

quartier constitue le dernier lieu pour acqueacuterir une reconnaissance

sociale Aussi peut-on dire avec Lagreacutee (1996 p 334)

Srsquoagissant des jeunes deacutepourvus des capitaux neacutecessaires pourobtenir une place valorisante dans la socieacuteteacute at large pour ceux quine sont ni agrave lrsquoeacutecole ni dans lrsquoemploi lrsquoespace reacutesidentiel la collec-tiviteacute sociale que constitue le voisinage deviennent le dernier lieuougrave peut se gagner la reconnaissance sociale Pour ceux qui ne sontnulle part lrsquoespace reacutesidentiel animeacute par la vie des bandes estplus que le lieu ougrave lrsquoon vit ougrave lrsquoon attend ougrave lrsquoon galegravere crsquoestaussi le dernier endroit ougrave se reacutealise lrsquointeacutegration ou la marginali-sation agrave une microsocieacuteteacute

En eacutetablissant un rapport de force la bande parvient agrave se positionner

dans lrsquoespace local en obligeant les autres acteurs agrave prendre en compte

ce positionnement Mais en forccedilant la reconnaissance de leur place dans

les rapports sociaux locaux les membres de la bande participent directe-

ment non seulement agrave leur marginalisation mais aussi agrave leur stigmatisa-

tion tout en contribuant fortement agrave leur renvoi agrave des agences speacutecialiseacutees

de la reacuteaction sociale Dans leurs rapports avec les autres ils srsquoenferment

dans une logique qui les expose agrave la reacuteaction stigmatisante du corps social

et au renvoi vers le systegraveme de justice peacutenale

Ce renvoi a drsquoautant plus de chances de se reacutealiser et de srsquoamplifier

dans ce quartier que lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute sociale de sa population rend difficile

la mise en œuvre de proceacutedures internes et coheacuterentes de reacutegulation de

la deacuteviance Ce contexte contribue par ailleurs agrave transformer le controcircle

social informel en rapport de classes placcedilant les jeunes issus des milieux

populaires en premiegravere ligne de lrsquoaffrontement (Chamboredon et Lemaire

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1970) Reacuteponse au sentiment drsquoinseacutecuriteacute qursquoeacuteprouvent certaines cateacutego-

ries de la population le renvoi et plus globalement lrsquoentreprise de deacutefini-

tion de la deacuteviance opeacutereacutee dans cette citeacute participent donc aussi aux

strateacutegies de diffeacuterenciation des groupes les uns par rapport aux autres

La bande apparaicirct finalement comme une tentative pour participer

au jeu social mecircme si ce jeu se reacuteduit agrave la scegravene locale cette scegravene

devenant le theacuteacirctre ougrave se joue la production identitaire de ces jeunes La

deacutelinquance dans le contexte de la bande srsquoexplique moins par un manque

de repegraveres par une meacuteconnaissance des normes qursquoelle ne reacutesulte drsquoun

rapport speacutecifique aux autres et agrave lrsquoenvironnement amenant les adoles-

cents agrave utiliser la transgression des normes comme moyen de reconnais-

sance ultime but de toute construction identitaire On peut ainsi dire avec

Digneffe (1989 p 174)

Crsquoest moins le contenu des regravegles qursquoun certain type de rapportaux autres qui lrsquoamegravene [le mineur deacutelinquant] agrave se constituer unerepreacutesentation de ce qui est laquo pour lui raquo agrave faire ou agrave ne pas faireMecircme srsquoil sait que laquo certaines choses sont mauvaises et drsquoautresbonnes raquo ces critegraveres ne deviendront pertinents que srsquoils srsquointegravegrentagrave son propre univers de sens agrave son cadre de reacutefeacuterence en tantqursquoil constitue ce qui lui permet de vivre

CONCLUSION LA DEacuteLINQUANCE COMME PRODUIT

DE PROCESSUS DE CONFRONTATIONS SOCIALES

Lrsquoidentiteacute de lrsquoindividu se construit ainsi au cours drsquointeractions dont la

signification si elle se deacutefinit au sein de ces interactions deacutepend aussi de

la position de lrsquoindividu au sein des structures sociales laquo la dialectique

entre structures sociales meacutediatiseacutees par des interactions concregravetes et la

formation drsquoun ldquosoirdquo individuel est constante raquo (de Queiroz 1994 p 40)

La place que lrsquoindividu occupe au sein des rapports sociaux le rendra plus

ou moins vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de

vie agrave lrsquoeacutecole au travail ndash instances de socialisation geacuteneacuterale qui agissent

comme autant drsquoentrepreneurs de morale de pocircle de repeacuterage et de

stigmatisation ndash et face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-

lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance

juveacutenile

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176 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

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DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

Paroles et strateacutegies

de jeunes deacutelinquants

I

SABELLE

D

ELENS

-R

AVIER

Deacutepartement de criminologie et de droit peacutenal Universiteacute catholique de Louvain

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180

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Notre propos srsquoappuie sur les reacutesultats drsquoune recherche qualitative portant

sur le point de vue de jeunes francophones belges laquo ayant commis des faits

qualifieacutes infraction raquo en drsquoautres termes des jeunes deacutelinquants agrave propos

de deux types de reacuteactions judiciaires particuliegraveres le placement en ins-

titution speacutecialiseacutee ou lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de laquo travail drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral raquo appeleacutee en Belgique laquo prestation eacuteducative ou philanthropique raquo

(Delens-Ravier et Thibaut 2001 et 2003) Lrsquoanalyse porte sur le sens sub-

jectif que ces jeunes donnent agrave leur expeacuterience de judiciarisation inscrite

dans une trajectoire sociofamiliale comprenant souvent un suivi social

individuel ou familial Diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction au processus judi-

ciaire sont mises en lumiegravere agrave travers le veacutecu de leur environnement social

(scolaire et familial) de leur trajectoire deacutelinquante et judiciaire et des

mesures dont ils font lrsquoobjet

71 CADRE DE RECHERCHE MEacuteTHODOLOGIE

QUALITATIVE ET POPULATION INTERROGEacuteE

Ce travail srsquoinscrit reacutesolument dans une deacutemarche inductive et geacuteneacuterative

(Laperriegravere 1997 p 326) de lrsquoempirique au theacuteorique du concret agrave

lrsquoabstrait du particulier au geacuteneacuteral La posture ainsi adopteacutee se veut ana-

lytique (Demaziegravere et Dubar 1997 p 33) cherchant agrave produire meacutetho-

diquement du sens agrave partir de lrsquoexploitation des entretiens de recherche

Les donneacutees qualitatives portent donc sur lrsquoexpeacuterience les repreacutesenta-

tions les deacutefinitions de situation les opinions et les paroles (Deslauriers

et Keacuterisit 1997 p 105) qui deacutecrivent la reacutealiteacute sociale telle qursquoelle est

veacutecue et telle qursquoelle est perccedilue par des jeunes deacutelinquants judiciariseacutes

Nous ne recherchons pas la repreacutesentativiteacute statistique mais la repreacute-

sentativiteacute du discours qui tient agrave deux critegraveres particuliers la diversifica-

tion

1

et la saturation

2

crsquoest donc la diversiteacute des discours et des points de

vue sur la mesure judiciaire qui est au cœur de lrsquoinvestigation

1 La diversification signifie qursquoil srsquoagit de rencontrer les jeunes dont on peut attendredes discours tregraves diffeacuterents en fonction de laquo variables strateacutegiques raquo permettant desupputer ces diffeacuterences (type de mesure parcours protectionnel parcours scolaireorigine culturelle du jeunehellip)

2 La saturation signifie que le nombre de jeunes agrave interroger nrsquoest pas deacutetermineacute agravelrsquoavance mais deacutepend de lrsquoapparition de la redondance dans le discours laquo La satura-tion empirique deacutesigne le pheacutenomegravene par lequel le chercheur juge que les derniegraveresentrevues nrsquoapportent plus drsquoinformations suffisamment nouvelles ou diffeacuterentes pourjustifier une augmentation du mateacuteriel empirique raquo (Pires 1997 p 157)

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

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La deacutemarche qualitative choisie a privileacutegieacute des entretiens semi-directifs

avec des jeunes faisant lrsquoobjet drsquoune deacutecision judiciaire Au cours de

lrsquoanneacutee 1999-2000 nous avons intervieweacute 45 adolescents garccedilons et filles

40 drsquoentre eux eacutetaient placeacutes en institution speacutecialiseacutee agrave reacutegime ouvert

ou fermeacute parfois apregraves avoir fait lrsquoobjet drsquoune mesure de reacuteparation et

cinq venaient drsquoexeacutecuter la mesure appeleacutee laquo prestation eacuteducative ou

philanthropique raquo Les deux critegraveres de diversification et de saturation ont

eacuteteacute remplis pour les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee nous permet-

tant donc une geacuteneacuteralisation de nos propos Il nrsquoen va pas de mecircme pour

les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation pour qui la difficulteacute de rencontre

ne nous a pas permis de preacutetendre diversifier suffisamment notre cible

et donc de reacutepondre au principe de saturation Les connaissances pro-

duites agrave partir du discours des jeunes ayant exeacutecuteacute exclusivement ce type

de mesure bien qursquoelles soient particuliegraverement contrasteacutees doivent ecirctre

consideacutereacutees comme des informations fournies agrave titre exploratoire

Les jeunes placeacutes intervieweacutes 39 garccedilons et 6 filles eacutetaient drsquoorigines

culturelles diverses Belgique autres pays drsquoEurope Maroc Turquie

Afrique Leur acircge moyen eacutetait de 16 ans et 1 mois Les jeunes scolariseacutes

freacutequentaient principalement lrsquoenseignement de type professionnel mais

ils sont nombreux agrave srsquoecirctre deacuteclareacutes en deacutecrochage scolaire Ils eacutevoquent

une multipliciteacute de deacutelits essentiellement des laquo deacutelits drsquoacquisition raquo

(vols) Des diffeacuterences apparaissent cependant selon le sexe ainsi pour

les filles la probleacutematique laquo drogue raquo est particuliegraverement preacutesente

Lrsquoarriveacutee en institution speacutecialiseacutee apparaicirct comme une eacutetape dans

un parcours deacutejagrave chargeacute de guidances surveillances ndash eacuteventuellement

associeacutees agrave une mesure de prestation eacuteducative ndash placements institution-

nels et souvent apregraves un seacutejour dans une autre institution du mecircme type

voire en prison Il nrsquoen va pas de mecircme pour les jeunes faisant lrsquoobjet

drsquoune mesure de reacuteparation telle lrsquoexeacutecution drsquoune prestation eacuteducative

ou philanthropique ce sont essentiellement des jeunes ameneacutes agrave compa-

raicirctre pour la premiegravere fois devant le tribunal de la jeunesse

Notre meacutethode drsquoanalyse qualitative srsquoapparente agrave une meacutethode eth-

nographique (Laperriegravere 1997 p 326) dans laquelle collecte et analyse

des donneacutees sont parallegraveles et ougrave les cateacutegories et theacutematiques sont eacuteta-

blies agrave lrsquoaide des donneacutees empiriques Lrsquoanalyse theacutematique nous a permis

drsquoarriver agrave une description analytique (Maroy 1995 p 85) de lrsquoexpeacuterience

de lrsquounivers des mineurs placeacutes Interpreacutetation et description sont ici deux

opeacuterations meneacutees de concert dans une deacutemarche de deacuteconstruction-

reconstruction du discours des jeunes en reacutefeacuterence agrave des travaux theacuteoriques

reconnus dans le champ de la deacutelinquance des mineurs Nous nous atta-

cherons ici essentiellement au veacutecu de la mesure judiciaire par les jeunes

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

72 LrsquoENVIRONNEMENT SOCIAL FAMILLE ET EacuteCOLE

Sans qursquoil soit possible de faire de comparaison stricte les cateacutegories des-

criptives utiliseacutees nrsquoeacutetant pas rigoureusement identiques le profil des

familles des mineurs rencontreacutes alimente lrsquohypothegravese drsquoune surrepreacutesen-

tation de cateacutegories sociales preacutecariseacutees pour les mineurs soumis agrave une

mesure du juge de la jeunesse (Duliegravere-DrsquoUrsel et Delens-Ravier 1992

Born et Thys 1996 Vanneste 2001 p 148)

Les relations entre les jeunes et leur famille apparaissent comme un

systegraveme complexe dans lequel les relations familiales sont agrave la fois le

baromegravetre du comportement du jeune et la reacutesultante de ce comporte-

ment Les interactions familiales sont cruciales dans le veacutecu et lrsquoeacutevolution

des jeunes rejeteacutes par les leurs ils srsquoenfoncent dans des comportements

qursquoils preacutesentent eux-mecircmes comme une forme drsquolaquo appel raquo mais qui

entretiennent ce rejet Alors que la possibiliteacute de renouer avec la famille

est un facteur de deacutesistance (Born 2001 p 178) dans la mesure ougrave laquo seul

le retour en famille ldquochoisi

3

rdquo offre de bonnes garanties de reacuteussite du

projet de reacuteinteacutegration du jeune apregraves un placement en institution speacute-

cialiseacutee que ce soit agrave court ou agrave long terme raquo (Born 2001 p 185) Ainsi

lorsqursquoil est question de conflit et de rupture le placement et lrsquoeacuteloigne-

ment physique qursquoil induit ne font qursquoentretenir le rejet familial drsquoautant

plus que le jeune est dans lrsquoincapaciteacute mateacuterielle de neacutegocier avec sa

famille son image deacuteteacuterioreacutee par le processus judiciaire La peacuteriode du

placement signe alors cette rupture agrave sa sortie le jeune devra srsquoinstaller

seul ou trouver une institution

Pour drsquoautres la crise provoqueacutee par la judiciarisation suivie du

placement peut ecirctre lrsquooccasion drsquoun changement tant dans le comporte-

ment du jeune que dans les relations avec sa famille

Le lien avec la famille se preacutesente eacutegalement comme un eacuteleacutement

fondamental dans la compreacutehension des diffeacuterentes faccedilons de vivre la

mesure de prestation eacuteducative

4

Ainsi en toutes circonstances quelle que

soit la mesure prise par le magistrat la judiciarisation agit comme un

catalyseur de lrsquoeacutevolution de la situation agrave partir de la reacuteaction familiale

au deacutelit judiciariseacute

3 On parle de laquo solution choisie raquo par lrsquoeacutequipe lorsqursquoil y a convergence entre le projetdu jeune les possibiliteacutes familiales le deacutesir de lrsquoun et de lrsquoautre de reacuteinvestir dans cesens de mecircme qursquoadeacutequation entre le projet envisageacute et les ressources

4 Voir plus bas

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Lrsquoinstitution scolaire se preacutesente eacutegalement comme une pierre angu-

laire dans le parcours des jeunes agrave la fois vecteur drsquoexclusion et vecteur

de reacuteinsertion Elle est en mecircme temps la premiegravere expeacuterience significa-

tive de releacutegation sociale et la seule issue que les jeunes entrevoient agrave leur

situation notamment en tant que projet de sortie de lrsquoinstitution valide

aux yeux de lrsquoensemble des intervenants

Les rapports agrave lrsquoeacutecole et agrave la famille se trouvent donc au cœur des

trajectoires deacutelinquantes des jeunes rencontreacutes La theacuteorie de la vulneacutera-

biliteacute socieacutetale

5

deacuteveloppeacutee par Walgrave comme explication de la deacutelin-

quance persistante de certains jeunes avait deacutejagrave montreacute combien la

famille et lrsquoeacutecole davantage encore jouaient un rocircle crucial dans le pro-

cessus drsquoaffiliation sociale (Vettenburg 2003 p 193)

La cristallisation des reacuteactions des jeunes et des familles autour du

processus de judiciarisation pourrait laisser agrave penser que la trajectoire

judiciaire vient imposer sa logique aux diffeacuterentes trajectoires familiales

scolaires des mineurs mais en fait comme le dit Carra laquo cette trajectoire

judiciaire ne se deacuteveloppe ni indeacutependamment ni parallegravelement aux

autres trajectoires Elle se construit avec ndash gracircce ndash aux autres trajectoires

et reacuteciproquement (Carra 2001 p 72) raquo Crsquoest que nous allons tenter

drsquoexpliciter

73 TRAJECTOIRE DEacuteLINQUANTE ET JUDICIAIRE

Les jeunes rencontreacutes nrsquoont pas une vision tregraves claire de la chronologie

de leur parcours Les jeunes placeacutes en institution speacutecialiseacutee ont le plus

souvent deacutejagrave connu un suivi individuel ou psychosocial avant drsquoecirctre lrsquoobjet

de mesures judiciaires pour des faits de deacutelinquance Ce qui nrsquoest pas le

cas pour les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation

Le parcours des jeunes placeacutes a donc souvent deacutebuteacute bien avant les

faits infractionnels repeacutereacutes il est jalonneacute de nombreux placements insti-

tutionnels dont lrsquoinstitution speacutecialiseacutee est lrsquoaboutissement souvent de

5 La notion de vulneacuterabiliteacute socieacutetale est deacutefinie ainsi laquo la potentialiteacute de la vulneacuterabiliteacutesuggegravere une certaine permanence qui pourrait deacutependre des caracteacuteristiques du sujetou de la situation Pour ce qui est de la vulneacuterabiliteacute socieacutetale elle deacutepend de la positiondes sujets dans la socieacuteteacute La position envisageacutee est proche de la position socioeacutecono-mique infeacuterieure raquo (Walgrave 1992 p 85) La personne socialement faible est unepersonne qui dans ses contacts avec les institutions sociales (lrsquoeacutecole le marcheacute dutravail la justice) se confronte principalement et de faccedilon reacutepeacuteteacutee aux aspects neacutegatifset profite moins de lrsquooffre positive (Vettenburg 2003 p 194)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

faccedilon reacutepeacuteteacutee Les discours font eacutetat drsquoun parcours en forme de spirale

constitueacutee drsquoune longue suite de mesures et drsquoinstitutions dont les jeunes

ne gardent pas toujours un souvenir preacutecis Que ce soit la consommation

de stupeacutefiants le comportement adopteacute le deacutecrochage scolaire chacun

de ces eacuteleacutements constitue la cause drsquoun nouveau placement un nouveau

mouvement de va-et-vient entre retour en famille et institution Apregraves une

premiegravere mesure judiciaire de placement le poids du dossier joue en

deacutefaveur des jeunes Ainsi un placement en institution speacutecialiseacutee en

appelle drsquoautres mecircme si le jeune a lrsquoimpression de commettre des faits

moins graves ou drsquoavancer vers une prise de conscience Crsquoest agrave partir des

difficulteacutes scolaires que les jeunes commencent agrave eacutecrire leur histoire ins-

titutionnelle chaotique mecircme si souvent celle-ci a deacutemarreacute bien plus tocirct

dans un contexte familial perturbeacute

Les services ou institutions qui jalonnent leur parcours avant lrsquoarriveacutee

dans la laquo nasse raquo que repreacutesente le placement en institution speacutecialiseacutee sont

diversement appreacutecieacutes Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale le rocircle et les missions speacuteci-

fiques du service drsquoaide agrave la jeunesse (SAJ) proposant une aide neacutegocieacutee

aux familles et aux mineurs qui eacuteprouvent des difficulteacutes dans le processus

eacuteducatif ne sont pas clairement perccedilus

6

ainsi les entretiens reacutealiseacutes dans

le cadre de ce type drsquointervention drsquoaide la plupart du temps en vue drsquoune

autonomie aux contours impreacutecis leur sont apparus laquo inutiles raquo reacuteduits agrave

du simple bavardage les articulations avec drsquoautres services nrsquoeacutetant pas

claires pour eux Lorsque ce type de service transmet le dossier au parquet

en vue drsquoimposer une aide contrainte le service de protection judiciaire

chargeacute de mettre en œuvre cette aide est perccedilu comme une surveillance

sur les mineurs et leurs familles plutocirct que comme un accompagnement

ou une aide On le juge aussi carreacutement laquo impuissant raquo devant les obstacles

agrave la reacuteinsertion scolaire familiale socialehellip des mineurs placeacutes en eacutetablis-

sement speacutecialiseacute Les seacutejours en institution reacutesidentielle priveacutee sont veacutecus

comme un temps durant lequel ils disent nrsquoavoir pas eacuteteacute reacuteellement pris

en charge ougrave le quotidien leur est apparu comme non structureacute offrant

trop de liberteacutehellip Ceux qui ont connu un passage en institution psychia-

trique sont fortement marqueacutes par des eacuteleacutements comme la camisole chi-

mique et le meacutelange entre adultes et adolescents Ils gardent en meacutemoire

essentiellement la stigmatisation qui en deacutecoule La prison est eacutegalement

6 Le rocircle et la mission du SAJ sont deacutefinis par le Deacutecret relatif agrave lrsquoaide agrave la jeunesse du4 mars 1991 Pour une preacutesentation deacutetailleacutee voir le site Internet httpwwwcfwbbeaide-jeunessehtmlproplatprohtm

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une expeacuterience traumatisante principalement agrave cause du reacutegime cellulaire

24 heures sur 24 qui est propre aux mineurs et ougrave la seule activiteacute est la

teacuteleacutevision Cependant une incarceacuteration de 15 jours nrsquoa guegravere de conseacute-

quences laquo eacuteducatives raquo agrave leurs yeux elle renforce plutocirct la laquo haine raquo agrave

lrsquoeacutegard de la socieacuteteacute conforte le jeune dans son rocircle de caiumld dans son

quartier ou encore permet la rencontre de familiers ou de connaissances

et contribue alors agrave la contagion deacutelinquante

Les consideacuterations eacutemises agrave propos de ces diffeacuterentes interventions

qui ont eacutemailleacute leur parcours sociojudiciaire deacutenotent une absence de

compreacutehension et de maicirctrise de la coheacuterence de celui-ci Les jeunes

parlent de leur place dans cette trajectoire comme srsquoils eacutetaient laquo

une piegravecedans un jeu de dames

raquo

hellip

Ainsi drsquoune faccedilon geacuteneacuterale pour les jeunes que

nous avons rencontreacutes alors qursquoils eacutetaient en institution speacutecialiseacutee

lrsquoentreacutee dans le circuit institutionnel a signeacute le deacutebut drsquoun parcours

chaotique essoufflant drsquoinstitution en institution ponctueacute par quelques

tentatives de retour en famille dont ce type drsquoinstitution constitue lrsquoabou-

tissement La chronologie reste floue les seuls repegraveres temporels preacutecis

eacutetant directement en lien avec le processus de judiciarisation la date

drsquoarriveacutee agrave lrsquoinstitution la date du jugement ou de lrsquoordonnance la date

du prochain rendez-vous au tribunal de la jeunesse Nous sommes ici

devant ce que Carra appelle le processus formel de constitution de la

deacutelinquance au travers duquel laquo la trajectoire caracteacuteriseacutee par la gradation

des mesures et la prise en charge institutionnelle de plus en plus totale

apparaicirct comme une carriegravere dont la continuiteacute est eacutetablie par les chances

de passer drsquoun degreacute agrave lrsquoautre Elle influence profondeacutement lrsquoimage et les

perspectives drsquoavenir du mineur raquo (Carra 2001 p 94) Si leur trajectoire

au sein de la sphegravere protectionnelle du suivi familial aux mesures de

placement se reacutevegravele floue et aux contours impreacutecis se preacutesentant donc

davantage comme une ligne briseacutee que comme un cheminement logique

connu par eux lrsquoeacutevolution graduelle et ineacuteluctable vers une prise en

charge de plus en plus resserreacutee est bien reacuteelle

Les jeunes ayant exeacutecuteacute une prestation avaient un parcours nette-

ment moins laquo lourd raquo dans la mesure ougrave ce type de mesure judiciaire est

deacutecideacute par les magistrats lors drsquoune premiegravere comparution au tribunal

de la jeunesse En effet comme lrsquoont montreacute drsquoautres recherches laquo la

cateacutegorie des mineurs faisant lrsquoobjet drsquoune mesure de prestation drsquointeacuterecirct

geacuteneacuteral preacutesente le profil le plus ldquoprimo-deacutelinquantrdquo et ldquoprimo-judiciairerdquo raquo

(Vanneste 2001 p 93)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

74 STRATEacuteGIES DE REacuteACTION Agrave LA JUDICIARISATION

Lrsquoanalyse du discours sur lrsquoexpeacuterience veacutecue du placement ou de la pres-

tation

7

permet de deacutegager des veacutecus tregraves diffeacuterencieacutes que nous nous

proposons drsquoorganiser autour de diffeacuterentes laquo strateacutegies raquo de reacuteaction au

processus de judiciarisation Si geacuteneacuteralement lrsquoideacutee de strateacutegie fait reacutefeacute-

rence agrave une deacutemarche construite et consciente en vue drsquoatteindre un

objectif le terme de strateacutegie est compris ici comme la combinaison de

diffeacuterentes faccedilons de laquo dominer la tension qui existe entre lrsquounivers domes-

tique et lrsquounivers de lrsquoinstitution raquo (Goffman 1968 p 110) Plus large-

ment nous comprenons la strateacutegie comme les modes de reacuteaction agrave la

situation creacuteeacutes par la deacutecision judiciaire les modes drsquoadaptation aux

conseacutequences de la judiciarisation La notion de strateacutegie se situe agrave lrsquoarti-

culation du systegraveme social et de lrsquoindividu du social et du psychologique

Les strateacutegies de reacuteponse agrave une situation sociale deacutecrivent simple-ment les comportements individuels ou collectifs conscients ouinconscients adapteacutes ou inadapteacutes mis en œuvre pour atteindrecertaines finaliteacutes La notion de strateacutegie appliqueacutee au champsocial suggegravere que lrsquoindividu dispose drsquoune certaine liberteacute dechoix dans les limites des regravegles du jeu Elle exprime commentles comportements individuels sont le reacutesultat drsquoune interactionde facteurs sociaux et individuels Elle permet de lire les diffeacute-rentes maniegraveres dont les acteurs laquo font avec raquo les deacuteterminantssociaux en fonction de quels paramegravetres sociaux familiaux oupsychologiques La diversiteacute relative des comportements en reacuteponseagrave des situations sociales similaires met en eacutevidence le caractegravereinteractionnel dynamique et complexe du processus (De Gaulejacet Leonetti 1994 p 184)

Nous nous inteacuteressons ici agrave la reconstruction subjective des trajectoires

des jeunes (Delens-Ravier 2001 p 13) Il ne srsquoagit pas de retracer lrsquoeacutevo-

lution chronologique des eacuteveacutenements de leur parcours sociojudiciaire

mais de mettre en perspective leur expeacuterience agrave la suite drsquoune deacutecision

judiciaire en deacutegageant les eacuteleacutements cleacutes qui srsquoarticulent dans les diffeacuterentes

strateacutegies eacutevoqueacutees que nous cherchons agrave comprendre du point de vue

7 Lrsquoexpeacuterience de prestation eacuteducative ou philanthropique est relateacutee par deux types dejeunes des jeunes qui ont fait lrsquoobjet drsquoune prestation lrsquoont termineacutee et ont eacuteteacute eacutevalueacutespositivement par les intervenants et le milieu drsquoaccueil des jeunes placeacutes en institutionspeacutecialiseacutee ayant eacuteteacute confronteacutes drsquoune faccedilon ou drsquoune autre agrave ce type de mesurecertains ayant purement et simplement refuseacute drsquoexeacutecuter la mesure Malheureusementle nombre trop restreint drsquoentretiens ne nous permet pas de parler de saturation delrsquoinformation nous ne pouvons que lancer des pistes drsquointerpreacutetation exploratoire duveacutecu de cette mesure

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subjectif de lrsquoacteur Nous retenons comme eacuteleacutement le veacutecu de la deacutelin-

quance la perception de la deacutecision du magistrat et de la relation agrave celui-ci

la rencontre avec les acteurs institutionnels lrsquoappreacuteciation globale de la

mesure par la faccedilon dont est veacutecu le reacutegime institutionnel

741 V

EacuteCU

DE

LA

DEacuteLINQUANCE

La deacutelinquance est une attitude speacutecifique de la peacuteriode de lrsquoadolescence

La plupart des passages agrave lrsquoacte sont des vols simples et de la consomma-

tion de cannabis et constituent une activiteacute propre agrave un processus de

deacuteveloppement normal agrave la peacuteriode charniegravere de lrsquoadolescence Bien

qursquoeacutetiqueteacutes comme laquo mineurs deacutelinquants raquo par les instances peacutenales et

stigmatiseacutes par les multiples placements nombre drsquoentre eux refusent de

srsquoidentifier agrave une telle image Ils revendiquent au contraire un droit agrave

lrsquoerreur un droit agrave lrsquoexpeacuterimentation Ainsi srsquoils reconnaissent les faits

pour lesquels ils sont poursuivis leur interpreacutetation de ceux-ci ne corres-

pond certainement pas agrave la lecture reacuteductrice proposeacutee par le systegraveme

judiciaire faisant reacutefeacuterence aux cateacutegories du code peacutenal

La plupart des jeunes insistent sur une dimension fondamentale qui

les lie agrave lrsquoaction elle-mecircme laquo

lrsquoadreacutenaline

raquo Lrsquoanxieacuteteacute au moment de voler

est stimulante ils eacutevoquent aussi la prise de risque et la reacuteussite le plaisir

lieacute agrave la consommation de stupeacutefiantshellip Nombreux sont ceux qui confessent

avoir trouveacute dans la vente de stupeacutefiants ou le vol laquo quelque chose dans

lrsquoaction qui ne se passe pas ailleurs raquo (Brion et de Coninck 1999 p 939)

Associeacutee agrave la prise de risque laquo

lrsquoadreacutenaline

raquo est lrsquooccasion de vivre des

eacutemotions intenses qui deacutepassent largement leur quotidien habituel Le fait

de commettre les deacutelits en groupe augmente par ailleurs le plaisir ressenti

Crsquoest le stress aussi Crsquoest de vivrehellip Je crois comme dans les films vousvoyez Crsquoest bon simplement crsquoest de lrsquoadreacutenaline (Manu 17 ans)

Drsquoautres recherches ont drsquoailleurs mis en eacutevidence que laquo lrsquoentreacutee

dans le style de vie deacuteviant relegraveve presque toujours initialement drsquoune

motivation lieacutee agrave la recherche du plaisir raquo (Brunelle Cousineau et Brochu

2002 p 24)

La recherche drsquoargent est une autre motivation fondamentale pour

ces jeunes Elle prend pour eux des connotations particuliegraveres drsquolaquo argent

facile raquo ou drsquolaquo argent-compensation raquo Deacutepenser de lrsquoargent est synonyme

drsquoexister de vivre Durckheim avait deacutejagrave souligneacute le lien entre sentiment

drsquoexister et deacutepenses laquo Vivre crsquoest avant tout agir agir sans compter pour

le plaisir drsquoagir Et [hellip] srsquoil faut amasser pour pouvoir deacutepenser crsquoest

pourtant la deacutepense qui est le but et la deacutepense crsquoest lrsquoaction raquo (tel que

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citeacute dans

Grell 1999 p 207) La recherche drsquoargent se manifeste sous

deux formes particuliegraveres le plaisir de lrsquoargent facile ou la jouissance de

posseacuteder et la compensation drsquoune situation deacutefavorable Lrsquoargent facile

ou lrsquoargent plaisir correspond agrave des beacuteneacutefices rapidement acquis par la

vente de stupeacutefiants ou le vol de voitures qui poussent agrave la surconsomma-

tion Cet argent mateacuterialiseacute par lrsquoachat de produits ostensibles et luxueux

(motos vecirctementshellip) brucircle les doigts vite acquis il est vite deacutepenseacute

Lrsquoargent facile est ainsi une tentation agrave laquelle il est difficile de reacutesister

qui procure de plantureux beacuteneacutefices inaccessibles par des voies leacutegalement

reconnues au vu du niveau scolaire familial et social

Crsquoest fou lrsquoargent qursquoon peut se faire

[en vendant des pilules drsquoecstasy]

Crsquoest laquo deacutegueulasse raquo parce qursquoon vend de la mort Moi jrsquoaime bien lrsquoargentcomme tout le monde peut-ecirctre un peu plus Quand jrsquoai de lrsquoargent je ledeacutepense direct Et quand je vendais je pouvais me permettre tout je pou-vais mrsquoacheter tout je me faisais un meacutechant beacuteneacutefice Et quand je vaissortir je vais toujours y retourner pour aller en chercher Je vais recommen-cer agrave vendre crsquoest clair Je vendrai agrave gauche et agrave droite pour arrondir mesfins de mois Jrsquoaimerais bien arrecircter mais quand on sait combien ccedila rap-porte ccedila va ecirctre plus fort que moi Crsquoest la tentation de lrsquoargent facile Crsquoestpas si eacutevident Ici on peut faire un projet mais quand on est dehors crsquoestpas la mecircme vie

(Dominique 17 ans)

La recherche drsquoargent peut eacutegalement ecirctre en lien avec un contexte

de vie aux ressources financiegraveres limiteacutees Le vol est alors un mode

drsquoappropriation drsquoobjets consideacutereacutes comme inaccessibles La deacutelinquance

se preacutesente parfois comme une modaliteacute de survie neacutecessaire agrave lrsquointeacutegration

dans une socieacuteteacute de consommation lorsqursquoon ne beacuteneacuteficie pas des moyens

drsquoy participer pleinement (Delens-Ravier et Thibaut 2003 p 30)

Faut voir les circonstances pourquoi il a voleacute

[hellip]

Srsquoil a vu une belle pairede chaussures dans un magasin que ses parents ne savent pas payerhellipQursquoest-ce qursquoil va faire le jeune Il va aller voler pour se les payer crsquoesttouthellip Srsquoil y avait du travail srsquoil y avait quelque chose pour nous occuperce serait laquo agrave lrsquoaise raquo Mais en Belgique il nrsquoy a rien du tout pour les jeunes

(Rodovan 17

1

2

ans)

Les deacutelits peuvent eacutegalement avoir pour objet drsquoexprimer des diffi-

culteacutes drsquoordre familial permettant une visibiliteacute accrue agrave travers la reacuteaction

judiciaire Lrsquoexpression des difficulteacutes correspond agrave une quecircte drsquoidentiteacute

ou de reacuteponses parentales Cet appel agrave exister peut srsquoadresser non seule-

ment agrave la famille mais agrave lrsquoensemble de la socieacuteteacute comme reacuteponse aux

interpellations policiegraveres systeacutematiques aux

homes

ougrave lrsquoon est placeacute aux

eacutecoles dont on a eacuteteacute exclu au patron qui a refuseacute drsquoembaucherhellip Ce type

de laquo motivation raquo de la transgression fait reacutefeacuterence agrave une situation person-

nelle insatisfaisante laissant preacutesager des trajectoires discontinues marqueacutees

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par les ruptures notamment avec le milieu familial et risquant de conduire

agrave la deacutesaffiliation ou agrave une affiliation deacuteviante agrave la vengeance agrave lrsquoauto-

destructionhellip (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 14)

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la deacutelinquance des jeunes rencontreacutes peut se

comprendre comme une eacutechappatoire agrave une socialisation contraignante

difficile voire impossible pour eux Dans ce sens la transgression est vue

comme un signe de bonne santeacute pour des jeunes que le monde nrsquoattend

pas ce dont ils ont pris conscience assez tocirct notamment agrave travers leur

veacutecu scolaire et la position sociale de leurs familles Comme le dit tregraves

justement Grell agrave propos de jeunes Canadiens

[hellip] leurs deacuteambulations existentielles indissociables de leurs pas-sions et leurs excegraves seraient agrave lire comme drsquoincessantes tentativesde deacutepassement de ce preacutesent tragique drsquoun monde qui au lieude leur offrir des prises fermes leur met plutocirct des sables mou-vants sous les pieds Leurs deacuteambulations existentielles excessiveset passionneacutees ne posent-elles pas degraves lors lrsquoinsoutenable questionde lrsquoinsignifiance drsquoun monde qui ne constitue plus ou insuffisam-ment lrsquoarmature de lrsquoexistence des mortels Les excegraves et les mul-tiples eacutecarts de ces jeunes ne sont-ils pas dans ce cas un signe desanteacute la fabrication drsquoanticorps ayant pour fonction de franchirles limites de la maladie mondaine (Grell 1999 p 210)

Les diffeacuterents sens de la transgression peuvent cohabiter chez un

mecircme jeune eacutevoluer au fil du tempshellip La faccedilon de vivre leur deacuteviance

ne paraicirct pas vraiment centrale dans la reacuteaction subjective agrave la mesure

judiciaire Ce nrsquoest donc pas le veacutecu de leur deacutelinquance qui srsquoarticule

avec drsquoautres eacuteleacutements comme le sentiment de justice ou drsquoinjustice de

la deacutecision ou le type de rapports aux acteurs sociaux et judiciaires mais

bien le fait que les acteurs judiciaires et sociaux vont prendre en consideacute-

ration laquo leur raquo interpreacutetation subjective de leur deacutelinquance le sens que

les jeunes eux-mecircmes lui donnent dans leur contexte particulier ce qui

neacutecessite eacutecoute et compreacutehension au-delagrave de lrsquoaffirmation de la norme

et de la leacutegitimation drsquoune sanction

742 L

A

DEacuteCISION

DU

MAGISTRAT

La deacutecision de placement en IPPJ se preacutesente clairement comme une

punition agrave leurs yeux justifieacutee ou non Elle apparaicirct comme une reacuteponse

logique essentiellement en comparaison avec le systegraveme peacutenal adulte dans

la mesure ougrave ils admettent avoir fait des laquo conneries raquo et qursquoil est normal

drsquoecirctre laquo puni raquo Il srsquoagit parfois drsquoune deacutecision par deacutefaut lorsque les

familles ne veulent plus rien entendre ou qursquoaucune autre institution

nrsquoaccepte le mineur La deacutecision est cependant veacutecue comme une injustice

si le jeune ne reconnaicirct pas les faits lorsque le deacutelai entre les faits et la

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190

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sanction est trop long lorsqursquoune seacuterie de mesures srsquoaccumulent sans que

le jeune perccediloive quelle est la sanction veacuteritable lorsque les conditions

drsquoentreacutee et de sortie ne sont pas clairement eacutetablies lorsque la diffeacuterence

de traitement entre mineurs et majeurs ou drsquoun arrondissement judiciaire

agrave lrsquoautre est trop marqueacutee

La deacutecision qui consiste en lrsquoinjonction de reacutealisation drsquoune prestation

eacuteducative ou philanthropique est veacutecue comme une sanction laquo leacutegegravere raquo

comparativement au placement jugeacute trop seacutevegravere

Jrsquoavais peur de ce qursquoelle

[juge de la jeunesse]

allait me dire De ce quejrsquoallais avoir Si jrsquoallais ecirctre placeacute ou pas Je mrsquoattendais pas agrave ccedila jemrsquoattendaishellip Je sais pashellip Plus seacutevegravere Et ici ccedila allait

(Joseo 18 ans)

Elle est accepteacutee par certains dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice

jugeacutee alors moins laquo coucircteuse raquo qursquoun placement ou carreacutement refuseacutee par

drsquoautres car repreacutesentant une sorte de laquo travaux forceacutes

8

raquo

743 L

E

MAGISTRAT

DE

LA

JEUNESSE

Le juge de la jeunesse est une figure marquante associeacutee avant tout agrave

lrsquoinstance qui peut deacutecider drsquoun placement dont la crainte repreacutesente

vraiment le pivot autour duquel srsquoarticule lrsquoappreacuteciation que les jeunes

ont de lrsquointervention judiciaire comme si pour eux le juge nrsquoavait pas

drsquoautres mesures agrave sa disposition

Les diffeacuterentes images de juges qui eacutemergent du discours des jeunes

renvoient agrave des perceptions contrasteacutees Elles vont drsquoune appreacuteciation

franchement neacutegative (le juge qui place sans reacuteflexion) agrave une appreacuteciation

franchement positive (le juge protecteur et paternaliste) Le juge qui place

sans reacuteflexion

est celui qui mateacuterialise son action par une mesure de

placement comme reacuteponse unique malgreacute la diversiteacute des jeunes ou des

situations qursquoil rencontre La relation est ici hyperstandardiseacutee lrsquoespace

de parole accordeacute aux jeunes et agrave leur famille apparaissant extrecircmement

restreint Aux yeux des jeunes la systeacutematisation du placement est reacuteveacutela-

trice agrave la fois drsquoun manque drsquoindividualisation des mesures et donc drsquoeacutecoute

et drsquoun manque de connaissance des reacutealiteacutes institutionnelles Certains

jeunes reacutepondent alors par la fugue agrave ce manque drsquoeacutecoute ressenti au

moment de la deacutecision ou au cours de leur placement strateacutegie qui oblige

le juge de la jeunesse agrave rouvrir le deacutebat sur leur compte Agrave lrsquoopposeacute le

juge protecteur et paternaliste

constitue lrsquoimage inverseacutee du juge laquo qui

place sans reacuteflexion raquo Ici le rocircle du juge de la jeunesse deacuteborde celui de

8 Voir plus bas les diffeacuterentes strateacutegies de reacuteaction

DU TRIBUNAL DE LA JEUNESSE AU PLACEMENT EN INSTITUTION SPEacuteCIALISEacuteE

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laquo dire la loi raquo et son intervention deacutepasse le cadre du fait commis Il nrsquoest

pas lagrave uniquement pour sanctionner il cherche agrave comprendre agrave aider Ce

nrsquoest cependant pas lrsquoideacutee drsquoassistance qui suffit en soi agrave eacutetayer cette image

du laquo bon raquo juge Lrsquoimage positive du juge est le reacutesultat de la conjugaison

de plusieurs eacuteleacutements notamment le respect du jeune (par exemple en

faisant respecter les droits du jeune par les policiers) la franchise et la

clarteacute des deacutecisions Neacuteanmoins la figure peut ecirctre double juge paternel

dans des situations de mineur en danger juge laquo placeur raquo lorsque le jeune

a commis un fait qualifieacute drsquoinfraction Les deux facettes sont fonction de

la motivation de la saisine mais sont eacutegalement conditionneacutees par le

conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance qursquoil

parvient agrave susciter ou non

Si les images du juge diffegraverent il existe une certaine constance dans

les relations Preacutevaut drsquoabord la crainte du placement Ainsi bien que les

jeunes qualifient geacuteneacuteralement de laquo

bonnes

raquo les relations avec leur juge

eacutevoquant mecircme une certaine proximiteacute affective en parlant de laquo

mon (ma)juge

raquo

ils perccediloivent les deacutecisions prises par le magistrat comme eacutetant en

quelque sorte exteacuterieures agrave cette relation comme si le juge ne maicirctrisait

pas reacuteellement sa deacutecision guideacutee par des facteurs exteacuterieurs

Dans leurs appreacuteciations les jeunes distinguent acteurs judiciaires et

systegraveme de justice des mineurs Si le juge est parfois consideacutereacute comme un

laquo bon raquo juge et appreacutecieacute le systegraveme de justice est globalement perccedilu

comme injuste pour ces jeunes marginaliseacutes

Moi la justice je trouve qursquoelle est pas juste crsquoest touthellip Je dis pas dujuge il est pas juste je dis la socieacuteteacute elle est pas juste

(Nick 16 ans)

744 L

ES

ACTEURS

INSTITUTIONNELS

9

La confrontation avec les acteurs institutionnels est la cleacute de voucircte du

systegraveme eacuteducatif de placement en institution speacutecialiseacutee Les acteurs cleacutes

aux yeux des jeunes sont drsquoabord les eacuteducateurs lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-

sociale (assistants sociaux psychologues meacutedecin psychiatre) et enfin

les autres jeunes

7441 Les eacuteducateurs

Les jeunes insistent sur la distance ineacuteluctable et neacutecessaire qui existe

entre jeunes et eacuteducateurs bien que les deux soient soumis aux regravegles et

agrave lrsquoinfrastructure institutionnelle et soient pris dans les mecircmes contraintes

9 Nous deacuteveloppons ici exclusivement le discours des jeunes placeacutes les donneacutees concer-nant les jeunes en prestation eacutetant trop restreintes

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192

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Comme dans leurs rapports avec les magistrats les relations avec les eacutedu-

cateurs sont marqueacutees par les laquo

figures

raquo auxquelles ces derniers se rattachent

selon les jeunes Ainsi lrsquoeacuteducateur laquo

qui eacutecoute et qui rigole

raquo correspond agrave

une image positiveacutee du rocircle drsquoeacuteducateur Cette image renvoie agrave une fonc-

tion de compreacutehension drsquoeacutecoute attentive au-delagrave drsquoune simple eacutecoute

qui restitue en retour une image positive au jeune le valorisant et lui

permettant de croire en lui Ce type drsquoeacuteducateur parvient agrave une connais-

sance suffisante du jeune pour arriver agrave lui mettre des limites Il est eacutega-

lement engageacute dans son travail essentiellement par son inteacuterecirct profond

pour les jeunes eux-mecircmes avant toute recherche de reconnaissance

sociale ou peacutecuniaire Une autre figure est lrsquoeacuteducateur laquo

avec qui on rigolepas

raquo qui se cantonne dans le respect strict du regraveglement la discipline

nrsquoest pas neacutegocieacutee elle est appliqueacutee au pied de la lettre Il en reacutesulte un

manque de souplesse et de dialogue lrsquoapplication du regraveglement strict

apparaissant comme une fin en soi Une derniegravere figure est celle de lrsquoeacutedu-

cateur laquo

lasseacute

raquo

qui aux yeux des jeunes ne remplit son rocircle ni dans lrsquoani-

mation de groupe ni dans le maintien de la discipline

7442 Lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale

Les deux acteurs principaux de ces eacutequipes dans la vie des jeunes sont les

assistantes et assistants sociaux et les psychologues Selon eux lrsquoeacutequipe

remplit trois fonctions le laquo

gribouillage

raquo rocircle drsquoexpertise par la reacutealisation

de tests et la reacutedaction de rapports dont les jeunes ne perccediloivent pas la

finaliteacute lrsquoeacutecoute et le soutien et enfin lrsquoeacutelaboration du projet de sortie

Lorsque les professionnels sont perccedilus comme centreacutes essentiellement sur

leur mission drsquoobservation et drsquoexpertise les relations sont insatisfaisantes

pour les jeunes qui ne se sentent degraves lors pas laquo

eacutecouteacutes

raquo

Par contre lorsque les intervenants psychosociaux sont preacutesents dans

le quotidien des jeunes et qursquoils peuvent se rendre disponibles en cas de

difficulteacute ou de demande ils sont perccedilus comme un soutien reacuteel

Lrsquoeacutelaboration du projet de sortie est le reflet de tous les obstacles

que devront surmonter ces jeunes pour devenir les laquo entrepreneurs raquo de

leur existence (Blairon 2003 p 8) alors qursquoils sont marqueacutes par la releacute-

gation et la deacutesaffiliation Ainsi lorsque le projet qui tient agrave cœur au jeune

ne correspond pas vraiment agrave un projet de sortie mais srsquoapparente plutocirct

agrave une recherche sur soi-mecircme son eacutelaboration avec les membres de

lrsquoeacutequipe psychosociale si celle-ci ne se limite pas agrave son rocircle laquo drsquoeacutecriture

de rapports raquo peut ecirctre lrsquooccasion drsquoune rencontre et drsquoune eacutecoute Mais

lorsque le projet est discuteacute dans un cadre laquo moralisateur raquo ougrave les objectifs

sont deacutefinis par lrsquoensemble des intervenants plutocirct que par le jeune lui-

mecircme il apparaicirct comme le vecteur unique de communication et reste

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enfermeacute dans son caractegravere hyperformel Il ne permet pas alors une reacuteelle

eacutecoute ni un reacuteel travail sur laquo le sens veacutecu raquo des actes poseacutes il nrsquoest que

conformiteacute de surface aux attentes sociales

745 DIFFEacuteRENTES STRATEacuteGIES DE REacuteACTION

Les diffeacuterentes reacuteactions agrave la mesure de placement articulant les eacuteleacutements

cleacutes que nous venons drsquoexposer reacuteactions qui eacutemergent agrave lrsquoanalyse font

reacutefeacuterence soit agrave une eacutevolution en termes drsquoadaptation et de rationalisation

de la mesure alors veacutecue comme une possibiliteacute de laquo rachat raquo soit agrave une

eacutevolution en termes de repli et de refus Et dans ce cas la mesure est veacutecue

comme une punition insupportable Une derniegravere strateacutegie consiste agrave se

rendre en quelque sorte impermeacuteable agrave ne pas donner prise aux interve-

nants en adoptant une attitude minimale de conformisme de surface ou

drsquoindiffeacuterence

Les discours tregraves contrasteacutes des quelques jeunes rencontreacutes dans le

cadre de lrsquoexeacutecution drsquoune mesure de prestation eacuteducative alimentent

lrsquohypothegravese drsquoune strateacutegie de reacuteaction srsquoarticulant autour des rapports

que le jeune entretient avec le corps social en termes drsquointeacutegration ou

drsquoexclusion La mesure peut ainsi se preacutesenter comme une sanction per-

mettant de tourner la page une humiliation suppleacutementaire insuppor-

table ou une sanction ineacuteluctable moins coucircteuse qursquoun placement trois

formes de reacuteaction apparenteacutees selon nous agrave celles que manifestent les

jeunes placeacutes

7451 Une strateacutegie drsquoadaptation et de rationalisation

Si le placement deacutebute toujours par des premiegraveres semaines difficiles

certains jeunes srsquoadaptent progressivement agrave lrsquoenvironnement institution-

nel en laissant place agrave une volonteacute de tirer un certain profit de leur seacutejour

Ils tentent de positiver la mesure par lrsquoappropriation des objectifs du

placement judiciaire en termes de victoire sur eux-mecircmes (en se maicirctri-

sant suffisamment pour parvenir agrave se conformer au carcan institutionnel)

drsquoinvestissement dans lrsquooffre scolaire et dans les divers apprentissages

sociaux Le temps du placement permet alors drsquoalimenter certains objec-

tifs personnels du jeune il est veacutecu comme lrsquooffre drsquoune chance de srsquoen

sortir Ces jeunes sont demandeurs drsquoun encadrement drsquoun accompagne-

ment drsquoun soutien speacutecifique par rapport agrave leur probleacutematique et sont

donc tregraves exigeants agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadulte

Que peut-on retenir comme eacuteleacutements srsquoarticulant autour de ce type

de reacuteaction au placement en institution speacutecialiseacutee Il ne semble pas que

lrsquoacircge des mineurs le reacutegime fermeacute ou ouvert le type de deacutelinquance ou

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194 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

son veacutecu soient des facteurs de compreacutehension particuliers Lrsquoorigine

sociale et culturelle de ces mineurs qui rationalisent leur expeacuterience est

diversifieacutee belge europeacuteenne et africaine Une prise de conscience au

terme drsquoun parcours chaotique jalonneacute de nombreuses prises en charge

srsquoamorce pour permettre cette rationalisation Un deacuteclic semble se faire

comme srsquoils eacutetaient arriveacutes laquo au bout du bout raquo mais drsquoautres se trouvant

dans le mecircme type de situation vont reacuteagir tout agrave fait diffeacuteremmenthellip

Un premier eacuteleacutement est le fait de consideacuterer la deacutecision judiciaire

comme une deacutecision logique et juste mecircme srsquoils auraient preacutefeacutereacute une

autre deacutecision10

Il semblerait que le veacutecu relationnel avec lrsquoun des acteurs judiciaires

principaux soit un eacuteleacutement de compreacutehension de cette position de ratio-

nalisation Ainsi pour ces jeunes la rencontre avec leur juge de la jeunesse

ou avec un eacuteducateur ou un membre de lrsquoeacutequipe psycho-meacutedico-sociale

de lrsquoinstitution se preacutesente comme une offre reacuteelle la personne est vue

par le jeune comme cherchant agrave le comprendre agrave lui donner une chance

agrave lui offrir quelque chose dans un contexte geacuteneacuteral ougrave preacutevaut lrsquoimpres-

sion de rejet et de meacutepris On retrouvera ici les figures de juge laquo protecteur

et paternaliste raquo drsquoeacuteducateur laquo avec qui on peut rigoler raquo et drsquointervenants

psychosociaux donnant prioriteacute agrave leur mission drsquoeacutecoute et de soutien11 Si

le reacutegime fermeacute ou ouvert nrsquoest pas en lui-mecircme un eacuteleacutement de compreacute-

hension particulier la faccedilon dont ce reacutegime srsquoorganise soit en privileacutegiant

lrsquoaspect eacuteducatif agrave travers le relationnel soit en donnant la prioriteacute au

respect des regravegles et agrave la discipline est un facteur drsquointelligibiliteacute de la

reacuteaction des jeunes

La situation familiale de ces jeunes est pour la plupart drsquoentre eux

profondeacutement insatisfaisante le placement en institution speacutecialiseacutee sera

parfois lrsquooccasion de renouer un lien avec la famille de tenter une der-

niegravere fois de retrouver une confiance agrave partir du travail de lrsquoinstitution

Cependant pour certains lrsquoinstitution sera le dernier refuge avant de se

retrouver seul dans la vie en socieacuteteacute sachant qursquoil sera impossible de

compter sur lrsquoenvironnement familial Lrsquoinstitution est alors la derniegravere

eacutetape avant lrsquoautonomie

On retrouve le mecircme type de strateacutegie associeacutee agrave une reacuteaction de

rationalisation chez des jeunes ayant accompli une prestation eacuteducative

lorsque celle-ci est veacutecue comme lrsquooccasion drsquoune expeacuterience positive nou-

velle qui permet agrave la fois de deacutecouvrir de nouveaux horizons de chasser

10 Voir plus haut

11 Voir plus haut laquo Le magistrat de la jeunesse raquo

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lrsquoennui et de restaurer une image de soi mise agrave mal par les faits de deacutelin-

quance Mecircme srsquoil srsquoagit bien drsquoune sanction imposeacutee par le cadre judi-

ciaire celle-ci se reacutevegravele une expeacuterience positive satisfaisante tant sur le

plan personnel que relationnel et social La satisfaction personnelle est

lieacutee au fait que le travail imposeacute est le plus souvent consideacutereacute comme

inteacuteressant voire agreacuteable Il permet drsquoapprofondir ou drsquoacqueacuterir une

expeacuterience qui pourra se reacuteveacuteler utile ulteacuterieurement il est lrsquooccasion de

deacutevelopper certains savoir-ecirctre Sur le plan relationnel le contact avec le

responsable de lrsquoexeacutecution de la prestation est valorisant de mecircme que

la rencontre avec les eacuteventuels beacuteneacuteficiaires de la prestation (patients

jeunes enfantshellip) Plus largement la valorisation sociale vient du senti-

ment drsquoutiliteacute aupregraves de la communauteacute ressenti par ces jeunes ainsi que

de la possibiliteacute drsquoexister autrement qursquoagrave travers lrsquoacte de deacutelinquance

Vaillant parle de reacuteparation symbolique de restauration du lien lorsque

lrsquoexpeacuterience de travail agrave partir de la mesure de prestation avec tout ce

qursquoelle comporte comme reacutealisations concregravetes deacutemarches rencontres

permet une reacuteelle confrontation ou rencontre entre le mineur deacutelinquant

et les autres laquo La reacuteparation se pose sur le mode de la reacuteconciliation

sociale le jeune et la socieacuteteacute doivent tous les deux faire un pas pour aller

lrsquoun vers lrsquoautre raquo (Vaillant 2000 p 71)

Jrsquoai appris quelque chose et moi jrsquoai fait ce qursquoon me demande de faire pourreacuteparerhellip Alors moi je savais deacutejagrave que crsquoeacutetait possible drsquoapprendre un meacutetierAu lieu drsquoaller dans un internat ou dans une prison pour un mois oudeux mois on nous demande de travailler comme ccedila pour la socieacuteteacute commeccedila en mecircme temps on fait quelque chose de bien on travaille bien Oui onse fait punir mais drsquoune autre faccedilon (Joseo 18 ans)

Lrsquoeffet de reconstruction de lrsquoimage du jeune et par lagrave drsquoune forme

de lien social est ici indeacuteniable Au-delagrave de lrsquoimage neacutegative qursquoun jeune

laquo deacutelinquant raquo pensait donner de lui le veacutecu de la prestation lui permet

de ne pas ecirctre reacuteduit agrave lrsquoacte commis de tourner la page et de conserver

la consideacuteration des autres

Ce type de strateacutegie est deacuteveloppeacute par des jeunes que nous avons

situeacutes du cocircteacute du pocircle inteacutegration la judiciarisation du passage agrave lrsquoacte

rompt un eacutequilibre dans les rapports que le jeune entretient avec son

entourage social scolaire et familial et la mesure permet de restaurer

une nouvelle forme drsquoeacutequilibre Le jeune srsquoapproprie les objectifs eacuteduca-

tifs des intervenants qursquoil rencontre tant dans la proceacutedure judiciaire que

sur le terrain drsquoexeacutecution de la prestation

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196 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

7452 Une strateacutegie de repli-refus

Agrave lrsquoinverse certains jeunes pratiquent une strateacutegie de repli par rapport

agrave leur placement lequel est veacutecu essentiellement comme une limite neacutega-

tive une sanction sans offre positive Ils adoptent une attitude activement

neacutegative La mesure est veacutecue essentiellement comme une punition une

forme drsquoemprisonnement mecircme srsquoil srsquoagit drsquoun placement en milieu eacutedu-

catif ouvert crsquoest le laquocalvaireraquo Ce type de jeunes nrsquoaccroche agrave rien deacuteveloppe

une influence neacutegative sur le groupe et un travail constructif est tregraves

difficile agrave mettre en œuvre Souvent drsquoailleurs ces jeunes finissent par

fuguer de lrsquoinstitution marquant ainsi clairement leur refus

Il semblerait que les jeunes qui pratiquent cette strateacutegie soient plus

jeunes que ceux qui rationalisent sans doute la maturiteacute ou lrsquoaccumula-

tion des mesures jouent-elles un rocircle agrave cet eacutegard Si les origines de ces

jeunes sont diversifieacutees ndash belge europeacuteenne ndash on retrouve ici des jeunes

drsquoorigine maghreacutebine refusant drsquoailleurs le plus souvent de srsquoexprimer sur

leur veacutecu sur leur famille sur leur deacutelinquance niant mecircme les faits12hellip

Agrave partir drsquoune perception de la sanction comme injuste en raison

du deacutelai de la proceacutedure du flou entourant la dureacutee de la deacutecision judi-

ciaire des diffeacuterences de traitement selon les arrondissements ou lrsquoacircge ou

plus largement drsquoun sentiment drsquoecirctre constamment floueacute et rejeteacute la

mesure de placement est veacutecue exclusivement en termes de laquo perte detemps raquo drsquoennui de temps srsquoeacutetirant agrave lrsquoinfini Lrsquoaccent est mis sur le cadre

laquo merdique raquo de lrsquoinstitutionhellip Les rapports aux acteurs judiciaires au juge

notamment se caracteacuterisent par lrsquoincompreacutehension mutuelle et le senti-

ment drsquoinjustice subie on retrouve ici les figures de juges laquo qui placent sansreacuteflexion raquo

Le parcours est chaotique mais aucune intervention aucune ren-

contre nrsquoa encore pu lui donner un sens Les eacuteducateurs sont perccedilus

comme laquo lasseacutes raquo ou se cantonnant dans lrsquoapplication du regraveglement les

intervenants psychosociaux leur semblent se contenter drsquoeacutecrire des rap-

ports Tout se passe pour ces jeunes comme si les eacuteveacutenements se deacuterou-

laient en dehors drsquoeux ils subissent avec colegravere ce qui leur arrive Ce sont

des jeunes qui parlent peu de leur environnement familial ou refusent

mecircme carreacutement drsquoen parler Les rapports au monde sont veacutecus en termes

drsquoinjustice la sanction est une iniquiteacute suppleacutementaire Ils se trouvent

12 Il conviendrait de poursuivre les recherches pour comprendre cette meacutefiance et cettereacuteticence agrave se confier

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dans un eacutetat profond drsquoinsatisfaction agrave lrsquoeacutegard des conditions de vie et de

la reacuteaction judiciaire qui peut faire craindre lrsquoinstallation dans un style de

vie deacuteviant (Brunelle Cousineau et Brochu 2002 p 25)

On retrouve le mecircme type de strateacutegie chez des jeunes agrave qui le

magistrat impose une mesure de prestation eacuteducative et qui refusent car-

reacutement drsquoentreprendre toute action reacuteparatrice comme ils refuseraient

toute proposition venant de la socieacuteteacute Vaillant dit de ces mineurs qursquoils

se sentent des laquo victimes eacutetrangegraveres agrave toute responsabiliteacute [hellip] Ce nrsquoest

qursquoun juste retour des choses ils manquent de tout on leur doit tout on

ne peut rien leur demander raquo (Vaillant 2000 p 84)

On peut raisonnablement faire lrsquohypothegravese que ces jeunes nrsquoont

jamais connu une quelconque forme de lien social et ne vivent leur rap-

port agrave la socieacuteteacute que comme exclusion et injustice Crsquoest effectivement le

discours de certains jeunes qui ont refuseacute une mesure de prestation et se

sont donc retrouveacutes placeacutes en institution speacutecialiseacutee La prestation devient

ici une laquo proposition injurieuse raquo

Il [le juge] sait bien que ccedila marche pas avec moi Je vais pas commenceragrave me taper la gecircne dans mon quartier agrave faire des travaux geacuteneacuteraux Fautpas commencer non plus Ccedila va aller 250 heures de travaux geacuteneacuterauxou deux semaines agrave la prison je cherche pas agrave comprendre (Yves 16 ans)

7453 Une strateacutegie drsquoindiffeacuterence

Pour les jeunes qui emploient ce type de strateacutegie le placement est minimiseacute

le jeune srsquoinstalle dans une sorte drsquohibernation pour ne pas donner prise

aux intervenants il laquo attend que le temps passe raquo Cette attitude passive est le

plus souvent perccedilue neacutegativement par les eacutequipes eacuteducatives les jeunes

ne se laissant pas approcher ne permettant aucune opportuniteacute de ren-

contre nrsquoaccrochant pas aux propositions institutionnelles La mesure est

une punition agrave laquelle on se reacutesigne Sachant qursquoils nrsquoont pas vraiment

le choix et nrsquoayant pas envie de tomber plus bas ce type de jeunes se tient

tranquille Leur veacutecu est souvent proche de celui des jeunes qui deacuteve-

loppent une strateacutegie de refus leur caracteacuteristique principale est leur

impermeacuteabiliteacute mais ils sont moins vindicatifs que les jeunes en repli Ils

minimisent lrsquoimpact de la deacutecision judiciaire souvent en reacutefeacuterence agrave la

prison qui est plus deacutesagreacuteable encore Les relations aux acteurs judi-

ciaires ne paraissent pas tregraves porteuses les juges sont perccedilus comme ne

comprenant rien les relations aux eacutequipes eacuteducatives sont veacutecues comme

distantes Ce sont des jeunes qui se reacutefugient derriegravere les faits sans

investissement eacutemotionnel personnel

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198 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

On retrouve en fait la mecircme toile de fond entre la strateacutegie de refus

et drsquoindiffeacuterence il srsquoagit de deux modes de reacuteaction de retrait qui

rendent le travail eacuteducatif tregraves difficile voire impossible On ne peut pas

vraiment consideacuterer qursquoil srsquoagit de strateacutegies diffeacuterentes On serait plutocirct

en preacutesence de deux faccedilons de deacutecliner un rapport de distanciation par

rapport agrave lrsquointervention eacuteducative

Dans le mecircme type de rapport de distanciation on retrouve des

jeunes qui ont accepteacute et reacutealiseacute une mesure de prestation en arguant

principalement sur le caractegravere moins contraignant de la mesure par le

fait qursquoelle permet de conserver sa liberteacute (McIvor 1992 p 94) Il srsquoagit

drsquoune solution agrave moindre coucirct

Vaillant parle de ces mineurs pour qui la mesure de reacuteparation a

glisseacute sur eux sans les mouiller comme des laquo canards qui laissent couler

lrsquoeau sur leurs plumes et ne laissent rien deviner de leurs sentiments raquo

(Vaillant 2000 p 83) Ces jeunes se conforment agrave ce qursquoon leur impose

la prestation se passe bien lrsquoeacutevaluation est globalement positive mais ils

nrsquoinvestissent pas dans la dimension symbolique de la reacuteparation

Ainsi si la prestation est veacutecue uniquement comme une faccedilon drsquoeacutechap-

per agrave une punition plus seacutevegravere dans lrsquoennui et dans lrsquoattente que le temps

srsquoeacutecoule sans reacutealiser lrsquoutiliteacute du travail agrave effectuer sans rencontre inter-

personnelle elle correspond effectivement agrave une reacuteparation mais sans la

dimension de restauration drsquoun lien social Ce type de strateacutegie est deacuteve-

loppeacute par des jeunes que nous avons situeacutes du cocircteacute du pocircle marginalisation

La judiciarisation est alors une sorte de rateacute dans un parcours drsquointeacute-

gration parallegravele la mesure de prestation eacutetant consideacutereacutee comme un

moindre mal dans le cadre drsquoun calcul coucirct-beacuteneacutefice elle est accepteacutee par

le jeune qui lrsquoinscrit dans son projet de sortir le plus vite possible du circuit

judiciaire

CONCLUSION

La judiciarisation drsquoune transgression et la deacutecision qui lrsquoaccompagne sont

un eacuteveacutenement marquant qui repreacutesentent le point de deacutepart drsquoune relec-

ture de lrsquoensemble de la trajectoire des mineurs rencontreacutes La date de la

deacutecision judiciaire est drsquoailleurs souvent le seul repegravere temporel La signi-

fication que le jeune va accorder agrave cette deacutecision sanction logique ou

injustice en drsquoautres termes sa perception de la deacutecision est extrecircmement

importante pour comprendre la strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure et ainsi

le sens que celle-ci va prendre dans le parcours du jeune Mais comme le

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dit Carra si laquo lrsquointervention judiciaire par son action stigmatisante contri-

bue agrave lrsquoamplification secondaire de la deacutelinquance cet effet nrsquoest ni absolu

ni ineacutevitable Elle peut dans un contexte speacutecifique contribuer agrave lrsquoarrecirct

des activiteacutes deacutelictuelles Le suivi judiciaire peut finir par ne plus ecirctre veacutecu

comme stigmatisant mais ecirctre porteur de reconnaissance sociale et devenir

le support agrave des eacutechanges avec le monde ordinaire avec lequel ces mineurs

nrsquoont plus de liens positifs raquo (Carra 2001 p 164) crsquoest effectivement ce

que nous disent les mineurs qui deacuteveloppent une strateacutegie de rationalisation

La mesure de placement ou de prestation constitue alors une laquo veacuteritable

promesse de socialiteacute pour des jeunes priveacutes drsquoeacutechanges humains non

commerciaux livreacutes aux trafics magouilles deacutebrouilles et autres eacutecono-

mies de survie raquo (Vaillant 2000 p 67) agrave partir drsquoune rencontre drsquoacteurs

sociaux et judiciaires privileacutegiant lrsquoeacutecoute et le dialogue

La strateacutegie de reacuteaction agrave la mesure judiciaire se preacutesente comme

une combinaison complexe de diffeacuterents eacuteleacutements de lrsquohistoire person-

nelle du jeune de sa position sociale de son parcours sociojudiciairehellip

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la perception de la mesure et par lagrave son impact

est en lien avec la faccedilon dont srsquoest construit le rapport du jeune agrave la

socieacuteteacute Ainsi un jeune eacutetablissant certaines affiliations qui a des points

drsquointeacutegration et drsquoaccrochage avec lrsquoensemble de la socieacuteteacute percevra la

sanction comme une reacuteaction justifieacutee agrave un acte reconnu comme une

transgression

Si moi je fais une connerie le juge nrsquoaccepte pas donc je dois ecirctre puni etcrsquoest ccedila la punition crsquoest juste (Kevin 17 ans)

Admettant la sanction le jeune pourra la vivre comme une reacuteconci-

liation avec la socieacuteteacute et une reconstruction de lrsquoimage de soi

Agrave lrsquoopposeacute le jeune qui occupe une position drsquoexclusion ou simple-

ment marginale qui nrsquoeacutetablit pas drsquoaffiliation avec les circuits socialement

reconnus vivra la sanction comme un signe suppleacutementaire de rapports

deacutejagrave ressentis comme eacutetant profondeacutement ineacutegalitaires La laquo deacutelinquance raquo

peut ecirctre veacutecue comme une source de revenu une base de statut social

dans un environnement parallegravele le jeune cherche alors comment eacuteviter

(strateacutegie de refus) ou annuler (strateacutegie drsquoindiffeacuterence) ce qursquoimplique

la mesure au lieu de tenter drsquointeacutegrer les valeurs que le juge et les inter-

venants lui proposent agrave travers celle-ci

La reacuteaction des jeunes agrave la mesure judiciaire nrsquoest cependant pas le

seul effet de lrsquointervention du systegraveme de justice des mineurs Celui-ci ne

fait souvent que renforcer certains aspects qui preacuteexistent agrave son action

action qui apparaicirct en fait preacutedeacutetermineacutee par la place de lrsquoindividu au

sein des rapports sociaux (Carra 2001 p 164) Lrsquointervention judiciaire

relative aux mineurs srsquoinscrit dans un processus complexe ougrave interviennent

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200 TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

de multiples acteurs et agents de socialisation et au cours duquel laquo la place

que lrsquoindividu occupe dans les rapports sociaux le rendra plus ou moins

vulneacuterable lors des confrontations sociales dans son milieu de vie agrave

lrsquoeacutecole au travail face agrave la justice confrontations sociales dont le deacuterou-

lement et lrsquoissue participent au processus de constitution de la deacutelinquance

juveacutenile raquo (Carra 2001 p 166)

Il semble que la strateacutegie de rationalisation deacutegageacutee du discours de

certains jeunes ne serait accessible qursquoagrave ceux qui ont drsquoune maniegravere ou

drsquoune autre rencontreacute une possibiliteacute de sortir de la domination totale qui

ont eu lrsquooccasion de faire lrsquoexpeacuterience de la reconnaissance et de lrsquoeacutechange

Ainsi par exemple lrsquoimage du juge laquo protecteur et paternaliste raquo image

valoriseacutee par les jeunes qui cherchent agrave laquo profiter raquo de lrsquooffre judiciaire

est perccedilue par des jeunes qui possegravedent suffisamment de maicirctrise des

rouages du systegraveme pour se conformer minimalement aux exigences de

ce systegraveme en parvenant agrave srsquoattirer la bienveillance de ses acteurs13

Lrsquoacceptation de la neacutegociation drsquoun projet de sortie socialement acceptable

est lrsquoun des eacuteleacutements de cette strateacutegie de rationalisation

Tous ces jeunes laquo deacutelinquants raquo parlent drsquoune souffrance sociale ou

familiale leur comportement probleacutematique est finalement une forme de

reacuteponse agrave un besoin de reconnaissance agrave travers la possession de biens

mateacuteriels ou de consommation lrsquoexpression de leur rage ou de leur

malaisehellip Pour comprendre lrsquoarticulation des eacuteveacutenements de leurs trajec-

toires vers la sortie des pratiques deacuteviantes ou au contraire lrsquoinstallation

dans lrsquoescalade il faudrait approfondir la dialectique identiteacute personnelle

reacutegulations sociales dans la production de la deacuteviance (Carra 2001 p 161)

agrave partir de la perception qursquoont les jeunes eux-mecircmes de leur parcours et

des eacuteveacutenements qui le jalonnent Agrave travers notre analyse la perception

subjective des individus est apparue fondamentale dans la compreacutehension

des strateacutegies de reacuteaction aux interventions de reacutegulation sociale Cette

perception est neacuteanmoins le produit drsquoune combinaison drsquoeacuteleacutements qui

tiennent tant aux caracteacuteristiques personnelles du jeune et agrave son histoire

socioculturelle et individuelle qursquoagrave son laquo destin social raquo (De Gaulejac

1994) ougrave la confrontation aux acteurs sociaux et judiciaires et la recon-

naissance qursquoils permettent drsquoobtenir est lrsquoun des eacuteleacutements cleacutes de la

combinaison La quecircte de reconnaissance est au cœur de leur strateacutegie

drsquoadaptation agrave la judiciarisation Crsquoest par la mise en confiance dans une

relation entre le jeune et lrsquoadulte que le jeune va pouvoir se construire

13 Comme nous lrsquoavons deacuteja releveacute la perception du juge est eacutegalement conditionneacutee parle conformisme du jeune au rocircle attendu et donc par la bienveillance que celui-ciparvient ou non agrave susciter

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ou se reconstruire deacutecouvrir une certaine estime de soi par lrsquoinvestisse-

ment dans une activiteacute valorisante qui lui permettra alors de deacutevelopper

une envie minimale de srsquoinscrire dans un projet de sortie reacuteellement per-

sonnel et investi laquo Lrsquoaccegraves agrave un rapport agrave soi reacuteussi deacutepend de la recon-

naissance intersubjective de ses capaciteacutes et de ses reacutealisations raquo (Honneth

traduit par Pourtois 1998 p 9) Lrsquoexpeacuterience de judiciarisation et ce

qursquoelle implique peut permettre cette reconnaissance intersubjectivehellip

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204

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Cette conclusion aurait pu faire lrsquoeacuteloge de chacun des chapitres qui consti-

tuent ce collectif drsquoauteurs En adoptant une approche reacutesolument qualitative

tous contribuent en effet drsquoune maniegravere significative agrave lrsquoenrichissement

des connaissances concernant la reacutealiteacute complexe des

trajectoires de viedeacuteviantes

des adolescents Nous avons plutocirct choisi de mettre en relation

les eacuteleacutements de savoir qui se deacutegagent de lrsquoensemble des chapitres car il

est apparu qursquoau-delagrave des contributions singuliegraveres se deacutetachent des lignes

drsquointelligence qui transcendent lrsquoensemble des productions preacutesenteacutees par

les diffeacuterents auteurs Pris individuellement chaque regard poseacute sur un

aspect de la probleacutematique favorise une meilleure compreacutehension de

lrsquointeacuterieur de lrsquounivers de cette jeunesse qui se reacutealise de diverses faccedilons

Certaines sont mieux admises socialement et par conseacutequent jamais remises

en question alors que drsquoautres sont jugeacutees deacuteviantes et attirent lrsquoattention

des chercheurs comme du public en geacuteneacuteral

Agrave la lecture des contributions regroupeacutees dans ce collectif drsquoauteurs

qui tous adoptent une approche qualitative visant la compreacutehension des

trajectoires de vie deacuteviantes

il apparaicirct rapidement que bien qursquoelles

abordent des manifestations diffeacuterentes de la deacuteviance des jeunes bien

qursquoelles mettent lrsquoaccent sur des moments diffeacuterents de la trajectoire et

bien qursquoelles reposent sur des meacutethodologies diffeacuterentes ces contribu-

tions eacutetonnent par le fait qursquoon y retrouve des eacuteleacutements communs qursquoil

importe de souligner et drsquoautres compleacutementaires qursquoil importe de mettre

en relation

Mais avant drsquoentrer dans le vif du sujet qui nous conduira agrave appreacutecier

agrave sa juste valeur lrsquoapport drsquoune approche qualitative prenant diverses

formes agrave la compreacutehension des

trajectoires de vie deacuteviantes

des jeunes il faut

rappeler et insister sur le fait que mecircme si durant la peacuteriode de lrsquoadoles-

cence plusieurs jeunes srsquoadonnent agrave des comportements deacuteviants de

nature de graviteacute et drsquointensiteacute variables seule une minoriteacute drsquoentre eux

srsquoengagent vraiment dans une trajectoire deacuteviante En effet peu de jeunes

deviennent des toxicomanes ou des deacutelinquants laquo structureacutes raquo mecircme si

plusieurs font un certain usage de drogues ou commettent des deacutelits de

faccedilon occasionnelle Et encore tous les jeunes ne le feront pas Mais pour

ceux qui srsquoengagent dans une

trajectoire de vie deacuteviante

ceux auxquels les

auteurs qui participent au preacutesent collectif se sont inteacuteresseacutes certains

constats communs se deacutegagent dont nous ferons eacutetat ici

Drsquoabord tous les auteurs reconnaissent lrsquoimportance de srsquoadresser

directement aux jeunes pour faire la lumiegravere sur leur reacutealiteacute telle qursquoils

la perccediloivent telle qursquoils la vivent Il srsquoagit de comprendre les motivations

les aspirations les projets de ces jeunes consideacutereacutes comme des acteurs de

leur histoire selon lrsquoexpression de Michel Kokoreff Agrave cette fin il est

neacutecessaire drsquoappreacutehender les significations que les jeunes donnent aux

CONCLUSION

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eacuteveacutenements survenant dans leur vie aux sentiments qui srsquoy rattachent et

aux actions qui en deacutecoulent insistent Natacha Brunelle et ses collabora-

teurs Il srsquoagit en effet de reconnaicirctre que les jeunes ne sont pas que des

reacutecepteurs qui subissent passivement les eacuteveacutenements qui jalonnent leur

vie mais qursquoils contribuent dans la mesure des possibiliteacutes qui srsquooffrent agrave

eux agrave forger leur itineacuteraire Les jeunes usent de strateacutegies qursquoils sont les

seuls agrave pouvoir nous faire deacutecouvrir soutiennent tous les auteurs Il convient

donc de faire de la recherche

avec

et non

sur

les jeunes

Il faut toutefois reconnaicirctre comme le font drsquoun bel accord lrsquoensemble

des auteurs que la liberteacute drsquoaction dont jouissent les jeunes est condition-

neacutee par les structures sociales qui lrsquoencadrent Si lrsquoindividu est un acteur

dans le sens ougrave il tente de vivre la socieacuteteacute plutocirct que drsquoen subir passive-

ment les effets eacutecrit Ceacutecile Carra il est cependant contraint par son

environnement Il est aussi jugeacute par son entourage et il arrive qursquoil fasse

sien ce jugement Ainsi signale Michel Kokoreff lrsquoindividu deacutesigneacute socia-

lement comme laquo toxicomane raquo se consideacuterera comme tel deacutefini comme

laquo multireacutecidiviste raquo agrave la suite de confrontations multiples avec les autoriteacutes

il ira jusqursquoagrave reprendre cette deacutesignation institutionnelle comme il a inteacute-

rioriseacute son identiteacute de laquo toxicomane raquo Tout se passe preacutecise Ceacutecile Carra

laquo comme si lrsquoidentiteacute prescrite eacutetant accepteacutee et inteacuterioriseacutee lrsquoaspect stig-

matisant de celle-ci eacutetait mis en avant dans une sorte de tentative drsquoassu-

mer ces stigmates en les renforccedilant raquo Mais cet effet comme tout autre

effet nrsquoest pas automatique signale lrsquoauteure Il nrsquoy a qursquoagrave rappeler

lrsquoexemple apporteacute par Kokoreff de cet homme qui se preacutesente aux siens

comme un

dealer

pas comme un consommateur mais qui adopte la posi-

tion inverse lorsque mis agrave lrsquoarrecirct par les policiers il vise agrave voir sa sanction

peacutenale alleacutegeacutee

Cela eacutetant il apparaicirct que la compreacutehension de la trajectoire de vie

deacuteviante des jeunes doit passer par lrsquoappreacutehension des interactions qui

contribuent agrave la faccedilonner Selon Michel Kokoreff il faut resituer les eacuteveacute-

nements et les actions dans des parcours et des contextes sociaux ougrave

jouent les relations aussi bien avec les familles et les groupes de pairs

qursquoavec les institutions reacutepressives sanitaires sociales ou scolaires

Crsquoest aussi dans cette perspective que Ceacutecile Carra souligne lrsquoimpor-

tance de consideacuterer lrsquoexpeacuterience subjective de lrsquoindividu comme la reacutesultante

drsquointeractions constantes avec autrui ces interactions prenant la forme de

neacutegociations ou de meacutediations qui constituent des lieux de tension entre

individus et groupes sociaux placeacutes dans des relations ineacutegalitaires et

conflictuelles Lrsquoauteure tout comme Michel Kokoreff Ceacuteline Bellot et

Maryse Esterle-Hedibel nous ramegravene ainsi agrave la perspective interaction-

niste envisageacutee il y a deacutejagrave plus de quarante ans par Becker les auteurs

tenant compte des avanceacutees theacuteoriques reacutealiseacutees agrave sa suite

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Dans la mecircme ligne de penseacutee chacun des auteurs signale lrsquoimpor-

tance de prendre en compte tout autant les logiques des acteurs que le

rocircle des institutions des familles de lrsquoenvironnement et des groupes de

pairs dans lrsquoanalyse des processus en œuvre dans la constitution de trajec-

toires de vie deacuteviantes Surgit ici la notion de processus qui rapidement

eacutevoqueacutee pourrait laisser penser agrave une forme drsquoengrenage induisant une

certaine lineacuteariteacute ou du moins agrave une certaine seacutequence dans les parcours

des jeunes Ces parcours les conduiraient drsquoune eacutetape agrave lrsquoautre jusqursquoagrave

ce qursquoils srsquoinstallent deacutefinitivement dans un parcours de vie deacutevianthellip ou

qursquoils en sortent Mais lrsquoideacutee forte qui se deacutegage de lrsquoensemble des textes

est celle de la non-lineacuteariteacute des parcours lesquels se dessinent plutocirct

comme une suite de meacuteandres drsquoallers-retours de peacuteriodes drsquointensifica-

tion et de diminution drsquoescalade et de deacutegringolade drsquoabstinence et de

rechutes reacuteversibles Srsquoimposent alors la complexiteacute des parcours et la

difficulteacute de les suivre et de les preacutevoir puisque comme le signale fort

justement Ceacuteline Bellot ceux-ci srsquoinscrivent toujours dans laquo un univers de

possibles qui se construit et se deacuteconstruit au fur et agrave mesure que les

eacuteveacutenements srsquoenchacircssent et que les rencontres avec les autres se reacutealisent

ou non que les rapports sociaux structurent ou non la dialectique deacuteviance

conformiteacute raquo Prendre une photo de la vie du jeune agrave un moment donneacute

de sa vie ou mecircme une seacuterie de photos agrave diffeacuterents moments de sa vie

ne peut que cacher la sinuositeacute de son itineacuteraire et masquer la complexiteacute

qui se trouve derriegravere la construction des trajectoires de vie qui apparaissent

loin drsquoecirctre traceacutees deacutetermineacutees drsquoavance Les motivations peuvent chan-

ger en cours de route En teacutemoigne le passage drsquoune consommation pour

le plaisir agrave une consommation pour lrsquooubli souligneacute par Natacha Brunelle

et ses collegravegues Les perceptions aussi peuvent changer comme crsquoest le

cas lorsque la laquo lune de miel raquo deacutecrite par Marie-Marthe Cousineau et ses

collaboratrices qui marque lrsquoentreacutee dans les gangs pour plusieurs jeunes

garccedilons et filles prend fin et que la peur srsquoinstalle Les situations srsquointer-

influencent neacutecessairement Crsquoest ainsi que les relations familiales repreacute-

sentent agrave la fois laquo le baromegravetre du comportement et la reacutesultante de ce

comportement raquo note Isabelle Delens-Ravier Rejeteacute par les siens le jeune

srsquoenfoncera dans des comportements deacuterangeants qursquoil preacutesente lui-mecircme

comme une forme drsquoappel mais qui entretiennent le rejet Crsquoest eacutegale-

ment ainsi qursquoune bande de jeunes parvient agrave se positionner dans lrsquoespace

local en obligeant les acteurs environnants agrave tenir compte de sa preacutesence

mais que du mecircme coup ce positionnement participe directement non

seulement agrave la marginalisation de ses membres mais aussi agrave leur stigma-

tisation contribuant agrave leur prise en charge par les autoriteacutes chargeacutees de

faire reacutegner lrsquoordre soutient Ceacutecile Carra

CONCLUSION

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

De fait chaque situation est singuliegravere souligne Maryse Esterle-Hedibel

mais on trouve des points communs entre les unes et les autres Lrsquoanalyse

des donneacutees qualitatives fournies par chaque reacutecit de jeune ou par lrsquoobser-

vation de situations au cœur desquelles les jeunes se trouvent mecircleacutes per-

met de deacutefinir des laquo profils de situation raquo La compreacutehension de ces profils

fait apparaicirctre des reacutecurrences qui dessinent des logiques drsquoaction compa-

rables alors que leur confrontation contribue agrave mettre au jour des confi-

gurations particuliegraveres dans lesquelles ces logiques agissent observe Ceacutecile

Carra Agrave cet eacutegard on se rappellera les trajectoires de rue identifieacutees par

Ceacuteline Bellot qui met en lumiegravere la rue comme eacutepisode initiatique dans

la vie du jeune la rue comme tremplin vers le monde conventionnel ou

criminel et la rue deacuterive Qursquoon pense aussi aux trajectoires continues et

discontinues de consommation de drogues et drsquoengagement dans la deacutelin-

quance qursquoeacutevoquent Natacha Brunelle et ses collegravegues pour en avoir fait

une description plus fine ailleurs

Il ne faut donc pas nier ou occulter lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des situations

qui megravenent agrave lrsquoadoption drsquoune

trajectoire de vie deacuteviante

non plus que la

diversiteacute des trajectoires deacuteviantes qui ne saurait drsquoaucune faccedilon se reacutesu-

mer agrave lrsquoadoption drsquoune ligne de conduite toute traceacutee Les eacutetudes montrent

en effet que la trajectoire naicirct drsquointeractions complexes entre lrsquoindividu

son environnement et le contexte qui offre plus ou moins drsquooccasions

licites ou deacuteviantes Par ailleurs srsquoeacuteloignant drsquoune vision lineacuteaire de la

trajectoire il faut retenir quelles sont les expeacuteriences qui contribuent au

renforcement ou au contraire agrave lrsquoeffritement ou agrave la cassure

drsquoune trajec-toire de vie deacuteviante

Il srsquoagit en somme comme le reacutesume fort bien Ceacuteline

Bellot laquo de saisir la mise en mots du parcours biographique [dans le reacutecit

qursquoen fait le jeune lui-mecircme] mise en mots qui donne accegraves agrave la logique

des neacutegociations identitaires de lrsquoindividu raquo et aux expeacuteriences qui mar-

quent la vie du jeune Lrsquoobjectif est alors de relier les reacuteactions de lrsquoindi-

vidu aux rencontres que celui-ci fait ou non ndash et aux expeacuteriences qursquoil vit

ou non ndash en tenant compte des significations et des sentiments qui srsquoy

rattachent pour mettre en lumiegravere les tenants et les aboutissants qui

srsquoentremecirclent dans la constitution de la

trajectoire de vie deacuteviante

Au regard de ces connaissances qursquoaura permis drsquoacqueacuterir une

approche qualitative diversifieacutee dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie

deacuteviantes des jeunes se dessinent des lignes drsquoaction pour lrsquointervention

Puisque le jeune est lrsquoacteur principal de sa trajectoire il faut le laisser tracer

le portrait de cette trajectoire en insistant pour qursquoil fasse eacutetat du sens qursquoil

donne et des sentiments qursquoil associe aux eacuteveacutenements qursquoil vit Il faut du

mecircme coup tenter de faire la lumiegravere sur les interactions agrave lrsquoœuvre agrave

chaque occasion Reconnaissant le rocircle des interactions dans la constitu-

tion des trajectoires deacuteviantes des jeunes ainsi que celui des structures

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

sociales il apparaicirct incontournable drsquoadopter une approche drsquointervention

systeacutemique qui non seulement srsquoadresse agrave lrsquoindividu mais tient eacutegalement

compte de lrsquoenvironnement dans lequel celui-ci eacutevolue et sur lequel il agit

Une telle approche exige des diffeacuterents intervenants qursquoils travaillent de

maniegravere concerteacutee

Agrave la suite de Ceacuteline Bellot nous soutenons qursquoune approche quali-

tative dans lrsquoanalyse des trajectoires de vie des jeunes se reacutevegravele un outil

majeur tant en intervention qursquoen recherche Le recours agrave un tel outil

vient soutenir le regard porteacute sur la complexiteacute des situations sur la

nature de lrsquoexpeacuterience biographique de mecircme que sur les capaciteacutes de

structuration qursquoengendrent les interventions notamment reacutepressives en

renforccedilant les meacutecanismes de stigmatisation et de deacutesaffiliation que vivent

les jeunes Il peut tout aussi bien permettre de mieux cerner les sorties

de la deacuteviance et les aleacuteas que celles-ci comportent

Enfin srsquoil est important pour les intervenants drsquoagir de concert il

en va de mecircme des chercheurs qui devraient collaborer en vue de parve-

nir agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun savoir multidisciplinaire articuleacute autour du jeune

lui-mecircme au cœur des preacuteoccupations et des devis de recherche Ce livre

aura donc montreacute au-delagrave des singulariteacutes propres agrave chaque cas que

chaque cheminement deacutevoile diverses geacuteneacuteraliteacutes sur lesquelles on devrait

tabler afin drsquoen tirer un savoir inteacutegreacute au service des jeunes

PO

ST

FA

CE

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C

ANDIDO

DA

A

GRA

Professeur agrave lrsquoUniversiteacute de PortoDirecteur de lrsquoEacutecole de Criminologie

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210

TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

Si on me demandait

a posteriori

de titrer ce livre jrsquoutiliserais un eacutenonceacute

constitueacute par trois mots

vie

temps

et

reacutecit

Crsquoest cela qui caracteacuterise il

me semble cet excellent ouvrage sur la deacuteviance juveacutenile En lisant ce

livre je suis presque obseacutedeacute par la mecircme question mais quel est lrsquoesprit

(scientifique bien entendu) qui traverse lrsquoensemble des textes Y a-t-il des

structures de penseacutee communes parmi les diffeacuterences dans les objets les

concepts les points de vue les meacutethodes les scheacutemas Y a-t-il un cadre

de reacutefeacuterence assez large et coheacuterent dont le pouvoir et la valeur eacutepisteacute-

miques puissent rendre compte du laquo mecircme raquo agrave lrsquointeacuterieur de la diffeacuterence

Si la reacuteponse est oui quelle est la nature du

mecircme

persistant souterrain

occulteacute sous la surface des discours Quel est le dessous des notions des

concepts des points de vue des meacutethodes

Un ouvrage mecircme srsquoil est collectif deacutefinit son objet son cadre theacuteo-

rique et sa meacutethode en toute coheacuterence avec une viseacutee Celle de ce livre

est de contribuer agrave lrsquoeacuteclaircissement drsquoun problegraveme social la deacuteviance

juveacutenile en vue drsquoune intervention qui tienne compte de la connaissance

Mais nrsquoa-t-on pas assez de connaissance sur cet objet eacutetudieacute depuis bientocirct

un siegravecle Non Tout drsquoabord le pheacutenomegravene a subi des transformations

et ses nouvelles manifestations sont loin drsquoecirctre deacutecrites expliqueacutees et

comprises Puis les approches traditionnelles de par leur simpliciteacute reacuteduc-

tionniste ne rendent pas compte de la complexiteacute des nouvelles manifes-

tations du pheacutenomegravene Ces approches le traitent du dehors Dans cet

ouvrage le point laquo drsquoattaque raquo crsquoest plutocirct lrsquoenvers du pheacutenomegravene Con-

naicirctre le dedans de la deacuteviance juveacutenile voilagrave son propos Pour le faire

les auteurs srsquoadressent agrave la

vie

des jeunes au

temps

qui caracteacuterise son

deacuteroulement agrave travers le langage narratif le

reacutecit

LA VIE

Lrsquoobjet de cet ouvrage crsquoest la vie des jeunes La vie dans son deacutebat avec

le soi avec les autres avec la famille lrsquoeacutecole le quartier la ville La vie

dans ses rapports avec la consommation le plaisir la souffrance et lrsquoargent

La vie dont le temps est celui des meacutetamorphoses physiologiques psycho-

logiques et sociales La vie dont lrsquoespace srsquoeacutetend entre lrsquoouverture des rues

et la fermeture des prisons

On a eu beau tenter drsquoexpliquer le comportement des jeunes pour

intervenir aupregraves drsquoeux chercher des laquo causes raquo aupregraves des systegravemes exteacute-

rieurs (lrsquoheacutereacutediteacute les valeurs la socieacuteteacute) se deacuteplacer de la surface du

comportement vers ses structures profondes (le systegraveme nerveux la per-

sonnaliteacute le caractegravere) demander des comptes aux processus de deacutevelop-

pement (classe drsquoacircge geacuteneacuteration troubles de deacuteveloppement) pourtant

POSTFACE

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malgreacute les acquis non neacutegligeables de ces approches la

vie

des jeunes

nrsquoeacutetait pas eacutetudieacutee La vie au sens propre systegraveme constitueacute par un ensemble

drsquoeacuteleacutements vivants articuleacutes entre eux selon une logique preacutesentant deux

milieux en interaction le milieu interne et le milieu externe les

systegravemesde vie

voilagrave le vrai objet drsquoeacutetude

LE TEMPS

La jeunesse est par excellence un systegraveme agrave eacutetats qui se deacuteploient dans

le temps Les notions de laquo trajectoire raquo laquo carriegravere raquo laquo cheminement raquo tra-

duisent cette volonteacute drsquoimpliquer la temporaliteacute dans la compreacutehension

de la deacuteviance juveacutenile Lrsquoapproche deacuteveloppementale le fait depuis long-

temps dira-t-on Crsquoest vrai du point de vue du

temps codifieacute

(le temps

chronologique du monde externe) Ce nrsquoest pas vrai lorsqursquoon se deacuteplace

vers ce qursquoon pourrait appeler une hermeacuteneutique du

temps veacutecu

Le temps

du monde veacutecu amegravene du sens le sens eacutemergeant de faccedilon continue agrave

lrsquointeacuterieur drsquoune configuration existentielle dont la profonde singulariteacute

consiste dans le fait de se sentir exister et drsquoexprimer ce sentiment De ce

point de vue le

processus

du systegraveme agrave eacutetats est loin de coiumlncider avec la

logique des processus deacuteterministes par exemple des systegravemes agrave eacutetats

physiques ou biologiques Le simple transfert des sciences de la nature

parfois agrave la mode dans les sciences sociales et du comportement consti-

tuerait un tregraves grave obstacle eacutepisteacutemologique agrave ces domaines du savoir

La recherche actuelle ne peut pas ne doit pas se passer de lrsquoanalyse

des processus Je dirais que les regravegles de

lrsquoeacutepisteacutemologie

contemporaine y

obligent Mais en ce qui concerne le laquo drame raquo (au sens de lrsquoaction) en

tant que vrai objet des sciences du comportement humain comme le

voulait Politzer ou le laquo tragique de lrsquoaction raquo selon la belle formule de

P Ricœur tout processus est marqueacute par le jeu dialectique entre le milieu

interne et le milieu externe la contingence et la neacutecessiteacute la conservation

et lrsquoinnovation lrsquoacteur et le systegraveme la normativiteacute et la deacuteviance le

subjectif et lrsquoobjectif Jrsquoemprunterais le concept drsquolaquo accident controcircleacute raquo ou

de laquo hasard controcircleacute raquo utiliseacute par certains critiques de lrsquoart pour caracteacute-

riser lrsquoeacutetat le plus eacutevolueacute drsquoun artiste donneacute pour deacutefinir le concept de

processus propre agrave la recherche dans le domaine de la deacuteviance Peu

importe les mots ou les notions trajectoire carriegraverehellip les discussions lagrave-

dessus sont inutiles Ce qursquoil nous faut srsquoagissant drsquoanalyse des processus

et de la temporaliteacute crsquoest une

accidentologie de lrsquoexistence

et des systegravemes

de vie En fait exister crsquoest la tacircche la plus complexe agrave exeacutecuter que nous

ayons reccedilue le jour de notre naissance Toutes les autres sont secondaires

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

et beaucoup plus simples Elles devraient ecirctre au service de la tacircche prin-

cipale et fondatrice Assurer lrsquoeacutequifinaliteacute des multiples segments drsquoexis-

tence est le seul destin reccedilu auquel il faut donner un nouveau destin agrave

travers la deacutefinition drsquoune position de signification existentielle Mais com-

ment y parvenir sinon par le truchement de

lrsquoart drsquoexister

appris dans

lrsquointercommunicabiliteacute de lrsquoexpeacuterience constitueacutee par le savoir le savoir-

faire le pouvoir (le politique) et la subjectiviteacute (eacutethique)

LE REacuteCIT

La vie ne srsquoeacutetudie plus dans les laboratoires dit F Jacob Si cela est vrai

deacutejagrave au niveau biologique que faut-il penser sur la meacutethode de recherche

quand on parle du comportement du langage des eacutemotions de la cognition

et de la signification humaine Si lrsquohumaniteacute de lrsquohomme (jrsquoemprunte le

concept drsquoHeidegger) la vie humaine en tant que monde veacutecu nrsquoest pas

abordable en dehors du temps elle ne lrsquoest pas non plus en dehors du

langage et du sens Le temps humain est toujours un temps doubleacute plieacute

deacuteplieacute deacutecoupeacute et cousu par le reacutecit Le reacutecit est un systegraveme langagier

dont la structure la fonction et la finaliteacute sont la capture des deacuteplacements

de sens opeacutereacutee par lrsquoexistant dans lrsquoexercice de sa tacircche drsquoexister dans la

flegraveche du temps

La vie humaine telle qursquoelle se manifeste dans son

essence probleacute-matique

et dont la normativiteacute et la deacuteviance sont les analyseurs demande

drsquoecirctre eacutetudieacutee par un mode de connaissance speacutecifique qui est obligeacute de

plonger lrsquoobjet dans le laquo temps raconteacute raquo Le travail de lrsquoeacutevidenciation de

cet objet risque alors de tomber dans les piegraveges du sentiment et des laquo

apriori

raquo psychologistes et socio-ideacuteologiques Or il faut concevoir lrsquoeacutevidence

de lrsquoobjet comme laquo preacutesence-en-personne raquo le fondement et la connais-

sance de lrsquoessence des origines selon la pheacutenomeacutenologie de Husserl Ce

qui est ici la cause ce nrsquoest pas lrsquoexistence de lrsquoexistant mais

lrsquoessence delrsquoexistant

lrsquoapparaicirctre

de lrsquohomme agrave lui-mecircme Ceci eacutetant la meacutethode doit

srsquoeacutecarter de la laquo reacuteduction transcendantale raquo de la mise entre parenthegravese

de lrsquoobjet

Lrsquoessence

historique de l

rsquo

existant-Homme bloque le chemin

(meacutethode) de la connaissance de l

rsquo

essence geacuteneacuterique de la vie La vie qui

se deacuteroule dans les rapports individu-socieacuteteacute fait-norme nature-culture

constitue une laquo preacutesence-en-personne raquo typique Elle demande un autre

chemin le reacutecit

laquo Reacutecit de vie raquo laquo Histoire de vie raquo laquo Biographie raquo Voici la bonne

meacutethode Pourquoi Parce que la vie des hommes est reacutecit elle-mecircme est

histoire elle-mecircme est eacutecriture elle-mecircme

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Ceacuteline Bellot

PhD en criminologie est professeure adjointe

agrave lrsquoEacutecole de service social de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal depuis

2003 Elle est eacutegalement chercheure au Collectif de recherche

sur lrsquoitineacuterance (CRI) et au Centre international de crimi-

nologie compareacutee (CICC) Ses inteacuterecircts de recherche portent

sur les jeunes en situation de rue (leurs trajectoires et leurs

expeacuteriences) sur les enjeux de la judiciarisation des pro-

blegravemes sociaux notamment de lrsquoitineacuterance et sur les pro-

cessus drsquoinsertion sociale et professionnelle des jeunes en

difficulteacute agrave partir de leurs trajectoires ou de lrsquoeacutevaluation

drsquointerventions dans ce champ

Serge Brochu

PhD en psychologie est professeur titu-

laire agrave lrsquoEacutecole de criminologie et chercheur au Centre

international de criminologie compareacutee (CICC) de lrsquoUniver-

siteacute de Montreacuteal Il est eacutegalement codirecteur du Groupe de

recherche et drsquointervention sur les substances psychoactives-

Queacutebec (RISQ) et du Collectif drsquointervention et de recherche

sur les aspects sociosanitaires de la toxicomanie (CIRASST)

Ses inteacuterecircts de recherche portent sur les relations drogues-

crimes et lrsquoimpact des interventions aupregraves des toxico-

manes judiciariseacutes

Natacha Brunelle

PhD en criminologie est professeure

agreacutegeacutee au Deacutepartement de psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute

du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres (UQTR) depuis deacutecembre

1998 Elle est chercheure au Groupe de recherche et drsquointer-

vention sur les substances psychoactives-Queacutebec (RISQ)

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TRAJECTOIRES DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE

au Collectif drsquointervention et de recherche sur les aspects socio-sanitaires

de la toxicomanie (CIRASST) au Centre international de criminologie

compareacutee (CICC) et au Groupe de recherche et drsquointervention sur lrsquoadap-

tation psychosociale et scolaire (GRIAPS) Elle dirige le Regroupement

CICC-UQTR Ses travaux de recherche portent principalement sur les

trajectoires drsquousage de drogues et de deacutelinquance agrave lrsquoadolescence et sur

les liens drogue-crime

Ceacutecile Carra

PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences agrave lrsquoInstitut

universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-Calais et

chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les institutions

peacutenales (CESDIPCNRS) Elle travaille sur les questions de deacutelinquance

juveacutenile dans les quartiers populaires Elle eacutetudie les processus de cons-

truction et de deacuteconstruction de la deacutelinquance et le rocircle des acteurs

concerneacutes dans ces processus en particulier les professionnels du travail

social et de la justice Ses recherches srsquoorientent depuis quelques anneacutees

sur la violence agrave lrsquoeacutecole les pratiques professionnelles des enseignants et

le fonctionnement des eacutetablissements scolaires

Marie-Marthe Cousineau

PhD en sociologie est professeure agreacutegeacutee agrave

lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal et chercheure associeacutee

au Centre international de criminologie compareacutee (CICC) agrave lrsquoInstitut de

recherche pour le deacuteveloppement social des jeunes (IRDS) et au Centre

de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite

aux femmes (CRI-VIFF) Ses inteacuterecircts de recherche portent pour une part

sur diffeacuterentes formes de marginaliteacute et de marginalisation veacutecus par

les jeunes (gangs de rue prostitution deacutelinquance toxicomanie) et sur les

faccedilons drsquoy reacuteagir et pour une autre part sur les violences touchant les

femmes et les reacuteponses sociales agrave ces violences

Isabelle Delens-Ravier

PhD en criminologie est

sociologue et titulaire

drsquoun doctorat en criminologie Elle est actuellement chargeacutee de cours

inviteacutee et chargeacutee de recherche au Deacutepartement de criminologie et de

droit peacutenal de lrsquoUniversiteacute catholique de louvain dans le cadre drsquoun Pocircle

drsquoattraction interuniversitaire sur les droits de lrsquoenfant en collaboration

avec trois universiteacutes neacuteerlandophones Ses recherches et ses publications

portent principalement sur lrsquoaide et la protection de la jeunesse sur les

probleacutematiques lieacutees agrave la deacutelinquance juveacutenile et agrave la suppleacuteance familiale

notamment en milieu carceacuteral Elle srsquointeacuteresse particuliegraverement agrave lrsquoexpeacute-

rience veacutecue des laquo acteurs raquo familles jeunes et intervenants professionnels

dans leur rencontre avec les institutions sociales judiciaires et peacutenitentiaires

Maryse Esterle-Hedibel

PhD en sociologie est maicirctresse de confeacuterences

agrave lrsquoInstitut universitaire de formation des maicirctres (IUFM) du Nord-Pas-de-

Calais et chercheure au Centre drsquoeacutetudes sociologiques sur le droit et les

NOTICES BIOGRAPHIQUES

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Tous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

institutions peacutenales (CESDIPCNRS) Ses travaux ont porteacute sur les bandes

de jeunes les processus deacutelinquants et les prises de risque Ses derniegraveres

recherches concernent les processus de deacutescolarisation (arrecircts de scolariteacute

avant 16 ans) et les expeacuteriences de remeacutediation peacutedagogique et eacuteducative

Elle srsquointeacuteresse eacutegalement aux relations eacutecole-police-justice

Michegravele Fournier

MSc en criminologie est candidate au doctorat agrave

lrsquoEacutecole de criminologie de lrsquoUniversiteacute de Montreacuteal Elle a reacutealiseacute un

meacutemoire de maicirctrise portant sur lrsquoexpeacuterience et le cheminement des

jeunes filles affilieacutees aux gangs de rue de la reacutegion meacutetropolitaine de

Montreacuteal Ses recherches portent essentiellement sur la marginaliteacute la

deacuteviance et utilisent une meacutethodologie qualitative

Michel Kokoreff

PhD en sociologie a obtenu son doctorat de sociologie

agrave lrsquoUniversiteacute Paris VII Jussieu apregraves voir suivi un double cursus de socio-

logie et de philosophie agrave lrsquoUniversiteacute Paris X ndash Nanterre Maicirctre de confeacute-

rences pendant dix ans agrave lrsquoUniversiteacute de Lille I il a obtenu sa mutation agrave

lrsquoUniversiteacute Paris V en 2004 Il est membre du CESAMES (CNRS-INSERM-

Paris V) Ses travaux de recherches ont porteacute sur lrsquoinscription urbaine des

sociabiliteacutes juveacuteniles les carriegraveres deacuteviantes dans le monde des quartiers

populaires et le traitement peacutenal des usages et trafics de drogues les

politiques publiques en matiegravere de seacutecuriteacute et de preacutevention

Sylvie Hamel

PhD en psychologie est professeure au Deacutepartement de

psychoeacuteducation de lrsquoUniversiteacute du Queacutebec agrave Trois-Riviegraveres Elle est eacutega-

lement chercheure reacuteguliegravere agrave lrsquoInstitut de recherche pour le deacuteveloppement

social des jeunes (IRDS) et chercheure associeacutee au Centre international

de criminologie compareacutee (CICC) Ses champs drsquointeacuterecirct touchent les ado-

lescents notamment membres de gang les processus drsquoaffiliation de

deacutesaffiliation drsquoexclusion de marginalisation les trajectoires et les deacuteter-

minants psychosociaux srsquoattachant agrave la violence et agrave la deacutelinquance de

mecircme qursquoagrave lrsquointervention pouvant srsquoy adresser lrsquointervention familiale et

communautaire

copy 2005 ndash Presses de lrsquoUniversiteacute du QueacutebecEacutedifi ce Le Delta I 2875 boul Laurier bureau 450 Sainte-Foy Queacutebec G1V 2M2 bull Teacutel (418) 657-4399 ndash wwwpuqca

Tireacute de Trajectoires de deacuteviance juveacutenile N Brunelle et M-M Cousineau ISBN 2-7605-1372-6 bull D1372NTous droits de reproduction de traduction et drsquoadaptation reacuteserveacutes

Revenu minimum garantiLionel-Henri Groulx2005 ISBN 2-7605-1365-3 380 pages

Amour violence et adolescenceMylegravene Fernet2005 ISBN 2-7605-1347-5 268 pages

Reacuteclusion et InternetJean-Franccedilois Pelletier2005 ISBN 2-7605-1259-2 172 pages

Au-delagrave du systegraveme peacutenalLrsquointeacutegration sociale et professionnelle des groupes judiciariseacutes et marginaliseacutesSous la direction de Jean Poupart2004 ISBN 2-7605-1307-6 294 pages

Lrsquoimaginaire urbain et les jeunesLa ville comme espace drsquoexpeacuteriences identitaires et creacuteatricesSous la direction de Pierre-W Boudreault et Michel Parazelli2004 ISBN 2-7605-1293-2 388 pages

Parents drsquoailleurs enfants drsquoiciDynamique drsquoadaptation du rocircle parental chez les immigrantsLouise Beacuterubeacute2004 ISBN 2-7605-1263-0 276 pages

Citoyenneteacute et pauvreteacutePolitiques pratiques et strateacutegies drsquoinsertion en emploi et de luttecontre la pauvreteacutePierre Joseph Ulysse et Freacutedeacuteric Lesemann 2004 ISBN 2-7605-1261-4 330 pages

Eacutethique travail social et action communautaireHenri Lamoureux2003 ISBN 2-7605-1245-2 266 pages

Travailler dans le communautaireJean-Pierre Deslauriers avec la collaboration de Renaud Paquet2003 ISBN 2-7605-1230-4 158 pages

Sous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer

Violence parentale et violence conjugaleDes reacutealiteacutes plurielles multidimensionnelles et interrelieacuteesClaire Chamberland2003 ISBN 2-7605-1216-9 410 pages

Le virage ambulatoire deacutefi s et enjeuxSous la direction de Guilhegraveme Peacuterodeau et Denyse Cocircteacute2002 ISBN 2-7605-1195-2 216 pages

Priver ou privatiser la vieillesse Entre le domicile agrave tout prix et le placement agrave aucun prixMichegravele Charpentier2002 ISBN 2-7605-1171-5 226 pages

Huit cleacutes pour la preacutevention du suicide chez les jeunesMarlegravene Falardeau2002 ISBN 2-7605-1177-4 202 pages

La rue attractiveParcours et pratiques identitaires des jeunes de la rueMichel Parazelli2002 ISBN 2-7605-1158-8 378 pages

Le jardin drsquoombres La poeacutetique et la politique de la reacuteeacuteducation socialeMichel Desjardins2002 ISBN 2-7605-1157-X 260 pages

Problegravemes sociaux bull Tome 1 ndash Theacuteories et meacutethodologiesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1126-X 622 pages

Problegravemes sociaux bull Tome 2 ndash Eacutetudes de cas et interventions socialesSous la direction de Henri Dorvil et Robert Mayer2001 ISBN 2-7605-1127-8 700 pages

  • TRAJECTOIRE DE DEacuteVIANCE JUVEacuteNILE
  • Preacuteface
  • Table des matiegraveres
  • Introduction
  • Chapitre 1_Trajectoires deacuteviantes de garccedilons et de filles
  • Chapitre 2_Toxicomanie et trafics de drogues
  • Chapitre 3_La diversiteacute des trajectoires de rue des jeunes agrave Montreacuteal
  • Chapitre 4_Les gangs du point de vue des jeunes
  • Chapitre 5_Arrecircts de scolariteacute et deacutelinquance
  • Chapitre 6_Le deacutelinquant comme produit de la dialectique identiteacute personnelle reacutegulations sociales
  • Chapitre 7_Du tribunal de la jeunesse au placement en institution speacutecialiseacutee
  • Conclusion
  • Postface
  • Notices biographiques
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