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12/06/14 00:14 Le Soir 17h Page 1 sur 11 http://jn.lesoir.be/#/article/149311 Les jeunes musulmans plus optimistes que les autres? © Bruno Dalimonte Analyse ANN-CHARLOTTE BERSIPONT (ET E.BL.) D’après les résultats de la grande enquête P&V sur l’avenir des jeunes vu par les jeunes, les 25-35 ans de confession musulmane sont plus optimistes que les autres jeunes. Une conclusion qui ne laisse pas les experts indifférents... es jeunes sont optimistes sur leur avenir personnel: telle est la conclusion centrale de l’enquête commandée par la Fondation P&V sur la perception du futur par la «génération Y». Nous en avons publié ce mercredi les grands résultats. L’un d’entre eux cependant interpelle et mérite un éclairage particulier. Parmi les différents groupes de conviction, ce sont quasiment systématiquement les musulmans qui anticipent la plus grande progression par rapport à leurs parents. Mark Elchardus, le directeur de l’enquête, en a d’ailleurs lui-même été très surpris: « , nous expliquait-il. ». 57% anticipent en effet une amélioration de leur niveau de vie général par rapport à celui de leurs parents, tandis que 37% prévoient un progrès en termes de sécurité de l’emploi. A titre de comparaison, les libres-penseurs ne sont que 40% (42% pour les chrétiens) à estimer qu’ils jouiront d’un niveau de vie supérieur et 12% à anticiper une amélioration de la sécurité d’emploi (20% pour les chrétiens). L Même si toutes les études montrent que leur intégration socio-économique n’est pas encore top, ils sont de grands porteurs de cette idée de progrès et sont plus optimistes que les autres Généralement, on les questionne par rapport au reste de la population et ils soulignent les discriminations dont ils sont en effet les victimes. Mais lorsqu’on les interroge en comparaison avec leurs parents, ils constatent un progrès Alors, plus optimistes que les autres, les jeunes musulmans, que l’enquête associe aux jeunes d’origine immigrée ? Pas si sûr.

© Bruno Dalimonte - IRFAM€¦ · Anne-Sophie et son mari, Olivier, ont en effet pu fonder une famille, acheter une maison à la campagne, comme Martine et Michel

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Les jeunes musulmans plus optimistes queles autres?

© Bruno Dalimonte

AnalyseANN-CHARLOTTE BERSIPONT (ET E.BL.)

D’après les résultats de la grande enquête P&V sur l’avenir des jeunes vu par les jeunes, les25-35 ans de confession musulmane sont plus optimistes que les autres jeunes. Uneconclusion qui ne laisse pas les experts indifférents...

es jeunes sont optimistes sur leur avenir personnel: telle est la conclusion centrale de l’enquête commandée parla Fondation P&V sur la perception du futur par la «génération Y». Nous en avons publié ce mercredi les grandsrésultats. L’un d’entre eux cependant interpelle et mérite un éclairage particulier. Parmi les différents groupes deconviction, ce sont quasiment systématiquement les musulmans qui anticipent la plus grande progression parrapport à leurs parents. Mark Elchardus, le directeur de l’enquête, en a d’ailleurs lui-même été très surpris:«

, nous expliquait-il.

». 57% anticipent en effet une amélioration de leur niveau de vie général par rapport à celui de leursparents, tandis que 37% prévoient un progrès en termes de sécurité de l’emploi. A titre de comparaison, leslibres-penseurs ne sont que 40% (42% pour les chrétiens) à estimer qu’ils jouiront d’un niveau de vie supérieuret 12% à anticiper une amélioration de la sécurité d’emploi (20% pour les chrétiens).

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Même si toutes les études montrent que leur intégration socio-économique n’est pas encore top, ils sont degrands porteurs de cette idée de progrès et sont plus optimistes que les autresGénéralement, on les questionne par rapport au reste de la population et ils soulignent les discriminations dontils sont en effet les victimes. Mais lorsqu’on les interroge en comparaison avec leurs parents, ils constatent unprogrès

Alors, plus optimistes que les autres, les jeunes musulmans, que l’enquête associe aux jeunes d’origine immigrée? Pas si sûr.

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Nous avons sollicité l’avis de deux experts en la matière. Marco Martiniello, sociologue et directeur du Centred’études de l’ethnicité et des migrations (CEDEM) à l’Université de Liège, a une opinion bien tranchée. S’il jugela démarche de l’enquête originale, il regrette un biais méthodologique « », surtout dans la partieimmigration. Les chercheurs expliquent en effet s’être volontairement concentrés sur les personnes d’origineturque ou marocaine dans la catégorie « ». « », pour Marco Martiniello,qui voit là une méthodologie culturaliste typiquement flamande. «

» Pour le sociologue, on fait face à un raisonnement circulaire et donc biaisé:«

» Autre biais méthodologique pointé: l’enquête a mêlé les résultats pour Bruxelles et laWallonie. Deux réalités sociologiques très différentes…

incontestable

musulmans Un amalgame regrettable Quand je lis des phrases comme ‘Ces groupes

ont une conception du monde facile à déterminer, étant donné qu’il s’agit de musulmans’, je trouve cela assezperturbant. De même que cet usage du mot allochtone. En fait, cela en dit plus long sur les personnes quiécrivent que sur les gens interrogés.

On considère que les musulmans sont une catégorie différente… Du coup, on en arrive forcément à desrésultats différents. Ca aurait été plus pertinent de comparer des populations issues de l’immigration entreelles, par exemple.

«Une élite musulmane s’est créée»Marco Martiniello remarque toutefois que, si l’ascenseur social est en panne en Belgique, une élite musulmanes’est créée. Deux associations d’entrepreneurs musulmans ont en effet vu le jour, aussi bien en Wallonie qu’enFlandre. «

, se rappelle Marco Martiniello. »

L’une d’elles m’avait convié à une conférence, je vous assure que j’ai eu le sentiment d’être dansn’importe quel cercle d’entrepreneurs Le public se situait entre 25 et 40 ans. Cegroupe-là doit sûrement être plus optimiste que les gamins de Molenbeek.

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Altay Manço, Directeur scientifique à l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (Irfam), nesouhaite pas s’en prendre à la méthodologie utilisée par les chercheurs de l’enquête, puisqu’il ne la connaît pasdans les détails. En décidant de « » à ses collègues, il déclare « » par lesrésultats. « , explique-t-il.

»Le sociologue poursuit en remarquant que ces jeunes issus de l’immigration se sont insérés dans les systèmessocio-économique, socio-politique et commercial. Comme Martiniello, il repère une jeunesse issue del’immigration bien nantie, mais aussi des gens plus en difficulté.

faire confiance ne pas être étonné Le groupe en question vient de très bas. Ils ne peuvent donc que monter A un autre

moment, on dit aussi dans cette enquête que les femmes sont plus optimistes. Cela renvoie au même processus.

En ce qui concerne la première catégorie, il décrit ses membres comme « »: le faitde réussir dans le monde de travail ne veut pas dire qu’ils ne sont pas socialement exclus. «

»

discriminés mais pas démunis A diplôme égal, un

Jean-Bernard sera souvent favorisé au détriment d’un Mohamed. Mais c’est sûr qu’ils ne seront jamaismineurs comme leurs parents l’ont été non plus… Bref, de l’avis de ces deux experts, les conclusions de l’étude P&V sont à prendre avec des pincettes. MarcoMartiniello conclut: «

» Je ne veux pas faire de généralisation à partir des données de cette enquête. Mais les

conclusions sont sans doute valables pour l’échantillon en question…

Les jeunes francophones plus pessimistessur leur avenir

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Martine et Michel, les parentsd’Anne-Sophie, enceinte, deKathleen, aux études, et deGéraldine, non présente.

© Dominique DUCHESNES

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ELODIE BLOGIE

Selon les conclusion de l’enquête P&V, jeunes francophones et jeunes Flamands n’ont pas lamême vision de leur avenir.

n réalité, on compte quasiment la même proportion d’optimistes dans les deux communautés: 40% desfrancophones et 43,6% des néerlandophones pensent en effet qu’ils jouiront d’un niveau de vie général plusélevé.

ELa différence se joue donc entre ceux qui prévoient une régression et ceux qui pensent se maintenir au niveau dela génération précédente. Or, les francophones sont significativement plus nombreux à anticiper un déclin.Quelques chiffres: 51% des francophones prévoient une baisse de la sécurité d’emploi, contre 37% desnéerlandophones. 33% anticipent une dégradation du cadre de vie pour 22% des Flamands.Un peu plus d’un francophone sur quatre (26%) craint une baisse de son niveau de vie pour un flamand sur six.L’écart se creuse même sur les questions de santé puisque 16% des francophones prévoient une dégradation deleur état de santé, contre 10% chez les néerlandophones.Un «climat émotionnel» pesant du côté francophoneSi l’enquête n’est censée questionner que les perspectives d’avenir personnel des jeunes, force est une certaineperméabilité avec l’avenir sociétal dans le chef des Wallons et des Bruxellois. Bernard Rimé, psychologue àl’UCL, spécialiste des émotions collectives, a beaucoup travaillé sur le ressenti des différentes communautés.

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Selon lui, il est évident que le contexte économique est moins favorable du côté sud: «Et les jeunes ne peuventpas le nier, malgré les processus d’optimisme irréaliste mis en place. Quand vous mettez en balance votre visionet un contexte sociétal qui pèse trop lourd, l’optimisme ne résiste pas».En 2010 et 2011 déjà, Bernard Rimé avait pris part à une grande étude interuniversitaire UCL-ULB-KUL quipointait un climat émotionnel nettement plus négatif chez les francophones que chez les néerlandophones.Ainsi, les francophones faisaient part, davantage que les néerlandophones, de sentiments comme l’anxiété, lacolère, la tristesse ou le mécontentement quand ils étaient amenés à décrire le climat émotionnel dans le pays, ouplus encore dans leur propre communauté.De leur côté, les Flamands pointaient davantage des émotions comme l’espoir, le calme et la confiance. Ils sedisaient aussi déjà plus heureux…

A Huy, chez les Baltus : « On a de la chance, mais on devra toujours faireattention »Ce dimanche, à l’ombre de la tonnelle et avec, déjà, une intense fumée de charbon de bois, Michel et Martineattendent leurs trois filles, leurs deux beaux-fils et Noé, leur petit-fils qui, à peine arrivé, brûle d’envie de faire unplongeon dans la piscine autoportante installée au milieu du jardin, à côté de la balançoire. «

», met en garde Kathleen, la cadette.On ne l’a pas

encore nettoyée, elle est dégueulasseAnne-Sophie, l’aînée et mère de Noé, ne s’en inquiète pas : « » De toute façon, il finira dedans, c’est clair !Vision parfaite d’un barbecue familial où règnent bonne humeur, simplicité et détente. Pas de tensions, pasd’angoisses donc ? « , admet d’emblée Michel, le père de famille.

» Accès à la propriété, difficulté d’obtenir un prêt, de se lancer comme indépendant, insécuritéde l’emploi : les grands thèmes sont rapidement abordés. Tous ont conscience des nouveaux obstacles qui sedressent sur le chemin des jeunes adultes… mais se sentent relativement épargnés.

Je vais renforcer le paradoxe de l’enquête Jepense que pour notre famille, ça devrait aller. Mais je ne suis pas certain que d’un point de vue général, ça ailleen s’améliorant. Aujourd’hui, le prix d’un terrain, c’est le prix qu’on mettait nous pour l’achat d’un terrain…avec la maison !

Finalement, les Baltus correspondent sans doute à la majorité des répondants de l’enquête. Anne-Sophie, leventre rond, n’est pas naïve pour autant : «

»

On a de la chance, mais on devra faire attention jusqu’à la fin denos jours, c’est certain. Et on réfléchit davantage à l’avenir quand on a des enfants. D’ailleurs, on s’est posé laquestion : veut-on deux ou trois enfants ? Plutôt deux car on veut pouvoir les aider et qu’on s’inquiète déjà deleur avenir. Si déjà nous, en travaillant à deux, on s’en sort bien mais on doit faire attention… Pour Noé, qu’est-ce que ça va être ? Je ne pense pas que mes parents se posaient ces questions-là…Michel confirme : «

» Au moment de les concevoir, on n’était pas inquiets pour l’avenir de nos enfants, non ! C’est

une fois qu’ils grandissent…Anne-Sophie et son mari, Olivier, ont en effet pu fonder une famille, acheter une maison à la campagne, commeMartine et Michel. Institutrice maternelle, la jeune maman s’est lancée comme indépendante il y a quelquesannées : elle a créé, avec une amie, une crèche privée. A l’heure où la demande de places d’accueil pour la petiteenfance ne cesse de croître, elle a en effet des raisons de ne pas vraiment craindre pour son avenir personnel.Mais elle sait qu’elle sera moins libre que sa mère, qui travaille à mi-temps comme aide soignante dans unemaison de repos, tout en aidant son mari à la ferme : «

».Dans l’idéal, j’aurais bien voulu prendre un mi-temps

pour mes enfants, mais on ne peut pas se le permettreLa différence sans doute se trouve plutôt de ce côté. Dans dix ans, Olivier et Anne-Sophie auront sans doute lemême niveau de vie que Martine et Michel à 40 ans… Mais en travaillant tous les deux à temps plein. «

», déplore Michel. Eux avec

un salaire et demi, ils n’y arriveront pasD’autant plus que travailler à temps plein aujourd’hui a encore un autre sens qu’il y a 10 ou 20 ans. Olivier, lemari d’Anne-Sophie, estime que les jeunes de sa génération sont beaucoup plus stressés que leurs parents : «

». Aujourd’hui, être un bon employé qui fait ce qu’on lui demande ne suffit plus. Il faut toujours en faire plus,rentabiliser chaque seconde de travail… Et ça se transmet dans la vie privée

« On a toujours vu nos parents travailler »Chez les Baltus, on a le sens du travail. « », répètent régulièrementOn a toujours vu nos parents travailler

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Chez les Baltus, on a le sens du travail. « », répètent régulièrementKathleen et Anne-Sophie. Quand on leur demande si, en tant que francophones, elles estiment avoir plus deraisons d’être pessimistes que les jeunes Flamands, c’est souvent à leur éducation qu’elles font allusion, plusdéterminante à leurs yeux qu’une prétendue identité wallonne. Même si, pour Michel, sans doute ne sont-ellespas parfaitement représentatives : «

».

On a toujours vu nos parents travailler

En Wallonie, les gens s’installent moins vite comme indépendants qu’enFlandre. C’est peut-être aussi pour ça que je suis plus optimiste pour mes filles. En Wallonie, le fossé se creusede plus en plus entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, qui entrent souvent dans un cercle vicieuxoù ils ne voient plus d’avenir. Sans oublier qu’une des caractéristiques du wallon est qu’il adore la stabilité.L’insécurité d’emploi sera perçue comme négative, pas pour les FlamandsSi Anne-Sophie a un discours général plutôt posé et optimiste, elle estime quand même que son niveau de viegénéral sera moins bon que celui de ses parents : «

». Cela ne les a pas empêchés de poursuivre un certain idéal familial. Anne-Sophierêvait d’une maison à la campagne, d’un mariage et d’enfants, à l’image de ses parents : «

»

Je ne dis pas que c’est catastrophique, mais déjà en dix ans,on a senti une différence

Pour moi, c’est lemême modèle… mais sans la ferme et avec les vacances !A 56 ans, Michel combine un mi-temps dans l’administration et la gestion d’une ferme, qu’il a reprise peu avantses quarante ans. Il est plutôt partagé pour l’avenir de ses filles, entre ce qu’il prévoit comme une réelleamélioration, en ce qui concerne le confort de l’habitation, le temps libre et les voyages, une stabilisation, pour lasanté et le quartier, et une régression, au niveau de la situation financière, de la sécurité d’emploi et du niveau devie en général.Martine, 55 ans, travaille à mi-temps comme aide soignante dans une maison de repos et aide son mari à laferme. Pour elle, c’était un choix : être présente pour ses trois filles, mais ne pas partir en vacances. Elle semontre plutôt sereine pour l’avenir de ses filles, prévoyant souvent une situation équivalente ou meilleure à lasienne. En termes de sécurité d’emploi et de niveau de vie général, elle estime cependant que ses filles serontmoins bien loties qu’elle.Enceinte d’un deuxième enfant, mariée depuis un an et propriétaire d’une maison à la campagne, Anne-Sophie,bientôt la trentaine, est plutôt positive. Détentrice d’un diplôme d’institutrice maternelle, elle a ouvert une crècheen tant qu’indépendante. Pour elle, sa sécurité d’emploi sera équivalente à celle de ses parents. Par contre, sasituation financière et son niveau de vie global seront moins bons, estime-t-elle.

Anvers « Il faut croire en soi-même ! »

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uand on arrive dans la propriété de la famille Pecher, au bout d’une longue allée, notre regard, qui balaye lesalentours, se pose presque par hasard sur cette tache brune fine et agile : un chevreuil ! «

, sourit Isabelle, la maman, en préparant le thé.

» Nous sommes près d’Anvers, chez une famille flamande… aisée. Est-on dans le cliché ? Peut-être… « », admet Isabelle.

QOh oui, on en a une

petite famille dans le jardin Ils ne sont pas craintifs du tout, ilssont habitués à nous comme on est habitués à eux… Certains vont au zoo pour en voir, nous, on en a à lamaison ! En même temps, c’est aussi une réalitéSon mari et elle ont quatre enfants : Mélanie, l’aînée, Romain qui termine des études d’ingénieur, Aurian, dansl’enseignement spécialisé en autisme, et Adrien, le cadet, en première année en chimie. Ce matin-là, sur laterrasse, nous avons rendez-vous uniquement avec Mélanie, 26 ans, entourée de ses deux parents pour discuterde leur vision de l’avenir. La jeune fille se mouille d’emblée : «

»

Les choses changeront, c’est clair. Est-ce mieux ?Moins bien ? Quelque part, si on s’en tient à une vision idéale de la famille, où la mère est très présente, ça seraévidemment moins bien. Mais je ne vois pas ça de façon pessimiste. Par exemple, je vois ma situation financièreà 40 ans comme équivalente : en tant que femme, je suis nettement plus carriériste que ma mère. Ma situationfinancière ne dépendra que de moi !Le débat est lancé. Le pater familias, une certaine image de l’indépendant flamand qui a bien réussi, pointerapidement les innombrables barrières qui se dressent sur le chemin des jeunes en termes de prêts bancaires,que ce soit pour acquérir un bien immobilier ou… pour créer son propre job : «

» assène-t-il à sa fille. Et de pointer, au passage, le manque d’esprit d’entrepreneuriat dans la jeunegénération… et de reconnaissance pour ceux qui contribuent à la richesse du pays.

Le système économique vouscoince !

Mais Isabelle est sans doute la plus pessimiste pour l’avenir de ses enfants : « Il faut quand même dire que, nous

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»aussi, on a beaucoup travaillé pour en arriver là. Mais c’est certain, si j’avais 25 ans aujourd’hui, je partirais àl’étranger ! C’est pourri ici…Mélanie, diplômée en Sciences politiques avec un master complémentaire en études européennes, a galéré pourtrouver son premier emploi. Si elle s’est d’abord donné un an pour effectuer des stages, un à la CommissionEuropéenne, l’autre aux Nations Unies, elle n’en a pas oublié d’envoyer près de 200 candidatures. Après cetteannée de stages, toujours sans emploi, elle décide de reprendre des études de gestion d’entreprise en cours dusoir… et d’effectuer deux stages complémentaires. C’est finalement deux ans et demi après la fin de ses étudesqu’elle a décroché un contrat à durée déterminée d’un an dans un lobby européen.Malgré toutes ces embûches, Mélanie reste optimiste sur son avenir personnel : «

» Sa mère est plus partagée :«

»

C’est peut-être naïf de mapart, mais je me dis qu’avec tout ce que j’ai fait, et avec mon caractère, ce n’est pas possible que je n’arrive pasquelque part. Même si, c’est certain, au bout de deux ans, on doute de soi-même…

Je sais qu’elle va s’en sortir parce qu’elle est volontaire. Mais qu’est-ce qu’elle va devoir sacrifier pour ça ! Jesuis confiante pour elle, mais nous avons peur quand on voit le climat économique…Il faut dire qu’Isabelle et François ont tout fait pour que leurs enfants aient toutes les cartes en main, avec,parfois, les travers de la compétitivité à outrance « à la flamande » : «

! »

Ici, en Flandre, il y a une sorte decompétitivité entre les parents : il s’agit de mettre ses enfants dans les meilleures écoles, les meilleures unifs.Les maillons plus faibles sont presque des parias, des hontes pour les parents ! La compétitivité et la pressionsont énormes pour les enfants, et ce, dès 3 ans

Les francophones pessimistes : une question de mentalités !Une compétitivité dès le plus jeune âge qui expliquerait le nombre plus faible de pessimistes chez les jeunesflamands, par rapport à leurs homologues francophones ? Une question de mentalités en tout cas, selon le paterfamilias, qui pointe une éducation qui ne cultive pas assez l’esprit d’entreprendre, le volontarisme, l’audace.Tous semblent d’accord autour de la table, anecdotes concrètes à l’appui. Isabelle : «

». Mélanie :«

. »

Nous avons un enfantautiste et je suis très contente d’être de ce côté de la frontière linguistique. En Wallonie, c’est le système del’assistanat qui prime tandis qu’ici, on mise sur l’autonomie. En Flandre, on est plus actif et réactif

Avant les élections, je regardais un débat avec les politiciens wallons et j’ai très fort ressenti cette différencede perception, d’efficacité pour arriver à un certain objectif. J’étais contente d’être flamande parce que j’aipensé “avec les politiciens wallons, on est mal embarqués !” Les Flamands sont beaucoup plus “straight to thepoint” Mélanie et ses parents en reviennent toujours à l’éducation, qui forge les mentalités. «

, déplore François. » Queles jeunes francophones soient plus nombreux à être pessimistes les surprend. Et énerve presque Mélanie : «

» Et le père d’embrayer et de dénoncer un certain fatalisme, teinté de conservatisme etd’immobilisme dans le chef de ses voisins du Sud…

Les Belges ne naissentpas sous la même étoile A Charleroi, on n’est pas éduqué avec l’esprit d’entreprendre.

Enfait, ça me révolte un peu : j’ai envie de dire au lieu d’être pessimiste, va apprendre l’anglais ! Va plus loin ! Il ya énormément d’opportunités, alors profitons-en. Il faut croire en soi-même, ne pas remettre son sort auxmains de la société

A les entendre, Isabelle et son mari semblent plus pessimistes que leur propre fille sur son avenir.C’est que, si l’enquête pousse à la comparaison avec le niveau de vie des parents, reste à savoir si les enfants, eux,ont réellement envie de vivre la même chose, dans les mêmes cadres… Voyages, organisation du temps libre, viede famille : autant d’éléments qui sont en mesure d’offrir une vision neuve de l’avenir qui s’ouvre aux jeunes,potentiellement plus positive celle-là.« , expose Mélanie.

»

On dit que les choses fondamentales ne changeront pas Mais ce n’est pas vrai : tout change,plus rien n’est pareil. La famille, l’idée d’avoir des enfants, même nos relations amoureuses ne sont plus lesmêmes. Vous allez dire que c’est dommage. Est-ce un bien ou un mal ? Je crois un bien : les femmes sont plusindépendantes de leur mari. Isabelle, spontanée, provoque l’hilarité autour de la table : « C’est certain, à mon époque, si tu ne suivais pas lemodèle études-mariage-enfants, tu étais presque une paria ! Personnellement, à tout juste 22 ans, je me suismariée ! Et j’ai eu la chance de tomber sur un bon mari… Mais c’était un coup de bol ! Pour le même prix, j’en

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mariée ! Et j’ai eu la chance de tomber sur un bon mari… Mais c’était un coup de bol ! Pour le même prix, j’enavais un autre, nettement moins bon !Le pater familias, 56 ans, est indépendant, consultant en entreprise. La vision qu’il a de l’avenir de ses enfants esttrès contrastée. D’un côté, il estime que leur situation sera meilleure, en ce qui concerne le confort, le tempslibre, l’état de santé et les voyages. De l’autre côté, il prédit que leur situation sera pire, pour le niveau de viegénéral, les finances, l’environnement et la sécurité d’emploi.Malgré un graduat en kiné, Isabelle Pecher, 50 ans, est aujourd’hui employée en intérim et bientôt indépendante.A 40 ans, elle jouissait déjà d’une bonne situation : emploi stable, bons revenus, grande maison, vacances etloisirs. Elle se montre particulièrement pessimiste pour ses enfants puisqu’elle leur prédit une situation moinsavantageuse sur presque tous les points. Pour le temps libre, elle considère cependant que ce sera équivalent,comme l’état de santé qui pourrait tendre vers le mieux.A 26 ans, Mélanie est détentrice de trois masters universitaires, en Sciences politiques, études européennes etmanagement. Elle travaille pour un grand lobby européen. A la fois confiante mais lucide, ses réponses sontdiverses. Elle prévoit une situation moins bonne que ses parents pour le confort, le temps libre et la sécuritéd’emploi mais envisage un niveau de vie équivalent voire meilleur pour le reste : état de santé, voyages, situationfinancière et cadre de vie.